« L'État de Tous Les Spectateurs »

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14/02/13 « L'État de tous les spectateurs » cm.revues.org/1168 1/31 Conserveries mémorielles Revue transdisciplinaire de jeunes chercheurs # 12 | 2012 : Publics de cinéma. Pour une histoire des pratiques sociales 2- Les temps changent, les publics et leurs pratiques aussi « L'État de tous les spectateurs » Penser les publics dans les réformes khrouchtchéviennes de l’exploitation cinématographique soviétique (1953-1968) “The State of all spectators” Thinking up the publics in the Khrushchev reforms of Soviet film distribution (1953-1968) IRINA TCHERNEVA Résumés Au début des années 1950, le monde du cinéma est un des domaines où se déploient les projets réformateurs du gouvernement soviétique : développement économique de la production et de la distribution; modernisation et remise à niveau des conditions de projection. La formule n'est plus tabou, l'administration cinématographique l'affirme publiquement : « Le cinéma est aussi un commerce ». Les mesures réformatrices se voient ainsi justifiées par la dénonciation, par les spectateurs, de l'inefficacité esthétique et économique du cinéma de la fin de l'époque stalinienne. Les plans financiers des salles de cinéma étant fondés sur un nombre absolu de spectateurs et de séances organisées, l'administration cherche à définir la figure du spectateur soviétique au regard des publics occidentaux. Les méthodes de mobilisation des spectateurs, qui datent des années 1920, sont également reprises afin d'identifier la demande. La tentative de rétablir un lien entre la diffusion et la production révèle une mauvaise connaissance des préférences des spectateurs, des résistances structurelles de l'institution cinématographique, et la persistance des valeurs quant au rôle social qu'est censé jouer le cinéma en URSS. “The State of all spectators” Thinking up the publics in the Khrushchev reforms of Soviet film distribution (1953-1968) In the beginning of the 1950s, the cinema is one of the spheres where the Soviet government undertakes reform projects: an economic development of production and distribution systems, but also a modernization of equipment and the levelling of the conditions of projection. The definition is not taboo any more, Soviet administration claims it in public: “The cinema is also a trade sphere”. The authorities justify these new political axes by spectators’ denunciation of the

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Artigo sobre memória e cinema

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  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 1/31

    ConserveriesmmoriellesRevue transdisciplinaire de jeunes chercheurs

    # 12 | 2012 :Publics de cinma. Pour une histoire des pratiques sociales2- Les temps changent, les publics et leurs pratiques aussi

    L'tat de tous lesspectateurs Penser les publics dans les rformes khrouchtchviennes

    de lexploitation cinmatographique sovitique (1953-1968)

    The State of all spectators Thinking up the publics in the Khrushchev reforms of Soviet film distribution

    (1953-1968)

    IRINA TCHERNEVA

    Rsums

    Au dbut des annes 1 950, le monde du cinma est un des domaines o se dploientles projets rformateurs du gouv ernement sov itique : dv eloppement conomiquede la production et de la distribution; modernisation et remise niv eau desconditions de projection. La formule n'est plus tabou, l'administrationcinmatographique l'affirme publiquement : Le cinma est aussi un commerce .Les mesures rformatrices se v oient ainsi justifies par la dnonciation, par lesspectateurs, de l'inefficacit esthtique et conomique du cinma de la fin del'poque stalinienne. Les plans financiers des salles de cinma tant fonds sur unnombre absolu de spectateurs et de sances organises, l'administration cherche dfinir la figure du spectateur sov itique au regard des publics occidentaux. Lesmthodes de mobilisation des spectateurs, qui datent des annes 1 920, sontgalement reprises afin d'identifier la demande. La tentativ e de rtablir un lienentre la diffusion et la production rv le une mauv aise connaissance desprfrences des spectateurs, des rsistances structurelles de l'institutioncinmatographique, et la persistance des v aleurs quant au rle social qu'est censjouer le cinma en URSS.

