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IMPRESSIONS GENERALES
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Notre premire tourne spirite, qui eut lieu en 1860, se borna Lyon et
quelques villes qui se trouvaient sur notre route. L'anne suivante nous
ajoutmes Bordeaux notre itinraire, et cette anne-ci, outre ces deux
villes principales, durant un voyage de sept semaines et un parcours de
six-cent-quatre-vingt-treize lieues, nous avons visit une vingtaine de
localits et assist plus de cinquante runions. Notre but n'est point de
faire un rcit anecdotique de notre excursion ; nous en avons recueillitous les pisodes qui, un jour peut-tre, ne seront pas sans intrt, car ce
sera de l'histoire ; mais aujourd'hui nous nous bornons rsumer les
observations que nous avons faites sur l'tat de la doctrine, et porter
la connaissance de tous les instructions que nous avons donnes dans les
diffrents centres. Nous savons que les vrais Spirites le dsirent, et nous
tenons plus les satisfaire que ceux qui ne cherchent que la distraction ;
d'ailleurs, dans ce rcit, notre amour-propre serait trop souvent intress,
et c'est un motif prpondrant pour nous de nous abstenir ; c'est aussi laraison qui nous empche de publier les nombreux discours qui nous ont
t adresss, mais que nous conservons comme de prcieux souvenirs.
Ce que nous ne pourrions nous empcher de constater sans ingratitude,
c'est l'accueil si bienveillant et si sympathique que nous avons reu, et
qui et suffi pour nous ddommager de nos fatigues. Nous devons
particulirement des remerciements aux Spirites de Provins, Troyes,
Sens, Lyon, Avignon, Montpellier, Cette, Toulouse, Marmande, Albi,
Sainte-Gemme, Bordeaux, Royan, Meschers-sur-Garonne, Marennes, St-Pierre d'Olron, Rochefort, St-Jean d'Angly, Angoulme, Tours et
Orlans, et tous ceux qui n'ont pas recul devant un voyage de dix et
vingt lieues pour venir nous rejoindre dans les villes o nous nous
sommes arrt. Cet accueil et vraiment t capable de nous donner de
l'orgueil si nous n'avions considr que ces dmonstrations s'adressaient
bien moins nous qu' la doctrine dont elles constatent le crdit, puisque
sans elle nous ne serions rien et l'on ne penserait pas nous.
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aujourd'hui, plusieurs villes ont des runions presque exclusivement
composes de membres du barreau, de la magistrature et de
fonctionnaires ; l'aristocratie fournit aussi son contingent d'adeptes,
mais, jusqu' prsent, ils se contentent d'tre sympathiques et se
runissent peu, en France du moins ; les runions de ce genre se voient
plutt en Espagne, en Russie, en Autriche et en Pologne, o le Spiritisme
a des reprsentants clairs dans les rangs les plus levs.
Un fait plus important encore peut-tre que le nombre est ressorti de
nos observations, c'est le point de vue srieux sous lequel on envisage la
doctrine ; partout on en recherche, nous pouvons dire avec avidit, le
ct philosophique, moral et instructif; nulle part nous n'avons vu en
faire un sujet d'amusement ni rechercher les expriences comme sujet dedistraction ; partout les questions futiles et de curiosit sont cartes.
La plupart des groupes sont trs bien dirigs ; beaucoup mme le sont
d'une manire remarquable et avec la connaissance des vrais principes de
la science. Tous sont unis d'intention avec la socit de Paris et n'ont
d'autre drapeau que les principes enseigns par le Livre des Esprits.
Il y rgne gnralement un ordre et un recueillement parfaits ; nous en
avons vu Lyon et Bordeaux, composs habituellement de cent deux
cents personnes dont la tenue ne serait pas plus difiante dans une glise.C'est Lyon qu'a eu lieu la runion gnrale la plus importante, elle se
composait de plus de six cents dlgus des diffrents groupes, et tout
s'y est admirablement pass.
Ajoutons que nulle part les runions n'ont prouv la moindre
opposition, et nous devons des remerciements aux autorits civiles pour
les marques de bienveillance dont nous avons t l'objet en plusieurs
circonstances.
Les mdiums se multiplient galement, et il y a peu de groupes qui
n'en possdent plusieurs, sans parler de la quantit bien plus
considrable de ceux qui n'appartiennent aucune runion, et n'usent de
leur facult que pour eux et leurs amis ; dans le nombre, il en est d'une
grande supriorit comme crivains propres aux diffrents genres ; ceux
qui dominent sont les mdiums moralistes, peu amusants pour les
curieux, qui feront bien d'aller chercher des distractions ailleurs que dans
les runions spirites srieuses. Lyon a plusieurs mdiums dessinateursremarquables ; un mdium peintre l'huile qui n'a jamais appris ni le
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dessin ni la peinture et plusieurs mdiums voyants dont nous avons pu
constater la facult. A Marennes, il y a aussi une dame mdium
dessinateur, qui est en mme temps trs bon mdium crivain pour les
dissertations et les vocations. A Saint-Jean d'Angly, nous avons vu un
mdium mcanique qu'on peut regarder comme exceptionnel ; c'est une
dame qui crit de longues et belles communications tout en lisant son
journal ou en faisant la conversation et sans regarder sa main. Il lui
arrive mme quelquefois de ne pas s'apercevoir quand elle a fini. Les
mdiums illettrs sont assez nombreux, et l'on en voit souvent qui
crivent sans avoir jamais appris crire ; cela n'est pas plus tonnant
que de voir un mdium dessiner sans avoir appris le dessin. Mais ce qui
est caractristique, c'est la diminution vidente des mdiums effets
physiques, mesure que se multiplient les mdiums
communications intelligentes ; c'est que, comme l'ont dit les Esprits, la
priode de la curiosit est passe, et que nous sommes dans la seconde
priode qui est celle de la philosophie. La troisime, qui commencera
avant peu, sera celle de l'application la rforme de l'humanit.
Les Esprits, qui conduisent fort sagement les choses, ont voulu d'abord
appeler l'attention sur ce nouvel ordre de phnomnes et prouver la
manifestation des tres du monde invisible ; en piquant la curiosit, ils sesont adresss tout le monde, tandis qu'une philosophie abstraite
prsente au dbut n'et t comprise que d'un petit nombre, et l'on en
et difficilement admis l'origine ; en procdant par gradation, ils ont
montr ce qu'ils pouvaient faire. Mais comme, en dfinitive, les
consquences morales taient le but essentiel, ils ont pris le ton srieux
quand ils ont jug suffisant le nombre des personnes dispos les
couter, s'inquitant peu des rcalcitrants. Maintenant, quand la science
Spirite sera solidement constitue, quand elle aura t complte etdgage de toutes les ides systmatiques errones qui tombent chaque
jour devant un examen srieux, ils s'occuperont de son tablissement
universel par des moyens puissants ; en attendant, ils sment l'ide par
tout le monde, afin que, lorsque le moment sera venu, elle trouve partout
des jalons, et ils sauront bien alors surmonter tous les obstacles, car que
peuvent contre eux et contre la volont de Dieu, les obstacles humains ?
Cette marche rationnelle et prudente se montre en tout, mme dans
l'enseignement de dtail, qu'ils graduent et proportionnent selon les
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temps, les lieux et les habitudes des hommes ; une lumire clatante et
subite n'claire pas, elle blouit ; aussi les Esprits ne l'ont-ils prsente
que petit petit. Quiconque suit le progrs de la science Spirite reconnat
qu'elle grandit en importance mesure qu'elle pntre de plus profonds
mystres ; elle aborde aujourd'hui des ides dont on ne se doutait pas il y
a quelques annes, et elle n'a pas dit son dernier mot, car elle nous
rserve bien d'autres rvlations.
Nous avons reconnu cette marche progressive del'enseignement par
la nature des communications obtenues dans les diffrents groupes que
nous avons visits, compares celles d'autrefois ; elles ne se
distinguent pas seulement par leur tendue, leur ampleur, la facilit de
l'obtention et la haute moralit, mais surtout par la nature des ides qui ysont traites, et le sont quelquefois d'une manire magistrale. Cela
dpend sans doute beaucoup du mdium, mais ce n'est pas tout ; il ne
suffit pas d'avoir un bon instrument, il faut un bon musicien pour en tirer
de beaux sons, et il faut ce musicien des auditeurs capables de le
comprendre et de l'apprcier, autrement il ne se donnerait pas la peine de
jouer devant des sourds.
Ce progrs, du reste, n'est pas gnral ; abstraction faite des mdiums,
nous l'avons constamment vu en rapport avec le caractre des groupes ;
il atteint son plus grand dveloppement dans ceux o rgnent, avec la foi
la plus vive, les sentiments les plus purs, le dsintressement moral le
plus absolu, les Esprits sachant trs bien o ils peuvent placer leur
confiance pour les choses qui ne peuvent tre comprises de tout le
monde. Dans ceux qui se trouvent dans de moins bonnes conditions,
l'enseignement est bon, toujours moral, mais se renferme plus
gnralement dans les banalits.
Par dsintressement moral, nous entendons l'abngation, l'humilit,
l'absence de toute prtention orgueilleuse, de toute pense de domination
l'aide du Spiritisme. Il serait superflu de parler du dsintressement
matriel, parce que cela va de source, et en outre parce que nous avons
vu partout une rpulsion instinctive contre toute ide de spculation, qui
serait regarde comme un sacrilge. Les mdiums intresss et de
profession sont inconnus partout o nous sommes alls, l'exception
d'une seule ville qui en compte quelques-uns. Celui qui, Bordeaux ouailleurs, ferait mtier de sa facult, n'inspirerait aucune confiance ; bien
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C'est sans doute beaucoup de croire, mais la croyance seule est
insuffisante si elle n'amne pas de rsultats, et il y en a malheureusement
beaucoup dans ce cas, c'est--dire pour qui le Spiritisme n'est qu'un fait,
une belle thorie, une lettre morte qui n'amne en eux aucun changement
ni dans leur caractre, ni dans leurs habitudes ; mais ct des Spirites
simplement croyants ou sympathiques l'ide, il y a les Spirites de
coeur, et nous sommes heureux d'en avoir rencontr beaucoup. Nous
avons vu des transformations qu'on peut dire miraculeuses ; nous avons
recueilli d'admirables exemples de zle, d'abngation et de dvouement,
de nombreux traits de charit vraiment vanglique, qu'on pourrait
juste titre appeler : Beaux traits du Spiritisme. Aussi les runions
exclusivement composes de vrais et sincres Spirites, de ceux en qui
parle le coeur, prsentent-elles un aspect tout spcial ; toutes les
physionomies refltent la franchise et la cordialit ; on se sent l'aise
dans ces milieux sympathiques, vrais temples de la fraternit. Les Esprits
s'y plaisent autant que les hommes, et c'est l qu'ils sont le plus
expansifs, qu'ils donnent leurs instructions intimes. Dans celles, au
contraire, o il y a divergence dans les sentiments, o les intentions ne
sont pas toutes pures, o l'on voit le sourire sardonique et ddaigneux
sur certaines lvres, o l'on sent le souffle du mauvais vouloir et del'orgueil, o l'on craint chaque instant de marcher sur le pied de la
vanit blesse, il y a toujours gne, contrainte et dfiance. L, les Esprits
sont eux-mmes plus rservs, et les mdiums souvent paralyss par
l'influence des mauvais fluides qui psent sur eux comme un manteau de
glace. Nous avons eu le bonheur d'assister de nombreuses runions de
la premire catgorie, et nous avons inscrit avec joie ces sances sur nos
tablettes comme un des plus agrables souvenirs qui nous soient rests
de notre voyage. Les runions de cette nature se multiplieront sans aucundoute mesure que le vritable but du Spiritisme sera mieux compris ;
ce sont aussi celles qui font la plus solide et la plus fructueuse
propagande, parce qu'elles s'adressent aux gens srieux, et qu'elles
prparent la rforme morale de l'humanit en prchant d'exemple.
