2 Visages de l'Esprit
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jean-marc-falcombello -
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Editions Dzambala, 1995 Landrevie, 24 290 Saint Lon sur Vzre
Tous droits de reproduction ou d'adaptation, sous quelque forme que ce soit, rseros pour tous pays.
ISBN 2-906940-11-9
Maquette: MicroSeroices - 24580 Fleurac
Illustrations : fllustration de couverture: Grard Muguet
Dessins : bois gravs du Tibet
Shamar Rinpoch
LES DEUX VISAGES
DE
L'ESPRIT
Trait de la distinction entre la conscience partielle
et la connaissance primordiale.
"rNam.Sbes. Ye.Sbes. 'Byed.Pa'i. bsTan.bCos."
Traduit par Lama Ysh Nyingpo
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Prambule
L'auteur de ce livre est S.E. Shamar Rinpoch, rgent de l'cole Kagyupa (ligne de la transmission orale) du bouddhisme vajrayana. Cette cole est rpute pour la richesse et la profondeur de sa tradi-tion mditative, magnifiquement illustre par des ouvrages tels que "La Vie de Milarpa" ou "Les Cent-Mille Chants".
Les Shamarpa sont les dtenteurs de la Coiffe Rouge, symbole de leur haute ralisation spirituelle. Ils sont considrs comme des ma-nations pures, reprsentant l'activit illumine du bouddha Amitabha, le bouddha de "Lumire Infinie" qui rside en le champ pur occi-dental : la Terre de "Grande Flicit".
"Il y a de cela de nombreuses res, un tre ralisa la bouddhit sous le nom du Tathagata Keuntcho Yenlak. Dans la prsente re fortune, bnie par la venue de mille bouddhas, ce Tathagata se ma-nifestera sous la forme d'un grand bodhisattva l'clatante coiffe rouge rubis. Il aidera de nombreux tres" (1).
Shamar Mipham Tcheukyi Lodreu est la XIVe incarnation de la ligne des grands bodhisattvas la Coiffe Rouge. Les reprsentants de cette succession ont toujours t troitement lis celle des Kar-mapa, dtenteurs de la Coiffe Noire et hirarques de l'cole Kagyupa.
La plupart .des Shamarpa ont fait partie de ce qui est appel le "rosaire d'or de la transmission orale". En effet, ce sont les dten-teurs des enseignements de la tradition Kagyupa, assurant la conti-nuit et la prservation de la ralisation et de la grce de l'veil, transmises en une ligne ininterrompue.
(1) Prophtie du Bouddha Shakyamouni concernant le Shamarpa, extraite du "Soutra du Bon Kalpa".
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LES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT
Les Shamarpa se sont distingus aussi par leur rudition et leur capacit exposer clairement la profondeur des enseignements so-triques qui sont le cur de la ligne de la transmission orale. Plus particulirement, leurs ouvrages sur "Les Six Doctrin_es de Naropa" font autorit.
Au qualits traditionnelles qui sont celles des Shamarpa : rudition, ralisation spirituelle, compassion infmie pour tous les tres, l'actuel Shamar Rinpoch associe un sens particulier de la communication, une faon directe et incisive de prsenter l'enseignement, empreinte d'humour et de simplicit. Cette simplicit s'lve d'une noblesse et d'une puissance de rayonnement incomparables, inspirant un res-pect naturel et la dvotion du cur.
Par sa comprhension profonde des situations, Rinpoch se rvle habile dissiper les diffrentes mythologies qui embrument l'esprit de ses disciples ; que ce soit l'attrait actuel pour la civilisation mat-rialiste chez les Orientaux, ou l'intarissable soif de mystre et d'trange qui hante les consciences occidentales. Dmontrant les jeux et dissi-pant les aveuglements de l'esprit, il excelle pourfendre les supers-titions et les fanatismes.
Par-dessus toutes ces qualits, Shamar Rinpoch incarne l'essence d'amour et de compassion, d'attention bienveillante envers chaque tre, qui est celle de l'veil. Sa prsence est source de joie, de bon-heur et de toutes sortes de merveilles qui ravissent ceux qui l'appro-chent.
Le prsent ouvrage est bas sur une transmission du "Namsh Ysh Gypa Tentcheu ", le "Trait de la distinction entre la conscience partielle et la connaissance primordiale'~ Cet enseignement fut donn par Shamar Rinpoch Dhagpo Kagyu Ling, en Dordogne, sige europen de Sa Saintet Karmapa, en 1981.
Rinpoch considre cet enseignement comme essentiel, car il per-met de situer avec prcision le dharma du Bouddha, en regard des autres voies spirituelles. Plus encore, il dlimite clairement la frontire qui spare les tnbres de l'esprit ignorant de l'tre soumis la confusion, de la clart lumineuse de l'esprit veill d'un bouddha.
Cependant, il convient au lecteur de se garder de jugements trop htifs, concernant la mthode d'exposition suivie dans ce texte.
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PRAMBULE
L'ouvrage est constitu d'une succession de prsentations des voies non-bouddhistes (traditionnellement hindouistes) et bouddhis-tes, qui conduit une srie de rfutations. On ferait fausse route en croyant que cette argumentation aboutit une polmique. Elle est au contraire destine faciliter une approche progressive de la ralit de l'esprit et des phnomnes. Chacune des tapes de l'exposition, reprsente par un systme particulier, s'inscrit dans un processus de comprhension plus profond et plus subtil que le prcdent. Cette approche est celle que le lecteur, et plus encore le pratiquant, est cens appliquer son propre esprit et sa propre exprience. Elle constitue un itinraire de rflexion et non une affirmation dogmatique.
Le Bouddha n'enseigna jamais l'intolrance, ni l'acceptation aveu-gle de ses propos. Il a toujours rendu hommage au pur brahmane, symbole des traditions bnfiques qui l'ont prcd. Son enseigne-ment fut toujours dlivr en fonction de situations com:rtes et des capacits des disciples. Il reprsente une exhortation constante v-rifier par soi-mme le contenu et la valeur des propositions qu'il contient, au moyen de la rflexion, de la contemplation et de l'exp-rience directe issue de la mditation.
Le propos de ce livre est de fournir des lments de rflexion que chacun intgrera selon ses prdispositions et ses aptitudes. Il ne constitue pas une rfutation de systmes s'opposant les uns aux au-tres, au nom d'un sectarisme aveugle, ni une prsentation exhaustive des systmes qu'il voque.
La nature fondamentale de la ralit est proprement inconcevable. Elle n'est perue correctement que par l'esprit libr de toutes illu-sions et pleinement veill d'un bouddha.
Afin d'exprimer l'inexprimable et de rendre perceptible aux tres non veills cette ralit, le bouddha, le principe d'veil se manifeste sous des formes multiples, rvlant des prsentations de l'enseigne-ment diffrentes et mme apparemment contradictoires, qui ne sont en fait que les moyens appropris aux diffrentes capacits et aux prdispositions de chaque tre.
L'activit veille est l'expression spontane de la conscience int-grale des bouddhas. Elle est ouverture totale et communication radieuse et chaleureuse, l'union de la vacuit et de la compassion.
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LES DEUX V7SAGES DEL 'ESPRIT
C'est dans cette optique que cet enseignement se situe. Chaque proposition se trouvant rfute par la suivante, le lecteur est guid pas pas vers une comprhension juste de la ralit ultime.
Nanmoins, cette simple comprhension intellectuelle est loin d'tre "la chose en soi". Seule l'exprience pratique acquise sous la direction d'un matre qualifi se rvle fructueuse. Comme le souli-gne Shamar Rinpoch, l'enseignement perd alors la scheresse et l'austrit propres la connaissance intellectuelle et acquiert la saveur de la certitude dfinitive.
Cette insistance intgrer correctement les notions thoriques de la prsentation par la mditation, a valu l'cole Kagyupa son nom de "ligne de la pratique".
Cette transmission, donne par Shamar Rinpoch, repose sur "Le trait de la distinction entre la conscience partielle et la connais-sance primordiale", uvre de rfrence due au Ille Karmapa, Randjoung Dordj. Ce texte est un classique qui expose de manire profonde et concise l'essence de l'enseignement bouddhiste. Comme tous les "textes-racines", cette composition se rsume quelques feuillets d'une expression versifie souvent dense et hermtique. Pour cette raison, l'ouvrage est accompagn d'un commentaire explicatif qui en facilite la lecture. Celui utilis par Shamar Rinpoch est l'uvre de Djamgun Kontrul Lodreu Tay, une des figures les plus marquantes et les plus renommes parmi les grands rudits et les matres raliss du XIXe sicle.
L'enseignement oral de Shamar Rinpoch restitue la qualit vivante de l'exprience directe de la nature de l'esprit, qui fut le propre de ces grands matres et qui s'inscrit dans la mme continuit de rali-sation spirituelle.
Une premire transcription de cet enseignement fut ralise par Jrme Edou et publie dans le n 2 de la revue "Tendre!'~ au-jourd'hui puis. C'est l'initiative de Shamar Rinpoch lui-mme qu'une nouvelle traduction dut d'avoir t entreprise, Rinpoch considrant ce texte comme essentiel pour la comprhension du dharma du Bouddha.
L'dition de 1987 tant puise suite l'intrt qu'elle a suscit, le tex-te de la prsente dition a t revu en 1995 afm d'en faciliter la lecture.
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PRAMBULE
Ce prsent travail ne prtend pas constituer une version dfinitive et encore moins une traduction du commentaire de Lodreu Tay. Cette composition se propose de restituer les points essentiels dve-lopps dans l'enseignement de Shamar Rinpoch et de rpondre aux souhaits qu'il a formuls d'une prsentation simple et cohrente de la tradition bouddhiste, destine tous ceux qui s'interrogent sur l'esprit sur eux-mmes et sur le monde. TI a sembl ncessaire d'intro-duire ~uelques explications supplmentaires permettant de clarifier certains points supposs connus et pour cette raison brivement voqus dans l'enseignement oral de Rinpoch. Ces additifs se distin-guent du corps principal du texte par leurs caractres italiques.
Une srie de notes de bas de page prcise le sens des passages dlicats. Les principaux termes techniques ont t runis dans le glossaire situ la fin de l'ouvrage.
Je remercie tous ceux qui ont bien voulu, par leurs connaissances, leurs conseils et leur disponibilit, contribuer la ralisation de ce travail.
Tout particulirement, qu'il me soit permis d'exprimer ma gratitu-de et mon respect envers mon lama-racine, le Vnrable Guendune Rinpoch, dont l'attention bienveillante, les conseils et les explica-tions ont t une source constante d'inspiration et d'encouragement.
Je remercie galement tous ceux qui ont particip ce travail, en particulier les Editions Dzambala, Claudine Ledroit et Anila Tsultrim, pour la frappe du manuscrit, Grard Muguet, pour les illustrations et la composition du texte, tous ceux qui ont particip la relecture : Jean-Michel Hrault, Dominique Thomas, Anne Bintruy, Erwan Temple et Marc Bosche pour la relecture de la prsente dition.
