La pêche à pied - Quae

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La pêche à pied fait depuis toujours partie intégrante de la vie des popu-lations littorales. Les histoires de ses diverses pratiques, de l’évolution de ses techniques, de son rôle sociologique, ont été peu vulgarisées. L’auteur de cet ouvrage, spécialiste du sujet, vise à combler ces lacunes.

Il nous livre ici comment les hommes ont, à travers les siècles, exercé cette activité de subsistance autrefois, de loisir aujourd’hui. Pratiquée intensé-ment, elle n’est toutefois pas sans impact sur les espèces et le milieu.

De bons usages et de bons outils permettent de les préserver, de les pratiquer en toute sécurité et en conformité avec la législation, pour que ce patrimoine littoral demeure un lieu de détente et de plaisir.

Cet historique montre le génie créatif de l’homme pour inventer toujours plus de moyens d’exploiter la ressource à sa portée. Ce voyage à travers l’histoire intéressera non seulement les pêcheurs récréatifs et profession-nels mais aussi les amateurs friands de fruits de mer.

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La pêche à piedHistoire et techniques

Gérard Deschamps

Réf. : 02518

En couverture Plage de la côte vendéenne, La Tranche-sur-Mer © Philip Plisson

En 4e de couverture Canne à pêche utilisée au XVe siècle, d’après Berners (Dame), 1496Foëne dans les vagues, d’après Henri de La Blanchère, 1868Détail d’une planche du Traité général des Pesches de Duhamel du Monceau, 1772Pêcheur de crevettes avec haveneau sur la plage de Pirou (Manche) © Ifremer/Olivier Barbaroux

29,50 €ISBN : 978-2-7592-2404-3

Éditions Cirad, Ifremer, Inra, Irsteawww.quae.com

Gérard Deschamps, actuellement retraité, a été chercheur halieute à la station Ifremer de Lorient. Il a coordonné, entre autres, la réalisation de plusieurs ouvrages sur les techniques de la pêche en mer.

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Éditions Quæ

La pêche à piedHistoire et techniques

Gérard Deschamps

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Éditions QuæRD 10

78026 Versailles Cedex, France

© Éditions Quae, 2016 ISBN : 978-2-7592-2404-3Le Code de la propriété intellectuelle interdit la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Le non-respect de cette disposition met en danger l’édition, notamment scientifique, et est sanctionné pénalement. Toute reproduction même partielle du présent ouvrage est interdite sans autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC), 20 rue des Grands-Augustins, Paris 6e.

Du même auteur aux éditions Quae

Les filets maillants Guide pratique, 272 pages, 2009

Autres titres parus

Histoire de la pêche à la ligne. Au fil de l'eau et du temps Pierre Juhel, 136 pages, 2016

Les pêches méditerranéennes. Voyage dans les traditions Jean Monot, 256 pages, 2011

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Remerciements

J'adresse mes remerciements à tous ceux qui m'ont guidé et accompagné dans la réalisa-tion de cet ouvrage, plus particulièrement, Bénédicte, François Deschamps, Marc Souilah, Régina Benoteau, Jacques Boucard, Marcel Bluteau, Philippe Évrard, ainsi que Gérard Véron et Pierre Juhel pour leur relecture critique.

Je remercie également les personnes qui ont offert leur service pour la documenta-tion, tout spécialement Sophie Le Ny du musée de la pêche de Concarneau, Mathilde Moebs du musée maritime de l’île Tatihou, Arnaud Dautricourt de La Corderie royale de Rochefort-sur-Mer, Jean-Baptiste Bonnin du Centre permanent d'initiatives pour l'environnement de Marennes-Oléron, Patrick Pichouron des Archives départementales des Côtes-d'Armor, Yves Guéguen de l'Écomusée de Plouguerneau, Bernard Debande, président de l’Observatoire européen de l’Estran à Rochefort-sur-Mer, Patrick Pichouron des Archives départementales des Côtes-d'Armor, et Pascale Noblet des Archives dépar-tementales de Loire-Atlantique.

Je suis reconnaissant à la direction de la Communication de l'Ifremer d'avoir contribué financièrement à la réalisation de ce projet.

J’adresse enfin mes vifs remerciements à Nelly Courtay, responsable éditoriale de l’Ifremer au sein des éditions Quæ, pour la révision et l’édition de ce livre ainsi qu’à Clarisse Robert de Pagissime pour le soin apporté à la mise en page.

