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14 MERCI MADIBA Madiba, Lola et moi après le dîner du 12 août 2000. AINSI EST NÉE NOTRE AMITIÉ I l aurait pu s’agir d’une simple coïncidence, de l’un de ces très bons moments que j’ai passés le jour de la pendaison de crémaillère de la nouvelle résidence du couple Graça Machel et Nelson Mandela à Maputo. Mais, maintenant qu’il me revient en mémoire, je crois que ce moment fut précisément celui où débuta notre amitié. Je me sou- viens qu’il était dix heures du matin, le samedi 12 août 2000. J’étais accaparé par les préparatifs de la fête qui allait avoir lieu ce jour-là, lorsque soudain je vis Madiba en contemplation devant les plantes de la résidence. Je passai à trois cents mètres de lui. Je me rappelle l’avoir salué de loin d’un geste de la main auquel il répondit en levant le bras et en arborant ce franc sourire qui le caractérise tant. Nous n’échangeâmes aucun mot. Graça Machel m’avait demandé de venir à cette fête pour l’aider à orga- niser le repas d’inauguration de sa nouvelle résidence à Maputo. Elle et Madiba profiteraient de l’occasion pour fêter les quatre-vingt-deux ans que Mandela avait complété le 18 juillet de cette année-là. Les raisons de ma présence à cet événement aussi prestigieux et solennel sont simples à expliquer: ils me contactèrent pour remplir cette mission par l’intermédiaire de mes cousins Lena et Pedro Bule. Quatre mois auparavant, ces derniers avaient été invités au dîner des quatre-vingts ans de ma mère Susana. A ma grande surprise, ils se montrèrent enthousiasmés par la manière dont avait été organisée la fête, et quand je leur dis que nous en étions les responsables, ils en furent plus impressionnés encore. De façon quelque peu énigmatique, ils me firent savoir qu’ils auraient très probablement besoin de mes services. Ils ne me donnèrent pas davantage de détails et j’oubliai rapidement ces propos. Quelques jours plus tard, mes cousins me téléphonèrent en me demandant si j’étais disponible pour les accompagner chez Olívia Machel, la belle-fille de Graça Machel et fille du premier président de la République du Mozambique, Samora Moisés Machel, tragique- ment décédé en 1986. Je leur répondis bien entendu par l’affirmative. Une fois sur place, après les présentations, je saisis les motifs de leur mystérieuse remarque au sujet de l’aide que je pourrais leur apporter. On allait pendre la crémaillère de la nouvelle maison de Nelson Mandela. Une grande fête serait célébrée pour l’occasion et ils sou- haitaient que je fasse partie de l’organisation. J’acceptai la proposition sans hésiter. Ce samedi, alors que je suivais du regard les pas de Madiba – surnom donné à Nelson Mandela par le peuple sud-africain et ses proches les plus intimes, avec beaucoup de tendresse et d’admiration – je me suis souvenu des circonstances qui m’avaient conduit jusqu’à cet instant. Après ma rencontre avec Olívia Machel, je fus invité à un dîner de famille auquel assisterait Graça Machel, une femme très intelligente et communicative. Elle me reconnut immédiatement mais d’un air assez surpris me dit qu’elle me connaissait sous le nom de Soeiro, alors que ses filles lui avaient parlé de moi et de ma femme en employant l’expression plus familière de “cousin Bio et cousine Lola”. Elle ajouta 1

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MERCI MADIBA

Madiba, Lola et moi après le dîner du 12 août 2000.

AINSI EST NÉE NOTRE AMITIÉ

Il aurait pu s’agir d’une simple coïncidence, de l’un de ces très bons

moments que j’ai passés le jour de la pendaison de crémaillère de

la nouvelle résidence du couple Graça Machel et Nelson Mandela à

Maputo. Mais, maintenant qu’il me revient en mémoire, je crois que

ce moment fut précisément celui où débuta notre amitié. Je me sou-

viens qu’il était dix heures du matin, le samedi 12 août 2000. J’étais

accaparé par les préparatifs de la fête qui allait avoir lieu ce jour-là,

lorsque soudain je vis Madiba en contemplation devant les plantes

de la résidence. Je passai à trois cents mètres de lui. Je me rappelle

l’avoir salué de loin d’un geste de la main auquel il répondit en levant

le bras et en arborant ce franc sourire qui le caractérise tant. Nous

n’échangeâmes aucun mot.

Graça Machel m’avait demandé de venir à cette fête pour l’aider à orga-

niser le repas d’inauguration de sa nouvelle résidence à Maputo. Elle

et Madiba profiteraient de l’occasion pour fêter les quatre-vingt-deux

ans que Mandela avait complété le 18 juillet de cette année-là. Les

raisons de ma présence à cet événement aussi prestigieux et solennel

sont simples à expliquer: ils me contactèrent pour remplir cette mission

par l’intermédiaire de mes cousins Lena et Pedro Bule.

Quatre mois auparavant, ces derniers avaient été invités au dîner des

quatre-vingts ans de ma mère Susana. A ma grande surprise, ils se

montrèrent enthousiasmés par la manière dont avait été organisée la

fête, et quand je leur dis que nous en étions les responsables, ils en

furent plus impressionnés encore. De façon quelque peu énigmatique,

ils me firent savoir qu’ils auraient très probablement besoin de mes

services. Ils ne me donnèrent pas davantage de détails et j’oubliai

rapidement ces propos.

Quelques jours plus tard, mes cousins me téléphonèrent en me

demandant si j’étais disponible pour les accompagner chez Olívia

Machel, la belle-fille de Graça Machel et fille du premier président

de la République du Mozambique, Samora Moisés Machel, tragique-

ment décédé en 1986. Je leur répondis bien entendu par l’affirmative.

Une fois sur place, après les présentations, je saisis les motifs de leur

mystérieuse remarque au sujet de l’aide que je pourrais leur apporter.

On allait pendre la crémaillère de la nouvelle maison de Nelson

Mandela. Une grande fête serait célébrée pour l’occasion et ils sou-

haitaient que je fasse partie de l’organisation. J’acceptai la proposition

sans hésiter.

Ce samedi, alors que je suivais du regard les pas de Madiba – surnom

donné à Nelson Mandela par le peuple sud-africain et ses proches les

plus intimes, avec beaucoup de tendresse et d’admiration – je me suis

souvenu des circonstances qui m’avaient conduit jusqu’à cet instant.

