Post on 12-Mar-2016
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Éditions ApogéeISBN 2-84398-044-5 • 160 F • 24,39 €
Éditions Apogée • Diffusion PUF
Depuis la Préhistoire, la pêche à pied fait partie de laculture maritime et littorale bretonne. Néanmoins, l’histoirede ses pratiques et de ses savoirs traditionnels restait àfaire. C’est l’objectif de cet ouvrage.
Plus qu’un guide de la pêche à pied, voici un itinérairedes grèves bretonnes, pour découvrir « l’esprit des lieux »,en compagnie de plus de quarante auteurs, avec uneapproche à la fois historique, scientifique, artistique et lit-téraire, un voyage dans les mots du vocabulaire local, enfrançais, en breton et en gallo.
Témoignages des pêcheurs à pied, discours des agents del’État, de scientifiques de l’IFREMER, remarques de tou-ristes et d’écologistes, ce livre révèle tous les enjeux liés auxpratiques et usages de l’estran.
Sous la direction de GUY PRIGENT
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ÉDITIONSAPOGÉE
Musée d’Art et d’Histoire
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© Éditions Apogée, 1999
ISBN 2-84398-044-5
Sous la direction de
GUY PRIGENT
Pêche à piedet usages de l’estran
Éditions Apogée
Jean-Pierre Abraham, écrivainPierre Arzel, ethnobiologiste, IFREMER, Brest
Maurice Aubrée, enseignant
Pascal Aumasson, conseiller aux musées, DRAC Bretagne
Marie-Armelle Barbier-Le Deroff, maître de conférences
en ethnologie, UBO, Brest
François de Beaulieu, enseignant, ethnologue
Dominique Brault, océanographe, directeur du CEVA,
Pleubian
Denis Bredin, délégué régional du Conservatoire du lit-
toral de Bretagne
Jacques-Henri Clément, docteur en pharmacie
Dominique Cottereau, formatrice en pédagogie
Jean-Yves Cocaign, historien ethnologue, CNRS, UMR
C65666. Civilisations atlantiques et archéosciences.
Université Rennes 1
Loïc Corouge, scénographe
Geneviève Delbos, ethnologue, CNRS
Madeleine Dervaux, assistante sociale maritime en
retraite
Tanguy Dohollau, illustrateur, critique d’art
Michel Duédal, ancien syndic des gens de mer, Saint-
Jacut-de-la-Mer.
Patrick Gauthier, reponsable du SMVM, DDE 22
Daniel Giraudon, maître de conférences, CRBC, UBO,
Brest
Pierre Gouletquer, professeur, archéologue, chargé de
recherche au CNRS, CRBC, UBO, Brest
Jean Grenier, écrivain
Hervé Hamon, écrivain, journaliste
Louis Henri, président de l'association « Les tadornes »,
pêcheurs-plaisanciers de Lanmodez
Jean-Baptiste Henry, écrivain
Marie-Lise Jory, docteur en écologie
Hélène Labat-Lopes, enseignante
Louis Le Bellec, marin-pêcheur retraité, président des
homardiers des côtes de France
Michel Le Bris, écrivain
Magali Leclercq, responsable des cultures marines,
Direction des Affaires maritimes 22
Marc Le Gros, enseignant, écrivain
Patrick Le Mao, chef de la station IFREMER, Saint-Malo
Jacques Levasseur, maître de conférences, responsable
de la MST Aménagement-environnement, université
Rennes 1
Olivier Levasseur, enseignant, doctorant (CHRISCO-UHB)
Pierre Mollo, formateur en aquaculture, CEMPA,
Fouesnant
Erik Orsenna, écrivain
Fañch Péru, enseignant
Jean-Claude Pierre, président de l'association « Eaux et
rivières »
Jean-Pierre Pinot, professeur émérite de géographie de
la mer, UBO
Guy Prigent, commissaire de l'exposition
Christian Quéré, écrivain
Yves Rivoal, écrivain
Anne de Stoop, conservatrice du Musée Mathurin Méheut,
Lamballe
Loïc-René Vilbert, conservateur de la bibliothèque muni-
cipale de Dinan, directeur de la Maison d'Artiste de la
Grande Vigne, Dinan.
Kenneth White, écrivain
Illustrations de débuts de chapitre : Loïc Corouge
LES AUTEURS
Ce livre accompagne l’exposition « Pêche à pied et usages de l’estran »
PRÉFACE
« Est-ce la mer qui a délimité la terreOu la terre qui a délimité la mer ?Chacune a tiré un sens nouveau du choc des vagues.La mer s'est brisée sur la terre pour se définir pleinement. »
Seamus Heaney
Fouiller la mer en ses terres, pour extraire toutes les richesses de son écrin de granite...
Tout pêcheur à pied a cette ambition, or pour bien connaître la marée, il faut l’aimer profon-
dément, vivre avec elle, être guetté par elle, la suivre pas à pas lorsqu’elle se retire, soulever les
pierres de ses fonds et de ses côtes, dans les crevasses et les herbiers, dans les grottes qui ne sont
accessibles qu’aux marées de printemps et d’équinoxe.
C’est ce que font en particulier tous les « arpenteurs de grèves » de cette riche baie de Saint-Brieuc.
Quelles joies l’on se réserve à maréer ainsi, à pénétrer ces retraites secrètes, à scruter ces mys-
tères dans leur enclos, à surprendre le coquillage étoilé, la nacre et l’écaille, quand grouille la vie
dans la moindre flaque d’eau...
Depuis la Préhistoire, la pêche à pied fait partie de la culture maritime et littorale bretonne.
Néanmoins, l’histoire de ces pratiques reste encore à faire. C’est l’objectif de cette exposition du
musée de Saint-Brieuc, à la fois documentaire, ethnographique et pédagogique, la première à
traiter de la pêche à pied en Bretagne !
Une scénographie ludique et interactive, signée Loïc Corouge invite le visiteur dans le territoi-
re de la grève, de ses acteurs et de ses outils, à l’école de l’estran et de ses usages multiples. Elle
découvre les odeurs et les secrets d’une bibliothèque d’algues, empreinte des mots du patrimoi-
ne local, en français, en breton et en gallo, à l’écoute d’un paysage sonore, œuvre originale de
Yann Paranthoën.
