LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

15
BERNARD CHENOT LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON P laton aurait pu déclarer, comme plus tard Chateau- briand, « la politique est l'étude et le penchant de toute ma vie », mais, en même temps, sa pensée politique forme un ensemble avec sa métaphysique et elle se lie aussi à une vision spirituelle du monde et de la destinée humaine. Tout est dans Platon, et il n'est guère de système politique ni de doctrine économique ou sociale qui, depuis vingt-quatre siècles, ne s'attache par quelque côté à cette philosophie. Par son élève Aristote, il conduit à Montesquieu et aux théoriciens du gouvernement mixte fondé sur une séparation des organes du pouvoir, qu'il a lui-même analysée. E n ligne directe il a pu inspirer le Rousseau du Contrat social et même les apôtres d'un communisme intégral — des personnes et des biens — avant que le thème du socialisme ne fût repris, limité, fixé avec une illusion de rigueur scientifique par les marxistes. Quoi qu'il en soit, de la société communiste au socialisme modéré en passant par l'économie dirigée, le contrôle des prix — et même des changes — , les centres de rééducation, la répartition autoritaire des fonctions, l'école unique et la hiérarchie par sélection, il n'est guère de problème aujourd'hui débattu, qui ne puisse être annoncé par une citation de Platon, placée en exergue du discours actuel. Il serait pourtant imprudent d'attacher de force la doctrine platonicienne à nos propres débats sur la Cité, de même qu'il est vain d'opposer les Lois à la République alors que la pensée de Platon est restée constante et ferme en son propos.

Transcript of LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

Page 1: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

BERNARD CHENOT

LA PENSEE

POLITIQUE DE PLATON

P laton aurait pu déclarer, comme plus tard Chateau­briand, « la politique est l'étude et le penchant de

toute ma vie », mais, en même temps, sa pensée politique forme un ensemble avec sa métaphysique et elle se lie aussi à une vision spirituelle du monde et de la destinée humaine.

Tout est dans Platon, et i l n'est guère de système politique ni de doctrine économique ou sociale qui, depuis vingt-quatre siècles, ne s'attache par quelque côté à cette philosophie. Par son élève Aristote, i l conduit à Montesquieu et aux théoriciens du gouvernement mixte fondé sur une séparation des organes du pouvoir, qu'il a lui-même analysée. E n ligne directe il a pu inspirer le Rousseau du Contrat social et même les apôtres d'un communisme intégral — des personnes et des biens — avant que le thème du socialisme ne fût repris, limité, fixé avec une illusion de rigueur scientifique par les marxistes. Quoi qu'il en soit, de la société communiste au socialisme modéré en passant par l'économie dirigée, le contrôle des prix — et même des changes —, les centres de rééducation, la répartition autoritaire des fonctions, l'école unique et la hiérarchie par sélection, i l n'est guère de problème aujourd'hui débattu, qui ne puisse être annoncé par une citation de Platon, placée en exergue du discours actuel.

Il serait pourtant imprudent d'attacher de force la doctrine platonicienne à nos propres débats sur la Cité, de même qu'il est vain d'opposer les Lois à la République alors que la pensée de Platon est restée constante et ferme en son propos.

Page 2: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON 299

Pourquoi ? Parce qu'au rebours de nos modernes politiques, Platon est d'abord et toujours un métaphysicien. Sa doctrine de la Cité s'intègre dans une explication totale de la réalité du monde et de la destinée humaine : l'idée du Bien, inspiratrice et cons-tructive, agit en Dieu lui-même comme dans toutes les créations. L'idée de fonction jaillit de l'idée du Bien et toute réalité en procède. Ce Bien n'est pas une abstraction, c'est le progrès des âmes pendant leur passage sur la terre. Voilà le thème fonda­mental que nous retrouverons en groupant quelques réflexions — à défaut des volumes qu'il faudrait écrire ! — autour des trois pro­blèmes de base qui font l'objet de la science politique : la théorie de la souveraineté, l'organisation du pouvoir, la structure éco­nomique et sociale.

L 'exercice du pouvoir est un fait inhérent à toute organisation sociale. Mais pourquoi obéir ? Répon­

dre à cette question, éclaircir ce que Bertrand de Jouvenel a appelé « le mystère de l'obéissance civile », c'est faire une théo­rie de la souveraineté : quelle est l'origine du pouvoir ? Quelle est sa justification ? Quelles sont ses limites ? Ce problème, autre­fois dominant, aujourd'hui relégué à l'arrière-plan de la doctrine, a beaucoup préoccupé les philosophes jusqu'à la fin du x v u r siècle.

