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LA REFORME DES INSTITUTIONS : CHARLES DE GAULLE ET PIERRE MENDES FRANCE, DEUX CONCEPTIONS DE LA REPUBLIQUE. […] Je n’ai jamais été partisan du gouvernement d’assemblée, c’est à dire d’un gouvernement exercé par cinq ou six cent personnes. L’exécutif, l’équipe qui agit ne peut comporter qu’un nombre limité de personnes entre lesquelles règne une certaine homogénéité, une solidarité ; elles discutent entre elles mais elles doivent être assez proches les unes des autres pour pouvoir prendre des décisions rapidement et les respecter […] C’est ainsi seulement qu’une équipe (c’est le vrai mot) chargée de la conduite quotidienne des affaires peut affirmer sa volonté, son autorité, disposer de la durée, de la stabilité. Ce qui manquait sous la III e et plus encore sous la IV e . Mais à côté de cela, il faut gouvernement n’existait plus, il était dominé, écrasé, phagocyté par le Parlement. Sous la V e , il n’y a de nouveau qu’un pouvoir : l’exécutif, le gouvernement ou plutôt le président ; l’Assemblée ne joue aucun rôle, sinon de pure figuration. On est passé d’un extrême à l’autre. Je ne pense pas qu’il soit saint et démocratique d’investir, comme aujourd’hui, de moyens aussi larges et aussi incontrôlés un seul homme et pour sept ans. Selon un juriste non suspect, le professeur Prélot, notre système « unipersonnel » concentre, monopolise le pouvoir entier au profit exclusif du président ; c’est ce que de Gaulle affirmait d’ailleurs sans ambages.[…] Un homme élu par trente millions d’électeurs est forcément très puissant : or, volontairement, on n’a prévu aucun Contrepoids, aucun partage, aucune institution de contrôle. 1

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LA REFORME DES INSTITUTIONS : CHARLES DE GAULLE ET PIERRE MENDES FRANCE, DEUX CONCEPTIONS DE LA

REPUBLIQUE.

[…] Je n’ai jamais été partisan du gouvernement d’assemblée, c’est à dire d’un gouvernement exercé par cinq ou six cent personnes. L’exécutif, l’équipe qui agit ne peut comporter qu’un nombre limité de personnes entre lesquelles règne une certaine homogénéité, une solidarité ; elles discutent entre elles mais elles doivent être assez proches les unes des autres pour pouvoir prendre des décisions rapidement et les respecter […] C’est ainsi seulement qu’une équipe (c’est le vrai mot) chargée de la conduite quotidienne des affaires peut affirmer sa volonté, son autorité, disposer de la durée, de la stabilité. Ce qui manquait sous la IIIe et plus encore sous la IVe.Mais à côté de cela, il faut une instance, l’Assemblée, fidèlement représentative des tendances qui règnent dans le pays. […]Ainsi donc, deux pouvoirs : l’exécutif (homogène) et l représentatif ou législatif (inévitablement composite), dont chacun a son indépendance et sa mission.Sous la IVe République, il n’y avait en réalité, qu’un pouvoir : l’Assemblée ; le

gouvernement n’existait plus, il était dominé, écrasé, phagocyté par le Parlement. Sous la Ve, il n’y a de nouveau qu’un pouvoir : l’exécutif, le gouvernement ou plutôt le président ; l’Assemblée ne joue aucun rôle, sinon de pure figuration. On est passé d’un extrême à l’autre.Je ne pense pas qu’il soit saint et démocratique d’investir, comme aujourd’hui, de moyens aussi larges et aussi incontrôlés un seul homme et pour sept ans. Selon un juriste non suspect, le professeur Prélot, notre système « unipersonnel » concentre, monopolise le pouvoir entier au profit exclusif du président ; c’est ce que de Gaulle affirmait d’ailleurs sans ambages.[…] Un homme élu par trente millions d’électeurs est forcément très puissant : or, volontairement, on n’a prévu aucunContrepoids, aucun partage, aucune institution de contrôle.

