4-Les Deux Arbres Et La Pensee Dialectique

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1 Pensée chrétienne et humaniste au fil des siècles Je crois utile à ce stade de résumer les quelques études qui précèdent celle-ci. Nous nous trouvons désormais en présence de trois modes majeurs de pensée. Au niveau le plus bas se trouve une pensée linéaire de type aristotélicienne fondée sur la logique binaire (vrai / faux, blanc / noir, etc.) et son principe du tiers exclus. Ce mode de pensée reflète au plus près la problématique de l’arbre de la science (bien / mal). Elle est ancrée dans le terrestre (i.e. le visible) et étudie le ‘corps’ de l’univers. Le ‘moteur immobile’ postulé par Aristote est un principe physique (et non éthique) qui fera penser plus tard au ‘grand architecte’ des déistes 1 , dieu impersonnel et distant. Pensons aussi aux développements de la mécanique rationnelle newtonienne à partir du 18 ème siècle 2 . C’est aussi le monde de l’analyse, de l’algorithmique et de la programmation. Dans le monde chrétien, ce mode de pensée sera à la fois celui des légalistes (sectaires, qui voient le monde en blanc et noir, eux et nous, etc.) et celui des antinomiens 3 , miroirs réciproques les uns des autres et pour qui Dieu semble lointain, tant dans l’espace que dans le temps. Que cela soit dans la déclinaison sans fin de lois ou dans la rationalisation de l’absence de vie spirituelle, les deux groupes fonctionnenent essentiellement par leur seul psychisme. 1 Un déiste croit en un dieu créateur de l’ordre naturel mais qui n’intervient plus au sein de l’ordre créé (‘si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer, mais la nature tout entière nous dit qu’il existe’; Voltaire, Traité de métaphysique) (cf. Rom.1 :19-20). C’est le ‘grand architecte’ du Siècle des Lumières. Un théiste croit en un Dieu personnel, Créateur de l’univers, qui se révèle encore, ici et maintenant. 2 On est en présence d’une physique pour l’essentiel linéaire, c’est-à-dire (pour faire simple) que de petites causes auront des effets proportionnés. Les phénomènes complexes ‘naturellement’ non-linéaires sont généralement simplifiés et étudiés en régime linéaire. Notons cependant que cela ne garantit pas une prédiction fiable : la découverte (Poincaré) de la sensibilité aux conditions initiales a ouvert un nouveau champ d’étude appelé chaos déterministe (antinomie). Ainsi, le déterminisme des équations peut engendrer le chaos. 3 Un antinomien (nomia = loi) croit que Christ a aboli la Loi en sorte que l’obéissance de la foi (et donc l’expérience d’une relation vivante à Jésus) n’est pas indispensable au salut. La foi est alors réduite à une simple adhésion intellectuelle à un crédo, ce qui la rend aveugle aux réalités spirituelles invisibles mais présentes. En conséquence, l’espérance chrétienne aura tendance à être ancrée dans le terrestre et le visible.

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Les deux arbres

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    Pense chrtienne et humaniste au fil des sicles Je crois utile ce stade de rsumer les quelques tudes qui prcdent celle-ci. Nous nous trouvons dsormais en prsence de trois modes majeurs de pense. Au niveau le plus bas se trouve une pense linaire de type aristotlicienne fonde sur la logique binaire (vrai / faux, blanc / noir, etc.) et son principe du tiers exclus.

    Ce mode de pense reflte au plus prs la problmatique de larbre de la science (bien / mal). Elle est ancre dans le terrestre (i.e. le visible) et tudie le corps de lunivers. Le moteur immobile postul par Aristote est un principe physique (et non thique) qui fera penser plus tard au grand architecte des distes1, dieu impersonnel et distant. Pensons aussi aux dveloppements de la mcanique rationnelle newtonienne partir du 18me sicle2. Cest aussi le monde de lanalyse, de lalgorithmique et de la programmation. Dans le monde chrtien, ce mode de pense sera la fois celui des lgalistes (sectaires, qui voient le monde en blanc et noir, eux et nous, etc.) et celui des antinomiens3, miroirs rciproques les uns des autres et pour qui Dieu semble lointain, tant dans lespace que dans le temps. Que cela soit dans la dclinaison sans fin de lois ou dans la rationalisation de labsence de vie spirituelle, les deux groupes fonctionnenent essentiellement par leur seul psychisme. 1 Un diste croit en un dieu crateur de lordre naturel mais qui nintervient plus au sein de lordre cr (si Dieu nexistait pas, il faudrait linventer, mais la nature tout entire nous dit quil existe; Voltaire, Trait de mtaphysique) (cf. Rom.1 :19-20). Cest le grand architecte du Sicle des Lumires. Un thiste croit en un Dieu personnel, Crateur de lunivers, qui se rvle encore, ici et maintenant. 2 On est en prsence dune physique pour lessentiel linaire, cest--dire (pour faire simple) que de petites causes auront des effets proportionns. Les phnomnes complexes naturellement non-linaires sont gnralement simplifis et tudis en rgime linaire. Notons cependant que cela ne garantit pas une prdiction fiable : la dcouverte (Poincar) de la sensibilit aux conditions initiales a ouvert un nouveau champ dtude appel chaos dterministe (antinomie). Ainsi, le dterminisme des quations peut engendrer le chaos. 3 Un antinomien (nomia = loi) croit que Christ a aboli la Loi en sorte que lobissance de la foi (et donc lexprience dune relation vivante Jsus) nest pas indispensable au salut. La foi est alors rduite une simple adhsion intellectuelle un crdo, ce qui la rend aveugle aux ralits spirituelles invisibles mais prsentes. En consquence, lesprance chrtienne aura tendance tre ancre dans le terrestre et le visible.

