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CHAPITRE SIX 1* ECONOMIE DE LINCURIE 51. Il n’y a pas de tendance sans contre-tendance La nécessité d’une nouvelle critique, dont les premiers éléments furent avancés dans Le temps du cinéma et la questions du mal- être 2 , a été argumentée plus avant comme plaidoyer pour une nouvelle critique de l’économie politique dans un ouvrage paru 1* Ce chapitre reprend un exposé qui fut présenté tout d’abord au conseil d’administration d’Ars Industrialis, puis au cours de séminaires tenus avec des étudiants des universités Columbia, à New York, et Northwestern, à Chicago. C’est aussi une sorte de réponse à une question que m’avait adressée Jean-Michel Salanskis le 25 janvier 2007, lors d’un colloque consacré à l’œuvre de Jean-François Lyotard. J’avais alors proposé une lecture de La condition postmoderne qui caractérisait les traits du capitalisme décrits dans cet ouvrage comme étant typiques d’une nouvelle forme d’économie libidinale : celle qui fut inventée par le capitalisme consumériste en Amérique du Nord, au début du XXè siècle. Selon une telle lecture, la postmodernité résultait d’une organisation consumériste de la libido qui conduisait à la liquidation de la libido elle-même, à sa « déséconomie », c’est à dire à la liquidation de l’économie libidinale qu’avait été la modernité – processus de liquidation qui commençait à annoncer ses conséquences à la fin des années 1970 (La condition postmoderne est publiée au moment où Margaret Thatcher conquiert le pouvoir en Grande-Bretagne, et engage la « révolution conservatrice »). Au cours cette conférence, j’avais essayé de montrer pourquoi les concepts permettant de penser cette déséconomie libidinale consumériste que serait la postmodernité étaient moins ceux de Lyotard dans l’ouvrage éponyme (L’économie libidinale, éditions de Minuit, 1974) que ceux de Freud, qu’il s’agirait dès lors de relire et de réinterpréter. J’entendais montrer ainsi que Lyotard avait ouvert dans La condition postmoderne la possibilité d’une pensée nouvelle du capitalisme – et de ce qui l’accompagne partout, à savoir l’extension de la prolétarisation – , mais que cette pensée restait à élaborer, et que cela supposait une critique de l’ « économie libidinale » lyotardienne. Au cours de la discussion qui eut lieu après cette intervention, Jean-Michel Salanskis, organisateur du colloque avec Corine Enaudeau, me déclara ne plus comprendre ce que voulait dire capitalisme, ni comprendre les discours qui convoquaient encore ce mot : il me déclarait ainsi ne pas comprendre mon propre discours. Le présent chapitre, ceux qui le précèdent et celui qui le suit, tout comme Pour une nouvelle critique de l’économie politique, publié en 2009, tentent de répondre à cette remarque que me fit cet ami un peu plus d’un an avant la crise du capitalisme qui révéla l’étendue de son désastre au mois d’octobre 2008. Les thèses qui y sont avancées poursuivent l’analyse engagée dans Pour une nouvelle critique de l’économie politique. 2 La technique et le temps tome 3, op. cité

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CHAPITRE SIX1*

ECONOMIE DE L’INCURIE

51. Il n’y a pas de tendance sans contre-tendance

La nécessité d’une nouvelle critique, dont les premiers éléments furent avancés dans Le temps du cinéma et la questions du mal-être 2, a été argumentée plus avant comme plaidoyer pour une nouvelle critique de l’économie politique dans un ouvrage paru sous ce titre 3. Il y a été proposé de repenser la question du prolétariat à partir de celle du pharmakon, et il y a été affirmé que la baisse tendancielle du taux de profit n’était pas une erreur de Marx, mais demandait à être réinterprétée en relation structurelle avec une baisse de l’énergie libidinale. Cette thèse a fait l’objet de plusieurs débats, et le chapitre qui suit a pour but de préciser les termes de cette nouvelle critique en tentant de répondre aux questions soulevées au cours de ces confrontations.

Ce que le troisième tome du Capital tente de penser par la locution « baisse tendancielle du taux de profit » – dont la formule r = pl/(c+v) ne suffit évidemment pas à mesurer l’enjeu – est une dynamique négative dont Marx pose en principe qu’elle serait inhérente au système capitaliste formé et tendu par des tendances contradictoires : le capitalisme serait un système dynamique menacé par une limite qui serait atteinte si la tendance baissière du taux de profit suscitée par son propre fonctionnement s’accomplissait.

Ce n’est certes pas ainsi que le marxisme a interprété cette théorie : il y a vu au contraire l’annonce d’un accomplissement inéluctable de la tendance. Et il est vraisemblable que Marx lui-même se lisait ainsi. Mais s’il y a une tendance à la baisse du taux de profit, il doit y avoir 1* Ce chapitre reprend un exposé qui fut présenté tout d’abord au conseil d’administration d’Ars Industrialis, puis au cours de séminaires tenus avec des étudiants des universités Columbia, à New York, et Northwestern, à Chicago. C’est aussi une sorte de réponse à une question que m’avait adressée Jean-Michel Salanskis le 25 janvier 2007, lors d’un colloque consacré à l’œuvre de Jean-François Lyotard. J’avais alors proposé une lecture de La condition postmoderne qui caractérisait les traits du capitalisme décrits dans cet ouvrage comme étant typiques d’une nouvelle forme d’économie libidinale  : celle qui fut inventée par le capitalisme consumériste en Amérique du Nord, au début du XXè siècle.Selon une telle lecture, la postmodernité résultait d’une organisation consumériste de la libido qui conduisait à la liquidation de la libido elle-même, à sa « déséconomie », c’est à dire à la liquidation de l’économie libidinale qu’avait été la modernité – processus de liquidation qui commençait à annoncer ses conséquences à la fin des années 1970 (La condition postmoderne est publiée au moment où Margaret Thatcher conquiert le pouvoir en Grande-Bretagne, et engage la « révolution conservatrice »). Au cours cette conférence, j’avais essayé de montrer pourquoi les concepts permettant de penser cette déséconomie libidinale consumériste que serait la postmodernité étaient moins ceux de Lyotard dans l’ouvrage éponyme (L’économie libidinale, éditions de Minuit, 1974) que ceux de Freud, qu’il s’agirait dès lors de relire et de réinterpréter. J’entendais montrer ainsi que Lyotard avait ouvert dans La condition postmoderne la possibilité d’une pensée nouvelle du capitalisme – et de ce qui l’accompagne partout, à savoir l’extension de la prolétarisation – , mais que cette pensée restait à élaborer, et que cela supposait une critique de l’ « économie libidinale » lyotardienne.Au cours de la discussion qui eut lieu après cette intervention, Jean-Michel Salanskis, organisateur du colloque avec Corine Enaudeau, me déclara ne plus comprendre ce que voulait dire capitalisme, ni comprendre les discours qui convoquaient encore ce mot : il me déclarait ainsi ne pas comprendre mon propre discours. Le présent chapitre, ceux qui le précèdent et celui qui le suit, tout comme Pour une nouvelle critique de l’économie politique, publié en 2009, tentent de répondre à cette remarque que me fit cet ami un peu plus d’un an avant la crise du capitalisme qui révéla l’étendue de son désastre au mois d’octobre 2008. Les thèses qui y sont avancées poursuivent l’analyse engagée dans Pour une nouvelle critique de l’économie politique. 2 La technique et le temps tome 3, op. cité3 Pour une nouvelle critique…, op. cité

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aussi une contre-tendance, comme nous l’apprennent Nietzsche et Freud. Si ce n’était pas le cas, il ne s’agirait pas d’une tendance, mais d’une évolution simple et linéaire, c’est à dire déterministe.