Rechercher le fondement légitime du pouvoir, c'est, par là même, fixer son domaine et ses limites, c'est aussi, dans une large mesure, opter en faveur de certains systèmes de droit posi­tif. C'est un problème moral et, comme tel, il implique une option qui est métaphysique, même quand elle nie la métaphy­sique.

Certaines théories de la souveraineté cherchent une explica­tion du pouvoir, au-delà de la volonté humaine, au-delà de l'histoire des faits politiques, économiques et sociaux ; elles transcendent les réalités terrestres et s'insèrent dans une explica­tion métaphysique du monde et de la vie de l'homme. Ainsi pour Platon et, après lui, pour les philosophes chrétiens, de saint Augustin à saint Thomas et à Bossuet. Platon est le type même des métaphysiciens de la souveraineté. Il présente une philoso­phie totale. Son système est complet ; i l embrasse l'origine du monde, la destinée humaine, la Cité. Il donne une explication à partir de principes qui sont, par essence même, métaphysiques.

Page 3: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

300 LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

Sa théorie du pouvoir n'est qu'un anneau de la chaîne ; c'est un étage dans l'édifice qui encadre le monde, reconstruit par sa pensée, entre les principes de la connaissance et les techniques du pouvoir, entre les théories fondamentales et les impératifs de la vie quotidienne.

Sa conception de la souveraineté n'est donc pas indépen­dante de la totalité des valeurs humaines : morale et politique coïncident dans leur objet.

Sans doute la Cité de Platon, comme celles qu'il avait sous les yeux, est close, petite et très différente de l'Etat d'aujour­d'hui, mais au niveau de la souveraineté ses analyses ont une valeur universelle, une portée éternelle : elles fixent le rapport entre les âmes individuelles et l'Etat. C'est cette relation qui crée l'unité de l'œuvre. Si différentes que soient les solutions proposées, le problème fondamental est le même, qu'il s'agisse de la Cité parfaite de la République ou de la Cité de second rang, décrite dans les Lois. Ce n'est pas forcer le sens des mots de le dire : c'est le problème du « salut ». La vie terrestre n'est que d'un jour si on la confronte à la suite des temps. Elle impli­que des choix qui commandent le progrès des âmes vers le Bien ou au contraire leur éloignement indéfini. L'Etat a pour mission essentielle d'encadrer et de guider ces choix. C'est sa raison d'être ; c'est la justification de son pouvoir.

Les plus célèbres mythes illustrent cette pensée : le mythe de la caverne, image de notre vie terrestre, le mythe du Phèdre, où dans un voyage circulaire les âmes sont appelées à contempler les réalités suprêmes du monde des Idées, ou le mythe d'Er, de la descente aux Enfers, après laquelle l'âme va choisir une des­tinée en fonction même de son propre comportement. (« C'est le [...] risque total [...] la responsabilité du choix est pour celui qui l'a fait, la divinité n'est pas responsable. »)

Voilà donc l'idée fondamentale : l'Etat n'est qu'un instru­ment. C'est un organe au service d'une fonction, qui est de faire progresser les âmes. Le bien public, c'est cela. Dans une telle perspective ce n'est pas l'individu qui est le zéro, le corps social qui est l'infini : c'est l'inverse. L'Etat n'est qu'un faux Etat, une apparence, un zéro s'il n'est pas organisé pour accroître à l'infini la perfection des âmes. Tel est le but du pouvoir, sa justification, sa raison d'être. Et cela même implique qu'il n'existe pas —

Page 4: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON 301

a priori — de limite au pouvoir de l'Etat, du moins quand il s'exerce dans sa juste réalité.

Le progrès des âmes n'implique d'ailleurs ni souffrance ni renoncement. Le sacrifice n'est qu'apparent. S'il maîtrise la ten­dance qui le conduirait au mal, l'homme ne renonce qu'à de faux plaisirs. L a vertu et la science, le vrai, le bon et l'utile se conju­guent toujours dans la suite de l'idée de Bien. Ainsi le gouver­nement fondé sur l'idée de Bien est-il, par là même, le meilleur possible pour la Cité, celui qui assure, sur terre, à la commu­nauté, à chaque classe et à chaque individu le maximum de bonheur.

Une telle philosophie de la souveraineté prépare le dévelop­pement sur les systèmes politiques et sur les structures économi­ques et sociales. Platon maintient en effet un parallélisme cons­tant entre l'analyse des données psychologiques propres à l'indi­vidu et celles des données politiques et sociales qui forment la structure d'un Etat. Il constate entre les deux séries d'observa­tions une relation de cause à effet, à double sens, ce qui n'est pas étonnant puisque de la Cité parfaite à toutes les autres et jus­qu'aux pires formes d'Etat c'est une référence profonde à l'idée de Bien qui commande les évolutions et dicte les jugements de valeur.