Puisse cette esquisse inspirer leur tour tous ceux qui s'intressent au dhamia du Bouddha.
Ysh Nyingpo
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Introduction
Ce trait prsente les diffrences entre la conscience ordinaire en mode dichotomique ( namsh) et la connaissance primordiale (ysh). Il tablit ainsi la distinction entre la conscience fragmentaire de l'esprit confus et la conscience intgrale de l'esprit veill.
En gnral, tous les phnomnes du monde conditionn (samsara) et de l'au-del de la souffrance (nirvana) se rpartissent en trois catgories :
- objets inanims substantiels, - objets inanims non-substantiels, - objets anims : tres dots d'une conscience.
Les deux premires catgories comprennent la matire et consti-tuent le champ d'investigation des sciences exprimentales (physique, mathmatique, etc.). Celles-ci sont tournes vers l'exploration du "monde extrieur". La troisime concerne le domaine non-physique, l'esprit, qui est le champ d'investigation des sciences humaines. La terminologie bouddhiste nomme "science intrieure" la discipline qui explore la conscience, la distinguant ainsi des sciences extrieu-res qui traitent du monde (1). Le terme conscience dsigne ce qui exprimente le bonheur, la souffrance, l'indiffrence, ce qui connat
l'exprie~ce. Ce sont les phnomnes qui appartiennent cette catgorie des
tres dots d'une conscience qui constituent l'objet de ce trait.
(1) Bouddhisme est l'appellation par laquelle est habituellement dsigne cette discipline scientifique qui explore la conscience, cette science intrieure, ou science de l'intriorit.
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LES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT
D'une manire gnrale, l'esprit prsente deux aspects ou situa-tions principales :
- Lorsqu'il est soumis la confusion : c'est la conscience partielle, spare, imparfaite, conduisant une connaissance dpendante, contingente et fragmentaire.
- Lorsqu'il est dgag de l'emprise de la confusion : c'est la connaissance primordiale, intgrale et insurpassable, l'omniprsence de l'veil.
Ces deux aspects sont comme les tats d'un mme visage. certains moments creus par la colre ou l'angoisse, c'est l'esprit troubl par la confusion. d'autres moments, tranquille, souriant et plein, il est semblable la sagesse paisible de la connaissance primordiale.
La conscience perturbe ou nvrotique est la cause de l'exprience conditionne, du cycle des naissances et des morts. L'origine de la souffrance, c'est l'esprit des tres ordinaires, obscurci et limit. La connaissance primordiale est la sagesse originelle, l'tat fondamental de l'esprit rendu sa vritable nature de flicit. C'est l'au-del de la souffrance, l'veil du Bouddha, libre de confusion, connaissance illi-mite, inobstrue.
Afin d'liminer les obscurcissements et les limitations de la cons-cience fragmentaire et de rvler la connaissance primordiale natu-rellement libre de toute confusion, il importe d'tablir ce qui les diffrencie. C'est l'objet de cet expos qui prsente la distinction entre la conscience confuse et la connaissance veille.
Ces deux thmes sont traits successivement.
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LA CONSCIENCE
PARTIELLE
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L'esprit, source de la confusion et de la non-illusion
Les points de vue extrieurs (les caractristiques des systmes non bouddhistes)
L'interrogation fondamentale des hommes sur leur condition, leur relation au monde, au cosmos, leur position par rapport l'ultime et l'infini, l'origine de leur prsence et de leur exprience de naissance, de mort, de bonheur, de souffrance et d'indiffrence, les a conduits apporter de multiples rponses, constituant autant d'opinions, de systmes philosophiques ou religieux.
Tout d'abord, il y a les tres qui ne cherchent pas d'explication et qui ne s'interrogent mme pas. Ils n'ont pas d'opinion sur l'origine du monde et des conditions d'existence qu'ils exprimentent.
Ils consomment simplement leur exprience immdiate sans la considrer, en cela semblables des animaux ou des enfants sans conscience.
Parmi les multiples positions de ceux qui envisagent le problme et qui proposent des rponses, nous considrerons en premier lieu celles qui sont incorrectes ou insatisfaisantes. On fera rfrence aux diffrents systmes qui se sont dvelopps en Inde, car ils sont le prototype des convictions de l'humanit entire.
A l'poque du Bouddha, l'Inde tait le creuset d'une multitude de traditions philosophiques et religieuses et le lieu d'une intense activit spirituelle. Une approche en suscitant une autre, on ne dnombrait
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LA CONSCIENCE PARTIEllE
pas moins de trois cent soixante systmes philosophiques qui coexistaient dans un respect mutuel. Nombre d'entre eux s'taient dvelopps autour de principes essentiels communs et ne diffraient que sur des points de dtail. Nous nous en tiendrons ici l'expos des principaux, comme reprsentatifs des autres.
On distingue quatre types de systmes : - les systmes non-thistes - les systmes thistes - les systmes chamanistes - les systmes matrialistes.
Les trois premiers reprsentent le groupe des positions "ternalistes", postulant l'existence d'une entit indivisible, permanente et ind-pendante. Le quatrime type est fond sur une approche "nihiliste", niant l'existence de quoi que ce soit de transcendant au monde matriel immdiatement perceptible.
L'approche non-thiste
Elle reprsente la vue autour de laquelle se sont dployes les traditions majeures de l'Inde telles que celles des Samkhyas (non-ciateurs), des Vaisheshikas (particularistes), des Naiyaikas Oogiciens), des Mimamsakas (analystes), des Vdantins (ceux qui suivent les Vdas), des Nirgranthas (ceux qui vont nus) plus connus sous le terme de Jans. (1)
Traditionnellement, ces systmes sont prsents et discuts en termes de vue ou thorie, de mditation, de conduite et de fruit ou d'obtention.
La vue
L'approche non thiste est fonde sur l'numration de catgories dans lesquelles soht regroups les lments qui composent le monde
(1) pour une exposition dtaille de chacune df! ces coles, voir "Practice and Tbeory of Tibetan Buddbism" de Sopa & Hopkins, Rider Ed. ou ''Meditation on Emptiness" de jeffrey Hopkins, Wisdom Publications.
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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION
et les phnomnes. L'origine et le nombre de ces catgories varient d'une doctrine l'autre, mais elles reposent toutes sur une base commune.
Dans le systme Samkhyas, toute la manifestation se rpartit entre deux polarits majeures: tout d'abord un principe causal qui produit bonheur, souffrance et indiffrence, en fonction de trois qualits gales : motilit, tnbres et lumire, d'autre part l'entit ou soi (qui inclut tous les tres). ~
Le principe causal est dfini comme existant par einq caract-ristiques. Il est :
- unique, - anim, - invisible, - capable de manifester des manations en mode illusoire, - illimit.
Il est la cause, le crateur, d'o sont issus tous les aspects de la manifestation phnomnale, conus comme expression de son acti-vit. Il est donc assimil au monde phnomnal, sa cration. Cepen-dant, il n'est pas un dieu ou un surhomme. Il n'est ni masculin ni fminin. Il est seulement principe crateur impersonnel.
L'autre aspect de la polarit est constitu par l'entit ou soi (set : atman, tib : dai). C'est ce qui possde la facult de jouir de cette manifestation, de connatre et d'exprimenter le monde dploy par le principe causal. Cette entit n'est pas identique au moi individuel de la personne, mais l'ensemble anim qui prouve consciemment la cration en tant que bonheur, souffrance ou indiffrence, c'est--dire tous les tres.
Cependant, ce jeu de la manifestation est illusoire et trompeur. Il fonctionne comme un stratagme mis en place par le principe causal dans le but d'enchaner les tres, le soi, dans les rets de l'illusion. Le principe causal est donc considr comme pervers, car il cherche la perte des tres.
Lorsqu'un tre, qui est un fragment de l'entit, souhaite connatre quelque chose, le principe causal reconnat ce dsir et produit la manifestation illusoire correspondante. L'individu, prenant pour rel l'objet de son dsir, va jouir de ce qui n'est qu'une tromperie. Il se
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LA CONSCIENCE PAR11EllE
trouve alors distrait de sa vritable essence (l'entit). Il devint pri-sonnier du pige de l'illusion et s'assujettit au principe crateur.
La nature du soi est l'intellect par lequel la personne entre en relation avec les sens. L'intellect est dcrit comme un miroir deux faces : refltant l'image des objets extrieurs et celle de la personne intrieure.
Lorsque l'individu assouvit son dsir de jouir de la manifestation illusoire, il se prend au pige du principe crateur. Tromp, distrait de sa vraie nature, il erre dans le monde conditionn, expprnentant l'illusion et la souffrance.
La mditation
Le matre spirituel explique l'adepte comment la personne est trompe par son dsir de connatre les objets extrieurs, au moyen des sens. Il lui enseigne des techniques de mditation favorisant la concentration de l'intellect afin de le dgager du dsir dirig vers l'extrieur, de le tourner vers l'intrieur et de le rendre sa facult discriminante, capable de percer le voile de l'illusion de la manifes-tation.
Par la mditation, le pratiquant unifie son esprit afin de se sous-traire la distraction projete par le principe causaL
Le fruit Guid par son matre spirituel, le mditant pntre des tats d'ab-
sorption du monde sans forme, dveloppe l'il divin et dcouvre la nature perfide du principe causaL Celui-ci devient honteux de voir sa supercherie vente et retire alors la cration qui se rsorbe en lui-mme.
Ainsi, l'individu reconnaissant sa vritable nature, l'entit, atteint la libration.
Cette conception philosophique comporte des lacunes et des contradictions que seule une foi aveugle peut faire accepter. En ef-fet, comment admettre un principe causal spar de l'entit et qui nanmoins entre en relation avec elle ? Puisque la sparation exclut
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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION
la relation, ces deux conditions sont incompatibles. Ainsi le principe causal et l'entit ne peuvent pas logiquement coexister.
Comment tablir la relation entre l'entit (le soi) et la personne, dcrites la fois comme identiques et spares ? Lorsque la libration. individuelle intervient, cela signifie-t-il que seule la personne concerne se libre et que l'on doive attendre que tous les tres se librent pour que l'entit te soit aussi? Ou bien, est-ce que la libration de la personne quivaut celle de l'entit, c'est--dire de tous les tres?
N'apportant que des rponses partielles et ne dpassant pas ces contradictions, ces systmes introduisent des lments de supersti-tion et ne peuvent tre considrs comme valides.
La conduite
En gnral, dans ce systme, la conduite est base sur l'observan-ce de principes moraux et physiques de puret et d'thique. Par exemple, il est recommand de combattre le dsir qui enchane l'illusion et de s'abstenir de nuire aux cratures qui sont toutes des parties de l'entit.
Cependant, bien que positives, ces rgles conduisent souvent une rigueur excessive qui finit par nuire la personne travers le corps et l'esprit.
