Agitation iatrogène chez le sujet âgé : prévalence, causes et prise en charge

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Agitation iatrogène chez le sujet âgé : prévalence, causes et prise en charge Michèle Dicko 1 , Philippe Caillet 2 , Carmelo Lafuente-Lafuente 3 , Elena Paillaud 2 1. Groupe hospitalier Mondor (APHP), site hôpital Albert-Chenevier, département de médecine interne et gériatrie, 94010 Créteil cedex, France 2. Groupe hospitalier Mondor (APHP), site hôpital Henri-Mondor, département de médecine interne et gériatrie, 94010 Créteil cedex, France 3. Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière-Charles-Foix (APHP), site Charles-Foix, pôle de gériatrie Paris Val de Marne, 94205 Ivry-sur-Seine, France Correspondance : Elena Paillaud, Groupe hospitalier Mondor (APHP), site hôpital Henri-Mondor, département de médecine interne et gériatrie, 51, avenue du Maréchal-de-Lattre- de-Tassigny, 94010 Créteil cedex, France. [email protected] Disponible sur internet le : 16 janvier 2013 Presse Med. 2013; 42: 181186 ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com Me ´dicaments et personnes a ˆge ´es Dossier thématique 181 Mise au point Key points Iatrogenic agitation in elderly patient: Prevalence, aetio- logies and management Iatrogenic agitation is frequently drug-induced in the elderly. The management of the iatrogenic agitation is based on: a detailed analysis of the patient’s medications, stopping non- essential drugs, prescribing drugs to the lowest and effective dose possible. This management of the iatrogenic agitation is also based on: adjustment of drugs according to renal function and limita- tion of polypharmacy. Special attention is necessary when prescribing treatments for patients with cognitive impairment. Points essentiels L’agitation est très fréquemment d’origine médicamenteuse chez le sujet âgé. La prévention et prise en charge de l’agitation iatrogène repose sur une analyse détaillée des médicaments du patient, l’arrêt des médicaments non essentiels, la prescription des médicaments nécessaires aux posologies efficaces les plus basses possibles. Elles se fondent aussi sur l’ajustement des médicaments à la fonction rénale et la limitation de la polymédication. Une attention particulière est nécessaire lors de la prescription de traitements chez des patients atteints de troubles cognitifs. En cas d’agitation, le traitement non médicamenteux est à privilégier. Si l’agitation est importante, l’utilisation d’un séda- tif à demi-vie courte, à faible dose et par voie orale de préférence, peut-être considérée de façon ponctuelle et tem- poraire. tome 42 > n82 > février 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.06.024

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Key points

Iatrogenic agitation in elderlylogies and management

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tome 42 > n82 > février 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.06.024

Agitation iatrogène chez le sujet âgé :prévalence, causes et prise en charge

Michèle Dicko1, Philippe Caillet2, Carmelo Lafuente-Lafuente3, Elena Paillaud2

1. Groupe hospitalier Mondor (AP–HP), site hôpital Albert-Chenevier, départementde médecine interne et gériatrie, 94010 Créteil cedex, France

2. Groupe hospitalier Mondor (AP–HP), site hôpital Henri-Mondor, département demédecine interne et gériatrie, 94010 Créteil cedex, France

3. Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière-Charles-Foix (AP–HP), site Charles-Foix, pôlede gériatrie Paris Val de Marne, 94205 Ivry-sur-Seine, France

Correspondance :Elena Paillaud, Groupe hospitalier Mondor (AP–HP), site hôpital Henri-Mondor,département de médecine interne et gériatrie, 51, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 94010 Créteil cedex, [email protected]

Disponible sur internet le :16 janvier 2013

patient: Prevalence, aetio-

y drug-induced in the elderly.enic agitation is based on: as medications, stopping non-s to the lowest and effective

nic agitation is also based on:to renal function and limita-

en prescribing treatments forent.

