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  • -sommaire

  • I : Ce rêve qui devient réalité Vers une civilisation de la mer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 Le combat des hommes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Les tendances actuelles (activités aquacole, scientifique, culturelle et touristique, indus-

    , trielle) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

    II : Prospective de l'aménagement Vers une organisation de l'espace marin . . . . . . . . . . . . . 44 Les grands secteurs d'aménagement . . . . . . . . . . . . . . . . 46 L'échelle humaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 Répartition spatiale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 Mer source d'énergie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 Aujourd'hui ou demain (projets d'architectes) . . . . . . . . 63 Réalité ou utopie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71

    III : Science de la mer Histoire de la pénétration sous-marine . . . . . . . . . . . . . . 74 Que deviennent les 5 sens sous l'eau? (toucher , goût-odorat, ouïe, vue) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76 Comment se mouvoir sous l'eau? (la forme, le mou-vement, la vitesse) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81 En vue d'une application humaine . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 Que sera la plongée dans l'avenir? (l'homme pourra-t-il respirer une solution liquide? - Peut-être des « mutants » - '' Des drogues» est-ce une solution? -Point de vue) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87

    IV : La mer et l'homme Une histoire vieille comme le monde . . . . . . . . . . . . . . . 96 Aujourd'hui la vie des peuples sur l'eau . . . . . . . . . . . . . 99 Les grandes villes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 La psychologie dans un autre univers (Fonctionnement cérébral, sensation, apesanteur, orientation, claustrophobie, sécurité, équilibre, un nouveau langage) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . llO Sociologie sous-marine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 7

    V : L'architecture et la mer Mer et poésie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125 Formes vivantes et formes construites . . . . . . . . . . . . . . 125 Symbolique de la couleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 Forme et psychologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131 Créer la forme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132 Esthétique des formes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 Vers une application architecturale . . . . . . . . . . . . . . . . 137

    VI : Habiter la mer Perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142 Étude de principe d'habitats sous-marins . . . . . . . . . . . . 143 1971 - Ville de la mer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 1972 - Université de la mer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152 1973 - Ferme flottante - Ferme sous-marine - Les vi llages sous-marins - Refuges sous-marins - Centre culturel de la mer - Pavillon flottant - Tour d'obser-vation sous-marine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155 1974 - Ecloserie - Centre de production marine -Module d'observation sous-marine. Pulmo . . . . . . . . . . 166 1975 - Centre industriel mobile - Centre biologique sous-marin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170 1976 - Restaurant sous-marin- Archéoscope . . . . . . . . 172 1977- Galathée- Aquabulle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 176 1978-Physalie ...... . ... ... .. . .... .......... 186 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192 Iconographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194

  • prologue

    Cet ouvrage présente et essaie d'élucider la problèmatique de l'aménagement de l'espace marin à partir des problèmes économique, politique, scientifique, philosophique, etc... qui se posent aujourd'hui.

    Tâche qui pourrait sembler trop ambitieuse et même impossible si elle ne se donnait un objectif précis : celui de démêler les interactions entre l'homme et l'environnement marin, et de déterminer son processus d'intégration à ce milieu.

    Cette démarche conduit à la proposition d'habitats de la mer. Vision prospective qui est, avant tout, celle d'un architecte qui regarde et ob-serve un monde étranger, encore mal connu de l'homme, afin qu'il puisse devenir «cadre de vie ». Œuvre difficile qui consiste à osciller sans cesse entre des rêves et une réalité, pour trouver à travers cette apparente contradiction le point de rencontre, l'équilibre, c'est à dire la réponse architecturale.

    Il est proposé ici une anticipation qui demeure réalité, puisqu'elle se fonde à la fois sur un contexte politico-économique existant et sur les recherches scientifiques actuelles, aussi bien dans les domaines océanographique que technique, bio-logique ou médical. Cette entreprise demande de cerner le problème dans son ensemble, plutôt que de développer un seul aspect de la question. L'am-

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    pleur du sujet traité nous a donc amené à énoncer des données essentielles, mais en abordant tous les thèmes spécifiques, vus à travers les diverses activi-tés marines ( aquacole, culturelle, scientifique, in-dustrielle).

    Il apparaît clairement que la réponse archi-tecturale ne peut être le fait d'un seul homme. Elle exprime la synthèse de plusieurs pensées, celles d'un groupe ou d'une société, et s'appuie sur des données extrêmement complexes.

    Dans ces pages, nous développon.s les idées de notre groupe multidisciplinaire, le Centre d' Archi-tecture de la Mer, qui voudrait, grâce à l'impulsion qu'il donne, que l'architecture marine devienne une « architecture sans architecte». Par delà les spécia-listes, nous nous adressons à tous les hommes de notre siècle qui ont pour mission de prendre en charge leur architecture, afin qu'elle soit le reflet de l'avenir qu'ils souhaitent et qu'ils imaginent. Nous sommes tous concernés par le devenir des trois- · quarts de notre planète.

    S~ ce livre de réflexion et de prospective sensibilise les nouveaus aménageurs de la mer aux difficultés réelles qu'ils auront à affronter, n'oublions pas que le but poursuivi est de préparer et de susciter la naissance d'une « civilisation de la mer » qui aura une pensée, des gestes, des mouvements et des valeurs propres. Il convient de définir un habitat marin qui soit réellement celui d'un «peuple de 1a mer».

    C'est seulement dans cette perspective que la mer contient en puissance l'avenir de l'homme. Un ave-nir auquel nous faisons confiance et qui semble iné-luctable.

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  • Ce rêve qui devient réalité

    .

    Boris Vian

  • Vers une civilisation de la mer

    « Ils ont choisi la mer, ils ne reviendront plus.

    Et puis, s'ils vous reviennent, les reconnaîtrez"vous? »

    Paul Fort.

    La proportion entre la te"e et la mer

    Nous voi~i déjà lancés dans l'ère des conquêtes planétaires alors qu'il reste à l'homme à faire la plus vaste découverte qu'il ait jamais accomplie : 70% de la surface de notre globe à explorer, la mer.

    Ce sont là les deux grandes aventures de notre siècle. Toutefois, l'une précède l'autre. Si les prémices de l'aventure spatiale sont lancées, celles de l'aventure marine sont posées depuis des générations.

    L'homme se doit donc, alors qu'il tente une échappée extra-terrestre de réelle ampleur, de connaître l'intégralité de sa planète, faute de quoi toute prétention à la maîtrise de « l'univers » paraîtrait dérisoire.

    Ce grand réservoir de richesses inexploitées reste un mystère pour l'humanité, mais peut-être est-ce la porte de secours ouverte au« monde fini» qu'a cru entrevoir Paul Valéry, dans lequel «toute la terre habitable a été reconnue, relevée, partagée entre les nations »1• Ainsi, la mer devient la chance de notre monde en péril qui, à la veille d'avoir épuisé les ressources du sol, peut se tourner vers ce « sixième continent», le patrimoine commun à toute l'humanité.

    N'est-on pas arrivé au moment où les problèmes écologiques nous posent des questions de survie et où les problèmes économiques, qui tradui-sent une véritable mutation affectant l'ensemble des relations internationale~, vont pousser les hommes à transformer leurs mentalités? Il est impossible aujourd'hui de continuer à consommer et à gâcher les ressources marines qui · s'épuisent, sans chercher à les gérer.

    N'observe-t-on pas, d'ailleurs, une inquiétude très marquée de la part de groupes d'intellectuels, de scientifiques des pays économiques riches qui voudraient .que s'opère un choix en faveur de la qualité de la vie plutôt que de. la seule rentabilité qui est l'image de marque de notre civilisation indus-trielle?

    En effet, même si les besoins de survie apparaissent prioritaires, on ne peut leur accorder la primauté dans l'échelle des valeurs. «Les besoins obligatoires, comme le dit le sociologue Ph. Chombart de Lauwe, ne sont pas fatalement les plus importants »2•

    1. Regard sur le monde actuel 2. Pour une sociologie des aspirations

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    Refusons avec Ph. Diolé, à la fois philosophe et poète de la mer, de nous laisser abuser: rr Cette civilisation mécanique, l'avenir la jugera un jour courte et simpliste; c'est le jour où l'homme aura mis la main avec une auto-rité suffisante sur les ressorts de la vie et les fera jouer à son profit ... Le biolo-giste arrivera en tête de la considération scientifique et sociale ... Faire vivre apparaîtra plus beau que faire marcher. Celui qui contrôle les germes l'emportera sur celui qui contrôle les moteurs >>1•

    Ce souhait serait-il une solution pour l'humanité qui cherche des réponses aux problèmes cruciaux qui se posent à elle? Il s'agit, en réalité, d'une aspiration profonde pouvant faire infléchir l'évolution technique dans un sens qui donnera la primauté à de nouvelles valeurs et ouvrira d'autres perspectives : les forces de la vie sont peut-être plus grandes que les forces de la matière. L'exploration du monde marin permet de nous ouvrir à ce nou-vel axe de recherches riche en promesses.

    Ainsi, au niveau des motivations les plus élevées, il apparaît que la conquête et la connaissance du milieu marin constituent une étape du destin de l'homme dans son courant d'évolution. Il faut donc franchir ce pas qui marquera pour l'espèce un progrès décisif. L'ambition ultime de la science n'est-elle pas, rr d'élucider la relation de l'homme avec l'univers? >>2

    Il convient donc de donner à l'homme, en tant qu'individu, toutes pos-sibilités matérielles et spirituelles pour qu'il puisse s'intégrer au milieu marin en créant à sa mesure un nouvel espace habitable : celui de la mer et de ses fonds.

    Si l'on a quelque foi en la théorie de l'évolution, on peut pressentir que s'ébauchera, chez des groupes précurseurs, une réelle mutation psychoso-matique résultant de leur adaptation à la vie aquatique, prélude de la forma-tion d'un type inédit conférant à l'espèce humaine une dimension nouvelle : celle d'une rr civilisation de la mer >>3• Moment décisif de notre évolution où

    1. L'aventure sous-marine 2. Le hasard et la nécessité - Jacques Monod 3. Voir chap. 4 - §sociologie sous-marine p. 11 7

    A gauche : le cosmonaute qui marche sur la l1me ... A droite: suit d'abord un entrainement au fond de l'eau oû il retrou ve des conditions similaires (son poids apparent diminue).

