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A Bry, session spéciale contre les « dérapages » au collège société LA VOIX EST LIBRE J6c8LKI83K6J6 ERIC DELVAUX RETROUVEZ LE BILLET DE PIOTR SMOLAR DU MONDE TOUS LES LUNDIS À 6H48 LE 6/7 I l est le dénominateur commun d’une génération. 93 % des 15-17 ans et 81 % des 13-15 ans dis- posent d’un compte sur le réseau social Facebook. Chaque année, l’association Calysto, qui sensibili- se au bon usage des outils numéri- ques, questionne 35 000 enfants et adolescents. Le « baromètre 2012 Enfants et Internet », qui paraît samedi 23 mars, témoigne non seulement de la quasi-généra- lisation de la fréquentation de ce réseau mais aussi de son impres- sionnante remontée en âge. Les deux tiers des 11-13 ans détiennent un « profil », en dépit d’un âge minimum officiellement fixé à 13 ans par l’opérateur. Et enco- re l’enquête ne se penche-t-elle pas sur les élèves de l’élémentaire… « Cela commence en CM1 et, l’année suivante, un tiers des élèves a déjà son profil », observe Jacques Henno, auteur et conférencier spé- cialiste des nouvelles technologies. A l’entrée en sixième, être initié à Facebook devient aussi incontour- nable à la survie sociale que l’aban- don du cartable à roulettes. En fin de collège, « si deux élèves ne sont pas sur Facebook, c’est le bout du monde », assure-t-il. Aucun camara- de de Lisa, par exemple, en classe de troisième dans les Yvelines, n’y échappe. « Sinon, on lui demande s’il a l’eau et l’électricité chez lui… On se dit que ses parents sont trop der- rière lui, que c’est un bolos. » Condamné à la stigmatisation. Quid des autres réseaux sociaux ? Twitter gagne du terrain, mais surtout au lycée ; Tumblr ne connaît pas, loin s’en faut, le même succès qu’aux Etats-Unis… Cinq années après la naissance de sa version française, Facebook bénéficie d’une position hégémo- nique chez les adolescents et aspi- rants adolescents. Page d’accueil de leur ordinateur, geste réflexe de retour à la maison, il occupe leurs récréations, parfois même leurs cours (portable dans le sac entrou- vert sur la table) dès l’âge venu du premier smartphone, lui aussi de plus en plus précoce. Les trois quarts des 11-13 ans possèdent déjà un téléphone, le plus souvent connecté au Web, selon Calysto. L’inscription sur Facebook vaut désormais marqueur d’avancée en âge, rite d’initiation à l’adoles- cence. « Puisque par Facebook je peux montrer que je suis ado, je dois y être » : voilà qui transforme le réseau en impératif catégori- que, à en croire Cédric Fluckiger, maître de conférences en sciences de l’éducation à Lille-III. « L’adoles- cent prouve qu’il a gagné ce droit des parents ou qu’il maîtrise le fait d’y être sans leur autorisation. Il commente à 23 heures pour évo- quer sa liberté. Il montre sa maîtri- se d’un certain nombre de codes propres à l’adolescence, en faisant très attention à ses “like”. Et il ne parle surtout jamais de ce qu’il fait avec les parents. » Auparavant, il se sera « entraîné » à l’adolescence en fréquentant les profils d’amis plus âgés afin de découvrir leurs goûts et leurs mots pour les dire. Entrée facilitée en adolescence, donc… Et aussi plate-forme d’en- traide pour les devoirs. Fenêtre numérique sur l’extérieur quand les parents ne permettent plus de se construire dans un espace public jugé trop dangereux. Formi- dable outil de communication per- mettant de valoriser ses activités sportives ou culturelles, de demeu- rer en lien avec les amis après démé- nagement ou vacances d’été, en relation avec le père ou les quasi- frères et sœurs après divorce. Offrant enfin à tous ceux que leur corps inhibe une alternative pour se sociabiliser, effectuerdes rencon- tres amoureuses… Facebook a bien des vertus que passe sous silence le discours volontiers alarmiste des adultes sur les jeunes et l’Internet, dont celle d’aider à la construction d’une individualité dans une socié- té où cette responsabilité incombe désormais à chacun. Xavier Pommereau, psychiatre en charge du pôle adolescents du CHU de Bordeaux, connaît bien « ces enfants de l’image qui se construisent à travers elle ». « Face- book est une carte d’identité virtuel- le qu’ils se fabriquent eux-mêmes. On s’affiche, on dit qui l’on est à tra- vers ce que l’on montre. » Et l’on prê- te la plus grande attention aux réac- tions positives des pairs. « Jusqu’à l’addiction. On va en permanence vérifier sur sa page, comme sur un