Alexandre Balcaen - Adverse

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Alexandre Balcaen

ADVERSE

MANIFESTE

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Introduction

Dans l’actuel contexte de surproduction outrancière, de récupé-ration décomplexée et d’indifférenciation de plus en plus généralisée, la création d’une nouvelle maison consacrée à la bande dessinée peut laisser perplexe tant sa légitimité suscitera méfiance, voire présomp-tion d’inutilité.De fait, nombre d’acteurs du milieu font aujourd’hui le constat de l’état de crise de notre activité, l’édition de bande dessinée dite indé-pendante, alternative, d’auteur ou encore de création. Mais puisque la création se porte en fait remarquablement bien, que les propositions n’ont peut-être jamais été aussi nombreuses, variées et inventives — pour qui sait aller les débusquer —, c’est que cette crise est à appréhender avant tout comme une crise de représentation. La faillite de visibilité de la majorité des œuvres dignes d’intérêt est le fruit d’une conjonction complexe associant causes historiques, com-plaisance paresseuse de nombre d’auteurs et d’éditeurs, marketing promotionnel agressif désorientant le lectorat, absence d’un travail critique digne de ce nom et structuration mortifère de la sacro-sainte chaîne du livre.

Il s’agit donc d’établir dès l’ouverture de notre catalogue quelques-unes des balises indispensables à ce que commence à apparaître dans son étendue complexe et ramifiée le territoire de cette forme fuyante et remarquable que l’on nomme bande dessinée.De dresser un rapide état des lieux éloigné des discours dominants qui permette d’accéder à la connaissance des conditions nécessaires à l’existence de ces œuvres autant que des entraves qui nuisent à leur émergence. Puis de préciser les fondements et les méthodes d’un programme édito-rial tendu entre la nécessité de rendre visible nombre d’œuvres remar-quables et l’urgence de voir naître un mouvement critique adverse.

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1/ La bande dessinée : Un territoire de possibles

Il suffit à une bande dessinée de ne pas ressembler à l’image représentée du genre pour ne pas être comprise comme étant de la bande dessinée.Barthélémy Schwartz, Une Période de nuit : l’idéologie bédé (Labo n°1, Futuropolis, 1990).

Presque deux siècles après l’invention autothéorisée et accomplie par Rodolphe Töpffer d’une forme devenue aujourd’hui l’image représentée du genre (un art séquentiel qui organise texte et image autour d’élé-ments structurants — case, planche, phylactère…), les querelles font encore rage entre spécialistes quant à l’établissement d’une définition consensuelle de la bande dessinée et de ce que l’on peut y inclure ou pas comme objets.

Outre les problèmes que peuvent soulever le terme lui-même et son postulat excluant (quand ce n’est pas en bande, que ce n’est pas dessiné ?), il nous importe surtout de questionner la nécessité du récit. Une nécessité non seulement supposée mais revendiquée — ainsi qu’en témoigne la prolifération de nouvelles dénominations tels roman graphique, narration graphique, littérature graphique — qui évacuent de facto certaines des formes les plus recherchées et les plus poétiques de l’art qui nous occupe.

On peut raisonnablement situer la bande dessinée à l’exact point de ren-contre, d’une part, de la mise en rapport d’images séparées juxtaposées (quels que soient les moyens techniques employés) et, d’autre part, de la mise en relation du texte et de l’image (quelles que soient les façons d’agencer le texte avec l’image), c’est-à-dire à leur nœud de tension. Barthélémy Schwartz, Une Période de nuit : l’idéologie bédé (Labo n°1, Futuropolis, 1990)

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Si Schwartz nous permet d’envisager la bande dessinée comme une forme résolument ouverte, nous la conceptualisons pour notre part selon l’hypothèse du tableau fragmenté.

Éminemment art du rapiéçage, la bande dessinée constitue pour son destinataire une sollicitation à établir par lui-même des liens entre les indices, essentiellement graphiques et textuels, proposés par l’œuvre. Le lecteur est alors envisagé comme co-créateur en ce qu’il est appelé à tisser des rapports de corrélation et d’intégration entre des signes dynamiques selon une logique de circulation en réseau.

Ce que la bande dessinée a en commun avec les arts graphiques ou avec l’architecture, c’est la capacité offerte au lecteur de conserver une maîtrise du temps réservé à la contemplation autant qu’une lati-tude de choix dans les possibilités d’adaptation de la focale du regard (qui peut circuler entre le trait et la planche et s’attarder sur une infi-nité de détails : image, texte, typographie, lumière, couleurs, masses, etc.).

Tandis que ce qu’elle a en commun avec la littérature, le cinéma, la musique, le théâtre, est sa tendance à imposer au lecteur une dyna-mique de flux entre les indices visuels, à prescrire un rythme.

En établissant ainsi la bande dessinée au cœur d’une double tem-poralité de lecture, qui tire vers l’avant et retient simultanément, qui impose une conduite mais laisse la possibilité d’une circulation ouverte du regard, nous pouvons voir poindre quelque chose d’une singularité intrinsèque, soit un mouvement incessant consistant à sai-sir des instants suspendus — aussi définis que volatils — qui se téles-copent, s’alimentent et s’opposent les uns les autres en un événement global multipolarisé.

Ainsi débarrassée de tout assujettissement aux motifs et à la construc-tion romanesques, la bande dessinée peut alors enfin établir que du trait à la tache, du pli au trou, du volume à l’ombre, tout élément

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graphique et, par-delà, toute composante rythmique, structurelle, langagière, etc., n’est pas tant un signe à déchiffrer qu’une pièce à rapporter à d’autres pièces, qu’un fragment à articuler à d’autres frag-ments hétérogènes.

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Tendances du marché éditorial

2/ États de la bande dessinée contemporaine

Ça commence en l’année deux mille chips. Ou en deux mille cheap je ne sais plus très bien. Une année comme les autres. Une année en or. Blonde comme la crème de Saint-Germain-des-Prés. L’auteur est la nouvelle saveur de l’année ! Comme l’an dernier. Le temps précieux des chips à l’ancienne d’autrefois arrive, déjà il revient : savourez l’emballage. À pain germé de près, vous pourrez à l’œil tremper dans l’œuf la madeleine. Pour voir si c’est littéraire…Yvan Alagbé, Question de temps, L’Éprouvette n°1, (L’Association, 2006)

Symptomatiques, deux sentences viennent régulièrement alimenter les débats sur la généalogie d’un art aux contours mal délimités : l’his-toire de la bande dessinée a bien longtemps été celle de ses succès (« de l’extension de son marché » nous disait Schwartz). Ou encore qu’il s’agit d’un art sans mémoire.Si ces deux phénomènes sont avérés, leur effectivité actuelle ouvre à de considérables remises en cause.De fait, la modernité inaltérable des dernières décennies est encore largement oblitérée alors que de Doury à Claveloux, de Van & Mutterer à Got (pour n’en citer qu’une poignée), nombre d’immenses artistes croupissent encore sous le champ de ruines des années 1980. Aussi, les rééditions nécessaires des auteurs les plus éminents, de Gébé à Forest, de Masse à Mattioli, échouent à susciter l’inté-rêt d’un nouveau lectorat. Tandis qu’à l’occasion de l’attribution du Grand Prix du Festival d’Angoulême à Willem, on entendit s’élever de nombreuses voix arguant que celui-ci n’avait jamais fait de bande dessinée.