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Points essentiels

L’agitation est très fréquemment d’origine médicamenteusechez le sujet âgé.La prévention et prise en charge de l’agitation iatrogènerepose sur une analyse détaillée des médicaments du patient,l’arrêt des médicaments non essentiels, la prescription desmédicaments nécessaires aux posologies efficaces les plusbasses possibles.Elles se fondent aussi sur l’ajustement des médicaments à lafonction rénale et la limitation de la polymédication.Une attention particulière est nécessaire lors de la prescriptionde traitements chez des patients atteints de troubles cognitifs.En cas d’agitation, le traitement non médicamenteux est àprivilégier. Si l’agitation est importante, l’utilisation d’un séda-tif à demi-vie courte, à faible dose et par voie orale depréférence, peut-être considérée de façon ponctuelle et tem-poraire.

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L’agitation aiguë est un symptôme fréquemment re-ncontré chez la personne âgée. Il s’agit d’un trouble ducomportement qui se traduit par un état d’excitation verbaleet/ou motrice, d’instabilité psychomotrice, pathologique, nonadapté à l’environnement, d’intensité et de durée variable. Ellepeut être associée ou non à de l’agressivité. Enfin, elle constitueune situation urgente dans la mesure où il existe fréquemmentune mise en danger du patient et/ou de son entourage [1].L’agitation doit systématiquement faire chercher une causeiatrogène par une démarche diagnostique rigoureuse. En effet,l’iatrogénie médicamenteuse est plus fréquente dans cettepopulation en raison d’une plus grande polymédication [1,2]et des modifications pharmacologiques survenues avec l’âgequi augmentent la susceptibilité aux effets indésirables desmédicaments.La prévalence de l’agitation liée à l’iatrogénie chez le sujet âgéest mal évaluée. Nombreux sont les médicaments impliquésdans les états d’agitation soit lors d’un surdosage, soit enraison de leurs effets indésirables, soit enfin lors d’un sevrage.Bien que l’origine des agitations soit souvent multifactorielle,on estime que 12 à 39 % des agitations sont imputables auxmédicaments [1,3].

Prévalence de l’agitation chez le sujet âgéL’agitation est associée à une maladie clairement identifiablechez l’adulte et la personne âgée dans 85 % des cas [4,5].L’agitation entre le plus souvent dans le cadre d’un syndromeconfusionnel aigu, très fréquent chez le sujet âgé, principale-ment en milieu hospitalier [2,6–8]. À l’hôpital, la prévalence del’agitation varie selon les services considérés : 15 à 40 % enmilieu chirurgical, 20 à 40 % en soins intensifs, 20 à 30 % enmilieu neurologique ou psychiatrique, 15 à 20 % en médecinegénérale [9].Chez les patients déments, la prévalence de l’agitation varieentre 10 % et 90 % suivant les études. Cet écart très importantrésulte très probablement de l’utilisation d’échelles de mesuredifférentes. En outre, la démarche diagnostique est souventplus difficile du fait des troubles cognitifs et de la multiplicitédes causes possibles d’agitation [10].Dans une étude américaine, réalisée sur une population de5092 patients âgés de plus de 65 ans, l’agitation (mesurée parle Neuro-Psychatric Inventory ou NPI [11]) est trouvée plusfréquemment chez les sujets déments que non déments(23,7 % vs 2,8 %) et notamment en cas de démenceévoluée [12].

Causes de l’agitation iatrogèneLe patient âgé a une plus grande fréquence des facteursprédisposant à l’agitation, tels que des troubles cognitifs,des déficits sensoriels, des comorbidités cérébrovasculaires,

une dénutrition, et surtout une polymédication [2,13]. On peutproposer de classer les causes iatrogènes de l’agitation selonleur origine non médicamenteuse ou, au contraire, médica-menteuse.