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Pêcheur à pied sur la plage des Sables-d'Olonne © Ifremer/Olivier Barbaroux

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Préface

Avec son nouvel ouvrage, Gérard Deschamps, aborde le monde peu connu — et insuffi-samment étudié — des « paysans de la mer » comme nous les dénommons habituellement pour les différencier des pêcheurs en bateaux qui appartiennent à l’univers des marins. De son côté, pour désigner les habitants du littoral nord de la Bretagne au xviiie siècle, Émmanuelle Charpentier utilise le vocable de « peuple du rivage ». Il s’agit bien, comme le souligne Dominique Guillemet, de cette population rurale qui représente les trois quarts des insulaires des îles atlantiques et que l’on retrouve, aussi, avec des caractéristiques très proches sur tout le littoral continental proche.

C’est à partir du Moyen Âge que se met progressivement en place une culture maritime spécifique à cette population de « terriens » où hommes et femmes ont chacun leur place et exploitent le rivage comme leur propriété. Ayant appris à vivre avec — et de — la mer, dépourvus de tout moyen d’investigation scientifique, explorant l’estran, leur domaine, sans se départir d’une conscience aiguë des équilibres écologiques, ils ont su acquérir et transmettre les éléments d’une connaissance intime de ce milieu, difficilement imagi-nable aujourd’hui. Longtemps caricaturés sous les traits d’un conservatisme borné, leur attitude mérite aujourd’hui d’être reconsidérée sous un angle nouveau, afin de recueillir, s’il n’est pas trop tard, une partie de leur savoir ancestral. Pour ces paysans, leur territoire — notamment sur les îles — ne s’arrête pas au bout du champ, mais s’étend sur la partie de l’estran qui découvre à marée basse, espace favorable à la pêche à pied, à la récolte du goémon, voire à l’arrivée d’épaves amenées par les flots et bien tentantes malgré les interdictions réitérées.

Comme partout sur le littoral, les insulaires et les riverains ont complété leur nourriture avec ce que leur procurait cette mer nourricière. Individuellement, ils ont récolté sur les rochers coquillages, crustacés et poissons divers ; chaque type de pêche nécessitant une parfaite connaissance du milieu, mais aussi des instruments particulièrement bien adaptés, souvent spécifiques à un territoire. Collectivement, ils ont bâti de vastes pêcheries en filets, en bois (bouchots, gords, besses…) ou en pierre (pêcheries en pierre, écluses, …), mettant en œuvre des connaissances techniques particulièrement pointues, fruit d’une expérience de terrain et d’un savoir-faire transmis de génération en génération.

En outre, après l’hiver, comme pour les labours préparatoires de printemps, on nettoyait les emplacements comblés par les transits de sables littoraux pour que crabes et crevettes retrouvent leurs espaces de prédilection. De même, des appâts étaient positionnés dans les pêcheries collectives (barsière, tas de pierres avec varech, lits de banche enlevés…). Cette période était aussi celle des réparations sur les pêcheries collectives qui pouvaient avoir souffert des tempêtes hivernales.

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Néanmoins, cette utilisation de l’estran n’était pas aussi libre qu’il y paraît. En premier lieu, parce que les seigneurs, laïques ou ecclésiastiques, ont toujours possédé — ou se sont appropriés — un certain nombre de droits sur le littoral. Ensuite, parce qu’à partir du xive siècle s’affirme la souveraineté du Roi, même si la pêche est définie comme un droit naturel : « ce que la mer abandonne d’elle-même revient et doit revenir au roi ». L’ordonnance de Moulins, en 1566, consacre définitivement ce principe ou plutôt le constate comme une chose évidente par elle-même « et depuis longtemps reconnue ». L’ordonnance de Colbert, en 1681, qui reprend et développe des textes antérieurs, précise un corpus réglementaire qui servira de socle à la législation sur la pêche jusqu’au milieu du xixe siècle.

Le littoral est aussi l’objet d’une surveillance constante, mais bien souvent épisodique, de la part de l’autorité. En témoigne, par exemple, la visite des côtes du Ponant, de Dunkerque à Bayonne, par l’inspecteur des pêches Le Masson du Parc en 1723-1728. S’appuyant sur les officiers de l’Amirauté, il sillonne les lieux à cheval, pénètre dans les maisons de pêcheurs, inspecte les filets et tous les instruments de pêche, découvrant souvent des engins prohibés qui avaient été cachés. Ses procès-verbaux de visites, accompagnés de dessins, constituent un corpus exceptionnel pour l’étude de la pêche littorale sous l’Ancien Régime.