Ces constats s’expliquent en partie du fait que nous baignons depuis une quinzaine d’années dans une construction mythologique

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nationale écrasante : se serait opérée dans le courant des années 1990 une véritable révolution culturelle, éditoriale et artistique. Relatée et entérinée par une myriade d’auteurs, de lecteurs, d’éditeurs et de journalistes, cette fable trouva bien vite sa nécessaire appellation publicitaire et une liste d’auteurs comme autant d’incarnations exem-plaires grâce au livre La Nouvelle Bande dessinée.

Ce phénomène érigea en modèles historiques une poignée de jeunes artistes contemporains aptes à susciter l’intérêt rapide et convenu autant de la part d’un nouveau public de lecteurs au sens large que de l’aficionado de bande dessinée. Il donna à notre art de nouvelles lettres de noblesse médiatiques autant que de nouvelles perspectives économiques. Il déclencha enfin un mouvement toxique de récupéra-tion sélective pour l’établissement de nouveaux étalons.

La dilution de certaines des esthétiques et des thématiques de la bande dessinée véritablement moderne vers la production commerciale sus-cita un massif élan globalisant et aboutit à une indifférenciation de plus en plus généralisée entre les catalogues des différents éditeurs, troublant la distinction entre les plus cyniques et les plus sincères, les plus indignes et les plus respectables. Cette récupération continua pour autant à exclure les expériences les plus stimulantes et les plus remarquables d’hier comme d’aujourd’hui, confinant la bande dessi-née à l’image diminuée qu’elle se complaît encore à afficher.

On assimila avec succès les formes les plus immédiatement digestes et les plus en adéquation avec les tendances majoritaires de nos sociétés contemporaines (exhibitionnisme, voyeurisme, amateurisme, imper-tinence inoffensive) pour aboutir à l’avènement de la bande dessinée du réel (autobiographie, fiction intimiste, reportage) et au renouveau du récit de genre (relecture ironique des canons du western, du polar, de la science-fiction, etc.). En parallèle, on usa à tous crins de l’image symboliquement plus honorable, ouvertement littéraire, opportunément suggérée par le nouvel étalon du livre broché, à forte pagination et de petit format.

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Les différents catalogues se construisirent alors en affirmant de moins en moins leur politique éditoriale, les auteurs circulant d’une écurie à l’autre, quelques-unes des œuvres les plus radicales se retrouvant dans des fonds ne justifiant en rien leur place en leur sein (la guerre pour l’image de marque : exemplairement Brunetti, Beyer et Panter chez Cambourakis, Blutch et Ricci chez Futuropolis, etc.). Tandis qu’à l’inverse, les alternatifs n’exclurent pas nécessairement des livres qui auraient tout aussi bien trouvé leur place chez les éditeurs com-merciaux. Ce phénomène, associé à la dernière mode du livre-objet (singulariser chaque ouvrage en termes de maquette et de fabrica-tion), entérina que sur les tables des librairies consacrées à la Nouvelle Bande dessinée, il devint bientôt quasiment impossible d’identifier au premier coup d’œil qui a publié quoi. Mis à part une poignée de piliers osant encore afficher leur différence (Frémok, Matière), cet éparpillement aboutit in fine à un brouillage des lignes généralisé, un même projet pouvant être envisagé aussi bien chez Futuropolis qu’à L’Association, Cornélius ou Gallimard, The Hoochie Coochie ou Casterman.

Ce jeu irresponsable, parfois obscène, avec l’infinie variété du même, amplifié par la surproduction et la prolifération d’auteurs et d’éditeurs s’engageant tous sur le même terrain, conduisit à une domination commerciale excluant les œuvres différentes, fragiles ou radicales.Ce faisant, les formes de modernité historiques dont les éditeurs alter-natifs à l’origine de ce mouvement étaient les dépositaires, les relais et les héritiers, furent oblitérées, encourageant au contraire la croyance béate en une génération spontanée, surgie comme ex nihilo.

La logique de distinction constitutive de l’alternative a fait son temps.Trop rares sont ceux qui, tel Jean-Christophe Menu dans son pam-phlet Plates Bandes et avec la revue L’Éprouvette, ou Yvan Alagbé qui y signa son article Question de temps, ont affiché de légitimes cri-tiques, ce dernier rappelant notamment les rôles prépondérants de Strapazin ou d’Alain Corbel dans le dynamisme européen de la char-nière des années 1980 à 1990 (qui offrit aux catalogues des éditeurs

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francophones alors tout juste émergents quelques-unes de ses publi-cations les plus marquantes — et hélas les plus confidentielles). Difficile, après une telle tabula rasa médiatique, d’entreprendre la reconquête d’une histoire dont les jalons ont été éclatés, internatio-naux et souterrains.Il nous faudrait nous attarder sur l’Amérique et le Japon — des mondes à part entière —, réexplorer l’Europe, retracer la constellation des vrais poètes et des authentiques génies, démasquer les cohortes d’imposteurs. Il nous resterait encore à couvrir de larges pans négli-gés, des hypergraphies lettristes aux innombrables saillies isolées à aller chercher autant du côté des multiples formes du livre illustré que dans l’ensemble des champs des arts plastiques. Sans oublier de défricher les scènes émergentes du nord et de l’est de l’Europe, de l’Asie du Sud-Est ou de l’Océanie.

Quant à ce qui se joue aujourd’hui même, il conviendrait enfin de déconstruire au moins deux autres mythes solidement ancrés : la bibliodiversité et l’utilitarisme.

La bibliodiversité consiste en la conviction d’une possible coexistence pacifique et équitable au sein d’un même catalogue ou d’une même librairie, d’un ensemble de publications que pourtant tout oppose. Soit l’espoir d’échapper, en s’inscrivant au cœur du marché, aux formes écrasantes de domination et d’exclusion qu’il impose.L’utilitarisme considère quant à lui que l’artiste acquière son droit à exister en tant que tel dans la mesure où il permet de faire du lien social. Par le biais du divertissement (espace de jouissance partageable, soupape cathartique de masse ou grille de lecture critique soft, de la société) ou parce qu’il participerait à rendre le monde intelligible, à dégager du consensus. Soit des conditions favorables à l’apathie satis-faite, berçant les lecteurs à coups d’empathie policée, de sentimen-talisme circonstancié et d’indignation lâche, processus favorisés par l’idée désormais communément admise que toute médiocre expé-rience individuelle mérite intrinsèquement d’accéder à une représen-tation publique de masse.