  • Descente de plongeurs dans une faille en Australie

    nous sommes confrontés à nos origines, puisque nous venons de la mer. Ce retour vers la matrice originelle de la vie va nous permettre d'atteindre enfin notre véritable dimension d'homme et de toucher nos limites qui sont beau-coup plus étendues que nous le pensons. En effet, une grande partie de nos facultés sont en sommeil. Nous sommes des êtres incomplets qui attendons l'éveil. Plus qu'une mutation, nous espérons un déblocage autant de notre cerveau que de notre corps.

    Comment nous développer harmonieusement et complètement dans un monde privé des trois-quarts de son espace? Si nous n'allons pas à la mer, nous resterons amputés des trois-quarts de nous-mêmes.

    Le moment est venu d'intégrer la mer à notre vie; tous les espoirs seront alors permis. La réalisation de ce désir doit apparaître nécessaire à un extra-terrestre ou, pour rester raisonnable, à un cosmonaute qui, regardant notre planète Terre de l'espace, ne peut que s'exclamer : ((oh! comme la mer est ronde)). La relativité de toute chose doit, certes, apparaître plus claire-ment lorsque l'on ((prend ses distances JJ, les jugements des hommes doivent sembler pleins d'a priori et de fausses certitudes, leurs querelles totalement dérisoires. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles Armstrong et ses confrères sont revenus profondément changés de leur voyage-inter-galactique et peut-être même irrécupérables pour notre vieille civilisation.

    Pour notre part, nous voulons envisager une vie qui soit autre, au moment charnière où l'époque requiert d'autres comportements et d'autres finalités. Nous proposons une vie sous-marine s'organisant autour d'ensem-bles de villages sub-aquatiques, avec des champs d'algues et des élevages de poissons. Des hommes amphibies pseudo-mutants, évoluent librement dans leur univers, en possession de toutes leurs facultés, enfin à l'aise dans leur peau d'homme, occupant leur plein espace.

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    Nous pourrons bientôt raconter que : ((les géants couverts d'algues passaient dans leurs villes sous-marines où les tours seules étaient des îles. Et cette mer avec les clartés de ses profondeurs coulait sang de mes veines et faisait battre mon cœur. )) 1 •••

    ((Battre mon cœur >> au rythme des profondeurs, si doucement, que je crains qu'il ne s'arrête quand je retiens ainsi mon souffie.

    Surtout pas de mouvements brusques, je me glisse sous une cloche à air qui parsème les « rues» de mon village sous-marin pour reprendre ma respiration. Il me reste pourtant encore un moment d'(( autonomie>>.

    Dans la grand'rue, ((chemin de Glaukos », les enfants s'amusent avec leurs poulpes apprivoisés. Ils se les renvoient comme des balles vivantes qui se prêtent d'ailleurs volontiers au jeu. Qui oserait, en voyant cette scène, par-ler de monstres marins et de mauvais génies? Des paysans reviennent des champs, attelés à un dauphin qui connait fort bien le chemin de la ferme.

    Cet homme qui passe plus loin est équipé de ((poumons artificiels», sans doute pour effectuer un travail de longue durée à l'extérieur. Celui-ci utilise des petites bouteilles à circuit fermé; on n'emploie plus guère ce genre de procédé. Que mon grand-père s'en serve encore, cela se comprend, il était pionnier. Mais pour moi, il n'y a aucun problème. Je peux évoluer avec une totale liberté dans mes mouvements sans aucun équipement, juste des lentilles de contact pour la vue, des palmes et sur la peau une combinaison blanche très fine, d'un matériau qu'on ne connaissait pas encore il y a une dizaine d'années : du (( .fibraleau >>. En effet, depuis qu'on ne consomme plus le pétrole pour faire fonctionner les moteurs, il est conservé pour la fabrication de nou-veaux textiles.

    Un « Nautipousse >> passe, silencieux, mu par l'énergie hydraulique. J'adore regarder ces dirigeables sous-marins, grosse sphère opalescente, mor-dorée, bleutée ou aurore. Ces méduses mécaniques aux jupes ondoyantes, chevauchées par des aquanautes, se propulsent par longues pulsations suc-cessives comme un bercement de manège aquatique pour adultes rêveurs.

    1. Appolinaire - Cortège

    • Des hommes amphibies pseudo-mutants, évolueflllibremem dans leur univers, en possession de toutes leurs facultés ... •

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    Il n'y a pas trop de circulation, juste un engin étrange, de temps à autre, à peine audible, je sors donc de la poche d'air où j 'étais réfugiée et me dirige maintenant vers une rue escarpée, nimbée du foisonnement de bul-les des cascades d'air, pluie lumineuse qui monte vers le « ciel liquide >>.

    Des maisons s'accrochent aux rochers par leurs pattes en fibre de verre et me regardent de leurs yeux globuleux, fenêtres demi-sphériques. Fixées aux anfractuosités de la roche, de grandes gorgones, tels des arbustes de montagne, frémissent et se ploient lentement.

    Je pivote pour prendre une rue à « courant d'eau» et me laisse porter jusqu'à la place de l'Etoile ... de mer, avec seulement quelques coups de pal-mes pour augmenter la vitesse et arriver en vol plané, sur une luge imagi-naire, au-dessus du marché.

    Je tournoie, raie manta volante, avant d'entreprendre une descente en spirale en effectuant naturellement quelques arabesques. Il faudrait peut-être que je pense à respirer. Quelle idée saugrenue! n'ai-je pas confiance en mon instinct qui me prévient toujours à temps? Et si pourtant j'oubliais de repren-dre mon souffle, ne repousserais-je pas mes limites ou la marge de sécurité? L'animation sur la place est intense, un montreur d'orques installe ses filets, les gosses sont fascinés. L'un d'entre eux caresse son petit poulpe au regard humain, blotti sur son épaule comme un chat.

    En arrière-fond, dans cet univers perpétuellement mouvant, les habita-

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    tions paraissent prêtes à s'animer pour participer à cette vie, comme les ani-maux aquatiques auxquels elles ressemblent : crabe, méduse, coquillage ... Certaines, bien ventrues sous une peau tendue, semblent attendre que l'on détourne un instant le regard pour se déplacer subrepticement, d'autres obser-vent, débonnaires, et oscillent sur un rythme tranquille.

    Le grand chic, cette année, est d'orner d'anémones mauve-carmin, d'algues bleu-vert, cheveux-plumes qui se balancent, les « balcons)) et les cc terrasses», plates-formes sans balustrades où l'on vient se poser sans vertige au bord du vide.

    Après un court déplacement, je pénètre dans le « marché flottant JJ, sous une membrane souple, transparente, au vaste volume d'air. Au bord d'un îlot vient mourir un lac où flottent des assemblages de coques : embar-cations maisons, chemins piétonniers ... J'échange, contre des perles de corail, des denrées terrestres conditionnées sous vide, avant de m'en retourner chez moi.

    Pour aller plus vite, je coupe sous les maisons maintenues en suspen-sion entre deux eaux par des tendeurs qui donnent l'illusion d'une légèreté extrême. Au moment où je traverse les jardins aquatiques qui abondent en faune et en flore - un régal de couleurs pour la vue, et où l'on avance avec émerveillement mais une relative prudence de gestes, des amis sortent de chez eux. J'effieure une épaule avec ma main, je saisis une cheville pour dire bon-

    La vie dans un village sous-marin est rrès animée, les visions changent à roll/ instant. on apprend à distinguer chaque bruir, et chaque vibration de l'eau donne une indication nouvelle.

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    jour, nous échangeons deux, trois signes et nous savons que nous sortons ensemble ce soir.

    Je reprends ma route et passe devant le moulin qui tourne sans cesse pour fabriquer des farines d'algue et de poisson. Tout fonctionne dans notre village de façon naturelle. D'énormes hydroliennes que l'on peut comparer aux éoliennes terrestres nous alimentent en énergie.

    J'aborde le tombant de la colline et glisse cette fois au-dessus des cou-poles et des toits arrondis, têtes lisses ou nervurées. Au loin, dans l'épaisseur du bleu, je devine les étendues cultivées. Quel plaisir d'évoluer ainsi sans presque fournir d'effort.

    La semaine dernière j'étais sur terre, à Paris, et j'avais une impression désagréable de lourdeur dans mes membres et de la maladresse dans mes ges-tes. C'est fatigant la terre!

    Penser qu'il fut un temps où les hommes ne pouvaient pourtant vivre que sur terre ... If est vrai que cela date de ces temps héroïques et tristes où, parait-il, la mer était polluée.

    Les villes et les complexes industriels n'étaient pas équipés de systè-mes anti-pollution. J'ai du mal à imaginer une mer polluée. L'eau est si claire, ici en Méditerranée, la visibilité est même étonnante, on peut voir jusqu'à 50 m. Pourtant la faune est d'une grande richesse, des régions sous-marines entières ont été repeuplées, auparavant il n'y avait que des sardines, du moins c'est ce qu'on raconte!

    Enfin, j'arrive à notre maison et à notre jardin, composé aussi savam-ment qu'un jardin japonais. Chaque plante est mise en valeur : contraste de tons, de formes; depuis le vert cru des «pelouses>> soyeuses, au rouge-pon-ceau des ((fleurs>>, jusqu'au brun-ocré des ((arbres>>. Les (( queues de paon >>\ éventails mouchetés d'incarnat, ont bien repris, ils sont magnifiques. Je cueille une é'ponge rosée en passant et m'engouffre dans le sas d'entrée. Les enfants sont là, c'est la fin de l'après-midi, il est déjà 17 h. Après un séjour terrestre, je perds toujours la notion du temps. Les rythmes de l'existence sont tellement différents ici, ne serait-ce qu'en raison de la ponctuation des repas qui sont plus fréquents.

    La prise de conscience totale de son propre corps est aussi un phéno-mène particulier, qui procure un intense plaisir. Chaque geste, chaque mou-vement esquissé, acquiert sous l'eau une précision, une harmonie, une adresse, presque la perfection. ·

    De ce contrôle de soi, nait une sérénité dans les rapports humains, une paix au sein des familles que j'ai rarement connues sur Terre. Dans le coin salon de la maison, les miens viennent de mettre une vieille musique des années 1970-80 (( Tangerine Dream >> aux sonorités spatiales et sous-ma-rines, créée par des précurseurs qui sentaient certainement l'inéluctable atti-rance de l'homme vers d'autres univers.

    Assez paradoxalement, il résulte une disponibilité, une détente complète de la confrontation constante avec soi-même qu'impose la vie dans le monde clos des espaces liquides. Monde qui entre en résonance avec cette > de notre inconscient, dans un silence sans aucune échappée possible, où notre sensibilité se régénère.

