Titredel’éditionoriginale:Grayson’sVow©2015,MiaSheridan
Pourlaprésenteédition:Photosdecouverture:©Shutterstock
et©iStockpourlatextureboisCouverture:MarionRosière
CollectiondirigéeparHuguesdeSaintVincentOuvragedirigéparSylvieGand
©2017ÉditionsHugoRomanDépartementdeHugoetCie
34-36,rueLaPérouse,75116Pariswww.hugoetcie.fr
ISBN:9782755630497
CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.
Celivreestdédiéàmagrand-mère,quiatoujourseupourmoidebonsconseils,uneoreilleattentive,etuncœurremplid’amour.Tumemanqueschaquejour.
«Mêmeuneviefaitedejoiesnepourraitexistersansunepartd’ombre,etlemotheureuxperdraittoutsonsenss’iln’étaitpasponctuédechagrins»
CarlJung
SOMMAIRE
Titre
Copyright
Dédicace
CHAPITRE1-KIRA
CHAPITRE2-GRAYSON
CHAPITRE3-KIRA
CHAPITRE4-GRAYSON
CHAPITRE5-KIRA
CHAPITRE6-GRAYSON
CHAPITRE7-KIRA
CHAPITRE8-KIRA
CHAPITRE9-GRAYSON
CHAPITRE10-KIRA
CHAPITRE11-GRAYSON
CHAPITRE12-KIRA
CHAPITRE13-GRAYSON
CHAPITRE14-KIRA
CHAPITRE15-GRAYSON
CHAPITRE16-KIRA
CHAPITRE17-KIRA
CHAPITRE18-GRAYSON
CHAPITRE19-KIRA
CHAPITRE20-GRAYSON
CHAPITRE21-KIRA
CHAPITRE22-KIRA
CHAPITRE23-GRAYSON
CHAPITRE24-GRAYSON
CHAPITRE25-KIRA
ÉPILOGUE-GRAYSON
REMERCIEMENTS
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CHAPITRE1
«Netetourmentepas,monamour,l’universéquilibretoujourslabalance.Sescheminspeuventêtremystérieux,maisilssonttoujoursjustes»
IsabelleDallaire,“Grand-mère”
KIRAParmi toutes les mauvaises journées que j’avais pu passer, celle-ci était sûrement la pire. Et
pourtant, il n’était queneufheuresdumatin.En sortantde lavoiture, jeprisunegrandeboufféed’airparfumédecette find’étéetmedirigeaivers laNapaValleyBank. Jesentais lachaleurétouffantedecettesuperbematinéem’envelopper,etladouceodeurdujasminmechatouillerlesnarines.J’ouvrislaporte vitrée de la banque. La beauté paisible de cette journée tranchait avec mon humeur maussade.Quelleprétentiondemapart.Commesilamétéodevaits’accorderàmonétat.
–Puis-jevousaider?medemandaunecharmante jeunefemmealorsquejem’approchaisdesonguichet.
–Oui,dis-je,ensortantdemonsacmapièced’identitéetunvieux livretd’épargne.Jevoudraisfermercecompte.
Jeposailesdeuxdocumentssurlecomptoir.Uncoindulivretétaitcornéetlaissaitapparaîtredeschiffres griffonnés parma grand-mère lorsqu’ellem’apprenait à garder une trace des dépôts que nousfaisionsensemble.Cesouvenirme transperça lecœur,mais jeme forçaiàoffrir à la jeune femmeduguichetcequej’espéraisêtreunsourireradieuxpendantqu’elleprenaitlelivret,l’ouvraitetcommençaitàentrerlenuméroducomptesursonordinateur.
Jerepensaialorsaujouroùnousavionsouvertcecompte.Jedevaisavoirdixanset,accompagnéedemagrand-mère,j’avaisfièrementdéposécinquantedollars,gagnéspourl’avoiraidéeàjardinertoutl’été.Nousavionsprisl’habitudedevenirrégulièrementdanscettebanquependantlesvacancesdanssamaisondeNapa.Entreautreschoses,magrand-mèrem’avaitenseignélavraievaleurdel’argent:ilestprincipalementfaitpourêtrepartagé,pouraiderlesautres,etilpermetégalementuneformedeliberté.Lefaitquejeneroulepassurl’or,quej’aipeudeperspectivesetquelesseulsbiensmatérielsquejepossèdesetrouventdanslecoffredemavoituremeprouvequ’elleavaitcruellementraison:sansargent,j’étaistoutsauflibre.
–Deuxmillequarante-septdollarsetseizecents,meditlaguichetière.Satisfaite,j’acquiesçai.C’étaitmêmeunpeuplusquecequej’espérais.Voilàunebonnesurprise,
carj’avaisbienbesoindechaquecentime.Jerespiraiprofondémentetcroisailesmainssurleguichetenattendantqu’elleaitfiniderecompterlatotalitédelasomme.
Unefoisl’argentrangédansmonportefeuilleetlecompteclos,jesouhaitaiunebonnejournéeàlajeunefemme.Avantdesortir,jem’arrêtaiàlafontained’eau.
Tandisquejesavouraislafraîcheurdansmabouche,unevoixmeparvintd’unbureauvoisin:–GraysonHawthorn,ravidevousrencontrer.Monsangseglaça, jemeredressai lentement,enessuyantmachinalementdupouce l’eausurmes
lèvres.GraysonHawthorn…GraysonHawthorn?Je connaissais ce nom. Je me souvenais de son effet sur moi, de la manière dont je me l’étais
murmuréinlassablementpourlesentirvibrersurmeslèvres,cefameuxjour,danslebureaudemonpère.Je me revoyais lui apporter une tasse de café, jeter un coup d’œil furtif sur ce dossier, qu’il avaitimmédiatementrefermé.Était-ilpossiblequecesoitlemêmeGraysonHawthorn?
M’aventurantplusprèsdubureau,jenevisriend’autrequelaportecloseetlestoredelafenêtrebaissé.Jedécidaialorsdemeréfugierdans les toilettes,de l’autrecôtéducouloir,àquelquespasdel’endroitoùsetrouvaitledénomméGraysonHawthorn.
Unefoisàl’intérieur,jeverrouillaileloquetetm’adossaiaumur.J’ignoraisqueGraysonHawthornvivaitàNapa.SonprocèsavaiteulieuàSanFrancisco,c’étaitdonccertainementlàqu’ilavaitcommissoncrime.Jen’avaisjamaissupourqueldélitilavaitétéjugé,jesavaissimplementquemonpères’étaitintéresséàcetteaffairependantunecourtepériode.Jememordislalèvreet,toutenmeregardantdanslemiroiraccrochéau-dessusdulavabo,jemelavaipuismeséchailesmains.
Je poussai doucement la porte pour essayer de mieux entendre leur conversation, mais seulesquelques voix étouffées me parvenaient. Soudain, la porte s’ouvrit, et, en me penchant, j’aperçus unhommeencostume,probablementl’undescadresdel’agence.Ilentradanslebureau.Ilfermaderrièreluisansserendrecomptequelaporteétaitrestéetrèslégèremententrebâillée,cequimepermettaitdesaisirquelquesmots.Colléecontrelaportefissuréedestoilettes, j’essayaidenouveaud’entendreleurconversation.
Vraiment,Kira?Tacuriositéestscandaleuse!C’estuneviolationdelavieprivée.Et,pire,celan’aaucunintérêt.
J’ignorailavoixdemaconscience,etmeremisàécouter.Jechasseraivitecetactepeuglorieuxdemamémoire.Etpuisaprèstout,personned’autrequemoi
n’avaitbesoind’êtreaucourant.Quelques mots me parvenaient : « Pardon… criminel… ne peut pas donner… cette banque…
malheureusement…»Criminel?ÇadevaitforcémentêtreGraysonHawthorn.Quelleétrangeetimprobablecoïncidence.
Jenesavaispresqueriendelui.Àpartsonnom,lefaitqu’ilavaitétéaccuséd’uncrime,etquemonpèreavaitétél’undeceuxquil’avaitutilisécommeunpion.D’ailleursGraysonHawthornetmoiavionsçaencommun : avoir été un jouet dans les mains de mon père. Il avait ruiné tant de vies avec si peu deremords, qu’il était rarequ’il se souviennedunomde sesvictimes.Quoiqu’il en soit, j’étais en traind’écouterauxportesdanslestoilettesd’unebanque,etmacuriositémaladivenemesemblaitpasêtreuneraison suffisante pour justifier ma conduite. Je respirai profondément, puis m’apprêtai à sortir quand
j’entendislegrincementd’unechaise,quicessaaussitôt.Ilsvenaientcertainementd’ouvrirlaportecaràprésent,j’entendaisclairementleurdiscussion.
–Jesuisdésolé,MonsieurHawthorn,jenepeuxpasapprouvervotredemandedecrédit,disaitleconseiller,lavoixpleinederemords.Sivousaviezdavantagedevaleursoud’actifs…
Unevoixgraveluicoupalaparole,celledeGraysonsansdoute.–Jecomprends.MercipourvotrepatienceMonsieurGellar.Avantderefermerlaportedestoilettes,j’eusletempsd’apercevoirlasilhouetted’unhommegrand,
auxcheveuxbruns,vêtud’uncostumegris.Jemelavailesmainsunefoisdeplus,pourgagnerdutemps,puisquittaicetendroitexigu.Enpassant,jejetaiuncoupd’œilrapideaubureauetvisunhommeassis,encostumecravate,absorbéparcequ’ilétaitentraind’écrire.L’hommeencostumegrisétaitdoncbienGraysonHawthorn,etilavaitcertainementdéjàquittélabanque.
Jefisquelquespasdanslarueparcettemagnifiquejournéed’étépuismontaidansmavoiture.Jeprisuneminutepourobserverpar lavitre lecœurde lavillehistorique : toutétaitparfait,des storesimmaculésornant les devanturesdes commerces auxpots de fleursmulticoloresdécorant les trottoirs.J’adorais Napa, du centre-ville jusqu’aux quais. J’aimais aussi la campagne environnante avec sesvignoblescroulantdefruitsmûrsjaunevifenété,etsesfleurssauvagesenhiver,lesfameusesmoutardesblanches.C’était làquemagrand-mères’étaitretiréeaprèsledécèsdemongrand-père,làquej’avaispassétousmesétés,danscettepetitemaisonavecsonimmenseperronquidonnaitsurSeminaryStreet.Désormaisjelavoyaispartout,j’entendaissavoix,etjesentaisenmoisonesprittendreetmagnétique.Magrand-mèreseplaisaitàdire:«Aujourd’huic’estpeut-êtreunetrèsmauvaisejournéemaisdemainpourraitêtrelemeilleurjourdetavie.Tudoissimplementpatienteravantquecejourn’arrive.»
J’inspiraiprofondément,commepourchasserlasolitudequimegagnait.Oh,mamie,siseulementtuétaisencorelà.Tumeprendraisdanstesbrasettumediraisquetoutvabiensepasser.Et,commecesparolesviendraientdetoi,j’ycroirais.
Jefermailesyeux,melaissaiallercontrel’appui-têteenchuchotant:–Aide-moimamie. Je suisperdue. J’aibesoinde toi.Fais-moiunsigne.Dis-moiceque jedois
faire.S’ilteplaît.Leslarmesquejeretenaisdepuissilongtempsbrûlaientmespaupièresetmenaçaientdecouler.Au moment où j’ouvris les yeux, un mouvement dans le rétroviseur côté passager attira mon
attention. Je tournai la tête et découvris un homme grand, bien bâti dans un costume gris…GraysonHawthorn!
Je sursautai légèrement, le souffle coupé. Il se tenait debout, contre l’immeuble proche de mavoiture,àdroitedemonpare-chocs,lemeilleuremplacementpourquejepuisselevoirsansbouger.Jem’enfonçai justeunpeudansmon siège,mepenchai en arrièrepuis tournai légèrement la têtepour leregarder.
Adossé aumur, lesyeux fermés, il avait l’air effondré.EtmonDieu, il était…époustouflant ! Ilavait la carrure somptueused’un chevalier portant une armure.Ses cheveuxnoirs, presque trop longs,bouclaientsursoncol.Maisc’étaitseslèvresquiétaientvraimentdévastatrices!Ellesétaienttellement
sensuelles que mes yeux voulaient les fantasmer encore et encore. Je le contemplai en essayant demémoriserchaquedétaildesonvisage.Puismonregardsemitàvoyagersursasilhouettemajestueuse.Soncorpsétaitenparfaiteharmonieavecsavirilitéintense,ilétaitmuscléetélégant,avecdesépauleslargesetunetaillefine.
Oh,Kira,tun’aspasvraimentletempsdereluquerdescriminelssurletrottoir!Tesproblèmessont un tout petit peu plus urgents ! Tu es à la rue et, soyons honnête, complètement désespérée.Concentre-toidonclà-dessus!
Jememordillailalèvre,incapabledelequitterdesyeux.Quelcrimeavait-ilcommis?J’essayaisde détournermon regardmais quelque chose en luim’attirait. Et ce n’était pas uniquement sa virilitésaisissantequimecaptivaittant.Enfait,jemesentaistrèsprochedelui,tantsonairtristeetgravefaisaitéchoàcequejeressentais.
«Sivousaviezdavantagedevaleurs…»–Est-cequetoiaussituesdésespéré,GraysonHawthorn?murmurai-je.Etpourquoil’es-tu?Soudain, il redressa la tête et semassa les tempes tout en regardant autour de lui.Après l’avoir
dépassé, une femme fit volte-face pour admirer son corps de haut en bas. Il ne la remarqua pas et,heureusement pour elle, elle se retourna juste à temps pour éviter un lampadaire. Je pouffaiintérieurement.
Graysonfixaittoujoursl’horizon.Pendantquejel’observais,unsans-abriquifaisaitlamanchesansrécolter lamoindrepièce, sedirigeavers lui.Plus il s’approchaitde lui,plus je retenaismonsouffle.PardonMonsieur,maisilsembleraitquecethommesoitlui-mêmedansunesituationencorepirequelavôtre.
Àmagrandesurprise,quandlemendiantarrivaàsahauteur,Graysonn’hésitaqu’uncourt instantavantdeluidonnerdel’argent.Jecroismêmequ’illuidonnatoutcequ’illuirestait.Jen’enétaispassûrecarj’étaisunpeuloin,maissonportefeuillesemblaitdésormaistotalementvide.GraysonsalualeSDFquin’arrêtaitpasdeleremercier,puisl’observaquis’éloignait.Ilsedirigeaensuited’unpasfermedansladirectionopposée,puisdisparutdemavue.
«Monamour,observelecomportementdesgensquandilspensentquepersonnenelesregarde.Tusaurasainsiquiilssontvraiment.»
Lesparolesdemamierésonnaient,commesielleétaittoutprèsdemavoiture.Jepoussaiunpetitcrienentendantlasonneriestridentedemontéléphoneetattrapaimonsacsurlesiègepassagerpourycherchermonportable.
C’étaitKimberly.–Salut,murmurai-je.–Kira,pourquoituchuchotes?medemanda-t-elle,lavoixtrèsbasseaussi.Jem’enfonçaidanslesiègeetm’éclaircislavoix:–Excuse-moi,lasonneriem’asurprise.JesuisàNapa,dansmavoiture.–Tuaspufermerlecompte?–Ouais.Ilyavaitplusdedeuxmilledollars.
–C’estgénial.C’estunebellesomme,non?Jesoupirai.–Oui.Çavamepermettredetenirquelquetemps.J’entendais lesgarçonsdeKimberly rireen fond,elle leurparlaenespagnolpour les faire taire,
couvrantletéléphonedesamain,avantdereprendre:–Tusaisquetueslabienvenueàlamaison,situveux.–Jesais.Merci,Kimmy.Maisjenepouvaispasfaireçaàmameilleureamie.ElleetAndy,sonmari,étaiententassésdans
unminuscule appartement àSanFrancisco avec leurs jumeauxdequatre ans.Àdix-huit ansKimberlyétaittombéeenceinteetlorsqu’elleavaitapprisqu’elleattendaitdesjumeaux,çaavaitétéunchoc.Elleet Andy avaient toutefois réussi à surmonter cette épreuve, sans avoir une vie facile pour autant. Ladernièrechosedontilsavaientbesoinc’étaitqueleuramie«SDF»dormesurleurcanapé,etmettelesnerfsdeleurfamilleàrudeépreuve.SDF…J’étaisSansDomicileFixe…
Jerespiraiprofondément.–Net’inquiètepas,jevaistrouverunplan,luidis-jeenmemordillantlalèvre.Un sentiment dedétermination avait chassé le désespoir que j’avais ressenti toute lamatinée.Le
visagedeGraysonHawthornm’apparutalorscommeunflash.–Kimmy,est-cequetuasdéjàeulesentiment…qu’uneroutes’ouvraitdevanttoi?Quetuyvoyais
enfinclair?Kimberlygardalesilenceuninstantavantdereprendre:–Ohnon…Non,jeconnaistropcettevoix.Jesensquetuesentraind’élaborerunplanquejevais
devoir–probablementsanssuccès–teconvaincred’abandonner.Rassure-moi, tunet’espasremisentêtedetetrouverunmarisurleNet?Parceque…
Jeluicoupailaparole:–Pasvraiment…Laissetomber.Kimberlygrommela:–Nemedispasquetuasencoreeuunedetes«TrèsMauvaisesIdées»trouvéessuruncoupde
tête?Undetestrucscomplètementgrotesquesetpotentiellementdangereux.Jesourismalgrémoi.– Oh arrête. Ces idées soi-disant « Très Mauvaises Idées » sont rarement grotesques, et quasi
jamaisdangereuses.–Ahoui ?!Et la fois où tu as voulu commercialiser unmasque«bio»pour le visage avec les
herbesdetonjardin?Jesouris,jevoyaisexactementoùellevoulaitenvenir.–Ah,ça?Maformuleétaitpresqueaupoint.Enfait,j’auraismêmepulecommercialisercemasque
simoncobayen’avaitpasété…–Tum’asteintlevisageenvert.Impossibledelefairepartir!J’aipasséunesemainedanslecorps
delaFionadeShrek.
Jememisàglousserdoucement.–Bon,d’accord,cetteidéen’apastrèsbienfonctionné,maisonavaitdixans.–OK,etàseizeansquandonafaitlemurpouralleràlafêtedeCarterScott?–Çaauraitpumarchersi…commençai-jeàargumenter.–Lespompiersontdûvenirmesauversurtontoit!–Tuastoujoursétéunetrouillarde,dis-je,ensouriant.–Età l’époquedelafac, lafoisoùtuesrentréepourlesgrandesvacancesetquetuasorganisé
cettesoiréeasiatiqueoùonatousdûvenirenkimono,etoùtuassurtoutfaillitousnoustuer?–Uneerreurdanslechoixdesproduits.Commentjepouvaissavoirqu’ilfallaitundiplômepour
cuisinercepoisson?Detoutefaçon,c’étaitilyauneéternité.–C’étaitilyadeuxans!Ellefaisaitminederesterdemarbre,maisausondesavoix,jesavaisqu’ellesouriait.Soudain,j’éclataiderire.–OK,tuasgagné,petitemaligne.Etmalgrétoutça,tum’aimesquandmême.–Oui,soupira-t-elle.Jenepeuxpasm’enempêcher.T’estropmignonne.–Çac’estdiscutable,jecrois.–Non,dit-ellefermement.Pasdutout!Tonpèreestunconnard,maistusaisdéjàcequejepense
detoutça.Etpuismaintenantmachérie,ilfautquetuarrivesàparlerdecequis’estpassé.Çafaitunan,etmêmesijesaisquetut’enremetsàpeine,tuasbesoinde…
Jesavaisqu’ellenemevoyaitpas,maisjesecouailatêteenmemordillantlalèvre.–Pasencore,luidis-jedoucement.Mercidem’avoirfaitrirecommeça,maistusaisKim,jesuis
vraimentdansuneimpasse.Etpeut-êtrequec’estd’une«TrèsMauvaiseIdée»dontj’aibesoin.Je ne pouvais pasmasquer la petite fêlure dansma voix à la fin dema phrase.Kimberly savait
toujoursmeremonterlemoral,maislàvraiment,j’avaispeur.–Jesais,Kira.Àsontonetàladouceurdesavoix,jesentaisqu’ellemesoutenait.–Etmalheureusement,situnetedécidespasàfairemarcherleréseaudetonpère,tuseraspeut-être
condamnéeàbossercommeserveusejusqu’àcequetusachesvraimentcequetuveuxfaire.Jesoupirai.–C’estpossible,maislesfourneaux,cen’estpasmontruc.–Tumarquesunpoint.J’entendaisunautresouriredanssavoix.–Quoi que tu fasses, on sera toujours lesKira etKimmyKats,OK ? Pour toujours.On est une
équipe,dit-elle,seréférantaunomdugroupequej’avaiscrééquandonavaitdouzeans.J’avaiseul’idéedenousfairechanterdanslaruepourgagnerdel’argent.J’avaisvuunreportageà
latélésurdesenfantsquimouraientdefaimenAfrique.Monpèreavaitrefusédemedonnerdel’argentpour parrainer l’un d’entre eux. Finalement, on s’était faites attraper en sortant de lamaison dans leshorribles costumes que j’avais fait avec des cartons et du ruban adhésif.Monpèrem’avait privée de
sortieetd’argentdepochependantunmois.LamèredeKimberly,quiétaitnotregouvernante,m’avaitdonnélesvingt-deuxdollarsdontj’avaisbesoinpournourriretéduquerKhotso.Ellem’aidaégalementpourtousceuxquisuivirentcar,aprèscetépisodeetlapunitiondemonpère,jenepouvaispluspayeravecmonargent.
–Pourtoujours,luidis-je.Jet’aime,KimmyKat.–Jet’aimeKiraKat.Maintenant,jedoistelaisser,lesgarçonssontsurexcités.J’entendaisleséclatsderireetleshurlementsdeLevietMicahrésonner,ainsiquelebruitdeleurs
petitspiedsquimartelaientlesol.–Calmez-vous,lesgarçons!Etarrêtezdecrier!Kimberlys’époumonaitentenantletéléphoneà
distance.Çavaallercesoir?–Oui,toutvabien.Jepensequejevaismêmefaireunefolieetprendreunechambred’hôtelpas
chèreàNapa.Puisj’iraimarcherlelongdelarivière,çamepermettrademesentirprochedemamie.Je ne lui dis pas que ce matin, j’avais fait mes valises en urgence ni que je m’étais enfuie de
l’appartementquemonpèrem’avaitlouéenpassantparlasortiedesecours,pendantqu’ilfrappaitàlaporte d’entrée en hurlant. Pour ne pas l’inquiéter davantage, je ne lui dis pas non plus que, ce quej’appelaismes«affaires»étaiententasséesdanslecoffredemavoiture…Maismaintenantj’avaisunpeud’argentetuneTrèsMauvaiseIdéequimetrottaitdanslatête,pastotalementaboutie,certes,maistoutdemêmedéfendable.
D’ailleurs,dansmonillustrepalmarèsdeTrèsMauvaisesIdées,celle-cipourraitbiendécrocherlepompon!
Évidemment, j’allais approfondirmes recherches avant deme lancer. Puis je ferai une liste despointspositifsetnégatifs–çam’atoujoursaidéàyvoirplusclair.Carceplan-làexigeuneréflexionpréalable.
–Paixàsonâme.Tagrand-mèreétaitunedameincroyable,ajoutaKimberlyensoupirant.–Oui,c’estvrai.Embrasselesgarçonspourmoi.Jet’appelleraidemain.– D’accord. À plus tard. Au fait, Kira, je suis vraiment heureuse que tu sois revenue. Tum’as
beaucoupmanqué.»–Toiaussitum’asmanqué.Bye,Kimberly.Je raccrochai et restai assise dans ma voiture quelques minutes de plus. Je pris ensuite mon
téléphoneetmemisàchercherunechambred’hôtelabordablesurInternet.
CHAPITRE2
GRAYSON–Lapompen’estpasréparable,Monsieur,onvadevoirlachanger.Jepestai intérieurementet rangeaimacléàmolettedans laboîteàoutils,enmeredressant. José
avaitraison.Appuyécontrecettepompequineservaitplusàrien,j’acquiesçai,toutenessuyantlasueurdemonfrontd’unreversdebras.Encoreunepiècequidevaitêtreréparéeouremplacée.
Josémeregardaitavecsympathie.–Enrevanchel’égrappoirfonctionne.Ilestcommeneuf.–Bon,aumoinsunebonnenouvelle,répondis-jeenattrapantlaboîteàoutilsquej’avaisapportée.Uneminusculebonnenouvelleadditionnéeàlasériedesmauvaises.Enfin,jeprendscequivient.–Merci,José.Jevaismedébarbouiller.Joséhochalatête.–Desnouvellesdelabanque,Monsieur?Jem’arrêtai,sansmeretourner.–Ilsontrefusémademandedecrédit.CommeJoséne réagissaitpas, jecontinuaiàmarcher. Jepouvaispresquesentir son regarddéçu
brûlermondos.J’avaispromisdecontinueràfairetournerlevignoblefamilial,etriensurTerren’étaitplus important pour moi. Mais José, lui, avait une famille à nourrir et son petit dernier n’avait quequelquessemaines.Sij’échouais,jeneseraispasleseulsansemploi.
Sivousaviezdavantagedevaleurs…Je serrai la mâchoire tant ces mots m’avaient fait du mal, leur sens allant au-delà de la valeur
financière.Ilsmerappelaientquejen’avaisjamaisétéunhommedevaleur.Sivousaviezdavantagedevaleurs…Si,eneffet.Avecdes«SI»onmettraitParisenbouteille.J’avaisécumé les«et si»demavieunnombre incalculablede fois.C’étaitunepertede temps
douloureuse.Detoutefaçon,jen’avaispasbesoind’uneraisondepluspourmemépriser.J’avais d’ailleurs décidé de chasser ces pensées de mon esprit. Je m’étais senti glisser
dangereusement vers l’auto-apitoiement, et je savais d’expérience que c’est un abysse dont il est très
difficile de sortir. À la place, je m’étais drapé dans la froideur pour faire face au désespoir, et mepermettreainsidecontinueràfairemontravail.
Ducoup,jemesouvinsquemonpère,lui,m’avaittrouvédigne.Etpuisj’avaisfaitlevœudenepaslelaissertomber,pascettefois.
Quandjesortis,lesoleilbrillaitencorefièrementencettefind’après-midi.L’odeurdesrosesquemabelle-mèreavaitplantéesilyasilongtempsremplissaitl’air,etjepercevaismêmelebourdonnementparesseuxd’uneabeille.Jem’arrêtaipourobserverlesinterminablesrangéesderaisinsquimûrissaient,etlafiertémefitbomberletorse.Çaallaitêtreunebonnerécolte.Jelesentaisauplusprofonddemoi.Ilfallait qu’elle le soit. Cette pensée me permettait de tenir. Mais le problème, c’était que si monéquipementn’étaitpasprêtàl’automne,jenepourraisrienfairedemesfruits.J’avaisvendupresquetoutcequiavaitdelavaleurdansmamaisondefamillepourfinancerlaplantationdecesceps…
Quelquesminutesplustard,jemetrouvaidanslamaison,unegrandedemeureenpierreconstruiteparmonpère,conçuedansunespritvintage,aveclecachetdel’ancien.Ensontemps,c’étaitunebellebâtisse,maisaujourd’hui,commelematérieldevinification,elleavaitbesoindetravaux.Or,jen’avaisabsolumentpaslesmoyensdefinancercestravaux…
–Lapompen’estpasréparableWalter,lemaîtred’hôteldelafamilledevenuhommeàtoutfaire,mesalua.Jeserrailesdents:–Ilparaît.– J’ai fait une liste de tous les équipements pouvant être réparés, et ceux qui nécessitent d’être
remplacés.Ilyauncodecouleurenfonctiondespriorités.Génial!Toutcequimemanquait:unepreuvevisuelledudésespoirdemasituation…Enpassantdevantlecourrierposésurlaconsoleduhall,j’arrêtaiunesecondedem’auto-flageller.–Tuesaussimonsecrétaire,Walter,maintenant?–Ilfautbienquequelqu’uns’encharge.Tenircettemaisondemandebientropdetravailpourune
seulepersonne,Monsieur.–Permets-moidevousposerunequestion,Walter.–OuiMonsieur.–As-tufaitunelistedesmoyensquimepermettraientdepayerpourtouscescodescouleurquiont
besoind’êtreréparésouremplacés?Waltersecoualatête.–Non,Monsieur,jen’aiaucuneidéequevousn’auriezpasdéjàenvisagée.Maisj’espèrequema
listevousserautile.–Paslemoinsdumonde,Walter,dis-jeenmedirigeantversl’escalierprincipal.Etjet’aiditun
milliondefoisdem’épargnervos«Monsieur».Tum’asvunaître.Je ne méritais pas de titre particulier en plus.Walter en valait trois commemoi, et il en avait
sûrementconscience.Cependant,jesavaisqu’ilneperdraitjamaissonprofessionnalisme.WalterPopplewellvenaitd’Angleterreetétaitdanslafamilledepuisplusdetrenteans.Ils’éclaircitlavoix:
–Etilyaquelqu’unpourvous,Monsieur.–Quiest-ce?luidemandai-jeenmeretournant.–Quelqu’un,àlarecherched’unemploi,Monsieur.Jelevailesyeuxauciel.DouxJésus.–Trèsbien, jevaismedébarrasserdelui.Peux-tujustemedirequelgenred’idiotvient icipour
trouveruntravail?Walterdirigeasonregardvers lacuisineoùj’entendaissafemmeCharlotte,magouvernante,rire
avecquelqu’un.En entrant dans la pièce, je découvris un homme assis à la grande table en bois, une assiette de
cookiesposéedevantlui.Quandilmevit,ilselevabrusquement,faisanttomberl’assiettequisebrisaenmillemorceaux.
–Ohmince ! s’écriaCharlotteenposant sur lapaillasse leverrede laitqu’elleétaiten traindeservirpourveniràsonaide.Nevousenfaitespas,Virgil.Occupez-vousdeparleràMonsieurHawthorn,moi,jevaisnettoyer.N’ypensezplus.
L’hommequisetenaitdevantmoiétaitmassif,unetailleXLauminimum.Ilportaitunechemiseàrayureskaki,rougeetbleu,etunecasquettedesGiants.Sonvisagerondsemblaitapeuré,etsonregardoscillaitentrel’assiettebriséeetmoi.
Jem’approchaipourlesaluer.–GraysonHawthorn.Ses yeux se posèrent sur ma main tendue. Il la serra fébrilement, et, au moment où son regard
rencontraenfinlemien,jecomprisàsonaircandidequ’ilétaitmentalementretardé.BonDieu.–MonnomestVirgilPotter,Monsieur…Hawthorn…Grayson…Monsieur.Il lâcha ma main en fixant timidement le sol, observa ensuite Charlotte qui balayait, grimaça
légèrement,puismeregardaànouveau.–Commelesorcier,Monsieur,saufquemacicatricen’estpassurlefrontmaisdansmondos,carje
suisrestétropprèsdenotrechauffageélectriquequandj’étais…–Quepuis-jefairepourvous,MonsieurPotter?–Oh,paslapeinedem’appeler«Monsieur»,Monsieur.JusteVirgil.–D’accord,Virgil.Charlotte,àgenouxsurlesol,mefusilladuregard.Jel’ignoraietrestaiconcentrésurVirgil.Ilhésita,sebalançantd’unpiedsurl’autre,enregardantànouveauCharlotte,quilevalesyeuxvers
lui, souritethocha la tête. Il retira lacasquettedebaseballdesa tête,commes’ilvenaitdese rendrecomptequ’ilavaitoubliédel’enlever,etlaserradanssesgrandesmains.
– J’espérais, Monsieur… En fait… Je cherche un emploi, Monsieur… Et je me disais que jepourraistravaillerpourvous.J’aientendudesgensenvilledirequevousalliezavoirbeaucoupdemalàfaireprospérervotrevignoble,etjepensaisquejepourraisvousaider.Jeviendraispourpascher,carje
saisquejenesuispasaussiintelligentqued’autres.Maisjesuisunvéritableforçat.Mamèremel’adit.Jepourraispeut-êtrevousêtreutile?
Je soupirai. Il ne manquait plus que lui. J’étais déjà pris à la gorge par mon personnel, passuffisammentnombreuxpourmesbesoins,maisc’étaientlesseulsquejepouvaismepermettredegarder,et surtout les seulsqui étaient restés. Jepouvaisdifficilement enembaucherundeplus.Encoremoinsquelqu’unqui,sansnuldoute,travailleraitsansrelâche.
–Virgil…Jecommençaisàleremercier,maisilmecoupalaparole:–Voyez,Monsieur,mamaman, elle ne peut plus faire desménages à cause de son dos car elle
souffretrop.Etsijenetravaillepas,nousn’auronsplusassezd’argentpournousensortir.Jesaisquesiquelqu’unmedonnemachance,jeseraiunemployémodèle.
BonDieu.JejetaiunregardglacialàCharlottequiétaitentraindeviderlapelle.Elleétaitderrièretoutça.
Quecroyait-elle?Quandcet endroit serait en faillite,Walter et elle se retrouveraient au chômage. Jefermailesyeuxuneseconde,puislesrouvris.
–Virgil,jesuisdésolé,maisje…–Jesais,enmeregardant,vousvousditescertainementquejenesuispasd’unegrandeutilité,mais
jepeuxl’être.Jelesais,Monsieur.Jepeuxtravaillerpourvous.Sesgrandsyeuxd’enfantétaientremplisd’espoir.Sivousaviezdavantagedevaleurs…Les morceaux cassés de l’assiette tintèrent dans la poubelle, et, même si elle était occupée,
Charlottenemequittaitpasdesyeux.Jepinçailabouche.Sivousaviezdavantagedevaleurs…– Très bien, Virgil. Vous êtes engagé, lui dis-je, en regardant Charlotte dont les lèvres très
légèrementétiréeslaissaientdevinerunpetitsourirediscret.QuandmonattentionrevintàVirgil,sesyeuxbrillaient.Jelevailamain,commesicegestepouvait
tempérerl’intensitédesonbonheur.–Mais je nepeuxpasvouspayerbeaucoup, et nous allonsdevoir faireun essai, d’accord ?Un
mois,etonverracommentvousvousensortez.Vousdevezsavoirquenoustravailleronsparfoistardlesoir.Ilyadesdortoirsauniveaudesinstallationsviticoles.Sivousn’avezpasdevoiturepourrentrerchezvous,vouspourrezydormir.
Maisautrainoùallaientleschoses,cevignobleserait-iltoujoursenactivitédansunmois?Virgilacquiesçaexagérément,tordantsapauvrecasquettedanssesmains,àuntelpointqu’elleétait
sûrementdevenueimmettable.–Vousne le regretterezpas,Monsieur.Non, je nevais pasvous laisser tomber. Je suis ungros
travailleur.– D’accord, c’est bien, Virgil. Revenez demainmatin pour remplir le contrat, et apportez votre
pièced’identité.Neufheures,d’accord?
Virgilhochaittoujourslatête.–Jeserailà,Monsieur,mêmeplustôt.Jeserailààseptheures.–Neufheuresc’estbien,Virgil,etvouspouvezm’appelerGrayson.–Oui,Monsieur,Grayson.Neufheures,d’accord.Virgil tourna son grand corps maladroit, salua Charlotte en souriant, puis quitta rapidement la
cuisine,probablementpouréviterquejenechanged’avis.PendantqueVirgils’éloignaitdelamaison,jerestaideboutfaceàlafenêtre,etpassaienrevuelesarbresquilongeaientl’alléejusqu’augrandportailenacieràl’entréedelapropriété.Jepestaiintérieurementpourlacentièmefoisaujourd’hui,et jetaiànouveauunregardglacialàCharlotte.
–Sijeneteconnaissaispasaussibien,jediraisquetuvoulezmamort.–Ah,pourtantvouslesavezbien,mongarçon.Toutcequejesouhaite,c’estvotresuccès.Biensûrquejelesavais.Maisjegrommelaiquandmême,pourlaforme.Charlottemesouritetfredonna,penchéeau-dessusdel’évier.Jesortissansrienajouteretmedirigeaiversladouche.Jenelefaisaispassouvent,maiscesoir,
j’allaismesaouleràmort.
***
Ce matin, le soleil tapait à travers les fenêtres, plongeant l’entrée dans une lumière dorée. Jedescendis les escaliers, beaucoup trop tôt d’ailleurs, sachant que j’étais rentré à la maison il y aseulementquelquesheures.Jereculaid’unpasoudeuxpournepasêtreébloui.Matêtemefaisaitunmaldechien,maisjel’avaisbienmérité.Letempsd’unesoirée,l’alcoolm’avaitfaitoubliermesproblèmeset,rienquepourcela,çaenvalaitlapeine.Touslesjours,jetravaillaisdel’aubeaucoucherdusoleil,etpourtant cela ne suffisait pas. Alors après l’épisode d’hier, à la banque, je méritais bien une nuitd’ivresse.Unhommenormalnepouvaitpassupportertoutça.
–Gray,monchéri,ilyaquelqu’unquisouhaitevousrencontrer.Bonjour.Charlottemesouritaumomentoùj’arrivaiaupieddel’escalier.–Oh,dit-elleenfronçantlessourcils.Vousressemblezàcesdéchetsquelechatrapporteparfois,
vousnetrouvezpas?J’ignoraisadernièreremarque.–Quiest-ceencore?Etdesibonmatin?Quelle nouvelle ne pouvait pas attendre une heure décente ? Le soleil se levait à peine, etmoi
j’avaisl’impressiond’êtreenenfer.–J’imaginequec’estencorequelqu’unquicherchedutravail?Uncul-de-jattepeut-être?Charlottesourit.–Jeneluiaipasdemandél’objetdesavisitemaisjenecroispasqu’ellecherche
dutravail.Elleatoussesmembres,etellevousattenddansvotrebureau,dit-elleensouriant.–Elle?
–Oui,c’estunejeunefemme.Elles’appelleKira.Trèsbelle,meditCharlotteenmefaisantunclind’œil.
Finalement,peut-êtrequelajournéenecommençaitpassimal.Saufs’ils’agissaitd’unefilleavecquij’avaiscouché,etquej’avaispréféréoublier.
J’avalai deux cachets d’aspirine, attrapai une tasse de café dans la cuisine, et me dirigeai versl’entréedelamaison,danslegrandbureauquiappartenaitjadisàmonpère.
Unejeunefemmevêtued’unerobeample,decouleurcrème,faited’unematièrequiressemblaitàdelasoieetceinturéeàlataille,setenaitdosàmoi,parcourantl’imposantebibliothèquequifaisaitfaceàlaporte.Jem’éclaircislavoix,elleseretourna,surprise,enmettantlesmainssursapoitrine,etlaissatomber le livre qu’elle feuilletait. Elle écarquilla les yeux, puis se baissa pour ramasser, en riantdoucement.
–Désolée,vousm’avezfaitpeur.Elle se releva, et tout en s’approchant vivement de moi : – Désolée, euh, désolée. Grayson
Hawthorn,c’estça?Elleposalelivresurleborddubureauetmetenditlamain.Elleétaitde taillemoyenne,mince,avecdescheveuxcuivrésmagnifiques, tirésenunequeue-de-
chevalsévèreaubasdesanuque.Pasmongenre,maisCharlotteavaitraison,elleétaitjolie.J’avaisunepréférence pour les grandes blondes élégantes. Une en particulier, en fait.Mais je décidai d’oublieraussitôt cette pensée douloureuse. Aucun intérêt à ressasser cette histoire. C’est seulement lorsque ladénomméeKiras’approchaquejeremarquaisesgrandsyeuxbordésdecilsépais,ainsiquesessourcils,delamêmecouleurquesescheveuxsomptueux,soulignantdélicatementsonregard.Maisc’estlateintedesesyeuxquimerenversa.Jamaisjen’enavaisvud’aussiverts.Ilsétaientéblouissants,commedeuxémeraudes. J’eus le sentimentque cesyeuxavaient vudes choses commeaucuns autres.Ensorcelants.Magnétiques.J’enavaislesoufflecoupé.
Jereculailégèrement,recentraimonregard,etluiprislamain.Elleétaitpetiteetchaude.Sachaleurvoyageadepuismonbrasjusqu’àmondos.Jefronçailessourcilsetenlevaimamaindelasienne.
–Etvousêtes?Jenem’attendaispasàcequeletondemavoixsoitsidistant.–Kira,dit-ellesimplement,commesiçasuffisait.Kirafermasesyeuxsomptueux, jesentisalors
unepointedemécontentement.Ellesecoualatêtelentement,avantdemeregarderànouveau.–Pardon,maisçavousennuiesions’assied?Jeluimontrailachaisequisetrouvaitfaceaugrandbureauenacajou.Jeposaimatassedecafé,
puisallaim’asseoirdanslefauteuilencuirjustederrièrelebureau.–Voulez-vousunetassedecafé?luidemandai-je.JepeuxappelerCharlotte.Qu’est-cequecettefillepouvaitbienvouloir?Sonvisagenem’évoquaitrien.–Non,merci,dit-elleensecouantlatête.Ellem’enadéjàproposéun.Une mèche de cheveux glissa de sa queue-de-cheval, elle fit une petite moue ennuyée tout en
essayantdelareplacer.
J’attendais. J’avais toujours mal à la tête, et alors que je massai distraitement mes tempes, jeremarquaiquesonregardsuivaitmamain.Jenepouvaism’empêcherdel’observer.
Ellerespiraprofondément,etseredressatoutencroisantlesjambes.Sachaiseétantplacéeloindemonbureau,mesyeuxpouvaientfacilementseperdrelelongdesesmolletsgalbés,deseschevillesfinesjusqu’àsapairedesandalesàtalonsbleues.Lesacquisetrouvaitmaintenantsursesgenoux,étaitbrodéde perles assorties à ses chaussures. Je ne connaissais rien à lamode,mais je savais reconnaître leschosesdevaleur.Mabelle-mèreaucœurdepierreavaitétél’incarnationmêmedel’élégance.
–Jeneveuxpasvouschasser,maisj’aibeaucoupàfaireaujourd’hui.Elleécarquillalesyeux.–Oui.Bien sûr. Je suis désolée.Dans ce cas, je vais aller droit aubut : j’ai une affaire à vous
proposer.Jelevaiunsourcil.–Uneaffaire?Ellehochalatête,toutenjouantaveclelongcollierenorqu’elleportait.–Oui,ehbien,enfait,MonsieurHawthorn,jesuisicipourvousdemanderenmariage.J’éclataiderire,recrachantpresquelagorgéedecaféquejevenaisdeprendre.–Excusez-moi?Sesmagnifiquesyeuxprirentalorsuneteinteindescriptible.–Vousavezbienentendu,jepensequec’estuneidéequipeutcertainementnousêtrebénéfique.–Etcommentpouvez-vousavoir lamoindre idéedecequimeseraitbénéfique,Mademoiselle…
Quelestvotrenomdefamille?Vousnemel’avezpasdit.Ellelevasonpetitmenton.–Dallaire.MonnomdefamilleestDallaire.Ellemeregardacommesielleattendaituneréactiondemapart.–Dallaire?Jeprisuntemps,fronçailessourcils.Jeconnaissaiscenom.–Dallairecommel’ancienmairedeSanFrancisco?–Oui.Elle leva son menton plus haut. Ah, elle était hautaine. C’était en tout cas ce que révélait sa
gestuelle.Elleétaitdelafamille«royale»despolitiques.Unehéritière.Jenesavaispasgrand-chosesurFrankDallaire,exceptéqu’ilavaitétémairependantdeuxmandats.Ilétaitextraordinairementriche,pas uniquement grâce à sa carrière politique, mais, d’après mes souvenirs, grâce également à desplacements immobiliers. Ou quelque chose dans le genre. Il était systématiquement sur la liste deshommeslesplusrichesdupays.AlorsqueDiablesafillefaisait-elleici?
– Je répètemaquestion,MademoiselleDallaire, qu’est-cequ’unmariage avecmoipourrait bienvousapporter?
Ellesoupira,enprenantunairunpeumoinshautain.–Jesuisdansuneimpasse,MonsieurHawthorn.Monpèreetmoinoussommes…
ellesemorditlalèvreuneseconde,semblantêtreàlarecherchedumotjusteéloignés.Pourparlerfranchement,j’aibesoind’argentpourvivre,poursurvivre.
Jel’observaiuneseconde,puisricanaidoucement.– Dans ce cas, je peux vous assurer,Mademoiselle Dallaire, quem’épouser ne vous serait pas
profitable.Bienaucontraireenfait.Onvousamalinformée.Ellesecoualatêteetsepenchaenavant.–Cequim’amèneaupointquinousprofiteraàtouslesdeux.–Jevousenprie,ditesm’endavantage,luirépondis-je,nepouvantmasquermalassitude.Jememassaiànouveaulestempes.Jen’avaisvraimentpasletempspourcesbêtises.Elleacquiesça.–Ehbien,j’aiapprisquevotrevignobleest…commentdire…unéchec,etque,pourfairecourt,
vousavezbesoind’argent.Lafaçondontcettegossedericherésumaitmasituationmerenditfouderage.Jeretiraimamainde
matempeetluijetaimonregardleplusglacial.–Etcommentsavez-vousça?Ellerelevadenouveausonmenton.–J’aienquêtésurvous.–Ah.–Enfait,j’étaisàlabanquehier.J’aiaccidentellemententenduunepartiedevotreconversation.On
vousarefuséuncrédit.Je me figeai pendant que ses joues rougissaient. Eh bien, elle avait au moins l’élégance d’être
embarrassée.–Accidentellemententendu,moncul!Sonpetitmentonseredressaencore.Lacolère,etaussiunepointed’humiliationsurcequ’elleavaitpuentendre,fitcourirunedécharge
électriquedansmondos,meforçantàmeredresser.–Vousm’avez grossièrement espionné lors demon rendez-vous à la banque, avez fait quelques
recherches surGoogle, etmaintenant vous pensez connaîtrema situation ?Qu’est-ce que c’est que cebordel?
Son expression s’adoucit et sa langue rose vint mouiller sa lèvre inférieure. Mon corps réagitinstantanémentàcepetitmouvement,etjemeforçaiaussitôtàtempérermesardeurs.Jen’étaispasattiréparlapetiteprincessearroganteassiseenfacedemoi.Deplus,j’étaisavecunefemmelanuitdernière,Jadeuneblondequisentaitlapastèque…oubienétait-cel’ananas?
Elle avait été très entreprenante. Et pourtant, même cette escapade m’avait laissé vaguementinsatisfait…etempestantlasaladedefruits!Jemeconcentraiànouveausurlarousseassiseenfacedemoi.Ouétait-ellebrune?C’étaitpresquelemélangeparfaitdesdeux…Commesisescheveuxlisaientdansmes pensées, une autremèche s’échappa de sa queue-de-cheval. Kira la fit glisser derrière sonoreille.
–Jenepensepasconnaître tous lesdétailsdevotresituation.Mais jesaisquevousavezbesoind’argent,etqu’ilvousrestepeudesolutions,enparticuliercomptetenudevotre…casier.
Lerosecoloraànouveausesjouesivoire,puisellecontinua:–Moiaussij’aibesoind’argent.Jesuistoutautantdésespéréequevous,enfait.Jelaissaiéchapperunsoupir.– Je suis sûrque sivousalliezvoirpapa, tout celapourrait être réglé.Leschoses sont rarement
aussidramatiquesqu’ellesn’yparaissent.Saufdansmasituation.Sesyeuxmefusillèrent,pourtantl’expressionsursonvisagerestaneutre.–Non,dit-elle.Leschosesneseréglerontpasavecmonpère.Nousavonseuunegrossedisputeily
aplusd’unan.–Hum.Etcommentavez-vousfaitdepuis?Ellefitunepause,commesielleévaluaitcequ’ellepouvaitrépondre.–J’aivoyagé.Pour faire du shopping probablement. Ou bronzer. Je balayai à nouveau du regard ses jambes
légèrementhâlées.Etmaintenant,safortunes’étaitenvoléeetPapan’allaitplussubveniràsesbesoins.Quelletragédie.
–Avez-vousquelquechosecontrelefaitdechercheruntravail?Avez-vousfaitdesétudes?–Macarrièreuniversitaireaété…courte.Etnon,biensûr,jen’airiencontrelefaitdechercherun
emploisibesoin.Maisjemecontenteraidedirequejesuisvenueiciaujourd’huiaveclaconvictionquej’ailepland’actionidéalpournousdeux.
Matêterésonnaitencore.Qu’est-cequej’enavaisàfairedesasituationdetoutefaçon?– Bien, pouvons-nous couper court à cette discussion maintenant ? Comme vous l’avez si
sommairementrésumé,mapropriétévinicoleestunéchec.J’aidoncbeaucoupdetravailaujourd’hui.–C’estvrai.Bon.Vousvoyez,MonsieurHawthorn,magrand-mère, lamèredemonpère,vivait
modestement, mais grâce à certains investissements de mon grand-père, elle est morte avec pas mald’argent.Ellel’aléguéàsesdeuxpetits-enfants,dontmoi,l’autreétantuncousinquejeneconnaispasbien.Cependant,elleastipulédanssontestamentquenousrecevrionsnotrehéritagesoitànostrenteans,soitennousmariant,cettedernièreoptionétantvisiblementlaplusrapide.
Jemerassisencroisantlesdoigts.–Etdonc,poursuivit-elle,mapropositionest lasuivante :nousnousmarions,nouspartageons la
fortunedemagrand-mère,et,auboutd’unan,nousdemandonsledivorce.Jelevaiunsourcil.–Partagerlafortune?Decombiend’argentparlons-nousexactement?–Septcentmilledollars.Moncœursemitàbattreplusvite.Troiscentcinquantemilledollars.C’étaitencoreplusque le
crédit que j’avais espéré que la banque m’accorde. Ce serait plus qu’assez pour réparer toutes lesmachinesetrénoverlamaison.Assezpourmettreenbouteillelevinquisetrouvaitdanslesfûts.Assez
aussipourembaucheraumoinsdeuxemployés.Etsilanouvellerécolteétaitaussibonnequejel’avaisprédit,cettepropriétévinicoleseraitànouveauflorissantedansunan.Jepourraistenirlapromessequej’avaisfaiteàmonpère.
Jerestaisilencieux,passimplementpourévaluercequ’ellevenaitdedire,maisaussipourlamettremalàl’aise.Cequineservitàrien.Finalement,jerépondis:
–Intéressant.Iln’yapasdeclausesurladuréequenousdevronspasserensembleunefoismariés?Soulagée, elle secoua la tête, partant du principe quema question voulait dire que j’envisageais
cetteidéefolle.Est-cequejel’envisageaisvraiment?D’ailleursest-cequec’étaitvraimentsérieux?Ilyavaitforcémentunpiège.
C’étaittropabsurdepourêtrevrai.J’avaisdesdébutsdevertige,etpasuniquementàcausedelagueuledebois.
–Non,maismonpèreserait…mécontents’ilsavaitque,pourobtenirl’argentquemagrand-mèrem’alégué,jevousaiépouséetqu’ensuitej’aipartagél’héritageavecvous…quin’êtespersonne.
Elleeutl’aird’êtretraverséeparunepenséequejen’arrivaispasàdeviner.–S’ilavaitlemoindresoupçonsurlefaitquecesoitunfauxmariage,ilpourraittrèsbiententerde
contesterlepaiementdel’héritage.Ilestdoncdansnotreintérêt,àtouslesdeux,defaireensortequecemariage paraisse le plus authentique possible. Cependant, comme je vous le disais, mon père etmoisommesenfroid.Aussij’imaginequenousauronsàfaireleminimumd’efforts,maisilfaudraquecesoitsuffisammentconvaincant.
Je haussai les sourcils, prenant un peu de temps pour réfléchir à tout ce qu’elle venait de dire.C’étaitdélirant,incroyable.
–Attendez,vousn’êtespasunedecescingléesquim’écrivaientenprisonpourmedemanderenmariage,n’est-cepas?
Elleécarquillalesyeux.–Quoi?–Oui, ilyenavaitbeaucoup.Apparemment,certaines femmessont trèsexcitéesparcegenrede
choses.–Pourquelleraison?Pourquoi?Ellesecoualégèrementlatête,commesiellenecomprenaitpascommentlaconversationavaitpu
dérailleràcepoint.Elleavaitl’airsincèrementtroublée.Jesouris.–D’aprèscequejesais,lesfemmesaimentlesvoyous.Ellem’adressaunregardperplexe.–Jepeuxvousassurerquejenesuispascegenredefemme.Jehochailatêtelentement.–Ehbien, c’est unebonnenouvelle, parceque jepeuxvous assurerque, de toutemanière, vous
n’êtespasmongenre.Elleseredressa,raidecommeunpiquet.
–C’estencoremieux.Cequejevousproposec’estdubusiness,riendeplus.Elledétournaleregard.Jenepouvaisplusvoirsesyeuxensorceleurs,etquandelleseretournases
jouesétaientrosesànouveau.–Cependant,çaauraitl’airsuspectquejenevivepasici,etfranchement,MonsieurHawthorn,j’ai
besoind’unendroitoùhabiter.Donc,jemesuisditqu’enéchangedevotrehospitalité,jepourraisfairevotrecomptabilité.Jesupposequevousn’avezplusbeaucoupdepersonnel.
Jem’adossaiànouveauàmonsiège.–Jesuisimpressionnéparvosrecherches,MademoiselleDallaire.Oui,effectivement, j’aidûme
séparer de mon comptable. Et de ma secrétaire. Et de la plupart de mes employés aussi. Mais fortheureusement,aucund’entreeuxn’afinisouslesponts.
Elleacquiesça.–Jesuisdouéepourleschiffres.J’aitravaillécommestagiairedansleservicecomptabilitédemon
père.Jeconnaisbienleslogicielsdesaisie.Jepourraistravaillerpourvousenéchanged’unechambreetdesrepas,et,bienévidemmentaussi,dansunsoucidecrédibilité.Jenedispasqu’ilfaudraquejeviveicitoutel’année,peut-êtreseulementdeuxoutroismois.Enfait,jusqu’àcequejesoissûrequemonpèreaacceptélemariageetm’ignoreànouveau.Jepourraisalorsm’éloignerdiscrètement,etnousn’aurionsplus jamais besoin de nous voir sauf, bien sûr, au tribunal pour le divorce. C’est d’une simplicitéenfantine. Et très temporaire. Bien entendu, nousmettrons tout ceci noir sur blanc. Et s’il vous plaît,appelez-moiKira.
Jelascrutaipendantunlongmoment,notantaupassagelafaçondontellevenaitdesortirtoutcela.Elle était brillante et sûre d’elle, mais était-ce le fait d’être assise ici, en face moi, qui la rendaitnerveuse?Jel’affrontaiduregard,maisellenedétournapaslesyeuxetrestademarbre.
–Etqueferez-vousavecvotrepartdecetargent,Kira?Sijepeuxmepermettredevousposercettequestion.
Elles’éclaircitlavoix.–Ehbien,enplusd’yvivre,jesuisengagéedansplusieursorganismescaritatifsàSanFrancisco.
L’un des centres est dans une situation désespérée et devra fermer s’il ne trouve pas les fondsnécessaires.
Jeluisouris,crispé.Ah.Toutcommemabelle-mère.Unehéritièreavecuneviedésœuvrée.Jelarevoyais,montantdanssaBentleypourallersauverlespauvrespaysansdelafamine,luipermettantainsidepasserpourunephilanthrope,avantdeseprécipiterchezLouisVuittonpourcomplétersacollectiondebagages.
–Jevois.Qu’est-cequeçapouvaitbienme fairede savoircequ’elle feraitde sonargentetquelétait son
but?Jedevaisseulementmepréoccuperdemapropresituation.–C’estunepropositiontrèsinhabituelle.Jevaisyréfléchiretjereviendraiversvous.Jecommençaiàmerelever.–Bon,écoutez,j’aibesoind’uneréponserapide.
Elle parla vite et elle était légèrement essoufflée. L’effet qu’elle avait surmon corpsm’agaçait.Mon corps, ou plutôt la partie située entremes jambes, s’agita à nouveau.Bordel !Et je devais bienreconnaîtrequecettepartiedemoimanquaitsouventdediscernement…
Jemerassis.– Je voudrais pouvoir vous accorder plus de temps pour réfléchir, Monsieur Hawthorn, mais
malheureusement,lescirconstancesmeforcentà…Jelevailamainpourl’empêcherdecontinuer.–Jevousrecontacteenfindejournée.Oùserez-vousjoignable?Elleprituntempsavantderépondre:–JeseraiauMotel6cesoir.Jepeuxvousdonnermonnumérodeportable.Motel6?MonDieu,laprincesseétaittombéebienbas.Effectivement,sasituationsemblaitplutôt
désespérée.Jelaregardaiattraperunpost-itetunstylosurlecoindemonbureauetécriresoigneusementsonnumérodetéléphone.Jeleprisetlejetainégligemmentsurletasdepapiersendésordre.Ellesuivitmongesteduregard,puiselleditenmefixant,leslèvresserrées:
–Jepeuxvousassurerquemapropositionesthonnête.–C’estfortprobable…Biensûr,ilfaudraquejerencontrel’exécuteurtestamentairedevotregrand-
mère.Maisj’aiencorebesoind’yréfléchir.Jedoispenseràl’incidencequepourraientavoirlesautresaspectsdecettetransactionsurmavie.Criminel,c’estunechose,maiscrimineletdivorcé?Commentvais-jefairepourempêcherlesfillesdesejetersurmoi?
Elleplissasesyeuxextraordinaires.–Oui,ehbien,s’ilexistaituneautreoption,moinonplus jen’envisageraispascelle-là.Croyez-
moi.Cette princesse ne savait visiblement pas ce qu’était un vrai problème. Alors que nous nous
observions, une étincelle s’alluma brièvement dans ses yeux. Sous son air de femme d’affairesdécontractée,ellecachaitdifficilementunfortcaractère.Commeje l’avaisdeviné, ilyavaitaussiunepetite sorcière dans cette princesse.Nous étions tous les deux silencieux, nous guettantmutuellement,quandellesepenchalégèrementcommesielleattendaitquelquechose.Quejelaremerciepeut-être?
–Passezunebonnejournée.Jerestaiassiscettefois.Ellepouvaittrouverlaportetouteseule.Elleselevalentement,tendantle
braspourque jepuisse luidireau-revoir.Jemeredressaiet luipris lamainpour lasecondefois.Lamêmevaguedechaleurm’envahitàsoncontact,etjemeretiraiaussitôt.KiraDallairefitvolte-face,sonpetitmentonhautainenl’air,etsortitdemonbureausansseretourner.
Jemedirigeaivers la fenêtreet soulevai le store. Je la regardaimarcherversune Jettablanche.J’étaisétonnéqu’elleconduiseunevoituresidiscrète.Unefoisauniveaudelaportièreetalorsqu’elles’apprêtaitàmonter,elles’arrêtapourcontemplerlevignoble.
Ilyavaitquelquechosedanssonexpressionquimedonnaitmalgrémoil’enviedelarejoindre,àtelpointquejefaillismecognerdanslafenêtre.Qu’est-cequeçapouvaitbienêtre?Sonintérêtpourcetendroitdélabré,pensai-je.Maisilyavaitautrechose.Sacompréhensionpeut-être?
Avantquejenepuisseyréfléchirpluslongtemps,ellegrimpaàl’intérieurdesavoitureetclaqualaportière.Uneminuteplustard,ellepassaleportailetdisparut.J’étaispeut-êtreinjusteavecelle.Pourtants’ilyavaitquelqu’unquipouvaitcomprendreleseffetsnéfastesdujugementdesautres,c’étaitbienmoi.C’étaitsansdoute justeàcausedemagueuledebois,etparcequ’ellem’avait faitpenseràmabelle-mère.Etbiensûr,ilyavaitlefaitqu’elleaitdébarquéicietm’aitouvertementproposéunmariageblanc.ÀmoinsqueKiraDallairenesoitpasexactementcequ’ellelaissaitparaître…
Jeme rassis à mon bureau, puis j’allumai mon ordinateur pour chercher son profil sur Google.Après tout, c’est elle qui avait commencé.À peine eus-je tapé son nomque toute une série d’imagesapparut:KiraDallaireenrobedesoirée,sortantd’unelimousine;KiraDallaireàlapremièred’unfilmdansteloutelcinéma;KiraDallairesetenantprèsdel’hommequiétaitsûrementFrankDallairelorsd’un gala de charité. Toujours avec le même petit sourire, à la fois crispé et hautain. Sur plusieursclichés,elleétaitauxcôtésd’unbeaujeunehommeblond,quisemblaitavoiraumoinscinqoudixansdeplusqu’elle.Jecliquaisurl’unedesphotosetluslalégendequiidentifiaitlecouple:CooperStrattonetsafiancéeKiraDallaire.Fiancée?Jeregardailadate,c’étaitilyaunpeuplusd’unan.Était-celaraisondesa«courte»carrièreuniversitaire?Avait-elletoutabandonnépourdevenirunedecesrichesépousesmondaines?
Jecliquaisurplusieursarticles,etmonméprisgrandissaitàmesurequej’assemblaislespiècesdupuzzledelapersonnequ’étaitréellementKiraDallaire.Iln’yavaitaucuneinformationdirecte,maisilétaitassezfaciledelireentreleslignes.
Kira était fiancée à Cooper Stratton, un jeune assistant du procureur local qui visait la coursupérieure de San Francisco, quand elle fut impliquée dans un scandale plutôt embarrassant. Alorsqu’elle se trouvait dans un penthouse du St. Regis Hotel, la rumeur courut qu’elle faisait usage dedrogues.Danslebutdelaprotégeretpourqu’ellesoitsoignée,sonpèrel’avaitenvoyéedansuncentrededésintoxication.PlusprobablementunesortedespaamélioréàLondresouParis !Sonfiancéavaitalorsrompuleurengagement.Quipourraitleluireprocher?
Maismaintenant,elleétaitderetouretsonpère…Etsonpèrequoid’ailleurs?Nefinançaitpluslaviedejet-setteuseàlaquelleelles’étaithabituée?Refusaitdeluidonnerdel’argentjusqu’àcequ’ellepuisseprouverqu’elleétaitprêteàchangersonstyledevie?Biensûr,jenefaisaisquedessuppositions.Quoiqu’ilensoit,KiraDallairesemblaitbiendécidéeàprendreleschosesenmains.
Jenem’étaispastrompésurelle:elleétaitexactementcommemabelle-mère.Unefemmequiavaitétégâtéeparlavieettrouvaitçaparfaitementnormal.Unepersonneégoïstequiattendaitquelemondeentier seplie à savolonté.Etquandcen’étaitpas le cas, elledétruisait tout sur sonpassage, sans sesoucierdeceuxqu’ellefaisaitsouffrir.
Je me penchai en arrière un instant pour mieux faire le tour de la question. Jamais je n’auraisimaginéuntelréveil.
Nousétions tousdeuxdésespérés,chacunànotremanière.Unequestiondemeurait :étais-jeàcepointmisérablepouroffrirmonnom,mêmetemporairement,pourdel’argent,etainsisauvercevignobleetréalisermonrêve?
Quelquechosesurl’écrandel’ordinateurattiramonattention:unepetitephotoaubasdel’articlequej’avaislu.Jecliquaidoncdessuspourl’agrandir.
C’étaitunautreclichédeKiraDallaireetCooperStratton.Samainpossessiveétaitposéesursesreins,ilsouriaitfièrement,etellelevaitversluiunvisageépanoui.Monregardseconcentrasursajouedroite.Elleavaitunefossette.Lapetitesorcièreavaitunefossette.Mêmesimavieenavaitdépendu,jen’auraispaspuexpliquerlaraisonpourlaquelleceminusculedétailaccéléraitmonpoulsàcepoint.
CHAPITRE3
KIRAIlressemblaitàunprince,maissi jedevaislechoisirpouruncontedefées, jeleprendraispour
jouerlerôleduDragon!Undragonodieux,quicrachedesflammestoutenvousjugeant.Cen’étaitpastrèssurprenant,macapacitéàjaugerlesgensétantmalheureusementtotalementnulle.
J’enavaisdéjàfaitl’expérience.Assezdouloureusement,d’ailleurs.Toujours est-il que je n’étais pas préparée à ce qu’il me toise avec autant de dédain. Oui, je
reconnaissaisquemonoffreavaitdûluisemblerchoquanteaudépart.Maisenl’occurrence,jeluifaisaisune faveur ! Je lui offrais de l’argent, enfin presque… Il y avait tout demême un prix à payer, je lereconnaissais:jeluidemandaisdesemarierpourdel’argent.Jenepouvaispasniercettecruellevérité.Maisj’avaisfaituneliste,et,àmonavis,ilyavaitbeaucoupplusde«pour»quede«contre»pourluicommepourmoi.Mêmesi les«contre»pesaient très lourdetpouvaient,sansdoute, fairepencher labalance.Malgrél’effortquej’avaisfaitpourluiproposerl’offred’unemanièretrèsprofessionnelle, ilm’avaitregardéeavecunprofondmépris,commesij’étaislapoubelledelaveille.Et,lefaitqu’avantcelajemesentedéjàcommelapoubelledelaveillenefaisaitqu’aggraverunpeupluslasituation!
Plusilsemontraitcondescendant,plusilmeregardaitdefaçonironique,plusjedevenaisnerveuse,hésitante et vexée. Je détestais ça. Toutema vie j’avais connu ce sentiment tristement familier d’êtreméprisée.
En plus, il m’avait dit que je n’étais pas son genre ! Comme si ça comptait. Ça n’avait pasd’importance.Pasdutout.Pasmêmeuntoutpetitpeu.Jen’avaisbesoinquedemonargentpourêtresongenre…
Maisalorspourquoicelam’avaitblessée?Jesoupirai.Ilavaitditqu’ilallaitm’appelermais,vulamanièrebrutaleaveclaquelleilm’avait
congédiée,jen’ycomptaispastrop.Bon,j’auraisessayé.EncoreuneautredemesTrèsMauvaisesIdées.GraysonHawthornm’avaitd’ailleurslaisséentendred’unevoixvirileet légèrementagacéequec’étaitexactement ce qu’il en pensait. La question était donc de savoir ce que j’allais faire maintenant ?Retournerchezmonpèreétaitinenvisageable.Jepréféraisencoredormirdanslarue.Oudanslefoyerdesans-abris. Mon cœur se serra en pensant à ce centre. Qu’est-ce qu’ils allaient faire maintenant ?Tellement de choses dépendaient de ma capacité à récupérer l’argent que mamie m’avait laissé.J’imaginequej’auraispumegarern’importeoù,ettrouvermilletypesdanslarueàquij’auraispufaire
lamêmepropositionqu’àGraysonHawthorn.Ou,commenousenavionsplaisantéavecKimberly,mettreuneannonce sur Internet. Jepourraisvendremavoiture.Elle était àmonnom,et c’étaitunedes rareschosesquej’avaisachetéeavecmonargent.Mais,sijelavendais,jen’auraismêmeplusunendroitoùmeréfugierquandmonargentviendraitàmanquer.
J’avais pensé que voirGraysonHawthorn à la banque ressemblait à un signe dudestin. Plus j’yavaisréfléchihier,seuledansmapetitechambred’hôtel,plusj’avaistrouvéjustedepartagerl’argentdemamieaveccethomme-là,comptetenudulienquisemblaitexisterentreluietmonpère.Jenepouvaispasparler de cedernier point avec lui, et je ne crois pasqu’il aurait souhaité qu’on aborde ce sujet.Partagermonargentaveclui–argentdontilavaitenplusdésespérémentbesoin,aupassage–étaitunebonneactionquirééquilibreraitmodestementlabalance.
Jedoisadmettrequesonregardm’avaitégalementinfluencée.Ilressemblaitauxhérosdescontesdefées qui m’avaient toujours fait rêver, et qui semblaient prendre enfin vie. Et, mon Dieu, comme jevoulaiscroireànouveauauxhérosdemonenfance!
Mais,parfois,c’estàlafilledejouerlerôleduhéros.Surtoutquandceluiquidevaitendossercerôles’avèreêtreundragon!
JesavaisqueGraysonHawthornavaitfaitdeserreurs,maisaprèsavoirexaminésoncasendétail,ilmesemblaitqu’ils’agissaitplutôtd’unmalheureuxaccident.Et,quoiqu’ilensoit,c’étaituneerreurpourlaquelleilavaitpayé.Cher.Désormais,lesgenslejugeaient.Personneneluidonneraitunechance,etiln’obtiendraitjamaislecréditdontilavaitdésespérémentbesoin.
J’yétaisdoncalléeavecmestripes,ensuivantmoninstinct,biendécidéeànepaslejugeravantdel’avoir rencontré en personne. Avant de me « dégonfler » complètement, j’avais donc foncé à sondomiciledèslelendemainmatin.
Mais, finalement, le Dragon devrait régler ses problèmes tout seul, comme moi. J’étais seuleresponsabledemondestinetjen’avaispasvraimentletempsdem’apitoyersurmoi-même.
Jemegaraidevantl’hôteletmedirigeaiversmachambre.J’enlevai la robe et des sandales que j’avais portées pour mon rendez-vous avec Grayson
Hawthorn. C’était une tenue demon ancienne vie que j’avais jetéemachinalement dansma valise enpartant.J’avaisbienfait.Jevoulaisparaîtreprofessionnelleet lesjeansoulesshortseffilochésquejeportais habituellement n’amélioraient pas ma crédibilité. Mais cela aurait pu aussi traduire mondésespoiretvouloirdire:«Épousez-moi!»Peut-êtrequ’aprèstout,j’auraismieuxfaitdemettreundemesvieuxshortsusés…
Aprèsm’êtrechangée, je sortisde l’hôtel. Jepassai la journéeàmarcherdans lecentre-villedeNapa, à faire du lèche-vitrines. Je découvris plusieurs magasins, dont une librairie, et je déjeunaitranquillementdansunpetitcaféquemagrand-mèreadorait.
J’étaisdésespéréeetjenevoyaisaucunesolutionàmesproblèmes.Jefismalgrétoutl’effortdemeviderlatêteetdeprofiterautantquepossibledecesmoments.Sijedevaistrouverunjobdeserveusecomme Kimberly me l’avait suggéré, je le ferais. Je n’avais pas peur des boulots difficiles. J’avaisespéré trouverunautremoyen,mais j’avaiséchoué.Jemeredressaiet fis taire laScarlettO’Haraqui
dormaitaufonddemoi.J’allaisprendrelajournéepourmoiet,unefoisquej’auraisoubliélerendez-vousmalheureuxdecematin,jememettraienquêted’unenouvellesolution.
Jeretournaiàmonhôtelendébutd’après-midi.Lecielétaitd’unbleu limpide.Unefoisdansmachambre,jem’allongeaisurlelit,submergéeparlafatigue.J’avaiseuunsommeilagitélaveille,guettantle réveil pour le rendez-vous avec Grayson Hawthorn. J’étais épuisée et je m’endormis presqueimmédiatement.
Jeme réveillaivaseuse,ne sachantplusoù j’étaispendantquelques instants, sentantquequelquechose clochait sans me souvenir quoi exactement. La réalité reprit ses droits lentement, les piècess’assemblaient et venaient se poser lourdement sur ma poitrine, comme le fait le chagrin. Grimaçantlégèrement,jemeretournaietregardail’horlogesurlatabledechevet.Ilétaitseizeheures,jenem’étaisdoncassoupiequ’unpeuplusd’uneheure.Jesoupiraietm’assissurlelit.
La douche chaude soulagea aumoinsmesmuscles, et jeme sentis immédiatementmieux. Jemeséchairapidementlescheveux,puislesramenaienunchignonquin’allaitpastenir.Magrand-mèredisaittoujoursquemachevelureétaitaussifougueuseetingérablequemoi.Maiselleledisaitavecunetelletendresse que je le prenais comme un compliment.MonDieu, comme ellememanquait,même aprèstoutescesannées.Neplusprofiterdesonamourinconditionnelétaitencoreuneplaiedouloureuse.
Je fouillais dansma valise à la recherche de vêtements propres quandmon téléphone sonna.Çadevait êtreKimberly.Mais en regardant l’écran,unnuméro localque jeneconnaissaispas, s’afficha.Moncœurs’arrêtauninstant,puissemitàbattrelachamadealorsquemondoigtglissaitsurl’écran.
–Bonjour,répondis-je,essoufflée.Unevoixgrave,sansaucunechaleur,medit:–C’estGrayson.–Oh.Jefeignislanonchalancemais,aumêmemoment,jem’effondraisurlelit,simplementvêtued’une
serviette.–Enquoipuis-jevousaider?–Dansquellechambreêtes-vous?–Quellechambre?–Quellechambred’hôtel.VousêtesauMotel6,n’est-cepas?SurSolanoAvenue?–Euh,oui.Mais…–Quellechambre?répéta-t-il.–211.Àquelleheureserez-vous…allô?Ilvientdemeraccrocheraunez,là,non?Quelc…Troiscoupsrapidesrésonnèrentàmaporteetjepoussaiuncridesurpriseenlaissanttombermon
téléphonesurlelit.Jemelevaid’unbond.–Un instant ! dis-je,me précipitant sur la valise et en retirant à la hâte un soutien-gorge et une
culotte.Lescoupsreprirent.–UNINSTANT!hurlai-jeànouveau.Quelleimpolitesse…Dragon!
J’enfilailarobequejeportaislematinetj’étaisencoreentraindenouerlaceinturequandj’ouvrislaporte.GraysonHawthornoccupait tout l’espace, toujoursvêtudeson jeanetd’un tee-shirtbleuquimoulaitsontorsemince,maisde touteévidencebienmusclé.Savirilitémetouchaaucreuxduventre.Commecematin,ilexhalaitl’odeurfraîcheetpropred’unsavonmasculin,maislégèrementnuancéeparleseldelasueurquis’yétaitajoutée.Jemepenchaienavant,attiréeparsonparfumd’homme.Réalisantsoudaincequej’étaisentraindefaire,jecroisailesbrasetreculai.
– C’est un manque patent de professionnalisme. Vous auriez dû me prévenir que vous étiez enchemin.
Graysonentradanslapièceenprenantletempsderegarderautourdelui.Sesyeuxs’arrêtèrentunesecondesurmesbagagesLouisVuittonavantdeseposerenfinsurmoi.
–Jen’étaispassûrdevenirjusqu’ilyaenvironquinzeminutes.–Jevois.Ehbien,voulez-vousdescendre?Nouspourrionsprendreuncafé.–Ici,c’esttrèsbien.Jenevaispasresterlongtemps.J’aidutravail.Jejetaiuncoupd’œilaulitdéfaitetauxvêtementséparpillés.J’approchailachaisedubureau,puis
m’assissurlesiègeauboutdelit.Graysonpritplacesurlachaise.– J’ai examiné votre proposition.Avant d’aller plus loin, je voudrais rencontrer le notaire pour
m’assurer que l’argent sera versé commevousme l’avez dit, aumoment de notremariage, ou peu detempsaprès.
Jehochailatête;monrythmecardiaques’accéléraitencore.–Biensûr,jecomprends.Graysonhochalégèrementlatête.– Et si tout est en ordre, nous devrons établir un accord prénuptial, précisant les conditions
financièresdenotremariage.–Évidemment.–Peu importecequi sepasse financièrement l’annéequi suivranotreunion,nousnepartagerons
aucundenosrevenusoubiensmatériels.–Non,biensûr!Sonexpressionétaittoujoursaussiénigmatique.–Unefoisquej’aurairencontrévotreexécuteurtestamentaire,jedevraisvousfaireconfiancesurle
faitquevousallezréellementmedonnerlamoitiédelasomme.Jefronçailessourcils.–C’estl’accordquenousavonsconclu.Unemèches’échappademonchignonsommaireet j’essayaide lareplacer.LesyeuxdeGrayson
suivirentmamainpuiss’attardèrentsurmachevelurealorsquelamècheglissaitànouveau.–Oui,maisKira…dit-ilpresquedistraitementavantdemeregarderànouveaudanslesyeux.Ilsepenchaenavant,leregardmaintenantfixeetalerte.–Jenevousconnaispas.Quisait?Nouspourrionsnousmarier,puisvoustoucheriezlechèqueet
vousvousenvoleriezpourleBrésil.Avectoutlerespectquejevousdois,vousfaireconfiancerelève
pourmoidelafoiaveugle.Jebondislittéralement.–Jeneferaijamaisunechosepareille!–C’estvousquiledites.Jemesuisrenducomptequelesgenslaissententendrecequilesarrange
surlemoment.Cequinesignifiepasforcémentqu’onpeutcomptersureux.Oui,jecomprenaiscequ’ilvoulaitdire.Jeprisuneprofonderespirationetacquiesçai:–Jesais.Maismoi,j’aibienl’intentiondetenirparole.Ilmeregardaletempsd’unbattementdecœur…,dedeux…,avantdedétournerlesyeux.–J’acceptequevousviviezaudomainependantdeuxmois.Celadevraitêtresuffisantpourinformer
votrepèredenotremariage,etpourquevoustrouviezunappartementavecvotrepartdel’argent.S’ilyaunproblèmeavecvotrepère,nouspourronsrenégocierledélai.Ilyauneanciennemaisondejardiniersurmapropriétéoùvouspourrezvousinstaller.Cen’estpastrèsluxueux,plutôtpetit,maisilyaunlitetl’eaucourante.
Lamanièredontilmedévisageaitétaitindéchiffrable.–Çaal’aircharmant.–Charmantestunbiengrandmot.Était-ce un défi que je lisais dans ces yeux de dragon noir, ou peut-être un petit caprice sur ses
lèvres?–Bien.Jelevailementon.Jenel’avaisjamaisbaissédevantmonpère,etjenecommenceraiscertainement
pasaveccethomme.–Vousêtesdésespéré.–Vousaussi.–Cen’estpasfaux.Sijepeuxmepermettrecettequestion,pourquoim’avoirchoisi?Jeveuxdire,
àpartparcequejesuisdésespéré?Salèvretremblalégèrement,etellemefixa,l’airsérieux.–Vousauriezpuprendreunsans-abridanslarueetpartagerlamoitiédevotrehéritageaveclui.Si
vouscherchezabsolumentàdonnerdel’argentilyabeaucoupdegensauboutdeleurviedanscemonde,Kira.
–Monpèrenecroiraitjamaisquejepuissetomberamoureuseetépouserunclochard,Grayson.Ceseraittropfacilepourluidecontesterlavaliditédel’héritage.Commevouspouvezl’imaginer,monpèreest très bien renseigné, et je dois être prudente. Je devais choisir la bonne personne. Une personneconvaincante.
Ilpenchalatête.–Votrepèrepeut-ilcontesterlavaliditédel’héritage?Est-ceunechosedontjedoismesoucier?Jesecouainégativementlatête.SiunmariageavecGraysonHawthornavaitlieu,ilseraitplutôtdu
genreàtoutfairepourlecacher,oubienàlemanipulerpourarriveràsesfins.Enfin…
–Non,jenepensepas,maisj’aiapprisque,quandils’agitdemonpère,ilestplussagedeveillerauxmoindresdétails.
Malgrémesparolesoptimistes,unfrissonmeparcourutledos.–Jevois.Donc,vousavezl’intentiondeconvaincrevotrepèrequevousm’avezrencontrédansla
rue,quevousêtestombéefollementamoureuse,etquenousnoussommesmariésauboutd’unesemaine?Jesoupirai.– Il ne va pas trouver ça si improbable. Il me voit comme une fille impulsive, superficielle et
irrationnelle.Sesyeuxnoirsmesuivaientd’unairinterrogateur.–Etvousl’êtes?Toutcela?Jememordislalèvre.– Impulsive, oui, je l’avoue çam’arrive. Superficielle, non, je ne pense pas. Irrationnelle, ne le
sommes-nouspastous,parfois?Ilsemblaanalysermaréponsependantuneseconde.–Doncc’estcequ’onvadire?NousnoussommestélescopésdansuneruedeNapa,noussommes
tombésamoureux,etnousnous sommesmariés surune impulsionparcequenous sommes irrationnels,maispassuperficielspourautant?
Jeluiadressaiunpetitsourire.–Ensubstance,oui.Jecroisquenouspourronsréglerunpeuplustardtouslesdétailsafindetenir
lemêmediscours.Moncœurs’emballaitànouveau.–Doncvousacceptez?Marchéconclu?–Sitoutsepassebienaveclenotaire,oui,marchéconclu.Jehochailatêteetlaissaiéchapperunsoupir.–Vousneleregretterezpas,Grayson.–Oh,jesuissûrquesi,d’unemanièreoud’uneautre,Kira.Maisàpériodedésespérée…–Mesuresdésespérées!Etils’agitlàd’unemesureàlahauteurdenotredésespoir.Ilsourit,offrantàmavuesesdentsbienalignéesetimpeccablementblanches.Maisl’expressionde
dédain de cematin était de retour. Il semblait ne pasme voir comme une personne qui lui faisait uncadeau,maisplutôtcommecellequil’obligeaitàfairecedontiln’avaitpasenvie,cellequineluiavaitpaslaissélechoix.Ehbien,tantpis.Jen’avaispasbesoindesagratitude.Justedesonnom.Cependant,jenepouvaispasnierladéceptionquejeressentais.Quandjel’avaisvudanslarue,laveille,ilm’avaitsembléperdu,abîmé,maistoujoursbienveillant.Enrevanche,l’hommeassisenfacedemoimaintenantétaitcomplètementdifférent;raideetfroid.L’avais-jevraimentsimaljugé?
Comme s’il avait lu dansmes pensées, le sourire s’effaça de son visage aussi vite qu’il y étaitapparu.
–Ilyaencorequelquespetiteschosesdontjepensequenousdevrionsdiscutertrèsvite.–D’accord.
Jecroisailesjambes.Sesyeuxsuivirentmonmouvement,puisilserralamâchoireetdétournalesyeuxavantdereprendre.
– Puisque vous allez vivre sur ma propriété et faire un peu de comptabilité, je pense que nousdevrionsêtreclairsquantàlanaturedenotrerelation.
–Notrerelation?Jepensaisquec’étaitclair.Nousnousmarionspourl’argent.Iln’estpasquestiond’unerelation.
Cetteentrevueguindéeetgênéesoulignaitparfaitementceconstat!–Nousseronsdesassociés.Riendeplus.–Çameva.Tantquevousêtesdiscret,jenevoispasd’inconvénientàcequevousmeniezvotrevie
personnellecommebonvoussemble.–J’ycomptebien.–Parfait.–Trèsbien.Jeneveuxpasquevousvousfassiezdesidéesfantaisistessurcetaccord.Jelevaiunsourcil.–Fantaisistes?–Romantiques.Inexactes.Jeserrailesdents.–Oui,vousavezététrèsclair,jenesuispasvotregenre.Etjevaisessayerdefairedemonmieux
pour ne pas tomber sous votre charme irrésistible, et ne pas faire des choses insupportablementmaladroites.
–Bien.J’avais envie de le frapper. C’était évidemment un homme habitué à être courtisé par la gent
féminine.Etapparemment,soitilpensaitquej’étaisunenonne,soitiln’avaitaucunecraintesurlafaçondontjemenaismaviepersonnelle.
–C’esttout?demandai-jefroidement.Grayson, que je surnommais dorénavant leDragon,m’étudiait. Je ne cherchais pas à deviner ce
qu’ilpensait.Probablementessayait-ildedéterminersi,ouiounon,j’allaisréellementêtreenmesuredenepastomberamoureusedelui.Ildevenaitpluslaiddesecondeenseconde.Espècedereptilearrogant!
–Vousavezmentionnémoncasier.Jesupposequevousconnaissezlanaturedemoncrime?Macolères’éteignitinstantanément.Jesentislachaleurmemonterauxjoues.–J’espèrequevousnetrouvezpasçatropintrusif,maisjepensaisqu’ilvalaitmieuxquejesacheà
quij’avaisàfaireavantdeproposermonoffre.Ilhaussalesépaules.–C’estunebonnedécisiond’affaires.Avez-vousdesquestionssurcequevousavezluavantque
nouspassionsàautrechose?Jeveuxbienrépondreàvosquestionsmaintenant,maisnousn’enparleronsplusensuite.
Jeneparvinspasàdissimulermasurprise.
–Je…enfin,d’aprèscequej’aicompris,vousvousêtesbattuavecunhommeàl’extérieurd’unbardeSanFrancisco,etvousl’avezfrappéàplusieursreprises.Ilesttombé,s’estcognélatêteetilestmort.C’étaitunaccident.Vousn’aviezpasl’intentiondeletuer.Est-celavérité?
Jeme sentais gênéed’avoir résuméainsi une situationqui était certainement encore extrêmementbouleversante.Ilavaitfaitcinqansdeprisonpourcecrime.
Ilgardalesilencependantsilongtempsquejemedemandais’ilallaitmerépondre.Finalement,ilditsimplement:
–C’estassezjuste.Jeleregardaipendantunmoment,maissonvisageétaitimpassible.–Laprisonadûêtretrèsdurepourvous.Unelueuréclairabrièvementsonregardavantqu’ilnereprenneunairindifférent.–Vousn’avezmêmepasidée…Ilyeutunsilencegêné.Jememordislalèvre.–Etmaintenant,vousêtesunreprisdejustice.Ilsepencha,sonregardsombreetdirectfixésurmoi,sonodeurvirilebrouillanttousmessens.–Oui,Kira.Jesuisunreprisdejustice.Commevouslesavez,jenepeuxpasfairedecrédits.Et
c’estpeudirequemespossibilitésd’emploi sont limitées.Beaucoupdeportes sont ferméespourmoidésormais.Oui,vousallezêtremariéeàunreprisdejustice.LafilledeFrankDallairevaêtremariéeàunreprisdejustice!
Raisondepluspourmaintenirunedistanceentremonpèreetmoi;sansdoutepourlongtemps,cequim’allaittrèsbien.
Maisjeneluidispas.Aulieudecela,jerépondis:–Ilseradifficilededécevoirmonpèreplusquejenel’aidéjàfait.Ilm’examinaànouveauavecsesyeuxdedragon,ceuxquisemblaientlireenmoi.–Jevouscroissurparole.Ilselevabrusquement,mefaisantsursauter.Jebondisàmontouretnousfaillîmesnousheurter.Il
merattrapaenmeprenantparlesbras.Jelevailesyeuxversluietquandsonregardcroisalemien,ilsemblasurprisluiaussi.
–Jedoisyaller,dit-il,ensedirigeantverslaporte.–Oh,d’accord,luirépondis-jeenlesuivant.Justeunedernièrequestion.Euh…Encequiconcerne
lecalendrierdenotreaccord.Jeregardailachambre,calculantrapidementlenombredejoursquejepouvaisencorepasserici.
Biensûr,jedevaisaussiengagerunavocatpourrédigerlecontratdemariageavecleDragon,quelqu’unquin’auraitaucunlienavecmonpère.
–Jesaisquevousvoulezsûrement…Enfait,letrucc’estque…–Vousn’avezpaslesmoyensderesterici.Jesoupirai.–Si,maispluspourlongtemps.Surtoutsijedoispayerlesfraisd’avocat.
Ilétaitdeboutdevantlaporte,lamainsurlanuque.Ilfinitparmedire:–Faitesvotrevalise.Vouspouvezveniravecmoitoutdesuite.Nousnousoccuperonsdetrouverun
avocatdemain.MaisKira,dit-ilense retournant, sinousne trouvonspasunaccordquinouscontentetousdeux,jevousdemanderaidepartirsur-le-champ.
J’acquiesçai.–Vousn’aurezpasàmeledemander.Ilhochalatêted’unmouvementbref.–Jevouslaissecinqminutespourfairevosvalises.Oui,chef,Dragon,chef,étais-jetentéederépondreironiquement.Maisjemecensurai,etpliaimes
affairesàlahâte.
***
Trente minutes après avoir quitté l’hôtel, et suivi le pick-up noir de Grayson, nous passions leportaildelapropriétéHawthorn.
Lapremièrefoisquej’étaisvenueici,j’avaisétésurpriseparlabeautédelavigne,etjeressentaislamêmechoseaujourd’hui.D’immenseschênesbordaient la longuealléeprincipaleet lacouronnedefeuillageombrageaitlavoiequiconduisaitverslapropriété.Gracieuseetélégante,lamaisonHawthornsedressaitaufondd’unecourornéed’unegrandefontainecirculaire.Elleavaitunaspectchaleureuxetaccueillant.Dulierregrimpaitd’uncôtédel’imposantefaçade,etdesbalconsenferforgéauxcourbesélégantesencadraientlesfenêtresdel’étagesupérieur.Derrièrelamaisonetlesjardins,leshectaresdevignesoffraient,àpertedevue,unpaysageàcouperlesouffle.
Jedécouvrisunpetitbosquetd’arbresfruitiersàgauchedelabâtisse,despêchespeut-être,oubiendes abricots.À première vue, tout cela ressemblait à un paradis luxuriant qui ne demandait qu’à êtreexploré.C’étaitseulementenapprochantqu’onpouvaitremarquerquelafontainenefonctionnaitpas,quelelierren’étaitpasentretenuetquelapelouseetlesjardinsenvironnantsétaientenfriche.Lejardinieravaitétécongédiésansaucundoute.Malgré tout,c’étaitquandmême trèsbeau.Àsonapogée,ce lieuavait dû être somptueux. Mes yeux s’attardaient sur les collines couvertes de vignes au loin, et jem’interrogeaisur l’étatdesraisinsqu’ellesproduisaient.J’avaishâtedevoircedomainerestauré,passeulement pour Grayson, mais pour la beauté du lieu lui-même. Il devrait être interdit de laisser unendroitcommecelui-citomberenruine.Jesuissûrequemamieseraitd’accordavecmoi.Maisjemislespenséesdemagrand-mèredecôtépourlemoment.Certes,ellenevoudraitpasvoircebeauvignoble,danscetterégionqu’elleavaittantaimée,tomberenruine.Maiselleseretourneraitaussidanssatombesiellesavaitquejememariaispourdel’argent!Jesuisunefemmequiépouseunparfait inconnuparintérêt.Moi!Celaternissaitencoreunpeuplusl’imagepeureluisantequej’avaisdemapersonne.Unsentimentdedésespoirm’envahitmomentanément.
Graysonsegarajusteavantlafontaine,et,enfaisantdemême,jeremarquaiunepetitemaisonsurladroite,partiellementcachéederrièreuntrèsgrandchêneetrecouvertedefeuillage.Ill’avaitappelée«la
maisondujardinier»,maisdetouteévidence,lesjardiniersquiavaienttravailléicirécemmentn’avaientpasvécusurlapropriétéetavaientutiliséce«cottage»uniquementpourstockerlematériel.Pourtant,elleavaitquelquechosedepittoresque,àmoitiécachéedanslavégétationetdrapéedeglycine.
Jesortisdemavoiture,Graysonm’imitaetmerejoignit.Ilyavaitunelueurdedéfidiaboliquedanssonexpression.
Est-ce qu’il s’attendait à ce que jeme plaigne de l’hébergement ? Probablement.Comme tout lemonde,ilasûrementvuenmoiuneprincessegâtée,unefilleàpapaquiavaitvécuuneexistencefrivoleet vaine.Etmaintenant, il allait s’amuser avecmoi.Mais qu’est-ce que j’en avais à faire de ce qu’ilpensait?!
Dans quelquesmois, je ne le verrais plus jamais.Nos avocats pourraient gérer la procédure dedivorcefacilement,etjenepenseraiplusjamaisàlui.Etviceversa,j’enétaissûre.
JesuivisGraysonjusqu’àlaportedelamaison.Ilouvritsansutiliserdeclef,aprèsavoirécartélesimposantescorollesviolettesdesglycines.Toutenrespirantleparfumdecesfleursodorantes,j’entraiàl’intérieur.
Voyons… Du vieux matériel de jardinage, visiblement inutilisé, remplissait la première pièce.C’étaitpoussiéreux,sale,çasentaitlemoisietl’huiledemoteur.Jemefrayaiuncheminentrelestoilesd’araignées et j’entrai dans la deuxième pièce. Cela avait dû être une chambre à coucher, maisaujourd’huionn’yvoyaitplusqu’unpetitlitenmétalavecdesressortsrouillés.
–Biensûr,jevaisdemanderàCharlottedevousapporterdescouverturesetunoreiller,ditGraysonjustederrièremoi.
Jemeretournaietledévisageai.Était-cedelamoqueriequejelisaisdanssesyeux?Ehbien,oui,c’enétait.Salèvretremblaitcommes’ilessayaitderetenirunfourire.Iltrouvaitçadrôle?Cequ’ilnesavaitpas,c’étaitqueleslogementsoùj’avaisvécucesderniersmoisétaientbienpiresquecelui-là.Etquepourlesgensquej’avaisrencontrésalors,cetendroitauraitétéunpalais!
–Jemelavedanslafontaine,jesuppose?demandai-je,avecuncharmantsourire.–Ellenefonctionnepas.Maisilyal’eaucouranteici.Froide,enrevanche,paschaude.Çanevous
posepasdeproblème,n’est-cepas?–Nooon,dis-jed’unevoixexagérée.Unebonnedouchefroide,c’estvivifiant. Je lespréfèreaux
chaudesd’ailleurs.Ledragonauxépaissesécaillesconsidéramaréponse.–Jepariequec’estlecas,dit-ilfinalement,appuyantsahanchemincecontrelecadredelaporte,
toutenmeregardant.Tantmieuxpourluis’ils’amusait.Jeneplieraijamaisdevantlui.Jepourraisdormiràmêmelesol
danscettecabanepoussiéreusesicelamepermettaitd’obtenirlemeilleurdeGraysonHawthorn.–Ya-t-ilunecuisine?Unendroitoùjepourraismangerlesmiettesdepainquevousmejetterez?
demandai-je.Aprèsquejevousaidonnévotrepartdemonhéritage,biensûr.–Non,vousdevrezmangerdanslamaisonprincipale.JevaisdireàCharlottedevousattendrepour
ledîner,dit-il,ignorantladeuxièmepartiedemaphrase.
JemesouvenaisdeCharlotte,vuecematin.C’étaitunefemmedodueauregarddouxetauxcheveuxgris.
–Serez-vousprésent?–Non,jevaissortir.Silence.OKKKK.–Qu’allez-vousraconteràCharlotte,exactement?–JevaisdirelavéritéàCharlotteetàWalter,sonmari.Ilsmeconnaissentdepuistoujours.Ilssont
ladiscrétionincarnée.J’eus une bouffée d’angoisse, etmon rythme cardiaque s’accéléra à l’idée que son personnel de
maison allait savoir que notre mariage était uniquement une façade. Je décidai pourtant de lui faireconfiancesursescertitudesquantàlafidélitédesonpersonnel.Deplus,ilseraitdifficiledeleurfairecroire que nous étions tombés amoureux quand, hier encore, je n’existais pas du tout dans la vie deGrayson!
J’auraispréféréfairetoutcelaseule,maiscen’étaitpaspossible.J’avaisbesoindelui.–Jevois.Trèsbien.Je regardai à nouveau la maison, détournant mes pensées en me concentrant sur l’étude de ses
dimensions.–Ehbien,ilyaquelquesinconvénientsflagrants,maisilyaaussidesavantages.Ilfronçalessourcils,hochalatêteunefois,puiscommençaàs’éloigner–Ledînerestà19h30.C’étaitdansmoinsd’uneheure.Jeferaismieuxdenettoyercetendroitaussivitequepossible.Graysonrevintquelquesminutesplustard,posamavaliseausol,puissedirigeaànouveauversla
porte. Brusquement, il s’arrêta. Je crus qu’il allaitm’avouerm’avoir fait une blague à propos de cetendroit,etm’inviteràlerejoindredanslamaisonprincipale.Aulieudeça,ilbalançafroidement:
–Aufait, j’interdisformellementl’usagededroguessurmapropriété.Sijemerendscomptequevousenavezamenéesici,notrecontratestrompu.