Cette exposition est à découvrir comme un guide de la pêche à pied, un itinéraire des grèves
pour mieux comprendre « l’esprit des lieux », ce qui caractérise, en Côtes-d’Armor et ailleurs, l’es-
tran de toutes les marées...
Claude Saunier
Sénateur-maire de Saint-Brieuc
INTRODUCTION
GUY PRIGENT
Dans la mythologie celte, le fond de l’océan est le domaine de toutes les richesses. Mais si ces
richesses halieutiques sont avec les fonds sous-marins des ressources sauvages, invisibles, non bor-
nables et non cumulables, la présence de la mer, même riche en espèces comestibles, n’en
provoque pas systématiquement l’exploitation par les populations riveraines. Il n’y a pas en cela
de déterminisme naturel.
Les littoraux de la Bretagne et particulièrement des Côtes-d’Armor font exception, de par jus-
tement leurs relations continues et historiques avec la mer, avec un littoral-mémoire de 300 km.
Passé du domaine privé de l’État au domaine public, l’estran de l’ancien français « estrande »,
désigne au 12e siècle le bord et le rivage de la mer, appelé dans le langage courant, la grève. La
grève est donc formée des lais et relais de mer, ce que les bretons nomment « an aod » et « gour-
lan », c’est-à-dire l’espace compris dans le balancement des plus grandes marées. La notion de rivage
est aujourd’hui supplantée par celle de littoral, terme polysémique, mouvant, à géométrie variable,
comme la réalité qu’il désigne. Néanmoins, la grève reste le territoire des pauvres, espace en
marge, périphérique, hier dévalué par certaines classes sociales, aujourd’hui revalorisé par de
nouvelles pratiques plus rentables, entre un mode de vie, de production et de loisirs.
Soulignons qu’en France, à la différence de l’Espagne, les rivages de la mer et le littoral consti-
tuent deux entités juridiques séparées, puisque le domaine public maritime n’englobe pas la zone
maritimo-terrestre. Cette dualité entrave la reconnaissance juridique d’une réalité sociale et cul-
turelle, dont les pêcheurs à pied font partie.
Aujourd’hui, la grève est remembrée, fragmentée. Certaines unités spatiales sont délimitées par
des activités qui en excluent d’autres. L’estran pose ses limites, comme la mer en ses terres. La
grève devient l’enclos, après avoir été le territoire du vide (selon l’expression de A. Corbin).
Néanmoins, la grève reste un espace mi-réel, mi-imaginaire, un espace de semi-liberté. Aller à
la grève, non pas courir mais marcher, démarcher un territoire, où les yeux s’égarent, où l’esprit
se creuse, faire attention où on met ses pas, pour aller droit à l’essentiel.
La grève, comme un passage entre le connu et l’inconnu, entre le visible et l’invisible, avec un
passé, un présent, une histoire, une géographie sans cesse remaniée par le flux et le reflux, par
les bousculades géologiques ; où le vivant animal et végétal a su s’adapter, confronté à un envi-
La pêche à pied 7
ronnement instable, fragile dans ses interactions, dans ses rencontres entre la terre et l’eau, entre
les eaux douces et les eaux salées...
L’homme de grève n’est-il pas aussi un homme des bords, des marges, des multiples passages...
d’une géopoétique littorale ?
L’homme du littoral fait partie du géosystème halieutique défini par les géographes. Il partici-
pe de la biodiversité. Il empiète sur le milieu marin en changeant d’identité, pour une appropriation,
qui se veut toujours utile, variable, selon ses besoins... en sachant que la mer érode toujours les
bords, superpose les conséquences. La rente halieutique est toujours précaire, incertaine, impré-
visible et réversible, mais la « famille littorale » a toujours su tirer partie de son environnement dans
un système biocénotique variable, en élaborant au fil de ses diverses expérimentations des savoirs
naturalistes et des usages éprouvés, qui constituent une culture littorale.
C’est l’objet de la présentation au musée de Saint-Brieuc : faire se croiser des attitudes, des
démarches, des comportements au regard d’une ethnologie du présent et d’une mise en pers-
pective de l’Histoire. Entre la terre et l’eau, où l’homme pose ses enjeux et ses contradictions, depuis
les temps préhistoriques.
Carte particulière des Costes deBretagne, depuis le cap Fréheljusqu’à Perros-Guirec, extraitd’un Recueil des Côtes deFrance sur l’océan, 17e siècle.Coll. du Service historique de laMarine, Vincennes.
Généralités, définitions
Les pêches à pied sont paradoxalement parmi les plus
méconnues : si les grandes pêches transatlantiques ont
bénéficié de toute l’attention des historiens, il n’en va pas
de même pour celles-ci. Ces pêches, très pratiquées sur
le littoral, sont regroupées sous l’appellation indéfinie de
« petites pesches à pied ». Cette apparente pauvreté histo-
riographique s’explique aisément par le fait qu’elles
n’ont laissé que très peu de traces archivistiques,
marquant par là même la faiblesse du contrôle de l’état
à ce niveau.
La pêche à pied regroupe en fait
l’ensemble des techniques de pêches
qui sont pratiquées sans l’emploi
(ou l’emploi accessoire) d’une
embarcation sur le rivage et sur les
rochers et îlots, par des pêcheurs se
déplaçant essentiellement à pied. Si
les prises ainsi réalisées s’apparen-
tent à la cueillette, elles n’excluent
en rien le recours à des techniques
plus développées. Faut-il en
conclure pour autant qu’elles sont
marginales ? Avant de répondre à
cette question il faut se pencher sur
l’intérêt de ces pêches. Un rapport
de 1785 nous donne les principaux
arguments qui témoignent de leur
rôle :
- Elles sont aussi utiles pour la subsistance du peuple
qu’agréables et recherchées « pour la table du riche ».
- Elles occupent autant d’hommes de mer que la
majeure partie des autres pêches.