    Isolés dans . cet habitacle, les sons envahissent chaque recoin de l'espace, et semblent même pénétrer au travers des pores de la peau. Etat

    1. algue: Padina Pavonie

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    de réceptivité totale où l'on éprouve alors une plénitude extrême à écouter de la musique. Celle-ci prend une dimension tout autre, touche l'insolite : les notes se détachent les unes des autres et se prolongent à l'infini.

    Après une douche chaude, à l'eau douce, produite par dessalement d'eau de mer, j'endosse une tunique jaune citron pour la soirée et mets mon collier de perles noires. Même les goûts changent sous l'eau!

    Il fait déjà nuit. L'extérieur s'illumine de longs faisceaux qui s'étirent comme des voiles, de halos diffus, de lueurs aux nuances indéfinissables. C'est l'heure fabuleuse de la plongée nocturne. Je m'enfonce lentement dans cette substance qui me porte et m'enveloppe. J'accélère un peu en remontant pour mieux planer et redescendre. Sous la lumière, les couleurs s'intensifient et prennent leurs vraies tonalités, parfois brutales, agressives. Je traverse un rayon et deviens phosphore, le temps d'un éclair.

    De place en place, des concentrations luminescentes de particules planctoniques en suspension dansent imperceptiblement, nébuleuse à portée de main, dans cette ambiance d'aurore boréale ...

    C'est ce rêve qui deviendra réalité, même s'il demeure quelques scepti-ques, comme devant toute nouveauté et a fortiori toute mutation. Bientôt, il sera possible de vivre aussi bien en surface qu'en profondeur, de manière provisoire ou permanente. L'homme pourra passer d'un élément à l'autre : de la terre à la mer, de la mer à l'espace, sans aucun traumatisme. L'insertion sous-marine ne doit pas aboutir à une adaptation irréversible.

    Nous pouvons aborder sans crainte et même avec enthousiasme cette nouvelle phase de notre évolution. Les perspectives qu'elle offre sont immen-ses pour l'homme, en découvertes scientifiques, en enrichissement intellectuel, culturel et physique.

    Dès à présent nous pouvons imaginer, bien plus que quelques villages disséminés sous les eaux, un aménagement des espaces océaniques. Nous organiserons ce domaine en fonction de ses ressources et en fonction des acti-vités qui se déploieront sur les plateaux continentaux et dans les abysses. La collectivité humaine ne saurait rester indifférente à cette entreprise qui l'intéresse directement et qui répond à des aspirations et des besoins nou-veaux.

    Les représentants mondiaux et les hommes touchés par le problème devraient envisager la création d'une administration et d'un statut de carac-tère inédit, international, ainsi qu'une charte des droits de la mer qui donne-rait corps à une nation nouvelle : rr une nation de la Mer)), constituée par

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    la mer qu'on ne peut renoncer à considérer dans leur ensemble. Il suffirait de lui trouver, pour ses structures, une formule souple. Aurait-on peur de la nouveauté? D'ailleurs, peut être eût-il été souhaitable qu'il existât depuis longtemps un ou du moins une structure de coordination permettant une approche globale des problèmes du territoire. Cela eût évité bien des erreurs commises par manque d'information et en rai-son du cloisonnement qui existe entre les différents secteurs d'activités.

    Pour sa part, le CNIMER 1 a proposé un programme « océan )) à tous les candidats des élections législatives du mois de mars 1978, en vue d'obtenir une françai se. De son côté, l'Assemblée Nationale s'est réunie le 7 juin 1977 pour débattre des problèmes de la mer. Le CNEXO 2, créé depuis 1967, s'est donné pour objectif de coordonner tou-tes les activités publiques océaniques et d'établir ainsi une «communauté océanologique )) française.

    Ce souci d'intégrer les problèmes marins dans les préoccupations majeures d'un Etat, montre bien qu'un tournant est en train de s'opérer. La vocation maritime de plusieurs pays est sur le point de renaître avec une nou-velle force. Mais surtout nous souhaitons que s'ébauche à la longue une nou-velle éthique, c'est-à-dire un nouvel « humanisme» : en d'autres termes, une r< humanisation de la mer >J.

    Le combat des hommes

    K Quand la solution est là, le problème commence à se poser • Proverbe venu de la Terre (Hugo Verlomme-Mermere).

    Toutes les nations sont touchées par le problème qui prend alors une dimension politique, à l'échelon international. Mais va-t-on se disputer ou s'annexer des morceaux de ce« territoire bleu>> comme les conquérants belli-queux du Moyen Age l'on fait pour les Terres? Ou bien va-t-on finir par éta-blir une convention internationale qui définisse le nouveau Droit de la Mer?

    L'enjeu est d'autant plus considérable que la mer peut régler le sort et l'avenir de l'humanité : préserver l'espace marin conditionne le bon fonc-tionnement des écosystèmes et contribue à maintenir les équilibres écologi-ques, c'est donc une question de survie pour tous. Exploiter et gérer les res-sources marines c'est la réponse aux exigences d'ordre démographique, nutritionnel, énergétique qui se posent aujourd'hui.

    Bien que tout le monde, en théorie, semble considérer l'espace marin comme une entité unique, paradoxalement chaque nation riveraine veut se partager la mer en étendant ses eaux territoriales le plus largement possible. Le profit et les intérêts en jeu semblent parfois primer toute notion de gestion et d'« aménagement des mers)) qui doit être abordée dans son ensemble, de façon concertée au niveau international. En effet, la masse marine, par sa nature fluide perpétuellement brassée avec ses mouvements ascendants, des-cendants, ses marées, ses courants, constitue un espace indivisible.

    1. Centre national d'information sur les problèmes de la mer 2. Centre 1/ational pour l'exploitation des océans

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    Il est assez curieux de constater que ce sont justement les Russes, lors de la 2e session de la 3e Conférence de l'ONU sur le Droit de la Mer qui s'est tenue à Caracas en 1974 1, qui ont insisté sur des notions de

  • La plale:forme de f orage Pentagone 8 1 semble s'arcbouter pour fu ller cnntr~ la puissance de la mer.

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    En effet, il se trouve que l'Europe envisage d'établir

  • Conférences des Nations-Unies sur le Droit de la mer

    Un organisme international, l'ONU, doit arrêter sur des bases nouvelles, les dispositions qui mettront un terme aux pratiques dange-reuses pour le maintien et le développement du patrimoine marin. Il doit assurer la gestion à long terme de ce patrimoine et son intégration au reste de l'œcoumène.

    Dans cette optique en 1958 et en 1960, la Convention de Genève établit un régime juridique international, qui élargit considéra-blement le débat. Ce sont là les deux premières conférences sur le droit de la mer .

    ... En 1970, l'assemblée générale des Nations-Unies adopte une résolution établissant que ((l'exploration et l'exploitation des fonds marins devaient, dans l'intérêt de l'humanité, passer par l'élaboration d'un régime juridique doté de tous les moyens adéquats » .

    .... Un ((Comité des Fonds Marins>> est alors chargé d'organiser une troisième conférence. Il se réunit à Genève en session en 1971, 1972, 197J .

    .... Cette Je conférence sur le droit de la mer s'est déroulée de la façon suivante : re session - J - 15 décembre 197J New York 2e session - 20 juin - 29 août 1974 Caracas Je session - 17 mars - JO mai 1975 Genève 4e session - 15 mars- 7 mai 1976 New York se session - 2 août - 17 septembre 1976 New York 6e session - 2J mai - 15 juillet 1977 New York 7e session - 28 mars - 19 mai 1978 Genève

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    Par ailleurs, le plan européen pour la protection des mers veut déve-lopper les recherches technologiques pour la lutte contre les pollutions. Il s'avère notamment que les dispersants chimiques fabriqués aujourd'hui sont moins toxiques pour la faune et la flore marine que ceux utilisés il y a 10 ans pour le Torrey Canyon, mais ils nécessitent encore des mises au point en vue de redonner au milieu son état originel, sans risque de contamination.

    Il est prévu également de créer un fonds commun avec la participation des compagnies pétrolières et de mettre en place une (( agence européenne contre la pollution marine >> qui coordonnerait et contrôlerait les opérations. Par exemple, au niveau des transports maritimes, une mesure assez urgente serait d'obliger les pétroliers à contourner l'Angleterre pour ne plus traverser la Manche. Celle-ci est d'une navigation dangereuse à cause du trafic intense que l'on connaît, du mauvais temps et de la configuration de ses côtes. Cette mesure préviendrait d'autres catastrophes éventuelles.

    Quoi qu'il en soit, les mesures de sécurité prises, concernant les activi-tés pétrolières, restent un pis-aller. Tout au plus pouvons-nous espérer qu'un jour le problème se résolve de lui-même lorsque les énergies dites naturelles (thermiques, solaires, etc ... ) seront rentabilisables, ne rendant plus l'extrac-tion du pétrole primordiale, c'est à dire dans une perspective à long terme.

    La réalité dépasse la fiction/

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    Dissolution d'une nappe de pétrole par dispersant chimique.

    Néanmoins, ces mesures de protection permettent de poursuivre une recherche technologique de pointe qui peut avoir des retombées dans d'autres secteurs d'activités.

    Pour en revenir à un point de vue plus général, on peut dire que tous les problèmes ont été abordés au cours des différentes sessions de la confé-rence de l'ONU : pêche en général, mer territoriale, zone contiguë, traversée des détroits, plateau continental, haute-mer, pays sans littoral (la mer étant (( Res Nullius » on ne peut leur en interdire l'accès), archipels (difficultés de délimiter leurs eaux territoriales), préservation du milieu marin (pollution, surexploitation, etc, ... ). Un point apparaît au moins positif: les notions anciennes comme l'exploitation sauvage ou comme la liberté de la haute-mer, sont définitivement bannies des esprits. Ce sont là des notions essentielles.

    En effet, si la 2e session à Caracas a été marquée par le problème des 200 milles, la question majeure traitée pendant la 5e session a été celle de la création d'une (( autorité internationale des fonds marins >> régissant la haute-mer. Cette innovation est révolutionnaire dans le sens où elle se fonde sur de nouveaux principes, ceux d'un ((nouvel ordre économique>> : exploita-tion des ressources à des fins exclusivement pacifiques, répartition équitable des bénéfices entre tous les états, etc ...