Il est remarquable que les enfants levs dans ces ides ont une raison
prcoce qui les rend infiniment plus faciles gouverner ; nous en avons
vu beaucoup, de tout ge et des deux sexes, dans les diverses familles
spirites o nous avons t reu, et nous avons pu le constater par nous-
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mmes. Cela ne leur te ni la gaiet naturelle, ni l'enjouement ; mais il
n'y a pas chez eux cette turbulence, cette opinitret ces caprices qui en
rendent tant d'autres insupportables ; ils ont, au contraire, un fonds de
docilit, de douceur et de respect filial qui les porte obir sans effort, et
les rend plus studieux ; c'est ce que nous avons remarqu, et cette
observation nous a t gnralement confirme. Si nous pouvions
analyser ici les sentiments que ces croyances tendent dvelopper en
eux, on concevrait aisment le rsultat qu'ils doivent produire ; nous
dirons seulement que la conviction qu'ils ont de la prsence de leurs
grands-parents qui sont l, ct d'eux, et peuvent sans cesse les voir,
les impressionne bien plus vivement que la peur du diable, auquel ils
finissent bientt par ne plus y croire, tandis qu'ils ne peuvent douter de
ce dont ils sont tmoins tous les jours dans le sein de la famille. C'est
donc une gnration spirite qui s'lve, et qui va sans cesse
s'augmentant. Ces enfants, leur tour, levant leurs enfants dans ces
principes, tandis que les vieux prjugs s'en vont avec les vieilles
gnrations, il est vident que l'ide spirite sera un jour la croyance
universelle.
Un fait non moins caractristique de l'tat actuel du Spiritisme, c'est le
dveloppement du courage de l'opinion. S'il est encore des adeptesretenus par la crainte, le nombre en est vraiment bien peu considrable
aujourd'hui ct de ceux qui avouent hautement leurs croyances et ne
craignent pas plus de se dire Spirites que de se dire catholiques, juifs ou
protestants. L'arme du ridicule a fini par s'mousser force de frapper
sans faire brche, et devant tant de personnes notables qui arborent
hautement la nouvelle philosophie, elle a d s'abaisser. Une seule arme
reste encore suspendue : c'est l'ide du diable ; mais c'est le ridicule lui-
mme qui en fait justice. Du reste, ce n'est pas seulement ce genre decourage que nous avons remarqu, c'est aussi celui de l'action, du
dvouement et du sacrifice, c'est--dire de ceux qui se mettent
rsolument la tte du mouvement des ides nouvelles dans certaines
localits, en payant de leur personne et en bravant les menaces et les
perscutions. Ils savent que, si les hommes leur font du mal dans cette
courte vie, Dieu ne les oubliera pas.
L'obsession est, comme on le sait, un des grands cueils du
Spiritisme ; nous ne pouvions donc ngliger un point aussi capital. Nous
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avons recueilli ce sujet d'importantes observations qui feront l'objet
d'un article spcial de la Revue, dans lequel nous parlerons des possds
de Morzine, que nous avons aussi t visiter dans la Haute Savoie. Nous
dirons seulement ici que les cas d'obsession sont trs rares chez ceux qui
ont fait une tude pralable et attentive du Livre des Mdiums et se sont
identifis avec les principes qu'il renferme, parce qu'ils se tiennent sur
leurs gardes, piant les moindres signes qui pourraient trahir la prsence
d'un Esprit suspect. Nous avons vu quelques groupes qui sont
videmment sous une influence abusive, parce qu'ils s'y complaisent et y
donnent prise par une confiance trop aveugle et certaines dispositions
morales ; d'autres, au contraire, ont une telle crainte d'tre abuss qu'ils
poussent la dfiance pour ainsi dire l'excs, scrutant avec un soinmticuleux toutes les paroles et toutes les penses, prfrant rejeter ce
qui est douteux que de s'exposer admettre ce qui serait mauvais ; aussi
les Esprits trompeurs, voyant qu'ils n'ont rien faire l, finissent par s'en
aller, et vont se ddommager auprs de ceux qu'ils savent moins
difficiles, et o ils trouvent quelques faiblesses et quelques travers
d'esprit exploiter. L'excs en tout est nuisible ; mais en pareil cas, il
vaut encore mieux pcher par trop de prudence que par trop de
confiance.Un autre rsultat de notre voyage a t de nous permettre de juger
l'opinion concernant certaines publications qui s'cartent plus ou moins
de nos principes, et dont quelques-unes mme y sont franchement
hostiles.
Disons tout d'abord que nous avons rencontr une approbation
unanime pour notre silence l'gard des attaques qui nous sont
personnelles, et que nous recevons journellement des lettres de
flicitation ce sujet. Dans plusieurs des discours qui ont t prononcs,
on a hautement applaudi notre modration ; l'un d'eux, entre autres,
contient le passage suivant : La malveillance de vos ennemis produit
un effet tout contraire ce qu'ils en attendent, c'est de vous grandir
encore aux yeux de vos nombreux disciples et de resserrer les liens qui
les unissent vous ; par votre indiffrence vous montrez que vous avez
le sentiment de votre force. En opposant la mansutude aux injures, vous
donnez un exemple dont nous saurons profiter. L'histoire, cher matre,comme vos contemporains, et mieux encore qu'eux, vous tiendra compte
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de cette modration quand elle constatera, par vos crits, qu'aux
provocations de l'envie et de la jalousie, vous n'avez oppos que la
dignit du silence. Entre eux et vous, la postrit sera juge.
Les attaques personnelles ne nous ont jamais mu ; il aurait pu en treautrement de celles qui sont diriges contre la doctrine. Nous avons
quelquefois rpondu directement certains critiques quand cela nous a
paru ncessaire, et afin de prouver qu'au besoin nous pouvions relever
un gant. Nous l'eussions fait plus souvent, si nous avions vu que ces
attaques portaient un prjudice rel au Spiritisme, mais quand il a t
prouv par les faits que, loin de lui nuire, elles servaient sa cause, nous
avons admir la sagesse des Esprits employant ses ennemis mme pour
le propager, et faire, la faveur du blme, pntrer l'ide dans desmilieux o elle ne futjamais entre par l'loge. C'est un fait que notre
voyage a constat pour nous d'une manire premptoire, car, dans ces
mmes milieux, il a recrut plus d'un partisan. Quand les choses vont
toutes seules, pourquoi donc s'escrimer combattre des attaques sans
porte ? Quand une arme voit que les balles de l'ennemi ne l'atteignent
pas, elle le laisse tirer tout son aise et user ses munitions, bien certaine
d'en avoir meilleur march aprs. En pareil cas, le silence est souvent
une feinte ; l'adversaire auquel on ne rpond pas croit n'avoir pas frappassez fort ou n'avoir pas trouv le point vulnrable ; alors, confiant dans
un succs qu'il croit facile, il se dcouvre et se coule lui-mme ; une
riposte immdiate l'et mis sur ses gardes. Le meilleur gnral n'est pas
celui qui se jette corps perdu dans la mle, mais celui qui sait attendre
et voir venir. C'est ce qui est arriv quelques-uns de nos antagonistes ;
en voyant la voie o ils s'engageaient, il tait certain qu'ils s'y
enfonceraient de plus en plus ; nous n'avons eu qu' les laisser faire ; ils
ont bien plus et plus tt discrdit leurs systmes par leurs propresexagrations, que nous n'eussions pu le faire par nos arguments.
Pourtant, disent de soi-disant critiques de bonne foi, nous ne
demanderions pas mieux que de nous clairer, et si nous attaquons, ce
n'est point par hostilit de parti pris, ni mauvais vouloir, mais pour que
de la discussion jaillisse la lumire. Parmi ces critiques, il en est
assurment de sincres ; mais il est remarquer que ceux qui n'ont en
vue que les questions de principes discutent avec calme et ne s'cartent
jamais des convenances ; or, combien y en a-t-il ? Que contiennent la
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que notre silence est une preuve de notre impuissance rpondre ; d'o
elles concluent que nous sommes bien et dment battus, foudroys et
pourfendus. Qu'est-ce que cela nous fait, puisque nous ne nous en
portons pas plus mal ? Ces crits ont-ils fait diminuer le nombre des
Spirites ? Non. Notre rponse et-elle converti ces personnes ? Non. Il
n'y avait donc aucune urgence les rfuter ; il y avait avantage au
contraire, les laisser jeter leur premier feu.
Quand Sophocle fut accus par ses enfants, qui demandaient son
interdiction pour cause de clmence, il fit Oedipe, et sa cause fut gagne.