Que le marxisme et que Marx lui-même (et avant lui, la dialectique hégélienne) ne parviennent pas à raisonner ainsi – en termes de tendances – , c’est un problème légué par Marx, mais ce n’est pas une invalidation de sa théorie sur la tendance baissière du taux de profit.

Cette façon de penser en termes de tendances passe par une psychologie, c’est à dire par un discours sur les âmes, sur leur logique et sur leur économie : sur leur logique en tant qu’elle est une telle économie.

S’il doit y avoir un débat sur la baisse tendancielle du taux de profit, ce n’est donc pas sur l’existence de cette tendance elle-même : c’est sur la nature de sa (ou de ses) contre-tendance(s). Le véritable enjeu est de savoir comment penser ce jeu de tendances.

52. Profit, durabilité et toxicité

Quant à ce que l’on entend ici par « profit », la question sera de savoir si nous le définissons comme retour sur investissement, c’est à dire comme fonction d’un système permettant la rémunération d’un capital investi, et donc d’un risque pris, ou bien si nous admettons également comme profit la spéculation – qui tend à détruire le système de l’investissement, s’il est vrai qu’ici, l’enjeu est le temps, et, plus précisément, ce qui fait jouer le court terme et le long terme à la fois l’un avec l’autre et l’un contre l’autre.

Le profit issu de l’économie financière ne correspond évidemment pas à ce que Marx appelle le taux de profit (r), où r = pl/(c+v). R dépend du système de production comme capital constant et comme capital variable. Les profits issus de la financiarisation tendent au contraire à se découpler de r comme rapport pl/(c+v), et à devenir des profits essentiellement spéculatifs. Ils relèvent de ce que Marx appelle le capital fictif.

On objecte contre la théorie de la baisse tendancielle du taux de profit le fait avéré des gains énormes que le capital a accumulés au cours des dernières décennies. Mais la crise de 2008 (comme bien d’autres avant elle, mais plus que toutes les autres) impose d’examiner la nature et la solidité de cette profitabilité – qui est apparue structurellement toxique au cours de cette crise.

La question du profit est d’abord et solidairement

. celle de sa soutenabilité exogène, pour le reste de la société (le profit ne peut pas durer s’il détruit la société),

. celle de sa durabilité endogène, pour le capital lui-même (il doit assurer la conservation de sa valeur dans le temps),

. celle de la temporalité qu’il configure – c’est à dire, pour ce qui concerne le capital fictif, celle de la qualité des anticipations en quoi il consiste, le capital fictif, en tant que

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système de protentions relativement calculées 4, étant une fonction nécessaire du système, irréductible à la simple spéculation à cet égard, tandis que l’investissement entrepreneurial constitue un autre type d’anticipation.

Ce n’est qu’à l’intérieur de tels systèmes d’anticipation, qui doivent être qualifiés et consolidés par des règles, que peut se produire du profit.

Les gains de Bernard Madoff, estimés à 50 milliards de dollars, et ceux des spéculateurs qui l’ont cru, auront-ils un jour été des profits ? Oui sans doute. Mais ce furent des profits frauduleux, peu durables, et purement toxiques, parce qu’induits par des anticipations truquées. Et pour les clients de Madoff, ce sont désormais des pertes sèches.

Lorsque le bandit Albert Spaggiari, qui était aussi un militant d’extrême droite, dévalisa la Société Générale de Nice, et réalisa ainsi ce que l’on appela alors « le casse du siècle », il fit 50 millions de francs de « profit ». Mais ces profits n’ont jamais été reconnus comme tels : ils ont été qualifiés comme vol.

Qu’en est-il de Godmann Sachs ?

53. Les incurieux dans la pharmacologie du capital

Doit-on poser que tout capital fictif tend toujours à produire des systèmes toxiques, sinon frauduleux (c’est à dire purement toxiques) ? La réponse est évidemment positive : plus que toute autre psychotechnique humaine, le capital fictif est un pharmakon 5, et plus précisément, un jeu d’écritures, et les systèmes d’anticipation que cette phantasia du capital rend possibles supposent l’existence d’un capital libre qui tend structurellement à se désinvestir lorsqu’il voit baisser ses profits. 6 

Ces désinvestissements sont des courts-circuits – tout comme la mémoire artificielle et hypomnésique, c’est à dire le pharmakon de l’écriture, peut court-circuiter la mémoire vivante et anamnésique. 7

Posons que cette tendance conduit à une incurie : on appelle spéculateur (et, en période de guerre, « profiteur ») celui qui se moque des conséquences économiques aussi bien que sociales de ses décisions « profitables ». Il appartient à la catégorie de ceux que l’on appelait autrefois les incurieux 8 : ceux « qui n’en ont cure », c’est à dire qui n’en ont « rien à faire » – ceux qui disent : I don’t care. Ceux qui se moquent du monde.

C’est d’autre part parce que l’appareil productif tend à être de moins en moins profitable que les spéculateurs désinvestissent, deviennent structurellement court-termistes, et constituent un capitalisme « financiarisé ».

4 Pour une nouvelle critique…, op. cité, p. 925 Au sens que prend ce terme dans Pour une nouvelle critique… pp. 43 et suivantes.6 La tendance du capital fictif est toujours de réduire les règles au minimum, sinon de les éliminer tout à fait, afin de pouvoir se délier aussi souvent que possible. 7 Pour une nouvelle critique…, p. 448 Au sens de Proust dans Sur la lecture cité ci-dessus, p. …, ou encore au sens de Bossuet cité dans Mécréance et discrédit tome 1 p. …, et qui décrit dans sa belle langue ce que la nôtre, incurieuse en cela, nomme jem’enfoutisme (« Il y en a qui ne trouvent leur repos que dans l’incurie de toutes choses »).

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C’est parce qu’il en résulte une tendance à l’incurie, et parce qu’elle est irréductible, étant inscrite dans cette pharmacologie, que des systèmes de régulation s’imposent, qui visent à limiter les effets destructeurs de cette tendance spéculative du capital libre – et à maintenir suffisamment de fixité, c’est à dire d’investissement, face à la labilité de la circulation des capitaux.