- Lorsque ceux-ci sont absents, les femmes et les
enfants ramassent les coquillages sur le rivage, s’en nour-
rissent et en vendent pour satisfaire à leurs autres
besoins.
- Toutes les provinces littorales peuvent les pratiquer
avec « autant d’abondance que de facilité. »
Mais que pêche-t-on à pied au 18e siècle ?
Il serait tentant de dire que les prises sont assez iden-
tiques à celles que nous pouvons faire de nos jours :
crabes (les cancres), crustacés (écrevisses de mer c’est-
à-dire les homards), crevettes, divers coquillages et
poissons (congres, vieilles et autres poissons de roches)
utilisent un ensemble de techniques diverses, depuis la
récolte manuelle de coquillages sans aucun instrument,
jusqu’aux parcs et pêcheries qui sont des constructions
semi-pérennes. Par ailleurs, les activités conchylicoles
(pêche des huîtres et des moules) restent rudimentaires
sur le littoral costarmoricain sous l’Ancien Régime.
La plupart de ces pêches sont réalisées à l’aide de
« cordes, paniers, havet et haveneaux à chevrette
[crevettes], pesche à la ligne » et à l’aide de crochets
métalliques, pour pêcher dans les rochers. Sur les côtes
de l’amirauté de Saint-Brieuc les engins recensés en
1738 sont les casiers, les haveneaux, les râteaux et diffé-
rents crocs, les couteaux mais également les cannes à
pêches, les lignes ainsi que divers filets.
26
Crabes, planche de laDescription topogra-phique, géographiqueet historique de laBretagne, du Sr deRobien, vers 1756. Coll.bibliothèque munici-pale de Rennes.
PÊCHES À PIED, DE NOMBREUSES TECHNIQUES
OLIVIER LEVASSEUR
Quelques pêches spécifiques
Ne pouvant ici décrire dans le détail l’ensemble des
techniques de pêches à pied utilisées sous l’Ancien
Régime, nous allons fournir quelques éclairages sur
certaines d’entre elles.
- La pêche des crustacés
Les textes sont en général fort peu diserts sur la pêche
des crustacés : Robien nous apprend simplement que
« les crabes et les écrevisses de toutes formes se prennent
ordinairement sous les rochers ; ils se vendent aux pois-
sonniers, avec le poisson frais, qu’ils transportent toute
l’année pour la nourriture des habitants de la province 3. »
La pêche des homards se fait au casier et est particu-
lièrement intéressante, car elle nous prouve que le
monde de la pêche à pied est ouvert aux innovations
techniques. Les homards ne sont pas pêchés avant 1716-
1717. L’introduction du casier est
due à des Guernesiais qui vont
former des pêcheurs bréhatins à
cette technique, allant même jusqu’à
leur fournir des « cages faites de
bois d’osier qui ressemblent exac-
tement à des souricières de fil de
fer, de grandeur à pouvoir contenir
20 à 30 homards, garnies d’un orain,
et de liège pour servir de bouée ».
Les prises sont vendues à Guerne-
sey, puis sont réexportées vers
Londres, les îles anglo-normandes
et la Normandie.
Cette technique, également utili-
sée pour les crabes, se répand par
la suite sur les côtes, puisqu’en 1726
la « pesche des berres ou caziers à la coste » se pratique
à Trégastel et Port-Béni. Il semble bien que cette acti-
vité ne soit pas spécifique à certains pêcheurs, mais
constitue plutôt une ressource complémentaire.
Crabes et homards ne sont donc pas réservés à la
consommation locale.
- La pêche des coquillages
La pêche des coquillages se fait à marée basse, essen-
tiellement dans les rochers. « Plusieurs coquillages (…)
s’attachent aux rochers que la mer recouvre à toutes
marées. Les pêcheurs vont à la basse-eau les détacher
avec un crochet (…) qui est au bout d’une perche plus
ou moins longue, suivant l’élévation des rochers & quand
ils les ont fait tomber, les femmes les ramassent dans des
paniers. (…) Lorsque les roches sont basses & à portée
de la main, les hommes, les femmes & enfants les déta-
chent avec une espèce de couteau (…). »
Les berniques sont pêchées, mais
ne semblent pas être destinées à la
consommation humaine car ce
coquillage, « très abondant à cette
côte, leur sert principalement à nour-
rir les cochons, & ils font de la chaux
avec les coquilles. »
Cette dernière utilisation est à
nouveau mentionnée en 1770, lorsque
les religieux de Bégard doivent faire
face à des difficultés d’approvision-
nement en chaux normande : « les
réparations urgentes, (…) engagèrent
les religieux à faire ramasser des
coquillages sur le bord de la mer et à
les faire voiturer à Lannion ou ils les
envoyoient prendre pour apporter
Histoires de littoral 27
Araignée, MathurinMéheut, planche deL’Étude de la mer.Faune et Flore de laManche et de l’Océan,Paris, 1913. Coll.musée de Saint-Brieuc.
La question goémonière est bien plus étendue qu’il
ne peut y paraître de prime abord : on y retrouve les
problèmes que pose la définition du littoral (contesta-
tions portant sur le territoire même des paroisses, le
partage des épaves…), mais également la réelle utilité
du goémon. Autant de problèmes qui vont nous
permettre de mieux comprendre comment les habitants
du littoral se définissent, et comment ils définissent leur
espace et quel rapport ils peuvent avoir avec le littoral.
Quelques éléments de définition
L’une des principales richesses exploitées sur l’estran
et sur le littoral est formée par l’ensemble des amende-
ments marins, qui doivent être définis clairement car la
terminologie utilisée n’est pas toujours très explicite.
Si l’on simplifie à l’extrême, on se trouve face à deux
grands types d’amendements : d’une part ceux regrou-
pés sous le terme générique de « goémon » et d’autre part
les « sables marins ». Ce second type ne pose que très
peu de problèmes sous l’Ancien Régime, tandis que les
goémons vont être la source de nombreux textes légis-
latifs et procéduriers.