Après ma rencontre avec Olívia Machel, je fus invité à un dîner de

famille auquel assisterait Graça Machel, une femme très intelligente

et communicative. Elle me reconnut immédiatement mais d’un air

assez surpris me dit qu’elle me connaissait sous le nom de Soeiro, alors

que ses filles lui avaient parlé de moi et de ma femme en employant

l’expression plus familière de “cousin Bio et cousine Lola”. Elle ajouta

1

Fête des quatre-vingts ans de Susana Tavares, ma mère.

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MERCI MADIBA

qu’elle n’aurait jamais imaginé que Soeiro et le “cousin Bio” étaient en

fin de compte une seule et même personne.

Le jour de la pendaison de crémaillère de la nouvelle maison, on m’assi-

gna les premières tâches. L’une d’entre elles fut d’accueillir à l’aéroport

les proches de Nelson Mandela qui arrivaient ce matin-là d’Afrique

du Sud. L’avion dans lequel voyageaient ses enfants, petits-enfants et

arrière-petits-enfants était un vol spécial ; il atterrit à Maputo à dix

heures du matin.

Les membres de la famille furent reçus au Salon CIP, une zone privée

de l’aéroport réservée aux passagers souhaitant bénéficier d’une atten-

tion et d’un confort particuliers. Ils y prirent un petit-déjeuner léger.

Ils furent ensuite conduits en autobus jusqu’à la Costa do Sol, l’une des

plages les plus connues et populaires de Maputo. Certains d’entre eux

n’avaient jamais vu la mer et il était incontournable de leur accorder ce

plaisir, notamment aux plus petits.

Quand ils arrivèrent enfin à la nouvelle maison, tous se dirigèrent vers

Madiba pour le saluer. Celui-ci les reçut avec beaucoup d’affabilité et

se réjouit particulièrement à la vue de ses petits-enfants. Quand les

autres se furent retirés et dispersés à travers la maison et le jardin,

Madiba continua à bavarder et à jouer un instant avec les plus petits.

Il écouta avec beaucoup d’attention et d’enthousiasme les histoires

qu’ils lui racontèrent, leurs progrès scolaires, l’aventure de leur récente

arrivée à Maputo en avion et leur découverte de la mer et du sable très

blanc de la Costa do Sol.

Pour le bon déroulement de l’inauguration de la maison et de la fête

donnée pour l’anniversaire de Madiba, une tâche fut assignée à chacun

de nous. Je fus chargé du protocole et mon épouse de la décoration.

Pedro Bule assuma la partie la plus complexe, la logistique, épaulé par

Gentil Zimba et António Andrade, deux amis de la famille, et leurs

épouses respectives. Dès lors, cette équipe, dont faisaient également

partie Olívia Machel, Ornila Machel, Yolanda Arcelina, Palma Pinto,

son épouse Palmira et d’autres membres de la famille Machel, resterait

unie jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, à chaque événement commémoratif or-

ganisé par la famille Machel, ce groupe-là est toujours prêt à apporter

le soutien nécessaire.

Quelques instants avant le déjeuner, il plut durant une dizaine de

Invités s’abritant de la pluie lors de la pendaison de crémaillère chez le couple Nelson Mandela et Graça Machel à Maputo.

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minutes. Comme ce n’est pas courant qu’il pleuve à cette époque de

l’année, l’averse fut interprétée comme une bénédiction africaine. Je ne

sais pas si ce le fut vraiment. Ce qui est sûr, c’est que la pluie retarda

d’une demi-heure le début de la cérémonie et provoqua quelques contre-

temps parmi les invités qui cherchaient à s’abriter. Heureusement, la

pluie cessa rapidement et ce, jusqu’à la tombée de la nuit.

Une chose nous préoccupait, ma femme et moi, les jours précédant la

cérémonie: nous serions également présents en tant qu’invités et par

conséquent nous devions offrir un cadeau à ce personnage si singulier

qu’est Nelson Mandela. Lola suggéra de commander un gâteau d’anni-

versaire très simple qu’on accompagnerait uniquement d’une bouteille

de champagne et de deux coupes en cristal pour que le couple puisse

trinquer. C’est ce que nous fîmes, et le gâteau que Lola eut l’idée

d’acheter occupa une place privilégiée sur la table d’honneur.

Avant que le déjeuner ne soit servi, Madiba coupa un morceau de gâ-

teau qu’il offrit à son épouse Graça Machel et porta un toast au bonheur

de tous les invités présents. Parmi ceux-ci se trouvait Joaquim Alberto

Chissano, alors président de la République du Mozambique. Ce fut un

grand moment d’allégresse. Plus tard, le couple tint à nous remercier

rapidement mais chaleureusement pour la qualité de ce beau gâteau

d’anniversaire. Naturellement, leurs mots nous remplirent de joie, mais

aussi de soulagement, et notre inquiétude à ce sujet se dissipa.

Après avoir coupé le gâteau, Gabriel Simbine, le frère aîné de Graça

Machel, le président Joaquim Chissano et enfin Madiba prononcèrent

un petit discours. Ce dernier remercia tous les invités de leur présence

et le gouvernement du Mozambique pour le terrain qu’il lui avait

cédé dans l’une des zones les plus cotées de la ville, à proximité de

la Présidence de la République, afin qu’il y construise sa maison. Il

affirma avec humour que ce serait une bonne raison de venir souvent

au Mozambique, non seulement pour la maison, mais aussi pour le

protocole d’Etat, qui permettrait de disposer librement d’une escorte

de véhicules et de motos chaque fois qu’il serait à Maputo. Dans son

intervention, Madiba rendit publiques les fiançailles de Josina Machel

– la fille de Graça et Samora Machel, plus connue sous le nom de

Jó – avec le jeune Luís Florivaldo.

Durant le déjeuner, plusieurs plats furent servis. Comme il fallait s’y

Madiba, ses petits-enfants, Graça Machel, le Président Joaquim Chissano, Lola Soeiro et Pedro Bule.

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MERCI MADIBA

attendre, les plus appréciés furent les crevettes et la« matapa». Etant

donné qu’il s’agissait d’une cérémonie familiale, ni la brochette de

bœuf, traditionnelle dans la famille Machel, ni la viande d’agneau,

tout aussi traditionnelle dans les deux familles, ne pouvaient manquer

au repas.

Pour deux raisons bien distinctes, je ressentis une certaine tristesse

quand approcha l’heure de reconduire les membres de la famille de

Madiba à l’aéroport. D’une part, parce que les adieux sont toujours

tristes. En second lieu, parce que les invités présents à la fête se

faisaient prendre en photo avec Madiba et que je ne pourrais pas

participer à la séance.

