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Mémoire

pour le Diplôme d’Etudes Spécialisées

en Médecine du Travail

Année universitaire 2003-2004

Présenté et soutenu le 19 octobre 2004

Conduite à tenir devant un trouble des fonctions hépatiques chez des

salariés exposés aux solvants organiques

Sébastien Leroy Directeur de mémoire:

Dr Robert Garnier

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II

Sommaire

Lexique Liste des Tableaux et Figures

Introduction………….……………………………....………………………………....1

Observations cliniques (patients vus à la consultation de pathologie professionnelle de l’hôpital Fernand Widal)…………………………………………......3

- Mr M. : augmentation des transaminases et des γ-GT dans un contexte d’exposition chronique à des solvants organiques…………........…....….....3

- Mr T. : augmentation des transaminases avant embauche dans le cadre d’une

exposition potentielle à des solvants organiques………....................……....4 - Mr J. : élévation modérée de l’activité des enzymes hépatiques prédominant sur

l’ALAT et la γ-GT, persistante, chez un salarié possiblement exposé professionnellement à des solvants organiques..............................................5

Les solvants organiques…………..……………………………………..….....7

• Définition………………..……………………………………………………...…....7

• Toxicité (hépatique) des solvants…………………………………………....8

Causes d'élévation de l'activité des enzymes hépatiques......................................................................................................................12

• Hépatite aiguë……………………………………………………………….…....12

Epidémiologie………………………………….………………………....12 Caractéristiques cliniques et biologiques…………......……………......14 Histologie………..…………..……………………………..…………......15 Evolution…………..……………………………………………………...15 Causes……………..…………………………………………………......16

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III

• Hépatites chroniques………......……………………………...…………..…...17

Epidémiologie…………………….……………………………………....17 Caractéristiques cliniques et biologiques………………………..…......17 Histologie.…...…………………………………………………………....19 Evolution……………………..…………………………………………...19 Causes……………………..…………………………………………......20

• Hépatites virales…………………………………………....20 • Hépatites auto-immunes…………………...…………..…....23 • Maladies métaboliques………….……………………..…....23 • Troubles dysmétaboliques…………………..……………....25 • Dysthyroïdie..........................................................................26 • Myopathies et cardiomyopathies.....................................….....26 • Alcoolisation chronique………………………………..….....26 • Hépatites médicamenteuses………………..…………….....27 • Exposition toxique professionnelle……………………….......28

Cas particulier de la stéato-hépatite non alcoolique..............30

• Epidémiologie……………………………………………………...………....30

• Pathogénie………………….………………………………………………....30

• Caractéristiques cliniques et paracliniques…....................................33

• Diagnostic histologique………………………………..……………….....34

• Evolution et traitement……………………………………………..……...36

• Causes……………………………………………………..…………………...37

Proposition d'un algorithme décisionnel…......................................39

Application de l’algorithme décisionnel aux observations cliniques (discussion des conséquences)……………………….....…..…....41

Conclusion………………………………….………………………………………....44

Références bibliographiques

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IV

Lexique γ-GT : Gamma-Glutamyl Transférase Ac anti-LC1 : Anticorps anti-Liver Cytosol 1 Ac anti-LKM1 : Anticorps anti-Liver-Kidney Microsomes 1 ACGIH : American Conference of Governmental Industrial Hygienists Ag : antigène ALAT : Alanine Amino-Transférase ASAT : Aspartate Amino-Transférase ATP : Adénosine TriPhosphate BAT : Indice d’expostion de la commission allemande BMI : Body Mass Index BTS : Brevet de Technicien Supérieur CDT : Carbohydrate-Deficient Transferin CFC : ChloroFluoroCarbures Chol : Cholestérol CMV : CytoMégaloVirus COTOREP : Comité Technique d’Orientation et de Reclassement Professionnel CPK : Creatine Phospho-Kinase CST : Coefficient de Saturation de la Transferrine CYP : Cytochrome P450 DNID : Diabète Non InsulinoDépendant EBV : Epstein Barr Virus EGME : Ethylene Glycol Methyl Ether EPI : Equipement de Protection Individuel EPP : Electrophorèse de protéines plasmatiques EROs : Espèces réactives d’oxygène HSV : Herpès Simplex Virus IMC : Indice de Masse Corporelle IRM : Imagerie par Résonance Magnétique MTBE : Métyl-t-Butyl Ether NASH : Non Alcoholic Steato-Hepatitis PBH : Ponction-Biopsie Hépatique SNA : Stéato-hépatite Non Alcoolique THF : TétraHydroFurane TP : Taux de Prothrombine TG : Triglycérides TSH : Thyroid-Stimulating Hormone (ou Thyréostimuline) VBP : Voie Biliaire Principale VGM : Volume Globulaire Moyen VHB : Virus de l’Hépatite B VHC : Virus de l’Hépatite C VHD : Virus de l’Hépatite D VHE : Virus de l’Hépatite E VIH : Virus de l’Immunodéficience Humaine VZV : Varicelle-Zona Virus

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V

Liste des Tableaux et Figures Tableau 1 : Résumé des études publiées sur la toxicité hépatique de groupe des mélanges de solvants……………………………………………………………….......10-11

Tableau 2 : Principales causes de cytolyse…………………………………………..………...16

Tableau 3 : Médicaments à l’origine d’hépatites chroniques actives……..……………………....17

Figure 1 : Mécanisme de la stéatose…………………...……………………………………...31

Figure 2 : Rôle possible des solvants organiques dans la pathogénie de la SNA….......................32

Tableau 4 : Grade et stade des lésions histologiques de la stéato-hépatite non alcoolique……......35

Tableau 5 : Causes de stéatose et stéato-hépatite non alcoolique………………………….…...39

Algorithme décisionnel…………………………………………………………………....40

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1

Introduction Les solvants organiques sont utilisés dans de nombreux secteurs d’activité. Ce sont des

produits non dénués de toxicité, même si celle-ci paraît très variable d’un solvant à l’autre. En

particulier, l’hépatotoxicité de certains solvants est suspecté depuis la fin du XIXème siècle. En

effet, le foie est l’organe cible de nombreux xénobiotiques, comme les médicaments ou les

toxiques industriels, de part son rôle d’épurateur de l’organisme. Un des hépatotoxiques les

plus étudiés est probablement le tétrachlorure de carbone. Une revue de la littérature réalisée

par Brautbar et Williams en 1986 [1], mettait en évidence cette toxicité pouvant mener à la

cirrhose, voire au cancer du foie. D’autres études ont, par la suite, tenté de démontrer le

potentiel toxique des mélanges de solvants organiques par leur action sur les systèmes

enzymatiques hépatiques [2,3]. Il est fait état des mélanges de solvants car il est souvent

difficile, en dehors des études expérimentales, d’individualiser tel ou tel solvant ; les

expositions professionnelles aux solvants sont souvent multiples et indissociables. Les

mécanismes toxiques sont nombreux et certains encore inconnus. Quelques uns semblent tout

de même jouer un rôle majeur. C’est le cas de l’induction enzymatique via l’activation

d’autres cytochromes P450 [4]. C’est un des mécanismes d’action de l’alcool éthylique, mais

aussi des solvants organiques selon une étude de Chen et al. [2] qui a démontré en 1997, que

le taux de γ-GT, marqueur biologique de cette induction le plus utilisé en routine, était

indépendamment plus élevé chez les éthyliques et chez les sujets exposés aux mélanges de

solvants.

Les solvants organiques font donc partie intégrante des risques ciblés par les médecins du

travail. Ils nécessitent une surveillance médicale adaptée. Certains, comme les dérivés

halogénés des hydrocarbures, font l’objet d’une surveillance médicale renforcée prévue par le

code du travail [5]. Cette surveillance se fait en général par le dosage des marqueurs des

fonctions hépatiques. Mais ces examens ne sont ni sensibles ni spécifiques [6]. Plusieurs

études ont été réalisées à la recherche d’un marqueur biologique efficace dans le diagnostic

précoce et spécifique d’une pathologie hépatique liée à l’exposition aux solvants [7,8,9].

Mais, une publication très récente mettait l’accent sur le fait qu’à l’heure actuelle il n’existe

pas de test simple et unique permettant la surveillance des salariés exposés. Les auteurs

suggèrent que la surveillance et le diagnostic des maladies liées à l’exposition aux solvants

organiques se basent sur un curriculum laboris bien détaillé et un faisceau de tests de

laboratoire préalablement sélectionné [10]. Or ce faisceau de tests n’est pas clairement établi.

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D’autre part, on retrouve dans la littérature l’émergence d’une association entre l’exposition

aux solvants organiques et une nouvelle entité clinique appelée stéato-hépatite non alcoolique.

L’objet de ce travail est de définir une conduite à tenir simple et efficace face à une

perturbation du bilan hépatique des salariés exposés aux solvants organiques, afin d’aider les

médecins du travail dans la prise en charge de ce genre de situation toujours complexes.

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Observations Voici l’exemple de trois observations recueillies dans le cadre de la consultation de

pathologie professionnelle de l’hôpital Fernand Widal. Il s’agit dans chacun des cas de

patients présentant une élévation de l’activité des transaminases (ASAT, ALAT ou les 2)

et/ou de la gamma-glutamyl transférases (γ-GT) dans un contexte d’exposition à des solvants

organiques. Il s’agit de situations fréquemment rencontrées en pratique courante.

- Mr M. : augmentation de l’activité des transaminases et de la γ-GT dans un contexte d’exposition chronique à des solvants organiques Mr M., âgé de 49 ans, est coloriste. Il a été adressé en consultation de pathologie

professionnelle par son gastro-entérologue pour la recherche d’une cause professionnelle à

une perturbation de son bilan hépatique.

Le poste de travail de Mr M. consiste à préparer des peintures dans une entreprise où toutes

les activités (fabrication, stockage, mélange, nettoyage, empâtage et broyage des différentes

peintures) se situent dans le même atelier, de 9 mètres sous plafond. Il existe un système de

ventilation par pieuvre amovible mais tous les postes de travail ne sont pas fournis et en

particulier, celui où Mr M. passe le plus de temps, c’est-à-dire 3 à 4 heures par jour. En

moyenne, Mr M. occupe les trois quarts de son temps de travail à la préparation de peintures

polyuréthanes. Pour ce faire il mélange des bases polyuréthanes incolores aux pâtes colorées

dans des fûts de 50, 200 et 500 Kg. Le mélangeur est ouvert. Il tire alors la peinture par pot de

5 litres pour la préparation de pots de 1, 5, 10, 20 Kg dans des préparateurs ouverts, non

équipés d’aspiration. Une fois le chargement effectué, Mr M. mélange la peinture

polyuréthane colorée au durcisseur, sans protection individuelle, pour une application au

pistolet dans les cabines d’essai. Ces essais se font en cabine sèche avec aspiration vers le

haut, durent 2 à 3 minutes et sont réalisés 50 à 60 fois par jour. Lors de la préparation des

différentes peintures Mr M. est exposé à de nombreux solvants organiques contenus dans les

peintures. Dans l’entreprise qui emploie Mr M. les solvants utilisés sont des éthers de glycols

(éthers n-butylique du propylène glycol et du dipropylène glycol, éther méthylique du

propylène glycol), des mélanges d’hydrocarbures (toluène, xylènes, solvants naphta 90/160,

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90/170, 90/200, white spirit, essence E et essence de térébenthine), des cétones

(éthylamylcétone, méthyléthylcétone, méthylisobutylcétone, acétone, diisobutylcétone,

diacétone alcool et cyclohexanone), des alcools (alcools butylique, éthylique, isopropylique et

isobutylméthylcarbinol) et des esters organiques (lactate d’éthyle, acétates de n-propyle, de n-

butyle et d’isopropyle). Le reste de son temps de travail, Mr M. le partage entre la sortie des

étiquettes pour les pots de peinture, le contrôle informatisé des teintes au photocolorimètre, et

des travaux de manutention (stockage, déstockage, fermeture des pots de peinture).

Le gastro-entérologue indique que depuis 2 ans, Mr M. est surveillé par la médecine du travail

pour une élévation modérée et stable de l’activité de la γ-GT entre 2 et 3 fois la normale,

associée à une augmentation de celle de l’alanine aminotransférase (ALAT) entre 1,5 et 2,5

fois la normale. Un premier bilan sanguin, réalisé au décours de la dernière visite annuelle de

médecine du travail a éliminé les principales causes métaboliques (bilans lipidique, martial et

thyroïdien normaux), infectieuses (sérologies des hépatites B et C négatives) et

immunologiques (recherche d’anticorps anti-tissus négative) d’hépatite. Une échographie

hépatique a par ailleurs montré une stéatose hépatique diffuse avec un foie un peu

hypertrophié. En conséquence, et devant l’amélioration du bilan hépatique après une période

de vacances il évoque une cause professionnelle et adresse Mr M. en consultation de

pathologie professionnelle.

Mr M. pose donc le problème d’une élévation de l’activité de l’ALAT et de la γ-GT,

chronique (> 6 mois) associée une exposition professionnelle aux solvants organiques.

- Mr T. : augmentation des transaminases avant embauche dans le cadre d’une exposition potentielle à des solvants organiques Mr T., 22 ans, est adressé en consultation de pathologie professionnelle pour une élévation

modérée de l’activité des transaminases à 1,5 fois la normale. Au moment de la consultation,

Mr T. prépare un BTS de chimie en alternance, où les cours alternent avec les semaines au

laboratoire. Au sein de celui-ci, il sera en présence de solvants organiques. Il présente une

surcharge pondérale modérée avec un poids de 100 kg pour une taille de 1,90 mètres (BMI=

27,7). Le premier bilan prescrit par le médecin du travail comprenait les sérologies des

hépatites virales B et C qui étaient négatives et une échographie hépatique qui a mis en

évidence une hépatomégalie modérée d’allure stéatosique, pouvant expliquer les anomalies du

bilan hépatique. Son médecin du travail l’adresse pour éliminer une autre cause.

