ARTS ET RITES DE LA MORT EN PAYS MALGACHE · préhistoire malgache reste encore mystérieuse....

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© FNAOM-ACTDM CNT-TDM ARTS ET RITES DE LA MORT EN PAYS MALGACHE L es premiers européens qui firent leur apparition à Ma- dagascar, vers le XIII e siècle, ont été frappés par l'unité de la langue, des mœurs et même des institu- tions, bien que le pays se présentât comme une terre d'alluvions ethni- ques, une véritable mosaïque des races, exposées de tout temps aux migrations indo-malaises et à l'ex- pansion des Arabes de Zanzibar et du Golfe Persique. L'origine de ses habitants, pour être moins obscure et moins ancienne que celle des Mayas et des Toltèques d'Améri- que, est assez mal connue et la préhistoire malgache reste encore mystérieuse. Certes les habitants de la Grande Ile ont été brassés par les exodes, les incursions, les guerres et les conquêtes, pendant des siè- cles sous le ciel indo-africain et pourtant malgré leurs grandes dis- semblances, il résulte de ce mé- lange une conception de la religion, de la famille et de l'Etat, dont l'unité et la cohésion ne peut être que l'œuvre d'une élite ou d'une classe dirigeante assez forte pour avoir im- posé et organisé cette synthèse dont les caractères essentiels sont l'esprit de famille, la tendresse pour l'enfant, une entière liberté de mœurs, le respect des ancêtres et le culte des tombeaux. B ien loin dans le sud du pays Merina se dressent de hautes montagnes, couronnées de rocs abrupts, qui dominent l'im- mense forêt Tanala. Les sangliers et les lémuriens seuls osent s'aven- turer dans ces inextricables peuple- ments végétaux. C'est le massif d'Ambondrombé, le lieu où les ro- seaux abondent. Ce sombre relief inspire aux habitants une terreur supersti- tieuse ; la sylve est interdite aux vi- vants, et les arbres eux-mêmes donneraient aussitôt la mort au té- méraire qui tenterait d'y pénétrer ou qui aurait l'audace d'y porter le fer ou le feu. Au dessus des gorges inaccessibles, par delà le mur sé- vère des arbres géants, une cein- ture de marais pestilentiels, sembla- ble au Styx des anciens, oppose à la hardiesse du voyageur une zone infranchissable. Des vapeurs mali- gnes s'élèvent de toutes parts et se condensent en brouillards sinistres. Ce lieu maléfique est le sé- jour des âmes, âmes des hommes, des animaux, des plantes, des riviè- res, des maisons, des cultures, des phénomènes naturels, de tout ce qui a eu naguère ou jadis, une exis- tence terrestre. Et ce n'est qu'après une série d'épreuves et de stages que ces âmes atteignent enfin la ré- gion supérieure où réside pour l'éternité le souverain maître de cet horrible séjour des ombres. Les Malgaches sont donc des animistes. Ils prêtent une âme à toute chose et le principe fondamen- tal de leur système métaphysique est la croyance en une âme immor- telle. Mais les âmes des morts ne Ambondrombé

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ARTS ET RITES DE LA MORT EN PAYS MALGACHE

L es premiers européens qui firent leur apparition à Ma-

dagascar, vers le XIIIe siècle, ont été frappés par l'unité de la langue, des mœurs et même des institu-tions, bien que le pays se présentât comme une terre d'alluvions ethni-ques, une véritable mosaïque des races, exposées de tout temps aux migrations indo-malaises et à l'ex-pansion des Arabes de Zanzibar et du Golfe Persique. L'origine de ses habitants, pour être moins obscure et moins ancienne que celle des Mayas et des Toltèques d'Améri-que, est assez mal connue et la préhistoire malgache reste encore mystérieuse.