Environ deux heures plus tard, de retour à la résidence, alors que tous

les invités s’étaient retirés et que ne restaient que la famille et l’équipe

d’organisation de la fête, mon épouse me glissa avec un grand sourire

qu’elle avait eu le privilège d’être photographiée avec Madiba et Graça

Machel. Une fois de plus, je fus déçu d’avoir raté cette occasion.

Pour faire le bilan de notre travail, Graça Machel nous demanda de

rester à dîner. Cette invitation me consola enfin de la photo manquée

avec Madiba.

La journée avait été intense en émotions et nous étions tous fatigués.

Nous fîmes donc nos adieux juste après le dîner.

Nous partîmes avec la sensation d’avoir joui de la compagnie de gens

qui, malgré l’importance du rôle qu’ils avaient joué dans l’histoire de

mon pays, de l’Afrique du Sud et du monde entier, étaient capables de

rester aimables et de traiter les autres avec respect et considération.

Ce sentiment et le souvenir des moments passés si proche de Nelson

Mandela m’ont encouragé à essayer de découvrir le sens de« Madiba»,

surnom qu’on lui attribue, comme je l’ai signalé auparavant, avec

Graça Machel, Madiba et Lola Soeiro.

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beaucoup d’affection. C’est maintenant un nom bien connu dans sa

région natale, dans toute l’Afrique du Sud et dans le reste du monde.

Madiba fut un chef héroïque Tembu du XVIIIème siècle. A Qunu, terre

natale de la famille Mandela, dans les montagnes du Transkei, Madiba

signifie« le réconciliateur», celui qui s’emploie à unir les gens. Certains

spécialistes affirment que Nelson Mandela fut surnommé Madiba pour

ses talents de leader et le rôle fondamental qu’il a joué, non seulement

dans la libération de son pays, mais aussi dans le processus de récon-

ciliation nationale en Afrique du Sud.

Je ne lui ai jamais demandé personnellement quel était le véritable

sens du nom sous lequel il était connu. Comme il l’a écrit lui-même

dans son autobiographie, c’est l’une de ses professeures qui commença

à l’appeler ainsi. Nelson Rolihlahla Mandela, ou simplement Madiba,

nous a toujours inspiré de l’admiration et du respect. Son action fut

fondamentale et probablement décisive dans le processus politique

complexe qui mit fin à l’apartheid et dans l’avènement de la nouvelle

République d’Afrique du Sud; il s’est ainsi affirmé comme l’un des

principaux leaders d’Afrique et du monde.

Le Prix Nobel de la Paix qui lui fut attribué en 1993 n’est qu’une des

innombrables distinctions qui lui ont été décernées à juste titre. En

2009, les Nations Unies ont fait du 18 juillet, jour de son anniversaire,

la Journée Internationale Nelson Mandela, en hommage à son œuvre

pour la défense et la promotion de la justice et de la dignité humaine.

Malgré cette reconnaissance, sa popularité et son prestige internatio-

nal, Madiba est d’une humilité et d’une simplicité surprenantes dans

ses relations.

Le lendemain de la pendaison de la crémaillère, Graça Machel

appela toute notre équipe dans l’intention de faire un bilan général

de l’événement de la veille et de son organisation. Elle ne lésina pas

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MERCI MADIBA

sur les éloges à notre égard et nous proposa en outre de nous charger

désormais d’organiser toutes les cérémonies publiques de la famille

Machel. La proposition fut acceptée avec enthousiasme. Et ce projet

se consolida non seulement à travers un énorme travail collectif et les

expériences vécues en commun, mais aussi grâce à nos liens d’amitié

qui se sont affermis au cours de ces dernières années.

*

Malgré notre chaleureuse relation, je n’imaginais pas alors que

je fréquenterais si souvent Madiba. Cependant, nous nous ré-

unîmes de nombreuses fois et c’est ainsi que naquit entre nous une

amitié marquée par une affection réciproque. A ma grande surprise,

ces liens amicaux se consolidèrent rapidement ; ils perdurent encore

aujourd’hui et j’en suis très fier.

En octobre de cette même année, je me rendis de nouveau à Cannes,

en France, à un salon d’opérateurs duty free, accueillant des activités

telles que la vente de cosmétiques, de tabac et de boissons exclusives.

Lorsque je montrai la photo du gâteau d’anniversaire que nous avions

offert à Madiba à mon ami Jean-Christian de la Chevalerie, de la

maison de champagne Laurent-Perrier, il me demanda de lui offrir de

sa part deux magnums du meilleur champagne de la maison en guise

de cadeau de Noël.

Avant la fin de l’année, nous fûmes invités à un déjeuner privé avec

Madiba et Graça Machel à Maputo. Nous profitâmes de l’occasion pour

leur remettre les deux bouteilles de champagne qui venaient de France.

Madiba souhaita être pris en photo avec l’une des bouteilles, cliché que

j’ai par la suite envoyé à Jean-Christian comme preuve que son présent

Noël 2000 - Graça, Madiba et Lola.

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était bien arrivé à destination, et qu’il avait été reçu avec plaisir.

L’autre facteur qui renforça mes liens d’amitié avec Madiba fut la belle

histoire d’amour qui conduisit au mariage Samora Machel Júnior, plus

connu sous le nom de Samito, et Jovita Sumbana. Samito est le fils

de Samora Machel, le premier président du Mozambique, et de Josina

Machel, figure héroïque de la lutte pour l’indépendance du pays et

référence historique dans le long combat pour la libération de la femme

mozambicaine. Samito est né pendant la lutte de libération nationale,

mais, au même titre que Jovita, il a grandi et a été éduqué dans un

Mozambique indépendant. Lorsqu’ils décidèrent de se marier, nous

fûmes aussitôt impliqués dans les préparatifs de la cérémonie.

La noce fut célébrée en deux endroits: au Jardin des Amoureux, à

Maputo, le samedi 12 mai 2001, et une semaine plus tard à Xilembene,

la région natale du président Samora Machel, de sa famille et de tous

ses ancêtres.

Le Jardin des Amoureux, situé dans le quartier du Palais de la Pointe

Rouge, avec une vue spectaculaire sur la baie de Maputo, ne fut pas

choisi par hasard. Le président Samora Machel lui-même avait réhabi-

lité cet endroit superbe et lui avait redonné son nom. Il avait l’habitude

d’y cueillir des fleurs qu’il offrait amoureusement à son épouse Graça.