V oilà pourquoi si nous abordons maintenant les pro­blèmes de l'organisation du pouvoir, nous trou­

vons des réflexions de base qui sont les mêmes, de la République aux Lois, alors que la première est consacrée à la description d'une Cité parfaite, dont « peut-être dans le ciel un modèle se dresse-t-il », alors que les Lois prennent les hommes tels qu'ils sont pour leur proposer, à l'occasion de la fondation d'une colo­nie Cretoise, le meilleur système immédiatement applicable.

Sans doute les deux Cités sont-elles différentes : dans l'une i l n'est pas besoin de législateur, les hommes ont été placés dès leur naissance dans une condition et ils ont reçu dès leur enfance une formation, qui rendent toute loi inutile. Dans l'autre, les lois, minutieusement analysées et chacune éclairée par son préam­bule, sont imposées aux citoyens.

Pourtant les principes du pouvoir sont les mêmes « pour l'Etat comme pour les individus, le but est d'assurer la victoire

Page 5: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

302 LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

de ce qui est bon sur ce qui est mauvais ». L'une des conditions du progrès des âmes est de réaliser l'unité de l'Etat, fondée sur « une mutuelle amitié ».

L'accès aux fonctions dirigeantes est le résultat d'une sélec­tion, dans laquelle l'éducation a joué un rôle essentiel. L'élitisme est la règle mais ni la naissance ni le sexe ne sont un facteur de discrimination ; ce qui compte, c'est l'aptitude à remplir une fonction. Si l'âge intervient c'est pour fixer une limite inférieure. Deux raisons à cela : d'une part une formation physique, morale, intellectuelle est nécessaire et elle s'étend sur des dizaines d'an­nées ; d'autre part ce n'est que sur une longue période qu'il est possible de juger les qualités des chefs éventuels. E n règle géné­rale pas de commandement avant cinquante ans, ni d'ailleurs après soixante-dix ans.

L'égalité enfin n'est un idéal que si elle est réalisée entre ceux qui répondent aux mêmes critères et présentent les mêmes qualités, en dehors de quoi l'égalité n'est qu'un leurre, une fausse égalité ; elle est à l'opposé de l'idée de justice.

Dans la République le problème de l'organisation du pou­voir est très clairement posé : « [...] savoir quels seront [...] ceux qui commandent et ceux gui sont commandés. » L a réponse est fondée sur un système de classes ou de catégories qui sont comme des castes non fermées, en fonction des qualités natu­relles et des épreuves subies. C'est une réponse aristocratique au problème du pouvoir et qui peut même aboutir au gouver­nement d'un seul. Une division du travail place dans la dernière catégorie les gens de métier — commerçants ou artisans et ceux qui « pour ce qui est de l'intelligence ne valent guère qu'on les fréquente mais dont la force physique convient aux tâches péni­bles... [c'est-à-dire] les salariés ».

L a catégorie supérieure est celle des gardiens de l'Etat, appelés à défendre celui-ci, notamment en cas de guerre. Ils ont été formés par une stricte éducation, culture de l'âme puis gymnastique, et c'est parmi eux que vont être choisis les gouver­nants, par épreuves successives. Ils sont nécessairement âgés puis­qu'il aura fallu les observer à tous les âges. Et les meilleurs parmi les plus âgés, ceux qui auront été premiers dans tous les concours seront investis du pouvoir par une sorte de cooptation. Ils auront montré à longueur de vie, intelligence, autorité, souci

Page 6: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON 303

de la chose publique : « Celui qui enfant, jeune homme, homme fait, a subi ces épreuves et qui en est sorti sans contamination, c'est lui qu'il faut établir chef et gardien de l'Etat. » Sa qualité dominante sera la sagesse, fondée sur la connaissance du Bien.

Les philosophes au pouvoir ! Telle est la devise de la Répu­blique. Mais il ne faut pas penser qu'il y ait entre ces philosophes quelque compétition. Le philosophe, tel qu'il est décrit dans le mythe de la caverne, i l faut l'arracher à la contemplation des idées et le forcer à revenir parmi ses concitoyens — prisonniers dans leur enveloppe sensible — pour les diriger et les guider vers la lumière.