Jebafouillai,essayantdetrouveruneriposte,envain.Ilsortitenrefermantlaportederrièrelui.Uneseconde plus tard, j’entendis son pick-up rugir et s’éloigner. Il était évident qu’il avait fait desrecherches,etludesarticlessurla«situation»danslaquellejem’étaisretrouvéeilyaunan.
Jeramassaiunecanettedesodavideetlabalançaisurlaportefermée.Troptard.Reptileminable!J’auraisdûtoutarrêter.Commentosait-ilmetraitercommeçaalorsquejeluiavaisfaitl’offrelaplusgénéreuse de sa pauvre vie de bestiole à écailles ?Son arrogance était sans bornes.Et dire qu’ilmejugeait comme étant une enfant gâtée ! Une enfant gâtée et droguée. Mais, au-delà de la colère, unsentimentindéniabledehonteetdetristessem’envahissait.Est-cequetoutcelavalaitvraimentlapeine?Ilfallaitquejem’enpersuade.Carunjour,j’enétaissûre,lejeuenvaudraitlachandelle.
CHAPITRE4
GRAYSONEllen’avaitpasbougé,commesielleenvisageaitvraimentdevivredanscettepetitebicoquesale.
Je souriais intérieurement. Je me demandais combien de temps il lui faudrait pour débouler dans lamaisonprincipale,etmedireque,pourrienaumonde,ellenes’installeraitlà-bas.Quinzeminutes?
Allez,cesoiraudîner,grandmaximum.Je luidevaisquandmêmeunpeuplusderespect…Elleavaitjouélejeu.Jem’attendaisàcequ’elles’indigne,qu’elletrépignederage,oumêmequ’ellemenacede s’arrêter de respirer !Mais la petite sorcière avait plus de cran que je le pensais. Je nem’étaisd’ailleurspasautantamusédepuis…depuisuneéternité.
Pendantuneminute, j’avaismêmeeuenviede rire. Jusqu’àcequ’il ressuscitedansmagorge, jen’avaispasréaliséàquelpointcesentimentm’étaitdevenuétranger.
Jeprisunedoucherapide,enfilaidesvêtementspropres,etdescendisannonceràCharlottequ’ilyauraituneinvitéepourledîner.
Enentrantdanslacuisine,l’odeurdesonbœufStrogonoffmittousmessensenéveil.Jemangeraispeut-êtreici,finalement.
–Bellesoirée,vousnetrouvezpas?medemandaCharlotteavecungrandsourire.
Jeprisunebièredans le réfrigérateur, l’ouvris,descendis lamoitiéde labouteille,etgrommelaiuneréponseaffirmative.
–Ilfautquejetedisequelquechose.Ellecessades’agiteretm’observaattentivement.–Çaal’airinquiétant.Jesecouailatêteenprenantuneautregorgéedebière.–Pourmoi,oui,maispaspourvous.–Voussavezbienquetoutcequivoustouchemetoucheaussi,Gray…dit-elledoucement.Uneminusculepartiedemoncœur,laseuleencoreenvie,frémitderegrets.–Jesais,Charlotte.–Alors,quesepasse-t-il?Dites-moitout.–Jevaissûrementmemarier.
Charlotteportainstantanémentsesmainsàsabouche,etlaissaéchappersacuillère,quitombasurlagazinièredansuntintementmétallique.
–Oh,Gray!Vousavezmisunefilleenceinte?!Jerecrachaimagorgéedebière.–Non,monDieu,non.Charlottebafouilla:–Maisalorsques’est-ilpassé?Quiest-ce?Etpourquoi?Jeluiexposailesfaitssansfioritures,commeKiramelesavaitprésentéscematindansmonbureau.
Mêmeaprèsavoireutouteunejournéepouryréfléchir,toutçameparaissaitencorecomplètementfou…C’étaitabsurde.–Cen’estpasencoresigné.Maisellevaresterdîner,doncjesouhaitaisteprévenir.Aufait,elleva
habitericipourlemoment.LevisagedeCharlotteexprimaittoutesadésapprobation.Elledétestaitclairementcetteidée.–Vousallezvousmarierpourdel’argent,Gray?C’estçaquevousvoulez?Ehbien,pasmoi.Et
cettefillea-t-ellelemoindresensmoral?Vousméritezmieux.Vousméritez…– C’est temporaire, d’accord ? ! Si tout se passe comme Kira le prédit, ce sera une chance
incroyablepourlevignoble.Etpourêtrehonnête,c’estmondernierespoir.Jeserrailamâchoire,décidéàévitercettediscussionavecCharlotte.–Tuconnaismasituation.–Oui,maisvousdites…temporaire?Lemariagen’estpastemporaire.Cen’estpasunetransaction
commerciale,cen’estpasunehistoiredecontratsoudenégociations.Lemariage,c’est sacré, levœusacréd’aimerpourtoujours.
Jesecouailatête.Charlottesavaitqu’aprèsavoirétéletémoindu«bonheurconjugal»glacialentremonpèreetmabelle-mère,j’avaisquelquesraisonsdenepasrespecterlasaintetédumariage.
–Charlotte,laplupartdesgensnesontpascommetoietWalter.IlsuffitderegarderJessicaetFordHawthorn.
Elles’approcha,l’airému.Ellepritsontempspourchoisirlesbonsmots.–Gray,jesaisquedepuisquevousêtesrevenuàlamaison,leschosesontbeaucoupchangéetque
toutcelaaététrèsdifficilepourvous.Jesaisaussiquevousculpabilisezpourcequis’estpassé.Vousn’êtesplus lemême,Gray.Vousnesouriezplus,vouspassezvotre tempsà travailler.Vousvousêtesenfermédansvosproblèmes.Maiscemariagen’estpasunesolution.Cen’estpaspossible.Jenepeuxpasvouslaisserfaireça.
Unsentimentdecolèreetd’impuissancem’envahit,jefisclaquerbruyammentmacanettedebièrevidecontrelapaillasseenmarbre.Jen’avaisvraimentpasbesoindesremarquesdeCharlottesurcequej’étais devenu. Ou plutôt, sur ce que j’avais été forcé de devenir. J’avais déjà assez de mal à mesupporteràchaquesecondedechaquejour.
–Charlotte,tuesmafemmedeménage,pasmamère.Jenevaispasdiscuterdavantage.Metsuneautreassiette,pointbarre.
Jesentisquejel’avaisblesséecarellepinçaleslèvres,seretournaverslaplaquedecuissonenmarmonnantunephraseinaudible,sansrevenirsurcequej’avaisdit.Charlotteétaitaussidoucequesonmariétaitrigide.Aumomentoùjequittailacuisine,ellemelançasansseretourner:
–Biensûr,vousresterezpourledîner.Pournousprésentervotrefutureépouse.Je m’arrêtai net, le mot « épouse » me fit légèrement sursauter. Je préférais employer le terme
d’« associée » à propos deKira.De toute évidence, Charlotte essayait deme secouer pourme faireouvrirlesyeux.Jen’avaispasprévuderesterdîneràlamaison,maisjerépondis:
–Biensûr.JepouvaisaumoinsfaireçapourCharlotte.Jem’enfermaidansmonbureauetjetaiunœilsurlesitedelamairiedeNapaValley.Iln’yavait
visiblementpasdedélaid’attentepoursemarier.Nousdevionssimplementprendrerendez-vousetnousprésenteravecuntémoin,oubienenchoisirunsurplaceparmiceuxqueproposaitlamairie.IlmerestaitjusteàespérerqueKiraseraitd’accordpourallerrapidementconsulterlenotaire.
Plustôtnousofficialiserionscefauxmariage,plustôtnouspourrionsymettreuntermeetretrouvernosvies.
Jefouillaidansmoncourrier,enmettantlesimpayésdecôté.Pourlapremièrefoisdepuisdesmois,jenetremblaispasfaceàl’amoncellementdefacturesquijonchaientmonbureau.Siçafonctionnait…siça fonctionnait, je pourrais toutes les payer.Mais, tant que rien n’était signé, jem’interdisais de tropespérer.
Je revins subitement à la réalité en voyant une lettre qui m’était adressée. C’était une écriturefémininequejereconnustoutdesuite.Jemesentisd’abordtrèsoppressé,puisreprismesesprits.Malgrélacuriosité,jedécidaidemettrelalettredecôté.Riendecequ’ellecontenaitnepourraitchangerquoiquecesoitàlasituationdanslaquellejemetrouvais.Jen’avaisnulbesoindeliresesexplicationsousesexcusespitoyables.
–Vaaudiable,Vanessa,murmurai-je,lescoudesappuyéssurmonbureauetlatêtedanslesmains.Ilauraitfalluquejesortepourmedéfouler.Aulieudecela,jedevaisdîneravecuneinconnuequi,
danspeudetemps,pourraittrèsbiendevenirmafemme.Charlotteavaitraison.C’étaitunetrèsmauvaiseidée,ridiculemême.Peuimporteàqueltitreellesyétaiententrées,lesfemmesavaienttoujourstrouvélemoyendemepourrirlavie!EtilétaitfortprobablequeKiraDallairefiniraitparêtrelapiredetoutes.Elleseraitlerappelconstantethumiliantdemachuteaufonddutrou.Lerappeléterneldecequej’auraisété réduità faire :épouseruneétrangèrepourde l’argent.S’ilyavaitmatièreà rirede toutça, jememoqueraisdemasituationpathétique,etdufaitquej’étaismêmecapabled’envisagercetteabsurdité.
Quelquesminutes plus tard, la sonnette de l’entrée retentit. Je terminai ce que j’étais en train defaire sachant queWalter allait lui ouvrir, son visage arborant sans aucundoute son air froid habituel.Mais si quelqu’un avait l’habitude de traiter avec du personnel de maison, c’était certainement KiraDallaire.Elleavaitprobablementétéélevéeavectouteunearméeàsabotteetrépondantàsesmoindrescaprices.
Quandjemedirigeaienfinverslacuisine,jelavisassiseàlagrandetabledefermeenboispatinéeparlesans.Unverredevinétaitposédevantelle.Elleportaitunjeanetunechemiseamplevertfoncé.Ses cheveux étaient tirés en arrière aussi sévèrement que cematin. Était-ce vraiment il y a quelquesheuresseulement?J’avaisl’impressionqu’ils’étaitécouléunedécennie.
Charlottevirevoltaitdanslacuisine,ignorantsaprésence.Ellemeditsansmeregarder:–Jen’aipasnettoyélasalleàmangeraujourd’hui,puisquejen’aipasétéavertieasseztôtqu’ily
auraituninvité.EllejetaunregarddédaigneuxàKira.–J’espèrequevousneverrezpasd’inconvénientàdînerdanslacuisine,Monsieur.Ellemitl’accentsurle«monsieur»,essayantévidemmentdemeculpabiliserdel’avoirtraitéeplus
tôtcommeunevulgairefemmedeménage.–C’estparfait,Charlotte.Detoutefaçon,tusaisbienquejen’aimepasprendremesrepasdansla
salleàmanger.Jerejoignislatable,fisunsignedetêteàKiraetprisunegorgéed’eau.–Vousnebuvezpasdevin?medemanda-t-elle.–Rarement.–Vousnetrouvezpasçacurieuxpourquelqu’unquipossèdeunvignoble?–J’imagine.Ellemefixait,maisdèslafindemaphrase,elledétournaleregardetbalayalapièceduregard.–Cettecuisineestvraimentmagnifique,dit-elledoucement.Avant que je ne puisse répondre, Charlotte posa brusquement une assiette en face de Kira et
quelquesgouttesdesauceéclaboussèrentlatable.Cen’étaitpasdansseshabitudes.Ellemeréservalemêmesort,puislevafièrementlementonavant
des’éloigner.Jecommençaiàdîner,sansmêmelaremercier.Commesinousn’étionspaslà,Charlotterepritsontravailenfaisantbeaucoupdebruit.EntreKiraetmois’installaunsilenceembarrassant.
Quiduraetduraencore.Lesaiguillesdel’horlogeaccrochéeaumurdelacuisinebattaientlamesure.Lesseulsautresbruits
étaient:ceuxdeCharlotte,follederage,quilavaitlavaisselle,etceuxdenosfourchettes,quiheurtaientlesassiettesencadence.JeremarquaialorsqueKirasetrémoussaitsursonsiège,lesjouesd’unrougeécarlate.
–Êtes-vousdéjàalléenAfrique?medemanda-t-ellesoudain.EnAfrique?J’ouvrislabouchepourluirépondre,maisellepritlaparoleenpremier.Apparemment,c’étaitune
questionrhétorique.– Au Kenya, en particulier. L’accueil traditionnel y est merveilleux. Vêtus de leurs plus beaux
costumesd’apparat, lesguerriersde la tribu,fontcequ’ilsappellent ladansedessauts. Ils formentuncercleets’affrontentàceluiquisauteraleplushaut,montrantainsiàleursinvitéslaforceetlabravoure
de leur tribu. C’est magnifique ! Et la hauteur que certains d’entre eux peuvent atteindre estimpressionnante.
Unemèches’échappadesescheveux,maisçanesemblapaslagêner.ElleavalaalorsunegrossebouchéedebœufStrogonoff,etsansprendrelapeinedemâcher,ellecontinuasonlaïus.
– Jeme disais que vous pourriez leur faire une concurrence d’enfer avec le chaleureux accueilHawthorn. Il est tellement réconfortant. Vous ne pouvez pas savoir à quel point vousm’avezmise àl’aise,àquelpointjemesensbien.Bon,biensûr,auKenya,ilfautboireleurcocktaildebienvenueàbasedelaitetdesangdevache,cequileurfaittoutdemêmegagnerquelquespoints.Maisjecroisquevousavezquandmêmetoutesvoschancesetque…
Jeposaimafourchette.–C’estfini?!Sonregardsemblaitlancerdeséclairsaumomentilcroisalemien.–Pasvraiment,pourquoi?Sesgrandsyeuxverts, lumineuxet indignésmefoudroyaient.Ellepritaussitôtunegorgéedevin,
l’airdétenduetcontinuasonrepas.Jejetaiuncoupd’œilàCharlottequi,j’ensuispresquecertain,venaitd’esquisserunsourireavantdeseretourner.
LaréponsesarcastiquedeKiramefitgrincerdesdents,maisjedusadmettrequ’elleavaitraison.Nousavionsétégrossiersavecelle. J’étaisd’unehumeurdechien.Pourtant,ellen’avaitpasvraimentméritécela.Jenel’aimaispas,voilàtout.Ouplutôt,jen’aimaispassongenre,etsaprésencesousmontoitmeramenaitàmesnombreuxéchecs.Celanedevaitpasm’empêcherd’êtrecourtois.Deplus,ellem’offraitunmoyendem’ensortir.Cen’estpaspourautantquejedevaismecomportercommesiellemefaisaituneénormefaveur.Jeneferaipassemblantdetrouvercettesituationagréable,maisjenenieraipasdavantagequenousétionsautrechosequedesassociésdanscedealrépugnant.Nousfaisionstouslesdeuxunsacrifice.Biensûr,elleallaitmeremettreunjolipécule,maiselleallaitégalementperturbermaviepourlesmoisoul’annéeàvenir,peut-êtremêmedavantage.Etpuissonnomseraitofficiellementliéaumienpourlerestantdenosjours.Quoiqu’ilensoit, j’avaisdécidéquenousneserionsriendeplusque des associés en affaires. En bonne intelligence. Elle s’était bien comportée jusqu’à présent. Jem’étais même plutôt amusé tout à l’heure, avec son emménagement dans la cabane du jardinier. Cequ’ellen’avaitd’ailleurspasencoreramenésurletapis.
–Nousdevrionsparler…–Dufaitquevousêtesledescendantdirectd’unlézardcracheurdefeu?Jem’ensuisdéjàrendu
compte.Charlottetoussotadanslacuisine,maiscouvritlebruitavecunecasserole.–Écoutez,Kira…Elletapadupoingsurlatable,tellementfort,quesescheveuxsedétachèrent:–Non,c’estvousquiallezm’écouter,Grayson.Sesyeuxdesorcièreétincelaientànouveau,provoquantunesortedefièvreardentedanstoutmon
corps,àmongranddésespoir.
–Jevousai faituneoffre trèsgénéreuse.Sivous l’acceptez, ilesthorsdequestionquevousmetraitiezcommevousl’avezfaitjusqu’àprésent.Jepeuxvousassurerqu’avecvotrepassif,vousn’aurezjamaisdemeilleurepropositionquelamienne.Continuezàmeconsidérercommeunemoinsquerien,etjedisparaisavecmonhéritage.
Ivredecolère,jetapaiàmontourdupoingsurlatable.J’euslasatisfactiondevoirKirasursauterlégèrement.
– Si ça se fait, je neme laisserais pas non plus traiter comme si vous aviez pitié demoi, car,contrairementàvous,jenefaispastouteunehistoiredecesacrifice.Vouspensezvraimentquej’ailemoindredésirdememarieravecvousouquiquecesoitd’autre?
–Non,jepensequevousêtesàpeuprèsaussicapabledemonogamiequ’unchienerrant.Avecmoi,commeavecn’importequellefemme.
Deloin,j’entendisCharlottetousserànouveau.Jeplissailesyeux.–Exactement!Pensez-vousquejel’auraisfaitsijen’étaispascomplètementdésespéré,etsivous
n’étiezpasmatoutedernièreoption?Alors, jetez-moivotrefortuneauvisagesivousvoulez,maisnefaitespascommesivousn’aviezpasbesoindemoi,nefaitespasnonpluscommesivousn’étiezpasaussidésespéréequejelesuis.Etpuisarrêtezd’agircommesijen’étaispasvotreplusgrand,etsurtoutvotreseulespoir.Vousl’avezditvous-même.Pourquelqu’unquiestvenuicipourmendier,vousdevriezavoirlasagessedemetraiteravecrespect.
Sesjouesdevenaientdeplusenplusrouges.–Mendier?siffla-t-elle.Mendier?Leslourdesbouclesdesacheveluresedétachèrentcomplètement,etencadrèrentsonvisagecomme
deux colonnes de feu. J’en eus le souffle coupé. Je n’avais pas compris qu’elle en avait autant.Ellestombaientlelongdesesjouesetdégringolaientsursesépaules,apparemmentjusqu’aumilieudesondos.
Elleselevalentement.Jel’imitai,etunefoisdebout,nouséchangeâmesdesregardsfurieux,chacunàunbout de la table. Il y avait de l’électricité dans l’air…Quelque chosedepalpable et debrûlant.Étrangement,cettechaleursemitàdanser,àenvahirmoncorps,puisàcourirdansmonsangcommelacérémonied’accueilafricainequeKiram’avaitdécrite.Jemesentisalorsabsolument…vivant.
–J’aiétéfolledevenirici.C’est…Ellenouspointadudoigt.–C’estfou,çanefonctionnerajamais,nousdevrionsannuler,jepourraitrouverquelqu’und’autre,
jenesaispaspourquoijevousaichoisi.Jevoustrouveextrêmementdifficileàaimer.–C’estvalablepourvousaussi.Jesuisd’accord.C’estridicule.–Alors,c’estterminé,lança-t-elle.–Bien,grognai-je.Nousnousregardâmes.Lacolèrebrûlaitdanssesyeux.PourquoiDiableaimais-jetantcela?
Aprèsplusieursminutesdetensionintense,jefisuneffortpourreprendremarespiration,puislevaiunsourcil.
–D’ailleurs, la prochaine fois que vous demanderez à quelqu’un de vous épouser, vous devriezessayerd’êtreunpeuplusdouce.Unhommeaimel’obéissancechezunefemme.
Sonregardbrilladeplusbelle,etunnouveaufrissontraversamoncorps.–Charlotte,dit-elle,cettefoisavecbeaucoupdedouceur,auriez-vousunefeuilleetunstyloàme
prêter?–Oh,oui!réponditCharlotte,ensortantunstyloetunblocdepapierd’untiroir,etenl’apportant
presqueencourantàKira,commesielleétaitsoudainementàsonservice.JeregardaiKiraattentivement,intriguéparcequ’elleallaitfaire.EllesouritpolimentàCharlotte,retiraprécautionneusementlebouchondustylo,leplaçaàl’autre
extrémitéavecunelenteurdélibérée,saisitleblocdepapierpuiscommençaàécrire.–Qu’est-cequec’étaitdéjà?Jeveuxm’assurerdenerateraucunmotdevosprécieuxconseils,dit-
elleenétirantlemot«aucun».Douce,c’estbiença?Est-cequ’ilfautmettreunecédilleàdouce?Jenem’ensouviensjamais.
Je la fixai en fronçant les sourcils, résistant à l’envie de rire à sa démonstration ridiculementsarcastique.
–Si j’étais vous, je nem’inquiéterais pas tant de l’orthographedumotdoucequede lamanièred’épouserleconcept.
–Hum,fredonna-t-elle.Etobéissante,dites-vous?–Oui.–Obéissante:OUI.Elleentouralemotsursafeuille.–Et?–Tropvolubile!Ceserarédhibitoirepourlesmarisfuturs.Ellefitsemblantd’écrire.–Tropvolubile:NON.Ellefitunegrandecroixsurlebloc-notes.–Quoid’autre?Ons’observapendantquelquessecondes,elle,feignantunregardintéressé,moim’appliquantàlui
offrirunsourirelégèrementarrogant.Envérité,jenesavaismêmepassi,d’unpointdevuejuridique,lefauxmariagequ’ellem’avaitproposéétaitvalable.Maisparlerdel’annuleravantmêmedelesavoirmebrisait lecœur. Jedétestais l’idée, jedétestais lapetite sorcièreà la languebienpenduequi se tenaitdevantmoi;jedétestaislefaitqu’enréalitéelleavait,danscettesituation,plusdepouvoirquemoi…
En même temps, c’était le premier évènement qui, depuis une éternité, m’avait donné un peud’espoir. Je ne réalisais quemaintenant combien cet espoir était agréable. Je détournai le premier leregard, rompant ainsi la tension qui flottait entre nous. Elle reprit la parole en posant le stylo et lesfeuillessurlatable.
–Écoutez,cettesituationestpourlemoins…inhabituelle.Elle s’arrêta de nouveau, et mes yeux se posèrent alors sur elle. Son regard ne scintillait plus
commesil’idéedetoutannulern’étaitpasnonpluscequ’ellevoulait.– J’ai appelé mon notaire avant de venir, il peut nous voir demain en fin de journée. Peut-être
pourrions-noustrouverunmoyendecoexister,aumoinsjusqu’àcequenousayonsconstatéquetoutestconformeàcequejevousaidit.Nouspourronsalorsprendreunedécision.
–Jesuisd’accord.Ellepritunegrandeinspiration.–D’accord,trèsbien.Elletenditalorslamain,unsourcilarqué:–Onfaitunetrêve?Jeregardaisamain,puisluitendislamienne.–D’accord!Approchez-vous,qu’onseserrelamain.–Vous,venezici,dit-elleenmedéfiantdirectement.Jesouris.–Onseretrouveàmi-chemin?Elleplissalesyeux,hochalatête,ets’éloignadesachaise.Jem’écartaidelamienne,etnousnous
retrouvâmesauniveaudumilieudelagrandetable.Jeprissamainchaudedanslamienne,etlaserraipendantquenouséchangionsunlongregardprudent.
Finalement, elle laissaéchapperun sourire, et je l’imitai.Nous retournâmesànosplaces.QuandCharlottes’approchapourservirduvinàKira,elle lui jetauncoupd’œilquin’étaitplusdédaigneux,maiscurieux.
Notre dispute avait, d’une certaine manière, rendu Kira plus aimable aux yeux de Charlotte.Intéressant. Décidément, les femmes étaient un mystère pour moi. Kira lança un regard complice àCharlotteetlaremerciapourcedélicieuxrepas.
– Veux-tu visiter le reste de la maison ? lui demandai-je en la tutoyant pour la première fois,essayantainsidescellernotretrêve.
Elle sembla surprisemais acceptad’unhochementde tête.Enquittant la table,Kira remerciadenouveauCharlottepourledîner.Celle-ciluiréponditparungrandsouriresincèrequ’ellen’adressaqu’àelle.
J’accompagnaiKiradanslevestibuleprincipaletlavisitecommença.–Monpèreaconçucetendroitpourimiterunchâteaufrançais.Enentrantdanslesalonderéception,Kirasecoualatête.–Çayressemblevraiment!Çamefaitpenseràunchâteaudecontedefées,àpluspetiteéchelle.Et
puisilyaquelquechose…d’enchanteur.Ellefutencoreplussurpriseenvoyantlagrandefenêtrequidonnaitsurl’autreailedelapropriété.
Lapiscineétaitjusteendessous,aupieddequelquesmarches,dominantunpatioenpierrenaturelle.Satêteinclinéem’indiquaqu’elleadmiraitledédaledehaiesdanslacontinuitédelaterrasse.
–C’estunlabyrinthe!s’écria-t-elle,surexcitée.Etilestimmense!Jeserrailamâchoirecommejelefaisaisàchaquefoisquejeregardaiscetendroitdétestable.–C’estcomplètementàl’abandon.Sij’avaiseudel’argentàmonretour,jel’auraisfaitarracher.–Oh pourquoi ? s’exclama-t-elle. C’est incroyable ! Est-ce que je pourrais y aller de temps en
temps?–Non.Absolumentpas.J’adouciscependantunpeumavoixpourcontinuer:–C’estdangereux.Elle ne savait pas pourquoi je détestais ce labyrinthe et elle ne le saurait jamais,mais c’était la
vérité–ilétaittropmalentretenupourêtreunendroitsûr.Sesyeuxbrillantsetinquisiteursm’observaient.Jepouvaislessentirsondermonvisage.Quandje
laregardai,ellehaussaunsourcilfin.–C’estlecœurdetatanière,j’imagine?Ellem’offritunsourireirrésistible.–L’endroitoùtuas…éclos?Jeplissai lesyeux, tentantde la fusillerduregard.Mais jesavaisqu’elleplaisantaitet jenepus
retenirunsourire.Jememismêmeàriredoucement.–Peut-être.Jelevaiàmontourunsourcil.–Mais,plussérieusement,net’enapprochepas.Kiradétournafinalementlesyeuxethaussalesépaules–Ehbien,d’accord,c’esttamaison.Je l’emmenaialorsvisiter leschambresuneàune,guettant sa réaction.Cettemaisonavaitétéun
joyauensontemps,maisellemontraitdésormaisdessignesdenégligenceévidents.Charlotte ne pouvait pas se démultiplier et elle avait dumal à conserver la demeure dans l’état
impeccableoùelleavaitétéautrefois.Quandj’expliquaicelaàKira,ellemeregardaetdit:–Tuaseuuneenfanceprivilégiée.Jecomprislesous-entendu:j’avaisagicommesielleétaitlaseuleàavoirconnuleluxe.–Leprivilègen’estpasseulementdéfiniparlarichessematérielle,Kira.J’aigrandidansunebelle
maisonavecbeaucoupd’employés,maisjepeuxt’assurerquejen’aijamaiseuunevieprivilégiée.Parexemple,jen’aijamaiseudeparents.
Ellepenchalatête,déconcertée.–Queveux-tudireparlà,Grayson?Jemereprisimmédiatement.–Lesdétailsdemonarbregénéalogiquen’ontaucuneimportance.Jemecontenteraidedirequeje
suishabituéàtravaillerdur,etjenegaspilleraipasundollardel’argentquetum’offresgénéreusement.En fait, je considère que tu me fais un prêt. Une fois que le vignoble fera des bénéfices, je terembourserai.
Elleneréagitpastoutdesuite,puisfinitparhocherlatête.–Nousn’avonspasbesoindemettreçadansledossier,maistudevraischoisir…Elles’interrompit,etbalayadélicatementl’airdelamain,commepourmedirequejepouvaisfaire
cequejevoulaisàcesujet.Intéressant.Jenesavaispastropquoipenserdesaréponse.Entraversantlecouloirdel’étage,Kiras’arrêtadevantlaphotodemonpèreetdemabelle-mère.–Ilssontdécédéstouslesdeux?demanda-t-elleàvoixbasse.Jesecouainégativementlatête.–Monpèreseulement.Mabelle-mèrevitàSanFrancisco.Ellesetournadoucementversmoi.–N’a-t-elleaucuneenvied’aiderlevignoblequesonmariaimaittant,oubienn’ena-t-ellepasles
moyens?–Elleesttrèsriche.Maismonpèrem’aléguécevignoble,etilesthorsdequestionquejedemande
àmabelle-mèreunseulcentimedel’argentquemonpèreluialaissé.Nousn’avonsaucunerelationetnousn’enn’avonsjamaiseu.«Pourquoidevrais-je tesupporteralorsquetapropremèrenevoulaitmême pas entendre parler de toi ? » J’avais douze ans quand elle m’avait posé cette question. Jepouvaisencoreentendrecettephraseglacialerésonnerdansmatête.
– Je préférerais… oui, je préférerais épouser une étrangère pour de l’argent plutôt que de luidemanderunprêt.
Jeluiadressaiunsourireironiqueauquelelleneréponditpas.–De toute façon, c’est àmon père que j’ai fait cette promesse.C’est àmoi et àmoi seul de la
respecter.Ellemeregarda,latêtedenouveaupenchée.–Jeconnais l’importanced’unepromesse,Grayson.J’enaifaitaussi.J’ai jurédeneplusjamais
dépendredemonpère.Ellesetournaverslaphoto,etlaregardaencorequelquesminutes.–Tudoisressembleràtamère,dit-elleenremarquantévidemmentlacouleurtrèspâledescheveux
demonpère.–Oui,augranddésarroidetoutlemonde,répondis-je.Ellemejetaunbrefregardsansrelevermon
énigmatiqueremarque.Jenesaispaspourquoij’avaisditça.Jenevoulaispourtantpasqu’ellemequestionnesurmavie.Elle se rapprocha encore dumur de photos. J’en profitai pour détailler son profil, son petit nez
droit, lacourbedoucedesamâchoire, sesépaiscilsduveteuxet recourbés, ses longscheveuxsoyeuxencadrantsonvisageetcascadantdanssondos.
–Tuasunfrère?demanda-t-elle,enregardantlaphotooùjeposaisavecShane.–Oui.–Ilhabiteprèsd’ici?–Non,ilhabiteàSanDiego.–Vousêtesproches?
–Jeneluiaipasparlédepuisplusdecinqans.Ellesetournaànouveauversmoi.–Pardon,jesuisvraimentdésolée.– Ne le sois pas, répliquai-je sèchement, l’emmenant plus loin avant qu’elle ne pose d’autres
questions indiscrètes. Jeme sentaisdéjà trèsmal à l’aise.Mais jenepouvaispas lui reprocher, cettevisitedeslieuxétaitmonidée.
–JevaistelaisseravecCharlotte,ellet’installeradansunechambre.Quantàmoi,jesors,ajoutai-je,dédaigneux,endescendantl’escalier.
Pendantuninstant,elleeutl’airinterloqué.–Ah,d’accord.Danscecas,merci,etbonnesoirée.Jecommençaisàm’éloignerquandjel’entendisfredonner.Jerevinssurmespas.–C’estlachansondePuffledragonmagique 1,non?Elleclignadesyeux,feignantl’innocence.–Est-cequec’estlenomdecettechanson?Jen’aijamaissuquelétaitletitreexact,niquivivaità
Honalicommeledisentlesparoles,j’aijusteretenulamélodie.Elle haussa les épaules. Je la fixai pendant un long moment. Elle soutint mon regard, son petit
mentonpointéversmoi.L’électricitécrépitaitdansl’airetj’avaislachairdepoule.Finalement,unefoissonpetitjeuterminé,jepartis,lalaissantseuledanslehalld’entrée.
1.PufftheMagicDragonestunechansonpopulariséeparungroupeaméricain,Peter,PaulandMary,en1963.
CHAPITRE5
KIRAMonDieu, ce dragon soufflait le chaud et le froid, comme tous ces reptiles avaient, je suppose,
tendance à le faire. Je préférais presque les flammes qu’il m’avait crachées au visage à son attitudeglaciale lorsqu’il abordait certains sujets,ouqu’ilme regardait avecmépris. Jene saispaspourquoi,maisj’étaissûrequesafroideurn’étaitqu’unmasque.Aufond,ilavaittoutdudragon.Lachaleuràpeinecontenue.Etlapassionprobablementaussi.Jefrissonnai.JenedevaispaspenseràGraysonHawthornencestermes.Jen’ygagneraisrien,etrisqueraismêmedemebrûlerlesailes.Ilmel’avaitbienexpliqué,jen’étaispassongenre.
Jeprisuneprofondeinspiration,mesyeuxs’attardantsurlesmotsgravésdanslapierre,enlettresanciennes,au-dessusdelaporte:InVinoVeritas.Ilfaudraitquejecherchecequecelasignifiait.
JeretournaiàlacuisineoùjetrouvaiCharlotte,quinettoyaittoujourslesplansdetravail.Ellelevalesyeux,etmefitunsourirebienpluschaleureuxqueceuxqu’elleavaitpumefaireavant.
–Voulez-vousuncafé?–Oui,avecplaisir,répondis-jeensouriantàmontour.Maisseulementsivousenprenezunavec
moi!Charlotte hésita,mais finit par accepter. Jem’assis sur undes tabourets dubar.Elle servit deux
tasses,enplaçaunedevantmoiavecunpeudelaitetdusucre,posaunplatàtarteetdeuxassiettesavecdescouvertsàcôtéd’elle,ets’installaavecsonpropremug.
–Graysonestsorti,dis-jeentredeuxgorgéesdecafé.Ellepinçaleslèvres.–Oui,j’aicrucomprendre.Tartecaramelaubeurresalé?Ellecoupauneénormepart,etlaposasuruneassiette.–Oh…Bon,d’accord.J’hésitaispourtant,jusqu’àcequ’ellefasseglisserl’assiettesousmonnez,lesodeursdélicieusesde
carameletdecrèmefraîchemêléeschatouillantmonodorat.– Je sais que cette situation peut probablement sembler… Je tentai de trouver un autremot que
ridicule,inavouable,catastrophique.Immorale.–Singulière.
C’estlemotquejeprononçaifinalement.–Oui,eneffet,dit-elleensecoupantunepartdetarte.Ellemesourit,mêmesielleapprouvaitmonchoixdemot.–J’espéraismieuxpourGray.Cen’estpascontrevous,voussemblezêtreunefillepleined’esprit.
C’estjustequej’auraispréféré,évidemment,qu’ilfasseunmariaged’amour.–Biensûr.Jenepusm’empêcherderougir.Moiaussij’espéraismemarier,unjour,paramour.–Voustenezbeaucoupàlui.Jecroquaiunmorceaudetarte,lessaveurssucréesetsaléeséclatèrentdansmabouche.J’essayai
toutdemêmedem’empêcherdegémirdeplaisir.Elleacquiesça.–JetravailleicidepuisqueGrayaétélaissélàpourlapremièrefois…Puisellesemblasereprendreetpoursuivit:–Jeveuxdire,depuisqueGrayestvenuhabiterici.J’auraisvoululuiposerd’autresquestions,luidemandercequ’elleavaitvouludirepar«laissé»,
mais jem’abstins. C’était la première fois que j’avais une conversation avec elle, je ne voulais pasqu’ellemeprennepourunefouineuse.
–Mais, évidemment, continua-t-elle, je comprends pourquoi votre offre est très séduisante pourGrayson.Il…
Ellesecouadenouveaulatêted’unairtrèstriste:–Ilestprêtàtoutpourretrouverlevignoblequ’ilaconnuautrefois.–C’estl’héritagedesafamille,jepeuxcomprendre.Ellehochalatête,sesyeuxcroisèrentlesmiens.Sessouvenirssemblaientvenirdetrèsloin.–Etpourvousalors?N’yavait-ilaucuneautreoption?–Celle-cisembleêtrelameilleurepourlemoment,dis-jecalmement.Jenesaispourquelleraison,jemesentaishonteusedevantlevisagesidouxdecettefemmed’âge
mûr,quiparlaitavecuncharmantaccentanglaisetmeregardaitgentiment.–Graynevousa-t-ilpasparlédemasituation?–Ilm’enadonnélesgrandeslignes.Ellemeregardafixementuninstant,commesiellemejaugeait.–Toutcequejeveuxdire,c’estquecettedécisionpeutavoirplusderépercussionsquevousnele
pensez.Jevousimplorederéfléchiravantdenepluspouvoirfairemachinearrière.–Jecomprendscequevousvoulezdire,Charlotte,etj’apprécievosconseils,mais…–Vousavezprisvotredécision.–Oui,eneffet.J’espèrequevousarriverezàmecomprendre.–Alors,dit-elle,c’estcommeça.Jebaissailesyeux,fixantmapartdegâteaudéjàbienentamée,nesachantpaspourquoij’attachais
tantd’importanceàl’avisdecettefemme.Ellerepritaussitôtlaparoleavantquejenepuissedirequoi
quecesoit.–Etpeut-êtrequevousluiferezdubienfinalement.Jedoisavouerquejen’avaispasvuautantde
viedanssesyeuxdepuis…Disons,depuisbientroplongtemps.– Hum… grommelai-je en buvant une autre gorgée de café, ne sachant pas comment prendre ce
qu’ellevenaitdedire.Celasignifiaitprobablementque,bienquenousnenousfréquentionsquedepuisquelquesheures,
nousconnaissionsdéjà lespiresaspectsdenospersonnalités respectives.Je finiscequi restaitdematarte.
–Ah,Charlottependantque j’ypense, est-ceque jepeuxvousdemanderdesdraps?Et j’auraisaussibesoindecouverturesetd’unoreillerpourfairemonlitdanslepetitcottage.
Charlottemeregardabizarrement.– Vous voulez dire le cabanon du jardinier ? Il ne sert qu’à entreposer du matériel depuis des
décennies.Vousnepouvezpasydormir!Grayplaisantaitquandilvousainstallélà-bas.Jefinismatassedecafé.–Peut-être,maisjel’aimebien.Etc’estmonchez-moi.Jenedérangeraipersonnecommeça.–Jenepeuxpasacceptercela,réponditCharlotte,l’aircontrarié.Jen’aimedéjàpascetteidéede
mariageentreGrayetvous,maisilesthorsdequestionquejevouslaisseemménagerdansunecabanecrasseuse,infestéed’araignées.
J’éclataiderire.–Vousvoussouvenezquandj’aiparlédel’Afrique?J’yaivécuunan.J’enreviensàpeine.Cela
faitmoinsd’unesemainepourêtreprécise.Etcroyez-moi,lesinsectesquej’aicroiséslà-basferaientsecacherlesaraignéesd’ici!Jepensevraimentpouvoirgéreruneoudeuxpetitesbestiolesàhuitpattes.Etunlitavecdesdrapspropres,c’estuncranau-dessusdumatelasposéàmêmelesolenterrebattuesurlequelj’avaisl’habitudededormir.
–Quefaisiez-vousenAfrique?Jemecachais,jefuyais,j’étaisenexil.–J’aidaisunamiàconstruireunhôpital.J’aisouri,etc’étaitlepremiersourirevraimentauthentiquedepuismonretouràSanFrancisco.–Ilaideénormémentdefemmesetd’enfants.Unjourjevousraconteraitout.Charlottemecaressalamain,sonregardétaitbienmoinsméfiantqu’auparavant.–Bienvolontiers.
***
Une heure plus tard, j’avais fini de nettoyer la chambre à coucher du cottage grâce au balai queCharlottem’avait fourni. J’avais récuré soigneusement le sommier enmétal, et installé lematelas queWalteravaittransporté.QuandCharlottem’apportalescouvertures,elleregardalapièceavechorreur,meproposantànouveaudem’installerdanslamaison,puisellefilaaussivitequepossible.
Jem’attaquerais à la salle de bains dans lamatinée. Pour l’instant, je fis couler l’eau glacée durobinetpourmelaverlevisageetmebrosserlesdents.
Je jetai un coup d’œil derrière le rideau de douche moisi, et grimaçai en voyant l’installationrouillée,lacouchedecrassesurlesoletlesépaissestoilesd’araignéesquicouvraientlesmurs.Beurk!
Commec’étaitlafindel’été,lessoiréesétaientunpeuplusfraîches,maisj’ouvristoutdemêmelesfenêtres.Labriselégèreentra,portantuntrèslégerparfumderosesetdeglycine,dissipantl’odeurdepoussièreetd’huiledemoteur.
Mêmesicen’étaitpasgrand-chose,lelitétaitconfortable.Jem’enfouissouslescouverturesavecmon téléphone, et j’envoyai un court texto àKimberly. Je n’entrai pas dans les détails, car je voulaisattendrequenousayons rencontréMonsieurHartmann, lenotairedemamie.Je lui raconterais toutunefois que ce serait signé, et pas avant, sans quoi elle essayerait de me faire parler. Et Dieu sait queKimberlysavaitêtrepersuasive!Ellemeferaitprobablementdouterdetoutcequej’avaisdéjàaccepté,etjenepouvaispasmelepermettre.Vraimentpas.
J’avais quatremessages. Je respirai profondément, avant d’ouvrir le premier qui venait demonpère.
Kira. Je sais que tu étais làquand j’ai frappéà taporte, et je sais que tum’as entendu. J’aienvoyé James à ton appartement avec un double des clefs, et il m’a dit que tu avais l’air d’avoirdéménagé.Appelle-moiimmédiatement,etdis-moicequetuasl’intentiondefaire.NousdevonsnousréuniravecCooperetnousassurerquenousavonstouslemêmediscours.Merde,Kira,tunepeuxpastepermettrededisparaître,tulesaisbien.J’aibesoinquetusoisàmadisposition.Rienn’achangédepuistonséjourenAfrique?Visiblement,non…Appelle-moi!
Clic.Mesyeuxseremplirdelarmes.J’aibesoinquetusoisàmadisposition.Biensûr,papa.Parceque
c’estcequejesuispourtoi,uneesclaveàtonservice.Lesdeuxmessagessuivantsétaientdemonpère.Jelessupprimaisanslesécouter.Heureusement,
j’avais pensé à désactiver le GPS sur mon téléphone pour qu’il ne puisse pas me localiser. C’étaitcertainement comme ça qu’il avait su que j’étais àmon appartement en train de fairemes valises – àmoinsqu’ilaitdesespionsàsonservicedansl’immeuble,cequiétaittoutaussiprobable.
Le derniermessage était deCooper. J’appuyai pour l’écouter, enmemordant les lèvres presquejusqu’ausang.Ilfallaitquejeforcemoncorpsàsedétendre.
Salut,Kira–blanc–Bonsang, j’espérais trouverquelquechoseàdireaprèsavoirentendulebip.–grandsoupir–Tonpèrem’aditquetuétaisderetour.Kira,onabesoindeparler.Ondoitseparler.Écoute,j’avaisespéréquetuallaisdécrocher.Tun’asjamaisréponduàaucunedemeslettres,maiss’ilteplaît,appelle-moi.Tum’astellementmanqué.
ClicJet’aimanqué?Espèced’enfoiré.Les larmesroulaientsurmes joues,et j’enfouismonvisagedans l’oreillerenrepensantàce jour
horrible, à cette trahison terrible quim’avait brisée enmillemorceaux.Au choc subi, à l’humiliation
ressentieetdontilnerestaitaujourd’huiqueladouleur.Je finis par tomber dans un sommeil agité, dont je ne fus tirée que par le bruit d’un véhicule se
garantdansl’alléedegravier.Jemeredressai,àpeineréveillée.J’essayaidedistinguerquelquechosemaisilyavaittropdefeuillagedevantlafenêtreducottagepourapercevoirl’allée.J’entendisdespas,probablement ceux de Grayson qui sortait de son pick-up, et prenait la direction de la maison.Mespaupièreslourdesserefermèrent,etjesombraiànouveaudanslesommeil.
***
Lesoleilmatinalbrillaitàtraverslafenêtreouverte,diffusantunelumièrejaunecitronquifinitdedissipermes rêves. Jem’assis etm’étirai.Après avoir rapidement faitma toilette à l’eau glaciale dulavabo de la salle de bains, je nouai mes cheveux en chignon, puis j’enfilai un short en jean et undébardeurbleumarine.Jem’occuperaideladoucheplustard,etjemelaveraicetaprès-midiavantnotrerendez-vous.
Je pris la direction de lamaison.Le gravier crissait sousmes pas.Quand je frappai à la porte,Walterouvrit,levisagetoujoursaussiimpassible.
–MonsieurHawthornprendsonpetit-déjeunerdanslacuisine,annonça-t-il,trèsformel.–Merci,Walter.Jesouris,puismedirigeaiverslacuisine.Graysonétaitassisà lamêmeplacequ’iloccupaitaudîner,unmagazinedevinquelconqueposé
devantlui.Jeprismoiaussilesiègequej’avaisoccupélaveille,àl’autreboutdelatable.–Bonjour!lançaCharlotte,suruntonjoyeux.–Bonjour,dis-jeenfaisantunsignedetêteàGrayson.Ilyavaitfaceàmoidesœufs,dubacon,destoastsetdesgalettesdepommedeterre.Jemeservis
une belle assiette. Après plusieurs bouchées, je levai enfin les yeux et vis Grayson quime regardaitmanger.Surpris,ildétournaleregard.
–J’aibeaucoupdetravailaujourd’hui.Quelesttonprogramme?medemanda-t-il.Jefinisd’avalerlemorceaudetoastquejevenaisdemettredansmaboucheavantderépondre.–D’abordjevaisfaireunpeuplusdeménagedanslecabanon,puisjemesuisditquejepourrais
faireunebaladedanslapropriété,situn’yvoispasd’inconvénient.Ilsefigea.–Lacabanedujardinier?Tuveuxvraimentyrester?Enfin…C’étaituneblague,Kira.Jehaussailesépaules.–Jem’enfiche,c’estunendroitàmoi…Loindetoi…jenetedérangeraipascommeça.Cesera
commesijen’étaismêmepaslà.Jeluifisungrandsourire,qu’ilnemeretournapas.Graysonmeregardauneseconde,puisrepritmachinalementlalecturedesonmagazine.–Commetuvoudras.
Quelquesminutesplus tard,Graysonpritcongé,semblantun toutpetitpeumoinsglacial,etpartittravailler en m’informant qu’il me retrouverait devant la maison à quinze heures. Je finis mon petit-déjeunerpuisproposaiàCharlottede l’aiderànettoyer, cequ’elle refusa. Je luidemandaialors si jepouvaisemprunterdesproduitsménagers,etretournaidansmapetitemaison,lesbraschargés.
Jepassailesquatreheuresquisuivirentànettoyerdesdécenniesdesaleté.Danslapetitesalledebainsd’abord–unvestigedesannéessoixante-dixtrèsprobablement–,puisjem’attaquaiauxfenêtres,auxsolsetmêmeauxmursdelachambre.Pourl’entrée,jenepouvaispasfairegrand-choseétantdonnéqu’elleétaitrempliedematérieldejardinage.Jemecontentaidemefrayerunchemindansledésordreetd’enleverleplusgrosdestoilesd’araignées.Jepouvaisfermerlaportedecettepièceetvivredanslesdeuxautres,désormaispropres.
Jeneprisqu’uneseulepausepourmanger rapidementdans lamaison,Charlottem’ayant informéqueledéjeunerm’attendraitdanslacuisine.
Quandj’eneusfiniaveclecabanon,lesmusclesdemoncorpsmebrûlaient,maisj’étaisfièredurésultat:touteslespiècesétaientdésormaisimpeccables.Mamaisonpourlesprochainsmois!C’étaitloin d’être raffiné, mais le luxe nem’avait jamais rendue heureuse de toute façon. Non, j’aimais cetendroit parce que c’étaitmon petit espace.C’est là que j’avais atterri…Là où le chemin que j’avaischoisideprendrem’avaitconduit.
Lajournéeavaitétéchaude,mais,lecabanonétantombragéparlesarbres,maintenantquel’après-miditouchaitàsafin,latempératureavaitchuté.Aumomentdepassersousl’eauglacialedeladouche,jepoussaidepetitscrisendansantsurplacepouressayerdemeréchauffer.Jemelavailescheveuxetlecorps à la vitesse de l’éclair grâce aux articles de toilette que j’avais apportés. J’avais oublié dedemanderàCharlottedesserviettes,etenattendantd’enavoir,jemeséchaiavecuntee-shirt,puisenfilaides vêtements propres.Heureusement, il y avait un sèche-cheveux, qui en plus de remplir sa fonctionpremière,meservitderadiateur.Jeneprispaslapeinedem’attacherlescheveuxetleslaissailâchéssurmesépaules.
Dehors,lecielétaitd’unbleupâleserein,parsemédequelquesnuagesblancslégersetcotonneux.Jerestaideboutàadmirerlesvignesquiondulaientsurlescollines.Jenesavaispasgrand-chosesurleprocessus de vinification, mais j’espérais apprendre. Non pas que je prévoyais de rester ici trèslongtemps, mais je trouvais intéressant de m’informer sur cette pratique séculaire et qui était restéetraditionnelle.
Jemepromenaiderrièrelamaison,justepourvoirlelabyrinthedeplusprès.Unefoisdevantcetteénormeconstructionnaturelle,jevisquel’entréen’étaitpasfermée.Jem’aventuraialorsàl’intérieurenmarchantprudemment,danslebutd’exploreruneoudeuxalléespasplus.L’endroitétaitenvahiparunevégétationluxuriante,lessentiersétaientbienplusétroitsqu’ilsn’auraientdûl’être,lesolétaitrecouvertpardesplaquesdemauvaisesherbes.Pourtant,c’étaitmagnifique.Ilyfaisaitbienplusfrais,aumoinsunedizainededegrésdemoinsqu’à l’extérieur.Si j’avais lacertitudedepouvoir trouver lasortie, jeflâneraisdanscedédale indéfiniment. Jemedemandais s’ilyavaitquelquechoseaucentre.Pourquoi
Grayson voulait-il détruire quelque chose de si exceptionnel ? C’était grotesque. J’espèrais qu’ilchangeraitd’avisunefoisqu’ilauraitlesfondspourl’entretenir.
Jefisdemi-touravantd’êtrecomplètementperdue.Jecommençaiàdescendreunepetitecollineendirection d’une grande bâtisse en pierre que j’imaginais être l’endroit où le vin était fabriqué etentreposé. Il y avait quelques tracteurs et des camions stationnés devant, et je pouvais entendre lesmachinesfonctionneràl’intérieur.
Alors que je me rapprochais, je distinguai deux hommes debout près du bâtiment à côté d’untracteur,et,souscedernier,unepairedecuissesmuscléesdépassait.Undeshommesmesaluad’unsignede lamain, et je répondis de lamême façon. L’homme qui se trouvait sous le tracteur en sortit et sereleva.
Grayson.Moncœurs’arrêtanet.Ilétaittorsenu.Ilseredressacomplètementetattenditquejelesrejoigne.
J’avaisdéjà remarquéqu’il était trèsbienbâti, superbementproportionné,mais lavuede ses épauleslarges,desespectorauxparfaitementdessinéssurlapoitrine,desonabdomenplatetsculptémecoupalesouffleetmefit rougiraussitôt.Dieuqu’ilétaitbeau,massifmaisfin,sapeaulisseetbronzéebrillantsouslesoleil.C’étaitunmodèledevirilité,etjenepusmaîtriserlesréactionsdemoncorpsàsavue.Lesmusclesdemonventresecrispèrentinstantanément.Mauditdragon.
Graysonenlevalacasquettedebaseballqu’ilportait,lissasescheveuxenarrière,puislareplaçacommefontlesmecs.Luttantcontrelaréactiondemoncorps,j’envoyaiàGraysonmonsourirelepluséclatant.Ilmeprésentalesdeuxhommesaveclui,unHispaniqueavecunepetitemoustachequin’étaitpasbeaucoupplusgrandquemoinomméJosé,etungéantavecunsourire timide,Virgil.Je lessaluaitousdeuxetfisunsigneàGraysonquihochalatête.
–Letracteurestcassé?leurdemandai-je.–Non,réponditGrayson.D’ailleurs,c’estbienl’unedesseulesmachinesquinelesoitpas.J’étais
justeentraindeleréviseravantlarécolte.–Ettufaistouttoi-même,n’est-cepas?Pasétonnantquetutravaillesduleveraucoucherdusoleil.–Jen’aipaslechoix.Commetupeuxlevoir,monéquipeestassezréduite.Ildésignad’unsignedetêteJoséetVirgil.Celuiquis’appelaitVirgil,etquisemblaitêtrementalementretardé,s’avança.–Jesuisvraimentheureuxdevousrencontrer,Madame.MonsieurGraysonaditqu’ilsepourrait
qu’ilvousépouse,etjecroisquec’estunebonneidée.Ilditqu’ilnesaitpassivousêtesuneprincessepourriegâtéeouunepetitesorcière,maisjepensequesivousêtesunesorcière,vousêtesunegentillesorcière,carvousêtesvraimenttrèsjolie.
Ilrougitetbaissalesyeux.Àsesparoles,jemehérissai,etfisunsourirecrispéàGrayson,quieutlagrâcedeparaîtreunpeuembarrassé.Josétoussalégèrement,seretenantvisiblementderire.
–C’esttout?Qu’est-cequeMonsieurGraysonaditd’autreVirgil?Graysoneutunpetitriretendu.–Bon,assezbavardé.Nousdevrionsêtre…
– Il dit que la raison pour laquelle il vous aime c’est parce que vous avez un paquet d’argent,continuaVirgilquin’avaitpascomprislasituation.Moiaussi,jevaisavoiruntasd’argentunjourpourquelesgensm’aiment.
Sonfrontseplissaitàmesurequ’ilréfléchissait.–Bien sûr,mamandit que cequi compte, cen’est pas cequ’unepersonnea,mais comment elle
traitelesautres,alorsjenesaispas…Ilsegrattalanuque,l’airunpeuperdu.Josétournalestalons,unsourireamuséauxlèvres.Ilpassaitunbonmoment.–Ehbien,Virgil,sij’étaisvous,j’écouteraisdavantagevotremèrequeMonsieurGrayson.Je jetai un regard dégoûté à Grayson. Qu’est-ce qui lui avait pris de parler devant cet homme
innocent?Deplus,plusieurspersonnesétaientmaintenantaucourantdenotreaccord.N’avait-ilrienécoutéde
cequejeluiavaisditsurmonpère?Maconsternationn’avaitrienàvoiraveccequ’ilavaitditdemoi.Loindelà.Jesavaisquec’était
cequ’ilpensait.Iln’avaitpasbesoindem’aimer.Etilpouvaitcroirequej’étaisunesorcièresiçaluifaisaitplaisir.Jemefichaisdel’opiniond’undragon.
Graysonenlevasacasquette,pritletee-shirtquiétaitaccrochéàlapochearrièredesonpantalon,etl’enfila.Jepoussaiunsoupirdesoulagement.Lesreptilesnusmeperturbaient.
–Messieurs,ditGraysonenquittantJoséetVirgil.Jevousvoisdanslamatinée.Je souris auxdeuxhommesquinousobservaient, en les saluantd’undernier signede lamain. Il
m’attrapaparlecoudeetmetiraderrièrelui.JelevailesyeuxversGraysond’unairindifférent.Jenevoulaispasqu’ilpensequesonavissurmoiavaitlemoindreintérêt.J’avaisbesoindeluipouruneseuleetuniqueraison.
Graysonsemitàrire.–Allez, jevais te ramenerà lamaison.Etpuisnous ironsnousoccuperdesavoirsinousallons
nouspasserlacordeaucou,oupas.
CHAPITRE6
GRAYSONJeregardailafemmeassiseàcôtédemoi.Cellequiallaitêtremonépousedansquelquesjours.Ma
femme.Jesecouailatêtediscrètement,méduséparlesévénementsdesdernièresvingt-quatreheures.Cemariage n’était qu’un accord financier,mais tout demême. Qu’il soit truqué ou non, le fait était quej’allaisavoirunefemme.Quandj’étaisplusjeune,j’avaistoujourssupposéquejememarieraisunjour,jepensaismêmesavoiravecqui.J’avaisundésirsincèredefondermaproprefamille,devivrelegenrede vie rassurante dont j’avais toujours rêvé mais que je n’avais jamais eue. Et puis il y avait euVanessa…Et…disonsquelavieestpleinedesurprises.Etpastoujoursbonnes.
Elleseretournasursonsiègeensemordillantlalèvre.– Penses-tu que ce soit intelligent de dire à tes employés que notre mariage est une comédie ?
s’exclama-t-elle.Jet’aiprévenupourmonpère,etmoinslesgensserontaucourant,plus…–J’aiconfianceenJosé,c’estcommeunfrère.J’arrêtailavoituresurunparking.Impossiblederetenirlerirenerveuxquimontaitdansmagorge
enm’entendant dire ça. Personne ne savaitmieux quemoi que tous les frères n’étaient pas dignes deconfiance!
–OnpeutfaireconfianceàJosé,ajoutai-je.QuantàVirgil,jedoutequequiquecesoitprêteuneoreilleattentiveàcequ’ilraconte.
Kira, en ouvrant la portière, me lança un regard à la fois méprisant et nerveux. Je sortis de lavoiture.
–Entoutcas,ilsemblebiensavoiràquiilaàfaire,ajouta-t-elle.–Biensûr,delamêmemanièrequeleschiensetlesenfants.Etdanstouslescas,qu’ilssoientau
courantnem’inquiètepas.Quelqu’unmarchaitsurletrottoir.Instinctivement,jem’approchaid’elleetlafisreculerjusqu’àce
qu’elle soit bloquée contremon pick-up. Je vis alors la panique se peindre sur son visage. Je sourisquandnosdeuxcorpsfurentpressésl’uncontrel’autre.
–Qu’est-cequetufais?siffla-t-elle.–Jemontrepubliquementquenotrerelationestbienréelle,luiglissai-jeàl’oreille.Qu’est-ce qu’elle sentait bon ! Pas seulement bon, incroyablement bon. Son parfum était discret,
commeunebrisedefleurslointaines.Jen’avaispasidentifiécetteodeuravantquemonneznesepose
doucement contre sa peau. Je frottai mon visage dans son cou, inhalant profondément pour capterl’essence délivrée par la chaleur de sa peau contre lamienne. Elle était aussi raide qu’un piquet. Jem’éloignai.MonDieu,mêmesiçanefaisaitquedeuxjoursquej’avaisvuJade,«lacorbeilledefruits»,j’avaisbesoind’unefemme.
–Situveuxquenotremariagesoitcrédible,ilvafalloirquetuymettesplusdeconviction.Sinonlesgensvontpenserquejetebrutalise.
Jemeretournaietmeremisenmarche.Aprèsuneseconde,ellemerattrapa.Enjetantuncoupd’œildanssadirection,jeristantsesépaulesétaientrigidesetsonpetitmentonlevéhautversleciel.Pourquoiest-cequej’aimaistellementlataquiner?
MonsieurHartmann, lenotairede lagrand-mèredeKira, passa en revue les termesdu testamentavecnous.C’étaitsimple,dit-il.Lepaiementaurait lieudèsquenousluiaurionsapportéunecopiedenotreextraitdemariage.Kiraetmoiétionsassisl’unàcôtédel’autre,noustenantlamaincommedeuxtourtereaux,lachaleurdesapeaubrûlantlamienne.MonsieurHartmannsemblaenchantéquandilnousobserva.
–Tagrand-mèreétaitunefemmeremarquable,Kira.Elleseraitsiheureusedetevoiramoureuse.Kiragrimaçalégèrement,etseforçaàsourire.–Merci,elleauraitadoréGrayson.J’ensuissûre.–Jen’endoutepas.Etelleauraitététellementcontentedesavoiraussiquetuveuxvivreici.Elle
aimaitvraimentcetteville.–Oui,c’estvrai,ditKiraensouriantaffectueusement.Ilétaitévidentqu’elleavaitbeaucoupaimésagrand-mère.Laculpabilitémenoual’estomac,mais
jel’ignoraidumieuxquejepus.Aprèstout,c’étaitlechoixdeKira.Jenel’avaismêmepasconnue.Jenedevaisrienàcettedame,niàelleniàsonargent.
–Tusais,poursuivitMonsieurHartmann,tagrand-mèrecroyaitquesilesannéesetlamaturiténefaisaient pas de toi une personne plus consciente des besoins des autres, ou du moins d’un autre, lemariageleferaitcertainement.C’estlaraisonpourlaquelleelleamiscetteconditionàtonhéritage.Ellevoulaitqu’ilsoitbienutilisé,et,idéalement,aveclepartenairequetuauraischoisipourpartagertavie.
Ilfitunclind’œilàKira.–Jesuistellementheureuxquecesoittoncas.Kiraluisouritetopinaduchef,maisellenesemblaitpastrèsàl’aise.–Çafaitlongtempsquejen’aipasvutonpère.Commentva-t-il?demanda-il.Kirasemblaaccuserlecoup.–Ilvabien,MonsieurHartmann,répondit-elle.Puis,aprèsunsilenceellereprit:jeneluiaipas
encoreditpourGrayson…Ceseraitgentilàvousdenepasluienparleravantquejepuisseluiannoncer.MonsieurHartmannfronçalessourcils,maisrépondit:–Biensûr.Une fois le rendez-vous terminé, nousnous assîmesdansmonpick-upet je contactai l’avocatde
Napaquiavaitsuivilesaffairesdemonpèrependantdesannées.Jepensaisqu’ilpourraitmerecevoir
rapidementetj’avaisraison.Lerendez-vousfutfixéaulendemain.C’étaitvertigineux.Toutçasedéroulaittellementrapidement,etc’estcequej’avaisvoulu.Encore
unefois,plusvitecemariagecommencerait,plusviteKirapourraitpartir.–SiMaîtreKohlerpouvaitrédigerlecontratdanslasemaine,nouspourrionsnousmariervendredi
prochain,dis-jeàKirasurlecheminduretour.–D’accord,répondit-elletranquillement.–Jevaisprendrerendez-vousalors.Nousauronsbesoind’unentretienpréalableàlamairie,puis
d’unautrepourlacérémonie.JevaisregardersurlesiteInternet.–D’accord.Elle tira sa jupe pudiquement etmes yeux se posèrent sur ses jambes nues. Elles étaient belles.
Élancéesetfines.Legenredejambesqu’unhommevoudraitavoirautourdeluiquandil…Jeserrailamâchoire,chassantimmédiatementcespensées.Jeprisalorsconsciencedesonsilence,
etjedemandai:–Tuhésitesencore?–Non!Non,c’estbien.C’estrapide,maisçavaaller.– Plus vite onmet tout en place, plus vite on sera débarrassés, dis-je, exprimant la pensée que
j’avaiseueplusd’unefois.–Ouic’estvrai.Ellemefitunpetitsourireencoin.Jen’avaistoujourspasvusafossette.Peut-êtrequejel’avais
rêvéesurl’écrandemonordinateur.Jel’observaifurtivementprendreseslongscheveuxdanssesmainsetlesattacherenchignonavec
unélastiquequ’elleavait trouvédanssonsac.Desmèchesondulées tombaientautourdesonvisage,àl’endroit où elles semblaient toujours se placer quand ses cheveux étaient relevés. Ils étaientapparemment trop soyeux pour rester attachées toute la journée. Je me demandai ce que je pourraisressentirsij’enroulaisunedesesmèchesautourdemonpoing.
Putain!Maisarrêtedepenseràça!C’étaitunvraimystère.Unejolieprincesseavecletempéramentvolcaniqued’unepetitesorcière.
J’aimaisbeaucoupallumerlefeudanscesdeuxprunellesvertescristallines.Jemedemandaiscommentelleseraitaulit.Unepetiteséductricesexyqui…
Enme garant devant la maison du jardinier, je serrai les dents, frustré. Elle m’avait surpris enfaisantlechoixderesterdanscetaudisinsalubre.N’ayantquedel’eaufroide,ellenes’étaitsûrementpasdouchée,pourtantelleavaitl’airfraîcheetpropre.Jegrimaçai.Ellenepouvaitvraimentpasresterlà.Çamedépassaitqu’elleveuilleypassercinqminutes,oupireencoreyhabiter.J’avaispassécinqansdansunepetitecelluledebéton,etjen’avaispourtantaucundésirdevivrelà-dedans.C’étaitd’ailleurspeut-êtrepourcetteraison.Jenesupportaispaslongtempslespetitsespaces.
Souvent, la nuit je me réveillais en nage à cause des cauchemars que je faisais depuis monincarcération. Je n’avais jamais parlé à personne de mon expérience, et je doutais le faire un jour.
Pendant quelques secondes, la solitude et la douleur,mes fidèles compagnes durant ces cinq longuesannées,m’assaillirent,etjesentisànouveaulepoidsdemeséchecspesersurmesépaules.
Jefermailesyeuxetchassaicesréminiscences,préférantconcentrermespenséessurKiraDallaire,etsurlefaitqu’ellehabitaitdanslaremisedemonjardinier.Jel’avaisvisiblementmaljugée,aumoinssurquelquespoints. Jemedemandaiquelsautressecrets j’auraisdécouvertssurellesi j’avaispris lapeinedecreuserplusprofondément.
Cequejen’avaispasfait.Pasdutout.Unefoislevéhiculeàl’arrêt,ellesautaàl’extérieuretrestaunmomentdevantlaportièreouverte.– Je serai prête pour notre rendez-vous demain matin, et ensuite, j’irai à San Francisco pour
m’occuperdequelquestrucs.Jem’absenteraitoutleweek-end.J’acquiesçai.Celameconvenaitparfaitement.Jepensaialorsqu’ilfallaitbienqu’ellesedoucheà
unmomentouàunautre.Moinsjelaverraisavantnotremariage,mieuxceserait.Celam’éviteraitd’ypenser.
–D’accord,rejoins-moidehorsàonzeheures.Elle hocha la tête, ferma la portière et s’éloigna à travers le feuillage. Je restai assis là pendant
quelquesminutes,enpleinquestionnementintérieur.Cen’étaitvraimentpastopdelalaisservivrelà.Enmêmetempsc’étaitsonchoix.Peut-êtrequ’unedosedegalèreferaitdubienàlaprincesse.Oubienétait-ceparcequelessorcièrespréféraientlespetitesmaisonsdanslesbois?Cetteréflexionmefitriremoi-même.
***
Lerendez-vousavecMaîtreKohlerfutsimpleetrapide.Nousn’avionspasvoulurédigeruncontratdemariageendétail,pourlecasoùnousserions«amenés»àdivorcer,maisnousavionsindiquéquechacundenouspartiraitaveccequ’ilavaitaudépart.Lecontratétaitextrêmementsimpleetnousavionsconvenud’unrendez-vouslejeudisuivantafindesignerlesdocuments.Après,nousenaurionsfiniaveclesformalitésadministrativesdenotremariage.J’avaisprisrendez-vousàlamairielevendredimatin,àdix heures. La seule chose qu’il nous restait à faire était de nous présenter. Jeme sentais légèrementnauséeux.EtvuleteintverdâtredeKira,c’étaitaussisoncas.
Jeladéposaiaucottageetluidisqu’onseverraitlundi.Elles’éloignasansunregard.Elleavaitétési silencieuse après notre rendez-vous que j’en venais à me demander si elle reviendrait de SanFrancisco.Peut-êtrequeceseraitmieuxainsi.Maiscen’étaitpascequejevoulais.Pourlapremièrefoisdepuisunan,jevoulaisqueletempspasseplusvite.
J’allais consulter la liste deWalter à proposdumatériel à réparer ou à remplacer. J’en eusdespapillonsdansleventre.Bientôt, jepourraislalireetrayeruneàunelestâcheseffectuées.Latensiondansmesépaulesavaitdisparu,etj’avaisfinalementlaisséunsouffled’espoirm’envahir.Lepouvoirdece dernier avait permis à mon cœur de battre sauvagement. Quand est-ce que j’avais éprouvé cettesensationpourladernièrefois?Impossibledem’ensouvenir.
–Jenetelaisseraipastomber,jurai-jepourlacentièmefoisenm’adressantàmonpère.Tuserasfierdemoi,jetelepromets.
Ilfallaitquejemepersuadequ’ilmevoyait,qu’illesaurait.C’étaitcequimemaintenaitenvie.Jepassaileweek-endàtravailleravecuneardeurrenouvelée.Ilallaityavoirbeaucoupdeboulot,
malgrélesrentréesd’argentàvenir.Etj’avaisencoreunmaigreeffectif.Ilfaudraitquej’embauchedeuxpersonnesdeplusdèsquej’auraislechèqueenmain,oudèsquej’auraislacertitudequ’ilallaitarriver.
Quandjerevinsàlamaisondimanchesoir,jemesuissouvenudelabouteilledeVosne-Romanéequej’avaisdemandéàWalterdemonter.Lahonteetlesremordsm’avaientdévoréquand,pourrenflouermes finances, j’avaisenvisagédevendrecequiavaitété la fiertédemonpère : sacollectiondevinsrares.Lesimplefaitd’yavoirpenséétaitdéjàunetrahison.J’essaie.J’essaiesifortdesauvertoutcequit’étaitprécieux.
Lesoulagementdenepasavoirà lesvendreétait immense.Lasensationd’avoir réussi–encorequelquechosequinem’étaitpasarrivédepuislongtemps–m’envahit.
QuandjevisWalter,jeluidemandaideremettrelabouteilledanslacaveoùelleétaitconservée.–Oui,Monsieur.Jeleferaicettesemaine.–Merci.–Etpuis-jevousadressertousmesvœuxdebonheurpourvotre…mariage,Monsieur?Walteravaitprononcélemot«mariage»avectoutleméprisdontilétaitcapable.Et,venantdelui,
cen’étaitpasrien.–Non,Walter.Jevissalèvretremblerlégèrement–Trèsbien,Monsieur.Jevoussouhaitetoutdemêmelemeilleur.Mamèreavaitl’habitudededire
quelemariageressemblebeaucoupauvin.Ilsarriventtousdeuxlentementàmaturité,etdeviennentplusintensesetcomplexesavecletemps.
Jemetournaiverslui.–Walter, jepenseque tusaisaussibienquemoiquemonmariagen’aurapas le tempsdemûrir.
C’estprovisoire,uniquementpourdesraisonsquenousqualifieronsdeprofessionnelles.–Sivousledites,Monsieur.Jem’arrêtai,lessourcilsfroncés.–Ouijeledis.–Trèsbien,Monsieur.Je le fusillai du regard et me dirigeai vers les escaliers avant qu’il ne réussisse à vraiment
m’énerver.Iltrouvaittoujourslemoyendemedonnerl’impressionquej’avaisànouveaudouzeans.Etilavait une façon de me faire me remettre en question avec ses « Oui, Monsieur, Non, Monsieur ».Insolent!Jelevireraiundecesjours.Etsansindemnité.
Jeprismondînerseul,medemandantquandKirarentrerait.Jeneluiavaispasposédequestionssursonvoyage.Jenevoulaispasinstaurerunerelationentrenousoùnouspourrionssurveillerlesalléeset venues de chacun. Je ne voulais pas qu’elle pense qu’elle pouvait se le permettre avecmoi.Mais
bon… si elle avait changé d’avis… Je préférais le savoir maintenant plutôt que d’attendre qu’ellem’appellecommeunefleuraprèsn’êtrepasrentréedelasemaine.
Àcontrecœur, je prismon téléphone et composai sonnumérodeportable, que je n’avais appeléqu’une seule fois enallantdans sa chambred’hôtel. Je réfléchis à ceque jepourrais lui écrire. Jenevoulaispasqu’elleaitl’impressionquejelasurveillais.
Grayson:Est-cequejedoisdemanderàCharlottedetegarderuneassietteauchaud?Quelquesminutesplustard,montéléphonebipa.Kira:C’estgentil,maisnon,merci.Jemerenfrognai.Est-cequ’elleétaitbêteoubienellelefaisaitexprès?Grayson : Très bien alors je vais demander à Charlotte de te préparer le couvert pour le petit-
déjeuner.Kira:Nonplus,ceneserapasnécessaire.Jeteremercie.Jegrognaisurletéléphone,frappantlespetiteslettresduclavier.Grayson:Merde,Kira,tureviensoupas?Auboutdequelquesminutes,jesentisuneétrangepaniquem’envahir.Kira:Oui,jeseraideretourdemainaprès-midi.Jetemanque?Jepoussaiunsoupirdesoulagement.Grayson:Non.Bonnenuit.Petitesorcière.
CHAPITRE7
KIRAJefranchis lesgrillesde lapropriétédesHawthornà16heures,sous lechaudsoleildecette fin
d’après-midi.J’avaispasséleweek-endavecKimberly,luifaisantlecompterendudetoutcequis’étaitpasséavecGraysonHawthorndepuisnotredernièrediscussion.
Audébut,ellerefusademeparler,puis,pendantquinzeminutes,ellepiquaunecrisedecolère,mesortantdestiradesenespagnolquej’encaissai,assisesurlecanapéfaceàelle,lesbrascroiséscommeunenfantdiscipliné.Ellemerappelaaumoinsvingtexemplesde«TrèsMauvaisesIdées»quiavaientfinidemanièrecatastrophique.
Quandellerepritunpeusoncalmepourdiscuterpresquesereinementet,surtout,quandellecompritquejen’allaispasfairemachinearrière,ellemepritdanssesbrasetmeditqu’ellem’aiderait.C’étaitsouvent comme ça avec Kimberly. Je savais qu’il fallait que j’attende qu’elle se calme. Et elle meconnaissaitassezpournepasignorerqu’unefoisquej’avaiseuune«TrèsMauvaiseIdée»,ilyavaitpeudechancequejechanged’avis.Lefaitqu’elleaitpiquéunecolèreluidonnaitl’impressiond’avoirfait sondevoir. Je la laissais faire.Au fond, c’étaitune façondememontrer sonamour.Ellem’avaitbeaucoupmanqué.Elle avait toujours été gentille avecmoi, et c’était elle quim’aidait à ne pas fairen’importequoi.
Jefiségalementunerapidevisiteaucentred’accueiloùj’avaispassébeaucoupdetemps.Jeleurgarantisquej’allaisrecevoirungroshéritagequileurpermettraitdetenirlessixprochainsmois,jusqu’àcequ’unedeleursplusimportantessubventionssoitversée.
J’auraisaimépouvoirresterunpeupluslongtempsaveccesgensquej’adoraisetquejen’avaispasvusdepuissilongtemps.Jeleurpromis–ainsiqu’àmoi-même–quejeseraisderetourtrèsbientôt.
ÊtreloinduDragonpendantquelquesjoursm’avaitpermisderemettreleschosesenperspective.Jerevenaisàlapropriétéavecplusd’assurance.Ceplanallaitmarcher.Toutétaitmaintenantplusclair,etj’avaistendanceàpenserque,lorsquejeressentaisça,c’estquej’étaissurlabonnevoie.
Dansquelquesjours,nousserionsmariés,j’auraisl’argentdemamie,etjeseraissurlepointd’êtreindépendante.Jepourraisdéciderdecequejevoudraisfairedemavie.Jeseraisenfinlibre.
Bizarrement,mapetitemaisonm’avaitmanqué.Aprèsavoirouvertlesfenêtresetmismavaliseaupied du lit, je m’allongeai et souris en regardant le plafond sale et écaillé. J’enroulai unemèche decheveuxsurmesdoigts,etfredonnailadernièrechansonquej’avaisentendudanslavoiture.
J’entendisau loin lebruitd’unvéhicule, trèsprobablementun tracteur,et lesvocalisesstridentesdesoiseauxdans lesbranches.Quandj’auraisdéménagé, jemetrouveraisunpetitendroitsemblableàcelui-ci,quelquepartdanslaNapaValley.Unendroitsimple.Unendroitoùjepourraisêtremoi-même.Oùjepourraistrouverlebonheur.Jem’assisensoupirant,sortismesvêtementsetdéballailesnouvellesserviettesmoelleusesquej’avaisachetéesàSanFrancisco.
Après avoir cherchéma trousse de toilette dansmavalise, je pris la direction de la douche.Unhommeétaitjustedevantlaporte.J’eustellementpeurquejelâchailesproduitsdetoiletteetpoussaiuncriaigüdignedupluseffrayantfilmd’horreur.
–Oh, oh, ditGrayson, en s’avançant versmoi, lesmains en l’air comme pour signifier « Jemerends»,afindemecalmerj’imagine.
Sesyeuxétaient écarquillésde surprise, et je nepusm’empêcherde remarquerqu’ils balayaientmoncorpsdehautenbas.
–OhmonDieu!criai-jeenmerendantcomptequej’étaisnuecommeunver.Je cherchaiquelque chosepourmecacher, et attrapai finalement la chemiseposée surmavalise
ouverteenessayantdemecouvrirautantquepossible.Graysonfitvolte-faceetsortitprécipitamment.Jemerecroquevillaiaupieddulit,monvisageétaitécarlate,mesjambestremblaient.–Tunefrappesjamais?–Tun’as rienque je n’ai déjàvu auparavant, entendis-je alors unpeu fort de l’autre côtéde la
fenêtreouvertetandisqu’ils’éloignaitdemamaison.Jecroisbienquej’airéponduengrognant.Trèsgênée,jemejetaisousladouche,ronchonnantencorecontrelesvoyeursirrespectueux.Rienqu’iln’avaitdéjàvu.Pouah!Salebêtepleined’écailles!Aprèsm’êtrefrottée tellementénergiquementquemapeauenétait irritée, j’enfilaidesvêtements,
mefisunchignonavecmescheveuxmouillésetmedirigeaiverslamaisonprincipale.Charlottemesaluagentimentàmonarrivéedanslacuisine.–Est-cequeGraysonestdanslesparages?demandai-je,enessayantdedissimulerletremblement
dansmavoix.–Il…–Jesuislà,entendis-jederrièremoi.Jemeretournai,leregardnoir.–Puis-jeteparlerenprivé?Ilplissalesyeux,maisnebougeapasd’unpouceignorantapparemmentmarequête,ounevoyant
pasd’objectionàcequeCharlottenousentende.Qu’est-cequeçapouvaitbienfaireaprèstout?Ellenousavaitdéjàentendusnousdisputeravant.Jecroisailesbras.–Tunepeuxpasdébarquerenterrainconquischezlesgenssansfrapper!–J’aifrappéàlaporte,répondit-il,l’airblasé,cequimefitencoredavantagebouillirderage.Etje
n’aipasdébarquécommeenterrainconquis.
IlsetournaversCharlotte:–Charlotte,est-cequetum’asdéjàvufaireça?–Non,jamais,c’estvrai,dit-elleenfronçantlessourcils.Vousn’êtespasunhommeàfaireça.Jefrissonnai.–Débarquerenterrainconquis,entrerensautillant,s’introduire!–Ensautillant?demandaGrayson,incrédule.Jen’aijamaisfaitça.Mêmepasàlasalledesport!
N’est-cepasCharlotte?Ellesecoualatête.–Non,pascelanonplus.Ellelevaundoigt,tournantsonattentionversmoi.–Jel’aivusauteràlacordeunefois,maisiln’étaitencorequ’unpetitgarçon…Jelevailesbras,irritéeparlestaquineriesdeGraysonetlesoutienqueluiapportaitCharlotte.–Tun’aspasfrappé,ou,situl’asfait,jenet’aipasdonnélapermissiond’entrer.Jen’aipaspule
fairepuisquej’étaisnue!Jerêvaisousespommettesavaientrosi?Charlottetoussota.–OhmonD…,l’entendis-jediredansunsoupir.–Oui,ehbien,touts’estpassétrèsvite.Jen’aipresquerienvu.J’aidéjàeffacécettevisiondemon
esprit.Jepeuxtelejurerlamainsurlecœur.Ildisaitcelacommesiçaavaitétéunevisionparticulièrementdésagréable.–Situasuncœur,cequiestdiscutable,marmonnai-jeentremesdents.Ilmeregardalesyeuxplissés.–C’étaitunaccident,Kira.Jesuisdésolé.Jen’aipascherchéàtevoirnue,jetelepromets.Çane
sereproduiraplus.Il se passa un doigt sous l’œil, comme pour empêcher un tic. Il parlait à nouveau d’un ton
indifférent.Jemeredressaifièrementenlevantlementon.Pourquoisaréactionmegênaittant?J’auraisvoulu
que Grayson, la langue pendue, les yeux exorbités, ait dû résister de toutes ses forces à ma follesensualité?Jesavais,pourtant,quej’étaisloind’êtresexy.Coopermel’avaitsuffisammentrépété.Lacolèrecommençait à retomberet je croisai lesbras commepourme réconforter. Jeprisuneprofondeinspiration.
–Bon,trèsbien,alorsqu’est-cequetuvoulais?Graysongardalesilenceuninstantpourm’observer.–J’aivutavoituregarée.Jevenaisjustetedirequenotrecontratdemariageseraitprêtmercredi.
J’aidoncavancénotremariageàjeudi,dit-ilavantdepoursuivre:àconditionquetusoisd’accord.–Ah…Ehbien…Oui,çameva.Moncœursemitàbattreplusvite.–D’accord.
Jemesentissoudaintrèsmal.Ilm’observaencorequelquesinstants,totalementsilencieux.–Alorsçayest,onfaitcommeça,marmonnai-je.Jevaisallerdînerenvillecesoir.Onsevoit
demain.Ilme fixa, l’air suspicieux,maisneditpasunmot. Jequittai rapidement lademeure,presqueen
courantjusqu’àmamaisondontjeclaquailaporteunefoisarrivée.
***
Nousnousévitâmespendantlesdeuxjoursquisuivirent.Oudumoins,c’estcequejepensaisquenousfaisions tous lesdeux.Jemetenaisà l’écart,et j’étaissûrequ’il faisait lamêmechose.Je levisplusieurs fois en passant, mais en dehors de ces moments, j’étais souvent seule. Je fis de longuespromenades dansNapa, ainsi que dans la propriétéHawthorn. Je lus beaucoup et j’aidai Charlotte àpréparerquelquesrepasqueGraysonnevenait jamaisprendre.J’appréciaidediscuteravecCharlotte.Elleétaitfacileàvivreetavaitlamêmeouvertured’espritquecelledemamie.Jelaconnaissaisàpeine,pourtant, elle semblait remplir le vide laissé par la disparition de ma grand-mère. Peu à peu, elledevenaitunefigurematernelle.
Le numéro de mon père s’était affiché plusieurs fois sur mon portable, mais je n’avais jamaisrépondu. Je finis par lui envoyer un texto pour lui dire que je prenais du temps pourmoi, et que jel’appelleraisbientôt.Jen’euspasderéponse.
Lemercredi,à11heures,Graysonetmoinousretrouvâmesdevantlamaisonprincipale,puisnousnous rendîmes en ville pour rencontrer son avocat.Nous avions renoncé à avoir chacun le nôtre pouréconomiser du temps et de l’argent.Aucun de nous deux ne parla sur le trajet. Il y avait une étrangetensionentrenousdepuis l’incident.J’avaisdumalàdéterminersic’étaitde lacolèreoude lagêne ;peut-êtreétait-celesdeux?
Cequiestsûr,c’estquepourmapartj’étaisencolèreetgênée.Maislui,pourquoiavait-ill’airsifurieux?Aucuneidée.Oualors,peut-êtrequej’interprétaismalsesexpressions.Jeneleconnaissaispastrèsbien.Etilyavaitpeudechancequeçachange.
Nousétionsenavancepournotrerendez-vous,jeluidemandaisiçaneledérangeaitpasquej’aillefaireuntourchezunpetitcavistedanslarue.JevoulaisacheterquelquechoseàCharlotte.Elleavaittoutfaitpourm’intégrerdanslamaisondeGrayson,allantbienau-delàdesonrôlesachantqu’unefemmedeménage aurait simplement fait son travail. Je voulais lui montrer ma gratitude, surtout au vu descirconstances.
Une fois à l’intérieur, Grayson regarda la sélection de vins en devanture du magasin, et je medirigeaiverslefond,làoùlesouvre-bouteillesetautresarticlesdecuisineétaientexposés.Alorsquejepassaisenrevuequelquesjolisplateauxàfromagesdansunedesallées,j’entendisunefemmechuchoter:
– Est-ce que tu as vuGraysonHawthorn ?MonDieu, tu sais que j’étais très amoureuse de luiautrefois?
Jemeraidislégèrementquanduneautrefemmegloussa.–Qui ne le serait pas ?Va lui parler ! Évidemment, tu ne pourrais plus le présenter à tamère
maintenant,maispourunepartiedejambesenl’air…Bonsang,jepaieraischer.–Jevaispeut-êtremelaissertenter.Ilesttellementsexy.L’autrefemmesemitàrireetquandjelesentendiss’approcherdemoi,moncœursemitàbattrela
chamade.Jedéguerpisdansl’autresens,saisissantlebrasdeGraysonaupassage,etmerendisjusqu’àlasortie.
–Hé,dit-il,enm’emboîtantlepas.– Ilsn’avaientpasceque jeveux,expliquai-je, incapabledecomprendrepourquoi jemesentais
tellementbouleversée.–Qu’est-cequetuvoulais?–Euh,unplateauàfromages,ouunplatàgâteauxoun’importequoi,jenesaispas…J’essayaisévidemmentdenoyerlepoisson.–Ilsavaienttoutçalà-bas.–Écoute,dis-jeaprèsavoirreprismonsouffle.J’aientendudesfemmesparlerdetoietjemesuis
renducomptequejelesécoutais.C’étaitbizarreetgênant.Graysonm’observaitetdèsquejetournailatête,ilhaussaunsourcil.–Ellesparlaientdemoi?J’agitailamain.– Je suis sûr que tu sais que les femmes te trouvent… attirant, pour une raison d’ailleurs
parfaitementincompréhensible,dis-je,enhaussantlesépaules.–Attirant?–Sexy,terriblementexcitant.Graysons’arrêtanet,jefisdemême,puismeretournaiverslui.Ilmelançaunregardmalicieux.–Cesujetm’intéresse.J’aimeraisqu’onl’approfondisseunpeu.Jereprismoncheminenriant.Ilmerattrapa,medépassamême,desorteàmefairefaceenmarchant
àreculons,avecunairinsupportablementprétentieux.–Attends,est-cequetuétaisgênéeparceque…tumetrouves…attirant,petitesorcière?Tun’asrienquejen’aidéjàvuauparavant.–Non,dis-je,peut-êtreunpeuplusbrusquementquejen’auraisvoulu.Paslemoinsdumonde.Ony
est.Jelecontournaietpassailaporteducabinetd’avocats,poursuivieparleriremoqueurdeGrayson.Saletédecréatureailée,pleined’écailles.Lesformalitésjuridiquesétaientsimplesetfacilesàcomprendre.Toujoursvaguementagacéeparsa
taquinerie de tout à l’heure, j’ignorai complètement Grayson pendant que nous paraphions. Nousparcourûmes tous deux attentivement le dossier avant de le signer et d’en conserver un exemplaire.C’étaitterminé.
La seule chose qui restait à faire était de nous marier. Mariée… À un dragon ! Un dragoncomplètementinintéressantetinsupportable.Pourdel’argent.Jegémisintérieurement.C’était,deloin,leplanleplusfouquejen’avaisjamaisélaboré.
C’étaitinsensé,ridicule,probablementhonteux…Non,pire,c’étaitcarrémenthonteux.Sansaucunrespectpourl’institutionsacréedumariage.Sansrespectdelamémoiredemagrand-mère,nonplus.
Ilyavaitbeaucoupde«contre».Mais… mais ça allait marcher. Je serais bientôt libérée de mon père. Concentre-toi, Kira.
Concentre-toi là-dessus.C’était un argument qui faisait très fortement pencher la balance du côté des«pour».
La veille, j’avais fait une liste sur le Dragon, après qu’il soit rentré pour dîner mais repartefinalementaussitôtenmevoyant,claironnantqu’ilallaitmangerenville.Moiaussi je l’avaisévité, jen’avaisaucuneraisondemesentirblessée.Lafameuselisteétait lerésultatdemonorgueilmisàmal,maisellem’avaitaidée.
–Notrerendez-vousestà14heures30demain.Ouplutôtnosrendez-vous.Nousenavonsunpourfairevalidernotrecontratdemariageetunautretoutdesuiteaprèspourscellernotreunion.
Jehochailatêtevigoureusement,commesitoutcelaétaitgénialetépatant.Mariée!Demain.À14heures30.Pourscellernotreunion!Çaavaitl’airtellementnormal.Sansimportance.C’étaitjusteunecorde au cou après tout, et si le nœud n’était pas assez serré oumal fait, on pouvait le défaire trèsfacilement.J’eussoudainl’envie irrésistiblederigolercommeunehystérique, jusqu’àenpleurerpeut-être.L’humeurdeGraysonavaitl’aird’avoirchangéégalement,ellesemblaitpluscontenue.
–Tuvasledireàtonpèreavantouaprès?–Après.Quandnousauronsencaissélechèque.Lasimplepenséed’affrontermonpèremetétanisait.Ducoindel’œil,jevisGraysonsecouerlatête,maisjeneluifispasface.Ilsemblaitm’étudier.–Situ…veuxfairemarchearrière,je…Jeluifissignequenon.Nousétionsalléstroploin.–Non,jeneveuxpas.Ettoi?–Nonplus.Il nous ramenadirectement à lamaison,où je le suivis complètement affamée.Dans l’entréepeu
éclairée,jeretiraimeslunettesdesoleiletlesenfonçaidansmonsacpleinàrasbord,enprenanttoutdemêmesoindelespousserbienaufondoùellesseraientmoinssusceptiblesdetomber.
–Jeteretrouveicià14hdemainalors,ditGrayson.Ilavaitvisiblementl’intentiondesemettreautravailpourlajournée,etdepoursuivresestravaux
surlebâtimentenpierre.–D’accord,acquiesçai-je,enprenantunairnonchalant.–Oh,regarde,tuaslaissétomberça.Graysonsepenchapourramasserunmorceaudepapieretmeletendit.Jefronçailessourcils.–Jenecroispasquecesoit…
Àlacouleurdelafeuille,jeréalisaialorsquec’étaitlalistequej’avaisfaitesurGrayson.Danslamarge j’avais également griffonné à plusieurs reprises « Kira Hawthorn », pour tester ma nouvellesignature.Elleavaitdûtomberdemonsac.Jesentislachaleurmecolorerlevisage,etj’essayaidem’enemparer.
Grayson,mejetaunregardsuspicieuxetretintlepapier.–N’essayemêmepas,soufflai-je.Ilregardaalternativementlepapieretmoi,visiblementtrèsintéressédepuisquej’avaisréagiaussi
vivement.Quelleidiote,Kira!Touts’étaitpassésivitequejen’avaispaseuletempsdemasquermaréaction.–Qu’avons-nouslà?susurraGrayson.–C’estpersonnel,luirépondis-je.Rends-moiça.–Personnel?Noussommessur lepointdenousmarier,mapuce, ironisa-t-il, lavoixdeplusen
plussarcastique.Nousnedevrionsavoiraucunsecretl’unpourl’autre.–Trèsdrôle,donne-moiça.Ilavaitpresquedépliélafeuillequandjemeprécipitai.Ilm’évitaaisément,etjepoussaiuncrien
manquantdetomber.Ilseretournaetsedirigearapidementverslegrandsalon,àdroiteduvestibule.–Jepensequejevaism’installerdansunfauteuiletvoirdequoiils’agit.–Rends-moiça!hurlai-je,commeunegaminecapricieuse.Ildéplialafeuilletoutenmarchant.Jelesuivaisdeprès.–LeDragon,aliasGraysonHawthorn:Les«Pour»etles«Contre».Ilmeregardapar-dessussonépaule,haussantunsourcilsombre,puisilpritplacederrièrelegrand
canapéd’angleencuiravantdese tournerversmoi.Je trébuchaisur l’ottomaneassortie,manquantdetomberànouveau.
–Jet’interdisdelireça,l’avertis-jeenessayantdeluicommuniquertoutemacolère.Ilinclinalatête,regardantvisiblementmesbrouillonsdesignature.–Jepréféreraisvraimentquetugardestonnomdejeunefille,dit-il.Aïe.–Oui,évidemment.Jefulminais.–Donne-moicettefeuille.Ilrefusa.–Pour:C’estuntrouducul,maissonderrièreestagréableàregarder.Ilbaissalégèrementlepapieretmeregarda.–Tuaimesmoncul,petitesorcière?Tuauraisdûmeledire.Jet’aipourtantdemandédelaisserles
sentimentsdecôté.Maisjesupposequeçaneposepasdeproblèmequetuadmiresmoncul,sieneffettumetrouves…irrésistible.
Ilsouritd’unairsatisfait.
–Tuesunêtrehumainaprèstout,dit-ilensegrattantlementoncommeperdudanssespensées.Lessorcièressont-elleshumaines?Hum…
Ilrevintàmesnotes.–Tu…Tu…,bafouillai-je, incapabledesavoircomment terminercettephrase, furieuse, lesbras
s’agitantensigned’impuissance.Il semblait prendre un malin plaisir à attiser délibérément ma colère. J’aurais voulu gommer
l’arrogancequesonbeauetinsupportablevisageaffichait.–Contre:c’estundragonpompeux,lutGraysoncalmement.–Çaalargementétédémontré,grognai-je.–Pour:ilabesoindemoi.LeregarddeGrayson,s’assombrit,puisseplantadanslemien.–Correction:j’aibesoindetonargent.Ehbien,iln’étaitpasprèsdel’avoir!Ilavaitfranchilalimite.Jenedonneraijamaislemoindre
centimeàcedragon.Jefouillailapièceduregardfrénétiquement,àlarecherched’unobjetquipourraitle blesser. Bingo, une bouteille de vin était posée sur un buffet, à côté d’une porte qui conduisaitcertainementàlacave.Jemeprécipitaidanscettedirectionetjel’attrapaiprêteàluijeterauvisage.
–Non!cria-t-il,unenotedepaniquedanslavoix.Celacoupanetmonélan.–Kira,dit-ilenlâchantlafeuilleensignedecapitulation,cettebouteilledevinestirremplaçable.Ilsepenchalentementpourramassermalisteetserelevatoutaussilentement,enmelatendant.–Onéchange?demanda-t-ilens’approchantprudemment,commesij’étaisunanimalsauvage.Jeregardailabouteillequej’avaisentremesmains.Elleavaituneétiquettefrançaise.QuandjeregardaiànouveauGrayson,jevisqu’ilétaitblanccommeunlinge.–Celle-là?demandai-jeinnocemment,enlapassantd’unemainàl’autre.Uncriétoufféluiéchappa.–Cettebouteille-ci?Irremplaçable?Ilexagéraitcertainement.Sinon,pourquoiserait-elleposéesurunbuffetdanslesalon?Cependant,
ellesignifiaitmanifestementbeaucouppourlui.Ilcontinuaitàserapprocherdemoi.–Resteoùtues,ordonnai-je.Ils’exécuta.Jelevailementon.–Excuse-toipourtonextrêmeimpolitesseet…J’agitailabouteilledevin,enessayantdetrouverlesmotsjustespourqualifiercequ’ilnousavait
fait,àmoietàmonorgueil.LemêmesonétouffésortitdelagorgedeGrayson,sesyeuxétaientfixéssurlabouteille.–Oui,oui,jem’excuse.Jem’amusaisjusteunpeuavectoi.Jenevoulaispastefairedemal,jele
jure.Viens,donne-moilabouteilledevin,Kira.Jelefixai,leregardsombre.–Non…
Ilclignadesyeux.–Commentça,non?–Jenem’approcheraipas.C’esttoiquiviensversmoi.Sonvisages’éclaira,maisilcontrôlaimmédiatementsonexpression,lesyeuxrivéssurlabouteille
encoredansmesmains.–Onseretrouveàmi-chemin.Unesecondejepensaiàrefuser.Aprèstout,j’étaisclairementcellequiavaitlecontrôlemaintenant,
maisjedécidaiquelemilieuétaitunboncompromis.–D’accord,onfaitunéchangerapide.Ilacquiesçaetjefisunpasenavant.Hum.J’auraisaimévoirpluslongtempsceregardpaniquéet
impuissant,etentendreunedernièrefoiscetétrangebruitétouffésortirdesabouche.Jecontinuaisàfairepasserlabouteilled’unemainàl’autre.Monbrasgauchedessinaungrandcercleetj’avançaimonbrasdroitpourlasaisir,sansquitterleDragondesyeux,unpetitsourireaccrochéauxlèvres.