Par exemple, consommer des nourritures dlicieuses, c'est risquer de tomber sous l'influence du principe causal, donc il est prfrable de jener. Prendre ce qui n'est pas donn, c'est succomber au dsir et c'est nuire aux tres, donc on prfrera mourir plutt que de tou-cher l'eau d'une source, si personne n'est l pour l'offrir. Porter des vtements, c'est faire le jeu du crateur, donc on ira nu. Ainsi, toute activit mondaine est proscrire, jusqu'au fait de respirer, qui cause la mort d'tres vivants invisibles.
Une discipline aussi rigoriste (comme celle des Jans) conduit l'affaiblissement du corps et de l'esprit et se rvle finalement nfaste la personne et, travers elle, l'entit.
Le Bouddha, aprs avoir pratiqu ce type d'austrits pendant six annes, s'aperut que ces pratiques n'taient pas concluantes. En effet, si elles avaient la vertu de ne pas nuire aux tres, elles mettaient en
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LA CONSCIENCE PARTIELLE
pril la vie et les facults du pratiquant, entravant ainsi son potentiel de libration. Parce qu'elle ne conduit pas l'veil, l'ascse corporelle excessive est rfute par le Bouddha.
Nanmoins, malgr leurs faiblesses et leurs lacunes, ces systmes peuvent tre considrs comme positifs et regards la fois comme les plus proches des positions bouddhistes et les plus pertinents. Ils montrent en effet l'tat de souffrance de l'individu qui adhre la ralit des apparences illusoires.
Leurs vues identifient dans le dsir de jouir des apparnces, la source de l'garement et de la confusion. Elles proposent des moyens de libration de la souffrance par la mditation et l'ascse, qui dgagent la personne de la domination des sens et dveloppent la conscience discriminante.
Ces systmes conduisent la disparition de la confusion lorsqu'in-tervient la rsorption de la manifestation illusoire, par exemple au moment de la mort. Cependant, cette libration n'est pas dfinitive, elle n'est qu'un rpit, produit de l'absorption mditative des tats non-formels. (1)
Pour ces raisons, les tenants de cette cole sont dnomms "Tirthikas" : ceux qui sont sur le seuil.
L'approche thiste
C'est celle de certaines coles Samkhyas et des Brahmanas, Vaish-navas, Shaivas; c'est--dire des adeptes de Brahma, Vishnou ou Shi-va, etc. Tous ces systmes rendent un culte un dieu personnifi.
La vue
Cette approche postule l'existence d'un dieu crateur appel Ishvara, ou Mahadva, le tout-puissant.
(1) Les tats non formels sont le fruit des absorptions mditatives conduisant aux tats divins suprieurs, pinacle du samsara.
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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION
Mahadva est dfini par huit caractristiques. Il est : - unique (indivisible) -permanent - mutable -dieu - digne d'tre honor et respect - pur (c'est--dire.)Jienveillant et compassionn envers les
cratures) - dmiurge - indpendant, omnipotent.
Sa suprmatie est tablie par ces huit attributs ; il est le crateur de toute manifestation phnomnale.
La cration reste extrieure et trangre au crateur et elle dpend de lui. Le crateur demeure spar de sa production et il en est le "superviseur".
Ceci distingue les systmes thistes des prcdents, dans lesquels la manifestation n'tait pas diffrente du principe crateur. Ici, une fois produite, la cration devient autonome et le crateur ne peut la rsorber loisir.
Dans la position thiste, la crature est le produit du crateur. Elle est donc une partie inhrente de la cration et ne peut s'y soustraire. La possibilit d'une entit autonome qui s'affranchit du jeu de la manifestation est ici nie. L'tre est l'individu et il se trouve inexora-blement li au crateur qui juge ses actes. Il entretient avec lui une relation personnelle.
Les tats multiples de l'tre ou de la manifestation dpendent de la volont du crateur et de l'attitude des cratures. Si dieu est satisfait du culte qui lui est rendu par la crature, celle-ci accde aux tats divins. Elle est dite libre. Inversement, si le dieu est offens ou irrit, l'tre est projet dans les mondes infernaux, o il fait pnitence.
Cette approche n'est pas davantage fonde. Le dfaut principal de ce systme rside dans le mystre qui entoure le crateur et son origine. On peut se demander en effet qui a cr le crateur ? cela, aucune rponse n'est apporte.
De plus, les caractristiques de permanence et de mouvement
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LA CONSCIENCE PARTIEllE
sont contradictoires. Comment expliquer, en outre, que le crateur soit la cause de la manifestation tout en tant indpendant et auto-suffisant ? Comment la cration peut-elle procder d'une cause qui lui est trangre ? Comment la crature peut-elle concevoir et connatre le crateur si celui-ci lui est totalement tranger ?
De plus, un crateur tout puissant et des cratures indpendantes de lui sont mutuellement incompatibles .. 0)
Enfin, si ce crateur est anim de bonnes intentions et entretient une relation d'amour et de compassion envers les cratures, com-ment peut-il punir les tres et leur infliger les souffrances des enfers?
Ce point de vue thiste est encore moins acceptable que le prc-dent, car il est fond sur des aberrations reposant sur la seule croyance superstitieuse.
Cette approche est le prototype des cultes rendus Vishnou, Brahma, Shiva et autres formes similaires, dans lesquelles le dmiur-ge demeure extrieur sa cration.
La rfutation d'un de ces systmes vaut donc pour les autres.
La mditation et la conduite
Les adeptes des thories thistes rendent un culte au dieu ext-rieur. Ils cherchent le satisfaire par des offrandes.
Dans certains systmes religieux, ces offrandes sont pures d'un point de vue thique. Dans d'autres religions, elles comportent des sacrifices d'animaux et sont impures cet gard. (2)
Leurs mditations comportent des pratiques tantriques rduites la "phase de cration" (3). L'adepte imagine le dieu, par exemple Mahadva ou une autre divinit, lui adresse des prires, concentre l'esprit sur lui, rcite son mantra, etc. Ces mditations incluent gale-ment diffrents yogas.
(1) du fait de la loi de causalit (voir ci-aprs). (2) Ces diffrences reposent sur des interprtations divergentes des Vdas (critures rvles). (3) Les tantras bouddhistes se composent de deux phases : phase de cration, produc-tion du support de mditation, et phase de perfection, rsorption de celui-ci dans son absence de nature propre (voir page suivante).
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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION
Quelles que soient les techniques employes, elles ne peuvent conduire un rsultat correct, puisqu'elles sont fondes sur un point de vue erron. Elles affirment l'existence de ce qui n'existe pas, la croyance en une entit cratrice existant par elle-mme, soit en tant que crateur, soit en tant que dieu. Dans cette approche, la cause du bonheur et de la souffrance rside dans la relation psychologique qui s'tablit entre le crateur et la crature, galement conue com-me dote d'une existence intrinsque.
Parce qu'ils n'identifient pas correctement l'origine de la souffrance (la saisie d'une entit existante, moi ou soi), ces systmes ne peu-vent pas y mettre fin.
LA DISTINCIION ENTRE LES PRATIQUES TANIRIQVES BOUDDHISTES ET NON-BOUDDHISTES
La description des mthodes utilises dans les voies thistes est souvent source de confusion. Leur forme s'apparentant aux mdita-tions du vajrayana bouddhiste, elles sont htivement assimiles celles-ci par l'esprit non prvenu.
Les techniques tantriques bouddhistes diffrent des prcdentes par le fait qu'elles unissent la phase de cration et la phase de per-fection de la mditation. Les mditations thistes ne connaissent que la phase de cration.
Dans les mditations du vajrayana, la divinit est dveloppe comme une apparence vide, pour tre ensuite dveloppe dans la vacuit. Celle-ci n'est pas la ngation de l'apparence, mais l'essence mme de l'apparence. Ces mthodes permettent de s'affranchir des positions extrmes d'existence et de non-existence.
Nanmoins, une saisie raliste de la phase de cration des divinits tantriques bouddhistes conduirait aux mmes erreurs que les mdita-tions des systmes thistes et des autres systmes bass sur l'extrme de l'existence. Il est donc essentiel de rester conscient de l'absence d'existence intrinsque de la divinit.
Pour cette raison, avant d'aborder les techniques du vajrayana, le mditant doit asseoir sa pratique sur une comprhension correcte de la bodhicitta (l'esprit d'veil), telle qu'elle est expose par Shantideva dans "La marche vers l'Eveil'~ le "Bodhicaryavatara". Il est ncessaire
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LA CONSCIENCE PARTIEllE
de faire une approche juste de la vacuit d'existence intrinsque des phnomnes, telle qu'elle est expose par le Bouddha dans la ''Peifection de Connaissance Transcendante"- la ''Prajna Paramita"-et commente dans les uvres de Nagarjuna (1)
L'ensemble de ces systmes thistes et non thistes est fond sur l'adhsion une conception de la permanence ou de l'existence d'une ou de plusieurs entits : le principe causal, le dieu crateur, l'tre ou le soi, etc. Cette position est rfute comme croyance extrme par le point de vue bouddhiste qui n'admet pas l'existence d'une entit intrinsque, cette affirmation ne relevant pas d'un mode de connaissance correct, mais d'une acceptation aveugle et superstitieuse.
Les systmes matrialistes (nihilistes, atbistes)
C'est l'approche qui, littralement, rejette toute cause la manifes-tation phnomnale. Le monde et les tres sont des productions fortuites qui n'apparaissent d'aucune cause, mais naturellement, d'eux-mmes.
Les Carvakas (hdonistes) affirment : Le lever du soleil, l'coulement des rivires, la rondeur des pois, l'acuit des pines, la beaut des plumes du paon, tout ce qui existe, n'a pas t cr par qui que ce soit mais s'lve de sa propre nature.
Aucune cause n'tant rechercher, la perception immdiate (senso-rielle et mentale) est considre comme la seule valide et ultime. Ni la ralit des phnomnes, ni celle de la conscience qui les appr-hende, ne sont remises en doute.
Tout est le fait du hasard, apparat rellement et sans causes. L'aspect relatif de la manifestation est sa seule ralit. La disparition
(1) pour une discussion approfondie de la diffrence entre tantra hindouiste et boud-dhiste, voir ''Fondements de la mystique tibtaine" du Lama Anagarika Govinda : Connaissance et Puissance, Prajna contre Shakti (pages 126 133) BD. Albin Michel.
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des phnomnes et des tres est un anantissement dfinitif . Ainsi, cette vie ne provient pas d'une existence antrieure, puis-
qu'on ne peut percevoir les existences antrieures. Dans un corps adventice, un esprit adventice apparat. Aprs cette vie, il n'y a pas de vie future, corps et esprit tant une seule et mme entit. Lorsque le corps prit, l'esprit disparat galement.
