La phénoménologie de l’espace du paysage

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Une approche phénoménologique et psychopathologique de l'espace du paysage

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La phnomnologie de lespace du paysage. Un espace incarn. (Texte support d'une confrence donne au Collge International de Philosophie le 16 Dcembre 1993).

1)paysage et non- paysage Je commencerai par l'vocation de quelques lignes d'un rcit: "Autour de nous les champs s'tendaient...Et moi, je voyais une plaine immense, sans limite, l'horizon infini. Les arbres et les haies taient de carton, poss a et l comme des accessoires de thatre.Par dessus cette immensit, rgnait un silence effrayant que les bruits ne rompaient que pour le faire encore plus silencieux, encore plus effrayant. Et moi, j'tais perdue dans cet espace sans borne (.... ) On aurait dit que ma perception du monde me faisait sentir d'une manire plus aigue la bizarrerie des choses. Dans le silence et l'immensit, chaque objet se dcoupait au couteau, dtach dans le vide, dans l'illimit, spar des autres autres objets." . A plusieurs reprise, la narratrice emploie l'expression "dcoup au couteau", aussi bien propos des choses que des mots: "De temps autre, un mot se dtachait de l'ensemble. Il se rptait dans mon cerveau, comme dcoup au couteau, absurde" La jeune fille parle aussi plusieurs reprises d'une lumire aveuglant, d'un monde trop clair. "Je voyais ma chambre devenir immense, disproportionne, les murs lisses et brillants , et l'affreuse lumire electrique inondant chaque objet de sa clart aveuglante" Ceci nest pas un paysage. C'est la description qu'une schizophrne nous donne de son monde dtruit.Et la faon dont la jeune femme dcrit son exprience du monde peut nous permettre d'approcher par la ngative ce qu'est un paysage, En effet, s'il y a quelque chose qui disparait dans la schizophrnie c'est bien le paysage. On a l une exprience de dsincarnation du monde. Dans une lumire implacable, toute profondeur disparait.La matire du monde est bien l, mais sans vie, "dsincarne". Trop de lumire ne fait pas mieux voir. Quand une lumire uniforme et violente se dverse sur un paysage, il disparait faute d'horizon.La disparition de la pnombre et des ombres es,dsincarne les choses. Quest ce alors quun paysage?

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Un peintre, Constable rpond: "ce nest pas une maison; cest un matin dt o il y a une maison." Marc Richir rapporte cette remarque dans un texte qu'il consacre un peintre, Maurice Wyckaert. La peinture de Wyckaert ne donne pas voir des choses mais des phnomnes- de- choses avant les choses, observe le philosophe.IL est significatif qu'il cite galement la remarque de Constable dans Phnomnes , temps et tres. : Alors qu'il vient de poser explicitement la question qui court sous tout son texte: "qu'est ce qu'un phnomne?"; il le caractrise avant tout par son indtermination,et rpond, "ce n'est pas une maison, c'est un matin d't o il y a une maison". Le phnomne n'est pas un objet, c'est pourquoi il n'est pas une maison. C'est un moment : "Un phnomne: c'est dirons nous une phase de monde." Ailleurs il dira la mme chose du paysage. Un paysage, c'est une phase de monde. "Nous ne voyons rien du paysage (dit-il)tant que nous n'y voyons que des choses ou des tres: une maison, une rivire, des arbres, une femme, etc- c'est le ct "anecdotique" de la toile. Nous ne commenons voir que quand, dans un vritable moment d'poch phnomnologique, nous ne voyons plus aucune chose ou tre, quand le paysage commence nous apparaitre dans son irralit, comme onirique et fantastique." Le paysage apparait comme un rve; cette ide ,on va la trouver aussi bien chez E.Straus,que chez H. maldiney,ou encore chez J. Garelli. Straus dit par exemple que dans le paysage." Nous rvons en plein jour et les yeux ouverts." Il faut prendre au pied de la lettre cette expression: le paysage se forme comme un rve. IL n'y a pas de paysage possible sans une zone d'indtermination. -qu'elle disparaisse et le paysage devient dcor dsincarn.C'est cete indtermination qui va faire du paysage un objet priviligi de la phnomnologie contemporaine. 2)l'attidude phnomnologique. Penser lespace du paysage comme espace incarn, cest en effet prendre pour assise une attitude , lattitude phnomnologique, qui diffre dautre approches interprtatives comme la smiotique ou lhermneutique. Entre smiotique et phnomnologie il ny a peu prs rien de commun;car la smiotique repose toute entire sur l'interpration de codes.Alors que le champ de l'exprience sur lequel s'interroge la phnomnologie se situe toujours en dea des codes, des institutions.

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Entre hermneutique et phnomnologie par contre,les relations sont si troites quil est souvent difficile de savoir si on est dans lune ou dans lautre. Il est vrai que la phnomnologie met laccent sur un regard plutot que sur linterprtation proprement parler, mais comme la "chose mme" qu' Husserl, de rduction en rduction ,cherche saisir ne cesse de reculer au fur et mesure qu'il sen approche, comme elle nest pas donne, dj constitue avant lapproche, ce regard met toujours en jeu malgr tout une forme dinterprtation. Cela dit, la phnomnologie nest pas une. ELle ne diffre pas seulement d'autres approches comme la smiotique, elle diffre aussi davec elle mme. La phnomnologie contemporaine nest pas celle de Husserl mme si les textes fondateurs dhier continuent dalimenter la reflexion daujourdhui. En premire approximation, on peut dire que la phnomnologie suit un mouvement de dsobjectalisation et aussi de dsubjectivation.Cest trs important de le remarquer ,parce que la phnomnologie de lespace du paysage va apparaitre dans ce contexte de dsobjectivation et de dsubjectivation.Il est impossible de penser le paysage dans le cadre de la premire phnomnoloige de Husserl; elle est trop objectale. Un matin d't, ce n'est pas un objet.C'est une phase de monde. Que la phnomnologie se dsobjectalise signifie ici qu'elle interroge toujours plus avant le prindividuel ("individuel" ne renvoyant pas ici exclusivement aux individus humains, bien quil y renvoie aussi),elle interroge le pr-thmatique, lant-prdicatif,le pr-catgorial,le proto -ontique Et dj on approche du paysage: la phnomnologie interroge lespace comme milieu initiateur de formes plutot que les formes elles- mmes en tant quelles se dcouperaient sur un fond.Husserl a questionn lexprience perspective des objets , mais il a su aussi porter sa rflexion en dea , ou au del des objets,c'est dire des objectalits idales ou empiriques. Et pourtant, c'est bien avec lui que la dsobjectivation s'amorce. Le terme dsubjectivation,quant lui, voque le fait que la phnomnologie qui est partie de la constitution dun objet par un sujet conscient et actif en vient s'ouvrir des dimensions de l'tre et de l'exprience qui relguent au second plan le role de l'go constituant,et la primaut de la conscience. Aprs un long parcours , Husserl a dcouvert les synthses passives , ces prises de forme qui seffectuent dans