miroir, que l’on existe. La qualité du reflet est fonction des pixels qui la composent : les “like”. » Une notion jusque-là plutôt réservée à la culture anglo-saxone s’impose : la « popularité ». Le nom- bre d’« amis » et de réactions favora- bles atteste et quantifie la valeur sociale, étouffe les inquiétudes. « Support narcissisant », résume le pédopsychiatre Stéphane Clerget. L’adolescent est « visible et validé par le groupe de pairs, confirme Jus- tine Atlan, à la tête de l’association de prévention e-Enfance. Il est du côté de ceux qui sont “populaires”. A l’époque de la télé-réalité, on ne souhaite plus être cool mais connu. Avec un profil, chacun a son propre magazine, sa chaîne de télévision ». Revers de la médaille : gérer au détail près son image, alimenter son journal quotidien, a de quoi mettre sous pression. Les pédia- tres américains (American Acade- my of Pediatrics) ont même récem- ment estimé que les réseaux sociaux accéléraient la spirale dépressive chez les adolescents. Le docteur Clerget n’est pas loin de dresser le même constat, évoquant un « facilitateur de dépression ». « On donne à voir une représenta- tion idéalisée de soi. Les adultes ne sont pas dupes. Les ados, si. Voir le bonheur affiché par d’autres ne ren- force pas leur estime d’eux- mêmes. » Pour le psychiatre, il y aurait « désidentification au profit de cette image virtuelle », si flatteu- se et éloignée de ce qu’ils sont réel- lement que, « lorsqu’ils éteignent l’ordinateur, ils se sentent comme des ectoplasmes ». Evidemment, faire le buzz, obte- nir que sa dernière publication soit la plus commentée, pousse moins à la nuance qu’à la surenchè- re – exhibitionniste ou violente. Catherine Blaya, professeur de sciences de l’éducation à Nice, esti- me, après enquête nationale menée auprès de 3 600 collégiens et lycéens, à environ un quart ceux qui ont été victimes de violences ponctuelles via le Web. Cinq ou 6 % ont subi un cyber- harcèlement plus continu. Des joyeusetés variées allant du « sim- ple » envahissement par l’insulte d’un profil Facebook à la création de faux profils peu flatteurs, au trucage de photos, à la diffusion d’images d’autrui relevant de l’inti- me, jusqu’au très tendance « tun- nel de la mort » – une haie d’hon- neur se forme dans un couloir du collège, l’enfant qui passe est frap- pé tout du long, l’ensemble est fil- mé et diffusé. La fréquence de ces dérapages, perpétrés dans un anonymat numérique propice au passage à l’acte, inquiète sérieusement le milieu scolaire. Police et associa- tions spécialisées peinent à répon- dre aux demandes d’intervention dans les classes. Enchaînant assises nationales et plans d’action, le ministère de l’éducation, depuis 2011, a donné une forte impulsion à la lutte contre ces violences numéri- ques. Et les chefs d’établissement, longtemps tentés de renvoyer cet- te problématique aux parents, sont désormais conscients de la porosi- té entre univers numérique et cli- mat de leurs collèges et lycées. Deux élèves prennent un pro- fesseur en grippe ? Grâce au réseau, leur haine sera contagieu- se. Des échanges venimeux se sont déroulés sur Facebook le week- end ? Ils se soldent en bagarres le lundi matin dans la cour. Des grou- pes s’y forment, reproduisant les petites cellules amicales consti- tuées sur le réseau, dont seuls leurs participants ont connaissan- ce. « Les gamins sont aussi plus durs entre eux, ajoute M. Henno, comme si la liberté de parole sur Facebook déteignait. » Un espoir néanmoins, selon les observateurs : de plus en plus de jeunes ont désormais des proches à qui Facebook n’a pas amené que de grands bonheurs. Ils font donc plus attention, paramètrent davantage leurs profils pour les rendre moins accessibles. Encore faut-il qu’ils sachent où passe cet- te frontière entre vie privée et vie publique que l’usage des réseaux sociaux, comme la télé-réalité, a contribué à brouiller. p Pascale Krémer A l’entrée en 6 e , être initié à Facebook devient aussi incontournable à la survie sociale que l’abandon du cartable à roulettes ILS PORTENT DES SAC À DOS plus lourds qu’eux mais n’ont pas l’air convaincus d’avoir grand-chose à apprendre de l’animateur. Les 6 e du collège privé Saint-Thomas-de- Villeneuve de Bry-sur-Marne (Val- de-Marne) ont session « Internet et nous » obligatoire, ce mardi après-midi. Leur directeur a fait appel à l’association Calysto à la suite à de « dérapages tout de même lourds ». « Deux ou trois copines s’en prennent sur Face- book à une 3 e , “T’es grosse, ton copain est moche”, occasionnant de vraies souffrances… » Ambiance tamisée, rétroprojec- tion sur grand écran. Les gars du fond ont déjà la tête qui repose au creux des bras… Florian Fouchard, l’animateur Calysto, sonde le ter- rain histoire d’obtenir que les bras et l’attention se lèvent. Les vingt-neuf membres de l’assistan- ce ont Internet à la maison. Seuls trois ou quatre, en revanche, ont un logiciel de contrôle parental ou discutent en famille de leurs virées Internet. « Qu’est-ce qu’on peut faire, déjà, avec Internet ? » Première réponse à fuser : « Pira- ter des comptes Facebook ! » Les réseaux sociaux, on y vient vite. Outil phénoménal pour par- tager ses opinions, ses centres d’intérêt, prêche l’adulte aux enfants convaincus. Mark Zucker- berg ? Ils connaissent, évidem- ment. Facebook, à quoi cela sert ? « A discuter, exactement comme au collège. » Est-ce qu’on y fait des rencontres ? « Y’a plein d’autres sites pour ça, Meetic, Attractive world, eDarling… », énumère un garçon, avec grand sérieux. Et Florian Fouchard de fournir quelques repères salutaires. Publier sur Facebook, c’est diffu- ser dans un espace public planétai- re de 2,3 milliards d’internautes, où il n’existe pas de droit à l’oubli. Facebook est gratuit. Mais que deviennent les données que vous diffusez ? « Elles sont envoyées à des entreprises », sait un élève. Et qui est la cible de leurs publicités ? « Nouuuus ! », braille la salle, plus blasée que choquée. Il est encore question d’amis d’amis qui ne sont pas forcément des amis. D’apparences, dont il faut se méfier. Surtout si une blonde gironde de 16 ans s’inté- resse au profil moins avantageux d’un pré-adolescent et lui deman- de de le rencontrer. « Oui, tu cher- ches une petite amie, elle met une fausse photo, et au rendez-vous, c’est une vieille », témoigne un élè- ve, sur le ton de celui à qui on ne la fait pas. Ne pas brancher sa webcam avec des inconnus, ne pas fournir d’informations per- sonnelles, ni se rendre seul à un rendez-vous… Et apprendre à gérer ses para- mètres de confidentialité. « Cela prend une heure environ (« Ohhh ! », fait la classe). Les ques- tions ne sont pas faciles, mais vous pouvez faire appel à un adulte de confiance », conseille l’animateur. « J’ai demandé à ma sœur de m’aider, elle m’a piraté mon comp- te », grommelle une élève. Suivent quelques rappels à la loi qui ne s’applique pas moins sur le Net que dans la rue (« Même pour les mineurs ? »). Des conseils visiblement appréciés pour sup- primer un compte Facebook, ou réagir en cas de harcèlement. Bonnet enfoncé jusqu’aux yeux, un petit gars, séance finie, tente d’arracher à l’animateur quelques tuyaux sur le change- ment d’adresse IP, pratique peu recommandée… « La gageure, sou- rit Thomas Rohmer, le directeur de Calysto, c’est de leur faire vite comprendre que nous en savons plus qu’eux. Inspirer suffisamment de respect pour qu’ils confient leurs problèmes à la fin. Mais c’est une vraie joute technique ! » Parfois, l’animateur commence par scanner discrètement la salle avec son ordinateur afin de détec- ter les portables allumés et d’édi- fier leurs propriétaires indélicats. « Il y a quelques mois, se souvient M. Rohmer, un gamin a même pris le contrôle de l’ordinateur de l’ani- mateur depuis son portable. » p P. Kr. Spotted, du coup de foudre au coup de pied Facebook, porte d’entrée dans l’adolescence Deux tiers des 11-13 ans ont un profil. Et doivent apprendre, à peine sortis de l’enfance, à gérer une seconde identité « La gageure, c’est de leur faire vite comprendre que nous en savons plus qu’eux » Thomas Rohmer directeur de l’association Calysto Le phénomène Spotted pourrait jeter de l’huile sur le feu. Ces pages Facebook relatives à des lieux (collège, lycée, université, ligne de bus…) permettent à qui- conque de déclarer anonyme- ment sa flamme à une personne qu’il a pu croiser. Invariable- ment, au fil du temps, les tentati- ves poétiques se transforment en interpellations plus triviales, les commentaires se font insul- tants, la personne cherchée se voit identifiée et dénigrée… Au collège privé Saint-Thomas-de-Villeneuve de Bry-sur-Marne (Val-de-Marne), les élèves de 6 e assistent à une session obligatoire « Internet et nous » animée par l’association Calysto. CAMILLE MILLERAND POUR « LE MONDE » 12 0123 Dimanche 24 - Lundi 25 mars 2013