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    Au niveau intermdiaire se trouve une pense ternaire de type platonicienne fonde sur le constat de complmentaires (tre de Parmnide & flux dHraclite) qui invite au dialogue. Ce projet dordre mtaphysique reflte le fait quil y avait un deuxime arbre dans le jardin dEden (et donc un troisime ple, outre les bien & mal : la vie). Cependant, elle cherche le fruit de la vie par la raison seule, facult de lme, et naboutit donc (comme toutes les religions du reste) au mieux qu une thique du bien (moralisme). Il sagit donc dune dialectique ferme (comme le sont le noplatonisme, lhglisme et le marxisme).

    Si le systme de Platon se veut tendre vers le cleste et linvisible, son monde des ides, abstrait, nen demeure pas moins sans substance relle. Cest pourtant de cette abstraction sans corps que, par imitation, le demiurge platonicien est cens driver le monde, comme un peintre peindrait sa toile en s'inspirant de son modle. On voit-l luvre une pense de type dductive, dduction qui nest quun ple substitut pour lautre moyen, suprieur, de connaissance quest la rvlation. Dans le monde chrtien, on trouve chez certains le dsir de formuler une grande synthse rationnelle noplatonicienne (de type volutionniste thiste, comme par exemple chez Teilhard de Chardin). Il sagit dune forme de compromis entre les notions de cration dune part (ncessit dun Dieu transcendant) et les avances supposes de la science dautre part (avances bties prcisment sur le rejet de lhypothse dun Dieu)4. Certes, Dieu ne serait donc pas le moteur immobile dAristote, lorigine dune cration laisse ensuite en roue libre (disme). Mais Il ne ferait quaccompagner (en la causant) lvolution de lunivers jusqu la gense des tres vivants. Cette thse est proche du panthisme (thse selon laquelle Dieu serait immanent et consubstantiel la cration) en ce quelle rduit Dieu une sorte de force agissante dans le cosmos (comme si le Dieu tri-unitaire se rduisait Son seul Esprit), tout en masquant son caractre minemment personnel et proche5 (dimensions du Pre et du Fils). 4 Il sagit-l dun compromis tide au sens o leau chaude (crationnisme thiste) mlange leau froide (volutionnisme athe) produit de leau tide (volutionnisme thiste). 5 Jai eu rcemment loccasion dassister (en milieu catholique) une confrence donne par un pre dominicain sur le thme : volution et cration, o il tait question de cette grande synthse entre Bible et volution. Le confrencier restreignait en particulier le miracle au seul champ des phnomnes naturels. Jai alors fait remarquer (au moment du dbat) que la foi chrtienne ne reposait pas sur la cration mais bien sur la rsurrection (cf. 1 Cor.15 :14), et que ce miracle par excellence (non inscrit dans les seules lois de la Nature) navait gure de sens dans le contexte de lvolution, fut-elle thiste.

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    Pour introduire la troisime forme de pense, je dirais que si la pense chrtienne fournit une ralit spirituelle aux intuitions de Platon, en particulier sa vision des deux mondes (terrestre / cleste), cependant, elle sen dmarque radicalement en ce quon accde la vie (troisime ple) par rvlation et non par lthique (humaniste ou religieuse). Le point central nest donc pas de savoir ce qui est bien et ce qui est mal (conscience), mais plutt de pouvoir faire le bien et rejeter le mal (vivre). Cest afin que nous puissions cela que le Dieu crateur sest laiss contempler (via lincarnation) en la personne de Son Fils le Messie Jsus. Le point central ici est que la Vie nous vient den haut et que, aussi noble que soit lentreprise de Platon, nul homme ne pourra rien changer ce fait. La raison seule ne permet donc pas de percer le ciel pour en piller les trsors6. Par contre, elle demeure fort utile pour le chrtien, quand elle est manie de manire dialectique, condition que cette dernire reste ouverte, et donc que soit maintenue vive la tension entre catgories contraires de la pense.