Lebruitduverrebriséretentitdanslesalonsilencieuxetjemefigeai,lesoufflebloqué,letempssemblants’êtrearrêté.Jeregardail’imposantecolonnedepierreàmagauche…Enlevantlebras,j’avaisbrisélabouteillecontrecettepierretrèsdure.Jedéglutis,fascinéeparcequiressemblaitàdusang.Levincoulaitsur lapierrepourfinirenuneflaquequis’élargissaitsur lesoldesecondeenseconde.Unbruitsourdmeparvintdelaporteetmefittournerlatêtebrusquement.
Waltersetenaitlà,boucheouverte,leteintblafard.– Je venais d’aller chercher la clef de la cave à vin, dit-il, la voix tremblante. Je suis désolé,
Monsieur.OhmonDieu.J’observaiencoreunefoislecoldelabouteillequejetenaisencore,puislentement,trèslentement,
jelevaimonregardversGrayson.Ilbouillonnaitd’uneragequ’ilcontrôlaitdifficilementapparemment.–Cen’estpastafaute,Walter.Tupeuxdisposer,dit-ild’untonglacial.LesilenceluiréponditpuisWalterreprit,avantdesortirrapidement:–Bien,Monsieur.Jeclignaidesyeux,puismamainlaissatomberlecoldelabouteillequisebrisasurlesol.Jerestai
figée,immobile,alorsqueGraysonapprochaitlentement.Laragequiémanaitdeluiétaitquasipalpable.Unefoisàmonniveau, il se rapprocha,etduboutdesdoigts, il levamonmentonverssonvisage.Unmuscledesamâchoire tressauta,commeunavertissement.Jemeredressai, lesyeuxplantésdésormaisdanslessiens.
–Cettebouteilledevin,lâcha-t-il,faisait lafiertéet lajoiedemonpère.Ilapassédesannéesàessayerdel’obtenir.Quandill’afinalementtrouvée,ilafonduenlarmes.Ilafonduenlarmes,Kira.Deslarmesdejoiesurcettebouteillequetuviensdebriserparpureméchanceté.
Jesecouailatête,essayantdésespérémentdenepasflancher.–C’étaitunaccident,elleétait…poséejustelà…
Jedétestaisl’émotionqu’ilyavaitdansmavoix.Illâchamonmenton,sonregardhostilemefixaittoujoursintensément.–14heures,dit-ilenfin.Rendez-vousicidemainà14heures.14heures?Qu’est-cequ’ilyavaità14heures?Impossibledem’ensouvenir.Oh,monDieu,on
allaitsemarier.J’euspresqueenviedeluidirequetoutétaitannulé.J’avaismêmedéjàouvertlabouche,mais jenedis rien.De touteévidence, il faisait çapourmepunir,ou toutaumoinspour récupérer lemontantdecettebouteilledevin«irremplaçable».
Sur ces derniers mots, Grayson sortit du salon comme une flèche. Je restai immobile quelquesminutes,pourfinalementmediriger, les jambes tremblantesvers l’endroitoù ilavait laissé tombermalistepuérile.Je laramassaietmedirigeaivers lacuisineoùCharlotteessuyait leplande travail.Unedouceodeurdecannelleetdepommesflottaitdans l’air.Elleme jetauncoupd’œilnerveuxavantdedétournerlesyeux.
–Iln’estpasméchant,Kira.Jedéglutis.–Je…Jesecouailatêteetmerepris.–Jesuissûrequ’iln’estpastoujourscommeça,maisj’ailafacultédefaireressortirlepirechez
leshommes.–Jesuisconvaincuequecen’estpasvrai.Jehaussai les épaules.C’était vrai.C’était parfaitementvrai.Labile remontadansmagorge. Je
crusvraimentquej’allaisvomirmaisjeréussisàmeretenir.–Et peut-êtreque c’est davantage leur fautequede lavôtre,machère…Peut-être faudra-t-il un
hommetrèsspécialpour…disons…–Mecontrôler?Jepouffai,unpetitrirequiapportaunpeudegaîté.–Vousaimer,corrigea-t-elle.Je ne sais pas si je devais le prendre comme un compliment, mais Charlotte me souriait
chaleureusement.Aimer.Undésirpoignantétreignitmapoitrine.Êtreadorée,unefois,uneseulefois.Jesoupirai.– De toute façon, mon arrangement avec Grayson n’a rien à voir avec l’amour. Et ça n’a plus
d’importance.Iln’aurapaslieu.C’étaituneidéecatastrophiquedèsledépart.JemetournaiversCharlottequisuivaitpensivementdesyeuxsonépongesurleplandetravail.–Cevinétait-ilvraimentirremplaçableCharlotte?Sonpèrel’a-t-ilvraimentcherchépendantdes
années?Jeretenaismeslarmes.Charlotterestasilencieuseunmoment,puisellesemblaprendreunedécision.Ellemitl’épongesur
l’évier et fit le tour du bar pour s’asseoir à côté de moi sur un tabouret. Elle me prit les mainsaffectueusement.
– Il ne vous le dira probablement jamais lui-même, Kira. Je vais donc vous parler un peu desrelationsdeGraysonavecsonpère.Jen’aimepaslespotins,maispeut-êtrequevouscomprendrezmieuxpourquoiGraysontientàtoutprixàredressercefichuvignoblesivousconnaissezunpeusonhistoire.
Elle sepinça les lèvrespendantun instant, puis sedétendit.Ce fichuvignoble ?C’était aussi samaison.Est-cequ’ellenel’aimaitpas?
– Grayson et son père, Ford Hawthorn, n’avaient pas de bonnes relations, dit-elle en secouanttristementlatête.Ilyavaitdenombreusesraisonsàcela,etpeut-êtrequeGraysonlespartageraunjouravecvous,maisdisonsqu’onneluia jamaisfaitsentirqu’ilétaitchezlui ici,nisonpèrenisabelle-mère. Ils luiont reprochéà tortdeschosespour lesquellesunenfantnedevrait jamaisêtreblâmé. Ilsl’onttraitémisérablementenl’excluant,c’étaitàceluiquilehaïssaitleplus.
Sonexpressiondouloureusemontraitàquelpointcelalamarquaitencore.–Graysonafaitdesonmieux,toutesavie,il…bref,çan’apasd’importance.Riendetoutcequ’il
apufairen’étaitassezbien.Durantsadétention,poursuivit-elleenprenantunmouchoirpouressuyersonnez,sonpèreneluiajamaisrenduvisite.Pasunefois.Fordadécouvertqu’ilavaituncancerpendantqueGrayson était enprison, et il est décédé rapidement après.Oudumoins c’est cequim’a semblé.Quandilestrevenuàlamaison,Graysonadécouvertquesonpèreluiavaitléguélevignoble,quiavaitcommencéàbattredel’ailedèsledébutdelamaladiedeFord.Ilalaissél’argentàsafemmeetaufrèredeGrayson,Shane,maisilaléguélevignobleàGrayson.
Uneombrepassabrièvementsursonvisage,maiselledisparutavantquejepuisseladéchiffrer.–Ce jour-làGrayson a juré qu’il sauverait le domaine, non pas pour lui,mais pour ce père qui
l’avaitévité toutesavieetqui, finalement, luiavait laisséce lieuenguisede réconciliation.GraysonpensequeFordluiaconfiésonbienlepluscherparcequ’ill’encroyaitdigne.Dignedelesauver,dignedelediriger.EtGraysonestcapabledepresquetoutpourprouverquesonpèreaeuraisondecroireenlui.
Jem’affaissaisurletabouret.Celafaisaitbeaucoupd’informations.–Mêmesisonpèreletraitaitsimalavant?Charlotteacquiesça.– Je crois que c’est justement parce que son père l’a traité si terriblement avant. PourGrayson,
sauvercevignoblesignifiesauversonamour-propre.Jehochai lentementlatêteenmemordantla lèvre.GraysonHawthornetmoiavionsbienplusde
points communs que je le pensais. Nous avions tous les deux été élevés par des pères qui n’avaientjamaiscruennous.
–Merci,Charlotte.Jelecomprendsunpeumieuxmaintenant.Etjepeuxmereconnaîtreenlui.Jeréfléchis,leslèvrespincées.–Jepensemêmequenouspourrionsêtreamissaufqu’ilpensequejesuisunesorcière,etjesuis
toujoursàpeuprèssûrequec’estundragon.Dumoinsavecmoi.Celal’amusaetellesemitàrire.–Pourquoim’avez-vousdittoutça,Charlotte?
Elles’emparaànouveaudemesmains.– Je pense qu’onpeut voir les gens sous un jour différent quandon comprend leursmotivations.
Vouspensezpeut-êtrefaireressortirlepireenGrayson,maisdepuisquevousêtesentréedanssavie,etbienquecela fassepeude temps, il estplusvivantquedurant toute l’annéequ’ilvientdepasserà lamaison…Mêmesiças’esttraduitparbeaucoupdecolèreetdeflammes.
Elleserramesmainsfermement.–Jecroisquevotreprésenceestunebonnechose.Graysonpeutêtrearrogant,engrandepartieen
raisondesonphysique,maisàl’intérieur,sablessureesttrèsprofonde.Sonexpressions’assombrituninstant,puisellemesourit.Jenepusm’empêcherdeluirendreson
sourire.IlyavaitquelquechosedesimerveilleusementréconfortantchezCharlotte.–Tiens,laisse-moitecouperunebellepartdegâteauauxpommesetàlacannelletoutdroitsortidu
four,dit-elleenselevant.Elleétaitpasséenaturellementaututoiement.–Etaupassage,machérie,ditCharlotteenprenantmamainposéesurlecomptoir,unelueurdans
lesyeux,oublieleprinceetlaprincesse…J’aitoujourspenséquelavraiehistoireétaitentrelasorcièreetledragon.
Sonriremusicalretentitalorsdanslacuisine.
CHAPITRE8
KIRAJen’avaispasimaginélejourdemonmariagecommecela.Jemeréveillaiseule,jeprisunedouche
glaciale,puisjequittairapidementlapropriétéHawthornpourm’acheterunerobedanslecentre-villedeNapa.Monshoppingàpeinecommencé,jeréalisaiàquelpointc’étaitridicule.Pourquoiavais-jebesoind’unenouvelletenue?Etquefallait-ilporterpourprononcerdefauxvœuxdemariageàl’hommequ’onépousaitpourdel’argent?L’hommequimehaïssaitleplus,probablement,aprèscequis’étaitpassélaveille.
Jeprisuneprofondeinspiration.J’allaispourtantlefaire.J’avaisprismadécisionunefoisaulit,laveille, en repensant aux raisons qui faisaient que j’avais besoin de l’héritage de mamie et en meremémorantaussicellesdeGrayson.Jecroyaisvraimentquenousavionsencorebienplusdechosesencommunqu’onnel’imaginait.Impossibledesavoirquelleproportionexactement,maisquelquepartaufonddemoi,jesentaisqu’enquelquesorte,ilétaitjustedepartagerl’argentaveclui,dragonoupas.
Je choisis finalement une petite robe d’été en dentelle blanche, et une paire de fines sandales àlanièresbleuesargentées.Cen’étaitpastrèshabillé,maisaumoinsj’auraisunpeul’aird’unemariéeàlamairie.Detoutefaçon,cen’estqueducinéma,pensai-jetristement.
Sur le chemindu retour, un souvenirme revint à l’esprit.Quand j’avais septouhuit ans, j’avaistrouvélacollectiondecataloguesetdemagazinesanciensdemamie.L’und’euxprésentaitsouventdesphotosderobesdemariée.J’avaisdécoupétousmeschoixpourchaquemomentdemonmariage,etlesavaiscolléssurunmorceaudecarton.J’avaispassédesheuresàparcourirchaquecatalogue,àchoisirles fleurs, les gâteaux, et tout ce que je pouvais trouver pour complétermon image dumariage idéal.Quand je l’avais fièrementmontré àma grand-mère, elle s’était extasiée, bien sûr, comme elle avaittoujourstendanceàlefaire.Etpuisellem’avaitdemandépourquoiiln’yavaitpaslepèredelamariée.
–Oh,luiavais-jedit,ilestautravail.Ilnepouvaitpasvenir.Mamiem’avaitregardéetristement,puisellem’avaitserréefortcontreelle.– Tu vas être la plus belle desmariées,ma chérie,m’avait-elle dit, et ton époux t’aimera d’un
amourinfini.Moncœurseserra.–Oh,mapetitemamie,jesuistellementdésolée,chuchotai-jedanslesilencedemavoiture.
Aumomentoùjefinissaisdem’habiller,j’entendisfrapperdoucementàlaportedemoncabanon.Unpeusurprise,jemedemandaisiGraysonétaitfinalementvenumechercheraulieudem’attendreàlamaison commenous l’avions prévu.Oupeut-être qu’il venait pour tout annuler ?Mon cœur battait lachamade.
–Entrez.Uninstantplustard,j’entendislavoixchantantedeCharlottemedirebonjouretjemedétendis.Elle
entradansmachambre,rayonnante.–OhmonDieu,tuestrèsbelle,machérie.Je lui fis un petit souriremais j’étais énervée. Je ne voulais surtout pas qu’elle fasse comme si
c’étaitunevraiejournéedemariage.Celaneferaitqu’ajouteràmahonte.– Je t’ai apporté un petit porte-bonheur, dit-elle, la paume ouverte, laissant ainsi apparaître une
petitebrocheenargentetencristal,enformederose.–Ohnon,Charlotte,jenepeuxpasl’accepter.Cemariagen’apasbesoindeporte-bonheur.Ilest
vouéàl’échec,répliquai-je,lesjouestouteroses.–Ehbienalorsc’estunporte-bonheurpour toi.S’il teplaît,prends-le.Mamèremel’adonnéle
jourdemonmariage,etjen’aipasdefille,nidepetites-fillesàquil’offrir.Çameferaittellementplaisirsitul’acceptais.
–Jenepeuxvraimentpas,balbutiai-je,enretenantmeslarmes.–Alors,porte-lajusteaujourd’hui?Sonsourireétaitremplid’espoir.–Tupourrasmelarendreaprès,situveux.Elletapadanssesmains.–Ohoui,c’estencoremieux!Unobjetemprunté.Jelaissaiéchapperunéclatderire.–OK,maisseulementsitumelaissestelerendre.–Accroche-laici,dit-elleensepenchantetenlafixantsurlabretelledemarobe.Ellepritdureculetsouritaffectueusement.–C’estravissant!JemejetaiinstinctivementdanslesbrasdeCharlotte,m’enivrantduparfumapaisantdepoudrede
talcqu’elleportait.Elleritencoreetmepritdanssesbras.–Voilà,dit-elledoucement.À14heures,jemedirigeaiverslamaisonprincipale,oùGraysonm’attendait,adosséàlafaçade.Il
portaitunpantalonkakietunechemisebleuehabillée.J’essayaid’ignoreràquelpointilétaitbeau.Enpure perte. Enm’entendant approcher, il leva les yeux et je captai dans son regard un bref instant desurprise,quidisparutaussitôt.
–Prête?demanda-t-ilsimplement,sansfairedecommentairesurmatenue.Jeluirépondisparunhochementdetête.
Aucun de nous deux ne parla pendant les cinq premièresminutes à bord de son pick-up. Jemetournaifinalementverslui,sonregardseposasurmesjambesnues.Quandilrelevalatête,lamâchoireserrée,sesyeuxmetranspercèrent.Pensait-ilquematenueétaittropdécontractée?
–Grayson,jesuis…jesuisdésoléepourlabouteilledevindetonpère.Ilsemblasedétendreunpeu,maisilgardaleregardfixédevantlui.–Cen’étaitpasentièrementdetafaute,tunepouvaispassavoirqu’unebouteilledevinsiprécieuse
serait posée dans le salon. Et je reconnais que je t’ai poussée à bout. Je suis un peu responsable det’avoirtaquinéeavecta…liste.Moiaussi,jesuisdésolé.
Jepoussaiungrandsoupirdesoulagementmêmesi l’évocationdemalistem’avaitfaitpiquerunfard.
–Noussommesquittesalors?Ilmefitunlégersourire.–Oui.Surtoutquandonsaitquetuvasmelarembourseraujourd’hui.Iltournasonvisageversmoi,etm’adressaunsourirediaboliquequiaccéléradangereusementles
battementsdemoncœur.C’étaituneblague.Jereprisvitemoncalme.–Prêteàt’engagerpourl’éternité?Ouaumoinspourdouzemois?demanda-t-ilenmeregardantdu
coindel’œil.Jerisnerveusement.–Plusprêtequejamais.Mêmesicen’estpasvraimentcommeçaquej’avaisimaginémonmariage.–Ahnon?Turêvaissansdouted’unegranderobeblancheetdelaprésencedetoutelacrèmedela
crèmedelahaute?Ilmefixaquelquessecondes.C’était vrai.Quand j’étais fiancée àCooper, c’était exactement ce que j’avais en tête pourmon
mariage,surtoutparcequec’étaitcequemonpèreetCoopervoulaient.Maiscelan’avaitjamaisétémonrêve.J’avaissimplementtoutfaitpourleurplaireàtouslesdeux.
Jesouris,maiscelan’avaitriendejoyeux.–Jecrois.Je ne voulais pas entrer dans les détails avecGrayson, encoremoinsmaintenant. Il cherchamon
regardpendantquelquesinstants,puisfixaànouveaularoute,sansrienajouter.L’ambianceétaitencoreunpeutendueetlesilences’installaentrenous.Nousétionschacunperdu
dansnospensées.BienqueGraysonm’aitditqu’ilmepardonnaitpourlevin,ilsemblaitencoreunpeunerveux,àencroirelacrispationdesamâchoirechaquefoisqu’ilmeregardait.
Ehbien, soit, aprèsaujourd’hui,nousnouséviterons. J’avaisprésentémesexcuseset il lesavaitacceptées. S’il nourrissait encore une quelconque hostilité, c’était son problème, ça ne changeait rienpourmoi.Pourmeviderl’esprit,jememordislalèvrejusqu’àmefairemalpourmeviderl’esprit.Jenevoulaispluspenser.Jenevoulaispasréfléchiràcequejem’apprêtaisàfaire.
Quelquesminutesplustard,alorsquenousarrivionsdevantlamairiedeNapa,unepluietorrentielles’abattitsurlavoiture.Nousrefermâmestrèsvitenosportièrespournousabriter.
Graysonsemitàrire.–Ledestinestcontrenous.–Apparemment.Mêmesij’aientendudireque«Mariagepluvieux,mariageheureux».–Iln’yaquelesgensquiontdelapluieàleurmariagequidisentçapourseconsoler.Nousallons
devoircourir.–D’accord.Oncomptejusqu’àtrois,dis-jeenouvrantlaportière.Nouscourûmesjusqu’àlamairie.Jefistoutletrajetenhurlant.Ilmepritlamainàmi-cheminentre
lavoitureetlamairie,lesondesonrireprofondcouvrantlebruitdel’averse.Pendantuncourtinstant,nousétionsjusteungarçonetunefille,courantetriantsouslapluie,lejourdeleurmariage.Cemomentétait inattendu, presque onirique, mais quand nous fîmes irruption dans la mairie, nos regardss’accrochèrent,etjecomprisalorsqu’ilressentaitlamêmechosequemoi.
Lecharme sebrisa, cet étrangemoment s’évanouitbrusquement, lorsquenousvîmesque tous lesvisages étaient tournés vers nous. Il y avait deux autres couples également là pour se marier. Ils setenaientpar lamain, sereinsetheureux, lesyeuxplongésdans le regardde l’autrecommesic’était leplusbeaujourdeleurvie.Celamerenditparticulièrementconscientedecequenousallionsfaire.Etàenjugerparl’expressiondeGrayson,ilpensaitlamêmechose.
–Prête?medemanda-t-il.Non,non,non.–Oui.Jeregardaidéfilerl’heurequisuivitcommesij’étaisàl’extérieurdemonproprecorps.J’essayai
denepastenircomptedelaréalitédelasituation.J’imaginailesvisagesdesgensaucentred’accueil,lapetitemaisonoùjem’installeraisunefoisquej’auraisquittélapropriétédesHawthorn.Jefistoutpourresterconcentréesurcequecetteunionreprésenteraità terme.Onnousdonnanotre livretdemariage,puisnousfîmeslaqueuepouréchangernosvœux,commeilestd’usageàNapa.
Graysonétaitdistant,unpeufroid.LeDragonétaitpartietlePrincedeGlaceétaitderetour.Jeneluidemandaipasàquoiilpensait.Mesémotionsétaientdéjàassezdifficilesàgérer,jen’avaisvraimentpasbesoind’yajouterlessiennes.Ilnemesoutiendraitpas.Endéfinitive,iln’essayaitmêmepasdenousrendrelatâcheplusfacile.Maisqu’attendais-jedelui,aussi?
Lemomentdelégèretéoùnousavionscourusouslapluieavaitdisparudepuislongtemps,remplacéparlesilenceet lagêne.Finalement,unemployédelamairienousaccompagna,entantquetémoin, jerécitaimesvœuxetpromisd’aimer,d’honoreretdechérirGraysonHawthornjusqu’àlafindenotrevie.Unéclairdepeurme traversaà l’idéeque jecommettais lesacrilègede jureramouretdévotion.Unepromessequejen’avaispasl’intentiondetenir.C’étaitunmensonge,unefarceauxdépensdequelquechosedesacré.Jen’aijamaisétéunepersonneparticulièrementreligieuse,maisjemedemandaissinousserionstousdeuxpunispourcesimulacre.
Ilrécitasesvœux,d’unevoixposée,l’airlointain.Jel’observaietj’eusunpetitpincementaucœurenvoyantlesérieuxdesonexpression.Lorsquel’officiantnousdemandasinousavionsdesalliancesàéchanger,Graysonsortitdesapocheunebellebagueenoravec,aucentre,uneopalesertiedediamants.
Il la glissa à mon doigt, et moi, je la contemplai, éblouie. J’essayai d’attirer son attention, mais ilsemblaitfascinéparmamain,puisillevasimplementlesyeuxversl’employédelamairie.J’admiraicebijou sublime,probablement ancien. J’avais lagorge serréequand jepensais àquelpoint il avait faitpreuvededélicatesseenapportantunebague.Jen’yavaismêmepaspensé.
–Vouspouvezembrasserlamariée.Graysondéposaunrapidebaisersurmeslèvres.Enlessentanteffleurerlesmiennes,l’hystérieque
jem’étais forcéedecontenirdepuiscematinfitsoudainementbouillonnermapoitrine,et j’eus leplusgrandmal à contenirun fou rire. Je feignisunepetite toux,mesyeux s’écarquillant àmesurequemoncorpsmetrahissait.
Son baiser me rappelait ceux que me donnait mon vieil oncle, ce vieux grincheux de Colburn.L’oncleColburn sentait l’antimite.Àdeuxdoigts de la perte de contrôle, je luttai contre l’hilarité. Jelaissaiéchapperunautrepetitrireetessayaidelecouvrirparunautretoussotement.
Les sourcilsdeGraysonse relevèrent,puis sesyeuxseplissèrentpendantqu’ilm’observait. Ilyavaitunepetitelueurdedéfidanssonregard.Ilpensaitquejeriaisparcequejememoquaisdelui.Jedéglutis,subitementtrèssérieuse.Qu’est-cequim’avaitpris?
Le stress de cette journéeme tapait sur le système.Bien sûr qu’il était normal qu’ilm’embrassecommeunvieiloncledesséché.Cemariageétaitunsimplearrangement.
Soudain,Graysonsecollacontremoiets’emparademonvisage.Je laissaiéchapperunpetitcrid’étonnement.Ilpressasabouchecontrelamienne,promenantsalanguesurmeslèvres.Jen’euspasletempsderéfléchir,moncorpsluiréponditinstinctivement,j’entrouvrisavidementlabouchepourlaisserentrersalangue,fondantàsoncontact.Cebaiserétaitunevéritableconquête,salanguepillamaboucheetjesentismesgenouxcéder.Jem’agrippaiàsesépaules.Toutaussibrusquementqu’ill’avaitinitié,ilrompitnotrebaiser.Nosbouchesseséparèrentavecunbruithumide,etjefinisparbasculerenavant,merattrapantdejustesseavantdem’étalersurlui.
L’officiantsourit.–Ehben…Oui,ehben…J’essayaidereprendremonsang-froid,etmeservisdemonpoucepouressuyerlasalivesousma
lèvreinférieure,pendantqu’ilterminaitdeprononcerlesderniersmotsd’usage.–Parl’autoritéquim’estconférée,jevousdéclaremarietfemme.C’étaitterminé.NousétionsofficiellementMonsieuretMadameGraysonHawthorn.Pourtoujours.
Amen.Ouaumoinspourl’annéeàvenir.Cequineméritaitprobablementpasunamen.Je marchai avec Grayson jusqu’à son pick-up, les jambes étrangement engourdies, et encore
légèrement sous le choc de son baiser. Un vague sentiment d’humiliation me parcourait également.Pourtant,ilavaitfaitquelquechosededélicat.
–Merci de t’être souvenud’apporter une bague, dis-je doucement. Je n’aimêmepas pensé à enacheterunepourtoi.Oùl’as-tutrouvéeensivite?
–Elleétaitencoreàlamaison,jen’avaistoutsimplementpaseul’occasiondelavendre.J’admirailabagueenessayantdemeconvaincreques’ilavaitl’airsifroid,c’estqu’elleavaitdû
apparteniràsabelle-mère.Sielleétait justedestinéeàrendrenotreunionlégitimeauxyeuxdumondeextérieur,pourquoiétait-ceimportantdesavoird’oùelleprovenait?
–Jetelarendraiquand,heu…Ilréponditsimplement:–D’accord…C’étaitplutôtlaconique.–D’accord.J’avaisdécidédenesurtoutpasmentionnerlebaiser,oubienlefaitquejem’étaismoquéedesa
premièretentative.Maintenantquemonespritétaitplusclair,jecomprenaisqu’ilavaitprobablementfaittoutçauniquementpourrendrenotrecérémonieconvaincante.Aprèsunmomentdesilence,jedemandai:
–Bon.Est-cequetuveux…allerdéjeuner,oùautrechose?Jen’avaisaucuneidéeduprotocoleàrespecterpourcettejournée.C’étaitlejourdemonmariage.Oh…MonDieu…En fait, pasvraiment. Jene considéreraipas ce jour commeceluidemonmariage.Un jour, j’en
feraiunvraietceseraitleparfaitopposédecelui-ci.–Impossible.Jedoisretournerautravail,ditGraysonsansmeregarder.OK,trèsbien.–Onpourraitdînerensemblecesoir,peut-être?Ondevraitaumoinsfêterlapetitefortunequ’on
estsurlepointderecevoir.Jeluifisunpetitsourirepleind’espoir.Bienplusquejen’auraisvoulu.–Kira…Ilsoupiraetpassaunemaindanssescheveuxcommesilefaitquejeluiparle,etqu’enplusjelui
demanded’allerdîner, était terriblement irritant.Est-cequ’ilpensaitque jem’attendais soudainàunerelationaveclui,maintenantquej’étaissafemme,quej’avaisreçuunbaiserobligatoireetquejeportaisune babiole qu’il avait dénichée, abandonnée dans un coin poussiéreux de samaison ? Jeme sentaisconsumerparlacolèreetparunedouleurquejenevoulaispasavouer.
–Laissetomber,luidis-je.Detoutefaçon,jeviensdemesouvenirquej’aideschosesprévues.Ilmeregardacommes’ilsavaittrèsbienquejementais.–Peut-êtreuneautrefois,d’accord?J’ai
unproblèmeavecunedesmachines.Lesquelquesheuresqu’onaperduesaujourd’huim’ontdéjàmisenretard.
Jevenaisdefairevolerenéclatslasaintetédumariage,etilnefaisaitmêmepasunsimpleeffortdecourtoisie ? Je n’attendais pas de remerciements,mais tout demêmepas à être considérée commeunboulet.Jeravalaimadéception,carc’étaitévidemmentdugâchisquedeperdredutempsaveccedragonarrogant.
–Biensûr,jecomprends,dis-je,sansycroireuneseconde.Dèsquelevéhicules’immobilisadevantchezmoi,jesortisprécipitamment.
–Jedevraisrecevoirlechèquedansunesemaineoudeux.Jepasseraitedonnertapart.Jem’étaiséloignéesansmeretournermaisjefinisparjeteruncoupd’œilpar-dessusmonépaule.
Graysonétaitdeboutàcôtédesonpick-up,lesmainsdanslespoches.Ilmeregardait.Jetraversai lesbroussaillesprèsdemoncottage,jelevailementonetrepoussaimescheveux.Puisjesentisunebrindilleacéréemefouetterlacuisse,déchirantungrandpandemarobe.Jepoussaiunpetitgémissement.Mince.Alorsque jepoursuivaismonchemin, j’entendissonpetit rireau loin,dansmondos.Jedusrésisteràmonenviedefairedemi-touretdecourirluiarrachersesyeuxdereptile.
Au lieu de ça, je pénétrai dansmon cottage en claquant la porte derrièremoi.Mais celle-ci nerentraitpasentièrementdanslescharnières,etellefitunpetitbruitridiculeentouchantlecadre.
C’étaitlejourdemariagelepluspitoyablequin’aitjamaisexisté.Tut’attendaisàquoi?C’estcequetuvoulais.Jeretirailabagueenopale,quin’étaitenréalitéqu’unaccessoiredecinéma,etjelaposaisurle
rebord de la fenêtre. Je retirai la broche queCharlottem’avait donnée pour ne pas oublier de la luirendre.Puis jem’assis surmon lit, jouantdistraitement avec lemorceaude tissudéchirédema robe,laissantfinalementcoulerleslarmesquibrûlaientmesyeuxdepuiscematin.
***
Après lesévénementsdela journée, j’étaisépuiséeetémotionnellementvidée.Commejen’avaispasbiendormilanuitprécédente,tropoccupéeàmedemandersijedevaisallerauboutdemadécisionoupas,jefisunelonguesieste.
Mes rêves commencèrent dans un vaste paysage de glace. J’errais sans but, pleurant de froid,claquantdesdentsettentantenvaindemeréchauffer.Soudain,jemeretrouvaiaumilieud’uneavalanchede flammes, sous une cascade de lave. Mon corps se liquéfiait et ma peau brûlait d’une chaleurdélicieusementérotique.Lefeumeconsumait,etpourtantjenemebrûlaispas.Jereprisconscienceengémissant, les seins durcis et le sexe trempé et sensible. Jem’effondrai surmes oreillers. Je n’avaisjamaisfaitderêveaussiintensémentérotiqueauparavant.Jecroisquemoncorpsavaittrouvécemoyenpourmerappelerqueçafaisaittrèslongtempsquejen’avaispasconnucegenredeplaisir…Aumomentoùmesmains se posaient surmes seins douloureux, j’entendis une portière de voiture claquer. Jemeredressai précipitamment, et courus jusqu’à la fenêtre. Ça ne pouvait pas être mon père, il n’y avaitaucunechancequ’ilaitapprismonmariage,n’est-cepas?Oubienavait-ildeshommesàluidanstousles tribunaux du pays ? Ça nem’étonnerait pas de lui. Non, non, tentai-je deme rassurer.Malgré satendanceàsemêlerdemavie,ilavaitdeplusgrospoissonsàs’occuper.Pourtant,l’adrénalinecouraitdansmesveinesetmoncœurs’emballait.J’eussoudainmoinschaud.
Jepassaimesmainssurmarobedéchiréeetfroissée,enprenantdeprofondesinspirationspourmecalmer.Ilnepouvaitrienmefairedetoutefaçon.Jeluidiraisquej’étaismariée,quec’étaitcommeça,qu’ilmelaissetranquille.
Je traversai les buissons et une fois dans l’allée, j’aperçus une femme blonde parler à Graysondevantunepetitevoituredesportrouge.Ilsseretournèrenttouslesdeux,m’ayantmanifestemententenduarriver,etplutôtquederebrousserchemincommej’enavaisl’intentionaudépart,jem’approchaid’eux.Lafemme,quimeregardait,avaitl’aird’avoiravaléunepiluleextrêmementamère,etGraysonfronçaitlessourcils.
Quandjelesrejoignis,jetendislamainàlajeunefemme.–Salut,jesuisKira,luidis-je.Elleobservamamaincommesic’étaitunpoissonmort,puissedécidafinalementàprendrelebout
demesdoigtsetlessecouamollement.OK,jevois.–Jade.JesuispasséepourvoirsijepouvaisprépareràdînerpourGraysoncesoir.Elle lui jeta un regard charmeur, faisant battre ses faux cils.Un lourd parfum artificiel de pêche
émanait d’elle, mais je ne pouvais pas nier qu’elle était jolie. Si vous aimez ce genre. Ce qui étaitmanifestementlecasdeGrayson.Ilétaitentraindemepasserenrevueetaffichaituneexpressionintenseet…furieuse?Sessautesd’humeurallaientfinirparmerendrefolle.
Jetournailestalons,réalisantenfincombienjedevaisêtreaffreuse.Jesentaisquemonvisageétaitencorerougeàcausedemonrêve,et jemedoutaisquemescheveuxdevaientêtreenbataille,commetoujoursquandjemelevais.Marobeétaitdéchiréeetfroissée,j’avaisunairnégligéet…J’étaisl’exactopposédelabeautéapprêtéequisetenaitfaceàmoi.J’humidifiainerveusementmalèvreinférieure,malàl’aise.Jedétestaisça.
J’attendispatiemmentqueGraysonannonceàcettefemmequej’étaissonépouse.IlsetournaalorsversJade.–Biensûr,çamesemblefaisable.J’écarquillailesyeuxetlaissaiéchapperunepetiteexclamation.Ilallaitaccepterlapropositionde
Jadedeluifairelacuisineaprèsavoirrefusédedîneravecmoilejourdenotremariage?Etsiquelqu’unles voyait ? Et si Jade avait été une langue de vipère, et faisait courir le bruit qu’elle sortait avecGrayson?Moncœurbattaitlachamadeetj’étaisprochedumalaise.
Monmariallaitsortiravecuneautrefemmelejourdenotremariage.J’eussoudainenviederireàgorgedéployée.
Çan’arrivequ’àtoi,Kira.Iln’yaqu’àtoiqu’ilarrivedeschosespareilles.–Donne-moideuxminutespourmerafraîchir,ditGraysonàJade.–Biensûr,monchéri.Elleluisouritgentiment.Monchéri.Cettefemmevenaitd’appelermonfauxmarimonchéri.–Tupeuxtedoucherchez-moi,situveux.Elleesquissaalorsunsourireterriblementfauxetmefoudroyaduregard.Graysonentradanslamaison,nouslaissantseules,Jadeetmoi.–Alorsquiêtes-vousexactement,Kira?medemanda-t-elle,suruntonhautain.Jesuissafemme,machérie.J’espèrequetupasserasunemerveilleusesoirée.Jedusmeretenir
denepasdirecelaàhautevoix.Nousavionsconvenuquenouspourrionsfairecommebonnoussemble
dansnotreviepersonnelleàconditiond’êtrediscrets.Jedoutaisfortementqu’onpuisseconsidérerquecettesituationl’était.C’étaitàGraysondegérercelaavecJade.Jen’avaispasencorefaitdesecrétariatoudecomptabilitépourGrayson,maisjemerappelaisoudainquejeluiavaisproposé.
–Jesuis,euh,sanouvellesecrétaire,sacomptable,sa…Jelaissaicedernier«sa»résumerlereste.Moinselleensavait,mieuxceserait.Elleplissalesyeux.–Etvousvivezici?Graysonchoisitcemomentpourréapparaître.Ilavaitàpeineeuletempsdeselaverlesmainsetde
passersonvisageà l’eau froide.Apparemment, ilne se souciaitpasde seprésenterdevant Jade sansavoir pris de douche, ou peut-être avait-il l’intention de la prendre chez elle, comme elle lui avaitproposé. Soudain une image me traversa l’esprit : Grayson, débarquant en serviette dans la cuisine,pendantqu’ellepréparait ledîner. Il luiembrassait lanuque.Pourquoi,maispourquoicettevisionmedérangeait-elleautant?
Quelleidiotetufais,Kira!–Tuesprête?demandaGraysonenregardantJade.–Hum,hum,fit-elle.Kiramedisaitàl’instantqu’elleesttanouvellesecrétaire,comptable,etpuis
d’autreschosesapparemment…Grayson et moi attendîmes qu’elle termine sa phrase, mais elle nous fixait, à la recherche
d’informations.Graysonseraclalagorge.Jetoussai.Jade,quantàelle,plissalesyeuxetserapprochadeGrayson,
exigeantvisiblementuneexplication.–Etvousvousêtesinstalléeici?demanda-t-elleànouveau,lesyeuxdeplusenplusrétrécis.–Jevisdanslapetitemaisonlà-bas.Jefisunsignedelamaindansladirectiondemoncottage.Commes’ilétaittoutàfaitnormalque
lessecrétairesviventsurplacedanslecabanonpoussiéreuxdujardinier.Jadefronçasonjolipetitnez.–Beuurk!Cepetitendroitaufonddesboisquiestàpeinevisibledel’allée?Ildoityavoirdes
ratslà-dedans.Jecroisailesbrasenladévisageantavantd’articulerlentement,lesyeuxécarquillésetenfeignant
l’excitation:–Ohoui!!!Ilyena.Unmarietsafemmeenfait,dis-jeenjetantuncoupd’œilàGrayson.Ilmeregardasanscomprendre.JerevinsàJadeetcontinuai.–OgilthorpeetOrtensia.Jesuisaussipresquesûrequ’Ortensiaestenceinte.Jeplaçaimonindexsurmonmentonpourmontrerquejeréfléchissaisintensément.–JevaisdevoirtrouverdesnomsenO,avantquelespetitsbébésratsn’arriventbiensûr.Sivous
avezdebonnesidées,faites-moisigne.Jeluilançaiunsourirehypocrite,résistantàl’enviedeluifaireunegrimace.
Elle prit un air dégoûté etGrayson se détournapour « tousser »,mais j’aurais juré avoir vu seslèvressereleverlégèrementavantqu’ilnemettesamaindevantsabouche.
–Allons-y,ditJadeàGrayson,m’ignorantsoudain.–J’espèrequevous trouverezunmoyendevousdivertircesoir?meditGraysonenarquant les
sourcils.–Jenem’inquiètepaspourça,luirépondis-je,unsourirefauxauxlèvres.Ses yeux s’attardèrent surmonvisage le tempsde quelques battements de cœur puis il s’éloigna
avecJade.Unefoisarrivéeàsavoiture,ellesetournaversluietditsuffisammentfortpourquejepuissel’entendre:
–Jenel’aimepas.Elleestbizarre.SiGraysonluirépondit,illefitàvoixsuffisammentbassepourquelui,jenepuissepasl’entendre.Jeregardailavoituretourner,descendrel’allée,puisdisparaîtredemavue.Ce n’était qu’une question de temps avant quemon père ne sache que cemariage n’était qu’une
supercherie. Ça ne faisait même pas un jour et Grayson allait déjà tout gâcher. Je me concentraiintensémentpourcontrôlermonrythmecardiaque.
S’ilyavaitbienunejournéequiméritaitunverre,voireunebouteilledevin,c’étaitcelle-ci.Etçatombaitbien,j’habitaisdansunchai!
CHAPITRE9
GRAYSON–Merci,dis-jeensortantdelavoituredeJade.Ellem’adressaunsourirecrispéensecouantlatête,sansdoutedéçuedecequis’étaitpassécesoir,
ouplutôt,enl’occurrence,decequines’étaitpaspassé.Jenesortaisengénéralpasdeuxfoisaveclamême femme, mais ce soir, j’avais eu la ferme intention d’évacuer la pression dans le lit de Jade.Pourtant,unefoisarrivéàsonappartement,ellem’avaitpoussésursoncanapéetavaitcommencéàmetripoter.Laseulechoseàlaquellejepensaisétaitquec’étaitlejourdemonmariage.Etputain,cequec’étaiténervant!Cen’étaitpascommesimonmariagesignifiaitquoiquecesoit.C’étaitjustequec’étaitdemauvaisgoûtdebaiserunefemmelejouroùj’avaisdonnémonnom,temporairementounon,àuneautre.Jen’appelleraispasçadel’honneur,carjen’enavaisquasimentpas,maisçamesemblaitquandmême détestable et immoral. Suffisamment en tout cas pour refroidir toutes les idées lubriques quej’auraispuavoirenvoyantlepetitcorpssoupledeJade.MespenséessetournèrentalorsversKirapourlacentièmefoiscesoir-là.KiraetsesstupidesratsauxprénomsenO.Saréflexionétaitvraimenttordue,alorspourquoiest-cequeçam’avaitdonnéenviedel’embrasserànouveau?L’embrassercommeilfaut.L’embrasser fort et longtemps, pendant que j’enroulerai sa crinière de feu autour de mon poing ? Jecommençaisclairementàdébloquer.
Je regardai la voiture de Jade s’éloigner et restai dans l’allée quelques minutes, pensant à mafougueuse petite sorcière d’épouse. Jem’étais préparé à ce qu’elle ne se présente pas cematin, à cequ’elleannulecettemascaradedemariageetàcequ’elledisparaisseaprèscequis’étaitpassélaveilleaveclalisteetlabouteilledevin.Etjen’arrivaispasàdéterminersij’auraispréférécelaoupas.Detoute évidence, nous ne nous entendions pas très bien, quel que soit le domaine, les affaires ou autrechose.Jen’avaistoujourspasdigérél’histoiredelabouteillecassée,maissij’étaistoutàfaithonnête,leschosesavaientdérapédepuisquejel’avaisvuetoutenue.Siseulementjepouvaiseffacercettevisiondemon esprit. Il allait falloir que j’y parvienne, car depuis cet instant, j’étais incapable de détournerd’ellemespensées.C’étaittotalementmalvenu…etpourtantindéniable.Quandj’étaisentréchezelleetque je l’avaisvue, là, debout, complètementnue, ledésir quim’avait envahi avait été si puissantquej’avaispresquedûm’agripper aumontantde laportepourme soutenir.Pendantun instant, j’avais étégagnéparquelquechosed’assezfortpourneplussentirmesjambesetpourm’empêcherderéfléchir.Jen’avaisjamaisrienconnudesemblableavant.Jem’étaispersuadéquec’étaitlechocprovoquéparcette
situationquim’avaitcoupélesouffle,etavaitfaitmonterenmoiundésirsauvage.Maisjelavoyaisànouveaumaintenant.Monimaginationfaisantsurgirl’imagedesapeaulisseetdouce,desesseinstendusetcouronnésdedélicieuxtétonsrosepale,deladélicatecourburedeseshanchesetsesjambeslongueset galbées,malgré sa petite taille. Certes elle étaitmenue,mais en réalité ses vêtements cachaient savolupté.Maintenant,jelesavais,etj’auraispréférénejamaisêtreaucourant.Cen’étaitpasdansnotreaccord,etcen’étaitpasdebonaugurepourmatranquillitéd’esprit.Jenevoulaispasavoirdepenséeslascivespourmafemme.Commecellesque j’avaiseuescetaprès-midi,quandelleétaitapparuedansl’allée et qu’ellem’avait donné l’impressionqu’elle avait passé la journée au lit à faire l’amour.Sesjouesetseslèvresétaientroses,sesyeuxbrillaient,sesseinspointaientetsescheveuxétaientdécoiffés.Pendant un court instant, je m’étais demandé si elle avait invité quelqu’un dans son cabanon, et unsentimentquiressemblaitétrangementàdelajalousiem’avaitsaisi.Etpuisjem’étaisdemandésiellen’avaitpasplutôtétéseuledanscepetitlit,sesmainsprenantpossessiondesoncorps…Jeconnaissaisleregardd’unefemmeexcitée.Çam’avaitrendusuffisammentfoudefrustrationpouraccepterl’offredeJade.
ÀcesouvenirdeKira,jejuraiintérieurement,sentantmoncorpspalpitermalgrémoi.Penserainsiàmafemmememettaitvraimentdemauvaisehumeur.Aujourd’huiseraitlaseulejournéeoùjem’interdiraidecoucheravecd’autresfemmes.IlmeseraitimpossibledesurvivreenayantcespenséespourKira.Ilfaudraitquejemedéfouleavecd’autresfilles.Et,jelereconnaissais,ilfaudraitquejesoisplusvigilantqu’avec Jade, ce soir. Passer du temps avec des femmes qui connaissaient mon nom et savaient oùj’habitaisnerespectaitpasexactementl’accordqueKiraetmoiavionsconclusurlaconduitediscrèteàadopterdansnosviespersonnelles. Il étaitmaintenantgrand tempsdemettre cette clause à exécution,pourqueKiradisparaissedemespenséesleplusvitepossible.
Kira.Monépouse,maintenant.Non,paspourdevrai.Tais-toi!Arrêtedeterépéterça!Hier,c’étaitunepetitebombed’énergie.Maiscematin,elleavaitétédouceetdocile,saufquand
elles’étaitmoquéedenotrechastebaiser,mefaisantperdrelatêtedevantDieuetnotretémoin.Jel’avaisalorsembrasséed’unemanièrequiétaittoutsaufplatonique.
Elleavaitgrandidansleluxeabsoluetavaittoutdemêmepasséunedemi-journée–Charlottemel’avaitconfirmé–àrécurerlasalledebainsducabanonquidevaitêtredégueulasse.Maintenant,elleyvivait.Elleétaitsimystérieuse.Jen’arrivaispasàlacomprendre,etjen’enavaisniletemps,nil’envie.Et pourtant, pour une raison absurde, j’avais dumal à ne pas relever les défis qu’elle me lançait, àrésisteraudésirdefairenaîtredesétincellesdanssesyeux.J’enmouraisd’envie.Sonexpressionquandelleenrageait,sesjouesécarlatesetsonregardbrûlantd’indignationmedéstabilisaientenpermanence.Pourquoiaimais-jetantcela?
C’était la raison pour laquelle je l’avais taquinée avec sa stupide liste, et les choses s’étaientdégradéesàpartirdecemoment-là.
Etmaintenantnousétionsmariés.Jusqu’àcequeledivorcenoussépare.
Jem’apprêtais à rentrer quand j’entendis ce qui ressemblait à des voix venant…d’au-dessus demoi?Jefronçailessourcils,puislevailesyeuxverslecielnoir.Non,çavenaitdeplusloin,ducabanondeKira.Jemarchailentementdanscettedirection,déconcerté.
–Ilyaquelqu’un?demandai-je.Lesvoixseturent,maisjecrusentendreunpetitrireétouffé.–Quiestlà?dis-jeplusfort.Pasderéponse.–Aie!criai-je,ensentantquelquechoseheurtermatête.Lesriresétouffésreprirentdeplusbelle.Jelevailesyeux.Uneouplusieurspersonnessetrouvaient
danslesarbres.Unautreglandmetombasurlecrâneetjegrognai.Quesepassait-il?–Quiestlà-haut?répétai-je,énervé.Descendezavantquej’appellelapolice!Il y eut unmoment de silence, puis j’entendis quelqu’un descendre. Je vis d’abord une paire de
jambesmassives portant un jean, puis la tête deVirgil apparut. Il sauta, puis il se tint devantmoi, levisagepenchéetmeregardantnerveusement.
–Qu’est-cequetufaisdanscetarbre?demandai-jeinterloqué.–Je,ehbien,euh,enfaitMonsieur,nousvoulionsessayerdevoirlesétoilesfilantes,vousvoyez…
Kiraetmoi,nouspensions…–Kira?Aumomentoùjeposaismaquestion,uneautrepairedejambesapparut,cesfameusesjambesfines
etgalbées.Kiraatterrit justedevantmoi,sescheveuxsoyeuxendésordre,etoùétaientcoincéesdesfeuilles,
encadrantsonvisage.Commetoutàl’heure,sesjouesétaientrougesetelleétaitessoufflée.Maiscettefois,ellesentaitl’alcool.Matoutenouvellefemmeescaladaitlesarbres,complétementivre!Jeserrailesdents.
–Donc…vousêtesfous,dis-je.–Hé,bonsoir,monmari,balbutia-elle.Comments’estpassévotrerencard?–Monrencard…Kira,turéalisesquetuauraisputebriserlecouetVirgilaussi,d’ailleurs?!Je
supposequec’étaittonidée?Kira jetauncoupd’œilàVirgil.Onauraitditunpetitgarçonquivenaitd’êtreconvoquédans le
bureaududirecteur.–C’étaitmonidée,absolument.Kirareconnaissaitlesfaits,droitecommeun«i»,lesbrascroiséssouslapoitrine.–Sais-tuquelorsquetumontesdansunarbretouteunejournée, tupeuxobservertout lemonde?
Personnenelèvelesyeux.C’estlachoselaplusintéressantequisoit.–Hum.Tuassansdouteunegrandeexpérienced’escaladedanslesarbres.Elletitubaetjelaretins.–Ouais,pasmal.–Etbiensûr,ilyacettehistoired’étoilesfilantes.
–Ehbien,oui,çavautlecoupd’essayer,n’est-cepas?Personnenejouelesermitesdanssacabanedanslesboisenbuvantseul,lesoirdesanuitdenoces.
Ellefronçalessourcils,commesielleessayaitdesesouvenirdequelquechose.–Àl’avenir,pourrais-tuéviterd’entraînermesemployésdanstescascades?Jedétesteraisavoirà
appelerlamèredeVirgilpourluidirequesonfilsesttombéd’unarbre.–Oh,iln’yavaitaucundanger.Enfin,pasvraiment…Tun’asjamaisgrimpédansunarbre?Ceux-
ci sont parfaits. Les… – Elle fut interrompue par un petit hoquet – branches sont tellement énormes,tellementfortes,etlargesaussi.Tupourraisdormirdessus.
–Tues ivre,Kira.Si tuavaisessayédedormirsurunebranched’arbre, je t’aurais retrouvéeenmillemorceauxparterredemainmatin.
Ellesemitàrire,commesij’avaisditquelquechosededrôle.–Nan,maissérieusement,tuasforcémentdéjàescaladéundecesarbres?–Non.–Non?Maispourquoi?Ellemeregardal’airtrèssérieux,aussiéberluéequesijeluiavaisannoncéquejenerespiraispas
avantaujourd’hui.Sansrépondre,jemetournaiversVirgilquisebalançaitsursespieds.–Retournetecoucher,Virgil.–Oui,Monsieur,murmura-t-il.IlsetournaversKira,sonvisages’illuminacommesielleétaitunsoleildansunmondedeténèbres.
Enl’occurrence,lesténèbres,c’étaitmoi.Illuioffritleplusgrandsourirejamaisvusurlevisaged’unhommeadulteetluidittimidement:
–Bonnenuit,MademoiselleKira.Àmagrandesurprise,Kiraluirenditsonsourire.Elleétaitlà!Cettefameusefossettequej’avais
vuesurlaphotopiquéesurInternet.Ellel’avaitofferteàVirgil.Jen’yavaisjamaiseudroit,pasmêmeunefois.Etjenel’auraisprobablementjamais,surtoutaprèscesoir.
–MadameKira,corrigea-elleavecunclind’œil.Virgilme lança un regard qui, je le jure, était suspicieux. Il fit ensuite un signe de tête à Kira,
toujoursaussisouriante,ettournalestalons.Jeserrailesdentsetmetournaiverslapetitesorcière.Nousnousregardâmespendantquelquesinstants.–Monpèrenemel’auraitjamaispermis,dis-je.Degrimperauxarbres.Elleplissalesyeuxcommesielleessayaitdesesouvenirdecedontnousavionsparlé.Sonregard
croisalemien,etbienqu’ellefûtclairementivre,jevisladouceurapparaîtresursonvisage.–Monpèrenemelepermettaitpasnonplus.–Jepariequetunel’écoutaispas?dis-jeenhaussantunsourcil.Elle eut unpetit rire et secoua la tête.Elle semblait soudainement si triste que j’eus envie de la
prendredansmesbras.Maislesourirerevinttrèsviteilluminersonvisageetelletournasonregardversl’arbre.
–Pasdutout.Jen’aijamaisététrèsdouéepourobéir.Nipourladouceur.Nipourtenirmalangued’ailleurs.Jeferaisuneterribleépouse.
Elle titubaencoreunpeuetellefitunpasversmoi.Je laprispar lebras,enriant, incapablederésister.
Ellesemblasoudainpenseràquelquechose.–Enparlantdemonpère, jet’aiditd’êtrediscretsurvotreviepersonnelle.Diiiscret,dit-elleen
étirantlemot.C’esttrèsimportant.Jetoussotai.–Jecroyaisquetuavaisditquetun’étaispastropinquiètepourtonpère.Ellesemordillalalèvre.–Jesuistoujoursinquiètequandils’agitdemonpère,murmura-t-elleenregardantauloin.Sesyeuxsefixèrentànouveausurmoietelleseredressa.–Jeneveuxpaslaisserlaporteouverteauxennuis.–C’estnoté.Elletanguaànouveau.–Allezpetitesorcière,nousallonsteramenerdanstademeureaufonddesbois.J’allaispresqueluiproposerdedormirdansl’unedeschambresdelamaison,maiselleavaitdéjà
refuséavant,etfranchement,jepensaisqu’ilétaitpréférablequ’ilyaitunedistanceentrenous,pourtouteunesériederaisonsauxquellesj’avaisdéjàsuffisammentréfléchi.
Unefoisarrivéedevantlaportedesamaison,ellesetournaversmoi,lesyeuxdanslevagueetlesjouesrouges.Elleinclinalatêteetleventsoulevalesfeuillesdesarbresjusteau-dessusd’elle,laissantfiltrer un rayon de lune qui tomba sur son visage, faisant briller ses yeux comme des émeraudes. Sescheveux,peut-êtreattachésplustôtdanslasoirée,avaientglissépourêtremaintenantpresqueentièrementlibresetcommed’habitudedesmèchessoyeusesdansaientlelongdesesjoues.Ellem’adressaunpetitsourire, ses lèvres se retroussant légèrement, et je restaimomentanément abasourdi. J’avaispenséquecettefilleétaitjuste«mignonne»?J’étaisl’hommeleplusstupidequisoit.
Unimbécileaveugle.Undébilecomplet.Elleétaitsublime.De façon totalement irrationnelle, j’eus l’impressionqu’onm’avait trompé, comme si cettepetite
sorcièrem’avaitjetéunsort.Peut-être que ce n’était pas si irrationnel, elle l’avait probablement fait. Une petite emmerdeuse
magique.Jeserrailesdents,etmeretournai.–Bonnenuit,dis-jepar-dessusmonépaule,sansmêmeattendrequ’elleaitpassélepasdesaporte.
Jerentraichezmoietprisunedouchetrèsfroide.
***
J’évitaiKirapendantlesdeuxjourssuivants.J’étaisoccupé,maisau-delàdecetteraison,ellemedéstabilisait,etjen’avaispasbesoindeçaencemoment.Jen’avaisdutempsquepourdesrencontrestemporairesettrèssuperficiellesaveclesfemmes.Nouerunerelationavec«monépouse»auraitétéunetrèsmauvaiseidée.
Le seul contactquenousavionseuétait son textomeprévenantqu’elle avaitdemandéunecopiecertifiée de notre acte de mariage, mais que cela prendrait plusieurs semaines avant que nous larecevions.Ilfallaitencoreattendre,maisnoustouchionsaubut.Quelquessemainestoutauplus,etnousaurionslechèquedontnousavionstantbesoin.Ensuite,ceseraitenfinterminé.
Je n’avais aucune idée de ce qu’elle faisait, et je nem’en fichais.Ou dumoins c’est ce que jevoulais croire. En tout cas, elle semblait être assez heureuse pour m’éviter elle aussi. Elle ne seprésentaitplusauxrepas,etjerefusaisdedemanderàCharlottesi,ouiounon,ellemangeaitàlamaison.Cependant, je l’aperçus se promener à divers endroits de la propriété. Parfois elle devait apporter àdéjeunerauxhommesquitravaillaientavecmoi.Jemangeaistoujoursàlamaison,doncjenepouvaispasenêtresûr,etjeneleurdemandaipasnonplus.
Unesemaineaprèsnotremariage,alorsquejedescendaislacollineverslavigneoùtravaillaientJosé,Virgiletdeuxautreshommesquej’avaisembauchésàmi-tempslaveille,jestoppaibrusquement,lesyeuxécarquillés.Avais-jedeshallucinations?
Kirasetenaitdeboutsuruntracteurquisedéplaçaitaumilieudesceps.Elleétaitenéquilibresurune jambe, l’autre tendue derrière elle. Elle avait un long ruban dans une main qu’elle agitait. Ellechangeade jambeet ramenasesbrasdevantelledansunesortedepose.Leshommes l’acclamaientetapplaudissaient,levantlesdoigtscommepournotersaperformance.LetracteurconduitparJoséroulaittoujours,etKirasetournaverseuxpourfaireunegranderévérence,seslongscheveuxlibresbalayantlesol,avantdeseredresseretdeseretourner, la jambecolléeà l’oreillecommeuneballerine.J’eusuncoupaucœurenlaregardantfairecettedangereusecascade.Jememisàcourirendirectiondutracteur.José m’aperçut alors, et son sourire s’effaça. Il ralentit le tracteur, avant de l’arrêter définitivement.Immobile,jelesregardai,incapabledetrouvermesmots.Finalement,jeréussisàarticuler:
–Maisqu’est-cequevousfoutez?José segratta le cou et détourna sagement le visage, puisKira se redressa,medévisageant avec
insolence.–J’aiapportélerepas,dit-elleendésignantlessacsIn-N-OutBurgerposéssurunecouvertureau
piedd’unarbre,àdroitedutracteur.Ellesautadumarchepied.–Jeleurmontraisleprogrammequejeprévoyaisdefairepourêtreembauchéeaucirque.Jevoulais
êtredanseuse sur ledosd’unéléphant. Je l’aimis aupoint il y ades années avecmameilleure amieKimberlyqui,elle,conduisaitlavoituredegolfdemonpère.Nousavonscommencéàraconternosrêvesd’enfantet…
Elles’arrêta,souriantauxhommes.Jelaregardaifixement.–Ahouivraiment?!dis-je,sarcastique.
Elleeutl’éléganceetlasagessedeparaîtreunpeuembarrassée.Maistrèsvitesonpetitmentonseredressa,etlefeudansaànouveaudanssesyeux.
–Nousnousamusionsjusteunpeu,etpassurletempsdetravail.C’étaitleurpausedéjeuner.Elleposalesmainssurseshanches.–C’estmonmatériel,Kira.Situt’étaisblessée,c’estmoiquiauraisétéresponsable.Avantqu’ellenepuisserépondre,jefixaiJosé.–Ettoi,qu’est-cequetuasàdirepourtadéfense?Joséhaussa lesépaules,mais jevisclairementqu’ilavaitenviederire,mêmes’ilessayaitde le
cacher.–Quandlademoiselleveutdanseràl’arrièred’untracteur,quisuis-jepourl’enempêcher?Elle
possèdelamoitiédecevignoble.Jeleregardaienserrantdesdents.Jen’allaispaspasserenrevuelestermesexactsducontratde
mariagequeKiraetmoiavionssigné,etpuis jepouvaisvoirqueJosés’amusait follement.Ceque jediraisn’auraitaucunimpact.Saletraître.Jejetaiuncoupd’œilauxgarçonsquiregardaientKiracommesielleavaitdécrochélalune.
–Descends,exigeai-je.C’était la deuxième fois en une semaine que j’avais dû ordonner àma femme d’arrêter de faire
quelquechosededangereux.–Pasquestionque tumontesdans lesarbresetque tudansessur les tracteurssurmapropriété !
Compris?Ellemedéfiaduregard,croisalesbrasetdit:–Etsijelefaisquandmême?–Si tu lefais, jevais teprouverque jepeuxvraimentêtreundragon,dis-jed’unevoixcalmeet
glaciale.Ellesautadutracteur,serecevantparfaitementsursespieds.–Peut-êtrequej’auraisdûapprendreàdevenirdompteusededragon!Ellesetenaitbiendroitedevantmoietelleagitaitsonruban.Seslongscheveuxchâtainsvoletaient
autourd’elleetdelourdesmèchessoyeuseseffleuraientsesjouesd’unroseprofond.J’avançaid’unpasmaiselleagitasonrubandevantmoi,commesic’étaitunfouet.
–Lâchetonarme,sorcière,grognai-je.Lacolèrem’échauffaitlesang.–Sinon,tuferasquoi?demanda-t-elle.–Sinon,c’estmoiquivaistedésarmer.Etpuis, jelaprendraissurmongenouetutiliseraiscefouetdefortunepourluidonneruneleçon.
Ellerelevalatête,puissautilladansmadirectionavantdes’éloigneraussivite,agileetgracieuse.Ellemenarguait.
–Oh,vas-y,situoses,dit-elle,lesyeuxbrillantd’excitationetdedéfi.Montreledragonquiestentoi.Netecacheplus.
Jerelevaiimmédiatementledéfi.–Ledragonquiestenmoi?Situsavaismachèrepetitefemme,tun’asencorerienvu.Jem’approchai.Aumêmemomentellefitclaquersonrubandansmadirection.Jesentisunevive
brûluresurmamâchoire.Ellem’avaitfouetté!La petite sorcière m’avait vraiment fouetté et du sang coulait sur ma joue ! J’en restai
momentanémentétourdi.Mamainseposalentementsurmamâchoireblessée.Jebrûlaisderagequandmesyeuxseposèrent surKira.Lapetite sorcièreétait aussiabasourdiequemoi.Sesyeuxécarquillésallaient du ruban àma joue comme si elle ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Sa bouches’ouvritpuissereferma.
–Courez,MadameKira!C’étaitVirgilquicriait.Jemeretournaietvissonregardeffrayé.Kira poussa un petit cri, laissa tomber son ruban-fouet, et fit exactement ce queVirgil lui avait
suggéré.Jeprisunmomentpourdévisagerchacundemeshommes.CeuxdeKira,devrais-jedire.– Ce n’était pas vraiment de sa faute, Monsieur, dit José. On l’a provoquée, et il semblerait
qu’aucundevousdeuxnepeutrésisteràunbondéfi.Ilseretenaitderire,maisn’yparvintpas.Jelefoudroyaiduregard.–Àl’avenir,dis-jeenmetournantdansladirectionqueKiraavaitprise,évitezdedemanderàma
femmedefairedescascadesdangereusessurdesenginsenmarche.–Oui,Monsieur,entendis-jemurmurerdansmondos.Jememisalorsàcourirderrièrecetteinsupportablegamine.Jelaviss’arrêter,hésitantàseréfugierdanslecabanonoudanslamaisonprincipale.Ellechoisit
cettedernière,pensantprobablementqu’elleauraitlesoutiendeWalteretCharlotte.Noussavionstouslesdeuxqu’iln’yavaitaucunmoyendes’enfermerdanscecabanon.
J’avaispenséqu’elleessaieraitdes’échapperparunedesnombreusesportesà l’arrière,maisenarrivantdanslamaison,elleétaitlà,dansl’entrée,regardantautourd’ellesanssavoiroùaller.
Laportesefermadoucementderrièremoietj’utilisailebasdemontee-shirtpourépongerlesangquejesentaiscoulersurmamâchoire.Quandjerelevailatête,jeremarquaiqu’elleavaitlesyeuxrivéssurmonventrenu.Jesentismonentrejambedurcir,monsangcirculantsoudainplusvitedansmesveines.Putaindesorcière.
–Jenel’aipasfaitexprès,dit-elleenjetantuncoupd’œilauxescaliers,commesielleenvisageaitdelesprendrepours’échapper.
–Çat’arriveplussouventqu’auxautres.Kira,sij’avaisvouluterattraper,tuneseraismêmepasarrivéeàladeuxièmemarchedecetescalier.
Jevisladéterminationdanssonregard.Ellefeintaendirectiondelacuisine,avantdefilersurlagauche,verslesalon.Jemelançaiàsapoursuite,l’instinctdumâleprimitifchassantunefemelleenfuiteexcitantmessensetfaisantexploserl’adrénalinedansmonsang!
Kiracourutverslecanapé,par-dessuslequelelleessayadesauter.J’étaisjustesursestalons.Jelaplaquaietellesemitàcrierensedébattant:
–Charlotte!Walter!Jeréussisàlamaîtriserenluibloquantlesbrasetjeluilançaiunregardtriomphal.Soudainellese
mit à se débattre et tourna la tête comme si elle s’attendait à recevoir un coup. Je la relâchaiimmédiatement.
–Tucroyaisquej’allaistefrapper?demandai-je,incrédule.Sesyeuxmagnifiquescillèrent,luidonnantunairvulnérableettrèsjuvénile.Unevaguedetendresse
mesubmergea,chassantlacolère–Jenetefrapperaijamais.Ellesecoualatête.–Je…jesais,dit-elle,maisjecomprisautondesavoixqu’ellen’étaitpasconvaincue.–Grey?Kira?Charlotteapprochaitderrièremoi,maisjenelevaipaslesyeux,etKiranetournapaslatête.J’étais
toujoursallongésurelle.–Nousallonsbien,Charlotte,affirmai-je.–J’aientendu…–Nousallonsbien,Charlotte,répétai-je.Donne-nousuneminute,s’ilteplaît.Ellehésitaunmoment,puisj’entendissespass’éloigner.Kirameregardaittoujoursavecdegrandsyeuxméfiants.Pensait-ellequ’avecmonpassédedétenu
arrêtépourcoupsetblessuresjepourraisleverlamainsurelle?Non,ellen’avaitjamaiseupeurdemoi,etn’avaitreculédevantrien,jusqu’àcequenoussoyonsdanscettedrôledeposition.
–Quelqu’unt’adéjàfrappée?Ellemefixaittoujours.–Oui,murmura-t-elle.Je fermai les yeux et laissai échapper un long soupir. Quand je les rouvris, elle me regardait
toujours,ouplutôtlacoupuresurmajoue,quej’avaisd’ailleurscomplètementoubliée.C’étaitjusteuneégratignure.Ceboutdetissuridiculeavaitdûmetoucherjusteaumauvaisendroit,sinonquellesétaientleschancesd’êtrecoupéparunruban?
–Jet’aifaitmal,dit-elle,d’unevoixpleinederegrets.Moncorpsétaitallongécontrelesien,sondélicatparfumfleurim’enveloppait,etseslèvresétaientlégèremententrouvertes.Sesyeuxétaientpleinsd’unetendresollicitudeetilsétaientsibeauxquejesentismapoitrineseserrer.
Je ne pus pas m’en empêcher. Je posai mes lèvres sur les siennes. Elle tressaillit, et après unmomentdetensionànousregarderdroitdanslesyeux,elles’abandonnasurledivan,m’enveloppadesesbrasetfermalespaupières.
Jegémisdeplaisir.J’utilisaimalanguepourdessinerlecontourdeseslèvres,avantdelaglisseràl’intérieurdesabouchebrûlante.Elleavaitungoûtdesucrechaud,ettandisquesalangues’emmêlaitàlamienne,jeglissaimamainsoussoncorpsetsuivislacourbedesondos.Ellesecambra.Alorsque
noslanguesjouaientensemble,lebaiserdevintplusprofond,plusintense,etlamiennelapénétradansunmouvementdeva-et-vientvieuxcomme lemonde.Lapassion,aussibrutaleet soudaineque la foudre,s’abattit sur nous.Cela semblait si évident de la sentir comme ça, sousmoi. Je perdais peu à peu lecontrôle,etcettesensationétaitaussisurprenantequ’inquiétante.J’écartaimes lèvresdessiennespourl’observer : ses joues rosies, ses lèvres mouillées et gonflées par mon baiser, ses yeux à moitiéentrouverts. Elle était stupéfiante. Je saisis entremes doigts une de sesmèches acajou soyeuses et jemurmuraidoucement:
–Cescheveux…Elleentrouvritlesyeux,l’airsoudainementtroubléetméfiant.Ellegigotasousmoi,m’arrachantune
petiteexclamationquandellesefrottacontremonentrejambegonfléettendu.Ellesedégagea,meforçantàm’asseoirbrusquement.Elleseremitdeboutetmefixa.Lorsquejeluitendislamain,ellereculaenmefixant d’un air presque accusateur. J’ouvris la bouchepour dire quelque chose, sans trop savoir quoi,maiselleseretournaets’enfuitencourant.
CHAPITRE10
KIRAJenecomprenaisrienàcequivenaitdesepasser.Jepensaisqu’ilallaitmetuerenmeregardant
aveccetteintensitéprédatrice,etl’instantd’aprèsilm’embrassait!Meslèvresfrissonnaientencoreenrepensantàlasensationdesabouchesurlamienne.J’yposai
mesdoigts,appuyantdoucementpoursentirleursensibilité,pourêtresûrequejen’avaispasrêvé.M’êtrelaisséeembrasserétaitgrave,maisilyavaitpire:jem’étaislaisséefaire.Encore.J’avais
entendu,aufonddemoi, touteslesraisonspourlesquellesj’auraisdûlerepousser.Maisjen’enavaispasétécapable.Aucontraire,Graysonsavaitexactementàquelpointilmeplaisait,maintenant.Quellehumiliation!
Surtoutaprèscequ’ilavaitfaitdenotrenuitdenoces.Je m’effondrai sur mon lit, faisant grincer les ressorts rouillés, puis fixai le plafond, en pleine
confusion.Depuis le jour où il était allé à un rendez-vous avec une autre femme, je l’évitais. Il avaitd’ailleursprobablementcouchéavecelle.Jegrimaçaienmeremémorantcefameuxjour,mais,commejelefaisais toujours, jechassaicessouvenirsdésagréables.Jeparvenaisd’ailleurssouventàoublier lesmoments difficiles. Quand c’était nécessaire, je m’y aidais de quelques bouteilles de vin que jeconservais à la maison. Être mariée à Grayson Hawthorn risquait de me transformer en alcooliquesolitaire,réfugiéedansunecabanedejardinierpourrie!Monplanpouraméliorermasituationsepassaitdécidémentmerveilleusementbien!
JegémisbruyammentenrepensantàGrayson.Iln’avaitpasappréciél’escaladedanslesarbres,etencore moins la danse du tracteur. Soit, et alors ? C’était un dragon bipolaire de toute façon. Pourcouronner le tout, je commençais àm’ennuyer. Etmon père disait toujours que quand j’avais trop detempsà tuer,celafaisait ressortir lepireenmoi.Surcepoint,aumoins, ilavait raison.Lavieoffraittellement de possibilités, pourquoi devrions-nous passer, ne serait-ce qu’une journée, à s’ennuyer ?J’auraismieuxfaitderoulerjusqu’àSanFranciscoetdepasserquelquessemainesàtravaillerdanslesdifférentsorganismesdecharitéquejesoutenais.J’avaisenvied’aiderlesautres.Jen’yétaispasencoreallée car je voulais leur apporter plusieurs chèques.Et puis je ne pouvais pasmepayer un logement,mêmetemporaire,avantderecevoirnotrecertificatdemariageetd’avoirtouchél’argentdel’héritage.
Certificat de mariage… Grayson. Mon mari. Qui m’avait embrassée ! Son attitude étaitincompréhensible.N’avait-il pas été parfaitement clair sur le fait que je n’étais pas son genre, et que
surtout,jenedevaispasmefaired’idées.Etpuis,soudain,ça?!Cedevaitêtresouslecoupdelacolère,je ne voyais pas d’autre explication. Il n’avait sûrement pas vraiment envie de m’embrasser. C’étaitprobablement pareil que la première fois : une façonde prendre le dessus. Il fallait oublier ça.Nousn’avionsplusqu’ànous ignorerdenouveau.Etpuis,pourune foisdansmavie, ilvalaitmieuxque jecontrôlemesimpulsions,n’est-cepas?
Mespenséesembrouilléesfurentinterrompuespardescoupssurlaporte.Jemelevairapidementetdemandai:
–Quiest-ce?–C’estmoi,Grayson.Jen’étaispasprêteàlevoir.–Jesuisoccupée.Va-t’en.–Kira.Àsavoix,jesentisqu’ilétaitlégèrementagacé.– Ce cabanon ne ferme pas à clef. Je vais entrer que tu me donnes la permission ou non. Je
préféreraisquetum’yautorises.Jeserrailespoings.Dragonarrogant!–Trèsbien,entre,braillai-je.Jemefigeaienl’entendantentrer.Ilsedirigeaversmachambre.Jedétournaimonregardailleurs
car jenevoulaispasvoiràquelpoint ilétaitbeau,nirepenserauplaisirquej’avaisprisàsentirseslèvresdoucesetpleinessurlesmiennes.Etj’avaisencoresongoûtsurlalangue…
–Nousdevrionsparlerdecequivientdesepasser,dit-ild’unevoixfeutrée.–Pardon?demandai-jeavecdésinvolture,enmetournantverslafenêtre.–Tu ne t’en souviens pas ? dit-il avec une pointe d’humour. Si tu oublies aussi facilementmon
baiser,peut-êtrequejedevraisrecommencer,enm’appliquantcettefois.Jepensaisavoiraméliorémaperformanceparrapportàlapremièrefois,maispeut-êtreavons-nousencorebesoind’entraînement…
–Non,dis-jeenmeretournant.Jeprisunegrandeinspiration.Non,ceneserapasnécessaire.Onétaittouslesdeuxtrès…excités.Cesontdeschosesquiarrivent.Cen’estpasgrave.
Jefisdegrandsgestesdelamain.–Rassure-toi,jenevaispasmefairedesidéespourautant.Pasdepenséesirréalistes.Ilm’adressa alors le sourire en coin ravageur dont il avait le secret, et qui faisait certainement
tomber toutes les femmes dans ses bras. Comme Jade, avec qui il avait couché pendant notre nuit denoces.Jenesavaispaspourquoijelanommaispuisquejen’ypensaisplus.Ilserapprocha.
–Peut-êtrequec’estmoiquiaidespenséesirréalistes.–Oh.Jemanquaid’airsoudain.Jeprisunegrandeinspiration.–OK.Ehbien,cen’estpasunebonneidée.Çaneferaitquecompliquerleschoses.Etpuis,jene
suispastongenre,tutesouviens?–Jepensequejemesuistrompésurcepoint,Kira.
Ilserapprochaencored’unpas.–Tuasvoulumetuer,luirappelai-je.–Oui,ehbien,ilfaudraitarrêterlesconneries.Cellesdustyleescaladerlesarbresetdansersurles
tracteurs!Jenepeuxpastelaisserteblesser.Etpuis,tum’asnarguédevantmeshommes,avantdemefouetter.
Bon,c’estvraiqueditcommeça…–C’étaitunaccident,contestai-jeMes yeux se posèrent sur la petite coupure de sa mâchoire, et une vague de culpabilité me
submergeaànouveau.Ilpritalorsunemèchedemescheveuxqu’ilreplaçaderrièremonoreille.Lefaitqu’ilsoitsiprès
demoimebouleversait,metroublait.Sonsex-appealdévastateurmeliquéfiaitlittéralement.Jepouvaissentirlachaleurdesoncorpscontrelemienetimaginersesmusclessaillantssoussesvêtements.Mesyeuxseposèrentsursabouchemagnifiquementdessinée,etjemesouvinsduplaisirquej’avaisressentiquandelleavaitcaressélamienne.Cefutcommeunélectrochocquimeramenaàlaréalité.
–Jesais,dit-il,pensif.Jedusfaireuneffortpourmesouvenirdecedontnousavionsparlé.–Pourjenesaisquelleraison,avectoijesuisparticulièrement…Ils’arrêta,semblantchercherlebonmot.–Reptilien?lançai-jeenmeredressant.–Fantasque,corrigea-t-ilenm’adressantunsouriredésinvolte,censémedésarmersansdoute.Çanemarchapasdutout.Presquepas…Ilm’observapendantquelquesinstants.–Tuasprobablementbesoindet’occuper.Tum’asditquetuavaisuneexpériencedecomptabilité.–Oui,j’aitravaillédanslacompagniedemonpère.J’aifaitdusecrétariatetdelacomptabilité.–Bien,alorslebureaudelamaisonestàtoimaintenant.Jesuisnavrédetedirequejen’aipaseu
beaucoupdetempsrécemmentpourclasserouranger.Tuvasavoirdupainsurlaplanche.J’acquiesçai.–Letravailnemefaitpaspeur.Ilpritunairpensif;sesyeuxétaientsombresetinsondables,parésdecilsincroyablementlongs.Il
balayaduregardlachambreoùnousnoustrouvions.Ilposalesyeuxsurlesvasesdefleursquej’avaisinstalléscematin,puisdérivaverslaportedelapetitesalledebains.
–Jevoisça.Ma poitrine se gonfla de fierté. Jusqu’à aujourd’hui, peu d’hommesm’avaient complimentée sur
moncaractèreoumontravail.J’étaispresquegênéetantcestroismotsavaientdel’importancepourmoi.Je voulais les retourner dans ma tête et les savourer pendant quelques minutes, mais Grayson prit ànouveaulaparole.
–Jecroisquenousavonspeut-êtreeutortdemettredesrèglesdansnotrerelation.Noussommesmariés,Kira.Etnoussommesmanifestementattirés l’unpar l’autre.Pourquoinepourrions-nouspas…
explorerça?Jemanquaim’étouffer.Je luiplaisais?Ilmedésirait?Pourquoi?Parcequ’ilétaitexcitéetque
j’étais là?Despapillonss’agitèrentdansmonventre,comme lapremière foisoù j’avais rencontréunhomme. Je reculai et baissai le regard, incapable de soutenir l’intensité de ses yeux sombres dont jevoyaismaintenantqu’ilsavaientl’étonnantecouleurdesgrainsdecafé.Pasnoir,plusprofonds,d’unbrunsombresurprenant.
–Pourquoiest-cequetuasbesoindemoi?TuasJade.Jen’étaispasamère,maisalorspasdutout.–Jen’aipascouchéavecJade,Kira.Tuavaisraison.Çan’auraitpasétédiscret,maissurtout,ça
n’auraitpasétécorrect.Jem’enmoquais,maisj’étaissecrètementsoulagée.Nonseulementiln’avaitpascouchéavecJade,
maisenplusilavaitcomprisquesonacteauraitpurendrenotrerelationbeaucoupmoinscrédibleauxyeuxdesgens.
– Je suis ravie que tu aies réalisé que tu allais trop loin, mais en dehors de cela, je me fichetotalementdecequetufaisavecJade,insistai-jeenrelevantlementon.
Ilmesouritsimplement.–Alors,qu’enpenses-tu?De…nous?–Jepeuxtejurer,Grayson,quetuneseraispasimpressionnéparmontalentdanscedomaine…Jedétournaibrièvementmonregard.Ilfronçalessourcils.–Jepense,petitesorcière,quej’aimeraismefairemapropreopinionàcesujet.Savoixétaitchaudecommedumiel.La peurm’envahit lentement.Non.Non, je n’avais aucun intérêt àme laisser entraîner dans une
relation avec le Dragon. Il avait certainement eu dans son lit d’innombrables femmes qui savaientexactementcomments’yprendrepourdonnerduplaisir.Jenevoulaispasqu’ilmecompareàelles.Deplus,j’avaisvulegenredefemmequil’attirait,etjeneleurressemblaispasdutout.Jesecouailatête.
–Cen’estpasunebonneidée,etdetoutefaçonjenesuispasintéressée.Jenet’aimepasbeaucoupetjenetetrouve…pastrèsattirant.Hideuxmême,pourêtreplusjuste.
Il éclata de rire. Il savait bien qu’aucune femme saine d’esprit ne pouvait le trouver repoussant.Cependant,ilpensaitquej’étaisunpeutoquée,cequijouaitenmafaveur.
–Deplus, tu as lesmanières d’un reptile qui souffre de problèmes de digestion, ajoutai-je pourrenforcermonpropos.
–Jepeuxêtrecivilisésij’ymetsdumien,dit-ilaveccesourireravageurquimerendaitstupide.–J’endoute,murmurai-je.– Jevais te leprouver.Soisprêteà18heures, jepasserai techercher.Nousn’avons jamais fait
notredînerdemariage.Hein,quoi?Non.–Jenesuispaslibreàcetteheure-là,criai-jealorsqu’ils’éloignaitdéjà.
–18heures,hurla-t-il.Jeserrailesdents,biendécidéeàluitenirtête.Maislavéritéétaitquejemesentaispitoyablement
seule,etquejem’étaisennuyéependanttoutelasemaine.Ilétaitdifficilederésisteràuneinvitationàdîner,mêmesic’étaitavecmonmari.Etpuis,peut-êtrequ’ilseraitbondeparler,deluienleverdelatêtecetteidéeridiculed’essayerd’allerplusloindansnotrerelation.Cedînerseraitunefaçondemechangerlesidées,cesoir,etcesoirseulement.Jeseraismoinsenclineàavoirde«TrèsMauvaisesIdées»sij’étaisoccupéeàtriersespapiers.Detoutefaçon,ilseraitrapidementtrèspris.Unefoisquel’argentdel’héritage serait arrivé, les choses rentreraient dans l’ordre.Bientôt je pourrais partir d’ici et effacerGraysonHawthorndemamémoire.Mais,avantcelaréfléchissons:qu’est-cequej’allaisbienpouvoirporteràmondînerdemariage?
***
Lepick-updeGraysons’arrêtadevantlecabanonà18heurespile.Jeprisunegrandeinspirationpourmedonnerducourageettraversailesbroussailles.Ilsetenaitprèsdelaportepassagerouverte.
–Disdonc,tusaisêtreungentlemanquandtuveux.Quil’eutcru?Sonsourireluidonnaitunairdereptiletrèssatisfait,passidyspeptiquequeça,douxmaisunbrin
diabolique.Jeprissamain,etm’installaidanslevéhicule.Ilétaitfraîchementraséetsescheveuxencorehumides brillaient dans la lumière. Sesmèches presque noires, luisantes, étaient toutes ébouriffées. Ilétaitdiaboliquementbeau.J’évitaideleregarderpournepassuccomber.S’ilyavaitbienunechosedontj’étaissûre,c’étaitqueleshommescommeluiavaienttendanceàuserdeleurcharmepourarriveràleursfins,etjenetomberaispasdanslepanneau.
Unefoisauvolant,ilroulaversleportail.–Alors,oùest-cequetum’emmènes?–Dansunendroittypiqueducoinquiteplairajepense.Ilavaitl’airdétendu,maispendantuncourt
instant,sonvisageparutinquiet.Je tortillai mon collier en observant son profil, me demandant à quoi il pensait. Ses yeux se
dirigèrent lentement versmamain, puis vers la chaîne enroulée autour demon doigt au niveau demapoitrine,puis surmondécolletéqu’il fixaavec insistance. Il reportasonattentionsur la route. J’avaisoptépourunerobed’étéjauneàtailleempireetdestalonscompensésbleumarine.Maisàcemomentprécis, étant donné la manière dont Grayson avait louché sur les parties exposées de ma peau, et latension sexuelle qui régnait dans la voiture, j’aurais donné tout ce que j’avais pour une tenue pluscouvrante,commeunsariouunboubouparexemple!
–Alors,Kira,tudisaisquetuavaisvécuenAfriquejusqu’ilyapeu.Qu’est-cequetuyfaisais?demandaGrayson.
Ilvoulaitsansdoutediscuterdetoutetderien.Ah,maintenantqu’ilvoulaitquejeréchauffesonlit,ilavaitdécidédes’intéresseràmoi.Classique.Maiscequ’ilnesavaitpas,c’estquej’avaistrèsbiencomprissonpetitjeuetquejenetomberaispasdanslepiège.
–Unamiàmoiconstruisaitunhôpital.J’aidécidédel’aider.–Unami?répéta-t-il,enmeregardantducoindel’œil.–Enfaitc’estplutôtungarçonquej’aiparrainéàtraversunprogrammedecharité.Peuimporte,au
fildesannéesKhotsoestdevenuunami,épistolaire,évidemment.Aprèssanaissance,samèreasouffertdecequ’onappelleune fistuleobstétricale alorsqu’ellen’avaitque treizeans, et ça adonnéenvie àKhotsodedevenirmédecin.
Lafiertém’envahitenparlantdemonami.–C’estpresqueinconnuicienAmérique,maisc’estungrosproblèmeenAfriqueàcausedel’âge
trèsprécoceauqueldenombreusesfillessemarientettombentenceintes.Leursjeunescorpsnesonttoutsimplementpasprêtspourdonnerlavie.Enplus,leurviequotidiennetrèsdureentraînetrèssouventdesaccouchements difficiles, quand elles ne perdent pas carrément leur bébé. Elles souffrent ensuiteterriblement à causede ces fistules.Khotso adoncouvert unhôpital pour soigner ces jeunes femmes.Certaines vivent avec une fistule depuis des années, d’autres viennent de perdre leur bébé.C’est uneréussiteincroyablepourquelqu’undesijeune!
Jem’arrêtaisoudaindeparler,comprenantquejem’étaislaisséeemporterparlapassionpourceprojetcommeçam’arrivaitsouventquandj’enparlais.Jesentisquejerougissais.
–Pardon,je…–Tuespassionnéeparcesujet.C’estadmirable.Etçam’al’aird’êtreunecausetrèsimportante.
Tuaidesunepersonnequi,àsontour,enaidetellementd’autres.Ilmeregardaaveccequimesemblaêtreunprofondrespect.Moncœurseréchauffaendépitdela
promessequejem’étaisfaitedegardermesdistances.–Donctul’asaidéjusqu’àcequel’hôpitalsoitconstruitettuesrentréeàlamaison?Jefixaimesongles.– Eh bien, pas vraiment. J’aurais voulu rester jusqu’à l’inauguration mais il y a eu, disons, un
incident.Graysonhaussaunsourcil.–Unincident?–J’ai…euh…défiéuncheftribalàlacourseàpied.–Évidemment.Ilyavaitunepointedesarcasmedanssaréponse,maisenleregardantjevisdel’amusementdans
sesyeux.C’étaitpresqueaffectueux,etjememisàriredoucement.–Apparemment leschefsde tribusn’aimentpasêtreprovoquésenpublic.En toutcas, j’aipensé
qu’ilvalaitmieuxpourKhotsoetpoursonprojetquejeprennemesdistances,ausenspropreduterme.J’aidoncprisunvolretourunpeuplustôtqueprévu.
Etavantd’avoir le tempsde trouverunmeilleurplanqueceluide t’épouser,GraysonDragonHawthorn.
Nousnousarrêtâmessurunparkingducentre-villeetnousprîmesladirectiond’unrestaurantitalienquej’avaisrepéré,maisoùjen’avaisjamaisdîné.Ilétaitinstallédansunancienétablissementbancaire
avecdelargescolonnesdepierresenfaçade.–J’aipenséqu’ilseraitappropriéd’avoirnotrepremierrendez-vousdansunebanque,ditGrayson
enm’ouvrantlaportière.Aprèstout,c’estdansunendroittelquecelui-ciquetoutacommencé…Jehaussailessourcils.–C’estvrai.Mêmesicen’estpasunpremierrendez-vous.C’estsimplementundînerdemariageen
touteamitié,undînerpratiquementprofessionnel.Avantqu’ilnepuisserépondre,unehôtessenousaccueillit.–GraysonHawthorn.J’aiuneréservationpour18heures30.Lajeunefemmeluiadressaunregardadmiratifetrejetasescheveuxenarrière,cherchantàattirer
sonattention,puiselleseretournapournousaccompagnerànotretable.Jeremarquai lesregardsqu’onnous jetaitalorsquenous traversions lasalleprincipale.Certains
venaient de femmes pleines d’admiration pour Grayson, mais la plupart étaient désapprobateurs.J’entendais,malgrémoi,chuchotersonnomendestermesquinemesemblaientpasélogieux.Jefronçailessourcils,notantlaposturerigidedeGraysonpendantquenoussuivionsl’hôtesse.
Jemesouvinsdesdeuxfemmesquej’avaisentenduesdanslemagasin:Tunepeuxpasleprésenteràtamèremaintenant…Monregards’assombritunpeuplus.Une fois assis, chacun avec un verre de vin, Grayson commença à se détendre légèrement. Je
regardaiautourdenous,lesgensévitaientdecroisernosyeux.Detouteévidence,onparlaitdenous.JemerappelaialorscommentunepetitevillecommeNapapouvaitfonctionner.TouscesgensjasaientsurGrayson,lejugeaient.Peut-êtrepoursoncrime,peut-êtrepourlesraisonsdesonretour.Peut-êtreparcequesonvignobleétaitruiné,peut-êtreparceque«tunepeuxpasleprésenteràtamèremaintenant.»
Lacompassionm’envahit.Jesavaiscequec’étaitd’êtrejugée,etdeseretrouvercruellementexclu.Il semblait immunisécontre leschuchotementsqui l’entouraient,pourtantquelquechosemedisait
qu’ilnel’étaitpastotalement.Jeleregardai,raidecommeunpiquet,étudiantavecunpeutropd’intérêtlemenu.Alors,lapromessequejem’étaisfaitederesterdétachées’évanouit.
–Jemesuisrenduecompte,luidis-jetoutdoucementenposantmamainsurlasienne,que,parfois,lameilleureréponseestlesourire.
Quandmamain le toucha, il tressaillit, et ses yeux se plantèrent dans lesmiens.Ce regard étaittellementvulnérablequ’ilfitfondremoncœur.C’étaitceluidel’hommequej’avaisvudevantlabanque.
–Essaye!Jel’encourageaigentiment,souriantmoi-mêmelargement.Enretour,j’eusdroitàunetimidegrimace.–C’estçatonsourire?Vraiment?Jefissemblantdetrembler.–Çaressembleplusàunehyèneenpleinecrisededémence.Surlecoup,ilparutchoqué,puisiléclataderire.Cesourireétaitàlafoislarge,lumineuxettrès,
trèsbeau.Jesourismoiaussi.Etsoudainlatensions’estompa.Jeretiraimamainquiétaitencorechaude
denotrecontact.Aprèsça,ladiscussiondevintpluslégère.Jenevoulaisplusromprelecharmedecetteamitiésimplequenoussemblionspartagerdésormais.
Alorsqu’onnousservaitledessert,unedameâgéevintànotretable,suivied’unejeunefemmequiavaitl’airtrèsnerveuse.
–Jepensaisbienquec’étaitvous,GrayHawthorn,dit-elle.Jen’enétaispourtantpassûre.Vousnevousêtespasmontréensociétédepuisvotre…retour.
Ellesetournaversmoienmetendantlamain.–JesuisDianeFernsby.VousdevezêtreunedesconquêtesdeGray?lança-t-elle,labouchepincée
parlemépris,àenfairesuinterlecollagènedeseslèvresrefaites!Graysonluicoupalaparole–Enfait,Diane,ils’agitdemonépouse,KiraHawthorn.Mes yeux volèrent jusqu’aux siens et je déglutis, rendue muette par le choc. Je n’avais pas été
préparéeàentendrecesmots.LevisagedeDianepassapartouteslescouleurs.–Tonépouse?Gray,pourquoiest-cequelaplusvieilleamiedetamèreetmoin’avons-nouspas
reçud’invitationaumariage?–Mabelle-mère,corrigeaGrayson.Etlacérémonies’estdérouléedanslaplusstricteintimité.Ilmepritlamainetmesourit.–Nousnepouvionspasattendre.–Je…jevois,dit-elle,enfixantmamaingauche.Sesyeuxs’élargirentencorequandellevitlabagueàmondoigt.–Ehbien,c’estcertainementune…–Maman,nousdevrionsyaller.SalutGray,ditlajeunefillederrièresamère.–SalutSuzie,ditGrayd’untonpluschaleureux.Ellerougitendétournantleregard.Uneex-petiteamiepeut-être?–Oui,tuasraisonchérie.Ilfautqu’onyaille.Ellesetournaversnous.–Bon, toutesmes félicitations,dit-elle avecun tonqui était loind’être celuiqu’onutilisaitpour
congratulerlesgens.Aprèscequis’estpasséavecVanessa…tun’aspasdût’enremettreencore.Ellesecoualatête.–Romprevosfiançailles,etfinalementsemarierpendantquetuétaisencoreenprison!–Nousn’étionspasfiancés,ditGraysond’untoncalmeetfroid.Vanessa?Dianefitunsignedelamain.–Oh,allons,noussavionstousquec’étaitjusteunequestiondetemps.Tamèrem’avaitditquetu
avaismêmeachetéunebague.Etpuis…–Maman,coupasévèrementSuziedanssondos.Ellenousadressaunsouriredésolé,toutentirantlamaindesamère.
–Bon,ehbien,àtrèsbientôt,sansdoute.Bonnesoirée.Aprèss’êtreéloignéedequelquespasdenotretable,Dianesepenchaverssafilleetluichuchotasuffisammentfortpourqu’onl’entende:
–Machérie, tu l’aséchappébelle aveccelui-là.Unex-détenu !Enplus j’ai entendudireque levignobleestprochedudépôtdebilan.Aprèstoutlechagrinqu’ilafaitàsesparents…
Sesparolesdevenaientincompréhensiblesàmesurequ’elles’éloignait,maislebruitdeclaquementdésapprobateurdesalanguerésonnadanstoutelasalle.
J’attendisqu’ellesdisparaissentdenotrechampdevisionpourparler:–Tonépouse?luidemandai-jeavecunsourirefigé.Jecroyaisquetudevaisjustemeprésenterpar
monprénom.Unmusclede lamâchoiredeGrayson tressauta,unefois,deuxfois,avantqu’ilnefasseuneffort
perceptiblepoursedétendrePuissonregardseposasurmoi.–Tum’asfaitcomprendrequ’ondevaitfaireensortequenotreunionaitl’aircrédibleafind’éviter
quetonpèrenesoupçonnequelquechose.Jemesuisjusteditqueçanepourraitpasfairedemalsilanouvelledemonmariagecouraitenville.DianeFernsbyestunedesplusgrandespipelettesdeNapa.
–Oh…Jefisunsignedetête.Ilsignaleticketdecartebleuequeleserveurvenaitd’apporter.LePrincede
Glaceétaitderetour.Jemesentaisexagérémentblessée.J’auraisvoululuiêtrereconnaissanted’avoirfaitensortequenotremariageparaissecrédibleauxyeuxdetous,maisj’avaisparfaitementconscienceque,s’ilavaitditquej’étaissafemme,cen’étaitnipourmonbien,niparrapportàmonpère.Ill’avaitditpourclouerlebecdeDianeFersnby.Jesavaisqu’ilpouvaitêtrelunatique,maistoutsepassaitsibienavant que cette femmene fasse irruption et ne parle de son ex.Qu’est-ce qui avait bien pu se passerd’ailleurs?UnefemmeavaitlarguéGrayson?Etoùétait-ellemaintenant?JemedemandaissiellevivaitàNapa,etsielleavaitdéjàentenduparlerdenotremariage.Detoutefaçon,jenepouvaispasm’occuperde la vie privée de mon mari. Aussi attirant soit-il, c’était beaucoup trop fatigant d’essayer de lecomprendre.