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Mr T. pose donc le problème d’une élévation des transaminases antérieure à sa prise de poste

pouvant l’exposer à des solvants organiques. Il s’agit d’un double problème. Quelle est la

cause de cette anomalie du bilan hépatique ? Et, quelle est la conduite à tenir quant à la

décision d’aptitude et le suivi de ce salarié ?

- Mr J. : élévation modérée de l’activité des enzymes hépatiques prédominant sur l’ALAT et la γ-GT, persistante, chez un salarié possiblement exposé professionnellement à des solvants organiques Mr J., 31 ans, est adressé en consultation de pathologie professionnelle par son médecin du

travail pour avis sur des anomalies biologiques hépatiques. Mr J. travaille comme

conditionneur de gaz dans un des cinq ateliers d’une entreprise de 100 salariés. Cet atelier de

fabrication de 15 salariés mesure 200 m² ; il est équipé d’une ventilation, de hottes aspirantes

et de détecteurs de gaz. Le travail de Mr J. consiste à mélanger des produits gazeux ou

liquides qui proviennent de tuyaux fixes et mobiles, ou de bouteilles. Ces opérations sont

généralement automatisées, plus rarement de réalisation manuelle à la seringue de 10 à 50 ml,

sous hottes d’aspiration. Il est précisé qu’il existe parfois de petites fuites de gaz, notamment

au poste de conditionnement des hydrocarbures situé à côté de celui de Mr J. Les produits

liquides utilisés par Mr J. sont des hydrocarbures aliphatiques saturés (décane, heptane,

hexane, isopentane, octane, pentane), des hydrocarbures aliphatiques insaturés (hexène,

isoprène, pentène), des hydrocarbures aromatiques monocycliques (benzène, cumène,

éthylbenzène, toluène, xylène), des hydrocarbures aliphatiques halogénés (bromure de

méthylène, chloroforme, dibromoéthane, dichlorométhane, iodure de méthyle, isoflurane,

tétrachlorure de carbone, trichloréthylène), des hydrocarbures aromatiques halogénés

(chlorobenzène, hexachlorobenzène), le méthanol, l'acétone, l'éther diéthylique, le 2-

chlorophénol, l'acétaldéhyde, l'acétonitrile et des dérivés soufrés (disulfure de carbone,

disulfure de méthyle). Les produits gazeux utilisés sont l'acétylène, l'ammoniac, l'azote,

l'argon, le butadiène, les butènes (butène-2-cis, butène-2-trans et isobutène), le butyne, le

chlore, le chlorure d’hydrogène, le dioxyde d’azote, le dioxyde de carbone, l'éthane,

l'éthylène, l'éthylmercaptan, le formaldéhyde, l'hélium, l'hydrogène, le méthane, le

méthylmercaptan, le monoxyde de carbone, le monoxyde d’azote, l'oxygène, le propadiène, le

propylène, le propyne et le tétrahydrothiophène.

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Lors de la surveillance par la médecine du travail, les tests des fonctions hépatiques de Mr J.

ont montré les anomalies suivantes :

Février 2002 Juin 2003 Sept 2003 Déc 2003 N ASAT (UI/L) 29 42 33 35 < 46 ALAT (UI/L) 63 100 84 85 < 49 γ-GT (UI/L) - - 58 65 < 45

Il est alors adressé à la consultation de pathologie professionnelle pour la recherche d’une

cause professionnelle à ces anomalies biologiques et pour un avis d’aptitude à son poste de

travail. Mr J. pose le problème d’une élévation modérée persistante de l’activité des enzymes

hépatiques prédominant sur l’ALAT et la γ-GT, chez un salarié exposé professionnellement à

des solvants organiques.

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Les Solvants organiques

• Définition Un solvant est un liquide qui a la propriété d’extraire, diluer ou dissoudre d’autres substances

sans provoquer de modification chimique de ces substances et sans lui-même se modifier. Il

s’agit de solvants organiques quand les substances qu’ils sont capables d’extraire, diluer ou

dissoudre sont organiques. Leurs applications sont extrêmement larges, tant dans les milieux

industriels que dans les milieux artisanal et agricole. Les solvants servent à mettre en œuvre, à

appliquer, à nettoyer ou à séparer des produits. Ils sont alors utilisés comme agents

d’extraction, de purification et de synthèse dans l’industrie chimique, pétrolière,

agroalimentaire, pharmaceutique et cosmétique ; comme agents de dissolution des résines et

de mise en couche mince des peintures, laques et vernis, encres, colles, et adhésifs ; comme

agents de dégraissage des pièces métalliques, décapage des peintures et nettoyage à sec des

textiles ; comme vecteurs de principes actifs médicamenteux et phytosanitaires (insecticides,

herbicides, fongicides) non hydrosolubles [11].

Les solvants organiques forment une famille hétérogène dans laquelle il existe plus de mille

molécules différentes, dont une centaine d’usage courant, en particulier dans les secteurs de

l’industrie et du bâtiment. Il est impossible d’en faire la liste exhaustive ici. En revanche on

peut les classer en différents groupes. En effet, on en distingue trois principaux :

les hydrocarbures non substitués, plus communément appelé « solvants pétroliers »,

plus souvent utilisés sous forme de mélange comme dans les carburants, le white-

spirit, les essences « spéciales », les solvants naphta qui contiennent de façon

variable :

– des hydrocarbures aliphatiques saturés (alcanes) ou insaturés (alcènes, plus

rarement alcynes)

– des hydrocarbures cycliques saturés (cycloalcanes) ou insaturés (ex. :

terpènes)

– des hydrocarbures aromatiques monocycliques (ex. : benzène, toluène…)

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les hydrocarbures halogénés :

– les hydrocarbures aliphatiques chlorés saturés (ex. : dichlorométhane ou

chlorure de méthylène…) ou insaturé (ex. : trichloréthylène…)

– les hydrocarbures aromatiques chlorés (ex. : chlorobenzène…)

– les hydrocarbures aliphatiques chlorés et/ou fluorés ou

chlorofluorocarbures (CFC), hydrochlorofluorocarbures (HCFC),

hydrofluorocarbures (HFC)

les hydrocarbures oxygénés :

– les esters organiques, principalement les acétates (ex. : acétates de n-

butyle,…)

– les alcools : mono-alcools (ex. : éthanol…) et diols ou glycols (ex. :

éthylène glycol…)

– les cétones : aliphatiques (ex. : acétone…) et cycliques (ex. :

cyclohexanone…)

– les éthers aliphatiques (ex. : métyl-t-butyl éther ou MTBE…), les éthers de

glycol (ex. : méthyl glycol ou éther méthylique de l’éthylène glycol

(EGME)…) et les éthers cycliques (ex. : tétrahydrofurane ou THF…).

Selon leurs propriétés, les solvants organiques ont des utilisations différentes, telles que

dégraissants, adjuvants et diluants, décapants, purifiants…

C’est pourquoi ils sont présents à de nombreux postes de travail, comme la fabrication de

peinture, la peinture au pistolet, la fabrication de chaussures, le dégraissage, la préparation de

métaux, la construction automobile, la construction et la maintenance aéronautique [1].

• Toxicité (hépatique) des solvants Les solvants organiques représentent une grande famille comprenant de nombreuses

substances utilisées dans différents secteurs d’activité professionnelle. De plus l’exposition

aux solvants est souvent multiple. Il est alors difficile de différencier avec exactitude le rôle

de chaque solvant dans la toxicité observé. Cependant, les solvants organiques possèdent des

propriétés communes et donc une toxicité commune. Entre autres, ils sont particulièrement

lipophiles. De ce fait, ils passent facilement les barrières biologiques et sont bien absorbés. Ils

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possèdent une action plus ou moins irritante pour la peau et les muqueuses selon les familles.

Dans certains cas, un contact cutané prolongé pourrait engendrer une véritable brûlure.

Ils sont tous dépresseurs du système nerveux central en intoxication aiguë. A long terme, ils

peuvent entraîner des troubles mentaux organiques (psychosyndrome organique), voire de

véritables encéphalopathies en rapport avec des lésions anatomiques du système nerveux

central, dans le cas de très fortes expositions.

Certains solvants possèdent une toxicité spécifique. Elle porte sur différents organes-cibles,

selon la famille de solvant ou selon la molécule. En général, cette toxicité découle d’une

activation métabolique du composé initial, donnant naissance à des métabolites actifs toxiques

pour certains organes-cibles. Nous citerons, à titre d’exemple, la toxicité neurologique

périphérique du n-hexane, la toxicité cardiaque de certains solvants chlorés et en particulier

du trichloréthylène, la toxicité médullaire du benzène ou de certains éthers de glycol [12].

Nous nous intéresserons plus particulièrement à la toxicité hépatique des solvants organiques.

La vulnérabilité du foie aux lésions dues à des produits chimiques découle de son rôle dans

leur métabolisme. En effet, les mon-oxygénases à cytochrome P450, principal système

enzymatique responsable de leur métabolisme, sont situées au niveau de la membrane du

réticulum endoplasmique lisse. La biotransformation s’effectue en 2 phases. Dans la première

phase, les oxydoréductases et hydrolases préparent la molécule à une future conjugaison en la

polarisant. Cette phase est une importante pourvoyeuse de métabolites réactifs qui peuvent

endommager le foie en incluant des groupes époxydes, carboxyles ou hydroxyles à la

molécule-mère. Dans la phase II, ces différents groupes servent de récepteurs aux acétates,

acides aminés, sulfates, acide glucuronique et glutathion dans les réactions catalysées par les

transférases. Cette phase aboutit généralement à des composés moins toxiques ou

biologiquement moins actifs que le composé originel. De nombreux hépatotoxiques et

hépatocarcinogènes sont activés de cette manière ; c’est le cas, entre autres, du tétrachlorure

de carbone, du chlorure de vinyle, du bromobenzène, des colorants azoïques et de la

diméthylnitrosamine. Les inducteurs enzymatiques augmentent leur toxicité en augmentant

l’activité du système oxydatif hépatique.

Plusieurs publications ont, par ailleurs, émis l’hypothèse de l’existence d’une toxicité

hépatique de groupe des solvants organiques. Ces études ont essayé de trouver des marqueurs

de cette toxicité hépatique exploitable en pratique courante. Ces différentes études sont

regroupées dans le Tableau 1.

Les résultats de ces différentes études montrent des effets sur différents paramètres

biologiques hépatiques dans différents groupes exposés. Les variables étudiées sont plus

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élevées chez les exposés mais encore dans les limites de la normale le plus souvent. Aucun

des marqueurs étudiés ne pourrait être utilisé pour la détection précoce des effets hépatiques à

l’échelle individuelle.

Tableau 1 : Résumé des études publiées sur la toxicité hépatique de groupes des mélanges de solvants

Réf. Type

n Objectifs Résultats Commentaires

Kaukiainen

A, 2004 [10]

Transversale

e+/-

29/19

- Intérêt de l'utilisation d'un test de laboratoire classique (ALAT, ASAT, γ-GT, CDT, Phosphatases alcalines, Créatinine, Cholestérol, HDL-cholestérol, Triglycéride, Glycémie, Bilirubine totale et conjuguée) combiné à un interrogatoire détaillé pour la surveillance de l'exposition de longue durée et de bas niveaux aux solvants

- Activité des ASAT, ALAT et taux de cholestérol positivement corrélé à une exposition cumulée aux solvants durant les 5 dernières années - Triglycérides et glycémie, positivement corrélé à une exposition durant les 5 et les 10 dernières années. - Bilirubine totale positivement corrélée à une exposition en cours - Créatinine négativement corrélée à une exposition à long terme

- prise en compte des facteurs de confusion connus (médicaments et maladies systémiques connus pour leurs effets hépatiques, grossesse, hépatites virales, alcool) - Taux restant dans les limites de la normale - Intérêt au niveau d’une cohorte, pas à l’échelle individuelle

Tomei et al, 1999 [13]

Transversale

e+/-

33/61

- Vérification de l’intérêt des dosages biologiques classiques (ASAT, ALAT, Bilirubine totale et conjuguée, γ-GT, Electrophorèse des protéines, Glycémie, Cholestérol, Triglycérides, Créatinine, Hémogramme) comme marqueurs de l’hépatotoxicité due à l’exposition aux mélanges de solvants organiques (acétone, n-hexane, acétate d’éthyle, méthyléthyl cétone, toluène) chez des cordonniers - Evaluation de l’intérêt, d’un de ces tests en particulier, pour la surveillance des salariés exposés aux solvants organiques

- Augmentation significative des taux d’ALAT, ASAT, Bilirubine conjuguée, Phosphatases alcalines chez les sujets exposés - Valeurs au-delà des normales (ALAT, ASAT, Bilirubine conjuguée et totale) significativement supérieures chez les exposés - Rapport ALAT/ASAT > 1 (1,5 en moyenne), et > 1,6 dans plus de 50% (60,6%) des travailleurs exposés, non en faveur de l’alcool - Résultats du bilan hépatique significativement plus souvent au-delà des normales chez les exposés (45,4% vs 6,6% - p=0,0001) - Autres tests dans les limites de la normale et non significativement différents