Cet élitisme est ouvert : si par un accident génétique un enfant de classe inférieure se révèle apte à monter vers les classes supérieures, i l ira — tandis que descendra vers les métiers ou le commerce celui qui, élevé pour le meilleur, s'en montrerait inca­pable. « Les gouvernants travailleront donc à former toujours d'autres hommes à leur ressemblance [...] puis s'en iront résider dans les îles des bienheureux. » « Ils sont magnifiques, Socrate [...] les gouvernants dont tu viens de sculpter l'image », s'écrie Glaucon. « Et même en vérité, répond Socrate, les gouvernantes ! toutes les femmes à qui la nature en aura donné la capacité. » Ainsi pas de préjugé, pas d'exclusion, la Sagesse commande — et le pouvoir, qui semble absolu, n'est qu'un long dévouement au bonheur de tous.

Dans la Cité des Lois, Platon prend les citoyens, là où ils en sont. Ils n'ont pas pu être formés par une éducation préa­lable, longue et méthodique. Il faut leur apprendre à vivre dans la moins mauvaise Cité possible, les préserver autant qu'il se peut contre une dégénérescence des institutions qui est le propre des choses humaines. Le tempérament de l'homme et le régime de la Cité sont en effet indissolublement l'un à l'autre attachés : l'homme fait l'Etat, l'Etat fait l'homme. Et si les Etats croulent, c'est toujours pour des causes internes : faute des chefs et des législateurs.

C'est dans les Lois qu'apparaît le dessin d'une séparation des fonctions entre des organes du pouvoir, ayant chacun une origine différente. Voilà pourquoi Platon semble avoir été, avant Aristote, le théoricien du gouvernement mixte : les gardiens des Lois, au sommet du pouvoir, sont choisis, par élections succes­sives ; un conseil de 360 membres, recrutés par les quatre clas-

Page 7: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

304 LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

ses censitaires des 5 040 citoyens, à raison de 90 par classe donne un caractère oligarchique à la constitution proposée tandis qu'une assemblée, ouverte à tous les citoyens, fait un pas vers la démocratie — un très petit pas, si l'on se rappelle que les citoyens, en nombre limité (5 040), sont des propriétaires qui n'exercent aucun métier, aucun commerce. Cependant ce système de contre-pouvoir peut assurer par l'équilibre des forces une certaine liberté.

Quel est en définitive le régime que préfère Platon ? Il est difficile de le préciser mais i l est sûr que ce n'est pas la démo­cratie, telle que nous la concevons et telle que nous la pratiquons. Certes élections — et tirage au sort — sont des modes de recru­tement des magistrats de la Cité qui peuvent se rapprocher d'un idéal démocratique mais Platon, dans la République, prenant comparaison d'un navire, a déclaré qu'il n'est pas naturel « qu'un commandant de navire prie les matelots de se laisser comman­der » et que « l'obligation de se laisser commander pour qui­conque a besoin qu'on le commande » est la vérité politique. Dans les Lois, i l indique que les chances d'une bonne législation diminuent avec le nombre croissant de ceux qui font la loi. I l refuse, dans les Lois comme dans la République, d'admettre que le pouvoir soit l'objet d'une bataille, dont la conséquence puisse être que les vainqueurs accaparent à leur profit les charges publi­ques. Et, en réalité, dans l'un comme dans l'autre livre, ses préfé­rences vont au tyran philosophe : « Quand avec la sagesse de la pensée et la modération dans le caractère coïncide chez un homme la puissance la plus haute, alors c'est l'heure où vient au jour et naît le régime politique le meilleur avec des lois qui sont à l'avenant. » C'est l'image d'un régime présidentiel très fort.

Quant à celle de la démocratie, elle est plutôt médiocre.

Platon range le gouvernement du peuple parmi ceux qui sont « des néants d'organisation sociale... » qu'on appellerait bien plutôt des organisations factieuses parce qu' « une autorité, non sans quelque recours à la force, s'exerce à son gré sur des gens qui la subissent de mauvais gré ».

L a démocratie ne reçoit qu'un titre de gloire. Parmi les mauvais régimes elle est souvent le moins mauvais, « parce qu'on n'y peut rien faire de grand ni en bien ni en mal ». C'est mince ! Elle n'apparaît d'ailleurs que dans la suite d'une dégénérescence

Page 8: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON 305

des institutions, en corrélation avec celle des caractères. Par quel processus ?

Dans la Constitution oligarchique, l'argent seul est honoré. L'Etat est double : Etat des riches, Etat des pauvres. Dans cette « lutte des classes », vertu et modération disparaissent, des hommes de valeur sont devenus pauvres, les voilà pleins de haine contre les autres, pleins d'amour pour l'innovation... Quand ils sont vainqueurs, ils tuent ou bannissent ceux du parti opposé puis ils se partagent gouvernement et emplois. Alors, on voit apparaître l'homme démocratique ou plutôt les hommes démo­cratiques, hommes de toute espèce, puisque tout est permis. Le régime est à leur image. Platon le compare à un « manteau bariolé » qui peut sembler beau, s'il est vu de loin. Mais quel désordre dans le gouvernement et dans les mœurs !