Nous ne sommes pas capables de faire un Oedipe, mais d'autres se
chargent de rpondre pour nous : notre diteur d'abord, en mettant sous
presse la neuvime dition du Livre des Esprits (la premire est de1857) et la quatrime du Livre des Mdiums en moins de deux ans ; les
abonns de la Revue Spirite en doublant de nombre et en nous mettant
dans la ncessit de faire une nouvelle rimpression des annes
antrieures, deux fois puises ; la Socit Spirite de Paris, en voyant
crotre son crdit ; les Spirites, en se dcuplant d'anne en anne et en
fondant de toutes parts, en France et l'tranger, des runions sous le
patronage et d'aprs les principes de la Socit de Paris ; le Spiritisme
enfin, en courant le monde, consolant les affligs, soutenant les couragesabattus, semant l'esprance la place du dsespoir, la confiance en
l'avenir la place de la crainte. Ces rponses en valent bien d'autres,
puisque ce sont les faits qui parlent. Mais, comme un coursier rapide, le
Spiritisme soulve sous ses pieds la poussire de l'orgueil, de l'gosme,
de l'envie et de la jalousie, renversant sur son passage l'incrdulit, le
fanatisme, les prjugs, et appelant tous les hommes la loi du Christ,
c'est--dire la charit, la fraternit. Vous qui trouvez qu'il va trop
vite, que ne l'arrtez-vous, ou mieux, que n'allez-vous plus vite que lui ?Le moyen de lui barrer le passage est bien simple : faites mieux que lui ;
donnez plus qu'il ne donne ; rendez les hommes meilleurs, plus heureux,
plus croyants qu'il ne le fait, et on le quittera pour vous suivre ; mais tant
que vous ne l'attaquerez que par des mots et non par des rsultats plus
moraux, qu' la charit qu'il enseigne vous ne substituerez pas une
charit plus grande, il faudra vous rsigner le laisser passer. C'est que
le Spiritisme n'est pas seulement une question de faits plus ou moins
intressants ou authentiques, pour amuser les curieux ; c'est par-dessus
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tout une question de principes ; il est fort surtout par ses consquences
morales ; il se fait accepter, moins en frappant les yeux qu'en
touchant le coeur ; touchez le coeur plus que lui, et vous vous ferez
accepter ; or, rien ne touche moins le coeur et la raison que l'acrimonie et
les injures.
Si tous nos partisans taient groups autour de nous, on pourrait y voir
une coterie, mais il n'en saurait tre ainsi des milliers d'adhsions qui
nous arrivent de tous les points du globe, de la part de gens que nous
n'avons jamais vus et qui ne nous connaissent que par nos crits. Ce sont
l des faits positifs, qui ont la brutalit des chiffres, et qu'on ne peut
attribuer ni aux effets de la rclame ni la camaraderie du journalisme ;
donc si les ides que nous professons, et dont nous ne sommes que letrs humble diteur responsable, rencontrent de si nombreuses
sympathies, c'est qu'on ne les trouve pas trop dpourvues de sens
commun.
Bien que l'utilit de la rfutation que nous avons annonce ne nous
soit plus aujourd'hui clairement dmontre, les attaques se rfutant
d'elles-mmes par l'insignifiance de leurs rsultats, tandis que les adeptes
ne se comptent plus, nous le ferons nanmoins ; mais les observations
que nous avons faites en voyage ont modifi notre plan, car il y a bien
des choses qui deviennent inutiles, tandis que de nouvelles ides nous
ont t suggres. Nous tcherons que ce travail retarde le moins
possible les travaux bien autrement importants qui nous restent faire
pour accomplir l'oeuvre que nous avons entreprise.
En rsum, notre voyage avait un double but : donner des instructions
o cela pouvait tre ncessaire, et nous instruire nous-mme en mme
temps. Nous tenions voir les choses par nos propres yeux, pour jugerl'tat rel de la doctrine et la manire dont elle est comprise ; tudier
les causes locales favorables ou dfavorables ses progrs, sonder les
opinions, apprcier les effets de l'opposition et de la critique, et
connatre le jugement que l'on porte sur certains ouvrages. Nous tions
dsireux surtout d'aller serrer la main de nos frres Spirites, et de leur
exprimer personnellement notre bien sincre et bien vive sympathie en
retour de celle dont ils nous donnent de si touchantes preuves par leurs
lettres ; de donner, au nom de la Socit de Paris et au ntre enparticulier, un tmoignage spcial de gratitude et d'admiration ces
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pionniers de l'oeuvre qui, par leur initiative, leur zle dsintress et leur
dvouement en sont les premiers et les fermes soutiens, marchant
toujours en avant sans s'inquiter des pierres qu'on leur jette, et mettant
l'intrt de la cause avant leur intrt personnel. Leur mrite est d'autant
plus grand qu'ils travaillent dans un sol plus ingrat, vivent dans un
milieu plus rfractaire, et n'en attendent en ce monde ni fortune, ni
gloire, ni honneur ; mais aussi leur joie est grande quand parmi les
ronces ils voient s'panouir quelques fleurs. Un jour viendra o nous
serons heureux d'lever un panthon aux dvouements Spirites, en
attendant que les matriaux en soient rassembls, nous voulons leur
laisser le mrite de la modestie : ils se font connatre et apprcier par
leurs oeuvres.
A ces divers points de vue, notre voyage a t trs satisfaisant et
surtout trs instructif par les observations que nous avons recueillies. S'il
pouvait rester quelques doutes sur l'irrsistibilit de la marche de la
doctrine et l'impuissance des attaques, sur son influence moralisatrice,
sur son avenir, ce que nous avons vu suffirait pour les dissiper. Il y a
certainement encore beaucoup faire, et dans beaucoup d'endroits elle
ne pousse que des rejetons pars, mais ces rejetons sont vigoureux et
donnent dj des fruits. Sans doute la rapidit avec laquelle se propagentles ides spirites est prodigieuse et sans exemple dans les fastes des
philosophies, mais nous ne sommes qu'au commencement de la route, et
il reste encore faire la plus grande partie du chemin. Que la certitude
d'atteindre le but soit donc pour tous les Spirites un encouragement
persvrer dans la voie qui leur est trace.
Nous publions ci-aprs le discours principal que nous avons prononc
dans les grandes runions de Lyon, de Bordeaux, et de quelques autres
villes. Nous le faisons suivre des instructions particulires donnes,
selon les circonstances, dans les groupes particuliers, en rponse
quelques-unes des questions qui nous ont t adresses.
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DISCOURS
prononc dans lesREUNIONS GENERALES DES SPIRITES
DE LYON ET DE BORDEAUX
I
Messieurs et chers frres Spirites,
Vous n'tes plus des coliers en Spiritisme ; je laisserai donc
aujourd'hui de ct les dtails pratiques, sur lesquels j'ai t mme de
reconnatre que vous tes suffisamment clairs, pour envisager la
question sous un aspect plus large et surtout dans ses consquences. Ce
ct de la question est grave, le plus grave, sans contredit, puisqu'il
montre le but o tend la doctrine et les moyens de l'atteindre. Je serai un
peu long peut-tre, car le sujet est bien vaste, et pourtant il resteraitencore beaucoup dire pour le complter ; aussi rclamerai-je votre
indulgence en considration de ce que, ne pouvant rester que peu de
temps avec vous, je suis forc de dire en une seule fois ce qu'autrement
j'aurais pu rpartir en plusieurs.
Avant d'aborder le ct principal du sujet, je crois devoir l'examiner
un point de vue qui m'est en quelque sorte personnel. Si pourtant ce ne
devait tre qu'une question individuelle, assurment je n'en ferais rien ;
mais il s'y rattache plusieurs questions gnrales d'o peut ressortir une
instruction pour tout le monde ; c'est le motif qui m'a dtermin,
saisissant ainsi l'occasion d'expliquer la cause de certains antagonismes
qu'on s'tonne de rencontrer sur ma route.
Dans l'tat actuel des choses ici-bas, quel est l'homme qui n'a pas
d'ennemis ? Pour n'en pas avoir, il faudrait n'tre pas sur la terre, car c'est
la consquence de l'infriorit relative de notre globe et de sa destination
comme monde d'expiation. Suffit-il pour cela de faire le bien ? Hlas !non ; le Christ n'est-il pas l pour le prouver ? Si donc le Christ, la bont
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par excellence, a t en butte tout ce que la mchancet peut imaginer,
faut-il s'tonner qu'il en soit de mme l'gard de ceux qui valent cent
fois moins ?
L'homme qui fait le bien - ceci dit en thse gnrale - doit doncs'attendre trouver de l'ingratitude, avoir contre lui ceux qui, ne le
faisant pas, sont jaloux de l'estime accorde ceux qui le font ; les
premiers, ne se sentant pas la force de s'lever, cherchent rabaisser les
autres leur niveau, tenir, par la mdisance ou la calomnie, ce qui les
offusque. On entend souvent dire dans le monde que l'ingratitude dont
on est pay endurcit le coeur et rend goste ; parler ainsi, c'est prouver
qu'on a le coeur facile endurcir, car cette crainte ne saurait arrter
l'homme vraiment bon. La reconnaissance est dj une rmunration dubien que l'on fait ; ne le faire qu'en vue de cette rmunration, c'est le
faire par intrt. Et puis, qui sait si celui qu'on oblige et dont on
n'attendait rien ne sera pas ramen de meilleurs sentiments par de bons
procds ? C'est peut-tre un moyen de le faire rflchir, d'adoucir son
me, de le sauver ! Cet espoir est une noble ambition ; si l'on est du,
on n'en aura pas moins fait ce qu'on doit.
Il ne faut pas croire, pourtant, qu'un bienfait demeur strile sur la
terre soit toujours improductif ; c'est souvent une graine seme qui negerme que dans la vie future de l'oblig. Nous avons souvent observ
des Esprits, ingrats comme hommes, tre touchs, comme Esprits, du
bien qu'on leur avait fait, et ce souvenir, en rveillant en eux de bonnes
penses, leur a facilit la voie du bien et du repentir, et contribu
abrger leurs souffrances. Le Spiritisme seul pouvait nous rvler ce
rsultat de la bienfaisance ; lui seul il tait donn, par les
communications d'outre-tombe, de montrer le ct charitable de cette
maxime : Un bienfait n'est jamais perdu, au lieu du sens goste qu'on
lui attribue. Mais revenons ce qui me concerne.
Toute autre question personnelle part, j'ai d'abord des adversaires
naturels dans les ennemis du Spiritisme. Ne croyez pas que je m'en
chagrine : loin de l ; plus leur animosit est grande, plus elle prouve
l'importance que prend la doctrine leurs yeux ; si c'tait une chose sans
consquence, une de ces utopies qui ne sont pas nes viables, ils n'y
feraient pas attention, ni moi non plus. Ne voyez-vous pas des crits,bien autrement hostiles que les miens aux ides reues, o les
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expressions ne sont pas plus mnages que la hardiesse des penses, et
dont cependant ils ne disent pas un mot ? Il en serait de mme des
doctrines que j'ai cherch rpandre si elles fussent restes dans les
feuillets d'un livre. Mais ce qui peut sembler plus tonnant, c'est que j'aie
des adversaires, mme parmi les partisans du Spiritisme ; or, c'est ici
qu'une explication est ncessaire.
