Biomécanique du rachis cervical et implications en rééducation

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Ann. Kinésithér., 1984, t. 11, 3, pp. 57-67 © Masson, Paris, 1984 COMPTE RENDU Le rachis cervical douloureux CH Grenoble, La Tronche, 12 mars 1983 Biomécanique du rachis cervical et implications en rééducation E. VIEL (1), J. CLARIJS (2) (1) Docteur ès Sciences, Directeur de l'école de Kinésithérapie Bois-Larris, BP 12, F60260 Lamorlaye. (2) Ph. D., Laboratoire d'Anatomie Expérimentale, Vrije Universiteit Brussel. Mécanique générale du segment rachidien cervical. Pour appréhender la mécanique générale du rachis cervical, il convient dès l'abord de comprendre qu'il n'existe pas à ce niveau ce que l'on pourrait appeler une lordose vraie, le redressement de la courbure se traduit à la partie basse du segment cervical qui par la suite reste droit et ceci afin de ne pas basculer l'occiput vers l'arrière et placer les yeux dans une position dépassant l'horizontale (fig. 1). Les différentes pièces osseuses du rachis cervical ont une morphologie différenciée, sur- tout les vertèbres les plus supérieures, ainsi qu'un destin mécanique spécifique : a) Pour l'articulation occipito-altoïdienne, il y a 50 % de la flexion-extension disponible, le reste se produisant dans le rachis cervical inférieur. Lorsque le rachis cervical inférieur s'enraidit avec l'âge - ce qui est une constante" - la flexion-extension du segment inférieur se perd progressivement et chez les personnes très âgées, seule subsiste la mobilité de l'articulation sous-occipitale. b) Pour l'articulation atlas-axis, nous avons 50 % de la rotation totale, le reste étant le fait de la partie inférieure du rachis. Les interven- tions chirurgicales qui visent à arthrodéser ces deux vertèbres font donc perdre ipso facto 50 % de la rotation. Tirés à part: E. VIEL, à l'adresse ci-dessus. FIG 1. - Tomographie Scanner du rachis dorsal haut et cervical . montrant l'orientation des pièces squelettiques chez un sujet en position érigée. « La lordose cervicale» parfois observée est due au fait que le patient est couché sur le dos, la tête n'étant plus dans une position normale. c) L'extension dans le rachis cervical inférieur se produit surtout au niveau C4-C5 qui est responsable de la plus grande partie de l'ampli- tude disponible. d) La flexion du rachis cervical inférieur se produit entre les vertèbres C4-C5 et C5-C6. Le rachis possède trois degrés de liberté :

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Ann. Kinésithér., 1984, t. 11, n° 3, pp. 57-67© Masson, Paris, 1984

COMPTE RENDU

Le rachis cervical douloureuxCH Grenoble, La Tronche, 12 mars 1983

Biomécanique du rachis cervicalet implications en rééducation

E. VIEL (1), J. CLARIJS (2)(1) Docteur ès Sciences, Directeur de l'école de Kinésithérapie Bois-Larris, BP 12, F60260 Lamorlaye. (2) Ph. D., Laboratoired'Anatomie Expérimentale, Vrije Universiteit Brussel.

Mécanique généraledu segment rachidien cervical.

Pour appréhender la mécanique générale durachis cervical, il convient dès l'abord decomprendre qu'il n'existe pas à ce niveau ce quel'on pourrait appeler une lordose vraie, leredressement de la courbure se traduit à la partiebasse du segment cervical qui par la suite restedroit et ceci afin de ne pas basculer l'occiputvers l'arrière et placer les yeux dans une positiondépassant l'horizontale (fig. 1).