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Tout au contraire, reprenant à notre compte une saillie de Jérôme LeGlatin, les œuvres qui nous interpellent ont en commun cette voca-tion à réfuter les notions d’utilité et de compréhension et à relater de tout autres enjeux. Travailler les zones pourries, obscures, gro-tesques, inavouables, inquiétantes, détestées. Et c’est cette déclaration de L.L. de Mars que nous préférons reven-diquer :

Le monde des éditeurs «indépendants» n’est pas celui où s’est inventé un nouveau format de livres de 4 centimètres de moins. Ce monde est celui où tout s’invente de la bande dessinée, absolument tout, toutes ces formes de récits, d’écritures, de dessins, comme toutes ces formes de livres, qui seront dévoyés, mal copiés, par ces éternels marchands de soupe que sont les éditeurs industriels. C’est le seul endroit où quelque chose comme de l’imagination est au travail. Ailleurs, la seule chose qui s’imagine est une nouvelle forme possible de business plan. Il n’y a aucune sorte de chose qu’on pourrait appeler écosystème, parce qu’il n’y a rien là-dedans qui ressemble à un état de nature, et moins encore quoique ce soit qui ressemble à un équilibre. C’est juste la guerre éternelle des expressions minoritaires qui rendent ce monde intéressant contre les machines apla-tissantes majoritaires qui rendent ce monde mort. Il n’y a rien à gagner à essayer de s’imaginer vivre harmonieusement à côté de ces saloperies dont nous perdons trop de temps à parer les coups perfides et surpuissants. Nous sommes leurs ennemis acharnés et rien ne nous réjouirait plus que de les voir crever. Mais comme ce n’est pas possible pour David de s’affronter à une dizaine de Goliath en même temps, gardons au moins les yeux assez ouverts pour nous en méfier et ne pas prendre le risque, sur aucun point, de leur ressembler (…) Ces deux pôles jouent l’un contre l’autre. L’un est tourné vers le passé, l’autre s’engouffre dans les brûlures du présent le plus immédiat. L’un est préparé par le connu, l’autre s’abandonne à l’inconnu.

La bande dessinée dans l’espace

Parallèlement à l’activité éditoriale, se développe ces dernières années une tendance massive à l’exposition. Un regain d’intérêt pour le dessin

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dans le champ des beaux-arts, l’élargissement des approches plas-tiques en bande dessinée, autant que l’expansion du marché de la planche originale, en sont les trois motivations principales.

Depuis l’exposition historique Bande dessinée et Figuration narrative dans les années 1960, peu d’événements d’ampleur ont prolongé la réflexion sur les passerelles potentielles entre la bande dessinée et les arts graphiques. Et c’est par leur impuissance même que les deux principales expositions françaises à s’être penchées dernièrement sur les rapprochements avec l’art contemporain ont mis en lumière des phénomènes révélateurs (Vraoum !, La Maison rouge, Paris, 2009, et Bande dessinée et art contemporain : la nouvelle scène de l’égalité, Biennale d’art contemporain du Havre, 2010).

On constata dans ces deux cas que la tendance se situait nettement du côté de la tentative d’accorder un crédit de plasticien à l’auteur de bande dessinée. Si celle-ci bénéficiait déjà d’un petit marché (mais lucratif et en considérable expansion) pour ce qui concernait les ori-ginaux, il s’agissait d’un marché clos sur lui-même, la planche comme plus-value à la collection d’albums (la collection appelant la collec-tion). Aujourd’hui, le marché de la planche originale s’intéresse plus largement au marché de l’art, plus juteux, plus symboliquement digne aussi.

Galvaudant les rapprochements, les commissaires se sont évertués à débusquer des points de connexion, des échos. Pour autant, CoBrA, Figuration narrative, la poésie graphique des années 1950 à 1980, les partitions graphiques et tant d’autres saillies isolées, ont tous fait partie des grands négligés. Ce qu’on est allé chercher du côté de l’art contemporain, c’est encore le gimmick (phylactère, onomatopée, trame d’impression, gaufrier…) et la citation de figures populaires, de Mickey aux super-héros (d’où Erró, Warhol, Wang Du, Lichtens-tein, Gilles Barbier, etc.). Ou encore la tentative de manifester qu’en termes de dessin, d’approche plastique, certains artistes contempo-rains partagent des intérêts stylistiques avec certains auteurs de bande

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dessinée. Très peu de choses à en tirer quant à ce qu’elle peut propo-ser en tant que forme (mis à part chez Francesc Ruiz ou Jean-Michel Alberola). On a enfin pu constater la peine que les commissaires ont eu à trouver du côté de la bande dessinée des œuvres qui se prê-taient réellement à une comparaison riche de possibles (à de très rares exceptions : Jochen Gerner, Ilan Manouach). En bref, on s’est essen-tiellement contenté de déplacer les supports de présentation (sortir la bande dessinée du livre) et d’établir des rapprochements physiques entre des œuvres de différents champs. La stimulante question de l’installation a été envisagée de manière superficielle et les terrains de recherche et de proposition les plus riches et les plus poussés (les revues et collectifs : de Frigobox à L’Éprouvette, de Kramers Ergot au Coup de grâce, de Strapazin à McSweeney’s) semblent avoir été à peine parcourus. Enfin, la figuration est majoritairement restée à l’honneur, on n’a quasiment rien vu des étonnants mouvements de la bande des-sinée abstraite.

Quintet, enfin, ambitieuse proposition de mise en avant de cinq artistes de bande dessinée au Musée d’art contemporain de Lyon (avec Blanquet, Masse, Ware, Shelton et Swarte) se sera surtout employée à montrer que ces différents artistes avaient aussi des activités connexes admissibles pour les amateurs d’art (sculpture, design, architecture, typographie, affiche, scénographie). Il fut alors édifiant de constater que le moins ambitieux des cinq (en termes de spécificité de proposition) révélait finalement mieux que tous les autres en quoi l’exposition était susceptible d’offrir une toute autre vision de son tra-vail. De fait, la pièce consacrée aux planches de Chris Ware suscitait un choc esthétique inédit dès lors que les originaux étaient appréciés à distance en tant qu’ensemble, prodigieux dispositif d’association de pleins et de vides, d’équilibre de formes et de masses.

Pourtant, nombre d’artistes se confrontent aujourd’hui très sérieu-sement à l’installation de bande dessinée (d’Alex Baladi à Martes Bathori, de François de Jonge à Judith Mall) mais il n’y a guère que de rares festivals ou galeries confidentielles à s’en faire le relais.

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Ainsi, le dynamisme des explorations de la bande dessinée dans l’espace continue à se manifester comme épiphénomène marginal, presque accidentel.

D.I.Y. : ouvertures et confidentialité

La plupart des grands mouvements francophones liés à la modernité de la bande dessinée, de L’Écho des Savanes à L’Association, se sont notamment établis selon un élan d’émancipation face aux éditeurs installés.

Avec l’arrivée puis la démocratisation de l’outil informatique et de la publication assistée par ordinateur (P.A.O.) dans le courant des années 1990, la photogravure et la maquette sont devenues des tâches accessibles à n’importe quel amateur motivé. D’autant plus du fait de ses coûts de production relativement faibles, l’activité éditoriale est ainsi devenue l’une des industries culturelles la plus facilement saisis-sable pour tout un chacun.

Constitutive de la plupart des mouvements alternatifs historiques, l’idéologie du Do it yourself trouve ainsi son plein essor depuis une quinzaine d’années, associant le développement de la P.A.O. aux progrès notables de la photocopie et de l’impression numérique (qui permet de faibles coûts de production pour des tirages réduits), au rejet des formes industrielles et surtout au regain d’intérêt pour les pratiques d’édition artisanales (exemplairement avec Le Dernier Cri devenu figure tutélaire concernant la sérigraphie, mais sans oublier d’autres voies d’affranchissement de la production industrielle tels la reliure manuelle, la typographie, la gravure, le pochoir, la risographie, etc.).