Au cours de cette période, le « goémon » est divisé
administrativement en trois catégories : le goémon-épave,
ou goémon de jet, constitué par les algues arrachées
par la mer et rejetées sur le rivage, qui appartient au
premier occupant. La seconde catégorie est le goémon
de coupe, c’est-à-dire celui que l’on va couper sur les
rochers, qui ne peut être récolté que par les habitants
des paroisses sur le territoire desquelles se trouvent
lesdits rochers. Enfin, la dernière catégorie est celui du
« goémon de fond », qui pousse au fond de la mer donc
et qui n’était que très peu exploité, les moyens tech-
niques pouvant être alors un facteur limitatif.
Ces simples données vont fournir la matière à de
multiples contestations émanant de paroisses contre
leurs voisines. Les conflits éclatent parce que la coupe,
et au-delà, l’exploitation du goémon sont ressenties
comme des problèmes cruciaux pour les habitants des
paroisses littorales, car s’y mêlent des avantages réels et
des aspects psychologiques : les ressources de l’estran
sont perçues comme une compensation nécessaire aux
difficultés occasionnées par la vie près du milieu mari-
time. L’irruption d’une législation spécifique à la fin du
17e siècle va favoriser l’éclosion de tels conflits, parfois
larvés, souvent ouverts pouvant aller jusqu’à l’affronte-
ment physique entre paroissiens.
36
LE GOÉMON
OLIVIER LEVASSEUR
Laminaires, Mathu-rin Méheut, plancheextraite de l'Étudede la Mer. Faune etFlore de la Mancheet de l'Océan, Paris,1913. Coll. musée deSaint-Brieuc.
Un texte du 19e siècle nous explique l’importance que
peut revêtir le goémon ; « sortant du sein des flots peut
être avec assez de justesse comparé à ce lingot d’or
auquel le marteau monnayeur vient de donner une
valeur conventionnelle, à cela près que cette monnaie,
du moment que l’on cesse de la livrer à la circulation,
cesse aussi de porter des intérêts, tandis que le goémon,
viendrait-il à tomber en des mains insouciantes et inex-
périmentées, fructifierait encore : il fructifierait malgré
et en dépit de tout. C’est un engrais véritablement
précieux. (…) Il suffit, pour en acquérir une preuve irré-
cusable de comparer l’agriculture du littoral à celle de
l’intérieur des terres. Quel contraste ! D’un côté richesse,
prospérité, civilisation. De l’autre, pauvreté, misère ».
Ceci suffit à mieux comprendre l’attachement des habi-
tants des paroisses riveraines aux goémons.
Les utilisations du goémon
Le directoire du District de Pontrieux résume en 1793
ses diverses utilisations :
« (…) Cette plante maritime est nécessaire non seule-
ment pour l’engrais des terres mais même pour le
chauffage des habitants qui n’ont pas de bois à feu sur
les lieux et qui ne peuvent s’en procurer qu’à grand
frais. (…) Elle supplée au défaut de feuillages et des
fruits propres à faire du fumier, avantages dont jouissent
les paroisses de l’intérieur qui étant pourvues de bois à
discrétion employent à faire du fumier les matières que
les riverains de la mer conservent précieusement pour
faire du feu. (…) Le goëmon [sic] qui croit sur le terrain
que la mer dans ses fluctuations périodiques laisse à
découvert n’est que suffisant pour la consommation des
riverains.(…) La faculté d’en jouir de préférence à tous
autres semble leur avoir été attribuée par la nature même
pour les dommages des avantages qu’elle leur refuse et
qu’elle prodigue aux communes de l’intérieur.
(…) Leur privilège est circonscrit dans les relais de la
mer vis-à-vis de leur territoire ; qu’au surplus tout le
monde a droit d’aller couper et enlever avec des batteaux
le goëmon qui croit sur les rochers que la mer envi-
ronne et ne quitte jamais (…). »
Une autre utilisation mentionnée dans les sources est
de servir de rembourrage pour les matelas.
La principale propriété est sans nul doute que « cette
herbe est très propre à engraisser et à fertiliser les terres.
Par ailleurs, une dernière propriété du sart, c’est qu’il est
propre à la fabrication du verre ». Il ne semble pas y
avoir au cours de l’Ancien Régime de tentative d’une
telle fabrication sur les côtes costarmoricaines avant les
19e et 20e siècles qui verront alors les activités goémo-
nières y trouver des débouchés plus larges.
Modalités et techniques de récolte du goémon
Les techniques de récolte varient selon la catégorie
des goémons concernés. Celles du goémon-épave sont
fort simple : il suffit, en théorie, de le ramasser manuel-
lement, s’il est échoué sur l’estran, ou à l’aide d’un râteau
de forme variée, s’apparentant le plus souvent à une
fourche.
Histoires de littoral
La récolte du goémonsur le rivage de Perros-Guirec.
98
On allait à la pêche le jeudi ou pendant les vacances,
pour se faire plaisir, faire plaisir aux parents ou pour
se faire un peu d’argent de poche.
Sur la Banche, la pêche la plus courante était la pêche
aux coques, à la tache ou à la « pissette » .À la main ou
pieds nus. On fouillait le sable avec le gros orteil, cela
évitait de se baisser pour rien. Droit devant, en suivant
la marée descendante, les coques font des giclées faciles
à repérer. Sinon, on cherchait les taches noires et rondes
bien visibles sur le sable. Elles étaient peu profondes et
particulièrement nombreuses aux endroits où poussaient
des plantes semblables à de l’herbe. Cela nous faisait
penser à l’herbier qui avait disparu et dans lequel nos
parents, enfants, avaient fait des prises miraculeuses de
homards. En été, nous avions beaucoup de concurrence
avec les nombreux touristes qui s’adonnaient à cette
pêche facile.
Les palourdes, c’était déjà plus dur. Elles se trouvaient
dans le sable et les graviers, parmi les petits rochers et
la caillasse du côté de la houle Margot, la grotte préhis-
torique qu’on nous disait taillée de main d’homme.
C’était là aussi que se trouvait la mare au coucou, un joli
trou d’eau parmi les rochers, celui où nous allions
prendre notre premier bain de printemps. Les vacances
de Pâques donnaient le signal des premières baignades.