On imagine difficilement l’importance économique de la pêche à pied. L’Administration a toujours voulu évaluer le poids de cette activité considérée comme une « concurrence déloyale » pour la pêche en bateau. Aussi, en 1860 — époque où la flottille de pêche rétaise est très importante — une enquête est réalisée sur le quartier de l’île de Ré : l’éva-luation de la pêche à pied représente alors 40 % en valeur (dont 14 % pour l’ostréiculture naissante) de la pêche en bateau !

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cette culture maritime des « paysans de la mer » disparaît inexorablement sous l’action de contraintes qui ne font que s’amplifier : problèmes généraux de la pêche, déplacement des grands courants commerciaux, déve-loppement du tourisme côtier, changement des habitudes de vie. Cette évolution brutale, subie dramatiquement par la dernière génération de paysans côtiers, est souvent à peine perceptible pour la plupart des jeunes et les nouveaux arrivants sur le littoral. Le livre de Gérard Deschamps arrive à point pour recueillir les témoignages des derniers témoins et conserver trace de cette culture si particulière.

Jacques Boucard Docteur en Histoire moderne

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Sommaire

Remerciements .......................................................................5Préface .................................................................................7Avant-propos ......................................................................... 11

La pêche des coquillages .................................................. 13La pêche des huîtres ......................................................................13La pêche des moules ......................................................................21La pêche des coques ......................................................................25La pêche des palourdes ..................................................................32La pêche des tellines .....................................................................36La pêche des patelles .....................................................................42La pêche des praires et des couteaux .................................................43

La pêche des crustacés et poissons, et le matériel ..................... 47Les outils qui accrochent ou qui blessent .............................................47Les engins avec filets à ouverture fixe ou variable ..................................53

La pêche des poissons à la ligne et le matériel ....................... 83Un bref historique .........................................................................83L’évolution du matériel ...................................................................85

Les techniques de pêche à la ligne à partir du rivage .............. 119La pêche au coup ........................................................................ 119La pêche au lancer ...................................................................... 122La pêche à la mouche .................................................................. 132Le kite-fishing ........................................................................... 140La pêche au Kontiki ..................................................................... 141Les lignes calées sur l’estran .......................................................... 142

Les pêcheries fixes sur l’estran ........................................ 147Les pièges à poissons ................................................................... 147Autres types de pêcheries fixes sur l’estran ........................................ 169

La récolte des végétaux marins ........................................ 185Le goémon épave et de rive ........................................................... 185Les phanérogames : les zostères ...................................................... 196Les soudes et salicornes ................................................................ 196Autres plantes halophytes utilisées comme légumes ou condiments ............ 201

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Le ramassage des vers et galets ........................................ 203Les verrotiers ............................................................................ 203Le ramassage de galets ................................................................. 206

Vers une pêche à pied éco-responsable ............................... 211Les pêcheurs à pied d’autrefois ....................................................... 211La pêche à pied professionnelle ...................................................... 212La pêche à pied récréative ............................................................ 215La réglementation de la pêche à pied en mer ..................................... 218Pour conclure … .......................................................................... 223

Bibliographie........................................................................ 225Crédits iconographiques .......................................................... 232

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Avant-propos

L’homme préhistorique est avant tout cueilleur, chasseur et pêcheur. Il exploite les ressources naturelles disponibles sans les maîtriser. Les premiers pêcheurs ont très probablement tenté d’attraper des poissons ou certains crustacés à la main, dans les rivières peu profondes, les trous d’eau en période d’étiage ou les flaques à marée descendante. C’est au cours de ces longs millénaires qu’il apprend à concevoir, fabriquer et utiliser les outils destinés à capturer et tuer les gibiers et poissons, permettant ainsi de nourrir la cellule familiale.

Si les premiers hommes consomment du poisson lorsque l’occasion se présente, la pêche, en tant que véritable activité, n’apparaît en Europe qu’avec l’arrivée de l’homme moderne et se développe au cours du Paléolithique supérieur, soit 40 000 à 12 000 ans av. J.-C. Mais, c’est vers la fin de la dernière période glaciaire (17 000 à 11 000 ans av. J.-C.), que les Magdaléniens inventent les pêches de groupe qui voient plusieurs tribus se réunir sur des sites de reproduction du saumon et fabriquer des barrages-pièges permettant des prises massives à l’aide de harpons et de fouënes.

