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MINISTÈRE DE LA DÉFENSE SECRÉTARIAT GÉNÉRAL POUR L’ADMINISTRATION CAHIERS DU CENTRE D’ÉTUDES D’HISTOIRE DE LA DÉFENSE HISTOIRE SOCIOCULTURELLE DES ARMÉES III GUERRE ET SOCIÉTÉ DANS L EMPIRE OTTOMAN ET LES BALKANS LES PROBLÈMES DE PERSONNEL DANS L ARMÉE FRANÇAISE sous la direction de CLAUDE D’ABZAC-EPEZY chargée de recherches au CEHD CAHIER N° 30 2007

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  • MINISTRE DE LA DFENSE

    SECRTARIAT GNRAL POUR LADMINISTRATION

    CAHIERS DU CENTRE DTUDES DHISTOIRE DE LA DFENSE

    HISTOIRE SOCIOCULTURELLE

    DES ARMES III

    GUERRE ET SOCIT DANS LEMPIRE OTTOMAN ETLES BALKANS

    LES PROBLMES DE PERSONNELDANS LARME FRANAISE

    sous la direction de CLAUDE DABZAC-EPEZYcharge de recherches au CEHD

    CAHIER N 30

    2007

  • Introduction..........................................................................................................5

    PREMIRE PARTIE : GUERRE ET SOCIT DANS LES BALKANSET DANS LEMPIRE OTTOMAN ..............................................................................7

    Bachi-Bouzouks et Gentlemen : les troupes irrgulires anglo-ottomanesdurant la guerre de Crime (1854-1856), par Patrick Louvier ..........................9

    Les relations entre soldats franais et serbes au sein de lArme dOriententre 1915 et 1918 par Alexis Troude................................................................29

    Limage de lAutre : la Macdoine yougoslave travers les rapports des attachs militaires franais (1912-1939), par Sacha Markovic ........................47

    Loccidentalisation des forces armes turques, par Odile Moreau ..................87

    Reprsentations de lAutre, idologies et mythologies chez les combattants : le cas des casques bleus en Bosnie (1992-95), par Andr Thiblemont ......................................................................................99

    DEUXIME PARTIE : LES PROBLMES DE PERSONNEL DANS LARMEFRANAISE........................................................................................................107

    La lgion dpartementale des Pyrnes Orientales (1815-1820) Un microcosme militaire lheure de la remise en tat de la dfense du territoire national, par Quentin Chazaud ..................................................109

    Implantation et activit communistes dans larme franaise de 1926 1939, par Georges Vidal ................................................................151

    Le problme du service militaire en France de 1940 1946, disparition et renaissance, par Claude dAbzac-Epezy ..................................185

    Prosopographie dune lite militaire : le recrutement des officiers de marine issus de lcole navale entre 1945 et 1969, par Laurent Suteau ..........................................................................................199

    Slection et formation du personnel de la Force ocanique stratgique(1965-1980), par Patrick Boureille ................................................................225

    Les auteurs ......................................................................................................245

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    TABLE DES MATIRES

  • INTRODUCTIONPAR CLAUDE DABZAC-EPEZY

    La commission dhistoire socioculturelle des armes a t cre ds lanaissance du CEHD en 1996. Place dabord sous la direction du professeurRaoul Girardet, puis de Pascal Brouillet, elle a pour but de runir ceux quisont intresss par lhistoire des socits militaires dans tous leurs aspects,en incluant les apports des autres sciences humaines. Ltude des mentali-ts, des perceptions, des cultures, des opinions, des rapports armes-nationa, en effet, depuis prs de 30 ans, profondment enrichi les problmatiquesde lhistoire militaire. Les dcouvertes dans ce domaine ont t nombreuseset toujours passionnantes car elles ont presque systmatiquement balay lesides reues, tant il est vrai que le regard sur la socit militaire est souventnormatif, faute dune connaissance dtaille de sa complexit.

    Deux approches ont permis ce renouvellement de lhistoire militaire :lappel lhistoire quantitative et ltude des perceptions et des comporte-ments. Les deux premiers recueils publis dans les cahiers du CEHD (nos 7et 19) ont crois ces ceux angles dattaque en privilgiant trois champs derecherche : le problme de la socit militaire lpoque moderne, les trans-formations de la priode napolonienne, et ltude de larme franaise auXIXe sicle. Cette double dmarche, quantitative et cognitiviste, est conser-ve dans le prsent cahier. Les champs de recherche ont, en revanche, tredfinis en fonction du programme annuel des travaux de la commission.Les deux premiers thmes abords correspondant aux annes universitaires2003-2004 et 2004-2005 sont rassembls dans le prsent volume.

    Dans premire partie : Guerre et socit dans les Balkans et danslEmpire Ottoman , les cinq auteurs, Patrick Louvier, Alexis Troude, SachaMarcovic, Odile Moreau et Andr Thiblemont mettent en relief plus dunsicle de chocs culturels entre les armes occidentales et celles de cettevaste zone gographique. Lhistoire montre toutes les tentatives pourcomprendre et dpasser ces diffrences culturelles au service de lefficacitmilitaire. Ces tentatives ont parfois t des checs, comme le montre lex-prience des bachi-bouzouks dcrite par Patrick Louvier, parfois, aucontraire, elles ont t couronnes de succs, limage de loccidentalisa-tion de larme turque, dveloppe par Odile Moreau, ou des liens tisssentre les armes franaise et serbe aprs lopration de Salonique, tudiepar Alexis Troude. Malgr ces avances, les schmas de perception delautre restent marqus par des archtypes de pense figs, ce que montrentparfaitement les communications de Sacha Marcovic pour lentre-deux-guerres et dAndr Thiblemont pour les interventions de larme franaiseen Bosnie au dbut des annes 1990.

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  • Les tudes consacres au deuxime thme : les problmes de personneldans larme franaise aux XIXe et XXe sicle, ne permettent que dentrevoirun des aspects les plus importants de lhistoire militaire franaise contem-poraine. En effet, une histoire focalise sur les conflits et larmement passele plus souvent sous silence le problme permanent des hommes : commentles recruter, les former, les contrler politiquement pour sassurer de leursoumission au pouvoir politique en place ? Ces questions, souvent bien dif-ficiles rsoudre, se retrouvent au dbut du XIXe sicle, avec lorganisationdes lgions dpartementales, parfaitement dcrite par Quentin Chazaud,pendant lentre-deux-guerres avec le dlicat problme de lactivit commu-niste dans larme franaise, que dveloppe ltude de Georges Vidal ainsique pendant les annes 1940-1950, durant lesquelles se pose le dlicat pro-blme de la suppression et de la renaissance du service militaire dans uncontexte de guerre et de pnurie matrielle et humaine. Une problmatiquetransversale parcourt tous les articles de cette deuxime partie : il sagit dela diffrence entre la rapidit potentielle dune volution organisationnelle,financire ou technique, et lextrme lourdeur dune politique de recrutementet de formation qui ne fait sentir ses effets que des annes plus tard. Ds lors,il existe toujours un dcalage potentiel entre linnovation technique et lepersonnel qui est amen laccompagner. Cet aspect est bien montr dansles deux dernires tudes (Laurent Suteau et Patrick Boureille), consacresau personnel de la Marine nationale, contrainte de sadapter la nouvelledonne stratgique des annes 1960 et 1970 et de former des officiers etsous-officiers techniquement adapts leur nouvelle mission.

    Lensemble de ces tudes montre ainsi la richesse de lapproche sociocul-turelle dans lhistoire militaire en indiquant deux permanences : la premireest dordre culturel, car lhistoire et la gographie engendrent des culturesde guerre souvent incompatibles ou difficilement compatibles entre elles ;la deuxime est dordre social, lie la rsistance au changement et aux difficults dadaptation de la ressource humaine la ressource technique.

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    CAHIERS DU CEHD N 30

  • 1re Partie

    GUERRE ET SOCIT DANS

    LES BALKANS

  • BACHI-BOUZOUKS ET GENTLEMEN :LES TROUPES IRRGULIRES

    ANGLO-OTTOMANES DURANT LA GUERRE DE CRIME (1854-1856)

    PAR PATRICK LOUVIER1

    Cette tude a pour ambition de prsenter une des units les plus malconnues de larme britannique mid-victorienne : les Beatsons Horse ouIrregular Horse, un corps de cavalerie irrgulire anglo-ottomane constitudurant la guerre de Crime, que les Franais, allis alors du Royaume-Uniet du Sultan, appelrent les bachi-bouzouks anglais. Signale brivementsouvent en termes ironiques dans quelques ouvrages anglo-saxons, cetteunit na gure suscit dintrt, un seul et court article lui ayant t consa-cr, notre connaissance, en 19552. Une chronologie succincte suffit comprendre ce ddain.

    Envisage en mars 1854, dcide au mois doctobre suivant, la formationdun corps de cavalerie irrgulire de quatre mille hommes sous lecommandement du gnral anglais Beatson est suivie au printemps 1855par une tardive campagne de recrutement en Asie Mineure et dans lesBalkans. Aprs le rassemblement de deux mille guerriers musulmans dansla pninsule de Gallipoli en juin-juillet 1855, une suite de rixes et de ds-ordres entrane, le 29 septembre, la dmission de Beatson, puis le dta-chement des bachi-bouzouks en Bulgarie, en dcembre 1855. Maintenus lcart des zones de combat (Crime, mer dAzov, Caucase), les cavaliersottomans sont licencis en juin 1856. Nous croyons toutefois que lhistoiredes Beatsons Horse ne se rduit pas cette chronique sans clat.

    Lintrt dune tude consacre ce corps se rvle tout dabord lalumire des circonstances stratgiques et diplomatiques qui mnent sacration aux heures les plus difficiles de la guerre de Crime, durant lau-tomne et lhiver 1854.

    Initialement dfensif, limit la seule zone des Dtroits, le dploiementdes corps expditionnaires anglais et franais en mars-avril 1854 nexigealors quun engagement militaire restreint, parfaitement compatible alorsavec les contraintes impriales de larme royale britannique. Le transfert

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    1 Ce texte est issu de la communication prsente par Patrick Louvier devant la commission dhistoire socio-culturelle des armes, le 9 juin 2005.2 J.-B. CONACHER, Britain in the Crimea 1855-56. Problems of War and Peace, Londres, 1987, p. 127 ;C. HIBBERT, The Destruction of Lord Raglan. A Tragedy of the Crimean War 1854-55, Londres, 1963, p. 29 ;B. D. GOOCH, The New Bonapartist Generals in the Crimean War, La Haye, 1959, p. 99-102 ; M.E.S. LAWS, Beatsons Bashi Bazooks , Army Quaterly, 71, 1955, p. 80-85 ; P. W. SCHROEDER, Austria, Great Britain andthe Crimean War, New-York, 1972, p. 342.

  • des forces allies en Bulgarie durant le printemps 1854, lchec en sep-tembre dun grand raid contre Sbastopol puis le sige de ce port-arsenalrvlent linadaptation des contingents franco-britanniques dont les capacitsoprationnelles, mines par le cholra durant lt, sont prouves par lescombats et les rigueurs de lhiver. Alors que le commandement franaisdispose de rserves importantes en Algrie comme en mtropole, larmeanglaise en Crime est confronte une dramatique pnurie dhommes enMditerrane et dans les les Britanniques. Pour sauver son corps expdi-tionnaire, lAngleterre renoue avec les mesures durgence qui lui avaientpermis de devenir une grande puissance militaire face la France rvolu-tionnaire et impriale. Le Cabinet mne ainsi de lAmrique du Nord laTurquie une ambitieuse politique denrlement et dembrigadement duni-ts trangres la solde de la Couronne qui permet daligner la fin de laguerre, en mars 1856, un peu moins de quarante mille soldats europens etturcs. En tudiant la cration et la mise sur pied des Beatsons Horse noussuivons donc, lchelle dune de ces formations, la mutation dun petitcorps expditionnaire anglais en arme internationale et son adaptation des conditions tactiques et stratgiques bien diffrentes de celles quavaientenvisages le Cabinet et le commandement au dbut de la guerre contre laRussie. Ltude des Beatsons Horse permet dans cette perspective decomplter les travaux que le lieutenant-colonel A. Egerton puis C. C. Bayleyconsacrrent aux units mercenaires anglo-europennes durant la guerredOrient3. Il sinscrit galement dans le prolongement du colloque internationalde novembre 2004 organis par lInstitut Franais dtudes Anatoliennesautour de la Turquie et de la guerre de Crime.