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une inconscience phnomnologique, en dea de la division sujet/objet.Cela aussi nous importe parce que la formation du paysage met en jeu en nous des synthses passives. Ce qui est remarquable, cest que cet intert pour les synthses passives apparaisse dans la pense de Husserl avec la considration de lespace. La phnomnologie, celle de Husserl, mais aussi celle de Heidegger sest interroge sur le temps plus que sur lespace.Or,le mouvement de dsobjectalisation et de dsubjectivation qui lui donne un nouveau style, est corollaire de lapparition de questions portant sur lespace.Pendant longtemps, lespace semble tre cart de la rflexion phnomnologique parce quil est pens dans le registre de lobjectivation, il est pens comme une extriorisation objective .En fait, tout en dirigeant son regard sur des objets, Husserl a trs tt eu le souci d'autre chose, d'une dimension qui ne serait pas objectale ,mme quand son expression acheve ne nous donnait le plus souvent penser que des objets.C'est le temps qui lui offre d'abord la dimension non objectale de l'existence.Puis il dcouvre l'espace.La phnomnologie, selon un paradoxe apparent, va accueillir l'espace quand elle laura dsobjectalis au moment mme ou elle suivait la mme transformation. Car lhorizon de la phnomnologie est toujours au del de lobjet. Si on se tourne vers la phnomnologie contemporaine, on voit que ses reprsentants principaux, citons les noms de M.Merleau Ponty, et plus prs de nous ,J.Patocka , H.Maldiney,M.Richir, J.Garelli , on voit se former un espace qui est conu comme spatialisation ; c'est dire que cest un espace qui demande du temps pour se former. Ce point est dcisif. La phnomnologie pense aujourdhui ensemble spatialisation et temporalisation; plus prcisemment: la temporalisation dans la spatialisation, et la spatialisation dans la temporalisation. .Et justement, lespace du paysage est un espace qui a du temps, parce quil est spatialisation avant detre espace.Le paysage est un lieu de parcours qu'il s'agisse de la marche ou du regard. Qu'est ce que l'espace? demande Patocka. "l'espace ne peut pas tre une perception ou une reprsentation empirique fonde sur une perception..." Patocka propose de concevoir l'espace " non pas comme une reprsentation d'ores et dj tale devant nous, mais comme la manire mme dont les contenus se dploient notre regard," "Kant , dit il ,est( donc) dans le vrai en affirmant qu'il existe quelque chose comme une forme priori de l'intuition, mais il se trompe dans la mesure o il prtend la sparer, par une barrire infranchissable, du sensible concret."

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Le refus de cette sparation des formes priori et du sensible, dans une pense qui pourtant reprend beaucoup Kant, est caractristique de la phnomnologie contemporaine..C'est ainsi par exemple que Garelli parle de "transcendantal incarn ", c'est dire d'a priori sensible.Et il le fait justement propos de paysages. Le paysage en tant qu'il repose sur une spatialit particulire n'est devenu que tardivement un "objet" phnomnologique (les guillemets sont phnomnologique pour recourir une expression de Husserl qu'affectionne M.Richir!). On le voit s'esquisser chez Husserl, mais c'est un psychologue E.Straus qui pose les bases dcisives et incontournables d'une phnomnologie du paysage . Dans un livre paru en 1935, Du sens des sens, Straus en arrive au paysage au terme d'une longue et patiente critique de l'espace dsincarn de Descartes et de Pavlov. L'espace du paysage surgit dans son texte "Du sens des sens" comme ce qui peut apparaitre quand on a pratiqu l'poch de la connaissance fonde sur l'objectivit.Le paysage pourraiton dire, c'est ce qui reste quand on oubli toutes les dterminations du panorama! On peut observer dans le cours mme du texte de Straus la formation dupaysage; .Straus a cart toutes les objectalisations , alors le paysage surgit. Comme il le dit lui mme, on arrive au paysage; Comment y arrive- t -on? Par suspension des repres symboliques, c'est dire, des codes culturels, donc institus. "pour arriver au paysage, nous devons sacrifier autant que possible toute dtermination temporelle, spatiale, objective; mais cet abandon n'atteint pas seulement l'objectif, il nous affecte nous -mmes dans la mme mesure. " Straus aborde la question du paysage dans le chapitre qu'il consacre "la diffrence entre le sentir et le percevoir" Son ide directrice est alors que le sentir est au /percevoir ce que le paysage est la gographie."Le monde de la perception , crit il,est un monde de choses avec des proprits fixes et changeantes dans un espace et un temps objectif et universel(...). L'espace du monde de la sensation est plutot celui du monde de la perception comme le paysage est la gographie." Notons cet gard que Straus parle le plus souvent du sentir et non des sensations parce que, dit-il, "sentir n'est pas avoir des sensations" ,on pourrait ajouter, avec Merleau Ponty: pas plus que penser n'est avoir des ides". La sensation est une affectation positive, qui se donne en pleine prsence, alors que le sentir suppose un engagement en grande partie inconscient de celui qui sent. L'espace du

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sentir est ,comme l'espace du rve, un espace pathique, et non gnosique.C'est dire un espace de prsence, il est vrai marque d'absence, et non un espace de reprsentation.Le paysage n'est pas quelque chose qui est dj reprsent (Straus invoque l'influence de la peinture ds cette faonde penser).Il faut viter de" comprendre la totalit de l'expression du point de vue de l'objectivation dj acheve" Ni espace de perception positive, ni espace de reprsentation, le paysage est un espace originaire. Mais il convient de s'interroger sur ce caractre originaire:l'espace du psyage n'est pas originaire au sens o il serait historiquement antrieur l'espace gographique, il est une dimension d'tre qui n'est ni rductible une antriorit historique, ni une pure condition de possibilit logique.Dire que l'espace du paysage est originaire c'est plutot dire qu'il est en dea de toute individualit constitue, qu'il se tient dans une dimension prindividuelle.Cette dimension originaire sera invoque par tous les auteurs qui se sont interrogs sur le paysage. Par exemple,H.Maldiney: "l'espace du paysage ou le paysage (car en lui l'espace et le monde sont un) commence avant la peinture de paysage qui le rvlera.Plnitude enveloppante au milieu de laquelle nous sommes ici, il est la spatialit primordiale qui ne comporte aucun systme de rfrence, ni coordonnes ni point d'origine. Dans le paysage nous sommes investi par un horizon qui est li chaque fois notre ici. Or, la relation ici-horizon exclut toute systmatisation de l'espace qui nous fournirait des repres. Quand nous cheminons dans l'espace du paysage nous sommes toujours l'origine, au ici absolu. Aucune vue dominante, aucune rgle de transformation, ne nous permet de dterminer des emplacements en relation mutuelle dans un ensemble orient. Le terme de progression n'a aucun sens dans le paysage. Nous ne nous dplaons pas travers lui, mais nous marchons en lui de ici en ici, envelopp par l'horizon qui, comme le ici continuement se transforme en lui- mme. Dans ce cheminement de ici maintenant en ici maintenant, non seulement nous marchons sans but, mais notre marche est affranchie de ce mimimum de schmes moteurs qui donnent notre vie, travers le flux du temps, l'allure d'une histoire...." Le paysage est l'espace gographique ce que le chemin est la route . Dans un entretien rcent avec Alain Veinstein, Maldiney oppose les couloirs de la maison de la radio au chemin de campagne: le couloir est "dictatorial", dit-il.Pas de dictature dans l'espace du paysage! Le paysage est donc en dea de la gogaphie, mais il est galement en dea de l'histoire; Straus dit aussi que "nous n'avons pas de mmoire pour le paysage"; en fait ,la question