Parmi ceux qui adoptent les ides spirites, il y a, comme vous le savez,
trois catgories bien distinctes :
1. Ceux qui croient purement et simplement aux phnomnes des
manifestations, mais n'en dduisent aucune consquence morale ;
2. Ceux qui voient le ct moral, mais l'appliquent aux autres et non
eux ;
3. Ceux qui acceptent pour eux-mmes toutes les consquences de la
doctrine, qui en pratiquent ou s'efforcent d'en pratiquer la morale. Ceux-
l, vous le savez aussi, sont les VRAIS SPIRITES, les SPIRITES
CHRETIENS. Cette distinction est importante, parce qu'elle explique
bien des anomalies apparentes ; sans cela, il serait difficile de se rendre
compte de la conduite de certaines personnes. Or, que dit cette morale ?
Aimez-vous les uns les autres ; pardonnez vos ennemis ; rendez le bienpour le mal ; n'ayez ni haine, ni rancune, ni animosit, ni envie, ni
jalousie ; soyez svres pour vous-mmes et indulgents pour les autres.
Tels doivent tre les sentiments d'un Vrai Spirite, de celui qui voit le
fond avant la forme, qui met l'Esprit au-dessus de la matire ; il peut
avoir des ennemis, mais il n'est l'ennemi de personne, parce qu'il n'en
veut personne ; plus forte raison ne cherche-t-il faire de mal
personne. Ceci, comme vous le voyez, messieurs, est un principe gnral
dont tout le monde peut faire son profit. Si donc j'ai des ennemis, ce nepeut tre parmi les Spirites de cette catgorie, car en admettant qu'ils
eussent des sujets lgitimes de plainte contre moi, ce que je m'efforce
d'viter, ce ne serait pas un motif de m'en vouloir, moins forte raison si
je ne leur ai point fait de mal. Le Spiritisme a pour devise : Hors la
charit point de salut ; il est tout aussi vrai de dire : Hors la charit
point de vrais spirites. Je vous engage inscrire dsormais cette double
maxime sur votre drapeau, parce qu'elle rsume la fois le but du
Spiritisme et le devoir qu'il impose.
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Etant donc admis qu'on ne peut tre bon Spirite avec un sentiment de
haine dans le coeur, je me flatte de n'avoir que des amis parmi ces
derniers, parce que si j'ai des torts ils sauront les excuser. Nous verrons
tout l'heure quelles immenses et fertiles consquences conduit ce
principe.
Voyons donc les causes qui ont pu exciter certaines animosits.
Ds que parurent les premires manifestations des Esprits, beaucoup
de personnes y virent un moyen de spculation, une nouvelle mine
exploiter. Si cette ide et suivi son cours, vous auriez vu pulluler
partout des mdiums, ou soi-disant tels, donnant des consultations tant
la sance ; les journaux eussent t couverts de leurs annonces et de
leurs rclames ; les mdiums se fussent transforms en diseurs de bonneaventure, et le Spiritisme et t mis sur la mme ligne que la divination,
la cartomancie, la ncromancie, etc.. Dans ce conflit, comment le public
aurait-il pu discerner la vrit du mensonge ? Le relever de l n'et pas
t chose facile. Il fallait empcher qu'il ne prt cette voie funeste ; il
fallait couper dans sa racine un mal qui l'et retard de plus d'un sicle.
C'est ce que je me suis efforc de faire en montrant, ds le principe, le
ct grave et sublime de cette science nouvelle ; en la faisant sortir de
la voie purement exprimentale pour la faire entrer dans celle de laphilosophie et de la morale ; en montrant enfin ce qu'il y a de
profanation exploiter les mes des morts, alors qu'on entoure leurs
cendres de respect. Par l, et en signalant les invitables abus qui
rsulteraient d'un pareil tat de choses, j'ai contribu, et je m'en glorifie,
discrditer l'exploitation du Spiritisme, et par cela mme amen le
public le considrer comme une chose srieuse et sainte.
Je crois avoir rendu quelques services la cause ; mais n'euss-je faitque cela que je m'en fliciterais. Grce Dieu, mes efforts ont t
couronns de succs, non seulement en France, mais l'tranger ; et je
puis dire que les mdiums de profession sont aujourd'hui de rares
exceptions en Europe ; partout o mes ouvrages ont pntr et
servent de guide, le Spiritisme est envisag sous son vritable point
de vue, c'est--dire sous le point de vue exclusivement moral ; partout
les mdiums, dvous et dsintresss, comprenant la saintet de leur
mission, sont entours de la considration qui leur est due, quelle que
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soit leur position sociale, et cette considration s'accrot en raison mme
de l'infriorit de la position rehausse par le dsintressement.
Je ne prtends nullement dire que parmi les mdiums intresss il ne
puisse s'en trouver de trs honntes et de trs estimables ; maisl'exprience a prouv, moi et bien d'autres, que l'intrt est un
puissant stimulant pour la fraude, parce qu'on veut gagner son argent, et
que si les Esprits ne donnent pas, ce qui arrive souvent, puisqu'ils ne
sont pas notre caprice, la ruse, fconde en expdients, trouve aisment
moyen d'y suppler. Pour un qui agira loyalement, il y en aura cent qui
abuseraient et qui nuiraient la considration du Spiritisme ; aussi les
adversaires n'ont-ils pas manqu d'exploiter au profit de leur critique les
fraudes dont ils ont pu tre tmoins, en en concluant que tout devait trefaux, et qu'il y avait lieu de s'opposer ce charlatanisme d'un nouveau
genre. En vain objecte-t-on que la sainte doctrine n'est pas responsable
des abus ; vous connaissez le proverbe : Quand on veut tuer son chien,
on dit qu'il est enrag .
Quelle rponse plus premptoire peut-on faire l'accusation de
charlatanisme que de pouvoir dire : Qui vous a pri de venir ?
Combien avez-vous pay pour entrer ? Celui qui paye veut tre
servi ; il veut en avoir pour son argent ; si on ne lui donne pas ce qu'il
attend, il a droit de se plaindre ; or, pour viter cela, on veut le servir
tout prix. Voil l'abus, mais cet abus menaant de devenir la rgle au lieu
d'tre l'exception, il a fallu l'arrter ; maintenant que l'opinion est faite
cet gard, le danger n'est craindre que pour les gens inexpriments. A
ceux donc qui se plaindraient d'avoir t dups, ou de n'avoir pas obtenu
les rponses qu'ils dsiraient, on peut dire : Si vous aviez tudi le
Spiritisme, vous auriez su dans quelles conditions il peut tre observ
avec fruit ; quels sont les lgitimes motifs de confiance et de dfiance, ce
qu'on peut en attendre, et vous ne lui auriez pas demand ce qu'il ne peut
donner ; vous n'auriez pas t consulter un mdium comme un tireur de
cartes, pour demander aux Esprits des rvlations, des renseignements
sur des hritages, des dcouvertes de trsors, et cent autres choses
pareilles qui ne sont pas du ressort du Spiritisme ; si vous avez t
induits en erreur, vous ne devez vous en prendre qu' vous-mmes.
Il est bien vident qu'on ne peut considrer comme exploitation lacotisation que paye une socit pour subvenir aux frais de la runion. La
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plus vulgaire quit dit qu'on ne peut imposer ces frais celui qui reoit,
s'il n'est ni assez riche, ni assez libre de son temps pour le faire. La
spculation consiste se faire une industrie de la chose, convoquer le
premier venu, curieux ou indiffrent, pour avoir son argent. Une socit
qui agirait ainsi serait tout aussi rprhensible, plus rprhensible mme
qu'un individu, et ne mriterait pas plus de confiance. Qu'une socit
pourvoie tous ses besoins ; qu'elle subvienne toutes ses dpenses et
ne les laisse pas supporter par un seul, c'est de toute justice, et ce n'est l
ni une exploitation ni une spculation ; mais il n'en serait plus de mme
si le premier venu pouvait acheter le droit d'y entrer en payant, car ce
serait dnaturer le but essentiellement moral et instructif des runions de
ce genre, pour en faire une sorte de spectacle de curiosits. Quant aux
mdiums, ils se multiplient tellement que les mdiums de profession
seraient aujourd'hui compltement superflus.
Telles sont, Messieurs, les ides que je me suis efforc de faire
prvaloir, et je suis heureux d'avoir russi plus facilement que je ne
l'aurais cru ; mais vous comprenez que ceux dont j'ai djou les
esprances ne sont pas de mes amis. Voil donc dj une catgorie qui
ne peut me voir d'un bon oeil, ce dont je m'inquite fort peu. Si jamais
l'exploitation du Spiritisme tentait de s'introduire dans votre ville, jevous invite renier cette nouvelle industrie, afin de n'en point accepter la
solidarit, et que les plaintes auxquelles elle pourrait donner lieu ne
puissent retomber sur la doctrine pure.
A ct de la spculation matrielle, il y a ce qu'on pourrait appeler la
spculation morale, c'est--dire la satisfaction de l'orgueil, de l'amour-
propre ; ceux qui, sans intrt pcuniaire, avaient cru pouvoir se faire du
Spiritisme un marchepied honorifique pour se mettre en vidence. Je ne
les ai pas mieux favoriss, et mes crits, aussi bien que mes conseils, ont
contrecarr plus d'une prmditation, en montrant que les qualits du
vrai Spirite sont l'abngation et l'humilit selon cette maxime du Christ :
Quiconque s'lve sera abaiss . Seconde catgorie qui ne me veut
pas plus de bien et qu'on pourrait appeler celle des ambitions dues et
des amours-propres froisss.
Viennent ensuite les gens qui ne me pardonnent pas d'avoir russi ;
pour qui le succs de mes ouvrages est un crve-coeur ; que lestmoignages de sympathie qu'on veut bien m'accorder empchent de
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dormir. C'est la coterie des jaloux, qui n'est pas plus bienveillante, tant
s'en faut, et qui est renforce de celle des gens qui, par temprament, ne
peuvent voir un homme lever un peu la tte sans tre prt lui tirer
dessus.
Une coterie des plus irascibles, le croiriez-vous, se trouve parmi les
mdiums, non pas les mdiums intresss, mais ceux qui sont trs
dsintresss, matriellement parlant ; je veux parler des mdiums
obsds, ou mieux, fascins. Quelques observations ce sujet ne seront
pas sans utilit.
Par orgueil, ils sont tellement persuads que ce qu'ils obtiennent est
sublime, et ne peut venir que d'Esprits Suprieurs, qu'ils s'irritent de la
moindre observation critique, au point de se brouiller avec leurs amislorsque ceux-ci ont la maladresse de ne pas admirer ce qui est absurde.
L est la preuve de la mauvaise influence qui les domine car, en
supposant que, par un dfaut de jugement ou d'instruction, ils ne vissent
pas clair, ce ne serait pas un motif pour prendre en grippe ceux qui ne
sont pas de leur avis ; mais cela ne ferait pas l'affaire des Esprits
obsesseurs qui, pour mieux tenir le mdium sous leur dpendance, lui
inspirent de l'loignement, de l'aversion mme pour quiconque pourrait
lui ouvrir les yeux.