- Prise en compte des facteurs de confusions connus (maladies hépatiques, médicaments hépatotoxiques, histoire familiale de pathologie hépatique, facteurs de risque d’hépatites virales, utilisation extraprofessionnelle de produits possiblement hépatotoxiques, consommation de tabac et d’alcool, BMI > 25) - Petit échantillon

Chen et al, 1997 [2]

Transversale

368

- Evaluation des effets de facteurs professionnels et non professionnels sur les dosages biologiques hépatiques (Bilirubine totale, Phosphatase alcalines, ASAT, ALAT, γ-GT, acides biliaires totaux sériques) chez des salariés exposés à des mélanges de solvants organiques

- Hépatite B : indicateur principal de changement dans les tests des fonctions hépatiques, sauf en ce qui concerne les γ-GT - Consommation d’alcool (> 20g/j), BMI > 25 : augmentation significative de l’activité de l’ALAT (ASAT, seulement associée à la consommation d’alcool), de la γ-GT et du taux d’acides biliaires totaux - Exposition aux mélanges de solvants : augmentation significative des acides biliaires totaux sans influence de la durée d’exposition

- Intérêt surtout pour les études ultérieures par la mise au point sur les différents facteurs de confusion possible en rapport avec les tests biologiques hépatiques (BMI, Consommation d’alcool, Pathologies hépatiques, Consommation de médicaments)

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Liu et al, 1996 [14]

Prospective

e+/-

23/20

- Evaluation de l'effet de l'exposition aux solvants sur les acides biliaires du sérum - Comparaison des taux d'acides biliaires avec les résultats des tests des fonctions hépatiques classiques

- Augmentation des taux d'acides biliaires, avec relation dose-effet chez les apprentis exposés aux solvants, même à faible dose - L'activité de la γ-GT est la seule anomalie retrouvée comme significativement augmentée dans le groupe avec forte exposition par rapport au groupe avec basse exposition - Pas de différence significative mise en évidence, entre les apprentis peintres au pistolet et les électriciens, pour aucun des autres tests classiques hépatiques

- Prise en compte d'un seul facteur de confusion (consommation d'alcool) - Petit échantillon - exposition courte (3 ans) et différence significative entre les groupes exposés et non exposés avant le début de l'exposition

Lundberg et al, 1994

[15]

Transversale e+/-

135/71

- Evaluation de la prévalence de « possibles signes de dysfonction hépatique » par comparaison de différents dosages biologiques (ASAT, ALAT, Phosphatases alcalines, Albumine, γ-GT, Bilirubine, Acides cholique et chénodésoxycholique, Transferrine et albumine urinaire) chez des peintres en bâtiment et des charpentiers

- Augmentation du risque relatif de « possibles signes de dysfonction hépatique » (définis comme les valeurs supérieures au 90ème percentiles de la distribution des résultats des tests biologiques chez les charpentiers) chez les peintres avec exposition forte aux solvants organiques - Effet dose-réponse - Pas de différences significatives entre les deux groupes en ce qui concerne les tests de laboratoire pris individuellement

- Les « possibles signes de dysfonction hépatique » sont des valeurs normales - Les témoins ont aussi été exposés aux solvants organiques

Rees et al, 1993 [16]

Transversale

89

- Déterminer la prévalence d'anomalies des tests hépatiques de routine utilisés comme indicateurs de dommages hépatiques chez des peintres - Etudier l'association entre ces indicateurs de dommages hépatiques et l'exposition aux solvants - Examiner la possible modification de l'effet des solvants par la consommation d'alcool et l'exposition au virus de l'hépatite B

- 65% (58/89) des travailleurs avaient au moins un test des fonctions hépatiques au-dessus de la valeur de référence: l'activité des γ-GT pour 46% (41), des ASAT pour 52% (46) - Taux plus élevés, mais non significatif, de l'activité des γ-GT et des ALAT chez les travailleurs les plus exposés, même après ajustement sur la consommation d'alcool - La consommation d'alcool est fortement associée avec l'activité de la γ-GT, l'ASAT, l'ALAT, alors que l'IMC est un facteur significatif pour les niveaux de γ-GT, d'ALAT, et le rapport ALAT/ASAT

- Prise en compte des facteurs de confusion (médicament hépatotoxique, hépatite B, consommation d'alcool, IMC > 29,9) - Petit échantillon - Possibilité d'un effet sans seuil: comparaison de salariés avec différents niveaux d'exposition mais tout de même exposés

Chen et al, 1991 [17]

Transversale

180

- Déterminer les altérations des fonctions hépatiques chez des peintres en fonction de leur exposition aux solvants organiques (principalement toluène et xylène) : faible (n=42), forte exposition de courte durée (n= 80), forte exposition (n= 58)

- Augmentation de l'activité de la γ-GT significativement associée à l'augmentation de l'exposition aux mélanges de solvants, avec effet-dose - Taux d'acides biliaires sérique significativement corrélé au portage chronique de l'Ag HBs

- Prise en compte des autres causes d'augmentation de l'activité de la γ-GT (Hépatite B chronique, prise médicamenteuse, consommation d'alcool)

Franco et al, 1986 [8]

Transversale e+/-

30/20

- Evaluation de la pertinence de la concentration des acides biliaires dans la surveillance des effets hépatique de l'exposition aux solvants (principalement toluène, xylène, acétone, acétate de n-butyl, n-butanol, acétate d'éthyle), comparée aux tests hépatiques classiques (ASAT, ALAT, γ-GT, Bilirubine)

- Différence significative de la concentration en acides biliaires du sérum, entre les groupes de sujets exposés aux mélanges de solvants et le groupe contrôle - Absence de différence significative entre les deux groupes pour les tests classiques - Prévalence des sujets présentant un taux anormal d'acides biliaires dans le sérum significativement plus important dans le groupe des exposés que dans le groupe contrôle

- Prise en compte des principaux facteurs de confusions connus (maladies hépatiques, médicaments hépatotoxiques, consommation d’alcool > 50 g/j, BMI > 25) - Petit échantillon

Réf= références ; e+/e-= exposé/non exposé

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Causes d'élévation de l'activité des enzymes hépatiques

Les anomalies du bilan hépatique sont fréquentes. L’hypertransaminasémie est en particulier

très fréquente. Elle peut entrer dans le cadre d'un syndrome avec des manifestations cliniques,

ou être de découverte fortuite chez un sujet asymptomatique, en particulier lors d’une visite

systématique de médecine du travail. Le médecin se trouve alors confronté à l’ensemble de la

pathologie hépatique. Il existe des causes extra-hépatiques d'élévation des transaminases. Il

faut penser aux fausses augmentations de l'activité de l'ASAT par interférence analytique. On

les retrouve après la prise d'érythromycine ou de vitamine C. On pensera aussi aux nécroses

myocardiques, musculaires, pancréatique et intestinales ; le contexte clinique rend leur

diagnostic évident dans la majorité des cas. On évoquera aussi une autre cause rare

d’augmentation de l’activité des ASAT sans rapport avec le foie, les macro-ASAT. Dans cette

situation, ASAT et albumine peuvent former un complexe sérique qui augmente

artificiellement l'activité de l'ASAT. Parmi les causes hépatiques d’élévation de l’activité des

enzymes hépatiques, on différencie les hépatites aiguës et les hépatites chroniques.

• Hépatite aiguë

Epidémiologie

Quasi toutes les causes de cytolyse hépatique peuvent être à l'origine d'une hépatite aiguë

(Tableau 2). Les hépatites aiguës non médicamenteuses sont les causes les plus fréquentes

d'élévation aiguë des transaminases. Il faudra chercher, en premier lieu :

- une hépatite virale A (présence d'IgM anti-virus A). Les infections par le virus de l'hépatite

A sont d'autant plus fréquentes et plus précoces que le niveau d'hygiène est bas. En France, on

peut estimer qu'à l'âge de 20 à 30 ans le tiers de la population a rencontré le virus de l'hépatite

A, alors qu'il est quasiment endémique dans les pays sous-développés, à faible niveau

d'hygiène ;

- une hépatite virale B (présence de l'Ag HBs et de l'Ac anti-HBc de classe IgM). L'immense

majorité des infections par le virus de l'hépatite B est asymptomatique et guérit.

Symptomatique ou non, l’hépatite peut évoluer sur un mode aigu ou chronique. Le virus B est

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à l'origine de 20% des hépatites fulminantes. L'hépatite B a une faible prévalence dans les

pays d'Europe du nord et aux Etats-Unis d'Amérique. En France, la prévalence du VHB est

estimée à 1% ;

- une hépatite virale C (présence d'Ac anti-virus C, parfois retardée, et de l'ARN viral). La

France, comme tous les pays d'Europe du Nord, fait partie d'une zone de prévalence moyenne

du virus de l'hépatite C, se situant autour de 0,5 à 0,6% de la population générale. Chez les

donneurs de sang, la prévalence des anticorps anti-VHC est de l'ordre de 0,5% à 1% en

Europe. 10 à 20% des hépatites C sont post-transfusionnelles, 40 % surviennent chez des

toxicomanes et 30 à 50% sont sans mode de contamination connu ;

- une hépatite virale D, co- ou surinfection d'une hépatite B (présence d'anticorps anti-delta).

Le virus delta est responsable d'hépatites aiguës ou chroniques appelées hépatites D. Les

infections par le virus delta semblent évoluer de façon endémique en Italie, en Amérique du

Sud et certaines régions d'Afrique Noire ; elles semblent par contre actuellement rares en

Asie. En Europe du Nord et aux Etats-Unis le virus infecte principalement les toxicomanes et

les hémophiles. Le virus delta est un virus défectif, il nécessite la présence du virus B. Une

infection delta ne peut survenir que chez un patient infecté par le virus B, qu'il s'agisse d'une

infection simultanée par les deux virus ou d'une surinfection par le virus delta chez un porteur

chronique du virus B ;

- un autre virus (VHE, VIH, CMV, EBV, HSV, VZV). Ces diagnostics, plus rares, reposent

sur leur sérologie respective.

Le risque d'hépatite fulminante est de 0,1 % lors d'une infection par le virus de l'hépatite A et

de 0,5% dans le cas du virus de l'hépatite B ; il est encore plus faible lors de l'infection par le

virus de l'hépatite C. Il est par ailleurs fréquent en cas d’hépatite E (0,5 à 2%), en particulier

lors de la grossesse.

- une exposition à un toxique (recherche de contact avec des produits toxiques lors d'activités

professionnelles ou de loisir, d'intoxication volontaire ou accidentelle, de consommation

récente de champignons) ;

- l'alcool (élévation des γ-GT et macrocytose sont en faveur de l'éthylisme). L'hépatite aiguë

alcoolique survient dans 75% des cas sur un foie cirrhotique ou sur gros foie stéatosique.

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- les causes médicamenteuses (recherche par un interrogatoire attentif). Dans le cas où un

médicament serait suspecté, on pourra avoir recours à une banque de donnée de l'hépatoxicité

(Hépatox®, par exemple, qui recense plus de 1200 médicaments hépatotoxiques [18]).

Les autres causes, plus rares, sont :

- la migration d'une lithiase dans la voie biliaire principale (hypertransaminasémie parfois

importante (> 20 N) mais fugace) ;

- les causes vasculaires: le foie de choc (transaminases souvent supérieures à 50 fois la

normale), le foie cardiaque et le syndrome d'obstruction aiguë des veines sus-hépatiques

(syndrome de Budd-Chiari aigu) ;

- les hépatites auto-immunes, causes rares.

Caractéristiques cliniques et biologiques Les hépatites aiguës sont caractérisées par une cytolyse aiguë, qui correspond à une élévation

habituellement forte des transaminases, supérieure à 10 fois la normale. Elles surviennent

dans un tableau de maladie aiguë. Le diagnostic étiologique est alors orienté par le contexte

clinique : signes évocateurs de virose (syndrome pseudo-grippal, céphalées, arthralgies,

urticaire…), interrogatoire à la recherche d'antécédents de pathologie hépatique, de facteurs

de risque de contamination virale (toxicomanie IV, transfusion sanguine, voyage, alcoolisme,

sexualité à partenaires multiples, tatouages, hémophilie, personnel soignant…), de prises

médicamenteuses, d'intoxication alimentaire (ex. : champignons type amanite phalloïde) ou

d'exposition à un toxique professionnel [6]. La forme la plus grave est l'hépatite fulminante.

Elle réalise une ambiance d'extrême urgence, associant signes neuropsychiques (inversion du

rythme nycthéméral, trouble du comportement, astérixis et enfin coma) et syndrome

hémorragique clinique ou purement biologique (chute du taux de prothrombine (TP) à moins

de 30% avec baisse du facteur V.

Lors d'une hépatite aiguë les examens biologiques montrent le plus souvent une augmentation

des transaminases sériques supérieure à 30, voire 50 fois la normale.

Histologie

On retrouve diverses formes histologiques d'hépatites aiguës.

- L'hépatite aiguë ordinaire se caractérise par des plages de nécrose focale avec cellules

ballonnées et présence de corps de Mallory. Si le processus inflammatoire se prolonge on peut

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retrouver des macrophages avec présence diffuse de fer. La cholestase est fréquente, avec

infiltrat inflammatoire portal.

- L'hépatite avec "bridging necrosis". La nécrose relie alors les veines centrales aux espaces

portes. Il s'agit d'une nécrose confluente de toute la zone centrolbulaire (zone 3), qui forme

des tractus fibreux contenant des éléments inflammatoires, des macrophages et quelques

vaisseaux. Cette forme d'hépatite est un facteur de mauvais pronostic, avec une évolution plus

fréquente vers la cirrhose.