    Les dbats et les controverses qui, ds le dbut de la guerre, prcdent etentourent la cration de la cavalerie irrgulire offrent, en second lieu, unstimulant aperu des limites de la coopration militaire anglo-turque durantla guerre de Crime. Imagine sur le modle dunits ayant fait leur preuveen Inde, cette cavalerie est certes parfois dfendue par les autorits londo-niennes, mais suscite la mfiance puis la hargne du commandement quijoue un rle dcisif dans lchec de cette exprience. Ce sont les ressortsmentaux et culturels de cette hostilit que nous dsirons prsenter car ilsoffrent un fascinant clairage sur le commandement mid-victorien, bruta-lement confront aux traditions militaires de lEmpire ottoman.Exclusivement franaises et anglaises, les sources que nous avons utilisespermettent galement de saisir lincomprhension et parfois lindignationquinspirent aux irrguliers ottomans les rgles disciplinaires au sein des

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    3 C. C. BAYLEY, Mercenaries for the Crimea. The German, Swiss and Italian Legions in British Service 1854-1856,Londres, 1977; A. EGERTON, The British German Legion, 1855-1856 , JRUSI, 66, 1921, p. 469-476.

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  • armes occidentales du milieu du XIXe sicle4. Si nous suivons John Keegan,cette difficile coopration anglo-ottomane illustre labme qui spare encore alors une culture occidentale de la guerre, soucieuse de matriser labrutalit militaire pour mieux lexploiter sur le champ de bataille, dunecivilisation guerrire balkanique et levantine, o la violence, troitementlimite durant les combats, frappe en priorit les non-combattants5. Sansprtendre offrir des conclusions originales, cette tude prolonge galement,nous semble-t-il, les remarques nuances quAlain Gouttman avance surlchec des Spahis dOrient, unit irrgulire franco-ottomane leve et dis-soute avant lexpdition de Crime6.

    Bti sur une indispensable trame chronologique, notre propos dbuterapour lintelligence gnrale du sujet par laperu des circonstances qui a-mnent le Royaume-Uni, alli la France, sortir dune approche navale dela question dOrient pour dployer dans les Dtroits puis en Bulgarie vingt-cinq mille soldats entre mars et juin 1854. Le projet dune force armeanglo-ottomane, envisag en mars, et lopposition tenace que suscite ce planavant lexpdition de Crime forment la seconde partie de ltude. Le recru-tement, lorganisation des Beatsons Horse, les circonstances militaires etdiplomatiques qui entranent leur mise en quarantaine entre septembre 1855et juin 1856 forment la troisime et dernire partie de cette contribution.

    LE ROYAUME-UNI ET LINTGRIT DE LEMPIRE OTTOMAN : DE LACTIONNAVALE LINTERVENTION MILITAIRE (1833-1853)

    Sensible ds le dbut du XVIIIe sicle, incontestable au dbut du siclesuivant, le dclin de lEmpire ottoman dtermine les politiques balkaniqueset proche-orientales des grandes puissances europennes. Non sans hsita-tion, le Royaume-Uni adopte dans les annes 1830 une ligne de conduitepro-rformatrice qui vise soutenir la modernisation de ltat ottoman, soninsertion dans la premire mondialisation (1815-1914), tout en maintenantson unit territoriale face aux vises gyptiennes, russes et balkaniques. Lesmotivations de cette politique, tout la fois librale et conservatrice,forment un cheveau complexe dintrts moraux et matriels : dmon-trer la vitalit dun Empire modernis selon les principes libraux, assurer

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    4 Ont t consultes au SHD/TERRE (aujourdhui la Division Terre du Service Historique de la Dfense) les pices du carton G 1/247 relatives au Spahis dOrient et aux bachi-bouzouks anglais. Outre quelques picesmanuscrites, lIOL (India Office Library) contient dintressantes brochures qui permettent de reconstituer laffaire Beatson . Les sources britanniques officielles les plus utiles se trouvent au PRO (Kew) dans lesfonds WO (War Office) et FO (Foreign Office). Les sources imprimes (surtout Panmure Papers et FurtherCorrespondence relative to the Military expedition to the East, mais aussi Englishe Akten zur Geschichte desKrimkriegs) offrent de prcieuses ouvertures sur les motivations londoniennes. Les sentiments des irrguliers turcs sont reconstituer partir des souvenirs et des lettres des officiers franais et britanniques (No,Money, Butler).5 J. KEEGAN, Histoire de la guerre, t. 1, La guerre dans lhistoire, Paris, d. franaise 1996, p. 23-35.6 A. GOUTTMAN, La guerre de Crime 1853-1856. La premire guerre moderne, Paris, 2nde dit., 2003, p. 166-179.

    PATRICK LOUVIER

  • la promotion et lintgration des minorits non-musulmanes et maintenir labri des ambitions trangres le trac syro-irakien dune route postaleanglo-indienne. Pendant prs de deux dcennies (1833-1853), la dfensearme de lEmpire ottoman repose essentiellement sur lescadre de laMditerrane, qui joue ainsi un rle dcisif dans le rglement de la secondecrise de Syrie en 1840 en appuyant par une srie de raids et de bombardementsla reconqute turque du Liban. Ne disposant alors que dun millier de marineset de matelots dbarqus, lamiral Stopford et son trs entreprenant second,le commodore Napier, mobilisent alors avec succs des moyens militairesde fortune : quelques milliers de soldats rguliers turcs auxquels se rallientles tribus libanaises dont les guerriers accablent les colonnes gyptiennes7.Pendant les six annes qui suivent la guerre de Syrie, le rtablissement militaireottoman au Levant et dans les Balkans, lapaisement du contentieux anglo-russe sur les Dtroits par la Convention du 13 juillet 1841, la prudence dela France au Liban rendent inutile toute ingrence arme. Aprs la tourmentervolutionnaire et nationaliste de 1848, cette conjoncture favorable prendtoutefois fin8.

    En 1849, Anglais et Franais dploient leurs escadres dans les paragesdes Dtroits pour soutenir le Sultan qui refuse de livrer les rfugis hon-grois et polonais que rclament Vienne et Saint-Ptersbourg. Deux annesplus tard, la lutte dinfluence que la France engage en Palestine contre laRussie incite le tsar Nicolas Ier renouer avec la politique dingrencearme des annes 1830, ce que lAngleterre ne peut plus accepter. Se rap-prochant de la France, le gouvernement Aberdeen (dcembre 1852-fvrier1855) quitte progressivement son rle darbitrage pro-russe dans la ques-tion des Lieux Saints pour un ostensible soutien la Turquie dont lesingnieurs militaires anglais grossissent les dfaillances. Source dembar-ras sanitaires et diplomatiques, le dtachement de deux escadres, franaiseet anglaise, en juin 1853 dans la rade de Bsika au sud-est des Dardanelles,savre une dcision malheureuse. Elle ne prvient pas loccupation desprincipauts danubiennes de Valachie et de Moldavie par les armes russes,le 2 juillet 1853, puis entrave leur retrait. Elle encourage, enfin, le belli-cisme de la Porte qui dclare la guerre la Russie, le 5 octobre 1853, avantdouvrir deux fronts sur le Danube et le Caucase.

    Accueillies avec enthousiasme par les Stambouliotes, les hostilitsrpondent en effet aux attentes de la majorit des sujets musulmans duSultan qui voient loccasion de conjurer enfin le recul territorial delEmpire et le dclin politique du dar-el-islam. Si larme rgulire, ror-ganise depuis les annes 1830 sur le modle occidental supporte le fardeaudes oprations, trente mille volontaires rpondent au djihad, suivant une

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    7 P. LOUVIER, La puissance navale et militaire britannique en Mditerrane (1840-1871), thse de doctorat dhis-toire non publie sous la direction du professeur G.-H. SOUTOU, Paris IV, 2000, vol. 1, p. 123-150.8 H. TEMPERLEY, England and the Near East. The Crimea, Londres, 1964, p. 61, 120-121, 224-229.

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  • coutume ancestrale, et rallient le front du Danube pour y combattre lesRusses en francs-tireurs de lislam. Sans enthousiasme, le comman-dement ottoman, qui ne dispose plus de lexcellente cavalerie irrgulireturcomane et tatare des XVIIe et XVIIIe SICLES, emploie les services de cesbachi-bouzouks, littralement les ttes brises , originaires des confinsasiatiques et balkaniques de lEmpire9.

    En dpit de succs initiaux, les Ottomans subissent, le 30 novembre1853, un revers spectaculaire en mer Noire o une division de sept frgatesembosses dans le port de Sinope est dtruite. Accueillie avec consternation Londres comme Paris, la nouvelle de la dfaite (ou massacre ) deSinope suscite, les mois suivants, les hypothses les plus pessimistes. Siles flottes allies pntrent en mer Noire au dbut du mois de janvier 1854pour escorter les transports des troupes turcs ni les marins ni les soldatsanglais ne croient plus les marines allies capables de prserver seules lin-tgrit des provinces asiatiques ou danubiennes du Sultan. Au dbut de1854, le spectre dune descente russe sur les Dtroits rentre de nouveaudans la sphre des risques ventuels contre lesquels les analystes suggrentle dploiement dune arme europenne pour verrouiller les Dardanelles etle Bosphore10.

    LE COMMANDEMENT BRITANNIQUE ET LENRLEMENT DES FORCESIRRGULIRES OTTOMANES : UNE HOSTILIT IMMDIATE ET DURABLE(MARS-SEPTEMBRE 1854)

    Trois mois avant la dclaration de guerre la Russie, les 27 et 28 mars1854, la ncessit dun engagement militaire simpose Londres comme Paris. Envisag en janvier 1854, le dtachement dun corps expditionnairede vingt mille soldats britanniques, paul par une arme franaise, doitimmdiatement assurer la scurit des Dtroits et permettre ventuellementde mener contre larsenal de Sbastopol un raid que les escadres Dundas etHamelin ne paraissent pas pouvoir mener seules. Pour dployer au plus ttune arme anglaise en Orient, le Cabinet et ladministration militaire mobi-lisent des units servant dans les les Britanniques et dans les forteresses deMditerrane : La Valette, Corfou et Gibraltar. Rassembl Malte enfvrier-mars 1854, le corps expditionnaire britannique, plac sous lecommandement de lord Raglan (1788-1855), rallie en avril la pninsule deGallipoli que les Allis barrent dune ligne de retranchements : les Boulairlines. Alors que les ingnieurs franais et anglais planifient la dfense deConstantinople, le dclenchement dune offensive russe sur le front duDanube, le 23 mars 1854, fait craindre le mois suivant leffondrement des

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    9 L. BELY, J. BERANGER, A. CORVISIER, Guerre et Paix dans lEurope du XVIIe sicle, Paris, 1991,t. 1, p. 295-298 ; Vicomte de NOE, Les bachi-bozouks et les chasseurs dAfrique. La cavalerie irrgulire de campagne,Paris, 1861, p. 21.10 D. M. GOLDFRANK, The Origins of the Crimean War, Londres, 1994, p. 251.

    PATRICK LOUVIER

  • forces du gnralissime turc, mer Pacha, et leur repli sur Varna au sud dela Bulgarie. la surprise gnrale, les forces rgulires turques, bienarmes et formes leuropenne, font bonne figure, tout particulirement Silistra (Silistrie) o combattent quelques centaines de bachi-bouzouksque ctoient les officiers et les sous-officiers anglais et franais dtachspour fournir au commandement ottoman les cadres instruits qui lui manquent.Anticipant toutefois la chute de Silistrie, les tats-majors allis dcident la fin du mois de mai de prendre position sur les ctes bulgares o sonttransfrs, le mois suivant, les premiers lments des armes anglaise etfranaise11.