La préparation de la cérémonie exigea de nous un grand effort d’orga-

nisation. Pour la première fois, notre équipe dut relever l’immense défi

de recevoir plus de cinq cents invités provenant de tout le Mozambique

et de partout ailleurs.

Nous commençâmes le travail par des réunions hebdomadaires qui se

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MERCI MADIBA

tenaient toujours chez Graça Machel, ou Mama Graça, telle qu’elle est

communément appelée. Plutôt que« Madame», au Mozambique et dans

la majorité des pays d’Afrique, il est fréquent d’utiliser le terme«Ma-

ma». Cette formule de politesse est teintée de la tendresse et du respect

que les Africains éprouvent généralement envers le rôle social de mère

que la femme doit assumer.

Souvent, ces réunions préparatoires se tenaient lors des séjours de

Madiba à Maputo, ce qui favorisa largement l’amitié qui s’était établie

entre nous. Quand nous organisions le planning de la fête, nous par-

lions parfois plus fort que de raison. Mais nous baissions rapidement

le ton en apercevant Madiba déambuler dans la résidence au risque de

nous entendre. Cependant, jamais il ne nous interrompit ni n’interféra

en aucune façon dans notre travail.

Comme Mama Graça nous l’avait indiqué, ni Samito ni sa future épouse

n’auraient un rôle actif dans la préparation de la noce. Elle souhaitait

leur épargner cet effort afin qu’ils puissent se préparer sans souci pour

ce moment si important de leur vie. Mama Graça et nous-mêmes fîmes

tout pour que la fête soit des plus chaleureuses et des plus amicales,

créant ainsi une atmosphère qui aiderait le marié à surmonter l’absence

de ses parents, Samora Moisés Machel et son épouse Josina Machel.

Je fus comblé quand Mama Graça nous assura par la suite que notre

objectif avait été atteint. C’est ainsi que nous contribuâmes au bonheur

de Samito et Jovita, ce 12 mai 2001.

Au moment où nous préparions les invitations, Samito souhaita per-

sonnellement informer Madiba de l’événement ; celui-ci se trouvait

justement à Maputo. Il montra sa gratitude envers Samito pour cette

sollicitude. Quand Madiba apprit que le mariage serait célébré le 12

mai, il s’exclama d’un air inquiet:

– Je ne pourrai pas être présent, j’ai une cérémonie le même jour en

Mariage de Samora Machel Jr. et Jovita, entourés des parents de la fiancée António et Lúcia Sumbana, Graça et Madiba.

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1 AINSI EST NEE NOTRE AMITIÉ

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MERCI MADIBA

Ouganda pour l’inauguration d’un stade qui portera mon nom!

Très attristé, Samito se désola de cet empêchement et lui deman-

da de faire tout son possible pour venir. Madiba décida de lui

faire plaisir et de changer son programme. Il choisit d’assister

au mariage à Maputo et reporta son voyage en Ouganda. Pour

ce que j’en sus, ce geste fut très apprécié par la famille Machel.

Nous nous réjouîmes aussi d’une telle considération de la part de

Madiba. Dans cette allégresse générale, nous ne nous mesurions

pas l’ampleur de l’événement qui se profilait.

Le jeudi 16, l’équipe dut se rendre à Xilembene pour organiser

sur place la seconde phase de la cérémonie. Xilembene est une

région de l’intérieur du Mozambique qui, malheureusement, est

dépourvue d’infrastructures adaptées à une célébration de l’en-

vergure de celle que nous devions organiser, avec autant d’invités.

Face à ces carences techniques et logistiques, il nous fallut avoir

recours à toutes les alternatives possibles. L’expérience d’António

Andrade, de Pedro Bule et de Gentil Zimba fut d’une grande uti-

lité. Nous restions à Xilembene jusqu’au dimanche. Les membres

de la famille Machel disposaient de leur propre logement, tandis

que nous allions dormir tous les soirs au Chokwè ou au Bilene. A

cinq heures du matin, nous étions déjà sur la route de Xilembene

pour la préparation de la fête.

Le 19 mai eut lieu la cérémonie traditionnelle du mariage de

Samito et Jovita, honorée de la présence de Joaquim Chissano,

le président de la République d’alors, de divers membres du

gouvernement et de nombreuses autres personnalités.

Je me souviens encore d’un détail qui me marqua. Comme

il s’agissait d’une fête traditionnelle, les habitants du village

étalèrent des nattes sur le chemin de quatre cents mètres que

Mariage traditionnel de Josina et Luís à Xilembene.

Madiba accompagne Jó à l’autel.

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1 AINSI EST NEE NOTRE AMITIÉ

devaient emprunter les mariés et s’alignèrent sur ce parcours.

À l’exception de Madiba, qui arriva en hélicoptère, les invités

prirent leur voiture ou le car.

De nombreux invités arrivèrent pratiquement à l’heure du déjeu-

ner, qui fut servi à treize heures, et formèrent une immense foule

à l’entrée de la salle. Mais tout se déroula aussi bien que possible.

Après seize heures, la majeure partie des invités commença à

s’éclipser. Il en fut également ainsi pour Madiba, qui retourna

à Maputo. Mama Graça resta à Xilembene. Le dimanche

après-midi, les membres de l’équipe d’organisation et moi-même

regagnâmes la capitale. Nous étions fatigués mais satisfaits, nous

avions vécu des moments inoubliables et rentrions chez nous avec

le sentiment du devoir accompli.

Une fois de plus – cela devenait une habitude – Mama Graça nous

invita à une réunion de bilan qui eut lieu dans sa résidence. Ce

fut l’occasion de manger et de parler un peu de tout, dans une am-

biance décontractée. On nous fit de nombreux éloges - d’ailleurs

bien mérités, en y pensant bien. Nous avions donné le maximum

de nous-mêmes pour garantir le succès de la cérémonie de noces.

A un moment donné, Mama Graça voulut nous remercier de notre

bénévolat avec un chaleureux «merci» et avec un certain sens de

l’humour elle déclara:

– N’oubliez jamais qu’il y a des« mercis» qui valent plus d’un

million de dollars!

L’autre grande fête de la famille Machel à laquelle assista Madiba

fut le mariage de Jó. Lors du bilan des noces de Samito, Mama

Graça annonça que Jó se marierait en septembre de cette année.

Mais comme la date était imminente et que les moyens logistiques

et les coûts méritaient réflexion, il fut suggéré à la future épouse

Entrée de Jó à l’église au bras de Malenga Machel le jour du mariage.