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ABry,sessionspécialecontreles«dérapages»aucollège

société

LA VOIXESTLIBRE

J6c8LKI83K6¾J6

ERIC DELVAUX

RETROUVEZ LE BILLET

DE PIOTR SMOLAR DU MONDE

TOUS LES LUNDIS À 6H48

LE6/7

I l est ledénominateurcommund’une génération. 93% des15-17anset81%des13-15ansdis-

posent d’un compte sur le réseausocial Facebook. Chaque année,l’associationCalysto,qui sensibili-seaubonusagedesoutilsnuméri-ques, questionne 35000 enfantset adolescents. Le « baromètre2012 Enfants et Internet », quiparaît samedi 23mars, témoignenonseulementde laquasi-généra-lisation de la fréquentation de ceréseau mais aussi de son impres-sionnante remontée enâge.

Les deux tiers des 11-13 ansdétiennent un «profil», en dépitd’un âge minimumofficiellementfixéà13ansparl’opérateur.Etenco-re l’enquêtene sepenche-t-ellepassur les élèves de l’élémentaire…«Cela commenceenCM1et, l’annéesuivante, un tiers des élèves a déjàson profil », observe JacquesHenno, auteur et conférencier spé-cialistedesnouvelles technologies.A l’entrée en sixième, être initié àFacebook devient aussi incontour-nable à la survie socialeque l’aban-don du cartable à roulettes. En finde collège, «si deux élèves ne sont

pas sur Facebook, c’est le bout dumonde»,assure-t-il.Aucuncamara-dedeLisa,parexemple,enclassedetroisième dans les Yvelines, n’yéchappe. «Sinon, on lui demandes’ila l’eauet l’électricitéchezlui…Onse dit que ses parents sont trop der-rière lui, que c’est un bolos. »Condamnéà la stigmatisation.

Quid des autres réseauxsociaux? Twittergagnedu terrain,mais surtout au lycée; Tumblr neconnaît pas, loin s’en faut, lemême succès qu’aux Etats-Unis…Cinq années après la naissance desa version française, Facebookbénéficie d’une position hégémo-nique chez les adolescents et aspi-rants adolescents. Page d’accueildeleurordinateur,gesteréflexederetour à lamaison, il occupe leursrécréations, parfois même leurscours (portabledans le sac entrou-vert sur la table) dès l’âge venu dupremier smartphone, lui aussi deplus en plus précoce. Les troisquartsdes 11-13anspossèdentdéjàun téléphone, le plus souventconnecté auWeb, selonCalysto.