Graysonmedevançaetmeguida jusqu’àsonpick-up.L’humeur joyeuseetdécontractéequenousavions partagée pendant le dîner avait disparu, remplacée par la distance pénible de la froideur deGrayson.Maisunefoisassisdanslevéhicule,ilsetournaversmoi:
–Jesuisdésolépourcequis’estpassé,Kira.J’aivécutoutemaviedanscetteville,etbeaucoupdechosessesontpasséescessixdernièresannées.J’imaginequelesgenssontcurieux.Jetepriedebienvouloirm’excuserdet’avoirimposécela.
– Il y a une différence entre la curiosité et l’impolitesse revendiquée, murmurai-je en fixantl’horizon.
Graysonsoupira.–Jedoiscertainementmériterleurimpolitesse.PourlesgensdeNapa,jesuisunassassinetunex-
taulard.Etenplusj’aituél’enfantchéridelavillevoisine.Jeme souvins alors de l’article que j’avais lu à ce sujet. Le jeune homme vivait dans le comté
voisindeSonoma.
Jememordislalèvre,nesachantpasvraimentquoidire.–Grayson,tunel’aspasassassiné.C’étaitunaccident.Tumel’asdittoi-même.–Lerésultatestlemême,ilestmort.–Est-cequetuveuxenparler?Jesuisdouéepour…–Non.Unsilencepesants’installapendantquelquesminutesavantqu’ilnesetourneversmoi,unsourire
ironiqueauxlèvres.–Tuasvucommejesaisfairepasserdubontempsàunefille?Impressionnantnon?Jelaissaiéchapperunpetitrire.–Jesuissûrequelesautresfillesneseplaignentpas.Graysongrimaça.–Bienquemabelle-mèren’aitjamaisétéunedemesgrandesfans,sonamieDianeauraitvouluque
jemerapprochedesafille.MaisSuzie…–N’étaitpastongenre?luidis-jeenarquantunsourcil.Graysonricana.–Disonsquejel’aitoujoursconsidéréecommeuneamie.Puisqu’on parlait du genre de filles qui plaisait àGrayson, j’osais lui poser la question quime
taraudait:–QuiestVanessa,Grayson?Ilneréponditpastoutdesuite,maisjevissesépaulesseraidir.Ilgardalesyeuxrivésdevantlui,et
dit:–Vanessaestlafemmedemonfrère.–Oh!C’étaitsortitoutseul.Sonfrèreavaitépousésapetiteamie–celleavecquiilavaitaccessoirement
prévudesemarier–pendantqu’ilétaitenprison?Jemeraidis,enimaginantàquelpointçaavaitdûêtre dur pour lui. Pas étonnant qu’il ne parle plus à son frère. Je bafouillai un « Je suis désoléeGrayson»,netrouvantriendemieuxàluidire.
Il hocha la tête une fois, puis démarra le pick-up pour quitter le parking. Le trajet du retour futcalme,laradionousberçait.Aprèsavoirfaitletourdelafontaine,Graysonsegaradevantlamaisonetsetournaversmoi.
–Est-cequetuveuxprendreunverre?J’aiunebouteilledevinqui,d’aprèslesconnaisseurs,estabsolumentdélicieuse.
Jesouris.C’étaitsansdoutestupidedemapartdem’enpréoccuper,maisj’avaisl’impressionqu’ilnevoulaitpasresterseul.Unverrenepouvaitpasfairedemal…
–Délicieuse,dis-tu?Tum’intéresses!Illâchaunpetitrireet,unefoissortiedupick-up,jesuivismonmaridanslamaison.
CHAPITRE11
GRAYSON–Tusaiscequ’ondevraitfaire?meditsoudainementKiraensepenchantenavant.Nousétions
tousdeuxassissurdeschaiseslonguesàmoitiérouillées,surlaterrasse,unverredevinàlamain.Nouslesavourionstranquillementdansunsilenceagréable,leregardfixésurlapiscinecouverteparunebâcheetquidevaitêtreremplied’uneeautroubleetboueuse.Jem’étaismisentêtedelaséduirecesoir.Jenepensaispasqueça serait trèsdifficile, elleavait réponduàmonbaiseravecunenthousiasmeévident.Maisaprèscequis’étaitpasséaurestaurant,toutavaitchangé.
–J’ailesentimentqueçaneprésageriendebonquandcesmotssortentdetabouche,luidis-je.Ellemelançaunsouriremalicieux.–Nonvraiment!C’estunebonneidée.–D’accord,dis-moi?–Nousdevrionsfaireunefête!Jelevaiunsourcil,appuyantmatêtesurlachaiselonguepourmieuxlaregarder.–Unefête?Maispourquoi?–Ehbien,dit-elleenseredressantetenfaisantpivotersesjambeshorsdutransatpourêtreassise
face àmoi, j’ai l’impression que les habitants deNapa seméfient de toi.Ça ne ferait pas demal derestaurerl’imagedelafamilleetduvignobleHawthorndanscetteville.Jemetrompe?
–Non,jenecroispas.Elleavaitraison.Sijevoulaisavoirunepetitechancedesortirlapropriétédelacrise,êtreleparia
delarégionn’aideraitenrien.Néanmoins…–Commentunefêtepourrait-ellejouerenmafaveur?–Ceseraitjusteundébut,dit-elleenréfléchissant.Lesgensparlent,tulesaisbien.Sioninviteles
personnes lesplus influentesde lavilleetqu’elles sententque tu lesapprécies,ellescommencerontàréviser leurs jugements. Les ragots font oublier aux gens que le sujet de leursmédisances est un êtrevivant.Lesinvitericileurferaprendreconsciencedecela.Jesuispersuadéequelesgenssontprêtsàcomprendreetmêmeàpardonner.
–Tuleurdonnestropdecrédit.Elleplissalenez,analysantmesderniersmots.
–Peut-être.Maisjepréfèrecroirequej’airaison.Aumoinsdanslamajoritédescas,merépondit-elle,l’airsoudainvulnérable.
Jebusunegorgéedevin,etluidis:–Tudoisavoirl’habitudedesragots.–Oui, c’est sûr !Presque toutemavie j’y ai été confrontée.Elle avait l’air triste et j’avais très
envie de la prendre dans mes bras. Je fixai l’horizon et bus une gorgée de ce vin blanc moelleux,savourantlesnotesdepoireetdecaramel.
–Bref, dis-je en changeant de sujet, et comment les gens vont se rappeler que je suis un « êtrehumain»?J’aicrucomprendrequetumevoyaisdavantagecommeundragonquecommeunhomme.
–Exact.Ellesourit.–Ilfaudracachertestendancesreptiliennes,aumoinspourunesoirée.Jememisàrire,étudiant lesombreset lesrefletsdeses traitsà lafaible lueurde la luneetdes
quelqueslumièresdelamaisonrestéesalluméesderrièrenous.–Plussérieusement,jen’aipasvraimentletempsd’organiserunefête.Ellesecoualatête.–Non,biensûrquenon.Jem’enoccuperai.Çam’éviteradefaireencoredesbêtises.Onpourrait
faireunthèmesafariafricain!Ouunbanquethawaïen!Jevaisfaireuntrucmagnifique.Ellesouritlargementetsapetitefossetteensorcelantesecreusasursajoue.Moncœurs’emballaet
jenepusretenirunrirenerveux.–Tuescenséem’aideràmettredel’ordredansmesdossierspourm’éviterd’avoirdesproblèmes.–Jepeuxfairelesdeux.Jesoupirai.– D’accord. Mais, s’il te plaît, attends juste de recevoir le chèque pour dépenser de l’argent
qu’aucundenousdeuxn’apourl’instant.–Promis.Enfinsaufpour les invitations. Je lespaieraidemapoche.Est-ceque tumedonnes la
permissiondechoisirladate?–Jetedonnemonfeuvert.Jepeuxtejurerquejen’aiaucunesortieprévuedansmonagenda.Unmomentdesilenceplanaentrenous.Ladoucebrisenocturnesentaitbonlarose,legoûtduvin
parfumaitmalangue,lesfeuillesbruissaientdansleventetplusloin,unebrumeiriséeflottaitau-dessusdesvignes.Jefermailesyeux,savouranttoutescessensations.Jemedemandaisdepuisquandjen’avaispasautantappréciél’instantprésent.
– Tu as l’intention de restaurer la piscine quand on aura notre argent ? demanda Kira, en ladésignantd’unpetitmouvementdetête.
–Sûrementpas.Jepréféreraisladétruire.–Pourquoi?Tun’aimespasnager?–J’aimebiennager.Maisjen’aipasdetrèsbonssouvenirsdecettepiscine.Monpèrepensaitqu’il
m’apprendraitànagerenjetantmonchiotàl’eau.
Kirapritunegrandeinspiration.–Tonchiot?Pourquoiaurait-ilfaitça?murmura-t-elle.Seigneur. Je n’avais pas pensé à ça depuis si longtemps. Pourquoi est-ce que ça me revenait
maintenant?Parcequelapiscineétaitjusteenfacedemoij’imagine…– J’avais six ans et j’avais peur de l’eau. Mon père pouvait me menacer tant qu’il voulait, je
n’auraisplongépour rienaumonde. Il se tenait là, àcôtéde lapiscine,dans son foutucostumeetmehurlaitdessuspendantquejepleurais.
MonDieu,ils’étaitpassévingt-deuxansetjeressentaisencorel’humiliationcommesic’étaithier.–J’avais trouvéunpetitchienégaré justederrièrenotreportailet j’avaissuppliémesparentsde
m’autoriser à legarder. Ils avaient accepté à conditionqu’il restedehors et que ce soitmoiquim’enoccupe…
Jelaissailessouvenirsremonteràlasurface,essayantdevisualiserlatêtedecechiotquej’avaisappeléSport.C’étaitunbâtardmarronetblancavecdegrandsyeuxconfiants…
–Bref,nousétionsdehorspourqu’ilmedonneuncoursetj’avaisencorerefusédeplonger.Monpèreaattrapélechiotquiétaitassisjusteicisurlaterrasse.
Jedésignaidudoigtl’endroitexact.–Ill’ajetédanslapiscineenmedisantqu’ilfallaitquejesautepourlerécupérer,sansquoiilse
noierait.–OhmonDieu,Grayson,dit-elleenportantsesmainsàsabouche.J’esquissaiunsourire.–C’étaitilyalongtemps.Alorspourquoiest-cequeçamefaisaitencoremalauventred’ypenser?– Je suis resté figé aubordde lapiscine enpleurant et enhurlant, pendantque lebébé chien se
noyait,Kira.Monpèrel’afinalementsortidel’eau,maisc’étaittroptard.J’étaisencorerongéparlaculpabilité,j’avaisétélâche.–J’aimeraisjustequ’ilsoitencorevivantpourrevivrecettescène.Jelesauveraiscettefois.Jeme
noieraiss’illefallait,maisjelesauverais.–Biensûrquetulesauverais.Tuesunhommeaujourd’hui,avectoutlecouragequeçaimplique.
Tuétaisquasimentunbébéàl’époque,dit-elleenserelevantpourvenirs’asseoirsurmachaiselongue.Commentas-tupuapprendreànageraprèscetépisode?
J’enfouismamaindansmescheveux,etensaisisunepoignée.–GrâceàWalter.Monpères’estabsentéquelquessemainesplustardetWalterapasséleweek-
endàmedonnerdescoursdenatation.Ilportaitunedecescombinaisonsnoires,ferméesdesgenouxaucou.
Je me souvenais très bien du nombre de fois oùWalter m’avait fait refaire les exercices là oùj’avaispied,jusqu’àcequejesoissuffisammentenconfiancepouralleràl’endroitleplusprofonddubassin.Ilétaitrestétoutletempsavecmoi,melaissantm’accrocheràsesépaulesjusqu’àcequejeluidisequej’étaisprêtàlelâcher.
–Plus tard,cetteannée-là, j’aiapprisànageràmonfrèredèsquemonpères’absentait,desorteque,s’ildécidaitdelejeteràl’eau,ilnageraitcommeunpoisson.Monpèreaététrèsfier,luidis-je,enessayantdeprendreuntonironique,maissansquejepuissemasquerlafiertéquej’enavaisressentie.
J’étaisfieretheureuxd’avoir,ensecret,évitéàmonfrèrederevivrelaterreuretlaculpabilitéàlaquellej’avaisfaitface.Jesoupirai,laissanttombermamainlelongdemoncorps.
–Cen’étaitpasdetafaute,dit-elledoucement,commesiellelisaitdansmespensées.Cequetonpèret’afaitétaitméchantetcruelpourunpetitgarçon.Jesuistellementdésoléequetuaiesdûsubirça,Grayson.
Elle posa ses mains sur mes joues avec beaucoup de douceur et de compréhension. Comme jem’étaistrompésurcettepetitesorcière!Enplongeantmesyeuxdanslessiens,remplisdecompassion,quelquechosecédaenmoietcommençadoucementàdisparaître.
Pourquoiavais-jepartagécettehistoireavecelle?Elleavaitcettefacultédemedonnerenviedemelivrer.Était-ceparcequ’aurestaurant,cesoir,au
milieudetouscesregardsinsistants,ellem’avaitfaitsentirqu’elleétaitdemoncôté?Oubienétait-ceparcequ’elleavaitl’intentiond’organiserunefêtedansleseulbutderedorermonblasonauprèsdemesconcitoyens?Parcequ’elleétaitattentionnéeetpensaitpouvoirfairequelquechosepourm’aider?Oubienencore,parcequejesentaissubitementquemonimprévisiblepetitefemmem’offraituneamitiéetunecompréhensioninattendues?Àmoinsquecesoitlabrumedusoirquiaitquelquechosedemagique?
–Madouceetbellesorcière,murmurai-je,enl’attirantàmoipourl’embrasser.Jeglissaimesmainsdanssonépaissecheveluresoyeuseet laissainos lèvress’effleurer.Elle se
raiditmais ne recula pas. Je dessinai tendrement le contour de ses lèvres avecma langue jusqu’à cequ’elles’ouvreàmoi.Jel’attiraiencoreplusprèsetjedécouvrisl’intérieurdesabouche;j’explorailescontoursdélicatsethumidesdeseslèvres.Moncorpsseréchauffalentementjusqu’àfairebouillirmonsang. Quand finalement elle s’abandonna à ce baiser, je retins un gémissement de plaisir,mais je nevoulaissurtoutrienfairequipuisseromprelecharmeetlafairefuir.Jelaissaimesmainsmassersondosdehautenbaset,peuàpeu, jesentissesmusclessedétendre.Notrepremierbaiseravaitétébrutaletexcitant,lesecondavaitétépassionnéettendreàlafois,maiscelui-ciétaitlentetsensuel,commesinosbouchesfaisaientl’amour.J’aiembrasséunnombreincalculabledefemmesdansmavie,maisjamaisunbaisernem’avaitdonnéautantdeplaisir.C’étaitpresqueaussiperturbantqu’excitant. Je la fisglissersousmoirapidement,avantqu’ellenepuisseréagir.Jem’appuyaisurmahanche,toutcontreellesurlachaiselongue.Elleclignadesyeuxcommesiellen’étaitpasrassuréeparcequivenaitdesepasser.Jevoulais la serrer tout contre moi pour qu’elle sente pleinement l’ampleur de mon excitation, mais jedoutaisquecesoitunebonneidée.Jedevaisconduirelentementmapetiteépouseàlapassioncesoir,etj’étaistoutdisposéàprendreletempsqu’ilfaudraitpouryparvenir.Labrèveétincelledecetaprès-midil’avaiteffrayépourjenesaisquelleraisonetjecomptaisbiensavoirpourquoi.Maispascesoir,cesoir,riend’autrequenousdeuxnecomptait.
Sachevelureauréolaitsonvisage,mesbaisersavaientlaisséunetracehumideetbrillantesurseslèvres. Embrumés par la passion mais aussi par une vague inquiétude, ses yeux m’observaient
intensément. Jemepenchai et l’embrassai à nouveau, le corps tenduparmon effort pourme contenir.J’avais envie de lui arracher ses vêtements, et dem’introduire dans sa petite fente serrée, chaude etmoelleuse.Moncorpshurlaitdedésir.Jecommençaiàbaisserlabretelledesarobequandellepoussaungémissementensignedeprotestation.Jem’arrêtaietmepenchaipourembrassersoncou,promenantmeslèvressursapeaudouceetenivrante,lagoûtantunpeudelalangue.Ellebasculalatêteenarrièreetse cambra contre moi, j’en profitai pour baisser sa robe et libérer sa poitrine. Je baissai les yeux,incapablederetenirungrognementanimalàlavuedesesseinsgénéreux.
–Tuaslesplusbeauxtétonsdumonde,murmurai-je.J’aipenséàeuxsansarrêt.JemerapprochaietenembrassaiuncequiarrachaungémissementàKira.Enl’entendant,monsexe
durcitàmefairemal.–J’aieuenviedeleslécheretdelessucerdepuisquejesuisvenucheztoil’autrejour,avouai-je,
labouchecontre sapeau toutenembrassant sonautre sein.Toutceque jevoulais savoir, c’était s’ilsétaientaussibonsquebeaux.
–Grayson,gémit-elle,enpassantsesdoigtsdansmescheveux.Jeprissontétonérigéentremeslèvresetlecaressaidemalangue,encoreetencore.–Kira,tuesaussisavoureusequetuenasl’air.–Jepensequ’onnedevraitpas…cen’estpas…soupira-t-elle.Trèsvite,sonsouffles’accéléra.Sentantsonexcitationmonter,jepinçaisontétonentremeslèvres
et l’aspirai, tout en apaisant de la langue la petite douleur que j’avais créée. Elle cria en tirantmescheveux.
–OhmonDieu,Gray.Tu…nousdevons…–Chuuut, petite sorcière, la rassurai-je enprenant son autre seindansmabouche et en le suçant
doucementavantdemeretirer.Laisse-toialler.J’écartai ses cuisses en posant un demes genoux entre ses jambes. Elleme fixa, le regard flou,
commedroguéeparl’excitation.Unesensationintenseetprimitivedetriomphedemâlemesubmergea.Jepressaimon érection contre son ventre etme penchai pour l’embrasser encore. Soudain son corps seraiditetelletournalatête.
–Non,dit-elle,d’unevoixdouceettoujoursvoiléeparledésir.–Si,répondis-jeenmepenchant.Ellemerepoussa,lesdeuxmainssurmesépaules.–Non,répéta-t-elleplusfermement.Je grognai en me poussant sur le côté. Elle se releva rapidement, enfila sa robe, les jambes
flageolantes.Moncorpsbrûlaitdedésirinassouvi.J’avaistellementenvied’elle.Sonvisageaffichauneexpressionindifférente.
–Jeferaismieuxd’allermecoucher.Jel’attrapaiparlesmainsavantqu’ellenepuisses’enfuir.– Jepensaisceque je t’aidit,Kira.Nousn’avonsaucune raisondedormir seuls.Onpourrait…
consommercemariage.Tusensaussibienquemoicequisepasseentrenous.
Jeluifismonsourirelepluscraquant,maiselledétournaleregardetretirasesmainsdesmiennes.Touslesmusclesdesoncorpsétaienttendusetsonregardparaissaittroubléetdouloureux.
–Est-cequetum’asracontécettehistoirepourque…Ellefitunmouvementdeva-et-viententrenousdeux,puisreprit:–…Çaarrive?Troublé,jedusprendreuninstantavantderépondre:–Quellehistoire?–Celleduchiot.–Lechiot?Commentça?Non!Est-cequ’ellepensaitquejeluiavaisparlédeçapourlamanipuler,pourqu’ellem’embrasse?Je
serrailamâchoire.Ellem’observaunmomentpuislaissaéchapperunlongsoupir.–Jetel’aiditGrayson,jenesuispasintéresséeparça…Ellefitànouveaucemouvementdeva-et-viententrenous.–Çaneferaitquecompliquerunerelationquil’estdéjàbienassez.Çanefaisaitpaspartiedenotre
deal.–Lesaccordssontfaitspourêtremodifiés.Jemerelevaipourluifaireface.Jeprisensuiteunemèchedesescheveuxentremesdoigtsetme
misàcaresser leur texturesoyeuse.Lalunefaisait ressortir leurcouleurflamboyanteaussibienquelesoleil.Mais,danscettesemi-obscurité,sacheveluredefeuétaitsombre.Quandjeluiferaisl’amour,ilfaudraitquecesoittoujoursàlalumièrepourquejepuissevoirlesflammesdanssescheveuxetlerefletémeraudedans sesyeux. Jevoulais voir son corpsbouger,montrant glorieusement qu’elle était la vieincarnée.Mon sexe se réveilla à nouveau, toujours aussi dur à la simple pensée de lui faire l’amour.Pendantdesheuresetdesheures.Ou,parpitié,mêmeuneseulefois…
–Çapeutêtreaussiéphémèrequenotremariage,Kira.Elle clignadesyeuxet porta sesmains à ses joues, visiblement fiévreuses. Jenepouvaispas le
savoir,aveccettefaiblelumière.–Çanefonctionnerapas.Crois-moi.Ellefitdemi-tourendirectiondesescaliersenpierrequimenaientàlamaison.Jel’appelaimais
elleneseretournapas.Ellepartitsansm’adresserneserait-cequ’unregard.Jem’allongeaisurlachaiselongueenlaissantéchapperunlongsoupirfrustré.J’essayaidecomprendrecequivenaitdesepasser.Jenesavaispasdu toutcommentgérerma femme.Mesconquêtes s’étaient toujoursoffertes facilementàmoi. Par contre, pour les garder… disons simplement que Vanessa avait prouvé que c’était pluscompliqué.Mais,Kiraetmoiavionsdéjàconvenuquenotrerelationseraitprovisoiredonc,avecelle,leproblèmeneseposaitpas.Aucunefemmen’avaitjamaisditnonquandonfaisaitl’amour,surtoutquandj’ymettaisdumien.Sansprétentionaucune,c’étaitlastrictevérité.Maisest-cequejesavaisréellementséduireunefemme?Unefemmeréticente?Quelleironiequecesoitavecmonépousequecelamedonnetellementdemal!
***
–Àlundi,Charlotte,dis-je,enmepenchantpourl’embrassersurlajoue.Nousétionsvendredimatinet,Walteretelleallaientpasserleweek-endàSanFrancisco,chezdes
amis.–J’aimisaucongélateurplusieursplats,avec les instructionsnotéessur lescouvercles,dit-elle.
Ah, j’aiaussifaitunefournéedecookiesaucitron,ceuxquevousadorez.Ilssontenveloppésdansdupapieraluminiumdans…
–Charlotte,jesuisungrandgarçon.Jepeuxmedébrouillerseulpourleweek-end.Ellesourit,ensecouantlatêteetenmepinçantlesjouesaffectueusement.–J’aimeprendredesoindevous.Laissez-moivouschouchouter.Ah,oui!S’ilvousplaît,ditesà
Kiraquejeluiaipréparélesbiscuitsauxfloconsd’avoineetausucrebrunqu’elleaimetant.Oùest-elled’ailleurs?Jepensaisqu’elleviendraitnousdireaurevoir.
–Noussommesrentréstardhier.Elledoitsûrementsereposer,dis-jeenl’imaginantdanssapetitemaison,souslesdrapsavecsasplendidecheveluretoute…
Charlottemefixacommesisesyeuxpouvaientliremespensées.–Commentçasepasseentrevousmaintenantquevousêtesmariés?Elleavaitvouluassisterà lacérémoniemais je luiavaisformellement interdit.Àl’époque, jene
voulaisqueriennepuisserendrecemariageplusbizarrequ’ilnel’étaitdéjà.LaprésencedeCharlotten’auraitfaitqu’ajouteraumalaiseambiant,etm’auraitfaitculpabiliser.
Jesoupirai.– Je ne sais pas, c’est dur à dire avec elle. J’ai dumal à savoir ce qu’elle va faire la seconde
d’après,etjedevineencoremoinscequ’ellepense.Excepté le faitqu’ellemerésiste, cequiestprobablement la raisonpour laquelle je ladésire
tant.–Hum,dit-ellepensive.Eneffet,ilyacertainementpeudegensquipeuventégalersoncaractère.
Saufvouspeut-être.Ellemefitunclind’œil.–Jesuiscontentequevousayezdînéensemblehiersoir.C’estunbondébut.Ellesourit,etavantquejenepuisseluirépondre,ousimplementluidirenepassefaired’idées,
ellereprit:–Souhaitez-luidemapartunbonweek-end.Etdites-luiquej’aibieneusalistepourlafête.Quelle
merveilleuseidée!Jenesaispass’ilyaurgence,nipourquoiellem’aenvoyécete-mailàdeuxheuresdumatin,maisWalteretmoinousarrêteronsenvillepourcommanderlescartonsd’invitation.Jeconnaisun endroit où on pourra les faire imprimer immédiatement. J’ai toujours le carnet de Jessica avecl’adressedetouteslespersonnalitésimportantesdeNapa,jepourrailesenvoyeràl’imprimeurdèsquejetrouveraiuneminute.
Kiranedormaitpasaumilieudelanuit?Pourquoi?Est-cequ’elleaussiavaitétéincapabledetrouver le sommeil après ce qui s’était passé sur la terrasse ? Est-ce qu’elle s’était tournée etretournéedanssonlit,enrepensantauxsensationsde…
– Dites à Kira qu’elles seront postées lundi sans faute, continua Charlotte, me sortant de mespensées.Tenez,buvezvotreorangepressée,ajouta-t-elleenmetendantmonverreàmoitiéplein.Ilyaunterriblevirusquicircule.
Jem’exécutai,terminantleverrepourqu’ellearrêteaumoinsdemesurveilleretdemeparlerdecettesoirée.Ellem’observaboireavecattention,presqueavecinquiétude.Est-cequ’elleavaitpeurquej’attrapecevirus?
Quandj’eusfini,ellepritmonverreetlerinçadansl’évieravantquejenelachassedelacuisine.JesaluaiWalterquiattendaitdansl’entrée,leurpetitevaliseposéeàsespieds.
–Au revoir,Monsieur,dit-il enadressantunpetit sourireaffectueuxà sonépousequi s’avançaitverslui.
Elle s’inquiétait de tout ce qui restait à faire dans lamaison et qu’elle n’aurait pas le temps derégler,commesinousrisquionslepiresielles’absentaittoutleweek-end.
Je travaillai jusque tard dans la journée, puis jeme rendis en ville pour acheter dumatériel. Jerentraivers17heures.Aprèsavoirprisunedoucherapide,jedescendisàlacuisineetmisaufourundesplatssurgelésdeCharlotte.J’envoyaiunmessageàKirapourluifairesavoirqueledînerseraitprêtà18heures.Uneheureplustard,ellenem’avaittoujourspasréponduetjecommençaiàm’impatienter.Est-cequ’ellem’ignorait ? Jene l’avaispasvuede la journée.Est-cequ’elle se terraitdans sonpetit taudispourm’éviter?D’ailleurs,n’aurait-ellepasdûcommenceràtravaillerdansmonbureau?Jefisuntourdanslamaisonpourvoirs’ilyavaitdestracesdesonpassage.Envain.Jepassaiencoreunpeudetempsdans mon bureau, mais quand mon niveau de frustration eut atteint son paroxysme et qu’il me futimpossibledemeconcentrer,j’allaicherchermontéléphone.
J’envoyai à nouveau unmessage à Kira, puis j’attendis cinqminutes, en tapotant sur le plan detravaildelacuisine.Rien.
J’étaisdéjàauniveaudelafontaineavantd’avoircomprisquej’avaisquittélamaison.Etsielles’étaitenvoléevers leBrésilcommenous l’avionsévoquédanssachambred’hôtelau toutdébut?Lapetitesorcière!Est-cequ’ellem’avaitquitté?Est-cequecequis’étaitpasséhiersoirl’avaitterroriséeàcepoint?Oubienest-cequesaprétenduedélicatesseetsacompassionn’étaientenfaitqu’unrôledecomposition?Monsangcouraitdansmesveines.Avecdelapaniqueoudelacolère,jenesavaispas,peut-êtreunmélangedesdeux.
Est-cequesavaliseauraitdisparu?Est-cequ’elles’étaittotalementfoutuedemoi?M’avait-elleabandonnéavec,commeseulcadeau,unorgueilpiétinéetlacordesanslamariée?Jeneprismêmepaslapeinedefrapper,traversailapremièrepièceencombréeetdéboulaidanslachambre,lecœurbattantlachamadeàl’idéedecequej’allaisytrouver.
Jepoussaiungrandsoupirdesoulagementenvoyantsavaliseouverte,sesvêtementséparpilléssurlesolde lamêmemanièrequ’hier.Monregardbalaya lapièceavantdeseposersur labossequ’ily
avaitsouslesdraps.Elledormait?À18heures?–Kira?Pasde réponse. Jem’approchaidu lit et tirai lacouverture.Kirapoussaun soupirdouloureuxet
repliasesjambescontresapoitrine,enpositionfœtale.–Kira?Jel’appelai,carrémentinquiet.Sonvisageétaitcachéparsescheveuxmagnifiques,jelesdégageaietposaimamainsursonfront.
Ilétaitbrûlant,ellesuaitàgrossesgouttesetgrelottait.–OhmonDieu,Kira,tuesbrûlantemaprincesse.Ellepoussa justeunpetit râleet tournasonvisagedansmadirectionengardant lesyeux fermés.
Ellemarmonnaquelquechosed’inaudiblepuissemitàtremblerviolemment.Quelcon.C’étaitmafaute.Je l’avais laisséehabiterdanscetendroitpoussiéreuxetpleindecourantsd’air, l’obligeantàprendredesdouchesglacéespendantdes joursetdes jours.Qu’est-cequine tournaitpas rondchezmoi?Lestripesnouéesparlaculpabilité,jelaprisdansmesbras,lasoulevantdoucementavecl’édredon.
– Tu viens dans la maison et c’est non négociable. C’est un ordre. Je sais que tu aimes mecontredire,mais je n’accepterai aucun refus de ta part. Je ne te laisse pas le choix, tu doism’obéir.Qu’est-cequetudisdeça,femme?
J’essayaidelafaireréagirenlaquestionnant.Aulieudeça,ellesecollaunpeupluscontremoiettremblaànouveau.Jetraversaiprécautionneusementl’entréeencombrée,Kiradansmesbras.Jeclaquailaportederrièrenous,puisjetraversaiaupasdecourselecheminquiséparaitnosdeuxmaisons.L’airdecedébutdesoiréeétaitanormalementfroidetbrumeuxpourlasaison.Pendantquej’escaladais lesmarches,matêtesemitsoudainàtourneretjem’arrêtai,m’appuyantàlarambarde.C’étaitbizarre.MonDieu,j’espèrequejen’étaispas,moiaussi,entraindetombermalade.Ceneseraitpaslemoment.Lasensationdisparutaprèsquelquesminutes,melaissantjusteunpeuétourdi.JeportaiKirajusquedanslachambrequiavaitappartenuàmabelle-mèreetl’allongeaidélicatementsurlelit.Jepoussailacouettesurlecôté,etl’installaisouslesdraps.Aprèsavoirrepoussésescheveuxetluiavoirposéuneserviettehumidesurlefront,j’allaichercherduparacétamol.JesecouaigentimentKirapourlaréveiller.
–Kira,ilfautquetumedisessituasdéjàprisquelquechose.Kira?Elles’agitaetclignadesyeuxenmeregardant.Levertétaitencoreplusbrillantàcausedelafièvre.–Rienprisdutout,balbutia-t-elle.–OK,trèsbien,alorsilfautquetuavalesça,dis-jeentenantlescachetsprèsdesabouche.Ellelespritavecplusieursgrandesgorgéesd’eauquejevenaisdeluiapporter,puiselles’effondra
surlecoussinenfermantlesyeuxànouveau.J’observaisonvisagependantquelquesinstants.Lafièvrefaisait flamboyer ses pommettes caressées par ses longs cils. Ses lèvres étaient sèches et légèremententrouvertes.
–Masublimepetiterebelle,chuchotai-jeenrepoussantsescheveuxenarrière.Je fronçaialors les sourcilsenprenantconsciencedu frémissementétrangequi secouait toutmon
corps,unefoisencore.Cefrissonsefaufilajusqu’àmonaineet jegrimaçai légèrementensentantmon
sexe se tendre.Cen’était vraimentpas lemomentd’être excité, pourtantmoncorps semblait en avoirdécidéautrement.J’avaisunpeuhonte.Lajeunefemmeallongéesurlelitétaitmalade,bonsang!
Aucoursdes trente-sixheuresquisuivirent, jeprissoindeKirapendantquesoncorpssebattaitcontrelafièvre,etlemiencontresondésir.Lapassionetl’enviequicirculaientdansmesveinesétaientunesortedetourbillonincontrôlable.Àplusieursreprises, jedusm’arrêterpourmaîtriseruneérectionimprévueet intensequiduraitdepuisdesheures.Cen’étaitpasnormal.Quelquechosene tournaitpasrond.
Pourlapremièrefoisdepuismonretour,j’appelaiJosépourluidirequej’étaistropmaladepourtravailler.Jen’auraisdetoutemanièrepaspuyalleretlaisserKiraseule.Maisenréalité,jen’étaispasenétatdequitterlamaison.J’étaiscommeunanimalenragé.J’avaisbesoindebaisercommeunViking,enpillantetenarrachantdesvêtements.Ilfallaitquej’assouvissemondésirencoreetencoreetencore,jusqu’à ce que cette insupportable douleur cesse et que je sois totalement vidé. Cette comparaisonsemblaitdramatiquementridiculemais jenevoyaispasd’autremanièrede l’exprimer.Jechangeai lesserviettes humides sur le cou et le haut de la poitrine deKira sans la regarder pour éviter de ne paspouvoirrésisteràlatentationdelaprendre,maladeoupas.Pourêtrecapabledem’occuperdelapetitesorcière,j’avaisdûmesoulageràquatrereprisesdanslasalledebains.Non,cen’étaitpasnormal.Est-cequ’ellem’avaitjetéunsortdiabolique?Jemesentaiscommepossédéparundémonsexuelagressif,toutdroitsortidestréfondsdel’enfer.
J’étaissurlepointd’appelerunmédecin,oupeut-êtreplutôtunprêtrepourqu’ilm’exorcise,quanddimanche,en finde journée, lessymptômes finirentpars’atténuer.Épuisémoralementetphysiquementvidé,ausenspropreduterme,jem’allongeaisurlelitprèsdeKirajusteunmoment.Elleétaitnettementplus fraîche, sa respiration était calme et régulière.La lumière du crépuscule qui filtrait à travers leslourds rideaux de la chambre et les mouvements lents du ventilateur au plafond m’endormirent enquelquesminutes.
CHAPITRE12
KIRAJereprislentementconscience,aveclasensationdesortird’unpuitssansfond,loin,trèsloindela
lumièredu jour. Jeclignaidesyeuxenessayantdecomprendreoù j’étais. Ilyavaitquelquechosedechaud et lourd dans mon dos. Je me retournai, groggy, et me retrouvai face au visage renversant etsublimed’undragonendormi.J’essayaid’assemblerlesmorceauxdupuzzlepourcomprendrecommentj’avaisatterriici.Toutcedontjemesouvenaisc’étaitd’avoirgrimpédansmonlit,incapablederesterdebout, le corpspesantune tonne, etd’avoir euensuite l’impressionqu’onme faisaitbouillirvivante.J’étaisencorevaseuseetmesmembresétaientlourds.J’avaisdûêtremalade.DesbribesdesouvenirsdeGrayson me donnant du bouillon, me passant un linge frais sur le front et me caressant les cheveuxrevenaientpeuàpeu.Ilavaitprissoindemoi.Latendressem’envahissaitalorsquej’observaissabeautévirile.Jen’étaispasencoretotalementconsciente,etinstinctivement,libéréedetoutecrainteetdetoutepenséerationnelle,jeposaimamainsursonvisageetpassaimonpoucesursasolidemâchoireombréedebarbenoire.Voilàcequeceseraitdeseréveilleràsescôtés.Ceseraitcommeças’ilétaitvraimentàmoi.Ilnes’étaitpasrasédepuisdeuxjours.Est-cequ’ilétaitrestélà,danscettechambre,pendanttoutcetemps?
Graysonentrouvritlesyeuxetmefixapendantunlongmoment,lacompréhensionremplaçantpeuàpeulesommeil.
–Bonjour,murmura-t-ilenposantsamainsurmonfront.Ilsoupiraenlaretirant.–Tun’asplusdefièvre,dit-ilcalmement.–Oui.Tuasprissoindemoi,chuchotai-je.Merci.Ilestgentil.Cettepenséemevintsubitementetcommeuneévidence.Noussommesrestésainsiunmoment,entrelesommeiletl’éveil,tousdeuxencoreemmêlésdansla
toiledenosrêves.Ilavaitdesibeauxyeux,aussifoncésquelecielnocturneetdanslesquelsilétaittoutaussi facile de se perdre. Il posa sesmains surmes joues et passa ses doigts surmes pommettes. Jepoussaiunsoupirenmelaissantemporterparsescaresses.Soudain ilclignadesyeux,puis lesouvritcomplètementcommes’ilvenaitdesesouvenirdequelquechose.Lecharmeétaitrompu.Ilbasculasur
ledos,l’airpresquecoupable.Ilsepassalesmainsdanslescheveux,tirantsurlesmèchessurlehautdesoncrâne.
–C’était…Lasonnetteinterrompitsespensées.Ilseredressainstantanément.–WalteretCharlottenesonttoujourspasrentrés.Jem’enoccupe.Ilseleva;sonjean,sontee-shirtfroissé,sescheveuxenbatailleetl’ombrefoncéedesabarbele
rendaient encore plus beau. Il était la virilité incarnée. Ilme coupait le souffle. Ses yeux sombres sepromenèrent le long demon corps et à nouveau il détourna le regard, l’air presque coupable. Jemeredressaienm’appuyantsurunbras.
–Dis-moiDragon,tun’aspasprofitédemonétat?dis-je,unsourcilarqué.Ilserralamâchoire,sonregarddevenantplussombrequejamais,etditsuruntonlaconique:–Non.Puisilfitdemi-touretsedirigeaverslaporte.–Prendsunedouchechaude.J’aiapportétavalise.Je regardai dans la direction qu’il avait pointée d’un mouvement de tête avant de sortir de la
chambreeteffectivement,mavaliseetmatroussedetoiletteétaientposéeslà,souslafenêtre.Comme Grayson l’avait suggéré, je m’offris le luxe d’une douche très longue et très chaude,
appréciant la sensation des gouttes brûlantes qui coulaient surmesmuscles endoloris. Jeme savonnailonguement.J’étaisauparadis.Quandjemedécidaifinalementàsortir,propre,lapeaugommée,j’étaisparfaitement réveillée et j’avais retrouvé forme humaine. Après avoir séché mes cheveux et m’êtrehabillée,jesuisdescenduerejoindreGraysonetmangerquelquechose.J’étaisaffamée.
Jemedirigeaivers lesalonoù j’avaiscruentendredesvoix,etm’arrêtaibrusquementenvoyantKimberlysurlecanapéfaceàGrayson.Ilsriaientensembleàproposdejenesaisquoijusqu’àcequ’ilsmevoiententrerdans lapièce.Kimberleypoussaunpetitcri,et se relevapourcourirversmoietmeprendredanssesbras.
–Qu’est-cequetufaislà?m’exclamai-je,folledejoie.Elleportaitunshortenjeanetundébardeuràfleurs.Sapeaudouce,encebelété,étaitencoreplus
matequed’habitudeetsoncorpsvoluptueuxplusparfaitquejamais.Sescheveuxnoirsetbouclésétaientattachésenqueue-de-cheval.
–Tun’aspasréponduàmesappelspendantdeuxjours!Jem’inquiétais.Jesuisvenuem’assurerquetun’étaispasligotéeettorturéedansunecaveàvin.
Ellemefitunclind’œiletsouritàGraysoncommesic’étaituneblaguequ’ilsavaientpartagée.Ilsavaientdéjà l’aird’être trèsproches.Jenesavaispasvraimentquoienpenser,d’ailleurs.Graysonseleva.
–Jevouslaissediscutertouteslesdeux,dit-ilenmefixant.Jenepouvaispasm’empêcherderemarquerquemême,s’ilvenaitdeseréveiller,ilavaittoujours
l’airfatigué,commes’iln’avaitpasbeaucoupdormi.–Jevaisprendreunedouche.Ravidet’avoirrencontrée,Kimberly.
JedétournaileregardetmemordisleslèvresenimaginantGraysonHawthornnusousunjetd’eauchaude.Lesavonglissant…
–Kira?Tuveuxt’asseoir?medemandaKimberly.C’étaitvisiblementlasecondefoisqu’ellemeposaitcettequestion.–Oh,ouibiensûr!Àplus!dis-jeàGraysonquis’éloignaitdéjà.Etmerciencore.Ildétournaunpeulatête,maisneditpasunmot.–Viensici,ditKimberley,enmeprenantlamain.–Qu’est-cequisepasse?Depuisquevousvousêtesmariéstunem’aspasappeléuneseulefois,et
ceweek-end,tun’asréponduàaucundemesappelsoudemesSMS…–Jesuistombéemalade.Maisgenrevraimentmalade.Nousnousinstallâmessurlecanapéetj’attrapaiuncoussinquejeserraicontremoi.–Graysons’estoccupédemoi.Çameperturbaitencoreetjen’avaispaspuenparleraveclui.Pourquoiavait-ilfaitça?Comment
est-cequ’ils’étaitrenducomptequej’étaismalade?Etest-cequ’ilnes’étaitvraimentpasséquedeuxjoursdepuisqu’ilm’avaitembrasséeetcaresséeavectellementdetendrepassionquej’enavaisperdulesommeiletétaisrestéeincroyablementfrustrée?J’avaisfiniparmeleveretj’avaispréparéunelistedetoutcequ’ilfallaitpourlasoirée.Jel’avaisensuiteenvoyéeàCharlotte.Enmeconcentrantsurquelquechosed’autrequelui,jepensaispouvoirmecalmeretpeut-être,trouverlesommeilunefoisrecouchée.
Kimberlyhaussaunsourcil.–Jesuiscontentequetuaillesmieux,onparleradeçadansuneminute.Maisavantça,ilfautqu’on
s’explique.Tuasvolontairementoubliédemedirequec’estundieugrec?Jem’esclaffai.–Undieugrec?Jenevoisvraimentpasdequoituparles.C’estsansdoutelemecleplusmoche
quej’aivudemavie.Jepeuxàpeineleregarder.Kimberlymefitungrandsourire.–Menteuse.Ellepritunairsongeur.–Çam’inquièteunpeu.Tuvastomberamoureuseencoreplusfacilements’ilestàtongoût!Faisen
sortequeçan’arrivepas,jeterappellequeleplanc’estdelequitteraprèsquelquesmois.Jedisça,jenedisrien.Etsurtoutnelelaissepast’embrasser.
Jepoussaiungrandsoupirenmelaissantallercontreledossierducanapé.–Ehbien,enfait…Je racontai à Kimberly tout ce qui s’était passé depuis le mariage. Elle m’écouta attentivement
passantpartouteunegammedesentiments:lacolère,l’effroi,lasurprise.Àlafin,ellerestasongeuseunmoment.
–Tul’aslaissét’embrasser.J’arrivetroptard,maisjenesuispasétonnée.J’aibienvucommentilteregardaitquandtuesentréedanslapièce…Bon,OK,qu’est-cequetucomptesfairemaintenant?
Comment ilmeregardait?Non ildevait sûrementvérifierque jene risquaispasde tomber,vucommej’avaisétémalade.
Jesecouailatête.–Rien.Ilveutjusteprofiterdemoicommed’uneépousequ’onasouslamainetmelaisserpartir.
Ça,jamais.Enfin…TumeconnaisKimberly.Jenefonctionnepascommeça.Ceseraitdésastreux,pourmoi.
KimberlyétaitsurlepointderépondrequanduncrideGrayson,enprovenancedelacuisine,mefitme leverd’unbond.Kimberlym’emboîta lepas.Graysonsortait tout justede lapièce.Charlotteétaitcertainementrentréependantquejeprenaismadouche,etlesuivaitdeprès.
–C’étaitfaitpourvousaider,luidisait-elle.Ilvitvolte-face,tenduetfusillaCharlotteduregard.–J’aifaillilavioler!Alorsqu’elleavaitdelafièvreetqu’elleétaitinconsciente,luibalança-t-il.–OhmonDieu,ditCharlotte.Ellelevalesyeuxauciel,pensiveetposaundoigtsursonmenton.–Est-cequ’ilfallaitdiminuerladosedemoitié,plutôtquedeladoubler?Elleretirasondoigt.–Oui,c’estsûrementcelaquiaposéproblème.–Quesepasse-t-il?demandai-je.Kimberlydévisageait tourà tourGraysonetCharlotte.Walterdébarquaalors,etpritplacesur le
côté.–Ellem’aempoisonné,ditGraysonenpointantCharlottedudoigt.Celle-ciéclataderire.– Je ne l’ai pas empoisonné. Je lui ai juste fait boire une décoction qui stimule les ardeurs
masculines.Çamevientdemamère.Ellem’adressaunclind’œil.Jesentisimmédiatementmesjouesvireraucramoisi.Charlotteavait
donnéàGraysonunmélangedeplantespouraugmentersesardeursavantqu’ilsnepartentenweek-end?Pourquoi?Et…oh,monDieu.Est-cequej’avaisbienentendu?Ilavaitfaillimevioleralorsquej’étaisinconsciente?Jedéglutispéniblement.
Walters’avançaalors.–Cen’estpasmaplace,Monsieur,mais…Graysonleregarda,leslèvrespincées.–Ceseraitbienlapremièrefoisqueçat’arrêterait,Walter!– En effet, confirmaWalter sans aucun remord, avant de continuer : jeme suis personnellement
renducomptequeboirebeaucoupd’eaudanslajournéeaideà,disons…fairedisparaîtreleseffetsplusrapidement.Cependant,jerecommanded’utiliserlebondosage.Çaaidegrandement.
Graysonlaissaéchapperungrognementdefrustrationetlevalesyeuxauplafond.–Jesuisenenfer.Charlottes’approchadelui.
–Est-cequevousvoulezquejevousprépare…–Non!Jenetelaisseraiplusjamaismepréparerquoiquecesoit.Tuesvirée!Jesuisentouréde
cinglés.Puis il se dirigea vers la porte à grandes enjambées, et la claqua si fort qu’un vase posé sur
l’étagèrevacilla.JepoussaiunpetitcrietfixaiCharlotte.Ellemeregardaitcommesiderienn’était.–Ilt’arenvoyée?luisoufflai-je.Charlotteagitalesmains,paspréoccupéelemoinsdumonde.–Oh,ilmerenvoieàpeuprèsdeuxfoisparmoisdepuisqu’ilaseizeans.Ellenousinvitaalorsàlasuivreàlacuisine.–Venezprendreunetassedecafé,lesfilles.Kimberleyluiemboîtalepas,unlargesourireauxlèvres.Charlottepritplacedevantleplandetravail,unegrandeplancheàdécouperfaceàelle.Ellesemit
à pétrir de la pâte destinée à une pâtisserie quelconque. J’en profitai pour lui présenterKimberly et,aprèsquenousfûmesassises,elleservittroistassesdecafé.
–Maisqu’est-cequit’aprisCharlotte?luidemandai-je.J’essayaide la foudroyerduregard.Àcaused’elle, j’auraipuêtreagresséesexuellement toutde
même ! Mais y croyais-je vraiment ? Grayson était-il capable d’une chose pareille, même sousl’influencedelapotiondeCharlotte?Jeplissailefront.Jenel’auraisjamaiscru,maisjem’étaistrompésur les hommes. D’après mon expérience, ils étaient loin d’être dignes de confiance. Dieu sait parexemple,quelaparoledemonpèrenevalaitpasgrand-chose,etcelledemonfiancéencoremoins.
QuantàCharlotte, ses intentionsétaientbonnes,mêmesi ellesétaient trèsmaladroites. J’enétaissûre.
LesyeuxdeCharlottepétillaient.–J’avaislesentimentquevousvousévitieztouslesdeux.Etpuisvousêtesallésdîner.J’aipensé
que Grayson aurait peut-être besoin d’un coup de pouce pour faire ce qu’il fallait. Vous étiez seulspendanttoutleweek-end…
Ellefronçalessourcils.– Enfin, jeme suis peut-être trompée dans le dosage et bien sûr, j’aurais dû tenir compte de sa
virilité…Jegrognai et enfouisma tête dansmesmains.Quand je relevai les yeux, je la découvris quime
regardait,unlargesourireauxlèvres.Jenevoulaispaspenseràlavirilitédemonmari!–Jenecroispasqu’ilaitréellementbesoinqu’onl’aidedanscedomaine.Charlotteposalerouleauàpâtisserieàcôtéd’elle.–Ettoi?demanda-t-elle,espérantdetouteévidencequejeluirépondequej’enavaismoiaussitrès
envie.–Je…Ilmeplaît.Je…Jememisalorsàcaresserlereborddematasse.
–Enfait,ilyamêmedesmomentsoùjel’aimebien,dis-jeensecouantaussitôtlatête.Maisjenepeuxpasluidonnercequ’ildésire,pourplusieursraisons.
JeregardaialorsKimberlyenmemordillantlalèvre.Ellemeréponditparunregardcompatissant.–Laraisonprincipaleestqu’iln’auraitcertainementaucunproblèmeàcoucheravecmoietàfaire
ensuitecommes’ilnes’étaitrienpassé.Etjesaisquemoijen’enseraipascapable.Jebaissailesyeux.Ças’étaittoujourspassécommeça,làoùmoncorpsdécidaitd’aller,moncœur
suivait.UnfrissoncourutlelongdemacolonneenpensantqueGraysonpourraitfacilementmedétruiresijeluiendonnaislapossibilité.J’enavaisdéjàfait lesfrais,et jenecomptaispasrecommencer.Cettefois-ci,jenemelaisseraipasavoirparmescapricesstupides.
Surtoutpasavecundragon,trèsvirildesurcroît.Charlotte caressamamain posée sur le comptoir, laissant au passage un peu de farine surmon
poignet.–Nous les femmes,nous sommes faitescommeça,machérie.Nousoffronsnotrecœurenmême
tempsquenotrecorps.Enrevanche,quandleshommesdonnentleurcorps…Elleregardaleplafondcommesiellecherchaitlesmotsjustes.–Ilsdonnentleurcorps…Kimberlyetmoiavionsterminésaphraseàl’unisson,cequinousfitéclaterderiretouteslestrois.
Mon cœur se gonfla d’amour pour ces deux amies. Çam’avait manqué de ne pas avoir de présenceféminineautourmoi.
–Oui,doncc’estdéfinitivementexclu,dis-jeàCharlotteensouriant.–Jenesaispas,onverra,dit-elleenmefaisantunclind’œil.–Plusdecomplotmaléfique,entoutcas.CelamefaisaitpourtanttrèsplaisirqueCharlotteveuillequ’ilyaitunevraiehistoireentreGrayson
etmoi.Peut-êtrequec’étaitsurtoutparcequ’ellerefusaitd’admettrequecemariageétaitunemascarade,etquelerendreréelluipermettraitdeseréjouirpourGraysonplutôtquedeleplaindre.
–Ohnon,ditCharlottesuruntonpeuconvaincant.Oudumoins,jenemeferaipasprendre.Jelaissaiéchapperunpetitrireetprisunegorgéedecafé.J’étaistentéedeposerdesquestionsà
Charlotte sur ce que j’avais appris sur Grayson, et plus précisément au sujet de Vanessa. Maispremièrement,jetrouvaisquecen’étaitpasbiendeparlerdeçaderrièresondos,ensuite,Kimberlyétaitprésente.
–Est-cequ’iltepardonnera?–Oui,un jourou l’autre.Tuvoisça?dit-elleenmemontrant lapâte. Je luiprépare ses scones
préférés,àlamyrtille.Illesaimeavecdelaconfitureetdelacrème.Ilvabouderpendantquelquesjoursparfierté,maisçapasseratrèsvite.
Ellesouritjoyeusementavantderedevenirsérieuse.–Tiens,Kira,çamefaitpenserqu’ilfautquej’ailleausuddudomainepourramassercesabricots.
Ilssonttellementmûrs,qu’ilsfinissentpartombertoutseuls.Tupourraism’aideràenfairequelquespotsdeconfiture?
–Oui, bien sûr. J’ai fait de la confiture à la fraise avecma grand-mère, une fois ! dis-je enmeremémorantcettebellejournée.
–J’aimecetendroit,déclarasoudainKimberlyentredeuxgorgéesdecafé.Jepensequetuescheztoiici,Kira.
Lajoiem’envahitàcesmots,rapidementremplacésparunegrandeboufféed’angoisse.Nousétionsassisesdanslacuisineconfortableetparfuméepardeseffluvesdemyrtilleetdecafé.
Nousdévorionsdesmuffinsàl’avoineetaumiel,etCharlottenousracontaitsonescapadeduweek-end.Jepensaisoudainàquelquechose:Graysonavaitlaisséentendrequ’enquelquesorteilavaitgrandisansparents.Jenecomprenaistoujourspaslesdétailsexactsdesasituation.Maisilavaittortsurunpoint.Ilavait eu des parents durant tout ce temps. Ils s’appelaient Walter et Charlotte Popplewell, et ilsl’aimaientcommesic’étaitleurfils.JemedemandaisiGraysonenavaitconscience.
Nous bavardâmes encore un peu, puisKimberly annonça qu’elle devait reprendre la route. Je laraccompagnaidehors,etunefoisprèsdesavoiture,ellemeditensouriant:
–C’étaittrèsagréable.Jepensecequej’aidit,poursuivit-elleenobservantlapropriété,tuesfaitepourcetendroit.
Elleobservamonvisageuneseconde.–Maisprendssoindetoi.Jenepourraipassupporterdetevoirsouffrirànouveau,KiraKat.–Jevaisfaireattention,jetelepromets.Ellehochalatête.–Jedétesteavoiràteparlerdeça,aprèsavoirvucommetutedébrouillesbien…Moncœurseserra.–Monpèret’aappeléen’est-cepas?J’avaistoutdesuitedeviné.Elleavaitsystématiquementcetairpincéquandellepensaitàmonpère.
Elleacquiesça.–Ilaappeléplusieursfois,allantmêmejusqu’àinsinuerquesijenetedisaispasdelejoindre,il
se débrouillerait pour s’immiscer dans le travail d’Andy, et je ne pense pas qu’il parlait d’unepromotion…
–Quelenfoirédemanipulateur!Andy était flic, et il n’était évidemment pas impossible que mon père ait des contacts au
DépartementdePolicedeSanFrancisco.Maisdelààproférercegenredemenace?Ilseraitdoncprêtàtoutpourmecontrôler,quitteàtombersibas?
Kimberlyposasesmainssurmesépaules.–Maintenant,écoute-moi.Jeneteledispaspourquetutesentesobligéedelecontacter.Andyest
unpeuinquietmais,sincèrement,onpréfèrepointerauchômageplutôtquedelaissertonpèredéciderdetavie.Jemesuisjusteditqu’ilvalaitmieuxquetulesaches.Quisaitdequoid’autreilseracapable?Ceseraitpeut-êtremieuxquetuailleslevoirmaintenant,histoirequ’ilnesachepasoùtutetrouvesavantquetut’ysoispréparée,oupire,qu’ilnedébarquesansprévenir.
Jememisàtrembler.Jenouaimesbrasautourdemoipourmeréconforter.Elleavaitraison.Jenelaisseraipascettehistoirecauserdesproblèmesàmesamis.
–Jevaislefaire.MerciKimberly.S’ilvousplaît,faitesquececertificatdemariagearrivevite.Jedoisjusteencaissercechèque
avant…Jelaserraifortdansmesbrasenluipromettantdevenirlavoirauplusviteetdelateniraucourant,
puisjeregardaisavoitures’éloigner.Jerestailàunmoment,lesbrascroisésàfixerlafontaineenpannesanslavoir.Jemedemandaià
quoielleressembleraitunefoisqu’elleseraitréparéeetoùcetteréparationseplaçaitsurl’échelledesprioritésdeGrayson.Grayson…Ilavaitpasséleweek-enddansunétatdesuppliceabsoluàcausedeCharlotte,et,malgrécela,ils’étaitaffectueusementoccupédemoi,surveillantmatempératureetfaisantensortequejenesoisjamaisseule.Jem’étaismanifestementtrompéesurleDragon,dumoinsàcertainségards.Iln’étaitpascettebêteinsensiblequej’avaisimaginéeaudépart.
Jeréfléchisunmomentàlamanièredontilavaitétéabandonnéparsonfrère,sonpèreetsabelle-mère.C’étaitjusteunhommeaprèstout;unhommequiportaituneblessureprofondeetquifaisaitdesonmieuxpoursesortird’unesituationqui,avantmonarrivée,luilaissaittrèspeud’espoir.
Jerepensaiàlamanièredontilavaitétélésé,passeulementparsonpère,maisaussiparlemien.Est-ceque,s’illesavait,ilcomprendraitquejeneluienparlepas?jesongeaiàluidiremaintenant…Seulement,notreplann’avaitpaschangé.Nousallionsnousséparer,etce,trèsrapidement.Alors,quelintérêt?
Préoccupée, je rentrai etme dirigeai vers le bureau où j’avais officiellement rencontréGraysonHawthornlapremièrefois.Jem’assisderrièrelagrandetabledetravail,etjecommençaiàfouillerdanslapiledecourrierqueCharlotteavaitdûprendredanslaboîteauxlettresenarrivantlematin.Ilyavaitaussi unemontagnede lettres plus anciennesqui n’avaient jamais été ouvertes. Je les séparai en troispiles : celles qui ressemblaient à des factures, celles à jeter et les courriers personnels. Il y avaitplusieurslettresquin’avaientpasétéouvertesadresséesàGrayson.L’écrituresemblaitêtrecelled’unefemme. Je lesmis de côté. Je trouvai alors une carte postale dont la photo représentait un vélo posécontreunarbre,etenlaretournantjeremarquaiquel’écritureétaitlamêmequesurlesenveloppes.Elleétait trèsrécente.Jen’hésitaiqu’un trèscourt instantavantde laissermesyeuxglisserde l’adresseaumessage.
Grayson,Tutesouviensquandonavaittreizeans,quejet’aicouvertdeboueavecmonvéloetquejemesentaisterriblementmal?Tum’avaisditqu’ilétaitimpossiblederestertroplongtempsfâchéavecmoi.Jepriepourqueturessentestoujourslamêmechose,etquetoncœurpuissemepardonner.Jenecesseraipasd’essayer…Avectoutmonamour,Vanessa
Vanessa.Avectoutmonamour?Ellel’aimaitencore?ElleessayaitdeconvaincreGraysondeluipardonner?D’avoirépousésonfrère?Jeressentissoudainunedouleurbizarreàlapoitrineetmapeausehérissa.Jen’aimaispasça.Jemisdecôtéleslettreslesplusrécentesquandjedécouvrisunpliquim’étaitadressé.Jeretinsmonsouffleenl’ouvrantetjepoussaiunsoupirdesoulagementenvoyantqu’ils’agissaitdenotrecertificatdemariage.Lasensationd’irritationsetransformaalorsenunenthousiasmedébordant. Je balançai les autres lettres sur le bureau, et courus vers la porte d’entrée en criant àCharlotte:
–Jevaisenville.Jereviensvite.Jel’entendismerépondre:–D’accord…Puislaporteclaquaderrièremoi.J’avaisdel’argentàrécupérer.Jediraismêmeunegrossesommed’argent.
CHAPITRE13
GRAYSONVers15heures, jem’arrêtaide travailler, tropépuisépourcontinuer.Jeretournaià lamaisonoù
l’odeurfamilièredessconesàlamyrtilledeCharlotteflottaitdansl’air.Jemesuisalorsdirigéverslacuisine.
–C’estuncoupbas,dis-jeenfeignantd’êtreencorefâché.J’avaisl’intentiondenepast’adresserlaparolependantencoreaumoinsunjouretdemi.Allez,donnem’enun.
Charlotterayonnaitetelles’exécutaenposantsuruneassietteunsconetoutchaud,avecunpeudecrèmefraîchedessusetunecuillèredeconfitureàcôté.
–Tricheuse,marmonnai-je.Jenetepardonnepaspourautant.Charlottemeregardaensouriantdégusterunebouchéedecetavant-goûtduparadis.–Jesuisdésolée.Jenevousvoulaispasvousfairedumal.Ellem’observaunmoment.–Jevoulaisjuste…– Tu voulais que nous ayons, Kira et moi, un vrai mariage, dis-je en secouant la tête. Désolé,
Charlotte,maisçan’arriverapas.Jen’ainiletempsnil’envied’avoiruneépouse.Enrevanche,pourcequiestdel’aspectphysique…j’avaistentémachance.MaisCharlotten’avait
nul besoin de le savoir, ça lui donnerait de faux espoirs. Et puis de toutemanière,Kira avait refusé.Pourtantjen’avaispasditmonderniermotsurcepoint.Pourlemoment,nousétionsmarietfemme,alorspourquoinepasenprofiter,aumoinspendantunpetitmoment?Elleétaitcommeunepetiteflammedansmonsang,belle, imprévisibleetpleinedevie.Lesdeuxmoisouunpeumoinsquenousavionsdevantnoussuffiraientamplementpoursatisfairemondésir.Jesauraienfincequecelafaitdelasentirsousmoi,autourdemoi,surmoi…Après,terminé,jeserairassasiéetjepourraipasseràautrechose!
–Vous savez, je ne vous ai pas donné cettemixture pour que vous ne ressentiez qu’une simpleattirancephysiquepourelle, intervintCharlottecommesielle lisaitdansmespensées. J’espéraisbienplusqueça.C’étaitjustepourfairecirculervotresang,sivousvoyezcequejeveuxdire.Ellemefitunclind’œilet je lui jetaiun regardnoiren retour,écœuréparnotresujetdeconversation.Ellem’avaitpratiquementélevé!Maisellerepritavantquejenepuissel’arrêter.
–Dans le corps et dans la tête.Quant àKira, elle ne veut pas non plus d’une relation purementsexuelleavecvous,voussavez.
Jem’arrêtaicettefois,trèsintéressé.–Commentlesais-tu?–Parcequec’estunefemme.C’estcommeçaquejelesais.Je réfléchis à ce qu’elle venait de dire. Si nous faisions l’amour, est-ce que Kira en voudrait
davantage?C’étaitpeuprobable,laplupartdutemps,ellenesemblaitmêmepasappréciermaprésence.Maiselleavaitaimémescaresses.C’étaituneévidence.Enyrepensant,cette tensionsexuelleexistaitdepuisletoutdébut.Ellen’avaitpasquittémonespritdepuisquej’avaistouchésapeaupourlapremièrefois.Jen’avaispasvoulul’admettre,carj’étaistropaveugléparmespréjugés,maisjenepouvaispluslenier.Pourquoiaurait-ilétéimpossibled’avoirunerelationpurementsexuelle?Encequimeconcerne,cela me semblait parfaitement envisageable. Je voulais aller plus loin avec cette délicieuse petitesorcière.Maintenant,ilnemerestaitplusqu’àlaconvaincre.
Quandjel’avaistrouvéesimaladedanssonlit,l’enviedeprotégerKiram’avaitinquiété.Maistrèsrapidement, les plantes de Charlotte avaient fait effet. Protéger Kira de moi-même et contrôler mespulsionsavaitalorspristoutemonénergie;jen’avaispaseuletempsderéfléchiràcebesoindeprendresoin d’elle. Aussi bizarre que cela puisse paraître, cela avait finalement été une bonne chose. Maismaintenant plus j’y pensais, plus je considérais ça comme une réaction normale qu’un homme veuilleveillersursonépouse.Mêmesic’étaitunmariagedefaçade.
Tôtoutard,cedésirs’estomperait,commenotreunion.–EnparlantdeKira,dis-je.Oùestcettepetiterebelle?–Jenesaispas.Elleaquittélamaisonilyaplusieursheures.Qu’est-ce qui pouvait être si important ?Avant que je ne puisse poser la question à voix haute,
j’entendisunevoituredansl’allée.Etpeudetempsaprès,lavoixdeKiraretentit:–Hello!Ilyaquelqu’un?–Jesuislà,machérie,ditCharlotte.Kiraentraentrombesdanslacuisineetposaparterreunegrandeboîteavecuntrousurledessus.–Qu’est-cequec’est?luidemandai-je,endésignantl’imposantcarton.–Unesurprise,dit-elleensouriant.Jegrognai.Quediableavait-elleencorepuinventer?–Maisd’abord,dit-elleens’asseyantsur le tabouretàcôtédemoi.Noussommesofficiellement
mariés.J’aiapportélecertificatdemariageàMonsieurHartmann.Notrechèqueseraprêtdèsdemain.Nouspourronslerécupéreràlapremièreheure.
Unevagued’excitationenvahittoutmoncorps.–Quoi?C’estvrai?–Toutàfait,répondit-elleensouriant.Incapabledemeretenir,jemelevaietlaprisdansmesbrasavantdelafairetournoyer.–Onl’afait,dis-je.J’avais dumal à y croire. Je la reposai au sol.Elle leva alors la tête, ses yeuxbrillaient et son
sourireétaitrayonnant.J’eusmêmedroitàlafossette.
–Jesais,soupira-t-elle.Jelafixaiintensément,lebesoindel’embrasserétaitsifortquejemedemandaisic’étaitnaturelou
silesplantesdeCharlottefaisaienttoujourseffet.Jefusinterrompuparungrattementdiscret,provenantdelaboîtequiétaittoujoursparterrederrière
nous. Je fronçai les sourcils et le souriredeKira s’agrandit encore.Sonenvoûtante fossette creusa sajoueunefoisencore.Puiselleseprécipitaverslecarton.
–Qu’est-cequec’est?Elles’accroupit,soulevalecouvercleetensortitcequiétaitvisiblementungrandchiotouunpetit
chien.Deuxpairesd’yeuxmefixaient: l’uneétaitsombreetexpressive,unpeupaniquéeaussi, l’autreétaitvertémeraudeetremplied’excitation!
–OhmonDieu,s’exclamaCharlotteensedépêchantderejoindreKira.Quies-tu?Charlottesoulevalaplaquedemétalautourducouduchienetlut:–SugieSug?–Ça se prononce commeSugar,mais avec i. e. à la fin, ditKira avec fierté.Un peu comme le
rappeurSugeKnight.SugieSug.–Ahoui,ditCharlotte,commesiellesavaitcequ’étaitunrappeur.–Peut-êtrequej’auraisdûl’écrireavec«Ch»audébut,ditKira,songeuse.JesecouailatêteenregardantànouveaucettechoseétrangequeKiratenaitdanssesbras.–Mais,c’estquoiceSugieSug?demandais-je.Qu’est-cequ’ilasurlatête?C’était comme si la partie inférieuredu crânedu chien, plus la truffe et lamâchoire, avaient été
mutilées.Kiraserracequej’avaisfinalementidentifiécommeunchiotdéjàassezgrand,unesortedebâtard,
contresapoitrineetrecouvritsonautreoreilledesamainlibre.–Chhhhut,dit-elle.Ellet’entend,tusais?Ellemelançaunregardméprisant.–EtSugieestunefille.Ellefitunsourireauchienquilaregardait,lesyeuxfrémissantsd’espoir.–N’est-cepas,bébé?N’est-cepas,petitsucred’orge?Maisouitul’es,tuesunefille,unegentille
fille.Unegentillefifille.Jegrimaçai en l’entendantparler commes’il s’agissaitd’unvraibébé.Mais lapetite chiennene
semblaitpasdérangéelemoinsdumonde.Elles’agita,essayantmanifestementd’attirerunpeuplusl’attentiondeKira,enluiléchantlevisage
aveccecurieuxmuseaudéformé.Kiraéclataderireetmitànouveausesmainssurlesoreillesduchiot.–Jel’aisauvée.Sonpremierpropriétairel’amuseléealorsqu’elleétaitàpeinesevrée.Maisilne
luiapasenlevésamuselièreàmesurequesonmuseaugrandissait.Quandelleaété trouvée,elleétaitmouranteetilafallul’opérerpourluiretirercetinstrumentdetorture.
Elle ôta ses mains des oreilles de la chienne. Charlotte, qui gazouillait comme une grand-mèredécouvrantsapetitefillepourlapremièrefois,grattouillaitsesoreilles.
–Oh,lapauvrepetitechérie.Net’inquiètesurtoutpas,SugieSug.Tuvasêtretrèsbienici.Touteexcitée,lapetitechiennejappaetbaissaaussitôtlatêtecomme,sielles’attendaitàrecevoir
uncoup.Ellelevadesyeuxtristesversnous,lesoreillesbaissées.–Unchien,ici?demandai-je.Pasquestion.Pardon,maisladernièrechosedontj’aibesoinc’est
d’unanimalquicourtpartoutetque j’aurai tout le tempsdans lespattes.Jen’aipas le tempsdem’enoccuper.
Kirafronçalessourcilsetmetenditlachienne,m’obligeantàlaprendre.–J’aisauvéSugieSugpourtoi.Elleestàtoi.Considèreçacomme,disons,moncadeaudemariage.
Etaussicommeunremerciementpourtagentillesse,ceweek-end.Ellesouriait.Jerestaiunmomenttétaniséensentantcepetitpoidschauddansmesbrasetenvoyant
ces grands yeux foncés, rivés sur moi, avec un mélange de peur et d’espoir. Je sentis alors un petittiraillement dans ma poitrine. Ohmon Dieu. Kira m’offrait un chiot après l’histoire que je lui avaisracontéesurmonpère.Agaçantepetitesorcière.Petitesorcièredouce,compatissanteetagaçante.
Jesoupirai.C’étaitunedélicateattentionet j’étaiscontentqu’ellenesoitpasfâchéeaprès la façondontnous
nousétionsquittéssurlaterrasseaprèsnotrerendez-vous.Maisquandmême…–Kira,jenepeuxpasavoirunchienquis’appelleSugieSug.Jenesaismêmepascequeçaveut
dire.Etpuisçafaittellementfille.–Oh!s’exclama-t-elle,undoigtsurseslèvres.Jel’aiappeléecommeçaetelleal’airdes’yêtre
faite.Sonvrainomc’estSugarPieHoneyBunches,Sugiec’estlediminutif.ÇaveutdireTarteauSucreetauMielàlaLouche.
J’observaiànouveaul’animal.Elleétaitextrêmementvilaine.Pathétiquementmoche.Abîmée.Maisendépit de sadifformité et de sonnom impossible, j’étais incapablede la chassermaintenantqu’elleétaitdansmesbrasetqu’ellemelançaitsesregardssuppliants.J’avaisunetrèsgrandepropriété.Ellepourraitcourirpartoutetjenelacroiseraisquerarement.Ilfaudrait,enrevancheluiapprendreànepasmangerleraisin.Celapouvaitêtredangereuxpourleschiens.Jelareposaiparterre.Ellerestaplantéelà,àmeregarder.
–C’estencoreunchiotettunel’asrécupéréequ’aujourd’hui.Ilestencoretempsdeluidonnerunnouveaunom.
Jereculaiunpeu.–Aupied,Scout.Elleinclinasavilainetête,ets’assittranquillement.Kirafit,elleaussi,unpasenarrière.–Aupied,SugieSug.Lachiennesemitimmédiatementàcourirverselle,sesgrossespattescliquetantsurlesol.Kirala
soulevaetcommençaàbabilleraveccettemêmevoixinsupportable.–Aupied,SugieSug,appelai-je,cettefois.
Kiralaposaparterreetlechiotcourutversmoitoutaussibruyamment,puisbaissalatêteaveccemêmeaireffrayé.Jelasoulevaidetellefaçonquejepuisselaregarderdanslesyeux
–D’abord,sachequetuasledroitdet’exprimerici.Ellem’observait avecun regard expressif, comme si elle comprenait ce que je disais. Puis, elle
léchatimidementmajoue.KiraetCharlottemeregardaientensouriant.–D’accordc’estbon,ellepeutrester,dis-je,lesdentsserrées.Jefisdemi-tourmonnouveauchiotdanslesbras.SugieSug.Qu’est-cequim’arrivait?–Jevaisluifairevisiterlamaisonetl’habitueràsonnouveaunom,lançai-jeenquittantlacuisine.Unconcertdejoyeuxriresfémininsm’accompagnajusquedanslesescaliers.Cen’étaitpasunson
quej’avaisentendusouventdanscettemaison…jusqu’àl’arrivéedeKira.
***
Lelendemain,debonmatin,Kiraetmoipartîmesenvillepourrécupérerlechèque,quiétaitàlafoisledéclencheuretlacausedenotremariage.MonsieurHartmannousleremitetnoussouhaitabonnechance.Àpeinedixminutesaprèsquenoussoyonsentrésdansl’immeuble,nousétionsànouveaudanslarue.Nousnousfixions,encoresouslechoc.JesourisàKiraetjeluidis:
–Allonsouvriruncompte.Elle acquiesça en souriant. Sur le chemin, nous passâmes devant la banque où nous nous étions
rencontrés.Elleavaitgardédebonssouvenirsdecetendroitmaisjenesupportaispasl’idéed’ouvriruncompte làoùonavait rejetémademandedecrédit,que leur refus soit justifiéounon.Soudain, jemesouvinsàquelpointj’étaisdépriméàcemoment-là.J’attrapailamaindeKiraetlaserrai.Ellesouritetsafossetteapparut.Unemèchedesescheveuxrouxtombasursonœiletjenepusmeretenir.Jem’arrêtaietlatiraiendirectiond’unimmeubleavantdelaplaquercontrelemuretdeluidonnerunbaiserrapideetintense.Sasurprisemefitsourire.
–Allezfaireçadansunechambre,criaquelqu’unquipassaitunpeuplusloin.Kiraeutl’airchoquéetjeluifismonsourireleplusdiaboliqueenhaussantlessourcils.–Non,dit-ellefermement.Maisquandelle sedégagea, jevisqu’elleme regardait avecunpetit sourireencoin.Moncœur
s’arrêtauninstant.C’étaittellementdifférentdemaréactionhabituelledansunetellesituation.J’éclataiderireetmelançaiàsapoursuite.
Uneheureplustard,nousavionsouvertdeuxcomptesséparés,chacuncréditédetroiscentcinquantemilledollars.Enrentrantàlapropriété,lahontemesubmergea;j’avaisl’impressiondel’avoirvolée,commesijen’avaisaucundroitsurcetargent.
–Jeterembourserai.Tulesais,n’est-cepas?Ellemefitunsignedetête.–Situveux,répondit-elle.–J’ytiens.
Kirarestasilencieuseuneminute,puisellecontinuad’unevoixdouce.–Jedoisallerrendrevisiteàmonpèreaujourd’hui.Elleavaitl’airaccablé.J’étaistellementhabituéàvoirlajoieetlaviebrillerdanssonregardque
j’en fus déconcerté. On aurait dit que la simple idée de le rencontrer la vidait de toute son énergie.J’ouvrislabouchepourparler,maisjenetrouvaipasmesmots.Jemecontentaidemarmonner:
–D’accord.Ellemeregardacommesiellevoulaitmedemanderquelquechose,maisaulieudecelaellemefit
unsignedelatête,descenditdupick-upgaréetmelança,sansseretourner,qu’onseverraitdansdeuxjours.
C’auraitdûmesatisfaire.J’allaisêtretranquillependantquarante-huitheures.Jen’auraispasàmesoucierd’unesorcièreinsupportablesemantlapagailleetlechaosdanslapropriétéetm’excitantcommeaucune autre femme ne l’avait fait. Je devrais probablement aller en ville et me trouver une femme.J’étais tellement frustré sexuellement. Kira ne le saurait pas, et puis elle s’en fichait si j’avais biencompris.Ilfallaitjustequejesoisdiscret.Jesavaisl’être.Alorspourquoiétais-jegagnéparunvaguesentimentdemalaiseàl’idéedeKiraquittantlaville?J’auraisdûmepréoccuperdavantagedelafaçondontjepouvaisassouvirmesdésirs.Pourmechangerlesidées,jemerendisdansmonbureau.Ilyadessemaines,j’avaislistédesfournituresetdumatérielàcommander.Unimmensesentimentdesatisfactionm’envahit.Toutétaitentrainderentrerdansl’ordre.
Lachienne trottinadansmonbureauet s’allongeaàmespiedspendantque je travaillais surmonordinateur.Quarante-cinqminutes plus tard, une foismes commandes passées, jeme levai et appelail’horriblebestiolequidormaitsousmonbureau.
–ViensmonvieuxRien.Ellenebougeamêmepaslatête.Jel’observaiunmoment.C’étaitunefille,doncpeut-êtrequ’ellevoulaitunnomquiluiconvienne
mieux.–ViensBailey.Paslamoindreréaction.Jeserrailesdents.–IciSugieSug,dis-jedansmabarbe.Lesoreillesdelachiennesedressèrent,ellepoussaunjappementexcitéetserelevainstantanément
pourvenirjusqu’àmoi.Jelafoudroyaiduregard.Ellemesautadessus,haletante,j’auraisjuréquesonmuseaudéformésouriait.
–Vousaimezçavous les femmes,n’est-cepas?demandai-jeenmedirigeantvers lacuisine, lachiennesurlestalons.
Dansl’entrée,jerencontraiCharlotte.–Kiraestentraindemettresavalisedanssavoiture,dit-elle.Vousnepartezpasavecelle?–Pourquoiirais-je?Ellehaussalesépaules.
–Jemedisaisjustequeçaseraitplusconvaincantsivousallieztouslesdeuxluiannoncerquevousvousêtesmariés.Vousnecroyezpas?
KiraavaitmanifestementditàCharlotteoùelleallaitetpourquoi.Jefronçailessourcils.–Sielleavaitvouluquejel’accompagne,ellemel’auraitdemandé.Jereportaimonattentionsurlachienne.–ViensiciMaggie.Elles’assitenmeregardant.Jesoupirai.–AllezSugie.L’insupportablepetitbâtardsedressapourmesuivredanslacuisine.Charlottepouffa.–Jevoisqueçat’amusebeaucoup,dis-je,enlaregardant.Charlottesourit,ensortantdeuxoutroistrucsduréfrigérateur.–JeprépareunsandwichpourKira.Est-cequevousenvoulezun?–Avecplaisir,dis-jeenm’asseyantsuruntabouret.–Commepourcetteadorablefifille,dit-elleensouriantàlachiennequiremuaitlaqueuegaiement.
JesupposequelapremièrefoisqueKiral’aappeléeSugieSug,ellel’aditavectantd’amourquecettechiennen’apaspul’oublier.Jepensequec’étaitlapremièrefoisdanssatristevie,qu’onlanommaitsuruntonaimant.C’estunesensationtrèspuissantevoussavez.
JecroisaileregardsagedeCharlotteetréfléchisàcequ’ellevenaitdedire.Monépousem’avaitoffertcettechiennepourréparerquelquechosequim’étaitarrivéilyatrèslongtemps.LesyeuxinquietsettristesdeKiratoutàl’heuremedisaientqu’elleaussiavaitpeut-êtrebesoindepanseruneblessuredupassé. Nous étions peut-être mari et femme uniquement sur le papier, mais elle avait spontanémentcherché àm’aider, simplement parce qu’elle en avait eu l’occasion. Peut-être que je pouvais faire lamêmechosepourelle.
–EnveloppelesdeuxsandwichsCharlotte,dis-je.Jel’accompagne.Charlottemeréponditjusted’unsourirecomplice.
CHAPITRE14
KIRAJechargeaismavalisedanslecoffredemavoiturequandjevisGraysonsortirdelamaisonavecce
quisemblaitêtreunsacdevoyage,etunsachetenplastique.J’aifermélecoffreetjel’airegardéavancersansbougerjusqu’àcequ’ilarriveàmonniveau.–Qu’est-cequetufais?luidemandai-je.–Jeviensavectoi,merépondit-ilenouvrantlecoffrepourenextrairemavalise.–Tuviensavecmoi?bafouillai-je.Mais…Ilrefermalecoffreetsetournaversmoi.–Kira, ça aura l’air plus crédible si nous rencontrons tonpère ensemble.Nous avons conclu ce
marché tous les deux et nous devons nous impliquer autant l’un que l’autre, pour que ça fonctionne.Considèreçacommeunefaçondegagnermapartd’héritage.
Ilmarchajusqu’àsonpick-upetmitnosaffairesderrièrelessièges.–Etpourquoiest-cequetumetsmavalisedanstonpick-up?–Parcequejeveuxconduire.Jemesentiscurieusementhumiliée.C’étaitunsentimenttrèsfamilierchezmoi.–J’imaginequeçafaitpartiedetanaturededragondominateur?–Jecrois.IlposalepetitsacplastiqueremplidessandwichsqueCharlotteavaitpréparés,surlesiègearrière
etgrimpaauvolant.J’ouvrislaportepassageret,sansmonter,leregardai.–Tuadoresm’énerver,n’est-cepas?Ilpritunairsongeurcommes’ilseposaitlaquestion.–C’estvraiquec’estassezexcitant,dit-ilenmeregardant.Maiscen’estpaslesujet.–Riennet’obligeàfaireça,dis-je.Honnêtementjen’avaispastrèsenviequemonpèrerencontreGraysonpourlapremièrefoislejour
oùjeluiapprenaisquenousnousétionsmariés.Jepouvaisfacilementimaginerledédainglacialdontilferaitpreuve,passeulementavecmoimaisaussiavecGrayson.JemedemandaissilenomdeGraysonluisembleraitfamilier?Probablementpas,carmonpèrenesesouvenaitquedesgensquipouvaientluiservir, d’une manière ou d’une autre. De plus, ce qui s’était passé entre eux remontait maintenant àplusieursannéesetn’avaitduréquetrèspeudetemps.Iln’empêchequejen’avaisjamaisimaginéque
Graysonseraitprésent le jouroù j’annonceraisàmonpèreque je l’avaisépousé,sans leprévenir.Çapourraitmal tourner et je ne voulais pas de témoin à une telle scène, surtout pasGraysonHawthorn.D’autantquej’étaisconvaincuequemonpèreneferaitabsolumentaucuneffortpourménagerGrayson.MonDieu,depuisquandm’inquiétais-jepourleDragon?
Celadevenaitpréoccupant.–C’est lameilleuremanièrede faireKira.Bon, onpeut y allermaintenant ? Je neveuxpasme
retrouvercoincédanslesembouteillagesàSanFrancisco.–Quivas’occuperdeSugie?demandai-je,ententantundernierargument.–Charlotte.EtVirgill’aideraaussi.Ilsembles’êtreprisdesympathiepourcettechienne.Jepoussaiundernier soupir avantdecéder.Trèsbien, il pouvaitvenir avecmoi, etvoirde ses
propres yeux pourquoi je préférais l’épouser plutôt que d’accepter quoi que ce soit de mon père. Ilverrait…Ilverraitvraimentquij’étais…Etçamefaisaitpeur.Pourquoi?
J’aivitecompris,jevoulaisqueleDragonmerespecte.Jenevoulaispasqu’ilmevoiecommeunehéritière gâtée, ce qui avait été sa première réaction, trèsméprisante, au tout début, quand nous nousétions rencontrés dans son bureau. Je ne voulais pas qu’il découvre le faste de l’endroit où j’avaisgrandi ; il n’avait plus rien à voir avecqui j’étais ni avec ceque j’attendais de la vie.C’était drôle,j’avaisépousécethommeetpourtantjen’avaisjamaiseul’intentiondeluifairepartagermavieprivéeoumessouffrances. J’avaismisenplacecetarrangementcommes’il s’agissaitd’uneentreprise.Et jecomprenaisbrusquementquenotrerelationétaitentraind’évoluer,dumoinsencequimeconcernait.Çacommençaitàmeterrifier.
C’étaitincontestablementtrès,trèsbête.Jedécidaid’oubliertoutcelapendantunmoment.Jebaissailavitreetrespirail’airdouxetparfumé
decettefind’été.–Oùas-tuprévudedormir?medemandaGraysonunefoissurl’autoroute.–Àl’hôtel,répondis-je.–PaschezKimberly?Jesecouailatête.–Maintenantque j’ai lesmoyensdedescendredansunhôteldignedecenom, jenepréfèrepas
m’imposer.Leurappartementesttoutpetit.Graysonacquiesça.–Çaal’aird’êtreuneamietrèsproche.–Oui,eneffet.C’estmameilleureamie.J’aisourienappuyantmatêtesurlesiège.–Nousavonsgrandiensemble.Samèreestvenuetravaillerdansmafamillequandnousavionscinq
ans.Elleestcommeunesœur.Mamèrevenaitdemourirdansunaccidentdeski,dis-jeenmemordantlalèvre,etdisonsque…lamèredeKimberly,RosaMaria,m’aenquelquesorteprisesoussonaile lespremierstemps.
Jesouriais,heureusedepenseràautrechosequ’aumomentoùj’auraisàfairefaceàmonpèrepourluiannoncermonmariage.
–Quelquesjoursaprèsquesamèreeutcommencéàtravaillercheznous,c’étaitl’anniversairedeKimberly.RosaMariaorganisaune toutepetite fêteavec lesenfantsdesautresemployés. Jemourraisd’envied’yêtre invitée,et j’avaissuppliémonpèredem’emmenerluiacheteruncadeaumais ilavaitdit:«Tun’aspasbesoindeluioffriruncadeaucartun’iraspas.UneDallairen’arienàfaireavecdesgensdesibasseextraction.»
J’avaismodifiémavoixpourimitercelledemonpère,bienplusgrave,etjesourisàGrayson.Ilfronçaitlégèrementlessourcilsetnemerenditpasmonsourire.
–Bon,commetupeuxl’imaginer,repris-jeenmeredressant,iln’étaitpasquestiondeluiobéir.J’aidoncprisuncollierquemamèrem’avaitoffert,avecunpetitcœurdessusetjel’aidonnéàGeorge,notrejardinierpourqu’illecoupeendeux.J’aimisledemicœursuruneficelle,mesuisrendueendouceàlafêtedeKimberly,etjeluiaioffertcebijoudefortuneenluidisantquenousserionsdésormaismeilleuresamiespourtoujours.
Àl’évocationdecesouvenirmoncœurseremplitdechaleur.–Ellel’aencore.Graysonétaitsilencieux,ilsemordaitlalèvresanssedétourner.Jeregardaisdroitdevantmoi,me
sentantunpeuidiote.Puisjesentissesyeuxseposersurmoi.–TuestoujoursprochedeRosaMaria?–Non,dis-jetristement.Monpèrel’arenvoyéeilyadesannées.Çaaététrèspénible.Ilavaiteu
uneliaisonavecelle,etill’atoutbonnementremplacéeparunefilleplusjeune,quifaisaitofficeàlafoisdefemmedeménageetdecamaradedejeu.RosaMarianem’aplusjamaisparléaprèsça.Toutesmestentativessontrestéeslettremorte.
Jechassaicesouvenird’ungestedelamain,essayantdebalayerladouleurquiétaitattachéeàcesévènements.
–Ellet’enavoulu?medemandaGrayson,lavoixfrémissante.–Kimberlymeditquenon,maisquec’étaitdevenutropdouloureuxpourelled’avoir lemoindre
contact avec les personnes qui pouvaient lui rappeler ce quemon père lui avait fait. Elle l’aimait, jecrois.Lui,à l’inverse, lavoyait justecomme…disons,commeunmoyenpratiquedegardersamaisonpropreetsonlitchaud.
–Jevois,dit-illagorgeserrée.Je le fixaiavec l’impressionétrangequ’il lisaitdansmespensées,etqu’ilavaitcomprisplusde
chosesquecequej’avaislaisséentendre.Jesecouailatêteenfronçantlessourcils.–Alorsdequoiest-cequevousparliezavecKimberlyhiermatin,avantquejenedescende?lui
demandai-je.Ilmefitungrandsourire,changeantainsil’ambiancemorosequis’étaitinstalléedepuisquej’avais
évoqué l’histoire deRosaMaria et demonpère.Le soleil passait à travers les vitres et tapait sur le
visage de Grayson, faisant ressortir ses yeux marrons et profonds, et mettant en valeur sa puissantemâchoireombréedebarbe. Jedétournais le regard, enmemordant la lèvre. Il fallaitque j’ignore sessomptueusesécaillesdedragon.Jemelerépétaisenboucle.
–Detoi.dit-il.Quandjeleregardai,sonsourires’agranditencore.–Ellemeracontaitdesanecdotestrèsintéressantessurtouteslesfoisoùelleadûtesortirdupétrin.Jesoupirai.–C’estunefillebien,maiselleexagère.C’estundesespiresdéfauts.LeriredeGraysonétaitsincèreetchaleureux.–Jenesaispas.J’aitendanceàpenserquecen’estpaslecas.Ilfixaànouveaularouteensouriant.–Elleditqueparfoisdedrôlesd’idéestepassentparlatête…–OK,ellem’asortiedesituationsbizarres,dis-jepourmadéfense.Maispasdupétrin.–J’ail’impressionqu’avectoilafrontièreesttrèsmince.Jeledévisageais,agacée,maisjenepouvaispasm’empêcherdeclignerdesyeuxdécouvrantson
souriresitendre.Jeregardaiànouveauparlafenêtre,etdis:–J’aifaitbeaucoupd’efforts,depuisquejevisavectoi,pourlimiterleflotdemes«idées».–OhmonDieu,s’exclama-t-il.Jen’osemêmepasimaginercequec’estquandtuneteretienspas.Jepestai,leregardsombre.–Tun’aurasqu’àdemanderàmonpère,dis-je, enpriantpourqu’ilne le fassepas.Quand tu le
rencontreras,iltediraquelboulettuasrécupéré.Jen’aiaucundoutelà-dessus.Toutenmemordantlalèvre,jetournailatêtepourregarderdéfilerlepaysage.–Hé,ditGrayson,etjesentissamainchaudeattraperlamiennesurlesiègequinousséparait.Jebaissailesyeuxsurnosmainsjointes,puisremontaiensuitesursonregardquimefixait,avantde
seconcentrersurlaroute.–Çavabiensepasser,d’accord?J’aiacquiescé,mais jecroisqu’ilsavaitqu’ilavait tort.Jepouvaismêmemeretrouverdansune
situation de complète humiliation devant Grayson. Non, ça n’allait pas bien se passer. C’était mêmecertain.
***
Lescouleursjaune-orangé,àlafoisdoucesetvibrantesducoucherdesoleilnaissant,baignaientdelumièrelemanoirinspirédelaRenaissanceitalienne.Couronnantlacolline,ilétaitnichédanslequartierdePacificHeightsàSanFrancisco.C’étaitprobablementlebienimmobilierlepluscherdelarégion.LademeureDallaire.Home sweet home. Je grimaçais intérieurement. J’avais très peu de bons souvenirsdanscetendroit.
En regardant la maison, je compris que toute ma vie, je m’étais dissimulée dans l’ombre de lapersonne que mon père voulait que je sois. Tout ce que j’avais toujours souhaité, c’était l’amourinconditionnelquequelqu’unmedonnerait.
Endescendantdupick-upgarédevantl’imposantebâtisse,jefixaisGraysonsanspouvoirdéchiffrersonexpression.Arrivéenhautdel’impressionnantescalierextérieur,ilseretournapouradmirerlavueàcouperlesoufflesurleGoldenGateBridge,laprisond’Alcatraz,AngelIslandetjusqu’àlapéninsuledeMarin Headlands. J’entendais des gens jouer au tennis sur le terrain en terre battue qui se trouvaitderrièrelamaison.
Graysonmeregardaensilencependantquej’appuyaissurlasonnette.Jerefusaisd’entrerdanscettemaisoncommesic’étaitchezmoi.Quelquessecondesplustard,j’entendisdesbruitsdepasrésonnersurlemarbredel’entrée,etlaportes’ouvritsurunejeunefemmed’originehispaniqueentenuedesoubrette.Jenel’avaisjamaisrencontrée.Jeluisouris.
–Bonjour,jesuisKiraDallaire.Jecroisquemonpèrem’attend.Jeluiavaisenvoyéunmessagesurlaroutequiétaitrestésansréponse,doncjenesavaispass’il
m’attendaitvraiment.Lajeunefemmenoussouritetouvritlaporteengrandpournouslaisserentrer.–Jevaislechercher,dit-elleavecunfortaccentespagnol.Est-cequejepeuxvousfairepatienter
dansle…–Nousallonsattendreici.Jen’avaispasl’intentiondem’éterniser.J’avaisdéjàenviedepartir.Lajeunefemmeacquiesçaavantdedisparaître.–Tupeuxme laisser seuleunmomentpourque jepuisseparler àmonpère ?dis-je àGrayson.
Ensuite,jeteleprésenterai.Ilmedévisageapuis,sansdireunmot,ilacquiesçad’unmouvementdetête.Aprèsêtrerestéedelonguesminutesdeboutdanslesomptueuxhallenmarbre,j’entendisànouveau
desbruitsdepas.Jelevailesyeuxsurl’imposantesilhouettedemonpèreenhautdesmarches.Jejetaiuncoupd’œilsurGraysonquiétaitappuyécontreunedescolonnesdemarbre,justeàcôtédemoi.
– Kira, dismon père en dévalant l’escalier, les yeux rivés auxmiens, ses lèvres fines pincées,arborantunairréprobateurquinelequittaitjamaisetquejeconnaissaisbien.
–Jesuisraviquetutesoisfinalementdécidéeàrentreràlamaison.Sontonétaittoutsaufsatisfait.IlneregardamêmepasGrayson.–Allonsparlerdansmonbureau,dit-ilensetournantbrusquement.Jerelevailementon.–C’esttrèsbienici,dis-jeleplusfortpossible,lecoupantdanssalancée.Jen’avaisaucuneintentiondesuivremonpèredanssonbureau,oùils’assiéraitderrièresatable
imposantecommeunjugerendantsasentence.Monpèreseretournalentement,lamâchoirecontractéeensigned’avertissement,ets’approchademoi.C’estàcemoment-làqu’ilregardaGrayson.
–Etvous,quiêtes-vous?demanda-t-il.Jemesuisalorsavancée.C’étaitparti.–C’estmonmari,papa.GraysonHawthorn.
Pendantplusieurssecondes,monpèren’émitaucunson,commesiletempss’étaitarrêté.Soncous’empourpraetils’approchademoi.
–Tun’espassérieuse?–Si, très.Nousnous sommesmariés ilyaquelques semaines. Je suisdésoléedenepas t’avoir
invité,maisjesaisàquelpointtoncalendriermondainestchargé.Lecoupmepritparsurprise.Laviolentegiflerésonnadanstoutel’entrée.Jesursautai,unedouleur
vive enflammama joue, jusqu’àmonœil. Je relevai la tête juste à temps pour voir samain foncer ànouveausurmonvisageetmepréparaiàrecevoirunesecondegifle.Maisellen’atteignitjamaissonbut:j’écarquillai lesyeuxenvoyantGraysonattraper lepoignetdemonpère avec la ragemeurtrièred’undragon.
–Qu’est-cequivousprend?dit-il.Ilavaitdûsedéplaceràlavitessedelalumièrepour,làoùilétaitplacé,arriveràtempsetempêchermonpèredemefrapperànouveau.Marespirationétaitsaccadéeetjepoussaiunrâlederage.
Monpère,ivredecolère,dégageasamaindecelledeGrayson,etposasesyeuxsurmoi.J’étaisentraindereculerrapidementleplusloinpossible.Jemisquelquessecondesàretrouvermesesprits.Jemetins le plus droit possible, en soutenant son regardmême si toute la partie gauche demon visagemelançaitatrocement.