Les différentes pièces osseuses du rachiscervical ont une morphologie différenciée, sur­tout les vertèbres les plus supérieures, ainsiqu'un destin mécanique spécifique :

a) Pour l'articulation occipito-altoïdienne, ily a 50 % de la flexion-extension disponible, lereste se produisant dans le rachis cervicalinférieur. Lorsque le rachis cervical inférieurs'enraidit avec l'âge - ce qui est une constante"- la flexion-extension du segment inférieur seperd progressivement et chez les personnes trèsâgées, seule subsiste la mobilité de l'articulationsous-occipitale.

b) Pour l'articulation atlas-axis, nous avons50 % de la rotation totale, le reste étant le faitde la partie inférieure du rachis. Les interven­tions chirurgicales qui visent à arthrodéser cesdeux vertèbres font donc perdre ipso facto 50 %de la rotation.

Tirés à part: E. VIEL, à l'adresse ci-dessus.

FIG 1. - Tomographie Scanner du rachis dorsal haut et cervical.montrant l'orientation des pièces squelettiques chez un sujet enposition érigée. « La lordose cervicale» parfois observée est dueau fait que le patient est couché sur le dos, la tête n'étant plusdans une position normale.

c) L'extension dans le rachis cervical inférieurse produit surtout au niveau C4-C5 qui estresponsable de la plus grande partie de l'ampli­tude disponible.

d) La flexion du rachis cervical inférieur seproduit entre les vertèbres C4-C5 et C5-C6.

Le rachis possède trois degrés de liberté :

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congruence parfaite des surfaces articulaires desfacettes interapophysaires qui constituent lesguides du mouvement (fig. 3).

Les six colonnes cervicales fraîches auxquellesnous avons eu accès ont été tout d'abord

radiographiées, puis passées au scanner, dissé­quées, filmées en 16 mm afin qu'il soit possiblede suivre l'excursion des articulations inter­facettaires. Ceci est résumé par le tableau 1

TABLEAU 1

N° de

Radio-Scanner DissectionRemarquesréférence

graphie

~~ill~~'!!~S:9FIG. 2. - Les spécilisations mécaniques des différents étages du

99-040XXXHarmonieux

rachis cervical.

99-04100XArthrose prononcée

27-041

XXXC7 manque

26-03 7

0XXVilain disquesupérieur

28-042

X0XVilain disque en bas

28-043

00XVilain disque bas

LE GLISSEMENT ANTÉRIEUR ­GLISSEMENT POSTÉRIEUR

Il apparaît très clairement lorsque des repèressont inclus; chaque déplacement représente uneamplitude réduite, c'est l'addition de ces glisse­ments aux différents étages qùi donne l'impres­sion de flexion-extension (fig. 4).

RECHERCHE DU MÉNISQUE ARTICULAIRE

Fm. 3. - Vue latérale des articulations interfacettaires sur une

pièce anatomique fraîche.

flexion-extension, rotation, inclinaison latérale.L'inclinaison latérale, permise par des facettes,

larges et planes, est surtout le fait du segmentrachidien supérieur.

Analyse du mouvement dans le plan sagittal

Ce que nous nommons couramment « flexion­extension » est en fait un glissement antérieur- glissement postérieur rendu possible par la

Nous avons recherché le ménisque décrit parTondury (14) comme faisant partie de la capsulearticulaire, il existe mais sa taille réduite le renddifficile à localiser (fig. 5). Hors les mouvementsdans le plan sagittal, il n'existe aucun bâillemententre les surfaces articulaires et le ménisque nepeut apparemment pas s'y insérer; il noussemble indispensable qu'il y ait flexion-rotationpour qu'un .bâillement ait lieu. C'est du reste cemécan!sme pathologique que décriventScher (13) et Koss (18) comme étant responsabled'un blocage des articulations interfacettaires.

Ce mouvement de glissement antérieur-glisse­ment postérieur explique que la longueur du cou

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FIG. 4. - Glissements antéro-postérieurs d'une articulation inter­facettaire :

a) Articulations au repos; on remarque la congruence parfaitedes surfaces articulaires et la qualité du cartilage.

b) Glissement antérieur, la congruance reste parfaite.c) Glissement postérieur, le contact des surfaces articulaires

est maintenu, il n y a pas de bâillement.Il s'agit de l'articulation C3-C4 du sujet na 99040.