Certes les habitants de la

Grande Ile ont été brassés par les exodes, les incursions, les guerres et les conquêtes, pendant des siè-cles sous le ciel indo-africain et pourtant malgré leurs grandes dis-semblances, il résulte de ce mé-lange une conception de la religion, de la famille et de l'Etat, dont l'unité

et la cohésion ne peut être que l'œuvre d'une élite ou d'une classe dirigeante assez forte pour avoir im-posé et organisé cette synthèse dont les caractères essentiels sont l'esprit de famille, la tendresse pour l'enfant, une entière liberté de mœurs, le respect des ancêtres et le culte des tombeaux.

B ien loin dans le sud du pays Merina se dressent

de hautes montagnes, couronnées de rocs abrupts, qui dominent l'im-mense forêt Tanala. Les sangliers et les lémuriens seuls osent s'aven-turer dans ces inextricables peuple-ments végétaux. C'est le massif d'Ambondrombé, le lieu où les ro-seaux abondent.

Ce sombre relief inspire aux habitants une terreur supersti-tieuse ; la sylve est interdite aux vi-vants, et les arbres eux-mêmes donneraient aussitôt la mort au té-

méraire qui tenterait d'y pénétrer ou qui aurait l'audace d'y porter le fer ou le feu. Au dessus des gorges inaccessibles, par delà le mur sé-vère des arbres géants, une cein-ture de marais pestilentiels, sembla-ble au Styx des anciens, oppose à la hardiesse du voyageur une zone infranchissable. Des vapeurs mali-gnes s'élèvent de toutes parts et se condensent en brouillards sinistres.

Ce lieu maléfique est le sé-jour des âmes, âmes des hommes, des animaux, des plantes, des riviè-res, des maisons, des cultures, des phénomènes naturels, de tout ce qui a eu naguère ou jadis, une exis-tence terrestre. Et ce n'est qu'après une série d'épreuves et de stages que ces âmes atteignent enfin la ré-gion supérieure où réside pour l'éternité le souverain maître de cet horrible séjour des ombres.

Les Malgaches sont donc

des animistes. Ils prêtent une âme à toute chose et le principe fondamen-tal de leur système métaphysique est la croyance en une âme immor-telle. Mais les âmes des morts ne

Ambondrombé

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se désintéressent nullement des corps qu'elles ont habités durant leur passage sur la terre. Elles gar-dent dans l'au-delà leurs senti-ments, leurs besoins et prennent à leur compte leurs sympathies, leurs désirs et leurs haines, et c'est en l'honneur de ces réminiscences hu-maines qu'on leur sacrifie des bœufs ou des coqs et qu'on leur fait des offrandes de riz, de fruits, de rhum, de miel.

Au moment du trépas l'âme se détache de la dépouille mortelle dès qu'elle commence à se refroi-dir ; néanmoins elle demeure au-près d'elle pour la veiller et l'accom-pagner jusqu'à la sépulture qui sera désormais sa résidence. Et c'est aussi par égard pour les défunts qu'on élève sur leurs tombes des mémoriaux de bois sculpté, dits aloalo, figurant des animaux, ou des hommes et des femmes sexués, et leur rappelant de façon durable les joies qu'ils ont goûtées de leur vi-vant.

A vant leur christianisation, dont l'origine remonte à

environ l'an 1600, les Malgaches étaient déjà monothéistes, et il exis-tait à Madagascar un ensemble de croyances et de superstitions qui, sans présenter la valeur ni l'unité d'un système théologique, n'en constituait pas moins un état d'es-prit religieux assez profond pour in-fluer sur leurs mœurs et déterminer leurs actes. Cette conception res-sort de toutes leurs formules de prières qui s'adressent invariable-ment à un seul Dieu créateur. Les autres invocations, celles qui sont dédiées aux ancêtres, aux Ver-tus des Douze Montagnes, aux divi-nités inférieures bonnes ou mauvai-ses, sont toujours subordonnées au bon plaisir d'un Dieu unique, maître suprême et juge sans appel.

