DEBOUTCIV N°12 (Page 08)

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Un de mes amis, aujourd’hui dis- paru, un Capverdien, ancien étudi- ant en RDA, qui représentait le Paigc dans le pays d’Afrique du Nord où je vivais à cette époque, avait sans cesse à la bouche cet adage : « la confiance, c’est bien ; mais le contrôle, c’est mieux ». Appliquons ce pré- cepte au cas qui nous occupe.

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politique 8

La démission surprise de Mamadou Koulibaly de la présidence duFpi qu’il occupait de facto depuis la déportation de Pascal AffiN’Guessan, a été l’objet de commentaires très contrastés, etmême contradictoires souvent. Mais, chose étonnante – pour moidu moins –, tous ces commentaires convergeaient pour dresser

le portrait d’un personnage universellement estimé. Pour les uns, qui sem-blent avoir toujours su que Mamadou Koulibaly n’était pas à sa vraie placedans ce parti-là, sa démission était à prévoir et par conséquent elle neconstitue pas une vraie surprise. Pour d’autres, c’est une trahison, ce quisuppose que jusqu’alors Mamadou Koulibaly était à leurs yeux un militantFpi discipliné et absolument fiable. Pour d’autres encore, non seulementcette défection, qui enlevait au Fpi le meilleur dirigeant qu’il ait jamaiseu – le plus intelligent, le plus honnête, le plus moderne, le plus consen-suel, bref, le plus rassembleur –, sonne le glas de ce parti et de ce qu’ilsappellent « le camp Gbagbo », mais elle marque aussi la fin de toute ré-sistance face à ce gouvernement de naçarafôtigui1, comme les gens deKong appelaient, vers 1895, les premiers d’entre eux qui se mirent volon-tairement au service des conquérants français.

La principale image qui se dégageait de ces commentaires, c’était celled’un Mamadou Koulibaly idéalisé aupoint d’apparaître, à lui tout seul,comme la seule alternative possibleau parti moribond qu’il voulaitsauver. Que dis-je ? Qu’il aurait cer-tainement sauvé, si ses anciens etbien indignes camarades ne l’enavaient pas empêché ! En tout cas,pas un seul de ses commentateursne lui soupçonne de desseinscachés, de mobiles, sinon que lenoble souci de jouer, de la pluscitoyenne façon possible, sa parti-tion dans le triste concert politiquedu moment ! Dans ma précédente chronique déjàconsacrée au cas MamadouKoulibaly, je me demandais s’il fal-lait prendre au sérieux cette histoirede démission et de création, dansun seul et même mouvement, d’unparti baptisé «  Lider  ». Et jerépondais que j’en doutais. Mais,alors, je n’avais pas conscienced’une des principales dimensions decette affaire, à savoir cette imagemystifiée de Mamadou Koulibalydans de larges secteurs de l’opinionpublique, disons : éclairée. Ceux quenaguère on appelait les « évolués ».En effet, depuis le 11 juillet, j’en-tendais partout dire de MamadouKoulibaly que c’est un esprit brillant,une immense intelligence, une mon-tagne de vertus civiques, etc.…Troublé par cette vision que, à maconnaissance, rien – absolument rien ! – ne justifiait, je me rapprochai,par téléphone, de deux de mes amis qui sont aussi deux grandes figuresdu Cnrd, afin de connaître leur avis sur les derniers actes publics de Ma-madou Koulibaly et les déclarations par lesquelles il les a justifiés. A magrande surprise, mes amis m’ont parus forts loin de partager la défianceque, pour ma part, je cultive à son encontre depuis que j’ai lu son maîtrelivre : « Le libéralisme, un nouveau départ pour l’Afrique » (L’Harmattan,1992). L’un regrettait sincèrement cette défection parce que « c’est ungarçon capable de brillantes analyses ». Comme si, avec lui, l’oppositionà ce gouvernement de Versaillais perdait un grand stratège… L’autreétait, quant à lui, resté parfaitement « zen » devant les gesticulations del’ancien président par intérim du Fpi. Il dit, en substance : il a créé sonparti, c’est son droit, et la porte du Cnrd ne lui est pas fermée pour autant.S’il décide de rejoindre le Cnrd avec son parti, il y sera le bienvenu…

Le plus jeune de mes deux amis est déjà plus qu’octogénaire, et l’autrese trouve à moins d’un lustre de son centième anniversaire. C’est direqu’ils ont tous les deux une expérience quasi charnelle de notre histoiretourmentée. Ils en furent même des acteurs du premier plan. Tous deuxsont en outre des patriotes éprouvés, ils l’ont largement démontré pen-dant cette crise dans la crise commencée le 19 septembre 2002. Et, j’enmettrais ma main au feu, leur opinion de Mamadou Koulibaly ne doit rienà la complaisance ; seulement de la générosité. Elle dénote chez eux unevertu assez rare et d’autant plus précieuse. Cette disposition, je l’ap-pellerais la confiance citoyenne. C’est l’ouverture spontanée à ton conci-toyen, parce que, fils comme toi de cette cité que l’ennemi menace de

détruire, tu jurerais que, comme toi, jamais il ne voudrait la trahir. Fussepour tout l’or du monde. Le problème, c’est que d’une part tous tes conci-toyens ne méritent pas nécessairement cette confiance citoyenne, et qued’autre part beaucoup d’entre eux, s’ils sont suffisamment habiles, sontparfaitement capables de nous persuader – au besoin en s’aidant de relaisqu’ils possèdent chez l’ennemi – qu’ils la méritent.