L’eau était encore un peu fraîche à ce moment-là. Deux
trous, une palourde, c’était ce qu’il fallait chercher en
soulevant délicatement les petits cailloux plats avec une
Pêcheurs aux crevettesà Binic en 1920. Coll.Daniel Giraudon.
LE GOËLO, PAYS LITTORAL
SOUVENIRS D'ENFANCE D'UN PETIT PÊCHEUR DE LA BAIE DE SAINT-BRIEUC (1950-1960)
DANIEL GIRAUDON
Littoral ressource, littoral mémoire
La pêche aux crevettesdevant le sémaphore deSaint-Quay-Portrieux.Coll. AD 22, fonds Vallée.
fourchette. Lorsqu’il s’agissait de comptabi-
liser nos prises, on les comptait par
douzaines et on les mettait dans un panier
à salade. C’était pratique pour les rincer.
On trouvait de beaux bigorneaux noirs
autour du « grand rocher » et du « petit
rocher » (où se trouve aujourd’hui la piscine)
parmi et autour des énormes blocs de pierres
de taille. Il ne fallait pas avoir peur de
marcher dans la vase, mais nous, les enfants,
nous aimions nous faire une belle paire de
bas noirs en pataugeant au milieu de l’en-
ceinte du « grand rocher » où la couche de
limon était plus épaisse et où l’on s’enfon-
çait jusqu’aux genoux. Il y avait aussi des
vignots, mais moins gros, du côté de la houle
Margot et au Vau-Madec aux endroits où
coulent de petits ruisseaux et où il y a de la
vase. Pour plaisanter on parlait de faillis
quétons quand les farins étaient vraiment
petits. On ne mangeait pas les bigorneaux de chiens.
Les moules étaient pêchées au Vau-Madec, côté Binic
ou côté Pordic, vers Port-Géant ou le Petit Havre. On les
arrachait au couteau sur les rochers, le plus près possible
du sable et les noires bien lisses plutôt que les bleues.
Quand elles étaient gravelouses, on les nettoyait sur
place dans une mare. On disait qu’il fallait que la neige
soit passée dessus pour qu’elles soient bonnes et que les
genêts soient en fleur. Pour s’amuser, on mangeait
quelques berniques crus.
On attrapait des couteaux, des pinteaux, comme disait
mon père, avec des baleines de parapluie.
Quand il y avait de grandes marées en hiver avec de
grands coups de vent, on partait de Binic, à pied par la
plage, à basse mer pour pêcher des coquilles Saint-
Jacques, des dahins, comme on les appelait, des bouts-
rouges (grosses coques rayées, brunâtres avec une langue
rouge) et des oricans (coquilles internes nacrées) entre
le Vau-Madec et Tournemine.
Avec des filets à barre en bois, on allait pêcher les
crevettes grises. On en prenait beaucoup, plein une
hotte, mais ça ne durait pas longtemps. On prenait en
même temps des médailles ou lèches-beurre (toutes
petites plies) et des hippocampes. En revenant, on
donnait un coup de filet dans le lit de l’Ic, qui passait
devant le phare et nous prenions quelques belles plies.
De l’autre côté vers le Vau-Madec, dans la mare aux
terpieds (pieuvres), on cherchait les bouquets. Dans les
années cinquante, des centaines de pieuvres, également
appelées minards, étaient venues crever sur le sable.
126
Les outils pour être efficaces sont toujours adaptés
aux conditions de capture de l’espèce convoitée. D’autre
part, les pêcheurs les confectionnent eux-mêmes.
Souvent ces outils prennent des noms différents pour des
utilisations semblables.
Le dranet, nom commun du havenet en croix est
appelé « bichette » à Saint-Jacut-de-la-Mer et sur la côte
normande, mais reprend cette appellation sur l’ensemble
de la baie de Saint-Brieuc et de la Rance à Cherrueix. Il
permet de racler le sable où est enfouie la crevette grise
(la chèvre).
Le pêcheur fait une « bordée » du bord vers le large et
retour, pour savoir à quelle profondeur se trouve la
chèvre et ne pas la disperser...
Les deux bras ou quenouilles qui tendent le filet se
terminent sur des patins en bois ou en alliage léger,
destinés à mieux glisser sur les fonds sablo-vaseux. Les
extrémités libres des bras disposés en croix, reposent au
travail sur les hanches du pêcheur.
La bichette peut être de dimension inférieure au dranet
avec un manche et une lame en bois.
Dans les fentes des roches (les fondres), pour pêcher
le bouquet profond, la crevette rose, on utilise des petits
havenets cerclés, de tailles différentes, munis d’un
manche en saule, coudé, plus ou moins court et dont le
fond en petites mailles se confond avec une chaussette
(poche en chanvre ou en coton). Le chanvre est meilleur
car raidissant davantage dans l’eau...
Le grand dranet « pliant » se compose de deux perches
munies de patins en bois ou prolongées par des cornes
de vache, pour moins s’user sur des fonds caillouteux.
Sa largeur courante est de 3 mètres. Mais elle peut varier
pour s’adapter aux femmes et aux enfants. La poche est
calculée en fonction de la largeur du dranet. La maille
utilisée est de 10 mm, voire 10,5 mm. Une ralingue
retient le filet, à l’avant et sur les perches. Elle peut
mesurer jusqu’à 5,20 m et être plombée. Le dranet s’ap-
pelle alors le « pingoué » sur la côte du Val-André.
L’écartement du dranet est maintenu à l’aide de « l’es-
suiblais » (barre de bois) et une bande de cuir aide à
pousser l’armature.
Le grand dranet permet de prendre dans sa souille de
la crevette grise, du bouquet, quelquefois des soles, des
plies, des mulets et le homard aventureux.
Pêcheurs de crevettesavec leurs havenets.
D’UNE BAIE À L’AUTRE… DES OUTILS SEMBLABLES
GUY PRIGENT
Littoral ressource, littoral mémoire 127
Il est utilisé de mars à novembre entre Jospinet et La
Cotentin, dans toutes les petites baies jusqu’en
Rance mais aussi sur les bancs des Hermelles (crassier),
entre les rangées des moulières, dans les ruisseaux des
parcs à huîtres cancalais et sur les différentes petites
grèves de la côte de Cancale (Grève des Filles, Mare
des Loches à Port-Pican, Grève des Potelets au Grouin).