Pierre Mendes France, Conversations avec Jean BothorelChoisir, une certaine idée de la gauche

Fayard 1974

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Ce qui me frappe, c’est qu’en 1958 vous avez cru que de Gaulle ne resterait pas très longtemps à la tête du pays. Et vous avez continué de le croire jusqu’en 62…

Il avait été chargé par le sentiment populaire de tâches temporaires : l’Algérie, la détente intérieure, de nouvelles institutions. Habilement, il a su se faire accorder des prorogations successives, notamment par des référendums, à la veille desquels, quelle que fussent les questions posées, il les ramenait toujours à une seule : « Voulez-vous, oui ou non que je reste au pouvoir ou que je retourne à Colombey ? Dans ce dernier cas, ce sera le chaos, le malheur. » Ainsi son régime paternaliste a duré plus que je ne croyais au début.

Pierre Mendes France, Conversations avec Jean Bothorel

Choisir, une certaine idée de la gauche

Fayard 1974

Affiche socialiste en faveur du « non » au référendum de 1958 sur le projet de constitution

devant mettre en place la V° République.

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Vous avez refusé d’être candidat aux élections présidentielles de décembre 1965sollicité ?

Je ne pouvais pas en conscience, être candidat et cautionner un règle du jeu dans laquelle le président [peut] faire pendant sept ans, ou même cinq ans, pratiquement tout ce qu’il veutétrangère, économique, sociale, militaire, atomique, etc. Tout ce qu’il veut, sans avoir à rendre de comptes à qui que ce soit. Avec autour de lui, des collaborateurs choisis par lui seul, pour appliquer ses seules volontés et être, à la fin, révoqués par lui, quand ils auront cessé de lui plaire ou se seront permis d’avoir des opinions personnelles, ou simplement devront payer de leur départ les fautes ou l’usure du président.[…]

Votre analyse laisse supposer que nous ne sommes pas à l’abri d’une présidence de Gauche de style autoritaire

[…] J’ajoute, enfin, que les hommes de gauche ralliés à la Constitution ont précisé, dans leur programme, leur intention de faire coïncider les élections législatives avec les présidentielles, d’abroger le fameux article 16, d’exiger le contreseing ministériel pour les décisions du chef de l’Etat, de rendre au gouvernement davantage de droits et de liberté à l’égard du président, de mettre un terme à l’usage illégal de la procédure de révision constitutionnelle, etc.Autant d’amendements qui vont dans le bon sens. C’est dire que la gauche, même lorsqu’elle s’incline devant le système, veut le rendre plus correct, en créant un meilleur contact avec le peuple, une meilleure collaboration avec le Parlement.[…]Selon la Constitution, le gouvernement doit déterminer et diriger la politique nationale. De Gaulle a posé arbitrairement une autre règle et a frappé le gouvernement et son chef de lorsqu’il a pris le droit de les révoquer. Non seulement ce n’est pas prévu par la Constitution mais, lors des discussions de l’été 1958, de Gaulle et Debré ont affirmé qu’il ne saurait en être question. Leur comportement ultérieur a été inverse. […] L’avis du Parlement ne compte plus mais seulement l’avis du président, monarque absolu pendant sept ans.

« Françaises, Français, m’appuyant sur notre Constitution, usant du droit qu’elle me donne formellement de proposer au peuple souverain, par voie de référendum, tout projet de loi qui porte sur l’organisation des pouvoirs publics, mesurant, mieux que jamais, la responsabilité historique qui m’incombe à l’égard de la patrie, je vous demande, tout simplement, de décider que dorénavant vous élirez votre Président au suffrage universel. Si votre réponse est non, comme le voudraient tous les anciens partis afin de rétablir leur régime de malheur, ainsi que tous les factieux pour se lancer dans la subversion, ou même si la majorité des oui est faible, médiocre, aléatoire, il est bien évident que ma tâche sera terminée aussitôt et sans retour. Car pourrais-je faire, ensuite, sans la confiance chaleureuse