Dans le système économique capitaliste, la circulation des capitaux libres est censée mesurer le crédit que le sous-système financier accorde à tel ou tel acteur économique du sous-système de production – et, à travers ce système de mesure, la croyance que « la société » investit dans cette activité. La circulation des capitaux libres est une organisation protentionnelle spécifique 9, reposant sur un système de pharmaka complexe, faillible et corruptible, où l’on trouve la monnaie, les actions et les obligations, les divers instruments financiers, les agences de notation, etc.

Ces capitaux tendent cependant à devenir purement spéculatifs lorsqu’ils consistent non plus à mesurer un capital de confiance dans l’avenir des actifs de l’appareil de production, par rapport auxquels ils constituent, en tant que système d’anticipations, des capacités d’investissement, mais à faire des opérations soit purement autoréférentielles, où le sous-système financier fait des anticipations sur lui-même aux dépens de l’appareil de production, soit orientées vers l’appareil de production, mais structurellement court-termistes, c’est à dire fondées sur le désinvestissement : sur le pillage de l’appareil de production.

54. Innovation, court-termisme et spéculation

Revenons à présent au capital productif.

On a coutume d’objecter à la thèse de la baisse tendancielle du taux de profit qu’au sein même de l’appareil de production, l’innovation technologique permet de relancer sans cesse la différenciation du système, le capital constant fournissant alors à l’entrepreneur innovateur un avantage concurrentiel.

La question de l’innovation n’est cependant pas seulement une affaire de conception et de production comme transferts d’inventions technologiques ou de découvertes scientifiques opérés par l’entrepreneur vers son entreprise : c’est aussi et avant tout la question de la socialisation de l’innovation – c’est à dire de la transformation de la société. Or, cette transformation s’opère au XXè siècle par l’organisation de la consommation, c’est à dire par la mise en place de dispositifs d’adaptation de la société au changement techno-industriel, et non pas comme adoption de l’innovation par la société.

Il y aurait adoption si le changement techno-industriel était co-produit par la société elle-même. Or, cette organisation de la consommation suppose au contraire que le devenir des systèmes sociaux soit structurellement soumis au devenir du système économique, ce qui est rendu possible parce que celui-ci contrôle intégralement le devenir technologique, c’est à dire le système technique – cette soumission étant obtenue par la captation de l’attention des consommateurs, par le détournement de leur énergie libidinale vers les objets de l’innovation, et par le contrôle de leurs comportements à travers le marketing.

9 Cf note 184 infra, p. …

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Or une telle captation de l’énergie libidinale conduit à sa destruction : elle soumet à un calcul ce qui, comme objet de désir, ne se constitue qu’en s’infinitisant, c’est à dire en dépassant tout calcul. Cette destruction du désir conduit à une frustration pulsionnelle qui fait système avec ce qui, dans la société consumériste, au XXè siècle, conditionne l’absorption sociale de l’innovation décrite par Schumpeter comme « évolution économique », et installe un système qui tend à produire une obsolescence chronique et structurelle dans laquelle le rapport normal aux objets devient la jetabilité – tandis que du côté de la financiarisation, les entreprises comme capital constant, et avec elles, les travailleurs comme capital variable, deviennent structurellement jetables tout comme les objets de consommation.

Consommer constitue alors un expédient et un exutoire – un pharmakon – qui aggrave la frustration tout en la déplaçant à très court terme vers le nouvel objet de consommation produit par cette « innovation permanente ». La nouveauté est ainsi systématiquement valorisée aux dépens de la durabilité, et cette organisation du détachement, c’est à dire de l’infidélité 10 (également appelée flexibilité 11), contribue à la décomposition de l’économie libidinale, à la généralisation des comportements pulsionnels et à la liquidation des systèmes sociaux.

Sur ce fond d’organisation systémique de l’infidélité – qui se concrétise aussi bien par la liquidation de l’identification primaire 12 et la modification de la synaptogenèse infantile 13

que par les courts-circuits induits dans la société par la dissociation 14 –, les dispositifs d’anticipation du capital libre et les comportements hyperlabiles des consommateurs entrent en résonance et se potentialisent, au sens où des médicaments peuvent potentialiser leurs effets curatifs aussi bien que toxiques (tel l’alcool se combinant aux psychotropes ou aux anti-inflammatoires).

Anticipations du capital libre et comportements des consommateurs deviennent ainsi corrélativement et systémiquement court-termistes, spéculatifs et pulsionnels.

55. Economie des protentions

Le capital fictif est un système d’anticipations et de paris qui ne peut que faire droit aux illusions, c’est à dire aux spéculations et aux calculs sur des possibilités de l’avenir qui ne se réaliseront jamais. C’est ce dispositif de projection de protentions qui, comme organisation de prises de risques plus ou moins limités, donne au système capitaliste sa dynamique, c’est à dire son avance sur lui-même : le capitalisme suppose qu’il existe un capital libre ouvert à la spéculation entendue en ce sens. À cet égard, il est illusoire ou démagogique d’opposer une

10 C’est à dire de rupture avec ce que Albert Gore décrit comme attachement en référence à la théorie de Bowlby, cf Al Gore, La raison assiégée, et mon commentaire dans Pour en finir avec la mécroissance. Quelques réflexions d’Ars Industrialis, pp. 32 et suivantes.11 Boltanski et Chiapello analysent ainsi les conséquences que cette flexibilité a sur la vie conjugale : « La recherche d’une flexibilité maximale est en harmonie avec une dévalorisation de la famille en tant que facteur de rigidité temporelle et géographique. Des schèmes idéologiques similaires sont mobilisés pour justifier l’adaptabilité dans les relations de travail et la mobilité dans la vie affective. » L’esprit du capitalisme, Gallimard, … p. 2412 Prendre soin…, p. 1513 Ibid. p. 1414 Cf notamment La télécratie contre la démocratie, p. 29, et Pour une nouvelle critique… pp. 69-73

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économie « réelle » à une économie « virtuelle » : toute économie suppose un investissement et donc une virtualisation. 15

Cependant, l’avance que produisent ces anticipations, telles qu’elles sont par structure exposées à la spéculation, doit procéder avant tout d’une motivation, elle-même inscrite dans une économie des motivations, qui est aussi une économie des phantasmes : une telle économie est ce qui produit une énergie libidinale protéiforme – ou, pour parler précisément dans le langage de la psychanalyse, polymorphe.

Ce polymorphisme doit pouvoir être unifié par ce que Weber appelait un esprit : il suppose un investissement dans une économie libidinale qui vient lui fournir en quelque sorte son étalonnage symbolique, et le constituer en système d’échanges formant un commerce social polymorphe.