À la fin du Paléolithique supérieur et au début du Mésolithique (entre 10 000 et 6 500 ans av. J.-C.), les hommes enrichissent leurs techniques de pêche. Outre les lignes équipées d’hameçons primitifs et les harpons, ils disposent d’un nouvel engin, la nasse. Des restes de ces types d’instruments, constitués de matériaux périssables comme le bois et les fibres végétales, ont été trouvés dans des tourbières, comme sur le site mésolithique de Noyen-sur-Seine, où une pirogue monoxyle contenant des résidus de poissons et des nasses ont été découverts. Ces dernières sont fabriquées à l’aide de brins torsadés de troène, d’osier ou de pin.

Au Néolithique (entre 6 200 et 3 200 ans av. J.-C.), une pêche côtière est pratiquée depuis le rivage. Malheureusement, une grande partie des traces les plus anciennes est engloutie par la montée du niveau de la mer. Les barrages ayant été construits sur l’estran, leurs vestiges ne sont visibles qu’à marée basse ou, pour certains d’entre eux, lors des grandes marées. Les plus anciens sont éloignés du rivage et se trouvent aujourd’hui au large. Ils sont repérables sur les photographies aériennes grâce aux algues accrochées sur les pierres. Leur position par rapport à l’actuel niveau des marées permet de les dater, avec toutefois une marge d’incertitudes de plusieurs centaines d’années. Les premiers filets datent également du Néolithique. Ceux dont on a trouvé les vestiges, à Robenhausen en Suisse, sont en cordes de lin, à grandes ou à petites mailles. Ils sont munis de flotteurs en écorce de pin et de galets troués faisant office de lests.

Les outils et divers instruments de pêche imaginés par l’homme ont suivi la lente évolution du savoir-faire de l’Homo habilis. L’objectif de cet ouvrage est de montrer que l’évolution des pratiques de pêche et de récolte à pied en mer va de pair avec celle des techniques humaines et la maîtrise de nouveaux matériaux. Ces diverses pratiques s’effectuent de nos jours selon des réglementations précises permettant, d’une part, la préservation du milieu naturel et de la ressource et, d’autre part, la prévention de risques potentiellement dangereux pour la santé.

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Extrait d'une planche du Traité général des Pesches de Duhamel du Monceau, 1772 (voir p. 166)

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La pêche des coquillages

Dès la préhistoire, les hommes riverains des mers cherchent à ramasser des coquillages (de nombreux amas coquilliers, datés du Mésolithique, témoignent de leur collecte) et à piéger des poissons pour se nourrir. Il semble que leurs premiers outils soient les mains. La récolte des coquillages représente pour les populations du Mésolithique et du Néolithique une activité de faibles dangers où seule la zone exondée par les marées, l’estran, est exploitée. Les coquillages les plus accessibles dans la zone intertidale, dont la chair est plus facile à désolidariser de la coquille, ont été les plus consommés. Certains ont servi de nourriture, d’autres d’appât et, dans une moindre mesure, d’outils, de teinture (pourpre), voire d’objets de parure. De nombreuses tombes du Néolithique (5 000-2 000 av. J.-C.) en retracent l’usage.

Durant au moins six millénaires, des hommes ont vécu sur le littoral atlantique de Mauritanie occidentale ou l’ont saisonnièrement fréquenté pour pêcher et pour collecter bivalves et gastéropodes. Plus d’un millier d’amas coquilliers y ont été recensés.

En France, le long de la façade atlantique, de nombreux témoins de la consommation de coquillages provenant de la fin du Mésolithique ont été découverts. Cette consom-mation est sans doute plus précoce mais les rejets alimentaires des populations côtières antérieures au Mésolithique ont disparu. Les amas fouillés se présentent sous forme d’une couche coquillière d’une épaisseur comprise entre vingt centimètres et un mètre. Une grande diversité de coquillages y a été constatée. Les plus abondants sont les patelles (Patella sp.), l’huître plate (Ostrea edulis), la moule (Mytilus edulis), la coque (Cerastoderma edule) et la scrobiculaire (Scrobicularia plana). Des fouilles ont également révélé, dans l’alimentation des populations gauloises, gallo-romaines et médiévales, l’importance des coquillages marins (huîtres, coques, moules, patelles), au bas Moyen Âge et à l’époque moderne, patelles, moules et bigorneaux, particulièrement.