Les Merina le nomment Za-nahary, ou bien Andrianamanitra (le dieu qui a une bonne odeur) en souvenir, peut-être de l'encens que les immigrants juifs brûlaient cons-

tamment devant leurs autels. C'est le génie fluide principe de toute vie organique et de toute croyance sur-naturelle, que le pêcheur du Man-goure et le bourjane de l'Imerne n'invoquent jamais sans frémir.

Autour de cette notion cen-

trale se développe une multitude de croyances et de rites qui enserre la vie publique et privée du Malgache d'un réseau d'obligations et d'in-terdits impératifs. Ce sont les fady, interdictions temporaires et indivi-duelles, s'appliquant à des cas par-ticuliers tels que l'alimentation, la maladie, la grossesse, les funérail-les, et les sandrana, interdictions absolues et héréditaires, qui concernent tout un clan et auxquel-les nul ne peut se soustraire. Ces défenses rigoureuses, édictées au nom des ancêtres, sont souvent plus puissantes que les lois de l'Etat. El-les acquièrent, de ce fait, un vérita-ble caractère religieux, et leur action a souvent pour effet, en limitant les excès de la fantaisie et du libre-arbitre, d'imposer des règles sages et des habitudes bienfaisantes.

L e Malgache encore atta-ché à ces croyances se

fait de la mort une conception as-sez étrange. Pour lui elle n'est jamais un phé-nomène normal ; c'est un méchant tour du sorcier qui vous arrache l'âme par surprise. Quand le fai-seur de sortilèges a choisi sa vic-time, il passe furtivement près d'elle, inoffensif en apparence, et pose le pied sur son ombre. Alors l'âme est saisie par le nécromant qui l'emporte captive, sans que l'intéressé s'aperçoive de l'attentat. Mais il ne tarde pas à dépérir, ses forces le trahissent et il succombe bientôt s'il ne parvient à recouvrer à temps le précieux bien qu'on lui a ravi.

C'est cette croyance qui est à l'origine de toutes sortes de ré-cits bizarres où il est question d'âmes volées et des recherches passionnées qu'elles déclenchent, et qui prennent le nom de faka-n'ambiroa. Afin de découvrir le lieu

où l'âme est tenue prisonnière, on lui livre une véritable chasse, avec force tapage, vociférations, chants, fumigations, exercices violents qui mettent le sujet en transes. On at-tire l'âme par des présents, on lui tend des pièges. Si les chasseurs d'âmes réussissent c'est le salut, sinon il ne reste plus qu'à conduire le défunt vers le trano manara, la maison froide des ancêtres.

On a dit des Malgaches que

leur vie s'écoule "ans une douce mais constante préoccupation de la mort". Ils la considèrent avec une solennité religieuse et une simplicité fataliste, et l'accueillent sans terreur. Ils n'ont pas le dé-goût du cadavre et le traitent avec une respectueuse familiarité. La mort pour eux est inéluctable, elle saisit tout le monde et "met cha-cun dans la gueule du crocodile". Ils disent très sagement : "la mort n'est pas plus une défaite que la vie n'est une victoire". Et leur grand poète Joseph Rabéarivélo, chantre de la mélancolie, qui de-vait finir, en 1937, par un suicide, écrivait :

Tout ici est solitude Tout ici est vaste orgueil Et tout est renoncement A tout ce qui n'est pas silence A tout ce qui n'est pas oubli.

L e peuple adore la vie en ho-norant la mort, et c'est moins

la case de raphia ou de brique qui le soucie que le caveau auquel il consacrera sa fortune entière. Les Malgaches réservent les plus beaux

Le dieu Zanahary Chasseurs d’âmes

Tombeau Hova

La maison froide

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lamba pour le linceul, et les trou-peaux de bœufs sont élevés et mul-tipliés pour être immolés sur la tombe. Toute la richesse amassée par la vie se destine à la mort, et puisque la mémoire humaine est na-turellement défaillante, il importe, si l'on veut prolonger sa vie dans le souvenir de sa descendance, de l'entretenir par la pérennité des mo-numents. L'art des tombeaux garan-tit un droit de survivance dans l'es-prit des générations et le plus grand malheur qui puisse frapper un mor-tel serait de ne pas être inhumé par-mi ses consanguins ou de mourir sans descendants.