Iatrogénie non médicamenteuse chez le sujet âgé

La douleur est un symptôme fréquent chez le malade âgé maisnon spécifique, qui peut être responsable d’une agitation.Certaines causes doivent être d’emblée éliminées, tellesqu’une rétention aiguë d’urine, une constipation avec fécalomeresponsable de douleurs abdominales, ou encore une fractureméconnue suite à un traumatisme parfois minime. Uncomportement d’agitation au cours de l’alimentation doit faireréaliser un examen de la cavité buccale à la recherche delésions secondaires à un appareillage mal adapté, une mucite,une mycose buccale ou encore une lésion herpétique parexemple. Une agitation lors de la réfection d’un pansementou dès les préparatifs du soin doit faire évoquer un traitementantalgique insuffisamment efficace. De même, au décoursd’une intervention chirurgicale, l’agitation doit faire poser laquestion de l’efficacité du traitement antalgique proposé. Unevigilance accrue doit être apportée à la prise en charge de ladouleur chez le patient âgé ayant des troubles cognitifs et/ounon communiquant pour limiter ce risque d’agitation.La présence de dispositifs médicaux (perfusions, sonde urinaire,oxygénothérapie, sonde nasogastrique,. . .) peut égalementêtre source d’agitation chez le malade âgé d’autant plus qu’ilexiste une altération cognitive susceptible d’obérer la compré-hension du patient.La non-mise en place d’une correction visuelle (lunettes) et/oud’appareils auditifs peut aussi générer de l’agitation chez unpatient âgé qui n’appréhende plus son environnement.Enfin nous rappelons le risque de troubles du comportement etnotamment d’agitation chez les patients âgés lors d’un chan-gement d’environnement en raison de la perte des repèreshabituels, plus particulièrement chez la patients âgés atteintsde maladies démentielles.

Iatrogénie médicamenteuse chez le sujet âgé

Les états d’agitation s’inscrivent très fréquemment dans laproblématique de l’iatrogénie médicamenteuse chez le sujetâgé [2,14,15]. La polymédication et les modifications de lapharmacologie liées à l’âge expliquent pour une grande partiel’augmentation du risque d’effets secondaires et/ou d’évène-ments indésirables médicamenteux graves (EIMG) [16].Les modifications pharmacologiques des médicaments chez lessujets âgés ne sont pas détaillées dans ce travail, car elles fontl’objet d’un autre article de ce dossier thématique [17]. Nousrappelons cependant les points essentiels suivants :� la diminution du débit de filtration glomérulaire avec l’âge,

qui augmente le risque de surdosage des médicaments àélimination rénale [18] ;

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� la diminution de la masse musculaire et le gain de massegrasse qui augmentent le volume de distribution desmédicaments lipophiles [19] ;

� la prévalence de la dénutrition et l’hypoalbuminémie quientraînent un risque potentiel de surdosage des médicamentsfortement fixés aux protéines plasmatiques [20] ;

� une augmentation de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique, selon plusieurs études, [21] ainsi que deschangements de la neurotransmission, qui accroissent lasensibilité aux médicaments agissant au niveau du systèmenerveux central, notamment les psychotropes [22].

Chez le patient âgé, l’iatrogénie médicamenteuse est princi-palement liée aux médicaments du système cardiovasculaire(43,7 %) et aux psychotropes (31,1 %). Une interaction médi-camenteuse est impliquée dans 60,6 % des EIMG [5].Les médicaments les plus souvent impliqués dans l’agitationchez les sujets âgés sont les médicaments à effets anticholi-nergiques, les psychotropes et les opioïdes [5,14,15].

Médicaments à effets anticholinergiques

L’utilisation de médicaments ayant une activité anticholinergi-que fait partie intégrante des traitements de routine de nom-breuses maladies telles que l’asthme, l’incontinence urinaire, ladouleur viscérale (antispasmodiques), la maladie de Parkinson(antiparkinsoniens non L-dopa) et divers troubles psychiatri-ques (antidépresseurs tricycliques notamment). On estimeque 20 à 50 % des sujets âgés de 65 ans et plus ont pris aumoins une fois un médicament ayant des propriétés anti-cholinergiques. La susceptibilité des patients âgés aux effetsindésirables de type anticholinergique est bien connue, notam-ment les effets périphériques (sécheresse buccale, constipa-tion) et les effets sur le système nerveux central tels que lesdéficits attentionnels, la sédation, la confusion, l’agitation et leshallucinations. Le système nerveux central des patients âgésest très sensible aux effets anticholinergiques en raison de ladiminution importante des récepteurs cholinergiques dans lecerveau, de l’augmentation de la perméabilité de la barrièrehémato-encéphalique, de la réduction du métabolisme hépa-tique et de la diminution potentielle de l’élimination rénale deces médicaments [23].