    Je crois donc que, en tant que mthode de raisonnement, la dialectique base ternaire (et non la logique base binaire), savrera ncessaire au penseur chrtien, et en particulier lenseignant de la Parole. Cela ne sera possible quen ralisant combien la nature (reflet dun Dieu la fois singulier et pluriel) nous apparat nous, cratures finies la vision binoculaire et au cerveau bi-hmisphrique, remplies de duaux complmentaires entrelacs (perception subjective). Par consquent, la synthse promouvoir sera de lordre du relationnel (le Principe est une personne, Jsus) : raison et rvlation senrichissent alors mutuellement, mais la raison nen demeure pas moins subordonne la rvlation. Sur un plan rationnel, la tension dialectique entre ples devra tre prserve (par exemple entre souverainet de Dieu et responsabilit de lhomme) en ce quelle maintiendra ouverte la porte de la foi7. Aprs avoir considr brivement quelques exemples de la manire dont laptre Paul expose, dans ses ptres, des points cardinaux de doctrine8, 6 Cf. Mat.6 :19-21 : Ne vous amassez point des trsors sur la terre, que les vers et la rouille consument et que les larrons percent et drobent. Mais amassez-vous des trsors dans le ciel, o ni les vers ni la rouille ne consument rien, et o les larrons ne percent ni ne drobent. Car o est votre trsor, l sera aussi votre cur. 7 Do mon sens le rejet de toute tentative dune thologie systmatique (exhaustive) qui nest au fond que le projet dune forme de mtaphysique chrtienne engloutissant la rvlation dans la raison (systme ferm). Si mtaphysique chrtienne il y a, elle demeure ouverte et subordonne la foi, ltayant plutt que ltouffant. 8 Laptre matrisait si bien la pense de son temps (en particulier la pense philosophique grecque dont il semblait possder les bases) quun certain nombre de chrtiens voient en lui

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    je vais procder maintenant un survol encore plus rapide de la pense chrtienne pendant ces deux derniers millnaires. Augustin versus Aquin Pour rsumer maintenant une longue histoire9, je me limiterai ici relever que deux thologiens dominent la pense thologique occidentale : Augustin [354-430] et Thomas dAquin [1225-1274]. Le premier pose les fondements dune philosophie chrtienne sinspirant de la philosophie antique, et en particulier de Platon. Cest ce dernier titre que certains nhsitent pas accuser Augustin davoir introduit dans lglise la philosophie paenne. La rponse ce genre daffirmation est multiple :

    (1) Que lon soit chrtien ou non, il ny a gure que deux modes de pense possibles (je ne parle pas ici du contenu mais plutt de la structure). Le premier se centre sur la terre, le second sur le ciel10, le premier sur le visible, et le second sur linvisible11, le premier sur le naturel et le second sur le spirituel, le premier est binaire, et le second ternaire, le premier sera donc de type aristotlicien (physicien, inductif et analytique) tandis que le deuxime sera de type platonicien (mathmaticien, dductif et synthtique).

    (2) Pour ce qui est de Platon maintenant, son souverain bien nous fait penser au Dieu seul qui est bon (Marc 10 :18 ; Luc 18 :19), son monde des ides nous fait penser au monde spirituel (son ralisme ne repose alors plus sur du vide, puisque le monde spirituel est bien rel quoiquinvisible), les ombres qui se dessinent sur fond de caverne nous rappellent que les ordonnances de la Loi ntaient que ombre des choses venir (Col.2 :17)12, etc. Rappelons que le positionnement de Platon tait avant tout thique, tout comme lest

    linitiateur dune apostasie majeure du christianisme qui aurait loign ce dernier de ses racines juives en introduisant dans le christianisme la pense paenne grecque. Les motifs dune telle analyse sont profonds et seront abords plus loin. 9 Voir par exemple louvrage en deux volumes de Colin Brown : Christianity & Western thought, volume 1 : From the ancient world to the age of enlightenment, and volume 2 : Faith & reason in the 19th century, InterVarsity Press, 1990. 10 Eph.2 :6 : Et il nous a ressuscits ensemble, et nous a fait asseoir ensemble dans les [lieux] clestes en Jsus-Christ ; et Col.3 :1-3 : Si donc vous tes ressuscits avec Christ, cherchez les choses qui sont en haut, o Christ est assis la droite de Dieu. Pensez aux choses qui sont en haut, et non point celles qui sont sur la terre. Car vous tes morts, et votre vie est cache avec Christ en Dieu. 11 Rom.1 :20 : Car les choses invisibles de Dieu, savoir tant sa puissance ternelle que sa Divinit, se voient comme l'il par la cration du monde, tant considres dans ses ouvrages ; 2 Cor.4 :17-18. Car notre lgre affliction, qui ne fait que passer, produit en nous un poids ternel d'une gloire souverainement excellente : Quand nous ne regardons point aux choses visibles, mais aux invisibles ; car les choses visibles ne sont que pour un temps, mais les invisibles sont ternelles ; et Hb.11 :3. Par la foi nous savons que les sicles ont t rangs par la parole de Dieu, de sorte que les choses qui se voient, n'ont point t faites de choses qui apparussent. 12 Est-ce dire que lon lit ainsi la Bible dans Platon ? En fait, on pourrait aussi faire linverse et lire Platon dans la Bible. Ainsi, les passages (Ex.25 :40, 26:30 ; Hb.8 :5) relatant le fait que le tabernacle terrestre (imparfait) a t construit par Mose (cf. le dmiurge) selon un modle cleste (cf. monde des ides) serait aussi tout fait platoniciens sauf que Mose prcde Platon de plus de mille ans (et non linverse) !

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    du reste celui de la premire Alliance (don de la Loi sans don du Donateur). Ainsi, la Bible nous prsente le monde sensible, dans lequel sont ancres les promesses faites Isral, comme provisoire, tandis que le monde spirituel et ternel est pleinement rvl par la nouvelle Alliance (mme si la vie en Jsus tait dj annonce dans lAncien Testament). On comprend que la vision biblique dfendue par Augustin soit plus proche (sil fallait choisir) de la structure de pense de Platon que de celle dAristote.