Le style des tombeaux varie selon les tribus ou les classes socia-les. Certains habitants du Sud em-plissent un enclos de grosses pier-res et y fichent d'innombrables bu-crânes qui donnent la vision pathéti-que d'un farouche troupeau figé dans une immobilité éternelle. D'au-tres ensevelissent des cercueils pa-rallèles sous un quadrilatère de pier-res. Les Bara superposent les corps dans une fosse entourée de murs soutenant une dalle. Les tombeaux sakalaves sont formés d'un enclos rectangulaire de poutres qui contient des entassements de granit. Les an-gles en sont occupés par des pieux surmontés de statuettes d'hommes ou d'oiseaux accouplés. Des frises de bois les entourent où défilent les images de ce qui a tenu une place dans la vie de l'homme, la case, les outils, les animaux qu'il a élevés ou chassés, créant pour le disparu une sorte d'intimité posthume.

Les peuples les plus habiles à se bâtir des cases dédient aux morts de vraies maisons. Les Mal-gaches du littoral en construisent sur pilotis qu'ils ceignent de palissa-des où ils laissent des provisions d'alcool. Dans un coin de forêt inter-dit aux vivants le Tanala élève une hutte, y prépare un foyer où il dé-pose du riz, du bois, un briquet, une pipe, et il y installe le défunt dans une attitude de vie.

De tous les insulaires, le Me-

rina est celui qui s'abrite dans le lo-gis les plus confortables. Il couche ses morts dans de belles construc-tions plus importantes que sa pro-pre demeure, conçues sur son mo-dèle et comme elle orientées du Nord au Sud. Dans les sépultures les corps sont alignés sur des éta-gères et il y règne un ordre hiérar-chique immuable. Les plus lointains petits-fils, après avoir durant leur vie, rendu les honneurs aux plus lointains ancêtres, viendront s'ali-gner après eux dans l'ordre vénéra-ble de succession chronologique. Ainsi les générations de défunts qui se sont succédées dans le temps s'élèvent en gradins dans l'espace, et les tombeaux de pierre, bâtis en terrasses, se dressent comme des reposoirs sous le ciel imérinien.

Les Betsiléos érigent sur leurs tombes des obélisques sculp-tés, et chez eux la circonférence et le zébu sont les signes de l'orne-mentation funéraire. Les cornes font allusion à la richesse du cheptel et la circonférence représente l'enclos qui protège la propriété. Les Betsi-

mi-saraka exposent leurs cadavres en plein air sur le sable ou sous les filaos du littoral, couchés dans des troncs d'arbres fouillés en cercueils, réduction de la maison mortuaire. Leurs tombeaux sont constitués par quatre poutres verticalement plan-tées sur lesquelles s'ajustent quatre poutres horizontales, grille primitive à l'image de l'ossature même de la case. Une pierre dressée au centre indique l'endroit où repose la tête. Tous les peuples qui, comme les Merina, abritent leurs morts dans des maisons, les enveloppent en d'innombrables lamba et enfoncent ces macabres cocons bariolés dans les cellules tombales façonnées en termitières.

L a religion malgache, qui est essentiellement croyance

en la survie des mânes, ne com-porte ni prêtres, ni temples. Mais certains personnages, certains lieux, certains objets sont revêtus d'un caractère sacré (masina).

Le lieu sacré par excellence est le fatona ou kibory, la tombe collective. Construire son tombeau est la grande préoccupation du Ho-va ; il y dépensera au besoin tout son avoir car le tombeau est la ri-chesse visible, la maison de sa re-traite éternelle où le rejoindront ses descendants, où s'accompliront tous les devoirs funéraires, rites et fêtes qui dominent la vie malgache. Souvent même le Hova constitue par testament certains biens inalié-nables dont le revenu sera réservé, dans la suite des temps, à l'entre-tien du monument et à l'accomplis-sement des cérémonies.