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FIG. 5. - Recherche du ménisque accollé à la capsule articulaire.a) Sw le sujet 27041, le ménisque apparaît à la partie

supérieure.b) Une vue au microscope détaille l'épaississement capsulaire

- le stylét en acier indique la taille réduite de la structureméniscale.

se modifie en fonction de l'attitude- la position de repos, regard à l'horizontal,constitue la longueur de référence;

en extension, le cou devient plus bref;- en flexion, il s'allonge (fig. 6).

Influence de la qualité des disques sur lacinétique cervicale

Les pièces anatomiques dont nous disposionsse conformaient à la clinique habituelle desconsultants d'un service de rééducation: cessujets avaient plus de 65 ans à la dàte de décès,l'enraidissement des étages inférieurs avaitcommencé, les étages intermédiaires étaient envoie de dégradation (fig. 7).

GÊNE CRÉÉE PAR LA PATHOLOGIE DISCALE

Nous avons pu mettre en évidence la gênecréée par une pathologie discale, trouvant cheznos sujets une zone d'enraidissement très nette

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FIG.6 a et b FIG.7 ---FIG. 6. - Analyse cinétique des glissements antérieurs-postérieurs.

a) En glissement postérieur ou extension, le cou est brefb) En glissement antérieur ou flexion, le cou s'allonge.Noter que dans la flexion, la partie antérieure des corps vertébraux dérape pour fournir une image «en marche d'escalier », la

vertèbre sus-jacente débordant toujours le corps de celle qui lui est immédiatement inférieure,. l'absence d'un débordement en marched'escalier indiquerait un raidissement d'un étage.

FIG. 7. - Aspect typique des disques retrouvés lors de nos dissections: entre C3-C4 un disque sain où l'on voit la condensation sombredu nucléus au centre du tissu nacré de l'annulus,. entre C4-C5, le disque commence à dégénérer, le matériau du nucléus fuse dansles travées de l'annulus,. entre C5-C6, le disque a disparu.

FIG.8. - Vue rapprochée des trois étages contrastés du sujet 27041.a) Position de repos.b) En glissement postérieur ou extension, le mouvement s'accomplit de manière normale.c) En glissement antérieur ou flexion, la gêne est très nette aux étages C4-C5 et C5-C6, alors que pour C3-C4 on voit se produire

le glissement antérieur du corps vertébral de la vertèbre supérieure, reproduisant le phénomène de la marche d'escalier.

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FIG. 9. - Radiographie du même phénomène: dans l'extensionl'image est normale, dans le cliché vers la flexion, on note unezone d'enraidissement où la marche d'escalier antérieure n'appa­raît pas.

FIG. 10. - En haut, un disque très abîmé, au centre un disqueentièrement disparu..

à l'endroit où le disque est dégénéré (nousrappelons pour mémoire que toutes nos piècesanatomiques possédaient des articulations inter­facettaires intactes). Si dans l'extension la gênen'est pas facilement ·visible, dans la flexion ellese met en évidence très aisément du fait del'absence du glissement «en marche d'esca­lier ». Les résultats obtenus sur une pièceanatomique (fig. 8) sont tout à fait semblablesà ceux que l'on relève sur des radiographies decou douloureux (fig. 9J.

L'état étonnant de certains disques du seg­ment inférieur permet de comprendre les impor-

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FIG. 11. - Les cartilages d'ancrage sont encore visibles en dépitde la disparition des disques.

tants déficits moteurs (fig. 10). Si l'extensionpeut se produire au moyen d'un bâillementantérieur du complexe articulaire intercorporéal,il n'en est pas de même du glissement antérieur.Nous devons insister sur le fait que le cartilageadhérant aux corps vertébraux qui entoure ledisque n'est pas du cartilage articulaire dans lesens traditionnel du terme (fig. Il) puisqu'il nepermet pas de glissement mais sert d'ancrage auxfibres de l'annulus. Notons de plus que du faitde la structure précontrainte du disque, plus ily a de pression interne, plus il y a de séparationdes corps vertébraux; plus· l'articulationintercorporéale est épaisse plus il y a de mobilitépermIse.