Puisqu'il n'y a aucune ~ause dterminante, il n'existe pas de rela-tion de cause effet, ni de rtribution. Les actes nuisibles ne produi-sent aucune consquence nfaste et ne sont donc pas proscrire. Les actes positifs sont inutiles puisqu'ils n'engendrent pas le bon-heur, et ainsi de suite. Tout est permis, rien de dpendant de rien. On doit simplement se satisfaire de tout ce qui est plaisant en cette vie, sans dpasser l'exprience immdiate.
Cette approche est le fondement des explications matrialistes de l'univers et de toutes les positions philosophiques, elle est l'un des points de vue les plus grossiers et les plus primaires. Un tel systme porte en lui la justification de toutes les absurdits, de tous les fana-tismes, de tous les aveuglements.
L'aberration principale de cette position est la ngation de la loi de causalit. Si rien ne dpendait de rien, toutes les productions anarchiques seraient possibles. Un grain de bl pourrait donner du riz, ou de l'orge, ou tout autre chose. Les hommes pourraient don-ner naissance des animaux. Inversement, l'esprit tant de nature matrielle, les objets, les pierres, les lments, le monde physique, pourraient aussi tre anims.
Cette position, qui postule la ralit des phnomnes grossiers, est dnomme matrialiste. Parce qu'elle nie toute espce de cause .autre qu'adventice, elle est qualifie de nihiliste. Parce qu'elle rejette la continuit de l'esprit aprs la mort, elle se dfinit comme une doctrine de l'anantissement.
Les systmes cbamanistes noirs
Avant l'introduction du bouddhisme au Tibet, par le khenpo bodhi-sattva Shantarakshita, par le matre Padmasambhava et par le traduc-teur et ministre Teunmi Sambotha, le pays tait sous l'influence de la
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religion Beun primitive et ses sorciers pratiquaient la magie noire. (1) Dans la vision chamaniste, le monde est le fait d'un dmiurge
nomm "Gampo Tcha". Il est peupl d'entits diverses en faveur desquelles sont accomplis des rites propitiatoires. Cette croyance comprend des pratiques qui nuisent de nombreux tres (des sorts, des envotements, des svices physiques et mentaux).
Cette doctrine tait prpondrante au Tibet durant le rgne du premier roi bouddhiste Songtsen Gampo (vers 649 aprs ].C.). Les conversions tant rares, le pays suivait la voie chamanique~. La reli-gion Beun noire ne fut supplante par le bouddhisme qu' l'poque du roi Trisong Dtsen (756-797 ?).
La rfutation valable pour les systmes thistes indiens s'applique bien entendu celui-ci. Ce systme est galement rfutable parce qu'il encourage des pratiques incorrectes chez ses adeptes. Il inclut en effet des pratiques de magie noire, sources de souffrances et de conflits.
Dans ces quatre modles, reprsentatifs des principaux systmes s'tant dvelopps en Inde et au Tibet, se reflte la plupart des rponses proposes par l'humanit la question de son existence.
Ils se rpartissent en deux groupes principaux : -Les systmes fonds sur la croyance en l'existence d'une entit
ou d'un soi permanent, unique, indpendant, crateur de l'univers. Ils regroupent les coles thistes, non thistes et chamanistes. Ces doctrines sont dfmies comme temalistes ou existentialistes, parce qu'elles affirment l'existence intrinsque de ce qui n'a pas d'existence (le soi).
- Les systmes fonds sur la ngation de toute existence et de toute cause. Ils reconnaissent nanmoins la ralit d'un soi pendant la priode de sa manifestation, par exemple la vie humaine de la naissance la mort. Ils sont appels matrialistes ou nihilistes, parce qu'ils nient l'existence de ce qui apparat (le non-soi).
Une autre distinction peut tre tablie entre ces deux types de systmes. Les nihilistes ne reconnaissent d'existence qu'aux objets
(1) Il convient de faire la distinction entre les systmes Beun "blancs" positifs, qui ont subsist jusqu' nos jours, et les systmes "noirs" ayant recours la magie noire.
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directement perus par les sens, niant la validit de la connaissance par infrence. Les temalistes reconnaissent l'existence d'objets cachs la conscience immdiate et rvls, soit par infrence, soit par une autorit scripturale. (1)
On s'aperoit que la distinction entre les positions bouddhistes et les autres systmes n'est pg.s simplement affaire de mots, pas plus qu'elle ne procde d'un fanatisme dogmatique ou d'une croyance non fonde.
Pour qu'une position soit admissible, il est ncessaire que sa vali-dit soit tablie. Cette validit doit tre base sur une approche cor-recte des phnomnes par le raisonnement dductif ou inductif. Elle doit tre ensuite confirme par l'exprience de la mditation et par le fruit qui en rsulte. La connaissance ultime, ne de la ralisation de la voie, est une certitude dfinitive qui confirme les prmices ou le postulat de dpart.
Avant d'adopter une voie spirituelle, on doit s'assurer que la base, le chemin et le fruit sont authentiques et qu'ils conduisent au but authentique : l'tat de connaissance intgrale o toute ignorance et tout obscurcissement ont t limins.
Si une voie prsente de telles caractristiques, quel que soit son nom elle sera considre comme "dharma" (voie) authentique.
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lES CRITRES DE DISTINCTION ENTRE LES APPROCHES BOUD-DHISTES ET NON-BOUDDHISTES
La distinction se fonde sur trois points principaux : - L'enseignant qui est parfaitement purifi de tout obscurcissement,
et qui a compltement panoui toutes les qualits, est appel l'veill, le Bouddha. Il enseigne la doctrine de la production inter-dpendante. Les enseignants qui n'ont pas dissip tout obscurcisse-ment ni dvelopp toutes les qualits d'veil des degrs divers ne
(1) Il est important de bien se pntrer d!" sens, a'!-:del de la termin_ologie, car_ c~lle-ci peut prter confusion : en effet, certames tradttzons non bouddbtStes font ~ife_rence aux termes de "vacuit" et de "non-soi". Mais l'acceptation de ces termes est differente. Par exemple, dans les systmes bindouist~ le term~ "vacuit" d~gne u"!iquement le vide rsultant de la destruction du monde a la fin d une grande ere cosmtque. Pour les Beuns, le "non-soi'' est conu comme essence permanente et rellement existante.
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peuvent tre appels bouddhas ou veills. -L'enseignement ne doit nuire aucun tre. Un enseignement qui
nuit un seul tre ne peut tre qualifi de bouddhiste. -La vue bouddhiste affirme que le soi est vide d'existence perma-
nente, indivisible et indpendante. L'affirmation de l'existence d'un soi, d'une entit permanente, indivisible et indpendante est non bouddhiste.
Par exemple : la pratique des sacrifices animaux nuitc d'autres tres, les pratiques asctiques extrmes nuisent l'individu. Le salut de l'homme qui exclut celui des autres tres n'est qu'une libration partielle.
L'enseignement d'un moi rellement existant renforce le moi indivi-duel et il empche la libration du cycle des existences. L'affirmation d'un nant pur et simple contredit la loi de causalit et l'interdpen-dance des phnomnes. Elle conduit des attitudes qui nuisent aux tres (puisqu'il n'est pas fait de diffrence entre bien et mal).
Une autre distinction entre ces approches peut tre tablie en termes de vue, de mditation, de conduite et de fruit.
LES SYSTMES BOUDDHISTES
La vue
Elle se situe l'cart des extrmes d'affirmation d'un individu considr comme une entit substantielle, distinct des agrgats psychophysiques qui le composent, et de ngation de l'existence d'un individu dsign en dpendance de ces agrgats. (1) Elle est la vue des quatre sceaux (voir page suivante).
La mditation Elle vite les extrmes : tre trop rigide ou trop relch. Elle anni-
hile toute forme de transmigration (renaissance conditionne).
(1) Mme lorsqu 'ils les nient ou les prsentent comme un nant, les matrialistes reconnaissent une existence aux phnomnes, au corps et au moi, pendant la dure de leur manifestation.
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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION
La conduite Elle prserve des extrmes de complaisance sensorielle et d'asctisme
dbilitant, pour les vtements, la nourriture, l'habitat et les remdes.
Lefrnit C'est l'tat de non retour l'abandon dfinitif des obscurcissements
qui causent la manifestatio;;_' de l'individu dans le cycle des existences conditionnes.
LES SYSTMES NON-BOUDDHISTES
Les systmes non bouddhistes sont bass sur la conception d'un soi permanent, indivisible et indpendant. Leur mditation conduit seulement des renaissances suprieures l'intrieur du cycle des existences. Leur conduite tombe dans les extrmes de mortification de soi ou des autres, ou dans la complaisance des sens. Leur fruit est le retour des obscurcissements qui ne sont que temporairement abandonns et qui conduisent de nouvelles renaissances condi-tionnes.
Les points de vue intrieurs (Les caractristiques des systmes bouddhistes) Les quatre sceaux du bouddhisme
Les enseignements bouddhistes sont caractriss par quatre sceaux : - tous les produits (ou phnomnes conditionns) sont
impermanents, - tous les objets contamins (1) sont souffrance, - tous les phnomnes sont dpourvus d'identit, - le nirvana est paix. (2)
(1) Contamins (litt. Zag Pa) signifie entachs de la saisie dualiste d'un suj~t et d'~n obje~ (2) Pour une explication plus dtaille, voir "The way togo" par S.E. Sztou Rznpoche, ou "l'Enseignement du Dala Lama" (Ed. Albin Michel).
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Un bouddhiste est celui qui prend comme source de refuge les trois joyaux ou trois rares et sublimes :
- Le Bouddha: c'est le refuge ultime. Il est la fois l'enseignant, l'exemple et le but.
- Le Dharma : la noble doctrine, la voie qui conduit au but. - La Sangha : la communaut des guides et compagnons
qui montrent la voie.
Toutes les coles bouddhistes reconnaissent la vrit de~la souf-france comme tant la caractristique de l'existence cyclique.
Elles identifient les passions et les distorsions mentales qui s'l-vent dans l'esprit comme origine de la souffrance.
Elles attestent la vrit du fruit, l'au-del de la souffrance, le nitvana qui est pacification de toute souffrance .
Elles soutiennent la vrit du chemin ; par la mditation juste base sur une comprhension juste, le fil de la voie est tenu et conduit au rsultat : l'au-del de la souffrance.
L'ensemble des enseignements bouddhistes se dcompose en quatre coles :
~ Vaibhasika (Tchdra Mawa) Hinayana~ ~ Sautrantika (Do Dpa)
< Cittamatra (Sem Tsampa)
Mahayana Madhyamaka (Oumapa)
Les systmes du petit vhicule (hinayana)
Ce sont ceux dfendus par les "Auditeurs" (appels Sravakas en sanscrit), premiers disciples historiques du Bouddha Shakyamouni.
On les dfinit comme des systmes ralistes. Ils se subdivisent en deux coles : les Vaibhasikas, c'est--dire les particularistes quelque-fois dnomms atomistes, et les Sautrantikas, ceux qui suivent l'ensemble des soutras, c'est--dire les enseignements exotriques du Bouddha.