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des rapports de la mmoire et du paysage est complexe .Disons, que le paysage ne met certainement pas en jeu de mmoire en tant que souvenir, c'est dire de mmoire thmatise, mais en revanche il met en oeuvre dans sa formation des rtensions de mme d'ailleurs que des protensions(c'est dire des mouvements de temporalisation s'effectuant selon des parcours).Le paysage ne se donne pas dans un pur prsent .Il y a toujours de l'absence dans la prsentification du paysage .Et c'est par cette dimension d'absence dans la prsence, que l'espace du paysage va tre associ l'espace de l'oeuvre d'art. Avec Straus, un rapprochement qui s'est dj esquiss entre les philosophes et les artistes se confirme : les philosophes en viennent invoquer l'espace du paysage, notemment dans la peinture ,comme paradigme d'une spatialisation originaire qui est aussi celle de l'oeuvre d'art.Ce sera notemment le cas de Maldiney. On dirait que la phnomnologie dcouvre son essence au moment mme o elle dcouvre celle de l'art.Husserl voulait lui donner un fondement scientifique et c'est l'art qu'il rencontre; dans une lettre Hoffmanthal il rapproche les dmarches phnomnologique et artistique. Toutefois sa pense demeure trop objectale pour offrir un accueil l'art.La phnomnologie contemporaine, l'art ,dcouvrent une dimension de l'exprience qui ne se laisse pas penser dans le cadre de l'opposition sujet/objet.Elle requiert au contraire des notions comme celle de chiasme, de recouvrement en non coincidence, d' entrelac, d'empitement qui sont aussi celle qui permettent de penser l'espace du paysage. C'est ainsi quand la phnomnologie se dcouvre comme un art qu'elle commence s'interesser au paysage.Mais le paysage n'est pas un objet de la phnomnologie parmi d'autre. 3)Phnomnologique et symbolique. Dans Du sublime en politique, M.Richir , commentant un texte o Michelet voque les ftes de la fdration qui ont suivi la rvolution franaise, rapproche deux expressions:paysage- demonde et phnomne de- monde.Il les rapproche dans leur commune opposition au symbolique, l'insitu, au dtermin: "Le monde comme phnomne est paysage-de-monde: non pas panomara tal sans ombre des tres et des choses, non pas non plus le dcor de la scne o se droulent les ftes, mais "quelque chose" de radicalement indtermin parce qu'il a perdu tous ses anciens marquages symboliques, parce qu'il ne se rduit ni des tres ni des choses.(...)..Si les hommes n'ont jamais vu leur pays auparavant, c'est que celui ci , presqu'entirement cod, n'tait pour eux qu'une sorte de

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carte symbolique, un tissu investi par le temps historique, marqu et divis par les diffrences sociales et les vieux conflits, aimant par les ambitions satisfaites et dues, occup par le social plutot qu'habit par les hommes." Le paysage comme phnomne- de- monde ne relve pas du symbolique mais du phnomnologique.C'est l'incarnation qui fait la diffrence. Chez M Richir ,le symbolique ,c'est le symbolique des structuralistes peu ou prou, l'institu; alors que le phnomnologique apparait par une suspension, une poch des repres symboliques . Toujours dans Du sublime en politique M.Richir opre un rapprochement qui peut nourrir notre rflxion: "A condition d'entendre le "paysage " hors de toute centration optique ou panoptique sur un panorama cens y tre donn d'un coup, on peut dire de tout phnomne -de -monde qu'il est paysage- de- monde, et que, (...), tout phnomne- de- monde tant aussi phnomne de corps de chair, tout paysage -demonde est aussi paysage de corps de chair- ce que les peintres ont toujours su, et qu'ils nous montrent si nous arrivons voir par del et contre l'image : rien n'est plus oppos au phno de monde (..) que l'image..-" Le phnomne-de-monde n'est ni un symbole, ni une image: il n'est pas une structure de renvoi. Dire que tout phnomne -de- monde est paysage- de- monde; et que tout phnomne- de- monde est phnomne de corps- de -chair;c'est operer un rapprochement entre le paysage et la chair: c'est aussi rapprocher chair et inconscience l'instar de Merleau Ponty car ,le phnomne- de- monde est inconscient.La notion de paysage se trouve ainsi au carrefour des concepts fondamentaux de la phnomnologie. Si le paysage prend une telle importance dans la phnomnologie contemporaine ,c'est prcisemment parce qu'il va apparaitre comme le paradigme ,ne disons plus d'une donation, mais d'un mode de constitution transcendantale particulire,indissociable d'une structure , qui va pouvoir tre ractualise dans d'autres approches que celle du paysage: 4)la structure d'horizon. Si les notions de phnomnes- de- monde, de phnomnes- de -langage irductibles au langage symbolique, de chair ,sont indispensables une pense phnomnologique du paysage, la notion de structure d'horizon ne l'est pas moins; elle l'est mme plus parce qu'elle engloge toute les autres. "Dans le paysage, nous somme entours d'un horizon;" Cette structure fait entrer l'absence dans la pense phnomnologique; ou plutot elle y rvle ce qui tait dej

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l, travaillant la pense sans parvenir s'y thmatiser.Car,la phnomnologie n'est pas ,comme on le dit trop hativement ,une philosophie de la prsence.Pas plus qu'elle n'est exclusivement une philosophie de la conscience. Cette structure d'horizon , on s'en doute, a une importance capitale pour la pense du paysage. Mais l aussi ,on constate une volution et une transformation progressive de la notion. L'horizon est d'abord conu comme limite du visible et de l'invisible dans un espace rel. Husserl distingue en fait deux structures d'horizons:la structure d'horizon interne et la structure d'horizon externe d'un objet . Mais la notion d'horizon externe de la chose trouble Husserl ; elle pourrait le contraindre renoncer au principe d'vidence car:comment conserver l'vidence quand on a perdu l'objet? Avec l'horizon externe, c'est l'indtermin qui entre dans la phnomnologie; il apparait d'abord comme sa hantise, et il devient son pole d'attraction le plus incontournable. L'invisible , de plus en plus ,va se dsobjectaliser et se dthmatiser,trs discrtement chez Husserl,et beaucoup plus radicalement dans la phnomnologie comtemporaine qui va en venir penser l'horizon non pas comme ce qui excde l'objet mais au contraire l'objet comme ce qui ferme l'horizon. (fermeture d'ailleurs tout fait necessaire dans l'usage quotidien). Mais le concept d'horizon a chang avec celui d' invisible. On passe d'une phnomnologie de la perception une phnomnologie de l'imperceptible ,en mme temps que l'poch des repres symboliques, c'est dire du donn, ne cesse de se radicaliser.C'est dans le mme mouvement que, par exemple chez Merleau Ponty,"..la structure d'horizon consteste le clivage entre le corps et l'ame, et illustre le lien de la chair et de l'ide " Tous les repres les mieux tablis de la philosophie vacillent.La reprsentation disparait derrire la prsence; mais la prsence se troue d'absences. Si le paysage de monde , crit M.Richir,ne se donne pas d'un seul coup, dans l'instantanit panoptique d'un panorama, s'il est lui mme, par ses sensibles sauvages, littralement trou d'absences qui s'articulent les unes aux autres dans sa prototemporalisation/proto -spatialisation, c'est que la contingence de sa phnomnalisation , qui est radicale pour tre sans aucun concept, n'est prcisemment pas la contingence d'une donation." Le paysage n'est pas donn d'un coup; on trouve cette ide dans toute la phnomnologie du paysage; le paysage se constitue dans une temporalisation spatialisation partir d'un invisible, c'est dire, sur le fond non limit d'une