Aujourd’hui, l’autoédition et le livre d’artiste suscitent nombre de vocations et connaissent un dynamisme sans précédent. D’autant que ces dernières années, ces pratiques ont été de plus en plus encoura-gées dans le cadre d’écoles et formations en design graphique, arts

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décoratifs, arts appliqués, bande dessinée et illustration, dont le déve-loppement exponentiel est significatif de l’idée que la communication visuelle constitue un nouvel eldorado et l’autoédition un possible tremplin professionnel.Au-delà de son pendant carriériste, ce dynamisme suscite deux consé-quences majeures dont il convient de mesurer l’importance.

Les possibles de l’objet-livre s’en sont vus considérablement élargis, dans la mesure où les recherches éditoriales formelles peuvent enfin s’émanciper du seul champ très restreint du livre d’artiste. Ainsi du caractère expérimental des procédés d’impression (jouer des spécifi-cités graphiques de chacun d’entre eux, exploiter l’accident) et plus encore de l’opportunité de métisser ces techniques, sans oublier les potentialités liées au façonnage (associer des papiers différents, des formats épars, générer des plis, des trous, des transparences, etc.). En parallèle, le non-assujettissement aux contraintes commerciales de la grande distribution et des points de vente classiques suscite qu’en termes de conception d’objet, c’est bien là que peuvent naître et vivre les livres les plus improbables, miniatures ou géants, en volume ou se déployant dans l’espace, ne se souciant pas de recourir à des maté-riaux hétérodoxes, de se limiter à un faible tirage, ou encore d’opter pour une pagination très réduite (soit un espace privilégié pour la forme courte, par ailleurs largement négligée).

De fait, le livre d’artiste se constitue comme un champ particuliè-rement ouvert pour envisager de nouvelles manières de travailler la multiplication des images, leurs frottements avec le texte, les jeux d’agencement des motifs, l’exploration des rapports au cadre. Et donc comme un terreau particulièrement fertile pour le développement de formes inattendues de bande dessinée. Aussi parce qu’elles ne sont pas nécessairement produites par des artistes issus de ce champ mais qu’ils en découvrent au contraire les possibles en agissant avec de l’image et avec du texte pour de l’imprimé, l’imprimé étant alors à considérer comme objet à conceptualiser dans son ensemble plutôt qu’en tant que simple support de présentation d’un travail effectué

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dans un autre but (l’exposition par exemple). Chaque élément consti-tutif du livre (papier, reliure, format, impression) devient alors sus-ceptible d’agir comme interpellation pour le lecteur, de faire sens.

Enfin, l’absence relative d’enjeux commerciaux s’ajoute à la dispense de s’intégrer à un catalogue orienté. Autant d’invitations à se dépar-tir des questions d’institutionnalisation de forme et d’appartenance à un champ précis. Bien souvent, la question de la bande dessinée n’est même plus soulevée, paraît ne plus être un enjeu déterminant, alors que la reconnaissance de ses possibles pourrait l’ériger en centre névralgique de ce mouvement.

Ainsi de photographes, typographes, illustrateurs, designers, artistes contemporains, qui sont de plus en plus nombreux à se glisser dans cette nouvelle brèche (cherchant ainsi à échapper eux aussi aux contraintes et balises structurelles de leur propre champ — édition industrielle, toujours, mais aussi milieux institutionnels, galeries et musées), tandis que certains auteurs de bande dessinée l’exploitent à leur tour pour se construire une identité d’artiste en dehors des cane-vas éditoriaux et industriels existants.

Toutefois, certaines formations défendent ouvertement des approches et des esthétiques déterminées et génèrent des effets d’école susceptibles d’étouffer dans l’œuf des élans créatifs déviants. Ils tendent à homo-généiser une production dans un champ pourtant censé être le plus ouvert possible (le syndrome Arts déco de Strasbourg étant à ce jour le plus identifiable).

De véritables phénomènes de mode esthétiques associés aux spécifici-tés techniques ont eux aussi abouti à des mouvements d’uniformisation, ainsi qu’on a pu le constater avec la sérigraphie (voir l’influence écra-sante du Dernier Cri sur l’underground graphique contemporain) et plus récemment avec la risographie. Chaque technique recèle pourtant à la fois ses potentialités et ses limites, induit une esthétique singulière pas nécessairement appropriée au projet que l’on souhaite réaliser.

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Suivant le mouvement, les arts moderne et contemporain ne cher-chant pas moins à s’ouvrir et à s’étendre, les opportunistes se sont rapidement rappelés que l’estampe, les multiples et le livre d’artiste étaient d’autres moyens d’instituer les créations en marchandises. Ils ne manquent donc pas de rester attentifs voire d’opérer des formes de récupération sur ces terrains. Avec pour premiers effets la hausse du prix de œuvres et l’alimentation du fantasme d’un changement de statut pour des artistes s’étant pourtant formés dans l’autonomie et la précarité. Certains espèrent désormais glisser d’un underground encore relativement populaire et potentiellement subversif vers un establish-ment nettement plus bourgeois et policé.

De fait, l’établissement d’une œuvre d’artiste dans le temps s’accom-mode mieux d’une structure éditoriale, d’un agent ou d’un galeriste solides pour que la pérennité des travaux (soumise à caution par la courte durée de vie de la photocopie, de certains papiers et de certaines encres) et surtout leur visibilité (les lieux de ventes et de consultation étant exceptionnellement rares, en dehors d’une poignée de librairies, artothèques et fanzinothèques) bénéficient d’un minimum de garan-ties. Car si le milieu de l’autoédition et du livre d’artiste paraît bien, malgré tout, être l’endroit où s’inventent aujourd’hui le plus de nou-velles formes, la librairie — qui conserve sa place dans l’imaginaire social de lieu incontournable de présentation, de médiation et de cir-culation du livre — s’avère dans l’ensemble complètement dépassée par ce phénomène.

Il est donc rassurant que se soit développé un marché noir, toujours précaire mais néanmoins remarquablement dynamique. Essentielle-ment organisé autour de salons et festivals de microédition, la bande dessinée alternative y trouve un terrain de visibilité privilégié et ses acteurs contribuent à initier bon nombre d’entre eux. Ainsi, de Cultures maison à Indélébile, de Périscopages à Central Vapeur, de Fanzines au Monstre, de Vendetta au FOFF, la bande dessinée affirme sa présence mais reste loin d’être exclusive, preuve des velléités d’ouverture qui l’agitent à la marge tout au contraire des salons et festivals spécialisés.

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Ces événements bénéficient d’une fréquentation en progression constante et parviennent souvent à mobiliser un public non averti, précisément curieux de ces approches transversales ancrées dans l’autogestion et les circuits parallèles. Les échanges avec ce nouveau public s’y avèrent souvent riches de surprises et féconds d’échanges, la transgression et la recherche étant parfois plus évidentes à appré-hender dès lors que les attentes ne sont pas préalablement détermi-nées.

Pour les artistes et les éditeurs, ces occasions s’avèrent particulière-ment précieuses en ce qu’elles offrent un rare espace-temps de ren-contres et de discussions avec leurs pairs. Elles libèrent surtout une fenêtre par ailleurs quasi inexistante pour du discours et un dialogue avec le lecteur, soit une condition souvent nécessaire à susciter le désir d’une découverte.