    The State of all spectators Thinking up the publics in the Khrushchev reforms of

    Soviet film distribution (1953-1968)In the beginning of the 1 950s, the cinema is one of the spheres where the Sov ietgov ernment undertakes reform projects: an economic dev elopment of productionand distribution sy stems, but also a modernization of equipment and the lev ellingof the conditions of projection. The definition is not taboo any more, Sov ietadministration claims it in public: The cinema is also a trade sphere. Theauthorities justify these new political axes by spectators denunciation of the

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    cm.revues.org/1168 2/31

    aesthetic and economic ineffectiv eness of the Sov iet cinema of the late Stalinistperiod. The mov ie theatres and the studios financial plans are based on theabsolute number of spectators and screenings. So they try to redefine the figure ofthe Sov iet spectator in comparison with Western cinema public. The methods ofmobilization of the spectators, dated from the 1 920s, are also rev iv ed to identify thepublic needs. The attempt to establish a form of dependence between distributionand production rev eals a poor acquaintance of spectators tastes, the structuralresistance of the cinema institution and the permanence of the v alues applied tosocial role of sov iet cinema.

    Entres d'index

    Mots-cls : serv ice cinmatographique, consommateur, v isionnement public,

    commande sociale et commande d'tat.

    Keywords : cinema serv ices, consumer, public prev iew, state and public

    commission

    Gographie : Russie, Lettonie, URSS

    Index chronologique : 1 953-1 968

    Texte intgral

    Introduction : La notion de public au regard du contextesovitique

    Le spectateur passe le seuil du cinma. Il espre utiliser le reste detemps libre couter un bon concert, regarder une exposition sur lecinma sov itique, lire un rcent numro de journal. Mais cesespoirs restent v ains. [...] Les panneaux d'exposition ne sont pasrenouv els depuis des mois. Le seul div ertissement accessible est lebar, o lon v end joy eusement de la bire et des sandwichs desschs.[...] Les confrenciers, spcialistes des relations internationales, lesemploy s des studios de cinma et des comdiens interv enaientauparav ant. Mais depuis, on ne sait pourquoi, quelqu'un a dcid que

    Au dbut des annes 1950, le dy sfonctionnement du sy stme conomique

    et les carences de la production, en grande partie hrits de la Seconde Guerre

    mondiale, doivent tre remis plat. Les distributeurs de films envisagent ces

    problmes structurels en rfrence au spectateur et ses intrts2. Celui-ci

    jugerait les films ennuy eux , stroty ps et dats. En se prvalant du

    got de ce spectateur imaginaire, les responsables dnoncent l'inefficacit

    conomique de l'institution : les spectateurs ne sont pas incits aller au

    cinma et ne connaissent pas les films sov itiques. De nombreux rapports le

    signalent : Cette anne encore, dans un bourg N, le spectateur tait en

    nombre insuffisant [nedobor zritelia]. Celui-ci apparat alors comme un

    indice statistique du bon fonctionnement des salles ou du succs d'un film. Au

    sein de ce discours, on ne repre point de spectateurs d'origine proltarienne,

    destinataires priv ilgis dans les annes 1920 de l'ducation par le cinma. Au

    dbut des annes 1950, l'tat cherche fournir un serv ice une figure

    rifie de la communaut des spectateurs sov itiques. Ce spectateur

    hy pothtique est cens v isionner des films de fiction divertissants, en mme

    temps que des productions industrielles ducatives et des actualits. La salle

    idale est vue comme un espace de loisirs et d'information :

    1

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    cm.revues.org/1168 3/31

    les confrences et les dbats faisaient de mauv aises affaires3.

    Ill. 1 : Dans la salle de lecture du cinma Oudarnik , 1952.

    Archives des documents photos et vidos de Moscou, Fonds personnel de Korolev

    J.D, # 0-1248214.

    Cette apprciation est prsente dans la presse comme la lettre

    dun spectateur anony me5 indign par les consquences de

    lintensification de lexploitation des salles de cinma.

    2

    Ds 1953, ladministration cinmatographique se pose pour

    objectif de crer un espace public qui fournirait un serv ice de

    qualit gale sur tout le te rritoire de lURSS. Il s'agit d'accrotre

    l'ampleur et la densit numrique des salles de cinma, afin de

    couvrir l'ensemble du pay s par la distribution des films6.