Examen spécifique des radiographiesd'un cou douloureux

Reprenant les techniques préconisées parColachis (3), par Mestdagh (10) et amplifiées parDavid (4), nous traçons une ligne qui représentela surface inférieure d'une vertèbre, nous abais­sons cette ligne pour la placer immédiatementproximale à une ligne tracée sur la partiesupérieure-du corps sous-jacent (fig. 12). D'aprèsles auteurs cités, ces deux lignes devraientformer une convergence postérieure. Sur untraitement simple de la radiographie les anoma-

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3 1.2•

.3 \ 2..

_, _ • .a;;;;.

FIG. 12 FIG. 13 FIG. 14

FIG. 12. - Examen de la position respective des vertèbres en position de référence.

a) Radiographie à traiter ..b) Les droites représentant les bords inférieurs et supérieurs des corps vertébraux: à partir du haut, en trait continu le bord inférieur

de la vertèbre qui est ensuite abaissé en pointillé pour permettre l'intersection avec le trait représentant le bord inférieur de la vertèbresous-jacente.

FIG. 13. - Traitement de la ragiographie du même sujet en extension.a) Radiographie à traiter.b) Les anomalies persistent, le mouvement C3-C4 est très peu prononcé et l'on doit se souvenir qu'il démarrait en position inverse.

L'extension segmentaire entre C5-C6 se trouve en partie restaurée. L'impression générale est plus harmonieuse que précédemment.

FIG. 14. - Examen du cliché en flexion.a) La radiographie à traiter. b) Les gênes à la flexion sont nettement localisées.

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Fm. 15. - Le ligament encroûté de cartilage qui complètel'articulation de CI permettant la rotation autour de l'uncus deC2.

a) Aspect sur une pièce sèche.b) Tomographie: le ligament apparaît dense immédiatement

supérieur à la zone sombre ..

FIG. 16. - Aspects habituels de la colonne cervicale en vue antérieure. a) Déséquilibre marqué. b) Rotation marquée.

lies de position des vertèbres apparaissentrapidement, et l'on peut suivre le déplacementdes corps vertébraux en extension (fig. 13) aussibien qu'en flexion (fig. 14).

DANGER DU GLISSEMENT ANTÉRIEUR FORCÉ

Lorsque l'on soumet un rachis au glissementantérieur on s'expose à trois dangers: d'une part

en allongeant le cou, l'étirement de structuresdéjà douloureuses; deuxièmement allongement­étirement de l'artère vertébrale (ce phénomènesera détaillé plus tard); enfin, le ligament quiferme l'articulation atlas-axis autour de l'uncuspeut être très fragile chez les personnes âgéeset se rompre, entraînant un glissement en avantde l'atlas qui diminue sérieusement la lumièredu canal destiné à la moelle rachidienne (fig. 15).

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FIG. 17. - Deux sujets sains (en a et b), tous deux démontrentdéséquilibre et rotations lorsque la radio est prise de face enposition courante, regard à l'horizontal.

Analyse du déséquilibre dans le plan frontal etdes «microrotations » apparentes

Certains auteurs dont Antonetti (1) ont décritdes microrotations dans les cous pathologiques,et l'on remarque de manière assez constante undéséquilibre de l'empilement des corps verté­braux (fig. 16). Nous avons analysé une sériede cous douloureux qui en effet mettait enévidence ces phénomènes, puis nous avons faitradiographier des sujets sains chez qui nousavons retrouvé le même déséquilibre des corpsvertébraux, et les mêmes rotations apparentes(fig. 17).