Iatrogénie et psychotropes

Il existe une sur-prescription, souvent délétère, des psycho-tropes dans les troubles du comportement dits « productifs »

(cris, agitation, agressivité, déambulation, etc.) de la personneâgée, qu’ils apparaissent au cours d’un épisode confusionnelaigu ou chez les patients déments. Les psychotropes sontresponsables d’une iatrogénie importante chez la personneâgée, en grande partie évitable car plus de la moitié de cestraitements ne serait pas réellement indiquée [24].Environ la moitié des personnes âgées a déjà reçu desbenzodiazépines, ce qui est trois fois supérieur à lapopulation générale [25]. Même si cela est peu fréquent, les

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benzodiazépines peuvent être à l’origine de réactions para-doxales d’agitation et d’agressivité, ainsi que d’états confu-sionnels [26]. Le sevrage brutal en benzodiazépines peut aussidéclencher un syndrome confusionnel et de l’agitation [27].Cette situation fréquente chez les patients âgés hospitalisés,doit faire préciser en début d’hospitalisation l’intégralité destraitements pris par le patient, y compris un traitement hypno-tique prescrit depuis de nombreuses années, que le patient neconsidère souvent plus comme un médicament [2,27].Les syndromes dépressifs sont fréquents dans la populationâgée. En cas de traitement antidépresseur par inhibiteur de larecapture de la sérotonine (IRS) ou par inhibiteur de la recap-ture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNA), il convientde garder à l’esprit que l’agitation constitue un des effetssecondaires possibles de ces traitements, comme libellé dansles mentions légales.

Iatrogénie et opioïdes

En raison des modifications pharmacocinétiques et pharmaco-dynamiques liées au vieillissement, le traitement morphiniques’accompagne d’un risque important d’accumulation de méta-bolites actifs se traduisant cliniquement chez le sujet âgé par unrisque d’effets secondaires trois à quatre fois supérieur à celuidu sujet jeune [4]. En effet, la demi-vie d’élimination moyennede la morphine est de quatre heures et demi chez les patientsâgés, contre 2,9 heures chez les patients plus jeunes [28]. Laréduction du volume de distribution, la baisse de la clairance de50 % et la liaison protéique plus faible expliquent aussi la plusgrande fréquence des effets secondaires liés aux opiacés. Deplus, les patients âgés ont une sensibilité cérébrale plus élevéeaux effets des opioïdes. Selon les études, la prévalence deseffets secondaires lors de la première prescription d’opiacéschez le sujet âgé varient de 55 % à 90 % en fonction dela molécule. De même, 5,4 % des accidents iatrogéniquesmédicamenteux sont imputables aux antalgiques de paliersOMS 2 et 3 [29]. Cependant, la prévalence de l’agitation aucours d’un traitement morphinique est mal connue chez lemalade âgé. Dans ce cas, elle s’intègre le plus souvent à unsyndrome confusionnel.L’association de médicaments opiacés agonistes–antagonistesest à éviter car l’incidence de l’agitation aiguë est plus élevéechez les patients âgés que chez les patients plus jeunes.Enfin, il est bien établi dans les mentions légales des traite-ments morphiniques que l’agitation peut constituer l’un deséléments diagnostiques du syndrome de sevrage à ces médi-caments.

Iatrogénie et autres médicaments

De nombreux médicaments peuvent aussi indirectementcontribuer à l’apparition d’un syndrome confusionnel et d’unétat d’agitation en provoquant des troubles somatiques telsqu’un syndrome sérotoninergique, un syndrome malin desneuroleptiques, une rétention aiguë d’urine, un fécalome, une

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hypoglycémie, une déshydratation ou encore une hyponatré-mie [3]. Parmi ces médicaments, nous pouvons citer lesantidépresseurs, les inhibiteurs de la pompe à protons, lesantiparkinsoniens dopaminergiques, les fluoroquinolones, la di-goxine, l’amiodarone, les diurétiques et les bétabloquants [3].

Agitation iatrogène sans confusion

Plusieurs médicaments peuvent être responsables d’une agita-tion sans confusion. On peut par exemple citer la corticothéra-pie connue pour les troubles neuropsychiques qu’elle peutinduire, notamment l’euphorie, l’agitation psychomotrice etles troubles du sommeil.Certaines études, non spécifiquement gériatriques, ont mis enévidence la relation étroite entre l’hypoglycémie et l’agitationaux urgences [30]. Chez le patient diabétique de type II âgé, lesantidiabétiques oraux peuvent être responsables d’hypo-glycémie notamment en raison de l’insuffisance rénalefréquente dans cette population et des troubles de l’obser-vance en cas de polymédication et/ou d’une altération cogni-tive [31]. L’existence d’une agitation doit donc faire cherchersystématiquement une hypoglycémie chez le patient âgédiabétique de type II.