- L'hépatite avec nécrose pancinaire. C'est la forme histologique de l'hépatite fulminante. La

cause de cette forme histologique particulière est inconnue (rôle d'un second virus, troubles

circulatoires…). Elle se caractérise par une nécrose intense, une néoformation de canaux

biliaires, une inflammation souvent peu importante et un collapsus.

Pour les hépatites virales aiguës, il existe différents types histologiques selon l'agent viral. Il

n'a pas été mis en évidence de lésions pathognomoniques permettant de les différencier

histologiquement, cependant, quelques caractéristiques histologiques sont plus fréquemment

rencontrées en fonction de l'agent viral. Dans le type A, il s'agit d'une nécrose périportale, et la

choléstase est fréquente ; dans le type B, la nécrose est plutôt centrolobulaire ; dans le type C,

il s'agit d'une forme cytopathique à petits foyers disséminés de nécrose (nécrose panlobulaire),

avec infiltrat inflammatoire à prédominance lymphocytaire au niveau des sinusoïdes. La

stéatose et la choléstase sont fréquentes.

Les hépatites toxiques sont généralement responsables de cytolyse à prédominance

centrolobulaire parce que l’agent hépatotoxique est un métabolite actif et que les mono-

oxygénases à cytochrome P450, principal système métabolisant les xénobiotiques, sont plus

fortement concentré dans cette région.

Evolution Les hépatites fulminantes peuvent être d'origine virale (virus A, B ou B+D) ou toxique. Elles

évoluent spontanément vers la mort dans 50 à 80 % des cas. La transplantation hépatique en

urgence a transformé le pronostic avec une survie dans 70 % des cas.

La guérison survient dans 99,9% des hépatites aiguës A, 90 % des hépatites aiguës B et B + D

de co-infection, mais dans moins de 50 % des hépatites C et moins de 10 % des hépatites B +

D de surinfection. L'évolution favorable se fait en 2 à 6 semaines. Une asthénie peut persister

quelques mois. La normalisation des transaminases peut prendre 2 à 4 mois. Les évolutions

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défavorables sont marquées, soit par la survenue d'une hépatite fulminante, soit par la

persistance d'une cytolyse au-delà de 6 mois, faisant craindre une hépatite chronique.

▪ Causes

Tableau 2 : Principales causes de cytolyse

Fulminantes Aiguës Chroniques Hépatites virales virus A + + virus B, D + + + virus C + + virus E + + VIH + + HSV + + autres (CMV, EBV, VZV) +/- +

Hépatites toxiques non alcooliques + + +

Hépatite alcoolique + +

Lithiase de la VBP +

Obstacle non lithiasique sur VBP + + Etat de choc + Insuffisance cardiaque droite + + Syndrome de Budd-Chiari + +

Cirrhose +

Stéatose +

Hépatites auto-immunes + +

Maladie de Wilson +

Hémochromatose +

VBP= voie biliaire principale

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• Hépatites chroniques

Epidémilogie L'hépatite chronique est définie par l'augmentation modérée (< 10 N) des transaminases, sur

une période de plus de six mois. Le plus souvent, les sujets sont asymptomatiques, et il faut

affirmer la réalité ou le caractère prolongé de cette hypertransaminasémie avant d'envisager

tout bilan étiologique. Un premier contrôle semble intéressant au moins un mois après le

premier dosage [19], puis à plusieurs reprises sur 6 mois au moins.

On distingue 4 grandes étiologies : la prise médicamenteuse, la première à évoquer ;

l’alcoolisation chronique, qui serait à l'origine de la moitié des cas de cytolyse chronique ; les

troubles dysmétaboliques, parmi lesquels l'obésité, deuxième cause en fréquence, domine

largement ; et les infections virales (VHC tout particulièrement et VHB). Elles seront

détaillées plus loin, ainsi que les autres causes, plus rares.

Caractéristiques cliniques et biologiques

Dans le cas d'une consommation excessive d’alcool, il n’y a pas de corrélation étroite entre la

quantité d’alcool consommée, les signes clinico-biologiques, la nature et l’intensité des

lésions hépatiques. Mais l’origine éthylique d'une cytolyse modérée prolongée est souvent

corrélée à un contexte particulier, pouvant mêler les autres complications cliniques liées à

l'alcool (neuropathie, carences vitaminiques, encéphalopathie…) et biologiques (activité de la

γ-GT augmentée, VGM augmenté, rapport ASAT/ALAT supérieur à 1…).

On distingue deux formes d'hépatite chronique non-alcoolique, la forme persistante et la

forme active. Dans le cas de la forme persistante, la maladie est habituellement tout à fait

latente. L'examen clinique ne révèle généralement aucune anomalie. Les tests d'exploration

fonctionnelle hépatique sont généralement normaux en dehors de l'élévation des

transaminases, le plus souvent inférieures à 50 ou 100 UI/L, et parfois une augmentation

discrète des immunoglobulines (surtout IgG). Le diagnostic de certitude repose sur la

ponction biopsie hépatique.

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Les premières manifestations de l'hépatite chronique active peuvent être l'asthénie, des

douleurs de l'hypochondre droit, une poussée ictérique ou des manifestations systémiques qui

seront décrites plus loin.

A l'examen, le foie peut être augmenté de volume et de consistance ferme ; il est parfois

sensible à la palpation. Au niveau biologique, la bilirubine est plus ou moins élevée. Les

phosphatases alcalines sont normales ou modérément élevées. Les transaminases sont en

général modérément élevées entre 100 et 300 UI/L; dans quelques cas elles peuvent atteindre

des taux élevés, supérieurs à 500 UI/L. Ces manifestations purement hépatiques de l'hépatite

chronique active sont souvent précédées ou accompagnées de manifestations systémiques.

Les plus fréquentes sont des éruptions cutanées de morphologie variée, des poussées

thermiques, des arthralgies et le syndrome de Sjögren. On peut également rencontrer des

pleurésies, des infiltrats pulmonaires, une fibrose pulmonaire, diverses atteintes rénales (en

particulier, glomérulopathie et acidose tubulaire rénale), des anémies hémolytiques par auto-

anticorps, une thyroïdite, une colite ulcéreuse, et des polynévrites. Ces manifestations

systémiques sont relativement fréquentes en cas d'hépatite chronique auto-immune. Elles sont

relativement rares en cas d'hépatite chronique active due au virus B, au cours de laquelle on

n'observe guère que des arthralgies et des glomérulopathies. Une cryoglobulinémie mixte

essentielle (rarement symptomatique) peut être observée dans environ 15% des cas d'hépatite

chronique C et une dysthyroïdie dans environ 5% des cas.

On notera aussi la possibilité d'une forme cholestatique (virus, médicaments). Dans ce cas,

l'hépatite chronique active entraîne une cholestase marquée, avec ictère plus ou moins intense,

prurit et augmentation des phosphatases alcalines. La cholestase peut être permanente ou

survenir par périodes, accompagnant alors les poussées évolutives de l'hépatite chronique

active.

En revanche, dans un certain nombre de cas, il existe des lésions plus ou moins intenses

d'hépatite chronique active sans aucun signe fonctionnel, en particulier sans élévation

marquée des transaminases. Il semble que ces formes asymptomatiques puissent, en l'absence

de tout traitement, être longtemps bien tolérées.

Le diagnostic de certitude repose sur la ponction-biopsie hépatique.

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Histologie On distingue en général les lésions dues à l’alcool et celles dues aux autres causes. L’alcool

provoque 3 types de lésions hépatiques : la stéatose (accumulation de triglycérides,

histologiquement visibles dans plus de 5% des hépatocytes), l’hépatite alcoolique (association

de lésions de souffrance hépatocytaire avec nécrose périsinusoïdale et infiltrat inflammatoire à

prédominance de cellules polynucléées) et la cirrhose (fibrose annulaire entourant des nodules

hépatocytaire de régénération).

Dans l’hépatite chronique persistante, l'architecture lobulaire est conservée, on trouve un

infiltrat inflammatoire fait de cellules mononucléées dans les espaces portes qui n'envahit pas

le lobule hépatique. Les signes de nécrose hépatocytaires sont rares. La fibrose est limitée aux

espaces portes. Certains auteurs préfèrent actuellement parler d'hépatites chroniques d'activité

minime ou modérée plutôt que d'hépatites chroniques persistantes.

Dans l'hépatite chronique active, l'infiltrat inflammatoire est plus important et surtout s'étend

dans le lobule hépatique, rongeant ainsi la lame bordante ; cet infiltrat s'associe à des lésions

de nécrose hépatocytaire. Le terme de piece-meal necrosis désigne la nécrose d'hépatocytes

situés à proximité de zones de fibrose (soit dans les espaces portes, soit dans les lobules) et

entourés de cellules mononucléées. L'infiltrat inflammatoire et la nécrose sont associés à une

fibrose qui a débordé les espaces portes et s'étend elle aussi dans les lobules. Dans les formes

sévères d'hépatites chroniques actives la nécrose et la fibrose forment des ponts entre

différents espaces portes et/ou entre des espaces portes et les veines centrolobulaires. Le

risque évolutif des hépatites chroniques actives est la constitution d'une cirrhose du foie.

Evolution L’hépatite alcoolique se complique de cirrhose dans 25 à 30% des cas. Son pronostic dépend

surtout de la persistance de l’intoxication éthylique. La survie à 5 ans atteint 60 à 70% en cas

d’abstinence, et tombe à 40% dans le cas contraire. Dans 10% des cas la cirrhose se

complique de carcinome hépatocellulaire.

Dans la forme persistante l'évolution spontanée de la maladie est favorable car généralement,

les lésions histologiques persistent indéfiniment, sans s'aggraver. Toutefois, dans certains cas,

un passage vers une hépatite chronique active et le développement d'une cirrhose ont été

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observés et c'est pour cela que le terme de persistante tend à être abandonné au profit des

termes d'hépatites chroniques d'activité minime ou modérée.

Dans le cas de l'hépatite chronique active, l’évolution varie considérablement d'un malade à

l'autre. Dans l'ensemble, l'hépatite chronique auto-immune est plus sévère que l'hépatite

chronique due au virus B. L'aggravation se fait vers l'insuffisance hépatocellulaire soit

progressivement, soit par poussées. De façon habituelle, il se constitue progressivement une

cirrhose, qui peut elle-même se compliquer de carcinome hépatocellulaire. Le risque est plus

élevé en cas de cirrhose sur hépatite chronique active d'origine virale (plus de 30% avec le

VHC, entre 20 et 30 % avec le VHB) que d’origine auto-immune.

Dans le cas particulier des hépatites chroniques actives médicamenteuses, l'arrêt de

l'administration du médicament responsable entraîne généralement une amélioration des

lésions hépatiques.

Quelle que soit l’étiologie, il est important de comprendre que le pronostic final de la maladie

est lié, plus à la persistance ou à l'arrêt de l'activité de l'hépatite, qu'à l'importance de la seule

fibrose hépatique. L'activité sera appréciée sur l'intensité des signes cliniques et biologiques et

sur l'examen histologique du foie. On voit donc la place essentielle qui revient, en cas

d'hépatite chronique (à la différence des hépatites aiguës virales banales) à la biopsie

hépatique.

Causes

▪ Hépatites virales Les hépatites virales évoluant vers la chronicité sont celles causées principalement par les

virus B, C et D.

- Virus de l'hépatite B : Le virus de l'hépatite B est une maladie infectieuse largement diffusée

dans le monde (environ 200 millions de porteurs chroniques du virus de l'hépatite B sur le

globe). Mais la France fait partie des pays à faible prévalence, comme les autres pays

d'Europe du nord ou les Etats-Unis d'Amérique. On considère, par exemple, qu'en France,

environ 0,3% de la population générale est porteuse chronique de l'antigène HBs (environ

180.000 personnes). Le portage chronique est dans 1/3 des cas un portage dit sain, caractérisé

par l'absence d'hépatopathie et de multiplication virale ; dans 2/3 des cas, une hépatite

chronique est observée, associée à une multiplication virale persistante. Le risque en est

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l'évolution vers la cirrhose dans 20 à 30% des cas, exposant elle-même à un risque de

développement de carcinome hépatocellulaire, avec une incidence annuelle de 3 %. Ce risque

est lié non seulement à la cirrhose elle-même mais aussi à des effets directs du VHB.

L'évolution naturelle de l'infection chronique par le VHB peut être schématiquement

représentée en 3 phases. La première phase, de durée variable (quelques mois à plusieurs

années), est marquée par une multiplication active du virus dont les marqueurs sont la

présence de l’ADN du VHB et de l'antigène HBe dans le sérum et la présence de l'antigène

HBc dans le noyau des hépatocytes. La deuxième phase est marquée par l'arrêt progressif et

spontané de la multiplication virale. Celle-ci est parfois associée à une accentuation de la

nécrose hépatocytaire, avec élévation transitoire des transaminases, vraisemblablement due à

la réponse immunitaire cytotoxique. L'arrêt spontané de la multiplication virale coïncide

souvent dans le temps avec l'apparition de la cirrhose. Les chances d'arrêt spontané de la

multiplication virale au cours de l'infection chronique par le virus de l'hépatite B sont de

l'ordre de 5 à 10% par an. Au cours d'une troisième phase, le sujet est toujours porteur

chronique du virus (antigène HBs positif) mais les signes de multiplication virale ont disparu

et les anticorps anti-HBe sont présents. Les risques sont alors l'aggravation possible de la

cirrhose et l'apparition d'un carcinome. La démarche du diagnostic virologique comprend la

réalisation des trois analyses suivantes : Ag HBs, Ac anti-HBs et Ac anti-HBc. A noter que

lors de la vaccination contre l'hépatite B le seul stigmate est alors la positivité de l'Ac anti

HBs. En cas de première découverte de l'Ag HBs, les IgM anti-HBc doivent être recherchées.