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LES VAIBHASIKAS (Tchdra Mawa)
La vue
Les Vaibhasikas ne reconnaissent pas le monde et les phnomnes grossiers comme existant intrinsquement d'un point de vue ultime, mais comme tant un agrgat, c'est--dire une runion d'lments distincts n'ayant qu'une eXistence relative. Les phnomnes grossiers sont composs de particules infinitsimales, indivisibles, d'atomes, au sens propre du terme. Ces atomes constituent le niveau d'existence des phnomnes. Ils sont les plus petites particules, les lments les plus subtils Oes seuls identifis comme existant intrinsquement), dont la combinaison structure et ordonne les phnomnes plus gros-siers tenus pour non-existants en tant que tels.
L'univers, le monde phnomnal extrieur n'a pas ici pour cause originelle un principe crateur ou un dieu, mais des particules infini-tsimales qui, en fonction de leur nature et de leurs combinaisons constituent les lments tels que le feu, l'eau, la terre, l'air, etc. don~ l'interaction donne naissance la multiplicit de la manifestation (1).
La relation entre l'objet extrieur et la conscience intrieure s'ta-blit par le biais des sens, en tant qu'exprience des formes, des sons, des odeurs, etc. Ces derniers conditionnent les sensations de plaisir, de dplaisir et d'indiffrence qui, leur tour, provoquent les diffrents mouvements de l'esprit : l'attraction vers ce qui est peru comme agrable, le rejet de ce qui est dsagrable, l'ignorance de ce qui est neutre .
Ce qui exprimente et connat ces perceptions, c'est l'tre ou litt-ralement: celui qui est pourvu d'un esprit. L'erreur que commet l'es-prit, c'est de s'identifier un soi et de croire sa propre ralit de manire grossire, de se saisir comme entit. Sur la base de cette
(1) L'organisation de ces particules en un champ de manifestation n'est pas le fait d'une cause immanente, mais le produit du karma des tres. Le karma est donc
~o~g~ne d~ fJPe de mo"!de expriment par chaque tre. De mme, la ralit de l'esprit znten.eur reszde dans l'znstant de conscience infinitsimal, indivisible. Les Vaibhasikas accordent une existence intrinsque ce plus petit instant simple : l'esprit n'est que la succession d_e ces insta1'!-ts infinitsimaux et donc n'existe pas en tant que tel, sous son
aspec~ g_rossz~ _o~ relatif}eul, l'instant de conscience immdiat, isol de l'instant pas-se quz la precede et de l znstant futur encore non advenu, est dclar rellement exis-tant; c'est l'instant simple, indivisible.
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LA CONSCIENCE PART1ELLE
fixation subjective se dveloppent l'attachement et la dpendance envers l'objet. De l s'lvent les passions, sources de confusion et d'garement. La rptition d'actes errons issus de ces passions d-termine et entretient l'errance du samsara.
Le conflit entre le bonheur et la souffrance provient du contact entre l'esprit et l'objet peru par l'intermdiaire des facults senso-rielles.
Les Vaibhasikas dcrivent ce contact comme tant direct. Ainsi, la conscience visuelle est dite "conscience apprhendant dfrectement les formes". C'est l'aspect plaisant, dplaisant ou neutre de la forme qui est la source de l'attachement, de la rpulsion ou de l'indiffrence de l'esprit.
Les Vaibhasikas montrent que la souffrance provient de l'identifi-cation de l'esprit discursif aux phnomnes grossiers. Nanmoins, ils affirment l'existence de particules infinitsimales et d'instants de conscience indivisibles. Ils reconnaissent aussi qu'un contact direct s'tablit entre la conscience qui peroit et l'objet peru.
C'est ce dernier point que vont rfuter les Sautrantikas.
lES SAUTRANTIKAS (Do Dpa : ceux qui suivent les soutras)
La vue
Tout comme les Vaibhasikas, les Sautrantikas affirment l'existence de particules infinitsimales et d'instants de conscience indivisibles. Ils reconnaissent aussi dans la saisie fallacieuse d'un soi, l'origine des perturbations mentales et des expriences de plaisir, de dplaisir, de souffrance, etc.
Le point de divergence rside dans l'interprtation de la relation entre les objets extrieurs et la conscience intrieure.
L'objet est matire, il est substantiel et inanim, alors que l'esprit est conscience connaissante, immatrielle et anime. Etant de natures diffrentes, un contact direct ne peut s'tablir entre eux. En effet, pour qu'un contact direct soit possible, il est ncessaire que les deux termes de la polarit soient de mme nature. Ainsi, un esprit imma-triel ne peut connatre un objet matriel directement, mais seulement
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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION
travers une reprsentation mentale. De mme, l'objet substantiel ne peut apparatre rellement la conscience. Ce n'est que son image mentale qui est reflte.
La notion de perception directe des objets par la conscience se trouve rfute.
Selon cette approche, l'esprit est semblable un miroir sur lequel viennent se reflter les objets des sens. Ce n'est pas l'objet lui-mme qui est peru par la conscience, mais seulement son image. Par exemple, la forme reflte n'est que l'apparence de l'objet qui se "dessine" sur le miroir de l'esprit, elle n'est qu'une image mentale que la conscience saisit comme relle et indpendante.
Par l'adhsion cette perception illusoire, l'esprit est attir vers les images plaisantes et rejette celles qui lui apparaissent comme dplaisantes. Ce faisant, il renforce la saisie dualiste et perptue l'exprience du monde conditionn, ce qui a pour effet d'accrotre le pouvoir de l'illusion et, corollairement, d'augmenter l'activit des distorsions mentales.
Pour les Sautrantikas, la vraie nature de l'objet est considre comme "cache" ou "invisible"; c'est--dire invisible pour la cons-cience qui ne peut l'apprhender directement. L'objet possde cependant une ralit intrinsque Cil est compos de particules infi-nitsimales) qui, bien que clairement manifeste, demeure trangre l'esprit confus incapable de la percevoir.
La mditation
Vaibhasikas et Sautrantikas pratiquent les mditations de pacifica-tion mentale et de stabilisation de l'esprit. Par l'absorption maintenue (samadhi du "non-soi"), ils anantissent l'ennemi: l'obscurcissement des distorsions conflictuelles. L'esprit pntre alors le samadhi "pur" (absorption maintenue sans coulement) (1) et ils atteignent l'tat d'arhat (destructeur de l'ennemi) : le sarnsara est abandonn et la libration des morts et des renaissances obtenues.
Cependant, la limite de ces systmes rside dans la vision matrialiste
(1) Sans coulement: sans mouvement du sujet vers l'objet.
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L4 CONSCIENCE PARTIELLE
qui reconnat une existence inhrente aux plus petites particules composant les objets matriels. Ce qui oblige conclure que, lors-que les tres atteignent l'veil, l'univers physique reste ce qu'il est, semblable un rcipient vide, conservant une existence autonome.
Cette conception, qui spare le monde inanim des tres anims, est insuffisante. Du fait de la subsistance d'une saisie matrialiste subtile, au terme des voies suivies par les Vaibhasikas et les Sautran-tikas, le plein et parfait veil n'est pas obtenu. Le voile du connaissa-ble n'a pas t dissip et ne le sera qu'en empruntant le vhicule des paramitas (1).
Nanmoins, la ncessit d'liminer ce reste d'obscurcissement l'omniscience de l'tat de bouddha sera reconnue par l'arhat lors de son veil. Exhort par les bouddhas, il continuera son dveloppe-ment spirituel jusqu' l'veil ultime.
Cette approche, fonde sur une notion d'espace-temps infinitsi-male, ainsi que la description de la relation entre le sujet et l'objet, sont rapprocher de certains courants scientifiques occidentaux (2).
Le fruit
Ces deux systmes considrent que les phnomnes sont non existants sous leur aspect grossier. Cette comprhension conduit la reconnaissance de l'absence d'existence de l'individu, la notion du soi individuel tant fonde sur l'identification au phnomne que constitue la personne.
Cette individualit, ce moi, n'est qu'une combinaison d'agrgats psycho-physiologiques dpourvue d'existence indpendante. Par la mditation, le non-soi de l'individu se trouve ralis et l'affranchisse-ment de la souffrance est obtenu.
Parce qu'elles conduisent l'limination de la souffrance (le cycle des existences), par la suppression de ses causes (la saisie goste et
(1) La limitation de l'veil des arhats tient en ce que la tllit des phnomnes n'tant pas ralise, la connaissance primordiale ne peut se dployer, s'panouir compltement. (2) A rapprocher seulement car ces courants de recherche ne reconnaissent pas le karma comme dterminant la structure et l'organisation des particules d'espace-temps dans un univers donn.
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L'ESPRIT SOURCE DE L4 CONFUSION
les passions), ces voies sont correctes. Elles furent enseignes par le Bouddha afin de guider progressivement les tres qui ne pouvaient apprhender directement la vacuit d'existence des phnomnes et qui, en niant la validit de cette approche suprieure, auraient dvelop-p des vues errones. Pour ne pas les dtourner de l'veil, le Bouddha choisit de prsenter une explication relative et gradue, permettant une pntration progress~e des diffrents degrs de la ralit.
Les limites de l'enseignement ne sont que le reflet des limitations propres aux tres et s'inscrivent dans une voie douce de dveloppe-ment de leur potentiel. Ceci est la marque de la compassion de l'en-seignement envers les disciples (1).
Cette prsentation est donc relative et demande tre interprte. Elle constitue un des moyens habiles qu'utilisent les bouddhas pour conduire les tres l'veil, selon leur capacits.
L'approche du grand vhicule ( mahayana)
Le grand vhirule est celui qui expose le sens dfinitif de l'ensei-gnement des bouddhas (Gn Teun).
La vritable cause, d'o sont issus la manifestation phnomnale et les tres eux-mnies, n'est autre que l'esprit sous l'emprise de l'ignorance.
Ce que nous appelons "ralit" n'est qu'une dimension illusoire produite par l'esprit. L'esprit confus est celui qui ne reconnat pas sa propre cration dans le jeu de la manifestation et se spare d'elle en l'investissant d'une existence indpendante. L'intgralit de l'esprit se rduit en une conscience partielle, en un sujet soumis une exprience qui lui semble venir de l'extrieur.
En ralit, ce "monde extrieur" n'est autre que la manifestation que l'esprit projette et dont il est le spectateur. En fonction des pr-(1) Un bouddha dispose de la sagesse et des moyens habiles grce auxquels il rvle la nature de la ralit d'une manire qui s'adapte paifaitement aux dispositions mentales, aux facults et aux aspirations de chaque tre. Ceci est le propre des qualits inhrentes l'veil.
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LA CONSCIENCE PAR11ELLE
dispositions karrniques et des tendances latentes portes maturit, cette manifestation s'exprime sous forme des diffrents champs d'exprience sensorielle : humain, animal, infernal, divin, etc.