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Voilà longtemps que Godard préfère les producteurs (mal aimés, en voie de disparition) aux «auteurs» (trop encensés, en voie de bana-lisation). Il y a là une logique que l’on peut comprendre. Quand le cinéma allait bien, il était utile (et romantique) de prendre le parti des auteurs-qui-en-avaient-contre-les-méchants-producteurs. Mais si nous sommes « au temps de la toute-puissance de la télévision », c’est le producteur de cinéma, cet animal louche et touchant, qu’il faut défendre — avec le même romantisme — contre les grilles de la programmation télé. L’essentiel est d’être toujours minoritaire. Serge Daney, La Maison cinéma et le monde - t. 3, P.O.L.)

Nous avons déjà évoqué les phénomènes de nivellement et d’indiffé-renciation provoqués par la récupération par l’industrie de l’idée de politique des auteurs (la banalisation). Sur ce point, Daney nous disait encore : Le mot « auteur » indique seulement que le produit est « personnalisé », ce qui ne signifie pas pour autant « personnel ». Nous y associions alors les manques patrimoniaux et critiques, la réduction du champ à ses formes canoniques, le déficit d’engage-ment de la librairie, les positions des éditeurs alternatifs s’échinant à se battre sur le même terrain que les éditeurs commerciaux et selon des méthodes sensiblement identiques, ou encore la versatilité de cer-tains auteurs (se vendant au plus offrant, quitte à dénaturer l’idée de catalogue).

Il nous faut encore ajouter les développements de l’autoédition, du livre numérique et du crowdfunding (nouveau concept marketing remettant au goût du jour l’ancestrale souscription en en galvaudant les principes), qui promettent à tout un chacun de devenir son propre producteur, pour en arriver à un ensemble de signes très concrets d’une forme de faillite d’une vision professionnelle positive de l’édition.

3/ Politique des auteurs, politique des éditeurs

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Il semble donc utile aujourd’hui, prenant les tendances mercantiles actuelles à contre-courant, de revaloriser ce qui constitue l’essence même de ce métier, reprenant à notre compte la dichotomie suggérée par Jean-Louis Gauthey (des éditions Cornélius) : opposer l’activité d’éditeur à celle de publieur.

Ainsi, le publieur fait signer son contrat par l’auteur pour un projet sélectionné selon un argument marketing (dictature de l’évidence et de l’efficacité du pitch, adéquation du sujet avec l’actualité et du style avec la mode, tous ces paramètres étant encouragés par les diffu-seurs, libraires et journalistes). Il emballe sans finesse le contenu pour le constituer en marchandise, flatte et assomme les médias à grands coups de services de presse et de cocktails scabreux, alimente quan-titativement les flux de la distribution et tente d’occuper le maximum d’espaces de vente, avant de pilonner les invendus. Selon la logique du flux tendu, la réactivité et la vitesse sont déterminantes dans cette politique commerciale établissant la précarité des équilibres de trésorerie comme condition à la recherche d’un coup juteux. Soit une vulgaire et permanente fuite en avant.

On imagine sans peine la place de l’auteur dans un tel système.

On comprend qu’il estime légitime de s’emparer lui-même de la posi-tion d’éditeur pour échapper à celle de dindon de la farce.

Alors que l’autoédition s’impose comme une alternative aux mono-poles de la production par les professionnels de l’édition et que le modèle de la librairie traditionnelle pose de plus en plus de questions (cruciales pour l’éditeur dans la mesure où son installation dans la durée nécessite un réseau de diffusion identifié et pérenne), s’impose le constat que le modèle traditionnel de la chaîne du livre — pour ce qui concerne les formes inédites de création — est en pleine érosion. Les librairies autant que les éditeurs voient une partie de leurs fonc-tions paraître caduques tant auprès des auteurs que du public le plus curieux et le plus exigeant.

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D’un point de vue exclusivement pragmatique, il faut en conclure que les deux seules fonctions encore inaltérables de l’éditeur sont aujourd’hui :1/ sa résolution à jouer le jeu du commerce et de la communication (position qu’a priori aucun créateur ne souhaite occuper, dans la mesure où elle constituerait une diversion inacceptable quant à sa vocation première).2/ sa capacité à investir. En effet, et même si bien souvent l’auteur peut légitimement se considérer dernier maillon de la chaîne en ce qui concerne les droits perçus sur la vente de l’œuvre (l’inconvénient de la proportionnalité), c’est à l’éditeur de risquer son capital pour engager la production d’une œuvre. Il se doit donc d’investir en per-manence sans aucune garantie d’amortissement, chaque nouvelle publication étant à envisager comme un nouveau pari commercial. Aujourd’hui plus que jamais auparavant, c’est ainsi sa fonction pro-ductive — d’un point de vue économique plus encore que d’expertise technique — qui le détermine essentiellement, les questions d’intui-tion ou de réflexions esthétiques et intellectuelles étant tout à fait dis-pensables dans les stratégies d’occupation du marché.

Ce qui reste d’une idée digne de ce métier n’est donc pas nécessaire pour l’exercer.

Ce qui reste d’une idée digne tient à la nature des rapports de travail avec l’ensemble de la chaîne (de l’auteur au lecteur en passant par tous les intermédiaires), à l’exigence qualitative (contenu, maquette et fabrication) et à la construction d’un fonds : le catalogue.

Idéalement, un catalogue reflète une vision d’ensemble certes consti-tuée à partir des œuvres, mais aussi à partir des échos qu’elles sus-citent et articulent entre elles. Les ponts ainsi dressés établissent une cartographie déterminée (sans obligation de cohérence, la folie a aussi ses mérites), à arpenter, idéalement susceptible d’aiguiser la singula-rité de chacun des espaces par sa faculté à orienter (ou désorienter) le regard du lecteur.

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Une accumulation de tentatives de coups ne saurait donc répondre à l’idée d’un fonds. Car qui dit catalogue sous-entend aussi durée.

Choisir d’opérer sur le terrain de l’édition pour une poignée d’années seulement n’aurait en effet que peu de sens à moins de n’opérer que selon une logique de coups, précisément. De fait, l’histoire a manifesté à maintes reprises que l’émergence d’artistes majeurs s’est souvent établie grâce à un suivi sans faille sur le temps long (Beckett, cas d’école), parfois sur des décennies, parfois à l’échelle d’une vie toute entière, parfois au-delà.Soit l’édition envisagée comme une recherche de l’impérissable.

L’éditeur se positionnant selon un régime de distinction face aux publieurs se doit donc d’assumer :1/ une détermination sans faille établie sur un temps long et selon une fidélité de principe aux auteurs qu’il a choisi de défendre.2/ une structure économique pérenne, condition sine qua non à son existence même.3/ une vision artistique esthétique et intellectuelle acérée, construi-sant ses fondements et déterminant ses ambitions à partir d’un agré-gat disparate.

Isolé, l’éditeur se retrouvera confronté à des impasses commerciales et risquera la confidentialité, le confinement aux marchés noirs.

Effectivement soutenu par un réseau de lecteurs, de lieux de ventes ou de prêts, d’espaces d’exposition et d’événements artistiques et culturels, son catalogue se verrait offrir la chance de rayonner.

Toutefois, le système de diffusion en place est structuré comme une série d’obstacles difficilement surmontables. Et ce qui reste de che-mins praticables nécessite encore d’être éclairci.

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4/ Diffusion, distribution, librairies

En France, depuis 1981, le commerce du livre bénéficie d’un statut d’exception légalement constitué autour de la loi Lang sur le prix unique du livre.