    Ces nouvelles propositions ont provoqué des affrontements entre les posi-tions d'états indépendants de fraîche date, comme les pays du Tiers-Monde et celles des États-Unis, de l'Uniory Soviétique, du Japon, de la France, de l'Angleterre. Devant l'apparition de ces conflits dus à des intérêts contradic-toires ou des divergences d'interprétation, la conférence s'est préoccupée de créer un (( tribunal du droit de la mer >>.

    La France, qui a dans le Pacifique, avec la Polynésie, une position intéressante pour l'extraction des nodules polymétalliques 1, souhaiterait qu'une ({clause anti position dominante>> soit acceptée afin d'éviter que les Etats-Unis ne soient les seuls maîtres de l'exploitation. En effet, le« partage>> des nodules reste un point brûlant qui est loin d'être résolu. Actuellement nous pouvons seulement souhaiter que cette source de richesse immense ne revienne pas uniquement aux pays déjà les plus favorisés. Toutefois, si

    1. Voir chapitre 2 - §Les grands secteurs d'aménagement. Le secteur des grands fonds- p. 46, 54.

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    l'adoption de la Convention tardait, bon nombre d'états seraient amenés à établir leur propre législation qui leur réserverait des droits unilatéraux pour l'exploitation des ressources marines.

    II est nécessaire de rappeler ici, que ce livre est écrit à l'époque transi-toire où des décisions et des options importantes sont en train d'être prises dans le domaine marin. Son objectif n'est donc pas de donner un bilan sur tous les problèmes marins, de façon exhaustive, mais plutôt de les situer dans leur contexte général et de montrer la valeur unique que représente la mer. C'est à dire son caractère particulier d'espace indivisible, commun à toute l'humanité, qui réclame une politique d'ensemble. La 6e Session qui s'est tenue à New York 1 pourra-t-elle trouver ((une formule de compromis>>? Peut-être. Mais déjà d'autres sessions sont envisagées. Tout n'est donc pas résolu.

    Le conflit reste ouvert et on peut penser, sans faire preuve de pessi-misme, qu'il peut durer encore des décennies. En effet, on ne voit pas très bien comment cette conférence résoudrait tous les problèmes. Ce serait bien la première fois qu'une telle chose se produirait aux Nations Unies! Mais finalement, ce n'est pas là, vraiment, sa fonction. Elle a engagé le processus et a servi de catalyseur au niveau du débat international; l'objectif souhaité est donc atteint. Après de telles considérations et de telles confrontations, il est impossible de revenir en arrière et, cette fois-ci, la prise de conscience est générale.

    Ainsi, on comprend la portée de cette conférence, bien que les résul-tats n'apparaissent pas immédiats. Il faut la considérer comme une étape, les problèmes abordés étant trop vastes. Par surcroît, la diversité des intérêts en cause, sur les plans politique, économique, stratégique, ajoute à la difficulté des négociations.

    / . Voir encadré page précédente. Et si la mer pouvait se révolter?

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    Les tendances actuelles

    Projet de" vi lle de la mer »pour pêcheurs et aquaculteurs, en Indonésie. (Projet CAM).

    Comme on vient de le voir, un réel changement s'observe dans l'atti-tude de l'homme par rapport au milieu marin. Celui-ci se découvre aujour(fhui autant hommme de mer, à la fois tributaire et maître en puis-sance du monde marin qu'il s'est affirmé terrien dans sa manière de s'appro-prier et de transformer les sols.

    Une reche'rche et une application concrète, tant au niveau de nouvelles techniques que de nouvelles activités, apparaissent. Nous avons pu observer, à l'exposition internationale d'océanographie d'Okinawa au Japon, en 1975, l'apparition d'engins sous-marins de conception entièrement nouvelle, réali-sés en modèles réduits, qui tirent leurs formes de l'observation de la vie marine et qui s'adaptent ainsi parfaitement au milieu marin. Ce type de recherche théorique reste tout à fait inédit et correspond exactement, quant à l'esprit, aux recherches que nous poursuivons au CAM1• Ces projets répondent e des besoins réels au niveau des différentes activités marines.

    Palrailleurs, les récents progrès dans les techniques de construction permettent plus de souplesse dans l'agencement et dans la variété des volu-mes ainsi qu'une meilleure utilisation des espaces. Par exemple, le progrès dans les plastiques acryliques (amélioration des performances et des techni-ques de fabrication) permet d'étendre l'utilisation des matériaux transparents. Ils peuvent désormais servir de matériaux de construction, au même titre que le béton et constituer la structure même d'un module sous-marin. Outre ces améliorations techniques des mutations significatives se produisent dans les activité~ marines.

    Activité aquacole Les peuples de pêcheurs d'aujourd'hui, héritiers d'une longue tradi-

    tion, commencent à effectuer une transition : le passage de la récolte pure que l'on peut assimiler à une cueillette, à un vrai système d'élevage : l'aqua-culture. Ces hommes constituent dans le monde des groupes humains plus

    1. Centre d'Architecture de la Mer

  • familiers de la mer que d'autres. Ce sont des marins et des pêcheurs qui ont en mer l'essentiel de leurs activités. C'est le cas par exemple en Bretagne, en Norvège ou en Extrême-Orient.

    A une échelle globale enfin, l'importance de développer ce secteur d'activité se justifie. Il convient de prendre acte de l'accroissement de la popu-lation mondiale et de prévoir à temps les moyens d'harmoniser courbes démographiques et courbes alimentaires. Or, dans le bilan nutritionnel de la planète, il est des carences bien connues, c'est le drame des pays en voie de développement. Leur assurer un avenir en suscitant de nouvelles ressources, par une aquaculture contrôlée, s'inscrit donc dans cette optique.

    Le projet de ((Ville de la Mer;;, étudié par le CAM en 1971, pour le compte de l'UNESCO, répond à ces préoccupations. Le choix du site en . mer de Banda (Indonésie) a été déterminé à partir d'une étude sur le climat et la dynamique de la mer, sur les fonds et le milieu marin. Ainsi, la localisa-tion du projet au bord du plateau continental d' Arafura, où les eaux profon-des, riches en nitrate et phosphate I, remontent naturellement suivant le phé-nomène d'Upwelling, est favorable au développement de l'aquaculture qui utilise ces matières nutritives pour l'alimentation des poissons. Ce procédé a déjà été mis en place à Tahiti par pompage des eaux profondes pour les installations aquacoles du CNEXO. Les Brésiliens utilisent également ce système près de Rio de Janeiro, à Cabo Frio.

    Par ailleurs, le retentissement d'une telle opération sur l'environne-ment humain a également été déterminant pour l'implantation du projet près des îles Keys (mer de Banda). En effet, les pays du Sud-Est asiatique repré-sentent un foyer humain d'environ 300 millions d'habitants. Le but recherché

    /. Voir Chapitre 2 - §les grands secteurs d'aménagement - Secteur des plateaux continentaux -p. 46, 51.

    Ramassage d'algues au Japon dans J'est de l'ile Hokkaido à Nemu ro.

    La chaine alimentaire

  • Ci-dessus : Arcachon - ostreiculture- Tuiles chaulées pour capturer les naissains d'huîtres. A droite : Bassin de Marenne- mise sur table des naissains japonais. ci -dessous : ferme flottante pour la haute mer, avec trois enceintes d 'élevage, gonflables.

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    est donc d'intégrer les populations de pêcheurs à cette

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    comprend l'intérêt de cette structure mobile s'adaptant aux conditions du milieu le plus propice à l'objectif recherché. Allant plus avant encore, un Français 1 a imaginé et mis au point une «ferme de haute mer » totalement autonome. Son originalité réside dans des enceintes d'élevage gonflables, associées à une structure du type « bouée perche '' · qui regroupe toutes les fonctions logistiques de la ferme ainsi que l'habitat.

    Ces enceintes présentent l'avantage d'être auto-nettoyables grâce au choix d'une vitesse optimale d'écoulement des eaux internes et possèdent un système automatique de tri périodique destiné à classer les animaux par taille homogène. Ainsi une ferme de haute mer, d'une capacité de 120 tonnes de production annuelle de saumon par exemple, ne serait pas plus coûteuse qu'un chalutier moderne de pêche artisanale. Nous étudions également au CAM ce type de fermes à différentes échelles et pouvant se regrouper en vil-lages.

    Par ailleurs, les Américains ne pratiquant pas le ramassage tradition-nel des algues, comme le font les goémoniers bretons, ont depuis 1975 expéri-menté une ferme flottante pour la culture des algues, près des l'île de San

    Clémente (Californie). Elle sert actuellement de base à des essais de culture de Macrocystis pyrifera, qui présente l'avantage d'une grande vitesse de croissance. Ces algues sont fixées sur des filets immergés à 20 rn de pro-fondeur et ancrées sur les fonds. Chaque hectare devrait en produire 75 à 100 tonnes, fraîches, par an.

    La transformation des algues (alginate, produits pharmaceutiques, produits alimentaires, etc ... ) s'effectuerait par des bateaux usines ou des plates-formes mouillées au milieu des champs d'algues. A très long terme, cet ambi-tieux projet prévoit de cultiver 90 millions de milles carrés à la fin du 21 e siècle en admettant une croissance 10 % par an à partir de 1990!

    En face de tels projets, on peut penser que l'avenir de l'aquaculture ne peut aller que dans le sens d'une adaptation complète de l'homme au milieu marin par sa présence au sein de ce milieu. « Il faut plonger, comme d'autres vont aux champs ou aux prés; la nature et la densité du peuplement, l'épaisseur des algues, la pente de la roche, l'ombre et la lumière et ce« ciel liquide '' lui-même, il faut les regarder comme le cultivateur regarde les nua-ges, la terre, la rosée sur l'herbe, d'instinct )) 1• Certains pêcheurs, ainsi que nous avons pu l'observer en Languedoc-Roussillon, commencent à sentir dès

    /. A. Muller - Feuga Ingénieur agronome Électricité de France. 2. Ph. Diolé- L 'aventure sous-marine

    Grande photo gauche : Per/iculture en Po~vnésie Française sur l'ile de Takapoto aux Tuamotu Grande photo droite : N ursery de poissons aux U.S.A.

    A. 8 . C. Trois stades d'évolution larvaire de la dorade

  • Ci-dessus : pêcheurs de goëmons à Tréompan en Bretagne A droite : paludier au travail à Guérande en Bretagne

    Différents types de récifs artificiels pour l'élevage des poissons.

    à présent la nécessité de plonger sur les lieux mêmes qu'ils ont aménagés (récifs artificiels, cages, etc ... ). On commence à voir se dessiner ce mouve-ment de (( sous-marinisation » qui est en fait l'objectif réel de la mariculture.