(…) A Matignon, où je réside, m’assaillent les questions du moment : Algérie, finances, et monnaie, action extérieure, etc. Mais, tout en prenant celles-ci en main, je dirige le travail de réforme des institutions. Sur ce sujet, dont tout dépend, j’ai depuis douze ans fixé et publié l’essentiel. Ce qui va être fait c’est, en somme, ce que l’on a appelé « la Constitution de Bayeux », parce que là, le 16 juin 1946, j’ai tracé celle qui faut à la France. Michel Debré (…) élabore le projet que l’examine à mesure avec les ministres désignés (…) Le Conseil d’Etat présente ensuite ses observations. Enfin le conseil des ministres délibère sur l’ensemble, chacun, et pour commencer le Président Coty, faisant valoir ses remarques. Le texte ainsi arrêté, va être soumis au peuple par référendum.Dans aucune de ces discussions ne se dresse d’opposition de principe contre ce que j’ai, depuis longtemps, voulu. Que désormais, le Chef de l’Etat soit réellement la tête du pouvoir, qu’il

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Affiche émise lors de lacampagne référendaire de 1962

« Françaises, Français, m’appuyant sur notre Constitution, usant du droit qu’elle me donne formellement de proposer au peuple souverain, par voie de référendum, tout projet de loi qui porte sur l’organisation des pouvoirs publics, mesurant, mieux que jamais, la responsabilité historique qui m’incombe à l’égard de la patrie, je vous demande, tout simplement, de décider que dorénavant vous élirez votre Président au suffrage universel. Si votre réponse est non, comme le voudraient tous les anciens partis afin de rétablir leur régime de malheur, ainsi que tous les factieux pour se lancer dans la subversion, ou même si la majorité des oui est faible, médiocre, aléatoire, il est bien évident que ma tâche sera terminée aussitôt et sans retour. Car pourrais-je faire, ensuite, sans la confiance chaleureuse

(…) A Matignon, où je réside, m’assaillent les questions du moment : Algérie, finances, et monnaie, action extérieure, etc. Mais, tout en prenant celles-ci en main, je dirige le travail de réforme des institutions. Sur ce sujet, dont tout dépend, j’ai depuis douze ans fixé et publié l’essentiel. Ce qui va être fait c’est, en somme, ce que l’on a appelé « la Constitution de Bayeux », parce que là, le 16 juin 1946, j’ai tracé celle qui faut à la France. Michel Debré (…) élabore le projet que l’examine à mesure avec les ministres désignés (…) Le Conseil d’Etat présente ensuite ses observations. Enfin le conseil des ministres délibère sur l’ensemble, chacun, et pour commencer le Président Coty, faisant valoir ses remarques. Le texte ainsi arrêté, va être soumis au peuple par référendum.Dans aucune de ces discussions ne se dresse d’opposition de principe contre ce que j’ai, depuis longtemps, voulu. Que désormais, le Chef de l’Etat soit réellement la tête du pouvoir, qu’il

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Comment se passe concrètement la fin du régime de la IVe République ?

La crise se déroule en plusieurs étapes. Le 8 mai 1958, Pierre Pflimlin est nommé président du conseil. Or, il a dit qu’il souhaitait négocier avec le FLN. Le même jour, le mouvement nationaliste algérien annonce l’exécution de trois soldats français. Le représentant du gouvernement français en Algérie, Robert Lacoste, est convoqué à Paris. A Alger, l’armée reste donc la seule autorité en place. Vient alors la journée très importante du 13 mai 1958. Ce jour-là, une grande manifestation des Européens d’Algérie se déroule dans la ville, avec le soutien des officiers français. La foule envahit l’immeuble du Gouvernement général, symbole de la présence française en Algérie. La situation échappe complètement au gouvernement qui est trop faible pour réagir. Le lendemain, le général Salan appelle au retour au pouvoir du général de Gaulle.

Pourquoi de Gaulle ?Le général de Gaulle est l’homme qui a refusé la défaite de la France face à l’Allemagne nazie en 1940. Réfugié à Londres pendant la guerre, il a mené de l’extérieur le combat pour libérer le pays. Après la chute du régime de Vichy et le rétablissement de la République, il s’est éloigné de la vie politique française. Mais son action pendant la guerre lui donne en quelque sorte une image de sauveur. Pour beaucoup il est le seul homme à pouvoir en finir avec la guerre d’Algérie.Le 15 mai 1958, il se dit « prêt à assumer les pouvoirs de la République ». Certains redoutent qu’il prenne le pouvoir par la force. Il répond qu’il n’a pas l’intention, à l’âge de 67 ans, « de commencer une carrière de dictateur ». Il est nommé président du conseil 15 jours plus tard. […]

C’est donc la guerre d’Algérie qui a entrainé la mort de la IVe République et la naissance de la Ve République ?