    3

    La notion de cinfication , qui trouve ses origines dans les

    premires annes du rgime sov itique, renvoie une v ision des

    spectateurs de cinma compris comme l'ensemble des

    travailleurs, tudiants et employ s. Il convient l'poque de

    rompre avec une v ision du public de cinma comme

    principalement constitu de petits bourgeois surv ivants et de

    nouveaux riches et de dfendre l'ide qu'un film novateur et

    captivant est capable d'attirer les spectateurs de toute origine

    sociale. Cette v ision gnrale des pratiques de la frquentation et,

    en consquence, de la production des films est le fondement de la

    politique mene depuis le dbut des annes 1930. La prise de

    conscience dune fragmentation des publics ainsi que dune forte

    disparit de linfrastructure de diffusion sous-entend dabord que

    le projet politique initial a t perverti durant la priode

    stalinienne. En revanche, depuis la fin des annes 1950, lide de

    diversification intrinsque des publics de cinma simpose dans

    les discours. Les cinastes et les rseaux de distribution

    entreprennent des tentatives de les rejoindre, sans toutefois

    quils soient en capacit den identifier les identits ni les limites.

    4

    La priode du Dgel apparat donc comme un terrain pertinent

    pour questionner la notion de public dans la mesure o se

    dploient conjointement une valuation des rformes

    conomiques et une dy namique de rappropriation du discours

    politique pr-stalinien. La figure monolithique du spectateur

    laquelle se rfrent les autorits politiques et l'administration du

    5

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    cm.revues.org/1168 4/31

    Construction discursive de lafigure du spectateur

    Au dpart...

    cinma en l'URSS, mais aussi les crateurs de films, laisse dans

    l'ombre une fragmentation structurelle des espaces de

    projection. Ceux-ci, leur tour, contribuent faonner divers

    modes de rception du cinma. L'apprhension du spectateur

    par les diffrents acteurs (cinastes, structures de production,

    rseaux de distribution, sy ndicats) s'en trouve alors dplace

    dans les limites qu'autorisent les rapports de dpendance entre

    les institutions. Les changements sensibles ne sont pas seulement

    affaire de langage, mais renvoient une srie de figures du

    public de cinma qui apparaissent au gr de l'analy se des

    archives rendant compte des outils d'valuation de l'activ it

    cinmatographique7 . Il sagira de donner voir ici la circulation

    et le renouvellement de cette production discursive. Je

    m'appliquerai aussi esquisser quelques pistes d'analy se de

    l'ajustement de la conception du spectateur-citoy en sov itique

    aux injonctions conomiques la participation l'valuation des

    films, voire leur production.

    Parler du public ou des publics de cinma en URSS ne

    suppose donc pas d'interroger l'efficacit de la propagande

    politique, ni dans une perspective adornienne, d'env isager

    l'ventuelle intentionnalit des spectateurs intentionnalit qui

    serait fondamentale dans l'affirmation de leur identit collective

    (DAYAN, 2000, p. 432-434). Il convient en revanche de rinscrire

    ce terme dans la longue dure de la configuration prcise des

    structures qui rgissent la production et la diffusion du cinma en

    URSS. Qu'entend-on en effet par le public sov itique ou

    encore par le public du cinma sov itique ? Pourquoi en

    parle-t-on au singulier, et qui en parle ainsi ? Comment expliquer

    les nuances qui s'expriment travers ces diffrentes figures

    du spectateur ? Les manires d'interprter la situation de

    projection lumineuse en termes de constitution d'une identit

    commune sociale et p olitique impliquent une attention

    particulire aux formes que revtent la production des images et

    leur distribution. Les conditions pratiques de projection, tout

    comme lvolution des structures professionnelles et

    administratives, permettent de mieux comprendre ce que le

    spectateur sov itique doit ses multiples figures qui

    s'expriment diffrents niveaux des processus de production et

    de diffusion. Je n'essaierai donc pas de reconstruire les limites, ni

    les identits des publics sov itiques, mais je m'attellerai

    analy ser ces diverses figures que dessinent les acteurs de la

    sphre cinmatographique et les rles qu'ils leur attribuent.