    Les forces de cavalerie lgre manquent aux armes allies enBulgarie (mai-aot 1854)

    Dans les semaines qui prcdent le dploiement des contingents allis Varna, plusieurs officiers subalternes et suprieurs peroivent linsuffisance,limprparation et linadaptation des corps expditionnaires. Si les rgi-ments dinfanterie de ligne de larme royale, vous servir outre-mer parrotation, comptaient (en nombre variable) des vtrans des guerres colo-niales, la Brigade dInfanterie de la Garde et les rgiments de cavalerielourde navaient plus combattu outre-mer pendant des dcennies et ntaientnullement prpars oprer sur les vastes tendues semi-dsertiques de laBulgarie. Vtran des guerres cafres, le major Wellesley signale le mdiocreentranement des fantassins de la Garde, incapables de couvrir sac au dosquelques kilomtres en rase campagne, et se moque de leurs officiers qui grognent terriblement car ils ne sont nullement habitus aux fatiguesquendurent les soldats de linfanterie de ligne12 . Il manquait galementaux armes allies une forte capacit de reconnaissance et de poursuite. Niles Franais ni les Britanniques ne disposent alors dinfanterie monte.Dtaches en Bulgarie avec lenteur, les cavaleries allies ne totalisent pasplus de trois mille cinq cents hommes la veille de lexpdition de Crimeen septembre. La modestie de ces effectifs nchappe pas aux chefs descorps expditionnaires ni, bien sr, leurs subordonns13. La surestimationnumrique des forces ennemies dployes sur le front du Danube accentuaiten outre limpression de dsquilibre. Nos deux milles dragons ne pour-ront rsister aux vingt-sept mille cavaliers que les Russes semblent avoirdtachs en Dobrudja crit ainsi en mai un des adjoints du gnralCampbell14. Le marchal de Saint-Arnaud craint alors de voir ses cavalierstrills par des nues de cosaques russes, aguerris par dinnombrables

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    11 M. BATTESTI, La Marine de Napolon III, Vincennes, 1997,t. I, p. 85.12 E. WELLESLEY, Letters of a Victorian Army Officer, Edward Wellesley, Major 73rd Regiment of Foot, 1840-1854, Londres, 1995, p. 187.13 Chef descadron Vico au marchal de Castellane, 13 octobre 1854, n 71, in Lettres adresses au Marchalde Castellane, Paris, 1898, p. 113.14 Lieutenant-colonel Sterling, Varna, 20 mai 1854 in A. STERLING, The Story of the Highland Brigade in theCrimea, rimpression de ldition londonienne de 1895, Minneapolis, 1995, p. 9.

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  • escarmouches contre les tribus circassiennes. Ces considrations tactiqueset stratgiques incitrent les Anglais comme leurs partenaires examinerles services que pouvaient rendre les troupes irrgulires ottomanes quiavaient rejoint le front du Danube au dbut de la guerre.

    De ces bachi-bouzouks, les soldats occidentaux ont laiss des tableauxhauts en couleur15 : Une horde du Moyen ge , crit le gnralCanrobert, un vieux soldat dAfrique, dont le spectacle nous reculait de10 sicles en arrire. Tantt ctaient des Arnautes [Albanais] [...] avec desvestes soutaches dor et la fustanelle blanche plisse autour du corps (...)tantt des Kurdes au teint basan [...]. Tous taient arms jusquaux dents,de pistolets pierre, de yatagans recourbs, de kinjars, de kriss, de cou-teaux de boucher16 . Un des subordonns du gnral Yusuf, le vicomte deNo, voque ce ple-mle de costumes et darmures o chaque soldatest arm sa guise qui dune lance, qui dun tromblon, qui dun sabre, quidune hache17 . Les descriptions que donnent les Britanniques soulignentavec autant de complaisance lexotique valeur martiale des bachi-bouzouksde larme de Roumlie, une varit deux fois plus froce encore que leschefs des anciens clans highlanders . Le 30 avril 1854, le spectacle de cinqcents cavaliers turcs et kurdes impressionne vivement un jeune officier du88e Rgiment dinfanterie de ligne : Ces zebeks [irrguliers asiatiques]taient solidement btis, arms jusquaux dents de pistolets et de carabineset [...] chevauchaient de petits et vigoureux chevaux18 . Lide dengagerces bandes revint, semble-t-il, lord Clarendon, secrtaire dtat auxAffaires trangres, qui mit cette proposition en mars 1854, probablementsur les conseils de lord Ellenborough, un ancien gouverneur gnral delInde. Cette suggestion ntait nullement surprenante. Les campagnes co-loniales de la premire moiti du XIXe sicle avaient en effet montr lavaleur des units indignes irrgulires dans les oprations dclairage et decontre-gurilla, sur un territoire tendu et pauvre dont la population esthabitue aux armes19 . En Inde contre les Mahrattes puis les Sikhs, enAfrique Australe contre les Cafres, larme britannique avait constitu etutilis, avec des succs divers, des forces de cavalerie indigne et dinfan-terie monte. Les traditions militaires et religieuses de lEmpire ottomaninterdisaient-elles une collaboration militaire soutenue ? Dans une lettre du

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    15 Lorthographe savre fluctuante dans les dictionnaires du XIXe sicle et de la premire moiti du XXe o sontreports les termes de bachi-bozouk, bachi-bouzouk, bachi-bouzouck et bach-bozouk. Le mot connat ga-lement de nombreuses variations en anglais. Nous avons retenu la forme la plus connue qui appartient au c-lbre rpertoire des vocifrations du capitaine Haddock.16 Cit par J. GARNIER dans le Dictionnaire du Second Empire (J. TULARD dir), art. Yusuf 1808 (?)-1866 gn-ral , p. 1137-1138.17 Vicomte DE NOE, op. cit., p. 25-26.18 Lieutenant-colonel STEEVENS, The Crimean Campaign with the Connaught Rangers 1854-55-56, Londres,1878, p. 21.19 WO 33/6 A (039), J. F. BURGOYNE, Popular Fallacies with regard to our security against invasion, janvier 1858,p. 12.

    PATRICK LOUVIER

  • 8 novembre, lambassadeur britannique Constantinople, lord Stratford deRedcliffe, un fin connaisseur du monde turc, devait voquer les rsistancesque soulverait la cration dune arme musulmane sous le commandementdun Europen non converti lislam20. Rsistances certes, mais non pasrefus. Sil tait encore impossible de confier le commandement de troupesottomanes des chrtiens dOrient ni mme de les intgrer aux armesturques, le dtachement de dizaines dinstructeurs franais, anglais et prus-siens dans les rangs des armes gyptiennes et turques avait progressi-vement attnu les anciennes prventions confessionnelles et xnophobesdans les annes 1830-1850. Au milieu du sicle, des officiers europenstaient parvenus, sans apostasier , se faire obir au Levant de troupesrgulires, et parfois irrgulires. Durant les oprations de Syrie de 1840,Napier et ses subordonns avaient ainsi command des units turques et prislangue avec des tribus libanaises. Au dbut de la guerre russo-turque, descadres volontaires de larme des Indes comme le gnral Cannon, le capi-taine Butler, mortellement bless en juin 1854, les lieutenants Nasmyth etBullard avaient galement jou un rle dcisif dans la dfense de Silistrie.

    Pour lever et commander une force de suppltifs ottomans, lordClarendon avana le nom dun cavalier de larme des Indes, le colonelWilliam Fergusson Beatson (1805-1872) dont il demanda le dtachement enOrient une semaine avant lentre en guerre du Royaume-Uni21. Trs dcripar la suite, le choix ntonne gure tant lhomme semblait le plus qualifipour cette entreprise. Aprs quinze annes de service en Inde, cet officiersuprieur, avait rejoint en 1835 les rangs de la British Legion, une arme desoldats de fortune mise la disposition de la reine Isabelle II dEspagnecontre les Carlistes. De retour en Inde, en 1837, Beatson avait pris partde 1840 1851 onze campagnes contre les Afghans et les Sikhs. Admirantla rapidit et lendurance des irrguliers pendjabi, cet minent cavalier delarme du Bengale avait constitu et command en 1844 une force de cetype, la Bundelkund Legion, qui avait men des oprations de harclementet de reconnaissance en territoire sikh22.

    Lhostilit du commandement : un cheveau de prjugs et dapprhensions

    Parvenant en Bulgarie en mai 1854, Beatson, froidement accueilli par leHaut commandement, est contraint pendant cinq mois une quasi-inacti-vit, lord Raglan refusant toute coopration militaire anglo-ottomane.Lindiffrence et lhostilit du commandement anglais contrastent avec levif intrt que le marchal de Saint-Arnaud (1798-1854) porte, la fin duprintemps, aux irrguliers ottomans pour des raisons tant stratgiques que

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    20 FO 352/48 (7), Lord Stratford de Redcliffe lord Clarendon, 8 novembre 1854.21 IOR/L/PS/3/42, Lord Clarendon sir Charles Wood, 17 mars 1854.22 Beatson, Lt. Gen. Wm Ferguson , in Foreign Office List, 1869, p. 58-59.

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  • politiques. Aprs avoir envisag de dmonter les bachi-bouzouks pour faci-liter la remonte de ses units, le commandant en chef de larme dOrientappuie en mai la cration dun corps provisoire de cavalerie lgre irrgu-lire, les Spahis dOrient. Placs sous le commandement dune clbre fi-gure de larme dAfrique, le gnral Yusuf, les bachi-bouzouks suscitentles rserves de lempereur qui laisse toutefois Saint-Arnaud poursuivrelexprience. Loin de sopposer linitiative franaise, le commandementottoman la seconde pour se dbarrasser de ces bandes irrgulires quilcontrle mal23.

    Linaction de Beatson, qui finit par rejoindre, en dsespoir de cause, labrigade de cavalerie lourde du gnral Scarlett, tient un cheveau de pr-jugs et de motivations thiques et tactiques que les consignes et instructionslondoniennes ne parvinrent jamais dnouer.

    Prjugs sociaux et militaires tout dabord. La carrire de Beatson sestpresque toute entire droule en Inde quand ce dernier parvient enBulgarie o il se trouve isol. Sans tre les chefs incapables et bornsquune historiographie classique a stigmatiss, ni le chef de la cavalerieanglaise, lord Lucan, ni son irascible beau-frre, lord Cardigan, ne pou-vaient tre favorables un homme dont lexprience militaire tait drou-tante et dautant moins considre que les units anglo-indiennes passaientpour des troupes de second ordre, trs infrieures aux forces europennes24.Cherchant renforcer sa brigade de cavalerie lgre, lord Raglan nvoquenullement lenvoi de cavalerie indienne, mais suggre en mai, avant de lob-tenir en juin, le dtachement dun rgiment de la cavalerie royale anglaise,le 10e Hussard, qui servait alors dans larme du gouvernement de Bombay25.

    Au-del des seuls prjugs anti-indiens, cest lillgitimit et le dangerdune cavalerie irrgulire ottomane que le commandement britanniquesuspecta et dnona.