Souvenez-vous, mes bons amis, vous qui en portez les stigmates dansvotre chair et dans votre âme, du règne de l’immense imposteur que, parla volonté des colonialistes impénitents, nous dûmes supporter durantprès d’un demi-siècle, et dont le nom sert aujourd’hui d’emblème, d’é-tendard et de cri de ralliement aux vainqueurs par procuration du 11 avril2011. Même vous, quand vous parlez de lui, il y a un mot que vous vousinterdisez de prononcer. Et c’est pourtant le mot le plus juste pour ledécrire. C’est le mot : « traître »… Car c’est tout ce qu’il fut ! Je veux direqu’en définitive cette qualité-là pèsera plus au tribunal de l’histoire quetoutes les vertus dont s’orne sa légende fabriquée, pour l’essentiel, parnos ennemis afin de nous le vendre plus sûrement. Cette poudre aux yeuxaveugla des millions de femmes et d’hommes trop confiants, faute d’êtrecorrectement informés de ce qui se jouait. Des millions de femmes et

d’hommes croyaient sincèrementque Félix Houphouët ne voulait queleur bien, qu’il ne travaillait quepour eux, tandis que lui ne songeaitqu’à sauver sa peau pour continuerà vivre dans l’opulence sous la pro-tection des armes françaises.Le symbole de cette imposture,c’est ce tunnel qui reliait la rési-dence officielle du chef de l’Etativoirien à celle de l’ambassadeur deFrance. Il était fait pour la fuite…Mais un tunnel a forcément deuxbouts : s’il peut servir pour s’enfuir,comme Houphouët l’espérait, etcomme Bédié l’a fait, il peut aussiservir pour envahir la résidence duchef de l’Etat, l’enlever et le jeter enpâture à la soldatesque ennemie,comme Laurent Gbagbo l’apprit àses dépens le 11 avril 2011. Oui, untunnel a toujours deux bouts ; et parconséquent la seule existence decelui-là montre à quel point, sousses faux airs de «  libérateur », de« père de l’indépendance » ou de«  père de la nation  », Houphouëtétait en réalité le captif desFrançais !

Un de mes amis, aujourd’hui dis-paru, un Capverdien, ancien étudi-ant en RDA, qui représentait le Paigcdans le pays d’Afrique du Nord où jevivais à cette époque, avait sanscesse à la bouche cet adage : « la

confiance, c’est bien ; mais le contrôle, c’est mieux ». Appliquons ce pré-cepte au cas qui nous occupe.

Quel socialiste était Mamadou Koulibaly quand il militait dans le Fpi, unparti membre de l’Internationale socialiste, et en gravissait avec aisanceles échelons, jusqu’à mériter de devenir le deuxième personnage de l’Etatune fois ce parti parvenu au pouvoir ? Et quel libéral est-il aujourd’huiquand, alors qu’on vient de nous imposer à coups de canon un régimedont le chef visible est notoirement un ardent partisan de l’ultralibéral-isme d’inspiration étatsunienne, il prétend jouer face à lui les opposantsradicaux ? – N’a-t-il pas dit qu’il avait rompu avec le Fpi parce que ses ca-marades l’empêchaient d’en changer le nom et le programme afin de letransformer en un puissant contre pouvoir face à ce gouvernement ? –.Bref, « Quel intérêt y a-t-il à créer un parti d’opposition libéral alors quele parti présidentiel est déjà un parti libéral ? » Cette question, qui con-tient en elle-même sa réponse, a été posée à l’ancien président par in-térim du Fpi par le philosophe Alexis Dieth dans son article : « Questionssur le libéralisme de Mamadou Koulibaly ». C’est se demander ce qui faitcourir Mamadou Koulibaly.

Avant de proposer des réponses, examinons la teneur de la profession defoi du 11 juillet, en gardant constamment à l’esprit le fait que ce déclarantest le même homme qui cosigna une espèce de pamphlet intitulé : « Laguerre de la France contre la Côte d’Ivoire », et le même qui s’était donnépour mission d’en finir avec le système CFA tel qu’il fonctionne depuis sacréation.

LE CAS MAMADOU KOULIBALY

DE L’AUTRE CÔTÉ DES APPARENCES