Ce sont ces questions qui traversent Le nouvel esprit du capitalisme, où Luc Boltanski et Eve Chiapello se réfèrent à la fois à Max Weber et à Albert Hirschman pour montrer que

les contraintes systémiques [qui s’exercent sur tous les acteurs du système capitaliste] ne suffisent pas, à elles seules, à susciter leur engagement. La contrainte doit être intériorisée et justifiée. 16

En d’autres termes, elle suppose qu’une économie libidinale mette en réserve une énergie libidinale échangeable, qui donne sa consistance à l’avance que le système produit par lui-même, et comme sa dynamique, à travers les diverses formes de motivations qu’il suscite.

Dans l’économie libidinale, l’avance – la structure protentionnelle de cette économie 17 – est constituée par le désir, et un tel désir est par structure infini, c’est à dire incalculable, dans la mesure où il tend à infinitiser ses objets : l’économie libidinale est l’économie de cette infinitisation et constitue en cela un système de soin intrinsèquement long-termiste parce qu’intrinsèquement tourné vers l’interminable – qui longtemps s’appela Dieu.

À l’inverse, la destruction de cette avance fondée sur le désir, c’est à dire sur un capital symbolique – destruction induite par la finitisation de ses objets, et comme organisation de

15 Aucune réalité humaine, aucun réel humain n’est sans virtualité. Le virtuel est ce qui fait que tel chasseur-cueilleur de la forêt amazonienne voit dans la verdure une immense richesse où je ne vois que du vert. La question du virtuel tel qu’il s’articule avec le réel est capitale dans toute affaire humaine – et renvoie à la façon dont les rétentions secondaires virtualisent les rétentions primaires chez Husserl. Le possible est ce qui constitue les possibilités du virtuel lui même dans sa rencontre avec le réel, dans sa projection réelle comme concrescence. Le virtuel est ce qui ouvre des possibles. Mais le virtuel n’est pas le possible.Ce que Marx appelle le capital fictif ne doit donc pas être appelé capital virtuel ou économie virtuelle – tout comme il est vain de parler de l’économie productive comme de l’économie « réelle ». Le capitalisme est ce qui repose sur la virtualisation du réel à tous les niveaux de la production et de la consommation. Ce virtuel est tout autre chose que le capital fictif : c’est ce qui donne sa puissance au réel, ce qui lui permet de se réaliser, de se transformer. Le fictif est un artefact qui vise à capter le virtuel et à l’organiser d’une manière qui peut évidemment déréaliser la productivité – l’appareil de production – , le capital en général étant une virtualité qui contribue à réaliser la productivité comme investissement.16 L’esprit du capitalisme, op. cité, p. 45. J’ai tenté de montrer dans Mécréance et discrédit 3. L’esprit perdu du capitalisme pourquoi Boltanski et Chiapello n’appréhendent pas le désir comme une telle économie, et pourquoi ils échouent du même coup à décrire l’économie libidinale consumériste et les impasses où elle mène. Ils négligent en particulier d’analyser les effets de liquidation des appareils de production de l’énergie libidinale, et plus généralement de l’appareil psychique dans son lien aux appareils sociaux et symboliques, dont leur description de la flexibilité des relations affectives n’est qu’une conséquence.17 C’est parce que l’économie libidinale est protentionnelle et parce que le capital est une organisation de la production de protentions que le capitalisme est une époque de l’économie libidinale.

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leur jetabilité intrinsèque, y compris comme travailleurs et comme entreprises – , est destructrice de la motivation elle-même sous toutes ses formes.

Elle devient alors une avance fondée sur la pulsion. Mais la pulsion étant par nature court-termiste, elle conduit au désinvestissement, c’est à dire à la destruction de la profitabilité entendue comme bénéfice : elle conduit à la destruction de la profitabilité entendue comme consolidation de la dynamique et de la durabilité du système, comme ce qui fait du bien au système.

56. Capital consumériste et monnaie de singe : la mathématisation de l’incurie

La baisse tendancielle du taux de profit qui hantait le système productiviste caractéristique du XIXè siècle et de l’industrialisation européenne (et qui provoqua plusieurs crises) a été absorbée au début du XXè siècle, en Amérique du Nord, par une contre-tendance obtenue par l’organisation consumériste de l’économie libidinale : par l’établissement d’un système de protentions pilotées par le capital du côté de la consommation en relation fonctionnelle et directe avec le capital libre investi et « protentionnalisé » en ce sens. La mise en place de la société consumériste fut la principale réponse que trouva l’économie américaine à cette tendance systémique – et cette forme du capitalisme ne peut donc pas être pensée avec les seuls concepts marxiens.

C’est dans ce contexte émergent, par où le modèle industriel productiviste devient consumériste, que Schumpeter écrit en 1913 sa théorie évolutionniste de l’économie capitaliste. Ford constitue alors l’exemple parfait de cet idéal-type que Schumpeter appelle l’entrepreneur (Weber ayant lui-même fournit une première version de cet idéal-type à travers la figure de l’entrepreneur de Pennsylvanie). Mais l’innovation entrepreneuriale fordiste, fondée sur le taylorisme, suppose l’organisation d’une consommation de masse – la captation et l’exploitation de l’énergie libidinale au service d’un contrôle comportemental constant. C’est pourquoi la pensée de cette forme de capitalisme nécessite de mobiliser les concepts freudiens.

La contre-tendance consumériste, inventée pour lutter contre la tendance à la baisse du taux de profit, mise en œuvre par une fonction du système que Marx ne connaissait pas, le marketing, et qui conduira à la réorganisation du capital fictif et à sa prise de contrôle sur la production par une organisation du management actionnariale, et non plus entrepreneuriale, cette contre-tendance devient baissière à son tour vers la fin du XXè siècle – dans le moment même où le pouvoir d’achat diminue, un énorme processus de paupérisation s’installant partout, qui reconstitue des traits caractéristiques du XIXè siècle.

Ayant détruit l’économie libidinale qui la fondait, la contre-tendance consumériste aggrave alors systémiquement la toxicité de la pharmacologie financière, c’est à dire la tendance elle-même pulsionnelle et court-termiste du capital fictif, ce qui accentue la paupérisation dans toutes les couches de la population aussi bien que la fragilisation des appareils de production, soumis au pillage par les LBO et autres techniques spéculatives directement mises en œuvre contre les entreprises.

La lutte contre la baisse tendancielle du taux de profit induit ainsi une tendance à la baisse de cette énergie libidinale qui renforce la tendance spéculative du capital, c’est à dire son désinvestissement, et donc la fragilisation du profit : l’énorme accumulation de capital tend

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alors à se transformer en monnaie de singe – et le système des fonds de pension apparaît pour ce qu’il est : le pôle d’un système, appelé le capital fictif, tel que, ayant mathématisé sa tendance pharmacologique à l’incurie, son autre pôle est constitué de leurres organisant délibérément la dilution de responsabilité, et appelés « subprimes », « titrisation », « Bernard Madoff », etc.