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    23 Le commandement franais seffora de donner lencadrement des Spahis dOrient une certaine cohsion.Dans la liste des officiers pressentis par Saint-Arnaud sont reports les noms de huit officiers et sous-officiersdu 2e Cuirassiers. Si les chefs de corps ont t choisis avec un soin particulier, lencadrement subalterne napas correspondu aux critres dfinis initialement. tablie le 28 juin, la liste des officiers des 1er et 2nd rgimentsdes Spahis dOrient rvle la prdominance des Africains cavaliers ou fantassins (Zouaves, TirailleursIndignes, Spahis et Chasseurs dAfrique). La slection des officiers de cavalerie, dont une vingtaine en non-activit fut rappele au service, suscita les mises en garde des Bureaux parisiens. G 1/247, Gnral de Saint-Arnaud, marchal de France, au ministre de la Guerre, 30 mai 1854 ; Ibid., chef dtat-major du corpsexpditionnaire, Cavalerie. Spahis dOrient. Nomination dOfficiers, 28 juin 1854; M. LEPINE, Le marchal de Saint-Arnaud daprs sa correspondance et des documents indits (1798-1854), Paris, 1928-1929, t. 2, p. 311, 362-364.24 Les dfaillances au combat des cipayes hindous et musulmans durant les campagnes menes contre lesAfghans et les Sikhs (1842 ; 1845-46 ; 1848) avaient en effet nourri outre-Manche les prjugs les plus odieu-sement convenus sur la supriorit des troupes blanches de larme royale et de la compagnie des IndesOrientales sur les troupes noires et leurs officiers.

    C. MARKOVITS (dir), Histoire de lInde Moderne 1480-1950, Paris, 1994, p. 323-338.25 IOR/L/P/S/3/42, Duc de Newcastle sir Charles Wood, 3 juin 1854.

    PATRICK LOUVIER

  • Aux yeux de Raglan et de ses subordonns, la premire tare de ces unitsirrgulires tait leur ignorance totale des lois de la guerre qui, sans treencore codifies au milieu du sicle, dterminent (plus ou moins effica-cement) la conduite des armes en Europe de lOuest depuis le XVIIIe sicle.Ces rgles admises, sinon respectes, qui sont lautre face dune brutalisa-tion croissante des batailles depuis le XVIIe sicle, rejettent toute perfidie,garantissent lintgrit des prisonniers de guerre et assurent aux non-combattants limmunit la plus grande possible. Ces principes conditionnentlindignation des autorits londoniennes et de lord Raglan quand le ForeignOffice apprend, en avril 1854, les atrocits commises par des irrguliersalbanais contre des villages chrtiens en pire et en Albanie o staientinfiltres des bandes armes grecques. Engage au nom de la civilisation etde la promotion des minorits chrtiennes dOrient, lintervention allie sevoyait malencontreusement associe une rpression incontrle, sourcesde nouvelles rvoltes, justifiant en outre lingrence du tsar dans les affairesreligieuses des Balkans. Inform des brutalits que les irrguliers musul-mans infligeaient aux chrtiens de Bulgarie, Raglan f it savoir Constantinople comme Londres sa rsolution de ne jamais compter surune telle force dont la collaboration niait la politique pro-rformatrice delAngleterre26. La colre mprisante de lord Raglan rvle en dfinitivelincomprhension occidentale des fondements religieux de lEmpire ottoman.L o lord Raglan, pur produit de laristocratie insulaire des Lumires, chr-tienne et philanthrope, voyait dinexcusables monstruosits, les sujetsmusulmans du Sultan ne pouvaient que saluer une lgitime opration demaintien de lordre sur les marches de lislam. Contre des populations chr-tiennes souponnes de vouloir smanciper du pacte de protection et desoumission les liant au calife, le dclenchement de violences terroristes sem-blait en effet une entreprise de reprsailles justes et ncessaires, puisquellesassuraient la lgitime prminence musulmane dans le dar-el-islam27.

    La deuxime tare des bachi-bouzouks tait leur dtestable rputationdindiscipline. Gardant en mmoire les brigandages rpts auxquelsstaient rgulirement livres certaines bandes irrgulires espagnoles, niRaglan ni les autres Peninsular Veterans qui le secondaient ne voulaientsembarrasser de maraudeurs levantins28. Quelques officiers plus jeunes, ettout particulirement des vtrans de larme dAfrique, sentirent que les

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    26 J. SWEETMAN, Raglan. From the Peninsula to the Crimea, Londres, 1993, p. 206.27 On peut, titre de comparaison, lire les pages que B. tienne consacre aux massacres de Damas de 1860o les ambiguts dAbd-el-Kader et ses rticences devant le processus dmancipation des chrtiens duLevant sont exposes.

    Art. Dhimma , in Encyclopdie de lIslam, ss. la dir. de B. LEWIS, Ch. PELLAT, t. SCHACHT, t. II, C-G, Leyde-Paris, 1977, p. 234-236 ; B. ETIENNE, Abdelkader, Paris, 1994, p. 290-296.28 J. W. FORTESCUE, A History of the British Army, Londres, 1929, vol. XIII, p. 43.

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  • irrguliers kurdes, tcherkesses ou albanais suivaient en fait certaines rglesqui les distinguaient de simples brigands. Tout comme les gurilleros espa-gnols ou les klephtes des montagnes hellniques, les arnautes albanais, leszebeks, ou les bachi-bouzouks du Kurdistan et du Levant rejoignaient labannire dun compatriote ou dun corligionnaire dont les talents et labonne toile prservaient ses compagnons daffrontements meurtriers etleur assuraient dheureux coups de main et un large butin avant de se reti-rer de la zone des combats durant la mauvaise saison29. Cette forme de honorable et fructueuse, maintenue quasiment intacte depuis lpoquemdivale et moderne, tait bien videmment demeure trangre aux muta-tions tactiques et disciplinaires qui avaient permis aux XVIIe et XVIIIe siclesde forger linhumaine machine de guerre occidentale. De parades, de servicelong, de vnrables traditions rgimentaires, dobissance aveugle au combatet de lutte sans esprit de recul, il ntait videmment pas question pour cescombattants volontaires, ces francs-tireurs de lislam qui, matres de leursarmes et de leurs montures, ne suivaient que leurs chefs tribaux comme laclbre Kara Fatima, ou les meilleurs dentre eux, en mprisant ouvertementlembrigadement servile et dgradant des troupes rgulires du Sultan.

    Les pripties du front du Danube durant lt 1854 justifirent plei-nement le refus ou lindiffrence du commandement britannique. la findu mois de juin, larme russe, craignant lentre en guerre de lAutricheaux cts des allis, leva le sige de Silistrie et se replia en Roumanie, avantdvacuer les Principauts. Sans doute pour fixer lattention de ses adver-saires sur le front europen, le gnralissime franais engage, le 21 juillet,trois divisions dans les marcages de la Dobroudja (ou Dobrutsha) o lesrgiments des Spahis dOrient sont galement dploys. Cette campagnetourne, le mois suivant, au dsastre : le cholra et les dsertions dsagrgentles rgiments franais de bachi-bouzouks dont quelques units se heurtentles 28 et 29 juillet aux arrire-gardes cosaques. Lchec savre si patent quele commandement franais suspend lexprience, licencie et dsarme, le14 aot, les Spahis dOrient30. Ulcr par leurs rclamations et leurs troubles,le gnral mer pacha fit paralllement massacrer les plus indisciplins desbachi-bouzouks qui avaient ralli sa bannire. Suivant un usage multiscu-laire, les survivants, dmobiliss lautomne, se retirrent soit dans leurspays soit dans les ports du Levant et des Balkans.

    Lchec de la campagne de Crime en octobre 1854 et la rapide dtrio-ration de la situation sanitaire et oprationnelle devaient contraindre le gou-vernement et le commandement revoir la question des troupes irrgulires.

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    29 J. FORTESCUE, op. cit., t. 1, p. 32 ; R. MANTRAN, Histoire de lEmpire Ottoman, Paris, 1989, p. 328-329.30 A. GOUTTMAN, op. cit., Paris, 2e dition, 2003, p. 169-174 ; M. LEPINE, op. cit., vol. 2, p. 367-368.

    PATRICK LOUVIER

  • DE LA CRATION DES BEATSONS HORSE LA DISSOLUTION DES IRREGULARHORSE : PROJETS, AVANIES ET CHEC DE LA CAVALERIE IRRGULIRE ANGLO-TURQUE (OCTOBRE 1854-JUIN 1856)

    Lance le 5 septembre 1854, lexpdition de Crime est initialementconue comme une descente contre le port-arsenal de Sbastopol dont lefront terrestre demeurait inachev. Dans les semaines qui suivent lchec dubombardement terrestre et naval du 17 octobre 1854, le corps expditionnaireanglais, alignant vingt-sept mille soldats trs prouvs par les combats et lefroid, ne peut recevoir que de mdiocres renforts prlevs sur les rares uni-ts disponibles au Royaume-Uni (20 000 hommes) et dans les forteressesmditerranennes. Ds le mois de novembre, larme de lord Raglan ne sub-siste que par lappui logistique et oprationnel des Franais. Si lAngleterreest alors la troisime puissance militaire europenne, la dispersion de sesunits des Antilles au Pacifique Sud, la scurit des possessions indiennes,la faiblesse du recrutement insulaire, moins de cinq mille hommes par mois,retardent et limitent les renforts durant lhiver et le printemps31.

    Laffaiblissement de larme britannique en Crime et lenrlementdes forces trangres

    Pour sauver lefficacit oprationnelle de larme de lord Raglan etmaintenir lapparence dun partenariat militaire avec les Franais, lordAberdeen puis lord Palmerston, rappel aux affaires en fvrier 1855, entre-prirent demployer des forces trangres. Le Cabinet recruta avec des succsdivers des mercenaires suisses, allemands et italiens regroups en lgions nationales. On se tourna vers les partenaires ou les allis desecond ordre comme le Pimont, entr dans la coalition anti-russe le 21 jan-vier 1855, et la Turquie, dont quinze mille soldats rguliers et cinq millerservistes furent placs sous commandement anglais, le 12 mars 1855, encontrepartie dune assistance navale et dun support financier et technique.Cest dans cette recherche dsespre de soldats, que sinscrit la crationdes Beatsons Horse, ds le dbut du sige de Sbastopol, quand laffaiblis-sement numrique du corps expditionnaire devient enfin perceptible. Sansignorer lopposition ce projet de Raglan qui lavait explicitement condamnen juillet, le duc de Newcastle lui fait connatre, le 19 octobre 1854, la cra-tion dune force de cavalerie irrgulire de quatre mille hommes placs sousles ordres du colonel Beatson, promu gnral le 1er novembre. La dmobili-sation des bachi-bouzouks, disperss au Levant, au sud de la mer Noire eten Macdoine, retarde toutefois leur recrutement qui souvre au dbut dumois de fvrier 1855.

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    31 P. LOUVIER, thse cite, vol. 1, p. 268-274.

    CAHIERS DU CEHD N 30

  • Suivant les instructions du duc de Newcastle et de son successeur, FoxMaule, second baron Panmure, le gnral Beatson dtacha, le 9 fvrier,quatre agents recruteurs Beyrouth et deux hommes Salonique, puis unagent Sinope, le 17 du mme mois32. Afin de faciliter le recrutement desirrguliers, les autorits londoniennes placrent Beatson sous lgide delambassadeur britannique, lord Stratford de Redcliffe, qui avait jou unrle actif dans la dfense du front du Danube au premier semestre 1854.Cest toutefois du War Office que relevaient le financement et lenca-drement des Beatsons Horse. Seul chef de corps britannique ne pas tresoumis au haut-commandement en Crime, mais fortement dpendant deStratford, le gnral Beatson fut investi de pouvoirs financiers extraordi-naires le 12 mars 1855, quand lord Panmure lautorisa rgler lui-mme lasolde de ses officiers et de leurs soldats33. Douze jours plus tard, le WarDepartment entreprit de fournir deux mille carabines et deux mille sabres la nouvelle unit. Le ton des instructions officielles comme la modestie decertains moyens administratifs montrent nanmoins la rserve du WarOffice. Dans les mois qui suivirent sa dmission en septembre 1855,Beatson devait dnoncer les obstacles dresss par les autorits londoniennesqui auraient ainsi retard lenvoi de fonds jusquen fvrier 1855. Si la cor-respondance de Panmure est dune incontestable froideur son gard,Beatson ne parat pas avoir t la victime dun complot men par lesta-blishment militaire. Le secrtaire dtat la Guerre devait plus vraisembla-blement le tenir pour un de ces hommes de guerre habitus une grandeindpendance mais aux mdiocres talents administratifs. Sans doute pourviter les dboires quavait rencontrs le gnral Yusuf durant lt 1854,Panmure devait ainsi ordonner au chef de corps de la cavalerie irrgulirede limiter deux mille le nombre des recrues en attendant son rapport sur les campagnes de recrutement et le comportement des engags34.