Leur absence affirme l'infection chronique. En revanche leur présence n'écarte pas totalement

le diagnostic d'une infection chronique. Chez tout porteur chronique de l'Ag HBs, pour

préciser l'intensité de la réplication du VHB, il convient de rechercher l'Ag HBe, les Ac anti-

HBe et l'ADN du VHB. La détection de l'ADN du VHB est le principal critère virologique

d'éligibilité à un traitement selon l'ANAES.

- Virus de l'hépatite C : la prévalence de la séropositivité pour le VHC a été estimée à 1,1% et

le nombre de sujets séropositifs entre 500.000 et 650.000 dont 400.000 à 500.000 (soit 80%)

seraient porteuses du virus. Une proportion importante de ces personnes ne connaît pas son

statut vis-à-vis du VHC, alors que l’atteinte hépatique peut devenir chronique dans 60 à 85%

des cas. Le virus de l’hépatite C serait ainsi responsable de 15 à 20% des

hypertransaminasémies modérées prolongées. L'histoire naturelle de l'infection virale C est

superposable à celle de l'infection virale B. Cependant on souligne quelques différences. En

effet, le risque d'hépatite fulminante est presque nul dans le cas de l'hépatite C et la réalité du

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portage sain est discutée (mais environ 10% des patients ayant une multiplication virale

détectable ont un foie histologiquement normal ou des lésions minimes). Le risque de passage

à la chronicité est plus élevé, de l'ordre de 50 à 80% (et sans doute plus élevé encore dans les

populations immunodéprimées) et il n'y a pas d'extinction spontanée de la multiplication du

VHC dans le temps. L'évolution vers la cirrhose survient dans environ 20% des cas avec son

propre risque de carcinome hépatocellulaire. Le diagnostic d'hépatite C se fera sur la positivité

des Ac anti-VHC. Une recherche qualitative de l'ARN du VHC est recommandée en cas

d'hépatite chronique.

- Virus de l'hépatite D : La proportion de porteurs de l’Ag HBs infectés par le VHD est

estimée à 5% dans le monde. En France la prévalence est faible, autour de 1 à 2% des porteurs

du VHB (environ 1.800 à 3.600 personnes en France). Le virus de l'hépatite delta est un virus

défectif dépendant pour son organisation et sa multiplication de la présence du virus de

l'hépatite B. On ne le cherchera donc que chez des patients Ag HBs positif. Il est à l'origine de

deux types d'hépatite épidémiologiquement et évolutivement différentes. En cas de co-

infection (rencontre simultanée entre le VHB et le VHD), l'évolution se fait le plus souvent

vers une hépatite aiguë, résolutive) s'il ne provoque pas une hépatite fulminante (5 % des cas).

En cas de surinfection (rencontre avec le VHD chez un porteur chronique du VHB)

l'évolution se fait dans plus de 90 % des cas vers une hépatite chronique considérée comme

plus sévère que l'hépatite chronique B seule, avec des risques identiques de cirrhose et de

carcinome hépatocellulaire. Lorsque l'Ag HBs est présent, il convient de rechercher

systématiquement une infection par le VHD en recherchant les Ac anti-VHD. En cas de

présence des Ac anti-VHD, une co-infection (infections par le VHB et le VHD débutant

simultanément) est évoquée si les IgM anti-HBc sont positifs, alors qu'une surinfection

(infection par le VHD chez un porteur chronique du VHB) est évoquée si les IgM anti-HBc

sont négatifs.

D’autre part, dans le cas des malades séropositifs pour le VIH, on retrouve des perturbations

des tests hépatiques chroniques en l'absence de cause spécifique (élévation des transaminases,

cholestase anictérique). Elles correspondent à des lésions histologiques bénignes: infiltrat

portal minime, stéatose, hépatite granulomateuse, amylose.

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▪ Hépatites auto-immunes L’hépatite auto-immune est une maladie inflammatoire chronique du foie caractérisée par la

présence d’auto-anticorps et l’absence des autres causes énumérées ici. Il en existe deux

types. Le Type I, le plus fréquent (80 à 90% des cas), qui touche à 80% la femme de plus de

40 ans. Elle est caractérisée par une recherche d’anticorps anti-nucléaires et anti-muscles

lisses (dirigés contre l’actine) positives. Le Type II (10 à 20% des cas) se retrouve plus

particulièrement chez l’enfant de moins de 15 ans avec une positivité des anticorps anti-

LKM1 ou Liver-Kidney Microsomes 1 (dirigés contre le cytochrome P-450 2D6). Dans 20%

des cas on retrouve des anticorps anti-cytosol (anti-LC1 ou Liver Cytosol 1).

Les premiers signes cliniques sont l’asthénie, l’ictère, les arthralgies, l’aménorrhée. Les

transaminases sont entre 2 et 50 fois la normale, les γ-globulines sont souvent entre 25 et 50

g/L (visible à l’électrophorèse de protéines plasmatiques). La maladie peut commencer

comme une hépatite aiguë, rarement comme une hépatite fulminante. En l’absence de

traitement, l’évolution se fait par poussée, sur une durée de 8 à 15 ans. Une cirrhose se

développe en 3 à 5 ans dans environ 40% des cas. La corticothérapie a prouvé qu’elle

diminuait la mortalité. Elle est indiquée dans les formes symptomatiques avec élévation des

transaminases et des γ-globulines, avec signes histologiques d’hépatite active.

▪ Maladies métaboliques

- Maladie de Wilson :

C’est une maladie autosomique récessive liée à une surcharge en cuivre toxique pour la

cellule. Sa prévalence est d’environ 1/30.000. Elle est caractérisée par un défaut de l’excrétion

biliaire du cuivre et de son incorporation dans la protéine transporteuse plasmatique (la

céruloplasmine), dû à une mutation du gène d’une ATPase. L’accumulation se fait

principalement dans le système nerveux centrale et le foie. Les atteintes neuropsychiatriques

(tremblements, dysarthrie, dystonie, trouble de la coordination, du sommeil, de la

concentration, ou du comportement) augmentent en fréquence avec l’âge. Les atteintes

hépatiques se voient chez 40 à 70% des patients quelque soit l’âge. Il s’agit d’hépatites

chroniques évoluant vers la cirrhose, ou d’hépatites fulminantes. Le classique anneau cornéen

de Kayser Fleisher (dépôt de cuivre dans la membrane de Descemet) peut manquer

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initialement ou être absent dans les atteintes hépatiques isolées. Le diagnostic se fait alors sur

le dosage de la cuprémie (basse), cuprurie (élevée) et de la céruloplasmine (basse). La biopsie

hépatique, avec quantification du cuivre, n’est indiquée qu’en cas de forte suspicion de

maladie de Wilson et absence de l’association anneau de Kayser Fleisher-céruloplasmine

basse (5% des cas). L’évolution sans traitement est défavorable. Le traitement est d’autant

plus efficace qu’il est commencé tôt. Il comprend les chélateurs du cuivre (D-penicillamine,

trientine…) ou le zinc. La transplantation hépatique est indiquée en cas d’évolution

défavorable vers une cirrhose avec insuffisance hépatique ou en cas de forme fulminante.

- Hémochromatose génétique :

C’est une affection héréditaire transmise selon le mode autosomique récessif. Sa prévalence

est élevée (1/200 à 1/1000). Elle se caractérise par une hyperabsorption intestinale du fer et

par une surcharge en fer de nombreux viscères et en particulier du foie. A l’heure actuelle, la

forme évoluée classique, associant hépatomégalie, pigmentation, diabète et atteinte cardiaque,

n’est plus guère rencontrée. C’est plutôt devant une cytolyse chronique, dans le cadre d’un

bilan d’asthénie ou d’hépatomégalie, ou lors de manifestations extra-hépatiques de la maladie

(atteintes articulaires notamment, ou cardiaque) que le diagnostic d’hémochromatose

génétique est évoqué. Les dosages biologiques montrent une augmentation de la concentration

du fer sérique et du coefficient de saturation de la transferrine (CST). La ferritine plasmatique

est augmentée proportionnellement à la surcharge en fer de l’organisme. La confirmation du

diagnostic se fait grâce à la biologie moléculaire qui retrouve la présence de mutation

homozygote du gène de l’hémochromatose. Deux mutations sont aujourd’hui connues

(C282Y et H63D). L’imagerie par résonance magnétique (IRM) permet une bonne évaluation

de la surcharge en fer. La biopsie du foie reste utile. Elle permet de quantifier la surcharge en

fer, mais surtout de rechercher la présence de fibrose, voire d’une cirrhose. Un carcinome

hépato-cellulaire peut venir compliquer la maladie dans environ 15% des cas. Le traitement

repose sur les saignées régulières de volume et de périodicité adaptés à l’importance de la

surcharge en fer. Une enquête familiale doit être entreprise chez les frères et sœurs.

- Déficit en α1-antitrypsine :

Le déficit en alpha-1 antitrypsine est une maladie génétique autosomique, co-dominante,

d'expression clinique variable. Deux grands types d'atteintes peuvent être rencontrées.

L'atteinte hépatique se manifeste principalement chez l'enfant par une hépatomégalie et des

anomalies du bilan biologique hépatique. Elle peut évoluer vers la cirrhose dans 20 à 40 %

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des cas, nécessitant parfois le recours à la transplantation hépatique. Les anomalies hépatiques

sont dues à une accumulation de l’α1-antitrypsine dans le réticulum endoplasmique des

hépatocytes par défaut d’excrétion. L'atteinte pulmonaire se traduit par un emphysème

généralement panlobulaire. La sévérité de l'atteinte respiratoire est très variable. Le diagnostic

se fait par le dosage pondéral de la protéine plasmatique. Le traitement de l'emphysème

pulmonaire par des perfusions intraveineuses d'alpha-1 antitrypsine n'a pas fait clairement la

preuve de son efficacité. Il n’existe pas de traitement médical de la maladie hépatique. La

transplantation hépatique n’est indiquée qu’au stade de cirrhose.

▪ Troubles dysmétaboliques Les troubles dysmétaboliques associent plusieurs pathologies comprenant l’obésité, la

dysglycorégulation (insulino-résistance et diabète insulino- ou non insulino-dépendant) et les

dyslipidémies (hypertryglycéridémie et baisse du HDL-cholestérol). Ils représentent environ

20% des causes d’hypertransaminasémie prolongée [19]. L'obésité domine largement par sa

fréquence les autres causes. La prévalence de l'obésité en Europe est de 15 à 20% chez les

adultes d'âge moyen et la prévalence de la surcharge pondérale (BMI= 25-29,9 kg/m2)

dépasse en général 50% dans cette même population.

On distingue une entité clinique, appelé le syndrome métabolique, qui associe plusieurs de ces

différents troubles. Il est définie par la présence à des degrés divers d’une obésité, d’une

insulino-résistance ou d’un diabète et d’une hypertension artérielle, plus ou moins associé à

une polykystose ovarienne, une dyslipidémie et/ou à une stéato-hépatite non alcoolique [20].

Un bilan comprenant le calcul de l'indice de masse corporelle, une glycémie à jeun, un bilan

lipidique "de base" (dosage sérique des triglycérides et du cholestérol total) permettra

d'orienter le diagnostic étiologique vers l'un ou l'autre de ces troubles dysmétaboliques.

En général, un traitement bien conduit, permettant un retour à une glycémie et/ou une

lipidémie normale et stable, est suffisant pour voir se normaliser le bilan hépatique.

Ce qui n’est pas toujours le cas de la stéato-hépatite non alcoolique (SNA ou NASH, pour

Non Alcoholic Steato-Hepatitis). Ceci sera développé plus loin.

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▪ Dysthyroïdie L’hypo-, mais surtout l’hyperthyroïdie peuvent être à l’origine d’une hypertransaminasémie,

plus ou moins associée à une augmentation de l’activité de la γ-GT. Un traitement de la

maladie causale permet en général un retour à la normal des désordres hépatiques.

▪ Myopathies et cardiomyopathies Les pathologies cardiaques, en particulier les cardiopathies droites et globales, sont à l’origine

de désordres métaboliques hépatiques. La choléstase est plus fréquente que la cytolyse. On

parle alors de foie cardiaque.

Encore plus rarement, on pourra évoquer les myopathies (en particulier chez l’enfant ou

l’adulte jeune). L’hypertransaminémie est alors associée à une augmentation des CPK.

A noter que l’on peu retrouver chez les sportifs, en particulier au décours d’un effort prolongé

une augmentation des transaminases (et des CPK), sans augmentations des γ-GT.

▪ Alcoolisation chronique On estime qu'en France il existe plusieurs millions de consommateurs excessifs d'alcool, dont

150.000 seraient atteint de cirrhose alcoolique. La consommation excessive d’alcool est

définie par une consommation journalière de plus de 4 verres (équivalant à 40 grammes

d’alcool) pour les hommes et de plus de 2 (20 grammes) pour les femmes. Parmi les buveurs

excessifs non cirrhotiques, la majorité serait atteint d'une hépatopathie alcoolique. La stéatose

et/ou hépatite alcoolique serait responsable de pratiquement la moitié des cas

d’hypertransaminasémie modérée prolongée [19]. Comme nous l'avons vu, l'hépatite

alcoolique est une entité à part mais très fréquente. Elle sera éliminé par un interrogatoire bien

mené, associé à quelques examens complémentaires à la recherche de stigmates d'éthylisme

chronique : une augmentation du VGM, une augmentation de l'activité de la γ-GT corrélé à

celle de la CDT, plus spécifique de l'intoxication éthylique chronique [21], un ratio

ASAT/ALAT supérieur à 1.