A gauche - Luís et Jo à l’entrée de la tente.

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MERCI MADIBA

de reporter le mariage à l’année suivante. Et il en fut ainsi. La fête eut

lieu à l’hôtel Cardoso le 29 mars 2002. La cérémonie religieuse se

déroula le lendemain à l’église méthodiste. Après le mariage, le couple

partit en lune de miel, raison pour laquelle la cérémonie traditionnelle

se tint seulement un mois plus tard à Xilembene. A cette occasion,

comme pour le mariage de Samito, les jeunes mariés marchèrent sur

les nattes que les habitants des environs avaient tendues sur le sol.

Comme lors des autres cérémonies nuptiales de la famille, le vin

d’honneur fut organisé au Jardin des Amoureux, lieu de prédilection

de Samora Machel pour sa beauté et son charme naturels. En outre

c’est là que, le 19 octobre 1985, précisément un an avant l’accident

dans lequel Samora Machel perdit la vie, avait été célébré le mariage

de son fils Idelson Machel avec Yolanda Arcelina.

Au mariage de Jó surgit un imprévu qui me fait encore rire aujourd’hui.

Un styliste sud-africain fut embauché pour la confection de la robe

de mariée, qui incluait évidemment un voile. Au moment où la ma-

riée aurait dû commencer à entrer dans l’église au son de la marche

nuptiale, Jó n’en fit rien, à la surprise de tous, parce que son styliste

n’apparaissait pas. J’allai lui demander ce qui se passait et elle me dit

avec angoisse qu’il lui manquait son voile. Elle ne voulait pas entrer

sans voile et souhaitait parler de toute urgence à sa sœur Olívia. Dans

un moment comme celui-ci, où les décisions doivent être prises sans

hésitation, Olívia eut recours à tout son bon sens:

- Tu es tellement belle que ça ne vaut même pas la peine d’attendre que

ton voile arrive! – Je te le promets.

C’est ainsi que Jó fit son entrée triomphale accompagnée de son frère

Malenga Machel et se maria finalement sans voile. Le styliste, dont

je ne me rappelle plus le nom, avait emmené le tulle à la cathédrale,

convaincu qu’une cérémonie de cette dimension ne pouvait se réaliser

ailleurs. Et alors qu’il l’attendait là-bas, Jó se mariait à l’église métho-

diste de Maputo.

*

En 2001, après le mariage de Samito, je participai à un autre événe-

ment qui m’émut beaucoup. Ce fut l’hommage rendu au président

Samora Machel à Johannesburg, dans le Gallagher State, un énorme

Madiba, Graça et le peintre Naguib. Le tableau “La Lutte contre la Corruption”.

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1 AINSI EST NEE NOTRE AMITIÉ

palais des congrès qui peut accueillir jusqu’à cinq mille personnes.

L’hommage qu’on lui rendit pour le quinzième anniversaire de sa mort

à Mbuzini se déroula dans cet édifice.

De grands noms de la musique et de la culture du Mozambique et

d’Afrique du Sud étaient présents. Le célèbre musicien sud-africain

Hugh Masekela fut le maître de cérémonie. L’hommage fut organisé

par le mozambicain Aurélio Le Bon et par des Sud-africains.

Il n’y a aucun secret quant à la grande admiration que Madiba a

toujours éprouvée pour Samora Machel. Il souligna de nombreuses

fois l’estime qu’il avait pour l’esprit combatif et les idées nationalistes

du premier président du Mozambique. C’est lui qui décida que, après

son indépendance, le Mozambique accueillerait un grand nombre de

réfugiés sud-africains. Pendant des années, les principaux dirigeants

de l’African National Congress (ANC) vécurent là, comme ce fut le cas

d’Oliver Tambo et de Joe Slovo, aujourd’hui décédés, et de Jacob Zuma,

l’actuel président de l’Afrique du Sud.

Un an après l’hommage à Samora Machel, une cérémonie identique fut

célébrée à Maputo. Madiba apporta son soutien et son encouragement à

l’organisation de cette manifestation. Nous dûmes arpenter toute la ville

afin de trouver un lieu adéquat pour installer un chapiteau de grandes

dimensions, qui servirait de scène à la fête. Après avoir fait le tour de

Maputo et avoir trouvé quelques espaces disponibles, nous décidâmes

d’installer la tente sur un terrain vague entre l’École Portugaise et le

complexe sportif Matchiki-Tichki.

Ce choix enchanta tout le monde car il s’agissait d’un espace qui fa-

ciliterait le stationnement des véhicules et l’installation des moyens

logistiques nécessaires à l’événement. Comme lors de la cérémonie en

Afrique du Sud, des artistes sud-africains et mozambicains étaient

présents à titre bénévole. En Afrique du Sud, un peintre célèbre avait

présenté l’un de ses tableaux, dédié à Samora Machel. Je me souviens

qu’à Maputo, le peintre Naguib conçut une œuvre qu’il intitula« La

Lutte Contre la Corruption» et qu’il l’offrit à Mama Graça en souvenir

de cette cérémonie. Tout le mérite de cette célébration en mémoire de

Samora Machel organisée à Maputo revenait à sa fille Jó.

*

Madiba et Graça à la fête d’anniversaire. Moment où l’auteur accompagne Mama Graça à la table d’honneur.

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MERCI MADIBA

Tous ces événements étaient des occasions qui justifiaient la pré-

sence de Madiba et, de cette manière, il me fut possible de garder

un contact avec lui. L’un de ces grands moments, que je ne pourrai

jamais oublier, fut la célébration du soixantième anniversaire de Mama

Graça. Les enfants et les parents les plus proches désiraient que cette

fête soit vraiment marquante. Dès les premiers instants, je fus très

impliqué dans l’organisation en tant que membre de l’équipe de travail

que j’ai déjà évoquée à plusieurs reprises.

L’idée était de faire une cérémonie d’anniversaire pour les seuls

enfants, famille et amis les plus proches et une autre d’une plus

grande envergure, à laquelle assisteraient d’autres invités, y compris

des personnages publics. Nous ne voulions pas que Mama Graça soit

au courant de la deuxième fête. Jó, une fois de plus, fit la preuve de

ses capacités d’organisation et de sa grande imagination, et eut l’idée

de convaincre Madiba d’être le complice des plans que nous avions

élaborés.