Oui, c’est certain. En France, les changements de régimes interviennent d’ailleurs toujours à la suite de grands bouleversements politiques ou militaires. Pour ce qui est de la Ve République, elle voit le jour à la faveur du retour au pouvoir du général de Gaulle, conséquence de la guerre d’Algérie. De Gaulle présente une nouvelle Constitution […] qui est approuvée par un référendum en septembre 1958. Les Français de métropole mais aussi les Européens et les musulmans d’Algérie participent à ce vote. A la fin de l’année, de Gaulle est élu président de la République.

Benjamin Stora, la guerre d’Algérie expliquée à tous, Seuil mars 2012

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Charles de GaulleDiscours de Bayeux

16 juin 1946 (extraits)

Après l'Appel du 18 juin 1940, le discours du 16 juin 1946 est l'un des plus importants discours du général de Gaulle. Le lieu et le moment sont également symboliques. Bayeux est la première ville libérée par les alliés, celle que visita aussitôt le Général, celle dont l'accueil enthousiaste confirma la légitimité de son combat et de son gouvernement et dissuada les États-Unis de placer la France sous leur administration (l'AMGOT), ainsi qu'ils l'avaient prévu. Pour le second anniversaire de la libération de la ville, De gaulle choisit Bayeux pour faire sa rentrée politique. De Gaulle a gardé le silence depuis sa démission de la présidence du gouvernement, le 20 janvier précédent. Le projet élaboré par la première Constituante a été rejeté par le peuple français le 5 mai. La France se trouve sans gouvernement : Félix Gouin a démissionné à son tour. Une seconde Constituante va se réunir. C'est le moment que choisit de Gaulle, espérant influencer ses travaux, pour exposer ses idées constitutionnelles - jusque-là assez imprécises - dans un discours de référence. Sur le moment, il n'est pas entendu.

[…]Au cours d'une période de temps qui ne dépasse pas deux fois la vie d'un homme, la France fut envahie sept fois et a pratiqué treize régimes, car tout se tient dans les malheurs d'un peuple. Tant de secousses ont accumulé dans notre vie publique des poisons dont s'intoxique notre vieille propension gauloise aux divisions et aux querelles. Les épreuves inouïes que nous venons de traverser n'ont fait, naturellement, qu'aggraver cet état de choses. La situation actuelle du monde où, derrière des idéologies opposées, se confrontent des Puissances entre lesquelles nous sommes placés, ne laisse pas d'introduire dans nos luttes politiques un facteur de trouble passionné. Bref, la rivalité des partis revêt chez nous un caractère fondamental, qui met toujours tout en question et sous lequel s'estompent trop souvent les intérêts supérieurs du pays. Il y a là un fait patent, qui tient au tempérament national, aux péripéties de l'Histoire et aux ébranlements du présent, mais dont il est indispensable à l'avenir du pays et de la démocratie que nos institutions tiennent compte et se gardent, afin de préserver le crédit des lois, la cohésion des gouvernements, l'efficience des administrations, le prestige et l'autorité de l'État.[…]

C'est donc du chef de l'État, placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement mais beaucoup plus large et composé de manière à faire de lui le président de l'Union française en même temps que celui de la République, que doit procéder le pouvoir exécutif. Au chef de l'État la charge d'accorder l'intérêt général quant au choix des hommes avec l'orientation qui se dégage du Parlement. À lui la mission de nommer les ministres et, d'abord, bien entendu, le Premier, qui devra diriger la politique et le travail du Gouvernement. Au chef de l'État la fonction de promulguer les lois et de prendre les décrets, car c'est envers l'État tout entier que ceux-ci et celles-là engagent les citoyens. À lui la tâche de présider les Conseils du Gouvernement et d'y exercer cette influence de la continuité dont une nation ne se passe pas. À lui l'attribution de servir d'arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit, dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine. À lui, s'il devait arriver que la patrie fût en péril, le devoir d'être le garant de l'indépendance nationale et des traités conclus par la France.[…]

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