Sur le plan de l'autorité : « Il n'y a pour toi, fusses-tu capa­ble de commander, nulle obligation de le faire, pas davantage inversement d'être commandé au cas où cela ne te plaise point, ni non plus de faire la guerre quand on est en guerre, pas davan­tage de vivre en paix quand y vivent les autres [...] quand une loi t'interdit d'être magistrat ou juge, d'être néanmoins, si cela te va, magistrat ou juge [...] merveilleuse douceur ! La gentillesse dont on fait preuve envers certains condamnés n'est-elle pas exquise ? » Et Platon montre des condamnés à mort ou au bannissement qui se promènent comme s'ils étaient devenus invisibles. Le régime traite n'importe quoi comme simple vétille mais dédaigne les principes de vertu qui devaient être vénérés. Il se désintéresse complètement de la nature des activités qu'a pu exercer « un homme qui se porte aux affaires publiques mais l'honore au contraire pourvu seulement qu'il se déclare ami du peuple » ! Et i l conclut : « Régime plein d'agrément, dépourvu d'autorité, non de bariolage, distribuant aux égaux aussi bien qu'aux iné­gaux une manière d'égalité. »

Quant aux mœurs ! Le jugement de l'opinion publique est faussé : « Donnant à la honte le nom de stupidité [...] appelant lâcheté la sagesse [...] la démesure appelée distinction élégante, le refus de se laisser commander, dignité d'homme libre, le liber­tinage grandes manières, l'impudence virilité... »

A la fin le refus de se laisser commander a pourri l'Etat et les mœurs, jusqu'au sein des maisons particulières : « Le père prend l'habitude de se rendre semblable à ses enfants et a peur

Page 9: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

306 LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

de ses fils ; le fils [...] de se rendre semblable au père et de ne respecter ni craindre ses parents, et cela pour être libre ; l'étran­ger [...] de se mettre à égalité avec le bourgeois et celui-ci avec l'étranger [...] le maître a peur de l'écolier et il l'adule, l'écolier a le mépris du maître [...] Les vieillards [...] se gorgent de badi-nage, à l'imitation de la jeunesse afin de ne point passer pour des gens moroses et des despotes. »

Egalitarisme et liberté ont corrompu les relations entre homme et femme, même au sein du mariage. Les citoyens « ne se préoccupent pas davantage des lois écrites que de celles qui ne le sont pas ».

L'issue est fatale. « Le trop de liberté a bien l'air de ne pouvoir se changer qu'en trop de servitude, tant pour un parti­culier que pour un Etat. » L a tyrannie est proche. Par quelles voies ? Ceux qui sont dépouillés essaient de se défendre par la parole dans l'assemblée ou par tout autre moyen. On les accuse de complot. Et en définitive, ils vont comploter. Tous les facteurs sont réunis pour que naisse un méchant tyran « sur une souche présidentielle ». Le président que le peuple s'est donné a besoin d'une force pour se défendre, le peuple sent le besoin d'avoir un chef ; celui-ci soutient son autorité par des guerres incessantes et s'entoure de mercenaires. L a liberté disparaît ; la tyrannie la plus despotique s'installe...

« Et nunc erudimini, reges, qui judicatis terram (1) », s'écriait Bossuet. C'est en effet une leçon que peuvent méditer ceux qui prétendent conduire les hommes !

Entre la théorie sur l'organisation du pouvoir et les idées d'un auteur sur la structure économique et

sociale de l'Etat, i l existe toujours une relation, même quand le rôle de l'Etat est aussi réduit qu'il se peut, comme un libé­ralisme politique l'implique. On oppose ici souvent le Platon de la République et celui des Lois. Utopiste et communiste dans le premier ouvrage, réaliste et seulement étatiste dans le second. Il est bien vrai que les solutions diffèrent entre la Cité des Lois et la Cité où celles-ci ne sont plus nécessaires. Il faut pourtant se rappeler l'unité profonde d'une pensée politique qui est

(1) « Et maintenant instruisez-vous, ô rois, vous qui êtes les juges de la terre.»

Page 10: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON 307

d'abord philosophique. L'organisation des deux Cités est inspirée par le même dynamisme de l'idée de Bien : la fonction de l'Etat reste la même d'une Cité à l'autre : le progrès des âmes. L'appro­che est différente, le but est identique : i l reste spirituel, i l ne s'inspire jamais d'un matérialisme, celui-ci fût-il historique. Les réponses que donne Socrate dans la République, l'Athénien dans les Lois aux questions posées par le régime des biens — pro­priété, échange et production — ou par le statut des personnes sont différentes mais elles convergent dans une même philoso­phie : supprimer ou limiter tout ce qui peut renforcer les égoïs-mes individuels et menacer l'unité de l'Etat, instrument du progrès des âmes.