Rfutant les systmes ralistes, le mahayana prsente toute mani-festation (anime ou inanime) comme tant le produit de l'esprit, car celle-ci ne peut tre :
- ni le produit d'elle-mme, - ni le produit d'une cause trangre elle-mi:ne, - ni le produit des deux la fois, - ni le produit d'aucune cause.
Si une chose tait le produit d'elle-mme, elle serait dj existante avant d'tre produite, sa production serait alors inutile, ou bien elle se produirait sans cesse.
Une chose ne peut pas tre le produit d'une cause trangre elle-mme. Si cette chose n'existe pas, "l'autre", trangre, ne peut pas exister davantage. En effet, l'autre n'apparat qu'en dpendance de la premire, "toi" n'existe que par rapport "moi". Si l'un des termes relatifs manque, les deux sont nis et il n'y a plus de relation entre l'un et l'autre. Si le monde n'existe pas par lui'-mme, il ne peut pas tre le produit d'une cause qui lui est trangre. Si la cause lui est trangre, elle ne peut pas le produire, l'effet tant imput la cause.
Le monde ne peut tre la fois le produit de lui-mme et d'une cause trangre. Chacune de ces ventualits ayant t dmontre comme absurde, leur combinaison est par l mme rfute.
Une chose ne peut tre produite sans cause, car cela irait l'en-contre de l'exprience directe des phnomnes.
Tout serait issu de tout, de manire anarchique et sans raison. Un enfant pourrait natre sans parents, les humains pourraient engen-drer des animaux, un grain de bl donnerait du riz, etc. Les phno-mnes s'lveraient sans cesse, sans cause. Cette assertion est une absurdit contredite par l'exprience. Aucun phnomne ne peut apparatre sans cause, tout effet est le produit d'une cause, c'est une loi intangible. S'il n'y avait pas d'esprit, l'esprit ne pourrait jamais tre produit.
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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION
Cette dmonstration conduit la conclusion que le seul mode de production qui soit acceptable en dernire analyse, est l'interaction d'lments relis les uns aux autres, dont la combinaison s'organise en un tout; c'est la production interdpendante.
LES DEUX VRITS
Par exemple, qu'est-ce qu'une maison? C'est l'ensemble des murs, des piliers, des portes, du toit, etc. Ces lments sont eux-mmes une runion de parties constitutives et forment des ensembles que l'on dsigne des termes "mur" ou "porte". De mme, tous les phnom-nes sont composs d'lments interdpendants, c'est--dire qui d-pendent les uns des autres pour apparatre. En ce sens, on peut dire que tous les composs ne sont pas rellement existants, tant la ru-nion departies qui se subdivisent elles-mmes en d'autres parties. Ain-si, la maison n'est pas "vraie" ou rellement existante.
La continuit de l'esprit n'a pas plus d'existence. On applique le concept "d'esprit" une combinaison de moments de conscience qui sont tous dpendants les uns des autres, c'est--dire dpendants d'un pass, d'un prsent ou d'un futur. De la mme manire, le corps physique n'est pas rellement existant, car "corps" n'est que le nom donn la runion des membres, du tronc, des organes, etc.
C'est pourquoi, puisque tous les phnomnes sont composs de parties interdpendantes, on peut conclure qu'ils ne sont pas exis-tants du point de vue de la vrit absolue.
Cependant, ces phnomnes ont une existence relative : ils sont clairement manifests. lls participent d'une ''vrit" relative objective. Ainsi, nous avons tous conscience de nous trouver dans un ensem-ble compos de murs, de portes, de fentres, d'un toit, que nous identifions sous le terme de "maison". Cette connaissance commun-ment reconnue constitue la perception correcte du point de vue re-latif; elle est la vrit de l'existence conventionnelle de l'objet. Mais du point de vue ultime, l'objet est dpourvu d'existence intrinsque. C'est sa ralit. C'est la vrit absolue.
n en va ainsi de tout phnomne :il possde un degr d'existence
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LA CONSCIENCE PARTIELLE
du point de vue conventionnel, qui est appel vrit relative ou ap-parente et il est simultanment non existant en tant que tel. Cette "tellit" est la vrit ultime, c'est celle de l'essence.
Les phnomnes ne s'levant qu'en fonction d'une interaction avec d'autres phnomnes, ils sont dclars interdpendants. Leur essence est vide, semblable au reflet de la lune sur l'eau, leur mani-festation illusoire, c'est--dire dnue d'existence intrinsque (1).
LA RELATION ENTRE LA VRIT RELATIVE ET LA VRIT ULTIME: NON IDENTIT, NON DIFFRENCE
Si ces deux vrits taient une seule et mme chose, cela impli-querait ncessairement qu'en voyant l'une, on verrait l'autre en m-me temps. Ceci n'est manifestement pas le cas : on peroit la vrit des apparences relatives, mais la vrit ultime chappe notre ap-prhension directe, immdiate.
Si elles ne sont pas une seule et mme chose, alors sont-elles dif-frentes ? Pour qu'elles soient diffrentes, il faudrait admettre que chacune d'elle existe indpendamment de l'autre, que chacune est une entit existant en elle-mme, sans relation avec l'autre.
Si l'on observe la vrit relative des apparences la lumire de la vrit ultime, on constate que la vrit relative n'existe pas en elle-mme et que sa tellit, sa vraie nature, n'est que la vrit ultime : l'apparence est indissociable de la vacuit essentielle. Etant dpen-dantes l'une de l'autre, ces deux vrits ne sont pas diffrentes.
Bien que n'tant ni identifiables ni diffrents, les deux niveaux d'existence des phnomnes ne sont pas rfuts.
Chaque vrit est valable en elle-mme : - Du point de vue relatif, les apparences fonctionnent infaillible-
ment selon la loi de causalit (une cause donne dtermine un r-sultat donn).
- Du point de vue absolu, la ralit des phnomnes rside dans leur mode d'tre ultime.
(1) L'apparence de la lune dans l'eau n'est pas la vraie lune; l'essence vritable de la lune n'est pas son reflet.
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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION
Les phnomnes ne sont pas vrais car, bien qu'apparaissant de faon relative, leur existence ultime ne peut tre tablie. Ils sont vi-des. La: vrit ultime tant au-del du champ d'exprimentation de l'intellect, la manifestation qui en est le produit, la vrit relative, ne peut tre rfute par une assertion mentale, elle-mme relative. Il en rsulterait que les deux vrits s'excluraient mutuellement, alors qu'elles s'impliquent l'un-e et l'autre.
C'est l'essence vide (la vrit ultime) des phnomnes qui rend leur manifestation possible (c'est--dire leur transformation : l'appari-tion, l'existence et la disparition). C'est parce que les phnomnes se manifestent en mode illusoire (la vrit relative), que leur nature essentielle peut tre tablie.
Ainsi, en dernire analyse, la seule affirmation possible concernant la vrit des phnomnes est de dire qu'ils sont semblables des apparitions magiques ou des reflets dans un miroir. Par exemple, le tigre que fait apparatre le magicien n'est pas "inexistant", puis-qu'il apparat et qu'on peut le voir ; mais il n'est pas non plus "exis-tant", car il n'est pas un vrai tigre, il n'est qu'une cration du magicien. De mme, l'image qui apparat dans le miroir n'est pas "vraie" car elle n'est pas rellement la chose, mais son reflet. Elle n'est pas "fausse", car elle apparat. Tous les dharmas sont semblables ces images ou ces crations illusoires. Bien qu'ils apparaissent et qu'ils soient saisis par la conscience, ils sont cependant dnus d'existence propre.
Pour une conscience qui apprhende correctement la "ralit", toutes les manifestations phnomnales sont connues comme s'le-vant de l'esprit. Cette connaissance peut s'obtenir de deux manires par l'investigation et par la mditation.
La comprhension de la nature des phnomnes peut apparatre comme le rsultat d'un processus analytique et logique. C'est l'appli-cation de la comprhension de la production interdpendante. Elle peut s'oprer soit par une suite de dductions, comme par exemple le fait de constater que nous sommes en bonne ou mauvaise sant en scrutant l'image de notre visage reflte dans le miroir, soit par l'infrence qui nous permet de connatre l'existence du feu la vue de la fume.
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LA CONSCIENCE PART1ELIE
Le mode de connaissance indirecte est dfini comme l'approche infrieure, car elle ne dpasse pas le domaine de l'intellect. Elle n'est qu'une description de la ralit, qui n'est pas la ralit elle-mme. Elle demeure d'ordre relatif et ne transcende pas la dualit sujet/ob-jet, ce qui est observ restant dpendant de l'observateur.
l'approche analytique et logique, on peut opposer un autre mode de connaissance : la comprhension directe, intuitive et immdiate, fruit de la pratique de la mditation. C'est de cette relation concrte que s'lvent les expriences et les ralisations successives de la nature de toutes choses.
La mditation constitue la voie suprieure, car elle est perception directe, connaissance immdiate, non-duelle, de la nature de tous les phnomnes. Elle est fonde sur la reconnaissance de la nature originelle, par cette nature elle-mme. Seule cette connaissance est vritablement intgrale, dfinitive et ultimement valide .
Temporairement, il est ncessaire d'utiliser l'outil de la connais-sance indirecte, par des mthodes d'investigation correctes, afm d'tablir une base de comprhension juste concernant la nature de l'esprit, des tres et des phnomnes (expliquant, par exemple, pour quelles raisons les phnomnes et les tres sont semblables une illusion magique). Cette base soigneusement prouve par un raisonnement pertinent constitue le fondement de la pratique.
Cet acquis intellectuel doit ensuite tre mis l'preuve de l'exp-rience directe de la mditation. C'est cette seule condition que la comprhension initiale pourra tre vritablement intgre, reconnue et dfinitivement confirme.
Par l'effort individuel soutenu et persvrant, la connaissance int-grale est finalement obtenue. Cette obtention ne peut s'acqurir par des moyens intellectuels ou matriels. Elle ne peut tre connue par la seule tude, mais se rvle comme le fruit de la mditation (1).
(1) Ceci montre qu'en fait ces deux types de connaissance ne s'opposent pas, mais sont des tapes ncessaires et complmentaires. Par l'coute.et la contemplation rflexive, le pratiquant acquiert une comprhension juste, au moyen de prajna (Shrab), la sagesse suprme ou sagesse transcendante. Par la mditation, cette comprhension devient ralisation de la nature mme de cette sagesse, jnana (Ysh), connaissance primor-diale. Si la vision de la fume n'est pas le feu lui-mme, elle en est le signe et conduit sa dcouverte.
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L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION
Par la combinaison, d'une part, de la confiance, de la compassion, de la dtermination, de l'application et de l'nergie du mditant et, d'autre part, de l'exprience, de la bienveillance, de la sagesse, de la grce, des mthodes habiles et de la ralisation de l'instructeur spiri-tuel, le fruit sera vritablement got.