    Tant valent les hommes tant valent les choses35

    Quittant Constantinople en juin 1855, Beatson tablit son quartier-gn-ral aux Dardanelles o parvinrent, le 10 de ce mois, les premiers contin-gents de son corps. Paralllement, un camp fut tabli Beyrouth o unmillier dhommes fut rassembl durant lt. Un rapport indique enfin en

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    32 Gnral Beatson au duc de Newcastle, 19 fvrier 1855, in Major gnral BEATSON, The War Department andthe Bashi Buzouks, Londres, 1856, p. 6-7.33 Further Correspondence relative to the Military expedition to the East, V, Lord Panmure au major gnralBeatson, 12 mars 1855, n 389, p. 479.34 Further Correspondence (...) op. cit., V, Lord Panmure au major gnral Beatson, le 23 mars 1855, n 412,p. 550-551.35 G 1/247, Gnral de Saint-Arnaud, marchal de France, au marchal Vaillant, ministre de la Guerre,30 mai 1854.

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  • septembre le cantonnement de deux cent trente-sept hommes Varna enBulgarie. Lord Palmerston envisage alors et plusieurs reprises le rapidetransfert des units anglo-ottomanes en Crime afin de mener les forcesturques dEupatoria sur le front dAsie36. Ces projets londoniens ne tenaientabsolument pas compte des difficults disciplinaires et logistiques quedevait surmonter Beatson, qui dnona en juillet 1855 linertie de labureaucratie (these pen-and-ink people at home) incapable de lui fournir detalentueux seconds37. Dans une brochure publie en 1856, lancien chef decorps des Irregular Horse ritra ses plaintes en accusant lord Panmure davoirsciemment dtach des officiers subalternes inexpriments provenantdes rgiments dinfanterie38 . Ces critiques, qui font cho au jugementquAlain Gouttman porte sur les officiers subalternes des Spahis dOrient,savrent globalement exactes39. Dans un petit livre de souvenirs et danec-dotes pittoresques publi en 1857, Twelve Months with the Bashi Buzuks,Edward Money reconnut ainsi lintensit des jalousies et des inimitisaccrues par labsence de tradition rgimentaire, une tare majeure aux yeuxde tout officier britannique40. Provenant de tous les horizons sociaux, sescompagnons formaient en outre un groupe dune mdiocre valeur, dau-thentiques aventuriers ctoyant des subalternes de larme des Indes oudanciens agents de la P & O.. Si le corps des officiers des Beatsons Horsemanquait de cohsion et dun certain panache, quelle fut exactement laresponsabilit du War Office dans cette affaire ? Il nest pas improbable quele recrutement des officiers de cavalerie de larme des Indes fut entravpar les besoins de larme rgulire anglo-ottomane (Anglo-TurkishContingent) que tentait alors de mettre sur pied le gnral sir Robert JohnHussey Vivian (1802-1887). Soutenant sans rserve les efforts de Vivian,Panmure stait attach lui fournir les meilleurs volontaires des rgimentsservant en Inde en augmentant ainsi la solde des instructeurs du TurkishContingent41. Lobjectif avou tait de constituer un corps dofficiers exem-plaires, qui fussent la fois des gentlemen, scrupuleusement honntes, et lespiliers de la discipline rgimentaire. Panmure, qui avait servi douze annesdans les rangs de larme royale, ne manifesta jamais la mme sollicitudepour les Beatsons Horse dont lutilit tactique et politique tait en outre plusdouteuse. Invitablement, les volontaires de larme des Indes qui avaientt dbouts et les lments de second ordre se tournrent vers la cavalerieirrgulire o les soldes des officiers taient notoirement excellentes.

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    36 Palmerston Clarendon, 22 juillet 1855 in Akten zur Geschichte des Krimkriegs (par la suite AGKK), srie III,vol. I, n 539, p. 812.37 B. D. GOOCH, op. cit., p. 66.38 Major gnral BEATSON, op. cit., 1856, p. 6.39 A. GOUTTMAN, op. cit., p. 176-177.40 E. MONEY, Twelve Months with the Bashi-Bazouks, Londres, 1857, p. 12-18.41 WO 43/980, Lord Panmure au lieutenant gnral Vivian, 30 avril 1855.

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  • Une horde de ruffians : les Beatsons horses dans la pninsule deGallipoli (juillet-septembre 1855)

    Lembrigadement des bachi-bouzouks dans la pninsule de Gallipoli savra une tche difficile. Sils admirrent sans rserve leur chef, les irrgu-liers ne comprirent pas cette phase dinstruction qui les maintenait, contretoutes leurs coutumes, loin des zones de combat. Ignorant larabe, le kurdeou lalbanais que parlait la majorit des recrues, les cadres et tout particu-lirement les officiers anglo-indiens les traitrent ddaigneusement foulantau pied les coutumes galitaires et mritocratiques des armes ottomanes.Ancien officier de larme des Indes, Edward Money rapporte son irritationdavoir t ainsi trait dgal gal par des officiers subalternes turcs. Lesdsertions et les (invitables) pillages traduisent ce mcontentement. Le17 juillet 1855, le gnral Larchey, commandant les forces franaises Constantinople, dnonce les excs dplorables auxquels se livrent lesbachi-bouzouks la solde de lAngleterre et dont les violences, conclut-il, menacent la scurit gnrale des tablissements allis dans la pninsulede Gallipoli42. Communiqu au gnral Simpson, le successeur de lordRaglan, puis Londres, ce rapport consterna la reine Victoria et lordPanmure43. Lagitation des bachi-bouzouks nmut gure nanmoins lordPalmerston qui, jeune ministre, avait connu des incidents infiniment plusgraves comme la mutinerie du rgiment de Froberg Malte en 1807.

    Frapp par linaction des Beatsons Horse, qui ne pouvaient servir riendans la zone des Dtroits, le Premier Britannique suggra de les engager Eupatoria en Crime pour intercepter ou harceler les convois russes entrePerekop et Simphropol. Ce projet que lord Panmure reprit le 31 juillet,puis le 4 aot 1855, devait ainsi permettre de relever les forces dmerPacha et dgager la forteresse de Kars44. Si de telles vues demeuraient bienchimriques tant limprparation des forces de Vivian et de Beatson taitencore manifeste, le Premier ne cessa de recommander la patience durant lemois daot : Il serait draisonnable (unwise) de licencier et de perdre unebonne force de cavalerie qui nous a cot beaucoup de temps, dennuis etdargent rassembler45 . Palmerston ne put toutefois sauver le crdit desBeatsons Horse ruin en aot par de nouveaux incidents que le gnralLarchey dnona aux autorits diplomatiques allies : le 21, les irrgulierssont accuss davoir enlev et battu onze infirmiers de lhpital de Mgara ;

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    42 Further Correspondence ..., op. cit., VI, Gnral Larchey au gnral Plissier, 17 juillet 1855, p. 1135.43 Lord Panmure au gnral Simpson, 4 aot 1855, in G. DOUGLAS et G. D. RAMSAY (dit.), The PanmurePapers (par la suite Panmure Papers), Londres, 1908, vol. I, p. 238.44 WO 33/1, Correspondence relative to the Defence of Kars, Lieutenant gnral Vivian lord Panmure,4 juillet 1855, n 5, p. 5 ; Panmure Papers, I, Lord Panmure la reine Victoria, 31 juillet 1855, p. 324-325.45 Ibid., I, Lord Palmerston lord Panmure, 12 aot 1855, p. 346.

    PATRICK LOUVIER

  • le 24, quatre recrues albanaises se heurtent des officiers franais ; le 27enfin, un sous-officier franais est bless46. Les causes exactes comme lescirconstances de ces rixes et de ces tensions sont difficiles dbrouiller.Linimiti qui oppose les contingents franais aux irrguliers ottomans sestprobablement nourrie durant lt dinsultes, de heurts divers et de petitesvendettas entretenues, selon Beatson, par le consul de France Gallipoli etle gnral Yusuf. Sans surprise, les rapports franais fltrissent la passivitquasi-volontaire du commandement anglais. Les sources britanniques sefont largement lcho de ces critiques. Que Beatson ait couvert ses hommes,de peur sans doute de perdre son prestige de chef de guerre en les livrant,ne fit et ne fait gure de doute. E. Money, un de ses anciens subordonns,dplora le manque de fermet de Beatson, que le gnral Simpson, nonsans une vidente jubilation, croyait tre la prochaine victime des bachi-bouzouks : Beatson sera un chef indpendant , devait-il ainsi crire, le21 aot 1855, aussi longtemps que sa bande sabstiendra de lassas-siner47 . Les analyses londoniennes furent plus nuances. Avec finesse,Palmerston vit dans les plaintes et les rclamations franaises loccasioninespre de faire dguerpir de la zone des Dtroits la seule unit britan-nique qui demeurait proximit de la capitale ottomane o stationnaientvingt mille Franais. Sans ignorer les dfaillances de lencadrement, quilvoque le 25 aot 1855, lord Panmure ne manqua pas cependant de blmerla conduite manifestement irrgulire de son subordonn.

    Une efficace mais inutile reprise en main (septembre 1855-juin 1856)

    Sans croire en bloc les accusations franaises dont ils pressentaient leszones dombre et les excs, ni Panmure ni Palmerston ne pouvaient laisserla situation dgnrer en laissant encore souffrir le bon renom de larmeanglaise, passablement corn durant le sige de Sbastopol. La rumeur delassassinat de Beatson entrana le dtachement en septembre de troiscompagnies dinfanterie ottomane qupaula un btiment de guerre anglais,HMS Oberon, charg de montrer le pavillon. Lindpendance relative dontavait joui Beatson ne survcut pas aux incidents de lt. Lingrence mar-que de lambassade dAngleterre puis lintgration des irrguliers danslarme du gnral Vivian attisrent les rancurs de cet officier trs indo-cile , dont la dmission, le 29 septembre 1855, fut accueillie la satisfac-tion gnrale48. Le climat tait alors devenu si dltre que certains de sesanciens adjoints, comme le consul Skene, accusrent lancien chef de corpsdes bachi-bouzouks davoir foment une rbellion pour ruiner le crdit dugnral Smith, son successeur.

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    46 G1/247, Gnral F.E. Larchey au gnral commandant en chef larme dOrient, 4 septembre 1855.47 Panmure Papers, I, Gnral Simpson lord Panmure, 21 aot 1855, p. 346.48 AGKK, srie III, IV, Clarendon Stratford de Redcliffe, 22 septembre 1855, n 38, p. 131.