Tout homme, de son vivant,

porte en lui un esprit, une sorte de double fanahy distinct du souffle de vie (aina). Le fanahy peut s'éloigner temporairement du corps, par exemple dans les rêves, ou du fait d'un maléfice du sorcier. Après la mort, l'esprit qui porte alors le nom d'ambiroa, vit dans le tombeau avec le corps, mais il s'en écarte souvent pour rôder dans les villages et s'oc-cuper des affaires de la famille.

Les habitants du sud emplissent un enclos de grosses pierres et y fichent de nombreux bucranes qui donnent la vision d’un troupeau figé dans une immobilité éternelle

Mânisme

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Il fait connaître aux vivants ses vo-lontés qu'il faut satisfaire par des of-frandes ou des sacrifices, sous peine de représailles. La crainte des ancêtres est ici le fondement de l'or-dre social.

Les ancêtres sont en fait les voisins immédiats des collectivités malgaches. "Le caveau de famille, observe E.G. Gautier, est au milieu de la cour, sous la fenêtre ; les pou-les, les cochons et les enfants pico-rent, grognent et jouent pêle-mêle autour des défunts... Les morts ne sont pas seulement un souvenir, ils sont quelque chose de matériel, des ossements dans un suaire de soie rouge que le père de famille expose annuellement à la vénéra-tion de ses enfants".

Dès qu'un agonisant a rendu le dernier soupir et "tourné le dos à la vie", les rites traditionnels se dé-clenchent. Tant que l'ambiroa n'est pas introduite officiellement dans la société des mânes, elle demeure une âme en peine, et cette introduc-tion par les funérailles et la conduite au tombeau est de la plus haute im-portance.

Le devoir s'impose aux survi-vants de distraire l'âme du défunt au cours des journées qui précèdent l'enterrement et de réaliser en cons-cience tous les rites prescrits par la tradition qui assureront au màne sa place légitime auprès des ascen-dants. Ne pas témoigner au mort ces justes égards serait une faute qui ne manquerait pas d'être dure-ment sanctionnée.

Obélisque sculpté dit « Aloalo »

L’orchestre à corde (cithare-calebasse et bambou-mandoline)est de toute les fêtes funéraires

Rites funéraires

E t puisque l'âme en détresse, non admise encore en la quiétude du

tombeau, erre aux alentours, privée de toute compagnie, souffrante et désolée, ses pa-rents et ses amis s'efforceront de lui rendre agréable cette période transitoire. "Oublions nos querelles et ne songeons qu'à apaiser et à réjouir notre cher disparu".

Et ils convoquent une grande foule alléchée par des distributions de viandes et de rhum, de passionnants combats de bœufs et par des orgies nocturnes, vérita-bles saturnales où se succèdent et s'entre-mêlent chants, obscénités même et ripailles

Ces fêtes turbulentes et tapageuses comportent aussi des visites mortuaires, des offrandes, des veillées collectives, des litanies plaintives et des cantiques de deuil.

Il est parti, hélas ! parti, Lui le noble cœur, ô le noble cœur ! Adieu, hélas ! adieu Adieu, hélas ! à la maison Adieu, hélas ! à ses amis Adieu, hélas ! à sa femme Adieu, hélas ! à ses enfants.

La famille du défunt étalera publiquement sa richesse qui se concrétisera, pour les plus opulents, par des sacrifices substantiels de bé-tail et l'élévation de tombeaux massifs. On consacrera à ces manifestations le faste et le nombre de jours et de nuits que comportent la situation sociale, et les ressources du défunt et de la famille.

Quand vient la date fixée par les devins pour les obsèques, les derniers préparatifs et l'ordonnance du cortège sont minutieusement prévus et organisés. Le mort est soigneusement enveloppé de nattes fines ou de lamba de soie rouge (lambamena) suivant les tribus. Placé sur une civière il est porté processionnellement au tombeau. Dans le Sud les funérailles s'accom-pagnent de tambours et de danses, afin d'étour-dir l'esprit du mort et d'éviter qu'insatisfait, il ne tourmente les vivants. Il en est informé d'ailleurs par un beau discours et de pressantes supplica-tions.