Il nous semble que le déséquilibre est dû àla forme spécifique des corps vertébraux dusegment rachidien: leur empilement ressembleà celui d'une série d'assiettes creuses (fig. 18).C'est donc la forme tout à fait particulière des.corps vertébraux de la région cervicale qui estresponsable de l'inflexion caractéristique du coumême normal.

Réflexion sur les microrotations

La possibilité de passer au scanner des sujetssanglés sur la civière, dont nous avions vérifié

FIG. 18. - Aspect très caractéristique « en assiettes creuses» descorps vertébraux de la région cervicale:

a) Aspect radiographique.b) Section transversale de la pièce.

la direction de la face ,et du .regard avec. précision, nous a permis de constater que les

vertèbres cervicales peuvent avoir pivoté sur leuraxe longitudinal sans que ceci entraîne pourtantde plainte ni de douleur (fig. 19). L'asymétriecaractéristique des êtres humains est ainsi miseen relief. Sur un sujet en particulier, nous avonsremarqué des inflexions des apophyses épineuses

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Fm. 19. - Sur un sujet sanglé avec le visage en position corrigée,nous avons observé cette rotation vertébrale,. il s'agissait d'unepersonne asymptomatique.

Fm. 20. - Tomographies successives de deux étages chez le sujet26037.

a) Sur la coupe 20-01, l'épineuse a tendance à tourner versla droite.

b) Sur la coupe 20-03, l'épineuse tourne vers la gauche.Nous avons alors procédé à la dissection de la pièce 26-037 pour

nous trouver en présence (figure 21), d'apophyses épineusesdivergentes mais aussi d'un arc de vertèbre CI très déformé. Ceciest à rapprocher des résultats d'Orsini qui a procédé à un examensystématique de l'anatomie de la charnière occipito-rachidienneet dont toutes les dissections ont révélé des différences de tailleet de position droite-gauche.

(fig. 20) qui, lorsqu'elles sont révélées par uneradiographie de face, donnent l'impressionqu'une vertèbre a tourné puisque les projectionsdenses de l'extrémité des épineuses ne sont pasen regard l'une de l'autre.

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Contribution du segment cervicalau contrôle de la statiqueet du comportement moteur

Les travaux des neurophysiologistes récentsont montré à l'évidence que les messages desrécepteurs arthrokinétiques qui tapissent lescapsules des articulations interapophysairesjouent un grand rôle dans le contrôle généralde la posture et de l'activité motrice humaine.On doit à Wyke latlescription des récepteurscontenus dans les capsules, et à Baron le conceptde la « boucle de régulation nucale » indispen­sable pour un équilibre et une motricité normale.Les perturbations motrices liées aux douleurs durachis cervical sont pour le présent un sujetd'études mais nous avons déjà par ailleurs (16)objectivé les anomalies de contrôle postural quirésultent du port d'une minerve ou d'un collierde repos tels qu'ils sont conseillés au patientaprès pathologie du rachis cervical.

Influence des mouvements du rachis cervicalsur le flux des artères cervicales

Mobiliser le rachis cervical, c'est obligatoire­ment mobiliser l'artère vertébrale qui, se trouveaccolée aux corps vertébraux et incluse dans desponts osseux à chaque étage (fig. 22), ce quioblige l'artère à se laisser étirer, tordre, couderlors des débattements d'amplitude importante.Il faut souligner qu'au cours de la vie de tousles jours, un mécanisme neuromoteur (le réflexeoculo-céphalogyre) empêche les rotations impor­tantes qui sont pour l'artère le mouvement leplus dangereux. Il serait préjudiciable de recher­cher des mobilités de grande amplitude chezquelqu'un qui souffre du cou, qui est déjàrelativement âgé, et chez qui l'on peut raisonna­blement suspecter une fragilité vasculaire. Di­sons tout net que les manœuvres forcées, et lesmanœuvres de·grande amplitude, sont un risquequ'il n'est pas nécessaire de prendre car lesmobilisations persistantes, peu prononcées maisfréquemment répétées donneront des résultatspositifs.