    (3) Ensuite, nest-ce pas la justification mme de lapologtique chrtienne que de croire quil est possible dexprimer rationnellement des vrits chrtiennes dans un langage que le non chrtien puisse comprendre ? Et ainsi, en utilisant la raison pour abattre les forteresses de raisonnement13, lamener au seuil de la foi ? Autant donc, si cest bien le cas, le faire avec intelligence. Maintenant, sil est utile que je mexprime en termes intelligibles pour mon prochain, pourquoi ne pas accepter aussi le fait que certains (non chrtiens : Platon, etc.) aient pu, par lintelligence, percevoir certaines vrits bibliques ternelles, puisque mme la Bible nous informe de cette possibilit (Rom.1 :20) ? Comment sinon se ferait le point de contact entre pense chrtienne et pense philosophique ? La notion de seuil nimplique-t-elle pas que la pense chrtienne reprend et achve l o la philosophie sest arrte ? Nest-ce pas la rvlation de Christ qui se tient au seuil ? Noublions pas que les premiers crits bibliques prcdent de prs de mille ans les premires rflexions philosophiques des prsocratiques. Et jai montr plus haut combien ces derniers drivaient lessentiel de leurs ides de lOrient, et donc indirectement de la rvlation biblique (ou du moins de la Tora mosaque).

    (4) Enfin, dans mon exprience, la dialectique dite ngative14 est le meilleur moyen qui soit pour rpondre ceux qui demandent compte de notre foi. Ngative (qualificatif revtant ici une connotation positive) elle le devient en effet quand elle recherche en premier lieu les limitations de tout concept thologique, philosophique ou scientifique utilis par celui qui objecte la foi. Inversement, lexprience humaine (y compris religieuse) tant

    13 Cf. 2 Cor.10 :4-5 : Car les armes de notre guerre ne sont pas charnelles, mais elles sont puissantes [par la vertu de] Dieu, pour la destruction des forteresses ; Dtruisant les conseils, et toute hauteur qui s'lve contre la connaissance de Dieu, et amenant toute pense prisonnire l'obissance de Christ. 14 La dialectique ngative, qui critique ( juste titre et avec discernement) est oppose la dialectique positive, qui cherche une synthse rationnelle totalisante (et tue donc la possibilit de la critique). Celui (celle) qui a une quelconque exprience des grands systmes de pense (sciences, philosophie, thologie, politique, etc.) sait quil est trs difficile celui qui en a adopt un dtre ensuite critique son gard. Formul autrement, les grands systmes rendent aveugles la ralit (et donc la diversit). Dans cette direction, je recommande vivement un texte de Alan G. Padgett (pasteur et thologien mthodiste), Dialectical realism, theology and science, article publi dans le journal Perspectives on Science and Christian Faith, vol.54 (2002), p.184-192. On le trouvera sur le site www.luthersem.edu/apadgett/dialectic.htm.

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    partielle, nous nous devons dtre critique son gard (au sens grec de krino = juger, discerner). Or la dialectique se fonde sur le constat de la diffrence, et sallie par consquent trs bien avec lexercice du discernement spirituel et de la critique constructive.

    Par consquent, ne faudrait-il pas, avant que de dnigrer tout savoir humain naturel jug du monde voire satanique (de tels propos rvlent lvidence une mentalit de type sectaire), sassurer que ses propres noncs thologiques ont t effectivement inspirs par lEsprit de Dieu, et quils sont le fruit dun amour obissant ? Chrtiens et non-chrtiens partagent la mme pte humaine, et si lexprience de la nouvelle naissance nous laisse encore pour un temps dans ce monde (mme si nous nen sommes dj plus) elle nest cependant que le commencement, et non la fin. Le renouvellement de lintelligence par lEsprit prend du temps. Il faut donc savoir se taire avant de parler. Tmoigner (par lEsprit) nest pas convaincre (par la raison), et confondre ces deux aspects ne promeut que le sectarisme qui nous coupe du monde. Augustin a sans doute exprim le mieux la ncessit de maintenir un rel quilibre entre foi et raison, rsume par lexpression suivante : je crois pour comprendre, et je comprends pour croire, mme si la raison reste subordonne la foi en ce que le renouvellement de lintelligence sopre par lEsprit et salimente de la rvlation de Christ.

    Croire sans comprendre tourne le plus souvent la superstition et la crdulit. Or il est bon de savoir en quoi on croit et pourquoi, afin de pouvoir rendre compte quiconque nous demande raison de notre foi (cf. 1 Pie.3 :15). De manire symtrique, comprendre sans croire vire la vanit et au sophisme. Cest pourquoi Paul crit : Et quand j'aurais la science de tous les mystres et toute la connaissance, si je n'ai pas la charit, je ne suis rien (1Co.13 :2). Il existe donc un chemin, certes troit, entre mysticisme et rationalisme, sur lequel on ne peut marcher quavec lEsprit de Dieu et en regardant constamment au Fils de Dieu. La relation Christ, vritable ancre de notre me, nabolit donc pas la raison, mais elle laccomplit plutt en lui donnant de rendre gloire Dieu en Laimant de toute notre pense. Thomas dAquin est considr comme le plus grand penseur du Moyen-ge. Il entreprit la tche immense de concilier en un vaste systme cohrent penses chrtienne et aristotlicienne. Malheureusement (et sans entrer dans les dtails), sa dmarche provoqua de fait lautonomisation de la raison par rapport la foi et fit voler en clats huit sicles dune pense thologique domine par lquilibre augustinien entre foi et raison. Cest une chose en effet que dexprimer des vrits bibliques en utilisant un vocabulaire