    A l'heure actuelle, dans la baie Hiketa au Japon, 400 cages sous-mari-nes sont en exploitation et produisent 2 000 tonnes de yellowtails 1• L'avenir de ces structures est réel et l'on peut très bien imaginer les perspectives qu 'elles laissent entrevoir. Il s'agira alors de cultiver le fond des mers. (( L'aquaculture en pleine eau )) commence à être expérimentée au Japon depuis quelques années. Elle s'étend à toute une zone marine assez vaste qui peut être délimitée, par exemple, par des rideaux à bulles d'air ou, si la zone est moins grande, par des filets. Il ne s'agit pas seulement d'engraisser les animaux dans des bassins comme dans des fermes à poulets, mais de repeu-pler des zones en créant des troupeaux évoluant librement et subissant un simple contrôle. Cela revient à favoriser l'exubérance de certaines espèces et de pratiquer ainsi un surpeuplement sélectif. Les (( récifs artificiels JJ dont nous venons de parler plus haut sont conçus justement pour la protection et le repeuplement de zones dévastées. Ils sont faits de structures qui peuvent être des pieux, des carcasses de voitures, des blocs de béton (troncs de cône perforés, cubes, prismes, etc ... ) et encore bien d'autres modules. Ils permettent d'attirer, d'abriter, de protéger et de nourrir les poissons et les crustacés. Une association régionale de pêcheurs du Languedoc-Roussillon, NARVAL, a mis en place ces écueils par des fonds de 20 mètres, en vue de permettre la reproduction des poissons et d'effectuer des essais d'élevage. Le CAM a par-ticipé à cette opération. Nous avons pu remarquer que ces procédés s'avèrent très prometteurs pour l'avenir.

    La nécessité de concevoir un habitat sous-marin se fait donc sentir pour la surveillance de ces nouveaux (( champs JJ au fond des mers. C'est alors que l'homme pourra véritablement s'adapter au milieu marin. Cette familiari-sation avec l'élément liquide doit s'accompagner également d'une familiarisa-tion avec la faune marine par la recherche d'une compréhension mutuelle comme celle qui existe entre l'homme et les animaux terrestres apprivoisés ou domestiqués : d'ailleurs, ce genre d'expérience se pratique déjà avec les dauphins qui, il est vrai , sont des mammifères marins. Ainsi aux U.S.A., aux îles Hawaïennes, on apprend à ces animaux à devenir gardiens des plages et à venir en aide aux nageurs en difficulté. Bientôt, ce seront eux les « chiens de garde )) des futurs troupeaux de poissons.

    Les (( cultivateurs de la mer JJ, adaptés à une vie sous-marine, entre-tiéndront leurs zones respectives d'élevage. Les écloseries seront sous-mari -

    1. Espèce particulière de poissons

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    nes et les animaux, reproduits dans leur milieu naturel. Des équipes de travail empoissonneront, alimenteront, soigneront, récolteront à l'aide d'un matériel spécialement adapté. Il s'agira de « tracteurs sous-marins>> comparables aux «faucheuses sous-marines» mises au point par Rébicoff, qui distribueront les aliments, transporteront les produits jusqu'à des zones de tri et de stockage sous-marines, (( les granges de la mer >>. Les activités d'agriculture et d'éle-vage que l'homme pratique depuis fort longtemps sur la terre le préparent parfaitement à ce genre de besogne. Elles éveilleront donc en lui une très ancienne résonance.

    Des projets de villages sous-marins ont été étudiés plus particulière-ment pour le site des îles Vierges, par le CAM, avec des fermes sous-marines conçues pour abriter des chercheurs et des aquaculteurs 1•

    Nous rêvons d'apporter dans la mer ((l'application du paysan, sa len-teur attentive, l'économie de ses gestes. Mais, pour être ce paysan des profon-deurs, il faut au moins vivre au rythme des saisons de la mer 2• En effet, sous nos climats, la mer connaît son printemps. C'est à ce moment que les paysa-ges sous-marins sont les plus beaux, au mois de mars une végétation intense se gorge de sels nutritifs, c'est le ((phytoplancton ». Elle forme une ((prairie bleue» dont la production annuelle a été évaluée à 14 000 tonnes par km2•

    /. Voir chapitre 2 au § des grands secteurs d'aménagement p. 46 et chapitre 6 · 2. Ph. Diolé.

    Utilisation de perches semi·submersibles pour créer un enclos marin.

    A quacu/teur dans son • champ • d'huitres perlières aux Tuamotu. • Corral • marin- U.S.A.-

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    ce qui dépasse en fertilité toutes les prairies terrestres. Ces algues ont une croissance rapide en hiver et en automne, en été elles se reproduisent.

    Les paysans de la mer doivent également savoir que les vagues jouent, en mer, le rôle du vent sur la terre, elles arrachent les flétries des algues. En effet, certaines d'entre elles portent des «fleurs» en juillet qui se fanent en octobre. Dans la mer, il faut s'attendre à ce que des «animaux bourgeonnent et des végétaux pondent des œufs », c'est précisément ce qui se passe pour certaines espèces.

    Activité scientifique Le domaine scientifique a vu s'étendre considérablement son champ

    d'investigation grâce aux progrès techniques qui permettent d'atteindre les grands fonds et grâce au matériel très perfectionné dont il dispose (appareils de mesures, bras préhensible télécommandé, etc ... ).

    Aujourd'hui, la recherche pour l'amélioration des engins vise à procu-rer, d'une part, une meilleure observation et une meilleure prospection du milieu marin et, d'autre part, de meilleures conditions de vie dans les habitats sous-marins.

    C'est seulement depuis ces quinze dernières années qu'un effort a été entrepris. De nombreuses expériences de « maisons sous-marines » ont été réalisées, afin de mettre en pratique les données théoriques et expérimentales de la plongée à saturation. Ce ne sont toutefois que des bancs d'essai pour mettre au point des équipements et effectuer des recherches : prélèvement de matériaux, observation du milieu, surveillance physiologique des humains, etc ...

    La première expérience française Précontinent 1, dirigée par J.-Y. Cousteau, en septembre 1962, montre que l'homme peut vivre sous pression à l'air comprimé pendant plusieurs jours, sans danger, à- 10 m. Il s'adapte parfaitement à son nouveau milieu.

    En 1963, Précontinent II est une expérience de plus grande impor-tance, implantée en Mer Rouge, loin de toute zone industrielle ou urbaine. Une maison assez vaste, en forme d'étoile, est placée à- 10 rn, et peut rece-voir jusqu'à 8 océanautes, un garage pour une soucoupe se trouve également à cette profondeur. A- 26 rn, est mis en place un poste avancé d'observation pour 2 plongeurs. Cette expérience durera un mois. Elle montre qu'à ces pro-fondeurs l'homme peut jouir d'une grande liberté de mouvement dans des conditions de totale sécurité. La présence permanente du plongeur sous l'eau lui permet, en outre, d'accomplir un travail de longue durée à proximité de son habitation.

    Précontinent III, expérimenté en 1965, démontre la possibilité d'une autonomie presque totale de l'habitacle, (très important pour des questions de sécurité) et la possibilité pour l'homme de vivre pendant 26 jours à -100 rn, malgré l'obscurité et le froid, grâce aux équipements perfectionnés et à l'utilisation de mélanges gazeux d'hélium et d'oxygène.

    Parallèlement, des expériences similaires ou complémentaires sont poursuivies aux U.S.A. avec (1970)

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    Plus récemment, l'expérience franco-américaine cc Famous JJ, sous l'égide du CNEXO et de la NOAA 1 avait pour mission de faire des relevés et des observations à grandes profondeurs sur la dorsale atlantique. Le projet du centre de recherches à grande profondeur, (( Pulmo )) du CAM, a été conçu dans le même esprit.

    En revanche, la maison sous-marine (( Galathée)), construite durant les années 1976-1977 par le CAM, est conçue dans une optique totalement diffé-rente de celle qui a présidé à l'élaboration des réalisations précédentes.

    Tout d'abord, sa conception mobile lui permet de multiples missions. Polyvalente, elle est donc destinée aux professionnels et aux (( semi-profes-sionnels )). Contrairement aux projets effectués par le passé, elle présente l'avantage d'être facilement remorquable et de se déplacer en itinérance sui-vant les thèmes d'études choisis : recherches archéologiques ou biologiques. Cette base mobile est à la fois un habitat et un laboratoire sous-marin au service des recherches scientifiques en milieu marin. Très maniable, elle s'immerge en 30 minutes à des profondeurs allant de la surface à- 60 rn et peut accueillir jusqu'à 5 plongeurs. Son caractère le plus spécifique réside dans cette mobilité verticale.

    /. National Oceanographie and A tmospheric Administration

    Ci-contre : mise à l'eau de la maison sous-marine Galathée réalisée par le CAM

    Ci-dessus: l'expérience Tektite Il aux Iles Vierges (U.S.A .)

  • Ci-dessus : expérience Précominent If de Cousteau en Mer Rouge Ci-contre : • Nemo •, en cours d'opération aux USA

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    Sa principale vocation est de faciliter les interventions sous-marines en offrant des temps d'observation in situ de longue durée, indispensables, par exemple, pour les études éthologiques 1• Cette maison donne aux plon-geurs l'habitacle qui leur manquait pour effectuer dans de bonnes conditions les fastidieux paliers de décompression qui, dans bien des cas, sont source d'accidents mortels. Avec (( Galathée )), ils peuvent, dans un espace étanche et spécialement aménagé, vaquer à de multiples activités en attendant de remonter à la surface. Ce gain de temps et cette sécurité améliorent les condi-tions d'intervention; on peut, dès lors, parler véritablement de mode de vie sous-marin.

    Activités culturelle et touristique

    La vocation culturelle et touristique de la mer prend également une orienta-tion nouvelle. Son rôle attractif se double d'une véritable prise de conscience de l'importance de l'environnement marin et de son appartenance à l'œcou-mène qui se concrétise par un désir de protection du milieu.

    La demande incessante d'espaces nouveaux pour les loisirs, de zones

    / . f: tude des comportements et des modes de vie des animaux marins.

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  • Ci-dessus : • Caligu V • par mistral

    Ceci est bien contraire à l'esprit des fameux marinelands de San Diego, Los Angeles, Miami, qui présentent des structures lourdes et terres-tres. Réalisés au niveau des états, avec souvent des capitaux privés, ces pro-jets sont conçus aux seules fins de rentabilité financière.