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dimension pr-individuelle. Mais en quoi l'invisible a -t- il chang? Husserl tait parti de l'invisible relatif des faces caches d'un cube qu' un autre peut voir ,et que moi- mme je peux voir si je me dplace. Il tudiait alors la perception, c'est dire la constitution de l'objet total partir de la perception de ses profils.Puis , alors qu'il s'interroge sur la constitution d'autrui,et sur la faon dont nous percevons l'intriorit d'autrui,il en arrive penser un autre mode de constitution transcendantale:l' apprsentation qui est la faon dont nous nous rendons prsente une absence. L'intriorit de l'autre, je ne peux pas la percevoir, elle ne m'est accessible qu'indirectement, par apprsentation, c'est dire par "prsentation" de l'absence qui marque son altrit .Or, la structure qui rend possible la constitution d'un paysage, la structure d'horizon ,est celle l mme qui rend possible l'apprsentation.On a donc deux modes de constitution transcendantale, c'est dire de constitution qui rendent possibles la rencontre du rel,: l'aperception et l'apprsentation; seule la seconde nous ouvre l'espace du paysage: comme l'crit Straus "il n'y a dans le sentir aucune place pour l'aperception."L'aperception relve toujours de la connaissance, de ce que Straus apelle le gnosique, alors que le paysage relve du sentir, c'est dire,est apprhend un niveau pathique de l'exprience, un niveau o on prouve avant de connaitre, c'est dire en dea de la division sujetobjet . On dirait qu'il n'y a pas de paysage possible sans , non pas tant autrui que sans la structure qu'on peut aussi bien appeler d'horizon que d'absence ou d'invisibilit ,qui le constitue.On sait que Deleuze a abord cette question dans le commentaire qu'il a propos du livre de M Tournier. Vendredi ou les limbes du pacifique.Mais Deleuze interprte alors l'invisible comme un visible pour autrui,alors qu'on peut imaginer une invisibilit plus radicale. On peut dire avec Merleau Ponty que l'invisible sur lequel l'horizon s'ouvre et se ferme n'est pas un non visible, ; la structure d'horizon requirt, d' tre pense au del de la structure de l'horizon empirique .Il y a une structure d'horizon transcendantale et c'est celle que dcouvre la phnomnologie. Mais la "structure" ici n'est pas une forme pure dissociable d'une intuition sensible. Quand Garelli ,dont la pense se situe dans le prolongement de celle de Merleau Ponty, parle de "transcendantal incarn", l'expression indique clairement que le transcendantal n'est plus comme chez Kant un intelligible qui vient informer de l'extrieur une matire inerte.(ce que

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mettait dj en question Patocka ...)La chair n'est pas une matire amorphe laquelle un esprit insufflerait une vie tout en lui donnant une forme. L'horizon comme transcendantal incarn n'est plus une ligne de partage,ce n'est plus une ligne, c'est le monde d'avant tout objet.En ce sens ,ce n'est pas l'univers; il arrive Husserl de penser le monde comme univers,mais il cesse alors d'tre phnomnologue.Dans la phnomnologie contemporaine ,le monde n'est jamais univers. IL est horizon d'absence.Mais cet horizon prend une sorte d'paisseur mais non objectale, l'paisseur du proto -ontique qui est en dea des tants constitus.Le monde devient un horizon d'absence, mais cette absence a une paisseur: celle de la chair et celle de l'inconscient phnomnologique. Les termes d'paisseur, de chair indiquent en effet qu'il y a en dea du visible "quelque chose" qui d'une certaine faon rsiste, insiste,bien qu'on ne puisse pas dire o c'est, ce que c'est , comment c'est. Et pourtant ,on va en dire quelque chose.A aucun moment ,la phnomnologie ne sombre dans une mystique de l'inffable.On peut mme dire que la caractristique la plus irrductible de la phnomnologie contemporaine, c'est de chercher dire quelque chose de ce lieu d'en dea du jugement, lieu qu'elle dcouvre moins chaotique qu'il apparaissait chez Kant. Ces propos peuvent paraitre nigmatiques. La notion de chair n'est pas une notion simple, et la dmarche qui va nous donner accs aux phnomnes -de -monde d'avant tout langage qui semblent tre l'origine du paysage , cette dmarche est difficile penser. Il est remarquable qu' Husserl en vienne la notion de chair partir d'une aporie. Car c'est la mme aporie qui par la suite de cesse d'ouvrir la phnomnologie une pense toujours plus engage dans le probjectif,le prindividuel,le prsubjectif.C'est la problmatique de la constitution qui a rendu necessaire la pense de la chair comme spatialit originaire, mais cette pense a ruin la problmatique dont elle tait issue. Chez ses successeurs,les constitutions conscientes de l'ego ne vont plus cesser de reculer devant des synthses passives dont la dimension non seulement inconsciente mais aussi asubjective ne cessera de s'affirmer.Dans la dernire partie de Soi- mme comme un autre, P.Ricoeur adopte un point de vue critique sur la notion husserlienne de chair:"la chair est le lieu de toutes les synthses passives sur lesquelles s'difient les synthses actives qui seules peuvent etre appeles des oeuvres.: elle est la matire (hyl) , en rsonnance avec tout ce qui peut tre dit hyl en tout objet peru, apprhend. Bref, elle est

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l'origine de toute altrit du propre." Il s'agit bien d'une position critique en ce sens que Husserl pense l'autre comme un autre soi, alors que Ricoeur propose de penser avec la phnomnologie contemporaine, "soi- mme comme un autre". Dire que la chair est l'origine de l'altrit du propre , c'est dire qu'elle se situe hors de la spatialit objective. C'est en cela qu'elle est irrductible au corps objectif. L'incarnation doit tre pense partir de la chair et non partir du corps, c'est dire qu'elle ne doit pas tre confondue avec une incorporation.M.Richir reproche prcisemment la thologie d'avoir confondu les deux, plus exactement d'avoir rduit l'incarnation une incorporation.Dire que l'espace du paysage est incarn, n'est en aucun cas dire qu'il est une matrialit habite par une ame ou par un esprit.Dans l'incorporation on a d'abord quelque chose qui est un corps, et quelque chose qui est un esprit et le second entre le premier. Il sont dj individualis quand a se produit.Rien de tel dans l'incarnation: l'incarnation est une diffusion, une propagation , expansion d'une chair qui prend, se prend dans l'espacement mme de l'espace qu'elle forme .Dire que l'espace du paysage est incarn , c'est dire que sa matrialit est vivante en elle mme, du coeur d'elle mme.Et non qu'un lment extrieur comme une ame ou un esprit l'a rendu vivante. Dans le langage courant, on dit d'un discours qu'il est dsincarn quand il apparait comme trop abstrait, trop diaphane, trop thr; il semble manquer de paisseur, de pronfondeur, de gravit: paisseur, profondeur, gravit qui serait celle d'une chair prcisemment s'il n'tait pas dsincarn. Le terme "abstrait" qu'on utilise alors est lui aussi trs parlant; car en effet, on lui a retir quelque chose; quelque chose en a t abstrait: la chair. Il y a d'abord l'incarnation, puis ventuellement une dsincarnation laquelle va essayer, en vain, de remdier une incorporation; car quand l'incorporation arrive il est toujours trop tard ;la chair a dj disparu car le corps et l'ame sont les rejetons de cette disparition! La dsincarnation de l'homme, c'est sa division en une ame et un corps, La dsincarnation du langage, c'est sa division en signifiant et signifi La dsincarnation du paysage ,c'est sa division en forme et matire. Ce que nous enseigne la phnomnologie contemporaine, c'est que le paysage ne se forme pas par imposition externe d'une ide une matire amorphe, mais par "transduction" pour adopter une expression de G.Simondon dont J.Garelli a su faire ressortir toute la richesse dans Rythmes et mondes:"Il y a transduction lorsqu'il y a activit partant d'un centre de l'tre , structural et fonctionnel, et s'tendant en diverses directions partir de ce centre."