Pour une description précise de la vascularisa-

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FIO. 21 FIO.22

FIO.21. - La dissection montre que les apophyses épineuses de cette colonne cervicale ne sont pas alignées l'une au-dessous de l'autre,et cependant les pièces squelettiques étaient parfaitement équilibrées: une radiographie de face aurait fait croire à des microrotations.

FIO. 22. - Trajet de l'artère vertébrale encapsulée dans des ponts fibreux à chaque étage. A noter que la combinaison de deux largesboucles décrites par l'artère dans la région cervicale supérieure lui permettent de suivre les 50 % de rotation et les 50 % deflexion-extension permises entre CO et CI, Cl et C2.

a) Situation générale de l'artère vertébrale vue dans le plan sagittal.b) L'artère vertébrale vue dans le plan frontal, remarquez les coudes assez lâches de la région supérieure (sujet 99-040).

FIO. 23. - Position des artères vertébrales dans les arcades osseuses.

a) Au niveau Cl - l'on distingue l'uncus de C2, la vertèbre est en légère rotation, le pont osseux est très visible à droite.b) Pour le rachis cervical inférieur, la position des artères est encore plus inconfortable puisque lors des mouvements de rotation

elles sont souvent tendues sur des archets osseux,. on distingue à gauche l'amorce d'un coude (sujet 99-040).

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EFFETS NOCIFS DE LA ROT AnON FORCÉE

TABLEAU II. - Chute de flux artériel lors de la mobilisationpassive du cou.

tion des apophyses articulaires, nous renvoyonsà l'excellent travail de Pupin (11). Parmi lesauteurs qui se sont intéressés à l'influence desmouvements du cou sur la vascularisation, Tooleet Tucker (15) ont pu montrer une réductionallant jusqu'à 90 % du flux sanguin habituel pardes mouvements d'amplitude limitée à la mobili­sation active habituelle.

L'artère souffre parfois de coudes supplémen­taires qui peuvent lui être infligés par la présenced'ostéophytes par exemple. La région la plusexposée se trouve à la jonction Cl-C2 - là oùse produit la majorité de la rotation sur unedistance très courte - de très nombreux auteursont attiré l'attention sur le ralentissement trèsimportant du flux artériel dans l'artère contro­latérale aux côtés de la rotation. La manœuvrecombinée rotation plus extension est égalementdangereuse, l'extension seule ne semble pasproduire d'occlusion. Suivant les auteurs, on apu noter entre 25 et 90 % de réduction du flux

artériel, ce qui bien entendu est susceptibled'entrainer vertiges, nausées et éventuellementperte de connaissance transitoire (fig. 23). Nousavons résumé sur un tableau les résultats deplusieurs auteurs (tableau II).

Les accidents de manipulation cervicale sontd'habitude des accidents vasculaires par infarctdu système vertébro-basillaire. S'abstenir demanœuvres forcées nous paraît une conduitethérapeutique qui allie le bon sens au respectdu patient. Les accidents recensés par Kruegeret Okazaki (9) ont tous cette même origine; uneleçon qui doit être entendue.

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fluence du port d'une minerve sur la statique et lecomportement moteur. Ann. Méd. Phys. 1982, 25, 99-106.

(5)(2)(12)(7)(6)(15)

Artèrehomo-latéraleRotation Artèrecontro-

'\,'\,'\,'\,latérale --Artèrehomo-

'\, '\,'\,latérale Rotation +extension

Artèrecontro-

'\, '\,'\,latérale ---ArtèreExtension

homo-0latéraleseule Artèrecontro-

0latérale

(15): Toole et Tucker

(12) : Sheehan et coll.(6) : Hardesty et coll.

(2) : Brown et Tatlow(7) : Husni et coll.

(5) : Faris et coll.