Il appartient chacun de se dgager des rets de l'ignorance. Il dpend en effet de nou~, de nous familiariser avec les techniques de mditation et surtout de les mettre en pratique sous la direction d'un matre qualifi, pour que soit connue l'exprience de l'esprit instan-tan, non conceptuel, immuable, connaissance radieuse et bienheu-reuse, dcrite par les tres veills de tous les temps.
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L'apparence ne de l'esprit
Ainsi, la seule explication acceptable de l'origine du monde ph-nomnal est celle de l'esprit en tant que base permettant l'apparition de toute manifestation. Il reste dfinir comment fonctionne cette production des phnomnes par l'esprit.
D'une faon gnrale, tous les phnomnes dpendent de causes et de conditions. (Gampopa)
Si l'esprit reprsente la cause fondamentale, la base ou le potentiel d'apparition des phnomnes, leur manifestation effective dpend de trois causes secondaires ou conditions.
La condition causale C'est la conscience base de tout (alaya vijnana). Elle est le substrat
d'o s'lvent toutes les productions mentales par le biais du mental perturb ..
La condition matresse Elle rside dans les cinq organes sensoriels : l'il, l'oreille, le nez,
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LA CONSCIENCE PARTIELLE
la langue et le corps (1), ainsi que dans les cinq conscienc~s (2) qui leur sont lies (conscience visuelle, auditive, etc). Ces consciences sont associes au mental immdiat.
La condition objective Elle est constitue par les formes, les sons, les odeurs, les gots,
les objets tangibles, dont la perception, par les organes et les cons-ciences sensorielles est appele contact.
Si l'objet peru est reconnu comme agrable et source de plaisir il_ s~ra _attir et l'motion du dsir-attachement s'lvera dans l'esprit: S1 1 objet est peru comme dsagrable et facteur de souffrance il sera repouss et l'motion de haine-aversion s'lvera. Si l'objet ~st peru comme neutre, il engendrera l'indiffrence, il sera ignor ou dlaiss et l'motion de l'opacit mentale se dveloppera.
Pour que le contact puisse s'tablir, il est ncessaire que les objets perus et la conscience qui peroit, soient de mme nature ou que leurs manifestations respectives soient dpendantes l'une de l'autre. Tout comme dans l'exemple de la fume qui s'lve du feu, il existe une relation d'identit de nature. Dans le feu, base partir de la-quelle apparat la fume, la manifestation, la fume, est prsente comme potentiel inhrent au feu, sa prsence est le signe de celle du feu.
Il existe deux possibilits : soit l'objet est une manifestation dpendante de la conscience partir de laquelle elle apparat soit la manifestation de la conscience est dpendante de la pr;ence d'un objet partir duquel elle apparat.
(1) Le corps en tant.qu 'il permet, par la peau et les muqueuses, la sensation du toucher. (2) Les cznq conscumces s~orielles de l'il, de l'oreille, du nez, de la langue, de la pe"!_u, correspondent respecti~ement aux facults de la vue, de l'oue, de l'odorat, du gout, du toucher. Ces facultes permettent respectivement d'apprhender les objets sui-vants : ~formes, les sons, les odeurs, les saveurs, les sensations tactiles. La c?~cumce rrzB?Ztale, de nature "sensorielle'~ est traditionnellement considre comme la s:xzeme C?_nscze;nce. C'est elle qui ressent les oey'ets mentaux comme des sensations agre_ables, cfesagreables, ou neutres. C'est la facult de la pense sous sa forme la plus rudzmentazre. Le ~ta} imr:zdiat, ou "immdiatet du mental'; correspond la facult (du) mental(e) quz sazszt et elabore ~es, concepts. On pourrai~ dire aussi que c'est la facult complexe de penser. n est aUS? l espa
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' ; LA CONSCIENCE PART1ELLE
qui ne peut tre dcompose en d'autres lments constitutifs. Si elle ne peut tre divise, cela implique qu'elle est dpourvue de faces, de cts ou de parties directionnelles permettant de lui adjoindre une ou plusieurs autres particules infinitsimales. Ce qui revient dire que, lorsque les particules se rencontrent, elles s'int-grent et sont alors confondues, d'o l'impossibilit pour elles de for-mer des composs : ne pouvant s'agglomrer les unes aux autres, elles ne forment jamais une somme (1).
Pour se combiner avec d'autres, cette particule doit possder des parties directionnelles (dessus, dessous, devant, derrire, droite, gau-che, etc), en fonction desquelles viennent se positionner d'autres particules. Elle n'est plus alors simple ni indivisible, mais compose de ces lments ou parties directionnelles.
Dans le premier cas, si les particules se confondent, que reste-t-il de leur substantialit ? De quoi la nature se compose-t-elle? Dans le second, si les particules peuvent tre dcomposes l'infini, que reste-t-il comme matire existante ?
Par ce raisonnement, nous pouvons conclure l'inexistence des particules infmitsimales substantielles constitutives des phnomnes. Si les phnomnes composs sont dpourvus d'existence matrielle intrinsque, c'est qu'ils sont des produits mentaux. Au niveau relatif, ils apparaissent en mode illusoire et sont perus comme matriels par l'esprit soumis la confusion. Au niveau ultime, tant composs de particules n'ayant pas d'existence matrielle intrinsque, ils ne sont que des manifestations mentales dpendantes de l'esprit. Seul l'esprit confus les exprimente comme dots d'une existence ind-pendante.
C'est un peu comme l'enfant qui rve qu'il construit un chteau de sable. Il y porte tellement d'intrt que tous les lments qui composent le chteau sont prsents sa conscience. Il peut mme voir les grains de sable et prouver la sensation que procure leur toucher, suivre tout le processus de construction et mme connatre la satisfaction de voir son ouvrage achev. En vrit relative, il ressent
(1) Selon cette explication, ou bien la somme de toutes les particules n'est jamais sup" rieure une particule initiale et ne peut donner naissance des phnomnes composs, ou bien tous les phnomnes ne sont qu'une seule particule. Comment expliquer alors la constitution de particules de natures diffrentes ?
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L'APPARENCE NE DEL 'ESPRIT
en effet tout cela, mais du point de vue ultime, toutes ces percep-tions, y compris l'existence des grains de sable, sont illusoires puis-qu'oniriques. Toute l'exprience n'est qu'une succession d'images mentales qui apparaissent dans la conscience.
Ces raisonnements, valables pour les formes, s'appliquent gale-ment aux objets perus par les autres facults sensorielles : sons, odeurs, gots, objets tactiles ; ceux-ci sont semblablement dpourvus d'existence indpendante de la conscience qui les saisit. Ils ne sont que des crations mentales issues de l'esprit dualiste qui les investit d'une ralit extrieure lui-mme. En rsum, tout objet ext-rieur est caractris par la conscience qui l'apprhende.
Enfin, traitons des objets mentaux proprement dits, c'est--dire de ce que recouvre le champ d'activit de la conscience mentale : l'identification des objets et leur dnomination par un concept ou un terme, l'intgration au plan mental d'une perception sensorielle, ou le processus de jugement qui nous permet de dcrire et d'apprcier les caractristiques de tout objet des sens. Lorsque nous voyons un objet transparent en forme de contenant, nous l'identifions et le nommons "verre". Mais cette dnomination n'est pas universelle-ment valable. Un chien ne se dira srement pas : "tiens, voil un verre!" Sa perception de l'objet sera diffrente et il lui donnera en tous cas un autre nom !
Ces concepts n'ont pas d'existence en soi, pas plus que les objets mentaux auxquels ils s'appliquent. Ils ne sont que des fabrications de la conscience mentale. Le jugement port par l'esprit : agrable, dsagrable, indiffrent, n'est pas inhrent l'objet lui-mme, mais il est le fait d'une interprtation, d'une lecture particulire de l'objet mental. Par exemple, la vue d'une tigresse reprsente un objet atti-rant pour un tigre mle. Un homme ne jugera pas en ces termes, mais prouvera plutt de la crainte.
Si la qualit de l'objet avait une existence relle et indpendante, elle serait connue de manire permanente et identique. Jugement et identification ne sont que le produit des diffrents conditionnements mentaux des tres. La diversit des apparences est due une multi-tude de processus mentaux individuels, issue des conditionnements latents propres chaque tre.
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L'esprit non-n
Comme nous l'avons expliqu au chapitre prcdent, les phno-mnes n'existent qu'en dpendance les uns des autres : le moi n'existe que par rapport l'autre, la droite par rapport la gauche, le bon par rapport au mauvais. Il ~n va ainsi de tous les termes de la dualit : chaud, froid, long, court, haut, etc.
Pour la mme raison, si les objets de la connaissance, les phnomnes extrieurs, ne sont pas intrinsquement existants, la connaissance, l'esprit intrieur qui les apprhende, ne peut l'tre davantage. Si la forme extrieure est dpourvue d'existence, l'esprit qui l'apprhende travers l'il et la conscience visuelle, est galement inexistant. L'esprit percevant tant la somme des consciences sensorielles, il est de la mme nature que ce qu'il peroit.
Ceci est valable pour la conscience en gnral, mais aussi pour chacune des consciences sensorielles (1) particulires. Si le son est
(1) Les six consciences sensorielles sont celles qui sont cites prcdemment, plus la conscience mentale qui possde, comme on l'a indiqu ci-dessus, la facult de ressentir comme attirants, repoussants, ou indijfrents, les objets mentaux. Parfois le texte parle de cinq consciences sensorielles, plus le mental. Parfois il men-tionne six consciences sensorielles. Dans le premier cas, la conscience mentale est im-plicitement incluse dans le mental. Dans le deuxime, ils sont distingus.
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LA CONSCIENCE PARTIELLE
dpourvu d'existence intrinsque, la conscience auditive en est ga-lement dpourvue ; si l'odeur n'existe pas, la conscience olfactive n'existe pas et ainsi de suite. Par la rfutation des cinq agrgats, sup-ports de la manifestation sensorielle, c'est l'ensemble du champ de la perception sensorielle qui se trouve rfut, incluant ce qui est peru : l'objet, et ce qui peroit : les consciences qui saisissent les formes, sons, odeurs, gots et objets tactiles. ll en va de mme pour les objets mentaux et pour la sixime conscience qui identifie ces objets sur le mode de la sensation mentale ( partir de laquelle s'lvent l'attrac-tion, la rpulsion, l'indiffrence). Ces objets tant dpourvus d'exis-tence en soi, la conscience qui les prouve, l'est galement.
Aussi pouvons-nous conclure que tous les aspects de la manifes-tation sont dpourvus d'existence propre. En essence, ils procdent de la nature de l'esprit ; en d'autres termes, les formes, les sons, etc, ne sont que des productions de l'esprit (ils en sont les projections). Du point de vue de la vrit ultime, ils sont vides, c'est--dire d-nus d'existence propre ; en vrit relative, leur mode de fonction-nement est celui de la gnration interdpendante. Ce qui signifie que la production de la manifestation est rgie par l'interaction de causes et de conditions dpendantes les unes des autres.