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La pense phnomnologique contemporaine de l'incarnation se situer dans le prolongement de certaines intuitions husserlienne, mme si comme le remarque notemment M .Richir, Husserl a bien souvent recouvert ce qu'il avait vu.Mais elle radicalise ces intuitions.M. RIchir reprend le mouvement mme de formation des penses de Husserl au lieu de partir des ides dj sdimentes dans les textes fondateurs. Si j'voque la particularit de cette dmarche philosophique, c'est justement parce qu'elle reprend dans une formation de pense , pense en train de se faire,une formation qui va aussi tre l'oeuvre dans le paysage. La formation de l'espace du paysage a le plus grand rapport avec ce qu'il en est de la pense quand elle se forme; c'est dire avant qu'elle ne se thmatise dans une ide ou qu'elle aboutisse une image.Il y a de la pensee dans le paysage, mais cette pense ne se donne pas dans des ides constitues. 5)Le paysage, paradigme de toute incarnation. Cela dit,tout n'est pas paysage,et il ne s'agit pas d'tendre le champ smantique de cette notion au point o il ne signifierait plus rien force de trop signifier.Mais si l' on voit dans l'espace du paysage un paradigme, et on va le retrouver dans toutes sortes de situations qui premire vue n'ont rien voir avec ce qu'on entend par paysage,et notemment dans l'activit de pense.Si l'espace du paysage est pens comme espace originaire, on va le retrouver chaque fois qu'il va y avoir dans un quelconque domaine authentique mise en forme, prise de forme.C'est pourquoi J.Garelli va parler de "lieu pensant" pour voquer un lieu qui rvle l'union indissoluble du topos et du logos.Il en parle dans plusieurs de ses textes, mais plus particulirement dans un livre qu'il a consacr Artaud . Le "lieu pensant" , c'est l'espace non pas dans lequel, mais du fond duquel l'oeuvre se prend en forme; plus exactement ,c'est l'espace se prenant en forme.Et il y a de la pense, ou plutot du penser dans cette prise en forme.Une pense d'avant l'ide (Patocka, H.Arendt). Ce lieu chappe la pense reprsentative du monde, il est un champ de prsence ouvert.Ce que Garelli veut nous faire entendre par cette expression de lieu pensant, c'est d'une part que penser, ce n'est pas quitter le sensible pour l'intelligible.penser ce n'est pas avoir des ides, d'autre part que le lieu pensant n'est pas objectivement localisable. Les notions de "lieu pensant", de chair, marquent une ligne de partage entre deux types de pense qu'il ne faut pas rduire l'une l'autre. Disons :la pense symbolique et la pense phnomnologique :Husserl bien sur n'emploie pas ces termes; c'est M Richir qui

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oppose symbolique et phnomnologique en reprochant justement Husserl, mais aussi Heidegger de les avoir confondus.Pour M.Richir,"la distinction entre chair et corps recouvre exactement la discinction entre phnomnologique et symbolique" le corps ce serait " ce qui , de la chair, se code depuis lui mme et l'aveugle dans son institution symbolique." Il convient de s'expliquer de faon plus prcise sur ces termes de chair et de corps.En franais nous n'avons qu'un mot, corps,alors que l'allemand dispose de Krper et de Leib. "Corps de chair" ou "chair" traduit ici Leib qui n'a pas de rpondant en franais.Il s'agit du corps en tant que vivant, non pas dans une perspective biologique, mais comme ancrage concret et vcu . Quant au Krper, il voque plutot le corps de la biologie, ou de la physique, entit purement matrielle et objective.Mais cette mise au point d'ordre terminologique tant a faite, il importe, il nous reste penser les concepts dans toute leur complexit. Dans un texte rdig en 1924 ,c'est dire cinq ans avant de prsenter les confrences qui donneront naissance au textes des" Mditations cartsiennes", Husserl commence exposer sa conception de lincarnation partir dune distinction entre Krper (corps physique objectif) et Leib (corps de chair) , le Leib tant lui mme intrieurement divis entre Leib interne et externe . Marc RIchir a interrog ce texte plusieurs reprises et on peut dire quil constitue l'un des points d'ancrage de son laboration personnelle de la question de lincarnation . Ce qui retient d'abord son attention , c'est que pour Husserl,la distinction entre Leib et Krper ne permet pas elle seule de comprendre en quoi consiste l'incarnation .Une nouvelle distinction s'avre necessaire : entre corps de chair interne et corps de chair externe.Nous verrons que le paysage se forme entre un corps de chair interne et un corps de chair externe (qu'il ne faut surtout pas confondre avec l'extriorit objective du Krper).Dans les diffrentes interprtations qu'il a propos de ce texte de Husserl, Marc Richir s'efforce d' "expliciter la necessit phnomnologique de cette distinction en Innenleib et Aussenleib"( ) Marc RIchir observe que cette division interne du corps de chair n'est elle mme possible, ou plutot sensible, par celui qui la vit, qu' partir de la rencontre d'autrui incarn (il ne s'agit surtout pas de l'Autre lacanien.).Husserl lui-mme remarque que l'autre ne m'apparait pas comme un pur esprit ou comme un corps- objet , mais d'emble comme un corps incarn,c'est dire non pas comme un Krper mais comme un Leib dont seule la face externe m'est perceptible.Cette face externe est le Leib externe, qui est dj phnomne- de -langage, alors que le Leib interne serait phnomne- de

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-monde. Je ne peux avoir un accs immdiat la vie "intrieure" de l'autre; mais cela ne signifie pas que j'en sois rduit interprter par une sorte de dcodage symbolique les signes extrieurs de cette intriorit.Il s'agirait alors de "lire" l'"ame" de l'autre, son "esprit" au travers des manifestations superficielles que me donnerait son corps externe.Toute la difficult de la question de l'incarnation , aussi bien celle de l'autre, la mienne, celle du monde ,est l: il s'agit de comprendre en quoi l'incarnation est "expression", "extriorisation" d'un corps de chair interne dans un corps de chair externe, mais sans que le corps de chair externe devienne jamais tout fait un signe autonomis du corps de chair interne. L'ide ici essentielle est donc que je ne perois le monde comme extrieur et sens(qu'il s'agisse des choses ou d'autrui) que si j'ai un corps de chair interne en chiasme avec mon corps de chair externe, et que ce chiasme est "expressif";mais l'expression dont il est question dans ce texte de Husserl de 1924 n'est pas une "opration seconde",comme c'tait encore le cas dans les Recherches logiques, plus particulirement dans la premire.C'est un processus originaire qui doit d'autant plus requrir notre attention qu'il est constitutif du paysage comme espace incarn. L'incarnation est donc expression .Dire que l'incarnation est expression, c'est dire que il n'y a pas d'incarnation sans langage, mais langage non symbolique, langage sans code.L'expression est dite originaire dans la mesure o elle n'est pas symbole au sens de reprsentant d'un contenu dj objectiv. Si ces considrations nous interessent ici, dans le contexte d'une rflexion sur le paysage, c'est rappelons le ,parce que cette notion de Leib ne renvoie nullement exclusivement un corps de chair humain. Les choses dans la perspective de l'incarnation au sens phnomnologique ont elles aussi une chair. Ce sera mme ce qui introduira une diffrence radicale entre un cadre, un dcor, un spectacle , un panorama et un paysage : dire de l'espace du paysage qu'il est incarn, c'est dire qu'il se met en forme par la phnomnalisation en langage de phnomnes -de- monde hors langage.Phnomnes- de- monde qui sont le lieu inconscient de la chair du monde. On pourrait concevoir les phnomnes- de- monde comme des sortes de racines des phnomnes de langage; et ces racines seraient un lieu d'indivision de la chair du monde et de la chair du corps de chair.Mais cela, Husserl ne le pense pas; c'est une pense qui apparaitra avec Merleau Ponty.