    Au Japon, le problème est sensiblement différent. En raison du man-que d'espace, les parcs marins n'ont pas un caractère aussi différencié que les parcs américains. Il existe des réserves biologiques dans lesquelles l'impact touristique est limité et, par ailleurs, des parcs à vocation culturelle et touristique où l'objectif poursuivi entraîne un équipement fixe tel que des tours d'observation sous-marines (tours d' Ashizuri, Kagoshima, Kushimoto, Okinawa), des hôtels, des marinas. Ce dernier type de parc marin se déve-loppe pour des raisons d'intérêt commercial. Dans la majorité des cas, les sites sont profondément perturbés, tant du point de vue esthétique qu'écologi-que.

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    En France, l'aspiration à la nature ne s'est fait sentir avec acuité que depuis la dernière guerre mondiale.

    C'est seulement en 1963 qu'a été créé notre seul parc marin qui comprend l'île de Port-Cros et bientôt l'île de Porquerolles. Ce parc marin est conçu avant tout en vue d'une protection du milieu, sans pratiquement d'aménagement pour les divertissements touristiques.

    Toutefois, après les expériences des tours d'observation japonaises et des marinelands américaines, aux structures rigides et lourdes, se font jour des projets de conception plus marine, tels que des centres culturels de la mer. des musées flottants et sous-marins.

    Ces nouveaux projets, de par leur vocation, tiennent da~antage compte de la protection et de la promotion du milieu naturel.

    Le C.A.M. a étudié de tels projets pour la ville de San-Francisco, aux Etats-Unis, et pour le CNEXO en France. Pour ce dernier, il s'agit du projet (( A rchéoscope )), musée flottant se situant au-dessus d'un site archéologique èans la rade de Giens.

    Petite photo : Projet du CAM de tour d'observation sous-marine sur l'ile de Maui à Hawaï.

    Grande photo : Tour d'observation sous-marine d'A shizuri sur l'ile de Shikoku au Japon

  • Chantiers sous-marins de la COMEX

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    Activité industrielle Une évolution se produit également dans le domaine industriel marin1

    l'expansion est considérable : l'exploitation pétrolière en est la cause. Pour-tant ·le champ d'activité tend à s'accroître, il s'étend aussi aux ressources minières et énergétiques. Pour ces dernières, l'utilisation de l'énergie emma-gasinée par les mouvements de la marée trouve, peut être, son plus bel exem-ple avec l'usine marée-motrice de la Rance. On envisage aussi d'utiliser l'énergie solaire qui est absorbée en grande quantité par les couches supérieu-res de la mer. L'énergie des vagues reste encore à capter, mais depuis 1946 on sait utiliser l'énergie thermique grâce au procédé George Claude 1• Les techniques qui paraissaient difficiles à résoudre il y a 20 ans, ne le sont plus aujourd'hui. C'est une question de mise en point. Bientôt les ressources de la mer seront appelées à fournir le relais des énergies défaillantes produites par la terre, mais cette fois -ci il s'agit d'énergies inépuisables et non polluan-tes.

    Par ailleurs, cette évolution du secteur industriel se traduit concrète-ment par une amélioration des conditions de vie sur les plates-formes et dans les engins sous-marins. Ce sont de véritables complexes industriels que l'on voit se développer en mer où une vie sociale de plus en plus élaborée

    1. Voir chapitre 2, Mer, source d'énergie. p. 59.

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    demande à s'établir, présentant un début d'c( urbanisation marine JJ. Mais l'avenir dans ce domaine demande l'intervention de l'homme (( in situ JJ. C'est donc en préparant son intégration et son adaptation à une vie sous-ma-rine, en se désolidarisant peu à peu de la surface, que l'homme exploitera le plus efficacement le fond des mers.

    J. Lamarou, de la Société COMEX 1 pense que (( ce n'est que le jour où les ingénieÙrs et les superintendants d'exploitation seront convaincus qu'ils peuvent monter à bord d'un sous-marin d'intervention, se faire transfé-rer dans une enceinte sous-marine à la pression atmosphérique, manipuler sans peur de rester accrochés aufond, vérifier, observer, etc ... que l'on obtien-dra leur support à nos idées et que l'on peut esperer voir prendre des déci-sions qui permettront d'attaquer à son échelle véritable l'emploi de systèmes sous-marins cqmplets )).

    D'ailleurs, cette recherche d'une technologie entièrement sous-marine comme celle Çes plates-formes immergeables, conduira à réaliser des économies dans l'exploitation. En effet, le prix de revient élevé du pétrole off-shore tient pour une bonne part dans des frais de manutention en surface. Actuellement nous savons que la rupture de technologie a lieu de façon radi-cale à partir de .300 mètres. Il faudra une dizaine d'années p our obtenir une technique fondée sur l'automatisation, qui permette d'opérer en toute sécu-rité.

    L'épopée de l'univers nous a montré que l'homme devait nécessaire-ment s'adapter aux conditions de la nature pour en conserver l'équilibre, in-dispensable à sà survie. Explorer l'océan, c'est avant tout s'adapter à lui. La (( marinisation JJ de la technologie est une étape, l'objectif final, en raison des contraintes de la surface, c'est la (( sous-marinisation )). C'est en se projetant vers l'avant que l'homme trouvera la véritable solution à ses difficultés. Quit-ter la surface, se soustraire à l'action du vent et de la houle, s'adapter à la vie sous-marine, voilà uni perspective riche en possibilités de développement.

    Désormais, l'homme ne considère plus l'espace marin comme inacces-sible, il envisagè d'y habiter, d'y pénétrer, que ce soit au niveau de ses activi-tés aquacole, scientifique, culturelle ou industrielle.

    Toutefois, n'oublions pas que la révolution scientifique et technique a souvent conduit à une logique du profit au service d'un pouvoir. Faisons donc en sorte, aujourd'hui, qu'elle soit au service de l'homme dans un sens plus positif et p_ermette une évolution qui ne conduise pas à la destruction de l'humanité et de la planète, par la dégradation ou le gaspillage des res-sources, mais à un (( équilibre J>, grâce à un contrôle et à une gestion.

    1. Compagnie maritime d'expertise (spécialisée dans les interventions marines industrielles).

  • Prospective de · l'aménagement

    ((L'océan règlera le destin de la terre)).

    M. 1. Chénier

  • Vers une organisation de l'espace

    • marin (t' !/faut souvent donner à la sagesse l'air de

    lafolie ... J'aime mieux qu'on dise: mais cela n'est pas si insensé qu'on croirait bien, que de

    dire : écoutez-moi, voici des choses très sages».

    Ces installations d'ostréiculture au milieu du bassin d'Arcachon, dessinent une rowe. déjà une ébauche d'• urbanisation • de la mer.

    Diderot

    Tenant compte des règles institutionnelles qui seront instaurées dans le futur et de celles existant déjà, comme le droit maritime, tenant compte également des tendances actuelles au niveau des activités marines, nous pro-posons, en nous basant sur ces faits réels, un aménagement et une urbanisa-tion de la mer.

    Dans quel sens utilisons-nous exactement l'expression « urbanisation de la mer?» Le terme d'

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    L'(( urbanisation de la mer>> s'entend justement dans le sens d'organi-sation régionale, puisqu'elle comporte l'aménagement des fonds marins qui seront gérés en vue de la sauvegarde de la faune et de la flore. Ainsi, l'exploi-tation contrôlée du milieu contribuerait davantage à la production alimen-taire mondiale, à laquelle elle ne participe, à l'heure actuelle, que dans une proportion de 2 à 3 %, et permettrait une mise en v1ileur rationnelle des richesses marines (énergétiques, minières, pétrolières, etc ... ).

    En prenant progressivement conscience du problème, nous voulons mettre en œuvre une stratégie qui permettrait, par l'intermédiaire de cher-cheurs et de ((paysans de la mer>>, de considérer l'espace marin comme un nouveau territoire, un champ d'action à la portée de tous.

    Bientôt, une nouvelle race d'hommes, à l'esprit pionnier, vivra en har-monie avec les milieux océaniques; nous souhaitons que ses limites physiolo-giques soient peu à peu repoussées pour lui permettre de s'intégrer plus inti-mement à ce milieu.

    Gaston Bardet le pressentait -il en écrivant en 1945 : (( Le nouvel urba-nisme doit être biologique, apte à toutes les mutations caractéristiques de la vie comme de l'esprit. Cet urbanisme incarné, que notre siècle doit élaborer, sera d'ordre expérimental ou il ne sera pas >>.

    L'(( urbanisation de la mer>> sera à la fois le reflet d'une adaptation à l'environnement marin et d'(( une civilisation de la mer>>, suivant son ordre politique et économique.

    Elle semblait glisser vers la mer ... Où va-t-on?

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    Dans un premier temps, avant d'entamer la moindre opération, il convient de constituer des équipes pluridisciplinaires à très large éventail, tournées vers le domaine marin. Elles pourraient comprendre, outre des éco-logistes et des océanographes, des aquaculteurs, des biochimistes et physi-ciens, des biogéographes, des géologues, des économistes, des spécialistes en météorologie et autres disciplines scientifiques ainsi que des architectes. Elles s'attacheraient à dresser un inventaire des richesses actuelles ou potentielles dont l'homme est apte à tirer parti. Puis elles orienteraient les diverses opéra-tions suivant ces bilans et Jes finalités souhaitées.

    Dans un deuxième temps, on mettrait en place certaines opérations d'aménagement et on effectuerait des recherches, très poussées localement, qui seraient réalisées par les différents spécialistes.

    Les villes et les villages de la mer représenteraient ainsi un ensemble intégré de cellules opérationnelles, travaillant en équipes (recherches fonda-mentale, expérimentale et appliquée).

    Dès à présent, si l'on se base sur le relief très différencié des fonds marins (plaines, plateaux ou fosses), l'éloignement ou la proximité des terres émergées, les routes maritimes déjà existantes et les plates-formes fixées sur des lieux d'exploitation, l'espace marin s'organise et laisse entrevoir les gran-des lignes d'un aménagement possible, avec ses zones urbaines et rurales et ses aires industrielles.

    Les grands secteurs

    d'aménagement En analysant les conditions biogéographiques, topographiques, ther-

    miques, mécaniques et énergétiques, on peut déterminer les premiers lieux d'implantation humaine et différencier les secteurs d'aménagement.