Cet engin permet un autre type de pêche appelé la
« iette ». Elle est pratiquée à Cherrueix, La Larronnière
et Le Vivier, ainsi que dans tous les herbiers de la côte.
La pêche a lieu en fin de marée descendante ou à
marée montante. De l’eau jusqu’à la ceinture, le pêcheur-
reste immobile, sent avec ses doigts le poisson toucher
le filet, puis le relève rapidement et fréquemment, on
pêche ainsi les anguilles, les bars ou les mulets.
Les pêcheurs au dranet peuvent disposer d’une petite
épuisette ou « épingeoir » avec laquelle ils prennent leurs
captures. Le tri a lieu dans l’épingeoir alors que le
seuniau est à nouveau à l’eau, poussé par les hanches
du pêcheur. Le produit de la pêche est glissé ensuite
dans la hotte dorsale (très large et peu profonde pour
les crevettes).
Le seuniau est utilisé pour pêcher les huîtres plates du
large. Mais un arrêté du 11 avril 1974, interdit « de la fron-
tière belge à la frontière espagnole, à tous pêcheurs à
pied de faire usage d’aucun filet, engin ou instrument
quelconque pour faire la pêche des huîtres ».
En haut : série dehavenets pour lapêche au bouquetdans les rochers.Cliché Guy Prigent.
En bas :patins avec clous eninox pour pointerles poissons plats ethouets pour pêcherle lançon, creuserun sillon, poser desharouels…
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SPAGHETTIS DE MER
200 g de spaghettis de mer
1 pot de crème fraîche épaisse
1 jaune d’œuf
Quelques feuilles d’estragon frais
Sel, poivre blanc
Rincer à l’eau courante les spaghettis de mer, les égout-
ter soigneusement puis les cuire à la vapeur
Faire chauffer à part la crème à feu doux.
Ajouter le jaune d’œuf hors du feu et remuer pour
obtenir un mélange homogène. Puis ajouter l’estragon
préalablement ciselé, le sel, le poivre blanc.
Dresser sur le plat chaud les spaghettis et les napper
de sauce.
COQUILLES SAINT-JACQUES AU CHAMPAGNE
Passer vos coquilles au four pour les ouvrir.
Les ébarber, les laver à grande eau. Hacher
et saler légèrement. Mettre le hachis dans
une casserole avec du beurre (100
grammes de beurre pour 18 coquilles)
et une poignée de mie de pain écrasée.
Ajouter un verre à bordeaux de cham-
pagne. Laisser cuire quelques minutes.
Goûter et régler l’assaisonnement. Puis
retirer du feu. Garnisser les coquilles, metter une noix
de beurre et recouvrerde chapelure. Passer au four
pendant 15 minutes, en ajoutant du beurre de temps en
temps.
COUTEAUX CRUS
Laver les couteaux à grande eau (eau de mer)
Détacher alors la partie blanche du corps, en dédai-
gnant les chairs adhérant aux valves et la déguster
accompagnée d’une tartine de pain beurré.
Prévoir un vin blanc sec et frais. C’est un
délicieux casse-croûte.
HOMARD
Le homard des Côtes de France à la nage,
des homards cuits au court-bouillon accom-
pagnés de leur beurre fondu
Pour quatre personnes, quatre homards.150
grammes de beurre, sel, poivre
Court-bouillon : carottes, 2 gros oignons,
une gousse d’ail, 3 échalotes, 1 verre de vin
blanc sec, 1 litre d’eau, sel, poivre, 1
bouquet garni.
Dans un grand faitout, mettre les
carottes, l’oignon émincé, l’ail, les écha-
RECETTES GASTRONOMIQUES
DU PÊCHEUR À PIED
RECUEILLIES PAR GUY PRIGENT
lotes hachées, le bouquet garni. Saler et poivrer, couvrir
avec le vin blanc et l’eau et porter à ébullition.
Lorsque le court-bouillon bout vivement, y plonger les
homards vivants et les laisser cuire 15 minutes environ.
En même temps faire fondre le beurre doucement.
Égoutter les homards, casser les pinces, fendre le corps
et le disposer sur un plat chaud.
Saler et poivrer le beurre fondu et le servir en saucière
avec les homards.
BERNIQUES PARC-BRAZ
1 kg de berniques, 1 oignon haché, 2 œufs durs en
tranches minces, farine, beurre, croûtons grillés pour
canapés, citron en tranches.
Laver les berniques à grande eau. Les mettre dans une
casserole. Couvrir d’eau froide. Saler.
Porter à ébullition. Retirer aussitôt. Enlever les
mollusques des coquilles. Ôter la partie noire.
Faire un roux avec l’oignon, laisser colorer. Y jeter les
berniques 5 minutes seulement. Vérifier l’assaisonne-
ment. Dresser sur un plat les croûtons grillés. Y placer
les tranches d’œufs, puis les berniques. Masquer avec la
sauce, garnir de citron.
ORMEAUX, CIVET DU PÊCHEUR
1 kg d’ormeaux, 12 petits oignons, 15 petits lardons
fumés, farine, vin rouge, sel, poivre, bouquet. Cuisson
1 heure.
Faire revenir les ormeaux avec les petits oignons et les
lardons. Saupoudrez de farine. Mouiller avec le vin
rouge. Ajouter le bouquet, assaisonner. Poursuivre la
cuisson à feu doux.
Étude crabe et coquilles Saint-Jacques, Mathurin Méheut, 44,5 x31,3, gouache, aquarelle, mine etplomb sur carton. Coll. muséeMathurin Méheut, Lamballe.
L’estran et l’aventure des arts
La vie des côtes et le monde rural sont les deux prin-
cipaux thèmes abordés parmi les mill iers de
représentations iconographiques suscitées par la
Bretagne. Si l'on se réfère aux travaux de Denise
Delouche, on peut estimer qu'il existe dix portraits de
paysan pour un seul de pêcheur. Encore celui-ci est-il
un pêcheur embarqué : sardinier de Concarneau, Terre-
Neuva... Le Breton serait-il constamment sur l'eau, ou
dans les terres, mais jamais un arpenteur du littoral ?