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▪ Hépatites médicamenteuses On évalue à 1% les hépatites médicamenteuses dans la population recevant des traitements,

toutes causes confondues (réaction toxique directe, idiosyncrasique, allergique). Les

médicaments à l'origine de ces troubles sont très nombreux. Certains sont à l'origine de

véritables hépatites chroniques actives (Tableau 3).

Un interrogatoire rigoureux recherchera les prises médicamenteuses pouvant être à l’origine

d’une hépatotoxicité, directe ou indirecte, prévisible ou non. La toxicité directe est prévisible

et reproductible dans le cas des agents avec toxicité intrinsèque [6]. Elle atteint un grand

nombre de sujets exposés au médicament, avec une relation entre la dose et l’effet. Il existe

aussi une toxicité indirecte, imprévisible, liée à deux phénomènes. L’un correspond à une

susceptibilité individuelle induisant ou accélérant la production de métabolites directement

toxiques, l’autre à un mécanisme immuno-allergique dirigé contre les métabolites hépatiques.

Les deux phénomènes peuvent aussi être associés. Il existe aussi certains médicaments

inducteurs enzymatiques (ex. : barbiturique, rifampicine…) pouvant potentialiser les effets

hépatiques d’autres médicaments ou de toxiques professionnels.

Tableau 3 : Principaux médicaments à l’origine d’hépatites chroniques actives DCI Nom commercial (exemples) Acide acétylsalicylique Aspirine® Acide tiénilique Diflurex® Alpha-méthyl dopa Aldomet® Amiodarone Cordarone® Chlorpromazine Largactil® Clométacine Dupéran® Isoniazide Rimifon® Nitrofurantoïne Furadoïne® Papavérine Acticarbine® Paracétamol Doliprane® Perhexiline Pexid®

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▪ Exposition toxique professionnelle L’éventualité de la responsabilité d’une exposition à des toxiques professionnels fait partie

des diagnostics auxquels il faut penser devant une perturbation du bilan hépatique. Mais, cela

reste un diagnostic d’élimination. L’évaluation de la responsabilité d’un produit toxique

professionnel est un travail long, qui ne peut se faire qu’en plusieurs étapes.

− Repérage des nuisances professionnelles. Cette étape est très importante, et nécessite la

collaboration du salarié avec son médecin du travail. Il s’agit de lister toutes les préparations

auxquelles le salarié peut être exposé sur son lieu de travail. Cela implique les préparations

utilisées par le salarié, mais aussi celles utilisées aux postes de travail voisins, si les

conditions de travail rendent l’exposition possible. Il est nécessaire ensuite d’en récupérer la

composition.

− Analyse de l’hépatotoxicité. Pour chacun des composants des préparations employées,

rechercher si des effets hépatotoxiques ont déjà été décrits. Il sera intéressant de rechercher,

en particulier, les doses, les voies d’absorption et si les effets ont été décrits chez l’homme ou

seulement chez l’animal.

− Analyse du poste de travail et des voies d’exposition. Cette analyse permet d’évaluer

l’exposition (cutanée, respiratoire…) aux différents hépatotoxiques repérés, et de vérifier si

elle peut expliquer les anomalies décrites. On pourra aussi s’aider de la biométrologie pour

incriminer les produits toxiques dans les effets observés. Quand elle est possible, elle permet

d’évaluer la dose interne du produit suspecté. Pour cela elle devra être réalisée dans des

conditions précises, afin d’être exploitable. On prendra particulièrement en compte

l’absorption du toxique, son métabolisme (permettant de connaître les substances les plus

appropriées pour le dosage), sa demi-vie d’élimination (donnant des informations sur le

moment le plus propice au dosage), et les interactions ou interférences possibles (métabolites

communs à d’autres substances, contaminations externe lors du dosage). Il existe une

brochure éditée par l’INRS récapitulant les toxiques et leurs métabolites dosables dans les

liquides biologiques ainsi que les laboratoires effectuant ces dosages [22].

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− Recherche d’autres cas dans l’entreprise. La découverte d’anomalies similaires chez

des salariés exposés dans les mêmes conditions serait un argument de plus en faveur de leur

origine toxique professionnelle.

− Test d’éviction. C’est un test diagnostique qui consiste en l’éviction du ou des salarié(s)

concerné(s) de toute exposition au(x) toxique(s) hépatique(s) repéré(s). Un contrôle du bilan

hépatique est réalisé au décours de l’éviction et avant toute nouvelle exposition. En particulier

pour les solvants organiques, la demi-vie d’élimination chez l’homme est telle qu’après 2 à 3

semaines sans exposition les paramètres biologiques doivent avoir retrouvés leur niveau de

base ou au moins avoir été franchement améliorés [11].

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Cas particulier de la stéatohépatite non alcoolique (SNA)

• Epidémiologie Cette pathologie peut se voir à tout âge et a été décrite dans différents groupes ethniques.

Selon Angulo, la stéato-hépatite non alcoolique affecte 10 à 24% de la population générale

dans différents pays. Cette maladie semble être l’explication habituelle de plus de 90% des

élévations asymptomatiques des transaminases de patients, quand les autres causes d’atteintes

hépatiques ont été exclues [23]. Elle est aussi la plus commune des explications des anomalies

des tests hépatiques chez l’adulte aux USA [24]. Son importance a été reconnue en décembre

1998 lors d’une conférence de consensus organisée à Washington par le National Institute of

Health (NIH). Le terme de NASH (pour Non Alcoholic Steato-Hepatitis) a été inventé en

1980 pour décrire « les caractéristiques pathologiques et cliniques des maladies du foie non

liées à l’alcool associées aux caractéristiques pathologiques plus communément vues dans les

maladies hépatiques liées à l’alcool » [25]. A cette époque, la NASH était connue comme une

complication classique du by-pass jéjuno-iléal, opération réalisée dans le cas des obésités

morbides. Il existe d’autres termes utilisés pour décrire cette pathologie : hépatite grasse,

maladie de Laënnec non alcoolique, hépatite diabétique, maladie hépatique alcool-like et

stéato-hépatite non alcoolique. En 2002 le terme le plus utilisé dans la presse anglophone était

celui de non alcoholic fatty liver disease qui regroupait toutes les lésions rencontrées allant de

la simple stéatose à la stéato-hépatite, la fibrose avancée et la cirrhose [23]. En France, c’est le

terme de stéato-hépatite non alcoolique (SNA) que l’on retrouve le plus souvent.

• Pathogénie La stéatose est définie par l'accumulation de graisses, principalement des triglycérides,

histologiquement visibles dans le cytoplasme des hépatocytes. Les triglycérides

hépatocytaires sont synthétisés à partir des acides gras et sécrétés dans le plasma sous forme

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de lipoprotéines. Leur accumulation en quantité excessive dans les hépatocytes est secondaire

à trois mécanismes principaux (Figure 1) :

1. Apport excessif d’acides gras d’origine alimentaire par mobilisation des acides

gras tissulaires périphériques (1), ou métaboliques par lipogénèse (2),

2. Anomalie de la β-oxydation des acides gras (3), dont le métabolisme est alors

orienté vers la synthèse des triglycérides (4),

3. Altération de l'excrétion des triglycérides dans le plasma, par blocage de la

synthèse des lipoprotéines (5).

Tissu graisseux

Energie

Lipogénèse

Hyperinsulinisme

Intestinsβ-oxydation

Acétyl-CoA+

ATP

Cycle de Krebs

Lipoprotéines

VLDL

Triglycérides

Esté

rific

atio

n

Acides gras

2

+

5

Glycolyse

+

4

3

1

-

FIGURE 1 : Mécanisme de la stéatose [23,26] Les acides gras sont transformés en acyl-CoA dans le cytoplasme de l’hépatocyte et transportés dans la mitochondrie où, par le biais de la β-oxydation, réaction consommatrice d’oxygène et donc strictement aérobie, ils sont métabolisés en acétyl-CoA ; celui-ci alimentera le cycle de Krebs afin de produire de l’énergie sous forme d’ATP. . L’insulino-résistance conduit à l’acumulation d’acide gras par 2 mécanismes principaux :

- la lypolyse accrue, qui augmente les acides gras circulants, - l’hyperinsulinémie, qui augmente la synthèse d’acide gras en augmentant la glycolyse et favorise l’accumulation des

triglycérides en diminuant leur transformation en lipoprotéines.

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Stress oxydatif

Solvants organiques. Insulinorésistance

. LipolyseAugmentation desacides gras libres

Déplétion enantioxydants (GSH)

Libération de cytokines

Activation des cytochromes P450 2E1 et 3A4

Mort dela cellule

Infiltrat inflammatoire

Corps de Mallory

TNF-α

TGF- β

Effet direct

Hépatocyte stéatosique

Fibrose

Interleukine 8

TGF-β

TNF-α

TGF-β

Peroxydation lipidique accrue

FIGURE 2 : Rôle possible des solvants organiques dans la pathogénie de la SNA

Il existe deux formes de stéatose, macro- et microvacuolaire. La stéatose macrovaculoaire est

caractérisée par la présence de grosses vacuoles de triglycérides dans le cytoplasme des

hépatocytes. La stéatose microvésiculaires, plus rare, est caractérisée par la présence de

petites vésicules de graisses dans le cytoplasme des hépatocytes. Elle est, le plus souvent,

associée à une prise médicamenteuse, au syndrome de Reye (dysfonctionnement

mitochondrial en rapport avec une infection virale et/ou l'administration de dérivées

salicylés), ou lors de la stéatose aiguë gravidique ; elle peut être à l’origine alors d’une

insuffisance hépato-cellulaire aiguë. Elle peut se voir, plus rarement, dans l’intoxication

alcoolique.

Les mécanismes impliqués dans la survenue d’une stéato-hépatite non alcoolique ne sont pas

encore bien élucidés. Mais à l’heure actuelle, la résistance à l’insuline est le facteur le plus

reproductible dans le développement d’une SNA [23]. La résistance à l’insuline agit par deux

mécanismes (Figure 2) : la lipolyse et l’hyperinsulinisme qui provoquent une augmentation de

la concentration d’acides gras dans l’hépatocyte ; celle-ci pourrait être directement toxique

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[25] ou à l’origine d’un stress oxydatif via l’activation de certains cytochrome P450, le CYP

2E1 et peut-être le CYP 3A4 [27,28]. Ce stress oxydatif pourrait aboutir à l’activation accrue

de la peroxydation lipidique, ainsi qu’à la libération de certaines cytokines (TNF α, TGF β,

INF γ, Interleukines 8 et 10) potentiellement responsable de la progression de la stéatose vers

la stéato-hépatite puis la fibrose [26].

Les solvants organiques pourraient avoir un rôle aggravant dans la pathogénie des SNA par

leur action activatrice sur les cytochromes P450 [1]. C’est le cas, par exemple, de l’acétone,

de la méthylethylcétone, de la méthylisobutylcétone, de l’éthanol ou du toluène qui sont de

bons inducteurs de divers isoenzymes des monooxygénases à cytochrome P450, et du CYP

2E1 en particulier.

• Caractéristiques cliniques et paracliniques La grande majorité des patients atteints de stéato-hépatite non alcoolique sont

asymptomatiques [26]. Certains décrivent des malaises, une fatigue, une gêne au niveau de

l’hypochondre droit. L’examen clinique ne retrouve en général qu’une hépatomégalie. La

découverte de signes d’hépatite chronique suggère un stade avancé de la maladie, voire une

cirrhose avérée. Il est probable qu’une part des cirrhoses cryptogéniques soit le stade terminal

de SNA non diagnostiquées.

Chez les patients atteints de SNA on ne retrouve, le plus souvent, qu’une modification légère

à modérée de l’activité des transaminases (augmentation des ASAT, des ALAT ou des deux).

Le ratio ASAT/ALAT est le plus souvent inférieur à 1, contrairement à ce que l’on observe

dans l’hépatite alcoolique, mais augmente avec l’évolution de la fibrose. L’activité des

phosphatases alcalines et de la γ-GT sont souvent normales, ou montrent une augmentation

moins importante que dans les hépatites alcooliques. Hypoalbuminémie, TP augmenté et

hyperbilirubinémie sont possibles au stade de cirrhose. La ferritine est augmentée dans 50%

des cas, associée à une augmentation du coefficient de saturation de la transferrine dans 5 à

11% des cas [23]. Il est important de faire la différence entre le syndrome inflammatoire

potentiellement responsable de ces désordres biologiques et une hémochromatose génétique.

La prise en charge thérapeutique serait alors différente. En cas de doute, la recherche des

mutations génétiques C282Y et H63D, voire la réalisation d’une PBH, permettent de faire la

différence.