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Si je reviens pour un instant mon point de dpart, je dirais que si le schizophrne percoit un dcor inerte au lieu d'un paysage, c'est parce qu'il a rompu le lien du langage avec la part d'ombre, d'inconscience, d'indtermination qui le nourrit. Bref, il a coup les racines du monde.Ds lors il ne lui reste que des symboles flottant,dsincarns. .La dsincarnation qui rduit pour lui le paysage un dcor de carton est l'effet d'un dfaut de constitution transcendantale, celle qui s'effectue dans l'apprsentation o la prsence est toujours marque d'absence L'apprsentation est toujours apprhension d'une chair interne au travers d'une chair externe, c'est dire d'un phnomne- de- monde au travers d'un phnomne- de- langage; et si le corps de chair interne, le phnomne- de- monde cesse d'tre en chiasme avec le corps de chair externe, le phnomne- de- langage, ce dernier se rduit une enveloppe vide.La notion de phnomne- de- monde est donc essentielle celle d'incarnation.Il n'y a pas d'incarnation sans phnomnes- de- monde.Les phnomnes- de- monde sont en fait la chair dont il est question dans l'incarnation. Evidemment, un expos comme celui ci est difficile parce que toutes les notions sont emboites les unes dans les autres et que l'exposition linaire, bien entendu necessaire, s'en trouve entrave.Nous devons pour ainsi dire comprendre en mme temps des notions que nous ne pouvons exposer que successivement: celles de chair, d'apprsentation, de phnomne -de- monde ,de phnomne- de- langage et de langage institu.On pourrait imaginer un expos de type encyclopdique o chaque notion serait dveloppe pour elle mme. mais on s'apercevrait trs vite que les autres viennent s'y agglutiner comme la limaille autour de l'aimant.Il m'a donc sembl que tout en gardant le cap sur une rigueur, il fallait respecter certaines fluctuations . 6)L'imagination. Quand on aborde une notion aussi inhabituelle que celle de phnomne de monde, une question ne manque pas de venir l'esprit: qu'est ce qui nous dit que ce lieu "informe" des phnomnesde -monde, dj en formation pourtant dans les synthses passives, n'est pas le pur produit de notre imagination? Eh bien ,il est un produit de notre imagination! mais pas au sens de fantasme, d'illusion , pas imagination au sens o l'imagination serait quelque chose d'irraliste: " l'imagination n'a rien voir ici avec l'image,(...) , mais elle a tout voir avec ce que suggre son nom allemand: Einbildungskraft, pouvoir de formation, et de composition, sans concept donn d'avance" L'imaginaire dont il est ici question n'est pas spculaire.L'imaginaire de

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l'Einbildungskraft ne re-prsente rien, il prsente,"il se borne, dit M.Richir, faire de la prsence ce moment venu de l'immmorial...(..) non pas prsence pure puique traverse par l'absence de l'inconscience et de l'innocence." 24 Dire ici que le lieu "informe" des phnomnes -de- monde d'avant le langage, le lieu d'inconscience phnomnologique est un produit de l'imagination ce n'est en rien lui retirer son coefficient de "ralit". "Reel" ici veut dire que quelque chose insiste , rsiste, pousse en avant, s'tire, avance, quelque chose "veut". Il y a , pourrait-on dire,une volont asubjective du phnomne- demonde d'avant le langage,peut tre ce qu'entendait Schelling quand il parlait de vouloir du fondement.Maldiney , dans le cours d'une rflxion sur l'espace du paysage, dit en effet que ce vouloir du fondement de Schelling pourrait tre "l'assise gologique" du paysage. Il y a des contraintes prsubjectives et probjectives qui ne sont pas extrieures ce qu'elles contraignent, mais internes; et pas mme en position d'extrieur interne comme le "corps tranger" freudien; car le corps tranger freudien relve dj d'une conceptualit objectale. Non , il y a une contrainte plus comparable celle qu'exerce la gravitation qui dfinit un champ et non un espace vide dans lequel il y aurait des objets qui viendraient se loger. L'inconscient phnomnologique , la diffrence de l'inconscient symbolique de la psychanalyse n'est pas un lieu de reprsentations inconscientes. M.Richir dit que c'est le"lieu d'indivision de la "chair" du monde et de la "chair" du corps de chair " " Ce lieu est celui des phnomnes- demonde et n'est pas localisable; on peut dire qu'il se situe en dea de la constitution des tants, mais il est nanmoins une dimension d'tre. Le paysage commence donc se mettre en forme dans l'inconscient phnomnologique et s'accomplit dans les phnomnes- de- langage. Mais cet accomplissement se produit chaque instant et en chaque point de l'espace de ce qu'on appellera espace du paysage;selon des rythmes qui n'arrtent jamais .Le paysage n'est jamais fini. Le paysage vient d'une sorte de pr- mise en forme du chaos et ne va pas jusqu' la scne.Il se tient donc entre phnomne- de- monde o il prend ses racines, et langage institu o il disparait. C'est dire que nous le rencontrons essentiellement au niveau des phnomnes- de- langage.Le paysage commence se mettre en forme dans l'inconscience phnomnologique par synthse passive, par Einbildungskraft;et il continue de se mettre en forme dans la phnomnalisation en langage.

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Evoquant la peinture, M.Richir dit que,l'imagination associe les couleurs et les lignes selon des rythmes qui "soudainement phnomnalisent le paysage, en font un phnomne travers de parcours et de rythmes inconscients, mais dont l'unit se rflchit dans sa "reconnaissance" comme phnomne irrl, onirique, surrel, plus rel que le tableau d'tres et de choses." Le paysage est toujours un paysage de rve, mme s'il apparait au travers d'un paysage empirique, sinon ce n'est qu'un panorama. Le paysage se met donc en forme selon des rythmes o "des phnomnes- de- monde hors langage se phnomnalisent l'aveugle dans l'ocan ou la forge fantastique de l'inconscient phnomnologique donnant aux phnomnes- delangage leur nourriture, les chargeant d'une concrtude de monde qu'il serait absurde de penser comme tant exclusivement de langage." Ce terme de "nourriture" est parlant! l'incarnation c'est cela: la nourriture chaque instant , des phnomnes- de- langage par des phnomnes- de -monde dont ils viennent.Le chiasme de l'incarnation c'est la ralisation incessante d'un double mouvement: spatialisation et temporalisation par lequel le phnomne- de- monde devient phnomne- de- langage c'est dire prmonition et rminiscence transcendantale des phnomnes -de- monde dans les phnomnes- de -langage.Les phnomnes -de- monde ne sont pas tous des phnomnes- de- langage, mais pour M.Richir, les phnomnes- de langage , en dea du langage symbolique, et en particulier de la langue,restent des phnomnes- de- monde.Les phnomnes- de -langage sont d'une certaine faon un sous ensemble des phnomnes- de- monde, mais ds qu'on a dit a ,il faut prciser que la notion de sous ensemble est trs imparfaite pour voquer ce qui n'est pas une inclusion mais un chiasme. 7)Jugements rflchissants et jugements dterminants. Mais comment avons nous accs tout cel? Comment peut- on dire quelque chose des phnomnes- de- monde invisibles qui sont comme l'origine du paysage visible? O est l'instance critique qui va nous garantir de ne pas dire n'importe quoi? Qui va nous assurera d'un peu de ralit( mme s'il est clair que celle ci ne peut plus tre conue sur un mode empirique)? Comment accder ces proto -formes o s'amorcent les formes du paysage? Si le chaos phnomnologique n'est pas pure dispersion; s'il s'y forme des aggrgats, des agglutinements, des zones plus denses, des rapprochements, des associations dj, par similarit, contiguit, par contraste, s'il est le lieu des synthses passives,essentiellement inconscientes,que pouvons en savoir?. Cette question est au coeur de la phnomnologie