    Secteurs proches des côtes ou zones peu profon~es

    Si les projets futuristes des architectes se réalisent dans leur intégra-lité, il se développera, le long des côtes, des zones urbaines, cités-dortoirs résidentielles, extension des villes côtières ou des conurbations littorales. Nous savons qu'il en existe déjà beaucoup trop. Ce sont les fameuses marinas qui, d'ailleurs, bien souvent ne sont occupées que quelques mois par an. Elles deviennent des (( villes mortes >> le reste du temps.

    Dans l'état actuel des choses, il serait préférable de chercher à revalo-riser l'arrière-pays qui a tendance à se dépeupler afin de décongestionner l'espace littoral et de le protéger. Il faut cesser d'ériger un front de mer, véri-

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    table mur qui empêche les échanges écologiques et biologiques entre terre et mer. Car c'est là qu'est la plus grande richesse en structures, en interac-tions, en potentiels et aussi en affrontements. C'est l'espace le plus ambigu qui soit, à la fois le plus attractif et le plus fragile. C'est là aussi que les hommes viennent en masse pour se régénérer.

    mer .... :.-: ... ~ ..

    ·~-- ....... --

    [

  • Village sous-marin avec ses zones de culture. Projet C.A .M .

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    Aussi, nous pensons qu'un secteur rural devrait se développer dans des sites favorables à l'élevage de la faune ou à la culture de la flore marine (embouchure de fleuve, espace lagunaire, etc ... ). Dès lors, des villages flottants et sous-marins pourraient se constituer pour assurer la gestion de ces domaines.

    Ces villages sont conçus de façon à former des groupes d'importance numérique variable (50 à 500 habitants) qui se répartissent sur un domaine suivant les richesses du milieu.

    Au niveau de chacun est prévue une liaison avec le monde extérieur, au moyen d'installations en surface (signalétique, portuaire).

    Pour l'ensemble des villages sous-marins, des zones de circulation sous-marine séparent les différents champs d'activité par des couloirs balisés parsemés de refuges, afin d'offrir une plus grande sécurité dans les déplace-ments sous l'eau.

    Ces villages peuvent avoir plusieurs vocations : la recherche, l'exploi-tation des ressources marines par l'élevage de la faune et la culture de la flore, et enfin le tourisme qui doit s'intégrer ou seulement se rattacher à la vie d'un village.

    La permanence est assurée par les chercheurs et les aquaculteurs qui possèdent leurs habitations et leurs services propres; les centres de recherches et de formation se situent à proximité des champs d'expérimentation et des lieux de récolte; ces derniers constituant une zone rurale.

    Les touristes peuvent séjourner dans le voisinage et former la popula-tion temporaire. Une part importante est réservée aux structures d'accueil, à la fois pour l'hébergement, les loisirs, les sports et les jeux marins (hôtelle-rie, bars, restaurants, centres de plongée). Il s'agit là de favoriser les possibili-tés de contact d'un grand nombre d'individus avec le milieu aquatique et de permettre le développement d'une culture et d'un art marins.

    Afin de satisfaire à la mission culturelle et éducative souhaitée, sont prévus : salles de séminaire,

  • Il z:one · exploitée2

    repartition spatiale

    organieation type d'Ln village sa a-marin

    zone -~===preservee=====-•"

    Ce n'est pas là une fiction. Il existe aujourd'hui des recherches« d'art aquatique )). L'Allemand Jurgen Claus est l'un des tout premiers qui pense l'espace sous~marin avec un esprit véritablement artistique. Il vit l'espace marin comme ((lumière, couleurs, systèmes de projections sur et sous l'eau)), Il souhaite utiliser (( comme phénomènes artistiques des données telles que la force motrice des marées, des phénomènes biologiques comme la bio-lumi-nescence des organismes sous-marins )), Il réalise des expériences en mer en promenant des jeux de tubes en plastique souple et coloré qui pourraient être le décor de ballets sous-marins, ou bien des balisages marquant des chemine-ments et des repérages nécessaires à une- vie sous-marine organisée. Claus est à la fois plasticien et peintre de l'environnement marin, nous sommes per-suadés qu'il fera école.

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    Il existe des peintres du monde aquatique qui posent leur chevalet au fond de la mer- projet pour un jardin sous-marin (J. Claus).

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    C'est aussi dans ce secteur proche des côtes qu'il est prévu d'établir des (( usines flottantes JJ, depuis la centrale nucléaire jusqu'au complexe pétro-chimique, en passant par les usines de dessalement des eaux ou de liquéfac-tion des gaz. Les grands chantiers navals, comme ceux de l'Atlantique, ont mis au point des systèmes de barges supportant des usines entières. Ils propo-sent actuellement aux industriels ces projets qui sont d'un coût de revient 20 % moins cher que des installations terrestres.

    Toutefois, cette facilité de déplacement des usines que découvrent les grosses industries n'est pas sans danger. Grâce à ces techniques de pointe, c'est encore les pays riches qui parviendront le mieux à dominer l'industriali-sation mondiale. Il y aurait donc de nouvelles lois internationales à mettre en place, au niveau des droits d'exploitation et d'implantation de ces usines et au niveau des protections contre les risques de pollution.

    Secteurs comprenant l'ensemble des plateaux continentaux (50 à 200 -m).

    C'est jusqu'à 10 ou 12 km des côtes que de gigantesques projets de ports flottants peuvent être implantés. Déjà un certain nombre d'entre eux sont en fonctionnement. Ils sont conçus comme de véritables ports côtiers avec de grandes capacités de manutention et de stockage. Il existe, entre autres, la tour de stockage Ekofisk, en mer du Nord (dont les fonds ne dépas-sent guère 100 rn), de la Société Doris; le port pétrolier de Dubaï, dans le golfe Persique, ou encore le terminal pétrolier dans l'Atlantique Nord (U.S.A.). La nécessité de telles structures est compréhensible en raison du tonnage énorme des navires transporteurs Qusqu'à 500 000 tonnes et plus) qui sont dans l'impossibilité de trouver des ports pouvant les recevoir à quai.

    On envisage également d'établir des aéroports en mer, en liaison avec la plupart des grandes villes du globe à vocation internationale. Il est assez amusant de lire dans un ((Sciences et avenir)) des années 1930 intitulé ((je sais tout)): ((Paris à 30 heures de New-York, grâce aux aérodromes flot-tants JJ. En 1928 l'ingénieur Armstrong avait imaginé de fragmertter le trajet transatlantique en implantant à intervalles réguliers d'environ 550 km, une série de (( seadromes JJ. Costes et Bellonte, pionniers de l'aviation, croyaient à ce projet; ils étaient bien placés pour savoir que les avions de lignes commerciales ne pouvaient effectuer des vols dépassant 1 000 km et cela avant longtemps. Ces pilotes ne pouvaient prévoir qu'à peine 4 ans plus tard, la rapidité d'évolution des techniques aéronautiques vaincrait l'obstacle de la distance, rendant ce genre d'installation inutile.

    Aujourd'hui, si la nécessité de construire des aérodromes en mer se fait sentir, c'est pour de tout autres raisons. En effet, l'importance du trafic aérien préoccupe les autorités mondiales. Assez rapidement les aéroports actuels seront insuffisants, or les surfaces nécessaires ne sont plus disponibles à proximité des grandes villes. Devant le manque de place, un aéroport flot-tant a été réalisé dans la baie de Tokyo. Il comprend trois niveaux qui s'élè-vent sur dix mètres de hauteur. Malheureusement il se trouve situé à trop proche distance de la côte et des agglomérations, ce qui provoque un certain nombre de nuisances (bruit, pollution, destruction du paysage côtier).

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    Toujours au Japon, l'aéroport de Sagami se situe aussi en mer. Il est composé d'une structure volumétrique lourde de 30 mètres de hauteur. L'aé-rogare se trouve à une dizaine de mètres en profondeur de sorte que les passa-gers rejoignent directement les passerelles d'embarquement par des ascen-seurs.

    C'est à plus de dix kilomètres des côtes que l'on projette de réaliser des qui joueraient le rôle de grandes gares aériennes in-ternationales. Ils deviendront alors des complexes d'échanges internationaux (affaires, commerce, secteur tertiaire, etc ... ) et seront des centres de vie per-manents pour des milliers de personnes. Ils posséderont leurs services pro-pres, des centres de loisirs nautiques, des installations portuaires, etc.

    Aux U.S.A., le quatrième aéroport international de New-York sera construit dans cet esprit là.

    On s'aperçoit qu'à partir de 50 rn de fond, les structures flottantes sont largement compétitives avec les solutions de remblaiement. De plus, elles pré-sentent l'avantage d'une certaine mobilité, d'une grande facilité d'extension et d'un minimum de destruction de l'environnement.

    Ce dernier point doit nous rappeler·que nous souhaitons avant tout aménager et non bouleverser Je milieu. Les prévisions à long terme doivent permettre d'éviter que ces zones marines deviennent un rebut où les nuisances de tout ordre se trouveraient concentrées. Nous ne pouvons refuser de les supporter à terre afin de mieux les ignorer.

    Il n'est pas question, entre autre, de négliger les problèmes de traite-ment des déchets ou des eaux usées provenant des industries implantées en mer, ni d'encombrer les espaces marins uniquement avec ce type d'installa-tion lourde.

    L'aménageur de la mer doit au contraire coordonner harmonieuse-ment les diverses activités, pour offrir une > acceptable aux futurs habitants de la mer.

    C'est aussi dans ce secteur de 50 à 200 rn de fond, sans qu'il soit res-trictif pour autant, que nous avons prévu d'établir des fermes flottantes 1 qui ont la particularité de se déplacer suivant les zones marines favorables à tel ou tel type d'élevage. Regroupées, elles forment des villages aquacoles en haute-mer avec : zone de production, industrie de transformation, stockage et zone résidentielle.

    Par ailleurs, une exploitation minière off-shore existe d'ores et déjà sur les plateaux continentaux. Elle se pratique depuis la surface à partir de navires miniers, par différentes méthodes de dragage. L'extraction des sédi-ments (graviers et sables) représente d'importantes matières premières pour les travaux publics et la construction. Celle des minéraux d'origine détritique se pratique principalement au moyen de dragues à godets : sur le plateau continental indonésien pour l'étain, au large de l'Alaska pour les placers d'or, au sud du Japon pour les gisements de fer, au large des côtes occidentales de l'Afrique du Sud pour les placers de diamants.