–Merci, dis-je en levant lementon, dissimulantma douleur. Je prends ça comme un cadeau demariage.
–Ilafalluqueçatombesurtoi,Kira.Monpèresecoualatête,l’airécœuré.–Tuesvraimentuneidiote,tulesais?IlpointaGraysondumenton,sansleregarder.–Tu t’es fourvoyéeavecunputaindecoureurdedots,et tune t’enesmêmepas renduecompte.
Ensuite,ils’adressaàGrayson.–Jenedonneraipasuncentimeàmafille,dommagepourvousdeux,GraysonHawtorn.Il prononça son nom comme s’il parlait de Satan.Mon cœur s’arrêta de battre quandmon père
plissalesyeux,commesicenomluiétaitfamilier.Ilsecoualégèrementlatêteetconcentrasonregardfurieuxsurmoi.
–Nousnevoulonspasuncentimedevotreargent,ditGraysonfroidement.Allons-y,Kira.Jem’éloignais déjà, quand j’entendis des pas venant du fond de lamaison.Enme retournant, je
découvrisCooper.MonDieu,ilsm’avaienttenduunpiège.Levertigemesaisitcommesijemetrouvaisaubordd’unefalaise.Cooperseprécipitasurmoi,sonlookbonchicbongenreaccentuéparsatenuedetennis.
–Kira,dit-il,leregardplantésurmoi.Je grimaçais quand il passa la main dans mes cheveux ; je tournais la tête pour m’en dégager.
Comment avais-jepucroireque jepourraispassermavie avec cethomme? Jepouvaisdéjà à peine
supporterd’êtreensaprésence. J’aialors sentiGraysonse rapprocherdemoietmeprendre lamain.CoopernousdévisageaGraysonetmoi,touràtour,sanscomprendre.
–Kira?Ilpassasamainsurmajoue.–Vousl’avezfrappée?demanda-t-ilincrédule,ensetournantbrusquementversmonpère.Commes’ilnel’avaitjamaisfait.Lacolèreetleméprisétaientsurlepointdem’étouffer.Monpèrepinçaleslèvresetdit,avecunairironique:–Elleestmariée,Cooper.Félicite-la.Cooper,lesyeuxécarquillés,setournaversGrayson.Sijeneleconnaissaispas,j’auraisditqu’il
avaitl’airblessé.SonregardseperdaitentreGraysonetmoi.Ilfinitpardemander:–Maisquiest-ce?D’oùsort-il?SonregardnequittaitpasGraysonmêmes’ilétaitévidentquec’étaitàmoiqu’ilposaitlaquestion.
Graysonplissalesyeux,enconsidérantCooperavecundemi-souriremoqueur.–IldirigesonentreprisefamilialeàNapa,répondis-je.C’estlàquenousnoussommesrencontrés.J’espéraisquecetteexplicationseraitsuffisante.Cooperpoursuivit:–Oùvousvousêtesrencontrés?Quandça?Ilyadeuxsemaines?Ilyavaitunepointederagedanssavoix.Jemeredressaidetoutemataille.–CenesontpastesaffairesCooper,dis-je.Plusmaintenant.–Maisenfintun’espas…Ilesquissaunpasdansmadirection.Graysonvintseplacertoutprèsdemoipourmeprotégeret,
avantquejenepuisseréfléchir,jemeblottiscontreluienfixantCooper.–Est-cequetupensaisvraimentquej’allaisencorevouloirêtreliéeàtoi?–Nousaurionspunousréconcilier,Kira,dit-ill’airpeiné.Ilauraitmieuxfaitdefaireduthéâtreplutôtquededevenirjuge.–Jepeuxt’assurerqueçan’auraitpasétépossibleetqueçaneleserajamaispourdesraisonsqui
vontbienau-delàdemonmariageavecGrayson.Pendantquelquesinstants,nousnoussommesconfrontésdansunface-à-facetendu.–Arrêtonscesabsurdités,aboyamonpère.Cooperpritunegranderespiration,etm’observaunesecondeavantdelâcher:–Ilvafalloirtrouverunesolution,alors.Il avait l’air résigné. Je levai lesyeux surGraysonen soupirant.C’est bon, ils étaientpassés en
mode«Faisonsavec»,cen’étaitplusnotreproblème.Lesmotsquej’avaisentendussortirdelabouchedemonpèreilyaunanmerevenaientsoudain:
« Ne t’inquiète pas Cooper. Je vais l’envoyer loin le temps que les choses se calment. Toi, resteconcentrésurl’objectiffinal.»
–C’estleurterritoire.Laissons-les.
Je savaisque j’avaisparléavecamertume.Mavoixs’étaitbriséeà la fin, trahissant laprofondedouleurquejeressentais.
–Kira…commençaCooper.Maisjel’interrompisensecouantlatêteetjetirailebrasdeGrayson.Cedernierrésistaetlâchama
main.Ils’approchademonpère.–Vousêtespeut-être sonpère…dit-il calmement surun tonglacial.Mais jevous interdisdene
serait-cequeposerundoigtsurelle.Suis-jeclair?MonpèrejetaunregardméprisantàGrayson,puisàmoi.–Jetesouhaiteunebellevie,KiraHawthorn,dit-il,acerbe.Sesmotsmefirentl’effetd’unenouvelleclaque.C’étaitcequejevoulais,non?Alorspourquoiest-
cequeçafaisaitsimal?Aprèsça,monpèreseretournaetquittalapièce.Cooper,quantàlui,restafigéen nous regardant nous diriger vers la porte. Grayson serrait ma main en descendant les escaliersextérieurs.J’avaisl’impressionquec’étaitlaseulechosequimefaisaitencoretenirdebout.
CHAPITRE15
GRAYSONJe posai la valise deKira sur le lit de la chambre d’hôtel etme tournai vers elle. Elle n’avait
toujourspasparlédepuisquenousavionsquittélamaisondesonpère.Celadit,jen’avaispasnonplusessayédefairelaconversation.J’avaiseubesoin,moiaussi,dedigérercequivenaitdesepasser.Siçan’avaittenuqu’àmoi,jeseraisrentrédirectementàNapa,maisjesavaisqueKiravoulaitallervoirlecentred’accueiletildevaitdéjàêtreferméàcetteheure.Nousnousyrendrionsdanslamatinéeaprèsunebonnenuitdesommeil,quinouslaisseraitletempsd’évacuercequis’étaitpasséavecsonpère.
Jeme tournai vers elle et je croisai ses grands yeux sublimesmais affligés pour lemoment. Sasouffranceme fit l’effetd’uncoupdepoingdans l’estomac, et jepoussaiun long soupir.C’étaitdonccommeçaquecettefillemagnifiqueetpleinedevieavaitgrandi?Jesavaiscequeçafaisaitd’êtreunedéceptionpermanentepoursesparents.Maiscommentavait-elleconservécettelibertéetcetteouvertured’esprit dans un environnement aussi froid etméprisant ? Comment avait-elle réussi à dépasser ça ?Quand ellem’avait raconté l’histoire de RosaMaria, je croyais avoir compris. Son père, qui nemesemblait pas être le plus gentil des employeurs, avait été dur avec sa fille ne sachant pas comments’occuperd’unepetiteorpheline, très vive de surcroît.Cependant, j’avais donné à cet homme tropdecrédit.Bien,bientropdecrédit.
– Tu dois me détester de t’avoir mêlé à ça, finit-elle par dire, en évitant mon regard. Je suisvraimentdésolée.
Ladétester?Jem’approchaid’elle.–Non,c’estmoiquisuisdésolé.Jepassaidoucementmesdoigtssursajouemeurtrie.–Sijem’étaisdoutéqu’ilallaittefrapper,jeseraisrestéplusprèspourl’enempêcher.Ellesecoualatête.–J’auraisdûréfléchiràunemeilleurefaçondeluiannoncerlanouvelle.Ilm’ararementfrappée.Je
nem’yattendaispas.Etpuis,jel’aiunpeupoussé.Ondiraitquejenepeuxpasm’enempêcher.Ellepoussaungrandsoupir.–Cen’estpastafautes’ilt’afrappée,Kira.Elleacquiesçamaissansréelleconviction.–Jecroisqu’ilfaudraitquejeprenneunbonbainchaud.Etpeut-êtrecommanderàdînerdans…
J’avaiscompris;ellevoulaitêtreseule.–Biensûr.Jevaism’installerdansl’autrechambre.Kira fit un petit signe de tête et, attrapantmon sac posé à terre, jemedirigeai vers la porte qui
séparait sa chambredu reste de la suite. J’aurais bien aimém’installer dans la chambreoù elle allaitdormir,maisaprèscequivenaitdesepasseravecsonpèreetsonex-fiancé,cen’étaitpas lemomentd’exercerunepressionsexuellesurKira.Jemesentaisd’ailleursmaintenanttrèscoupabledetenterdeluiimposerquoiquecesoit;elleavaitdéjàassezsouffertdecelapourtouteunevie.
–Ah, au faitGrayson, dit-elle en faisant demi-tour.Merci d’avoir laissé croire àmon père quej’étaistafemme…
Jem’arrêtai.–Tuesmafemme.Ellesouritgentiment.–Tusaisbienceque jeveuxdire.Tuas faitensortequeçasonnecommesi j’étaisvraiment ta
femme.C’étaittrèsconvaincant.Jefronçailégèrementlessourcils,sanstropsavoirquoidire.C’étaitvrai,Kiran’étaitpasvraiment
mafemme.Siellel’avaitété,j’auraissuquoifairepourapaisersonregardhanté.Aulieudeça,jefisunpetitsignedetête.
–Jetevoisdemainmatin.Une foisdansmachambre, jeprisunedouche,à la foispourmedébarrasserde la saletédueau
voyage,maissurtoutpouressayerdelaverl’imagedel’altercationaveclepèredeKirademonesprit.Tousmes sensm’avaient poussé à le frapper quand il l’avait giflée.Mais jem’étais retenu.Agresserquelqu’unne feraitqueme renvoyerenprison,et jenepouvaispasmepermettrece risque.Mais, cetincidentm’avaitpermisdemesouvenirdemahonte,etdemerappelermes limitesen tantqu’homme.Commentpourrais-jemebattre aujourd’huipourmonépouse,mêmesi j’yétaisobligé?Mon épouse.Alors non, peut-être queKira n’était pas vraimentma femme,mais cet argument pesait tout demêmelourd.
JesoupiraienrepensantàFrankDallaire.Jenem’étaisjamaisvraimentintéresséàlapolitiquedeSanFrancisco,maisj’avaisl’impressionquec’étaitunmaireassezapprécié,durmaisjuste,prochedesminoritésetdelaclassemoyenne.J’imaginequ’ilvenaitdenousfaireladémonstrationdecequepouvaitêtre le jeu politique. Je trouvais difficile de croire qu’un homme qui traitait si mal sa fille puisses’intéresseràautrechosequ’àlui-même.
Etilétaitmaintenant,temporairement,monbeau-père.MonDieu,dansquoim’étais-jefourré?Ilmerestait à espérer que Kira avait raison, et qu’il jouerait le jeu publiquement et nous laisseraittranquilles…Pourquoiavais-je lepressentimentqueçanesepasseraitpascommeça?Jebalayaicespensées,m’habillaietm’assisunmomentsurlebalconenmedemandantcequepouvaitbienfaireKiradansl’autrechambre.Jenepouvaispasm’empêcherdel’imaginernue,danssonbain,lapeauglissanteetmouillée,sescheveuxrebellestombantendésordresursesépaules,leliencensélesretenir,disparuunenouvellefois.Ledésirserépanditdansmesveines,etenmêmetemps,j’auraisvoululaserrerdansmes
brassimplementpourlaréconforter.Impossibled’expliquercesentimentnouveauetperturbant.Assislà,quelque chose de puissant naissait enmoi, un désir vital de posséderma femme,mais également uneenviedelaprotégeràlaquellejenem’attendaispas.
Arrête.Arrêteçatoutdesuite.Je ne pouvais pas m’en empêcher. Je voulais rallumer la lumière dans ses yeux, je voulais la
réconforter, revoir cette petite fossette ensorcelante. Je me redressai et rugis littéralement. Ça nemarcherait jamais. Il fallaitque jeme reprenne.Riende toutçane faisaitpartiedemon travail.Nousavionspensécemariagecommeunaccordprofessionnelet,mêmesinousavionscédéànotreattiranceréciproque, il ne fallait pas poursuivre dans cette voie.Cependant, nous étionsmariés.Notremariagedevaitenêtreunvraioupasdutout.Nousnepouvionspasresterdansunstadeintermédiaireflou.Çaneferaitdubiennià l’un,nià l’autre.Maintenantque j‘étaisaucourantpourRosaMariaetsonpère, jecomprenaismieuxsaréticenceàs’engager.Elleavaitpeut-êtrevusarelationphysiqueavecmoiunpeupluscommecequ’ilsavaientpuvivre.Avait-elleraison?
J’étaisperdu.Ilauraitsansdouteétéplusraisonnabled’oubliermonattirancepourellemaintenantquejemerendaiscomptequecelaallaitau-delàdusimpledésirphysique,etj’admettaisquejetenaisàelle.Maispourjenesaisquelleraison,quandelleétaitprèsdemoi,jeperdaislecontrôleettoutesmesbonnes intentions s’envolaient. À chaque fois. Et je n’arrivais toujours pas à comprendre pourquoi.Qu’est-cequimetroublaittantchezelle?
Aprèstout,Kiraétaitdanslamêmesuitequemoietelleavaitpeut-êtrebesoindecompagnie.Peut-êtreavait-ellebesoindemoi.Oupeut-êtrequej’étaisjusteentraindemefairedesfilms.
Après avoir regardé lemenu du room-service et commandé pour être livrés dans notre suite, jefrappaiàlaportedesachambre.Lorsqu’elleouvrit,jeladécouvrisenjeanavecunhautnoir,lespiedsnusetlescheveuxencorehumides.Ellen’étaitpasmaquillée,toujoursaussibelle,etelleparaissaittrèsjeune.Évidemmentpuisqu’ellen’avaitquevingt-deuxans.Sonjeuneâgenemeperturbaitpasplusqueça,peut-êtreparceques’illuiarrivaitdesecomportercommeuneenfantturbulente,ellepouvaitaussiêtreextrêmementmature.Biensûr,découvrircespetitséclairsde sagessen’avait serviqu’à la rendreencoreplusintéressanteàmesyeux.Intrigantepetitesorcière.Enentrant, jesentis le légerparfumdefleursquin’appartenaitqu’àelle.
–Salut,dit-elle,enmeregardantbizarrement.J’entraidanslachambresansyavoirétéinvité.–J’aiprislalibertédecommanderàdînerpournousdeux.JesaisquetuaimeslebœufStrogonoff
deCharlotte.Jemedoutequelechefneluiarrivepasàlachevillemais…Jehaussailesépaules.Kirahésitauninstantetfinitparsoufflerunpetit«oui»–Çameva.Merci.Enrevanche,jerisquedenepasêtredetrèsbonnecompagnie.Ellesetournaetsedirigeaverslebalconpourcontemplerlaville.Jelarejoignis,m’appuyantsur
labalustrademétalliqueavantdelaregarder.Elleévitamonregardenbaissantlementoncommesielleessayaitdemecachersonvisage.
–Hé,luidis-jegentimentenmeredressantetenmetournantverselle.
Duboutdesdoigts, je remontaisonmentonversmoi.Sesyeuxbrillaientde larmes.Ellepritunegrande inspirationetunpetit sanglot remontadanssagorge.Unélanprotecteurm’envahitet je laprisdansmesbras;satêteselogeasousmonmenton.
–Chhhhuttt,toutvabien.J’avaislagorgeserréeenlasentantsecrisperdansmesbras,commesiellen’avaitpasl’habitude
d’êtreconsolée.Enmêmetemps,enayantgrandisansmèreetavecuntelpère,ellen’avaitsûrementpasl’habitude.Jen’avaispaseubeaucoupplusdechance,maisassezpoursavoircequec’était.
–Kira,chuchotais-je.Détends-toi.Laisse-moiteprendredansmesbras,moncœur.Ellesedébattitfaiblementpendantuncourtinstant,puisquandjelaserraiplusfort,ellefinitparse
blottircontremoietfonditenlarmes.Kirasanglota,levisageenfouidansmontorse,pendantunlongmoment.Sasouffrancemedévastait.
Ellefinitparsecalmeretrelevalatête.Latendressequim’envahitàcetinstantneressemblaitàriendeceque j’avais puvivre avant.Çam’inquiétait unpeu,mais jemismes craintes de côté et essuyai dupouceleslarmesdeKira.J’écartaiquelquesmèchespourvoirsonvisage.
–Toutvabien.Jesuislà.–DitleDragonàlasorcière,ajouta-t’elletendrement,leregardtoujoursembué,maisplusbrillant.Celamefitrire.–Là,jeteretrouve.Ellesouritlégèrementetrecula.Mesbrasmesemblèrentbienvidessoudain.Elles’effondrasurune
deschaisesdubalcon,jeprisalorscellequisetrouvaitdel’autrecôtédelapetitetableenplastique,etm’assis.
–Tuvasmeparlerdecequiestarrivé?Elles’appuyacontreledossierdelachaiseensoupirant,devinantquej’évoquaislesmotivationsde
safuiteenAfrique.Ellepritunegrandeinspirationetselança:–J’airencontréCooperàungaladecharitéorganiséparmonpère.J’étaisrentréàlamaisonpour
l’étéaprèsmapremièreannéed’université.MonpèreavaitprisCoopersoussonaileet lepréparaitàobtenirsonpremierfauteuildejuge.
Ellesemorditlalèvreetregardaailleursunmoment.– Bien que mon père ne fasse plus de politique, il est toujours très impliqué dans le monde
judiciairedeSanFrancisco.Elleme fusilla du regard pendant un quart de seconde et jeme demandai si elle pensait àmon
implicationdans lemonde judiciairedeSanFrancisco.Heureusement, jen’avais jamaisétéencontactavecFrankDallaire.Ellerestasilencieuseunmoment.
–Bref,Cooperetmoiavonscommencéàsortirensembleàlaplusgrandejoiedemonpère.Ellefixal’horizon,perduedanssessouvenirs.–C’étaitlapremièrefoisdemaviequej’avaisl’impressiondeluiplaire.Jemesentais…Jeme
sentais désirée. C’était un sentiment très fort. Presque comme une drogue dont on deviendrait
instantanémentdépendant,dit-elleensecouantlatête,abattue.–Donctun’asjamaisvraimentaiméCooper?Jedétestaislasensationdepiqûrequelajalousieme
faisait ressentir quand je pensais àKira avec un autre homme,même s’il appartenait à son passé. Jem’efforçaidechassercettevision.
–Oh,jepensequesi.Ilétaitpolietavaitlesmanièresd’ungentleman.Monpèretrouvaitquenousallionstrèsbienensemble,etilpensaitquenousnouséquilibrerionsparfaitement.Cooperauraitfiniparm’apprivoiser,etmoi je luiauraisoffert lenomdeDallairepoursacampagneetsafuturecarrièredejuge.
–Ques’est-ilpassé?demandai-je,lapeurauventre.–NousnoussommesfiancésàNoëletje…disonsquejeluiaidonnémavirginité.Elle fronça les sourcils et se détourna pendant ce quime sembla être une éternité.Mesmuscles
étaienttendusetjefisuneffortpourmecalmer.–Jet’enparlecarçaasonimportancepourlasuitedel’histoire.–D’accord,Kiras’éclaircitlavoixavantdereprendre.– J’avais prévu de rentrer cet été-là, et de commencer à préparer lemariage. Cooper était très
impliquédanssacampagneetsonéquipetravaillaitàl’hôtelSt.Regis.Kiraobservasesonglesquelquessecondesavantdereprendre:– J’étais sortie plus tôt de mes examens et, au lieu de rentrer directement à l’appartement que
possédaitmonpère,j’avaisdécidédefaireunesurpriseàCooperàl’hôtel.Sonairdevintencoreplussombre.–Cooperatoujourssembléinsatisfaitaulitavecmoi.Ilnel’ajamaisvraimentdit,maisilfaisait
assezbienpasserlemessage.Aussi,jem’étaisditquepeut-être,sijelesurprenais,enportantuntruc…Tuvoiscequejeveuxdire.Ellerougit.
–Bref, je suismontée dans sa chambre et unmembre de son équipe de campagne, qui attendaitmanifestement leroom-service,aouvert laporte. Ilaessayédem’empêcherd’entrerdans lachambre,sanssuccès,etjesuistombéesurCooper,avec…desfemmes.
–Desfemmes?Plusieurs?Kirahochalatête,l’airblessé.–Ilyenavaitunesouslui,etunederrièreluiquiseservaitd’ungenrede…Ellesecoualatêteetfermalesyeux,essayantmanifestementdefairedisparaîtrecetteimagedesa
mémoire.–MonDieu…Ellemitsonvisagedanssesmainsuninstantetrepritsarespiration.–Jen’aipasbesoinquetumedécriveslascène.J’aisaisil’essentiel,dis-jelavoixétranglée.Ellefitunsignedetête,l’airsoulagé.–Ilyavaitdeslignesdecocaïnesurlatablebasseetunebouteilled’alcoolàmoitiévide.
–Putain,dis-jeenmepassantlamaindansmescheveux,revoyantCooperleGolden-Boydanssatenuedetenniscetaprès-midi.
–Coopers’estfinalement«dégagé»quandilafiniparmeremarquer,maisilétaitivreoudrogué,oulesdeuxenmêmetemps.Jenesaispas.Ilacommencépars’excuser,maisçaadégénéré.Ils’estmisàmehurler dessus, disant qu’il ne voulait pas d’une pute comme épouse.Qu’il avait déjà des vraiesprostituéespourça.J’aiessayédepartirmaisilm’aretenueetjemesuisbattueaveclui.Onesttombésparterre,ilm’afrappéemaisjemesuisdégagée.Quandj’aiessayédem’enfuir,ilm’aattrapéeparlacheville et je suis tombée sur la tablebasse enverre. Jeme suis cassédeuxcôtes,monvisageaprisaussi,etjemesuisouvertlebras.Touts’étaitpassétrèsvite,c’étaitunvraicarnage.Ilyavaitdusangpartout.Lesmembresdel’équipedecampagnedeCooperquiétaientdansuneautrepiècesontarrivésencourant.Ilsm’ontsortieetquandnoussommesarrivéschezmonpère,ilsontfiniparappelerunmédecin.
–Kira,dis-jelavoixtremblanteetlecœurserré.Jecomprenaisparfaitementpourquoielleétaitsifragilequandils’agissaitdesexe.Cen’étaitpas
justeàcausedesonpèreetdu licenciementdeRosaMaria.C’étaitbienpluspersonnelqueça,on luiavaitfaitcomprendrequesesdésirsétaientrépréhensiblesetchoquants.Etellel’avaitcru.Quipourraitluienvouloir?C’étaitsapremièreexpérience.Ellen’avaitconnuqu’unseulhomme.
Kiradétournaànouveaulesyeux.–Quandmonpèreestrentréàlamaisonetaappriscequis’étaitpassé,dit-elle,levisageànouveau
crispé. Ilm’a dit que j’avais tout gâché.Et puis il s’estmis à vouloir tout rattraper : il a contacté lepersonnel de l’hôtel en inventant que j’avais des problèmes de drogue et qu’à cause de cela, j’étaisdevenueviolenteBiensûr,ilnevoulaitpasentendreparlerdufaitquejeveuilleromprelesfiançailles,maisj’étaistrèsdéterminéesurcepoint.
–Ilt’atoutmissurledos!Elleacquiesça.–Oui. La campagne et le statut de Cooper étaient bien plus importants que sa propre fille. Il a
suggéréunvoyageenEuropepour faire croireque j’étais encurededésintoxicationouenmaisonderepos.Àmonretouronauraitputourner l’histoireànotreavantageenmefaisantpasserpourunefillefortequiavaitvaincusesaddictions.Tuimagineslesgrostitres?«Unehéritièresombredansladrogue,maisgrâce à l’amour et à la dévotionde songénéreux fiancé, elle reprendpeu àpeugoût à lavie. »Quellemerveilleusehistoired’amour.Biensûr,Cooperseraitpassépourunhéros.Sacampagneettoutescellesàvenirauraientétécouronnéesdesuccèsavecunehistoirepareille.Monrôleàmoiétaitceluidelafillepaumée,maistoutça,pourlabonnecause.
–Cen’estpascroyable,lançai-jeEllesoupira.–Commetupeuxl’imaginer,iln’étaitpasquestiondesuivreleplandemonpèrequiconsistaità
m’envoyer enEurope faire du shopping.Mais j’avais envie de partir loin.Même le fait de revenir àl’université ici, enCalifornie,me paraissait trop proche. Je voulais qu’un océan nous sépare, au senspropreduterme.J’étaisdévastéeetj’avaisbesoindemesoignerphysiquementetmoralement.Ilfallait
quejetrouvecequej’allaisfairedemavie.JemesuisalorssouvenuedelapropositiondeKhotso,quejen’avaispaspuaccepteraudépart.C’étaituneinvitationpourl’aiderdanssonhôpitalet,parlamêmeoccasion,dem’éloignerdemonpèreetCooper.Jesuisrestéeencoreunjour,letempsdefaireuntest,lesMST et le VIH, puis jeme suis envolée pour l’Afrique avec le peu d’argent qui restait surmoncompte.
Elleavaitrougiàl’évocationdesesexamenssanguins,puisprisunairsongeur.–Quandjesuisarrivéelà-bas,jemesentaiscomplètementvidée,désespérée.Maistuvois…Sesyeuxs’étaientéclairéssubitementetj’étaispenduàseslèvres.–J’aitravailléavecdesfemmesquiavaientétéchasséesdeleurvillageparleursfamilles,pourdes
raisons dont elles n’étaient pas responsables. Plusieurs d’entre elles avaient perdu leur bébé. Ellesétaientmaladesettraumatisées.Ellesavaientperdutellementplusquemoi.Jemesuisdisalorsquesiellestrouvaientlaforcedes’ensortir,malgréleursituationdésespérée,ilfallaitquejesoiscapabled’enfaire de même. Des gens souffrent dans le monde entier, chaque jour. Mais il y en a d’autres quitriomphentaussi.Alorsjemesuisditquesicesfemmesmefaisaientconfiancepourquejelesaideàsesoigneretàs’ensortir,jedevaismoiaussiêtrecapabledesurmontermespropresproblèmes.
–Çaal’airsifacilequandjet’écoute.J’avaislavoixétranglée.Commentpouvait-elleêtresiforte?Ellesecoualatête.–Cen’estpasfacile.Çademandedutravail,de lafoi. Il fautcroireenseschances. Il fautaussi
accepterladouleur.Parcequeleproblèmec’estquetunepeuxpassoigneruneblessuresansaffrontertoutes tesémotions.Tudois sentiretcomprendre tadouleur.C’estcommeçaqueça fonctionne.Doncnon,cen’estpasfacile,maisc’estpossible.Ettoutcequejesouhaitemaintenant,c’estquemonpèremelaissetranquillepourpouvoirdéciderseuledecequejevaisfairedurestedemavie.
Je comprenaismaintenant. Je comprenais pourquoi elle était allée si loin pour gagner un peu deliberté. Je comprenais pourquoi elle avait préféré semarier à un étranger plutôt que de demander lemoindrecentimeàsonpère.Detoutefaçon,cetargentseseraitsûrementretrouvéenpartiedanslestringde strip-teaseuses à cause de Cooper. Elle avait décidé de partager la somme en deux parts égales,commesielleneméritaitpasplus.Etellem’avaitchoisi,moi.
–Ettesréflexionst’ontconduiteàquelleconclusion?demandai-je.Quelssonttesrêves,madouceKira?–Jepourraisretourneràl’universitéoudevenirpirateetnaviguersurlesseptmers.Lefaitestque
j’ailechoix.Grâceàmagrand-mèreetàtoi,jepeuxfairecequejeveux.Mesyeuxétaientplantésdanslessiensetj’eussoudainl’irrésistibleenviedetomberàgenouxetde
luipromettredetoujourslaservir.Calme-toi,Gray.Jefinispardire:–Tuferaisunepiratetrèssexy.Elleéclataderireaumêmemomentoùquelqu’unfrappaàlaporte.–Room-service,dis-jeensouriant.
J’installailesplatssurlatablebasse,laseuleduvastesalon,etnousnousassîmesparterrepourdîner.L’ambiancesemblaitêtrepluslégèremalgrélessujetstrèslourdsquenousavionsabordés,etendépit du fait que Kira venait de partager sa douloureuse histoire personnelle. Peut-être en avait-ellebesoin après tout. J’imaginequ’elle n’en avait pasbeaucoupparlé, voire pasdu tout, d’autant qu’elleétaitpartieimmédiatementaprèslesévènementsetqu’elleétaitrentréerécemment.
–Tusais,dis-jeentredeuxbouchéesd’unbœufStrogonoff,quin’étaitvraimentpasaussibonquecelui de Charlotte, je te dois des excuses. Je t’ai sous-estimée quand je t’ai rencontrée. Je m’étaiscomplètementtrompésurtoncompte.
Kirahaussalesépaules.–J’ail’habitude.Etpuisjet’aipasmalsous-estiméaussi,Dragon.Ellefitunclind’œiletjeluisouris.–Kira,jesaisqu’ons’étaitmisd’accordpourdeuxmois,maistupourrasresterpluslongtempssitu
lesouhaites.Jeveuxdire,situasbesoindetempspourtrouvertaprochaineétape.Ellemeregardaitducoindel’œil.–Tupourraisregrettercetteproposition,dit-ellesarcastiquement.Jeréprimaiunsourire.–Probablement.Tumepoussesconstammentàbout.Maismapropositionestsérieuse.Ellesetournaversmoi,ensouriant,sapetitefossetteenvoûtantecreusantsajoue,etjeressentisune
vaguebrutalededésir.–Çametouchebeaucoup,maisjepensequ’ilseraitbonpourmoiquejetrouvemonproprefoyer.J’essayaid’ignorermadéceptionenentendantcesmots.–Est-cequeturesterasàNapa?S’ilteplaît.S’ilteplaîtreste.Ellepritunairsongeur–Jenesaispas.Sionveutrétablirtonstatutdanslavallée,iln’estpastrèsjudicieuxquejevive
séparéedetoitoutenhabitantdanslecoin.MaisjeresteraienCalifornieunpetitmoment.Jusqu’ànotredivorce.
Jefisunsignedetête,etunsilencegênants’installa.Ellepensaitàmapropresituation?Pourquoiest-ce qu’elle s’en souciait, après tout ? Je ne savais plus ce que je ressentais et je ne voulais pas ypenser.
Après le dîner, j’ai posé les assiettes et les couverts dans le couloir pour que le personnel lesenlève.Enrevenantdanslasuite,jetrouvaiKiradanssachambre,devantlaporte-fenêtredubalcon.Elleadmiraitlaville.Jel’observaipendantquelquessecondes,enregistrantdansmamémoirelavisiondesasilhouette détendue et de sa longue chevelure déployée sur ses épaules.Une bouffée de tendressemesubmergea.Elleétaittellementforteetsibelle.Jem’installaiderrièreelleetjepoussaisescheveuxsuruneépaulepourembrassersanuque.Ellefrissonna,maisnes’éloignapas.
–Kira,murmurai-jeenm’imprégnantdesonodeurdélicieuse.
Jenesavaispassijedevaislatoucher,etsijedevaisessayerdefaireévoluernotrerelationdansce sens. Peut-être qu’il fallait que je la protège contre moi-même mais, à ce moment précis, j’étaisvraimentincapabledem’arrêter.Etquandj’aiembrasséànouveausoncouetqu’elleapousséunlégergémissement,j’aicomplètementperdumonsang-froid.
Jel’airetournéedansmesbrasetj’aiposémesmainssursesjouesenévitantlebleu,làoùsonpèrel’avaitfrappée.J’embrassaidoucementseslèvres.Unprofondgémissementmontaalorsjusquedansmagorgealorsquejepassaismesdoigtsdanslesondulationssoyeusesdesescheveux,puisj’inclinaisatêtepour pouvoir enfoncer ma langue plus profondément. Je voulais la dévorer, entrer dans sa chaleur,m’imprégnerdesaforcevitale.
Je reculaidoucement, l’emmenant jusqu’àceque l’arrièredemes jambes touche le lit.Puis je laretournaietjelafisbasculerenarrière.Jeprisunelongueinspirationpourtenterdecalmermondésir.
Kiramefixa,lesyeuxmi-clos.MonDieu,elleétaittellementbelle.–J’aienviedetoi,luidis-je,d’unevoixrauque.Elle cligna des yeux, le regard maintenant incertain. Elle aussi me désirait, mais elle n’était
visiblementpasprête.Jem’insultaimentalement,merappelantsoudainsonregardembuéetses lèvrestremblantesdetoutàl’heure.J’auraispulaconvaincredecoucheravecmoicesoir,j’enétaissûr,maisçanemesemblaitplusunetrèsbonneidée.Pasmaintenantquejeconnaissaissonhistoire.Quandelleviendraitàmoi,ilfaudraitquecesoitdesonpleingré.Maisjepouvaistoutdemêmefairequelquechosepourelle.Jememisdenouveauàl’embrasser.
–Laisse-moitedonnerduplaisir,Kira.Laisse-moitemontrercombientuesbellequandjetefaisjouir.
Elleavaittoujoursl’airincertaine,maisellenemedemandapasd’arrêter,jeprisdoncçapourunencouragementetjedéposaiunbaiserdanssoncou.Ellebasculalatêteenarrière,puispoussaunlégersoupirquandjememisàlécheretàmordrelapeaudouceettendredesagorge.Songoûtétaitàlafoisnouveauetfamilier,etlesbattementsdemoncœurs’accélèrent.
–Tuesenvoûtante.Parfaite,luisusurrai-jeàl’oreille,enluiretirantsachemise.Elle leva lesbrasau-dessusde sa tête, l’airmoins inquiet, ledésir ayantchassé sesprécédentes
réserves.J’airetirésonsoutien-gorgeetj’aiprisuninstantpouradmirersapoitrinedénudée.Monpénisétait
pressécontrelafermetureéclairdemonjean,etjeposaimamainsurlapointerosed’undesesseins.Jelagriffaidoucementavecl’ongledemonpouceetKirasecambraengémissant.
–Gray,lâcha-t-elle.Enentendantmonnomsurseslèvres,ledésirquej’éprouvaisdécuplaetjeserrailesdents.Jesuçai
monpouceetmouillaisontétonpour lestimuler, jusqu’àcequ’elle laisseéchapperd’adorablespetitssoupirs. Puis jeme baissai et pris l’autre dansma bouche, enroulantma langue autour ; je lemordisdélicatementpuisl’aspiraiànouveau.Seshanchessecambrèrentcontremonérection.Ungémissementnouséchappaàtouslesdeux.
LesdoigtsdeKiraseperdirentdansmescheveuxetjecommençaiàembrassersonventre.Jemelevai pour retirer son jean et mes yeux plongèrent dans les siens. Ils étaient si clairs et brillants depassion.Puis,ellefermalespaupières.
–Tuestellementbelle,murmurai-je.Ma fougueuse petite sorcière s’agitait et gémissait, tressaillant de désir. Un homme ne pouvait
trouvercettevisionquepuissammentérotique.Commentrésisteràunetelleréponsedelafemmeàquionfaitl’amour?Laregarderainsi,c’étaitcommeabsorberlesrayonsdusoleil.
Après avoir jeté son jean et sa culottepar terre, jem’agenouillai face à elle et la fis doucementdescendreversmoipourqueses jambessoientprèsdemonvisage.Elleétaitnue,brillanteethumided’excitation.Sonparfummefitpresquegrognertantj’avaisenviedelaprendre.Jetremblaisquasimentdedésirpourcettesublimepetitesorcière.
–Gray,dit-elled’unevoixétranglée.Elleenfouitlatêtedansl’oreillerengémissant.–NonKira,laisse-moit’entendre.Ellemeregarda,troublée,puisselaissaaller.Jefistournermalangueautourdesonclitorisgonflédedésir.Legoûtdesessucsexplosasurma
langueetmonsexedurcitencore.J’allaisjouirjusteenluidonnantduplaisir.Jen’avaisjamaisétéaussidésespéré.Elle s’abandonna légèrement en s’appuyant surmon visage. Je suçai, léchai et savourai sachairhumidependantunlongmomentenl’écoutanthaleter.Sesgémissementsdeplaisirmerendaientfou.Je finis par enfoncer deux doigts en elle. Elle poussa un petit cri, les cuisses tremblantes. Son corpsconvulsaetsecontractaautourdemesdoigts.Unefoisqu’ellefutapaisée,jelevailatêteetdéposaiunbaisersonventre.Kirapoussaunsoupir,puisellepritmonvisagedanssesmainsetjel’embrassai,lalaissant sedélecterde songoût surmaboucheet surma langue.Notrebaiserdurapendant cequimesemblaêtreuneéternité.Monérectiondouloureusecontinuaitàpalpiterdedésir inassouvi.Puis jemelaissaitombersurlecôtéetprissoncorpsnudansmesbras,enremontantlacouverturesurelle.
–Tuesmagnifique,répétai-je,presqueeffrayé.Pourquoilessentimentsquej’avaispourellemefaisaient-ilssipeur?
Elle poussa à nouveau un soupir de plaisir et se blottit contre moi.Mes doigts dessinaient descerclesdélicatssursahancheetj’essayaisdecalmermondésirfurieuxetmessentimentsconfus.Jemesouvinsalorsdumomentoùjeluiavaisditqu’ellen’étaitpasmongenre.Jefailliséclaterderire.Nonseulementelleétaitmongenre…maisc’estcommesielleavaitétéfaitepourmoi.Jechassaicetteidéedésagréable. Je ne voulais pas m’autoriser à penser à des choses pareilles. Ça avait dû la blesserd’entendrecesmotsdanslabouched’unhommeaprèstoutcequ’elleavaitsubiavecsonfiancé,mêmesiellenem’appréciaitpasà l’époque.RepenseràCooperStratton fit redescendre lapressiondansmoncorps,aumoinspartiellement.LarespirationdeKiradevenaitrégulièreetellelaissaéchapperunpetitronflement délicat. Elle s’était endormie. Mon Dieu, si j’avais su que le mariage serait si frustrantsexuellement, j’aurais peut-être demandé plus de contreparties. Elle me rendait fou, elle pouvaitm’agacer,etparadoxalementm’exciterplusquen’importequi.Etpuis,ellem’amusaitaussi.Ellem’avait
même offert un chien, bordel. Etmaintenant elle allait encore plus loin. Elle venait deme donner saconfianceetsoncorpsdélicieux.Excité?Putain,oui.Satisfait?Absolument.Jesourisintérieurementetembrassailesommetdesoncrâne.
CHAPITRE16
KIRAJefrappaidoucementàlaportedelachambredeGrayson,memordantlalèvreenattendantqu’il
réponde. Jem’étais réveilléeseuledansmon litcematin,encorenueetenveloppéedans lesdrapsdel’hôtel.Enmesouvenantdecequis’étaitpasséavecGrayson,jem’étaissentiegênéemaisaussi,aufond,habitée par un profond sentiment de tendresse. Il avait visiblement compris la douleur que Cooperm’avait infligée et avait cherché à la faire disparaître. Et aussi fou que cela puisse paraître, ça avaitmarché. Ilm’avait faitmesentirbelleetdésirable, et je suis sûrequeça luiavait coûtécher.En fait,j’étaiscertainequ’ilavaitétéhorriblementfrustré.Jem’envoulais,etpourtantquandilouvritfinalementlaporteetqu’ilmesourit,jepoussaiunoufdesoulagement.Iln’étaitmanifestementpasfâché.Cecidit,c’estluiquiétaitparti.Jem’étaisdemandépourquoiiln’étaitpasresté,pourquoiiln’avaitpasessayédesatisfairesondésir.Jel’auraislaisséfaire.Jepensaismêmequejel’auraissuppliésijenem’étaispasendormietoutdesuiteaprès,ivredeplaisiretvidéeparunejournéeémotionnellementtrèséprouvante.
–Bonjour,dit-il.–Tuespartihiersoir,luilançai-jeensentantmesjouescommenceràs’échauffer.Ils’appuyacontrelechambranledelaporte,enm’observantcommes’ilessayaitdeliredansmes
pensées.Jecachaimesyeuxderrièremescils.–J’aipenséquetuavaisbesoind’unebonnenuitdesommeil,etjenesavaispassituétaisd’accord
pourquejereste.Jen’aipasvouluteréveillerpourteposerlaquestion.Tuavaiseuunerudejournée.Sa délicatesseme donna l’impression qu’ilme prenait dans ses bras etme serrait contre lui. Je
relevailesyeuxetplantaimonregarddanslesien.–Merci.Pour,hum…Pourtout.Unsourireétrangeétiraseslèvres.–Maisjet’enprie.Prêteàpartir?J’acquiesçai.Jeregardaissabouche,cettebouchemagnifiqueetsensuellequejesavaismaintenant
capable de donner tant de plaisir. Je vis soudain se former sur ses lèvres un large sourire entendu,prouvant qu’il savait parfaitement à quoi je pensais. J’ai alors immédiatement baissé le regard sur lavalisequej’avaisdanslesmains.Graysonricanadoucementenprenantsonsacetnoussortîmesdanslecouloir.
–Tuessûrqueçanetedérangepasquenousnousarrêtionsaucentred’accueil?demandai-jepourchangerdesujet,mêmesijesavaisquenouspensionsàlamêmechose.
Je l’observai du coin de l’œil en marchant vers l’ascenseur. J’adorais son look au sortir de ladouche,avecsescheveuxencorehumidesetdécoiffés,etsonparfumd’hommequim’enivrait.Jenesuispassûrequecequenousavionsfaitlanuitdernièreallaitchangerquoiquecesoitànotrerelation,aussijedécidaid’attendreunsignedesapart.D’ailleursçanechangeraitprobablementrien.C’estcequ’ilavait préciséquand il avait abordé lapremière fois lespointsquipourraient êtremodifiésdansnotrecontrat.Temporaire,çamerevenait.Ilvoulaitquenotrerelationsoittemporaire.Netemontepaslatête,Kira.
– Pas du tout, dit-il. Du moment qu’on ne reste pas trop longtemps. J’aimerais être rentré auvignobleasseztôtpourtravaillerunpeu.
–Onneresterapaslongtemps,lerassurai-je.Justeassezpourdirebonjouretleurfaireunchèque.Ilyaquelquesautresorganismescaritatifsàquijeveuxfaireundon,maisjepourrailesposter.
Unedemi-heureplustard,nousnousgarionssurleparkingducentredanslequartierdeTenderloin,sansdoutelecoinleplusdangereuxdeSanFrancisco,maisoùlesloyersétaientabordables.
QuandGraysonetmoisommesentrésdans l’immeuble,unhommeâgéetmanifestementsans-abrinousbousculaenpassant.Unpeuplusloin,onentendaituneconversationbruyantelesriresetlespleursd’un enfant. Une odeur de hamburgers à la sauce tomate que je pouvais reconnaître entre mille, mechatouillaitlenez.
Une femme aux cheveux courts, noirs et bouclés s’approcha de nous précipitamment. Je laconnaissaisbien.
–KiraDallaire,c’estbientoi?Elle poussa un petit cri strident enme prenant dans ses bras et enme serrant contre son ample
poitrine.J’éclataiderire.–SalutSharon.–Machériej’étaistellementdéçuedenepasêtrelàquandtuespasséel’autrejour.Carlosmel’a
dit.Çafaituneéternité.Ellemedévisageadehautenbasaveclatendressed’unemère.–Bon,tuasl’airenforme.Maiscommentvas-tuvraiment?Qu’est-cequit’estarrivé?demanda-t-
elleenappuyantdoucementsesdoigtssurmajoue,puisentournantmonvisagepourmieuxvoirlagrossemarquequin’avaitpasencorecomplètementdisparu.
JesourisenlaissantSharonfairecesgestestendres.–Jevaisbien.Etça,c’estuncadeaudemonpère,maisçava.Sharon,leslèvrespincées,pritaussitôtunairmenaçant.– Je suisbiencontenteden’avoir jamaisvotépour cethomme.Est-ceque jepeux fairequelque
chose?Jesecouaislatête.–Quelqu’uns’enestdéjàoccupé.
Jejetaiuncoupd’œilàGrayson,àcôtédemoi.–SharonMurphy,jeteprésenteGraysonHawthorn.Jen’aivolontairementpasexpliquéquelétaitnotrelien.Sharonmejetauncoupd’œilsuspicieux,
maistenditlamainàGraysonenluiadressantunsourirechaleureux.–Onnepeutpasresterlongtemps,maisj’aimeraisvousfaireundon.J’aiparléavecCarlosausujet
dessubventions.Sharonsoupira.– Je dois être honnête avec toi Kira, nous allons devoir fermer les portes jusqu’à ce que la
subventionarrive.–Non,plusmaintenant,dis-jeensouriant.Sharonmepritànouveaudanssesbras.–Tuasvraimentungrandcœur,petitange.QueDieutebénisse.Lesyeuxpleinsdelarmes,SharonsetournaversGrayson.–Est-cequevousvoulezvisiternotreétablissement?Dehors,ilyaquelquesenfantsquetuconnais,
Kira.Ilsseraientheureuxquetuviennesleurdirebonjour.Je jetai un regard furtif àGraysonqui découvrait l’établissement où j’avais passé tant de temps.
C’étaitincroyablementbizarredelevoirici.–Est-cequeçat’embête?–Non,nonvas-y.Quinzeminutesplus tard, j’avaisrédigélechèqueet jouaisàchataveclesenfants.Jerelevais la
têteenriantauxéclatsetenessayantdecontrôlerenvainmescheveuxquivolaientpartoutautourdemonvisage,quandjecroisaileregarddeGrayson.Unpetitgarçon,Matthew,metouchaethurladejoie,cequimefitencoreplusrire.Jetapaidanssamainpourleféliciterdesondéplacementfurtif.Graysonsetenaitjustedevantlaporte,leregardsombre,unpetitsourireauxlèvres.Ilnousregardaitjouer.Jemesentissoudainunpeugênéedem’êtreamuséecommeunegamine.Jecourusverslui,ensaluantdeloinlesenfants.
–Hé,dis-je,enessayantdereprendremonsouffle.–Salut,toi.Ondiraitquetut’eséclatée.Jehaussailesépaules.–Ohoui.Ilssontadorables.Tuesprêtàpartir?Ilhochalatête.–Jecomprendspourquoitut’esautantimpliquéepourcetendroit.J’ail’impressionqu’ilsfontun
superboulot.Jeluifisungrandsourireetsesyeuxseposèrentsurmajoue,ilfronçaalorslessourcilsavantde
détournerleregard.Çaletracassaitencoredevoirqu’onm’avaitfrappée.Celameréchauffalecœur.–Oui,ilsfontunsupertravail,luidis-jesimplement.AprèsavoirditaurevoiràSharon,nousavonsreprislarouteversNapa,verscheznous.Ouplutôt,
versmamaisonprovisoire,corrigeais-je.J’étaistrèsexcitéeàl’idéederetournerdansmonpetitcabanon
et de revoir Charlotte,Walter,Virgil, José, et Sugie Sug. Ce sentimentm’inquiétait d’ailleurs. JemecomportaiscommesilevignobleHawthornétaitmon«chez-moi»,maiscen’étaitpaslecas.Jesavais,d’ailleurs,qu’ilfaudraitlequitterdansquelquessemaines.EtmêmesiGraysonm’avaitproposéderesterpluslongtemps,j’étaissûrequeçaneferaitquerendreleschosesplusdifficilesencore.J’avaiscédéàmondésirpourlui,cequejeneregrettaispasuneseconde.Mêmesicelaavaitétéanodin,ilseraitencoreplusdurpourmoidelequittermaintenant.Jeneluidiraisjamaisbiensûr,mêmesic’étaitlavérité.Maismaintenantquelemalétaitfait,est-cequ’ilyavaitvraimentlamoindreraisonpourquejeneprennepasduplaisiravecluitantquec’étaitencorepossible?Peut-êtrequejequitteraisGrayson,lecœurbrisé,maisest-cequeçanevalaitpaslecoupdeprofiterpourl’instantdel’alchimiequ’ilyavaitentrenous?Unfrissonmetraversaausimplesouvenirdesescaressesdelanuitprécédente,etencomprenantqu’ilsemblaitmieuxconnaîtremoncorpsquemoi.
–Tuasfroid?demanda-t-ilenmettantsamainfaceauventpourévaluerlatempératuredel’air.–Non,répondis-jesansluidonnerplusd’explications.Letrajetpassaassezvite.Nousparlionsdetoutetderien.Encequimeconcernait,j’avaiseuma
dosedeconversationsdifficilesaveccequis’étaitpasséchezmonpère,puisdanslachambred’hôtel.–Oh,dis-je,àpeuprèsunedemi-heureavantd’arriveràlapropriété,j’aioubliédetedirequeta
fêtevaavoirunthème.–Ahbon?Lequel?demandaGrayson,enhaussantlessourcils.–Ehbien,j’airepenséàlapremièrechosequejet’aiditeausujetdelamaisonquandtumel’asfait
visiter.Ilrestasilencieux;ilnesesouvenaitvisiblementpas.Ilfinitpardire:–Quec’étaitlatanièred’undragon?Jepoussaiunsoupird’impatience.–Non,j’aiditçaàproposdulabyrinthe.–Ohoui,biensûr…Alors,vas-y,rappelle-moicequetuasditsurlamaison,Kira.–J’aiditqu’elleressemblaitàunchâteaudecontesdefées.–D’accord…Et?J’éclataiderireenhaussantlesyeuxaucielfeignantl’exaspération.–Lethèmeseraunbalmasquédecontesdefées.C’estparfait!Etc’estdansdeuxsemaines.J’ai
entouréladatesurlecalendrierdelacuisineetceluidetonbureau.–Deuxsemaines?Maistupensesquequelqu’unvavenirsionlesprévientsitard?– Ils en auront sans doute encore plus envie. En choisissant une date si rapprochée, on leur fait
passerunmessage,on leur laissecroirequ’onse fichequ’ils soient làoupas. Ils seront intrigués.Tuverras,toutelavillevavenir.
Enfinjel’espère.Graysonéclataderire.–D’accord.Tun’auraspasbesoindelireLapsychologiedesfêtespourlesNuls.Tumaîtrisesdéjà
toutçatrèsbien.
Jesouris.–Enplus,j’aiuntempslimitépourlaissermonempreintedanstavie.–Oh,maistul’asdéjàlaissée,tonempreinte.Jegloussaistimidement.–Jeveuxdireuneempreintepositive.Quelquechosequirestegravée.Je restais songeuse,pensantà toutes les raisonspour lesquelles j’espéraisquemes idéespour la
fêteluiseraientprofitablessurlelongterme.Ilmefixapendantunlongmomentavantderegarderlarouteànouveau.Ilsouriait,maisneditpas
unmot.Quandnous sommes arrivés àNapa, il était unpeuplus demidi.Graysonprit nos affaires et se
dirigeaverslamaison.–Jevaismettreçadansl’entrée.Pourquoiest-cequetuneviendraispasavecmoidansl’unitéde
vinificationpourvoirdansquoituasinvesti?Ilm’adressaunsourirecharmeurpar-dessussonépaule,enplissant lesyeuxàcausedusoleil,et
j’enfustoutretournée.–D’accord.J’habitais icidepuisplusieurs semainesmaintenant, et jen’avais toujourspasété invitéedansce
bâtimentmystérieuxoùGraysontravaillaitconstamment.J’étaisimpatientededécouvrircequ’ilyavaitàl’intérieur.
Ilrevinttrentesecondesplustard,enm’annonçantqueCharlotteetWaltersemblaientêtresortis,etqu’ilsavaientdûprendreSugieaveceux.Jedescendislacollineàsescôtés,enivréeparleparfumdesrosesetdecespetitesfleursblanchesquiavaientuneodeursucréeetboisée.J’inspiraiprofondément:
–Çasenttropbonici.–CesontdesrosesetdesfleursHawthorn,dit-il,l’airfermé.Mabelle-mèrelesaplantéesilya
des années, quand elle était enceinte de Shane. Charlotte lui avait dit que les roses symbolisaientl’équilibre–lafleurenelle-mêmereprésentelabeautéet lesépines,aucontraire,nousrappellentquel’amour peut être douloureux. Les fleurs Hawthorn, c’est évidemment en notre hommage. Ce sont lesdernièresqu’elleaitplantéesici.
–Pourquoi?demandais-jeenrepensantàlabrocheenformederosequeCharlottem’avaitprêtélejourdemonmariage.
–Parcequ’elleétaitentraindelesplanterlejouroùmamère,lafemmeavecquimonpèrel’avaittrompée,adébarquépourm’abandonnersurlepasdeleurporte.Ellen’aeudecesseensuitedemedirequecetteodeurluirappelaitlepirejourdesavie:lejouroùelleavaitdécouvertqu’elleavaitététrahie,etqu’àchaquefoisqu’ellemeregarderait,elleyrepensait.
Mon cœur s’arrêta un instant, puis se remit à battre avec une telle intensité que je ressentis unedouleurdanslapoitrine.
–Oh,soupirais-jeenluiprenantlamain,lagardantserréependantquenousmarchions.C’est…Jesuisvraimentdésolée.C’estcruel.
Maintenant,jecomprenaismieuxsonamertumeetaussisa…profondesolitude.Ilmesourittristement.–Elleaessayédelesarracherplusieursfois,maisellesrefleurissaienttoujours;ellesnevoulaient
paspartir.Unpeucommemoi,disait-elle.Il souritànouveau,commesiça luiétait indifférent.Jepensequeçaavaitpourtantdû leblesser
profondément. Forcément. Je serrai samain plus fort etme rapprochai, lui offrant le réconfort demaprésences’ilenavaitbesoin. Imaginercethommemagnifiqueêtre rejetépar tousetprivéd’amourmebrisait lecœur.Mais,enmême temps, jenepouvaispasm’empêcherdemesentirprivilégiée. Il étaitextrêmementsecretetgénéralement trèsréservé.Pourtant, ilpartageaitavecmoiquelquechosede trèspersonnel.
–Ma belle-mère était impliquée dans beaucoup d’associations caritatives à Napa, je n’arrivaismêmepasàsuivre.Jepensequ’elleyallaitsurtoutpourlesdéjeunerscauseriesentredames.
Ilricanamaissonrireétaitsansjoie.J’observaissonprofil,comprenantsoudainqu’ilavaitpenséaudépartquej’étaiscommeelle.–Jecroisqu’ilyadifférentessortesdegénérosité.Çamedésolequetabelle-mèren’aitjamaispu
trouvercelleducœurpourêtreplusmaternelleavecunpetitgarçonquin’étaitpaslesien.Ilmeregardal’airunpeuchoqué.–C’estdupassé,maintenant.Non,moijenecroispasquecesoitdupassépourtoi.Jenesavaispasjusqu’àquelpointilvoulaitseconfiermaisjedemandaiavechésitation:–Tuveuxbienmeparlerdetamère?–Mamère?–Honnêtementjenesaispasgrand-chosesurelle,sicen’estqu’elleétaitdanseuseclassique.Elle
étaitmembreduNewYorkCityBalletquandellea rencontrémonpère. Ilsonteuuneaventured’unenuit.Elleesttombéeenceinte.Àcausedesagrossesse,elleadûquitterlacompagnie.Elleaeudumalàm’élever,mereprochantd’avoirruinésacarrièreetsoncorps.Puiselleadécidéqu’ellenepouvaitplussupporterdemevoir.Ellem’aabandonnéici,avecmonpère,puisadisparu.Jen’aiplusjamaisentenduparlerd’elle.
–C’estterriblementégoïste.Elle l’avait abandonné là où il était devenu l’objet d’encore plus de reproches, d’amertume, de
cruauté.Onl’avaitexcludelafamille.Pasétonnantqu’ilsoitsiméfiant.–Onfaitlapaire,tunetrouvespas?medemanda-t-ilavecunpetitsourireironique.Jesoupirai.–Ouais,jecroisbien.Jememordislalèvreenrepensantànosvies.–C’estfoutoutcequ’onaencommun.–Onnes’équilibrepasdutout,n’est-cepas?J’éclataiderire.
–Paslemoinsdumonde.Onatoutfaux,ensemble.Il seplantadevantmoi,de telle sorteque je fus forcéedem’arrêter. Ilpritmonvisagedans ses
mains,etmesourit.–Onn’apastoutfaux…murmura-t-il,enposantseslèvressurlesmiennes.Saboucheétaittendre,sonbaiserétaitdouxmaisilréveillamoncorpstoutentiercommeàchaque
fois. Il s’arrêta trop vite, me laissant étourdie, la main posée sur son ventre ferme. Lentement, ilm’adressadenouveauun sourire pleind’une arrogancevirile. Je nepus retenir de lui répondrede lamêmefaçon.Jem’exaspéraismoi-même.
–Allez, viensDragon, dis-je en lui attrapant lamain. Je vais découvrir ce que tu fais dans lesprofondeursdelagrottelugubreoùtuteréfugiessisouvent.
Ilrit,enm’emboîtantlepas.Enouvrantlaportedelabâtisseenpierreaupieddelacolline,Graysonappela:–José?–Ici,lançacelui-ci.Lapiècedanslaquellenousétionsentrésétaitgrande.Auplafond,desverrièreslaissaientfiltrerles
rayons de soleil. Il y avait plusieurs grossesmachines de chaque côté de l’allée centrale et, derrièreelles,cequisemblaitêtred’énormesfûtsenacierinoxydable.
Graysonsedirigeaverslamachinelaplusproche.–C’estunebandedetriageoùvontlesgrappesaprèsavoirétérécoltées.Ellessonttriéesàlamain
pourenleverlesraisinsabîmésetlesfeuillesrestantes.Ilfitletourdel’énormeappareil,dépassaletapisroulantetmemontraunesorted’escalator.–Ça,c’estl’égrappoir.Lestigessortentpar-là,poursuivit-il,enmemontrantunrécipientenmétal,
puisretournentdanslaterredesvignes.Ilavançaetjelesuivis.– C’est la deuxième table de tri, m’expliqua-t-il, en pointant une autre table où au moins huit
personnespouvaienttenir.Çaamènelefruitjusqu’auxemployésquiretirentlesderniersboutsdetigesoudefruitsindésirables,toujoursàlamain.
Ilmejetaunregardcharmeuroùbrillaitunepointed’autodérision.– Ici au Vignoble Hawthorn, nous estimons que la qualité du vin vient de celle du fruit. Nous
passonsbeaucoupdetempsànousassurerqueleraisinesttriéavecsoin.Jeluisourisironiquement.–Jen’endoutepas.Combiendepersonnestravaillaientsurlapropriétéautempsdesasplendeur?–Centsoixante-quinze.Aujourd’hui,Graysonavaitsixsalariés:unseulàtempsplein,troisàmi-temps–dontunhandicapé
mental–etdeux,âgés,quiétaientplusdesmembresdelafamillequederéelsemployés.Sijen’avaispas encore compris à quel point il était en difficulté,maintenant, non seulement je le savais,mais jen’avaisplusaucundouteàcesujet!
Il memontra les cuves de fermentation en acier inoxydable et m’accompagna dans une secondegrande pièce où il y avait desmachines similaires. José semblaitmettre quelque chose en place, trèsconcentrésurcequ’ilétaitentraindefaire.Ilnousfitunpetitsignedetêteetseremitautravail.Aulieude fûts en acier, cette pièce contenait ce qui semblait être des cuves de fermentation géantes en boisinstalléescontre lemurdu fond.Tandisqu’ilmeguidaitdans lapièce, j’écoutaisGraysondécrire lesdifférentes fonctions des équipements, attentive,mais remarquant aussi l’enthousiasme émanant de toutson corps. Il adorait ça. J’aurais voulu prendre du recul et juste l’observer, agiter les bras, ses yeuxbrillantsdefiertéetsesépaulesmassives.Ilavaitl’airvivant,avecplusd’énergiequejamais.
– José installe une nouvelle machine de triage, une secoueuse pour les grains, dit-il. Une despremièreschosesquej’aicommandéeaveclegénéreuxdonDallaire.
J’eusunpetitrirediscret.–C’estunboninvestissement,mesemble-t-il.Jel’observaiunmoment.–TonpèreseraitfierdetoiGrayson.Brusquement,sonvisagesetransformaetj’eusl’impressiond’avoirunpetitgarçonenfacedemoi,
timideetvulnérable.Ilmitlesmainsdanslespochesdesonjeanetsepenchaenarrièresursestalons.–Jepensequ’ill’auraitété,dit-ildoucement,avantdesourireavecfierté.Est-cequetuveuxvoir
l’endroitoùlesfûtssontconservéspourlevieillissement?J’acceptaiensouriant,réalisantàquelpointilétaitencoretouchéparl’imagequesonpèreavaitpu
avoir de lui. Je le comprenais plus que personne, mais pour je ne sais quelle raison, ça me rendaitincroyablementtriste.Graysonmepritlamainetm’emmenajusqu’àlaportedufond.L’airyétaitplusfraiset iln’yavaitpresquepasde lumière.Je lesuivisdans le longcouloirenciment.Enarrivantaubout,jetombaisurunegrandepièceavecdelonguesrangéesdebarils.Ilsedégageaituneodeurâcredebois.J’inhalaiàpleinspoumons,absorbantl’airhumideetterreux.
–CesontdesfûtsbourguignonsfabriquéavecduboisdecetterégiondeFrance,m’expliqua-t-il.–Hum.Pendantcombiendetempsest-cequevousfaitesvieillirlevin?–Celui-ciestenfûtdepuiscinqans.Ilestquasimentprêtàêtremisenbouteille.Cequi,encoreune
foisgrâceàl’héritageDallaire,vaenfinpouvoirêtrefait.Doncilavaitétémisenfûtjusteaprèsquesonpèretombemalade.L’unedesdernièreschoses
quiavaientétéfaitesici,auvignobleHawthorn.Jusqu’àcejour.–Tulemetsenbouteilleici?–Onlefera,unefoisquemanouvellemachined’embouteillageseraarrivée.– Je ne savais pas qu’il y avait autant d’étapes, dis-je en détaillant les barils quim’entouraient,
songeuse.–Jet’aiseulementmontrécommentlefruitétaittransformé.Ilyaencorebeaucoupd’étapespourla
fabricationduvin.Jet’expliqueraiçaunautrejour.Unautrejour…etpourtant,ilsétaientcomptésici.Avantquejenepuisseréagir,jecomprisque
Grayson s’était rapproché demoi. Je soupirai en voyant l’intensité de son expression.Même dans la
pénombre,jepouvaisvoirlefeubrûlerdanssesyeux.Jefisunpasenarrièreetmecollaicontrelemurenpierrederrièremoi.Sesmainsseposèrentdechaquecôtédemonvisage,avantqu’ilnesepencheversmoi.L’airdecettepièceétaitglacial,etseslèvrescontrelesmiennessemblaientparticulièrementbrûlantesettendres.
–Tuessichaude,murmura-t-il,lisantmanifestementdansmespensées.En s’appuyant contre lemur, il poussa sa langue entremes lèvres entrouvertes. Il posa alors les
mainssurmesjoues,meforçantàm’agripperàsoncoupournepasglisser.Commentétait-ilpossiblequesesbaisersaientunteleffet,qu’ilsm’excitentàcepoint,etmedétendentenmêmetemps?Sonbaiserétaitpleind’assurance,soncorpscolléaumienétaitchaudetdur.Salangueétaitpartout:ellecaressaitmon palais, l’intérieur demes joues,mes dents, puis elle revenait s’emmêler à lamienne comme s’ilcherchaitàconnaîtrechaquerecoindemabouche.J’essayaisderetenirlesgémissementsquimontaientdansmagorge,envain.Jegémis,colléetoutcontrelui;j’avaisl’impressionquemoncœurbattaitentremesjambesetmestétons,dursetsensiblesfrottaientdélicieusementcontresontorse.
J’avaisdéjàembrassédeshommesdansmaviemêmes’ils’agissaitplutôtdegarçons.Jecomprissoudainquejen’avaisjamaisétéembrasséecommeça.Entoutcas,passic’étaitcequ’unbaiserdevaitfaireressentir.
EnsedétachantdemeslèvresGraysondit:–Tuestellementdélicieuse.Jen’arrivepasàmerassasierdetoi.Etpuis,Dieumerci,ilm’embrassaànouveau,salangues’introduisantdansmabouche.Jepassais
mesmainslelongdesmusclespuissantsdesondos.Ilétaitsibienfait,sigrandetimposant,sifort.Unfrissonme parcourut. Je voulais découvrir chaque partie de lui. Je pouvais sentir la pression de sonérectioncontremonventre,faisantcourirunedécharged’excitationdanstoutmoncorps.
Jedescendisalorsmamainentrenousdeux,etlaposaisurcettebossedureàl’avantdesonjean.Ilsursautaetpoussasonsexecontremamain.
–Kira,grogna-t-il.Ilfautqu’ons’arrête.Sioncontinue,çaseraimpossible.Jetremblai.J’étaisdanslemêmeétatquelui,prêteàlesupplierdemeprendrelà,contrecegrand
murglacé.Maisnon,Joséétaitjustederrièrelaporte.Ilpourraitnoussurprendre.QuandjemedonneraiàGrayson,ceseradansunlit,avecbeaucoupdetempsdevantnous.
Graysonrecula,jefixaimonregardsurlapreuvedesonexcitation.Sonjeanétaittenduetgonfléauniveaudelabraguette.Jedéglutis.J’avaistrèsenviedeleprendredansmamain…
J’avaisenviede lui, je le reconnaissaismaintenant. J’avaisdésespérémentenviede lui,etçameterrifiaitautantqueçam’excitait.
J’avaiscrupouvoirluirésister,maisj’avaissous-estimésonpouvoirdeséductionsurtoutquandilmelaissaitentrevoirlesaspectslesplusvulnérablesdesapersonnalité.Maintenant,jenepouvaisplusluirésister.
–Ondevraitrentrer,dis-je,enmerecoiffanttantbienquemal.Ilm’observaunmomentavantderepousserdudoigtunemèchebouclée.–Resteavecmoicettenuit,Kira,chuchota-t-il.
Lapeuretledésirmeprirentauxtripes.C’étaitjoueraveclefeu.Jelesavais.Etpourtant…J’enavais tellement envie. Je voulais le connaître intimement. Je désirais qu’il me fasse sentir belle etdésirablecommeill’avaitfaitlanuitdernière.Jevoulaisaussisentirsoncorps,savoircequ’ilaimait,cequilerendaitfou.Ilyavaitdegrandeschancesquejetombeamoureusedelui.Peut-êtremêmequec’étaitdéjàfait.Maisjesauraisgérermessentiments.Àquoibonvivresitoutétaitennuyeux?Est-cequeça ne valait pas le coup de risquer son cœur pour découvrir le plaisir avecGraysonHawthorn ?Unplaisirquim’embraseraitentièrement.Peut-êtreque jen’aurais jamaisplus l’occasiondeconnaîtrecegenredepassion.Est-cequejenedevraispasvivrecetteexpériencetantquej’enavaisl’opportunité?Mêmesicelas’avéraitdifficile, jesauraisgérermesémotions.Etjenem’autoriseraijamais,augrandjamais,àcultiver l’espoir ridiculequecoucheravecmonmaripuisse l’ameneràavoirdes sentimentspourmoi.
–Oui,luidis-je,enleregardantdanslesyeux.Ilpritmamainet la serra très fort, triomphant.Nousavons salué José, etnous sommessortis au
grandjour.Nousavonsdescendulacollineetquandnoussommesrentrésàlamaisonquelquesminutesplustardj’aiattrapémavalise,déposéeparGraysonunpeuplustôt,puisj’aiprisladirectiondemoncabanon.
–Hé,tuvasoù?demanda-t-il.–Chezmoi,luirépondis-jeenmeretournant.–Tun’habitespluslà-bas.Tuasdéménagé.–C’esttoiquiasfaitça?demandai-jeenplissantlesyeux.J’aimais mon petit cabanon. J’appréciais d’avoir mon espace. Et si les choses avançaient entre
Grayson et moi d’une autre manière, il serait encore plus important que je garde un endroit où meréfugier.
–Oui.L’unedesraisonspourlaquelletuestombéemaladec’estqueturespiraisunairpoussiéreux,etquetuprenaisdesdouchesfroides…
–C’estridicule!J’avaischopéunvirus.Celan’arienàvoiraveclapoussièreoulesvirus.–Jen’ensaisrien,toujoursest-ilquetuemménagesici,danslamaison.–Non.–Si.Noussommesrestés, faceà facedans l’entréependantplusieursminutes, jusqu’àcequeGrayson
croiselesbrasets’appuiecontrelemur.–Jeterappellequetuasacceptédedormirdansmachambrecesoir.–Oui,cesoir,maisçaneveutpasdirequejem’installeavectoi.–Mais,si.–Non jenem’installepasavec toi,grognai-je. Je regardaialors l’escalier,puis je reportaimon
attentionsurGraysonenhaussantunsourcil.–Onfaitlacourse.Celuiquigagnedécidera.Iléclataderire.
–Tuveuxfairelacourseavecmoi?Oh,petitesorcière,tun’aspaslamoindrechancefaceàmoi.Tupeuxmêmedéclarerforfaittoutdesuite.
–Jen’abandonneraijamais.Etjenepensaispasauxescaliersmaisàlarampe.Tuprendsuncôté,jeprendsl’autre.
J’avais rêvé de glisser sur ces rampes depuis le premier jour où je les avais vues ! C’étaitl’occasionrêvée.J’étaisuneprodelaglissadesurrampe.Ilyenavaittroischezmonpère.
Graysonritdeplusbelle.–Tuplaisantes?Enguisederéponse,jemecontentaideleregarder,lessourcilsarqués.–Non,évidemment,tuneplaisantespas.C’estcomplètementridicule,tusaisça?Pourtant,nousavonsgrimpé lesescaliers.Unefoisenhaut, il s’installasur la rampededroiteet
moisurcelledegauche.J’avaisposélesfessessurleboisbrillant.–Jen’arrivepasàcroirequejesuisentraindefaireça,marmonnaGrayson.–Situaspeur,jepeuxtelaisserpartirenpremier,dis-je,enluisouriantinnocemment.Ilmeréponditaussiparunsourire.Diabolique.–Cen’estpaslapeine,sorcière.J’ajustaimapositionsurlarampe–Àvosmarques,prêts,partez!Quand je commençaima descente, je poussai un grand cri dévalant à toute vitesse le bois lisse.
J’avaisdumalàconservermonéquilibreetjememisàhurlerquandjemanquaidebasculersurlecôté,me redressant miraculeusement. J’entendais Grayson rire aux éclats près de moi, mais j’évitai de leregarder.J’arrivaienbasbienplusvitequeprévu,etjemeretrouvaiàvolerdanslesairs.Jefinisparatterrirsur lemarbrefroidenmerattrapantsurmesmains.Étourdie, jecrusentendre laportes’ouvrirmais jenepouvaisplusm’arrêterde rire surtoutquand jevisGraysonqui se tordaitde rire luiaussi,étalé par terre. J’étais presque sûre d’avoir atterri la première. Nous sommes restés allongés là unmomentàreprendrenotresouffle.Nosriress’atténuèrentpeuàpeu.Jelevailesyeuxetcomprisqu’ilyavait quatre paires de chaussures face à nous. Je relevai la tête et aperçusWalter qui nous regardait,interloqué.Àcôtéde lui,Charlotte, l’airchoqué,mefixait, laboucheentrouverte.Ellese tournaalorsversGrayson.
Jeme redressai alors, n’ayant plus du tout envie de rire, surtout quand je découvris les visagesstupéfaitsd’unhommeséduisant,accompagnéed’uneblondemagnifique.
L’hommesemitsoudainàrire.–Salut,dis-jeenluitendantlamain.Jesuis…–Shane,intervintGraysond’unevoixétranglée.EtVanessa.Jeme tournai vers lui et je remarquai qu’il n’avait brusquement plus l’air aussi enjoué ; il était
glacial.–Qu’est-cequevousvenezfoutreicivousdeux?
CHAPITRE17
KIRAOhmonDieu.Shane : le frèredeGrayson.Vanessa : la femmequ’il allaitdemanderenmariage
avantd’allerenprison.Maintenantl’épousedesonfrère.Ici.Enchairetenos.Jemislesmainsdanslespochesdemonjeanenfaisantdemonmieuxpouravoirl’aircooletsereine.Oudumoinsautantqu’onpuisse l’être en se relevant après s’être étalée sur le sol à la suite d’un vol plané depuis une ramped’escalier.
–Est-cequec’estelle?demandaShane,leregardfixésurmoi.Jenesavaispasvraimentquoifairedecettequestion,maisilmeregardaitdefaçonamicaleetsa
voixétaitchaleureuse.Jedécidaidesourire,etluitendisànouveaulamain.–KiraDallaire.–Hawthornmaintenant,n’est-cepas?Shaneme fit un grand sourire enme serrant lamain. Je jetai un regard àGrayson qui, lui, était
complètementindéchiffrable.–Ah,c’estvrai.Effectivement,c’estça.J’oublietoujours,murmurai-jeenm’éclaircissantlavoix.–Biensûr,c’estencoretoutnouveau,pasvrai?ditShaned’unaircomplice.–C’estvrai,chuchotai-je.Lagrandeblondecharismatiquemefitunchaleureuxsourire,s’avançapourmeserrerlamain,après
quej’ai lâchécelledeShane.MonDieu,elleétaitvraimentsublime, lapetitesœurdeGraceKellyenplusbelle.
ShaneregardaGrayson.–QuandCharlottenous a annoncé lanouvelle, tupeux imaginer le chocqueça a été.Maisona
espéréqueçavoulaitdire…–Quevousseriezlesbienvenusdansmamaison?demandaGraysond’untonglacial.Vousaviez
tort.Vouspouvezfairedemi-touretrepartir.– Gray, dit Charlotte en s’approchant de lui. Ils ont fait tout ce chemin pour vous voir et pour
rencontrerKira.–C’esttoiquiasmanigancétoutçaCharlotte?demandaunGraysonlivide,enfoudroyantCharlotte
duregard.
–Grayson,murmurai-je,malàl’aiseaumilieudecetteréuniondefamilleglaciale.Peut-êtrequejedevrais…
Ilm’interrompit:–J’aigagné.Pendantuneminute,jen’euspaslamoindreidéedeceàquoiilfaisaitréférence.Notrecoursesur
lesrampes.D’ordinaire,j’auraisargumenté–cariln’avaitévidemmentpasgagné–maisj’aicomprisquecequ’ilavaitvraimentvouludire,c’estquemaintenant, jen’avaispasd’autrechoixquederesterdans la maison si nous ne voulions pas éveiller les soupçons de son frère et de sa belle-sœur –accessoirementsonex-petiteamieetquasimentfiancée.DouxJésus!Ça,c’étaitdansl’éventualitéoùilleurdemanderaitderester.Etdansl’éventualitéoùilleurdiraitquenousétionsréellementmariés.Moncœurbattaitlachamade.Jemesuiscontentéed’acquiescer.
Walternousrappelaalorssaprésenceendisant:–Sivouspermettez,jecroisquejevaisvouslaisser.Jepensequejevaisfairepareil.JeposailesyeuxsurmavaliseetlesacdeGraysonquiétaienttoujoursprèsdelaporte.–Jevaismonterlesaffairesetvouslaisserdiscuter.Jesentisqu’ilsmesuivaientduregardquandj’allaichercherlessacs.C’étaittrèsgênant.Lesilence
envahitlapièce,onn’entendaitplusquelebruitdemespas.Jedevinstouterouge,etjemeretournaiunefoisaupieddel’escalier.
–Onsevoitpourledîner,donc,dis-jeaprèsm’êtreéclaircilagorge.Jeregardaisautourdemoi,maisGraysonnemevoyaitpas.IlfixaitVanessaavecuneexpression
que je n’avais jamais vue auparavant sur son visage. Il ne me répondit pas et ne daigna même pasdétournersesyeuxdeVanessaassez longtempspourpouvoirmeremercier.C’étaitcommeuncoupdepoingdansl’estomac.
J’entendislesgriffesdeSugiecliquersurlesol.Elledébarquadanslapièceennousregardant.Ellereniflaetbaissalatête.
–IciSugie,dis-jecalmementetelletrottajusqu’àmoi.–Ravidet’avoirrencontrée,Kira,ditShaneenlançantunregarddesympathie.Ilsavaitquesonfrèreaimaitencorecettefemme.Charlottemefitunsignedetête,enposantles
mainssursonestomac.Pourquoiest-cequ’ellem’avaitpousséedanssesbrassiellesavait?Est-cequ’elle voulaitque jem’enaille?Vanessame fit unpetit sourire, jeta ensuiteun coupd’œil furtif àGraysonavantdeseretournerversmoietmesjouesécarlates.Ellel’aimaitaussi?OhmonDieu.C’enétait trop. Je tournai les talons, etme dépêchai demonter lesmarches pour rejoindre la chambre oùj’avaisdormiquandj’étaismalade,avecSugiedanslespattes.Enjetant lessacsà terre, jem’adossaicontrelaportefermée,assezlongtempspourreprendremonsouffle.
StupideKira,medis-jeenmeréprimandant.Quelquesbisous,quelquesrévélationspersonnellesettuaspenséqueGraysonétaitquoi?Tonami?Tonvraimari?Tuesunesacréeidiote!Idiote, idiote,idiote!Lamanièredontilavaitregardécettefemmeenbasétaitincomparableaveclafaçondontilme
regardait,moi.Maiselleétaitmariéeà son frère…Cen’étaitpascommes’ilpouvait la récupérerunjour.Oui,maislesimplefaitqu’illadésireencorefaisaitdéjàbienassezmalensoi.Etjedétestaisça.Jedétestaisça.
Je me redressai. Bon, Dieu merci, je ne m’étais pas entièrement donnée à lui. Tout allait bien.J’allaisbien.Nousavionspartagéquelquesmomentsintimesetmaintenant,nouspouvionsrevenirauplaninitialquiétaitdetoutemanièreunebienmeilleureidée.
Soudain,on frappaà laporte, et je sursautai,m’éloignantunpeuavantdeme retourner. J’ouvrispourdécouvrirVanessaquisetenaitfaceàmoi.Ellesourittimidement.
–Est-cequejepeuxentrer?demanda-t-elle.Jedéglutisetluirendistoutdemêmesonsourire.Jeluifissigned’entrer.–Jeviensjusteicipourprendremadouche,dis-je,conscientedemonmensonge.Celledelasalle
debainsprincipalenefonctionneplus.Vanessasoupira.–MonDieu,dis-moiplutôtcequimarcheici.Toutesttellementdifférent…Elles’interrompitmaisj’avaisdéjàcomprisquelemot«différent»danssabouchen’avaitriende
positifdanscecasprécis.Sugies’approchaet reniflacraintivement lespiedsdeVanessa.Cettedernièrereculaetsebaissa
pourlacaresser,maiselleretirasamaindèsqu’ellevitsatête.–Oh,elleest…C’estunefemelle?–Elles’appelleSugie,répondis-jeenl’attrapantavantdel’installersurlefauteuilàdroitedulit,de
luifairequelquesgratouilles.PuisjerevinsàVanessa.Ellepritplacesurletabouretdelacoiffeuseetcroisasesjambesfuselées.Jem’assissurlecoffre
au pied du grand lit. Vanessa portait une jupe rose, courte et charmante avec un haut en soie à finesbretellesgrispâlequifaisaitressortirlacouleurdesapeaubronzée.Unsautoirenperleformaitunnœudentresesseins.Elleypassalesdoigtsnerveusementenm’observant.Cetexamendétaillémestressait.
–J’adoretatenue,luidis-je.Etc’étaitvrai.C’étaitchic,àlafoissimpleettendance.Ellemefitungrandsourire.–Merci.Çafaitpartiedemacollection.J’aiunepetiteboutiqueàSanDiego.Jepenseaussiàen
ouvriruneici.C’estunedesraisonsdecevoyageenfait : trouverunlocal.Jen’aipasgrandidanslarichesseetavoirdustyleavecunpetitbudgetatoujoursétéunepassionpourmoi.C’estleleitmotivdemaboutique:êtreéléganteetstyléeavecunpetitbudget.
Ellerougitetbaissalesyeux.–Pardon,jeparletrop.Elletoussa,puisrelevalatêteetcontinua:–NousétionstellementcontentsquandonaentenduqueGraysons’étaitmarié,dit-elleenchangeant
desujet.Etelleavaitl’airsincère.Mesdoigtstapotaientfrénétiquementsurmesgenoux.
Jefinisparluidire:–Merci.Voussavez…Jenesaispasexactementcequ’ils’estpasséentreGraysonetShane,mais
j’espèrequ’ilspourronttrouverlemoyend’arrangertoutça…Putain, c’était vraiment bizarre. Est-ce que je devais faire comme si Grayson et moi étions
vraimentmarietfemme?J’auraisaiméqu’ilprenneunmomentpourmeparlerdetoutçaavantd’avoirce tête-à-tête avec Vanessa Hawthorn. Elle avait l’air d’être très gênée, elle aussi, et je ne pouvaism’empêcher deme demander ce qu’elle ressentait pour Grayson. Pourquoi lui avait-elle fait ça ? Jemouraisd’enviede luiposer laquestion,maisçan’auraitpasétécorrect ; jenesavaismêmepass’ilfallaitquejefassecommesij’étaisaucourantdequoiquecesoit.
–Moiaussi,dit-elleensemordantlalèvre.Ilssontentraindediscuterdanslebureau.Entoutcas,jetenaisvraimentàprendrequelquesminutespourvenirtevoiret tedireàquelpointjesuiscontented’avoirunesœur.
–Merci,çametouche.Etc’estpareilpourmoi,luidis-jeensouriant.Jesuiscontente,moiaussi,d’avoirunesœur.
Même si c’était temporaire. Je fis tourner ma bague autour de mon doigt, stressée, tandis queVanessa se levait. Sa tenue était impeccable, sans aucun pli. Comment était-ce possible s’ils avaientvoyagé toute la journée?Jevoulaisvraiment ladétester, j’avaisdenombreuses raisonspourça,maiselleme rendait la tâche difficile tant elle était gentille et sympathique. Pas étonnant queGrayson soittombéamoureuxd’elle.Elleavaittoutcequejen’avaispas.
Ellebaissaalorslesyeux,etfixamabague.–Jepeux?demanda-t-elle,l’airabsorbé.Jejetaisuncoupd’œilàmamain,puisretiraislabague
queGraysonm’avaitdonnée.Ellelamitdanssamainetl’observaenretenantsonsouffle.–Uneopale?Regarde!Ellelevalamaingauchepourmemontrerqu’elleavaitelleaussiuneopale,commepierrecentrale,
sursabaguedefiançailles.–C’estmapierrepréférée,m’expliqua-t-elle.Ellereprésentel’amouretlapassion.Ellemefitungrandsourireavecsesdentsparfaitementalignéesetincroyablementblanches.–Onadoretouteslesdeuxl’opale,çaprouvequ’onestfaitespourêtresœurs.Ellemepritdanssesbras, laissant l’odeurdesonparfum légerm’envahir,puiselle reculaaussi
vitequ’elles’étaitjetéesurmoi.–Onseparletoutàl’heure?–Biensûr,dis-jeenluiadressantunpetitsourire.Unefoisqu’ellefutpartie,jem’assissurlelit,lesyeuxrivéssurlabague.Jemesuisremémoréles
parolesqueDianeFersbyavaiteues,disantqu’ellesavaitqueGraysonavaitachetéunebagueàVanessamaisqu’ellepensaitqu’iln’avaitjamaiseulapossibilitédefairesademande.Jenem’étaisjamaisditquecetteopalepouvaitêtreunebaguedefiançailles,maisjem’étaistrompée.
– Il m’a donné la bague qu’il avait l’intention de lui offrir pour leurs fiançailles, chuchotai-je,incrédule.
Trèsénervéeetblesséeàlafois,jetortillailabaguejusqu’àpouvoirlaretirer.–Salebêtepleined’écaillesJemurmuraicetteinsulteduboutdeslèvres.Néanmoins,l’insulternesoulageapasmapeine.Cela
neréduisaitpaslafêluredansmoncœur,cellequesesmagnifiquesécaillesavaientfaite.
***
Après m’être douchée et avoir essayé, autant que possible, d’oublier cette conversation avecVanessa,jesuisdescenduepourtrouverGrayson.Ilfallaitqu’onsevoieetqu’onparledecequej’étaiscenséefairefaceàcettesituationbizarreetinconfortable.
Jecriaisonnom,envain.JedécidaidesortirettrouvaiShanequiréparaitlafontaine.Ilyavaitunepetiteboîteàoutilsposéeausolprèsdelui,alorsqu’ilétaitpenchéaumilieudubassinvide.
–Hé,luidis-je.Ilseredressaetmeréponditlesourireauxlèvres:–Hé,salut.–J’espéraisbienquequelqu’unsedécideàlaréparer.Sonsourires’élargitencore.–Ondiraitquec’estjusteunepièceàchanger.Jeferaiunsautenvilledemainpourl’acheter.J’acquiesçai.Ilyeutensuiteunsilencegênantavantqu’onsemettetouslesdeuxàrire.Ilmesourit
ànouveau.IlressemblaittellementàGrayson.C’étaitvraimentuntrèsbelhomme,mêmes’ilavaitl’aird’ungamin,làoùGraysonétaitsaisissantdematurité.Maisilétaitaussigrand,ettrèsvirilégalement.
–Est-cequetusaisoùestGrayson?demandai-je.–Ilestallédînerenville.Sonsouriredisparut.Jetombaisdehaut.Graysonétaitpartisansunmot,melaissantmedépatouillertouteseule.Çane
faisaitqueconfirmerquejenecomptaispasvraimentpourlui.–Ah,d’accord.AvecVanessa?chuchotai-jed’unevoixrauqueavantdemereprendre.Shanesecouadoucementlatête,lesyeuxfixéssurmonvisage.–Non.Vanessaestalléevoirsesparents.Jepoussaiungrandsoupir.–Ah,effectivement.Jen’avaismêmepaspenséaufaitqueVanessaavaitgrandiici,elleaussi.Monventreseserraen
pensantàtouslessouvenirsquecestrois-làdevaientavoirensemble.Quelrôleavais-jelà-dedans?Jen’avaispasdeplacedanscetableau.Temporaire,Kira.Tuestemporaire.
Shanes’assitsurleborddelafontaineetmefitunsignedetêtepourmeproposerdelerejoindre.Ilm’offrait un sourire timide. Je décidai de faire les quelques pas qui nous séparaient. Ilm’observa unmoment,etcommed’habitude,jerougis.
–Jepeuxtedemandercequetusaisdecequis’estpasséentreVanessa,Grayetmoi?
OK,doncpasd’entréeenmatière,droitaubut.–Pasgrand-chose,répondis-jehonnêtement.JustequeGraysonetVanessaétaientensemble,etque
Vanessaettoi,vousvousêtesmariéspendantqu’ilétaitenprison.Jememordislalèvreinférieure.Shaneserenfrogna.–Etque,naturellement,ils’étaitsentitrahi.J’acquiesçai,lesyeuxfixéssursonvisageessayantdedéchiffrersonexpression.J’avaisdumalà
identifierlesémotionsquiletraversaientmaisonauraitditquec’étaitduchagrin.Étrange…–Naturellement,murmurai-je.–Cen’estpastout,Kira.J’aimemonfrère.Jefisunsignedetête,carétrangement,jelecroyais.Ilavaitl’airsombreettrèstriste.–Alorspourquoi?demandais-je.Shanesoupira.–C’estàGraysonque jedoisenparlerenpremier. Jemerendscomptequ’on t’avraimentmise
dansunesituationembarrassante,etsansteprévenir.Jeveuxjustequetusachesqu’onatoutessayé.Ilsecoualatête.–Ilnerépondpasànoslettres,neprendpasnosappels.Laseulechosequenousn’avonspasfaite,
c’estdel’attacheràunechaiseavecdugrosscotchetdeleforcerànousécouter.Jeris,mêmesijenetrouvaispasçadrôle.–Vousdevriezpeut-êtreyréfléchir.Engénéral, leshommespeuventêtre têtusetbornés,mais je
trouvequeleDragonyesttoutparticulièrementdisposé.Shanemedévisageaensouriant,amusé.–LeDragon?C’estcommeçaquetul’appelles?–Uniquementquandilcrachedufeuetqu’ildéploiesesailesautourdelamaison.–Qu’ildéploiesesailesautourdelamaison.LesouriredeShanes’agrandissait.–Charlottenousavaitprévenus,maisj’avaisdumalàlecroiretantmonfrèreestsérieuxetdétaché.
Jusqu’àcequejelevoisglissersurlarampe,commel’enfantqu’iln’ajamaisété…–Ah,ça?Onavaitjustefaitunpari.Shaneinclinalatête.–Jepensequetueslabonnepersonnepourlui.Etj’avaisespéréqu’ilseraitplusdisposéànous
écoutermaintenantqu’ilatrouvélebonheuravectoi.J’étaissoudaintrèsgênée.Commentcethommeallait-ilsesentirquandildécouvrirait lavérité?
Peut-être qu’il ne la découvrirait pas. SiGrayson ne s’était pas sauvé sansmêmeme dire au revoir,j’auraispuluiposerlaquestion.D’ailleurs,pourquoiCharlotteavait-ellemanigancétoutça?J’avaiscrucomprendrequ’ellevoulaitqueGrayetmoisoyonsensemble.Jen’ycomprenaisrien.Et jemesentaistrahiesanstropsavoirenquoi.
–Bon,detoutefaçon,ilnevousapasfichusdehors,pasvrai?C’estdéjàundébut.Shanesourit.
–Ouic’estundébut.Ilselevaenmetendantlamain.–CharlotteetWalterdînentavecdesamis.Elleamisunplataufourquidoitêtrepresqueprêt.On
dîneensemble?J’aiprissamainetmesuislevée.–Biensûr.Àlamaison,ilsortitlepouletfarcideCharlottedufouretjepréparaiunepetitesalade.Shaneme
parladelasociétéinformatiquequ’ilavaitmontéeàSanDiego.Ilavaitl’aird’adorersontravail,quienplusluipermettaitdetravaillerdechezlui.
–Donctun’avaisaucuneenviedefaireduvin?demandai-jeenmeservantunpeudesalade.Ilfitnondelatête.–Aucuneenvieetaucunecompétence.L’informatique,çaatoujoursétémontruc.Quandj’aihérité
demonpère,j’aiutilisél’argentpourmontermaboîte.–Ehbien,heureusementquetonfrèrevoulaitfaireduvin.Ilacquiesçamaissonvisageétaitfermé.–Oui,heureusement.Jeluiaiparléunpeudemoi,enéludantlefaitquejem’étaiséloignéedemonpèrepourqu’ilneme
posepasdequestions.Aprèsquenousayonsdînéetrangélacuisine,jeluiaiditquej’allaismonterdansmachambrepour lire car j’avais euune longue journéeetque j’étais fatiguée.Envérité, j’avaispeurqu’ilcommenceàm’interrogersurmarelationavecGraysoncarjenesavaispasquoirépondre.
Avantdememettreaulit,jedécidaid’envoyerunpetitmessageàGrayson.J’avaislesentimentquenous avions construit quelque chose ensemble,même si à ce stade je n’arrivais pas encore définir lanaturedenotrerelation.Ilétaitcertainementcontrariéetvulnérableavecl’arrivéeinattenduedesonfrèreetdesonex-petiteamie.Peut-êtreavait-ilbesoind’uneamie?J’attrapaimontéléphoneetcommençaiàécrire:
Est-cequetuvasbien?K.J’ai attendu plusieurs minutes, mais comme je ne recevais aucune réponse, je pris mon livre et
essayaidemeconcentrersurl’histoirequej’avaiscommencée.Uneheureplustard,n’ayanttoujourspasde réponsedeGraysonetbienqu’il soit très tôt, jedécidaidedormir. Je fermai la lumièreetprisunoreillerdansmesbras.
***
Desbraspuissantsquimesortaientdulitmeréveillèrentensursaut.Jemedébattisjusqu’àcequelapersonnequimetenaitpousseuncridedouleur,avantdemelâchersurlelitmoelleuxetdes’effondrerprès demoi.Mon regard croisa alors celui de Grayson, dans la pénombre. Il avait l’air de souffrir,commesij’avaisheurtéquelquechosedesensible.
–Qu’est-cequetufabriques?chuchotai-je,enmeredressantsurlesgenoux.Mescheveuxétaientenbatailleautourdemonvisageetdansmondos.Ils’allongeasursoncôtédulitetlevalesyeuxversmoi,
l’airsongeur.–Tudevaistecoucherdansmonlitcesoir,articula-t-ilpéniblement.–Danstonlit?Tut’attendaisàcequeje…Tusensl’alcooletleparfumbonmarché.J’essayaisdemasquermapeine.Ilavaitdetoutemanièrel’airtropivrepourremarquerquoiquece
soit.Graysonlevaunsourcil.–Desblondesmesonttombéesdessusaubar.–Oh.Qu’est-cequej’étaiscenséerépondreàça?Effondrée,jeposaimesmainssurmescuisses.Sonex
débarquedoncilvadansunbaret laissedes inconnuesle tripoter?Pourquoin’es-tupasvenumevoirGrayson?
–Maisapparemment,dit-il enpassantundoigt sur l’unedemescuissesnues. Jen’aimeplus lesblondes.J’aimelesrousses.Oulesbrunes.Oulemélangeparfaitdesdeux.J’aimetoi.
Ilmeregardapresqueenlouchant,l’airsoudaindéboussolé.–Pourquoiest-cequetun’espasdansmonlit?Jehaussaislesépaulesentournantlatêteetcroisaislesbras.–Tutemoquesdemoij’espère?!Tudisparaissansdireunmot,enmelaissantmedémerderavec
tonfrèreettonex.Ensuitetuvastesaouler,tulaissesdesfemmestetripoterdansunbar,ettuvoudraisquejet’attendesagementàlamaisondanstonlit?Maistumeprendspourquiexactement?
Jebouillonnaisderageetj’étaisbouleversée.Graysonseredressacontrelatêtedelit.–Jeteprendspourmafemme.Malgrésonétatd’ébriétéilmefitunsourirechaleureuxetcomplice.Jerefusaidemelaissercharmer.Ilm’avaitblessée.–Jen’enaiquelenom!–Alorsilfautyremédier.Cesoir.Tuasditquetuétaisd’accord,toutàl’heure.Ileutl’airsoudaintrèsvulnérable,cequinemanquapasdemefairefondre,commeuneidiote.–S’il teplaîtKira,dis-moiquetuasenviedemoi.C’est justeque…Moi, j’aienviedetoi, j’ai
besoindetoi.Savoix tremblait. Ilavaitbesoindemoi?Donc jen’étais riendeplusqu’une solutionpratique.
Riendeplusqu’unmoyentemporairedesoulagersondésirphysique.Maismoi,jevoulaisplusquesapassion.Jevoulais…OhmonDieujevoulaissoncœur.Jefussoudainprisedepanique.
–Est-cequetuesencoreamoureuxd’elle?C’étaitsortitoutseul.Grayson se raidit immédiatement, il se redressa et évidemment,même s’il était bourré, il neme
demandapasàquijefaisaisréférence.Ilbaissalesyeuxsurmoi,l’airsoudainfroidetdétaché.–Tunevaspasmerépondre?
Jerelevailementon,refusantdebaisserlesyeux.Jedétestaislefaitqu’ilaitautantdeprestance,qu’il soit simassif, surtoutquand il se tenait au-dessusdemoi commec’était le cas. Ilmeperçait duregardcommesisesyeuxd’ébènepouvaientlireenmoi.