Notamment défendue par Jérôme Lindon dans les années 1970, cette exception culturelle a été instituée pour tenter d’éviter que la librairie indépendante ne subisse le même effondrement que le tissu de dis-quaires indépendants. Ce dernier achevait alors son rapide déclin, écrasé par une grande distribution victorieuse d’une guerre commer-ciale menée par le biais de rabais inconcevables, vendant parfois à perte dans la seule optique de faire disparaître le concurrent le plus proche. Grâce à un soutien visant au maintien de la librairie indé-pendante (théoriquement garante d’une certaine qualité culturelle), le monde de l’édition scientifique, intellectuelle et artistique était censé bénéficier de meilleurs gages de survie. Vingt ans plus tard, on commença à employer, relativement à ce concept de coexistence prétendument harmonieuse entre production marchande de masse et édition exigeante, l’expression bibliodiversité.

Avec l’avènement de l’ultralibéralisme et les mouvements de concen-tration exceptionnels survenus dans les décennies qui ont suivi, l’édition industrielle s’est vue de plus en plus encline à privilégier les bénéfices maximum selon un mouvement qu’on a pu nommer best-sellerisation de l’édition, au détriment d’une politique de fonds plus modestement mais plus sûrement pérenne.

Constitutif de la loi Lang, un autre concept, le délai de garde, impose contractuellement au librairie (vis-à-vis du distributeur) une durée minimum de présentation de l’ouvrage dans son commerce avant de pouvoir opérer d’éventuels retours sur invendus (retours lui

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permettant de bénéficier d’un avoir sur une commande à venir, concédé par le distributeur mais dû in fine par l’éditeur). Ce concept du délai de garde a été envisagé comme nécessaire pour une raison effective, que les livres difficiles ont besoin d’un temps de vie commer-ciale plus long que les livres faciles.

Afin que soit parfaitement efficiente une politique commerciale axée sur la recherche permanente du best-seller, il était nécessaire que rien ne fasse entrave à la logique du flux tendu (si une tentative d’obtenir un best-seller est un échec, il faut pouvoir réitérer avec un autre titre immédiatement).

Les plus importants groupes d’édition détenant en parallèle le contrôle de la distribution et ce maillon intermédiaire de la chaîne du livre étant un formidable moyen de pression face à la librairie (d’autant plus dans la situation quasi monopolistique actuelle : c’est là que sont contractualisés les échanges commerciaux, stockées, facturées et transportées les marchandises), ils ont donc opéré par ce biais pour convaincre la librairie de s’adapter à cette nouvelle tendance (évidem-ment jamais avouée) par un assouplissement structurel du contrôle des flux. Fi du délai de garde, bienvenu au retour libre. La librairie n’a pas vu venir le piège et a préféré se contenter des facilités qu’on lui offrait, notamment une gestion considérablement simplifiée de son stock et donc de sa trésorerie (grâce aux avoirs sur retours). Par l’in-termédiaire de la distribution, les éditeurs commerciaux ont ainsi pu laisser libre cours à leur stratégie d’inondation du marché, avec pour première conséquence la surproduction, proprement assassine pour les éditeurs les plus fragiles et les plus pointus, qui risquent tout sim-plement de perdre définitivement le maigre espace de présentation qui leur est encore octroyé.

En second lieu, les grands groupes éditoriaux margent sur les flux de marchandises de nombre d’autres éditeurs par l’intermédiaire de leur filiale de diffusion-distribution. Qu’elles soient finalement vendues ou non importe peu, il suffit qu’elles circulent pour produire de la valeur.

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Grâce à l’association de ces deux paramètres, une superstructure associant édition, diffusion et distribution peut donc partiellement compenser ses pertes sur la multiplication de tentatives de coups ratés en margeant sur les flux d’autres éditeurs, quand bien même elle par-ticiperait dans le même mouvement à les écraser.

Nous avons parlé de piège pour le libraire, dans la mesure où la logique de surproduction modifie en profondeur l’essence même de son travail, la librairie tendant structurellement à devenir une simple vitrine commerciale entretenue par un gestionnaire se basant sur des taux de rotations établis par un logiciel et une équipe de manuten-tionnaires essentiellement mobilisée à sortir puis remettre des livres en cartons après un rapide passage sur une table ou une étagère. De moins en moins un espace de distinction, d’échange, de médiation, de conseil, de positions politiques quant à l’édition, la création et la réflexion.

Pour les éditeurs les plus fragiles, l’abandon du délai de garde et la logique du retour libre (voire du retour sur invendus tout court — une exception dans le monde du commerce) sont deux paramètres éminemment mortifères. De fait, quand un éditeur publie un livre et que celui-ci est vendu par son distributeur en librairies, il n’a aucune garantie que ces ventes seront effectives et il agit donc avec la menace permanente de se retrouver finalement débiteur vis-à-vis de son distri-buteur dès l’arrivée des premiers retours (il sera redevable de l’avoir que le distributeur aura concédé au libraire). On comprend que dans une telle situation, il devient définitivement ingérable d’établir une trésorerie prévisionnelle fiable. De quoi entrer de plain-pied dans un véritable cercle vicieux : alors que les fonds sont de moins en moins réassortis, la seule solution pour compenser les avoirs dus au distribu-teur reste de publier une nouveauté. La surproduction devient alors un phénomène se nourrissant de lui-même. Elle encourage même les plus petits et les plus fragiles à s’engager dans une course irrépressible à la publication afin de maintenir un équilibre de trésorerie excessive-ment risqué. Avec des conséquences malheureuses sur les politiques

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éditoriales : quand on doit publier pour publier, on se rend dépendant au danger de sortir n’importe quoi ou dans l’urgence, toujours au détri-ment de choix mûrement assumés.

De fait, il s’avère nécessaire que les libraires un tant soit peu conscients de l’importance de la distinction prennent de réels engagements sur les catalogues les plus fragiles, limitant ou refusant définitivement la logique du flux tendu et du retour libre et revalorisant une politique de fonds soigneusement choisis et fermement défendus.

À défaut d’opérer ce mouvement, la librairie aura signifié sa démis-sion totale et définitive quant à la création minoritaire et aura entériné sa position de laquais à la solde des grands groupes éditoriaux.

Du côté du lectorat curieux ou éclairé, des créateurs, des diffuseurs engagés et des éditeurs en création, la question du rôle qu’a à jouer la librairie semble évident : se présenter comme un relais des alter-natives, précisément, revaloriser son espace comme un lieu privilé-gié pour les découvertes inattendues, la médiation, les rencontres, alors qu’Amazon et consorts posent le territoire de la vente du livre comme l’espace d’une guerre visant l’hégémonie, essentiellement par le biais d’un puissant arsenal logistique et propagandiste (disponibi-lité, vitesse, rabais), alors que se déploie le pernicieux mouvement de dématérialisation de l’art et de la pensée.