Il y a ensuite ceux dont la susceptibilit est pousse l'excs ; qui se
froissent de la moindre chose, de la place qu'on leur donne dans une
runion et ne les met pas assez en vidence, de l'ordre assign la
lecture de leurs communications, ou de ce qu'on refuse la lecture de
celles dont le sujet ne parat pas opportun dans une assemble ; de ce
qu'on ne les sollicite pas avec assez d'instances pour donner leur
concours ; d'autres trouvent mauvais qu'on n'intervertisse pas l'ordre destravaux pour se plier leurs convenances ; d'autres voudraient se poser
en mdiums en titre d'un groupe ou d'une socit, y faire la pluie et le
beau temps, et que leurs Esprits directeurs fussent pris pour arbitres
absolus de toutes les questions, etc.. Ces motifs sont si purils et si
mesquins qu'on n'ose pas les avouer ; mais ils n'en sont pas moins la
source d'une sourde animosit qui se trahit tt ou tard ou par le mauvais
vouloir ou par la retraite. N'ayant pas de bonnes raisons donner, il en
est qui ne se font pas scrupule d'allguer des prtextes ou desimaginaires. N'tant nullement dispos me plier devant toutes ces
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prtentions, c'est un tort, que dis-je ! un crime impardonnable aux yeux
de certaines personnes que naturellement je me suis mises dos, ce dont
j'ai encore le plus grand tort de me soucier comme du reste.
Impardonnable ! Concevez-vous ce mot de la part de gens qui se disent
Spirites ? Ce mot devrait tre ray du vocabulaire du Spiritisme.
Ce dsagrment, la plupart des chefs de groupe ou de socit l'ont
prouv comme moi, et je les engage faire comme moi, c'est--dire
ne pas tenir des mdiums qui sont plutt une entrave qu'un secours ;
avec eux on est toujours mal l'aise, dans la crainte de les froisser par
l'action souvent la plus indiffrente.
Cet inconvnient tait plus frquent autrefois que maintenant ; alors
que les mdiums taient plus rares, il fallait bien se contenter de ceuxqu'on avait ; mais aujourd'hui qu'ils se multiplient vue d'oeil,
l'inconvnient diminue en raison mme du choix et mesure que l'on se
pntre mieux des vrais principes de la doctrine.
Le degr de la facult part, les qualits essentielles d'un bon mdium
sont la modestie, la simplicit et le dvouement ; il doit donner son
concours en vue de se rendre utile et non pour satisfaire sa vanit ; il ne
doit jamais prendre fait et cause pour les communications qu'il reoit,autrement il ferait croire qu'il y met du sien, et qu'il a un intrt les
dfendre ; il doit accepter la critique, la solliciter mme, et se soumettre
l'avis de la majorit sans arrire-pense ; si ce qu'il crit est faux,
mauvais, dtestable, on doit pouvoir le lui dire sans crainte de le blesser,
parce qu'il n'y est pour rien. Voil les mdiums vraiment utiles dans une
runion et avec lesquels on n'aura jamais de dsagrment, parce qu'ils
comprennent la doctrine ; les autres ne la comprennent pas ou ne veulent
pas la comprendre. Ce sont ceux aussi qui finissent par obtenir lesmeilleures communications, parce qu'ils ne se laissent point dominer par
des Esprits orgueilleux ; les Esprits trompeurs les redoutent, parce qu'ils
savent ne pouvoir les abuser.
Et puis vient la catgorie des gens qui ne sont jamais contents ; les uns
trouvent que je vais trop vite, d'autres trop lentement ; c'est vraiment la
fable du Meunier, son fils et l'ne. Les premiers me reprochent d'avoir
formul des principes prmaturs, de me poser en chef d'cole
philosophique. Est-ce que, toute ide spirite part, je n'ai pas le droit de
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crer, comme tant d'autres, une philosophie ma guise, ft-elle
absurde ? Si mes principes sont faux, que n'en mettent-ils d'autres la
place et ne les font-ils prvaloir ? Il parat qu'en gnral on ne les trouve
pas trop draisonnables, puisqu'ils rencontrent un si grand nombre
d'adhrents ; mais ne serait-ce pas cela mme qui excite la mauvaise
humeur de certaines gens ? Si ces principes ne trouvaient point de
partisans, fussent-ils ridicules au premier chef, on n'en parlerait pas.
Les seconds, qui prtendent que je ne vais pas assez vite, voudraient
me pousser, par bonne intention, je veux bien le croire, car il vaut mieux
croire le bien que le mal, dans une voie o je ne veux pas m'engager.
Sans donc me laisser influencer par les ides des uns et des autres, je
poursuis ma route ; j'ai un but, je le vois, je sais quand et comment jel'atteindrai, et ne m'inquite pas des clameurs des passants.
Vous le voyez, Messieurs, les pierres ne manquent pas sur mon
chemin ; j'en passe et des plus grosses. Si l'on connaissait la vritable
cause de certaines antipathies et de certains loignements, on serait fort
surpris de bien des choses ; il faudrait y ajouter les gens qui se sont mis
mon gard dans des positions fausses, ridicules ou compromettantes, et
qui cherchent se justifier, en dessous main, par de petites calomnies ;
ceux qui avaient espr m'attirer eux par la flatterie, croyant m'amener servir leurs desseins et qui ont reconnu l'inutilit de leurs manoeuvres
pour me faire entrer dans leurs vues ; ceux que je n'ai ni flatt ni
encenss et qui auraient voulu l'tre ; ceux enfin qui ne me pardonnent
pas de les avoir devins, et qui sont comme le serpent sur lequel on met
le pied. Si tous ces gens-l voulaient se mettre seulement un instant au
point de vue extra-terrestre, et voir les choses d'un peu haut, ils
comprendraient combien ce qui les proccupe tant est puril, et ne
s'tonneraient pas du peu d'importance qu'y attache tout vrai Spirite.
C'est que le Spiritisme ouvre des horizons si vastes, que la vie
corporelle, si courte et si phmre, s'efface avec toutes ses vanits et ses
petites intrigues devant l'infini de la vie spirituelle.
Je ne dois cependant pas omettre un reproche qui m'a t adress :
c'est de ne rien faire pour ramener moi les gens qui s'en loignent. Cela
est vrai, et si c'est un reproche fond, je le mrite, car je n'ai jamais fait
un pas pour cela, et voici les motifs de mon indiffrence.
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Ceux qui viennent moi, c'est que cela leur convient ; c'est moins
pour ma personne que par sympathie pour les principes que je professe.
Ceux qui s'loignent, c'est que je ne leur conviens pas, ou que notre
manire de voir ne concorde pas ; pourquoi donc irais-je les contrarier,
et m'imposer eux ? Il me semble plus convenable de les laisser
tranquilles. Je n'en aurais d'ailleurs vraiment pas le temps, car on sait
mes occupations qui ne me laissent pas un instant de repos, et pour un
qui s'en va, il y en a mille qui viennent ; je me dois donc ceux-ci avant
tout, et c'est ce que je fais. Est-ce la fiert ? Est-ce mpris des gens ?
Oh ! assurment non ; je ne mprise personne ; je plains ceux qui
agissent mal, je prie Dieu et les Bons Esprits de les ramener de
meilleurs sentiments, et voil tout ; s'ils reviennent, ils sont toujours les
bienvenus, mais pour courir aprs eux, jamais je ne le fais, en raison du
temps que rclament les gens de bonne volont ; en second lieu, parce
que je n'attache pas certaines personnes l'importance qu'elles attachent
elles-mmes. Pour moi, un homme est un homme, et rien de plus ; je
mesure sa valeur ses actes, ses sentiments, et non son rang ; ft-il
haut plac, s'il agit mal, s'il est goste et vain de sa dignit, il est mes
yeux au-dessous d'un simple ouvrier qui agit bien, et je serre plus
cordialement la main d'un petit dont le coeur parle, que celle d'un granddont le coeur ne dit rien ; la premire me rchauffe, la seconde me glace.
Les personnages du plus haut rang m'honorent de leur visite, et jamais
pour eux un proltaire n'a fait antichambre. Souvent dans mon salon le
prince se trouve cte--cte avec l'artisan ; s'il s'en trouvait humili, je
dirais qu'il n'est pas digne d'tre Spirite ; mais, je suis heureux de le dire,
je les ai vus souvent se serrer fraternellement la main, et je me suis dit :
Spiritisme, voil un de tes miracles ; c'est l'avant-coureur de bien
d'autres prodiges ! .
Il ne tenait qu' moi de m'ouvrir les portes du grand monde ; je n'ai
jamais t y frapper ; cela me prendrait un temps que je crois pouvoir
employer plus utilement. Je place en premire ligne les consolations
donner ceux qui souffrent ; relever les courages abattus ; arracher un
homme ses passions au dsespoir, au suicide, l'avoir arrt sur la pente
du crime peut-tre, cela ne vaut-il pas mieux que la vue des lambris
dors ? J'ai des milliers de lettres qui valent mieux pour moi que tous les
honneurs de la terre, et que je regarde comme mes vrais titres de
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noblesse. Ne vous tonnez pas si je laisse aller ceux qui ne me
recherchent pas.
J'ai des adversaires, je le sais ; mais le nombre n'en est pas aussi grand
qu'on pourrait le croire d'aprs l'numration que j'ai faite ; ils setrouvent dans les catgories que j'ai cites, mais ce ne sont toujours que
des individualits, et le nombre est peu de chose compar ceux qui
veulent bien me tmoigner de la sympathie. D'ailleurs, jamais ils n'ont
russi troubler mon repos ; jamais leurs machinations ni leurs diatribes
ne m'ont mu ; et je dois ajouter que cette profonde indiffrence de ma
part, le silence que j'ai oppos leurs attaques n'est pas ce qui les
exaspre le moins. Quoi qu'ils fassent, jamais ils ne parviendront me
faire sortir de la modration qui est la rgle de ma conduite ; jamais onne pourra dire que j'ai rpondu l'injure par l'injure. Les personnes qui
me voient dans l'intimit savent si jamais je m'occupe d'eux ; si jamais
la Socit il a t dit un seul mot, ou fait une seule allusion les
concernant. Dans la Revue, jamais je n'ai rpondu leurs agressions,
quand elles se sont adresses ma personne, et Dieu sait si ce sont les
occasions qui ont manqu !