    CAHIERS DU CEHD N 30

  • La chute de Sbastopol, le 11 septembre, et la gravit de la situation surle front du Caucase permirent enfin de reconsidrer le rle des BeatsonsHorse, rebaptiss les Irregular Horse ou, plus rarement, lIrregularOsmanli Cavalry aprs le dpart de leur fondateur. Panmure recommandade nouveau leur transfert Eupatoria afin de relever les troupes dmerPacha. La proposition ne manquait pas de bon sens car elle entrait (enfin)dans le champ du possible. Ayant reu en septembre dimportantes quanti-ts darmes, les bachi-bouzouks la solde de lAngleterre atteignirent pro-gressivement au dbut de lautomne un honorable niveau de discipline etdefficacit. Trs impressionn par leur tenue et lendurance de leurs mon-tures, le nouveau chef de corps des Irrguliers, le gnral Smith, note le3 octobre larrt des dsertions, motiv sans doute par lattrait de la solde,alors que dbutait la traditionnelle priode de licenciement des milices irr-gulires. Plus nuanc, le rapport quil dresse le 14 octobre ne tarit pas d-loges sur les qualits militaires des Albanais49. Le mois suivant, le WarDepartment flicite Smith pour avoir enrgiment les bachi-bouzouks parnations en convertissant les units arabes en rgiments de lanciers, lesBulgares en carabiniers (dragons ?) et les Albanais en tireurs dlite/volti-geurs. La satisfaction londonienne rsulte moins des rsultats obtenus quedu systme adopt pour encadrer les irrguliers50. Le processus qui vise fondre des qualits militaires ethniques dans un cadre disciplinaire occi-dental rassure Londres car il relve dune pratique prouve de domesti-cation des peuplades guerrires . Que lon songe ainsi lintgrationdes Croates, des Serbes, des hussards, des milices cosaques, puis destroupes nord-africaines, caucasiennes ou indiennes entre les XVIIe etXIXe sicles. Annonc le 3 novembre, le transfert de pistolets et de carabinesMini acclre cette mutation. Ces signes encourageants ne suscitent guredcho en Crime o le gnral Simpson refuse daccueillir Eupatoriacette bande de malandrins avant daccepter, en octobre, de les dployerdans le dtroit de Kertch la grande satisfaction de Panmure trop heureuxdemployer enfin cet improbable corps de cavalerie51. Ce dernier plandemeura toutefois lettre morte. Aprs avoir pens les cantonner en TurquiedAsie proximit de Smyrne, le commandement dplaa les sept rgi-ments de la Cavalerie Irrgulire vers Edirne avant de les diriger, en d-cembre, vers Schumla en Bulgarie o ces trois mille hommes stationnrentjusqu la fin des hostilits en mars 1856. Caressant dsormais le rvedune grande formation de cosaques polonais du Sultan, Palmerston voquaen ces termes moqueurs et dsabuss, le 1er janvier 1856, les errances duContingent Anglo-Ottoman et de la Cavalerie Lgre turque [qui] semblent

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    49 WO 32/7295, Major gnral W. Smith au lieutenant gnral Vivian, 14 octobre 1855.50 Ibid., War Department au major gnral Smith, 3 novembre 1855.51 B. D. GOOCH, op. cit., p. 243.

    PATRICK LOUVIER

  • rivaliser avec les aventures dUlysse aprs la chute de Troie52 . Enmars 1856, avec la conclusion des hostilits, il ne restait plus Londresquune voix pour dfendre lutilit stratgique et politique des units anglo-ottomanes leves durant la guerre. Anticipant une rupture prochaine de lal-liance franco-britannique, lord Clarendon, secrtaire dtat aux Affairestrangres, dconseilla le licenciement brutal des units rgulires et irr-gulires constitues prix dor durant le conflit : notre gnrosit sera unplacement judicieux [...] si nous sommes de nouveau en guerre, nous pou-vons avoir besoin dun grand nombre dtrangers53 . La rorganisation delarme, les contraintes budgtaires et le rglement favorable des points lesplus disputs eurent vite raison de ces craintes. Obtenant la rtrocession deKars et la neutralisation de la mer Noire, le Cabinet renoua ds lt 1856en Mditerrane orientale avec la politique de surveillance navale desannes 1830-1850 et licencia les trente-six mille soldats europens et turcs la solde de la Couronne. La dissolution de la cavalerie irrgulire otto-mane en juin 1856, un mois avant la fin de lvacuation allie de la Crime,sonna, sans gloire, le glas dune entreprise imagine vingt-six mois aupara-vant et qui navait pas cot moins de 200 000 livres sterling aux contri-buables insulaires.

    Des deux cts de la Manche, la dbandade lamentable des SpahisdOrient comme les dsordres et linaction des Beatsons Horse marqurentles esprits. Quelques voix proposent encore certes durant la guerre russo-turque de 1877-1878 une collaboration anglo-ottomane en sappuyant surlexemple de Beatson et de ses homologues de larme des Indes. De telspropos, trs rares, ne rencontrent alors gure dcho dans lopinion claireo seule larme rgulire turque semble rformable entre les mains doffi-ciers anglais. La guerre de Crime a bris les rveries palmerstoniennes degrandes units trangres constitues htivement prix dor. Les bachi-bou-zouks sont dfinitivement associs la plus indracinable sauvagerie : Hordes aux costumes bizarres54 [...] ; ils accourent partout o laguerre leur fait pressentir la destruction et le pillage. Parmi ceux que laguerre de Crime avait attirs en 1854, le chef de lArme franaise enchoisit un certain nombre [...] il tenta sans succs de les organiser en esca-drons soumis la discipline55 . Sans nier les progrs perceptibles la veillede lexpdition de la Dobrudja, le vicomte de No dresse en 1861 un acca-blant portrait des Spahis dOrient et des irrguliers enrls parlAngleterre quil fallut, croyait-il, mitrailler pour en venir bout56 .

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    52 Panmure Papers, I, Lord Palmerston lord Panmure, 1er janvier 1856, p. 514.53 Ibid., II, Lord Clarendon lord Panmure, 27 mars 1856, p. 167.54 Art. Bach-bozouk in La Grande Encyclopdie Berthelot, Paris, 1885, p. 1082.55 Art. Bachi-bouzouck in Comte de CHESNEL, Encyclopdie militaire et maritime, Paris, 1868, vol. 1, p. 108.56 Vicomte de NO, op. cit., note 1, p. 23.

    CAHIERS DU CEHD N 30

  • Les heurts opposant Beatson au War Office et au Foreign Office, les accu-sations de perfidie et de mutinerie dont saccablrent les principaux prota-gonistes comme linaction des troupes anglo-ottomanes furent tenusoutre-Manche par toutes les parties comme un coteux et triste gchis. Quoide bien tonnant par ailleurs ? Si les prjugs et les inimitis ont jou unrle dterminant dans la relgation finale de lunit, la cause principale delchec tient labsence dun instrument militaire autonome crdible, capabledagir en Europe comme en Mditerrane o seul, en dfinitive, le partena-riat militaire du Second Empire apportait une solution efficace mais embar-rassante et provisoire.

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    PATRICK LOUVIER

  • LES RELATIONS ENTRE SOLDATS FRANAIS ET SERBES AU SEIN DE

    LARME DORIENT ENTRE 1915 ET 1918PAR ALEXIS TROUDE1

    Les liens entre la France et la petite Serbie taient la fois trs solideset tnus depuis le retour de la dynastie des Karadjordjevi en Serbie en19032, mais ils dnotaient en mme temps une profonde mconnaissance desSerbes et de la Serbie par les Franais avant la premire guerre mondiale.

    Le publiciste Pierre de Lanux a bien dcrit en 1916 la totale mconnais-sance des caractres ethniques de chaque peuple balkanique par les Franaislorsque le conflit mondial commena. Ainsi, les Serbes taient pris pour des montagnards et des orientaux au caractre indolent et fuyant ; lam-bassadeur de France en poste Belgrade entre 1907 et 1914 voquera mmeleur somnolence coutumire3 . Or les Serbes habitaient des valles et descollines, et on ne pouvait les considrer de caractre oriental, car ils taientdorigine slave4. Par ailleurs, la presse franaise avait lhabitude de parlerdes Serbes, mais seulement en les prsentant sous une seule facette et demanire parfois ddaigneuse. Selon des journaux comme le Temps oulIllustration, ctaient des leveurs de porcs aux murs orientales etviolentes. On les confondait souvent avec les Bulgares et le coup dtat san-glant de 1903, o le dernier descendant de la dynastie Obrenovi fut dca-pit, tait rest dans les mmoires.

    Dans ces journaux grand tirage, on estimait peu la stratgie et lorga-nisation militaire des Serbes, mais on sintressait surtout leur got pourle chant et les pomes piques. Les Franais, la veille du conflit, avaienten fait peur des vellits combatives des Serbes : lorsquHenri Barby, jour-naliste lAurore, raconta les victoires serbes contre les Ottomans en 1913,les lecteurs ragirent en pensant que cela risquait dentraner la France dansune nouvelle guerre5. Les dirigeants eux, par contre, taient trs bien infor-ms des ralits locales. Lambassadeur de France Belgrade, RobertDescos, avait dj dit dans sa note du 10 septembre 1912, adresse sonMinistre, que la dfiance du Bulgare domine toujours en Serbie ; le4 fvrier 1913, il opposait ainsi le Serbe, infiniment plus cultiv, mais

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    1 Ce texte est issu de la communication prononce par Alexis Troude devant la commission dhistoire socio-culturelle des armes, le 17 mars 2005.2 Georges CASTELLAN, Histoire des Balkans, Fayard, Paris, 1991, p. 326-331.3 SHD/MARINE, SS Z 35, dossier H3 - Affaires serbes.4 Pour la gographie de la Serbie, consulter le trs didactique ouvrage du gographe serbe Jovan CVIJIC, La pninsule balkanique. Gographie humaine, Armand Colin, Paris, 1918.5 Henry BARBY, Les victoires serbes, Belfond, Paris, 1913.

  • plus mou que son voisin de lEst au Bulgare pre et violent, arbitraireet dominateur . Dj, lambassadeur de France Belgrade remarquait lesprtentions territoriales des Bulgares sur Kumanovo et Skoplje, et lavolont des Serbes davoir un dbouch sur la mer ge depuis que laBosnie-Herzgovine annexe par lAutriche en 1908 lui avait barr la routede lAdriatique6.

    LA SERBIE : UN ALLI RCENT MAIS SOLIDE DE LA FRANCE

    Dans ce contexte, la France officielle se rapprocha de la Serbie, Pimontdes Balkans. Le roi Pierre Ier Karadjordjevi , arriv sur le trne en 1903,avait men une politique totalement favorable la France, ce qui changeacompltement la politique franaise dans les annes 1900 et 1910. Ayantfrquent lcole militaire de Saint-Cyr la fin des annes 1860 puis parti-cip la guerre contre la Prusse aux cts de la France, Pierre Ier de Serbietait un monarque sur lequel la France pouvait sappuyer7.

    Bien avant ce rapprochement diplomatique franco-serbe, la culture fran-aise stait implante dans la principaut de Serbie au XIXe sicle. Dj en1838, les Franais avaient aid le prince Milo Obrenovi tablir uneConstitution et la langue franaise tait enseigne dans les trois lyces ds1848 et la facult de Belgrade partir de 1880. Mais le contact le plusimportant avec le milieu culturel franais fut lenvoi de jeunes boursiersserbes en France partir du milieu du XIXe sicle. Cela avait le double avan-tage de les arracher linfluence germanique de Vuk Karad i NikolaPa i , les figures minentes de la Serbie avaient fait leurs tudes enAutriche-Hongrie ou en Allemagne et constituer un corps de diplomateset de fonctionnaires fidles la France. Ce quon a appel les Parisiens eurent pour nom Jovan Marinovi , Filip Khristi , ou Milan Jankovi . En1889, sur 33 boursiers envoys ltranger, 14 le furent Paris. partir dumilieu du XIXe sicle, ils formaient une lite intellectuelle francophile quiallait influer sur le rapprochement entre la Serbie et la France. La cons-quence en fut la prsence dhommes dtat proches de la France : en postedurant la premire guerre mondiale, le Ministre des Finances Mom ilo Nin iet les ambassadeurs Londres et Paris avaient fait leurs tudes Paris8.

    La colonie franaise Belgrade ntait pas nombreuse au XIXe sicle,mais certains de ses membres avaient laiss des traces dans la vie publiquede la Serbie ; le capitaine Magnant avait essay de rtablir, aprs la paix deParis, le transport fluvial sur la Save et le Danube et, en le reliant la ligne

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    6 Tlgrammes de la Lgation franaise de Belgrade, in Vojislav PAVLOVIC, Tmoignages franais sur les Serbeset la Serbie, Narodna Knjiga, Belgrade, 1988, p. 67-85.7 Dusan BATAKOVIC, Histoire du peuple serbe, Lge dHomme, Paris, 2005, p. 185-188.8 Vojislav PAVLOVIC, Linfluence culturelle de la France en Serbie lpoque des Constitutionnalistes , inRapports franco-yougoslaves, Institut dHistoire, Belgrade, 1990, p. 103-111.