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L’imagerie est, en général, insuffisante pour affirmer le diagnostic, en dehors des

complications liées à la cirrhose. L’échographie hépatique ou le scanner montrent une stéatose

diffuse chez la plupart des patients. Celle-ci est parfois focale et peut en imposer pour une

lésion maligne. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) est alors l’examen de choix pour

faire la différence. Mais le diagnostic de SNA reste histologique et nécessite donc une

ponction-biopsie hépatique. Devant cet examen, utile mais agressif, non dénué de

complications, il semble raisonnable d’évaluer son intérêt au cas par cas et de s’en remettre à

l’avis des experts [23,26,29]. En pratique, en cas de suspicion de SNA, une biopsie du foie est

recommandée :

1). s’il existe des signes d’hépatopathie chronique sévère sur les critères cliniques,

biologiques et morphologiques habituels ;

2). lorsqu’il existe une autre cause possible d’hépatopathie ;

3). lorsqu’il n’est pas constaté d’amélioration nette des transaminases après une période

de prise en charge adaptée du contexte métabolique (au moins 6 mois) ;

4). la présence d’un, ou a fortiori de plusieurs facteurs prédictifs de fibrose renforce

l’indication de la biopsie hépatique (âge > 45 ans, IMC ≥ 30, diabète de type II, ALAT

> 2, ASAT/ ALAT > 1).

• Diagnostic histologique Le diagnostic de SNA est en général suspecté sur l’élévation asymptomatique des

transaminases, la découverte fortuite de stéatose à l’imagerie, ou une hépatomégalie

persistante non expliquée. Les tests biologiques ainsi que l’imagerie ne peuvent être utilisés

pour déterminer de façon précise la sévérité des lésions hépatiques. Seule une ponction-

biopsie hépatique peut confirmer le diagnostic avec certitude. Le diagnostic de SNA est un

diagnostic d’élimination, il nécessite l’exclusion de tout autre étiologie capable de générer de

telles lésions (alcool (consommation ≥ 20g (femme) ou 40g (homme) par jour), virus

hépatotropes, maladies auto-immunes, facteurs métaboliques ou héréditaires, médicaments et

toxiques).

Les lésions histologiques ressemblent à celles rencontrées dans les pathologies induites par

l’alcool mais apparaissent chez des patients sans consommation abusive. Il n’existe pas de

critères standards minimaux sur le nombre ou la nature des lésions nécessaires et suffisantes

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pour le diagnostic de SNA, mais les lésions les plus souvent rencontrées sont la stéatose,

l’inflammation lobulaire avec infiltrat inflammatoire de polynucléaires neutrophiles, la

ballonisation des cellules du foie, les corps de Mallory (agrégats de cytokératine), la nécrose

et enfin la fibrose périsinusoïdale [30]. On observe des lésions de fibrose, quel que soit le

stade, dans plus de 66% des cas lors du diagnostic ; 25% de fibrose sévère et 14% de cirrhose

[23]. Il existe des grades et des stades définissant la sévérité des lésions histologiques

observées (Tableau 4).

TABLEAU 4 : GRADE ET STADE DES LESIONS HISTOLOGIQUES DE LA

STEATOHEPATITE NON ALCOOLIQUE*

Grade de la stéatose Grade 1: < 33% d’hépatocytes atteints Grade 2: 33% à 66% d’hépatocytes atteints Grade 3: > 66% d’hépatocytes atteints Grade de la stéatohépatite Grade 1, légère

Stéatose: à prédominance macrovésiculaire, impliquant jusqu’à 66% des lobules Ballonnement: occasionnellement observé; hépatocytes de la zone 3** Inflammation lobulaire: inflammation aiguë diffuse et légère (cellules polynucléaires) et

inflammation chronique occasionnelle (cellules mononucléaires) Inflammation portale: absente ou légère

Grade 2, modéré Stéatose: quel que soit le degré; habituellement macrovésiculaire et microvésiculaire Ballonnement: évident et présent dans la zone 3** Inflammation lobulaire: des cellules polynucléaires peuvent être associées au ballonnement

hépatocytaire ; fibrose pericellulaire; une inflammation chronique légère peut être observée Inflammation portale: légère à modérée

Grade 3, sévère Stéatose: typiquement > 66% des lobules (pancinaire) ; stéatose mixe le plus souvent Ballonnement: principalement en zone 3**; marqué Inflammation lobulaire: inflammation aiguë diffuse et chronique; polynucléaires peuvent être

concentrés dans la zone 3**, secteurs de la fibrose du ballonnement et de la fibrose périsinusoïdale

Inflammation portale: légère à modérée Stade de la fibrose Stade 1: fibrose de la zone 3** periveinulaire, perisinusoïdale, ou pericellulaire; focale ou étendue Stade 2: idem Stade 1, avec fibrose periportale focale ou étendue Stade 3: fibrose formant des ponts, focale ou étendue Stade 4: cirrhose

* Adapté de Angulo, 2002 [23] ** zone centrolbulaire (classification de Rapaport), dite péri-sus-hépatique. C'est une zone de suppléance faite de cellules âgées et peu résistantes

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• Evolution et traitement L’histoire naturelle des SNA n’est pas bien définie mais l’évolution semble être déterminée

par l’importance des lésions hépatiques histologiques. Le pronostic semble plus péjoratif

quand la biopsie retrouve des lésions de stéato-hépatite ou de fibrose plus avancée que

lorsqu’elle ne montre que des lésions de stéatose [23]. A l’heure actuelle on estime que 15 à

40% des SNA développent une fibrose [31]. On ne sait pas avec précision combien évolue

vers la cirrhose. Une étude récente a montrée que seuls 2,9% sur 546 transplantations

hépatiques ont été réalisées pour stéato-hépatite évoluée, suggérant que, bien que la SNA soit

fréquente, peu de patients nécessitent une transplantation [32]. A noter, par ailleurs, que la

maladie peut récidiver après transplantation si le facteur étiologique n’a pas été éliminé.

En dehors de la transplantation dans les cas graves mais finalement plutôt rares, il n’existe pas

de véritable traitement ayant fait ses preuves sur ce genre de lésions hépatiques en dehors de

la perte de poids. Quelques études réalisées sur le sujet rapportent une amélioration des tests

hépatiques avec le Gemfibrozil [33], la Vitamine E (alpha-tocophérol) [34,35] ou la

Metformine [36], associée à une amélioration des lésions histologiques dans le cas de

l’Ursodiol [37], la Betaïne [38] ou la Vitamine E.

En revanche, chez les patients atteints de diabète ou d’hyperlipidémie, un bon contrôle

métabolique est toujours recommandé même s’il n’est pas toujours efficace sur les troubles

engendrés par la SNA. L’amélioration des désordres biologiques est quasi constante chez les

obèses après une perte de poids. Mais attention, la vitesse de perte de poids est importante. Le

degré d’infiltration lipidique du foie décroît généralement après une perte de poids, or parfois,

le degré de nécro-inflammation et de fibrose se majore quand celle-ci est trop rapide. Ce qui

implique que chez les patients avec haut degré d’infiltration lipidique, une perte rapide de

poids pourrait promouvoir la nécro-inflammation, la fibrose portale et la stase biliaire. Une

perte de poids ne dépassant pas les 1600g par semaine a été proposée par Angulo [23].

La biopsie hépatique, nécessaire au diagnostic, a aussi un intérêt pour le suivi du traitement.

Elle permet de déterminer l’effet des traitements effectués, étant donné le peu de corrélation

entre biologie, imagerie et lésions hépatiques [25].

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• Causes

La stéatose et la stéato-hépatite non alcoolique ont de nombreuses étiologies, dont les plus

fréquentes sont [26] :

- l’obésité (70-75%) ; la prévalence de la SNA est multiplié par un facteur 4,6 dans

la population avec BMI>30. De plus l’obésité androïde paraît être un facteur de

risque important même chez les patients avec BMI normal [23] ;

- le diabète (40-50%) ; la présence d’un DNID (type II), en général mal contrôlé,

augmente le risque d’avoir une SNA ainsi que sa sévérité en dépit du BMI [23] ;

- l’hypertriglycéridémie (40-50%). Une étude en particulier a montré que la moitié

des patients ayant une hypertriglycéridémie présentait une stéatose à l’échographie

[39].

Les autres étiologies sont principalement représentées par les autres troubles métaboliques et

nutritionnels, les causes médicamenteuses et les toxiques environnementaux (Tableau 5).

L’idée de la responsabilité des solvants organiques dans la pathogénie des SNA émerge en

1991 avec une étude de Hodgson et al. [40]. Celle-ci a porté sur 19 cas de SNA. Cette étude a

tenté de démontrer à partir de ces 19 cas que l’exposition à des produits hépatotoxiques

reconnu pour l’animal et/ou l’homme ou suspectés pouvait être à l’origine de la maladie.

Après éviction des principales causes de stéatose, leurs résultats suggèrent que l’obésité et

l’exposition à des hépatotoxiques sont significativement et indépendamment associés à une

augmentation du risque de maladie grasse du foie. Ils considèrent donc que l’exposition à des

hépatotoxiques devrait être reconnue comme une cause de SNA.

Cette notion est reprise par d’autres auteurs. Dés 1994, la SNA n’est plus considérée comme

une maladie préférentiellement de la femme obèse et diabétique mais comme une nouvelle

entité clinique qui s’étend à d’autres profils de patients. Une étude de Bacon et al. [41] a porté

sur 33 patients atteints de SNA. Ils ont montré après éviction de certains facteurs de confusion

(consommation excessive d’alcool, hépatite C) que 58% étaient des hommes, 61% n’étaient

pas obèses, 79% n’avaient pas de dysglycorégulation, 79% avaient une lipidémie normale et

42% associaient les trois critères.

Par ailleurs, dans les études actuelles, le ratio homme/femme semble plus proche de un, alors

qu’il était plutôt égal à 3 femmes pour un homme il y a quelques années [25,26].

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En 1999, l’équipe de Cotrim et al. [42] tente d’affirmer le lien causal difficile entre cette

forme clinique d’hépatotoxicité et les expositions professionnelles et environnementale. Ils

ont réussi à montrer que 112 travailleurs exposés à des solvants organiques sur 1500 avaient

une augmentation des transaminases persistante. Après élimination des causes classiques

d’hypertransaminasémie (consommation excessive d’alcool, obésité, dylipidémie, diabète,

hépatites B et C, hémochromatose et hépatites auto-immunes), il restait 32 travailleurs

exposés. Ils ont tous eu une ponction-biopsie hépatique (PBH). Vingt ont montré des lésions

de SNA, potentiellement dues à l’exposition aux solvants organiques. Un test d’éviction a pu

être réalisé sur la moitié de l’effectif. Ainsi, 10 salariés ont été écartés de la zone d’exposition

et ont bénéficié d’un contrôle histologique par PBH à 1 an. Il a montré une amélioration des

anomalies histologiques dans tous les cas, élément en faveur de l’origine professionnelle des

désordres observés, mais qui ne permet pas de l’affirmer. La prise en charge médicale et le

changement d’activité professionnelle ayant certainement entraîné des modifications

profondes du mode de vie.

Toujours en 1999, Lundqvist et al. [43] ont réalisé une étude comparant 30 cas masculins de

SNA à 120 témoins. Après élimination des facteurs de confusion (obésité, consommation

d’alcool, prise de médicaments et autres maladies hépatiques), ils ont démontré que le risque

relatif de développer une SNA est statistiquement plus élevé :

- chez les salariés avec une exposition modérée aux solvants organiques supérieure à 1

an sur les 15 dernières années (OR= 4,4 [1,2-15]),

- chez les salariés avec une exposition forte aux solvants organiques supérieure à 1 an

sur les 15 dernières années (OR= 7,1 [1,7-48]),

- chez les salariés avec une exposition modérée aux solvants organiques supérieure à 5

ans sur les 15 dernières années (OR= 7,1 [1,1-15]),

- chez les salariés avec une exposition forte aux solvants organiques supérieure à 5 ans

sur les 15 dernières années (OR= 33 [3,2-218]),

Ces résultats sont d’autant plus évocateurs d’un rôle causal des solvants qu’il existe une

relation dose-effet.

Une étude récente de Cotrim et al. [44], a évalué 84 patients atteints de SNA, selon qu’ils

étaient exposés à des produits chimiques, principalement benzène, xylènes et chlorure de

vinyle (n=31), qu’ils étaient exposé à des produits chimiques et présentaient un trouble

métabolique, obésité, hyperlipidémie et/ou diabète (n=30), et enfin, qu’ils n’étaient pas

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exposés à des produits chimiques mais présentaient un trouble métabolique (n=23). Les

résultats de cette étude ont montré de façon significative que l’exposition aux produits

chimiques semblait être un facteur de risque indépendant d’une forme particulière de SNA,

associant stéatose macro- et microvésiculaire, fibrose périsinusoïdale et cholestase de façon

plus importante que la SNA observée lors de troubles métaboliques seuls.

Proposition d'un algorithme décisionnel Les données qui précèdent, concernant les causes d’élévation de l’activité des enzymes

hépatiques conduisent à proposer l’algorithme décisionnel suivant pour le diagnostic relatif à

ces anomalies quand elles sont découvertes chez un travailleur exposé à des solvants

organiques.