Avec l’innovation permanente pilotée par le marketing stratégique, et sous la contrainte d’un capitalisme devenu actionnarial, et non plus entrepreneurial, l’infidélité du milieu, qui est la loi du vivant en général, mais qui constitue, pour le vivant technique que nous sommes et ne cessons de devenir, un milieu pharmacologique, et en cela, intrinsèquement pathogène, le redoublement épokhal qui permet de trans-former en normativité la pathologie que provoque un nouveau pharmakon est devenu impossible. C’est ce qui installe une situation structurelle et chronique d’incurie.

57. La macro-tendance court-termiste

Si Marx ne prend pas en compte la tendance spéculative en quoi consiste essentiellement le capital fictif dans son calcul du taux de profit, c’est précisément pour montrer que le système de l’investissement capitaliste est soumis, comme système dynamique, soit à une tendance baissière, soit à un fonctionnement spéculatif qui devient nécessairement destructeur et factice.

Schumpeter vient contredire ce point de vue en montrant comment l’innovation est ce qui articule fonctionnellement le capital productif et le capital fictif – comme capital risque, orienté vers les « valeurs technologiques ». Mais Schumpeter n’intègre pas la question de la consommation comme captation de l’énergie libidinale, ni les effets baissiers que cette captation induit sur cette forme d’énergie essentielle dans le capitalisme consumériste, ni le renforcement de la tendance à l’incurie court-termiste que ces effets provoquent inévitablement dans le capital fictif.

Dès lors, pour décrire le fonctionnement de l’appareil de production tel qu’il est mû par une innovation permanente qui requiert une organisation de la consommation par l’appareil du psychopouvoir que constitue le marketing, même si l’on conservait le parti pris par Marx de séparer le capital fictif du capital productif dans sa formulation du calcul de r, il faudrait :

1. ajouter à sa formule une fonction innovation et une fonction consommation pour décrire un appareil de production qui, de nos jours, n’est plus simplement productiviste, mais bien consumériste,

2. intégrer une tendance à la baisse de l’énergie libidinale, c’est à dire à la décomposition de la libido en pulsions.

Par ailleurs, si l’on admet :

. que le capital fictif est essentiel au système comme organisation des anticipations calculables,

. qu’il est constitué par une tendance structurellement court-termiste, c’est à dire par une tendance à l’incurie qui, dans le modèle industriel consumériste, fait système avec une

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obsolescence croissante des produits et des services, produite par une accélération constante des processus d’innovation et de transfert, et par une agressivité corrélative du marketing,

alors il apparaît évident que le modèle consumériste est arrivé à ses limites parce qu’il héberge une macro-tendance court-termiste, qui ne peut que conduire à la fermeture du système à tout avenir, c’est à dire à un blocage des processus d’anticipation aussi bien entrepreneuriale que financière, et à une dégradation généralisée des motivations économiques aussi bien que sociales et psychiques.

S’il y a une telle macro-tendance, la question est alors de savoir quelle est la macro-contre-tendance.

58. Le capitalisme actionnarial comme incurie systémique

Aux questions de durabilité et de sauvegarde du système dynamique qu’est le capitalisme en tant que système de motivations, il faut en outre intégrer le problème des externalités négatives : la crise de 2008 coïncide avec la réalisation des prédictions du rapport Meadows et de René Passet, à savoir que le modèle industriel consumériste est condamné à franchir ses propres limites en détruisant les ressources géologiques et les systèmes géographiques et météorologiques tout en provoquant une explosion des courbes démographiques.

Cette destruction des systèmes physiques se combine avec la destruction des systèmes psychiques et sociaux, qui sont les conditions de production de toute énergie libidinale – celle des producteurs aussi bien que celle des concepteurs, des investisseurs et des consommateurs. Alors le taux de profit tend très certainement à baisser, tandis que le « profit » n’est maintenu très élevé que parce qu’il est devenu intrinsèquement spéculatif et incurieux – soit par des artifices ruineux de la pharmacologie financière, soit par des opérations franchement mafieuses, voire manifestement criminelles et proprement illégales.

Dans ce cas, ce qui augmente est un profit qui n’a plus aucun rapport avec le taux de profit que calcule r, puisque le capital, devant le devenir essentiellement obsolète de toute innovation, et compte tenu du caractère essentiellement pulsionnel de la consommation, tend à devenir structurellement fictif, c’est à dire à ne se lier ni à c ni à v dans la définition qui soutient le calcul pl/(c+v) : c’est cette tendance qui se concrétise dans le devenir actionnarial du management – ce dont en France l’affaire Forgeart/EADS a révélé les effets calamiteux – et qui installe une véritable incurie systémique.

59. Économie de la démesure et responsabilité infinie

Aussi spéculatif qu’il puisse être, le capital fictif mesure des anticipations qu’il rend relativement calculables. Cependant, les protentions de la temporalité psychosociale ne sont absolument pas calculables, et dépassent toujours les anticipations relatives : elles relèvent d’une économie libidinale qui s’infinitise, c’est à dire d’une économie de la démesure qui produit une volition psychosociale, également appelée motivation, c’est à dire productrice de motifs d’exister, ce que l’on appelle aussi le sens, et qui suppose ce que Simondon nomme le

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transindividuel – fondé sur un processus de transindividuation où les protentions s’élaborent en formant des circuits longs 18.

Autrement dit, la protention constituant la temporalité psychosociale suppose que l’assomption d’une responsabilité infinie vienne l’étayer comme crédit, celui-ci ne pouvant être réduit à la confiance entendue comme calcul 19, mais supposant un désir investissant un objet infinitisable.

À l’origine du capitalisme, c’est le Dieu du monothéisme réformé qui assume la fonction symbolique de cette responsabilité infinie, nous dit Weber. Mais quelle peut être la fonction symbolique de cette responsabilité infinie lorsque le capitalisme s’accomplit comme processus du désenchantement, nihilisme et mort de Dieu – dans la déchéance de l’ « économie casino » 20? En quoi consiste alors ce rapport à l’infini que la spéculation tend à diluer, à liquider (par où cependant c’est le système lui-même qui se dilue – la mutualisation des pertes ne permettant de faire éponger cette dilution par les systèmes sociaux et psychiques qu’en les détruisant encore un peu plus, c’est à dire en les diluant eux-mêmes pour préserver le sous-système financier dans le système économique capitaliste, et toujours plus au détriment du sous-système de production) ? 21