L’inscriptionsur Facebookvautdésormais marqueur d’avancéeen âge, rite d’initiation à l’adoles-cence. «Puisque par Facebook jepeux montrer que je suis ado, jedois y être» : voilà qui transformele réseau en impératif catégori-que, à en croire Cédric Fluckiger,maître de conférences en sciencesde l’éducationàLille-III.«L’adoles-cent prouve qu’il a gagné ce droitdes parents ou qu’ilmaîtrise le faitd’y être sans leur autorisation. Ilcommente à 23heures pour évo-quer sa liberté. Ilmontre samaîtri-se d’un certain nombre de codespropres à l’adolescence, en faisanttrès attention à ses “like”. Et il neparle surtout jamais de ce qu’il faitavec lesparents.»Auparavant, il se

sera«entraîné»à l’adolescenceenfréquentantlesprofilsd’amisplusâgés afin de découvrir leurs goûtset leursmotspour les dire.

Entrée facilitée en adolescence,donc… Et aussi plate-forme d’en-traide pour les devoirs. Fenêtrenumérique sur l’extérieur quandles parents ne permettent plus dese construire dans un espacepublic jugétropdangereux.Formi-dableoutildecommunicationper-mettant de valoriser ses activitéssportivesouculturelles,dedemeu-rerenlienaveclesamisaprèsdémé-nagement ou vacances d’été, enrelation avec le père ou les quasi-frères et sœurs après divorce.Offrant enfin à tous ceux que leurcorps inhibe une alternative poursesociabiliser,effectuerdesrencon-tres amoureuses… Facebook a biendesvertusquepassesoussilence lediscours volontiers alarmiste desadultes sur les jeunes et l’Internet,dont celle d’aider à la constructiond’uneindividualitédansunesocié-té où cette responsabilité incombedésormaisà chacun.

Xavier Pommereau, psychiatreen charge du pôle adolescents duCHU de Bordeaux, connaît bien« ces enfants de l’image qui seconstruisent à travers elle». «Face-bookestunecarted’identitévirtuel-le qu’ils se fabriquent eux-mêmes.Ons’affiche,onditqui l’onestà tra-verscequel’onmontre.»Etl’onprê-telaplusgrandeattentionauxréac-tions positives des pairs. «Jusqu’àl’addiction. On va en permanencevérifier sur sa page, comme sur unmiroir,que l’onexiste. Laqualitédu

reflet est fonction des pixels qui lacomposent: les “like”.»

Une notion jusque-là plutôtréservée à la culture anglo-saxones’impose:la«popularité».Lenom-bred’«amis»etderéactionsfavora-bles atteste et quantifie la valeursociale, étouffe les inquiétudes.«Support narcissisant», résume lepédopsychiatre Stéphane Clerget.L’adolescent est «visible et validéparlegroupedepairs,confirmeJus-tine Atlan, à la tête de l’associationde prévention e-Enfance. Il est ducôté de ceux qui sont “populaires”.A l’époque de la télé-réalité, on nesouhaiteplus être coolmais connu.

Avecunprofil, chacuna sonpropremagazine, sachaînede télévision».

Revers de la médaille : gérer audétail près son image, alimenterson journal quotidien, a de quoimettre sous pression. Les pédia-tres américains (American Acade-myofPediatrics)ontmêmerécem-ment estimé que les réseauxsociaux accéléraient la spiraledépressive chez les adolescents. Ledocteur Clerget n’est pas loin dedresserlemêmeconstat,évoquant

un « facilitateur de dépression».«On donne à voir une représenta-tion idéalisée de soi. Les adultes nesont pas dupes. Les ados, si. Voir lebonheuraffichépard’autresneren-force pas leur estime d’eux-mêmes.» Pour le psychiatre, il yaurait «désidentification au profitdecette imagevirtuelle», si flatteu-se et éloignéede ce qu’ils sont réel-lement que, « lorsqu’ils éteignentl’ordinateur, ils se sentent commedes ectoplasmes».