La République présente la meilleure solution possible dans le cadre d'un Etat qui serait gouverné d'une façon stable par les philosophes. Dans une telle Cité la perfection des méthodes d'éducation supplée le système législatif. Il n'est pas nécessaire de donner une sanction de droit positif à l'obligation morale.

Les Lois donnent le moyen juridique de se rapprocher du même idéal mais pour une société qui reste exposée aux vicissi­tudes et au changement. Il faut alors établir un système qui maintienne sur la même ligne du progrès moral et spirituel l'en­semble des citoyens.

Ainsi même principe, même idéal, même but. Entre les deux solutions, les différences ne sont, par rapport au critère suprême — l'idée de Bien —, ni de nature ni d'orientation mais de degré. Nulle contradiction mais un écart : les deux Cités sont à des stades différents sur la route qui conduit vers le même idéal, les régimes sont adaptés à des collectivités dont les âmes indivi­duelles n'ont pas atteint le même degré de maturité.

En ce qui concerne la propriété, elle n'est jamais considérée par Platon comme un droit naturel. Sa critique pourtant ne pro­cède ni d'une idéologie égalitaire ni d'une doctrine de la produc­tion, du style « stakhanoviste ». Evoquant la force et la prospérité d'une Cité, le philosophe du Gorgias constate : « Ils ont multiplié les ports, les arsenaux et les remparts, ils ont fait affluer dans la ville les tributs et les contributions mais ils n'ont pas songé à accroître l'esprit de modération et de justice. Aussi le résultat de leur action n'est-il, en dernière analyse, qu'un affaiblissement destiné à préparer la catastrophe. »

Page 11: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

308 LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

C'est parce qu'elle nuit à l'esprit de modération et de justice que Platon se méfie de la propriété privée. Il la fait disparaître dans la République ; il la limite très strictement dans les Lois. Dans la République i l analyse ainsi la situation de la classe qui joue un rôle essentiel, celle des gardiens de l'Etat : « S'ils vien­nent à posséder en propre des terres, des maisons et de l'argent, ils cesseront d'être des gardiens pour devenir des économes et des laboureurs ; ils seront les ennemis et les tyrans des autres citoyens au lieu de rester leurs alliés ; ils passeront désormais toute leur vie à éprouver de ta haine et à en être l'objet, à dresser des embûches et à y être en butte, ils seront dès lors près de leur perte et de celle de la Cité et ils courent vers elle à grands pas. » Voilà pourquoi aucun d'eux ne devra posséder en propre aucun bien : « Habitation ou grenier à provisions, aucun d'eux n'aura rien de tel où ne puisse entrer quiconque le désire. » Et chacun ne recevra qu'une rémunération « assez bien calculée pour qu'il n'en reste rien à reporter sur l'autre année ».

Dans la Cité des Lois, la propriété est admise — elle est même protégée par la loi pénale — mais avec quelles réserves ! « Que l'on ne se passionne pas pour la fortune [...] juste ce qu'il en faut pour [...] ne pas être en butte à la convoitise des autres [...] ne pas manquer du nécessaire [...] Ainsi la Cité est-elle divi­sée en lots, de valeur égale, et le sol n'est pas cultivé en commun [...] une telle façon de faire est trop haute pour les conditions dans lesquelles est élevé et éduqué cet Etat que nous envisageons pour le moment », mais celui à qui un lot a été attribué doit se dire « qu'il lui appartient en commun avec la communauté tout entière ». Nul ne peut acquérir plus de quatre fois la valeur de son lot : le surplus est donné à la Cité — chacun peut désigner un héritier, un seul. Les autres enfants sont placés. Enfin une « haute autorité » fera en sorte que le nombre des résidences familiales ne dépasse pas le nombre initial (5 040). S'il apparaît un excédent de citoyens, on les envoie fonder une colonie.

Quant au régime des échanges, Platon nous montre qu'en fait d'économie dirigée nous n'avons — après lui — rien inventé.