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Le seuil de la case mortuaire à peine franchi, il convient de pren-dre à l'égard de l'ambiroa les pré-cautions d'usage. On se livre à des extravagances, à des exercices ma-cabres, on court, on s'arrête, on se-coue la civière, on cherche à déso-rienter la malheureuse âme pour qu'elle perde toute notion topogra-phique et ne tente pas de retrouver le chemin de son ancienne de-meure. Il semble bien que la préoc-cupation dominante soit de rendre définitive la séparation entre ceux qui restent et ceux qui partent pour l'autre monde.

L a galerie tombale a été dé-gagée au préalable et la

foule se range. L'heure des discours est venue. Ils sont abondants et pompeux : oraison funèbre, remer-ciements à la famille, aux amis et aux autorités, énumération com-mentée des grands ancêtres. Au terme de ce cycle oratoire on écarte la lourde pierre qui ferme l'entrée du sépulcre, et après d'ultimes libations et immolations et de suprêmes ges-tes rituels, le corps est introduit dans la "maison froide" et installé à la place qui lui est dévolue.

"Et maintenant, ô morts, pre-nez celui qui est à vous ; défendez-lui de nous troubler ! Protégez-nous ! Donnez-nous des bœufs, des anneaux d'argent, des garçons et des filles au destin favorable, et laissez-nous en paix".

Retranchée en sa demeure

d'éternité, l'ambiroa, l'âme malga-che, survit et garde son emprise sur les vivants. Les mânes ont droit d'être honorés, invoqués, consultés,

et c'est par l'intercession du devin (ombiasa ou mpisikidy) qu'ils main-tiennent à travers les générations leurs contacts avec les "hommes sous le soleil" et qu'ils expriment leurs volontés.

Car les mânes restent les dis-

pensateurs réguliers des biens de ce monde, et pour se concilier leur bienveillance et leurs largesses il est nécessaire de leur témoigner consi-dération et respect par divers rites,

offrandes, sacrifices, supplica-tions. Dans les cas ordinaires ou individuels, il suffira de quelque menue volaille saignée opportuné-ment ou de quelques invocations sommaires.

Mais le sacrifice solennel, de

caractère collectif (sao drazana) ou remerciement aux ancêtres, implique la mise en œuvre de cé-rémonies multiples et impression-nantes et un grand concours de peuple. Un bœuf est choisi, terras-sé, égorgé et découpé, suivant un rite défini, en tranches dont on fait des parts. Les mânes sont invités à prendre ce qui leur revient et les invocations se développent sous la présidence de l'Ancien qui pon-tifie et engage avec l'assistance un dialogue éloquent, cérémonial qui peut comporter, selon les tri-bus, quantité de variantes. La consultation des mânes, plus fami-lière et plus courante, intervient pour une foule de circonstances,

La demeure d’éternité

La richesse du défunt se concrétisera par des sacrifices de bétails

Chaque année les morts enveloppés d’un « Lamba » neuf, sont exposés à la piété populaiere

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dès qu'un Malgache éprouve le be-soin d'interroger ses morts, qu'il s'agisse de maladie, de procès, d'objets perdus, de biens à acquérir ou à vendre, d'héritage ou d'amour. Ici encore la collaboration du devin est indispensable, car ce person-nage, revêtu d'un pouvoir sacré, a pour mission d'interpréter les signes qui marquent la volonté des aïeux.

L es relations des vivants avec les morts se manifes-

tent de façon encore plus spectacu-laire en des cérémonies périodiques qui s'adressent à l'ensemble des défunts de la famille ou du clan. Telle est l'assa-iati (invitation des cadavres) chez les Antaisaka où les morts de l'année sont appelés nom-mément pour assister aux réjouis-sances. C'est une sorte de confir-mation des funérailles. L'horreur de ne pas être enseveli dans son vil-lage avec les siens, idée sociale au-tant que religieuse, est à l'origine de la plus importante des cérémonies funéraires, pratiquée en Imerne, la cérémonie annuelle du Famadiha-na, ou retournement des morts.