Cet objet infini est celui du désir. Ce que Freud aussi bien que Nietzsche donnent à penser – et comme jeu de tendances – dans le fonctionnement de ce que le viennois appellera l’appareil 18 C’est l’enjeu de ce que Philippe Béraud et Franck Cormerais tentent de penser avec l’association PEKEA, l’ISMEA et Ars Industrialis sous le nom de valeur sociétale – à quoi Cormerais ajoute la question de l’innovation sociétale.19 Mécréance et discrédit 1, p. 10220 Pierre Dumesnil, économiste et chercheur à l’Institut Télécom, propose à ce sujet, dans un article sur la crise, Fragment d’un discours économique, http://pagesperso-orange.fr/.pierre.dumesnil, cette citation de Maurice Allais : « Ce qui est éminemment dangereux, c'est l'amplification des déséquilibres par le mécanisme du crédit et l'instabilité du système financier et monétaire tout entier, sur le double plan national et international, qu'il suscite. Cette instabilité a été considérablement aggravée par la totale libération des mouvements de capitaux dans la plus grande partie du monde. (...) Depuis 1974, une spéculation massive s'est développée à l'échelle mondiale. A New York, et depuis 1983, se sont développés à un rythme exponentiel de gigantesques marchés sur les « stock- index futures », les « stock-index options », les « options on stock-index futures », puis les « hedge funds » et tous « les produits dérivés » présentés comme des panacées (...). Qu'il s'agisse de la spéculation sur les monnaies ou de la spéculation sur les actions, ou de la spéculation sur les produits dérivés, le monde est devenu un vaste casino où les tables de jeu sont réparties sur toutes les longitudes et toutes les latitudes. Le jeu et les enchères, auxquelles participent des millions de joueurs, ne s'arrêtent jamais. Aux cotations américaines se succèdent les cotations à Tokyo et à Hong Kong, puis à Londres, Francfort et Paris. Sur toutes les places, cette spéculation, frénétique et fébrile, est permise, alimentée et amplifiée par le crédit. Jamais dans le passé elle n'avait atteint une telle ampleur (...). L'économie mondiale tout entière repose aujourd'hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile. Jamais dans le passé une pareille accumulation de promesses de payer ne s'était constatée. Jamais sans doute il n'est devenu plus difficile d'y faire face. Jamais sans doute une telle instabilité potentielle n'était apparue avec une telle menace d'un effondrement général. »21 Les suicides qui frappent aujourd’hui France-Télécom sont la réalité tragique de la destruction conjointe des appareils d’innovation et de production et des individus psychiques sans lesquels ils ne sont rien. Ici encore une citation proposée par Pierre Dumesnil s’impose, elle est d’« Auguste Detoeuf, membre éminent quoique iconoclaste du patronat français, directeur général de Thomson-Houston et vice-président d'Alstom », et elle date du 1er mai 1936 : « Le libéralisme est mort ; il a été tué, non pas par la volonté des hommes ou à cause d'une libre action des gouvernements, mais par une inéluctable évolution interne. [...] Je crois que la fausse mystique libérale, les déclarations libérales sans sincérité, toute cette démagogie à l'intention des classes dirigeantes et d'un peuple qui confond la liberté économique avec la liberté tout court, sont des dangers publics. [...]. Si ceux qui souffrent le moins de l'économie moderne pensent avoir individuellement intérêt à la liberté économique totale, ils se trompent. En tant qu'individus, non plus qu'en tant que collectivité dans la collectivité, ils n'y ont intérêt. Ils n'ont intérêt à sauver que ce qui est bon, et une part du libéralisme est aujourd'hui malfaisante. »

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psychique, c’est que la psychè est intrinsèquement constituée par son rapport à l’infini 22. Cet infini est ce qui, comme objet du désir infini, bien qu’il n’existe pas (c’est un phantasme), consiste – par exemple, dit Proust citant Anna de Noailles, comme la signifiance des « pays de l’Aisne et de l’Oise ». 23

Seule une telle consistance permet à une économie générale de perdurer, c’est à dire de dépasser la finitude spéculative – qui advient lorsque la spéculation, devenue calcul et mesure des anticipations, s’avère intrinsèquement incurieuse parce qu’incarnant la tendance court-termiste, c’est à dire pulsionnelle. Là est aussi l’enjeu de l’économie générale selon Georges Bataille.

22 C’est parce que la psyché est infinitive que Gilles Deleuze et Félix Guattari écrivent que « la philosophie veut sauver l’infini en lui donnant de la consistance : elle trace un plan d’immanence, qui porte à l’infini des événements et des concepts consistants sous l’action de personnages conceptuels. La science au contraire renonce à l’infini pour gagner la référence : elle trace un plan de coordonnées seulement indéfinies … . L’art veut créer du fini qui redonne l’infini : il trace un plan de composition. » Qu’est-ce que la philosophie ? Minuit, … p. 18623 La consistance est ce qui fait que ce qui existe, et qui peut toujours être insignifiant, devient signifiant, au sens de non-insignifiant, objet de ceux qui en ont cure, c’est à dire de ceux qui en ont le souci et qui en prennent soin – tout d’abord en le prenant en considération, en en faisant l’objet de leur attention et de leurs attentions.

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Chapitre sept

Tendances techniques, organologie générale et puissance publique

60. La « révolution conservatrice » comme soumission du système technique au système économique

Au moment où le capitalisme américain met en place le « mode de vie américain » comme nouvelle économie libidinale à travers le psychopouvoir du marketing, il ne peut faire fonctionner cet infini qu’est le désir infini qu’en le finitisant, c’est à dire en détruisant les appareils de production de l’énergie libidinale et de tous ses sous-produits sublimatoires. Il ne peut donc que le faire dysfonctionner.

Cependant, la mise en œuvre de ce psychopouvoir, qui croît en même temps que la doctrine du soft power, sera longtemps contenue dans ses effets finitisants par une puissance publique théorisée par Keynes et concrétisée par Roosevelt. Cette puissance publique, appelée welfare state,

. d’une part maintiendra, au-dessus du psychopouvoir, des systèmes sociaux et sublimatoires de production des énergies libidinales, en particulier comme systèmes éducatifs,

. d’autre part limitera les tendances spéculatives du capital fictif que ce psychopouvoir renforce par le rôle de régulation et d’ajustement assumé par la puissance publique face aux effets de désajustements engendrés par les mutations incessantes du système technique industriel, qui déstabilisent les autres systèmes sociaux.

Pour le dire autrement, le welfare state n’est pas un simple avatar du biopouvoir : il s’y ajoute la question du psychopouvoir. C’est l’Etat à l’époque de ce qu’Adorno et Horkheimer appelleront les industries culturelles – et à l’époque où celles-ci, vectrices du mode de vie américain, commencent à lui disputer le leadership du changement social.

Il faut ici souligner trois points cruciaux :

1. Avant que le marketing et le capital fictif ne prennent le contrôle du devenir industriel et que les médias de masse ne deviennent foncièrement pulsionnels, c’est à dire au début des années 1970, le taux de profit des entreprises atteint un niveau plancher – fait économique face auquel il est bien difficile d’affirmer, à cette époque, que la baisse tendancielle du taux de profit est une absurdité.

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2. C’est pour inverser cette situation, installée dans tout le monde occidental par le keynésianisme, que la « révolution conservatrice » est mise en œuvre par Margaret Thatcher en Angleterre à partir de 1979 et par Ronald Reagan en Amérique du Nord à partir de 1980 – le système de Bretton Woods ayant été abandonné en 1971, l’appareil de production américain ayant drastiquement régressé tout comme celui de l’ancien empire britannique, et la « révolution conservatrice » visant à « financiariser » et à mondialiser le capitalisme occidental afin de garantir sa position de pilote de la mondialisation (stratégie qui a lamentablement échoué).