Prise en charge de l’agitation iatrogèneL’agitation iatrogène du sujet âgé nécessite une détection etune prise en charge rapide et efficace car il s’agit d’unesituation à haut risque de perte d’autonomie et de ruptureavec le milieu habituel du patient.

Prise en charge non médicamenteuse

La prise en charge non médicamenteuse ne doit pas êtrenégligée car elle est souvent utile [32]. Une approche rela-tionnelle et empathique permet fréquemment de désamorcerun comportement d’agitation [33]. Le contact verbal doitpermettre d’instaurer un climat de confiance dont l’objectifest d’obtenir l’adhésion du patient au traitement. Ce dialogueest fondamental et il doit être maintenu tout au long de laprise en charge. Le soignant doit se présenter, adopter uneattitude calme mais ferme pour expliquer les raisons et le butde la prise en charge. Le langage utilisé doit être simple, sansrecourir aux termes médicaux complexes. L’entretien, empruntd’empathie et de compréhension, doit permettre au patientd’exprimer les raisons de son agitation. Il faut respecter unedistance physique de sécurité et éviter les gestes brusques. Lesquestions qui peuvent être vécues de manière persécutivedoivent être posées à la fin de l’entretien. Enfin, il ne fautpas hésiter à changer d’interlocuteur si le dialogue n’est pasétabli [34,35].Bien qu’il n’y ait pas de preuve que l’environnement soit lui-même une cause d’agitation, certaines conditions environne-mentales peuvent exacerber un syndrome confusionnel etmajorer l’agitation [36]. L’agitation peut être aggravée par

les troubles sensoriels visuels et/ou auditifs, d’où l’importancede s’assurer que le patient est bien équipé de ses lunettes ouson appareil auditif. Des objets personnels peuvent contribuer àrendre l’environnement moins anxiogène. La présence desproches peut également permettre de rassurer le patient etpar là-même de calmer son agitation. Afin de maintenir unenvironnement calme et propice à la bonne communication, latélévision et la radio doivent être éteintes.La contention physique (associée ou non à une sédation médi-camenteuse) peut ponctuellement et temporairement permet-tre d’assurer la sécurité du patient et de l’entourage [2,37]. Sonusage ne se justifie qu’après échec de la prise en charge nonmédicamenteuse et médicamenteuse. Mais le maintien d’unecontention, outre les aspects éthiques, risque de contribuer auprolongement de la confusion et de l’agitation [38].La contention consiste à restreindre les mouvements dupatient par tous moyens, matériels ou vêtements, qui limitentla mobilisation volontaire du patient agité, tels qu’un dis-positif fixé sur un lit ou au fauteuil. La contention physique estun acte thérapeutique, prescrit et destiné à assurer la sécuritédu patient et de l’entourage [39]. Elle ne doit en aucun casêtre une réponse agressive à un comportement agressif : ils’agit d’une mesure d’exception. De plus, elle ne constituepas à elle seule un traitement et doit de ce fait être associée àun traitement médicamenteux. Enfin, elle doit être levéelorsque la sédation est obtenue. La contention physique doitd’autant plus être réévaluée que les effets indésirablesgraves sont bien rapportés : chutes, traumatisme, majorationde l’agitation, syndrome d’immobilisation, perte d’autono-mie, etc. Aussi la contention physique doit-elle être prescritepour la plus courte durée possible, et son indication réévaluéetrès régulièrement [40].