    CAHIERS DU CEHD N 30

  • Marseille-Galatz, de faire sortir le commerce serbe de sa dpendance vis--vis de lAutriche. Mais cest surtout le capitaine de gnie HippolyteMondain qui retiendra notre attention. Il fut envoy dans une premire mis-sion Belgrade pendant la guerre de Crime (1853-55) puis, en 1861, iltait nomm Ministre de la Guerre par le gouvernement serbe9. En lespacede quelques annes, il dressa un plan densemble des routes et dfenses dela Serbie, refit le programme de lcole dartillerie et forma un certain nom-bre de cadres militaires. Surtout, Mondain cra une arme de partisans rapi-dement mobilisable, la milice nationale serbe. En bon connaisseur desBalkans, il avait dj constat dans les annes 1880 que les manuvressexcutent avec un entrain et un ensemble quon serait loin desprer detroupes irrgulires ; le peuple serbe possde un got inn pour lesarmes et des qualits ncessaires pour faire un peuple guerrier10 .

    La Serbie reprsentait en 1914 un alli important du dispositif diploma-tique franais. Comme le dit en 1916 lhistorien Victor Brard, la Serbieconstituait, dans les Balkans, l lment principal de notre politique face lexpansionnisme germanique . Or ces craintes furent reprises, de faonrptitive et alarme, par les officiers du 3e Bureau : ainsi le 7 octobre 1915tait soulign ce qui fut appel le plan allemand , cest--dire raliserau travers du territoire serbe la continuit des changes et des territoiresautrichien, bulgare et turc11 . En effet, les Allemands contrlaient en 1914 la fois laxe Vienne-Sofia-Istanbul par lOrient-Express et la route delOrient par le Berlin-Bagdad-Bahn. Des rapports du 2e Bureau sur lesBalkans ressortait en 1915 le souci principal de la France : empcher lesAllemands daller plus en avant dans leur contrle des richesses du Moyen-Orient, terre de convoitises conomiques et de rves dinfluence mon-diale pour lAllemagne12. Ptrole de mer Caspienne, mines de fer et decharbon dIrak ainsi que richesses agricoles de Turquie taient pointes dudoigt par le 2e Bureau13. Or les deux axes Budapest/Salonique etVienne/Istanbul traversaient la Serbie. Depuis la crise de lannexion de laBosnie-Herzgovine par les Autrichiens en 1908, la France craignait uncontournement de la Serbie par louest et le sud, ce qui aurait amen unaffaiblissement de ses positions dans la rgion.

    Deuxime souci de la diplomatie franaise en 1914, comme le dit unenote du 2e Bureau du 7 octobre 1915, la Quadruple Entente sait en effet peu prs maintenant quels sont ses adversaires dans les Balkans, mais ellene sait pas quels sont ses amis . La Roumanie tait dirige par un

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    9 SHD/TERRE, 7 N 1573, Dossier Attachs militaires-Missions en Serbie .10 Draga VUKSANOVIC-ANIC, Les missions militaires franaises en Serbie de 1853 1886 et la question de lamilice nationale , in Rapports franco-yougoslaves, Institut dHistoire, Belgrade, 1990, p. 120-130.11 SHD/TERRE, 16 N 3056, GQG Armes de lEst, 3e Bureau (1915-16), pice n 2, 7 octobre 1915.12 SHD/TERRE, 16 N 3058, GQG Armes de lEst, 3e Bureau (1916-17), pice n 7, 6 novembre 1916.13 SHD/TERRE, 16 N 3056, GQG Armes de lEst, 3e Bureau (1915-16), note n 10, 27 octobre 1915.

    ALEXIS TROUDE

  • Hohenzollern qui a sign des traits avec tout le monde , car son but taitde ne marcher quau dernier moment et avec le vainqueur . Or aumoment de la dbcle serbe doctobre 1915, il fut fait mention plusieursreprises de lintrt crucial de la Roumanie pour la russite du front deSalonique : par ce pays se ferait la jonction entre le front de Salonique et laGalicie o lalli russe tait en train de se battre ardemment. En Grce, leroi Constantin tait pro-allemand, et le Premier ministre Venizelos pouvaittout juste accorder quelques gardes pour le camp fortifi qui se construisait Salonique partir de novembre 1915. Le 3e Bureau remarqua que les sol-dats grecs maintiendraient longtemps vis--vis des Franais une attitudedouteuse14 et alla mme jusqu craindre que lhostilit de la Grce, quia dj hypothqu toutes nos oprations dans les Balkans, ne les fasse pasdfinitivement chouer15 .

    Dernier facteur gopolitique, le rle des autres grandes puissances. Lesresponsables politiques britanniques, relays par les officiers de larmeroyale, freinaient les initiatives de la France. Lord Kitchener, Secrtaire auxAffaires trangres, avait voqu en novembre 1915 lventualit de faireretirer les troupes britanniques ; lorsque le gnral Sarrail prit le comman-dement en chef de lArme dOrient en novembre 1916, les Britanniquesmaintinrent leur autonomie et, en pleine bataille de Monastir, refusrent derenvoyer des renforts. En fait, lArme dOrient abandonna partir de 1917la zone dinfluence du Vardar et de Salonique aux Italiens. Ceux-ci renfor-crent galement leur prsence chez leur protg albanais : larme ita-lienne pntra ainsi en 1917 El-Basan sans les Franais et sans EssadPacha16 . Selon les accords de Londres daot 1915, lItalie devait rcup-rer la Dalmatie et lIstrie dans lAdriatique (cest--dire faire barrage auxprtentions serbes sur lAdriatique17).

    Enfin, il nous faut mentionner une implantation conomique franaiseen Serbie dbute au tournant du sicle et qui sacclra lapproche duconflit mondial. La banque Franco-Serbe, banque daffaires cre au tour-nant du sicle Paris, avait investi 60 millions de francs ds 1902 dans leschemins de fer serbes et 100 millions deux ans plus tard dans lquipementmilitaire serbe18 . La France avait des participations dans les mines decharbon de Bor et Negotin, en Serbie orientale, mais aussi dans les minesde fer de Trep a et de cuivre de Leskovac en Vieille-Serbie ; Manufrancec

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    14 SHD/TERRE, 16 N 3060, GQG Armes de lEst, 3e Bureau (1917-18), dossier n 2, pice n 64, 11 novembre1917.15 SHD/TERRE, 16 N 3058, GQG Armes de lEst, 3e Bureau (1916-17), pice n 7, 6 novembre 1916.16 SHD/TERRE, 16 N 3058, GQG Armes de lEst, 3e Bureau (1916-17), pice n 21.17 Frdric LE MOAL, Le poids des ambitions adriatiques de lItalie sur les oprations militaires dans lesBalkans 1914-18 , in Cahiers du CEHD, n 22, 2004, p. 45-63.18 Grgoire JAKSIC, Les relations franco-serbes aux XIXe-XXe sicles , in Actes du Colloque des LanguesOrientales davril 1980.

    CAHIERS DU CEHD N 30

  • avait fourni dans les annes 1910 larme serbe en fusils-mitrailleurs et encanons de 7519. Enfin, le rseau ferr serbe tait largement la ralisation deconstructeurs franais : laxe Belgrade-Salonique par Uskub en Macdoinevenait juste dtre termin lorsque la guerre dbuta, et on travaillait sur leprojet Belgrade-Sarajevo20.

    LARME FRANAISE EN 1915 : SOUTIEN ET RAPPROCHEMENT AVECLA SERBIE

    En 1914, la vaillance des Serbes contre les Puissances centrales commen-ait tre connue en France et provoqua des vocations. Les correspondantsdu Petit Journal , de l Illustration et du Parisien rapportaient quo-tidiennement les faits et gestes de lpope serbe. Les Serbes avaientrepouss les Austro-Hongrois sur la Kolubara en aot 1914, face un en-nemi six fois suprieur en nombre, et repris Belgrade. Or quelques volon-taires franais staient dj fait remarquer pour la dfense de Belgrade.

    Janvier-novembre 1915 : missions mdicale et arienne franaises

    Pendant les combats que les Serbes menrent seuls contre les Allemandset les Austro-Hongrois, deux missions militaires franaises allaient en 1915venir aider larme serbe. Dj Belgrade tait dfendue par trois canons de140 et quelques dizaines de civils - la mission D -, et la frgate du lieute-nant Picot dfendait lembouchure de la Save et du Danube21. Pas moins de1 200 tirailleurs-marins, aviateurs, artilleurs ou tlgraphistes allaient ainsi,avant la formation de lArme dOrient, rentrer en contact avec la popula-tion et larme serbe22.

    Davril aot 1915, une mission forme de plus de 100 mdecins offi-cia Belgrade, avec comme tche principale de lutter contre les pidmiesqui commenaient se propager. Lpidmie de typhus faisait rage et enmars 1915, dj 125 mdecins serbes sur 300 taient dcds. tablie dansles hpitaux de Ni et de Belgrade, et assiste dinfirmires britanniques,la mission franaise russira en quelques mois faire passer de 35 4 % letaux de mortalit typhique. Des tournes de vaccination, des comits dhy-gine avec cration de dispensaires, mais aussi un effort dinformation,

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    19 Antoine LAMBOUR, Politique des fournitures darmes de la France en Europe centrale en 1900-1914 , inActes du Colloque des Langues Orientales davril 1980.20 Entretien avec Ljiljana Mirkovic, Directrice des Archives de Serbie, Belgrade, avril 1990.21 SHD/MARINE, SS Z 35, dossier H3-Affaires serbes, Note du lieutenant Picot (attach militaire), 15 fvrier1916.

    SHD/MARINE, SS Z 35, dossier H3-Affaires serbes, Note dAuguste Boppe (Ambassadeur de France), 23 fvrier1916.22 Vladimir STOJANCEVIC, Les Franais en Serbie en 1915 , in Rapports franco-yougoslaves, InstitutdHistoire, Belgrade, 1990, p. 174-181.

    ALEXIS TROUDE

  • avec causeries, soupes populaires et actions explicatives dans les coles devillage, amenrent ce rsultat formidable23.

    En janvier 1915, arriva Ni une mission militaire forme de 80 soldats,8 officiers-aviateurs et 8 avions, sous le commandement du major Vitraud.Ses objectifs consistaient bombarder les positions ennemies, dfendre leterritoire serbe et enfin surveiller les mouvements allemands et austro-hon-grois, notamment en Syrmie et au Banat. Les avions de type Farman avaientbeaucoup soutenu larme serbe mme si les Allemands en abattirent deux.Lescadrille franaise fut dabord dplace dans le village de Ralje, dans lesenvirons de Belgrade, puis Kraljevo. Les six derniers avions franaisramenrent en novembre 1915 des enfants et des femmes serbes en France24.

    Les Belgradois se sentirent vritablement protgs par cette aide mari-time, terrestre et arienne franaise et dj en 1915 nacquit une amiti entresoldats franais et civils serbes. Lambassadeur de France Belgrade,Auguste Boppe, constatait le 23 fvrier 1915 : la mission D a t trsapprcie en Serbie25 et lexcellente organisation des missions fran-aises produit une impression profonde ; le contraste avec les missions dar-tillerie russe et britannique est sensible . Le major commandant la missionmdicale franaise soulignait aussi les liens qui se nourent entre Franaiset Serbes au tout dbut du conflit. Accueilli cordialement dans tous lesmilieux serbes, cest surtout au contact du paysan, vritable force de laSerbie, que le mdecin serbe put pntrer et comprendre les qualits fon-cires de la race. Altruisme, amour du sol natal, culte fervent de la patrie,souci de lhonneur, telles sont les vertus capitales du Serbe ; et ceci suffitpour expliquer lattirance faite daffinits lectives quexerce sur nous cetterace quune fraternit de cur et non un vil calcul dintrt pousse vers laFrance et que nous devons, dans ces cruelles preuves, aimer et assister fra-ternellement26 .