La pêche des huîtresLe terme « huître », est apparu dans la langue française en 1265, d’abord sous la forme de « oistre », dérive du latin ostrea, emprunté au grec ostreon.

Pour les premiers hommes, parmi les produits de la mer, l’huître a eu un rôle alimentaire important. Des amas de débris ont été trouvés sur les côtes d’Europe, au Danemark et sur les côtes de France (Étaples, Roscoff, Saint-Michel-en-l’Herm…). Parmi ces débris coquilliers, des cendres de charbon, des restes d’animaux et certains objets travaillés ont permis de les dater du Paléolithique. Toutefois, certains des vestiges coquilliers vendéens seraient du haut Moyen Âge (de l’an 900 à 1300 environ).

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Dès l’Antiquité, l’huître a occupé une place de choix, sauf chez les Égyptiens et les Hébreux qui la considéraient comme un aliment impur puisqu’elle n’avait ni nageoires, ni écailles. Les Grecs, au contraire, la mangeaient avec plaisir, tandis que les Romains lui vouaient une véritable passion.

Les Grecs appréciaient particulièrement l’huître à laquelle ils prêtaient une valeur aphro-disiaque. Ils la ramassaient sur les bancs naturels. Les Romains en étaient aussi de grands amateurs ; ils l’appelaient « callibléphares » signifiant « belles paupières », en référence aux bords de son manteau. Ils ne concevaient pas un banquet sans elle. De nombreuses coquilles de ce mollusque ont été retrouvées à côté de villas, témoins de cet engouement. Ils les faisaient venir à grands frais de plusieurs « terroirs », de Gaule, notamment de la mer des Santons (Mare Santonum : bassin de Marennes). Après quatre siècles d’occupation romaine, les Gaulois avaient atteint un très haut degré de perfection dans le condition-nement de l’huître et leurs produits étaient réputés dans tout le monde romain. Pour les transporter, elles étaient mises en saumure dans des barils, dans des vases d’eau de mer ou sur de la paille, fin prêtes pour emprunter la « route des huîtres » (de Marennes à Rome).

Huîtres et ostracisme

Des viviers (à Clermont, Poitiers, Saintes, Jarnac…), alimentés en eau de mer, avaient été prévus pour les stocker lors de leur voyage. Ainsi elles arrivaient vivantes et fraîches à Rome. Ce coquillage était également expédié en Germanie.

Durant le Moyen Âge et la Renaissance, la consommation des huîtres devient un plat de pauvres pour les populations côtières habituées à la cueillette sauvage. Elles sont toutefois très recherchées par les populations aisées des villes éloignées des côtes et par la noblesse. En France et en Angleterre, on la mangeait cuite, sous forme de civet sans viande. Entre le xive siècle et le xviiie siècle, on ne trouve nulle mention dans les ouvrages culinaires de sa consommation à l’état cru, très probablement parce qu’elle ne supportait pas les longs déplacements de la mer jusqu’aux villes de l’intérieur.

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La pêche des coquillages

La pêche sur les bancs d’huîtresJusqu’en 1868, l’huître plate (Ostrea edulis) est la seule huître ramassée et consommée en France et en Europe. Elle est l’espèce autochtone d’Europe de l’Ouest. Elle est présente en bancs sur toutes les côtes françaises, depuis les basses mers de vives-eaux jusqu’à cinquante mètres de profondeur. Elle vit fixée sur un substrat dur mais on peut aussi la rencontrer détachée, sur le fond. Elle est fixée sur les rochers par sa valve inférieure. Son habitat se situe dans les eaux côtières, de préférence en milieux abrités, rocheux, parfois vaseux ou graveleux. La turbidité de l’eau doit rester faible, riche en nutriments ; l’eau doit être propre et oxygénée.

La pêche de l’huître plate

À l’origine, l’Ostrea edulis était tout simplement ramassée aux grandes marées, pour être consommée presque aussitôt ou stockée dans les premiers parcs. Pour la détacher du rocher où elle est fixée, le pêcheur utilise une sorte de couteau. Celui-ci est appelé « étiquette » au xviiie siècle. Il est constitué d’un manche en bois rond et d’une lame en feuille de lierre, affûtée d’un seul côté. Lorsque les huîtres se trouvent dans une mare sur un fond sablo-graveleux, elles sont collectées avec un râteau.