–Jeneveuxpasteblesser,Kira,maislasituationentreVanessa,monfrèreetmoineteregardepas.Çan’aabsolumentrienàvoiravectoi,affirma-t-il.
S’iln’avaitpasl’intentiondemeblesser,ilavaitunedrôledefaçondelemontrer.J’étaisdévastéemaisjecontinuaisàsoutenirsonregard.Jenevoulaispasluilaisserpenserquesesmotsm’atteignaient.J’avaisdéjàdumalàlereconnaîtremoi-même.
–S’ilteplaît,va-t’en,dis-jed’unevoixdéterminée.Jen’aipasenviedetoi.Pasdutout.Il sepassa lamaindans les cheveux, commes’il réfléchissait, commesi c’étaitmoiqui étais en
traindeluifairedumal.Puisiltitubalégèrement,serattrapadejustesse.Iljuradanssabarbe,puissortitdemachambreenfermantdoucementlaporte.
S’ilsnedormaientpasici,jeseraispartieretrouverlesanctuairedemoncottage.J’avaisprévudedormiravecGraysoncesoir.Etmaintenant, lefaitdecoucherdansunechambredanslamêmemaisonqueluim’étaitinsupportable.
Jem’effondraisurmonoreiller,enessayantdemeretenirdepleurer.
***
Sijem’étaisimaginéequ’auleverdujour,leDragonauraitvoléjusqu’àmachambreenmepriantdel’excuser,j’auraisétéextrêmementdéçue!Enfait,jenel’aipasvudutoutpendantlesjoursquiontsuivi.Àl’évidence,ils’étaitréfugiédansl’unitédevinificationpourinstallerlesnouveauxappareilsets’assurerquetoutfonctionnait.Oudumoinsc’estquej’avaisapprisparShane,quiétaitaumoinsaussifrustréquemoiqueGraysonnousignoretous.Graysonn’enavaitmêmeplusrienàfairequ’ondécouvrequenotremariageétaitfictif.
–Jevaisresterdanslecoinetl’obligeràmeparlerdèsquepossible,m’avaitditShane.Jefiniraiparl’avoiràl’usure.
Ilm’avaitfaitunclind’œilmaisilnesemblaitpastrèsconvaincului-même.Jeme refusais à faire lamêmechose.En fait, c’était dansmonADNdeme sauver quand jeme
trouvaisdansunesituationdouloureuse,etc’étaitcequemoninstinctmedictaitdefaire.Maisj’avaisunefêteàorganiseret ilme restaitpeude temps.Commentavais-jeétéassez follepourme laisserunesipetitefenêtredetir?Difficiledem’ensouvenir.LesinvitationsétaientpartiesetlesgensattendaientunévènementqueleDragonn’honoreraitprobablementpasdesaprésence.Toutreposaitsurmoi,mêmesiàcet instant précis ilm’était difficile deme souvenir pourquoi j’avais attaché tant d’importance à cetteréception.
J’aipassélapremièrepartiedelasemaineàrangerlebureaudeGraysonenessayantdemettredel’ordredanssacomptabilité.Walterm’avaitaidéecommeilpouvaitcarc’étaitluiquis’étaitoccupédetenirlesdossiersàjour,mêmes’ilneconnaissaitpasleslogicielsaussibienquemoi.
Quandnousavonscommencéàéplucherlescomptes,jeluiaidemandé:–Walter,est-cequevouspensezquejepourraisvoirlesbilansfinanciersdesdernièresannées?Je
ne veux pas outrepasser mes fonctions, mais j’aimerais avoir une meilleure idée du moment où levignobleacommencéàdécliner.
Jemedisaisquesijecomprenaispourquoil’entrepriseavaitpériclitésirapidementaprèsledébutdelamaladiedeFordHawthorn,jepourraisêtreplusàmêmed’aideràtenirlescomptesdelapropriété.Jepourraispeut-êtremêmedonnerquelques conseils àGrayson,bienqu’ilne lesméritepas. J’auraisprobablementdûleregarderéchoueravecdélectationetnepasl’aideràtenirsapromesseàsonpère.Maisj’enétaisincapable,jen’avaispaslecœuràçaet,enplus,jevoulaisqu’ilsoitfaitbonusagedel’argentdemagrand-mère.
JeremarquaiqueWalteravaitl’airgêné.–Lesarchivesn’ontpasététrèsbienconservées.ToutaéténégligéquandMonsieurHawthornest
tombémalade.–Maisildoitbienresterquelquechose?Sijepeuxjustejeteruncoupd’œilrapideàcequiest
disponible,jepensequeçapourraitaider.VraimentWalter,jenepeuxrienfairesijenecomprendspascequiestarrivéparlepassé.
Il resta silencieux pendant si longtemps, que je doutaismême du fait qu’ilm’ait entendue.Maisquandj’airelevélatête,j’aivuqu’ilmefixaitattentivement.J’ensursautaipresque.Jusqu’alors,j’avaistoujoursvuWaltercomplètementimpassible.
–Jevaisvoircequejepeuxtrouver,finit-ilparmedire.–MerciWalter.Plustarddanslajournée,Walterm’aapportéunepiledeCD-ROMet,enmeregardantdroitdans
lesyeuxilm’adit:–Cesontlesregistrescomptablesdescinqdernièresannées.–Oh,mercibeaucoup.J’aiposélesmainsdessuspourlesattrapermaisillesaretenusenmedisant–Commevousl’avezdit,ilestplusfaciled’aiderdansleprésentencomprenantlepassé.J’espère
quecesdocumentsvousserontutiles.Jefronçailessourcils.–Oui…Walterlâchalapileenmefaisantunsignedetêteet,droitcommeun«i»,ilquittalapièce.Qu’est-
cequeçapouvaitbienvouloirdire?Jen’avaispasletempsdeparcourirlesCDtantquejen’avaispasmistouslesdossiersencoursà
jour,je me suis donc concentrée là-dessus. J’ai aussi été chercher Vanessa dans la cuisine pour luidemandersielleavaitletempsdem’aideràpréparerlafête.Nousavionsdéjàreçuplusieursréponses,suffisammentpourquejemesenteunpeustressée; lesgensallaientveniretnousavionsintérêtàêtreprêts.Puisqu’onpouvaitm’assister,j’auraiseutortdem’enpriver.J’aiexpliquélethèmeàVanessa,etluiaimontréleslistesquej’avaisdéjàfaites.
–OhmonDieu,biensûr!J’adorerais,dit-elle.Quelleidéegéniale.–Commentça?J’entendissoudainletimbregraved’undragondansmondos.Nousnoussommesretournéestoutes
lesdeuxpourregarderGraysons’avancerverslefrigoetprendreplusieursbouteillesd’eau,SugieSug,surlestalons.Jeledévoraiduregard.Jenel’avaispasvudepuisdesjours,etc’étaitcommesimesyeuxétaient affamés. Il avait visiblement très chaud et dégoulinait de sueur.C’était glorieux. Je détournaisalorsleregard,attristéeparsaréaction.Àl’évidence,jenecomptaisplusdutoutpourluimaintenantqueVanessaétaitdanslesparages.
–L’idéedesoiréedeKira,ditVanessa.Est-cequ’elle t’enaparlé?C’estunbalmasquésur lethèmedescontesdef…
–Jesuisaucourant,dit-ilenouvrantunebouteille,etenbuvantunegrandegorgée.Monregardrestaitfixésurlesmusclesdesagorgependantqu’ildéglutissait.Lorsquejerelevaila
tête, jevisqu’ilavait lesyeux rivés surmoi. J’aialors toutdesuitedétournémonattentionen faisantsemblantdemeconcentrersurmaliste.Jesentaismesjouesrougir,etjemehaïssais.
Vanessa,toutexcitée,meditalors:–Monpersonnagepréféréc’estlaféeClochette.Ridicule,n’est-cepas?dit-elleenriant.–Pasdutout.DumomentquetuarrivesàconvaincreShanedes’habillerenPeterPan,répondis-je
ensouriant.Elle éclata d’un riremusical comme je n’en avais jamais entendu. Elle ferait une fée Clochette
parfaite.De toutemanière, elle aurait fait une parfaite n’importe quoi. Je la regardai, debout dans salonguerobeàdosnu,avecdesrayurescorailetblanc.Sescheveuxsoyeux,dorésetlissescascadaientsur ses épaules. Elle était parfaite. Je la détestais. Non, en fait je l’aimais bien, et c’était ça que jedétestais.Jem’envoulaisdel’apprécier.Pourquoin’était-ellepasunegrossegarcerepoussante?
–Jevaism’assurerqu’ilressembleàuneversionviriledePeterPan.Avecjustecequ’ilfautdefantaisieenfantine.Toutcommelui.
–Quoi?demandais-je,distraite.Jesecouailatête,meforçantàreprendrelefildenotreconversation.–Oh…Shane…PeterPan,biensûr.Je jetaiuncoupd’œilàGraysonqui revissaitdoucement lecapuchondesabouteilled’eau, l’air
dur,lesmusclesdesamâchoirecontractés.SugievintalorstimidementreniflerlespiedsdeVanessa,quisebaissaetcaressasatêteavantde
retirertrèsvitesamain.–J’ail’impressionquejevaisluifairemalàchaquefoisquejelatouche,dit-elle,gentiment.–Tuneluiferaspasmal.Elleasurtoutbesoind’amour.Laseulechosequipourraitluifairedumal,
c’estqu’onl’enprive.Graysonmefixaunmomentpuis,sansunmot,ilseretournaetquittalacuisine.Sugielesuivit,et
unefoisàlaporte,ellenousregardaenjappanttristement,puisellebaissalatêteavantdecourirpourrattrapersonmaître.
J’avaislecœurbrisé.JemereplongeaidansmalistepourqueVanessa,quim’observait,nevoiepasmonvisage.Ilnepouvaitpasaumoinsfairesemblantdem’apprécier,pourlaforme?Qu’est-cequeShaneetVanessaallaientpenser?
–Jesuisdésolée,Kira,ditVanessa.Notreprésencemetvotremariageà rudeépreuve.Onferaitmieuxdepartir…
–Non,nefaitespasçapourmoi,Vanessa.ShaneetGraysonontdeschosesàrégleretjenevaispasm’interposer.
Je serais partie bien assez tôt, en revanche Shane sera toujours le frère deGrayson. Je refusaisd’êtrelaraisonpourlaquelleGraysonneluidonneraitpasaumoinsunechancedes’expliquer.Etpuis,quelquesoitl’intérêtphysiquequeGraysonavaitpuavoirpourmoi,ilavaitdisparuvisiblementEtjecomprenaisbienpourquoi.QuipouvaitconcurrencerVanessa?Elleétaitbelleàl’intérieuretsublimeàl’extérieur.Moij’avaisl’impressiond’incarnerparfaitementlesurnomqueGraysonm’avaitdonné,unesorcièrehideuse,enhaillons,dontpersonnen’avaitvoulu.Carengénéral,dansuncontedefées,onnefinitpasaveclasorcière.
Quelques minutes plus tard, Charlotte, très agitée, surgit dans la cuisine, et évalua d’un regardnerveuxlaproximitéentreVanessaetmoi.Jen’avaispaseuunmomenttranquilleavecCharlottedepuisqueShane etVanessa étaient à lamaison,mais à chaque fois que je l’avais croisée, elle joignait sesmainsetsemblaitprierdiscrètement.Çanemeremontaitpasvraimentlemoral.
Vanessa,Charlotteetmoiavonsreprislalisteendétailpournouspartagerlestâches.–Bon,maintenantquivam’aideràfaireungâteauaucarameletaubeurredecacahuètes?Shaneme
l’ademandé,c’estsonpréféré,seréjouit-elle.–Ohmoi,jevaist’aider,ditVanessa.Ilfautquej’apprennelarecettepourquejepuisseluienfaire
detempsentemps.Charlottepritdeuxtabliersdansletiroir,entenditunàVanessaetunautreàmoi.–Laprochainefois,Charlotte,luidis-je.Pourlemoment,ilfautquejefasseunelistedetoutesles
chosesàfaireàl’extérieur.Aumêmemoment,jecomprenaisqueCharlotteetVanessaméritaientdepasserdutempstoutesles
deux. J’allais vraisemblablement quitter les lieux très bientôt, alors que Vanessa, elle, faisait partieintégrantedecettefamille.Enypensant,jeressentisunevivedouleur.C’étaitcertainementexcessifmaispourtantbienréel.Charlottemeregardaunpeutristeethochalatêtegentiment.Jenepouvaispasluienvouloir.Elle savait que j’étais de passage.Vanessa serait là pour toujours alors que j’allais partirbientôt.IlétaitplusimportantqueCharlotteveilleàconstruireunpontentreShane,VanessaetGraysonplutôt que d’essayer de rendre durablema relation avecmonmari. De toutemanière, ce serait peineperdue.Peut-êtrequ’elleavaitfiniparlecomprendre.
D’humeurmélancolique,jesortisetobservailafaçadedelamaison.J’avaisdemandéàuneéquipedejardiniersdevenirdèsquepossible,medisantqu’ilallaityavoirpasmaldetravailpourredonnerunaspectdécentàceterrain.Lamaisonseraitbienplusbelleunefoisquelelierreseraittaillé.Jenotailesquelquespointsquipouvaient,selonmoi,êtrearrangésàtempsdansl’alléecentrale,puispassaiderrière
lamaisonpour réfléchir à ce qu’on pouvait faire dans cette zone. J’aurais adoré ouvrir la terrasse etnettoyerlapiscine.J’imaginaisdesampoulespenduesdanslesarbresetquiauraientdonnéunelumièremagiquedecontesdefées…
Monregardseperdantauloindanslesrangéesdevignes,jerestaiplantéelàunmoment,àimaginercequecelapourraitdonner.Pourquoiétais-jesiprofondémentdésespéréeetsi triste?Jepensaisàceque Grayson pouvait bien être en train de faire à ce moment précis, à l’amour grandissant que jeressentaispourcelieuetpourlesgensquivivaientettravaillaientici.J’avaisimaginéquemarelationavec Grayson prendrait la direction de… De quoi, Kira ? L’amour ? C’était donc ça que j’avaissecrètementcommencéàespérer?Uneémotionprochedel’angoissemepritàlagorgeetjereculaidequelquespaspourpouvoirm’adosseràunorme,lesyeuxfermés,désespérée.Encoursderoute,j’étaistombée amoureuse demonmari. Il n’y avait aucune autre explication possible à la souffrance que jeressentais,àsasoudaineindifférenceetàlapossibilitéqu’ilsoitencoreamoureuxd’uneautrefemme.
En admirant le soleil qui brillait sur les vignes, j’admis que j’étais peut-être même tombéeamoureusedeGraysondèslapremièresecondeoùj’avaisposélesyeuxsurlui.Jamaisjenel’avouerais,mais j’étais bien obligée de le reconnaître.Mon chevalier en armure étincelante debout devant cettebanque,lacertitudequ’ilmesauveraits’étaitinfiltrédansmoncœurcommeunebrisesecrète.
OhmonDieu,c’étaitunecatastrophe.Uneterriblecatastrophe.Jevoulaism’échapper, fuir ces sentiments, loindeceque jevenaisde réaliser.Et je savaisque
c’étaitexactementcequej’allaisfairedèsquelafêteseraitfinie.Jenepouvaispasrestericiensachantque,à toutmoment, jepouvais tomberencoreplusamoureusedemonmari. Ilnem’aimerait jamaisenretour. Au lieu de ça, mes sentiments non partagés me feraient sombrer, et jamais plus je ne seraisheureuse.
Le passage d’une silhouette solitaire près du labyrinthe, en dessous de moi, m’arracha à messombrespensées.Jeplissai lesyeuxet reconnusShane.Aprèsunecourtehésitation, jemisma listeetmoncrayondanslapochearrièredemonshortenjeanetdescendislapentepourlerejoindre.
–Salut,dis-jedoucement.Iltournalatêtedanstouslessens,manifestementsurprisenpoussantunepetiteexclamation.–Salut,Kira,dit-ilensouriant.–Pardon,jenevoulaispast’effrayer.–Non,non,net’inquiètepas.J’étaisjustepartitroploindansmespensées,jecrois.Ils’assitsurunbancenpierreetmefitsignedefairedemême.Jem’exécutai,enplaçantmesmains
derrièremoi.Jeregardailelabyrintheàcôtédenousetluidis:–C’estvraimentincroyable.Vousavezdûbienvousyamuserquandvousétiezpetits.Shanesoupiraenpassantlamaindanssescheveux,commeGraysonpouvaitlefaireparfois.Ilavait
l’airtriste.
–MonDieu,non.Unefoislanuittombée,monpèreavaitpourhabitudedenousameneraucentreetdenousabandonnerlàpourqu’onretrouvenotrechemin.Ilnousatorturésaveccemaudittruc.
J’aisentiquejedevenaislivideetmesuistournéeversShane.–Pourquoi?dis-je,lavoixétranglée.Ilhaussalesépaulesetsecoualatête,ressemblantsoudainàunpetitgarçon.–Quisaitpourquoimonpèrenousfaisaitcela?Ilavaitdesidéesbienarrêtéessurlamanièrede
fairedenousdeshommes,etc’étaitl’uned’entreelles!Biensûr,Graysonétantl’aîné,c’estluiquienaleplussouffert.
Ilfitunepauseenfixantsesmainsposéessursesgenoux.– J’entendsencore lespleursdeGraysonqui,nuit aprèsnuit, appelaitnotrepère, enessayantde
trouverlasortie.Sonvisageétaitmarquépar ladouleur. Ilvenaitde faireunbonddans lepasséet, impuissant, il
entendaitsonfrèrecrieràl’aide.J’avaislachairdepouleetm’entouraidemesbras.–Après avoir fouillédans lespapiersdemonpère,Walter a trouvéunplandu labyrinthe et l’a
donnéàGrayson.Jenel’aibiensûrapprisquedesannéesplustard.Graysondevaitavoiralorsseptouhuitans.Walterluiadit:«Tuapprendsça.Vas-yenpleinjour,mémorisechaquevirageetétudietouslesrecoins.Quandtonpèret’yemmènera,c’esttoiquiauraslepouvoir.Fais-ensortequ’ilnesoitjamaisaucourant, et débrouille-toipour connaître ce labyrinthe comme tapoche.Grâce à ça, tun’aurasplusjamaispeur.»Etc’estexactementcequeGraysonafait.Lesourirequiapparutsurseslèvreschassalatristessedesonvisage,etjenepusm’empêcherdel’imiter.Walter.QueDieubénisseWalter.
–Plustard,quandmonpèrem’aentraînédanslelabyrinthe,Graysonsefaufilaitdanslesalléesparl’arrière,metrouvaitetmefaisaitsortirsansquenotrepèren’ensacherien.Ilrestaitcachéjusqu’àceque je sois à l’intérieur, puis il s’y glissait à son tour. Grâce à lui, je n’ai jamais connu lesmêmesfrayeurs. Je n’avais à vivre que ce court instant avant qu’il n’arrive. Et je peux jurer, dit-il la voixlégèrementtremblanteavantdesereprendre,qu’iln’yariendemieuxaumondequelamaindequelqu’unquetuaimesetquit’attrapedanslenoirquandtuesperduetterrorisé.
J’étaisbouleversée.Cepauvrepetitgarçon.Jenesavaispasquoidire.J’étaisincapabledesortirle moindre mot, une énorme boule s’était logée dans ma gorge. Pas étonnant que Grayson déteste lelabyrinthe,ilavaitservidesalledetorturegéante!
–Metrouverdanslenoiretmeprendreparlamain,monfrèreafaitçapourmoideplusieursetnombreusesmanièresaucoursdesannées:
–Alors,pourquoi?murmurai-jeenclignantdesyeuxpourretenirmeslarmes.Shanetournalatêtepourmeregarder.–PourquoiVanessa?demanda-t-il.J’acquiesçaienmemordantlalèvre.–S’ilteplaîtShane,explique-moi.J’essayedecomprendre.J’essayejustedecomprendreetpeut-
êtrequesij’yarrivejepourraisvousaider,d’unemanièreoud’uneautre.Ilsoupira.
–Parcequejen’aijamaiscessédel’aimer.Ilfitunecourtepauseetileutunpetitsouriretriste.–Onagrandiensemble,tusais,touslestrois.Graysonn’ajamaiseul’airdefaireattentionàelle
alorsquemoi,jel’aitoujoursaimée.Ilregardalecielunmoment,seremémorantcertainementdesévènementsprécis.– Et puis finalement, il s’est déclaré le premier et jeme suis dit qu’il avait peut-être caché ses
sentimentspendanttoutescesannées.Jemesuisdoncmisenretrait,aumomentoùj’allaismoiaussi,luirévéler que je l’aimais. J’aurais clairement dit ce que je ressentais pour Vanessa si cela avait étén’importequid’autre.Maislà,c’étaitimpossible.Graysonn’ajamaisétébientraitédanslafamilleetils’estsacrifiépourmoisanscesse.C’étaitnormalquejem’éloigne.J’aimaisVanessa,maisjel’ailaisséepartirsansdireunmot.
Jeserraileslèvres,pleinedetristesse,enregardantlecielbleu.–Etpuisilestparti…–Oui,dit-iltoutbas.Tudoismetrouverdétestable.–Non.Jenesuispaslàpourtejuger,dis-jedoucement.Shanesoupiraenpassantlamaindanssescheveux.Jen’allaipasplusloin.Jesavaisqu’ilvoulaitexpliquerlasuiteàsonfrèreenpremier.Toutefois,
jecomprenaisdéjàunpeumieuxlasituationaveccettedeuxièmeversion.JemedemandaisjustecequeVanessa ressentait pour Grayson maintenant. Quelle pagaille ! Une pagaille dont il fallait que jem’éloignepourleslaisserréglerleursproblèmesentreeux,d’autantplusdepuisquejesavaisexactementcequej’éprouvaispourGrayson.Jenem’étaispastrompée.Iln’yavaitpasdeplacepourmoidanscettehistoire.Graysonavaitpeut-êtreraisonluiaussi.Peut-êtrequeriendetoutcelanemeconcernait.Assiselà,jemesentaissoudainplusseulequejamais.
– Il m’a parlé de ta maman, sa belle-mère, et du fait qu’elle ne l’a jamais accepté, lui dis-jeprudemment.
Shanepoussaungrandsoupir.– Non, elle le détestait, et avec lui, tout ce qu’il représentait. Elle considérait que sa vie était
parfaiteavantquelamèredeGraysonneseprésenteàsaporte.Jen’étaispasnéàl’époque,maisellel’asouventditaufildesannées.Quantànotrepère,ceen’étaitpasunpapapoule,mêmeavecmoi.MaisilétaitparticulièrementfroidavecGrayson,commepourmontreràmamèrequ’ilreconnaissaitsonerreur.Detoutefaçon,pourelleiln’yavaitaucunmoyendeseracheter.
Shanesetournasoudainversmoi.–Jesuisétonnéqu’ilt’aitparlédetoutcela.Ilnel’ajamaisévoquéavecpersonne,pasmêmeavec
moi.Jehaussailesépaules.– Ilme l’a raconté avec beaucoup de détachement, comme s’ilme parlait de la pluie et le beau
temps.Shanesouritironiquement.
–Crois-moi,Graysonn’estpastrèsexpressifmaisausujetdesonpèreetdesabelle-mère,ilesttoutsaufdétaché.J’étaislàetjepeuxtel’affirmer.
J’acquiesçai,sanstropsavoirquoidire.Jesavaisjustequ’ilnefallaitpasquejecreuseplusetquej’enapprennedavantagesurlesmalheursdeGrayson,sinonjetomberaisencoreplusamoureusedelui.C’estcommecelaquefonctionnaientlesfemmes,etjenefaisaispasexceptionàlarègle.Eneffet,qu’yavait-ildeplussexychezunhommequedesabdosetuncœurmeurtri?Ondevraitlesmettreenbouteilleetlesvendreparmilliers!Oupeut-êtreécrireunlivre:Abdosetcœurmeurtri:Labibledel’attrape-gonzessespourvous,leshommes.J’auraisrisijen’avaispaseuautantenviedepleurer.
IlétaitmaintenantplusclairquejamaisGraysonnem’aimerait,mêmes’ilarrivaitàtournerlapagedesonhistoireavecVanessa.Soncœurétaitentourédeglace,etj’auraisétébienfolled’espérerlafairefondreunjour.
–Nesoispassitriste.Onaaussiquelquesbonssouvenirsici.Notreenfancen’apasétéfaitequed’horreursetdetraumatismes.Onavaitaussil’habitudedevolerdescookiesàCharlotte,etonembêtaitsouventWalterpouressayerdeluisoutirerunsourire.
Jerismalgrémoi,toutenfronçantlessourcils.–Mercid’avoirpartagétoutçaavecmoiShane.Çametouchebeaucoupquetuaiesassezconfiance
pourteconfieràmoi.Ilm’étudiauninstantavantdemefaireungrandsourire.Sansréfléchirjepassaimesbrasautourde
luienpensantaupetitgarçonqu’ilavaitété,seuldanslenoiravecsoncourageuxgrandfrèrequivenaitluiprendrelamain.Iléclataderireetmeserracontrelui.Commejemedégageaisdenotreétreinte,ilmedit:
–Jesuissurtout…–Tum’asdéjàvoléunefemme,tut’imaginesquetuvaspouvoirenprendreuneautre?interrompit
Grayson.Nous nous sommes tous deux levés très vite comme si on venait de faire une bêtise. Jeme suis
écartéedeShane.–Graysononétaitjuste…–NetemêlepasdeçaKira,dit-il,enfixantShaneavecunregardfurieux.–Putain,Gray,s’exclamaShane,incrédule.Onétaitjusteentraindeparler.GraysonserapprochadeShane,lamâchoirecontractée.Monsoufflesebloquadansmagorge.Jene
savaisplussijedevaispleurerouluibalancern’importequoiàlatête.–Jecroissavoircommentonfaitpourparler,ditGrayson,d’unevoixposéemaisglaciale.Etça
n’engagenilesbras,nilecorps.Alorsexplique-moi,Shane:j’airaison?Une,cen’estpasassez?TuveuxaussiséduireKira?
Shanesemitàcrier.–SéduireKira ?BonDieu, tu es vraiment débile quand tu es jaloux.Tupenses vraiment que je
voudraisdraguertafemme,espèced’idiot?J’aperçusVanessaetCharlottequicouraientalorsversnous.
LamâchoiredeGraysons’étaitencorepluscrispéeenentendantlemotjaloux.Iljetaunregardnoiràsonfrère,enl’observantlesyeuxmi-clos.
–Jaloux?Tupensesquejenetefaispasconfianceparcequejesuisjaloux?Tunetedispasquec’estparcequetuesunenfoirédetraître,unputaindementeur?Jenesuispasjaloux.
Ilserapprochad’unpas.–Cen’estmêmepasmavraiefemme.Ons’estmariéspourl’argent,grogna-t-il.Jeprisunebrusque inspirationquime lacéra lagorgecommedes lamesde rasoir etmonvisage
commença à brûler. Trois paires d’yeux convergèrent vers moi dans un silence de plomb. Shane etVanessa étaient choqués, Charlotteme regardait, attristée. Grayson, quant à lui, fixait toujours Shane,maisilfinitparmejeteruncoupd’œilencomprenantquel’attentionétaitfixéesurmoi.Sonexpressionchangeabrièvementcommes’ilvenaitderéalisercequ’ilvenaitdedire.
–Kira…commença-t-ilJ’avaisdéjàtournélestalonsetjecourais,loindesregards,loindujugement,loindelahonteetde
cettedouleurintense.Loin.
CHAPITRE18
GRAYSONJ’étaisunidiot.Unidiotjaloux.Shaneavaitraison.J’étaistombésurKiraetluidanslesbrasl’un
de l’autre et j’avais perdu la tête. Je m’étais complètement fermé depuis que Vanessa et lui étaientarrivés. J’avaismême ignoréKira, après être allé dans sa chambre pour coucher avec elle alors quej’étaiscomplètementbourré.J’étaislaseulepersonneàblâmersielleétaitalléechercherduréconfortauprèsdeShane.Shane, qui avait toujours été un séducteur extraverti. Shane, qui n’avait jamais déçupersonne.
Jeneveuxpasdetoi.Jeneveuxpasdetoidutout.Personneneveutdetoi.Personnen’ajamaisvouludetoi.Biensûrqu’elleétaitàl’aiseetensécuritéavecShane,quineleseraitpas?Unenouvelledécharge
dejalousiemefouettaledosetjegrinçaidesdents.Jamaisjen’avaisétéjalouxàcaused’unefemme,maislebesoindepossessionquej’avaiséprouvéenvoyantKiraetShanes’étreindrem’avaitpousséàbout.Jelesavaisobservéscettesemaine,jelesavaisvussepromenerdanslapropriété,discuter,riremêmeparfois.Unsentimentprochedudésespoirm’envahissait.Ilfallaitquejemeressaisisse.Pourquoiétais-jejalouxaprèstout?Mêmesicen’étaitplusd’actualité,elleavaitacceptédevenirdansmonlit,alorsqu’est-cequejevoulaisdeplus?Est-cequej’étaisénervéparcequej’avaissabotécetterelation,aumême titre que j’avais toujours saboté ce qu’il y avait de positif dans ma vie ? Ou bien était-ceuniquementparcequeShanem’avaitvoléVanessa?Jenem’étaispasautoriséàypenserdepuisqu’ilsétaientarrivés.Aulieudeçaj’avaissimplementdécidédemerenfermer.
Pire même, dans un effort ridicule pour prouver que je n’étais pas jaloux, et, je devais lereconnaître, peut-être également pour faire du mal à Kira, j’avais balancé la cruelle vérité sur notremariage. La blessure profonde et l’humiliation que j’avais vues dans ses yeux me culpabilisaientaffreusement.Encoreunhommedanssaviequil’utilisaitcommesouffre-douleur.Etmerde.Ensuite,elleétaitpartieencourant.Jel’avaischerchéepouressayerderéparermeserreurs,aprèsavoirlaisséShane,VanessaetCharlotte,bouchebée.C’étaitunsacrébordel.J’étaisunsacrébordelàmoitoutseul.C’étaitcommesij’avaisretenudelalavetoutelasemaineetquemaintenantlevolcanexplosait.
Qu’est-cequiavaitfaittournercettehistoireaucauchemar?J’avaisrencontréKiraDallaire,voilàcequim’étaitarrivé.
Je la trouvai dans la partie sud de la propriété. On aurait dit qu’elle ramassait des abricots. Jerêvais,oubienest-cequ’elle lesmettaitdanssontee-shirt?Jesuisresté làà l’observeruneseconde.Ellesautillaitentrelesfruits,sepenchaitetlesramassait,enenhumantundetempsentemps.Qu’est-cequelapetitesorcièrepouvaitbienavoirentête?Jecomprenaissoudainquej’étaiscomplètementnoué.Pourquoiest-cequemonexaspéranteépousemefascinaitàcepoint,mêmequandj’avaisunebouledansle ventre ? Je m’approchai d’elle lentement. Au moment où j’arrivais à l’endroit où des centainesd’abricots tropmûrs jonchaient le sol, elle avait dix ou quinze fruits qui pesaient dans son chemisierqu’elleavaitretournépourfaireunesortedepochekangourou.
–Kira,dis-jelepluscalmementpossible.Qu’est-cequetufais?–JeramassedesfruitspourlaconfituredeCharlotte,cellequetuaimestantetquiterendheureux.
Jevoulaisenfairedepuisledébutdelasemaine,maisentrelerangementdetonbureau,lapréparationd’unefêtequitepermettrad’entrerdanslabonnesociétédeNapa,tafamilleàgéreretletempspasséàessayer de trouver la façon d’échapper à certaines questions de Shane et Vanessa…D’ailleurs, en ypensant,jetiensàteremercierd’avoirlaissééchapperlavéritéparcequetum’enlèvesunpoids.Tunepeuxpassavoiràquelpointjemesenssoulagéedeplusavoiràmentir!
–Kira,dis-jeenm’approchant.Jesuisdésolé.C’étaitmaladroitdemapart.–Deplus,reprit-ellecommesiellenem’avaitpasentendu,quelgâchisdenourriture!Ilyades
gensquin’ontpasassezàmanger,mêmeprèsdenous,ici,àNapa.Etlà,ilyatouscesfruitsquijonchentlesolcommesic’étaitnormal.C’estscandaleux,vraiment.
–Kira,répétai-je,enmerapprochantunpeuplus.Elleseretournaversmoi,sescheveuxlongsetonduléscaressaientsondosetdesmèchesbouclées
tombaientsursonvisage.Sesyeuxvertsétaientfurieux.Onauraitditunetempêtetropicalesurlepointd’exploser.Sesjouescramoisiesindiquaientclairementqu’elleétaitfollederage.J’apercevaislebasdesonventre,puisqu’elles’étaitfaitunpanierdefortuneavecsonchemisier.Jeretenaismarespirationenla voyant.Elle était le plus bel animal sauvageque je n’avais jamais vu, etmon instinct primaire eutbrusquementledésirdeladompterimmédiatement,ici,maintenant.
Je savaisqu’il fallait que je rampeà sespieds, etmonDieu, elleméritait biencela.Mais aprèsavoirpasséunesemaineàla teniràdistance,enlavoyantmaintenantfaceàmoi, toutfeutoutflamme,ellemefitperdrelecontrôlecommeelleseulesavaitlefaire.
Je m’avançai vers elle et ses yeux s’écarquillèrent. Elle fit tomber tous les fruits qu’elle avaitrécoltésdanssonchemisier.Desabricotsmousettropmûrss’écrasèrentausolenluiéclaboussantlespieds.Ellem’appartenait.Lajalousiequej’avaisressentieenlavoyantdanslesbrasdeShanemebrûlaità nouveau et je la plaquai contre mon corps. En la regardant, je réalisai à quel point je la désiraidésespérémentetcommeilavaitétédurdepassercesderniersjourssanselle.J’étaisànouveaujalouxetvulnérable.J’avaisdésespérémentenviequ’elleapaisemonangoisse,qu’ellesoignecettepartieblesséedemoncœurqu’ellepensaitdigned’êtreaimée.Jevoulaisqu’elleaitenviedemoi,aussi.Mais jenesavaispasexprimertoutescesémotions,nicommentluidemander.Surtoutavectoutcequej’avaisàme
faire pardonner. Jeme suis donc exprimé de la seulemanière que je connaissais. Jeme suis emparéd’elleetj’aiposémeslèvressurlessiennes.
J’avaisprévudenel’embrasserqu’uneseulefoispuisdelalaisserpartir,maislegoûtdeseslèvrespulpeusessurmaboucheaalluméuneflammedansmonbas-ventre.Jel’aiserréecontremoiincapabledemedétacherd’elle.Elles’estdébattuependantuncourtinstant,sesbrasmerepoussant,alorsquejeraffermissais ma prise. Puis elle s’est mise à sangloter et a passé ses bras autour de mon cou, enm’embrassant à son tour avec passion. J’enroulaima langue autour de la sienne.Le goût de sa saliveapaisaitma douleur etme procurait un sentiment de paix intérieure comme je n’en avais pas ressentidepuisuneéternité.Peut-êtremêmeétait-celatoutepremièrefois.
Avantquejenepuissemeperdredanscebaiser,Kiramerepoussaviolemment.Elle trébuchaenreculant,seslèvresétaientmeurtriesetsesyeuxdésormaispleinsdedouleur.
–Kira,dis-je,enremarquantletonsuppliantdemaproprevoix.Viens.Ellereculaencore.–Non.J’hésitais.Quevoulait-elle?–Onserejointaumilieu.Jemontraisdelatêteunemarquesurl’herbeentrenous.–Non,cracha-t-elle,rebelle.Unevaguedecolèrem’envahit.Jenepouvaispaslalaisserpartir.Jeladésirais,moncorpsentier
vibraitpourelle, j’avaisbesoindelaposséder.Jamais jen’avaisautantvouluunefemme.Merde,quecette petite sorcière aille au Diable ! Qu’est-ce qu’elle me voulait ? J’allais essayer de l’attraper ànouveau,quandellesebaissabrusquementpourramasserquelquechose.Jesentisalorsunabricotmouetjuteux heurter mon front. Le fruit écrasé coula sur mon visage. Je restai un moment pétrifié puis,incrédule,jepassaiunemainsurmonfrontoùmondoigtrecueillitunpeud’abricot.
–Tumecherches,petitediablesse,dis-jeenlaregardantdanslesyeux.J’attrapaiàmontourunabricottropmûretlejetaisurelle.Ellepoussaunpetitcristridentquandle
fruit s’écrasa dans son décolleté, puis semit à dégouliner sous son chemisier. Elle resta bouche bée,stupéfaitequejel’aiimitée.
–Çateplaît,salemonstrevisqueux,siffla-t-elle.Commençaalorsunebatailled’abricots.Unemultituded’émotionsmetraversaientquejen’arrivais
pasà identifier. J’avais lesangchaud,commesi l’indifférenceglacialedans laquelle jem’étaisdrapécesderniersjoursavaitcomplètementfondu.Desfruitsfusaientautourdemoi,lapluparts’écrasaitenmeheurtantdepleinfouet,leurjussucrécommençaitàcoulersurmescheveuxetsurmoncorps.Nosdeuxvolontéss’affrontaient.JedevaiscertainementressembleràKira,quiavaitl’airdes’êtrerouléedansunebassine de confiture.Dès qu’elle s’arrêta pour reprendre son souffle, jeme suis jeté sur elle et nousavonsroulésurl’herbe.J’étaisallongésurelleetundésirirrépressiblemontasoudainenmoi.Jenesuispassûrdesavoirquicommençaàembrasser l’autre,mais jecroisquec’étaitelle.Nousnoussommesjetésl’unsurl’autre,nousdévorantdeslèvres,delabouche,gémissant,nosdeuxcorpscollés.J’aiglissé
mamainsoussachemisepourcaressersapeaudouce,souple,etelles’estcambréesousmoi.Jesentaisses pulsations s’accélérer sous ma paume posée contre son cou. Mon désir pour elle me consumait,ravivant l’incendie qui ravageait mon cœur. Ma sublime, mon exaspérante petite sorcière. Tellementcompatissanteetgénéreuse.Obstinéeetrebelle.
–S’ilteplaît,Gray,dit-elle,haletante,enagrippantàmachemise.J’articulaipéniblementenfrottantmonbas-ventrecontreelle:–Oui,dis-moi.DisquetuasenviedemoiKira,s’ilteplaît.–Oui,j’aienviedetoi.J’aienviedetoiàenmourir.Mon soulagement fut intense et féroce. Mon Dieu, elle me faisait complètement craquer. Je ne
pouvaispasattendreunesecondedeplus.Monsexepalpitait impatiemmententremescuisses.J’allaisenfinlaprendre,qu’onsoitallongésdansl’herbeoupas.
–OhmonDieu,s’exclamaunevoixféminine,toutprèsdenous.–Qu’est-cequec’estquec’est…?dituneautrepersonne.–Pourl’amourde…–Ehbienjen’aijamaisrienvude…Noussommesrestés lesyeuxdans lesyeux,attendantque lebrouillarddenotredésir se lève. Je
plissaislesyeuxàcausedusoleil,etjen’arrivaisàdistinguerquelescontourssombresdesixpersonnesqui planaient au-dessus de nous. Abasourdi, il me fallut quelques minutes pour me remettre de mesémotionsetreprendrelecontrôledemoncorps.Kira,quantàelle,s’étaitéloignéedemoicommesijelabrûlais.Unefoisqu’ellefutdebout,jemeredressai.Unabricotécraséglissademonvisagesurmonbras.
Quandjefusenfincapablededistinguerlesvisagesfaceàmoi,mesyeuxpassèrentdeCharlotteàWalter, puis à Shane, et enfin à Vanessa. Il y avait aussi une femme aux cheveux roses que je neconnaissaispas,etpourfinir,unautrevisagefamilier,celui-ci.
–Harley,dis-je,surprisetravi.Harley, un gros nounours couvert de tatouages, toujours aussimassif et inquiétant que dansmon
souvenir,s’avança.–Çaalors!Jen’enrevienspas.Maiscommentest-cepossible?J’enbafouillais,m’avançantpourluiserrerlamain,moncerveauessayantdecomprendrecequise
passait.JemeforçaisàchasserKiraleplusloinpossibledemespenséespourrécupérerquelquefacultémentale.
–Commentes-tuarrivéici?J’essuyaimamaincollanteetpleinedefruitssurmonjean.Sanssuccès.Harleymefixaunmomentavantd’éclaterd’unriregraveetchaleureux.–Mec,j’suissortiy’aunmois.Ilmedévisageadehautenbas,exprimanttouràtourledégoûtetl’hilarité.–Mais ce qui m’intéresse vraiment, c’est de savoir ce qui t’est arrivé. On dirait que tu t’es…
englué.Kiras’approchaalors.Elleétaitpresqueméconnaissabletantsonvisageétaitcouvertd’abricot.
–Attendez,Harley?Harley?Elleétaitsisurprisequ’ellenetrouvaitplussesmots.Harleyluilançauncoupd’œil.–Kira?Matêteallaitdel’unàl’autre.–Vousvousconnaissez?demandai-je,trèsétonné.Touslesautresfaisaientcommemoietlesobservaient.Ilnemanquaitplusquelepop-corn.–OhmonDieu!s’écriaKiratouteexcitée.EllecourutversHarleyindifférenteaufaitqu’elleallait
l’enduire de la même purée collante que celle dont elle était recouverte. Il ne l’arrêta pas, bien aucontraire,etellesejetadanssesbrasenleserrantdetoutessesforces.J’auraispuêtreànouveaujaloux,maiscetteétreintefutrapideetHarleyluisouriaitavecuneaffectionamicale.
–Jenepeuxpascroirequetusoisici.–Oùvousêtes-vousrencontrés?demandai-jeencore.–Aucentred’accueil,dit-elle,sansmêmemeregarder.Matêtetournait,passeulementparcequeHarleyétaitunrappeldemonpassé,maissurtoutàcause
de la violente transition entre l’épisode fiévreux avecKira et la réunion demaintenant.D’ailleurs, lesilencedesautresquiregardaientlascèneparlaitpoureux:ilsétaientchoquéseuxaussi.
–Commentsefait-ilquevousvousconnaissiez,touslesdeux?–Nousnoussommesrencontrésenprison.–Oh, s’exclama-t-elle, en tournant enfin son regard versmoi. Puis elle reporta son attention sur
Harley–Tuasfaitdelataule,Harley?–Ouais,Kira, j’en ai fait, désolé de te l’apprendre comme ça.Ça s’est révélé être lameilleure
chosequimesoitarrivée,enfait.Lavieestbienfaite.Mêmesiaujourd’hui,dit-ilense tournantversmoi,jepriepourqu’ilyaituneplacepourtravaillerici.
–Tuasbesoindebosser?demandai-je.Biensûrquejepeuxtedonnerduboulot.Toutcedonttuasbesoinmonpote.
LevisagerondouillarddeHarleys’illumina.–J’espéraisquetudiraisça.Il se tourna vers la femme aux cheveux roses, vêtue d’une mini-jupe moulante en cuir et d’un
débardeurquisemblaitpeintsurelle.–Aufait,jeteprésentePriscilla.J’ai levé mamain collante pour lui expliquer pourquoi je ne lui offrais pas. Elle se mit à rire
doucementetdit:–Raviedeterencontrer,Grayson.Harleym’abeaucoupparlédetoi.ElleregardaittouràtourKiraetmoi,l’œilamusé.EllesouritensuiteàHarley.Charlotteserapprochaalors.
–Gray,peut-êtrequevousetKirapourriezallervouslaverde…enfin…vouslaveretensuitenouspourrionstousrejoindrelamaison?
Elleavaitl’airpleined’espoir.Jemesuisditqu’ilsavaientdûseprécipitericienpensantqueKiraetmoiétionsentraind’endécoudrephysiquementaprèscequis’étaitpasséprèsdulabyrinthe.C’était,aufinal,assezexact–bienquecelan’avaitpasétéviolent.Enfin,pascomplètement.
–C’estunebonneidée,non,Kira?Ellemeregarda,l’airindécis.–Oui,d’accord,dit-ellefinalement.Jelaretinsparlamanche.Elles’arrêta,leregardfixésurmamain.–Kira…–Nettoyonsdonctoutça,Grayson,dit-elledoucement,sanscroisermonregard,nemepermettant
pasd’essayerdeliresonexpression.Jehochailatête,etjelarelâchai.Nousnoussommestousdirigésverslamaison,Kiraentête.Harleymeracontacommentilm’avait
retrouvéici,àNapa,puisdécrivitlepetitappartementquePriscillaavaitàVallejo,lavillevoisine.–Jemesuissouvenuquetuvivaisdans lavalléedeNapa,etaupremiercoupd’œil, j’aisuque
j’étaisaubonendroit…C’estfoucequeletempspassevite.JeregardaiHarleyavecunepointederegrets.–Jesaisquej’aiunpeucoupélespontsetj’ensuisdésolé,maisunefoisarrivéici,j’aicompris
quej’allaiscroulersousleboulot,etj’aiviteétédépassé.–Jecomprends, tun’aspasà t’excuser.Tudisaissouventquec’étaitbeau ici,maisc’estencore
plusmagnifiquequecequej’avaisimaginé,dit-ilenbalayantd’unemainlescollinesvertvif,couvertesdevignes,etlamontagned’unebeautéàcouperlesouffle.
–Ledomainevabientôtretrouversasplendeurd’antan,dis-jedistraitementenregardantKiraquiapprochaitdelamaison.
Elleseretournabrusquement,commesiuneidéevenaitdeluitraverserl’esprit.ElleembrassaHarleysurlajoueetluipritlamain.–Jesuistellementheureusedetevoirsienforme,dit-elle,leregardembué.Jefronçailessourcils,maisellenemeregardapas,etellen’attenditpasnonplusqueHarleylui
réponde.Elletournalestalonsetdisparutdanslamaison,melaissantlesyeuxfixéssurl’endroitqu’ellevenaitdequitter.
–Grayson,ditShaneens’approchantdemoi.Aprèstadouche,etunefoisquetuauraspuprofiterdeHarleyetPriscilla,nousdevrionsdiscuterentêteàtête.
Vanessasetenaitderrièreluietsemordaitnerveusementlalèvre.MonDieu,c’étaitsûr.J’avaisrévéléqueKiraetmoiavionsarrangénotremariage.Maintenant,il
fallaitquejem’explique.Seulement,commentfairealorsquej’avaismoi-mêmedumalàcomprendre?Toutcelasemblaitclairecommedel’eauderoche,ilyapeu…Maismaintenant,lasituationétaitàpeuprèsaussigluanteetempêtréequejel’étaismoi-même.
–D’accord,marmonnai-jeenrentrant.Charlotte,veux-tubienprépareràHarleyetPriscillaquelquechoseàmangeretàboire?Jeredescendsdansuneminute.
–Biensûr,réponditCharlotteenlesaccompagnanttousdeuxverslacuisine.Je tentaid’ouvrir laportede lachambredeKira,maiselleétaitverrouillée,etquand je frappai,
elleneréponditpas.Elleétaitprobablementdéjàsousladouche.C’estcequej’allaisfairemoiaussi,avant de redescendre.Mais j’éprouvais d’abord le besoin de lui parler.Les choses étaient restées ensuspens,etjevoulaism’assurerqu’elleallaitbien.Jevoulaism’assurerqueNOUSallionsbien.
Jemedouchai,jetantenboulemesvêtementscollantsetlesenveloppantdansuneserviettepourlesapporteràlabuanderie.MonDieu,commentenétions-nousarrivéslà?Çarimaitàquoi?Aprèsavoirenfiléunjeanpropreetuntee-shirt,jemarchaipiedsnusverslachambredeKiraetfrappaidenouveauàsaporte.Toujourspasderéponse.Jetournaialorslapoignéequiétait,cettefois-ci,déverrouillée.Était-elledéjàdescendue?jejetaiuncoupd’œilàl’intérieurdelachambreetjeremarquaiimmédiatementremarquéquesavaliseavaitdisparu.Leventreserréparlapanique,j’entraidanslapièceenl’appelant.Le placard était ouvert, mais il n’y avait plus rien à l’intérieur, à l’exception de quelques sacs devêtementsremplisdevieilleriesappartenantàmabelle-mère.Aumomentoùj’allaismeruerdehors,jetombaisurunmotposésurlacommode,et,justedessus,labaguequej’avaisofferteàKira,etqu’ellen’avait pas enlevée depuis notre premier dîner.En la prenant, la lumière fit scintiller les facettes desdiamants.Qu’est-cequej’espéraisexactement,enluioffrantcebijou?Jen’étaispassûrdevouloirlirelemessage.
Grayson, je pense qu’il est clair aujourd’hui que nous devons prendre nos distances. Tu asbesoinde tempspour t’expliquer avecShane etVanessa, et je neveuxpas êtreunobstacleentrevous.Jeseraiàlafêtelasemaineprochainepourexécutermadernièremissionentantqu’épouse,ensuitejedéménageraipourdebon.KiraP.-S. Cette bague est celle de Vanessa, pas la mienne. Elle ne m’a d’ailleurs jamaisvraimentappartenu.
Jelaissaitomberlemorceaudepapier,lagorgenouée,ledosparcourudefrissons.Elleavaitditqu’elleavaitenviedemoimaiselleétaitpartie.Jemeretournaietdescendisl’escalier.Lesfrissonsquiétaientnésdansmacolonnegagnaientpeuàpeutoutmoncorpsetparalysaientmoncœur.Cesentimentglacialm’étaitfamilier.Jeleconnaissais,jeleméritais.Jesurvivrais.
En suivant les voix qui venaient de la cuisine, je retrouvai Harley, Priscilla et Charlotte tousattablés.Charlottecommençaàmecouperunmorceaudesongâteauaucaféetàlacrème,maisjelevailamain,refusantensilencesonoffre.Ellefronçalessourcils.
–Harleym’aracontécommentvousluiavezsauvélavie.Charlottem’adressaunregardtendreettristeàlafois.
Jepassailamaindansmescheveux.Jen’avaisjamaisparléàpersonnedemonséjourenprison.Jen’étaispasnécessairementdisposéàlefairemaintenant,maisjenepouvaispasvirerHarleycommeunmalpropre.Jeluidevaistant.Ilétaitlà,etilavaitvécucettehistoireavecmoi.
–Plutôtcommentilasauvélamienne,dis-je.–Nan,nan…Jenem’ensouvienspas,dit-il,sepenchantenarrièreetencroisantsesdoigtssursa
têtechauve.–C’étaituncoupdechance, et aprèsça, tum’aseudans lespattespour les cinqannéesquiont
suivi,ai-jedit,lagorgeserrée.Situn’avaispasétélà,jeseraismortlà-bas.Etc’étaitvrai.Quandnousétionsarrivés,j’étaissouslechoc,incapabledecroirequej’allaisfaire
cinqansdetaulealorsquemonavocatm’avaitassuréquejeferais,aupire,sixmoisdetravauxd’intérêtgénéral. J’étais dans la cour avecHarley, que je ne connaissaismême pas à cemoment-là, quand unéclairbrillantm’avaitattirél’œil.Instinctivement,j’avaisréagietcelaavaitdonnéletempsàHarleydesetourneretdedésarmerl’hommequi,autrement,l’auraitpoignardéavecunelamedefortune.Àpartirde ce jour,Harley, qui avait fait plusieurs passages enprison et connaissait bien le système carcéral,m’avaitprotégédetoutessortesd’horreurs.
–Ehbien,vousfaitespartiedelafamillealors,ditCharlotteavantdedétournerlesyeux,leregardembuédelarmes.
HarleyfitunsignedetêteàCharlotteetluiadressaunsourirechaleureuxavantdemeregarder.–Etmaintenant, dit-il. J’arrive ici, et je te retrouvemarié àKiraDallaire. La vie est pleine de
surprises.Jetentaid’acquiescerparunpetit«oui»maisilrestacoincédansmagorge.Jedécidaidenepas
mentionnerlescirconstancesdenotremariage,oulefaitqueceseraitbientôtfini,detoutefaçon.Harleymefixaitavecunairque je luiconnaissaisbien. Ilpouvaitparaîtregrosetméchant,mais
c’étaitunfinobservateur.C’étaitsûrementliéaufaitqu’ilavaitgrandidanslesruesdeSanFrancisco.Ilm’avait racontéqu’onavaitdeuxsolutions : soit anticipercequ’unepersonnepourraitvous faire, soitdevenirsavictime.
–TuveuxquejeteraconteunehistoiresurKira?–Biensûr,dis-je,pasvraimentsûrquej’enavaisenvie.Harleyhochalatête.–Ilyaenvironsixans,j’étaisdansunemauvaisepasse.Ils’arrêtaetregardaPriscillaquilefixaitavecsympathie,puispritsamaindanslasienne.–Jen’arrivaispasàm’arrêterdeboire,j’avaistoutperdu,emportantdansmachutetousceuxqui
m’aimaient…J’avaisenviedemettrefinàmesjours.–MonDieu,Harley…murmurai-je.Jen’étaispasaucourant.Ilmeréponditparunsignedetête.–C’estdifficiled’admettre àquelpoint j’étais faible, àquelpointmavie avait peudevaleur à
l’époque,mais c’est la vérité. Je suis allé au centre d’accueil pour ce que j’avais imaginé êtremondernierrepas,etc’estlàquej’airencontréKira.Elledevaitêtreadolescenteàl’époque.
Uneadolescente.Lesadolescentsn’étaientpascaractérisésparleuraltruisme.MaisKiraavaitétégentille,déjààcemoment-là…
JemeconcentraiànouveausurcequeHarleydisait.– Ellem’a servi un peu de nourriture et s’est assise avecmoi. Nous avons bavardé pendant un
moment.Elleavaitapportéuneboîtedemagiepourdivertir lesenfantsetellem’afaitquelques tours.Elleétaithabitéeparsonrôle.Elleétaitpleinedevie,vousvoyezcequejeveuxdire?
Oui,jevoyais.–C’était la première fois que je souriais depuis longtemps, et ellem’a dit que si je revenais le
lendemain,ellem’expliqueraitletruc.Maisc’estlesimplefaitquequelqu’unm’aitdemandéderevenir,et semblait le vouloir assez pour m’y inciter en me promettant les solutions à des tours de magieridicules, qui m’a fait revenir ! Le lendemain, elle m’a refait des tours pour continuer à capter monattention.C’estlàquejemesuisrenducomptequejen’avaisaucuncentred’intérêt.Etcesimpleconstatm’adonnél’espoirdontj’avaisbesoin.J’aidonccontinuéàvenir,etjesupposequec’estgrâceàcelaquejesuistoujoursenvie.Voilà.
Dieu,queçaluiressemblait,c’étaitmêmeduKiratoutcraché!J’aisentimoncœurbattredansmapoitrineetlaglacequil’entouraitacommencéàfondre.Jen’arrivaispasàsavoirsij’étaisfâchéounon.Petitesorcière.Oùétait-elle?
Harleyacontinué:–Maisjen’étaismalheureusementpasencoreprêtàchanger.J‘aidonccommisquelqueserreurs,et
j’aifinipardevenirtonpartenairedeprison.Maisjeteledis,etDieum’enesttémoin,siKiranem’avaitpassauvélaviecejour-là,tun’auraispaseuàmesauverànouveauàtontour.Etjen’auraispasnonplusétélàpourtesoutenirlemieuxquejepouvaisderrièrelesbarreaux.C’estdrôlecommeleschosessontliées,n’est-cepas?Drôle,commeuneviepeutenaffecteruneautre,etainsidesuite.
–Drôledehasard.Harleyclignadesyeux.–Situcroisauhasard.Ilfitunepauseetesquissaunsourire.–Ehbien,écoute,monpote,onauraletempsderessassernosvieuxsouvenirs.Maissijeveuxêtre
enformepourbosserdemainmatin,jeferaismieuxderentrermereposer.Priscilladoittravaillercesoir.–Oh,ditCharlotte.Quefaites-vous,machère?–Jesuisdanseuseexotique,dit-elleensouriant.–Oh,unedanseuse,charmant!réponditCharlotteenjoignantsesmainscommesiPriscillavenaitde
luidirequ’elleétaitmeneusederevueàBroadway.Jem’éclaircislavoix,etsourisàHarleyetPriscillaenmelevant.–Jenepeuxpasvousdireàquelpointjesuiscontentquetum’aiesretrouvé.C’estbondetevoir.–Toiaussi,monfrère.Nousavonsfaituncheckcommenouslefaisionsenprison.CharlotteaprisHarleyetPriscilladans
sesbras, et les aaccompagnés jusqu’à laporte.Après leurdépart, et avantquequiconquen’aitpu se
demanderoùj’étais,j’aiprismesclefsetjesuissortiparlaportedederrière.Puisj’airejointmonpick-up,direction:laville.J’avaisuneépouseàretrouveretquelquescoursesàfaire.
***
–Ah,vousêtesderetour!ditCharlotteenbrandissantlacorbeilledelingedemasalledebainsetdeuxchemisesqu’elleavaitévidemmentrepassées.
Je regardai par la fenêtre sans même lui répondre. Je l’ignorais d’ailleurs depuis une semaine,surtoutàcauseducoupqu’ellem’avaitfaiteninvitantShaneetVanessa,m’obligeantducoupàsupporterleurprésence.
Jevenaisde rentrerdemonpetit touràNapaà la recherchede lavoituredeKira.L’histoiredeHarleym’avait convaincud’aller la retrouver,mais jen’auraispeut-êtrepasdû.Elleavaitditqu’ellem’envoulait.Peut-êtreétait-ceuneréactionàbrûle-pourpoint?Oubiencelaavait-iluneraisonpurementphysique?Oualors,elleavaitmenti.Oubien…Bref…Lerésultatétaitqu’ellen’étaitpaslà.
Ellem’avaitquitté.Jeneveuxpasdetoi.Jeneveuxpasdetoi,dutout.Sivousaviezdavantagedevaleurs…Peut-êtrequ’elleétaitalléejusqu’àSanFranciscopourretrouverKimberly.Elleavaitditdansson
motqu’elleseraitderetourpourlafête,pourtant.–Ehbien,quandvousaurezfinidevousnoyerdanslesregrets,ledînersera…LesmotsdeCharlottes’arrêtèrentbrusquementaumomentoùjelevailesyeuxverselle.Elleétait
debout près de la porte du placard en train de suspendre les chemises repassées. Elle se tournabrusquementversmoi.
–Alors, voilà comment vous vous voyez, leméchant.Ou attendez, peut-être la victime.Ou bienmêmelecapitaineCrochetfaceàvotrePeterPandefrère,c’estça?demanda-t-elleentenantlecostumequej’avaisétélouéaprèsavoirmonéchecàlocaliserKira.
Iln’yavaitqu’unmotpourdécrirel’expressiondesonvisage:déception.Ladéceptiontotale.–Commentveux-tuque jem’habille,Charlotte ?Enprince ?C’est justeune fête stupide, çan’a
aucunsens,etenplus,jenesuispasunprince.–C’estunefêtequevotrefemmeagénéreusementorganisée.Jelafusillaiduregard.–Mafemmeestpartie,ellem’aquitté,ellenerevientquepourlafêteetelles’envajusteaprès,
pourtoujours,commenousl’avionsprévu.Commenousl’avionsprévu.Charlottesemblachoquéependantunbrefinstant.Ellem’observa,leregardinquisiteur.Ilrégnaitun
silencedeplomb.–Maiscen’estpascequevousaviezprévu,n’est-cepas?
Charlottes’approchademoietmetenditlamain.Jem’ensaisisetellelaserraentrelessiennes,sonparfum,unmélangedepâtisserieetdetalcmeréconforta.
–Ah,mongarçon,vousvousêtesfaitmalentombant,n’est-cepas?–Entombant?demandai-jeenretirantmesmains.Commentça?–Entombantamoureux.DeKira.Devotrefemme,dit-elleenmesouriantgentiment.Jedéglutisetmetournaiverslafenêtre.–JenesuispasamoureuxdeKira,insistai-je,maislesmotsétaientfragiles,commes’ilsn’avaient
aucunpoidsetflottaientdansl’air.Charlottesoupira.–Par tous les saints,vousêtes tous lesdeuxsi têtus !Vousméritez justed’êtreenchaînés l’unà
l’autrepourlavie.C’estunmiraclequ’àcausedevoshistoires,jenemesoispasmiseàboire.Je ricanai. Je n’étais pas amoureux de la petite sorcière. L’étais-je ? Non, impossible, mes
sentimentspourelleétaienttrop turbulents, trophorsdecontrôle,aussi. Ilsétaient terrifiants.Peut-êtrequej’étaisobsédéparelle,enchanté,séduit.Maisamoureux?Non.
–Ellemerendfou,dis-jeenmetournantversCharlotte.Quandnoussommesensemble,nousnouscomportonslaplupartdutempscommedesenfantsintenables.
Et sinon comme des amants désespérés, incapables de s’éloigner plus d’une seconde l’un del’autre…
Charlotteclaquasalangueethochalatête.–Nousdevrionstousêtredesenfantsquandils’agitd’amour,ouvertsetvulnérables.Elles’arrêtauninstant.–JeneconnaispastoutdupassédeKira,maisjesaisquevousavezdebonnesraisonsdeluiouvrir
votrecœur.Etaussiunebonneraisondevouloirchoisirquelqu’unquin’inspirepasunetellepassion,unetelleintensitéetunetellepeur.Mais,Grey,cessentimentssignifientquevousl’aimez…Pourceuxquiontétéblesséscommevousl’avezété,commeKiraaussiprobablement, l’amour, levrai,peut-êtreuneperspectiveeffrayante.C’estleplusgrandactedefoipossiblequecroireenl’amour.
Je passai la main dans mes cheveux. Je n’en pouvais plus. Je ne savais même pas par oùcommencer,nisurquoimeconcentrer.J’étaistirailléentremacolèreetmondésirdésespérépourKira.
–Jepensequ’unbondébutseraitdéjà…deparleràvotrefrèreetàVanessa,etdelesécouternonpasavecvotreressentiment,maisavecvotrecœur,ditCharlotte,commesiellelisaitdansmespensées.
Ellemerepritlamain.–Etgardezentêtequel’amourn’estpastoujourssimpleetfacile.Ilpeutblesser.L’amourobligeà
s’ouvriretàlaisserentrerl’autrejusqu’àlaplusintimepartdenotreêtre.Carlevéritableamourestunefleur,maisquiportedesépines.
–C’estvrai.Piquant,etdouloureux.Le riredeCharlotte sonna joyeusementcommedesclochesdansunecathédrale.Ellemeserra la
mainavecforce.
–Piquant,oui,acéréaussi,maispastoujoursdouloureux.Ilmetànupourmieuxnousguérir,Soyezcourageux,nelecombattezpas…Rendezlesarmes,mongarçon.
Ellesehaussasurlapointedespiedspourm’embrassersurlajoue,jemepenchailégèrementpourlalaisserfaire.Puisellesouritgentimentets’enalla.
L’amour n’est pas toujours simple et facile. Est-ce pour cela que j’avais choisi Vanessaauparavant ? Parce quemes sentiments pour elle étaient tièdes ?Dès que jeme posai la question, jecomprisau fonddemoique la réponseétaitoui.ShaneetmoiavionsgrandiavecVanessa.Elleavaittoujours étéuneamie,belle etdouce. J’avais remarqué la façondont,Shaneet elle, se regardaient enespérantquel’unferaitunpasversl’autre.Maisilsnes’étaientrenducomptederien.Pourtant,alorsqueje le savais, j’avais dragué Vanessa, sachant que Shane ne m’en empêcherait pas. J’avais hontemaintenant.
Jelavoulaisparcequ’avecellejecontrôlaisparfaitementmessentiments,quecegenrederelationpaisible,sansrisques,sansépinesétaitprécisémentcequejerecherchaisàcemoment-là.Aprèsavoiressayédegagnerunamourqu’onnemerendaitpas,jemesuisretrouvétoutseulàespérerlebonheur.Jenevoulaisplusdeçà,plusattendreenespérant.Çafaisaittropdemal.J’avaisdoncchoisiquelqu’unquinem’inspiraitriendetoutça.Vanessaavaitététropgentillepourdirenon.Et,quelquepart,aufonddemoi,j’avaisressentiunecertainesatisfactionenprenantquelquechosequejesavaisreveniràShane.Jeluiavaisdonnétoutemavie,j’avaisfaitensortequ’ilnesouffrepascommemoij’avaissouffert.J’avaisméritéVanessaplusquelui.Seigneur.C’étaitmonfrèreetjel’avaistrahi,mêmes’ilnelesavaitpas.Etje n’avais pas pensé à elle non plus.Mes sentiments tièdes auraient-ils suffi ? Bien sûr que non. Àl’époque,jeregardaistoutavecunesortededétachementfroid.Avecsachaleuretsonexubérance,Kiraétaitlaseulequiavaitétécapabledem’enfairesortir.Vanessaetmoin’aurionsjamaisétéheureux.Jem’étais dit qu’il ne serait jamais nécessaire de lui confiermes secrets parce qu’elle connaissaitmonhistoirefamiliale,maislavéritéétaitquejenelevoulaispas.Jen’avaisjamaiseubesoindepartagermonjardinsecretavecelle,etjenel’avaisalorspasfait.Sijel’aimais,cen’étaitquecommeuneamie.
Elle m’avait dit qu’elle voulait se réserver pour le mariage. À ce moment-là, j’avais déjà eutellementdefemmesdansmon litquecelam’avaitsemblénormald’attendremafemme.Probablements’était-elleréservéepluspourShanequepournotremariage,qu’elleenaiteu,àl’époque,conscienceoupas.Maismaintenant…Dieumerci,jen’avaisjamaisfaitl’amouràlafemmedemonfrère.Aujourd’hui,lepeuqu’onavaitfaitmesemblaitdéjàincestueuxetabsolumentrépugnant.
Une fois que j’avais été incarcéré, ils s’étaient trouvés. En réalité, je n’avais souffert que d’unsentimentdetrahison.J’avaissurtoutpleurélapertedel’unedesrarespersonnesquiavaittoujoursétéauprèsdemoi:monpetitfrère.Depuis,jenem’étaispluspermisderessentirquoiquecesoit.Etpuis,Kiraétaitarrivée,chamboulantmesémotionsetmeforçantàassumermesdésirs.Ellememaintenaitdansuntelétatquejenepensaisplusàmeprotéger.Deplus,dèsquejetentaisd’érigerdenouveauxmurs,ellelesdétruisait.Àchaquefois.
Kira,quinefaisaitrienàmoitié.Kira,quiavaitsouffertautant,voireplusquemoi.
Soudain,jemesentisencoreplusmisérable;noshistoiresavaientbeaucoupdepointscommunsetmêmesielleavaitétégravementmaltraitée,Kiraavaitchoisid’embrassersondestin,pleined’espoir,d’optimisme,etavecunegénérositéstupéfiante.Etmoi?Moijem’étaisretiréetenveloppédefroideur,jem’étaiscentrésurmespropresdésirs.Contrairementàmafemme,j’avaisétélâche.
Pourtant,j’avaisenvied’allermieux.Jevoulaisêtredigned’elle.Etjeladésirais.Passeulementsoncorps.Elle.QueDieumevienneenaide…Jevoulaissoncorps,oui,maisjevoulaistellementplusquecela.J’avaisenviedesonapprobation,deconnaîtresespensées,sessecrets.Etjevoulaiscontinueràluiconfierlesmiens.
Jeme laissai tomber lourdement sur le lit.Je l’aimais.Kira, belle, envoûtante avec ses cheveuxardentsetsesyeuxverts.Kira,quim’avaitramenéàlavie.Kira,lemélangeparfaitdevulnérabilitéetdedéfi.Kira.Mafemme.
J’entendis unpetit bruit degriffes qui glissaient sur le parquet.Sugie poussadumuseau la porteentrouverte,ettrottinaversmoi.Elleémitunsontrèsdouxetaulieudebaissersatêtemutilée,ellelaposasurmongenou,mefixantdesesyeuxprofonds.Jeluigrattail’oreille.
–Que tu es belle,ma Sug, dis-je, en la félicitant d’avoir su trouver un chemin vers le bonheur.Quandsuis-jetombéamoureuxdeKira?demandai-jeauchienquemafemmem’avaitoffert.
Sugienem’offritaucuneautreréponsequ’unpetitgémissementsatisfait.Quandétait-cearrivé?Lapremièrefoisoùellem’avaitappeléDragon?Étaient-cecesstupidesratsdontlenomcommençaitparO?Lapremière foisoù je l’avaisembrassée?Oupeut-êtreen la regardant joueraveccesenfantsaucentred’accueil,sescheveuxvolantfollementautourdesonvisage?Oubienétais-je tombéamoureuxd’ellesansm’enrendrecompte?
Oh,MonDieu…Jel’aimais.Etjevoulaisqu’ellem’aime.Jelevoulaiscommeunmortdefaim.J’en avaismal à la poitrine et çame terrifiait. Je ne savais pas comment gérer ces émotions que jem’avouaisenfin,etjesavaisencoremoinscommentluiavouertoutcecisansqu’ellemerejette.
Soyezcourageux,nelecombattezpas…Rendezlesarmes,mongarçon.J’aienfouimatêtedansmesmains,incapablededéterminersij’avaiscecourageenmoi.
CHAPITRE19
KIRABeazleyHouseétaitunedemeurequidataitde1902etavaitététransforméenuncharmantBed&
Breakfast,àquelquespasducentre-ville.C’estlàquej’avaischoisidem’installerdepuispresqueunesemainepourpansermesblessures,etfinirdepréparerlasoiréeauvignobleHawthorn.J’avaisétéencontactpermanentavecCharlotteparmessagesetjesavaisquetouslespréparatifssedéroulaientcommeprévu,aussibienàl’intérieuretàl’extérieurdelamaison.Charlottem’avaitproposéàplusieursreprisesdepassermevoirmais j’avais toujours refusé.C’étaitgentildesapartmaispersonnenepouvait rienfaire pourmoi, et cela aurait été encoreplus douloureuxdepasser du temps avecdesmembresde lafamille deGrayson. Je savais que j’allais souffrir, il fallait donc que je commence àm’éloigner dèsmaintenantpournepasêtreencoreplusdévastée.
J’essayaidecomprendrepourquoi,pendanttoutcetemps,Graysonnem’avaitpasenvoyéuntextooupasséuncoupdefil.
Monidéedemariagearrangéavaittournéàlacatastrophe.Maseuleconsolationc’étaitquej’avaisatteintmon but, j’étais indépendante financièrement et j’avais enfin cette liberté tant désirée. Quant àGrayson,sonvignobleétaitenpassed’êtreànouveauopérationnel.
Pour l’heure, jemepréparaiset faisais lesdernièresfinitionssurmoncostumepour lafêtedecesoir.Jem’yrendrais,commeje l’avaispromis,pourvérifierque toutsepassaitbienetm’assurerqueGraysonetmoiavionsl’aird’unvraicouplemarié.Aprèsquoi,jequitteraisimmédiatementlaville.JenepourraispasretourneràBeazleyHousesansquecelaneparaissesuspect.J’avaissympathiséaveclespropriétairesetilspensaientquejedormaischezeuxàcausedetouslestravauxqu’ilyavaitàfaireaudomaine.Je leuravaisditque lapoussièremedéclenchaitdescrisesd’asthme.Après lasoirée, ilmeseraitimpossiblederesteràNapaoudanslesenvirons.Sijamaisquelqu’unenvilleserendaitcompte,que nous n’étions pas un couple heureux et fraîchement marié, il se sentirait trahi et cette soirée,organiséedanslebutd’améliorerl’imagedeGrayson,n’auraitserviàrien.JedemanderaisàGraysonsije pouvais passer une dernière nuit dans mon cabanon, et àWalter de m’accompagner récupérer mavoitureet.Puisjepartiraidanslamatinée.J’avaisassezpleurécettesemaine.Ilnefallaitd’ailleurspasque je recommence, car jevenaisdepasserpresqueuneheure àmemaquiller.Commeunboxeurquis’apprêteàmontersurlering,jemesuisredresséeetj’aienfilémeschaussures.Soudain,montéléphonesonna:lechauffeurétaitarrivé.
J’aijetéunderniercoupd’œildanslemiroiretj’aiattrapémavaliseavantdequitterlachambre.Iln’y avait personne dans les parties communes, mis à part un employé qui préparait le dîner dans lacuisine, à gauche de l’entrée. J’avais déjà payé ma note et je verrais les propriétaires à la soiréepuisqu’euxaussiétaientinvités.
Lavoiturem’attendaitdevantlamaison.Lechauffeurmeregardaavecdesyeuxécarquilléstandisquejedescendaislesescaliers.
–Waouh,dit-il,quelcostume!Lesyeuxbraquéssurmoi,ilpritmonbagageetm’ouvritlaportièreenmetendantlamain.C’était
trèsagréable.Jeluisouris.–Merci.Jegrimpaiàl’arrière,enprenantsoindemalonguerobeencombranteetenl’arrangeantdumieux
possiblepournepasdisparaîtresoussonvolume.Cetterobeétaitlaprincipaleraisonpourlaquellejenevoulaispasprendremavoiture:jen’auraisjamaisputenirderrièrelevolant!Elleétaitfaitedesatinetde tulledecouleurnoire etvert foncé. J’avais ajoutéunecrinolineà trois cerceaux sous la jupepouravoirdel’ampleur.Lehautétaitunbustierquej’avaisfaitfairesurmesurepourqu’ilmefasseunetaillebienfine.Jel’avaisaccessoiriséeavecdetrèslongsgantsnoirs,plusieurscolliers,noirseuxaussi.Unchapeaudesorcière,pointuetàlargesbords,venaitfinirledéguisement.Mescheveuxétaientdétachésetjelesavaisrendusencoreplussauvagesqued’habitudeenlesbouclantaufer.Monrougeàlèvresétaittrèsvif,mesyeuxétaientcharbonneuxetmonmasque,quinerecouvraitquemonregardétaitnoiretmefaisaitencoreplusressembleràunchat.
J’avais envisagé plusieurs costumesmais finalement celui-ci s’était révélé le plus approprié. JequitteraisGraysondelamêmemanièrequej’étaisarrivédanssavie:commesapetitesorcière.Non,medis-je déprimée, pas SApetite sorcière. Je n’avais jamais été sienne. J’étais désespérée à l’idée quec’étaitladernièrenuitquejepasseraisauvignoble.Hawthorn.Peut-êtrequececostumeétaitl’ultimeetridicule façon que j’avais trouvée pour lui avouer mon amour. Je voulais que Graysonm’aime touteentière mais il ne désirait que mon corps. Tu es vraiment une idiote, Kira. Une idiote stupide etdésespérée.Jeneseraisjamaisassezbienàsesyeux,commejen’avaisjamaisétéassezbienauxyeuxdemonpèreoumêmeàceuxdeCooper.Cequiétaitimportantaujourd’hui,c’étaitquejemetrouvebienàmespropresyeux.
Letrajetmeparuttrèscourt.Jemeconcentraispourmedétendreetprenaisdegrandesinspirations.Dieumerci,jeportaisdesgantscarjesuissûrequemesmainsétaientglacéesetmoites.
Quandjedescendisdelavoiture,aidéeparlechauffeur,j’avaislesoufflecourtetenviedevomir.Lafontainefonctionnaitànouveau,l’eauclapotaitetscintillaitdoucemententombantdanslebassin.
Lescouleurs rose et pourpredu ciel de cette finde journée s’harmonisaient avec l’éclairagedoréquiprovenaitlamaison.Lelierreétaitbientailléetlesjardinièresauxbalconsétaientpleinesdefeuillagesluxuriantsetdepétuniasblancsqui tombaientencascade.LeparfumdesrosesetdesfleursHawthorn,que je connaissais bien, me parvenait grâce à la brise qui agitait les buissons du jardin redevenu
somptueux.J’aifaituntoursurmoi-mêmepouradmirerlapropriété,remarquantlalueurtremblantedelampesnichéesdanslesarbresdel’alléeprincipale.Celadonnaituneatmosphèremagiqueaudomaine.C’étaitmagnifique,enchanteuretcaptivant.Ledécoridéalpouruncontedefées!
Commej’auraivouluquecesoitlemien…Jeprisunegrandeinspirationetjeredressailesépaules.Puisjefisunsignedetêteauchauffeurqui,
aprèsm’avoirremismavalise,hochalatêteenretour.Iln’yavaitdansl’alléequelacamionnettedutraiteuretdeuxautresvoituresquidevaientappartenir
auxmusiciensquej’avaisengagés.Celasignifiaitquej’avaisréussiàarriverparfaitementàtempspouraccueillirlespremiersinvités.J’allaislesrecevoiravecGrayson.Jefussoudainprisedepanique,maisjepris ànouveauunegrande inspiration et je levai la têtepourpriermagrand-mèredem’envoyer laforcedetenirmonrôle.Puisjerelâchailesépaules,enmemotivant.
Jepeuxlefaire;allez,plusqu’unedernièremission.Jesaluailesdeuxvaletsquisetenaientsurlecôtéenpantalonnoir,chemiseblancheetvesterouge,
et qui attendaient que lespremièresvoitures arrivent. J’appuyai sur le boutonde la sonnette,même sij’avaispris l’habituded’entrersansfrapperdepuisqueGraysonetmoiétionsmariés.Walterouvrit laporteetécarquillalesyeuxavantdelesplisserlégèrement.Jeclignaidesyeux…Jevenaisderecevoirmontoutpremierdemi-souriredeWalter!Jeluisourisàmontourtandisqu’ilprenaitmamainetbaissaitlatêteensignederévérence.
–MadameHawthorn.–Walter…Jem’apprêtaisà luidiredem’appelerKira,sansdoutepour lacentièmefois,quandlavisiondu
foyeretdusalonvidemecoupalesouffle.JeposaimavaliseausolpourqueWalterpuisselarangerquelquepartet jecontemplai lamaison.Lesmouluresavaientétéciréesetbrillaientdemillefeux, leslustres étincelaient et les derniers vestiges de la lumière du jour qui passaient par les fenêtres sereflétaientenprismesurtouslesmurs.Degrandsvasesderoses,delysetdefeuillagesétaientposésunpeupartout,parfumantainsilespiècesdeleursodeursdoucesetagréables.Enentrantdanslesalon,jevislequatuoràcordesinstallédansuncoindelapièceetunbarbienapprovisionnédansl’angleopposé.Le mobilier avait été placé de telle sorte qu’il y avait de nombreuses chaises, mais aussi beaucoupd’espacepourbavarderetmêmeunepistededanseprèsdel’orchestre.
Enm’approchantdelafenêtre,jedécouvrisl’eautransparenteetpropredelapiscineencontrebas.Aumilieu de la terrasse un autre groupe demusiciens semettrait à jouer une fois l’heure du cocktailpassée.Depetitestablesagrémentaientlaterrasseetdesbougies,judicieusementplacées,donnaientuneauraromantiqueàl’endroit.
Jemeretournaifaceàlapièceetrestaisilencieuseunmoment.J’étaispriseentreunsentimentdejoieetdegrandetristesse.J’aimaisprofondémentcetendroit,or j’allais lequitter.Jebaissai lesyeux,envahieparledésespoir.
Soudain, je sentis le poids d’un regard insistant surmoi.Grayson se tenait de l’autre côté de lapièce,saboucheincroyablementsensuelleesquissantunsourire.Jesursautaiendécouvrantsoncostume.
Lajoiequejeressentaisétaitbrusqueetviolente,jeportaismamaingantéeàmeslèvres.J’allaiséclater de rire. L’espoir, le bonheur, la surprise, le chagrin et une centaine d’autres émotions sebousculaientenmoi.Jefisunpasversluiaumomentmêmeoùils’avançaitpourmerejoindre.Est-cequ’ilavaitfaitçapourmoi?
Il portait un smoking noir. Son masque ne couvrait que la moitié supérieure de son visage, etressemblait à des écaillesdedragon irisées, bleues, vertes et noires.Enhaut dumasque il y avait depetitescornes,etdesfilamentsrougesetorangequiscintillaientetdansaienttoutautourpoursymboliserlefeu.
IlétaitdéguiséenDragon.Il s’arrêta et se tourna légèrement pourmemontrer les ailes accrochées à son dos, elles étaient
noiresaveclesmêmesécaillesbleu-vertetdesflammes.Sonsouriregrandissaitàmesurequ’ilavançaitversmoi.Nousavonstouslesdeuxaccélérélepaspournousretrouveraumilieudelapièce,faceàface,àquelquescentimètresl’undel’autre.
Noussommesrestésainsiànousregarderpendantquelquesinstants,jusqu’àcequ’ilmedise:–Bonjourpetitesorcière.Savoixétaitgraveetj’auraisjuréquesesyeux,derrièrelemasque,brillaientdedésir.–Tuesravissante.–Bonjour,Dragon,luidis-je,alorsquedesmilliersdequestionsmevenaientàl’esprit.Je remarquaiqu’il étaitdiaboliquementbeau tandisqu’ilmesouriait ànouveauetquemoncœur
battaitlachamade.–Toiaussi.Jen’enrevienspasquetuaiesfaitça.Jesecouailatêteetregardaisonmasqueensouriant.–Ehsi.Sonsouriredisparutaumomentoùilfitunpasversmoi.–Tum’asmanqué.–Vraiment?chuchotai-je,enapprochantàmontour.–Oui,monDieu,oui.Kira.Cettesemaine…J’ai tellementdechosesàtedire.Onatellementde
chosesàsedire.J’espère…–Onadeschosesàsedire?l’interrompis-je,ànouveaupleined’espoir.–Oui.Jebaissaislesyeux.–Tunem’asmêmepasappelée,luidis-jeenessayantdecachermapeine.Jecroyais…–Charlotteaessayédesavoiroùtuétais.–Jenesavaispasqu’ellemeposaitlaquestionpourtoi.Pourquoiest-cequetunemel’aspastout
simplementdemandétoi-même?–Jemesuisditqu’après…bref,jevoulaistemontrerleschosesplutôtquedetelesdire.J’aidonc
pensé qu’il valaitmieux que je patiente jusqu’à ce soir, dit-il, la voix étranglée. J’avais besoin de teregarderdanslesyeux.Kira…
–Je…–Kira!Unevoixjoyeuses’élevaitdepuislaporte.Charlotteseprécipitaversnous,déguiséeenmarrainela
bonnefée.Enmetournantverselle,jerisdeboncœuretlalaissaimeserrerchaleureusementcontreelle.–Oh,jeneveuxpasvouscasser!Laissez-moivousregarder.Ellemefitfaireundemi-tourdansunsens,puisdansl’autre.–Parfaite.Absolumentparfaite.– Toi aussi, Charlotte, lui dis-je. Tu devrais tout le temps t’habiller comme ça. Et tu peux me
tutoyer,tusais.– Ma petite chérie, tu sais à quel point je t’aime, n’est-ce pas ? m’obéit-elle, une expression
affectueusesurlevisage.–Oui,dis-je,enlaserrantdenouveau.Je le savais. Malgré les raisons pour lesquelles elle avait fait venir Shane et Vanessa. Je
commençaisd’ailleursàpenserquesesmotivationsétaientbienplusprofondesquecequejen’avaispuimaginerjusqu’ici.Jen’avaisjamaisdoutédesesraisonsoudufaitqu’elletenaitàmoi.Ça,jelesentaisauplusprofonddemoncœur.
Quelques secondes plus tard, Vanessa et Shane arrivèrent. Vanessa était la plus parfaite féeClochettequejen’avaisjamaisvue,etShaneportaitunsmokingavecunmasquevert,lechapeaudePeterPanetuneépéeattachéeàsaceinture.Jesentismesjouess’empourprerenrepensantàladernièrefoisoùjelesavaisvus.MaiscommeilsmesouriaienttousetqueVanessaseprécipitaitaffectueusementdansmesbras,jeparvinsàmedétendre.Jejetaiuncoupd’œilàGraysonquisemblaitcalme.
Tandis queShane etVanessa allaient se servir unverre aubar, je fis face à unGrayson. Il étaitapaiséetsemblaitheureux.Jel’avaisrarementvucommeça.
–Tuasfaitlapaixaveceux,dis-je,incrédule.–Oui.Nousavionsbeaucoupdechosesànouspardonner.Etjeleuraitoutexpliquésur…nous.Je
t’aiditquej’avaisbeaucoupdechosesàtedire.J’ouvraislabouchepourluidemanderdesprécisions,maislasonnettedelaported’entréeretentit.
Le quatuor à cordes semit à jouer lamélodie de « Je veux y croire », la chanson du conte de féesRaiponce,deDisney, tandisquelesmaîtresd’hôtelarrivaientdelacuisineavecdesplateauxd’argentsurlesquelsétaientposésdeshors-d’œuvreàl’odeurdélicieuse.
Lesdeuxheuressuivantesfurentuntourbillondeprésentationsetdeconversationsaveclesinvités.Jeprissoindevérifierquelafêtedémarraitsansproblème,puisjem’assuraiquetouteslespersonnesprésentesétaientàl’aiseets’amusaient.
Lescostumesétaientmerveilleux,certainsinvitésportaientdesublimesmasquesavecunetenuedesoirée,d’autresétaientcostumésdespiedsàlatête.Jen’enrevenaistoujourspasqueGraysonsesoithabilléendragon.
Quandjepusfaireunepause,jeprisunecoupedechampagnesurundesplateauxquipassaitetjememisenretraitpouradmirerleseffortsetletravailaccompli.Toutlemondeavaitl’airdes’amuser,et,
sijemefiaisauxregardsémerveillésdechacun,lapropriétéHawthornlesavaitimpressionnés.Avecunpeu de chance, ils diraient en ville queGrayson avait été un hôte accueillant et chaleureux et que samaisonétaitsublime.Contrairementàcequ’endisaitlarumeur,cetendroitn’étaitpasenruine.Bienaucontraire,labâtissefaisaitpasserlemessagequelapropriété,tellePhénix,rayonnaitànouveausousladirectiondeGrayson.Quin’aimaitpas leshistoiresderenaissance?Quin’avait jamaisrêvédevivreunehistoirepareille?C’étaitcequej’espéraisetlaraisonmêmedecettesoirée.
Je cherchai Grayson du regard et le trouvai au milieu d’un petit groupe d’invités, dont DianeFernsby,quiriaientauxéclats,manifestementamusésparunehistoirequ’illeurracontait.Ilrelevalatêteetcroisamonregardavantdemefaireungrandsourire.L’expressiondanssesyeuxmecoupalesouffle.Cesourirecauseraitmaperte…
JefusalorsdistraiteparHarley,déguiséenLaBêteetPriscillaquielle,avaitoptépouruneversionpunkdeLaBelle.Jelesembrassaitouslesdeux,raviedelesrevoir.Harleyavaitcommencéàtravaillerau vignoble. C’était un homme bon et gentil, malgré ses blessures, visibles ou non. J’étais tellementheureusequeGraysonaitquelqu’uncommeçaauprèsdelui.JepassaiquelquesminutesàdiscuteraveceuxetàapprendreàconnaîtreunpeumieuxPriscilla,puisjepartisbavarderavecd’autresinvités.
Je saluaiVirgil, qui étaitdéguisé enune trèsgrosseversiond’Aladin. Jeparlai rapidement avecJoséetsafemme,déguisésenLoupetenPetitChaperonRouge,avantdeleurprésentermesexcusesetdemeretirerpourvérifierquetoutsepassaitbiendehors.
Laterrasseextérieureétaitilluminéepardesbougiesetlesinvitéssefrayaientuncheminautourdelapiscine.Lesbruitsderiressemêlaientàlamusiquedugroupequicommençaittoutjusteunenouvellechanson.Jerestailàunmomentàlesobserver.Àaucunmoment,jen’avaispuavoirunevraiediscussionavecGraysonetjemourraisd’enviedemeretrouverseuleaveclui.Jusqu’àmaintenant,cettesoiréeavaitétéuntourbillonet,malgrémonimpatience,j’étaistrèssatisfaitedelamanièredonttoutsedéroulait.
–M’accorderiez-vouscettedanse?Moncœurchaviraensentantlachaleurd’uncorpsderrièremoietlacaressed’unmurmuresurmon
épauledénudée.Unmagnifiquedragonmesouriait,lamaintendueversmoi.–Jeviensdeprendreconsciencequejen’aipasencoredanséavecmonépouse.Jamais,pourêtre
exact.Jelaissaiéchapperunpetitrireetluiprislamain,luipermettantdem’entraînerjusqu’aumilieude
lapistededanse.Jereconnuslamusiquedufilm«Ilétaitunefois»,maisjen’auraispaspunommercetitreenparticulier.
–Jenesavaispasqu’undragonpouvaitdanser.Il me prit dans ses bras et commença à me diriger. En se penchant près de mon oreille, il me
susurra:–Plusquetunecrois.Lesgenspensentquenoussommeslourds,maiscen’estpasvrai.C’estun
faitpeuconnu,maisdanseravecundragonc’estcommedanseravecunéclair.Etilmefitvirevolter.Moncœurbonditetjerisauxéclats.Mescheveuxvolaientderrièremoi.Il
me fit tourner dans l’autre sens enme faisant un grand sourire et, aussi bête que cela puisse paraître,
j’avaisl’impressionquejescintillais.Nousavonsensuiteralentietjemesuiscomplètementabandonnéeàlamusiqueetaubalancement
de son corps contre lemien. J’avais envie de lui demander tellement de choses, besoin de l’entendreprononcerlesmotsquejecroyaisdevinerdanssesyeux.Maispourcela,j’avaisbesoind’êtreseuleaveclui,departagerunmomentquineseraitqu’ànous.J’étaisencorebouleverséeparlarapiditéàlaquelleleschosesavaientchangé:jem’étaispréparéeàluidireaurevoircesoiretmaintenant…etmaintenant,ilyavaitunsoupçond’espoir,mêmesij’avaispeurderêver.
Lachansonseterminaetjereculailentement,incapabledequittermonmaridesyeux.Luiaussimefixaitet jevoyaisdanssonregardquelquechosequejen’avaisjamaisvuauparavant.Il tendit lamaincomme pour toucherma joue, quand soudain des applaudissements retentirent. Je découvris alors quenousétionslesseulssurlapiste,etquelesinvitésapplaudissaientcommesinousavionsdansépoureux.Je ris etmes joues s’empourprèrentquand je fisunepetite révérence.Grayson,unpeuembarrassé luiaussi,s’inclina.
Unefemmes’approchadenous,enboîtantlégèrement,unsourireaffectueuxauxlèvres.–C’étaitcharmant,dit-elle,lesmainsjointes.JesuislamamandeVirgil,TrudyPotter.– Oh ! C’est formidable de vous rencontrer. Vous savez Virgil fait partie de notre famille
maintenant.– Je ne vais pas vous retenir plus longtemps mais je voulais juste vous remercier, Monsieur
Hawthorn,dit-elleenprenantunegrandeinspirationcommesielleseretenaitdepleurer.– Je vous en prie, répondit Grayson gentiment. Elle lui fit un signe de tête et disparut dans
l’assemblée.–Jeluiaijustedonnéuntravail,murmura-t-il.–Biensûr,maisjepensequec’estbienplusqueçapourelle.Jelevailesyeuxverslui.Ilmeregardaintensémentetpoussaunpetitsoupir.Soudain,àmadroite,
j’entendisdesapplaudissements isoléss’approcherdenous.Jemetournaiverscebruit, lesourireauxlèvres. Je découvris alors que c’était mon père. Mon sourire s’effaça, et mon cœur se mit à battrefrénétiquement.Graysonmepritalorslamain.
–Bonjour,Kira,ditmonpère.Je le fixai avecméfiance, regardant autour demoi pourm’assurer que personne ne pouvait nous
entendre. Il était debout dans l’ombre et apparemment, personne ne l’avait encore reconnu. C’étaitcertainementnormalqu’ilsoitàuneréceptionorganiséeparsafille,maisjenevoulaispasqu’ilreste.
–Qu’est-cequetufaisici?demandai-jefroidement.–Jenevoulaispasm’imposer,maissimplementvoirl’endroitoùtuhabites.Jenesavaispasque
j’interrompraisunefête.Etpuisj’aidétestélamanièredontnousnoussommesquittésàSanFrancisco.Enplus,jevoulaisensavoirdavantagesurl’hommequetuasépousé.
IlregardabrusquementGrayson.–VoussemblezêtrepluscheràsesyeuxquecequeKiram’alaissécroire.Ilestévidentquetout
pèredignedecenoms’inquiéteraitpoursafilledanscescirconstances.
–Pouvons-nouscontinuercettediscussionenprivé?demandaGrayson,lamâchoirecontractéeetlesoufflecourt.Cen’estcertainementpaslelieuadéquat.
Il tourna la tête vers les gens qui nous entouraient, sirotant du champagne. Les gens riaient etcommençaientàenvahirlapistededanse.
Mon père plissa les yeuxmais acquiesça. Grayson sansme lâcher la main, se dirigea vers sonbureau.Laporteferméederrièrenous,ilasséna,lavoixglaciale:
–Laissez-moivousdonnerunconseil:neremettezplusjamaislespiedscheznous.Monpèresetournaverslui,leregardtoutaussifroid.–Vousmecomprendrez,bien sûr, si jedécidedene suivreaucundesconseilsprodiguésparun
meurtrier.Il parlait lesdents serrées, ses lèvresbougeant àpeine.Grayson le regarda, levisage totalement
impassible.–Qu’est-cequetuveux?demandai-je,abattue.Cettenuitétaittellementmagiqueavantqu’iln’arrive.Jemesentaissoudaindésespérée.Ilnousdévisagea,détaillantnoscostumes,ensegardantbiendenousdirecequ’ilenpensait.–Toietmoinenoussommestoujourspasvusentêteàtête,Kira.Maisilestclairquejeneveux
pasvoirmafillemariéeàunmeurtrier,etex-taulard,desurcroît.–Arrête.Tunesaisriendelui.Jemesentaismal.Jeposaimamainsurmonventre,commepourcontenirlanausée.–Kira,ditGrayson,memettantclairementengardesanspourautantchangerd’expression.Tun’as
pasàsubirça,laisse-moiparleràtonpère,s’ilteplaît.Jelesaisisparlebras.–Grayson,tunesaispasàquituasaffaire…–Jepensequec’estunebonneidée,repritmonpère.Lesourirequ’ilm’adressaalorssemblaitaussifauxquesespromessesdecampagne.Graysonme
rassurad’unregard.–Jepeuxmedébrouillertoutseul,petitesorcière.Savoixdevinttendre.–Fais-moiplaisir,retournet’amuseràlafête.Jelaissaiéchapperunsoupirfrustréetjefixaimonpèreunmoment.Puisjereportaimonattention
surGrayson.Moncœurs’affola,unmauvaispressentimentm’envahitpeuàpeu.Qu’allait-ilsepasser?–D’accord,acquiesçai-je,nesachantquefaire.Jesortisdelapièce,lespoingsserréspourcacher
mesmainstremblantes.
***
Lalunebrillaitd’unelueurdoréeetunelégèrebrumecommedesplumessoyeusesflottaitautourdemoi.Jem’assissurlebancàcôtédulabyrinthe,làoùShaneetmoiavionsdiscuté.Celamesemblaitdéjà
loin,mais en réalité cela ne datait que d’une semaine. J’enlevaimes gants et les épingles tenantmonchapeauetjelesposaisurlebancàcôtédemoi.Demesdoigts,jesoulevaimescheveux.