Les nombreuses études consacrées ces
dernières années aux peintres de la Bretagne
montrent que la mode « provinciale » s'est déve-
loppée, dans le dernier tiers du 19e siècle, avec
l'éclosion d'ouvrages régionalistes, illustrés de
gravures, et d'une littérature de récits et souve-
nirs de voyage. Un schéma pittoresque et
romantique, issu d’auteurs étrangers à la
région, s’est développé, et avec lui le stéréo-
type d’une côte dure aux hommes, lieu d’un
perpétuel combat contre les éléments (tableaux
de tempête, de naufrage, etc.).
L’iconographie littorale montre un monde
d’hommes et de femmes au travail dans les
ports et sur les champs dominant la mer.
Néanmoins, c’est le paysage qui reflète le plus
la vogue bretonne auprès des peintres. À la fin
du 19e siècle, i l devient prétexte à des
recherches de lumières, sur la mouvance de la
mer et les grèves littorales, sur lesquelles sont
parfois esquissés au loin des pêcheurs à pied :
comme la peinture d’Emmanuel Lansyer (1880) Grève du
Mont-Saint-Michel, immensité grise où nul obstacle n’ar-
rête le regard. Les nuages courent, annonciateurs de
grains ; la mer se retire encore que les pêcheurs s’éloi-
gnent vers le bas de l’eau, leur grand haveneau plié sur
l’épaule. Ce thème du paysage perdure de nos jours,
notamment dans les peintures de l’artiste contemporain
Gilles Arzul, où loin des foules des marée d’équinoxe,
les cueilleurs de palourdes se fondent dans un contre-
131
QUAND LES ARTISTES VONT À LA GRÈVE…MARIE-LISE JORY
Pêcheurs à pied, Gilles Arzul Coll. de l'artiste.
jour lumineux, silhouettes croquées au loin, comme pour
ne pas déranger leur travail studieux de ratissage. Si ce
n’étaient leurs vêtements, on les croirait intemporels,
prêts à se figer dans l’imaginaire du paysage.
Malgré sa faible représentation, le portrait des pêcheurs
est présent dans différents genres picturaux. Le réalisme
social, courant littéraire et artistique à la mode dans la
seconde moitié du 19e siècle, de Gustave Le Sénéchal de
Kerdréoret, Ramasseuses d’huîtres à Cancale ; ou
d’Alcide-Théophile Robaudi, La Bichétière, s’attarde sur
une image de la vie sociale laborieuse des gens du bord
de mer. D’autres artistes, comme Mathurin Méheut ou
Yvonne Jean-Haffen, au cours du 20e siècle, influencés
par l’ethnographie, se sont plus attachés à montrer les
gestes, les attitudes, et les techniques de pêche...
Si les activités littorales paraissent marginalisées dans
l’iconographie, il existe une exception : l’activité goémo-
nière. Est-ce que les goémoniers étaient particulièrement
nombreux sur les sites visités par les premiers peintres
de la Bretagne ? Est-ce l’odeur âcre et la fumée qui les
impressionnèrent ? Est-ce le caractère pictural des tas
de goémon alignés sur les dunes ? En tout cas les
tableaux abondent sur ce sujet, à l’image du Brûleur de
goémons de Jules Alfred Mathé-Hervé.
L’art autour des usages de l’estran est certes timide
par le nombre, mais l’intérêt, la fascination de cet espace
et de l’activité humaine qui lui est liée, ont intéressé
certains peintres du 19e siècle et continuent d’interroger
et d’inspirer les peintres et plasticiens contemporains,
comme Richard Texier et Loïc Corouge.
132 Pêche à pied
À droite : Brûleurs de goémons à
Carantec, Jules-AlfredMathé-Hervé, huile sur
toile, 97,5 x 130,5 .Coll. musée d'art et d'his-
toire, Saint-Brieuc.
À gauche : La bichetière, Alcide-
Théophile Robaudi, huilesur toile, 165 x 235,5, findu 19e siècle. Coll. musée
du Vieux Granville.
Il serait certainement vain de vouloir recenser tous
les peintres qui, aux 19e et 20e siècles en Europe, se sont
tournés vers ces vastes étendues, ces « riens somptueux »
(Georges Perros), que sont les paysages maritimes.
Toutefois, il est intéressant de remarquer la fascination
exercée par l’estran sur certains d’entre eux et l’évolu-
tion de la retranscription picturale de tels lieux.
J. M. W. Turner (1775-1851), R. P. Bonington (1802-
1828), G. Courbet (1819-1877) et J. Whistler (1834-1903),
par exemple, seront particulièrement attirés par ces
« espèces d’espaces ».
Ils privilégieront avant tout le ciel et les sables. Si ces
artistes placent encore des silhouettes souvent isolées
dans leurs toiles, comme des présences rassurantes entre
nous et le paysage, ce ne sont que des témoins discrets
entre le spectateur et l’infini tout en donnant une sorte
d’échelle à celui-ci. Il y a là une grande parenté avec la
peinture chinoise et japonaise.
La présence humaine disparaît peu à peu dans sa
représentation figurée avec le nouveau siècle. Elle est
interprétée à travers des signes, des traces dans un
paysage arpenté et imaginé par l’artiste.
On peut reconnaître qui il est, cela l’identifie. Et c’est
ainsi que le peintre, par l’œuvre, authentifie ses instants
vécus dans un paysage arpenté ou imaginé. Citons Arpad
Szenes (1897-1985), Manessier (1911-1993), Degottex
(1918-1988), Madeleine Grenier (1929-1982)...