Prise en charge médicamenteuse

La première démarche à effectuer est de réévaluer le traite-ment du patient, avant d’envisager d’ajouter un nouveaumédicament pour contrôler l’agitation. Les traitements médi-camenteux du patient doivent être revus systématiquement etles médicaments non essentiels doivent être arrêtés. La poso-logie efficace des médicaments nécessaires doit être la plusbasse possible [2]. Les dosages doivent être ajustés en fonctionde la clairance de la créatinine. Les modalités d’arrêt d’untraitement doivent être adaptées à la classe thérapeutiquepour éviter les manifestations de sevrage (benzodiazépines,bétabloquants et antiparkinsoniens) [3]. Une attention parti-culière doit être donnée aux médicaments anticholinergiquesque l’on doit toujours tenter d’arrêter, quitte à les remplacer pardes traitements alternatifs [23].Le recours à un traitement médicamenteux spécifique del’agitation ne doit pas être systématique en cas d’agitationdu sujet âgé. Lorsqu’il est impossible de pratiquer un examenclinique et de réaliser des examens complémentaires chez

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un patient agité, et qu’il persiste une incertitude diagnostique,l’administration d’un sédatif fait courir un risque iatrogène(interactions médicamenteuses et effets secondaires) [41].Dans une telle situation, la Haute Autorité de Santé recom-mande de choisir une molécule dont l’efficacité est rapide surles symptômes aigus et bien tolérée (index thérapeutiquelarge ; effets indésirables limités ; peu d’interactions avecles autres traitements ; demi-vie courte ; facile d’administra-tion, en privilégiant la voie orale ; en débutant par la moitiévoire le quart de la posologie de l’adulte jeune ; et dontl’utilisation est maitrisée par le prescripteur) [2].Les molécules qui peuvent être ainsi envisagées dans le traite-ment médicamenteux de l’agitation du sujet âgé sont lesbenzodiazépines de demi-vie courte, à petites doses par voieorale [42,43].Chez certains patients âgés avec des symptômes productifs(délire, hallucinations angoissantes) ou non contrôlés par lesbenzodiazépines, l’utilisation des neuroleptiques peut êtrenécessaire, à faible dose initiale, par voie orale ou sublinguale.Si la voie injectable doit être envisagée, on s’assurera del’absence de traitement anticoagulant efficace.L’hydroxyzine, antihistaminique sédatif souvent utilisé dansces cas d’agitation n’est pas un médicament adapté ausujet âgé puisqu’il induit une somnolence et un ralentisse-ment psychomoteur généralisé, a des effets anticholiner-giques, et a une demi-vie longue (29 heures en moyennechez le sujet âgé).Enfin, le traitement médicamenteux, quand nécessaire, doitêtre réduit et arrêté dès que l’état d’agitation est contrôlé.Dans tous les cas où une prise en charge médicamenteuse del’agitation s’avère nécessaire, il convient d’insister sur la néces-sité majeure de réévaluer la prescription médicamenteuse,

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ConclusionL’agitation est une situation fréquente chez le patient âgé, plusparticulièrement en cas de syndrome démentiel. Parmi lesnombreuses étiologies, l’iatrogénie médicamenteuse re-présente une part importante des causes d’agitation chez lesujet âgé et elle doit être dépistée de façon systématique cheztout patient âgé confus et/ou agité. Sa prise en charge reposesur une analyse détaillée des traitements médicamenteux dupatient. Les médicaments non essentiels doivent être arrêtés etles médicaments nécessaires doivent être prescrits aux posol-ogies efficaces les plus basses possibles, ajustées à la fonctionrénale et au poids du patient. Les modalités d’arrêt des médi-caments doivent être adaptées à la classe thérapeutique pouréviter les manifestations de sevrage (benzodiazépines, béta-bloquants et antiparkinsoniens). Une attention particulière doitêtre prêtée aux médicaments anticholinergiques que l’on doittoujours tenter d’arrêter, quitte à les remplacer par des traite-ments alternatifs.L’agitation iatrogène peut être en partie prévenue en évitant lapolymédication et en adhérant à l’adage anglo-saxon start low

and go slow concernant l’instauration d’un nouveau traitement.Une attention particulière est nécessaire lors de la prescriptionde traitements chez les patients atteints de troubles cognitifs.Dans tous les cas où une prise en charge médicamenteuse estnécessaire, il est nécessaire de réévaluer la prescription médi-camenteuse, d’utiliser le médicament à la posologie efficace laplus faible et de limiter le plus possible la durée du traitement.

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M Dicko, P Caillet, C Lafuente-Lafuente, E Paillaud

tome 42 > n82 > février 2013