Que peut d'ailleurs leur mauvais vouloir ? Rien, ni contre la doctrine,
ni contre moi-mme. La doctrine prouve par sa marche progressive
qu'elle ne craint rien ; quant moi, je n'occupe aucune position, donc on
ne peut rien m'enlever ; je ne demande rien, je ne sollicite rien, donc on
ne peut rien me refuser ; je ne dois rien personne, donc, on ne peut rien
me rclamer ; je ne dis de mal de personne, pas mme de ceux qui en
disent de moi ; en quoi pourraient-ils donc me nuire ? Il est vrai qu'on
peut me faire dire ce que je n'ai pas dit, et c'est ce qu'on a fait plus d'une
fois ; mais ceux qui me connaissent savent ce que je suis capable de dire
et de ne pas dire, et je remercie ceux qui, en pareil cas, ont bien voulu
rpondre de moi. Ce que je dis, je suis toujours prt le rpter, en
prsence de qui que ce soit, et quand j'affirme n'avoir pas dit ou fait une
chose, je me crois le droit d'tre cru.
D'ailleurs, que sont toutes ces choses en prsence du but que nous,
Spirites sincres et dvous, poursuivons tous ! de cet immense avenir
qui se droule nos yeux ? Croyez-moi, Messieurs, il faudrait regarder
comme un vol fait la grande oeuvre les instants que l'on y droberaitpour se proccuper de ces misres. Pour ma part, je remercie Dieu, pour
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prix de quelques tribulations passagres, de m'avoir donn dj ici-bas
tant de compensations morales, et la joie d'assister au triomphe de la
doctrine.
Je vous demande pardon, Messieurs, de vous avoir si longtempsentretenu de moi, mais j'ai cru qu'il tait utile d'tablir nettement la
position, afin que vous sussiez quoi vous en tenir selon les
circonstances, et que vous soyez bien convaincus que ma ligne de
conduite est trace, et que rien ne m'en fera dvier. Du reste, je crois que
de ces observations mmes, et en faisant abstraction de la personne il a
pu en ressortir quelques enseignements utiles.
Passons maintenant un autre point, et voyons o en est le Spiritisme.
II
Le Spiritisme prsente un phnomne inou dans l'histoire des
philosophies, c'est la rapidit de sa marche ; nulle autre doctrine n'a
offert un exemple pareil. Quand on songe aux progrs qu'il fait d'anne
en anne, on peut, sans trop de prsomption, prvoir l'poque o il sera
la croyance universelle.
La plupart des pays trangers participent ce mouvement : L'Autriche,la Pologne, la Russie, l'Italie, l'Espagne, Contantinople, etc. comptent de
nombreux adeptes et plusieurs socits parfaitement organises. J'ai plus
de cent villes inscrites o il existe des runions. Dans le nombre, Lyon et
Bordeaux occupent le premier rang. Honneur donc ces deux cits,
imposantes par leur population et leurs lumires, qui ont plant haut et
ferme le drapeau du Spiritisme. Plusieurs autres ambitionnent de
marcher sur leurs traces.
Je suis mme de voir beaucoup de voyageurs ; tous s'accordent dire
que chaque anne, ils trouvent un progrs dans l'opinion ; les rieurs
diminuent vue d'oeil. Mais la raillerie succde la colre ; nagure on
riait, aujourd'hui on se fche ; c'est de bon augure, selon un vieux
proverbe, et cela fait dire aux incrdules qu'il pourrait bien y avoir
quelque chose.
Un fait non moins caractristique, c'est que tout ce que les adversaires
du Spiritisme ont fait pour en entraver la marche, loin de l'arrter, en aactiv le progrs, et l'on peut dire que partout le progrs est en raison de
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la violence des attaques. La presse l'a-t-elle prn ? Chacun sait que loin
de lui donner un coup d'paule, elle lui a donn des coups de pied tant
qu'elle a pu ; eh bien ! ces coups de pied n'ont abouti qu' le faire
avancer. Il en est de mme des attaques de toute nature dont il a t
l'objet.
Il y a donc une chose constante, c'est que, sans le secours d'aucun des
moyens employs vulgairement pour faire ce qu'on appelle un succs,
malgr les entraves qu'on lui a suscites, il n'a cess de grandir, et qu'il
grandit tous les jours comme pour donner un dmenti ceux qui lui
prdisaient sa fin prochaine. Est-ce une prsomption, une forfanterie ?
Non, c'est un fait qu'il est impossible de nier. Il a donc puis sa force en
lui-mme, ce qui prouve la puissance de cette ide. Il faut bien que ceuxque cela contrarie en prennent leur parti, et se rsignent laisser passer
ce qu'ils ne peuvent arrter. C'est que le Spiritisme est une ide, et que
lorsqu'une ide marche, elle franchit toutes les barrires ; on ne l'arrte
pas la frontire comme un ballot de marchandises ; on brle les livres,
mais on ne brle pas une ide, et leurs cendres mmes, portes par le
vent, vont fconder la terre o elle doit fructifier.
Mais il ne suffit pas de lancer une ide de par le monde pour qu'elle
prenne racine ; non certes. On ne cre volont ni des opinions, ni deshabitudes ; il en est de mme des inventions et des dcouvertes : la plus
utile choue si elle vient avant son temps, si le besoin qu'elle est destine
satisfaire n'existe pas encore. Ainsi en est-il des doctrines
philosophiques, politiques, religieuses ou sociales ; il faut que l'esprit
soit mr pour les accepter ; venues trop tt, elles restent l'tat latent, et,
comme des fruits plants hors de saison, elles ne prosprent pas.
Si donc le Spiritisme trouve de si nombreuses sympathies, c'est queson temps est venu, c'est que les esprits taient mrs pour le recevoir ;
c'est qu'il rpond un besoin, une aspiration. Vous en avez la preuve
dans le nombre, considrable aujourd'hui, des personnes qui l'accueillent
sans surprise, comme une chose toute naturelle, lorsqu'on leur en parle
pour la premire fois, et qui disent qu'il leur semblait que les choses
devaient tre ainsi, mais sans pouvoir les dfinir. On sent le vide moral
que l'incrdulit, le matrialisme font autour de l'homme ; on comprend
que ces doctrines creusent un abme pour la socit ; qu'elles dtruisentles liens les plus solides, ceux de la fraternit. Et puis instinctivement,
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l'homme a horreur du nant, comme la nature a horreur du vide, c'est
pourquoi il accueille avec joie la preuve que le nant n'existe pas.
Mais, dira-t-on, ne lui enseigne-t-on pas chaque jour que le nant
n'existe pas ? Sans doute on le lui enseigne ; mais alors comment se fait-il que l'incrdulit et l'indiffrence aillent sans cesse croissant depuis un
sicle ? C'est que les preuves qu'on lui donne ne lui suffisent plus
aujourd'hui ; qu'elles ne sont plus en rapport avec les besoins de son
intelligence. Le dveloppement scientifique et industriel a rendu
l'homme positif ; il veut se rendre compte de tout ; il veut savoir le
pourquoi et le comment de chaque chose ; comprendre pour croire est
devenu un besoin imprieux, c'est pourquoi la foi aveugle n'a plus
d'empire sur lui. Selon les uns c'est un mal, selon les autres c'est unbien ; sans discuter le principe, nous dirons que telle est la marche de la
nature ; l'humanit collective, comme les individus, a son enfance et son
ge mr ; quand elle est l'ge mr, elle secoue ses langes et veut faire
usage de ses propres forces, c'est--dire de son intelligence ; la faire
rtrograder est aussi impossible que de faire remonter un fleuve vers sa
source.
Attaquer le mrite de la foi aveugle, dira-t-on, c'est une impit, parce
que Dieu veut qu'on accepte sa parole sans examen. La foi aveuglepouvait avoir sa raison d'tre, je dirai mme sa ncessit, une certaine
priode de l'humanit ; si, aujourd'hui, elle ne suffit plus pour affermir la
croyance, c'est qu'il est dans la nature de l'humanit qu'il en soit ainsi ;
or, qui a fait les lois de la nature ? Dieu, ou Satan ? Si c'est Dieu, il ne
saurait y avoir impit suivre ses lois. Si, aujourd'hui, comprendre pour
croire est devenu un besoin pour l'intelligence, comme boire et manger
en est un pour l'estomac, c'est que Dieu veut que l'homme fasse usage de
son intelligence, autrement il ne la lui aurait pas donne. Il est des gens
qui n'prouvent pas ce besoin ; qui se contentent de croire sans examen ;
nous ne les blmons nullement, et loin de nous la pense de les troubler
dans leur quitude ; le Spiritisme ne s'adresse point eux ; du moment
qu'ils ont ce qu'il leur faut, il n'a rien leur donner ; il ne donne point
manger de force ceux qui dclarent n'avoir pas faim. Il ne s'adresse
donc qu' ceux qui la nourriture intellectuelle qu'on leur donne ne
suffit plus, et le nombre en est assez grand pour qu'il n'ait pas s'occuper
des autres ; de quoi donc ceux-ci ont-ils se plaindre, puisqu'il ne va pas
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les chercher ? Il ne va chercher personne ; il ne s'impose personne ; il
se borne dire : Me voil, voil ce que je suis ; voil ce que j'apporte ;
que ceux qui croient avoir besoin de moi viennent ; que les autres restent
chez eux ; je ne vais pas les troubler dans leur conscience ; je ne leur dis
point d'injures ; je ne leur demande que la rciprocit.
Pourquoi donc le matrialisme tend-il supplanter la foi ? C'est que
jusqu' prsent la foi ne raisonne pas ; elle se borne dire : Croyez,
tandis que le matrialisme raisonne. Ce sont des sophismes, j'en
conviens, mais bonnes ou mauvaises, ce sont des raisons qui, dans la
pense de beaucoup, l'emportent sur ceux qui n'en donnent pas du tout.
Ajoutez que l'ide matrialiste satisfait ceux qui se complaisent dans la
vie matrielle ; qui veulent s'tourdir sur les consquences de l'avenir ;qui esprent, par l, chapper la responsabilit de leurs actes ; en
somme elle est minemment favorable la satisfaction de tous les
apptits brutaux. Dans l'incertitude de l'avenir, l'homme se dit :
Jouissons toujours du prsent ; que me font mes semblables ? Pourquoi
me sacrifier pour eux ? Ce sont mes frres, dit-on ; mais que me font des
frres queje ne reverrai plus ! qui peut-tre demain seront morts et moi
aussi ? que serons-nous alors les uns pour les autres ? Rien, si une fois
morts il ne reste rien de nous. Que me servirait de m'imposer desprivations ? quelle compensation en retirerais-je, si tout finit avec moi ?
Fondez donc une socit sur les bases de la fraternit avec des ides
semblables ! L'gosme, telle en est la consquence toute naturelle ; avec
l'gosme, chacun tire soi et c'est le plus fort qui l'emporte. Le faible dit
son tour : Soyons goste, puisque les autres le sont ; ne pensons qu'
nous, puisque les autres ne pensent qu' eux.