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    23 Mission militaire mdicale franaise en Serbie , in Revue franco-macdonienne, n 2, mai 1916. Cette revueavait t publie davril 1915 dcembre 1917 Salonique, non loin des zones occupes par lArme dOrient.Regroupant des articles dofficiers et de sous-officiers de lArme dOrient, la Revue franco-macdoniennecherchait illustrer le travail humanitaire et les uvres sociales de cette arme (coles, hpitaux, etc.), maisaussi accoutumer les soldats de lArme dOrient cette terre de Macdoine en vue dune installation pluslong terme.24 Alphonse MUZET, Le monde balkanique, Flammarion, Paris, 1917, chapitre La dfense de Belgrade .25 SHD/MARINE, SS Z 35, dossier H3-Affaires serbes, Note dAuguste Boppe (Ambassadeur de France),23 fvrier 1916.26 Mdecin-major JAUNOY-CHRETIEN, La mission mdicale franaise en Serbie , in Revue franco-macdo-nienne, n 2, mai 1916.

    CAHIERS DU CEHD N 30

  • Octobre-dcembre 1915 : le sauvetage Durazzo et la retraite de Corfou

    Aprs lchec des Dardanelles lt 1915, une partie du corps expdi-tionnaire franco-britannique fut ramene dans le port grec de Salonique. Lehaut-commandement franais comptait sur la combativit des Serbes pourquils retiennent assez longtemps les Austro-allemands le temps de prpa-rer le contact avec larme russe en Galicie. Mais le 5 octobre 1915, soit lejour mme du dbarquement de la 156e division dinfanterie Salonique, lesBulgares ajoutaient deux armes la IXe arme allemande et la IIIe armeaustro-hongroise ; le 9 octobre, les Austro-Hongrois prenaient Belgrade etavant mme que la mission Bailloud nait franchi la valle du Vardar, lesBulgares occupaient Skoplje. Dans sa note du 11 novembre 1915, le3e Bureau constata : larme serbe na pas prsent la force de rsistancedont nous la croyions capable27 . Mais en aucun cas il ne faut abandon-ner larme serbe28 , ne serait-ce que pour des raisons morales ; mais aussi afin dviter que lAllemagne ne mette la main sur Salonique29 .

    Le 25 novembre 1915 fut donn lordre historique de retraite de larmeserbe par le roi Pierre Ier, qui refusait la capitulation. Commena alors unpisode tragique qui se terminera seulement le 15 janvier 1916 : la traversede larme et de la cour royale serbes travers les montagnes dAlbanie.Assaillie par le froid et les maladies, un tiers de larme serbe prira. Alorsque la mission navale franaise affirmait ds le 25 octobre qu il estindispensable pour larme serbe quelle puisse continuer subsister30 , lesItaliens se plaignaient ds le 1er dcembre dtre les seuls prendre desrisques. Le 20 dcembre, alors que les premiers soldats serbes en haillonsrejoignaient les ports de Valona et Durazzo, le lieutenant Gauchet se plai-gnit du frein laide mis par les Italiens et prvint : Les Serbes vontmourir de faim31 . Le lieutenant-colonel Broussaud signalait l pui-sement physique et moral complet et des coups de fusils des comitadjisalbanais ; il voqua aussi la mort de jeunes recrues par centaines le longdes routes32. Or ce fut larme franaise qui, sur 120 000 soldats serbes arri-vs pied sur la cte albanaise, en rcupra 90 000 pour les transfrer surlle grecque de Corfou.

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    27 SHD/TERRE, 16 N 3056, GQG Armes de lEst, 3e Bureau (1915-16), note n 19, 11 novembre 1915.28 SHD/TERRE, 16 N 3056, GQG Armes de lEst, 3e Bureau (1915-16), note n 20, 11 novembre 1915.29 SHD/TERRE, 16 N 3056, GQG Armes de lEst, 3e Bureau (1915-16), note n 3, 12 octobre 1915.30 SHD/MARINE, SS Z 35, dossier H3-Affaires serbes, Tlgramme du Commandant Laurens, 25 octobre 1915.31 SHD/MARINE, SS Z 35, dossier H3-Affaires serbes, Note du Lieutenant Gauchet, 20 dcembre 1915.32 SHD/MARINE, SS Z 35, dossier H3-Affaires serbes, Note du Lieutenant-colonel Broussaud, 22 dcembre 1916.

    ALEXIS TROUDE

  • Entre le 15 janvier et le 20 fvrier 1916 furent ainsi vacus Corfouplus de 135 000 soldats serbes. Lorsquils dbarqurent sur lle grecque, onpouvait lire dans le carnet de route du 6e chasseurs alpins que ltat dpui-sement des malheureux soldats serbes est extrme : il en mourait 40 parjour33 . Corfou, les mdecins allaient entirement rtablir cette arme enguenilles et les instructeurs la remettre sur pieds : deux hpitaux militairesfurent ds lors installs et fin mars plus aucune pidmie ntait luvre.Les Serbes taient pour la premire fois en contact avec des units consti-tues de Franais ordinaires pas des aviateurs comme en 1915 et qui na-vaient pas t prpars cette aventure. Svetozar Aleksi , paysan du centrede Serbie, fut rjoui davoir t, durant le transport de Corfou, ras, lav ethabill comme de neuf. Quils (les Franais) bnissent leur mre-patrie,la France. Ils nous ont alors sauvs la vie34 . La mme reconnaissance seretrouve dans la lettre du Ministre serbe de la guerre au gnral Mondsir,responsable de lvacuation de Corfou. Le 24 avril 1916, il affirmait que les chasseurs, pendant leur sjour Corfou, ont gagn les curs des sol-dats et de leurs chefs par leur dvouement inlassable envers leurs camaradesserbes35 . Ce dvouement explique que les Franais portaient leurscamarades serbes leurs quipements et leur donnaient la plus grande partie deleur pain36 . De plus, les Franais si proches et attentionns avaient cr desliens indfectibles. Le prince Alexandre dit en avril 1916 Auguste Boppe :

    Les Serbes savent aujourdhui ce quest la France. Jusquici, ils ne connais-saient que la Russie. Or nulle part ils nont vu les Russes, partout ils onttrouv des Franais : Salonique pour leur tendre la main, en Albanie pourles accueillir, Corfou pour les sauver37.

    LARME DORIENT 1916-1917 : CHANGES ET CONFLITS

    Le 5 octobre 1915, la 156e DI (division dinfanterie) britannique, direc-tement arrive des Dardanelles, dbarquait dans le port de Salonique. lafin du mois arrivrent du front occidental pour les pauler la 57e DI et la122e DI franaises. Parties vers le nord Velez rejoindre larme serbe,elles furent stoppes par les troupes bulgares entres en guerre le 5 octobre.En rponse, une aide militaire franaise assez importante fut acheminedans la rgion : Durazzo, 1 700 wagons de farine de bl, Corfou,75 000 fusils et 18 batteries de 75, enfin Salonique, 24 canons de 155 et

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    33 SHD/TERRE, 16 N 3057, GQG Armes de lEst, 3e Bureau (1916-17), note 14, 5 fvrier 1916.34 Tmoignage de Svetozar Aleksic, in PAUNIC-DJORDJEVIC, Tri sile pritisle Srbijicu (Trois puissances ontencercl la petite Serbie), Belgrade, 1988, p. 8-12.35 Milan ZIVANOVIC, Sur lvacuation de larme serbe de lAlbanie et sa rorganisation Corfou (1915-1916),daprs les documents franais , in Revue historique (Belgrade) n XIV-XV, Institut dHistoire, Belgrade, 1966,p. 2.36 Ibid.37 Ibid.

    CAHIERS DU CEHD N 30

  • 3 batteries de 6538. Mais trs vite les Franais durent se replier surSalonique et y construire un fort retranch, entour par des massifs avoisi-nant les 2 500 mtres daltitude. Avec les Britanniques, lArme FranaisedOrient allait tracer une ligne de fortification allant du village de Seres aunord-est de Salonique jusquau lac de Prespa sur la frontire albanaise.

    partir davril 1916, lArme Franaise dOrient forme desBritanniques et des Franais accueillit larme serbe, place au cur dudispositif. Le front restait relativement stable, hormis des perces commecelle de Monastir en novembre 1916 et de Pogradec fin 1917. Pourtant,quatre nouvelles divisions furent envoyes en dcembre 1916, mais des ds-accords entre le gnral Sarrail, commandant de ce qui devient lArmedOrient fin 1916, et le gnral Milne, commandant les troupes britan-niques, empchrent de relayer les ordres et expliqurent les checs, no-tamment dans le secteur de Florina. Alors que larme serbe tait placesous le commandement direct de Sarrail, les Britanniques sabstenaient partir de lhiver 1916 de participer aux oprations : lattaque dclenche enmai 1917 dans le secteur de Doran fut un chec, par mauvaise synchroni-sation des attaques et dispersion des moyens39.

    Lautre raison des checs rside dans la conception mme du front deSalonique. Jusquen 1918, ce front tait considr comme un appui auxRusses qui combattaient en Galicie. Le gouvernement franais attendaitlentre en guerre de la Roumanie, laquelle elle proposa mme des terri-toires de Transylvanie et du Banat. Mais lentre dans lEntente de laRoumanie en aot 1916 ne fit quloigner tout espoir dune prochaine jonc-tion des fronts de Salonique et de Galicie. En effet, ds septembre 1916, lesRoumains taient dfaits et occups par les Austro-allemands40.

    Msententes et incomprhensions entre Serbes et Franais

    Au dbut de lanne 1917, la dmoralisation gagna les troupes et les pre-mires divisions se firent jour au sein de lArme dOrient. Tout dabord,les officiers, dus par les atermoiements du Haut commandement lau-tomne et lhiver 1916, semblaient remettre en cause la stratgie militairedes gnraux franais. Dans son rapport de fvrier 1918, lofficier de liai-son Strauss remarquait une subordination mal dfinie des officiersserbes face au Haut commandement. Strauss critiquait aussi lesprit mer-cantile des Serbes, qui ne pensaient qu faire du commerce et traiter41 .En fait, ce qui gnait le commandement franais, ctait la faiblesse

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    38 SHD/MARINE, SS Z 35, Dossier H3 : ravitaillement arme serbe .39 Lieutenant-colonel Grard FASSY, Le commandement unique aux armes allies dOrient , in Revue histo-rique des armes, n 1, 2002, p. 47-58.40 Charles PINGAUD, Histoire diplomatique de la France pendant la Grande Guerre, t. 1, Paris 1921.41 SHD/TERRE, 16 N 3060, GQG Armes de lEst, 3e Bureau (1917-18), dossier 2, note n 49, 24 fvrier 1918.

    ALEXIS TROUDE

  • momentane des troupes serbes, alors quau dbut du conflit la France fon-dait toute son action dans les Balkans sur cette arme. Dans un rapport du9 septembre 1917, le 2e Bureau affirmait que larme serbe ne prsenteplus quune valeur dfensive restreinte et que son concours aux opra-tions de lArme dOrient est devenu faible au dbut de lanne 191742 . Ilfaut savoir que la Serbie stait battue pendant un an contre un ennemi lAutriche-Hongrie 8 fois suprieur en nombre ; en second lieu, comme iltait dit dans le rapport du 9 septembre 1917, cette arme fournit un effortconsidrable lautomne 1916, ce qui avait port un coup srieux sa valeurmilitaire43 . Enfin, des divisions importantes sur laprs-guerre commenaient apparatre entre le gouvernement serbe et certains exils politiques.

    Au sein mme de larme franaise existait un bataillon bosniaque ,qui trs vite posera problme la hirarchie militaire. Constitu enmai 1916, ce bataillon comptait des Montngrins et des SerbesdHerzgovine, qui staient battus jusque-l avec larme serbe ou bienstaient engags dans larme du roi Nicolas du Montngro. Ces deuxarmes ayant t vaincues en 1915, 1 700 hommes seront incorpors pen-dant six mois dans lA