Madiba devait dire à son épouse qu’il avait été invité à un simple dîner

au Centre de Conférences Joaquim Chissano, deux ou trois jours après

la première fête d’anniversaire. Je suis convaincu que Mama Graça

ne se douta de rien car, à son arrivée au Centre de Conférences, sa

surprise fut sincère quand elle vit la quantité de voitures stationnées

et l’énorme tente où se trouvaient déjà des centaines d’invités. Parmi

eux figuraient le chef d’Etat Armando Emílio Guebuza et la Première

dame, Maria da Luz Guebuza.

Ainsi, lorsque Mama Graça, accompagnée par Madiba, entra sous

le chapiteau, elle fut accueillie par un immense chœur qui lui chan-

tait« Joyeux anniversaire». L’émotion et la surprise pouvaient se lire

facilement sur le visage de l’héroïne de la soirée, ce qui nous réjouit,

puisque c’était l’effet escompté. Le dîner se déroula sans imprévus,

dans une atmosphère joyeuse. Mais il fut interrompu quelques instants

par un épisode qui, sur le moment, nous inquiéta beaucoup. En raison

de la température élevée qu’il faisait sous la tente, Madiba se sentit

soudainement mal et ses médecins décidèrent de lui faire quitter les

lieux, sans donner aucune explication à l’assistance.

Mama Graça, Pedro, Andrade, Zimba et moi accompagnâmes Madiba

jusqu’à sa voiture. Après qu’on nous eut assuré qu’il ne s’agissait de

On chante les chansons qu’aimait Samora Machel.Mama Graça invite Amélia Mingas à s’asseoir à la table d’honneur.

31

1 AINSI EST NEE NOTRE AMITIÉ

rien de grave, notre inquiétude se dissipa un peu. Nous vîmes Madiba

partir vers sa résidence, accompagné de son équipe médicale. Madiba

arriva quelques instants plus tard chez lui d’où l’on nous appela pour

nous confirmer qu’il n’y avait aucun problème. Une fois de plus, nous

soupirâmes de soulagement. Le maître de cérémonie, en l’occurrence

Malenga Machel, annonça à tous les invités ce qui c’était passé et les

informa que Madiba se sentait bien. Il s’était agi d’un simple coup de

fatigue due à une chaleur excessive. Malenga demanda des applaudis-

sements à l’assistance et la fête continua toute la nuit.

A un moment donné, les enfants de Graça Machel prièrent leur mère de

se diriger vers la scène pour recevoir un bouquet de fleurs. A cet ins-

tant Mama Graça me fit signe de m’approcher d’elle. Elle me demanda

de l’accompagner à la table d’honneur et ne se lassa pas de me répéter

en chemin:

– Bio, une fois de plus vous m’avez surprise… Je me sens extrêmement

heureuse et reconnaissante de ce qu’a fait pour moi ma vraie famille.

Sur la scène, les enfants et les parents proches de Mama Graça

improvisèrent un chœur et commencèrent à entonner quelques chan-

sons romantiques, celles que Samora Machel chantait le plus volontiers

lorsqu’il était en famille.

Jó fut l’artisane d’un autre épisode qui surprit très agréablement Mama

Graça. Au moment du dîner, elle se dirigea vers moi pour me demander

de me rendre à l’aéroport et d’y accueillir une dame – une grande amie

de Mama Graça qui arrivait par le vol de Johannesburg. J’allai à l’aé-

roport et fis tout mon possible pour la recevoir comme il se doit, puis

retournai à la fête avec elle. Il s’agissait de madame Amélia Mingas,

la sœur de l’Angolais Rui Mingas. Quand elle entra dans la salle et se

dirigea vers Mama Graça, cela fit l’effet d’un éclair fulgurant. Je pus

tout observer. Mama Graça en fut visiblement émue, elle lui donna une

longue et chaleureuse embrassade et l’invita à prendre place à la table

d’honneur.

Plus tard, Mama Graça nous expliqua que cette amie était pour elle

comme une sœur aînée ; elle l’avait emmenée au Portugal, à la fin des

années 60, elle l’avait reçue et lui avait apporté tout le soutien et la

protection nécessaires à la nouvelle vie d’étudiante universitaire qu’elle

Jonathan Oppenheimer.Patrice Motsepe.

32

MERCI MADIBA

entamait dans la capitale portugaise.

Lors de l’anniversaire de Mama Graça, auquel assistèrent de nombreux

invités, j’eus l’occasion de connaître et d’échanger mes impressions

avec deux personnalités du monde de l’entreprise: Patrice Motsepe,

qui travaillait dans l’industrie minière, et Jonathan Oppenheimer,

arrière-petit-fils du fondateur de la grande entreprise minière Anglo

American.

*

Je recevais toujours des nouvelles de Madiba et lui transmettais mes

salutations.

C’est peut-être pour cette raison qu’un jour, alors que je revenais de la

Costa do Sol où j’avais déjeuné avec Sylvie Bigati, la représentante de

la maison Chanel, l’une des plus grandes entreprises de parfums, mon

téléphone portable sonna. C’était un appel de Madiba qui me souhaitait

un joyeux anniversaire. Ma joie fut telle que je dus arrêter la voiture et

fus incapable de retenir mes larmes. Evidemment, je me retrouvai dans

l’obligation d’expliquer à mon amie, en français, le motif d’une telle

émotion. Elle me répondit simplement:

- Abílio, tu es une star!

Comme les moments de ce genre doivent se partager avec les êtres

chers, j’appelai rapidement mes fils Rui et Hugo, qui étudiaient alors

à Johannesburg, et la nouvelle les émut autant que moi. Si je l’avais pu

j’aurais appelé toutes les personnes que je connaissais, mais je préférai

me dépêcher d’annoncer moi-même la nouvelle à mon épouse.

Depuis le premier instant où nous nous sommes trouvés, le 12 août

2000, à la pendaison de crémaillère de la maison du couple Mandela

Sylvie Bigati, représentante de la maison Chanel.

L’emblématique Restaurant Costa do Sol, qui était à l’origine un abri de chasse de la famille grecque Petrakakis, fut construit dans les années 50. On y

mangeait les meilleures crevettes grillées du monde. Malheureusement, et au grand regret de nombreux

fins connaisseurs de ce fruit de mer, le restaurant ferma définitivement ses portes le 30 septembre 2012.

33

1 AINSI EST NEE NOTRE AMITIÉ

à Maputo, Lola et moi fûmes invités à toutes les grandes fêtes d’anni-

versaire de Madiba. Nous participâmes ainsi à la célébration de son

quatre-vingt cinquième et de son quatre-vingt-dixième anniversaires.