Evidemment,fairelebuzz,obte-nir que sa dernière publicationsoit la plus commentée, poussemoinsàlanuancequ’àlasurenchè-re – exhibitionniste ou violente.Catherine Blaya, professeur desciencesde l’éducationàNice,esti-me, après enquête nationalemenée auprès de 3600 collégienset lycéens,àenvironunquartceuxqui ont été victimes de violencesponctuellesvia leWeb.

Cinq ou 6% ont subi un cyber-harcèlement plus continu. Desjoyeusetés variées allant du «sim-ple» envahissement par l’insulted’un profil Facebook à la créationde faux profils peu flatteurs, autrucage de photos, à la diffusiond’imagesd’autruirelevantdel’inti-me, jusqu’au très tendance «tun-nel de la mort» – une haie d’hon-neur se forme dans un couloir ducollège, l’enfant qui passe est frap-pé tout du long, l’ensemble est fil-méet diffusé.

La fréquence de ces dérapages,perpétrés dans un anonymatnumérique propice au passage àl’acte, inquiète sérieusement le

milieu scolaire. Police et associa-tions spécialisées peinent à répon-dre aux demandes d’interventiondans lesclasses. Enchaînantassisesnationales et plans d’action, leministère de l’éducation, depuis2011,adonnéuneforteimpulsionàlaluttecontrecesviolencesnuméri-ques. Et les chefs d’établissement,longtemps tentés de renvoyer cet-teproblématiqueauxparents,sontdésormais conscients de la porosi-té entre univers numérique et cli-matde leurs collègeset lycées.

Deux élèves prennent un pro-fesseur en grippe ? Grâce auréseau, leur haine sera contagieu-se.Deséchangesvenimeuxsesontdéroulés sur Facebook le week-end? Ils se soldent en bagarres lelundimatindanslacour.Desgrou-pes s’y forment, reproduisant lespetites cellules amicales consti-tuées sur le réseau, dont seulsleursparticipantsont connaissan-ce. «Les gamins sont aussi plusdurs entre eux, ajoute M.Henno,comme si la liberté de parole surFacebookdéteignait.»

Un espoir néanmoins, selon lesobservateurs: de plus en plus dejeunes ont désormais des prochesà qui Facebook n’a pas amené quede grands bonheurs. Ils font doncplus attention, paramètrentdavantage leurs profils pour lesrendre moins accessibles. Encorefaut-il qu’ils sachent où passe cet-te frontière entre vie privée et viepublique que l’usage des réseauxsociaux, comme la télé-réalité, acontribuéà brouiller. p

PascaleKrémer

Al’entréeen6e,êtreinitiéàFacebook

devientaussiincontournableàlasurviesocialequel’abandon

ducartableàroulettes

ILS PORTENTDESSACÀDOSpluslourdsqu’euxmais n’ont pas l’airconvaincusd’avoir grand-choseàapprendrede l’animateur. Les 6e

ducollège privé Saint-Thomas-de-VilleneuvedeBry-sur-Marne (Val-de-Marne)ont session«Internetet nous» obligatoire, cemardiaprès-midi. Leur directeur a faitappel à l’associationCalysto à lasuite à de «dérapages tout demême lourds». «Deux ou troiscopines s’enprennent sur Face-bookàune 3e, “T’es grosse, toncopain estmoche”, occasionnantde vraies souffrances…»

Ambiance tamisée, rétroprojec-tion sur grand écran. Les gars dufondont déjà la tête qui repose aucreuxdesbras… FlorianFouchard,l’animateurCalysto, sonde le ter-rainhistoire d’obtenir que lesbras et l’attentionse lèvent. Lesvingt-neufmembresde l’assistan-ce ont Internet à lamaison. Seulstrois ou quatre, en revanche, ontun logiciel de contrôleparentaloudiscutent en famille de leursvirées Internet. «Qu’est-ce qu’onpeut faire, déjà, avec Internet?»Première réponse à fuser: «Pira-ter des comptes Facebook!»