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    dfini par les philosophes grecs, cen est une autre que de juxtaposer rvlation et raison, Bible et Nature, philosophie et thologie comme sil sagissait de deux sources de savoir parallles. Augustin corrigea (en partie) les aspects dfaillants de la mtaphysique cleste de Platon fonde sur son monde des ides tandis que lglise catholique (via Thomas dAquin) intgrera la physique dAristote dans sa vision terrestre du monde. Pour conclure ici, mentionnons que la grande Rforme protestante du 16me sicle peut tre rsume en un retour marqu vers la pense thologique dAugustin, avec son ancrage dans le ciel (historicisme amillnariste15, pour lequel les vnements sur la terre sont la consquence du rgne de Christ ici & maintenant) en raction au postmillnarisme catholique confondant les sphres du spirituel et du temporel. Curieusement cependant, si laristotlisme fut intgr au catholicisme, et si les premiers scientifiques furent catholiques (pensons Galile), cest en terre protestante quil porta son fruit, et donc que les sciences se dvelopprent (pensons en particulier la science newtonienne). Avec le temps cependant, la pense scientifique occidentale, devenue autonome, ne rechercha plus puiser ses grands principes dans la Parole de Dieu. Mais ce nest pas un hasard si la dialectique renaquit de ses cendres en terre allemande (protestante), comme nous allons le constater maintenant. Renaissance de la dialectique Pour ce qui est de lexpression idaliste de la dialectique, je ne vais considrer ici que le philosophe allemand Georg Wilhelm Friedrich Hegel [1770-1831], thoricien fondamental de la philosophie de lHistoire16. Tout lve du secondaire se souvient de la fameuse mthode : thse antithse synthse (mme si cette dernire formulation nest pas de Hegel). On recherche dabord dgager le fond commun des deux propositions A et B , a priori antagonistes, puis largir ce fond pour quil englobe et dpasse les deux positions initiales. Hegel pensait que le jour viendrait o une synthse rationnelle, ultime et absolue, serait atteinte : thse et antithse deviendraient indistinguables, mme si (comme pour Hraclite), lavnement dune synthse ultime (autoralisation de lesprit) sonnerait plutt comme le glas de la pense humaine. Pour ce qui touche au fonctionnement prsent de cette pense, on voit dj que le propre de la dmarche dialectique est doffrir la pense un dynamisme (thse et antithse agissant comme les deux jambes dun marcheur), dynamisme que nont pas les systmes polariss et sectaires, par dfinition statiques. Mais, sans la foi en Jsus, il ne reste dans cette qute hglienne strictement rationaliste de labsolu, que la manifestation pleine et entire de lorgueil humain car lhomme nest quune crature finie et 15 Non pas qu'il n'y ait pas de millnium (= rgne du Messie) pour les amillnaristes, mais que ce millnium est pour eux non pas futur et terrestre mais prsent et spirituel (avec des consquences pourtant visibles pour ceux qui ont des yeux spirituels pour voir). 16 Hegel a fortement t influenc par le pitisme souabe, un des courants du protestantisme allemand. Do sa qute idaliste spculative (quasi-mystique) et le dveloppement de sa philosophie de lHistoire.