3. Cette remise en cause de l’Etat, dénoncé en tant que Welfare State « déresponsabilisant », devenu « le problème et non la solution », selon les termes de Reagan, a pour but de permettre au capital de piloter intégralement, et par l’intermédiaire du psychopouvoir mis en œuvre à travers le marketing, ce que Bertrand Gille avait appelé le désajustement entre le système technique et les autres systèmes humains – pilotage qui avait été le rôle des Etats depuis le début de la Révolution Industrielle et jusqu’alors.

Autrement dit, à partir de la « révolution conservatrice », le devenir du système technique en cours de mondialisation (conduisant à un processus de mondialisation économique qui ne connaîtra plus d’obstacles à partir de 1989), constitutif la fois de l’infrastructure de production, de l’organisation de la consommation (à travers les psychotechnologies), et des objets et services de cette consommation elle-même, qui sont tous industrialisés et technicisés, le devenir de ce système technique mondial tend à être totalement intégré dans le système économique et soumis à ses priorités comme à ses contradictions.

En outre, le système économique est désormais presque intégralement piloté par le sous-système financier lui-même mondialisé qui s’est structurellement dé-corrélé du sous-système de production.

61. Système technique, systèmes sociaux et marketing

Depuis l’Etat napoléonien jusqu’aux diverses formes du keynésianisme, et en passant par le gaullisme, l’Etat avait eu pour fonction d’assurer le pilotage et la régulation du désajustement provoqué par les évolutions toujours plus rapides du système technique, et de mettre en place les processus de réajustements qui étaient nécessaires. Bertrand Gille écrit en 1978 – un an avant l’arrivée de Thatcher au pouvoir – que faute d’une telle régulation, qui constitue une politique de développement industriel, les systèmes sociaux ne peuvent que se trouver anéantis par un devenir chaotique de ce développement :

Il n'est plus question de se soumettre à un progrès technique aléatoire dans ses réalisations, … d'accepter bon gré mal gré ce qui arrive dans le domaine de la technique et de faire tant bien que mal les adaptations nécessaires. Dans tous les domaines, aussi bien le domaine économique que le domaine militaire, il faut organiser l'avenir. 24

Qui oserait le nier de nos jours, plus de trente ans après l’avènement ravageur du néo-conservatisme ?

24 Bertrand Gille, Histoire des techniques, La Pléïade, 1978, p. 77.

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Le système technique est un système dynamique où s’accomplit ce que Simondon décrit comme un processus d’individuation. Gille montre qu’au cours de cette individuation, le système technique entre régulièrement en conflit avec les « autres systèmes » sociaux – qui sont eux-mêmes des processus d’individuation collective, et qui supposent des processus d’individuations psychiques, ce que Freud appelle des appareils psychiques.

Cela signifie que l’individuation du système technique peut venir contrarier l’individuation des systèmes sociaux et des appareils psychiques. Cependant, cette contrariété constitue aussi la dynamique des processus d’individuation techniques, sociaux et psychiques, c’est à dire la condition pharmacologique de leur individuation : Simondon montre que l’individuation, en tant que processus, suppose des déphasages qui induisent précisément ces différentes dynamiques d’individuation, et réciproquement.

En revanche, les processus d’individuation psychique et sociale ne sont en aucun cas des adaptations des systèmes sociaux et des appareils psychiques au devenir du système technique : ce sont des processus d’adoption, c’est à dire de co-individuation, où les systèmes sociaux et les appareils psychiques produisent et individuent le système technique autant que celui-ci participe à leurs individuations respectives – et transductivement reliées.

Gille soutient que l’Etat doit assumer la régulation de ces conflits (inévitables et nécessaires) afin d’éviter la destruction de ces systèmes : l’Etat régule en assurant le paramétrage du système technique et l’évolution corrélative des systèmes sociaux par la négociation, la prévision et la planification, c’est à dire par l’organisation à long terme du devenir technologique et industriel ; il le fait également en assurant la possibilité d’une recherche indépendante des investissements privés, qui sont eux-mêmes court-termistes relativement au temps social intergénérationnel.

De telles politiques sont des thérapeutiques qui définissent des régimes d’individuation fondés sur des circuits longs de transindividuation, et qui prescrivent les conditions dans lesquelles la pharmacologie technologique et industrielle peut produire plus d’individuation que de désindividuation.

Or, un aspect essentiel de la guerre idéologique que mèneront les néolibéraux de la révolution conservatrice consistera à condamner les politiques industrielles publiques et à long terme, accusées de promouvoir des modèles inefficaces d’économie administrée – alors même que l’US Army continuera à assurer le pilotage de la politique industrielle américaine par l’Etat – , ainsi qu’à accuser toutes les structures sociales productrices de circuits longs dans la transindividuation de freiner la modernisation permise par le développement du système technique.

Lorsque Thatcher et Reagan amorceront la dérégulation, la déréglementation et finalement la liquidation de tous les appareils d’Etat, l’enjeu sera de confier ces processus d’ajustement au seul marché, c’est à dire au marketing qui exploitera dès lors lui-même et sans limite les psychotechnologies constituant l’infrastructure des médias – et au service d’un contrôle comportemental narcotique, c’est à dire anesthésique et producteur d’addiction.

62. La confusion du système technique et du système économique, principal facteur d’incurie

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C’est cette exploitation sans limite qui conduira à la liquidation lente mais inexorable des appareils de production de l’énergie libidinale qui se forment par la conjugaison des appareils psychiques et des systèmes sociaux comme dispositifs de sublimation (et qui concrétisent l’individuation en tant qu’elle est toujours à a fois psychique et collective). À l’automne 2008, cette exploitation sans limite s’avérera avoir installé une véritable incurie planétaire.

La confusion entre système technique et système économique est une catastrophe qui conduit inévitablement à ce que les deux systèmes, qui sont foncièrement pharmacologiques, potentialisent et exacerbent leurs tendances toxiques, entropiques et autodestructrices – et pour quatre raisons :

1. La soumission du système technique au système économique, lui-même dominé par le sous-système financier hautement spéculatif et court-termiste, renforce les effets destructeurs pour les autres systèmes sociaux de l’innovation et de son accélération : le système technique ne cesse de se désajuster des systèmes sociaux. Et il tend à enfouir, refouler et différer les effets de ce désajustement en substituant à ces systèmes sociaux des processus techniques de services qui court-circuitent les processus de transindividuation dont ces systèmes sociaux sont des organisations – l’absence de régulation conduisant à la destruction des temporalités (des circuits longs) qui ne sont pas immédiatement « monétisables », c’est à dire absorbables par un marché de consommation.