Yves Tanguy ou les plages rêvées
Yves Tanguy est né le 5 janvier 1900 à Paris mais a
vécu une partie importante de son enfance à Locronan
dont sa famille est originaire. Les premières années de
sa vie passées près de la baie de Douarnenez et la
découverte de la côte bretonne comme la Lieue de Grève
à Plestin ont été vraisemblablement prégnantes pour
ses recherches picturales futures. Cette topographie, ces
paysages si particuliers de sables et de vases s’étalant
largement quand la mer se retire se sont inscrits sans nul
doute fortement en lui, associée à la rencontre plus tard
d’autres univers littoraux en Europe et en Amérique du
Sud. En 1920, il rencontre Jacques Prévert qui lui fait
connaître ses amis écrivains et peintres comme Vlaminck.
À 23 ans, il commence à dessiner et découvre, impres-
sionné, les tableaux de Giorgio de Chirico à travers une
vitrine. Durant ces années, il habite avec Jacques Prévert
et Marcel Duhamel, côtoie les poètes Aragon, Breton et
Desnos qui influencent sa première « peinture automa-
tique », privilégiant le hasard. Dès 1927, son univers
pictural se compose étrangement à partir d’espaces
évoquant les grèves de son enfance.
En 1930, Yves Tanguy fait un nouveau voyage en
Afrique qui le marque profondément. Puis il continue
d’explorer ses propres Terra Incognita. À partir de cette
époque, il développe toute une gamme de formes diverses
133
YVES TANGUY, PEINTRE DE L’ÉSTRAN, PEINTRE DE L’ÉTRANGE
TANGUY DOHOLLAU
TABLES DES MATIÈRES
Préface, C. Saunier 5Introduction, G. Prigent 6Entre ethnologie et histoire, P. Aumasson 8La cause du scénographe, L. Corouge 10
Histoires de littoralUn peu de préhistoire et d’histoire, G. Prigent 13Aux origines du peuplement littoral armoricain, J.-Y. Cocaign 15Sel et préhistoire, P. Gouletquer 19Le littoral de l’Ancien Régime, O. Levasseur 21Les pêcheurs à pied, O. Levasseur 24Diverses techniques de pêche à pied, O. Levasseur 24Parcs et pêcheries, O. Levasseur 30Les anciennes pêcheries de la côte est de la baie de Saint-Brieuc, J.-H. Clément 33Le goémon, O. Levasseur 36Les pêches d’estran au 19e siècle, J.-H. Clément 41Les Algues et leur utilisation dans le Trégor, H. Lopes-Labat 46
De l’aventure à la captureL’appropriation symbolique et économique de l’espace littoral, G. Prigent 51Entre terre et mer... la main de l’homme, G. Delbos et P. Mollo 55La marée du siècle, G. Prigent 62Contrôle et gestion de la ressource, M. Leclercq 57Des petits parqueurs en baie de Cancale, M. Dervaux 63
- Littoralité d’usages
Vers une pratique ordinaire de la côte, G. Prigent 66L’évolution de l’estran au nord de la Bretagne, J.-P. Pinot 68Des sources à la mer, J.-C. Pierre 70Dynamiques littorales et espaces côtiers, J. Levasseur 71Impact des pêches côtières sur la biodiversité de l’écosystème littoral, P. Arzel 74Marées noires et marées vertes, D. Brault 77L’impact des pollutions et des aménagements, P. Le Mao 79
- Enjeux politiques et économiques de l’estran
Le SMVM, outil de régulation des conflits d’usage, P. Gauthier 81Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres, D. Bredin 83La pêche à pied :
légitimité économique, sociale, culturelle ?, L. Lebellec et L. Henri 86
Littoral ressource, littoral mémoire- Les communautés littorales entre Trégor et baie de Cancale
Itinéraire de grèves : le Trégor, F. Peru 89La pêche aux crevettes à Trédrez, D. Giraudon 93 Le Goëlo, pays littoral, D. Giraudon 98Saint-Jacut-de-la-Mer et le parler jaguen, G. Prigent 103Pêche à pied dans l’estuaire de la Rance, M. Aubrée 105Coureurs de grèves de la baie de Cancale, M. Dervaux 109
- Itinéraires de grèves
Les « Camarquais » de l’Armor Pleubian, G. Prigent 114Hommage aux Cessonnaises, G. Prigent 117Les chevrinouères de Saint-Jacut-de-la-Mer, M. Duédal 120Pêcheur au carrelet et au bout-dehors en Rance, G. Prigent 124D’une baie à l’autre… des outils semblables, G. Prigent 126Les recettes gastronomiques du pêcheur à pied 128
L’estran et l’aventure des arts- Approches artistiques
Quand les artistes vont à la grève…, M.-L. Jory 131Yves Tanguy, peintre de l’estran, peintre de l’étrange, T. Dohollau 133Mathurin Méheut, A. de Stoop 137Une peinture ethnographique, Yvonne Jean-Haffen, Loïc-René Vilbert 139Loïc Corouge, plasticien des grèves, D. Yvergniaux Quéau 140 Regards sur les femmes de la grève, M.-A. Barbier-Le Deroff 141
- Pêche à pied et collectes littéraires
Éloge du littoral, Kenneth White 145La mer et la mémoire en héritage, F. de Beaulieu 147
Légendaire de bord de mer, D. Giraudon 149Les grèves, J. Grenier 155Des récipients et du panier à crevettes en particulier, M. Le Gros 158 Un hiver en Bretagne, M. Le Bris 164 L’angoisse de la patelle, F. Péru 166Frères de la côte, J.-P. Abraham 167J’ai marché au fond de la mer, H. Hamon 169Les ormeaux, Y. Rivoal 171 Deux étés, É. Orsenna 173 Grande marée à Pors-Scaff, J.-B. Henry 175 La magie des îles, C. Quéré 176 Gourlan, G. Prigent 179
ConclusionsOutils pédagogiques, L. Corouge 181Création d’outils pédagogiques sur la thématique de l’estran, D. Cottereau 182 Initiation à l’environnement maritime et guides de pêches à pied 184Vocabulaire populaire de quelques espèces vivantes littorales : petit lexique trilingue 186 Bibliographie indicative 188
Éditions ApogéeBP 4172
35041 Rennes Cedex 2Téléphone : 02 99 32 45 95Télécopie : 012 99 32 48 98
Dépôt légal : juin 1999