Jusqu’au xviiie siècle, le ramassage des huîtres a été très anarchique, entraînant un appauvrissement des gisements naturels.

Au xviie siècle, dans son commentaire sur l’ordon-nance de 1681, l’avocat et procureur du roi au siège de l’Amirauté de La Rochelle, René-Josué Valin, considère que les bancs d’huîtres sont inépuisables. Toutefois, au début du xviiie siècle, de nombreux gisements sont menacés de dispa-rition. Des restrictions de pêche vont alors être décrétées, mais sans méthode ni suite. Les gise-ments s’épuisent, on interdit alors la pêche, puis ils commencent à se reconstituer et on l’autorise de nouveau. En 1755, le Parlement de Bretagne édicte la défense de pêcher des huîtres sur les bancs de Tréguier pendant six ans. En 1758, les pêcheurs réussissent à faire lever cet arrêt. Six ans plus tard, l’huîtrière est à la limite de disparaître et la Cour accorde à nouveau six années de repos. À la fin de ce délai, la pêche recommence sur tous les bancs par tous les temps. Cinq années de ce régime vont suffire à anéantir l’huîtrière.

En 1744, dans la baie du Mont-Saint-Michel, entre Cancale et Granville, suite à une pêche intensive, les bancs d’huîtres manquent également de disparaître. C’est en 1755 et 1764 que le Parlement de Bretagne prend plusieurs arrêts pour proscrire les différents abus qui ont pour effet d’épuiser les gisements. Le 16 août 1766, l’Amirauté de Saint-Malo édicte un règlement, repris par une ordonnance royale. Dans cette dernière, une disposition interdit la vente des huîtres entre mai et août. Cet arrêté serait à l’origine de la très fameuse coutume des mois en « R ». À la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, les gisements de la baie du Mont-Saint-Michel se sont en partie reconstitués. En plus des pêcheurs en bateaux draguant ce coquillage sur des gisements immergés,

Couteau (étiquette)

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de nombreux pêcheurs à pied habitant le long du littoral compris entre Saint-Germain-sur-Ay et Cancale vont ramasser cette huître plate sauvage. En 1862, uniquement pour ce qui concerne la pêche à pied, 192 000 huîtres plates sont récoltées à Granville, et 58 300 à Dinan. Des peintures et des cartes postales datées des premières années du xxe siècle montrent cette activité.

Retour des Cancalaises. Leroux Pierre Albert (1890-1959). Droits réservés - © RMN-Grand Palais (MuCEM)/Thierry Le Mage

En Bretagne Nord, après des périodes où le gisement de la rivière du Tréguier a failli disparaître, en 1907, lors de grandes marées, de nombreux pêcheurs à pied peuvent à nouveau ramasser des huîtres plates.

En 1750, durant trois années, la pêche des huîtres est interdite dans tout le bassin d’Arcachon. Après cette interdiction, les récoltes d’huîtres sauvages du bassin deviennent fructueuses mais insuffisantes face à une très forte demande des consommateurs. Pour ne pas épuiser les stocks, à partir de 1850, on essaie de les élever en parcs, et c’est en 1852 que les premières concessions vont être accordées. En 1865, un armateur de pêche de La Teste, M. Arnaud Coycaut, constatant la pénurie d’huîtres indigènes dans le bassin décide d’y introduire plusieurs millions huîtres portugaises (Crassostrea angulata) prove-nant de la baie de Lisbonne. L’autorisation lui est accordée par arrêté du préfet maritime de Rochefort le 17 décembre 1865.

Introduction de l’huître portugaise

Ce n’est qu’au début de 1867 que M. Coycaut se fait expédier par le vapeur anglais, le Speedwell, un premier chargement destiné à être immergé dans le bassin. Mais, au début de mai 1868, au cours d’un autre transport, c’est accidentellement que l’huître