Pour ses quatre-vingt-cinq ans, la fête se déroula à Johannesburg. Lola

et moi nous y rendîmes le 18 juillet 2003 au matin, et rentrâmes deux

jours plus tard.

En montant dans l’avion qui allait nous conduire à Johannesburg,

l’hôtesse de la South African Airways (SAA) nous annonça ce qui suit:

- Aujourd’hui, Nelson Mandela, notre Madiba, fête ses quatre-vingt-

cinq ans et la SAA tient à le remercier pour tout ce qu’il a fait pour

notre pays, pour l’Afrique et pour le reste du monde…

Ainsi, tous les vols de SAA signalèrent cette date si importante et qui

me marqua tant. Je n’oublierai jamais l’engagement des personnes

qui furent impliquées dans la célébration du quatre-vingt-cinquième

anniversaire de Madiba.

Une fois de plus, nous vécûmes des moments mémorables. Je fus très

surpris de la chaleureuse affection dont il fut l’objet. La fête dura

deux jours entiers, durant lesquels activités culturelles et témoignages

d’amitié se multiplièrent. Le premier jour des écrans géants, installés

dans la salle de banquet où se tenait le dîner, retransmettaient des

messages envoyés au préalable et dédiés à Madiba. Lola et moi avions

nous aussi adressé notre message de vœux et fûmes ravis qu’il soit lui

aussi projeté à l’écran.

Cet anniversaire de Madiba m’émerveilla par les instants inouïs qu’il

nous offrit. Le moment où Madiba entra dans le salon fit sensation

parmi les invités: ce fut alors que toutes les lumières s’allumèrent pour

le surprendre. Les moindres détails de la préparation de l’événement

avaient été tenus secrets afin que Madiba ne se rende compte de rien

et que la fête soit une grande surprise.

J’appréciai aussi beaucoup le moment de la projection des messages

de vœux: Oprah Winfrey, une célèbre présentatrice de télévision

nord-américaine, entrepreneuse et grande amie de Madiba, semblait

lire en direct des États-Unis un discours émis par satellite. Pourtant,

elle apparut soudainement dans la salle en chantant« Joyeux anniver-

saire», accompagnée d’une pléiade de personnalités internationales

comme le mannequin Naomi Campbell et de nombreuses autres. Le 18

comme le 19 juillet, des célébrités du monde entier participèrent à la

fête, comme par exemple la reine de Hollande, le couple Bill et Hillary

Clinton, Bono des U2 et Robert de Niro.

De retour à Maputo le lundi 20 juillet, je pris un vol de la SAA en com-

pagnie de Mama Graça par le plus grand des hasards. Comme nous

étions assis tous deux à l’avant de l’avion, nous échangeâmes quelques

mots. A un moment donné, l’une des hôtesses nous interrompit pour

nous demander si elle pouvait se faire photographier avec Mama Graça.

Je pris moi-même la photo, à la grande satisfaction de l’hôtesse. Durant

le vol, d’autres membres de l’équipage saluèrent Graça Machel et lui

firent quelques commentaires sur l’anniversaire de Madiba.

Cinq ans plus tard, je participai à une autre cérémonie, celle de la

commémoration de ses quatre-vingt-dix ans. Ce fut une date célébrée

dans le monde entier. L’apothéose de cet hommage rendu à Madiba

fut un spectacle musical grandiose, réalisé à Londres et retransmis en

direct sur tous les écrans du monde, auquel il assista accompagné de

Graça Machel.

Aucun mot ne peut décrire la tendresse et l’émotion que les habitants

de la planète entière ressentirent ces jours-là. Ceci fut souligné par le

célèbre artiste nord-américain Will Smith qui, dans son rôle de maître

34

MERCI MADIBA

Bio et Lola:

Des amis comme vous ont fait du monde un lieu meilleur. Les amis sont les joies qui nous façonnent

comme une famille et les moments qui nous montrent que nous vivons toujours dans un monde inquiétant...

Félicitations et joyeux anniversaire.

Très affectueusement,

Abílio e Glória Soeiro.

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1 AINSI EST NEE NOTRE AMITIÉ

de cérémonie du spectacle londonien, monta sur scène pour féliciter

Madiba.

Le 18 juillet 2008, date du quatre-vingt-dixième anniversaire de

Madiba, Lola et moi, qui étions à Johannesburg pour participer aux

festivités, eûmes soudain l’agréable surprise de recevoir des billets

gratuits pour un vol de deux heures à destination de Qunu, berceau

de la famille de Mandela. Nous nous sentîmes très honorés de cette

déférence. C’était une preuve supplémentaire de l’amitié que Madiba

éprouvait à notre égard.

Nous arrivâmes à Qunu vers onze heures du matin le 19 juillet 2008

pour nous joindre à un déjeuner festif. A notre arrivée, nous fûmes

reçus par les agents du protocole qui nous accompagnèrent jusqu’à la

résidence officielle de Madiba pour saluer et féliciter la famille. Cette

attention nous toucha beaucoup.

Durant le déjeuner, servi sous un énorme chapiteau, je remarquai qu’à

la table d’honneur étaient assis, accompagné de son épouse, Thabo

Mbeki, alors président de l’Afrique du Sud, ainsi que son actuel

successeur Jacob Zuma, à cette époque président de l’ANC. Etait éga-

lement présente, parmi d’autres personnalités, une dame d’un certain

âge d’origine indienne, qui je crois fait partie de la famille de l’un des

prisonniers politiques sud-africains amis de Madiba et qui préparait le

fameux«riz biryani».

Oprah Winfrey, le prince et la princesse de Hollande Willem-Alexander et Maxima Zorreguieta, Tokyo Sexwale et Naomi Campbell.

36

MERCI MADIBA

Robert de Niro manifestant une particulière bonne humeur.

Richard Branson, Olívia et Ornila Machel.

37

1 AINSI EST NEE NOTRE AMITIÉ

Bill et Hillary Clinton.

Naomi Campbell et Lola.

Les danses traditionnelles furent très remarquées lors de la célébration des quatre-vingt-dix ans de Madiba à Qunu.

40

MERCI MADIBA

A une autre table étaient assises, vêtues de leurs costumes multicolores

typiques, ou parfois même à demi-nues, les danseuses qui avaient

salué les invités à leur arrivée. Les danses traditionnelles donnèrent à

la cérémonie une note plus festive encore.