N'tant le produit ni d'eux-mmes, ni de causes trangres, ni de la combinaison de ces deux, ni n'apparaissant sans cause, ils sont seulement l'esprit dans le sens o l'esprit est le terrain fondamental de leur manifestation. Tout comme les images oniriques ne sont que des fabrications du mental, dnues d'existence "relle", tous les phnomnes ne sont que des productions mentales dpourvues de spcificit. Leur nature, qui est d'tre sans essence, ou vide, est la base partir de laquelle ils apparaissent et y sont rintgrs, sembla-bles des hallucinations passagres.
Il est ncessaire d'tablir en premier lieu cette comprhension que toute manifestation, qu'elle soit confuse (samsara) ou veille (nirvana), appartient la nature de l'esprit et elle seule car, en essence, sa ralit objective ou substantielle ne peut tre tablie.
En consquence, il faut admettre que si la manifestation, produit de l'esprit, est dpourvue d'existence, l'esprit qui en est la cause l'est
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L'ESPRIT NON N
galement. Leur nature tant essentiellement identique, l'esprit est lui-mme non existant, vide, non produit, non cr.
Cette reconnaissance doit tre conduite pas pas, par un processus d'analyse progressive. tay par la pratique de la mditation, afin d'tre convenablement intgre.
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Les huit consciences, causes et conditions de la confusion
Ce que l'on nomme du terme gnrique "esprit", recouvre en fait huit consciences (1). Afin de comprendre la nature fondamentale de l'esprit, base du samsara et du nirvana, il est ncessaire de connatre le fonctionnement de l'esprit samsarique, c'est--dire d'tablir une perception correcte de la faon dont causes et effets s'enchanent et apparaissent dans la production interdpendante. Ce mode de fonc-tionnement s'inscrit dans les huit consciences.
Ces consciences sont dfinies comme fragmentaires, ce que reflte le mot tibtain namsh, contraction de nampar shpa. Nam ou nampa signifie aspect, partie, fragment. Shpa signille connatre, connaissance, tre conscient de. Namsh indique une connaissance ou conscience fragmentaire, distincte de la ralit, somme de cons-ciences particulires qui ne saisissent qu'un aspect, qu'un secteur de la ralit. Le terme ysh, au contraire, dsigne la conscience, sh, primordiale, y, c'est--dire la connaissance intgrale, naturelle, inhrente, prsente depuis toujours comme le fondement de l'esprit, consciente par nature de la ralit de toute chose.
(1) Les huit consciences auxquelles il est fait rfrence sont les six consciences que l'on vient d'voquer, plus le mental immdiat, plus la conscience de base, l'alaya. Le mental immdiat assure la liaison et une sorte de continuit entre les six consciences sensorielles, changeantes, et l'alaya, stable.
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LA CONSCIENCE PARTIELLE
Le substrat de ces conscienc~s fragmentaires est la conscience base de tout, conscience de base ou conscience rceptacle (set : alaya vijnana - tib : kunchi nampar shpa). Elle est la source ou le support de l'apparition et de la rsorption des sept autres consciences. Bien qu'identiques en essence la conscience de base, ces dernires en sont les prolongements, ou les aspects spcifiques, qui assurent des fonctions particulires.
Les six premires consciences sont les consciences sensorielles, la facult sensorielle mentale tant incluse comme sixime sens. La septime conscience, le mental immdiat, est l'esprit confus, dans son mouvement, ce qui structure perceptions et expressions. La hui~ time conscience est la "terre" ou la base partir de laquelle appa-raissent les autres consciences. C'est une sorte de matrice neutre qui peut produire la confusion comme l'veil. Elle est dfinie comme "soi" (atman), par opposition l'esprit veill qui est 'hon-soi" (anatman).
Ces huit consciences sont donc : ~ les cinq consciences sensorielles : visuelle, auditive, olfactive,
gustative, tactile, - Ja conscience des objets mentaux (associe aux facults
sensorielles), - le mental,-~ -- la conscience de base ou conscience base de tout (1).
Traditionnellement, la conscience de base est compare un ocan et les sept consciences secondaires aux vagues qui s'en l-vent. Bien qu'en apparence les vagus se distinguent de l'ocan, en essence, elles lui sont identiques. Les consciences secondaires, tout en tant indiffrencies de l'alaya, apparaissent nanmoins distincte-ment, car leur manifestation est dpendante de conditions objectives spcifiques. La conscience visuelle nat de la rencontre d'une forme, la conscience auditive se manifeste en fonction d'un son, etc. La
(1) Les huit consciences ne reprsenten~ pas la totalit de l'esprit, elles dfinissent la structure du moi, de la conscience individuelle. La dimension veille de l'esprit se si-tue au-del des huit consciences. Ces huit consciences sont donc la cristallisation de la ftXation goste rsultant du karma. L'veil reprsente la cessation du concept de moi et de l'identification la structure qui sous-tend son existence.
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LES HUIT CONSCIENCES
conscience mentale s'lve de la facult cognitive : elle est ce qui discrimine entre les objets mentaux et non-mentaux.
Ainsi, les six types d'objets sensoriels sont les sources, les supports qui rendent les six consCiences actives. Ils sont donc la condition objective des perceptions conscientes.
Si chaque conscience_s'lve lorsqu'elle entre en relation avec l'un des six objets, le contact n'est rendu possible que grce la facult sensorielle, constitue par l'organe qui peroit l'objet. Cette facult est appele condition matresse ; elle agit comme une porte de la conscience. L'il n'est pas la conscience visuelle, mais il est le support indispensable de son fonctionnement. Il reprsente la condition matresse de l'apparition de l'objet la conscience : si la facult visuelle est altre ou oblitre, la conscience visuelle se trouve rduite ou inoprante ; bien que continuant exister, elle n'est plus efficace.
Il en va de mme pour les autres consciences sensorielles, chacune d'entre elles est slective. Chaque facult et chaque conscience fonc-tionnent de faon autonome, sans se confondre avec les autres.
Une distinction s'impose tout de mme en ce qui concerne la conscience mentale, car celle-ci ne s'appuie pas sur des objets ext-rieurs. C'est la facult mentale qui est elle-mme la base de cette conscience, travers sa capacit percevoir les facteurs mentaux, objets de connaissance. C'est la conscience qui connat l'apparition des objets perus par les autres facults sensorielles et qui les diff-rencie. Elle peroit les objets mentaux et effectue l'apprhension slective de leurs caractristiques (cette forme est laide, ce son est beau, cette bote est rouge, etc). Elle identifie et value les facteurs mentaux. Par exemple : bien que la conscience visuelle peroive l'objet prsent, la pense qui l'identifie comme tel n'est pas la cons-cience visuelle, mais la conscience mentale.
Les six consciences apparaissent et se rsorbent dans l'alaya, sem-blables aux vagues qui s'lvent et retournent l'ocan. Cette mer-gence et cette rintgration, ce mouvement, ne peuvent prendre place qu' l'intrieur d'un espace. Grce l'espace du ciel et celui qui spare les molcules, la fluidit et le mouvement apparaissent.
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LA CONSCIENCE PAR11ELLE
Ils permettent que les crtes et les creux des vagues se forment la surface de l'ocan.
Il en va de mme pour l'esprit: sans intervalle, sans vide, la pro-duction et la cessation des penses ne peuvent intervenir, l'espoir et le dsespoir ne peuvent prendre place. Dans le cas de l'esprit, l'espace n'est pas de nature physique comme le ciel, mais il est la dimension de la vacuit d'existence intrinsque, essence ou texture de l'esprit lui-mme.
Cet espace est l'intervalle qui permet le mouvement. Cette fonc-tion est assure par la facult mentale, qualit de l'esprit qui se situe entre la conscience de base et les six consciences sensorielles. Le mental est l'espace dynamique qui rend possible l'apparition des six consciences; il est l'agent de la conscience mentale. Dans le mouve-ment inverse, lorsque cessent les six consciences, le mental assure le lien avec la conscience de base.
Le mental, c'est l'instant de conscience qui prend place ds que cessent les consciences sensorielles discontinues, assurant la jonc-tion avec l'alaya qui demeure. Cette immdiatet de l'esprit est appele facult ou pouvoir du mental.
Les six types d'objets extrieurs et les six facults qui se manifestent en dpendance de ces objets sont galement dnus d'existence propre et ne sont que des projections, des manations illusoires de l'esprit. Ils s'lvent les uns des autres, en mode dpendant, c'est--dire qu'ils ne peuvent tre identifis isolment comme existant de faon continue, permanente et indpendante. Ils ne sont pas relle-ment existants. La manifestation tant le produit d'une source, elle lui est assujettie. Bien que fonctionnant dans une autonomie relative, elle appartient en propre l'esprit.
L'aspect confus de la manifestation et des consciences qui la per-oivent est le produit de l'esprit sous l'emprise de l'ignorance (1), depuis des temps sans commencement. Il correspond la matura-
(1) Ignorance ou nescience, ma.rig.pa : l'esprit ignorant de sa vritable nature, fonc-tionnant en mode erron, bien que pourvu de la sagesse en tant que qualit essentielk non rvle.
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LES HUIT CONSCIENCES
tion des multiples tendances conserves dans la conscience de base. Ces tendances extrmement diverses sont des impressions latentes qui se trouvent stimules par les perceptions sensorielles et les conditions provenant de l'extrieur. Devenues actives, elles produisent la varit des apparences qui surgissent l'esprit.
Par exemple, lorsque dans l'alaya les tendances dominantes sont celles du conditionnement humain, elle donnent naissance aux consciences sensorielles spcifiques qui sont celles de l'exprience humaine. Lorsque les prdispositions caractristiques sont de nature animale, elles se cristallisent en une naissance animale avec sa sp-cificit. Il en est de mme pour les autres classes d'tres appartenant aux diffrents plans d'existence.
Ainsi, le type de conditionnement est produit par le jeu des per-ceptions, qui vhicule des expriences caractristiques. Elles sont gardes en mmoire dans la conscience de base. Elles se cristallisent en quelque sorte sous la forme des impressions dominantes. Celles-ci, accumules sous forme de consciences et de facults sensorielles particulires, dtermineront par leurs limites le champ d'exprience accessible l'individu.
Nanmoins, les phnomnes et les facults ne sont que des fonc-tions de l'esprit. En effet, si la forme est prouve par la conscience visuelle, celle-ci ne sait ni discriminer, ni analyser cette forme. La dfinition de la forme comme tant grande, petite, ronde, carre, rouge ou jaune, appartient exclusivement au domaine mental qui sait lire, identifier, juger, comparer. Les diffrentes expriences sen-sorielles sont vhicules la conscience de base sous forme de fac-teurs mentaux (semdjounlf> et leur identification est le fruit de l'agrgat (2) de la perception (dush), qui discrimine entre agrable, irritant, chaud, froid, etc.
Comme nous l'avons dmontr plus haut, les deux lments objectif et subjectif d'une perception tant ncessairement de la mme nature, c'est le mental qui est l'origine des di