Chaque année, donc, on procède à l'ouverture des tom-beaux. Les morts sont enlevés de leurs sépultures enveloppés d'un lamba neuf, de soie ou de coton-nade, selon les moyens des des-cendants, puis exposés à la piété populaire. Les parents accourent en habits de parade, avec des vir-tuoses ambulants et des diseurs de bonne aventure. Chanteurs et dan-seurs de profession participent acti-vement au cérémonial. N'est-il pas convenable et logique, en cette pé-riode d'entre deux sépultures, que les ancêtres, revenus pour une brève visite parmi les vivants, soient admis à partager leur liesse ? N'est-il pas réconfortant pour ceux qui vivent encore d'assis-ter à cette préfiguration des hom-mages qui leur seront dédiés quand l'heure en sera venue.

L'orchestre à cordes, lo-kange-voatava et valiha (cithare-calebasse et bambou-mandoline) attaque sur un thème continu qui s'épanouit, à temps égaux, en scherzo léger et en ritournelles, sur un arrière-plan saccadé de tam-tam. Des voix se mêlent à la musi-que en un rythme piqué, rapide, les basses répondent, toujours sur des accords de tierce, dans un dialogue abondant, savoureux et d'un bel équilibre choral. Cultivateurs, porte-faix, gardiens de bétail, brodeuses et lavandières chantent le repos, la fatigue, la générosité du voyageur, l'eau claire de la forêt.

Les Malgaches disent que la

musique est "un langage d'amitié", et comme ils ont le goût des plaisirs collectifs et des discours, ils ont ce-lui du chant choral et de la musique d'ensemble. On sent bien que la musique est étroitement mêlée à leur vie ; elle accompagne toutes leurs cérémonies religieuses et so-ciales, et occupe chez eux une place sans doute plus grande que dans nos civilisations occidentales, où elle n'est qu'un art. Leurs concerts, exécutés par des hom-mes accroupis, ne s'élancent pas en hauteur, mais se propagent au ras du sol. Au lieu d'exalter, ils en-veloppent l'âme de poésie humaine. Et dans la résonance des bois creux et des fibres végétales on re-trouve le même fond d'inconsolable mélancolie.

Et tandis que crescendo se déroule la fête autour des macabres spectateurs, immobiles sous le ciel natal dans leurs suaires versicolo-res, et que circulent dans l'assis-tance les mets succulents et les boissons fortes, on entend s'exhaler sourdement dans le vacarme le meuglement sourd des zébus, éter-nelles victimes des bombances vil-lageoises. La nuit vient, des lumi-gnons fumeux scintillent et l'aube n'apaisera pas les rumeurs de la joie et de l'ivresse. Les invités ont déposé leurs cadeaux et reçoivent encore de l'alcool et des viandes. La fête continue.

Le lendemain on ensevelit de nouveau les restes vénérables après les avoir promenés sept fois autour des sépulcres, dans le tu-multe délirant de la marmaille et les chorégraphies trépidantes de l'adieu et du regret. A mesure que les vieux mânes entrent en scène, les exclamations s'accentuent et les applaudissements déferlent. En dernier lieu paraît le plus ancien qui est salué d'une ovation intermina-ble.

"Cher vieillard, bénissez-nous ! Cher aïeul, bénissez-nous !"

Cette réunion des vivants et

des morts, véritable Toussaint que le village célèbre d'un "chœur " una-nime, est la consécration émou-vante et expressive de ce respect des ancêtres qui reste encore l'ar-mature la plus puissante de la so-ciété malgache.

Georges VALLY.

Le retournement des morts

Les chants et les danses se déroulent devant les macabres spectateurs Le retournement est une véritable réunion des

vivants et des morts. Ici les femmes tiennent leur mort sur leurs genoux