Tableau 5 : Causes de stéatose et stéato-hépatite non alcoolique Métaboliques Nutritionnelles Médicamenteuses Divers Principales Obésité Diabète Hypertriglycéridémie* Autres Lipodystrophie* Dys-β-lipoprotéinémie Maladie de Weber-

Christian

Dénutrition prolongée* Alimentation parentérale* Courts-circuits digestifs* Gastroplastie pour obésité* Résection étendue du grêle Perte de poids rapide*

Glucocorticoïdes* Oestrogènes de synthése* Aspirine** Inhibiteur des canaux calciques* Amiodarone*** Tamoxifène* Tétracyclines** Méthotrexate* Maléate de perhexiline*** Acide valproïque** Anti rétro-viraux : Zidovudine* Didanosine** Fialuridine**

Maladies inflammatoires intestinales* Diverticulose avec pullulation

microbienne* Infection par le VIH Toxémie gravidique** Hépatotoxiques environnementaux : hydrocarbures pétroliers Solvants organiques* Champignons toxiques (amanites)* Toxine du Bacillus cereus

* stéatose macro-vésiculaire principalement (le plus souvent due à un défaut de balance entre la synthèse hépatique et l’exportation de lipides) ** stéatose micro-vésiculaire (le plus souvent due à une dysfonction mitochondriale) *** Phospholipidose (le plus souvent due à une accumulation de phospholipides dans les lysosomes)

D’après Angulo P. Nonalcoholic fatty liver disease. N Engl J Med. 2002;346:1221-31. [23]

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ÉLEVATION DES TRANSAMINASES

ELIMINER ▪ Hépatites virales (Virus A, B, C, D, E, CMV,

EBV, HSV, VZV) ▪ Lithiase de la VBP ▪ Obstacle non lithiasique sur VBP ▪ Etat de choc ▪ Insuffisance cardiaque droite ▪ Syndrome de Budd-Chiari aigu ▪ Hépatites auto-immunes (rares) ▪ Alcool ▪ Médicaments ▪ Autres toxiques : champignons, drogues,

etc.

HEPATITE AIGUË • Activité > 10N • Découverte récente

ELIMINER ▪ Hépatites virales (Virus B, C, D, VIH) ▪ Hépatites auto-immunes ▪ Maladies métaboliques :

− maladie de Wilson − hémochromatose génétique − déficit en α1-antitrypsine − dysthyroïdie

▪ Insuffisance cardiaque droite ▪ Alcool ▪ Médicaments ▪ Autres toxiques

HEPATITE CHRONIQUE • Activité < 10N • Evolution ≥ 6 mois

RECHERCHER DES FACTEURS DE RISQUE PROFESSIONNELS • Recensement des nuisances professionnelles : − identification d’agents hépatotoxiques possibles

• Evaluation de l’exposition aux agents hépatotoxiques − métrologie atmosphérique − biométrologie

• Recherche d’autres cas d’hépatite sur le lieu de travail • Epreuve d’éviction

Echographie hépatique • Recherche de stéatose hépatique

RECHERCHER • Obésité • Dysglycorégulation et résistance

à l’insuline • Dyslipidémie

TRAITEMENT CORRECTIFContrôle 3 mois après début de la prise en charge

• Si persistance des anomalies

• et : - âge > 45 ans - IMC ≥ 30 - ALAT > 2 - ASAT/ALAT > 1

ENVISAGER PBH (avis hépatologue)

Persistance des anomalies

Guérison

Nouveau contrôle 3 mois après

OUI

NON

+

_

ET

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Application de l’algorithme décisionnel aux observations

• Mr M. Dans le cas de Mr M., les bilans de première et seconde intention ont été réalisés par le

médecin gastro-entérologue qui l’adresse. Nous en sommes à la phase d’enquête

professionnelle et toxicologique.

Lors de la consultation il n’a pas été noté d’antécédent particulier, en dehors d’un syndrome

dépressif 9 ans auparavant, pour le quel il ne prend plus de traitement. Mr M. ne prend pas

d’autres médicaments au long cours. Il dit avoir une consommation d’alcool occasionnelle

évaluée à 30 à 40 g. d’alcool par mois. L’examen clinique est normal et, en particulier, ne

retrouve pas d’hépatomégalie ni de signes d’hypertension portale, de cholestase ou

d’insuffisance hépato-cellulaire. Il n’y a pas de surpoids (IMC= 24,5), mais on retrouve la

notion d’une prise de poids importante (16 kg) récemment. L’interrogatoire de Mr M. ne

décèle pas de notion de syndrome ébrieux sur son lieu de travail ou au décours immédiat. Le

bilan hépatique réalisé lors de la consultation retrouve les mêmes anomalies des fonctions

hépatiques, avec une augmentation de l’activité de l’ASAT à 1,4 N alors que celle de l’ALAT

est normale, associée à une augmentation de l’activité des γ-GT à 2,3N. A noter que la CDT

est légèrement augmentée (2,79 Ui/L – N: 0-2,60), mais que l’hémogramme montre un

volume globulaire moyen (VGM) normal. Le bilan a été achevé par un dosage de la

céruloplasmine (0,54g/L - N: 0,22-0,61), de l’α1-antitrypsine (1,64g/L – N: 0,90-2,00) et de la

glycémie à jeun (5,70mmol/L – N: 4,45-6,10), éliminant les causes classiques de maladie

hépatique. L’enquête professionnelle a été complétée par un nouveau bilan hépatique après

une éviction de l’exposition de 15 jours et une biométrologie, comprenant un dosage urinaire,

en fin de poste et en fin de semaine, de l’acétone (2,7 mg/L – N travailleur exposé (BAT) <

40 mg/L) et de la méthylcétone (1,7 mg/L – N travailleur exposé (ACGIH) < 2 mg/L). La

stabilité des désordres hépatiques, et la négativité des dosages biométrologiques, sont autant

de facteurs peu en faveur de la responsabilité de l’exposition professionnelle aux solvants

dans les désordres biologiques observés. Le bilan étiologique a ainsi mis en évidence une

stéatose hépatique dont l’origine la plus probable est la prise récente de poids de Mr M.

L’origine professionnelle des désordres biologiques de Mr M. est peu probable, en revanche,

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son exposition aux solvants organiques pourrait être un facteur aggravant. Un reclassement

professionnel aurait donc été souhaitable. Mais cette éventualité ne semble pas envisageable

dans l’entreprise où il travaille. En conséquence, Mr M. peut être maintenu à son poste de

travail sous quelques conditions : s’assurer du respect des valeurs limites d’exposition pour

les concentrations atmosphériques de solvant au cours des opérations de fabrication et d’essai

des peintures ; contrôler régulièrement l’activité des transaminases et de la γ-GT ; poursuivre

les investigations et la surveillance de la maladie hépatique en milieu spécialisé. Mr M. étant

âgé de plus de 45 ans et ayant des troubles persistants depuis plus de 2 ans, une biopsie

hépatique pourrait être envisagée si la correction de la surcharge pondérale n’améliorait pas le

bilan hépatique.

• Mr T. Dans le cas de Mr T., le bilan de première intention a été réalisé par le médecin du travail.

Celui-ci avait éliminé les hépatites B et C et retrouvait un foie d’allure stéatosique, sans autres

anomalies du parenchyme ou des voies biliaires, ce qui peut tout à fait expliquer les anomalies

du bilan hépatique. Lors de la consultation de pathologie professionnelle, l’interrogatoire n’a

pas mis en évidence d’exposition à des solvants organiques dans le passé professionnel ni

dans les activités extraprofessionnelles de Mr T. Il n’y a pas de prise médicamenteuse ni de

consommation excessive d’alcool. L’examen clinique n’a pas retrouvé de signe d’insuffisance

cardiaque ni de signe de dysthyroïdie (le dosage de la TSH n’a pu être contrôlé). Le bilan de

seconde intention réalisé en consultation de pathologie professionnelle a permis d’éliminer les

principales causes de désordres hépatiques que nous avons énumérées ci-dessus. La recherche

d’auto-anticorps est négative éliminant une hépatite auto-immune. La recherche d’anomalie

du métabolisme du cuivre (céruloplasmine : 0,25g/L – N: 0,22-0,61), du fer (Ferritine :

45µg/L – N: 30-285) est également négative. Il n’existe pas de déficit en α1-antitrypsine

(1,21g/L – N: 0,90-2,00). A noter qu’il n’y a pas de diabète (Glycémie à jeun : 4,90mmol/L –

N: 4,45-6,10) ou de dyslipidémie (Cholestérol : 3,1mmol/L – N: 3,80-6,50 ; Triglycérides :

1,21 - N: 0,46-1,48). Il s’agit, ici encore, d’anomalie due à une probable stéato-hépatite en

rapport avec un surpoids (IMC>27). L’aptitude au poste de travail n’est pas remise en cause

mais nécessite une prise en charge et une surveillance. Celle-ci doit porter sur la perte de

poids et l’amélioration du bilan hépatique. Dans le cas contraire, un reclassement

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professionnel devra être discuté face aux effets possiblement aggravant de l’exposition aux

solvants organiques et à l’évolution potentiellement grave de cette maladie.

• Mr J. Dans le cas de Mr J. l’interrogatoire n’a pas retrouvé de prise médicamenteuse, ni de

consommation excessive d’alcool (confirmé par la CDT normale à 2,05). Il n’a pas

d’antécédent particulier et l’examen clinique ne retrouve qu’une surcharge pondérale (IMC=

28), associée à une hépatomégalie. Il n’y a pas de signe d’insuffisance hépatique ou

d’hypertension portale. L’échographie hépatique montre une importante hépatomégalie

stéatosique diffuse, homogène, sans image de lésion focale ni signe de cirrhose.

L’hémogramme était normal, avec en particulier un VGM à 85,2 µm3. La glycémie à jeun est

à 5,50 mmol/L (N: 4,45-6,40). Le bilan lipidique retrouvait une légère hypertryglicéridémie

(1,60 mmol/L - N: 0,50-1,50) ; le cholestérol total était normal à 4,7 mmol/L (N: 4,4-6,5). La

sérologie VHB montrait des stigmates de vaccination avec un taux protecteur d’anticorps anti-

HBs (> 150 mUi/L) et des anticorps anti-HBc négatifs. La sérologie VHC était négative. En

seconde intention, ont été éliminé les autres causes possibles d’élévations des transaminases :

anticorps anti-nucléaires et anti-tissus (anti-LKM1, anti-LC1, anti-muscles lisses) négatifs,

TSH à 1,58 mUI/L (N: 0,39-4,9) et T4 libre à 9,5 pg/mL (N: 7,1-18,5), Fer sérique à 311 µg/L

(N: 30-285), Céruloplasmine à 0,25 g/L (N: 0,22-0,61), α1-antitrypsine à 1,06 g/L (N: 0,9-

2,1). Au total le bilan a mis en évidence une stéatose hépatique et a éliminé toute les autres

causes d’élévation des transaminases. La stéatose, elle-même, peut avoir ici plusieurs

étiologies possibles : le surpoids, l’hypertriglycéridémie et la cause professionnelle. Une

éviction du poste de travail de trois semaines n’a pas amélioré les perturbations du bilan

hépatique de Mr J. et l’enquête professionnelle n’a pas mis en évidence d’anomalies

similaires chez ses collègues. Ces deux facteurs rendent l’exposition professionnelle

improbable. Une consultation avec un hépatologue a confirmé l’hypothèse diagnostique du

surpoids et de l’hypertriglycéridémie. Le contrôle de l’hypertriglycéridémie et la perte de 12

kg ont permis un retour à la normale des enzymes hépatiques.

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Conclusion L’augmentation de l’activité des transaminases est un désordre biologique fréquemment

rencontré. Nous avons vu qu’un grand nombre de causes pouvait en être responsable. Mais, la

SNA est la cause la plus fréquente (> 90%) lorsque, après exploration, l’augmentation des

transaminases reste inexpliquée. Nous avons aussi indiqué l’utilisation extrêmement large des

solvants organiques dans les milieux industriel, artisanal et agricole. De ce fait, l’exposition

professionnelle à ce type de substance est, elle aussi, très fréquente. C’est un argument en

faveur du fait que la conjonction de ces deux événements ne soit pas exceptionnelle, et que les

médecins du travail soient confrontés régulièrement à ce genre de situations.

Notre travail propose un arbre décisionnel pour l’exploration et le diagnostic de ces anomalies

biologiques. Nous avons essayé de montrer, à travers trois exemples de situations auxquelles

les médecins du travail sont confrontés, qu’au terme des explorations décrites dans

l’algorithme, une étiologie probable était le plus souvent repérée, les autres éliminées et

qu’une conduite pratique pouvait être proposée.

L’exposition aux solvants reste une cause marginale de plus en plus rarement en cause, car les

substances les plus hépatotoxiques comme par exemple le tetrachlorure de carbone, le

chloroforme ou le chlorobenzène, ont été écartées. Cependant, elle peut être un facteur

aggravant de la stéatose hépatique. Par conséquent, le maintien au poste de travail nécessite

des conditions particulières. Il faudra : 1) identifier la cause des désordres biologiques et la

traiter (cf arbre décisionnel) ; 2) s’assurer du respect des valeurs limites d’exposition -quand

elles existent- pour les concentrations atmosphériques de solvants au poste de travail ; 3)

contrôler régulièrement le taux d’activité des enzymes hépatiques (ASAT, ALAT, γ-GT) des

salariés concernés.

En cas d’anomalies persistantes, l’aptitude au poste de travail devra être remise en question.

Car, même quand l’enquête professionnelle, le test d’éviction et le contrôle du bilan hépatique

chez les collègues de travail rendent improbable le rôle de l’exposition professionnelle, et

alors qu’une cause probable a été identifiée, si celle-ci n’est pas éradiquée et si le bilan

hépatique n’est pas normalisé, le problème de l’aptitude au poste demeure. Cette situation

n’est pas exceptionnelle, en particulier quand l’intéressé ne parvient pas à respecter les règles

hygiéno-diététiques nécessaires à la normalisation du bilan hépatique et qu’il est employé

dans une petite entreprise où le reclassement n’est pas envisageable.

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