Tel est, il faut en convenir, le mal qui tend envahir la socitmoderne, et ce mal, comme un ver rongeur, peut la ruiner dans ses
fondements ! Oh ! qu'ils sont coupables ceux qui la poussent dans cette
voie ; qui s'efforcent de tuer les croyances ; qui prconisent le prsent
aux dpens de l'avenir ! Ils auront un terrible compte rendre de l'usage
qu'ils auront fait de leur intelligence !
Pourtant, l'incrdulit laisse aprs elle une vague d'inquitude ;
l'homme a beau chercher se faire illusion, il ne peut se dfendre de
penser quelquefois ce qu'il en adviendra de lui ; l'ide du nant le glace
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malgr lui ; il voudrait une certitude, et il n'en trouve pas, alors il flotte,
il hsite, il doute, et le doute le tue ; il se sent malheureux au milieu
mme des jouissances matrielles qui ne peuvent combler le gouffre du
nant qui s'ouvre devant lui, et o il croit qu'il va tre prcipit.
C'est ce moment que vient le Spiritisme, comme une ancre de salut,
comme un flambeau dans les tnbres de son me ; Il vient tirer l'homme
du doute ; il vient combler l'horreur du vide, non par une vague
esprance, mais par des preuves irrcusables : celles de l'observation des
faits ; il vient ranimer sa foi, non en lui disant simplement : Croyez parce
que je vous le dis, mais : Voyez, touchez, comprenez et croyez. Il ne
pouvait donc venir dans un moment plus opportun, soit pour arrter le
mal avant qu'il ne ft incurable, soit pour satisfaire aux besoins del'homme qui ne croit plus sur parole, qui veut raisonner ce qu'il croit. Le
matrialisme l'avait sduit par ses faux raisonnements ; ses sophismes
il fallait opposer des raisonnements solides appuys sur des preuves
matrielles ; dans cette lutte, la foi aveugle n'tait plus assez puissante ;
voil pourquoi je dis que le Spiritisme est venu en son temps.
Ce qui manque l'homme, c'est donc la foi en l'avenir, et l'ide qu'on
lui en donne ne peut satisfaire son got du positif ; elle est trop vague,
trop abstraite ; les liens qui le rattachent au prsent ne sont pas assezdfinis. Le Spiritisme, au contraire, nous prsente l'me comme un tre
circonscrit, semblable nous, moins l'enveloppe matrielle dont elle s'est
dpouille, mais revtue d'une enveloppe fluidique, ce qui dj est plus
comprhensible, et en fait mieux concevoir l'individualit. De plus, il
prouve, par l'exprience, les rapports incessants du monde visible et du
monde invisible, qui deviennent ainsi solidaires l'un de l'autre ; les
relations de l'me avec la terre ne cessent point avec la vie ; l'me, l'tat
d'Esprit, constitue un des rouages, une des forces vives de la nature ; ce
n'est plus un tre inutile, qui ne pense plus et n'agit plus que pour lui
pendant l'ternit, c'est toujours et partout un agent actif de la volont de
Dieu pour l'excution de ses oeuvres. Ainsi, d'aprs la doctrine Spirite,
tout se lie, tout s'enchane dans l'univers ; et dans ce grand mouvement
admirablement harmonieux, les affections se survivent ; loin de
s'teindre, elles se fortifient en s'purant.
Si ce n'tait l qu'un systme, il n'aurait sur l'autre que l'avantage d'treplus sduisant, sans offrir plus de certitude ; mais c'est le monde
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invisible lui-mme qui vient se rvler nous ; nous prouver qu'il est,
non dans les rgions de l'espace inaccessibles mme la pense, mais l,
nos cts ; qu'il nous entoure et que nous vivons au milieu de lui,
comme un peuple d'aveugles au milieu de voyants. Cela peut dranger
certaines ides, j'en conviens ; mais devant un fait, bon gr, mal gr, il
faut s'incliner. On aura beau dire que cela n'est pas ; il faudrait prouver
que cela ne peut pas tre ; des preuves palpables, il faudrait opposer
des preuves plus palpables encore ; or, qu'oppose-t-on ? La ngation.
Le Spiritisme s'appuie donc sur des faits ; les faits d'accord avec le
raisonnement et une rigoureuse logique, donnent la doctrine Spirite le
caractre de positivisme qui convient notre poque. Le matrialisme
est venu saper toute croyance, enlever toute base, toute raison d'tre lamorale, et miner les fondements mmes de la socit en proclamant le
rgne de l'gosme ; les hommes srieux se sont alors demand o un tel
tat de choses pouvait nous conduire ; ils ont vu un abme, et voil que
le Spiritisme vient le combler ; il vient dire au matrialisme : Tu n'iras
pas plus loin, car voici des faits qui prouvent la fausset de tes
raisonnements. Le matrialisme menaait de faire sombrer la socit en
disant aux hommes : Le prsent est tout, car l'avenir n'existe pas ; le
Spiritisme vient la relever en leur disant : Le prsent n'est rien, l'avenirest tout, et il le prouve.
Un adversaire a dit quelque part dans un journal que cette doctrine est
pleine de sductions ; il ne pouvait, sans le vouloir, en faire un plus
grand loge et se condamner d'une manire plus premptoire. Dire
qu'une chose est sduisante, c'est dire qu'elle plat ; or, c'est l le grand
secret de la propagation du Spiritisme. Que ne lui oppose-t-on quelque
chose de plus sduisant pour la supplanter ! Si on ne le fait pas, c'est
qu'on n'a rien de mieux donner. Pourquoi plat-elle ? C'est ce qu'il est
facile de dire.
Elle plat :
1) parce qu'elle satisfait l'aspiration instinctive de l'homme vers
l'avenir ;
2) parce qu'elle prsente l'avenir sous un aspect que la raison peut
admettre ;
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3) parce que la certitude de la vie future fait prendre en patience les
misres de la vie prsente ;
4) parce qu'avec la pluralit des existences, ces misres ont une raison
d'tre, on se les explique, et au lieu d'en accuser la Providence, on lestrouve justes et on les accepte sans murmure ;
5) parce qu'on est heureux de savoir que les tres qui nous sont chers
ne sont pas perdus sans retour, qu'on les reverra, et qu'ils sont souvent
auprs de nous ;
6) parce que toutes les maximes donnes par les Esprits tendent
rendre les hommes meilleurs les uns pour les autres ;
et bien d'autres motifs que les Spirites peuvent seuls comprendre. Enchange, quels moyens de sduction offre le matrialisme ? Le nant.
C'est l toute la consolation qu'il donne pour les misres de la vie.
Avec de tels lments, l'avenir du Spiritisme ne saurait tre douteux, et
cependant, si l'on doit s'tonner d'une chose, c'est qu'il se soit fray un
chemin si rapide travers les prjugs. Comment, et par quels moyens
arrivera-t-il la transformation de l'humanit, c'est ce qu'il nous reste
examiner.
III
Quand on considre l'tat actuel de la socit, on est tent de regarder
sa transformation comme un miracle. Eh bien ! c'est un miracle que le
Spiritisme peut et doit accomplir, parce qu'il est dans les desseins de
Dieu, et l'aide de son mot d'ordre : Hors la charit point de salut. Que
la socit prenne cette maxime pour devise et y conforme sa conduite, au
lieu de celle-ci qui est l'ordre du jour : La charit bien ordonnecommence par soi, et tout change. Le tout est de la faire accepter.
Le mot charit, vous le savez, Messieurs, a une acception trs
tendue. Il y a la charit en penses, en paroles et en actions ; elle n'est
pas seulement dans l'aumne. Celui-l est charitable en penses qui est
indulgent pour les fautes de son prochain ; charitable en paroles, qui ne
dit rien qui puisse nuire son prochain ; charitable en actions, qui assiste
son prochain dans la mesure de ses forces. Le pauvre qui partage son
morceau de pain avec un plus pauvre que lui est plus charitable et a plus
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de mrite aux yeux de Dieu que celui qui donne de son superflu sans se
priver de rien. Quiconque nourrit contre son prochain des sentiments de
haine, d'animosit, de jalousie, de rancune, manque de charit. La charit
est la contre-partie de l'gosme ; l'une est l'abngation de la
personnalit, l'autre l'exaltation de la personnalit ; l'une dit : Pour vous
d'abord et pour moi ensuite ; l'autre : Pour moi d'abord, et pour vous s'il
en reste. La premire est toute dans cette parole du Christ : Faites pour
les autres ce que vous voudriez qu'on ft pour vous ; en un mot, elle
s'applique, sans exception, tous les rapports sociaux. Convenez que si
tous les membres d'une socit agissaient selon ce principe, il y aurait
moins de dceptions dans la vie. Ds que deux hommes sont ensemble,
ils contractent, par cela mme, des devoirs rciproques ; s'ils veulent
vivre en paix, ils sont obligs de se faire des concessions mutuelles. Ces
devoirs augmentent avec le nombre des individus ; les agglomrations
forment des touts collectifs qui ont aussi leurs obligations respectives ;
vous avez donc outre les rapports d'individu individu, ceux de ville
ville, de province province, de contre contre. Ces rapports peuvent
avoir deux mobiles qui sont la ngation l'un de l'autre : l'gosme et la
charit, car il y a aussi l'gosme national. Avec l'gosme, l'intrt
personnel passe avant tout, chacun tire soi, chacun ne voit dans sonsemblable qu'un antagoniste, un rival qui peut marcher sur nos brises,
qui peut nous exploiter ou que nous pouvons exploiter ; c'est qui
coupera l'herbe sous le pied de son voisin : la victoire est au plus adroit,
et la socit, chose triste dire, consacre souvent cette victoire, ce qui
fait qu'elle se partage en deux classes principales : les exploiteurs et les
exploits. Il en rsulte un antagonisme perptuel qui fait de la vie un
tourment, un vritable enfer. Remplacez l'gosme par la charit, et tout
change ; nul ne cherchera faire de tort son voisin ; les haines et les jalousies s'teindront faute d'aliment, et les hommes vivront en paix,
s'entraidant au lieu de se dchirer. La charit remplaant l'gosme,
toutes les institutions sociales seront fondes sur le principe de la
solidarit et de la rciprocit ; le fort protgera le faible au lieu de
l'exploiter.
C'est un beau rve, dira-t-on ; malheureusement, ce n'est qu'un rve ;
l'homme est goste par nature, par besoin, et le sera toujours. S'il en
tait ainsi, ce serait triste, et il faudrait alors se demander dans quel but
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le Christ est venu prcher la charit aux hommes ; autant aurait valu la
prcher aux animaux. Examinons cependant.