    D'autres minéraux du domaine océanique, et d'origine uniquement marine, peuvent provenir de diverses formes de volcanisme sous-marin ou de phénomènes biologiques. Ce sont, par exemple, les phosphorites que J'on peut trouver au bord des plateaux continentaux à l'endroit où les remontées d'eaux froides transportent des sels minéraux et des phosphates et les y dépo-sent. En effet, les eaux froides, plus riches en gaz et en sels dissous, permet-tent un meilleur développement des matières d'origine organique. Ces eaux

    l. Voir chapitre 1 - Activité aquacole p. 28.

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    N" Z98. - OCTOBRE 1930.

    Coupe d'un aquaport montrant les caissons flottants, les véhicules marins pour passagers, les escalateurs et les chargements de bagages.

    A gauche, ci-dessous : projet pour /'aquaport de New-York. A droite, ci-dessous : projet pour /'aquaport de Toronto.

    Projet d'un des 8 seadromes devant servir de« rassurants reposoirs intermédiaires • entre les c{jtes Européenne et Américaine- Je sais tout, octobre 1930.

  • Ci-dessus: terminal pétrolier de ras Tanura . Ci ~dessus. à droite : puits de pétrole sur le lac de Maracaïbo au Vénézué/a.

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    froides se trouvent soit en surface dans les zones polaires ou tempérées, soit en profondeur dans les zones tropicales. Toutefois, il peut arriver que les eaux profondes soient ramenées en surface par des conditions dynamiques spéciales. Il en est ainsi lorsque les vents refoulent la partie superficielle des eaux à l'aplomb d'un obstacle, côte ou bord de plate-forme: par jeu de compensation, les eaux profondes viennent prendre la place, c'est le phéno-mène d'Upwelling.

    C'est pour l'exploitation des gisements pétroliers off-shore que les efforts sont le plus largement déployés. Les forages en mer sont effectués à partir de plates-formes, véritables petites usines que l'on installe au-dessus des trous à forer. Il existe aujourd'hui des plates-formes semi-submersibles, comme les

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    Remorquage des platesformes en mer du Nord (Esso).

  • Nodules poly métalliques déposées sur les fonds entre 3 000 et5 000 m. de profondeur. profondeurs, la solution d'avenir serait d'utiliser des engins chenilles

    télécommandés, totalement sous-marins. Ils pelleteraient jusqu'à 30 tonnes de nodules environ et remonteraient ensuite en surface par délestage. Des pla-tes-formes de grandes dimensions collecteraient les nodules à la surface et assureraient leur traitement sur place. On peut imaginer des bateaux-usines qui chargeraient des minerais à l'état brut et rapporteraient des produits finis à terre.

    Chacun de ces secteurs que nous venons d'aborder correspond à une zone d'aménagement qui pourrait être coordonnée à l'échelle de la planète, les installations proposées offrent la possibilité de vivre aussi bien sous la mer qu'en surface. Pour ce faire, nous pensons qu'il serait nécessaire de créer des centres océanographiques mobiles, sortes de (( banques des données de la mer». Ceux-ci pourraient se déplacer en surface pour la surveillance de tout un espace océanique et servir de liaisons entre différents centres fixes (sous-marins ou de surface) eux-mêmes rattachés à des groupements de

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    sous-marines posent des problèmes analogues qu'il faut résoudre aussi. Comme nous l'avons montré, cela n'est guère facile car les motivations qui poussent les hommes à vivre en mer sont parfois différentes, voire antagonis-tes. D'un côté, les industriels et des gouvernements de pays puissants qui ne proposent qu'une simple exploitation des matières premières et Qes produits ---de la mer pour une rentabilité immédiate et maximum, sans tenir compte des besoins des pays économiquement faibles. D'un autre côté, ceux qui revendi-quent leurs droits, les

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    La connaissance de ce milieu et sa sauvegarde semblent être l'un des moyens d'assurer la survie de l'espèce humaine. Il ne s'agit pas là d'une sim-ple exploitation, mais de la connaissance réelle de l'univers marin qui impli-que la présence de l'homme au sein de l'élément liquide. cc Intégrer ''• c'est là le maître mot d'un mouvement cohérent vers le monde marin. Grâce aux techniques nouvelles, l'homme peut dès lors s'implanter dans ce milieu pour l'observer, y pénétrer encore plus profondément et en tirer de nouvelles res-sources.

    Répartition spatiale

    Les premières implantations d'habitations permanentes en mer s'effec-tueront en fonction des richesses naturelles du milieu et d'un choix de profon-deurs relativement faibles, incitant à s'établir à proximité des côtes. L'éloi-gnement du rivage se fera progressivement, d'une façon ponctuelle. La répartition spatiale des villes et des villages marins peut se résumer dans les quatre propositions qui suivent :

    La première proposition, à dominante terrestre, utilise les conditions offertes par les polders et les atolls. Dans ce dernier cas, l'habitat et les équi-pements se répartissent sur l'anneau émergeant autour du lagon intérieur.

    La deuxième est mixte : les constructions dépendent encore étroite-ment du sol, mais elles sont, en même temps, en milieu marin. Elles reposent sur des hauts fonds (- 10 rn), par l'intermédiaire de pilotis.

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    La troisième est à dominante flottante, au-dessus de fonds de 50 à 2 000 rn : seuls les équipements spécifiques, comme des fermes ou des chan-tiers industriels, sont éventuellement immergés.

    La quatrième est de nature essentiellement sous-marine : seuls appa-raissent en surface des éléments signalétiques tels que ports et structures d'accueil.

    Il est certain que l'orientation proprement sous-marine de l'habitat s'effectuera à long terme, dans la mesure où les humains se sentiront profon, dément motivés et lorsque les mentalités auront évolué. En outre, il est sou-haitable que l'architecture marine n'ait pas un impact trop important sur le milieu. Dans certains secteurs d'activité, les structures doivent pouvoir, en cas d'extrême nécessité, être détruites ou simplement démontées ou déplacées pour redonner au milieu son état originel. Dans ce cas, une base légère sera laissée sur place pour étudier les répercussions de l'expérience sur le milieu afin de ne pas déséquilibrer l'évolution des écosystèmes de la zone utilisée. Il serait regrettable de répéter en mer les erreurs commises sur terre.

    De nos jours, la nécessité de la protection des mers doit conduire à une gestion attentive de ces espaces dont l'urbanisation est une des formes.

    Mer source

    d'énergie Vivre en mer nécessite l'acquisition d'une autonomie par rapport au

    monde terrestre. La mer recèle des énergies non polluantes 1 qui ne deman-dent qu'à être employées. Voici des siècles que l'homme sait utiliser l'énergie du vent. Il a d'abord imaginé des voiles pour ses bateaux et plus tard des éoliennes pour fabriquer de l'électricité.

    Depuis longtemps, il sait faire marcher des moulins à eau dont les grandes roues sont entraînées dans leur mouvement rotatoire par le courant des rivières.

    En haute-mer, à grande échelle, il serait possible dès à présent, de cap-ter l'énergie cinétique du courant en construisant des hydroliennes à pales géantes qui entraîneraient des turbines.

    Un projet américain, réalisé par des physiciens de la NOAA prévoit d'installer sur le passage du Gulf Stream, qui longe la côte des États-Unis sur 560 km, ce type de structure sur une largeur de 16 km, avec 12 rangées parallèles de turbines- le projet produirait plus de 100 000 mégawatts d'une énergie (( douce » qui ne provoquerait aucune nuisance.

    Les énergies thermique et mécanique provenant des remontées d'eaux froides 2 peuvent être rentabilisées par le procédé George Claude dans la mesure où l'eau de surface présente une température très supérieure à celles

    1. Voir chapitre 1 - activités industrielles p. 40. 2. Voir· p. 51 Phénomène d'Upwelling.

  • Projet américain d'hydroliennes géantes dans le Gulf Stream. Page ci-contre, photo : Barrage de la Rance. Page ci-contre, croquis : principes de fonctionnement d'usines marémotrices.

    60

    élementa de dynamique marine

    e MOUVEMENTS PERIODICllUES. ·~··..,.,..· ~vent

    e MECANICllUE CELESTE.

    e MB:ANIGUE DES FLUIDES . eoau,...,ta lndulta ~

    frot:c. 1 .enta

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    -t:.tJ~Ir l"horlzont8 ..

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  • 61

    du fond, comme dans les régions tropicales. Même si ce type d'énergie n'est guère exploité à l'heure actuelle, on sait que la seule conversion de la diffé-rence thermique peut fournir un apport continu d'énergie électrique bien supérieur aux besoins présents de l'humanité. Rien que le phénomène du

  • Ci-dessus: conception d'un générateur du futur qui utilisera les différences de température comme source d'énergie. A droite: projet de centrale nucléaire au fond de la mer- USA.

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    Les techniques pour capter l'énergie des vagues en quantités indus-trielles demandent encore des mises aux points. Toutefois, il existe un engin commercialisable : positionné à une dizaine de mètres du rivage, l'eau des vagues s'y engouffre en entraînant trois jeux de roues à aubes. L'eau ressort ensuite en actionnant trois autres roues. Chaque vague fournit 5 000 watts d'électricité, c'est-à-dire une quantité suffisante pour alimenter en énergie, sans risque de pollution, les milieux insulaires trop isolés.

    Idéalement, la houle pour fournir une source d'énergie capable de pro-duire plusieurs milliers de mégawatts au kilomètre carré. En réalité, on l'uti-lise à l'heure actuelle à petite échelle, au moyen de bouées qui suivent le mou-vement oscillant des masses d'eau, ce qui permet d'actionner une turbine et de fournir quelques kilowatts.

    Nous ne citons ici que les énergies de la mer les plus remarquables, il en existe bien d'autres. Par exemple, la culture des algues peut fournir, outre des aliments, de la bio-énergie grâce à la photosynthèse 1• Le projet de ferme sous-marine améric.ain 2 pour la culture des algues en Californie prévoit : 10 % de la production consacré à l'alimentation, 30 % à l'industrie chimique pour la production d'engrais et de plastique et les 60 % restants convertis en méthane ou brûlés dans des centrales thermo-électriques. L'idée d'utiliser ces végétaux comme matière première énergétique, pouvant se substituer un jour au pétrole, est donc lancée.

    Mais, dès aujourd'hui, les usines de traitement des eaux peuvent pro-duire du méthane et des engrais. En France, l'usine d'épuration d'Achères produit 70 000 m3 de méthane par jour en traitant les eaux usées de la Seine. Ainsi, le recyclage des déchets organiques peut procurer à l'humanité une part de ses besoins en énergie toujours croissants.

    Ces ressources, d'origin