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La pêche des coquillages

portugaise est introduite le long des côtes françaises atlantiques. Venant de Setúbal, au sud de Lisbonne au Portugal, le Morlaisien, commandé par le capitaine Hector-Barthélémy Patoizeau, ayant comme armateur la Société Coycaut-Boussang, est chargé de livrer des huîtres aux ostréiculteurs arcachonnais. En raison du mauvais temps, les passes d’Arcachon sont impraticables, le commandant décide alors de se mettre à l’abri dans l’embouchure de la Gironde, non loin du Verdon. La tempête durant plusieurs jours, le capitaine fait jeter par-dessus bord la cargaison avariée. Quelques huîtres survivent et prolifèrent. Cinq ans plus tard, ces ostréidés apparaissent sur la rive droite et garnissent les rochers de Talmont-sur-Gironde, Meschers, Royan et Saint-Palais. En 1874, la « Portugaise » est à La Rochelle et, en 1879, tout le littoral charentais et Sud Vendée est colonisé. Au début cette huître portugaise est vue comme un compétiteur, elle est très souvent détruite. Elle va être ensuite consi-dérée comme la bienvenue et se subs-tituer à l’huître plate. De nombreux pêcheurs à pied vont alors profiter de cette aubaine.

En 1870, l’importation de l’huître portugaise est réprouvée par les producteurs bretons, spécialisés dans l’élevage de l’authentique huître de Bretagne, l’Ostrea edulis, appelée huître française pour signifier leur opposition. En 1893, l’huître plate est infestée par un agent pathogène qui ne sera pas identifié. En 1920, une nouvelle épizootie fulgurante s’étend sur l’ensemble des parcs et des gisements, décimant toutes les classes d’âge d’huîtres plates. En 1923 un décret interdit la culture de l’huître creuse portugaise au nord de la Vilaine car cette dernière, implantée dans tout le Sud-Ouest (Arcachon), concurrence alors l’huître plate. En 1925, on observe un regain de l’huître plate en Bretagne Sud. Cependant, au sud de la Vilaine, l’huître creuse a définitivement supplanté l’huître plate. En 1966, l’huître portugaise est atteinte de la maladie des branchies (virus) dans les différents bassins ostréicoles français. L’huître s’anémie et meurt. On commence alors à importer Crassostrea gigas (huître creuse japo-naise du Pacifique), génétiquement proche de la portugaise. En 1970, Crassostrea angulata

Propagation de l’huître portugaise (d’après Joubin et Guérin-Canivet, 1904-1913)

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disparaît suite à cette maladie virale. À la même époque, une nouvelle épizootie provoque la quasi-disparition de l’huître plate. Les ostréiculteurs bretons sont alors contraints d’élever des huîtres creuses.

En France, c’est sous le Second Empire, suite à un rapport alarmiste du ministère de l’Agriculture que l’ostréiculture voit réellement le jour.

Origines de l’ostréicultureEn 1878, dans sa Note sur l’ostréiculture en Chine, Prosper Giquel écrit que l’élevage des huîtres remonterait à des temps immémoriaux. Certaines populations chinoises récol-taient le naissain d’huîtres à l’aide de bambous entaillés sur lesquels étaient disposées des coquilles, les larves de ce coquillage venant s’y fixer. Les huîtres pouvaient être consommées deux ans plus tard.

En Europe, dans l’Antiquité, il n’existe pas d’ostréiculture comme elle est pratiquée aujourd’hui. Selon Pline l’Ancien, les Romains réalisaient seulement une technique d’affi-nage qui consistait à parquer les huîtres dans des ostriaria. Vers 100 av. J.-C., un Romain, Sergius Orata, conçut des bains suspendus et aménagea des viviers alimentés par les eaux du lac Lucrin pour maintenir les huîtres en vie. Il en fit la réputation puisqu’on dit que les meilleures huîtres y furent recueillies. Sergius Orata est ainsi le premier Romain qui eut l’idée d’en faire culture.

Vase en verre trouvé en 1812 près de Populonia (d’après Sestini, 1813)

En 1812, dans les fouilles d’une sépulture antique, près de Piombino, non loin des ruines de Populonia, un vase en verre illustré est trouvé. Il est daté du ier siècle av. J.-C. Sur celui-ci seraient représentés des édifices de Pouzzoles et des pieux servant de supports à des coquilles d’huîtres et qui seraient ceux des parcs à huîtres (ostriaria) du lac de Lutrin.

À l’époque de l’occupation romaine, les bancs d’huîtres plates abondant sur le littoral de la Santonie (Marennes) font l’objet d’un ramassage régulier. Sur les rivages de l’estuaire de la Seudre et dans l’île d’Ularius (Oléron), les Gaulois, initiés par les Romains, sont passés maîtres dans l’art d’élever et d’engraisser les huîtres.