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    limite17, et les penses de Dieu ne sont pas nos penses (Es.55 :8-9)18. Une chose va dsormais mintresser dans lapproche hglienne : sa philosophie de lHistoire. Philosophie de lHistoire Pour ce qui est dabord de la philosophie de lHistorie, et selon Hegel, les deux ples en prsence sont la raison (i.e. pense) dune part et la ralit (i.e. ltre) dautre part. Ces deux entits seraient en fait (toujours selon Hegel) identiques lesprit (non pas lEsprit de Dieu, mais lesprit universel absolu)19. Ainsi, tout ce qui est rationnel serait rel, et vice versa20. La dialectique serait donc la loi fondamentale rgissant raison et ralit21. Lincompatibilit apparente entre tre et non-tre serait alors dpasse par le mouvement entre lun et lautre, et donc par le devenir (i.e. moteur de lHistoire). Cest ainsi que, pour Hegel, on distingue clairement dans lHistoire un dpassement constant des contradictions, en sorte que lHistoire progresse dialectiquement en incarnations successives de cet esprit absolu. Ceci rappelle bien sr la thologie de Joachim de Flore qui interprtait lHistoire comme la succession de trois priodes incarnant dans notre ralit le Pre, le Fils puis lEsprit (cf. chapitre prcdant). Ce nest donc pas un hasard si la dialectique dHegel trouve son origine dans une rflexion sur la question de la Trinit22. Pour ce qui mintresse dans ce livre, je relve quHegel pensait que la dialectique fournissait la cl de comprhension de lHistoire humaine, la volont de Dieu seffectuant sur terre par le biais de ce mcanisme. Aussi belle et sduisante que soit la dialectique, sans lEsprit de Dieu, elle se transforme en un redoutable instrument de mort (elle ne produit pas la Vie). Car ce qui manque fondamentalement cette manire dapprhender la Ralit et lHistoire, cest la dimension de lEsprit, source vritable du 17 Voici ce qua crit laptre Paul : La charit ne prit jamais. Les prophties prendront fin, les langues cesseront, la connaissance disparatra. Car nous connaissons en partie, et nous prophtisons en partie, mais quand ce qui est parfait sera venu, ce qui est partiel disparatra. Lorsque j'tais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant ; lorsque je suis devenu homme, j'ai fait disparatre ce qui tait de l'enfant. Aujourd'hui nous voyons au moyen d'un miroir, d'une manire obscure, mais alors nous verrons face face ; aujourd'hui je connais en partie, mais alors je connatrai comme j'ai t connu (1Co.13 :8-12). Acceptons simplement lide que, si nous ne pouvons pas tout comprendre (au sens latin de circum-prehendere), nous avons nanmoins toujours la possibilit dapprendre de Lui (du latin ad-prehendere). 18 Mes penses ne sont pas vos penses, Et vos voies ne sont pas mes voies, Dit l'ternel. Autant les cieux sont levs au-dessus de la terre, Autant mes voies sont leves au-dessus de vos voies, Et mes penses au-dessus de vos penses. 19 En ce sens, Hegel est un hritier de Platon et de son monde des Ides. 20 Luvre de Hegel a exerc une forte influence au 19me sicle. Elle sera interprte de diverses manires, allant du thisme-idaliste (hgliens dits de droite) jusqu lathisme-matrialiste (hgliens dits de gauche). 21 La premire exigence dialectique est de ne rien tenir pour absolument spar, ni non plus isol, dans ce qui se prsente pourtant comme tel au premier abord (Atlas de la Philosophie, La Pochothque, 1993, p.153). 22 Hegel organise son plan du systme de lensemble de la philosophie en triades, dont les trois parties sont : la logique, la nature, et lesprit.

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    dynamisme23. Je vais poursuivre maintenant en considrant quelles ont t quelques-unes des consquences de la dialectique hglienne dans lHistoire rcente. Avatars de la dialectique hglienne Cest Karl Marx [1818-1883], disciple et admirateur de Hegel, qui renversa le fondement idaliste de la dialectique hglienne en appliquant cette mthode dans un cadre strictement matrialiste et athe, ce qui donnera au 20me sicle une des idologies les plus meurtrires que la Terre ait jamais porte, le communisme (avec ses dizaines de millions de morts : cf. Le livre noir du communisme). Vouloir en effet englober (et donc engloutir) la sphre du relationnel et du social dans celle du rationnel et du scientifique ne peut que conduire la dshumanisation, la rification (= chosification) de lHomme et une approche globalisante, totalisante, qui finit par dtruire lindividualit. Cependant, il faut reconnatre au marxisme une extraordinaire puissance de sduction, encore aujourdhui, car cest au fond le seul modle, alternatif au modle biblique discut ci-dessous, permettant de rationaliser les grands mouvements de lHistoire au fil des sicles. Le marxisme naurait cependant pas pu se rpandre avec une telle ampleur si le terrain (en particulier en Allemagne, patrie dHegel) navait pas t au pralable prpar par la diffusion de la thorie de lvolution biologique de Charles Darwin [1809-1882]. Le darwinisme envisage lvolution des espces selon deux principes galement matrialistes : la variabilit des individus dune part, et la slection naturelle (la lutte pour la survie du mieux adapt) dautre part. Marx crut y reconnatre le socle scientifique et matrialiste justifiant sa thorie de la lutte des classes24, dont lenjeu fondamental serait la possession du capital. La religion, selon Marx, nest alors opium du peuple quen ce quelle servirait dcran de fume pour permettre la bourgeoisie de masquer au proltariat le vritable enjeu de la lutte. Enfin, est-ce un hasard si cest en Allemagne que natra une idologie dont la barbarie sera, elle aussi, fonde sur le principe de la survie du plus fort ? Je veux bien sr parler du Nazisme [3me Reich : 1933-1945], dont beaucoup oublient quil sagit de labrviation de Nazional Sozialismus (socialisme national)25, et donc dune version nationaliste de cette autre branche contre

    23 J'enverrai sur vous ce que mon Pre a promis ; mais vous, restez dans la ville jusqu' ce que vous soyez revtus de la puissance d'en haut (Luc 24:49) ; et Vous recevrez une puissance, le Saint Esprit survenant sur vous, et vous serez mes tmoins Jrusalem, dans toute la Jude, dans la Samarie, et jusqu'aux extrmits de la terre (Actes 1 :8). Le mot puissance en Luc 24 :49 et Actes 1 :8 est la traduction du mot grec dynamis. 24 Karl Marx demanda mme Charles Darwin de ddicacer son livre Le capital, mais Darwin dclina. 25 Il ne faut donc pas confondre nazisme (socialisme national) avec fascisme (nationalisme de droite, souvent adoss au catholicisme : Italie de Mussolini, Espagne de Franco, etc.).