Hélas, mis à part quelques poignées d’irréductibles (autant de frères d’armes auxquels nombre d’éditeurs doivent aujourd’hui leur sur-vie), la librairie en est encore à chercher et à peiner en tentant de se positionner sur le terrain de la vente en ligne, défend bec et ongles les cloisonnements arbitraires et castrateurs (les rayons spécialisés par genre), ou base toujours sa fragile économie sur un équilibre mollement assumé entre espace de présentation pour la production industrielle majoritaire et de vagues pas de côté (parfois légitime-ment soupçonnables de n’être motivés que par l’idée de s’acheter une caution intellectuelle à faible coût). Et se bat avec les diffuseurs,

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les distributeurs et les éditeurs pour conserver ses nouveaux acquis du retour libre, une remise avantageuse et un nombre réduit de four-nisseurs (certains semblent proprement inconscients de la menace des monopoles sur la distribution). Pour ce faire, ils sont prêts à balayer des catalogues entiers, refusant parfois ne serait-ce que de les consul-ter selon un vulgaire argument technique ou mercantile, peu importe leur valeur intrinsèque. Et continuent malgré ces aberrations de bou-tiquiers à la petite semaine de se poser comme les derniers remparts de la fameuse bibliodiversité.

Pour tenter de nous affranchir au moins partiellement d’une dépen-dance à un système de plus en plus excluant, les questions des écono-mies souterraines et solidaires et des systèmes de diffusion parallèles moins marginaux que ceux déjà existants sont régulièrement soule-vées. Quelques esquisses de réponses ont pour certaines déjà fait leur preuve, à défaut de trouver une véritable pérennité, ou commencent tout juste à poindre. Il conviendra de les développer, la construction d’un modèle alternatif viable et visible à la librairie ne se présentant pas comme une mince gageure.

Il faudra chercher du côté des librairies mobiles ou des librairies éphémères, de l’événementiel, des souscriptions mutualisées ou encore dans l’expérimentation de librairies vitrines, commerces sans stock à disponibilité immédiate permettant de s’affranchir des lourdes contraintes logistiques et des diktats de la grande distribution, et d’ainsi libérer temps et espace à l’essence même de ce beau métier.

Les lecteurs eux-mêmes, s’ils souhaitent continuer à bénéficier de ces niches d’émerveillement, se doivent de se mettre à l’écoute des enjeux nécessaires à la création dans l’optique de la soutenir plus effi-cacement (boycotts d’Amazon, Fnac, Cultura et consorts, privilège à la librairie indépendante de qualité, achat en direct aux éditeurs ou mieux encore, participation au financement des projets en amont de leur réalisation). L’attente de la disponibilité immédiate sera la princi-pale habitude à contrarier.

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Enfin, concernant la partie la plus essentiellement graphique de la bande dessinée, il paraît plus que temps que de sortir de l’autocen-trisme et de développer enfin un réseau international à la hauteur de nos ambitions, en identifiant puis en engageant des relations avec les quelques dizaines de magasins, festivals et lieux d’expositions intéres-sés par notre art hors de nos frontières. Nous pourrons nous concen-trer d’abord sur les ouvrages lisibles partout (muets, graphiques, for-mels) avant de proposer des traductions associées aux livres, ainsi que le pratiquent déjà nombre d’éditeurs de bande dessinée non francophones ou non anglophones ne serait-ce que parce qu’ils ne bénéficient pas d’un marché intérieur suffisant pour qu’une diffusion exclusivement nationale leur permette d’amortir leurs frais de pro-duction (recours aux sous-titres ou tirés à part en anglais).

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CONSTITUTION

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C’est dans le courant de l’année 2014, suite à une conjonction d’évé-nements disparates, que le projet Adverse a été imaginé.

The Hoochie Coochie, maison dans laquelle j’étais alors engagé, déve-loppait depuis quelques temps une partie de son catalogue autour de livres sensiblement éloignés du récit romanesque ou développant des dispositifs formels inédits (notamment avec J.M. Bertoyas, Tim Danko, J. & E. LeGlatin, L.L. de Mars et Robert Varlez) et com-mençait tout juste à relayer les travaux de Muzotroimil, Loïc Largier, Guillaume Chailleux et C. de Trogoff par l’intermédiaire du fanzine (re)naissant Turkey Magazine et de la revue Turkey Comix.

Loin d’être fortuite, cette constellation s’était établie du fait de rap-prochements de plus en plus serrés avec une poignée d’auteurs, pour la plupart véritables forcenés de la microédition : l’équipe du site le-terrier.net, les éditions Bicéphale, feu les éditions Délicates (qui auraient été coéditrices du Séquences de Robert Varlez si elles avaient perduré) et la revue naissante Pré Carré, tandis que se dessinaient les contours du projet de publication collective et fraternelle Amici.

Loin de faire l’unanimité au sein du comité éditorial de The Hoochie Coochie, maison par ailleurs limitée dans ses capacités de produc-tion, il apparaissait alors que plusieurs travaux remarquables de ces auteurs, achevés ou en cours d’élaboration, ne trouveraient pas leur place dans les développements de ce catalogue-ci.

La difficulté à envisager un autre éditeur susceptible de s’atteler à une sérieuse tentative d’émergence de cette multitude souterraine, ma motivation à poursuivre des relations de travail fécondes, autant que les réflexions et discussions à l’origine de ce manifeste qui

5/ Adverse : politique éditoriale et commerciale

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appelaient à un positionnement plus affirmé, entérinèrent la nécessité et l’urgence de mettre sur pied la maison Adverse.

C’est la résurgence régulière de cet adjectif au cours des échanges avec J. & E. LeGlatin pendant l’élaboration de Crapule qui amorça l’idée d’en faire le nom de nos éditions, avant que son substantif ne vienne faire office de conclusion à un premier effort critique publié dans le n°5 de la revue Pré Carré (préalable à ce manifeste) et consacre définitivement ce choix.

Les auteurs précédemment cités ayant été les principaux moteurs du désir de création de cette maison, il s’avéra donc évident que la plu-part d’entre eux figurent parmi les premières publications, tandis que des manuscrits en dormance (tel le Mnémopolis de Françoise Rojare, découvert grâce à Christian Rosset lors de nos échanges autour de l’édition du Séquences de Varlez) pouvaient désormais refaire surface.

Les voies dégagées semblaient déjà très riches et suggérèrent immé-diatement de nouvelles pistes de travail. Outre Varlez et Vaughn-James, la partie consacrée à la poésie graphique de la revue Minuit recelait encore nombre d’obscures merveilles, de Joëlle de la Casinière à Michel Vachey. Leur simple évocation révéla que L.L. de Mars était le légataire moral de l’œuvre de ce dernier, cette heureuse coïncidence nous offrant de découvrir puis de décider d’éditer la série inédite Trous Gris. C’est encore suite à ces échanges qu’émergea le nom de Jean-Pierre Marquet. La lecture de son tra-vail, précurseur à de nombreux égards, fut bientôt suivi d’une pre-mière rencontre encourageante.

En parallèle, il nous paraissait nécessaire depuis quelques temps déjà d’envisager une révélation plus sérieuse de l’œuvre de Yan Cong (déjà introduit dans Turkey Comix). Fut ainsi prise la décision d’engager le mouvement avec la publication d’un opuscule de 24 planches, préa-lable à la constitution d’un recueil plus copieux, diversifié et révéla-teur de la richesse de ses approches.

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Alors que la collaboration avec Judith Mall a pris un nouvel essor avec la constitution du sommaire du 3#4 chez The Hoochie Coochie, la volonté d’approcher la question de la bande dessinée dans l’espace trouva dans ses œuvres récentes l’écho idéal à nos réflexions. Un « kit d’installation » à réaliser soi-même sera publié sous forme de portfolio.