Sans doute dans la Cité parfaite de la République, i l n'y a pas lieu d'édicter des lois sur les échanges : « Ce ne sont pas des choses qu'il vaille la peine de prescrire à des hommes accom­plis. »

Page 12: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON 309

Dans les Lois en revanche, tout est prévu, tout est réglé : règles strictes, mécanisme précis, police, sanctions. Le but est clair : « Dans notre Etat il est bon qu'il n'y ait ni or ni argent ni d'autre part d'enrichissement considérable. » L'homme doit d'abord en effet avoir souci de son âme, ensuite de son corps et, en dernier, des biens de fortune. Les commerçants reven­deurs et hôteliers sont assez mal traités ; le législateur doit limiter l'accès de ces professions à ceux dont « la dégradation ne cause­rait pas grand préjudice à l'Etat », c'est-à-dire les interdire aux citoyens. La taxation et le contrôle des prix sont prévus : les gardiens des Lois déterminent avec les gens compétents « le bénéfice raisonnable » — donc calcul d'un prix de revient et fixation de la marge — puis magistrats et inspecteurs font res­pecter cette taxation. Quant aux produits qui ont fait l'objet d'une répartition, c'est-à-dire certains produits alimentaires, per­sonne ne doit les vendre au détail aux citoyens ou à leurs servi­teurs. C'est seulement « sur les marchés qui sont exclusivement ceux des étrangers » qu'un étranger peut les vendre aux gens de métier et à leurs esclaves, ce qui évoque la formule des magasins pour étrangers, bien connue aujourd'hui dans les pays de l'Est. Nous allons même voir se dessiner l'image du carnet de change : les voyages vers l'étranger sont strictement limités. Ils sont inter­dits avant l'âge de quarante ans. Ils doivent être autorisés par les magistrats et l'autorisation n'est pas donnée pour des motifs privés. S'il reste au voyageur quelque monnaie étrangère, il doit, lorsqu'il revient, la rendre à l'Etat, recevant en échange la valeur correspondante de monnaie nationale.

Les infractions sont sévèrement punies : confiscation, amen­des et pénalités pour celui qui n'aurait pas dénoncé l'infrac­tion. A l'étranger, le voyageur doit faire l'éloge du régime de la Cité ; quand il revient, i l lui est prescrit de ne pas louer ce qu'il a vu ailleurs. Propagande, propagande !

Reste à voir le statut des personnes et l'état des mœurs dans les Cités platoniciennes. Dans celle de la République, nul problème. Tout est commun, tous sont parents. Dans une telle Cité, la cellule familiale n'existe pas : ni mariage, ni filiation, ni même cohabitation ; les femmes sont communes ; les enfants aussi, nul d'entre eux ne doit savoir qui l'a engendré. C'est aux magistrats de régler les rencontres entre hommes et femmes. Ils

Page 13: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

310 LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

procèdent à des tirages au sort — pour que nul ne soit froissé — mais ils sont chargés de les organiser de façon assez subtile pour que l'élite des hommes ait commerce avec l'élite des femmes.

Ainsi l'unité de l'Etat est parfaite. Tous les citoyens peuvent croire qu'ils sont liés par une étroite parenté ; ils sont, selon leur date de naissance, frères ou sœurs, pères ou grands-pères, fils ou filles, petits-enfants ou arrière-neveux les uns des autres. Les peines et les joies de l'un d'entre eux sont communes à tous les autres. Tout est pour le mieux dans le « meilleur des mondes » à la manière de celui que devait décrire Huxley, sauf peut-être pour ceux qui en auraient été éliminés parce qu'une infirmité physique ou un vice moral les rendaient totalement inutilisables, même comme esclaves.

Dans la Cité de second rang, la famille subsiste mais les Lois la subordonnent si étroitement à l'Etat, la soumettent à tant de règlements, la font pénétrer par tant d'inspections qu'elle est vraiment plus proche de la vie communautaire dans le style de la République que de la vie familiale, telle que nous la conce­vons. Qu'on en juge : « Le mariage utile à l'Etat, voilà en fait dans chaque cas celui auquel on doit être prétendant et non pas celui qui nous plaît le plus à nous-même. » En cas de divorce, ce sont d'ailleurs les magistrats qui déterminent eux-mêmes qui sera le nouveau conjoint — ce qui peut être dissuasif ! Inspec­teurs des mariages et magistrats jouent constamment leur rôle dans la vie même des couples — de telle façon notamment que les règles relatives à la génération et à l'élevage des enfants soient respectées. Des inspectrices visitent les ménages et elles se font mutuellement rapport.

Les célibataires sont punis par de lourdes amendes s'ils ne se sont pas mariés entre trente et trente-cinq ans pour qu'ils ne se figurent pas que le célibat leur apporte profit et commodité. En définitive — et cela est dit expressément : « M vous personnel­lement ni vos biens n'appartiennent à vous-même [...] mais à votre famille — avant et après vous — et c'est à l'Etat qu'appar­tiennent votre famille et vos biens. » Et tout législateur se trompe, qui laisse aller sans les soumettre à des lois les affaires privées en s'imaginant que les lois seront observées dans les affaires publi­ques.