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    laquelle il partit en guerre, savoir le communisme (socialisme international)26. Nationalisme et internationalisme, nouveau deux ples Toujours en terme de dialectique, et dun point de vue chrtien, on se rend donc compte combien Karl Marx et Charles Darwin reprsentent les deux lments complmentaires et mutuellement indissociables dun faux prophtisme naturel, scientifique, politique et social qui a, dans la socit (et hlas dans beaucoup dglises aussi) sap la base le fondement chrtien de lOccident. Pour conclure, il est remarquable quune troisime thorie (aprs le darwinisme et le marxisme) ait vu le jour la fin du 19me sicle : la psychanalyse de Sigmund Freud, que je ne prsenterai pas ici. Mais, et cest le point o je voulais en venir, ce nest pas un hasard si le conflit dont on parle aujourdhui, conflit (suppos) entre science et religion, a lieu sur le terrain de lHistoire : histoire de lespce humaine (darwinisme), histoire de la socit humaine (marxisme) et histoire de la psych humaine (freudisme). Ces trois domaines ont ceci en commun27 : ils touchent au sens profond de notre vie dans la mesure o la reprsentation que lon a du pass (personnel & collectif) oriente celle de notre avenir. Or ces trois ismes contribuent dtruire lHumanit, dont laccomplissement nest possible quen Jsus-Christ. Comment cela ? - Le darwinisme nie que Dieu ait cr lHumanit (Adam & ve) en dehors des lois dites volutives de la Nature ; - Le marxisme nie que laccomplissement des prophties bibliques (et donc la volont de Dieu exprime par elles) soit le vritable moteur de lHistoire ; - Le freudisme, en disant que lessence de lHomme est seulement psychologique, victime dun inconscient dont il ne serait pas matre et qui le tyranniserait, nie quelle est avant tout spirituelle (doctrine du pch originel). Ainsi donc, le monde et ses faux prophtes tiennent un discours trs cohrent sur lHistoire, argument et sducteur. Comment allons-nous rpondre un tel dfi ? Signalons brivement la rponse apporte par Soren Kierkegaard [1813-1855], auteur danois qui entreprit de penser contre le systme hglien. Pour Kierkegaard, la question essentielle reste celle de la relation Dieu. Il soppose donc au penseur abstrait quest ses yeux Hegel, chantre de lidalisme allemand, en replaant au centre de sa pense lhomme concret. Le cheminement de ce dernier lamne du stade esthtique (lhomme dpend de lextrieur : la crainte du manque est donc source de dsespoir) au stade thique (lhomme pose en lui-mme la diffrence entre bien et mal, mais il est encore domin par le pch) et, enfin, au stade religieux (lhomme accepte les paradoxes de la foi : nature & esprit, temps & ternit, etc.). Sa 26 Dun point de vue chrtien, il me semble que la tension dialectique entre nationalismes (supposs guerriers) et internationalisme (suppos pacifique) ne peut se rsoudre que par lappartenance un Royaume qui nest pas de ce monde. 27 On pourrait rajouter sans peine le domaine de la cosmologie (histoire de lunivers). Le mot mme dunivers est intressant, en ce quil voque une unit, tandis que la Bible commence par une proposition typiquement dialectique : Au commencement, Dieu cra les cieux et la terre. Pour ceux qui seraient intresss de creuser ce point, je leur recommande de chercher dans la direction du principe de Mach et de son implmentation moderne.

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    dialectique (pour ainsi dire) reste donc ouverte, refusant toute tentative de rationalisation de la foi, et opposant donc labsolu dHegel la subjectivit de lexprience humaine (lexistence est le rcif sur lequel la pense pure fait naufrage) et langoisse existentielle, marque et gage de sa libert. Conclusion provisoire sur la dialectique. Je vais conclure maintenant cette brve esquisse, qui se veut biblique, de la dialectique, en mentionnant que Jsus est le fruit de larbre de la Vie et quen Lui seul notre faiblesse devient force. Si Christ nest pas au centre de notre pense en tant que chrtien, et donc si nous, qui portons le beau Nom du Seigneur et Sauveur, ne nous nourrissons pas du fruit de larbre de la Vie, notre pense tendra fonctionner de manire polarise, statique voire sectaire28, cest--dire en noir & blanc29. Par l-mme, nous manifesterons que nous puisons notre force (qui est une faiblesse) en larbre de la science. Do mon sens les grands dbats qui divisent les glises. Je pense une question en particulier, qui concerne le salut : calvinisme (souverainet de Dieu) ou arminianisme (libert de lhomme) ? Je naborderai pas ce sujet ici, sous langle de la dialectique, mais le ferai dans la Conclusion gnrale. Je relve pour linstant que la relation Christ nabolit pas la raison (naturellement polarise), mais quelle laccomplit en gardant uni (sym-bolos) ce qui naturellement se divise (dia-bolos). Le diable est diviseur30 en ce quil nous induit nous dtourner de lUnit du fruit de larbre de la Vie (Christ) pour nous orienter vers la Dualit (polarise) du fruit de larbre de la connaissance31. Il nous faut donc soigneusement distinguer entre rationalit (don de Dieu et capacit naturelle de la raison de lhomme, enrichie, oriente et dveloppe par lEsprit) et rationalisme (ide selon laquelle la raison seule, sans laide de la foi, serait un instrument fiable de connaissances). La pense chrtienne se dmarque radicalement de la pense hglienne en ce que cette dernire est idaliste. Elle recherche une synthse dordre rationnel alors que le chrtien cherche dpasser la tension dialectique par le moyen dune relation vivante Jsus32, source dune nouvelle rvlation (au sens de dvoilement)33. La saine doctrine ne peut tre