La série d’extrapolations graphiques d’Olivier Philipponneau O le Pagicien, réalisée à partir d’une planche matricielle empruntée au M le Magicien de Massimo Mattioli, opère différents mouvements allant de l’augmentation des séquences à la réduction iconique pour finalement aboutir à une bande dessinée radicalement abstraite. Réa-lisée entièrement en gravure, c’est encore la forme du portfolio qui sera privilégiée pour présenter cette série de fac-similés des tirages originaux, chaque planche pouvant aussi être appréciée pour son autonomie propre.

Le rejet de la prédominance du récit romanesque étant au cœur de notre positionnement, Lola, Reine des porcs de Martes Bathori est appelé à rester pour un temps une exception. Au-delà de l’évident brio de cette réalisation, c’est son outrance caractérisée, associée au constat d’isolement éditorial de son prolifique auteur, qui aboutit à notre engagement de publication.

Tandis que J. & E. LeGlatin et Tim Danko sont attendus dès que leurs nouveaux manuscrits seront achevés.

Soit immédiatement un large panel de livres à éditer, d’œuvres à accompagner ou à édifier, déterminant nombre de voies singulières à arpenter.

L’écriture du manifeste inaugural aura quant à lui servi à catalyser nombre de réflexions pour la plupart finalement à peine esquissées ici. Il nous faut ainsi envisager ce premier effort comme le point de départ d’une entreprise plus large, plus développée, plus tranchante

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et mieux assise sur ses positions, pour un projet engageant différents contributeurs qu’il nous reste à mobiliser.

Aussi, alors que nous nous résolvions à écarter de ce texte les inter-minables listes de travaux marginaux mais emblématiques que nous souhaitions mettre en lumière — aussi pour éclairer notre propos —, l’idée d’une conséquente anthologie (repoussée aux débuts de notre réflexion) permettant d’en présenter au moins des extraits, s’est réim-posée avec force. Illustrant par la pratique nos partis pris, elle se vou-dra comme une histoire secrète et subjective des formes bâtardes que nous aimons lire comme de potentielles bandes dessinées, autant que comme une invitation à voir s’adjoindre à notre mouvement nombre d’auteurs contemporains confidentiels et dispersés.

Enfin, une fois lancé ce conséquent programme et à condition que notre assise future nous le permette, nous pourrons songer à travailler sur quelques-uns des importants manques patrimoniaux et internationaux pour une série de projets ignorés (Bourjaly & Schneebaum , les petits grands livres de Tony Millionnaire), réputés commercialement suici-daires (Jerry Moriarty, Al Columbia, Pushwagner, Gérald Poussin), voire carrément impossibles (Yoshiharu Tsuge, Brian Chippendale).

Charte graphique, fabrication, politique commerciale

Hantée par les fantômes des maquettes littéraires du Seuil des années 1950 et de celles, plus récentes, de L’Œil du serpent, la charte de notre catalogue s’est établie en s’appuyant sur la charge graphique singu-lière de chaque projet, faisant figurer une image seule en première de couverture, invitant à la consultation par le renvoi du texte en quatrième, selon l’ajout d’un cadre imprimé sur un fond noir et uni.

Afin que cette idée d’une maison incarnée soit pleinement efficiente via son image, cette charte a été envisagée loin des canons de l’édi-tion de bande dessinée mais aussi de manière très contrainte, tout en

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préservant une petite série de paramètres modulables, afin que chaque ouvrage bénéficie d’un espace ouvert, nécessaire à valoriser les spéci-ficités de chaque auteur.

Il s’est agi d’instaurer un rapport de curiosité et de confiance avec le lecteur, d’attirer un public a priori pas forcément favorable à la bande dessinée. De manifester un amour affirmé en faveur de la matéria-lité du livre par la sélection de papiers, les variations de formats et l’exploitation des potentialités de la fabrication.

Nos recherches se sont orientées avec l’ambition d’approcher la bibliophilie tout en privilégiant les circuits courts, en prenant garde aux contraintes d’une rationalité économique d’autant plus criante que le lancement d’Adverse ne bénéficie d’aucun financement autre que la souscription et que nous souhaitons que notre catalogue reste financièrement abordable.

Pour y répondre, il nous aura fallu concevoir un modèle reposant sur la plus grande autonomie possible. Bénéficiant d’un accès libre à une imprimante numérique de qualité grâce au généreux accueil d’Artgrafik à Royan, la totalité de l’impression et du façonnage des six premiers ouvrages aura ainsi été assurée sans intermédiaire, essentiellement à la main, réduisant l’investissement de manière dras-tique (l’héritage du fanzine). Tandis que de substantielles économies d’échelles ont été rendues possibles par la mise en place d’un partena-riat commercial avec le papetier Fedrigoni. La politique commerciale assumera quant à elle les pistes dégagées dans notre analyse et notre implication sur le terrain de la diffusion nous permettra de défendre nos positions quant à la vente ferme — un impératif structurel étant donné notre économie, les caractéris-tiques de fabrication des livres et leur tirage (500 exemplaires pour chaque publication) — directement avec les libraires. Associés à la structure de diffusion-distribution Serendip Livres, nous participe-rons qui plus est à la commercialisation des livres de l’ensemble de

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leurs catalogues — aux rangs desquels figurent quelques structures amies —, avec la contrepartie de conditions favorables plutôt qu’en échange d’un salaire coûteux.

Enfin, c’est grâce à la plateforme en ligne Livre-Avenir — interface de réflexion, d’échanges et de solutions communautaires autour des pratiques éditoriales marginales — que nous avons pu mettre en place une page internet de présentation de la maison et de souscrip-tion en ligne pour les premiers ouvrages, contournant ainsi les sites de crowdfunding indésirables et engageant dans le même temps un pre-mier mouvement d’association à un projet nécessaire.

Sans cette heureuse constellation d’expériences et de savoir-faire, de goûts transgressifs et de choix transversaux, sans l’impérieux désir de partager tant de livres fiévreux, point d’Adverse.

L’équilibre est fragile.

Octobre — décembre 2015

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Remerciements :

Jérôme LeGlatin, L.L. de Mars, Sylvain Lamy, Johanne Nicolas, Olivier Philipponneau, Raphaële Enjary, Églantine Ruault, Yves Ménard, Carmela Chergui, Yvan Algabé, Gilles Klein, Romain Mollica, Michel Thomas, Loren Capelli, Fernand Pavilllon, Jean-François Piet.

Ce “nous” vous est adressé.

B.O. : Borbetomagus, Incapacitants, Otomo Yoshihide, Masayuki ‘Jojo’ Takayanagi, Michael Pisaro, Jürg Frey.

Table des illustrations :

Couverture (recto) : Matti HagelbergCouverture (verso) : Guillaume ChailleuxP. 1 : Martes BathoriP. 2 : L.L. de MarsP. 4 : Françoise RojareP. 8 : C. de TrogoffP. 21 : Loïc LargierP. 26 : Yan CongP. 33 : Robert VarlezP. 40 : Michel Vachey

Achevé d’imprimer en janvier 2016 chez Artgrafik à Vaux-sur-mer sur papiers Fedrigoni Ispira nero mystero 250, Soho Freelife Cento 100 et X-PER P.W. 250

Dépot légal à parutionTous droits réservés979-10-95922-00-1 6 €

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Alexandre Balcaen

ADVERSE

manifeste