La terreur que j’avais ressentie dans le bureau de Grayson s’était transformée en une bouled’angoissediffuse.Mescraintesétaient innombrableset tourbillonnaientdansmonventreen imaginantmonpèreetGraysondiscuterseulàseul.Pourquoiétait-ilicietquepouvait-ilbienvouloir?Qu’est-cequ’ilsavaitexactement?Iln’avaitpassemblésesouvenirdeGrayson…Qu’allait-iltenterdecontrôlermaintenant?Neserais-jejamaislibéréedesonemprise?
Quandj’entendisdesbruitsdepas,jemelevai.Graysonapprochait.Ilavaitenlevésonmasque.Jelaissais’échapperunsoupir,sentantlapaniquemonterenmoi.
–Ques’est-ilpassé?Ilmeréponditd’unpetitsourire.–Tonpèrem’aoffertunebellesommed’argentpourm’éloignerde toidéfinitivement,davantage
mêmequel’héritagedetagrand-mère.La boule coincée dans ma gorge tomba immédiatement dans mon ventre. Le souffle coupé, je
détournaileregard,m’enveloppantdansmesbras.Bon,labonnenouvellec’étaitqu’ilpensaitquenotremariageétaitbienréel.
–Ilestparti?–Oui.–Tudevrais accepter sonoffre.De toute façon, nous allons divorcer, et il n’a pas à savoir que
c’étaitdéjàprévu.J’essayaisd’êtrelaplushonnêtepossible.J’espéraisquelafragilitédemavoixnemetrahiraitpas.–Tutrembles.–Ah,bon?Jefrottaimesbras.–C’estqu’ilfaitpeufroid,jetrouve…Sesmainsremplacèrent lesmiennes,et réchauffèrentmesbrasnus.Ellesétaientchaudeset fortes
surmapeau.–Kira,chuchotaGrayson.Tun’asplusàavoirpeurdelui.Jesuistonmari,c’estàmoideprendre
soindetoimaintenant.Jeneveuxpasdesonargent.Jeluiaibienfaitcomprendre.Etjeneveuxpasfuir.J’espéraisquetuavaiscomprisça,cesoir.
–Tu…tuasrefusé?Jeretrouvaimavoixnormale,etmetournaiverslui.Ilcaressaunemèchedemescheveux,poséesurmonépaule.–Oui,madouceetbellesorcière,j’airefusé.Jemerendsbiencomptequ’ilestpeut-êtredifficile
deprendreausérieuxuntypedéguiséendragon,pourtant…Jerisdoucement.–C’estlaraisonpourlaquellejeteprendsausérieux.–Çatombebien,parcequej’espérais…Ehbien, j’espéraisquenouspourrionsdonnerunevraie
chanceàcemariage.J’espéraisquetuaccepteraisd’êtreàmoi…vraiment.Mafemme,monamour,mon
amie.Toussestraits,sesyeuxprofondsreflétaientsavulnérabilité.Moncœurfitunpetitbonddejoie.–Tuveuxquenoussoyonsmariéspourdevrai?chuchotai-je.–Oui.Jelevoulaisaussitellement,quejen’osaispresquepasycroire.–EtVanessa?demandai-je,lesyeuxausol.Ilsoupira.– Je n’ai jamais aimé Vanessa, Kira. Ou plutôt ce n’était pas du véritable amour. Je le sais
maintenant.Vanessa était destinée à Shane. Je comprends aujourd’hui ce que l’on ressent quand on arencontrésonâmesœur.Lamienne,c’esttoi.
–Gray,murmurai-je,enm’appuyantcontresamainquicaressaitmajoue.–Nous avonsdiscuté cette semaine.Vanessa etmoi n’étions pas destinés à être ensemble.Nous
étionssimplementdesamisetKira,nousne…Jamais,nousn’avonspassélamoindrenuitensemble…Je…savais…Jesavaisquejenel’aimaispas,etqu’ellenem’aimaitpasnonplus.
Cessimplesmotsm’apportaienttellementdepaix.Ilsourit.Magnifiquedragon.–Ilssontaucourantdetout.Etjeleuraiditquej’allaisessayerdeteconvaincredemedonnerune
autrechance.C’estcommesionavaitretiréunpoidsdemesépaules.Etj’airetrouvémonfrère!J’observaisonvisage.Sesyeuxdisaientqu’ilétaittotalementapaisé.–Jesuisdésolépourcettestupidebague.Je…Ilavaitundoigtposésurseslèvrescommes’ilchoisissaitsesparoles.–Jenevoulaispasteblesser.Jen’yavaisjustepaspensé,etquandj’aitrouvécettebague,jeme
suis dit que ça ferait l’affaire. Si j’avais choisi des bijoux pour toi, j’aurais pris quelque chose decomplètement différent…Peut-être des émeraudes, pour tes yeux. En tout cas pas une pierre incolorecommelediamantoul’opale.Paspourtoi.
J’avaisl’impressionderêver.J’avaispasséunesemaineàcogiter,hantéeparlapeurd’êtrerejetéeetl’enviedeprendremesjambesàmoncou.
–Est-cequeçamarchera?Onatoutfaitàl’envers,jesuisdéjàtafemme.Ilsemitàrire.–Oui,tues…monenvoûtantefemme.Sesyeuxparcoururentmonvisage,ilpritalorsunairsérieux,pleindedésir.–Dis-moijustequetoiaussi,tuasenviedemoi,Kira.Moncœurbattaitlachamade.Ilm’avaitdéjàposécettequestiondeuxfois.Lapremièrefois,j’étais
blesséeetperdueetj’avaisditnon.Laseconde,j’avaisditoui,etpuisj’étaispartie.Maismaintenant,jecomprenaiscequ’ilmedemandaitvraiment.EndehorsdeCharlotteetWalter,quiavaientcombléautantquepossiblelesfaillesdesavie,ilnes’étaitjamaissentivraimentdésiréparpersonne.Ilavaitétéutileàsonfrère,maisrejetépartouteautrepersonnequicomptaitpourlui.Oui,jeledésirais.Jevoulaisqu’ilsachequ’ilétaitdigned’êtreaimé.Étais-jeprêteàluiaccordermaconfianceunefoisencore?Etluiàenfairedemême?
–Oui,Grayson.J’aienviedetoi.C’estjusteque…enfait,onsaitsipeudechosesl’unsurl’autre.–Jesaiscequejedoissavoir,etlereste,nousledécouvrironsensemble.Ilpritmamainetmeguidalelongducheminverslelabyrinthe,lesbruitsdelafêtenousparvenant
danslabrisenocturne.–Quelesttondeuxièmeprénom?–Isabelle,commemagrand-mère.Ettoi?–Jen’enaipas.Jemesuistournéeverslui.–Tun’aspasdedeuxièmeprénom?Maiscen’estpasnormalça.Ilhaussalesépaulesetseslèvress’incurvèrentenunsouriredouxetvulnérable.–Non,j’imaginequenon.Je le dévorai des yeux. Là, sous les étoiles, je le voyais si clairement, si intensément. Pas
simplementsabeautémasculineétonnantemaistoutlereste:sonintelligence,saloyauté,soncaractèreprotecteur, son esprit et la profonde sensibilité qu’il laissait si peu entrevoir. Soudain, j’étaisimpressionnée.J’étaissa femme.Cethommemagnifiquem’avait choisie. Jevoulais l’aimer, le chérir,transformertoussessombressouvenirsenlumière.Jevoulaisêtredignedelui,etilfallaitqu’ilm’aimeenretour.
–Qu’est-cequit’afaitprendreconsciencedecequeturessentais?demandai-jeendissimulantmonregardderrièremescils,soudaintimide.
Ilsourit.–Charlottem’aaidéàcomprendre.Ellem’aencouragéàycroire.Àlâcherprise.–Ah,c’estunbonconseil.–Ettoi,savais-tuavantcesoir?–Jepensequejelesavaisdepuisunmoment.–Vraiment?Sonairraviparlaitpourlui.Nousnoussommesarrêtésprèsdel’entréedulabyrinthe,etjeluiaiprislamain.–Nousysommes,dis-jedoucement,enpointantlelabyrinthe.–Oui,répondit-il,lesyeuxfixéssurmoi.Nousysommes,eneffet.Ilserapprochademoi,meprenantdanssesbrasetchuchotacontremeslèvres.–Tum’apporteslapaix,petitesorcière,ettufaisbouillonnermonsang.Jesourissanséloignermabouchedelasienne.–Maisest-cequetumefaisconfiance?demandai-je,encollantmamainsursavestepoursentirles
battementsdesoncœur.–Sijetefaisconfiance?Unpliseformaentresessourcilssombres.Jem’échappaienpassantsoussonbras,ilseretourna
alorspourmefaireface.–Viensmechercher,Grayson,dis-jeavantdem’enfoncerdanslelabyrinthe.
–Kira,appela-t-ilàvoixbasse.Qu’est-cequetufais?–Jet’aideàtedébarrasserdequelquechose,dis-jeentournantd’uncôté,puisdel’autre.J’entendaisGraysonderrièremoi.Ilmarchaitlentement,moi,jecourais.–Situarrivesàmetrouver,jesuisàtoi.– Kira ! cria-t-il, et malgré la distance, j’entendais qu’il m’ordonnait de revenir. Je connais ce
labyrinthecommemapoche,tunepourraspastecacherici,tusais.Oh,oui,jelesavais.Unfrissonparcourutmondosetjetournaid’unautrecôté.–Vraiment,Dragon?criai-je.Nousverronsbien,j’attends!J’étais déjà complètement perdue. J’éprouvais une peur vague,mais je pensais aussi àGrayson,
enfant,etàcequ’ilavaitdûressentir,perduseulici,pendanttoutescesannées.Ilyavaitégalementunepointe d’excitation à l’idée du moment où il allait me découvrir. Les arbustes étaient grands et malentretenus. Je courais en tenant les cerceaux dema jupe au plus près demon corps,ma longue robetraînantausolderrièremoi,lesbranchesdesarbressemblantsetransformerenmainstenduesprêtesàmesaisir.Lalune,lesétoiles,etlalueurdelamaisonunpeuplusloinétaientnosseulessourcesdelumière.
Ilnedisaitplusrien,maisjel’entendaismarcherdanslesmauvaisesherbesetdanslesbranchagesd’unpasdécidé,fonçantversmoicommes’ilsavaitexactementoùj’allais.Jetournaiunenouvellefois,etlà,danscequisemblaitêtrelemilieudulabyrinthe,jedécouvrisunevieillefontaineenruine.Ilyavaitunbancdepierre,jem’yassisetj’attendisGrayson.
L’écho lointain de la musique et des voix des invités me parvenait, mais je tendais l’oreille,attentiveàsespas,lecœurbattantdeplusenplusfort.
–Oùes-tu,petitesorcière?demanda-t-il,maintenanttrèsprochedemoi.Iln’avaitpourtantpasl’airdeposerunequestion.Effectivement,ilsavaitexactementoùj’étais.Ma
fréquencecardiaqueaugmentaencoreunpeu.Iltournaàl’angle,toutprèsdel’endroitoùj’étaisassise,monsoufflesebloquadansmagorge.Je
voyais, à la lumière des étoiles, son regard qui me fixait. Je me levai lentement et aumoment où ilcommençaàmarcherversmoi, je levaimamain, lui faisantsignedes’arrêterpourque je le rejoigne.J’avaisenfincomprisquecertainesfois,ilfallaitserencontreraumilieuduchemin.Parfois,leplusbelacted’amourétaitderejoindrel’autrelàoùilsetrouvait.Ilmeregardam’approcher,leregardsombreetindéchiffrable.
Jemarchaisversluietjecomprisqu’aumomentoùjel’avaisvudevantcettebanque,j’étaisdéjàamoureuse,maisd’unemanièrepuérileetromanesque.J’étaistombéeamoureusedel’imagedeGrayson.Maisici,danslesdédalessombresdulabyrinthe,oùilavaitétéunjourunpetitgarçonperdueteffrayé,jeluitendislamainetjetombaiamoureuse.Demonmari.
Samainétaitbienréelle,chaudeetsolidequandilserraalorslamienne.
CHAPITRE20
GRAYSONLafêtetouchaitàsafinetjefaisaisletourdesinvités,leplusvitepossible,pourparleravecles
unsousaluerlesautres.JevisCharlottepartagerunediscussionaniméeaveclafamilledeJosé,jelessaluaiensouriantetleurdemandaisijepouvais«l’emprunter»uninstant.
–Pardon,Charlotte, je vais allerme coucher.Est-ceque tu pourrais t’occuper des invités et lesinviter à rester pour profiter de lamusique et du buffet ? Ah et s’ils te demandent où nous sommes,pourras-tunousexcuser,Kiraetmoi?
Mafemmem’attend,là-haut,dansnotrechambre.–Vousexcuser?Vousêtessûr?Ilyaencore…–OuiCharlotte,absolumentsûr.Je lui fisunclind’œiletm’éloignaiavantqu’ellenepuissecontinuer.Jepassaidevantquelques
convivestrèsconcentréssurleurconversation,puisrejoignisl’escalier.Jemontailesmarchesdeuxpardeux,j’auraispresquepulesgravirpartroistantj’étaispresséderetrouvermafemme.
Quand j’ouvris la porte de ma chambre, Kira se brossait les cheveux, assise devant le petitsecrétaire, vêtue d’une serviette de bain pour seule tenue. En entendant la porte se refermer, elle seretourna etme sourit tendrement.Elle s’était démaquillée et ses cheveux longs et soyeux tombaient encascadedanssondos.Elleétaitmagnifiqueetavaitl’airinnocent,peut-êtreunpeueffrayéaussi.Elleselevaetfitletourdelachaisesurlaquelleelleétaitassise,pourmerejoindre.
–Bonsoir,petitesorcière,murmurai-jeenm’approchanttoutprèsd’elle.–Bonsoir,Dragon,medit-elledansunsouffle, toutenportant sesdoigtsàmoncoupourdéfaire
monnœudpapillon.Ellesemblaitgênéedemedéshabiller,sesmainstremblaientet,quandjevoulusl’aider,ellesemit
àrire,unpeuembarrassée.–J’ail’impressiond’êtreunejeunemariée,dit-elle,unepointed’humourdanslavoixmaissesyeux
étaientgrandouvertsetvulnérables.–Tul’es.Ma jeune mariée. C’était mon tour, de me sentir bizarre. Comme si l’air de la pièce nous
enveloppaitetserefermaitsurnous.Plusriend’autren’existaitdanscettebulle.
Jebaissailesmainsetlalaissaiterminerdedénouermonnœudpapillon.Ellefinitparlejeteravantdedéboutonnerlesdeuxpremiersboutonsdemachemise.Elledéposaunbaiseràlanaissancedemoncou,marespirationétaitsuspendueàlasensationdeseslèvrestendresetchaudessurmapeau.Ellesortitsalanguecommepourmegoûteretm’embrassaànouveau,avantdereculerpourfinirdedéboutonnermachemise.Jelaregardais,concentréesurcequ’ellefaisaitavecsesmains.Cettefemmeestàmoi.Jamaispersonne d’autre ne l’aura, pensais-je. Dans la pénombre, mon regard la dévorait : ses cils longs,presque posés sur ses joues, la légère ouverture entre ses lèvres, celle du bas plus pleine que lasupérieure,leminusculegraindebeautéàl’extrémitédesonsourcildroit,etl’endroitexactsursajoueoùjesavaisqu’apparaîtraitsafossettesiellevenaitàsourire.
–Tuestellementbelle,dis-je,admiratif.Sesgrandsyeux,émerveillés,rencontrèrentlesmiens,ilsétaientaussivertsquel’herbedescollines
dansdescontréesbrumeusesetchimériques.Masublimepetitesorcière,ilyavaitdelamagieenelleetjevoulaisplongerdanssalumière.Plusjamaisjeneregarderaiscelabyrinthesansrepenseràcetinstant,auclairdelune,oùelles’étaitavancéeversmoietm’avaittendulamain,leregardpleind’amour.
Elle repoussa ma veste et la laissa tomber par terre, puis elle fit de même avec ma chemisedéboutonnée,enpassantsesmainssurmesbicepsdénudés.
–Tuestellementbeau,dit-elle,avantdeplantersesyeuxdanslesmiens.Sansjamaismequitterduregard,elledesserralaserviettequ’elleavaitenrouléeautourd’elleetla
laissatomber.Elleétaitsibelle,nue,voluptueuseavecdescourbessidélicieusesquej’eneuslesoufflecoupé.Jeprissonvisageentremesmainsetjel’embrassaisanspouvoirretenirunrâled’excitation.Jeladésirais tellement que jeme sentais presque vaciller surmes jambes.Mon sexe tendu était comprimédansmonpantalon.Jesuçaisalèvreinférieuretoutenbalançantmeschaussuresetdéfaisantmaceinture.Nousavonscontinuéànousembrasserpendantquejemedéshabillais,laissanttombermonboxeretmonpantalon.Jem’arrachaiàsaboucheseulementpourpouvoirretirermeschaussettesetbalancertoutesmesaffaires.Quandàmontour, jemeretrouvainufaceàelle,sesyeuxparcoururentchaquepartiedemoncorpsavantdes’arrêtersurmonérection.Sonregardseplantadanslemienetelledemanda,lesjouesrougiesparledésir:
–Est-cequejepeuxtetoucher?–Oui,biensûrqueoui.Jesuisàtoi.Jet’enprie,caresse-moi.Çafaisaitdesmoisquej’attendaisdesentirsesmainssurmoi.Unsiècle.Uneéternité…Ellepritdélicatementmestesticulesdanssapaume.Jegémis,meforçantàresterimmobilependant
qu’ellemedécouvrait.Monsoufflesortitenunrâlelorsqu’ellesaisitlabasedemavergeetqu’ellefitglisser samain jusqu’en haut pour faire le tour demon gland avec son pouce.MonDieu, que c’étaitbon…
–Kira,grognai-jeenposantmamainsurlasiennepourlaretirer.Jenevoulaispasqueçaseterminetropvite.Elleentrouvritlaboucheenregardantnosmainsliées,etjesuivisdesyeuxsagorgequidéglutissait.
J’yposaimonpouce,voulantsentirchacunedesréactionsdesoncorpsfaceàmoi.Jecaressaisagorge,
lentement, debas enhaut pendant un court instant avant debasculer sa tête en arrière pour goûter seslèvres,sabouche.Jetressaillaisensentantsapeautendreetsoyeusecontrelamienne,jemedélectaisenéprouvant sa douceur contrema fermeté. Elle s’offrait. Succombait. Je pris un peu de recul pour lirel’expression sur sonvisage.Est-ceque cequenous étions en traindevivre avait autant d’importancepourellequepourmoi?Est-cequec’étaitnouveaupourelle?Différent?Jenesavaispasquelsmotschoisirpour luiposercesquestions,aussi jecherchais les réponsesdanssesyeux. Je tombais sous lecharmedesesderniersavantqu’ellebaissesescilsetmeprennelamainpourm’amenerverslelit.
Elles’allongea.Jemepenchaiau-dessusd’elleenprenantsoindemettrelepoidsdemoncorpssurunseuldemesgenouxpourécarterdélicatementsescuissesavecmonautrejambe.Jemefrottaialors,làoùelleétaittendreetchaude,pourl’entendregémirtoutbas.
– Nous y sommes, murmurai-je, répétant la phrase qu’elle m’avait dite avant d’entrer dans lelabyrinthe.Enfin.Enfin.Cemotrésonnaitenmoi,commes’ilavaitplusd’importancequetoutel’attentequej’avaisenduréeavantqueKiranesoitàmoi.J’avaisl’impressionqu’ilrésumaitàluiseulquelquechosequejedésiraisressentirdepuissilongtemps.Toutemavie,enfait.
Enfintueslà.Elleentrouvritlesyeux,unpeudanslevagueavantd’ouvrirlabouche.–Oui,dit-elle.Nousysommes.Jepressaimeshanchescontrelessiennes,cequinousfitgémirtouslesdeux.Ellerenversalatête
sur lematelas.Sesonglesgriffèrent délicieusementmoncuir chevelum’arrachantune autreplaintedeplaisir.
Aulit,j’avaisprisl’habitudedefaireleschosesdansunordreprécis.Jesavaiscommentdonnerduplaisiràunefemme,enprendremoi-mêmeetaboutiràuneexpériencemutuellementépanouissante.MaisavecKira,c’estcommesij’avaistoutoublié.J’essayaisdemesouvenirdecequ’ilfallaitquejefasseenpremier, de la position qu’il fallait que j’adopte,mais çam’était complètement sorti de la tête, je nepouvais compterque surmon instinct. J’étais concentréque surmonexcitation et sur la chaleurde sachairdouceettendrealorsqu’ellesecambraitsousmoi.C’étaitcommesiKiraétaitlapremièrefemmequejetouchais,j’avaispeuretj’avaisl’impressionderedevenirunnovice.
Jel’aidéjàfait.Jemerassurais,maisçasonnaitfaux.Jen’étaisplussûrderien.J’inclinai légèrement la têtepourquema languepuisse la pénétrerprofondément.Ellepoussaun
longsoupird’extaseetsalanguevintsemêlerà lamienneencoreetencore.Ellepoussaitseshanchescontremaqueuepalpitanteetsesseinsgénéreuxs’écrasaientcontremapoitrine.Jegrognaiàcecontactdélicieuxetquittaisabouchepourpromenermeslèvreslelongdesagorge,desesseins,desestétonsdurcisquejeléchai,l’unaprèsl’autre.Jelescaressai,lesmordisdoucement,puisjelesaspiraiavecmalanguejusqu’àcequ’elledeviennefolledeplaisir,lesoufflehaletantetlecorpspressécontrelemien.
–Kira…Je l’idolâtrais, je voulais en faire ma déesse, connaître chaque recoin inexploré de son corps,
chaquecreuxsensible,chaquecourbedélicate.Jelaretournailafaisantgémirdoucementetj’embrassaisa colonne vertébrale, m’enivrant de l’odeur de sa peau, la respirant. Je descendis jusqu’aux petites
fossettesjusteau-dessusdesesfesses.Jelesléchai,avantdepromenermeslèvresplusbas…plusbasencore, jusqu’à l’arrière de ses genoux. J’avais perdu tout contrôle, m’abandonnant entièrement auxexigences demon corps. Les petits sons qu’elle émettaitme rendaient fou de désir, j’étais totalementamoureuxdelapetitesorcièreadorableetséduisantequigémissaitsousmoncorps.
–Kira,susurrai-jeànouveau.Jelarenversaisurledosetjepassaimesmainssursoncorpsenlacaressant,enépousantchacune
desescourbes,tandisqu’ellesecambraitpours’offriràmoi.Jedéposaiunbaisersurl’intérieurdesacuisseetsesmainsvinrents’agripperàmescheveux.
–S’ilteplaît,haleta-t-elle.Lentement je rapprochai ma langue de son clitoris gonflé, léchant son pourtour sans jamais le
toucher. Chaque petit gémissement qu’elle poussait me faisait bander davantage. Je ne pouvais pasattendre plus longtemps. J’allais jouir avantmême d’être en elle. J’avais désespérément besoin de lapénétrer,dem’abandonnerenelle,d’alleretvenirdanssoncorpschaudethumide.Jem’allongeaisurelleetpressaimonsexedouloureuxcontresonpubis.Kiras’agrippaàmesépaules.
–S’ilteplaît,dit-elleànouveau,d’unevoixrauqueetdésespérée.«Oui»futtoutcequejeréussisàdire,meslèvresrevenantàsabouchepourunbaisersauvage,
tandisquesesmainscaressaientmesbras,mondos,montorsecommesiellesétaientpartoutàlafois.Oui,Oui,Oui. Quelque part dans un coin de mon cerveau embrouillé, je pensais : qu’est-ce qui sepasse?Sic’estçafairel’amour,alorsjenel’aijamaisfaitavant.Sic’estçalapassion,alorsjen’enai vécu que la version tiède jusqu’à aujourd’hui. Ça, c’était comme danser avec la foudre ! Jemereculai justeun instantpour la regarderdans lesyeuxpendantquesesmains saisissaientmesépaules,puis j’entrai en elle. Elle cligna des yeux enme regardant et l’expression de son visage exprima undélicieuxmélangedevolupté,dedouteetd’impatience.
–Kira,murmurai-jeencoreenm’enfonçantenelle.C’étaitcommesitoutmonvocabulaireétaitdésormaisréduitàceseulmot.Soncorpsétaitchaud,
humide et doux, mais tellement serré que je pouvais à peine le pénétrer. Je laissai échapper ungémissement, tremblant pourmemaîtriser tandis que je rentrais un peuplus en elle.Kira souleva sonbassincommepourm’inciteràallerplusviteet,malgrémondésir,jenepusm’empêcherdesourire.
MonDieu,elleestenvoûtante.MonDieu,elleestàmoi.Je continuai àm’enfoncer encoreunpeuetKiragémit avantd’enrouler ses jambes autourdema
taille. Puis, après un dernier coup de rein, je la pénétrai entièrement. Elle ferma les yeux dans unfrémissementetentrouvritlabouchedansunsoupirtremblant.Jecommençaialorsàbougerenelle.Sonregardaccrochéaumienalorsquenousnefaisionsplusqu’un,devintpresquetropdifficileàsupporter.Sa respiration s’accélérait, ses hanches venaient à la rencontre desmiennes. Je luttais pour retenir lajouissancequimontaitdansmonventre,contractaitmestesticulesetmedonnaitlachairdepoule.Putain,çamefaisaitpresquemaltellementc’étaitbon.
Jem’entendaisvaguementluichuchoterdesmotssansaucunsens,quicherchaientjusteàexprimermonémotion;ilsétaientincohérents,crusetsortaientduplusprofonddemonêtre.
Sesmainsexploraientmondos,jusqu’àcequ’ellesarriventsurmesfesses.Kiras’yaccrochaalorsquejememouvaisenelle.
–Plusvite,gémit-elle.Jesentismescheveuxsedresserd’excitationdansmanuqueàcesmotsJ’accélérailacadence,lapénétrantdeplusenplusfort,larespirationsaccadée.Jenesavaisplus
oùjefinissais,oùellecommençait.J’étaisentraind’essayerdeluiarracherunnouveaubaiserquandellelaissaéchapperunpetitcrietque jesentissesmusclessecontracterautourdemoi. Jeprisunpeudereculpourl’admirerpendantl’orgasme.Jeregardaisavecémerveillementcettefemmejouir,cettefemmequim’avaittellementrésisté,quim’avaitmisàl’épreuve.Ellemefascinait,ellem’avaittesté,m’avaitpoussédansmesretranchements,etellecontinuaitàm’intriguer.Elleétaittoutpourmoi:mesrêves,mafaiblesse,etlapersonnequimedonnaitenvied’êtrefort.Elleétaitlaseulefemmeàm’avoirmontréquej’étaisimportant,quej’étaisdésiré.Quejepouvaisluisuffire.
–Kira!Jerugisunedernièrefoisenéjaculant.Leplaisirétaitsiintensequ’unepluied’étoilesdansadevant
mesyeux.Jem’affalaisurelle,latêteposéedanslecreuxdesoncoupendantquenousreprenionsnotresouffle.Sesmainscouraienttoujoursdansmondos,dehautenbas.Sescaressesmeréconfortaient,carj’étaistotalementébranléparcequenousvenionsdepartager.Aprèsquelquesminutes,jemeretiraietjela pris dansmes bras, en fixant sans le voir le ventilateur au plafond. Cette expérience avait fait dechacunedemesaventuressexuellespasséesunepiètreplaisanterie!
Jemesentaisétrangementvulnérable,commesielledétenaittouslespouvoirs.Jenesavaispastropquoifairedecettenouvellesensation.J’avaistoujourseul’impressiond’êtreceluiquiavaitsexuellementlecontrôle,maislà…
–Commenttesens-tu?murmura-t-elle.–Commetonmari,répondis-jeaussitôt,lesourireauxlèvres.Ettoi?Commenttesens-tu?Ellemeregarda.Elleavaitl’airheureuseetcomblée.Ellechuchota:–Commetonépouse.Jesourisetlaserraiunpeupluscontremoi.Kiradessinaitdescerclesautourdemontétonetjefrissonnais,larapprochantencoredemoi.Elle
basculalatêteetlevalesyeuxversmoi.–Est-cequec’esttoujourscommeça?demanda-t-elleunbrintaquine.–Non,répondis-jeimmédiatement.Jeposaimonregardsurellepourqu’ellepuissevoirlasincéritédansmesyeux.– Je n’ai jamais rien ressenti d’aussi merveilleux que ça. Je n’ai jamais rien ressenti d’aussi
merveilleuxquetoi.Lesoulagementetlajoieselisaientsursonvisageetellesouritdoucement.–Est-cequeceseratoujourscommeçaentrenous?
J’observaissonairvulnérable.Oui,ceseraittoujourscommeçaentrenous,carc’étaitKira,c’étaitsagaieté,sonenthousiasmeetsoncaractère.Maisjecroyaisquejesavaiscequ’ellevoulaitdire.Elleavaitétéhumiliéeautrefoisalorsqu’ellen’étaitpourriendans l’échecdesarelationavecCooper.Uninsupportablesentimentdejalousiem’assaillitetjen’avaisaucuneenviedeparlerdesonexdansnotrelit. Jemedisqu’ilvalaitmieuxque jeprennesaquestionà la légèrepour lemoment. Je lui sourisetdéposaiunbaisersonfront.
–Ehbien,ilvafalloirqu’ontrouvelaréponsetoutseuls,voyonsvoirça!Jeme retournaibrusquementet l’enjambaipour l’embrasser fort sur labouche,enmaintenant ses
bras au-dessus de sa tête. Elle semit à rire avant de se débattre, prisonnière sousmon corps.On sechamaillait,c’étaitunmomentlégeretcharmant.
Jel’embrassaiencoreavantdeladélivrer.–Nousn’avonspasutilisédepréservatifs,dis-jeenlaregardantpourjaugersaréaction.Jecomprenaisaprèscoupque,pourlapremièrefoisdemavie,jen’yavaispaspenséuneseconde.
Jen’étaispastrèsinquietmaisj’avaispeurqu’ellelesoit,mêmesiellen’avaitriendit.Ellehésita;ellen’yavaitpaspensénonplusvisiblement.–Pouruneseulefois,cen’estpeut-êtrepastrèsgrave.Jevaismefaireprescrirelapilule,comme
ça,onseratranquille.–D’accord,dis-jeenhochantlatête,medemandantpourquoij’étaissipeuinquiet.Onnerisquaitrien,etpuisaprèstout,onétaitmariés!Onavaitunemaison.Jenepensaispasêtre
prêtàavoirdesenfants, jen’yavaismêmejamaissongé.Maisceneseraitpasundramenonplus.Jevoulaismanouvellefemmerienquepourmoipendantunbonboutdetemps,maissiçadevaitarriver,onsedébrouilleraittoujours.
–Tuveuxdel’eau?luidemandai-jeenfrottantmonnezcontrelesienetenembrassantlecoindesabouche.
–Ouijeveuxbien,s’ilteplaît,répondit-elle.JemelevaietKiras’assitcontrelatêtedelit.Jeprisunmomentpourladévorerduregard:ses
cheveux acajou enbataille autour de sonvisage, ses yeuxvertsmi-clos et fatigués, son expressiondesatisfaction absolue, sa nudité complètement exposée, ce corps que je venais de posséder. Jeme suisdirigédanslasalledebainsavantd’oublierl’eau.Jemedépêchaidemerecoucherpourprofiterd’elle.Quandj’aperçusmonrefletdanslemiroir,jefussurprisdemevoirsourire.Jenem’enétaismêmepasrenducompte
***
–Est-cequetuvasm’enparlerunjour?demanda-t-elle toutdoucement,enembrassantmoncou.Nousvenionsdefaire l’amourpour lasecondefoisetnousétionsallongéssur lesoreillers, la têtedeKiraposéesurmontorse.
J’attendisuninstant,pascertaindecedontelleparlait.
–Tuveuxdiremonséjourenprison?Elleacquiesça,leslèvrestoujourscontremapeau.Jebaignaisdansleparfumdesescheveux.Jevoulaisqu’elle sache toutdemoi,partager avecelledeschosesque jen’avais jamaisdites à
personne,maisjenesavaispasquelsmotschoisir.Jen’enavaispasl’habitude.J’attrapaiunepoignéedesescheveux.
–JevenaisjustederentrerdeNewYorkoùj’étaisallévoirmamère.–Tuesallévoirtamère?demanda-t-elle,étonnée.Jefisunpetitgestedelatête.–Levoyageétaitdéjàpresqueterminéavantmêmed’avoircommencé.J’aiessayédenepluspenser
àelle.Maisàl’époque,je…jevenaisd’obtenirmondiplôme,etjem’étaisditquesiellemevoyait,quesi elle découvrait l’homme que j’étais devenu, elle… je ne sais pas, elle tomberait à genoux et meprieraitdelapardonner.J’avaisimaginécelaexactementcommeça,aussistupidequecelaparaisse.J’aidoncprisl’avionpourNewYorketjemesuisprésentéàsaporte,sanslaprévenir.
Je gardai le silence unmoment,me remémorant tous les espoirs que j’avais entretenus avant desonneràlaportedesonappartement.
–Elleétaitmariée,etavaitfondéunefamille.Elleavaitdeuxpetitsgarçons.–Elleadûêtretrèscontentequetuvienneslavoir,dit-ellegentiment.J’eusunpetitrireamer.–Non.Elleaététrèsviolente,ellem’aditquej’avaisruinésavie.Àl’époque,elleétaitàl’aube
d’uneimmensecarrièreavantquejen’ymetteunterme,selonelle.Ellem’aégalementditqu’elleétaitheureuseden’avoirpaseuàveillersurmoi,etàsesouvenirchaquejourdecequ’elleauraitpudevenirsijen’avaispastoutgâché.Puisellem’ademandédepartir.Jecroisquecequiaétéleplusdurdanstout ça, c’est la façon dont elle regardait ses deux autres enfants pendant que j’étais là. J’ai prisconsciencequ’ellen’étaitpasincapabled’aimer,maisquec’étaitmoi,Grayson,quiposaitproblème.
Jeluiconfiaiscettehistoireleplussimplementquejepouvais,maisjesentaisquemespommettess’empourpraient.Lesouvenirdecemomentétaitencoredouloureux;j’avaisétémarquéauferrouge.
–Gray,dit-elle,avectoutelacompassiondumonde.Elleposalamainsurmajoueetjemelaissaiallercontreelle.–J’aiprislevolderetourversSanFranciscoetjemesuisrendudansunbar.J’avaisbesoind’un
verre.Dedixplutôt.–Tuétaisblessé,dit-elle.–Je…oui.Putain,siseulementj’avaisjusteprislaroutepourrentreràlamaison.Mavoixsecassasurlederniermot.J’avaistellementderegrets.Kirameserratrèsfortcontreelle.–J’étaisaubardepuisàpeuprèsuneheurequandjesuistombésurBrentRiley,ungossederiche
quejeconnaissaisvaguementetavecquij’avaisfaitplusieurssoirées.Safamillevivaitdansunevilleàtrenteminutes d’ici. Il était àSanFrancisco pour son enterrement de vie de garçon. Il y avait tout ungroupeavec lui. J’avais traînéaveceuxàununeépoque.MaisBrentetmoi,onnes’était jamaisbien
entendus.C’étaitunvraiconnard,legenredemecquiavaitl’airparfaitetclassemaisqui,encoulisseétaitodieuxetégocentrique.
Ellehochalatête.–Jevoistrèsbiencequetuveuxdire,ironisa-t-elle.J’embrassaisonfronttendrement,sachantqu’ellepensaitàCooper,oupeut-êtreàsonpère.Oules
deux.–Oui,bref,nousmarchionsendirectionduparking.Là,ilm’aditqu’ilsavaientdroguéunenana,et
queluietlesautresmecsallaientlaramenerdansleurhôtelpours’amuserunpeu.Kirameregarda,effarée.–Ilm’ademandésijevoulaisenêtreetm’amontréunevoituregaréeoùunefilleétaitcouchéesur
lesiègearrière.Jesuisdevenufou.Jecherchaislabagarre,Kiraetjevenaisdetrouveruneraisondemebattreaveclui.
–C’étaitunebonneraison,Gray,murmura-t-elle.Jepoussaiungrandsoupir.– Peut-être… Je l’ai cogné en pleine face, mais c’est lui qui m’a poussé en premier. Et çame
suffisaitpourdémarrerlabagarre.J’aiétésanspitié.Ilaréussiàrendrequelquesbonscoups,maisc’estmoiquiluiaicolléuneraclée.J’yaiprisduplaisir.Etpuisilesttombé…
Jemetusetjefermailesyeuxenrepensantàcemomentatroce.–À lamanièredont sa têteacogné le sol, J’ai su toutdesuitequ’ilétaitmort.Lesgenssesont
dispersés,lesvoituresontfui,lapoliceestarrivée…Le regard qu’elle leva surmoi exprimait tant de compréhension et de bienveillance que j’aurais
voulupouvoiryplonger.J’yauraiscertainementtrouvélarédemption.–Tun’avaispasl’intentiondeletuer.–Non,monDieu,non!Jen’aijamaisvouluça.Jevoulaisjusteluifairemal,luidonnerunebonne
leçon.Jemesuisprispoursonjuge,sonjuryet,vulatournurequeçaapris,aussipoursonbourreau.Kira caressaitma joue avec son pouce. Comment pouvait-elleme regarder avec autant d’amour
aprèscequejevenaisdeluiconfier?–Est-cequ’ilsontréussiàretrouverlafille?–Oui,ilsl’onttrouvée,maistroptardpourdécelerlamoindretracededroguedanssonsang.Ma
défensen’apaspuutilisercetargumentauprocès.Jeprisuneprofondeinspiration.– Ma défense… Quelle blague. Mon père avait refusé de payer un avocat, il m’a laissé me
débrouiller.Jeneparvenaispasàmasquerlasouffranceetl’amertumedansmavoix.–J’aidûprendreunavocatcommisd’office.Legarsétaittotalementincompétent,etmêmes’ilne
l’avaitpasété,lenombrededossiersqu’ilavaitàtraiterétaittellementimportantqu’iln’auraitpaspufairegrand-chosepourmoi.Bref,entoutcasilétaitsûrquejeseraiscondamnéàunepeineminimepourcequis’étaitpassé,aupiresixmois,aumieuxdestravauxd’intérêtgénéral.Donc,quandlejugearendu
sonverdictavecunepeinedecinqannéesincompressibles,j’aiétédévasté,anéanti.C’étaitcommesimavieétaitfoutue.
JesentislecorpsdeKiraseraidirmaisellerestasilencieuse.– J’ai attendu quemon pèreme rende visite, ne serait-ce qu’une fois,mais il ne l’a jamais fait.
Ensuite,Shaneestvenupourmedirequ’ilallaitépouserVanessa…Jemesouvenaistrèsbiendeladouleurquej’avaisressentieàl’époque,mêmesi,danslesfaits,je
n’enavaisplusrienàfaire.J’avaisétédévasté.Puisj’avaiscoupélespontsavecShaneenleretirantdemalistedevisiteurs.Ilavaitessayédemecontacter.Pendanttoutescesannées,iln’avaitjamaiscessédem’écrire,detenterdemerendrevisite,commeVanessad’ailleurs.
Kiralevalatêtepourmeregarder.–Çaadûêtreterriblepourtoi.Tuasdûtesentirtellementabandonné,tellementtrahi.J’acquiesçai,sachantàquelpointellepouvaitcomprendre.–Jen’auraispassurvécusansHarley.Ettoi,petitesorcière,tuyespourbeaucoup.Ellefronçalessourcils.–Commentça?JeluiairacontécequeHarleym’avaitconfié.Elleposasonmentonsurmontorse,unpetitsourire
tranquilleauxlèvres.–Alorspeut-êtreque,d’unecertainemanière,j’étaislà-basavectoi.Est-cequeçateparaîtdébile
cequejeviensdedire?J’éclataiderire.–Non,çameparle.Jebaissailesyeuxverselle,moncœurbattaitlachamade.Soncorpscharmants’appuyaitcontrele
mienetaussiincroyablequeçapuisseparaître,j’avaisencoreenvied’elle.Passeulementsexuellement.Dansmoncœuraussi.Jeladésiraisdetouteslesmanièresqu’unhommepeutdésirerunefemme.
Jet’aime.Jet’aimeraitoujours.Je voulais lui déclarer ma flamme mais les mots restaient coincés dans ma gorge, la peur
m’empêchaitdesortirlemoindreson.Aulieudeça,jel’aiembrassée,sansm’abandonnertotalement.Jen’étaispasassezcourageux.Dumoinspasencore.
CHAPITRE21
KIRACommec’étaitétranged’êtreamoureusedemonmari!Étrange,maisabsolumentmerveilleux.Jeme
suis renducompteque jemarchaisdans levignobleHawthornavecunpetit sourire rêveuraux lèvres.J’avaisinstallétoutesmesaffairesdanslachambredeGraysonetnousavionscommencéunenouvelleviedecouple,bienréellecettefois.J’avaislevertigeenpermanence,incapabledecroirequejevivaisçapourdebon.
Nous avions dit au revoir à Shane et à Vanessa en leur promettant qu’une fois les vendangesterminées,nousviendrionspasserdutempsaveceuxdansleurmaisondevacancesdeSanDiego.Commeleurdépartavaitétédifférentdeleurarrivée!Jesourisintérieurementenyrepensant:Graysonetmoiétalés sur le sol de l’entrée. Il faudrait d’ailleurs peut-être recommencer la course étant donné queMonsieurleDragonavaitl’impressiond’avoirgagné!
J’aipassélesjoursquiontsuiviàmettredel’ordredanssonbureau,réglantunnombreincalculabledefacturesettraitantsixannéesdecomptabilité.Çan’allaitpasêtreuntravailfacile.Cependant,j’étaisdéterminéeàcomprendrecequiétaitarrivépourprovoquerunteldéclindelapropriété.C’étaitaussilamiennedésormais,etpourtoujours.Jeferaisensortequeçan’arriveplusjamais.
Àlafindechaquejournée,j’attendaisavecimpatiencequeGraysonquittesontravailpourquenousdînionsensemble.Puisonfaisaitdelonguesbaladesautourduvignoble.Onparlait,onriaitenpartageantdessecrets,onapprenaitàseconnaîtrecommesinousvenionsdenousrencontrer.C’étaitd’ailleurslecas,saufquej’étaisdéjàamoureuse.Etjerêvaisdujouroùiltomberaitluiaussiamoureuxdemoi.
L’heurevenue,oumêmeparfoisbienavant,nousnousretirionsdansnotrelitoùnouspassionsdelonguesheuresàfairel’amour.J’avaisdécouvertchezGraysonlesendroitsdesoncorpsquilerendaientfou de passion. J’avais appris des manières d’utiliser mon corps et ma bouche qui lui permettaientd’abandonner un peu l’état de contrôle permanent qu’il avait maintenu jusqu’alors. Je lui avais aussipermisd’apprendreàmeconnaître,plusprofondémentetplusintimementquequiconque.Àchacundesesgémissements,àchacundesesorgasmes,àchacunedesescaresses,GraysonmerassuraitetmeprouvaitqueCooperavaiteutort.Jesavaisprocurerduplaisiràunhomme.
Lesquelquesfoisoùnousavionsdînéenville,plusieurspersonnesprésentesàlafêteétaientvenuesnous saluer, et Grayson avait été avenant et chaleureux avec eux. C’était comme si je regardais lacarapace froide et distante qu’il s’était créée voler en éclats. Bien sûr, il y en avait toujours qui
l’observaientavecméfiance,maisçaprendrait justeunpeuplusde temps.Je luiavaisditque j’allaisréfléchiràdenouvellesidéespourredorersonblason.Ilari,merétorquantqu’iln’avaitaucundoutelà-dessus!
Unmatin, quelques semaines après la fête, je décidai de prendre Sugie avecmoi et d’aller mepromenerdans lesvignes.Depuis toutce temps, jen’avaisencore jamaismarchédans lesrangéesquej’admiraisdeloin.Bienqu’ensoleillée,c’étaitunejournéeunpeufraîche.L’automnepointaitleboutdesonnez.BientôtlesgrappesseraientcueilliesetlegrosdutravailcommenceraitauvignobleHawthorn.Jeprisunegrandeinspirationdecetairfraisàl’odeurdeterreetteintédesnotessucréesduraisinmûr.Sugiereniflaitlesol,cherchantdeschosesintéressantespourunetruffedechien.Graysonavaitditqu’ilétaitquasimentprêtpourlesprochainesvendanges.Ildevaitembaucherdesextras,maisendehorsdeça,toutlematérielétaitenétatdemarcheetprêtàfonctionner.
Jenepouvaispasêtreplusheureuse,notreplanavaitfonctionné.Levignobleallaitànouveauêtrerentable,etsansl’argentdemagrand-mère,riendetoutcelan’auraitétépossible.Pourtantjeregardaislesvignessans lesvoir…J’étais tropperturbéepourprofiterdupaysage,cematin. IlyavaitquelquechosedetrèsinquiétantdanslesfichierscomptablesqueWalterm’avaitdonnés.Jen’avaisd’abordpasvoulul’admettre,maisplusjem’étaispenchéesurledossier,plusj’enavaiseulaconfirmation.Etjenesavaispasquoifaire.
–Tuasl’airperduedanstespensées.Jemeretournaienmettantmamaindevantlabouche,riantauxéclatsetGraysonmepritdansses
bras.–Commenttuasfaitpourmetrouverici?demandai-je,tandisqu’ilembrassaitmoncou.Jepensais
êtretrèsbiencachée.–Tunepourrasjamaism’échapper.Jeréussiraitoujoursàteflairer.Ilmitalorssonnezsurmagorgeetcommençaàmereniflercommeunchien.Dragon.Jememisà
rire,sarespirationmechatouillait.Jelerepoussai,ilétaithilareaussi.– Là, j’ai eu tellement demal à te retrouver que je devrais peut-êtrem’isoler avec toi, dans un
endroitbiencaché,ettepunirenfaisanttoutuntasdetrucsdragonesques.–Tunepensespasenavoirdéjàassezfait?répliquai-je,provocante.–Jamaisassez.Ilseretournaetc’estlàquejeremarquaiqu’ilavaitapportéunpanier.Iljetauncoupd’œilautour
denous,etposasonregardsurunpetitespaceherbeuxetbienexposé.Enouvrantlepanier,ilpritunecouvertureenpatchworketl’étala.GraysonsetournaalorsversSugiequireniflaitquelquechoseàcôtédenous.
–Laisse-nousunpeud’intimitéSug.Vachasserunesourisoun’importequoi.Sugie, ravie, sedirigeaversunpieddevigneunpeuplus loindans le rang, évitant les grappes,
commesielleavaitétédresséepourça.–Tuastoutprévu.Qu’est-cequec’estquetoutça?
–Toutça,dit-il,ens’asseyantetenm’invitantàlerejoindreentapotantlesoltoutprèsdelui,c’estpourt’apprendreàreconnaîtrelesdifférentsraisins.Vienslà.
Jeluiobéis.–Situveuxdevenirl’épouseparfaited’unvigneron,tudoisconnaîtrelesvariétésderaisinsqu’on
cultive, de telle sorte que, quand les gens te poseront des questions, tu pourras leur répondre avecassurance.
–Ah…Jetentaid’ouvrirlepaniermaisillerefermaaussitôt,cequimefitrire.–Patiencepetitesorcière.D’abord,j’aibesoinquetutedéshabilles.Jelevaiunsourcil.–Pourunebonneleçon,c’estnécessaire,dit-il,enmereluquantlascivement,lesyeuxdébordantde
lamalicehabituelledudragon.Moncœurchaviraitetmesmuscleslesplusintimessecrispèrentdélicieusementdevantsabeauté
virile.Soncharmeétaitencoreplusdévastateurquandilredevenaitdragon!–Ilfaitunpeufraispourêtretoutenue,tunecroispas?–Jevaistetenirchaud.Promis.Jememisàrireetluiobéis.Jeretiraimonhautàmancheslongues,puismeschaussuresetj’ouvris
lepremierboutondemonjean.Jem’allongeaietGraysonm’aidaàenleverlebas.Jemesentissoudainmoins sûre demoi, allongée là, nue, devant lui. Personne nem’avait jamais contemplé avec une telleintensitéetdesurcroîtàlalumièredujour.
–Tuessibelle,belleàencrever,murmura-t-il.Ilsepenchaetposaseslèvressurmoncouavantdechuchoterdansmonoreille.–Unefois,jemesuisditque,quandjeteferaisl’amour,ilfaudraitqueçasoitaugrandjourpour
quejepuissevoirchaquepartiedetoietadmirercettesublimechevelured’unecouleurmerveilleuse.Ilpritunemèchequ’illaissaglisserentresesdoigts.–Cesyeux,sivertsquejevoudraispouvoiryplonger…–Grayson,chuchotai-jeenpassantmesdoigtsdanssescheveux,tandisquemoncorpssedétendait,
réchaufféparsachaleur.Il semitàgenouxun instantpourenlever son tee-shirtpuis sebaissapourdégrafermonsoutien-
gorge.Ilfitglisserlesbretelleslelongdemesbras,sesyeuxs’attardantsurmesseinsquiavaientdurciinstantanémentaucontactdel’airfrais.
–Despétalesderose,souffla-t-il.Puis il revint sur moi, et introduisit sa langue dans ma bouche. Je frissonnais, des étincelles
naissaientaucreuxdemescuisses.Mesmains sepromenaient le longde sa colonne.Sapeau était commedu satin chaud. Il était si
large, si ferme, siparfaitementvirilquec’enétait scandaleux. J’adorais sentir sonpoidsau-dessusdemoi,lemouvementdesesmusclessousmespaumes,toutçaprovoquaituneagitationdélicieusedansmonventre.Ilétaitbienplusfortquemoietilmetraitaitpourtantavectellementdedouceur.Lemouvement
trèslentdesonbassincontrelemienm’enflammaitetjegémissaisdanssabouche.Nousavionsdéjàfaitl’amourunnombreincalculabledefois,maisàchaquefoisc’étaitcommesic’étaitnouveau,différent.
Jeglissaimamainentrenousetpassaimesdoigts sur lesmusclesdesonventre, je les sentis secontractersousmescaresseset ilpritunegrande inspiration.Qu’est-ceque j’aimais fairegémirmonmagnifiquemari. Ilsouritcontremabouche,s’éloignantdemoialorsqueje laissaiséchapperunpetitgémissementd’abandon.Oui,maisc’était luiquiavait lecontrôleaujourd’hui. Ilprit quelquechosedanslepanieretleposaàcôtédenoussurlacouverture.Unegrappederaisins.
–Ça,dit-ild’unevoixrauque,c’estduchardonnay.Il arrachaungrain, le suça entre ses lèvres et l’ouvrit endeux. Je le regardais, subjuguée tandis
qu’illeprenaitentresesdoigtsetl’approchaitdemontéton.Jesoupiraienbasculantlatêteenarrièreetfermailesyeux.Lasensationcontremapeaudufruitjuteuxréchaufféparsaboucheétaitmerveilleuse.Ilsepenchaetléchalejusderaisinlaissésurmesseins,embrassantchaquetétonavantdeposerlegrainsurmeslèvres.
–Legoûtduchardonnayestgénéralementneutre,lesparfumsétantrévélésparlechênedufût,dit-ilenlefrottanttrèsdoucementsurmabouche.
Jeléchaimeslèvresetilregardamalangueavecunairmystérieuxetpleindedésir.Àlaveinedesoncou,jevoyaisquesonpoulss’accélérait.Jeprisleraisinentremesdentsetjelecroquai,fermantlesyeux pour sentir le goût sucré éclater sur ma langue. Grayson se pencha alors et m’embrassa enenfouissantsalanguedansmabouche.
–Hum,me susurra-t-il à l’oreille après avoirmis fin à notre baiser. Tu te débrouilles très bienjusqu’àmaintenant.Tuesuneélèvetrèsattentive.
–Ilestassezdifficiledenepast’obéir!Ileutunpetitriresatisfaitavantdeprendreuneautregrappe,violettecettefois,danslepanier.–CabernetSauvignon,dit-ilàvoixbasse.Ànouveau, ilpritungrainentresesdents, le fenditendeuxet le fitglissersurmonventre. Il se
pencha pour aspirer le jus, et la sensation de sa langue chaude sur la peau fine demonbas-ventre fitbondirmonpoulsfrénétiquement.Jeserraisatêtedansmesmains,haletante.Ilrelevalevisage,mesyeuxcroisèrentlessiensetpendantuncourtinstant,quelquechosed’indéfinissablepassaentrenous.
Jet’aime,pensais-je.Moncœurestàtoi.Jelaissaimatêtepartirenarrière,tropeffrayéedeluidiredesmotsqu’ilnepourraitpasmedireen
retour.–Cesgrainsfontunvintrèsintéressant,dit-ild’unevoixquirévélaitqu’ilsebattaitpourgarderle
contrôle.Soit je neme rappellerai jamais de cette leçon, soit jeme rappellerai de chaquemot.Dechaquesensation.
Avantmêmequejenem’enrendecompte,Graysons’étaitmisdeboutetavaitretiréseschaussurespuis enlevé son jean.Enune fractionde seconde, il futde retourprèsdemoi, arrachantunautre fruitd’unegrappederaisin,cettefoispourprefoncé.Illetenaitentreseslèvresetilpassasonpoucedansmaculotte. Je soulevaimes hanches et il la fit glisser le long demes jambes. J’étais complètement nue.
Agenouilléàcôtédemoi,ilfitcourirsonindexentremesjambesetjegémis,m’offrantàlui.Ilappuyaleraisinsurlapartielaplussensibledemapeauetjedusmeretenirdemepressercontrelui.
–Merlot,grogna-t-il.Offreunvinauxrichessaveursdebaies.Cefutunsuppliceetunelibérationàlafoisquandilenléchalejus,salangueroulait,melapaitetle
plaisirétaitsiintensequejecrusquej’allaisjouirdanslaminute.Jemedébattisencriantsonnom.Ilseremitbrusquementsurmoi,mapeauglacéeseréchauffaitpeuàpeuaucontactdesachaleur.Ilpritsonpénisdanssamainetmecaressadesonextrémitégonflée.Jebasculaimonbassinpourluiouvrirmonsexe.
–Oui,dit-ildansunsouffle,alorsqu’ils’enfonçaitenmoi.Jeperdislesouffleensentantlapressionmaintenantsifamilièredesonsexeenmoi.Rienn’était
plusmerveilleux.Rien.Sauf…Si!Ilyavaitquelquechosedeplusmerveilleux…Ilmepénétraencoreunpeuplus.Jepoussaiuncriaigutantmonplaisirétaitintenseetbrutal.Jelaissaimesmainsdescendrejusqu’à
ses fessessavourant lasensationdesesmusclesenactionsousmespaumes.Nousbougionsensemble,commedansunedansesensuelle,leplaisirmontantencoreetencorejusqu’àcequenousnouslaissionsaller. Je me mis à crier, mon corps était secoué de spasmes délicieux et impossibles à contrôler.J’entendisGraysonjouir luiaussiaprèsdeuxdernierscoupsdereinserratiques.Il trembla,puis laissatombersatêtedanslecreuxdemoncou,larespirationhaletante.Lemondesemblaits’êtrearrêtéalorsque je revenais tout doucement sur Terre. Le souffle rauque deGrayson contrema peau reprenait unrythmenormal.Lesnuagesflottaientparesseusementau-dessusdenostêtes,lesoiseauxgazouillaientdanslesarbresenvironnantsetlecœurdemonmaribattaitcontrelemien.Lemonden’étaitquebeauté.
– Quelles sont les autres leçons que je peux attendre avec impatience en tant qu’épouse d’unvigneron?demandai-je,encoreessoufflée.
Graysonsemitàrirecontremapeau.–Oh,j’aibeaucoupdeleçonsàtedonner.Cen’estqueletoutdébut.Ilroulasurlecôtéetm’embrassaunedernièrefoisensouriantcontremabouche.L’airétaitfrais;il
étaittempsdenousrhabiller.Graysonsortitunthermosdecafé,lesmuffinsàl’orangeetauxcranberriesdeCharlotteetunTupperwaredefraises.Nousavonsprisnotrepetit-déjeuner,nousavonsrietdiscuté.Jenecroispasqu’ilauraitpuexisterunbonheurplusgrandquecelui-ci.
***
L’après-midisuivante, ilpleuvaitdescordes.Lesgouttestombaientsurlafenêtre, transformantlemonde extérieur en une aquarelle brumeuse. Je me suis assise sur la chaise du bureau de Grayson,contemplant les chênes, puis le grand portail, et enfin les dossiers de comptabilité étalés devantmoi.J’avais tout réorganisé et, désormais, chaque chose avait trouvé sa place, dans un dossier étiqueté etsoigneusementrangédanssontiroir,oudansl’undestrieursempiléssurledessusdubureau.Jemelevai,dérangeantSugiequibâillaàmespieds.
–Resteici,mafille,dis-jecalmement.Jerevienstoutdesuite.Danslacuisine,CharlotteetWalterétaientassiscôteàcôte,chacundevantunetassedethéposée
surlagrandetable.–Oh,bonjour,chérie,veux-tutejoindreànous?Latempératureavraimentbaisséaujourd’hui.–Ouiavecplaisir.Nebougepas,jevaischercherunetasse,dis-jeàCharlotteenlacoupantdans
sonélan.Jem’assis,puisjeluitendismatasse.Ellelaremplitimmédiatement.Unefoisservie,jeposaimes
mainsfroidesautourdemonmugbrûlant.–Est-cequetoutvabien?demandaCharlotte,lavoixinquiète.Jeveuxdire,entretoietGray?J’ai
l’impressionque…–Oui, toutvabienentrenous,dis-jeensouriant.Mieuxquebien,même.Cen’estpasçaquime
travaille.JeregardaiCharlotteetWalter,hésitantàformulermessoupçonstoutensachantquejen’avaispas
vraimentlechoix.–Quesepasse-t-il?demandaCharlotte.ElleetWalterétaientaussiimmobilesquedesstatues.– J’ai épluché les vieux livres de comptes et il semble… Enfin, j’ai l’impression que Ford
Hawthorn a délibérément ruiné ce vignoble. Comment a-t-il pu faire une chose pareille ? dis-je enchuchotant.
CharlotteetWalterseregardèrent,levisagesombre.– Il ne faut rien dire àGrayson… répliqua Charlotte. En temps normal, je déteste lemensonge,
mais…ilaassezsouffertàcausedesonpèreetça…çaledétruirait.Unjourpeut-être…Jepensequenoussauronstrouverlebonmoment,maisattendons,ilcommenceàpeineàseremettre.
Jesoupirailonguement.–C’estvrai,dis-jed’unevoixétouffée,un frissonparcourantmoncorps.Maispourquoiaurait-il
faitunechosepareille?–C’était sonderniermessageàGrayson,ditCharlotte, lesyeuxembuéspar lechagrin.Waltera
pourtantessayédumieuxqu’ilpouvaitdepréserverledomaine.MaisquandFordadécouvertqu’ilétaitmalade et queShane et Jessicaont refuséd’hériter duvignoble, il a compris qu’il serait obligéde lelégueràGrayson.Ilaalorscommencéàledétruire.Heureusement,ilavécumoinslongtempsqu’ilnelepensait,faisanttoutdemêmeénormémentdedégâtsavantdemourir.
Jemesuissentiemal,prised’uneviolentenausée.–Illehaïssaitàcepoint?demandai-je,lecorpssoudainglacéjusqu’auxosmalgrélethéchaudque
jetenais.Jedusdesserrerlesmains,comprenantquej’étaissurlepointdecassermatasse.–Ilsehaïssait,expliquaCharlotted’unevoixdéforméeparlacolère.Etilatransposécettehaine
danssarelationavecsonfils.Ilavaitl’intentiondelaisseràGraysonuneruinesansvaleur,commeuneultimegifle.C’étaitcruelet…
–Cen’estpasvrai.La voix de Grayson résonna dans la pièce. Je fus tellement surprise que je sursautai et que je
m’ébouillantaiavecmonthé.–Grayson…–Non,dit-il,lavoixbrisée.Ilentradanslacuisine.Jemelevai,imitéeimmédiatementparWalteretCharlotte.–Gray,ditCharlotteenluiprenantlamain.–Dis-moiquecen’estpasvrai,Charlotte,supplia-t-il.Elle baissa les yeux pour dissimuler son visage, profondément attristé. Elle n’arrivait pas à lui
mentir,pasàGrayson,pasenréponseàcettequestionsidirecte.Lemalétaitfait.Iltournalestalonsetquittalapièceencourantversl’escalier.
AvantqueCharlotteetWalterneluiemboîtentlepas,jelesarrêtaid’ungestelamain.–Laissez-moiluiparler.S’ilvousplaît.Ilsacquiescèrent.Charlottesetordaitlesmains,bouleversée.–Sivousavezbesoindenous,noussommeslà,nousnebougeonspas,marmonnaWalter.Jeleurfisunderniersouriretristeetjefonçaiversl’étage.Jen’arrivaispasàycroire.Comment
était-cepossible?Enpassant lesdossiersenrevue, j’étais tombéesurdeschosestrèssuspectes,maisj’avaiseudumalàcroirequecequejevoyaisétaitvrai.Commentpouvait-onêtresicruel?Commentpouvait-onêtresihaineuxàlafindesavie?C’étaitçal’héritagequ’ilavaitdécidédelaisseràsonfils?Celan’avaitaucunsenspourmoi.J’entraidanslachambrequeGraysonetmoipartagions,etjeletrouvaidebout,devantlafenêtre.Ilregardaitlapluietomber.
–Gray,dis-jetimidement,enm’approchant.Ilsetournaversmoi,l’airtellementdévastéqu’ilmecoupadansmonélan.– Je lui avais fait une promesse ! hurla-t-il. Enfin, c’est ce que je croyais… et pendant tout ce
temps…Ils’éloignadelafenêtreets’adossaàl’undesmursdelachambre.Sesjambesflageolaient,ilse
laissaalorsglisserausoletenfouitsatêtedanssesbras.Jepoussaiunpetitcrid’effroietmeprécipitaiversluipourleprendredansmesbras.Etenfin,pressétoutcontremoi,ilfitcequ’ilauraitprobablementdûfairedepuiscessixlonguesannées,etpeut-êtremêmeavant:ilsemitàpleurer.
CHAPITRE22
KIRALevignobleHawthornsemblaittrèscalme.Graysonétaitrestédansnotrechambretoutelajournée,
sansallertravailler,couché,leregardfixéauplafond.J’étaisrentréeplusieursfoisdanslapièce,maisilnem’avaitquasimentpasadressélaparole.Jepensaisqu’ilavaitsimplementbesoindedigérercequ’ilvenaitd’apprendre.Commentleblâmer?Ilétaitprofondémentblessé.Toutceenquoiilavaitcrûdepuisdesannéesvenaitdevolerenéclats.Ilavaitvécudansleseulbutdetenircetteuniquepromesse,maiselleétaitbaséesurunmensonge.Etlavéritéétaitsimochequ’ellel’avaitbrisé.Jecomprenaiscequ’ilressentait.J’avaisvécuquelquechosedesimilaire.J’auraisjusteaiméqu’ilmeparle.
Jemeréveillaiaumilieudelanuitencherchantmonmari,maissoncôtédulitétaitvideetfroid.Jepartis,ennuisette,àsarecherchedanslamaisonsombreetsilencieuse.
–Grayson?appelai-jedoucement.Pasderéponse.Jem’arrêtaipourtendrel’oreilleetj’entendisunbruitlointain,vraisemblablement
celuid’unverrecassé.Jesuivislebruitjusqu’àmetrouverdevantlaportedelasalleàmangerquimenaitàunecaveàvin,
unendroitque jeconnaissais sanspourtantn’yavoir jamaismis lespieds.Elleétaitentrouverte, justeassezpourlaisserpasserunfiletdelumière.
–Grayson?appelai-jeànouveau.Toujours pas de réponse. J’ai alors ouvert la porte et j’ai descendu, non sans crainte, l’étroit
escalierencolimaçon.Lessonsétaientplusdistincts;jem’arrêtaiuninstant,surpriseparlevacarme.Enarrivantenbas,jetrouvaiGraysonassisparterre,affalécontreuneétagère,entraindeboireune
bouteilleaugoulot.Lorsqu’ilmevit,ils’essuyalabouched’unreversdemainetmetenditlevin.–Kira,goûteça.C’estunDomaineLefl…bla-blabla,ons’enfiche,deFrance,dit-ild’untonléger
unsourireironiqueauxlèvres.Puis,ilbalançalabouteilleàmoitiévidequiatterritaumilieudeplusieursautresdéjàenmiettes.
Lesolencimentétaitjonchédevin,deverreetd’étiquettestrempées.–Oups,désolé,ellem’aéchappé.D’habitude, jenesuispasaussimaladroit.Hé,onn’aqu’àen
ouvriruneautre.Ilfouilladansl’étagèrederrièrelui,saisitunenouvellebouteillepuisramassaletire-bouchonqui
traînaitparterre.Jemeprécipitai,m’agenouillantprèsdelui.
–Grayson…dis-jeenposantmamainsursajoue.Àquoitujoues?Ilstoppasalutteaveclabouteille,etmeregardatristement.–Jedégustelacollectiondegrandscrusdemonpère.Walterabienfaitdelaprotégeravantqu’il
nelaréduiselui-mêmeànéant,maisaujourd’hui,jereprendsleflambeau.Ils’arrêta,levisageravagéparladouleur.Puis,ilreprit:–Tuterendscomptequej’aivendutoutcequiétaitpossibledanscettemaisonenépargnantlacave
parcequejecroyaisquemonpèreseraitdéçu?C’estgrâceàtonarrivéequejen’aipasétécontraintdelefaire…
Ilpointalesquelquesbouteillesquitrônaientencoresurl’étagère.–J’étaistellementsoulagéd’avoirfaituntrucquiauraitrendumonpèrefier.Iléclatad’unriresansjoie.Ah!Iltentaitdoncdesefairejusticelui-mêmePourtant,àencroiresonregard,çanel’apaisaitpas.–Danscecas,dis-jeenmerapprochant.Pourquoinepasvendretoutleresteaulieudeluidonner
satisfaction en faisant exactement ce qu’il aurait fait ?Et avec l’argent, on pourrait acheter…unpetitsingeapprivoisé,etluidonnerlenomdetonpère.Ou…untandem?OnferaitletourdeNapapourdireàtoutlemondequelordurec’était.Ou…unperroquet!OnluiapprendraitàdiredessaloperiessurFordHawthorn.
Jeposailamainsursongenou.–Ilyamieuxàfairequeça.Onvatrouverquoiensemble.Graysoncaressamacuissenued’undoigt,puisremontajusqu’auborddemanuisettequ’ilsouleva
délicatementavantdereprendre:–Tuessibelle.Jesouristimidement.–Ettuessisaoul.–InVinoVeritas,murmura-t-ilencitantlaphrasegravéeau-dessusdelaporte.Sondoigtsuivitlacouturedemaculotte.–Lavéritéestdanslevin.Ah.Ils’arrêta,etfronçalessourcils.–Leproblème,c’estqu’ici,iln’yaquedesmensongesetdestromperies.–Grayson,non…Ilsecoualatêteetretirasamain.– Tu te rends compte, son plan était tellement sournois, c’était le moyen idéal de me faire
comprendrecombien ilmehaïssait.Lavengeanceparfaite.S’ilavaiteu justeunpeuplusde temps, ledomaineneseraitqu’untasderuinesàl’heurequ’ilest.
Ilfrémitenreprenantsarespiration.–Jepensaisquec’étaituncadeau,maisc’était tout lecontraire.Après toutça…jepensaisqu’il
finiraitpar…MonDieu.Çafaittellementmal,Kira,dit-il,d’unevoixdévastéeparladouleur.
Son regard me brisa le cœur, le fracassant en mille morceaux au milieu des bris de verre quijonchaientlesol.
–C’estsidouloureux…–Jesais.Jeleprisdansmesbras,etilposalatêtecontremapoitrine.MonDieu,jecomprenaistellementla
douleurqu’ilressentait.–Écoute-moi,Grayson.Jeprissonvisageentremesmains,leregardantdanslesyeux.– La douleur fait partie de la vie. Pas seulement pourmoi. Pas seulement pour toi. Pour tout le
monde.C’estinévitable.Parfoismême,ladouleurestsigrandequ’ellefinitpardevenirl’essencemêmedetapersonne.Saufsitudécidesdel’enempêcher.L’amourestlàpourcomblerlesmanques.Carsituledécides,lasouffranceluioffreencoreplusdeplace.Etcetamournousrendplusforts.
Sesyeuxsombrescherchèrentlesmiens.–Tucroisça?–Jelesais!Graysonsoupiralonguementavantdeseréfugierànouveaucontremoi.–MaKira…siseulementj’arrivaisàycroire,moiaussi.–Tuyarriveras.Lemomentvenu.Etceseraça,l’héritagedetonpère.Voilàunebellevengeance.Onrestaassis,commesiletempss’étaitfigé,jusqu’àcequemesjambess’engourdissent.Graysonlevafinalementlesyeuxversmoi,puisilpassasonpoucesurmapommette,etmurmura:–Est-ce que ça gâcherait lemoment si je te disais que j’ai envie de t’emmener là-haut et de te
baiserjusqu’àépuisement?J’aiéclatéderire.– Je suisà tonservice.Maisavant,allons faireducafépourque tudessaoules.Tu risquesde te
sentirtropmaldemain.Etpuis,onvaavoirunelonguejournéesiondoittrouverunsingeàadopter.Graysonlaissaéchapperunpetitrirequisetransformaengémissement.–D’accord.D’accord.
***
–Graysonnevapastravailleraujourd’hui?medemandaCharlotte,l’airinquiète.–Jenepensepas,iln’esttoujourspasréveillé.Ilabesoindedormir,ilaunpeutropbuhiersoir.J’avaisdéjàparléàWalterdel’hécatombequiavaiteulieudanslacave.Ilavait toutnettoyé,et
faisait l’inventairedesbouteillesqueGraysonn’avaitpasdétruites.Si lesingeétaitune idéepeu tropfarfelue,enrevanche,j’étaissérieuseausujetduperroquet.
–Peut-êtrequejedevraismonterlevoir?suggéraCharlotte.–Plus tard,Charlotte. Il apprécierait ta compagnie, j’en suis sûre,mais jecroisqu’il avraiment
besoindesereposer.Ilavaitl’airsi…
Jememordillailalèvreuncourtinstant,avantdereprendre:dévasté.–Jem’endoute.MalheureusementniWalternimoinepouvonsl’aideràretrouverlajoiedevivre.–Ilvadescendre.Charlotteacquiesça,maissonregardreflétaitsesdoutes,etsonmanquedeconvictionneservitqu’à
mestresserdavantage.L’étreintequejeluidonnaiensuitelabouleversa.–Çavaaller,dis-je.Jesentis,enledisant,quemontonmanquaitd’assurance.LeregardperdudeGraysonaumomentoù
j’avaisquittélapiècem’avaitglacélesang.Sansoublierque,moiaussi,jeluicachaisquelquechose.Audébut,jen’avaispasvul’intérêtdelui
direlavérité.Etpuistouts’étaitenchaînésivite…Maintenant,cesecrets’étaitinstalléentrenousetilfallait que je lui parle. J’ignorais comment il allait réagir. Il était encore si fragile émotionnellement.Combiendesecretspouvait-ilencoreencaisser?Combiendecoupsunepersonnepouvait-ellerecevoiravantdes’effondrer?
C’estencoremoi,mamie.Si seulement tupouvaism’envoyerunpeude tasagesse…Qu’est-cequejedoisfaire?
Charlottemetirademarêverietourmentée.–Grayareçuunappelcematin,lesétiquettespoursesbouteillessontprêtes.Jevaissûrementaller
envillepourlesluichercher.–Jevaism’enoccuper.J’aibesoindeprendrel’air.J’ail’impressiond’êtrederrièreGraysonen
permanence. Il a sûrement besoin d’être un peu seul pour faire le point. Je ne veuxpas le gêner. S’ildescend,tupourrasm’envoyeruntextopourmeprévenir?
–Ouibiensûr,machérie.Àtoutàl’heure.JemerendisdirectementàlapetiteimprimerieoùGraysonavaitcommandélesétiquettespourle
vinquiallaitêtreembouteillé.Lafemmedel’accueilmetendituneboîte,etalorsquejepayaisparcartebancaire,jelavisfroncerlégèrementlessourcils.
–Excusez-moiMadameHawthorn,maisvotrecartenepassepas.–Commentça?C’estimpossible.Moncompteestlargementcréditeur.Pouvez-vousréessayer?Maislerésultatfutlemême,etlasituationdevintparticulièrementgênante.Malgrélefrissonquidescenditlelongdemondos,jenemedémontaipas.–Monmariadûfairedesachatssansmepréveniretmaintenantilfautquejepasseàlabanque!Elleesquissaunsourire.–Çam’estdéjàarrivé.Voulez-vousquej’essaieavecuneautrecarte?Je n’en avais pas d’autres. Je fouillai dans mon sac, en comptant les billets que j’avais.
Heureusement,ilm’enrestaitunpeu.J’avaisretiréduliquideilyaquelquessemainespourdonnerdespourboiresaupersonneldelafête,maisGraysonavaitdéjàveilléàcela,etjen’avaispaseuàutiliserl’argent qui était resté dansmon portefeuille. Tout était encore là. Je comptai, et lui tendit ensuite lasommeenlaremerciant,avantdequitterlaboutique,laboîtesouslebras.
Puis,jemontaidansmavoiturepourfileràlabanque.Lesentimentdepaniquequim’avaitenvahieàl’intérieurdel’imprimeries’étaitmaintenanttransforméenuneangoissevague.Moncœurbattaitdansmapoitrinecommesijepressentaisquequelquechosedeterribleallaitseproduire.Oh,monDieu,s’ilvousplaît,faitesquecenesoitqu’unmalentendu,uneerreurbancaire,riendeplus.S’ilvousplaît,s’ilvousplaît…
Une fois la voiture garée, je pris un moment pour respirer profondément avant de rentrer dansl’agence. Heureusement, il n’y avait pratiquement personne, et l’un des guichets était libre. Quandj’expliquaipourquoij’étaislà,laguichetièreconsultamoncompteenfronçantlessourcils.
–Jesuisnavrée,MadameHawthorn,ilsemblequ’ilyaiteuuneoppositionsurvotrecompte.OhmonDieu.–Uneopposition?Vouspouvezmedirepourquelleraison?Ellesecoualatête.– Non, je suis désolée. Vous devriez recevoir un courrier si vous êtes à découvert ou si votre
compteestbloquépouruneraisonjuridique.Moncœurbattaitsivitequej’avaisdumalàretrouvermonsouffle.–Pouvez-vousvérifierlecomptedemonmari?Justepourmedires’ilyaeuuneoppositionsurle
sienaussi?–Heu…–S’ilvousplaît.Donnez-moijustecetteinformation.Jesaisqu’iln’estqu’àsonnom,maissivous
pouviezjuste…J’étaisentraindecéderàlapanique.Jeposailamainsurmapoitrine.–Pardon…Ellemesouritavecsympathie.–Laissez-moiregarder…Ellerecommençaàtapotersursonclavierd’ordinateur,etplissalesyeux.–Oui,ilsemblequecesoitlamêmechosepourlui.–Merci,dis-je,obligéededéglutirpournepasvomir tant j’étais écœurée.C’estgentildevotre
part.J’étaissurlepointdepartirquandellem’interpellaunedernièrefois–Jesuissûrequeleschosesvonts’arranger,MadameHawthorn.Jetournailatêtesansm’arrêterdemarcher.Non,nonçan’allaitpass’arranger.OhmonDieu.–Oui,j’ensuissûre.Merci.Jemedirigeaiaupasdecourseversmavoiture,lapeaumoiteetglacée.Jeprismontéléphonepour
appelermonpère.Ildécrochaàlatroisièmesonnerie.–Qu’est-cequetuasfait?–Kira,dit-ilsimplementaprèsunecourtepause.–C’estl’argentdemagrand-mère!hurlai-je,horsdemoi.Qu’est-cequetuasfait?
Je l’entendis soupirer, puis il me sembla qu’il mettait sa main sur le téléphone pour parler àquelqu’un.Jecrusentendreuneporteserefermeravantqu’ilnereprennelaconversation.
–Cen’estpasunhommepourtoi,Kira.C’estuncriminel.–Espèced’ordure!C’esttoiquiesderrièretoutça!Maispourquoi?Mavoixsebrisa.Lacolèreetlechagrinmesubmergèrent.–Tumedétestesàcepoint?Ces mots m’étaient familiers. N’avais-je pas déjà posé la même question au sujet du père de
Grayson?–Jenetedétestepas,Kira.Aucontraire,jeveuxt’empêcherdefairedesmauvaischoix.–C’estMAvie!hurlai-je.Jesuisunefemmemaintenant.Tun’avaispasledroitdefaireça.Tute
rendscomptequetumetssonentrepriseenpéril?Etsesemployés,ilsdépendentdelui!–Sitonmaricomptesurtonargentpourréussirdanslesaffaires,cen’estpasunhommedignedece
nom.dit-ild’unevoixsècheetimplacable.–Tun’asaucundroit,aucunelégitimité.Légalement,cetargentàmoi.C’estmagrand-mèrequime
l’alégué.–Oui, peut-être,mais je suis capable d’aller jusqu’au procès pour te prouver la logique dema
positionetlafoliedetonchoix.Jelefaispourtonbien,Kira.Jesuistonpère.Jenepeuxpastelaisserfoutretavieenl’air.
J’étaissichoquéequemoncorpstoutentierfrémitd’horreuretdeslarmescoulèrentsurmesjoues.–Tufaisçapourtonproprebien…Tunet’esjamaispréoccupédemonbonheur.Tunepeuxpas
supporterdemevoirfairequelquechosequetun’aspasdécidé,parpurorgueil.Tun’acceptespasquejenesoispassoumiseàtesdirectivescommeceuxquit’entourent.
–Kira,soupira-t-il.–Tu ne penses pas que tu lui en as déjà assez fait comme ça ? demandai-je, comprenant que je
n’avaisplusrienàperdremaintenant.Detoutefaçon,ilavaitdéjàfaitcequejeredoutaisleplus.– Jeme souviens très bien, tu sais. J’étais là le jour où le juge qui s’occupait de son affaire a
débarqué dans ton bureau. J’ai entendu le conseil que tu lui as donné. Je t’ai entendu lui dire decondamnerGraysonsansindulgencepourenfaireunexemple.Etc’estcequ’ilafait.
–Jedonnebeaucoupdeconseils.Iln’yapasdeloicontreça.Etsicegarçonaprislemaximum,c’estqu’illeméritait.
Iln’avaitpasoublié.Larapiditédesaréponseparlaitpourlui.Ilnes’ensouvenaitpaslorsquenousétionsalléslevoiràSanFrancisco,maisj’étaissûrequeçafiniraitparluirevenir.IlavaitenquêtésurGrayson. J’en étais convaincue. Que ce soit avant ou après qu’il lui eut proposé un pot-de-vin, peuimporte.
Mon père avait participé à la longuemise àmort deGrayson. Et il avait de bonnes raisons : ilvoulaitprotégerquelqu’un.
Pendantuninstant,leseulbruitqu’onentenditfutceluidemarespirationhachéealorsquejetentaisdecontrôlermessanglotsdésespérés.
– Ces conseils que tu donnes affectent des vies, papa. Des vies humaines, celles de gens quirespirent,quiontdesespoirsetdesrêves…C’estcommelesconseilsquetuasdonnésàCoopersurlafaçondegérerlasituationavecmoi!Tum’asdétruite.Tut’enrendscompte?DelamêmemanièrequeçaadétruitGrayson.Alorsjet’ensupplie,nefaispasça.Arrêtetoutçaetlaisse-nousêtreheureux.Tunousasdéjàassezfaitsouffrir.S’ilteplaît…
Cettefois,jenepusretenirmessanglots.–JesuisdésoléKira,c’estpourtonbienet,c’estvrai,pourceluideCooperaussi.Turéaliserasun
jourquec’étaitunesagedécision…Quantàtonmari,jeluiaifaituneoffretrèsgénéreusepourqu’ilsetienneloindetoi.Jesuggèrequ’illasaisisses’ilneveutpasquesonentreprisecoule.
–Qu’est-cequeçacache?–Pasgrand-chose.Ilreçoitunbeaupéculepouruntoutpetitsacrifice.Jeluiaijustedemandédese
teniràdistance,etdemettreuntermeàcettehistoireoùilaprofitéd’unejeunefilleperdueavecunbelhéritage.
Untoutpetitsacrifice.Voilàcommentilmevoit.Cettephrasemeglaçalesang,nonpasparcequemonpèrem’humiliaitunefoisdeplus,maisparce
quejecomprisqu’iln’avaitaucunscrupuleàruinerlaviedeGrayson.Encoreunefois.–Ilcommencejusteàseremettreettuluidemandesdepasserànouveaupourunparia?Comment
veux-tuqu’ilsereconstruisedansunendroitoùpersonnen’aderespectpourlui?–Cen’estpasmonproblème.Aveclapropositionquejeluiaifaite,ilpeutrefairesavien’importe
où.Ilsevoyaitcommeunvéritablehéros.Sonegocolossallepoussaitàseprendrepourlebrasde
lajustice.Ildéliraitclairement.–C’estpourçaquetul’asépousé?demanda-t-il.C’étaitencoreunedetesactionsdecharité?–Non,jel’aime,répondis-jesimplement.Désormais,iln’yavaitplusaucuneraisondeleluicacher.J’étaisindifférentesoudain.Ilnemelaisseraitjamaistranquille.Jepasseraislerestedemavieà
êtresonpion,sousuneformeouuneautre.Leregardfixésurlepare-brise,jeraccrochai,sansriendire.Je n’ai gardé aucun souvenir du trajet jusqu’à la maison. La maison. Un autre sanglot manqua
m’étouffertandisqueleslarmescoulaienttoujoursplussurmesjoues.–Toutvabien,merassurai-je.Toutvabiensepasser.Graysonetmoiallonsréglerça,ensemble.Il
aditqu’ilallaitprendresoindemoidésormais.OhmonDieu,maisnoussommesànouveautotalementfauchés.
En passant le portail, j’ai immédiatement remarqué une berline noire garée devant la fontaine.Putain,quoiencore?Jem’arrêtaijustederrièreelleaumomentmêmeoùCooperensortait.Moncœurs’arrêtadebattre,avantderepartirànouveauàtoutevitesse.Àcerythme,j’étaisbonnepourfaireunecrisecardiaqueavantlafindelajournée.
Jeprisunegrandeinspirationetdescendis,claquantlaportièrederrièremoi.Coopermarchaitdéjàdansmadirection.
–Kira,qu’est-cequinevapas?demanda-t-il,l’airinquiet.Jen’encroyaispasmesyeux.–Tunesaisvraimentpas,Cooper?Oubienest-cequetuesdanslecoup,toiaussi?Monpèreet
toi,vousformezungenrededuodément,dis-jesèchement.Ilrestasilencieuxuntemps,lessourcilsfroncésetprituneinspiration.–Oui,jesuisaucourant.Pardon,Kiramaisj’approuvecequ’ilfaitpourtesortirdelà.IlpointaitdudoigtlamaisondeGraysonderrièrelui.–C’estunassassinKira,dit-ilsévèrement.Tun’esprobablementmêmepasensécurité.–Jesuisunmilliondefoisplusensécuritéavecluiquejenel’aiétépendanttoutletempsoùnous
étionsensemble.J’élevais le ton et lui jetais les mots au visage.Mais une vague de découragement m’envahit à
nouveau.MebattreavecCoopern’allaitpasrésoudrelasituation.Jechangeaidetactique.–Cooper,dis-jeenm’approchantdelui,lavoixlégèrementtremblante.Jesaisquecequetuasfait
c’était…Jesecouaislatêtecherchantlesmotsquiallaientleconvaincreetnepasl’énerver.–C’étaitàcausedeladrogueetdel’alcool.Jesaisquetun’étaisplustoi-même.Ilconsidéreracetteexplication,etsemblalatrouveràsongoût.–Plusdutout,Kira.Menteur.–Jen’étaisplusdutoutmoi-même.Jenecontrôlaisplusrien.Maispersonnenedoitsavoirça.Ça
détruiraitmavie.Maisçanet’aposéaucunproblèmededétruirelamienne.Jefisnondelatêtevivement.–Jeneveuxpast’exposer,Cooper.Jamaisjenerévéleraicequis’estpasséentrenousetj’accepte
deprendre la responsabilitédenotre séparation.C’estd’accord. Je ferai tout ceque tumedemandes.Mais je t’en prie, persuademon père deme rendre l’argent dema grand-mère.Convaincs-le de nouslaissertranquille.Jet’enprieCooper,situm’asaiméeunjour,neserait-cequ’untoutpetitpeu,s’ilteplaît,laisse-moiêtreheureuse.
Cooper serra les lèvres, l’air soucieux, pensant sans doute à ce que je venais de dire. Pleined’espoir,jem’approchaiunpeuplus.
–Tunesaispas toutcequ’il a fait.Toutcedont il estcapable. Je saisque tuesmieuxque lui,Coop.Neteplacepasàsonniveau,net’abaissepasplusquetunel’asdéjàfait.
–Qu’est-cequ’ilafait?medemandaCooper,enrepoussantunemèchedecheveuxdemonvisage.Jejetaiuncoupd’œilàlamaison,avecl’espoirqueGraysonnesoitpasentraindenousobserverà
la fenêtre. Non, il devait très probablement dormir. Je ne voulais pas qu’il assiste à ça. Je devaisconvaincreCooperdem’aider.
Jesecouaislatête.–Ilmanipulelesgenspourarriveràsesfins.Ils’estmêmeservideGrayson.Illuiadéjàfaitdu
mal,ils’estservideluid’unemanièreabominable.–Commentest-cequ’ils’estservidemoi?LavoixfroideetposéedeGraysonrésonnaitprèsdemoi.Jesursautai.Jenel’avaispasvuarriver,
nosvoituresl’avaientcachéetj’étaistropconcentréesurCooper.Jen’avaispaspenséqueGraysoniraittravailler aujourd’hui. Mais il avait dû y aller, un court moment au moins, puisqu’il venait de cettedirection.
–Grayson…Jem’éloignaideCooper.Sugie, qui était juste derrière Grayson, fixa Cooper et se mit à grogner avant d’aboyer, à deux
reprises.Jen’enrevenaispas.C’était,àmaconnaissance,lapremièrefoisdesaviequeSugiegrognaitcontrequelqu’un.
–Jepensequevousferiezmieuxdepartir.Monchiennevousaimepas.Cooperricana.–Jesuissûrqu’elleconnaîtaussibienl’âmehumainequevous…–Ellenementpas,elle, rétorquaGraysond’unevoixglaciale.C’estunechienne,pasunhomme
politiquecommevous.Sortezdemapropriété.–J’allaispartir.Coopers’adressaalorsàmoi:–Tuconnaismaposition,Kira.Tonsortmepréoccupeautantquetonpère.Onestlàpourt’aider.Si
tuasbesoin,appelle-moi.Jeserailàenunefractiondeseconde.Graysons’avança.–Jepeuxvousassurerquemafemmen’aurajamaisbesoinderienvenantdevous.CooperfitfaceàGraysonunmoment,latensionétaitpalpable,àtelpointquejemesuisarrêtéede
respirer. Puis il recula prudemment, fit demi-tour et se hâta de monter dans sa voiture. Je pouvaissouffler.
NiGraysonnimoin’avonsditunmotavantqueCooper,sonchauffeuretsavoitureaientpasséleportail.
–Qu’est-cequec’étaitqueça?Ettuaspleuré?medemandaGraysonens’approchantdemoi,l’airàlafoisénervéetinquiet.
–Je…oui.Jetremblaisdetoutmoncorps.–Ilfautqu’onparle,Grayson.Est-cequ’onpeutrentrer?Ilm’observaunmoment.Sonvisageétaittenduparl’inquiétude.OhmonDieu,j’allaisluifairedu
malalorsqu’ilsouffraitdéjà.J’appréhendaistellementcemomentquejerentrailatêtedanslesépaules.Jelesuivisjusqu’àlamaison,lesjambestremblantesetj’entrai,aprèslui,danssonbureau.J’étais
étonnéeduchoixdelapièce,maispeut-êtrequ’ilm’avaitconduiticiparcequec’étaitlaplusprochede
laported’entrée.–Est-cequetuveuxbient’asseoir?demandai-je.–Jepréfèreresterdebout,dit-ild’untonsec.Ilétaitsifroid.Jefrissonnaisetjecroisaislesbrascommepourmeréconforter.–Qu’est-cequisepasse,Kira?Sapostureetsonregardattentifmedonnaientl’impressionqu’ilattendaitderecevoiruncoup.–Noscomptessontgelés,dis-je,effondrée.Ileutd’abordl’airtroublépuischoqué.–Quoi?Comment?Jeprisunegrandeinspiration.–C’estmonpère…Jeneconnaispaslesdétails.Iladûfairequelquechose,desdémarches,des
réclamations,jenesaisquoi,pourqu’ilpuisseyavoiruneenquête.– OK, bon, quelles que soient ses réclamations, elles ne reposent sur rien. Selon les termes du
testament,cetargentestàtoi.–Jesais,maisilpeutfairetraînerl’affaireassezlongtempspourqu’onsoitobligédevendredes
meublesoudesmachinespoursurvivre.Ilpeutlefaire.Illeferatrèsprobablement.Graysonjuraetsepassalamaindanslescheveux.–Jesuistellementdésolée.Jel’aisous-estimé.Jenepensaispas…Grayson fixait un point derrière moi. C’était comme s’il portait un masque, je ne pouvais pas
déchiffrercequ’ilressentait.Ildemeurasilencieuxsilongtemps,quejemesuismêmedemandés’ilallaitreprendrelaparole.
–PourquoiCooperest-ilvenuici,etdequoiparliez-vous?Tuasditquetonpères’étaitservidemoi.
Enfin,ilabordaitcesujet–Qu’est-cequetuvoulaisdireparlà?Dis-moi.–Cooper…estvenujustepour,jenesaispas,fairecommes’ilsesouciaitdemoi.Jem’approchaideGrayson,etjeposaimamainsursonbiceps.–Jet’enprie,écoutecequejevaistediremaintenant.Ilfautquetucomprennespourquoijenete
l’ai pasdit avant.Audébut j’ai penséque çan’était pasnécessaire…Etpuis, plus le temps apassé,plus…
Graysons’estpétrifié.–Abrège,Kira.Crachetonhistoire.Maintenant.–Je t’aiditque j’avaisétéenstagechezmonpère, ilyaquelquesannées. J’étaissouventàson
bureau.J’aisurprisdesconversations…Monpèreatoujourspenséques’ilavaitdel’influencesurlesjuges,ilauraitlepouvoirabsolu.
Vucommeça,iln’avaitpastort.Nilavériténilesfaitsn’avaientd’importancesivousaviezlesgensquiprennentlesdécisionsfinalesdanslapoche.
–Illesdragues’illepeut,commedanslecasdeCooper,ilchercheàgagnerleursfaveurs,passedescontrats…Ilfaitçadepuisdesannées.
Pourlepouvoir,onenrevienttoujoursaupouvoir.–Enquoiçameconcerne?J’observaislestraitsfigésduvisagedeGrayson.–Un soir, nous étions au bureau après les heures de travail et je finissais quelques dossiers en
l’attendant.SoudainlejugeWentworth,…celuiquis’estoccupédetoncas–jeluijetaiuncoupd’œilsurluimaissonexpressionn’avaitpaschangé–estvenuconsultermonpèresurdifférentesaffaires,dontlatienne.
–Continue,dit-il,lamâchoirecontractée.–Jeleuraiapportéundossieretj’aipuenentendrejusteassez…assezpourcomprendre.C’était
une année électorale, tu vois, et…monpère lui a conseillé de te faire plonger en te donnant la peinemaximale,pourenvoyerunmessageclair:iln’étaitpassévèreseulementaveclesmeurtrescommisparlespauvresou lesminorités,maisaussiavec lescriminelsblancset riches.Cen’estqu’un jeu,un jeud’intérêtsetdemanipulationdesfaits.Danscemilieu,lesjoueursnecomptentpas,nilesvies,toutpeutêtredéformédumomentquetul’abordessouslebonangle.Tuétaisunpion.C’estpourçaquetun’aspaseudestravauxd’intérêtgénéralouunepeineminimalecommel’avaitprédit tonavocat.Tuaspriscinqansàcausedemonpère.Etmoije…jen’aijamaisoubliétonnom.Cefameuxjouràlabanque,jel’aientenduettoutm’estrevenu.
J’eusfinalementlecouragederegarderGraysondanslesyeux.Jevoulaissavoirs’ilavaitcompriscequejedisaismais,mêmes’ilavaitblêmi,ilétaittoujoursaussifroidetimpassible.
–Etpuis tuasdécidédem’utiliserà ton tour.Toutçan’aétéqu’uneseuleetmêmegigantesquemachination.
Jefronçailessourcils.–Quoi?Non,pasdutout!C’étaitunhasardquandjet’aicroiséàlabanque,commesic’étaitle
destin,etje…Ilmecoupalaparole.–Tupensesvraimentquejevaistecroire,maintenant?Jevaistedirecequetuasfait:tut’esservi
demoi.Iléclatad’unrireméprisant.–Quellemanièregénialederendrelamonnaiedesapièceàtonpère!C’étaitlavengeanceparfaite.
Épouser lemec qu’il a faitmettre en prison. Pas étonnant qu’il ait été si furieux. Putain, en fait tu escommelui,tuesunemanipulatrice,tutesersdesgens.
Jesuffoquaisetautourdemoitoutdevenaitsombrecommesimonchampdevisionrétrécissait.Manipuler?Meservirdesgens.Non,jen’aipaspufaireça…J’admetsquej’aitoujourseudes
idéesdestratagèmesetdesplans,maisilsn’avaientjamaispourbutdefairedumalauxgens…J’enétaismaladequ’ilpenseça.J’aiposémamainsurleborddesonbureaupournepastomber.
Est-cequej’aifaitça?Vraiment?Est-cequej’aifaitçaàGrayson?
Jesecouaislatêteensignededénégation.–Jenemesuispasservidetoi,Grayson.J’aivouluessayerderétablirlajustice.Jepensais…–Rétablirlajustice?Etcommentest-cequetuasrétablilamoindrejustice?Iléclataànouveaud’unrirequimeglaçalesang.Ilenfouitensuitelamaindanssescheveuxettira
nerveusementsursesmèches.–C’étaitça tonplanpendant toutce temps?M’utiliserpour toucher l’argentetpuis lereprendre
d’unemanièreoud’uneautre?Putaindemerde.Vousêtestousdesmenteurs.Etregardecequetuasfaitdemoi…Unmecsanslesou,mariéàunecomploteuse,etjedoisencorefairefaceàtonpère,l’hommequiadéjàbousillémaputaindevie!
Sonvisageétaitmaintenantrougedecolère.Ilhurlait,lavoixtremblantederage.–Grayson,dis-jeentendantlamainverslui,jen’airiencomploté,jetelepromets.Tutetrompes.
Jepeuxcomprendrequetusoistrèsénervéaprèscequetonpèreafait,maislàtuvoisleschosescommequelqu’unquiaététerriblementtraumatisé.Jet’enprie,sionréfléchitensemble,toietmoi,ontrouveracertainement…
Ilrecula,l’airdégoûté.Jelaissaitombermamain.–Trouverquoi?Tumanigancesencore,Kira?Arrête, jenesupporteplusd’entendreça.Çame
donnelanausée.Tumedonneslanausée.Toutçam’écœure,lesmanipulations,lesmensonges,lessemi-vérités.