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contemporaine.L'un de ses principaux reprsentants,J.Garelli rpond que cette dimension des phnomnes de -monde ne nous est accessible que par la mise en oeuvre d'un type particulier de jugement:les jugements rflchissants tels que Kant les a pens dans la critique du jugement. Le jugement ,rappelons le, est "la facult qui consiste penser le particulier comme compris sous l'universel" Deux cas se prsentent: 1)soit l'universel est donn sous forme de concept priori, dj institu.Dans ce cas, penser le particulier comme compris sous l'universel, ce sera l'inclure sous une catgorie prdonne, qui n'a pas tre invente . Il s'agit alors d'un jugement dterminant,Si je dis par exemple "les chats sont des mammifres", j'exprime un jugement dterminant. 2)Soit seul le particulier est donn;ce cas qui correspond au jugement rflchissant est plus difficile concevoir.Il suppose un effort d'invention. Loin de puiser sa conceptualit dans un ordre institu, prxistant , le jugement reflchissant doit "se replier sur lui mme, "se rflchir" pour faire surgir, de lui mme,une nouvelle pense.On ne peut pas cette fois donner d'exemple mettant en jeu des contenus constitus.On peut en revanche voquer une situation o est l'oeuvre une forme de jugement rflchissant. Quand on cherche dire quelque chose qui n'est pas encore clair,quelque chose pour quoi on ne trouve aucune expression tout fait satisfaisante, on met en jeu des jugements rflchissants: on est sr qu'on "a" une ide, elle est l, elle insiste comme pour se faire reconnaitre, on est tout aussi sr que telle expression qui nous tait venue ne convient pas, et on continue tatonner; a peut prendre beaucoup de temps, et dans certains cas, peut mme prendre des annes et occuper toute une vie, on appelle a une recherche et en effet si on procde de cette faon, c'est une recherche sincre.On rflchit!. IL est clair qu'il y a une sorte de savoir non thmatis l'oeuvre dans cet effort d'expression.Kant dit quant lui que le jugement reflchissant n'est pas un jugement de connaissance;mais Garelli propose de nuancer cette affirmation,comme d'ailleurs, Kant le fait lui mme un autre moment.Si les jugements reflchissants ne mettent pas en jeu une connaissance objective de la chose, ils ont pourtant une dimension de pense qui est une sorte de connaissance non objectale que J.Garelli qualifie de "prconceptuelle" Que cette connaissance ne soit pas objectale ni objective ne signifie pas qu'elle soit imprcise, vague, confuse.Dans l'effort d'expression de la pense qui n'est pas encore forme, on sait trs bien quand le mot ou le groupe de mots

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qu'on a retenu un instant ne convient pas.Ce qu'on veut dire est la fois informe et trs prcis. La phnomnologie contemporaine, celle de Garelli , de M.Richir reconnait donc une dimension heuristique au jugement rflchissant. Par ailleurs, elle dcle une part dterminante dans tout jugement rflchissant. C'est cette part dterminante qui va donner un point d'appui la rflxion. Ds lors, pour nous,toute la question de la dmarche phnomnologique (il ne s'agit pas d'une mthode proprement parler), va tre la question du jeu du rflchissant et du dterminant;car ce qu'a bien vu J.Garelli , la diffrence de Kant, c'est qu'on ne peut pas sparer les deux.Les jugemnets rflchissant ne peuvent s'exercer que dans le cadre d'une dtermination initiale, qui singularise la particularit depuis laquelle ils s'initient; car il faut bien partir de quelque chose! Si pour J.Garelli,le jugement rflchissant se met en route partir d'une particularisation exerce par un jugement dterminant, il dpasse aussitot cette particularisation et il met le cap sur les phnomnes- de- monde d'avant le langage ,c'est dire d'avant le langage symbolique videmment, mais aussi d'avant le langage phnomnologique. Un pas en avant , un pas en arrire: ainsi avance la phnomnologie qui n'arrte pas de faire des sauts . Du symbolique au phnomnologique et rciproquement,; c'est dire aussi de l'individu au pr-individu, du thmatique au pr-thmatique, de l'ontique au proto- ontique; et chaque fois il faut ajouter rciproquement.Dans les Mditations phnomnologiques, M.Richir s'est interrog sur le zig- zag comme mthode de rflexion.Il le distingue radicalement du cercle hermneutique, dans la mesure o le cercle ne supposerait pas de changement de niveau d'tre alors que le zig -zag passe sans cesse de la dimension phnomnologique la dimension symbolique, et qu'il y a un hiatus , une discontinuit entre les deux.

Arriv un tel degr d'abstraction on peut prouver le besoin d'un exemple. Mais,il convient d'tre prudent avec la notion d'exemple car un exemple est toujours une particularisation d'un gnral; c'est dire qu' strictement parler, la notion mme d'exemple ne peut avoir cours que dans un cadre de pense dterminant.C'est d'ailleurs pourquoi le reproche que certains font Marc Richir de ne pas en donner n'est pas bien fond.Ceux qui regrettent que ses textes soient trop "abstraits" ne saisissent gnralement pas que cette