Page 14: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON 311

L a pureté des mœurs est garantie par la menace de lourdes peines et par celle de la dégradation civique, effrayante sanction dans une Cité aussi petite. Le vice est à tout le moins obligé de se cacher ; i l ne peut espérer nulle complaisance publique, ce qui n'est peut-être pas inutile pour maintenir un certain niveau de civilisation !

Quant aux impies qui persévéreraient dans l'impiété, ils relè­vent de longs séjours dans une prison du centre du pays, sorte de camp de rééducation d'où l'on ne sort que converti — ou mort.

A lors? « Despotisme technocratique » ? « Cité des insec­

tes » ? Univers concentrationnaire ? Est-ce ainsi qu'il faut conclure cette brève étude sur la pensée politique d'un philoso­phe, dont l'œuvre rayonne encore sur notre temps, après vingt-quatre siècles d'histoire.

On peut, en effet, être tenté de relever quelques affinités entre Platon et les doctrines communistes, inspirées par Marx et surtout par Lénine, telles qu'elles sont appliquées ou préten­dent l'être dans certains Etats totalitaires.

D'abord il n'est pas nécessaire de forcer les analyses de Platon pour trouver dans sa théorie de l'Etat une vision de l'anta­gonisme des classes. « La division de l'Etat entre riches et pau­vres entraîne, dit-il, à l'intérieur d'un même Etat un fourmille­ment d'Etats et, en tous les cas, deux Etats ennemis. »

Ensuite le dirigisme des Lois justifie l'idée que tout diri­gisme est un pas vers le collectivisme. Pour Platon c'est en quelque sorte un succédané du communisme, quand celui-ci n'est pas encore réalisable. Il devient alors évident que, dans l'organi­sation des sociétés, deux systèmes s'opposent : celui du capita­lisme libéral, fondé sur la propriété, le profit, la liberté, celui du communisme intégral. Le dirigisme marque un acheminement de l'un vers l'autre puisqu'il réduit la liberté, limite le profit et restreint la propriété. Plutôt que d'essayer de mettre Platon en opposition avec lui-même et de chercher des contradictions entre la République et les Lois, ne serait-il pas plus sage de considérer que c'est nous-mêmes qui avons des conceptions contradictoires, quand nous prétendons installer une économie dirigée dans un

Page 15: LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

312 LA PENSEE POLITIQUE DE PLATON

milieu capitaliste et dans une structure politique libérale alors que le dirigisme se présente bien plus comme un collectivisme dégradé que comme un libéralisme évolué ?

Enfin par le rôle qu'il donne à l'éducation et à la propa­gande, les thèmes de Platon invitent aussi à des rapprochements assez curieux. Ce rôle est pleinement rempli dans la Cité de la République ; la contrainte n'y est plus nécessaire, les lois n'exis­tent plus, ce qui pourrait être traduit, en langage moderne, par le dépérissement de l'Etat, en tant qu'appareil de coercition. Dans la Cité secondaire des Lois, en revanche, les peines jouent un rôle important et c'est la phase inférieure du socialisme marxiste, celle de la dictature, qu'on pourrait évoquer.

Oui mais... une différence fondamentale oppose la pensée de Platon et la doctrine marxiste. Méconnaître cette opposition de base ce serait faire un contresens sur la pensée politique de Platon en la coupant de ses racines et en la séparant de son but. Il n'existe pas l'ombre d'un matérialisme chez Platon. Son horizon est spirituel. Le seul enjeu qui vaille c'est le salut de l'âme individuelle. La vie n'est que d'un jour et « lorsqu'on estime que vivre est un bien dans toutes les circonstances, loin d'honorer son âme, on la déshonore au contraire ». Belle maxime et qui pourrait prendre une résonance d'actualité, en réponse à certaines devises de servitude ! Platon est d'abord un philosophe de l'âme et l'organisation des Cités n'a pour but que de guider celle-ci vers le meilleur à travers les cycles de l'éternité.

C'est un acheminement des âmes vers le Bien, vers le Beau, vers Dieu qui est la tâche essentielle du législateur des Lois et du « philosophe-roi » de la République. Toute identification serait abusive mais c'est aux grands mystiques, contemplatifs et hom­mes d'action, fondateurs d'ordres et organisateurs de vie en commun, c'est aux apôtres d'un détachement des biens de ce monde et du progrès des âmes vers l'Esprit qu'il faut sans doute comparer Platon plutôt qu'à des philosophes qui, en limitant leur pensée à la production des biens de ce monde, l'ont progres­sivement enfoncé dans la matière.

B E R N A R D C H E N O T secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences morales et politiques