2. La pénétration extrêmement rapide et violente des technologies dans les différents systèmes sociaux (système familial, système éducatif, système politique, système juridique, système linguistique, etc.) conduit à la prolétarisation généralisée : l’innovation technologique est imposée par le marketing comme processus d’adaptation des individus psychiques et sociaux, et non appropriée comme vecteur d’individuation et processus d’adoption définissant un régime thérapeutique, c’est à dire un savoir-vivre (therapeuma et epimeleia comme technique de soi et des autres). C’est pourquoi elle ne permet plus de créer des circuits de transindividuation et fait au contraire du court-circuit des processus de transindividuation existants son principe – qui est un principe d’incurie systémique.

3. La pression court-termiste exercée par le capital fictif et le management actionnarial sur le développement du système technique entièrement soumis à l’économie et donc au marché, et dont les seules possibilités de développement qui soient sélectionnées sont celles qui permettent de constituer très rapidement des solvabilités (ce qui ferme toutes les possibilités d’un investissement social du pharmakon, à long terme, et comme mise en œuvre thérapeutique de sa socialisation), cette pression du système économique sur le système technique conduit à un développement systémiquement incurieux du système technique lui-même.

4. Les systèmes géographique, biologique, démographique et psychique s’en trouvent eux-mêmes désajustés, ce qui conduit à leurs déséquilibres, et non aux bonnes perturbations, c’est à dire aux perturbations néguentropiques et productrices de métastabilités nouvelles qui se produisent lorsque le pharmakon est mis en œuvre thérapeutiquement.

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63. L’effondrement du système des motivations

Le devenir humain est le fruit d’un triple processus d’individuation où le système technique, les systèmes sociaux et les appareils psychiques sont des configurations métastables qu’engendrent des processus d’individuation technique, collective et psychique. Ces trois processus d’individuation sont inséparables : ils forment des relations transductives 25.

Ces relations transductives lient trois niveaux organologiques qu’il faut distinguer, et qui ont leurs propres logiques et leurs propres tendances, mais qui ne peuvent pas être considérés isolément les uns des autres :

. L’appareil psychique est fondé sur un système d’organes psychosomatiques.

. Le système technique relie les organes artificiels qui deviennent les pharmaka du corps psychosomatique et qui le relient aux autres corps au sein de systèmes sociaux.

. Les systèmes sociaux sont les organisations par où le transindividuel métastabilise et unifie les régimes thérapeutiques qui constituent le faire-corps social à travers les processus d’individuation collective.

Que le système technique soit en relation transductive avec les systèmes sociaux, cela signifie qu’il ne peut pas se développer sans un milieu humain qui lui est exogène, lui-même formé d’individus psychiques et d’individus collectifs cultivant leurs singularités en cultivant des consistances, c’est à dire des objets qui n’existent pas, mais qui sont infinis – et qui, comme tels, permettent l’unification à l’infini (infiniment à venir) des systèmes et des individus.

Que l’appareil psychique soit en relation transductive avec le système technique, cela signifie que les appareils psychiques ne peuvent pas se socialiser sans passer par les pharmaka qui constituent le système technique – qui est aussi un système de rétentions tertiaires, et qui supporte ainsi les protentions individuelles et collectives (et la formation du crédit). Ces pharmaka permettent la formation tout autant de circuits longs que de courts-circuits dans la transindividuation.

Réciproquement, les systèmes sociaux, comme processus d’individuation collective, c’est à dire comme systèmes évolutifs, ne peuvent pas perdurer sans adopter les pharmaka à travers les individus psychiques qui se transindividuent au sein de ces systèmes sociaux, pharmaka qui perturbent en cela les organisations en quoi consistent ces systèmes : chaque niveau organologique s’individue en relation transductive avec l’individuation des autres systèmes. Ainsi s’opère le double redoublement épokhal.

Cependant, au XXè siècle, le système économique ayant pris le pas sur tous les autres systèmes, et s’étant mis en charge de les unifier en les finitisant, c’est à dire en les soumettant à un processus de « monétarisation » généralisée – le sous-système financier ayant pris le pas sur le sous-système de production au sein du système économique lui-même – , c’est la consistance infinitive (la loi du désir), qui est la condition d’une véritable co-individuation des trois niveaux organologiques, qui a été détruite. Or, il ne peut pas y avoir de protention soutenable, c’est à dire curieuse, sans consistance infinitive.

25 Des relations qui constituent leurs termes, un terme étant la condition de l’autre ou des autres.

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Il en résulte un écrasement de toutes les anticipations sur l’horizon ultra-court-termiste de la spéculation et un effondrement du système des motivations. La spéculation, bien loin de produire une dynamique nouvelle, fossilise au contraire le temps : elle le fige en un mur du temps 26 où le passé et l’avenir s’annulent, et où se désintègrent toutes les formes d’investissements. En court-circuitant systémiquement les processus de transindividuation, la tendance ultra-court-termiste du capital fictif intégralement dérégulé, devenue totalisante et extrémiste, est intrinsèquement autodestructrice et anéantit le temps comme tel – dont la loi est le désir tel qu’il permet de réaliser (en les sublimant) les motifs de l’imagination (les possibles).

Une telle situation d’incurie – qui ne peut que conduire à la désagrégation entropique des trois niveaux organologiques, tout en détruisant les systèmes extra-organologiques (les systèmes géographiques, climatologiques, géologiques et biologiques) – est induite par le modèle consumériste lorsque, ayant atteint ses limites en généralisant les milieux dissociés, c’est à dire prolétarisés, il est lui-même devenu autodestructeur parce que destructeur du désir des consommateurs aussi bien que de leur santé.

La réinvention de l’économie industrielle suppose dès lors la reconstitution d’une économie libidinale sans laquelle il n’y a pas d’investissement, et cela signifie que de nouveaux appareils de production d’énergie libidinale doivent être conçus et institués – car de tels appareils sont nécessairement des institutions 27 : ainsi de l’institution ecclésiale et de son curieux, le curé, ainsi de l’école et de son maître, l’instituteur.

Economiser à nouveau, c’est à dire lutter contre la tendance incurieuse inhérente au pharmakon qu’est le capital, et prendre ainsi soin du monde, cela ne peut évidemment plus passer par la « relance de la consommation ». Cela ne doit pas non plus passer par une « décroissance » : cela doit retrouver le chemin d’une véritable croissance – et contre la mécroissance qu’aura été le consumérisme 28 –  : une croissance consistant dans une renaissance du désir à travers par la mise en œuvre d’une économie de la contribution où économiser signifie prendre soin 29, et où le soin cultive des milieux associés.

26 Le mur du temps est le titre d’un article que j’ai publié dans Traverses (qui était la revue du Centre Pompidou) en 1987.27 Là est l’enjeu primordial des travaux de Pierre Legendre.28 Cf Pour en finir avec la mécroissance, op. cité 29 Cf le séminaire d’Ars Industrialis www.…