Jesecouaisnégativementlatête.–Tufaisfausseroute.S’il teplaît,prendsjuste le tempsderéfléchir.Jenesuispascommemon
père.Nicommeletien.Jesoufflaicettedernièrephrase.Jen’enétaispasfière.–Çan’arienàvoiravecmonpère.Ilprononçalemotcommeuneinsulte.–Çaaàvoiravectoietlefaitquejeneteferaisplusjamaisconfiance.Jesecouaislatêteencore,frénétiquement,refusantladistanceglacialequ’ilmettaitentrenous.–Jesais,tudoisavoirl’impressionquetunepeuxplusavoirconfianceenrien.Maiscen’estpas
vrai.–Jel’aicru.Unelarmecoulasurmajoue.–Grayson,jesuistafemme.Lelienquinousunitest…– Je peux le trouver dans le bar du coin n’importe quel jour de la semaine, ton lien, lança-t-il
impassible.Jerefermaimesbrasautourdemoi,essayantdésespérémentd’oubliersesparoles.–Jesaisquetunepensespascequetuviensdedire.Jenevoulaispastefairedemal.Jet’aime,
dis-je,lavoixbrisée.Ilhurladerire,latêterejetéeenarrière.Ladouleurquejeressentisalorsétaitabominable.–Tum’aimes?Tum’aimes?Est-cequetusaiscequel’amourm’aapportédanslavie?
Ilattrapaunpresse-papierssursonbureauetlejetadetoutessesforcessurlafenêtre.Lavitrevolaenéclatsetleprojectileseretrouvaquelquepart,dehors,surlapelouse.
Jepoussaiunpetitcrietilsetournaversmoi,lespoingsserrés.–Tunem’aimespas.J’aiétéacheté,riendeplus.J’aijouélerôledumari,pasvrai?Etmaintenant
notrecontratestrompu.Va-t’en!Sorsdemamaison!–Tuveuxquejem’enaille?demandais-je.Jesuistafemme,j’habiteici.C’estmamaison…–Plusmaintenant.Jevaisappelertonpèrecetaprès-midietacceptersonoffre.Aumoins,toutesles
autrespersonnesquitravaillentauvignoblen’aurontpasàsouffrirdecemariage.J’avaisbrièvementbaissélatêteetjelarelevaipourcroisersonregard.–S’ilteplaît,Grayson,situmelaissaisjustem’expliquer,tu…– Je n’en ai rien à foutre de tes explications ou de tes jolismots. Ils se terminent tous par des
mensonges.Dégage!Il était fou de rage et il hurlait. Je sursautai etm’effondrai en sanglots. Puis j’ouvris la porte et
m’enfuis,suivieparSugiequin’avaitcessédegémir.Enlarmes,jemeprécipitaidanslachambreetjetaidesvêtementsetdesaffairesdetoilettesdansmavalise.J’étaissûrequej’allaisoublierdeschoses,maisj’étaistroptristeetdésemparéepourfaireunerechercheapprofondie.
N’avais-jedéjàpasvécucelaauparavant?Desvêtementsbalancésdansunevalisepourfuiràlahâte?Seulement,cettefoisquelqu’unm’yforçait.Cettefois…Cettefois,jem’étaisfaitjeterdehors.
Parmonmari.Parl’hommequej’aimaisdetoutmoncœur.Peut-êtrequec’étaittoutcequejeméritaisfinalement.Jeme baissai et regardai Sugie dans les yeux, caressant sa petite truffe difforme en essayant de
reprendrelecontrôledemarespiration.–Tueslà,majoliefifille.Prendssoindetoutlemondeici,d’accord?Sachequejet’aimeetquetu
esunebonnefille,unetrèsbonnefille.Je me relevai avant de m’effondrer définitivement en pleurs, puis je descendis les marches de
l’escalier.Quandj’arrivaidansl’entréedelamaison,jem’arrêtaiunesecondepourjeteruncoupd’œildans
lebureau.Graysonétaitdeboutderrièrelatable,penché,lesmainsàplat.Jevoulaism’approcher,maisil leva lesyeux. Ilmedévisagea sansdireunmot, le regarddur et distant.Onaurait dit un étranger ;c’étaitcommesinousn’avionsjamaisrienpartagé.
Jereculai,etsortisàlahâtepourrejoindremavoiture.Jejetaimavalisesurlesiègearrièreetmemis au volant. Le souffle court, je luttai pour faire entrer un peu d’air dans ma poitrine. J’avaisl’impressionquelemondes’étaitécroulé.
Grayson,deboutderrièrelafenêtre,meregardaitpartir,exactementcommeill’avaitfaitaupremierjourdenotrehistoire.
Jedémarraiet je roulaiendirectionde lagrilleencontournant la fontaine. Jepassaidevantmonpetit cottage et devant le chêne dans lequel j’avais grimpé. Puis je franchis le portail du vignoble
Hawthornàunevitesse folle.Ladistanceentre le seulendroitoù jem’étais sentieheureuseetmoi secreusa,inexorablement.
CHAPITRE23
GRAYSONLe désespoir. C’était la seule émotion que j’étais capable de ressentir. Tout ce que je pensais
connaître,toutcequiavaitétéunesourcedemotivations’étaiteffondréautourdemoi.Desmenteurs,destricheursmachiavéliques,desmanipulateurs.C’étaittousdesmenteurs.
Mamaisonressemblaitmaintenantàcettepetitecellulesombreetobscureoùj’avaisvécupendantcinq longuesannéesdesolitude.J’erraisdans lesdifférentespièces lanuit,buvantquand jen’arrivaispasàtrouverlesommeiljusqu’aublack-out,pourdormirensuitetoutelajournée,lesvoletsfermés.Letravailn’étaitplusunedistractionagréablecommeilavaitpul’être.Detoutefaçon,àquoibonramenercevignobleàlavie?Pourvivredanslademeurequemonpèreavaitutiliséecommearmepourmepunir,pour que je n’oublie pas à quel point je n’avais aucune valeur ? Voir le domaine prospérer nem’apporteraitplusaucunesatisfaction.Ceneseraitqu’unrappeldouloureuxdelahainequecethommem’avait portée, et combien je m’étais pathétiquement accroché à l’espoir qu’il m’aimerait un jour,croyant stupidement qu’il m’avait légué ce vignoble par amour. Je voyais mon père partout. Jen’éprouvaisaucunefiertédevantletravailaccomplimaisseulementdelahonte.Moiaussi,jepouvaisledétester.C’étaitmêmedevenumanouvellepromesseenverslui.
Ce que mon père avait juré au beau milieu d’une dispute avec ma belle-mère me revenaitmaintenant.Bonsang,Jessica,c’étaituneputaind’erreur.Si jepouvais touteffacer, je le ferais. Etcetteerreur,c’étaitmoi.Ehbien,j’enavaisfaitunemoiaussi.Mefieràluiétaitlachoselaplusstupidequej’avaisfaite.Maisjeneferaispasdeuxfoislamêmeerreur.Plusjamais.
J’avaisdemandéàWalterdevendrelesdernièresbouteillesdelacollectiondevinsdemonpère.J’avaisensuiterassemblélepeudeforcequimerestaitpourallervoirJosé,HarleyetVirgilpourleurdonner congé. Je ne pouvais plus les rémunérer. J’avais utilisé l’argent de la vente des vins pour lespayerjusqu’àlafindumois.Leursvisageschoquésetattristésn’avaienteupoureffetquedemefairememépriserdavantage.
J’aidûensuiteannonceràWalteretCharlottequ’ilsétaientlicenciés,euxaussi.Certes,j’avaisviréCharlotte assez régulièrement au cours de ces dernières années, mais je pouvais voir dans ses yeuxqu’ellesavait,cettefois,quej’étaissérieux.Unjouroul’autre, ilmefaudraitvendrelevignoblepoursurvivreetrepartiràzéro,maisjen’enavaispasencorelaforce.
CharlotteetWalterontessayédemeparler,maisjen’aipasvoululesécouter.Mêmeeuxm’avaientmenti, les deux personnes en qui je pensais pouvoir avoir totalement confiance. Ils m’avaient laissécroirequemonpèreavaitfiniparm’aimer,maiscen’étaitqu’unecruelleetterriblefaçondedissimulerlavérité.Ilsm’avaientregardémetransformerenunidiotridicule,etlasouffrancequeçameprovoquaitétaitincommensurable.
Et Kira…Mon cœur s’emballait. La pire de tous. Je lui avais stupidement donné mon cœur,absolument toutcequ’ilenrestait,etpendant toutce tempsellem’avaitmenti,elleaussi.Etsurquelsautres sujets?Quelleautrebêtiseaurait-ellepume fairegoberavantque jedécouvre,désespéré,quej’avaisétéencoreunefoisledindondelafarce?Jeplissailesyeuxenrepensantàcemomentdansmonbureauoùellem’avaitconfesséqu’ellem’avaitmentidepuisledébut.Celaavaitétécommeuncoupdepoignard en pleine poitrine. La seule pensée qui avait traversé mon esprit avait été, non, pas toi,n’importequid’autre,maispitié,pastoi!
Jejetaimonverredevincontrelacheminéedusalon,medélectantdusoncristallinduverrequisebrisait.Jeposaimesbrassurlerebordetlaissétombermonfrontsurlapierrefroide.Mêmequelquessemainesaprèssondépart,laseuleévocationdunomdeKiradéclenchaituneréactiondemanqueaigu.Imbécile!
Ellem’avait dit qu’ellene ressentait riend’autrequedudégoûtpourCooperStratton.Et puis jel’avaisvueluiparler,lesmainsposéessursontorse,essayantdeleconvaincredejenesaisquoi.Ellel’avaitappeléCoop.J’avaisreconnusonexpressioncoupablequandjelesavaissurpris.Petitementeusemanipulatrice.
Plusjamais.Jenechercheraisplusjamaisàsavoirquim’aimaitounon.J’allaislaisserlespartiesdemoiquipouvaientencoresouffrirserecouvrirdeglace.Jedétestaisl’idéed’êtreencorevulnérable.Jesavaiscommentfaire.J’avaisvécuavecuncœurcouvertdegivrependantdesannées;l’indifférencen’étaitpasdifficileàvivre.Maisçamefaisaitsimal.
Il fallaitque j’ailleau tribunal réglercettehistoirededivorce,mais jen’avaisaucune idéed’oùKirasetrouvait.Etpuis,jenemesentaispascapabledequitterlamaisondetoutefaçon.Jen’allaispasprendrel’argentdesonpère,etluidonnerlasatisfactiond’avoirunascendantsurmoi.Pluspersonnenemecontrôlerait,encoremoinscetteordure.
Finalement,épuisépar lesimple faitdepenser, jem’effondraisur lecanapé,pournepasdormirdansnotrelitoùflottaienttropdesouvenirs.Sonparfum.Trèsvite, jetombaidesommeil,sonprénomsurmeslèvres.
***
Lecentre-villedeNapaétait tristeetgris, renduplusmoroseencorecar j’étaisvenuydonnerengagelabaguequej’avaisofferteàKiralejourdenotremariage.Lahonteet l’embarrasm’envahirent.J’étais réduit à cela, une fois encore. J’avais d’abord acheté cette bague pour Vanessa. Mais si laremettreaupréteursurgagemebrisaitlecœur,c’étaitparcequejel’avaisofferteàKira.Kira.
Jetraversaislavillepourrejoindrelevignoblequandjecroisaisavoiture.Jefussisurprisquejedonnaiuncoupdevolant,manquantdedéraperdanslesgraviers.KiraétaitàNapa?Elleétaitlàdepuisledébut?Oùavait-ellepuséjourner?ElleavaituncertainnombredepointsdechuteàSanFrancisco,maisici?Moncœurcommençaàbattrelachamade.Jemegaraisurlebas-côté,etjebondishorsdemonpick-up.Danscequartier, ilyavaitquelquesmagasinsetunrestaurant.Jeregardaià travers lavitrinedesdeuxmagasins,rien.Qu’est-cequetufaisGrayson?Qu’est-cequetuvasbienpouvoirluidiredetoutefaçon?Jen’enavaisaucuneidée,pourtantrienquedel’imaginer,j’avaisleventrequisecrispait.Elleétaitici.J’avaisétédévastéquandellem’avaitparlédesonpère,j’avaisréagiviolemment,maispeut-être…peut-êtrequesijeluiparlais,ellem’aideraitàcomprendre.Jenemelaissaipasletempsdeprendredurecul.
Lerestaurantn’avaitpasdefenêtre,alors,lecœurbattant,jepoussailaportepourvoirsielleétaitlà.Jel’aperçusimmédiatement.
CooperStrattonétaitàcôtéd’elle,pluspossessifquejamais,agrippéàsonbras.Jevisrouge.Jenem’étaisdoncpastrompésurelle.C’estàcemoment-làqu’ellem’arepéré.Une
pointedesurprise,puisquelquechosed’indéfinissable,passasursonvisage.Lesyeuxécarquillés,elleregardaCooperpuisseretournadenouveauversmoi,sesyeuxmagnifiquesmesuppliantàdistance.Jememis à bouillir de rage. Sans que j’aie eu l’impression de prendre une décision consciente, jemeplaçaisurleurchemin.
–Ehben,tun’aspasperdudetemps.C’étaitçatonplandepuisledébut?M’épouser,débloquerl’argent,lerécupérerd’unefaçonoud’uneautre,etpuis…lui?
Nonseulement,ellem’avaitmentiàproposdurôledesonpèredansmavie,maisellenem’avaitpastoutditsurCooper.Sielleledétestaitvraimentdelamanièredontellel’avaitprétendu,elleneluiaurait jamaisaccordétroisminutesdesontemps,etencoremoinsundéjeunerentêteàtête.Putaindepetitementeuse.Magnifiquepetitementeuse.Ladouleur,atroce,brûlamonâme.
Kirareculad’unpas,maisuneboufféedesonparfumdélicatenvahitmessens.Lasensationviolentedemanquerevint,medonnantenviederugirdedouleur.Ellen’estpasàtoi.Ellenel’ajamaisvraimentété.Elleneleseraplusjamais.
Jeneveuxpasdetoi.Jeneveuxpasdetoi.Jeneveuxpasdetoi.Jeneveuxpasdetoi.Jeneveuxpasdetoidutout.–Grayson,s’ilteplaît,tunesaispascequetudis,dit-elle,lavoixbrisée.–Oh,jecroisquejelesaistrèsbien.Jefisquelquespaspourm’approcherd’elle,etluimurmureràl’oreille:–Dis-moi,Kira,tuaschoisid’êtreunedesesputains,oubienlafemmeaufoyerquinevoitriende
cequi sepasseautourd’elle ?Si c’est ladernièreoption, tucomprendsqu’ondoitd’aborddivorcer,n’est-cepas?
Kiratressaillitenentendantmesproposetpoussaunepetiteexclamation.Puis,Coopers’approchademoiendisant:
–Qu’est-cequevousfoutezlà?Avantmêmequ’ilaitletempsdes’interposer,jemeretournaiverslui.Larageetladouleureurent
raison demon contrôle et un tsunami de violenceme submergea. Je l’attrapai par le col et l’envoyaivaldinguer dans lemur.Kira et plusieurs personnes semirent à hurler dans la salle du restaurant quidonnaitdanslevestibuleoùnousnousdonnionsenspectacle.
Cooper était livide etme regardait effrayé, alors que je continuai à le presser contre lemur. Jelaissaiéchappermonsouffleet jelerelâchaibrusquement.Ilfaillitbasculerenavantquand je reculai.L’angoisse remplaça rapidement la colère.Qu’est-ce que je venais de faire ? Sonné, je dévisageaiCooper,quimeregarda,l’airfurieuxmaisaussiavecunepointedejoiemaligne.Ilmepointadudoigt.
–Tuvasretournerenprison,connard.Ilserajustaetsemitàrireavantdes’adresseràunhommequidevaitêtreledirecteurdurestaurant,
deboutdansuncoin,choqué:–Prenezlesnomsetlesnumérosdetouslestémoinsdecettescène.Monavocatlescontactera.PuisilregardaKiraavecsatisfaction:–Allons-y.LeslarmescoulaientsurlevisagedeKira.–Laisse-moiluiparleruneminute,dit-elle,lavoixbrisée.Cooperfronçalessourcils:–Jenetelaisseraipasseuleaveclui.Tuvoisbienqu’ilestdangereux.Jeluibloquailepassage,etKirasemitdevantmoienposantsesmainssurmapoitrine.–Ilyadumonde.Toutvabien.C’estmonmari,Cooper.–Pourlemoment.Cooperplissalesyeux,nousdévisageanttouràtour,ethochalatête.–Jedoisreprendrelaroutedetoutefaçon.Jeviendraitecherchercesoir.Ilsepenchapourl’embrassersurlajoue,sesyeuxchassieuxnemequittantpas.Lacolèrerevintau
galop.J’avaistrèsenviedeluiencollerune.Qu’est-cequeçaauraitchangé,àcestade?Maisjerestaiplantélà,lamâchoirecrispée,essayantderetrouverunpeudecalme.Coopermepointadudoigt.
–Vousaurezdesnouvellesdemonavocat.Jeleregardaisimplement,sansprendrelapeinedeluioffrirunequelconqueréaction.Il sortit du restaurant sans se retourner, etmon regard se posa enfin sur celui deKira.Elle était
livide, les yeux écarquillés. Elle ne s’attendait visiblement pas à me croiser, au bras de son ex etmaintenantnouveaupetitami!
–Gray,murmura-t-elle.Ellefitunpasdansmadirectionmaisjen’avaisplusrienàluidire.Moncœursebrisaencoreun
peuplus.Jenecroyaispasquec’étaitpossible.Jefisdemi-touretm’éloignairapidement.–Grayson!
Jel’entendiscrierdansmondos.Jefisalorsvolte-faceetmarchaidroitsurelle.Ilyavaitunepetiteruellejusteàcôté,jel’attrapaiparlepoignet.Unefoisdanscetendroitdiscret,jelaplaquaicontrelemurenbriques.Ellepoussaunpetitcrid’effroi.
–Qu’est-cequetufais?–J’essayedemesouvenirdecequiabienpumeplairecheztoi.Jecollaimabouchecontrelasienne,léchantlacommissuredeseslèvres.Ellepoussaunpetitcriet
s’abandonna,mêmesisoncorpsdemeurait tenducontre lemien.J’enfonçaimalanguedanssabouche,puislaretiraiaussivite,meforçantàlaregarderavecl’expressionlaplusneutrepossible.
–Vraimentmoinsbienquedansmonsouvenir.Elleclignadesyeux,décontenancée.Jemepenchaipourfairecourirmeslèvreslelongdesagorge.
Sentantsoncorpssecontracter,jem’écartaiunpeu.–Non,rien.Seslèvrestremblèrentetsesyeuxs’emplirentdelarmes.Jechassairésolumentlesentimentvague
deculpabilitéquimesubmergeait.C’estunementeuse.–Tu sais ceque jepense? Jedevais être sacrémentdésespéréet toi, tu étais…commentdit-on
déjà?Disponible.Depuisquetuespartie,jesuisarrivélaconclusionquej’aimelavariétéenmatièredefemmesetquec’estencontradictionaveclesvœuxdemariage.J’aivérifiéçacesdernierstemps.C’étaitpasmalavectoi,maisdepuis,j’aiconnumieux.
Elle tressaillit, les larmes coulant sur ses joues. La honteme dévorait mais je n’en laissai rienparaître.Surtoutpas.SielleallaitrejoindredirectementlelitdeCooper,jedevaisaumoinsgarderunpeu de fierté. Alors que nous dévisagions, le petit menton levé refit sa réapparition.Même dans cescirconstances,ellearrivaitàsereprendre.Qu’elleaillebrûlerenenfer!
Jevoulaislabrisercommeellel’avaitfaitavecmoi.Jevoulaismemettreàgenoux,lasupplierdemepardonner,laserrercontremoijusqu’àcequ’elle
mesortedecethorriblecauchemar.Jemedétestaisdepenserça.Jem’envoulaisd’espérer.Toutmoncorpsserévoltaitàlapenséed’essayerencoreunefoisd’obtenir l’amourdequelqu’un
quinevoulaitpasm’endonner.Ellesetenaitlà,pâle,choquéeetd’unebeautérenversante,pourtantellen’enavaitpasledroit!Ellem’avaittoutpris,plusmêmequecequejepensaisposséder.
L’image terriblement douloureuse de Kira enveloppée dans les draps de Cooper me traversal’esprit,m’obligeantàdéglutirpournepasvomir.
–J’aiappréciécequetum’asoffert.C’étaitplutôtagréable.Maisjel’aipayécher,jetrouve.Jecaressaisajouesoyeuse.Ellemefixait,immobile.–Monnom,monvignoble,etmaintenant,probablementaussimaliberté…Moncœur,monâme.Unelarmes’écrasasurmamain.Jelaretiraicommesic’étaitdel’acide.Jesortisprécipitamment
delaruelleetjemeretrouvaisurletrottoirensoleillé.Jel’entendissangloter,maisellenemerappelapasetjenefispasdemi-tour.J’ailaissémoncœurdanscetteruelle.Toutentier.Cettefois,ilnerestaitplusrienàprendre,ellepouvaittoutgarder.Jen’enauraisplusjamaisbesoin.
Jerentraiàlamaison,lesnerfsplusàvifquejamais.Unefoisarrivé,jefonçaiversl’armoireoùjecachaisunebouteilledevieuxScotch.Levinneseraitpasassezfortaujourd’hui.
Aprèslepremierverre,jememisàcontemplerlesvignesparlafenêtre.JusteavantledépartdeKira,j’avaismesuréletauxdesucre,l’acidité,vérifiélestanins,etdéterminéquandlesraisinsseraientparfaitementmûrspour la récolte. Ils l’étaientmaintenant.Mais je n’avais pas les fonds nécessairespourembaucherdupersonnelpourm’aider.Jelevaimonverreenguisedetoastabsurdeàlavigne.
–Tuasremplitamission.Désolédet’avoirperdue,toiaussi.Rapidement,leraisinallaitpourrirdansunimmensegâchis,unemétaphoreparfaitedemavie.En
plus,j’allaisprobablementfinirenprisonpouravoiragresséCooperStratton.Jeremplisunautreverre,etjelaissail’alcoolmebrûlerlagorge.Désormais,toutétaitperdu.Iln’yavaitplusd’espoir,plusaucunespoir.
CHAPITRE24
GRAYSONLorsquejereprisconscience,jegémisenprenantmatêtedansmesmainspouressayerd’atténuerla
douleurquipulsaitdansmoncrâne.J’étaisdans lesalon,affalésur lecanapé,unebouteilledeScotchvideetunverreposéssurmonventre.Jeneprispaslapeinedelesdéplaceravantdemereleveret,ilsroulèrentsanssecassersurletapismoelleux.Unefoisdebout,jemanquaidetrébucheretmemassailanuquepouressayerdesoulagermonmaldecrâne.Dehors, lesoleilse levaitdansuncielaux infiniesnuances dorées. Soudain, je clignai des yeux et me figeai. Il semblait y avoir… des douzaines devendangeurs dans les vignes, qui récoltaient le raisin. Je plissai les yeux, grattant distraitement monestomac,essayantdecomprendrecequejevoyais.
–Jemesuisditquevousalliezenavoirbesoin,ditunevoixderrièremoi.Jemeretournai.C’étaitCharlottequiposaitunverred’eauetdeuxcachetsd’aspirinesurlapetite
tableprèsducanapé.–Mêmesi j’estimequevotredouleurn’estpasauniveaudecequevousméritez…J’aienviede
vouscollerunboncoupsurlecrâne,maisjecroisquevousvousdébrouilleztrèsbiensansmoipourça.–Maisqu’est-cequisepassedehors?demandai-je,enignorantsaremarque.–Lesgrappesnevontpassecoupertoutesseules.Jeprisunegrandeinspiration.–Cequejeveuxdirec’estquiaembauchécespersonnes?Tusaistrèsbienquejenepeuxpasles
payer.–Harleyademandédel’aide,puisVirgil,Joséetluiontmisencommunl’argentdeleurdernière
paye,cellequevousleuravezdonnéeàlafindumois.Ilsvontlepartagerentrelenombredepersonnesquiontacceptédetravaillerpourvouscettesemaine.
–Lavendangeprendplusdetempsqueça,tulesaistrèsbien.–Oui,certes,maisc’estdéjàundébut.Etpuissivousmettezlevinquiestdanslesfûtsenbouteille,
vouspourrezcommenceràlevendre.Ilyaunedeuxièmeéquipequivientdansl’après-midipours’enoccuper.
Jeme tournai tropbrusquementversCharlotte, grimaçantdedouleur,mamigraine se rappelant àmoi.
–Pourquoi?Pourquoiest-cequ’ilsferaientça?
–Parcequ’ilscroientenvous,j’imagine.–Ilscroientenmoi?J’éclataid’unrireamer,etçan’eutd’autreeffetquedemefaireencoreplusmalàlatête.–Qu’est-cequeçavaleurapporterdebonquandl’heureseravenuedenourrirleursfamilles?Et
enparlantdeça,qu’est-cequetufaisencoreici?Charlottepinçajusteleslèvres.–Peut-êtrequevouspourriezprendreunedoucheetlesrejoindre.–Non.Ilsetrouvequ’unedeuxièmebouteilledeScotchetmoi-mêmeavonsdéjàquelquechosede
prévuaujourd’hui.Jen’avaisrienàfaireduregardréprobateurqu’ellemejetaavantdequitterlapièce.Ellem’avait
mentielleaussi.Laseuleraisonpourlaquellejenel’avaispasdégagéed’ungrandcoupdepiedaucul,c’étaitparcequecettemaisonétaitlasiennedepuispluslongtempsquemoi.Maiselleseraitobligéedepartirtrèsbientôt,quandjenepourraisplusacheterdenourriture.Oubienquandonviendraitm’arrêterpour avoir agresséCooperStratton.Tout le bordel demavieme revenait. Je grognai en passantmesmainsdanslescheveux.
–Charlotte,hurlai-je.Elles’arrêtasouslagrandevoûtequiséparaitlesalonetlehallenmeregardant.–Est-cequelapoliceestpassée,ouatéléphoné?–Non,répondit-elle,avantdeseretourneretdedisparaîtredanslacuisine.Comment se fait-il qu’elle ne m’ait pas demandé pourquoi je posais cette question ? Peut-être
qu’ellenepouvaitsimplementpasensupporterdavantage.Toutcommemoid’ailleurs,mêmesilesortenavaitdécidéautrement.
J’avalai les deux comprimés d’aspirine, puis je montai me doucher. L’eau chaude apaisait mesmusclesendoloris.Unefoishabillé,jemerendisdanslachambred’amis,del’autrecôtéducouloir,pourregarderlesvignesauloin.Lesmachinesetleshommesétaienttoujourslà.Imbéciles!C’étaitunepertedetemps.
Jeregagnaimachambreetm’allongeaisurlelit,leregardbloquésurleventilateurduplafond,celuiquej’avaisfixédesnuitsdurant,émerveillé,aprèsavoirfaitl’amouravecKira.Arrête.Nepensepasàelle.Pasmaintenant.Est-cequ’elles’étaitréveilléeauprèsdeCoopercematin?Est-cequ’ilsprenaientle petit déjeuner au lit ?Torturéparmespensées, je décidai d’aller chercher la secondebouteille deScotch. Je comptais boire jusqu’à réduire mon cerveau en bouillie et tuer toutes les cellules quihébergeaientencorelesouvenirdeKira.
Charlotteétaitdans le salon,ellepliait lacouverturesous laquelle j’avaisàmoitiédormi lanuitpassée.Enregardantparlafenêtre,jemarmonnai:
–Ilsperdent tousleur temps.Jedétestecetendroit.Mêmesiaujourd’hui j’avais lesmoyensd’enfaireuneréussite,jen’enauraisrienàfoutre.Jepréfèrefairecommemonpère,ledémolir.Iln’yaquedelasouffranceici:desmalheurs,desmensongesetdesmauvaissouvenirs.
–Sic’estcequevouspensez,alorsj’imaginequecedoitêtrevrai.
–Ouic’estcequejecrois.C’estcequejesaissurtout.–Trèsbien.Jememordisleslèvres,agacéqueCharlottepuisseencorem’exaspéreravecjustequelquesmots.Etapparemment,cen’étaitpasfini:–Walter aussi est ici, vous savez, poursuivit-elle alors que j’avais la tête enfouie dans le bar.
J’espèrejustequesondosnevapaslelâcher.Etpuiscommeiln’yvoitplustrèsclair, j’espèreaussiqu’ilsauracueillirlesbonnesgrappes…
Jem’arrêtaietjelevailesyeuxauciel.–Walterestl’imagemêmedelabonnesanté,dis-je.Ellehaussalesépaules.–Jenevoulaispasvousdéranger.Jevouslaissevousnoyerdansl’alcool.Simplement,sivousy
pensez,allez lesvoirde tempsen temps. Je suis sûrequeçava les stimulerpendantqu’ils travaillentcommedesfous,pourmoinsqueleminimumsyndical,sousunsoleildeplomb.
–Pfff,ilnefaitpassichaudqueça.J’avais très bien compris qu’elle essayait deme faire culpabiliser.En fait, pour être honnête, je
savaisqu’unejournéededurlabeurseraitsûrementplusefficacequ’unegrossecuitepourmechangerlesidées.Entoutcas,jen’auraispasl’impressiond’avoiruncamiondedixtonnessurlatête.
– Si ça peutme permettre de ne plus t’entendre, alors je sors tout de suite et je vais travaillerjusqu’àm’enbriserlesos.
Charlottehaussalesépaules,maisj’avaisbienvuqu’elleavaitesquisséunsourireavantdesortir.Mauditesoit-elle!
***
En rentrant dans la soirée, sale et dégoulinant de sueur, chaquemuscle demon corpsme faisaitsouffrir.Apparemment,Harleyavaitcontactétouslesanciensdétenusqu’ilconnaissaitdansl’hémisphèrenordetilsétaienttousdansmonvignoble.Jenesavaispassiçadéboucheraitsurquelquechose,maisentoutcasladouleurquej’avaisressentieenimaginanttouslesfruitsdontj’avaistantprissoinpourrirsurpied,avaitdisparu.Aumoins,ilsétaientdanslesfûtsetpourraientêtremisenbouteille.Etpuis,quandjevendraiscedomaine,j’entireraisunmeilleurprixs’ilétaitenétatdemarcheplutôtques’ilavaitl’airdesombrer.J’allaisdivorcerdeKira,prendreunpeud’argentdelaventeduvignobleetpartirquelquepartpourfaire…quelquechose.Oui,maisquoi?Qu’est-cequejesavaisfaireàpartduvin?Peudechoses.Lediplômedecommercequej’avaispasséàl’universitéétaitobsolètemaintenant.Deplus,personnenevoudraitembaucheruncriminel.Lamisèremeguettait.Lespenséesquej’avaischasséesdemonespritentravaillanttoutelajournéerevenaientmetorturer.
Je pris une douche rapide et m’apprêtais à descendre l’escalier, quand je m’arrêtai devant lachambre que Kira avait occupée avant de s’installer dans ce que je considérais, encore, être notrechambre.Lechagrinmeserralecœurenvoyantcettepiècevide.J’ouvrislapenderiemaisellen’avait
rien laissé derrière elle. En tirant le premier tiroir de la commode resté ouvert, je découvris deuxchemisesdenuit.Unpeugêné,j’enfouismonnezdansletissu,m’enivrantdesonparfumaffolant,douxetdélicat.Jeretinslegémissementquimontaitdansmagorge,etjelesreposailàoùjelesavaistrouvées.C’estàcemomentquejevisunepetiteboîtequiressemblaitàunécrin.Jel’ouvristoutdoucementetjerestaibouchebéeenvoyantàl’intérieuruneallianceenplatinepourhomme.Jeladétachaiducoussinenveloursbleumarinesurlequelelleétaitposée,etjel’observaiàlalumière.
MonDragon.Monamour.Gravésàl’intérieurdel’anneau,cesmotsm’atteignirentenpleincœur.Perdu,jerestailàpendant
cequimesemblaêtreuneéternité.Jefinisparremettrel’alliancedanssonécrinetdansletiroiroùjel’avaistrouvée.PuisjedescendisremercierHarley,VirgiletJoséqueCharlotteavaitinvitésàdîner.Ilsvenaient justed’arriver.Ilsétaientsalesetépuisésmais,d’unecertainemanière,heureux.Lesremordss’ajoutèrentalorsàmonchagrin.Malgrétousleursefforts,jeneseraispasenmesuredeleuroffrirgrand-chose.Illeurfaudraittrouveruntravailailleurs.
Poingcontrepoing,jeremerciaiencoreHarley.–Mec,tunepensaispasquej’allaisarrêterdeteprotégersousprétextequ’onestsortisdetaule?Ilsouriaitenmassantsesbrascostauds,tannésparlesoleil.Ildevaitavoiraumoinsaussimalque
moi,sûrementplus.Ilnes’étaitpasarrêtédetravaillerdepuisleleverdusoleil.–Jeneteméritepas,Harley,luidis-jeenmefrottantlanuque.–Peut-être,peut-êtrepas.Cen’estpasàmoid’enjuger.Jesais justequisontmesamiset j’aide
mesamis.Jetedoislavie…jedoislavieàKiraaussi.Vouspouvezmedemandercequevousvoulez,jeseraitoujourslà!
Jetentaidemereprendre,soudainsubmergéparl’émotion.J’étaistellementfatigué…–Mafemmepensecommemoi.Tumesuis?–Heu…Harleyrigola.–Priscillaestuneputaindegonzesse,dit-ilenmefaisantungrandsourire.Virgils’avança,pataud,nousinterrompant.–Hé!Virgil,dis-je.Sugieétaitjustederrièrelui.–Salutm’sieurHawthorn,Monsieur.Ilsouriaitgaiement.–Jevendangeetjefaisdubonvin.Jeluisourisàmontour.–Merci,Virgil.Jel’attrapaiparlesépaulesetlesecouai.–Tuesunmecbien.–José,saluai-jeànouveau.Allonsmanger.
Commenousnousdirigionsvers lacuisine,Walterapparutdans lesescaliers. Iln’avaitpas l’airbienetj’étaisrongéparlaculpabilitédesavoirqu’ils’étaittuéàlatâchetoutelajournéepourmoi.BonDieu,ilavaitdeuxfoismonâge.Jefronçailessourcilsenlevoyantsecramponneràlaramped’escalieretportersonautremainàlapoitrine.
–Walter,demandai-je.Ileutl’airdesuffoqueretbasculaenavant.Jebondispourinterrompresachute.Charlottesemità
crierderrièremoi,etjeluttaipourmeredresser,lepoidsdeWalterdanslesbras.–Retourne-le!ordonnaHarley.Toutsemblaitsepasserauralenti,commesilesvoixvenaientdesfondssous-marins,jen’entendais
plus que les battements de mon pouls dans mes oreilles. José appela les urgences tandis que jem’agenouillaisàcôtédeWalter.Ilavaitdumalàrespirer,lamaintoujoursposéesursoncœur,tandisqueCharlotteetmoiétionspenchésau-dessusdelui.
–Lessecoursarrivent,lançai-je,mortdepeur.Charlottepleuraitensilenceenluicaressantlescheveux.Ilessayaitdedirequelquechose,àelle,
puisàmoi,maisaucunmotnesortait.Finalement,ilpritmamain,laserrafortetd’unevoixétrangléemedit:
–Comme…mon…fils…L’émotionfutsiintensequej’eneuslesoufflecoupé.–Ne parle pas, dit Charlotte. Et ne t’avise pas deme quitter. N’y pensemême pas vieux bouc
obstiné.Walter poussa un dernier soupir et perdit connaissance. La panique m’envahit. J’haletais. Je
n’entendais plus qu’un mot répété en boucle : « Non, non, non. » C’était ma voix, terrorisée, quiinvoquaitcemotcommeuneprièredésespérée.
***
Lachambred’hôpitalétaitsombreetsilencieuse,lespremièreslueursdel’aubefiltraientàtraversles stores, et le battement régulier du cœur deWalter était commeunemélodie jouée par lemoniteurcardiaqueàcôtédesonlit.J’étaisassissurunechaise,prèsdelui,lescoudessurlesgenoux,latêteentrelesmains.Charlotteétaitrentréequelquesheuresplus tôtpoursereposerunpeuetnourrirSugie.Elleavaitdemandéàpasserlanuitàl’hôpitalmaisiln’yavaitpasdelitsupplémentairedisponible,etpeudechancespourqueWalterseréveillependantlanuitmêmesisonétatétaitstable.Jem’étaisdoncportévolontairepourrester,enluidisantquemondosétaitplusrobuste.Jel’appelleraiss’ilseréveillaitavantqu’ellenerevienne.
D’unemain,jemassailesmusclesendolorisdemanuque.–J’espèrequevousnem’envoudrezpas,murmuraWalter,mefaisantsursauter,sijevousdisque
vousavezunemineterrible,Monsieur.Jepoussaiungrandsoupir.
– Quand est-ce que ça t’a déjà préoccupé que je t’en veuille ou pas,Walter ? répondis-je, enessayantdedissimulerlegrandsourirequimevenait.
–Jamais,avoua-t-il.Jemelevai,etjeprislepichetquisetrouvaitsurlatabledenuitpourluiservirunverred’eau.Je
l’aidaiàletenirpendantqu’ilbuvaitdelonguesgorgées.Ilreposasatêtesurl’oreiller,etmeregarda.Jem’assissurlachaisequej’avaisrapprochéedesonlit.Ensortantmontéléphone,j’annonçai:
– C’est bien ton genre de tout dramatiser comme tu l’as fait hier. J’appelle Charlotte pour larassurer…
–Attendezquelquesminutes,intervintWalterd’unevoixsérieuseenprenantmamain.Jem’arrêtaietposailetéléphone.–Jen’aipasfaittoutcecinémapourquevoussortiezd’icisansentendrecequej’aiàvousdire.Jeluifisunpetitsourireencoinensecouantlatête–Trèsbien,jet’écoute.Pendantunmoment,Walterrestasilencieux.Quandilparlaenfin,savoixétaitcalmeetposée.– Quand je me suis retrouvé allongé au pied de l’escalier, vous savez ce que j’ai pensé ? Je
n’arrêtaispasdemedire:s’ilvousplaît,nemelaissezpasquittercemondesansavoirditàcemômecequejepensedelui.
–Walter…dis-je,passantlamaindansmescheveuxetensentantl’émotionenvahirmapoitrine.Walteretmoineparlionsjamaisdenossentiments.–Nousavionsunfils.Ils’éclaircitlavoixquivenaitdesecassersurlemot«fils».Jerelevailatête.–Quoi?Vousn’avezjamaisdit…–Non,c’est tropdifficilepournousdeparlerdeHenry,c’étaitencoreunbébé…Charlotte,elle
était…dévastée,commemoi.–Jesuisdésolé,Walter,dis-je,lagorgeserrée.Il acquiesça. J’avaisdéjàvucette tristessedans sesyeux. Je connaissais cevisage.C’était celui
qu’ilavaitchaquefoisquemonpèremepunissait.Pendanttoutemonenfance,Walters’étaiténormémentinquiétédelamanièredontj’étaistraité,etilavaitprissoindemoi.Jen’avaisjamaissuqueCharlotteetluiavaientperduunfils.
–Nousnepouvionsplusavoird’enfant aprèsça.Vivredans lamaisonoùnous l’avionseuétaitdevenuinsupportable.Nousavonsdoncdécidédevenirici,enAmérique,pourcommencerunenouvellevie.Noussommesentrésauservicedevotrefamilleetnousavonsretrouvéunpeudebonheur.Etpuis,unjour,onafrappéàlaporteetvousêtesarrivé.MalgrélafaçondontFordetJessicaHawthornontréagi,pourCharlotteetmoi,pournous,vousétiezundonduciel,etçan’ajamaischangé.Ilnes’estpaspasséunejournéesansquenoussoyonsfiersdevous.Jeveuxquevouslesachiez.
–Walter…–Nousn’avonspas toujourspuêtre là.Nousn’avonspas toujourspu intervenir carnous avions
peurd’êtrerenvoyésparvotrepèreetdeneplusêtreprésentspourvousaider.Maisnousavonsfaittout
notre possible pour vous faire sentir… que vous n’étiez pas seul, ni hier, ni aujourd’hui, ni demain.Jamais.Nousvousavonscaché lesvraiesmotivationsdu legsdevotrepèreparamour,etnousavonsessayédeporterceterriblefardeauàvotreplaceaussilongtempsquenousl’avonspu.Cen’étaitpasparmalhonnêteté.C’étaitparamour.J’espèrequevouspourreznouscomprendremaintenant.
Jemeredressai,essayantdemepénétrerdesonmessage.Biensûrquejel’avaistoujourssu.WalteretCharlotteagissaientdavantagecommedesparentsquemonproprepèreetmabelle-mère.Mais…etsiWalteretCharlottes’étaienttrompésàmonsujet,etpaslui?
–Ets’ilavaitraison,Walter?Jesuffoquaispresquetellementj’avaispeurdecela.–Votrepère?–Oui,chuchotai-je.Lui,ettouslesautres.– C’est vraiment ce que vous pensez ? Que Charlotte et moi avons tout faux, et que c’est Ford
Hawthornquiavaitraison?Etvotremère?EtJessicaaussi?–Je…JerevoyaisWalterdanssonmaillotdebainnoiràl’anciennem’apprenantànager,meguiderdans
ledédaledulabyrintheencomptantnospasetenmémorisantchaquevirage.PuisCharlotteessuyantsesmainspourmieuxmeréconforterquandellesavaitquejesouffrais.Jerepensaisàtouslessagesconseilsqu’ellem’avaitprodiguésaufildesans,etàl’amourimmensequ’ellem’avaitdonnésansretenue.
–Peut-être,ditWalter,quevousposezcettequestionparcequevousvousdemandezaussiàquellecatégorievotreépouseappartient.
Walter a toujours tout compris avantque jen’aiebesoinde lui expliquerquoiquece soit. Jenevoyaispaspourquoiceseraitdifférentcettefois-ci.
–Je…C’estvrai.Jenesaisvraimentpassijepeuxluifaireconfiance.Ilmefixapendantunmoment.–Ehbien,soupira-t-il,jepensequevousn’aurezjamaislaréponsesivousneprenezpaslerisque.
Oualors,vouspourriezhanterlescouloirsduvignoblecommeunfantômeenfaisantclaquerleschaînesquevousvousêtesfabriquéesvous-même,effrayantaupassagequelquesgaminsparlafenêtre.
J’éclataiderireavantdemecalmerrapidement.–Savez-vouspourquoijevousappelleMonsieur?depuistoujours?Jesecouailatête.–Pourvousrappelerquevousforcezlerespect,etqueçaatoujoursétélecas.–Merci,Walter,dis-je,étoufféparlagratitudequej’éprouvaisàavoirquelqu’uncommeluidans
mavie–Quevousditvotrecœur?Jebaissailesyeux,repensantàl’alliancequej’avaisretrouvéedansletiroir.MonDragon.Mon
Amour. Jene savaisplusquoipenser.Je t’aime,avait-elle dit, et pourtant je l’avais jetée dehors.Ledésespoiret ledoutemeprenaientaux tripes.Sansmême luidonner lachancedes’expliqueruncourtinstant,jel’avaisaccuséedecomploterdansmondos.Deplus,sij’étaismaintenantprêtàlacroireetà
accepterlefaitquenotrerencontreàlabanqueétaitunsignedudestin,commentpouvais-jeluienvouloirdenepasm’avoirdit,dèscepremierjourdansmonbureau,quesonpèreétaitresponsabledemalourdecondamnation ?Nem’étais-je pas,moi aussi,méfié d’elle ?N’avions-nous pas décidé ensemble quenotrerelationseraitjustetemporaire?Etsij’écoutaisvraimentmoncœurcommeWalterlesuggérait,neme dirait-il pas que c’était toutKira que de vouloir partager de l’argent avec moi pour compenserl’injusticequesonpèrem’avaitfaitsubir?Commesitoutça,étaitsafaute.
À laminuteoù je l’avais rencontrée,ellem’avait tenu tête.Paspourmenuire,aucontraire,pourm’aideràm’élever.Pourmerendreunsemblantd’espoir,de joie.Lafête,soncostume, toutmedisaitqu’ellecroyaitenmoi,qu’ellevoulaitchangerleregarddesautressurmoi,etlemien.Elleavaitvumavaleur,etellemel’avaitditdemillefaçonsdifférentes.
OhDouxJésus.Laculpabilitérecommençaitàmebrûlerlesentrailles.J’avaistoutgâché,persuadéquetousceuxenquij’avaisconfiancefiniraientparmetrahirs’ilsnel’avaientpasdéjàfait.LavoiravecCooper et entendre sa confession n’avait fait que matérialiser cette peur. Pour cette triste raison, jen’avaisvualorsquelepireenelle.Kiraétincelaitetmoi,j’avaisvécudansl’obscuritéfroidependanttrop longtemps.J’avais l’impressionquemonâmeavait tentédésespérémentderessentir lachaleurdesonamouretseretrouvaitmaintenant terrifiéeà l’idéedemourirdansles ténèbresdepuisqu’elleétaitpartie,emportantavecelletoutesalumière.Malgrétout,aupremierdoute,jem’étaisdétournéd’elle.Jen’avaispasvoulucroirequ’ellem’aimait,mêmequandellel’avaitditetmêmesiellemel’avaitmontréencore et encore. Oui, j’avais été ridiculement irrationnel, froid et cruel, tombant si bas que j’avaisutilisésespeurslesplusprofondespourluinuire.C’étaitunebelleettendrejeunefemmedevingt-deuxans, et j’avais vu sa joie de vivre se briser devant moi, et la lumière éblouissante que j’aimais tantsombrer sousmesyeux. Je l’avais jetéeà la rue sansun sou.MonDieu,pourautantque je sache,mafemmedormaitdanssavoiture.Pasétonnantqu’ellesoitalléevoirCooper.Quelautrechoixavait-elleeu?J’avaistellementhontedemoi.
Quandlemomentdechoisirentreluifaireconfianceoularepousserétaitarrivé,j’avaischoisilasecondesolution.
Rendslesarmes,mongarçon.Pourtant, au derniermoment, je n’en avais pas été capable. Pas complètement. J’avaismanqué à
mondevoirvis-à-visd’elle.J’avaismanquéàmondevoirvis-à-visdemoi.Etpuisjemesouvinsdequelquechosequimecoupalesouffle.Ellepourraittrèsbienêtreenceinte
demoi!Nousavionsfaitl’amourdeuxfoissanslamoindreprotection.–Jel’airepoussée,dis-jemisérablement.Jeluiaiditdeschosescruelles.Mêmesije…elleneme
pardonnera jamais. Je ne sais même pas si je peux me pardonner moi-même… Il n’y a plus aucund’espoir.
Walter,l’hommequiavaittoujoursétémonhéros,meregardasilencieusementunmomentavantdefermersesyeuxfatigués.Jemelevai,pourquitterlachambreetlelaissersereposer,quandjel’entendismedire:
–Tufinirasparterendrecomptequelàoùilyaunréelamour,ilyatoujoursunréelespoir.
***
Plus tard dans l’après-midi, je suis rentré à la maison. Les hommes que Harley avait recrutéstravaillaient encore comme des forçats dans les vignes. Je descendis pour les remercier, cherchantensuiteHarleypourleteniraucourantdel’étatdeWalter.Ilallaitmieux.Ilauraitbesoind’unpontage,maislemédecinnousavaitassuréquel’opérationétaitcouranteetqueWalterseraittrèsprobablementderetouràlamaisondansquelquesjours.Quandj’aidemandéauxgarsoùétaitHarley,l’und’euxm’aditqu’ilétaitpassérapidement,puisqu’ilétaitrepartietseraitderetourdanslajournée.
J’allai me doucher, comptant ensuite rejoindre l’unité de vinification où José supervisait laformationauxnouvellesmachines.J’étaisfatigué,maisilétaithorsdequestionquejeleslaissetravaillersansmoi.Jepourraisdormirplustard.Etpeut-êtrequ’enpleinlabeur,uneidéepourregagnerlecœurdemafemmeallaitmevenir.CarDieusaitqu’àpart tomberàgenouxdevantelleenlasuppliant, jen’enavaisaucune.
Je descendis ensuite dans la cuisine pour préparer un peu de café. J’allumai machinalement latélévision en attendant qu’il coule, et me figeai littéralement en voyant la tête de Cooper Strattonapparaîtreàl’écran.Jesaisislatélécommandeposéesurleplandetravail,tâtonnantpouraugmenterlevolume.Leprésentateuravaitdéjàcommencéàparlerquandj’yparvinsenfin.
–…cettevidéoextrêmementchoquanteaétéfilméeilyadeuxjoursparunecall-girl,onyvoitlejugeCooperStrattondansunechambreduPalaceHotelaprèsundînerdecharité.Filméàsoninsu, lejugeStratton,visiblementdansunétatd’ébriétéavancé,sevanted’avoiracceptédespots-de-vin,d’avoirétémêléàdesactivitésdecorruptionavérées,etd’userdesoninfluencepourorientercertainsverdicts.Uneinvestigationestencoursetlesdétailsnesontpasencoreconnus,maislejugeStrattonaégalementavoué à plusieurs reprises dans la vidéo être demèche avec l’ancienmaire de San Francisco, FrankDallaire,desaccusationsqueM.Dallaire réfuteavecvéhémence.Pourmémoire,CooperStrattonétaitfiancéàlafilledumaire,KiraDallaire,desfiançaillesquiontétérompuestrèsmédiatiquement.
Lesjambescoupéesparlechoc,jedusmecramponneraucomptoirpournepasm’effondrer.Etleprésentateurdereprendre:
– Cette histoire souligne la profonde préoccupation du public à l’égard de la corruption enpolitique.Entantqu’électeursetcitoyens,nousaimerionstouscroirequeceuxquioccupentdespostesàresponsabilitén’utilisentpasleurpouvoiràdesfinspersonnelles,maiscetteaffairejetteaujourd’huiunvoiledesuspicionsurlemondepolitique.Jevousproposederevoircesimages.
Lavidéocommença,filméeparunepersonneassisesurCooperStratton,lui-mêmecouchésurunlit,ensmoking.Ilriait,enracontantprécisémentcequeleprésentateuravaitrésumé.Incréduleet lecorpsraidi par la colère, j’écoutais Cooper raconter comment il avait gâché des vies, d’abord commeprocureuretmaintenantcommejuge.PasétonnantqueFrankDallairel’aittantprotégéquandKiral’avaitsurprisavecdesprostituées.Ilfaisaitlesaleboulotpourluidepuisdesannées.Etellen’avaitpaseulemoindresoupçon.Jedéglutis,tentantderesterconcentrésurlavidéo.Lajeunefillequifilmaitsemitàrireetl’encourageaàcontinuer,flattantsonegoenluidisantcombiensonpouvoirl’excitait.Quandelle
se pencha pour défaire son nœud papillon, j’aperçus une mèche de ses cheveux qui tombait devantl’objectif.Ilsétaientroses.Jesecouailatête.Çanepouvaitpasêtreelle.Jeplissailesyeuxpendantquelapersonnequitenaitlacaméras’excusaitdedevoirallerauxtoilettes.L’imageflouerevintsurellequiavançait à toute vitesse aumilieu de ce qui semblait être un gala de charité. Il y avait des rires, dubrouhaha,desbruitsdevaisselleenfond.Enmerapprochantdel’écran,jevisenarrière-planuninvitéen smoking, seulement de profil, mais il ressemblait étrangement à Harley, et… Oh, putain, jereconnaissaisunautrevisage.Elleétaitdeprofilaussi,maissansl’ombred’undoute,c’étaitmabelle-mère,JessicaHawthorn.Qu’est-cequisepassait,bonsang?
–Charlotte!appelai-jeavantdemesouvenirqu’elleétaitàl’hôpital.Putaindemerde.Josénerépondaitpas.Jemeprécipitaivers lesvignespour leprévenir trèsvitequejeseraisde
retourdèsquepossible.–Jem’occupedetout,patron,répondit-ilalorsquej’étaisdéjààmi-chemindelaporte.Jecourusàlamaison,balançaiquelquesaffairesdansunsacetrejoignismonpick-up,poursortir
dudomainepiedauplancher.Seigneur!Commenttoutcelaavait-ilpuarriver?Monespritbouillonnait.Kira.Kiraétaitderrièretoutça.Jevoulaislaserrerdansmesbras,leplusfortpossibleetnejamaislalâcher.Lapetitesorcièreavaittoutmanigancé.C’étaitsûr.Douceetbellepetitesorcière.Elleauraitpusemettreendanger.C’étaitdoncpourçaqu’elleavaitvuCooperàNapa?Etmoiquil’avaistraitéesicruellement ce jour-là. Elle avait fait tout ça pour m’aider, pour nous aider, tout comme Harley etPriscilla.Jesavaisquec’étaiteux,jen’avaisaucundoute.
Maisilyavaitencoredeszonesd’ombre.Lesquestionssesuccédaientdansmatête.Etjesavaisoùjedevaisallerchercherlesréponses.
Enconduisant,desimagesdeKiramerevinrent:elle,seretournantversmoidanslelit,lalumièredumatincaressant sonvisage endormi, ses yeuxverts s’ouvrant à peine, ses lèvresm’offrant undouxsourirequandelleseblottissaitcontremoi.Jelarevoyais,tenantSugiedanssesbras.
«Elleabesoind’amour,plusquen’importequi»,avait-elleditàVanessa.«Laseulechosequipourraitluifairedumal,c’estlemanqued’amour.»
J’aifermélesyeuxuninstant,unedouleurintenseenvahissantmapoitrine.Jemesouvinsquandelleavait sautédecetarbre,quandelle s’était tenuedebout sur le tracteurenposantcommeuneballerine,puisquandelleavaitglissé sur la rampe, lesyeuxdébordantde joiepure.C’étaitvraid’ailleurs,elleavaitcertainementgagnécejour-là.Jelavismarcherversmoidanslelabyrintheenmetendantlamain.Cettenuit-là,sousleclairdelune,ellem’avaitsauvé.Etjen’avaispasétéassezfortpourlasauveràmontour.Lesimagestraversaientmonesprit,moncœur.Jelarevoyais,agenouilléedevantmoisurlesolde lacaveàvin, le regard tendreetamoureux.«Si tu ledécides, la souffranceoffreencoreplusdeplaceàl’amour.Etcetamourquinousremplitnousrendplusforts.»MonDieu.C’estexactementcequ’elleavaitfait.Elleavaitpristouscesespacesvidesenelleetlesavaitremplisd’amour.Maisquandlepireétaitarrivé,j’avaisététropstupide,tropeffrayépourlalaisserm’apprendreàfairecommeelle.
J’étaistombédésespérémentamoureuxd’unepetitesorcièremagique,unefilleresplendissanteauxyeuxd’émeraudeetàlacrinièreaussiindomptablequ’elle.Kira,mapetitefemmeardenteàl’espritplus
lumineuxquelesoleil,aucœuraussitendrequ’unagneautoutjustesortiduventredesamère.Elleavaitgagné mon cœur et mon âme, je lui appartenais jusqu’à mon dernier souffle. J’étais prêt maintenant.J’étaisprêtàm’abandonner tout le temps,quoiqu’ilarrive.J’espérais justequ’iln’étaitpas troptard.S’ilvousplaît,faites-ensortequ’ilnesoitpastroptard.
***
La femmequim’ouvrit portait une tenue de soubrette.Elleme conduisit dans le salon, etmeditqu’elle allait voir si Jessica était disponible. Je hochai la tête, le visage fermé. Je décidai de ne pasm’asseoirsurlecanapéimmaculé.
Quelquesminutes plus tard,ma belle-mère entra dans la pièce telle une diva, aussi parfaitementcoifféequedansmonsouvenir,chaquemèchedesescheveuxchâtainsparfaitementàsaplace.
–Grayson,dit-elle,setenant,gênée,prèsdelaporte.Uninstantaprès,ellesedirigeaitverslebar.–Tuveuxuncocktail?Ilesttoujourscinqheuresquelquepart,non?MoonDieuuu,tuasentendu
parlerdecettehistoiredepolitiquescorrompusquiestsurtoutesleslèvresenville?Nousysommes!J’avaislaconfirmationqu’elleavaitquelquechoseàvoiraveclesmésaventures
deCooperStratton.–Tuyétais,non?Elle se servitunverredevin. Je refusaiceluiqu’ellemeproposa.Elleavalaunegrandegorgée
avantderépondre.–Biensûrquej’yétais!Qui,d’aprèstoi,abienpupayerlesdeuxmillecinqcentsdollarsdedroits
d’entrée?Jelaregardai,circonspect.–Pourquias-tupayé?HarleyetPriscilla?Elleprituneautregorgéedevin.–Etpourmoiaussi. Jemesuisditquec’étaitunebonnecause.Alors tun’étaisvraimentpasau
courant?–Non.Ellehochalatête.–Tafemmeestvenuemevoirlasemainedernière.Apparemment,ceCooperétaitl’undeceuxqui
ontparticipéàtadescenteauxenfers.Ellem’aditqu’elleconnaissaitsonpointfaible,etqu’elleavaitprévulefairechanteràl’aidedeclichéscompromettants,etparlamêmeoccasion,depiégersonpère.
Kira.Sielleétaitenfacedemoi, je l’auraisembrasséefougueusement,avantde l’étrangler.Elleavaitdoncl’intentiondefairepressionsurluienprenantdesphotosobscènes.C’étaitleplustordudesplansjamaisimaginés!
–D’aprèscequejevois,leurplanafonctionné,au-delàmêmedeleursespérances.ÀWashington,c’estl’effervescence,paraît-il.C’estmêmelesujetprincipaldel’émissionAmericaToday.
Jerestaisansréaction.
–Donc,leplaninitial,c’étaitseulementdeprendredesphotos?Jessicahaussalesépaules.– C’est ce qu’ils m’avaient dit en tout cas. Elle m’a simplement demandé de les aider
financièrement.–Etpourquelleraisonas-tuaccepté?demandai-jeenpensantàtouteslesfoisoùellem’avaitdit
deschosescruelles,àtouscesmomentsoùelleavaitregardémonpèremepunir,simplementparcequej’avaislemalheurd’êtreenvie.
Ellesetournaverslafenêtre,ensirotantsonvin.–J’aieuletempsdeprendredureculdepuislamortdeFord.Ellesetournaalorsversmoietposasonverresuruneconsole.–Je…J’auraispuagirdifféremmentavectoi.J’étaisamère,blesséeet…Bref,jesuissûrequetu
t’en fiches, et honnêtement, je n’ai pas vraiment envie de revenir sur tout ça. Mais quand Kira m’ademandé de l’aide, j’ai pensé que je te devais aumoins ça. Ta femme t’aime visiblement beaucoup,Grayson.
Ellemeregardapresquecommesiellemevoyaitpourlatoutepremièrefois.J’étais stupéfait. Je la dévisageai en silence, elle sedirigea alorsversunpetit secrétaire, et prit
quelquechosedansletiroirduhaut.–J’allaistel’envoyer,maismaintenantquetueslà…Ellemetenditunboutdepapier.J’écarquillailesyeuxquandjeviscequec’était.Ellevenaitdeme
donnerunchèquededeuxcentcinquantemilledollars.–Qu’est-cequec’estqueça?demandai-jeenluirendantlechèque.– C’est une partie de l’héritage de ton père. Espérons que cela couvre aumoins une partie des
dommagesqu’ilacausésauvignobleavantsamort.Ellesavait.Ellesavaitcequ’ilavaitfait.–Etsijeneveuxpasdecetargent?–Alors tu serais un idiot, tout comme lui. Prends-le, et repars de zéro,Grayson, ici ou ailleurs.
Prendscechèque,etsoisheureux.–Je…–Est-cequelesrosesetlesHawthornfleurissenttoujours?–Je…Comment?Oui…Ellehochalatête.Elleavaitunelueurdanslesyeux.Delatristessepeut-être.Oudesregrets.Elle
sedirigeaverslaporte.– Formidable, je suis contente d’entendre ça. Je suppose que tu veux lui faire ta déclaration
maintenantn’est-cepas?–Oui,dis-je,dépasséparmilleémotionsquejen’auraispassunommer.Jepliailechèque,lerangeaidansmonportefeuille,puisjesortisdelamaisondemabelle-mère.Je titubai.SeuleKira était capabled’adoucir un cœur commecelui de Jessica.Seule Kira.Mon
Dieu,seulementelle.
J’avaisunefemmeàtrouveretunmeaculpaàfaire.Unmeaculpatellementénorme,qu’ilfaudraitenréécrireladéfinition.
CHAPITRE25
KIRA–Cequisepasselà,c’estladéfinitiondumotpitoyable,ditKimberlyenjetantuncoupd’œilparla
fenêtreàcôtédemoi.Degrossesgouttesdepluiedégoulinaientsurlafenêtredel’appartementdeSharonoùjeséjournais
depuisdeuxsemaines.L’hommeassissurleperronenbas-etquiétaitaccessoirementmonmari-étaittrempéjusqu’auxos,sescheveuxnoirscolléssursonfront.Etilportaitsondéguisementdedragon.
–Tuvasfinirparavoirpitiédeluiquandmême?demandaKimberlyensetournantversmoi,lesbrascroisés.
En apprenant que Sharon était au centre d’accueil et que j’étais seule, elle s’était précipitée iciaprèsqueGraysonsoitalléechezellelasupplierdeluidireoùj’étais.Elleavaitcédé,maisjen’étaispas sûre de pouvoir en faire autant. Grayson avait passé vingt minutes à tambouriner à la porte enm’appelant.Quandils’étaitmisàpleuvoir,j’étaiscertainequ’ilallaitpartirmaisaulieudeça,ils’étaitassisetavaitéludomicilesurlesmarches.
J’aisecouélatête.–Jenepeuxpas,Kimberly,aupremierregard,jevaism’effondrer.Aprèscequ’ilm’adit…Les
chosesqu’iladûfaire…Jen’aipasledroitdecéder.Grayson connaissait mon talon d’Achille et l’avait ciblé de la façon la plus précise possible :
Depuis que tu es partie, je suis arrivé à la conclusion que j’aime plus de types de femmes que leconsentementdumariagenel’autorise.C’étaitpasmalavectoi,maisdepuis,j’aiconnumieux.
Je sentis un pincement aigu, douloureux dans la région du cœur en repensant à ses mots. Jem’éloignaidelafenêtrepournepasrisquerdelevoirdehors.
–Etpuisavectoutcequej’aifait,lescomplots,lesmanigances…–Oui,tuaseulaplusgrandedetesTrèsMauvaisesIdées,etsoitditenpassant,heureusementque
tunem’enaspasparléavantparcequejet’auraisenchaînéeplutôtquetelaissermettreçaenmarche.MaisKira,tuasaussidénoncédeuxdesfigurespolitiqueslespluscorrompuesdecesdernièresannées.Cesdeuxhommesauraientcertainementruinéencoredenombreusesvies.Jesuisfièredetoi.
Jepoussaiunlongsoupir.–Priscillaafaitlaplusgrossepartieduboulot.Detoutefaçon,Graysonneverrapasçadumême
œilquetoi.
–Commetoutlepays,ilsaitexactementcequis’estpassé,etilsaitaussiquec’étaittonidée.Etpourl’instant,ilesttoujoursassisdehorssouslapluiecommeunpathétique…pigeon,oujenesaisquoi.
–Un dragon plutôt. Peut-être qu’il est venu pourm’étrangler. Qu’est-ce qu’il t’a dit exactementquandiladébarquécheztoi?
–Deschosesquetudoisentendre,répondit-ellegentiment.Deschosesquil’avaientapparemmentconvaincuedeluidonnerl’adresseoùjemetrouvais.Un
courtinstant,mesconvictionsfurentébranlées.UnesortedegrincementsurlemurduduplexdeSharonnouspétrifia.Jeretinsmonsouffle,lesyeux
ronds.Soudain, le couinementd’unevieille fenêtrequi s’ouvrebrisa le silencedans lequelnousnoustrouvions.
–Quelqu’unestentré,chuchotaKimberly.Montéléphoneestenbas.Nousfonçamesvers lecouloirenpoussantunpetitcrid’angoissequandnousvîmesquelqu’unse
hisserparlafenêtre.Ilétaitcoincédansl’encadrementpar…sesailes!Jem’arrêtaibrutalement,laissantéchapperunsoupirdesoulagement.
–Grayson…soufflai-je,enrevenantdansl’entrée.–Qu’est-ceque…?s’exclamaKimberlyjustederrièremoialorsqu’ilsautaitdanslapièce.Ilatterritdansunbruitsourdethumide.Ilgrogna,sefrottalebras,puissemitàgenoux.Puisilm’aperçutetsereleva.–Kira,dit-il,uneflaqueseformantsoussespieds.L’étincellededésirquibrûlaitdanssesyeux
sombresmepritauxtripes.–Qu’est-cequetufabriques?demandai-jeenledévisageant.Sontee-shirtgrisbleuétaitplaquésur
sa poitrine, soulignant chacun de ses muscles, et son jean moulait ses cuisses solides. J’avalaipéniblementmasalive. Ilétait incroyablementbeau,deboutdevantmoi,mêmetrempépar lapluie,sesailesdégoulinantderrièrelui.
Graysonpassalamaindanssescheveux,écartantquelquesmèchesdesonfront.IlattrapaauvollaserviettequeKimberlyvenaitdeluilancer.
–Jevaisjuste…attendreenbas,dit-elle.J’acquiesçaienmordillantmeslèvres,puismeretournaiversGraysonquiseséchaitlescheveux.
Ilavaitlaisséglissersesailes,séchésonhautaveclaserviette,puissesjambes.Ilfinitparépongerl’eauquiformaituneflaqueàsespieds.Mesyeuxsuivaientchacundesesmouvements.
Quand il se releva, nos regards s’accrochèrent, le temps comme suspendu. Finalement, il ditdoucement:
– J’étais assis en bas sous la pluie, et jeme suis dit : que ferait Kira àma place ? Elle feraitquelquechose.Elle trouverait une Idée.Elle ne resterait pas là en attendant que le tempspasse.Ellerassembleraittoutsoncourage,etelleessaierait,mêmes’iln’yavaitplusd’espoir…Etjemesuisditquejevoulaisêtreaussicourageuxquetoi.
Oh.Mesjambessemirentàtrembler,etjeduslutterpournepasm’effondrersurlechamp.–Ettuasdoncescaladél’immeuble,puistuesrentrépareffractionchezSharon?
Ilhaussalesépaules,unpetitsourireauxlèvres.–Entrerpareffractionestlameilleureidéequej’aitrouvée,surlecoup.Ils’éclaircitlagorge.–Enfait,c’estmonplanB.Audépart,vois-tu,monplanAn’étaitpassiélaboré,j’allaisteparler
desrisquesquetuavaispris,puistefairequelquessuggestionsàproposdetesidéestrouvées…souslecoupdel’impulsivité.
Ilsortitalorsunmorceaudepapierpliéetmouillédesapoche.–J’aifaitunelistedespouretdescontre.Je laissai échapper unpetit rire. Ilme lançaun regardpleind’espoir endépliant prudemment le
papier,prenantsoindenepasledéchirer.–J’aiparlédetonesprit,detacompassionetdetagentillesse.Maisj’aiaussilistétouteslesfaçons
donttumerendsfou,jusqu’àmeposerdesquestionssurmasantémentale.Ilretournasafeuilledepapierdansunsenspuisdansl’autre.–Maisjen’arrivepasàmesouvenirquelsétaientlespouretlescontre,parcequ’ilsseconfondent
pourfairedetoiquelqu’und’unique,etjen’aipasenviedechangeruneseuledeceschoses.–Oh…soupirai-je,biendécidéeànepasm’effondrer.Ehbien,ça…çaal’aird’avoirfonctionné.
Tuauraispufairebienpire…Jedétournaimesyeuxdelui,memordantlalèvreunmoment.–Maisqu’est-cequetuessayaisdeprouverexactement?Maintenantquetueslàenfacedemoi,
qu’est-cequetuveuxGrayson?Mavoixémuetremblait,j’essayaisdelamaîtriseretdecacherl’espoirnaissantquejecommençais
àressentir.–Jeveuxtedirecequejet’auraisditcejour-là,dansmonbureau,sij’avaisétéassezcourageux,si
j’avaisétéassezfort.Jeveuxtedirequejetefaisconfiance,quejet’aime,etquejenepeuxpasvivresanstoi…J’espèrequetumepardonnerasdet’avoirrepoussée,det’avoirditdeschosessicruelles,det’avoirmenti,et j’espère…J’espèrequetum’aiderasàmepardonner.Jesuisdésolé,jesuistellementdésolé.
Savoixn’étaitplusquedouleur.Moncœurs’emballa.J’essayai de faire le tri dans tout ce qu’il venait de dire,mon esprit s’accrochant surtout à trois
mots.–Tum’aimes?Jefisunpasverslui,maisillevabrusquementlamainpourm’arrêter.Jeclignaiplusieursfoisdes
yeux,indécise.Maisquandjecompris,jenepusretenirmeslarmes…Ilvoulaitvenirjusqu’àmoi.Cequ’ilfit,s’arrêtantàquelquespasd’oùjemetenais.Ilesquissaunsouriretremblant.
–Oui,dit-il,jet’aimetellementquejemesenscommeunecoquillevidesanstoi.Jemordismalèvretremblante.–Etleschosesquetum’asditesàproposdesautresfilles…Mavoixs’éteignit.Lesouvenirdesesmotsétaitsipéniblequejenepouvaispluscontinuer.
–Non,grogna-t-il.MonDieu,non,j’aidittoutçapourtefairedumal,pourtepunir.Ilfermalesyeux,levisagedéfiguréparunrictushonteux.–J’aiétéetjeteseraitoujoursfidèle.Moncorps,maisaussimoncœuretmonâmesontàtoi.J’ai
faitunepromesseetj’ail’intentiondelatenir.Jesouris,j’étaisunpeuessouffléeetencoreauborddeslarmes,àlafoisvulnérableetsoulagée.–Jet’aiétéfidèleaussi…Cejour-là,àNapa,jen’étaisavecCooperqueparcequeçafaisaitpartie
du plan. Il pensait que j’habitais toujours là… Je voulais simplement savoir à quelle cérémonie il serendait.Aprèsça,jemesuiséclipsée.Jenesuisjamaisalléenullepartaveclui,quecesoitcettenuit-làouuneautre.
Ilfermalesyeuxuninstant.–Excuse-moid’avoirdoutédetoi.Jesecouailatête.–Jesaisqueçaavaitl’airbizarre.Jet’auraisexpliquési…–J’aiétélamentable.Plusqueçamême.Jecaressaiseslèvres,ravalantmeslarmesenadmirantsonvisage.–Tusouffrais.Ilhochalatête,l’airtoujoursaussicoupable.– J’étais certaine que tu venais me faire signer les papiers du divorce. Tu n’as pas accepté la
propositiondemonpère?Ilsecoualatête.–Plutôtcrever.Jeregardaimespieds.–Ehbien,c’estunchoixjudicieux,parcequec’estcequirisquedenousarriver…Jenesaispas
combiendetempsilfaudrapourrécupérerl’argentdemagrand-mère,oumêmesimonpèrecontinueraàlebloquer.Ilpourrait…
–Ils’avèrequeJessicaHawthornsouhaiteinvestirdanslevignoble.Jerelevailatête,confuse.–Vraiment?Jenel’avaisvuequebrièvement.Elleavaitacceptédemedonnerl’argentpourfinancermonplan,
maiselleavaitétéexpéditiveetdésagréable.–Ouais…Et,poursuivit-il,jeveuxquetusachesquej’aiprisconsciencedessentimentsquej’avais
pourtoi,etaussidufaitquej’aiagicommeunimbécilejusqu’àcequejedécouvretoutcequetuavaisfaitpourmoi,pournous…Aussiextravagantquecesoit.
Iln’avaitvisiblementplusrienàajouter.Jedéglutis,monsourires’effaçantpeuàpeu.–J’aiplanifié,j’aicomploté…Jerelevailatête.
–Jen’avaispaslechoix,Grayson.Jenesavaispassituallaisaccepterlapropositiondemonpère,mais si tu l’avais fait, il aurait sali ton nom et tous les efforts que tu avais faits pour restaurer taréputation.Etsiturefusais,tuétaisruiné.Toutcelaétaitdemafaute,jedevaismeracheter.Ilfallaitquej’essaye.
Leslarmescoulèrentsansquejepuisselesretenir.Ilsedirigeaversmoi,unsouriretendreauxlèvres.–Jesais,petitesorcière,etnousavonsbeaucoupànousdireàcesujet.Maisd’abord,jeveuxque
tu saches que j’ai eu tort en te comparant à ton père, ou aumien. Tu complotes, c’est vrai, dit-il ensouriant,sondoigtcaressantmapommette,maistesintentionssonttoujoursbonnes,généreuses,commetoi.Riendemauvaisnepourraitsortirdetoi,Kira,parcequ’iln’yariendemauvaisentoi.
Lesoulagementetlebonheurm’inondèrent.Jesecouailatête.–Finislescomplots.Jeveuxdire…saufsic’estpourquelquechosedetrès,trèsimportant.Jedétournaileregard.–Saufsi…Jem’arrêtai,lesyeuxrivéssursonvisage.Jemegorgeaisdesabeauté,desadouceur,desonrire.–D’accord,jet’aime,Kira.Jepourraisteledireindéfiniment.Jesuisprêtàbraverlesépines,pour
toi.Mêmeàm’yjeteràcorpsperdu.–Ceseraitdouloureux,chuchotai-je.Ilrit.–J’essayaisdefaireunemétaphore.Charlotte…commença-t-il.Ah.Oui,Charlotte.Ellem’avaittéléphonétouslesjourspourprendredemesnouvelles,et,mêmesi
jeneluiavaispasconfiémadernièreTrèsMauvaiseIdéejusqu’àcequelavidéoaitétéenvoyéeàlatélévision, ellem’avait abreuvée de ses sages conseils et demots réconfortants. Ellem’avait surtoutoffertsonamourcommeunevraiegrand-mère.
–Larose.Ellem’enaparlé.Unsourireenfantinnaquitsurseslèvres,puisilécartaunemèchedecheveuxdemonvisage.Son
expressiondevintplustriste.–J’auraisaiméêtrevraimentprêtàvivreselonceprécepte.Nousaurionspuévitertoutcegâchis.Submergée par l’émotion, une larme roula sur ma joue. Grayson l’effaça d’un geste du pouce.
Surpriseparunrefletmétallique,jeregardaisamaindeplusprès.–Tuastrouvél’alliance?–Oui,dit-il.Etsiellem’esttoujoursdestinée,sachequejenel’enlèveraiplusjamais.–Oui,ellet’appartient,murmurai-je.Jesuisdésolée,vraimentdésoléedet’avoircachélavéritésur
laresponsabilitédemonpèredanstacondamnation.Jen’aijamaiseul’intentiondeteblesser.Jet’aimeaussi.Jen’aijamaiscessédet’aimeretjet’aimeraitoujours.Mondragon.
Ileutl’airsoulagé,puisdemandad’unevoixrauque–Jepeuxteserrerdansmesbrasmaintenant?
En guise de réponse, je l’étreignis. Je sentis son sourire contremon front. Il frotta samâchoirerapeuseetvirilecontremapeau.
–Viensavecmoi,Kira,murmura-t-il.Rentreàlamaison,s’ilteplaît,laisse-moiteprouverquejepeuxêtrelemariquetumérites.
Jehochailatêtesansquittersapoitrine,respirantleparfumdélicieusementfraisdelapluiesurmonmari.Monmariquim’aimaitetquivoulaitquejerentreàlamaisonaveclui.Lamisère,lechagrinetlapeurressentiscesdernièressemainesmesubmergèrentsoudainetjenepusretenirunsanglot,appuyantmatêteunpeuplusfortcontrelui.Sesbrasm’enlacèrent,etilposasajouecontrematête.
–S’ilteplaît,sècheteslarmes,Kira,murmura-t-il.Jeneveuxplusjamaistefairepleurer.Ilmeregardaittendrement.Il prit mon visage entre ses mains, et se pencha pour prendre ma bouche. Je l’embrassai
langoureusement, savourant le goût délicieux de ses lèvres sur les miennes. Ça m’avait tellementmanqué.Illéchachacunedemeslarmes.Sonsoufflechaudcaressaitmapeau.Jel’embrassaiencoreetencore,matristessemouillantseslèvresd’uneessencesalée.
Ilsereculaetilpritunmomentpourdétaillermonvisagepuisilchuchota:–Tuespeut-êtreenceinte.J’écarquillailesyeux,toutd’aborddéstabilisée.Maisjesecouailatête.–Non,c’estimpossible,dis-jeenmesouvenantqu’unesemaineavant,j’avaiseumesrègles.J’avaiséprouvédusoulagementdansunpremiertempsmaisaussiunpeudedéception.–Jem’étaismêmeditquesitunemequittaisdéfinitivement,j’auraisaumoinsunepetitepartiede
toipourtoujours.–Kira,dit-ilsimplementenmeserrantcontrelui.–Ramène-moiàlamaison,dis-je,blottiedanssesbras.
***
Après avoir raccompagné uneKimberly tout sourire à sa voiture, Grayson etmoi avons faitmavalise,rejointsonpick-up,etsommesrentréscheznous.Cheznous.Sessimplesmotsmeremplissaientdejoie.
Jeviendraischerchermavoitureunautrejour.Pourl’instant,jenepouvaispasenvisagerd’êtreloindemonmari,mêmepouruneheure.
Nousavonspasséletrajetànousracontertoutcequis’étaitpassépendantnotreséparation.Graysonm’écoutaexpliquerleplanavecHarley,Priscilla,ettoutcequej’avaisélaboré.–Jenesaispass’il fautvous tuer tous les troisoufaireérigerunmonumentenhonneurdevotre
courage,dit-il.–Personnellement,j’aimel’idéedumonument.Enfin,situmedemandesmonavis.Jeluioffrismonplusbeausourire.Ilmeregardaensouriantluiaussi,puisfinitparéclaterderire.
–Cettediablessedefossettevientjustedetesauverlavie.J’éclataiderireàmontour.– JepensequeHarley abienméritéunepromotion, constata-t-il.C’est apparemmentun jongleur
horspair.Nonseulementilt’aidait,maisenplusilagérétouteuneéquipeauvignoble,sansgagnerunsou.
–Jesuisaucourant,luirépondis-je.Charlottem’enaparlé.Ilhaussaunsourcil.–Donc,j’étaisleseulànepasêtredanslaconfidence?Apparemment,toutlemondesavaitcequi
setramait,saufmoi.Jeposaimamainsursonbras.–C’estladernièrefois.Àpartirdemaintenant,tuferaspartiedetousmescomplots.–Tun’espluscenséefairedecomplots,merappela-t-il.–Ah,oui,c’estvrai.Celaprovoquaunenouvellefoissonhilarité.EnpassantlesportesduvignobleHawthorn,Graysonpritmamain,etlaserra.Une fois arrivés devant la maison, Charlotte nous attendait, visiblement enchantée. Elle dévala
l’escalierduperronpourmeprendredanssesbrasjusqu’àm’étouffer.–CommentvaWalter?demandai-je.–Parfaitementbien!Ilrentredemain!Ellemeserraplusfortencore.Jemesentaisbien,pleinedegratitudeetdejoie.J’étaisàlamaison.
Enfin,murmuramoncœur.Enfin.Harley,Virgil, José, ainsi queplusieurshommesque jene connaissaispas sedirigeaientvers la
maison, venant visiblement de finir leur journée de travail. Ils riaient, plaisantaient et nous saluèrentbruyammentquandilsfurentàportéedevoix.Sugieétaitsurleurstalons,haletanted’excitation.Pendantunmoment,letempss’arrêtaetjelesobservai,unsourireauxlèvres:c’étaitmafamille.Ungroupedemarginauxetd’opprimésqui, ensemble, avaient redonnévie àunvignoble sur ledéclinet fait tomberdeuxhommespuissantsetcorrompus.
–Hé,Harley!criaGrayson.Appelletafemme,etdemande-luidenousrejoindre.J’aiàpeuprèsmilletoastsàfaireensonhonneur.
Harleysourit.–Jem’enoccupe,monpote.Ondécidadenepasregarderlesinformationscesoir-là.Lemondeattendrait.Aprèsunbondîner
defamille,pleinderires,dediscussions,etdebeaucoup,vraimentbeaucoupd’acclamations,Graysonetmoi rejoignimes notre chambre. Il me fit l’amour. D’abord brutalement et vite, puis lentement etdélicatement.Jemesentaistellementsereine,pleinedelui.Plustard,blottiedanssesbras.Lesmotsmemanquaient,j’étaisgorgéedeplaisiretd’amour.
–Kira,murmura-t-il.Jeveuxquetusachesquejemesuisfaitunenouvellepromesse,unepromessequejecomptehonorerpourlerestantdemesjours.
–Laquelle?chuchotai-je,sentantl’importancedesmotsqu’ilallaitprononcer.Iltournamonvisageverslesien.– Nous sommes mariés, et il y aura des moments où nous serons en désaccord, où nous nous
disputerons,oùnousdouteronsl’undel’autre.Ilyauradesjoursoùl’amourquej’éprouvepourtoimeferapeur.Maisjetefaislapromessedenejamaism’enallersansquenousnousexpliquions.
Ilm’observa,d’unairdouxetvulnérable.–Jeveuxdirequejenemerefermeraiplussurmoi-même.Jeveuxfaireface.Jemebattraijusqu’à
cequenousayonstrouvéunesolution,peuimporteletempsqueçaprendra.Tupeuxêtresûrequejamaisplusjeneterejetterai.Jeteleprometsduplusprofonddemoncœur.
Jehochailatête,submergéeparlatendresse.–Jetefaislamêmepromesse.Ilsourittendrement.–Parfois,nousnousrencontreronsàmi-chemin.Àd’autresmoments,jeviendraiàtoi.Etjeferaide
monmieuxpourmettremafiertédecôtéetsavoirquandc’estàmoidefairelepremierpas!–Moiaussi,murmurai-je,lesyeuxembués.Il sepenchaetembrassamespaupières,obligeantmes larmesàcouler.Ses lèvres lesburent sur
monvisage,puisilmeserraunpeupluscontrelui,plongeantsonvisagedansmescheveux.Cette promesse, chuchotée à la lueur de la lune dont les rayons entraient par la fenêtre de notre
chambre,étaitsacréeetcommegravéedanslapierre.Carcettepromesseprenaitracinedanslavéritéetl’amour.
ÉPILOGUE
GRAYSONHuitansplustard
–Jepeuxsavoircequetuesentraindefairepetitlutin?demandai-jeàlapetitedefilledeseptansqui rampaitdans l’herbe.Elle releva la tête.Unecascadedecheveuxauburnaccompagnasongesteetelleplantasesgrandsyeuxmarrondanslesmiens.
–Jejoueàêtreunechenille,merépondit-elle.–Ah,dis-jeententantdemasquerlesourirenaissantsurmeslèvres.Hiertuétaisunepâqueretteet
aujourd’huiunechenille.Ellesemitàgenoux,enposantlesmainssursespetiteshanches.– PapiWalter a dit qu’on ne pouvait pas parfaitement comprendre quelqu’un tant qu’on n’a pas
regardélemondeàtraverssesyeux.–Ilt’aditça,vraiment?J’imaginaistrèsbienWalterdireça.C’estluiquim’avaitapprisàêtreunbonpère.Toutcequeje
savais,jeluidevais.–Bien,maistusaisjenecroispasqu’ilfaisaitallusionauxpâquerettesetauxchenilles.–Maiscesontmespréférés!insista-t-elle.Jeveuxlescomprendrelepluspossible!Jememisàrire.–Etalors?Qu’est-cequetuasdécouvertpourlemoment?–Ehben,lespâquerettesregardentverslecieltoutelajournéeetl’observentsetransformer.Elles
doiventsedirequelaTerreestvraimentunendroittropmignon.Leschenilles,elles,regardentjustelesol.
Ellefronçalessourcils.–Leschenillesdoiventêtretrèsdéçuesparlemonde.J’éclataiànouveauderire.Jelaprisdansmesbrasetobservaisapetitefrimoussesisérieuse.
– Tu sais ce que je vois, moi ? Une très jolie petite fille avec un cœur très bienveillant. Bon,maintenantdis-moi,oùesttapetitesœur?J’aiquelquechoseàvousannoncer.
–Ellejoueàsedéguiserdanslecabanon.Papa,est-cequetuasmisunautrebébédansleventredemaman?
J’écarquillailesyeuxetjerestaimuetquelquessecondes.–Commentest-cequetusaisça?–Tuavais lamêmetêtesur tonvisagequandtum’asditquetuavaismisCéliadanslebidonde
maman.–Etàquoielleressemblecettetête?Ellesegrattalebras,l’airsongeur.–Jenesaispas.UnpeucommeSugiequandelleattrapeunbâton.J’éclataiderire,imaginantlatêtedeSugie,àlafoistrèsfièreetunpeusurprisequandellevenait
deréussiruntrucqu’elletrouvaitgénial.–Etbientuasraison.Etdevinequoi?C’estuneautrepetitesœur.–Uneautrepetitesœur?Ellefitungrandsourire,révélantsesdentsmanquantesetlafossettecraquantesursajouequ’elle
tenaitdesamère.–Çafaitpleindefilles,papa!–Ehoui!J’étaistellementheureux.Jen’auraispaspul’êtreplus.Pourtantchaquejour,jemefaisaislamême
réflexionetmonbonheurnecessaitdegrandir.Toutçaparcequ’unefemmeavaiteuunjourlecouragedepousserlaportedemonbureauetdemedemanderenmariage.Toutçaparcequej’avaisfinalementosém’abandonneràmadélicieusepetitesorcière,etqu’enretour,ellem’avaitoffertunemaisonpleinedepetitesfillesturbulentesquimontaientauxarbres,seprenaientpourdeschenilles,medonnaientletournisparmoment,etmeremettaientàmaplacetrèsrégulièrement!Jen’étaisdécidémentpaslechefdansmamaison,maisplusquetout,ellesmerendaientfoud’amour.
J’ai reposé Isabellepar terreetonest entrésdans lecabanonoù, jadis, avaitvécuune très joliesorcière. Je trouvaialorsCélia,quatreans,déguiséeenprincesse.Elle jouaità ladînettesur lapetitetabledel’entrée,unetasseàlamain.Ilyaplusieursannées,nousavionsfaitdestravauxdanslecabanonetnousl’avionstransforméensalledejeupournosfilles.
–Onvaavoiruneautresœur!hurlaIsabelle.Célias’arrêta,latasseàmi-chemindesabouche.Elleouvritdegrandsyeux.–Uneautresœur?dit-elleenfaisantdesbonds.Elleseprécipitaversmoisursespetitstalonsen
plastiqueetsejetadanslesbrasquej’avaisouvertspourelle.–Mercipapa.Jerêvaisd’unepetitesœur.Je regardai son beau visage en forme de cœur, ses yeux verts pétillants pleins de joie et teintés
d’unepointed’espièglerie.–C’estmonrôle,tusais,deréalisertoustesrêves.
Ellepritunairsongeur,ettortillauneboucledesescheveuxnoirs.–Est-cequejepeuxavoirunponey,alors?Jeposaimonindexsurleboutdesonnez.–Pourêtreencoreplusgâtéequetunel’esdéjà?– Hum, dit-elle, boudeuse, mais je voyais qu’elle était déjà en train d’échafauder un plan pour
obtenirceponey.Noussommesremontéstouslestroisverslamaison.Charlotteétaitdanslacuisine,etjemeremplis
lespoumonsdel’odeurdouceetsucréedecitronquiembaumaitlerez-de-chaussée.–MamieCharlotte,appelaCélia.Onvaavoirunbébésœur!CharlotteéclataderireetpritCéliadanssesbraspendantqu’Isabellenouaitlessiensautourdesa
taille.– Je sais,mes amours, j’ai entendu la grande nouvelle. Est-ce qu’on ne fêterait pas ça avec une
tranchedecakeaucitrontoutdroitsortidufour?–Oupeut-êtredeux?Céliapenchalatêteenluiadressantsonpluscharmantsourire–Quellecoquine!dis-je,enéclatantderire.J’embrassaiCharlottesurlajoueetjeluidemandai:–Est-cequetuasvuKira?– Elle s’est volatilisée, répondit-elle en posant Célia. Va la chercher, jem’occupe de ces deux
poupées.Elle était heureuse. Je savais à quel point chouchouter et faire des câlins àmes petites filles lui
faisaitplaisir.Etelleadoraitcuisinerpourelles.Jeluifisunclind’œiletpartisàlarecherchedemafemme.Jen’avaisaucuneidéedel’endroitoù
ellepouvaitêtre.Endescendantlacolline,j’observaiavecfiertélesvignesplusbas.Huitansplustôt,nousavionssauvécevignobledelafaillitegrâceà l’argentqueJessicam’avaitdonné,àbeaucoupdetravail,etàdestasd’amisfidèles.Depuis,chaqueannéenousavionsprospéréunpeuplus,allantmêmejusqu’àvoirnosvinsrécompenséspardesprix.LevignobleHawthornétaituneentrepriseflorissanteetj’étais particulièrement fier du fait que nous employions désormais presque deux cents personnes.Beaucoup étaient d’anciens prisonniers qui cherchaient à se réinsérer et avaient besoin que quelqu’unleurfasseconfiance.C’étaitHarley,maintenantdirecteurd’exploitationaudomaine,quiavaitlancécetteidée.ÀNapa,quelquesentreprisesluiavaientmêmeemboîtélepasquandilsavaiententendudireàquelpointnosemployésétaientassidus.
L’argentdelagrand-mèredeKiraavaitfinalementétédébloqué,bienavantqueleprocèsnesoitterminé.CooperStrattonavaitétéenvoyéderrièrelesbarreauxpourunesériededélitslonguecommelebras.FrankDallairen’avaitjamaisétéreconnucoupable,maisenpolitiquelasuspicionfaittout,etça,ille savaitmieuxquequiconque.Personnen’avaitvouluêtreassociéauxsoupçonsqui luicollaientà lapeau.Ilavaitdisparudupaysagepolitiqueet,d’autantquejesache,n’étaitplusdutoutaugouvernement.Pasplusquedansnotrevie.
Toutefois,etbienheureusement,nousn’étionspasenmanquedefamille.ShaneetVanessaavaienteudeuxgarçonsquivenaientsouventnousrendrevisite.Ilsrentraientsouventchezeuxunpeuétourdisaprèsquenosfilleslesaientmalmenés.Ellesleurjouaientdestours,lesobligeaientàjoueràlapoupéeetàparticiperàdesescapades!
–Jesavaisque je trouverai ici,dis-jeenprenant ledernier tournantdu labyrinthesoigneusemententretenu.
JesourisenrejoignantKirasurlebancoùelleétaitassise,enfacedelafontaine,lesmainsposéessursonpetitventrerebondi.Lesémeraudesdesabaguedefiançaillesbrillaientausoleil,merappelantlejouroùnousavionsrenouvelénosvœux.Lacérémonieavaitétéintimeetensoleillée,jeluiavaispassélabagueaudoigt sous l’abricotierdenotrevignoble. J’avaisvoulu luioffrirunvraimariage avecdel’amour,dubonheuretdesproches,etc’estcequej’avaisfait.
Monépousemesouriait,lafossettequifaisaitchavirermoncœuraucreuxdesajoue.– C’est mon endroit préféré, le cœur de ta tanière. Je sais que tu me retrouveras toujours ici,
Dragon.Jerisdoucementetl’installaisurmesgenouxpourlasentirtoutcontremoi.Elleenveloppasesbras
autourdemoncouetposasonfrontcontrelemien.–Uneautrefille…Jecaressaisoncou.–Hum,murmurai-je.Encoreunefemmepourmedominer.Sijeneteconnaissaispas,jediraisque
c’étaitencoreundetesplans.Kiraéclataderire.–Non,cen’estpasvrai,cen’étaitpasundemesplans,c’étaitundemesrêves.Ellepritmonvisageentresesmainsetm’embrassa.–Merci,chuchota-t-elletoutcontremabouche.Jedébordaisd’amouretdereconnaissance.Jeserraimafemmeunpeupluscontremoi,ivredeson
parfum.Àcetinstantjesusqueplusjamaisjenepenseraisquelavien’étaitpasfaitedemiracles.Grâceàsonamour,masublimepetitesorcièreavaittransforméunendroitquiétaitautrefoisremplidesolitudeet de souffrance en un océan de bonheurs et de rêves. Les arbres, les roses et les vignes au loin,murmuraientcevieiladage:InVinoVeritas.Danslevinsetrouvelavérité.
Maisdansmoncœurils’entrouvaitunautre:Dansl’amoursetrouvelavérité!Et lavéritéquem’avaitenseignée l’amourc’étaitqu’onnepeutdevenir fortqu’aprèsavoireu le
couraged’affrontersessouffrances,etquelesfaillesbéanteslaisséesparlapeinepermettaientàl’amourd’entreretdelescombler.
J’étais heureux d’avoir connu les deux, souffrance et bonheur, car c’était ce qui faisait lemerveilleuxéquilibredelavie.
REMERCIEMENTS
Commetoujours,j’aireçul’aided’ungrandnombredepersonnespourécrirecelivre.Unimmenseettendremerciàmonéditrice,AngelaSmith,quim’aaidéàaméliorerl’intrigueetqui
acruencettehistoire,plusquemoiparfois.Mercid’avoirétélà,dupremierauderniermot.Ma profonde gratitude va également à Marion Archer. Tu es une éditrice si talentueuse, et tes
conseilssonttellementpertinents.Tonenthousiasmeettonimplicationdansceprojetmetouchentau-delàdetoutemesure.
Merci à Karen Lawson grâce à qui, dans leur version finale, mes livres sont des bijouxsoigneusementpolis.C’estuncadeauinestimable.
Àmesprécieuxlecteurs,quiontlucelivreenavant-première,etm’ontfaitdescommentairesetdessuggestions de grande valeur : Cat Bracht, Natasha Gentile, Michelle Finkle, Nikki Larazo et ElenaEckmeyer(quiontdonnéàmondragonetàmasorcièreuneattentionsupplémentaireetbienveillanteenlisantmonmanuscrit deux fois, et quiont aimémondragonmalgré son soufflebrûlant tout commemasorcièrequiluiafaittournerlatêtejusqu’àcequ’ilcède).
Merci à mon merveilleux agent, Kimberly Brower, qui m’a tenu la main tout au long de cetteaventure.Mercidemesoutenirinlassablementetpatiemment.Tuesincroyablementgénéreuse,letempsetl’attentionquetum’accordesmedonnentl’impressiond’êtreleseulauteurdonttut’occupes(etjesaisquenousdisonstouscela!).
Àtoienfin,cherlecteur,sansquijen’auraispaseulachancedefairecequejefais.Unamoursansfin,etmillemercis!
Merci également à tous les blogs qui citent et recommandent mes livres. Mes penséesreconnaissantes.
Etpourfinir,àmonmari.Jenesaispascommentteremercierpourtonaideettonsoutien,pourlesinterminables discussions que nous avons eues (en voiture, au restaurant, dans le lit, et même en sebrossantlesdents!),pourmesincessantesquestions,pourmesdoutespermanents,etpourletempsinfiniquej’aipassé,seuledansmatête,àcréercespersonnages.Lapromessequejet’aifaitem’aapportéplusdebonheurquejen’enauraijamaisosérêver.
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