Y a-t-il progrs du sauvage l'homme civilis ? Ne cherche-t-on pas
tous les jours, adoucir les moeurs des sauvages ? Dans quel but, sil'homme est incorrigible ? Etrange bizarrerie ! vous esprez corriger des
sauvages, et vous pensez que l'homme civilis ne peut s'amliorer ! Si
l'homme civilis avait la prtention d'avoir atteint la dernire limite du
progrs accessible l'espce humaine, il suffirait de comparer les
moeurs, le caractre, la lgislation, les institutions sociales d'aujourd'hui
avec celles d'autrefois ; et cependant les hommes d'autrefois croyaient,
eux aussi, avoir atteint le dernier chelon. Qu'et rpondu un grand
seigneur du temps de Louis XIV si on lui et dit qu'il pouvait y avoir unordre de choses meilleur, plus quitable, plus humain que celui d'alors ?
que ce rgime plus quitable serait l'abolition des privilges de castes, et
l'galit du grand et du petit devant la loi ? L'audacieux qui aurait dit
cela et peut-tre pay cher sa tmrit.
Concluons de l que l'homme est minemment perfectible, et que les
plus avancs d'aujourd'hui pourront sembler aussi arrirs dans quelques
sicles que ceux du moyen-ge le sont par rapport nous. Nier le fait
serait nier le progrs qui est une loi de la nature.
Quoique l'homme ait gagn au point de vue moral, il faut convenir
cependant que le progrs s'est plus accompli dans le sens intellectuel ;
pourquoi cela ? C'est encore l un de ces problmes qu'il tait donn au
Spiritisme de nous expliquer ; en nous montrant que le moral et
l'intelligence sont deux voies qui marchent rarement de front ; tandis que
l'homme fait quelques pas dans l'une, il reste en arrire dans l'autre ;
mais plus tard il regagne le terrain qu'il avait perdu, et les deux forcesfinissent par s'quilibrer dans les incarnations successives. L'homme est
arriv une priode o les sciences, les arts et l'industrie ont atteint une
limite inconnue jusqu' ce jour ; si les jouissances qu'il en tire satisfont
la vie matrielle, elles laissent un vide dans l'me ; l'homme aspire
quelque chose de mieux : il rve de meilleures institutions ; il veut la vie,
le bonheur, l'galit, la justice pour tous ; mais comment y atteindre avec
les vices de la socit, avec l'gosme surtout ? L'homme voit donc la
ncessit du bien pour tre heureux ; il comprend que le rgne du bienpeut seul lui donner le bonheur auquel il aspire ; ce rgne, il le pressent,
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car instinctivement, il a foi en la justice de Dieu, et une voix secrte lui
dit qu'une re nouvelle va s'ouvrir.
Comment cela arrivera-t-il ? Puisque le rgne du bien est incompatible
avec l'gosme, il faut la destruction de l'gosme ; or, qui peut ledtruire ? La prdominance du sentiment d'amour, qui porte les hommes
se traiter en frres et non en ennemis. La charit, c'est la base, la
pierre angulaire de tout difice social ; sans elle, l'homme ne btira
que sur du sable. Que les efforts et surtout les exemples de tous les
hommes de bien tendent donc la propager ; qu'ils ne se dcouragent
s'ils voient une recrudescence dans les mauvaises passions ; elles sont les
ennemies du bien, et en le voyant avancer, elles doivent se ruer contre
lui ; mais Dieu a permis que, par leurs propres excs mmes, elles setuent ; le paroxysme d'un mal est toujours le signe qu'il touche sa fin.
Je viens de dire que sans la charit l'homme ne btit que sur le sable ;
un exemple le fera mieux comprendre.
Quelques hommes bien intentionns, touchs des souffrances d'une
partie de leurs semblables, ont cru trouver le remde au mal dans
certains systmes de rforme sociale. A quelques diffrences prs, le
principe est peu prs le mme dans tous, quel que soit le nom qu'onleur donne. Vie commune pour tre moins onreuse ; communaut de
biens pour que chacun ait quelque chose ; participation de tous l'oeuvre
commune ; point de grandes richesses, mais aussi point de misre. Cela
tait fort sduisant pour celui qui, n'ayant rien, voyait dj la bourse du
riche entrer dans le fond social, sans calculer que la totalit des richesses
mises en commun crerait une misre gnrale au lieu d'une misre
partielle ; que l'galit tablie aujourd'hui serait rompue demain par la
mobilit de la population et la diffrence entre les aptitudes ; quel'galit permanente des biens suppose l'galit des capacits et du
travail. Mais l n'est pas la question ; il n'entre pas dans mon cadre
d'examiner le fort et le faible de ces systmes ; je fais abstraction des
impossibilits dont je viens de parler, et me propose de les envisager
un autre point de vue dont je ne sache pas qu'on se soit encore
proccup, et qui se rattache notre sujet.
Les auteurs, fondateurs ou promoteurs de tous ces systmes, sans
exception, ne se sont propos que l'organisation de la vie matrielle
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d'une manire profitable pour tous. Le but est louable sans contredit ;
reste savoir si, cet difice, il ne manque pas la base qui seule pourrait
le consolider, en admettant qu'il ft praticable.
La communaut est l'abngation la plus complte de la personnalit ;chacun devant payer de sa personne, elle requiert le dvouement le plus
absolu. Or, le mobile de l'abngation et du dvouement, c'est la charit,
c'est--dire l'amour du prochain. Mais nous avons reconnu que le
fondement de la charit, c'est la croyance ; que le dfaut de croyance
conduit au matrialisme, et le matrialisme l'gosme. Dans un systme
qui, de sa nature, requiert pour sa stabilit les vertus morales au suprme
degr, il fallait prendre le point de dpart dans l'lment spirituel ; eh
bien ! non-seulement il n'en est tenu aucun compte, le ct matriel tantle but unique, mais plusieurs sont fonds sur une doctrine matrialiste
hautement avoue, ou sur un panthisme, sorte de matrialisme dguis ;
c'est--dire dcors du beau nom de fraternit ; mais la fraternit, pas
plus que la charit, ne s'impose ni ne se dcrte ; il faut qu'elle soit dans
le coeur ; ce n'est pas le systme qui l'y fera natre si elle n'y est dj,
tandis que le dfaut contraire ruinera le systme et le fera tomber dans
l'anarchie, parce que chacun voudra tirer soi. L'exprience est l pour
prouver qu'il n'touffe ni les ambitions ni la cupidit. Avant de faire lachose pour les hommes, il fallait former les hommes pour la chose,
comme on forme des ouvriers avant de leur confier un travail ; avant de
btir, il faut s'assurer de la solidit des matriaux. Ici les matriaux
solides sont les hommes de coeur, de dvouement et d'abngation. Avec
l'gosme, l'amour et la fraternit sont de vains mots, ainsi que nous
l'avons dit ; comment donc, sous l'empire de l'gosme, fonder un
systme qui requiert l'abngation un degr d'autant plus grand, qu'il a
pour principe essentiel la solidarit de tous pour chacun et de chacunpour tous ? Quelques-uns ont quitt le sol natal pour aller fonder au loin
des colonies sous le rgime de la fraternit ; ils ont voulu fuir l'gosme
qui les crasait, mais l'gosme les a suivis, et l encore il s'est trouv des
exploiteurs et des exploits, parce que la charit a fait dfaut. Ils ont cru
qu'il leur suffisait d'emmener le plus de bras possible, sans songer qu'ils
emmenaient en mme temps les vers rongeurs de leur institution, ruine
d'autant plus vite qu'ils n'avaient en eux ni une force morale ni une force
matrielle suffisantes.
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Ce qu'il leur fallait, c'tait moins des bras nombreux que des coeurs
solides ; malheureusement beaucoup ne les ont suivis que parce que,
n'ayant rien su faire ailleurs, ils ont cru s'affranchir de certaines
obligations personnelles ; ils n'ont vu qu'un but sduisant, sans voir la
route pineuse pour l'atteindre. Dus dans leurs esprances, en
reconnaissant qu'avant de jouir il fallait beaucoup travailler, beaucoup
sacrifier, beaucoup souffrir, ils ont eu pour perspective le dcouragement
et le dsespoir ; vous savez ce qu'il est advenu de la plupart. Leur tort est
d'avoir voulu btir un difice en commenant par le fate, avant d'avoir
assis des fondements solides. Etudiez l'histoire et la cause de la chute des
Etats les plus florissants, et partout vous verrez la main de l'gosme, de
la cupidit, de l'ambition.
Sans la charit, il n'y a pas d'institution humaine stable, et il n'y a
ni charit ni fraternit possibles, dans la vritable acception du mot,
sans la croyance. Appliquez-vous donc dvelopper ces sentiments qui,
en grandissant, tueront l'gosme qui vous tue. Quand la charit aura
pntr les masses, quand elle sera devenue la foi, la religion de la
majorit, alors vos institutions s'amlioreront d'elles-mmes par la force
des choses ; les abus, ns du sentiment de la personnalit, disparatront.
Enseignez donc la charit, et surtout, prchez d'exemple : c'est l'ancre desalut de la socit. Elle seule peut amener le rgne du bien sur la terre,
qui est le rgne de Dieu ; sans elle, quoi que vous fassiez, vous ne
crerez que des utopies dont vous ne retirerez que des dceptions. Si le
Spiritisme est une vrit, s'il doit rgnrer le monde, c'est parce qu'il a
pour base la charit. Il ne vient ni renverser le culte, ni en tablir un
nouveau ; il proclame et prouve les vrits communes tous, bases de
toutes les religions, sans se proccuper des points de dtail. Il ne vient
dtruire qu'une chose : le matrialisme, qui est la ngation de toutereligion ; ne renverser qu'un seul temple : celui de l'gosme et de
l'orgueil, et donner une sanction pratique ces paroles du Christ qui sont
toute sa loi : Aimez votre prochain comme vous-mmes. Ne vous
tonnez donc pas qu'il ait pour adversaires les adorateurs du veau d'or,
dont il vient briser les autels. Il a naturellement contre lui ceux qui
trouvent sa morale gnante, ceux qui auraient volontiers pactis avec les
Esprits et leurs manifestations, si les Esprits se fussent contents de les
amuser ; s'ils n'taient venus rabaisser leur orgueil, leur prcher
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l'abngation, le dsintressement et l'humilit. Laissez-les dire et faire ;
les choses n'en suivront pas moins la marche qui est dans les desseins de
Dieu.
Le Spiritisme, par sa puissante rvlation, vient donc hter la rformesociale. Ses adversaires riront sans doute de cette prtention, et
cependant elle n'a rien de prsomptueux. Nous avons dmontr que
l'incrdulit, le simple doute sur l'avenir, porte l'homme se concentrer
sur la vie prsente, ce qui tout naturellement dveloppe le sentiment
d'gosme. Le seul remde au mal est de concentrer son attention sur un
autre point et de le dpayser, pour ainsi dire, afin de lui faire perdre ses
habitudes.