Les réseaux sociaux, ony vientvite. Outil phénoménalpourpar-tager ses opinions, ses centresd’intérêt, prêche l’adulte auxenfants convaincus.Mark Zucker-berg? Ils connaissent, évidem-ment. Facebook, à quoi cela sert?«Adiscuter, exactement commeaucollège.»Est-ce qu’ony fait desrencontres? «Y’a plein d’autressites pour ça,Meetic, Attractiveworld, eDarling…», énumèreungarçon, avec grand sérieux.

Et Florian Fouchardde fournirquelques repères salutaires.Publier sur Facebook, c’est diffu-serdansunespacepublicplanétai-re de 2,3milliardsd’internautes,où il n’existepas de droit à l’oubli.Facebookest gratuit.Mais quedeviennent les données quevousdiffusez? «Elles sont envoyées àdes entreprises», sait un élève. Etqui est la cible de leurs publicités?«Nouuuus!», braille la salle, plusblaséeque choquée.

Il est encore question d’amisd’amis qui ne sont pas forcémentdes amis. D’apparences, dont ilfaut seméfier. Surtout si uneblonde gironde de 16 ans s’inté-resse au profilmoins avantageux

d’unpré-adolescent et lui deman-de de le rencontrer. «Oui, tu cher-ches une petite amie, ellemet unefausse photo, et au rendez-vous,c’est une vieille», témoigneun élè-ve, sur le ton de celui à qui on nela fait pas. Ne pas brancher sawebcamavec des inconnus, ne

pas fournir d’informations per-sonnelles, ni se rendre seul à unrendez-vous…

Et apprendre à gérer ses para-mètresde confidentialité.«Celaprendune heure environ(«Ohhh!», fait la classe). Les ques-tionsne sont pas faciles,mais vouspouvez faire appel à unadulte deconfiance», conseille l’animateur.«J’ai demandéàma sœurde

m’aider, ellem’apiratémon comp-te», grommelleune élève.

Suiventquelques rappels à laloi qui ne s’appliquepasmoinssur leNet que dans la rue («Mêmepour lesmineurs?»). Des conseilsvisiblementappréciés pour sup-primerun compte Facebook, ouréagir en cas deharcèlement.

Bonnetenfoncé jusqu’auxyeux,unpetit gars, séance finie,tented’arracherà l’animateurquelques tuyauxsur le change-mentd’adresse IP, pratiquepeurecommandée…«La gageure, sou-rit ThomasRohmer, le directeurdeCalysto, c’est de leur faire vitecomprendrequenous en savonsplusqu’eux. Inspirer suffisammentde respectpourqu’ils confientleursproblèmesà la fin.Mais c’estunevraie joute technique!»

Parfois, l’animateurcommencepar scannerdiscrètement la salleavec sonordinateurafindedétec-ter lesportablesallumésetd’édi-fier leurspropriétaires indélicats.«Il yaquelquesmois, se souvientM.Rohmer,ungaminamêmeprisle contrôlede l’ordinateurde l’ani-mateurdepuis sonportable.»p

P.Kr.

Spotted, du coupde foudre au coup depied

Facebook,ported’entréedansl’adolescenceDeuxtiersdes11-13ansontunprofil.Etdoiventapprendre,àpeinesortisde l’enfance,àgérerunesecondeidentité

«Lagageure,c’estdeleurfairevite

comprendrequenousensavons

plusqu’eux»ThomasRohmer

directeur de l’associationCalysto

Le phénomèneSpotted pourraitjeter de l’huile sur le feu. Cespages Facebook relatives à deslieux (collège, lycée, université,ligne de bus…) permettent à qui-conque de déclarer anonyme-ment sa flamme àune personnequ’il a pu croiser. Invariable-ment, au fil du temps, les tentati-ves poétiques se transformenten interpellations plus triviales,les commentaires se font insul-tants, la personne cherchée sevoit identifiée et dénigrée…

Au collège privé Saint-Thomas-de-Villeneuve de Bry-sur-Marne (Val-de-Marne), les élèves de 6e assistent à une session obligatoire «Internet et nous» animée par l’association Calysto. CAMILLE MILLERAND POUR «LE MONDE»

12 0123Dimanche24 - Lundi 25mars 2013