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"abstraction" est invitable, principielle; enfin, si les guillemets sont ici encore ncessaires, c'est parce qu'au fond, c'est l'exemple lui mme qui dans cette rgion d'indtermination serait abstrait! Abstrait d'une unit indivise, celle du champ phnomnologique. On peut nanmoins essayer de contourner l'obstacle. Et concevoir un "exemple" qui serait plutot un "morceau choisi", un exemplaire ,une polarisation, une focalisation, une zone plus dense ou plus claire ...et on va voir ce qui s'y passe.Mais cette entreprise, rptons le est risque et d'ailleurs ne russit jamais tout fait! Venons en donc un "exemple" (toujours avec des guillemets ) que nous donne Garelli dans Rythmes et mondes; celui de la madeleine de Proust.Exemple rebattu certes, mais parlant. Comment un paysage sort d'une tasse de th. On peut dire avec J.Garelli que le moment dterminant dans l'exprience de la madeleine n'est pas le paysage;que ce qui donn, donc dtermin, c'est la madeleine. La recherche du temps perdu serait alors le trajet spatial et temporel qui ouvre une indterminit ,le paysage , dans une dterminit,la madeleine.Mais on peut aussi demander avec Marc Richir qui sur ce point ne semble pas suivre J.Garelli:comment la madeleine est-elle dtermin ou quel titre? Est ce que dj de "point de dpart" n'est pas autre chose qu'une dtermination? Le gut dans la bouche, l'impression extraordinairement prcise, forte, bouleversante,est -il celui de telle ptisserie qui a sa place et son nom dans une culture donne? La dtermination est-elle vraiment initiale? N'estelle pas plutot dj une reconstruction? Avant la rptition de l'exprience, avant la seconde gorge , dans quoi est -on? Peut tre pas en effet dans une dterminit qui ne viendrait qu'avec la rptition de l'exprience qui d'ailleurs en l'occurence l'affadit et finit par la ruiner.Quelque chose a t reconnu, oui; mais a-t-il t identifi? Peut tre pas; peut tre que ce qui a t identifi, dtermin, c'est une circonstance sociale lie, associe cette exprerience qui quant elle se droulerait en dea de toute identification, de toute dtermination. Cette question du "point de dpart" du jugement rflchissant , il faudra continuer la penser, car nous n'avons pas ici trouv de "solution" vraiment satisfaisante; mais une chose reste acquise au terme provisoire de cette mditation sur l'espace du paysage, c'est que quand quelque chose est donn au dpart d'une rflxion phnomnologique sur le paysage, ce n'est jamais prcisemment le paysage; le paysage n'est pas "donn". Une scne , un panorama,par contre peuvent constituer la dtermination initiale partir de laquelle va se mettre en forme le paysage.En ce sens ,on ne

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peut jamais faire la phnomnologie d'un paysage, moins de comprendre par l que le paysage est ce quoi on va arriver, et non une sorte d'objet dj l avant le questionnement.Dire "un"paysage , "tel" paysage c'est identifier, particulariser, c'est dj s'installer d'emble dans un cadre dterminant de pense auquel le paysage est rfractaire. Mais si le paysage est ce quoi on arrive, en ouvrant un espace d'indtermination dans la dtermination mme, c'est que ,comme le dit Garelli: dans Rythmes et mondes:"le pr-rflexif est en fait post -conceptuel, et ne peut atteindre l'expression pense qu'en se faisant transducteur, partir de l'horizon proto- ontique du monde, dont il dploie la gense , en meme temps qu'il se dtache de ses objets conceptualiss." C'est dire que mme dans le cas o premire vue ,la phnomnologie de l'espace de paysage part d'un paysage, elle part en ralit d'autre chose . 8)La peinture de paysage. Il existe en fait un cas o l'espace transcendantal du paysage et ce qu'on appelle communment "paysage" se rejoignent,c'est dire o la particularit dtermine partir de laquelle va s'ouvrir le jugement rflchissant est dj un paysage au sens empirique du terme: c'est le cas de la peinture de paysage. Mais le paysage peint est dj un phnomne -de- langage. Le phnomne de- monde qui lui correspond n'est pas le paysage empirique qui a pu servir de modle au peintre.Ce paysage empirique est une scne, et il a dj fallu que le peintre regarde d'une certaine faon, en phnomnalisant, en "rflchissant", pour qu'il devienne phnomne- de- langage.Le phnomne- de- monde, lui n'est nulle part.Ni dans le lieu empirique initial, ni dans le paysage peint. Il ne se donne qu'en ngatif.Tout ce qu'on peut dire c'est qu'en lui se sont rejoint la chair du corps de chair du peintre et la chair du monde.

Si les seuls exemples qu'on puisse donner d'analyse phnomnologique du paysage sont sont ceux d'oeuvres d'art, c'est parce que le paysage ne peut apparaitre qu'avec sa phnomnalisation en langage;il n'y a pas de reprsentation prosaique proprement parler de l'espace du paysage; la constitution de cet espace exige une cration. Avant, quand le paysage n'est que phnomne- de- monde, il est chair de part en part; on ne peut d'ailleurs pas alors parler d'incarnation car tout est chair.Le paysage incarn, c'est le paysage comme phnomne- de- langage qui se nourrit du phnomne- de- monde dont il vient et qu'il reste.En dea du phnomne -delangage, le paysage est invisible et inconscient.Comme un rve compltement oubli au rveil Ce qui nous reconduit

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E.Straus: "La peinture du paysage de reprsente pas ce que nous voyons, en particulier ce que nous remarquons en considrant un lieu donn - le paradoxe est invitable- elle rend l'invisible visible mais comme chose drobe, loigne. Les grands paysages ont tous un caractre visionnaire.La vision est ce qui de l'invisible devient visible." Hors de la peinture , il y a bien possibilit de formation de paysage, mais elle n'exige pas moins de cration. C'est ainsi que M.Richir peut dire que le paysage rel ne m'est pas donn d'un coup."comme un spectacle ou un panorama" "tre au monde c'est aussi le parcourir(i) du regard ou de la pense, y cheminer, par la marche, selon les chemins qui y sont praticables: le paysage- de- monde quand il n'est pas rendu abstrait par nos moyens de transport modernes (voiture, train, avion), n'est pas comme une carte topographique ou une carte postale o tout est mis plat: que ce soit par notre pense, par nos regards ou nos pas, des chemins s'y frayent, qui prennent du temps, et qui font du temps. Il n'y a pas de paysage -de -monde sans temporalisation de monde mme le monde, et cela, les peintres de paysage l'ont toujours su, qui ont pratiqu l'art du regard comme art d'entrer dans l'espace se temporalisant du monde, ou plutot, comme art de pratiquer ensemble les divers cheminements par lesquels le paysage- de monde- s'ouvre nous....." Confirmant la parent du paysage transcendantal avec le paysage empirique, M.Richir remarque encore:" par le langage au sens phnomnologique, les phnomnes ou les paysages -demonde peuvent tre compris comme ce qu'ils ont couremment: des paysages o nous avons encore advenir en les parcourant de nos chemins qui y font leurs temps, leurs espaces, et leurs sens, en y traant nos sillons qui sont sillons de sens, ce que Husserl entendait trs maladroitement, dans la Krisis, mais entendait tout de mme, par Sinnbildung." 9)La disparition des paysages. Je m'arreterai sur cette vocation de la Krisis pour suggerer qu'au moment o il est devenu banal de parler de disparition du paysage, on gagnerait certainement mditer la dimension phnomnnologique de cette disparition.Quand le sens qui est toujours un horizon se referme sur une signification qui est un contenu dtermin, il n'y a en effetplus d'espace pour la formation d'un paysage.C'est dire que la spatialisation qui est aussi temporalisation du paysage est tributaire d'un certain tat de la culture.On ne peut pas ne pas tenir compte d'une dimension culturelle, (culturel tant pris ici au sens de symbolique , d'institu),

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d'une formation qui pourtant a lieu en dea du symbolique et de toute institution. Cette formation du paysage qui demande espace et temps pour s'amorcer exige qu'un cart soit maintenu entre phnomne- demonde et phnomne -de -langage,de mme qu' entre phnomnede- langage et langage institu, on pourrait dire aussi entre Leib interne et Leib externe et de mme qu'entre Leib et Krper. L'espace du paysage comme espace incarn ne peut se former que tant que ce qu'on voit reste en prise sur une chair qui est quant elle invisible,et il n'est pas impossible qu'un tel espace soit de plus en plus difficile constituer dans une culture qui tend rduire la prsence la reprsentation, le chair au corps, le sens la signification. Jolle Mesnil #

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