    28 Une mentalit sectaire est de fait inscure, et elle cherche se scuriser coup de vrits assnes aux autres. 29 Il est frappant que toute couleur peut sobtenir partir de trois couleurs fondamentales (par exemple, le rouge, le jaune et le bleu). Pour prendre une image, il faut lEsprit de Dieu pour voir le monde en couleurs, avec toutes ses nuances. Quelquun de polaris (humaniste ou religieux) a une vision bichromatique du monde 30 Pensons au vieil adage : diviser pour rgner ! 31 Cf. 2 Cor.11 :3 : Mais je crains, que comme le serpent sduisit ve par sa ruse, vos penses aussi ne se corrompent, [en se dtournant] de la simplicit qui est en Christ. 32 Ne nous y trompons pas : si, pour Hegel, le contenu de la religion chrtienne en tant que le plus haut stade de dveloppement de la religion en gnral concide parfaitement avec le contenu de la vraie philosophie, son christianisme tient en fait plus de la thosophie gnostique que de la foi chrtienne authentique. 33 Cf. Luc 24 :45 : Il leur ouvrit l'esprit pour entendre les critures.

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    fige et statique sous peine de devenir sectaire. On y tend plutt, sans latteindre jamais, par la seule croissance en Jsus34. Qui plus est, se lancer dans la recherche hglienne dune synthse rationnelle ultime reviendrait envisager la possibilit dune union des contraires, et donc in fine de lunion entre bien et mal, sorte de Tao unissant Yin et Yang en un monisme dualiste. En dautres termes, la recherche de la synthse ultime nie la diffrence, le particularisme, la diversit. Le bien et le mal ne seraient alors que des catgories provisoires, fruits de la rflexion humaine et non fruit dual de larbre de la science, arbre plant par Dieu. Cela na cependant pas de sens en thologie chrtienne : la voie du salut ne consiste pas en lunion du bien et du mal, de ltre et du non-tre, mais en leur dpassement par la participation la Vie divine, seule source du devenir. Nen est-il pas ainsi pour Dieu Lui-mme, qui certes a la science du mal mais nanmoins peut le changer en bien pour ceux qui Laiment (en remplissant de Sa prsence celui qui en tait dpourvu). On comprend ds lors que ce mal (dfini comme labsence de Dieu) est par principe compltement tranger Sa nature divine (Dieu nest pas vide de Dieu, ce serait un non-sens). Il nen demeure pas moins que tout nonc exprim rationnellement au niveau de lhomme gagne ltre de manire dialectique. Par consquent, cest au niveau de lpistmologie (i.e. rflexion sur les moyens dacquisition du savoir) quelle nous sera le plus utile. Certes, la raison seule nest pas suffisante pour exprimer ce quest la vrit (car la Vrit est une personne : Jsus le Messie)35. Mais elle nen demeure pas moins ncessaire et inhrente notre nature de crature dote / doue par Dieu de raison36. Je vais par la suite appliquer de manire systmatique cette approche dialectique lanalyse de leschatologie et des divers modles dinterprtation dj exposs ci-dessus. La triade de base sera la suivante : dynamisme (Esprit), relation (mise en dialogue) et histoire37 (prophtie), puisque la rsolution de la tension dialectique entre deux positions apparemment opposes passe souvent (toujours ?) par la prise en compte dune histoire, dun lment temporel, que cela soit sur le plan personnel (doctrine du salut) ou sur le plan collectif (sens spirituel de lHistoire). Et nous verrons combien 34 Cest pour cela que je ne crois pas en la tentative, par lhomme, de formuler par la seule raison un systme thologique (mais aussi scientifique, philosophique, etc.) qui soit la fois cohrent (sans contradiction interne), complet (ayant fait le tour du sujet) et complexe (non rductible un ensemble fini daxiomes). 35 Suffirait-il dcrire une encyclopdie sur la personne que lon aime pour la connatre dans son intimit ? 36 En dautres termes, le rationalisme (la raison est seule suffisante) autant que le mysticisme (la raison est inutile) reprsentent deux extrmes viter soigneusement. 37 Il me faut distinguer ici entre volution prdictible (dun systme physique voluant selon des lois dterministes) et histoire non prdictible (dune relation base sur un choix libre). La notion moderne, philosophique et scientifique, dmergence (systme physique rgi par des lois non dterministes) tente de jeter un pont entre les concepts dvolution et dhistoire. Cest sans doute dans cette direction quil faudrait aller pour apprhender la question de lIncarnation, ou celle conjointe de la relation entre le corps matriel et lesprit immatriel (mais tout aussi rel). En effet, comment sinon connecter une matire entirement esclave (car supposment rgie par des lois dterministes) et un esprit entirement libre (car tirant son origine de Dieu Lui-mme, ltre libre par excellence que rien ne contraint, pas mme Sa Cration) ?

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    la dmarche dialectique, articule sur des paires (femme & bte, fer & argile, occident & orient, ciel & terre, pass & futur, dj & pas encore, etc.), se rvlera dune grande richesse et finesse danalyse.