Nous fûmes également touchés par le fait que le protocole eût organisé

notre retour à Johannesburg le soir même, en avion privé, nous évitant

ainsi de passer la nuit à Qunu, où il n’y avait pas assez de chambres

pour les innombrables invités présents. Le voyage de Qunu à Lanseria,

aux alentours de Pretoria, dura deux heures. Nous en profitâmes pour

rendre visite à nos fils et faire un tour dans la ville de Johannesburg

qui se préparait déjà à accueillir quelques matchs de la Coupe du

monde de football 2010.

S’il reste encore quelques doutes sur les raisons de cette grande amitié

que je ressens envers Madiba, la réponse est très simple: une profonde

admiration pour sa personnalité, pour ses actions et pour ce qu’il

représente comme homme et comme figure publique. Par ailleurs, la

récompense de cette amitié est la reconnaissance qu’il a toujours su

me manifester.

Il y a peu de cela, je me suis retrouvé avec le livre«Mandela» de

Charlene Smith entre les mains. C’était un cadeau personnel de

Madiba. Sur cet exemplaire il avait écrit de sa main et de sa plume la

dédicace suivante:

« Mes meilleurs vœux pour un couple remarquable, capable d’apporter

un soutien enthousiaste aux causes méritoires et qui a gagné notre

respect et notre admiration.

Mandela».

En 2004 j’eus un jour en arrivant à la maison l’agréable surprise de

trouver une carte de Nelson Mandela, qui nous remerciait d’un présent

très modeste que nous lui avions offert. La carte était signée du nom

de« Madiba», ce qui était peu habituel de sa part. Le message disait:«

Merci beaucoup pour ce précieux cadeau. Il n’a pas de prix. Nous por-

terons toujours dans notre cœur votre amitié et votre amour. Madiba.

1.8.04»

*

41

1 AINSI EST NEE NOTRE AMITIÉ

S’il existe obligatoirement une raison qui nous pousse à nous lancer

dans l’écriture d’un livre, dans mon cas, j’en vois au moins deux.

L’une d’elle est manifeste dans le titre«Merci, Madiba». L’autre s’est

imposée au cours du long processus d’écriture et s’est avérée fasci-

nante: découvrir mes racines, l’histoire de ma famille et mon identité

de Mozambicain. Ces deux raisons étaient intrinsèquement liées. La

seconde n’aurait pas existé si je n’avais pas connu Nelson Mandela, si

je n’avais pas écouté attentivement ses paroles, si je n’avais pas observé

sa manière d’être et enfin si je n’avais pas passé du temps en sa compa-

gnie, au point de pouvoir me permettre de le considérer comme un ami.

Le défi de réunir les informations qui me donnent la possibilité d’éluci-

der certains mystères de l’histoire de ma famille s’est rapidement muée

en un réel plaisir. En revanche, ma principale motivation n’a jamais

cessé d’être les remerciements que je voulais adresser à Madiba.

Pourquoi merci? Je consacrerai les pages qui vont suivre à tenter d’y

répondre.

*

Le plus jeune fils de Graça et Samora Machel, Malenga Machel, se

maria à son tour en mai 2012. De même que pour les précédents

mariages, j’eus le privilège de participer à cet événement extraordi-

naire. Je me souviens du commentaire de Mama Graça lors de l’une des

réunions de préparation:« Mon plus jeune fils va se marier. Je sens que

j’accomplis une tache unique en tant que mère, en préparant le chemin

pour les nouvelles générations».

Le mariage du jeune Malenga commença le 13 mai à Stellenbosch, à

proximité de cette belle ville du Cap. Ce fut une fête intime, qui réunit

la proche famille et les amis de classe de Malenga. Selon la tradition,

une autre cérémonie devait se réaliser à Maputo puis le mariage lui-

même à Xilembene, terre natale de Samora Machel. Mais la famille

décida que seule cette dernière fête aurait lieu.

Le mariage eut lieu à Xilembene le 26 mai, un samedi. Le lendemain

se déroula la cérémonie xiguiane, qui consiste à apporter des cadeaux

chez le marié, et à laquelle les invités n’assistèrent pas.

Les 90 ans de Madiba à Qunu. A la table d’honneur, Zanele Mbeki, épouse de l’ancien président Thabo Mbeki.

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MERCI MADIBA

Epifânia Costa, Mama Graça, Malenga et Patrícia Machel, Eliasse Faquir et António Costa.

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1 AINSI EST NEE NOTRE AMITIÉ

Le mariage de Malenga fut pour notre groupe de soutien et de planifi-

cation logistique l’occasion de travailler en commun une fois de plus.

Il est très émouvant, après tant d’années, et en tenant compte du fait

que chacun de nous a ses activités professionnelles, que nous soyons

disponibles pour l’aider chaque fois que Mama Graça nous sollicite.

Et pour cette fois-là, outre les membres initiaux du groupe, je dois

mentionner Matonga Machel et Basílio Simbine, qui se surpassèrent

en nous apportant une aide précieuse. Bien que bien plus jeunes que

nous, ils montrèrent un grand sens des responsabilités et beaucoup

de sérieux. Andrade, qui travaille actuellement dans la province

d’Inhambane, ne voulut pas non plus perdre les moments de joie et

d’émotion que nous allions vivre à Xilembene. Quand il apprit ce qui

allait se passer, il demanda quinze jours de vacances et eut ainsi lui

aussi l’occasion d’adresser ses meilleurs vœux de bonheur à Malenga

et à Patrícia Costa.

Je rencontrai encore une fois la tante Amélia, l’Angolaise qui avait reçu

à Lisbonne la jeune étudiante mozambicaine d’alors, aujourd’hui Mama

Graça, lorsque celle-ci y avait entrepris ses études universitaires. La

tante Amélia, sœur de Rui Mingas, était radieuse, et nous heureux de

partager ces moments de grand bonheur. Les 26 et 27 mai 2012 sont

des dates qui restent gravées dans ma mémoire et dans ma vie.

Le thème de réflexion du mariage fut l’arbre, symbole qui finit par

envelopper le couple que Malenga formait avec la jeune mozambi-

caine Patrícia Costa. De fait, l’arbre, avec ses racines, son ombre et

ses fruits, représente le présent et le futur. Ce thème nous émut tous.

Nous vécûmes un autre moment de joie et de bonheur, partagé par

des générations différentes, unies par un idéal commun ancré dans

la solidarité. Pour des raisons de santé, Madiba n’assista pas à ces

réjouissances. Il allait bientôt avoir 94 ans.

***

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Lola, Mama Graça, Olívia, Madiba, Lena, Quina, Andrade, Mama Thandi, Zimba et Ana.

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