    6

    la mort de Staline, les statistiques sur les spectateurs, les

    conditions et les lieux de projection sont parfaitement

    7

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    cm.revues.org/1168 5/31

    Ill. 2 : Photo panoramique Prs du cinma Oudarnik au moment dela diffusion du film Chute de Berlin , janvier 1950.

    inconnues. Une large collecte de donnes est entreprise alors

    dans toutes les rpubliques sov itiques. Le taux de frquentation

    se rvle extrmement bas8, ce qui explique pour les

    responsables de la diffusion, la faible popularit des films

    sovitiques9. Les carences sont v isibles surtout dans les

    nouvelles rpubliques, dont la population est hostile la

    sov itisation1 0. Une image dplorable de l'tat de la diffusion

    cinmatographique et de la frquentation se dessine travers de

    nombreux rapports administratifs. Le gouvernement v ise alors

    largir le programme de cinfication complte des territoires

    de l'URSS et engager la modernisation des techniques de

    projection. Le spectateur apparat dans cette documentation

    comme une mesure statistique de l'efficacit conomique de la

    distribution, mais c'est travers cet indice que les problmes du

    serv ice cinmatographique en gnral sont poss.

    En 1953, 23,5 % des bourgs et des v illages de la Rpublique

    sovitique de Russie ne possdent pas d'espaces appropris aux

    projections, les anciennes salles tant utilises comme des lieux

    de stockage de la rcolte. Les projectionnistes organisent

    souvent des sances en plein air et chez des particuliers. Les

    directeurs des kolkhozes refusent d'accueillir les

    projectionnistes, et les habitants sont amens les loger et les

    nourrir. Le caractre vtuste des locaux et l'absence de siges

    obligent les spectateurs apporter leurs propres chaises. La

    diffusion est aussi inefficace conomiquement : souvent les

    projections sont gratuites ou les maigres recettes sont

    distribues entre les projectionnistes et les responsables

    locaux 1 1 . Ay ant pos l'objectif d'largir gographiquement l'accs

    au cinma ds 1953, le gouvernement a continu s'appuy er sur

    les projecteurs ambulants qui avaient jusque-l aliment le

    rseau de distribution1 2. Les projecteurs de qualit trs ingale et

    les crans aux capacits de rflexion variables ne permettent pas

    d'avoir les mmes conditions sonores et v isuelles. Les copies sont

    tellement abmes que les films donnent l'impression d'tre

    muets et aveugles , selon la formule d'un des responsables de

    l'exploitation cinmatographique1 3. Il rapporte notamment que

    le son est si indiscernable que les spectateurs ne peuvent pas

    comprendre les dialogues et sont obligs de dduire le sens des

    phrases du mouvement des lvres et de la mimique des acteurs.

    Heureusement, ajoute-t-il, chaque spectateur voit le mme film

    3 ou 4 fois et comprend au fur et mesure la trame de l'histoire .

    Cette dernire remarque est rvlatrice du nombre de films

    distribus, ce qui amne les spectateurs dserter les salles. Le

    contrle de la circulation des films est trs difficile cause de

    l'existence d'une multitude d'organisations indpendantes les

    unes v is--v is des autres qui assurent la distribution. Vu le

    nombre restreint de films et l'absence totale d'information ou de

    publicit, la mobilisation des spectateurs se fait de manire trs

    irrgulire.

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  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 6/31

    Archives des documents photos et vidos de Moscou, Fonds personnel de Korolev

    J.D., # 0-30659.

    Cette image dsolante de la diffusion cinmatographique,

    esquisse dans les rapports qui s'appuient sur des donnes

    disparates, montre un contexte de diffusion o l'introduction des

    films dans les zones rurales se fait de manire alatoire et le plus

    souvent avec le concours des habitants. Les populations rurales

    se trouvent ainsi l'cart d'un grand pan de production

    cinmatographique et regardent des films en version modifie

    (films en couleurs diffuss en noir et blanc) ou dans des

    conditions techniques mdiocres1 4. Le cinma, produit Moscou

    et Leningrad, est, au pire, inexistant et, au mieux, interprt

    d'une manire dforme dans les rpubliques sov itiques en

    fonction des spcificits locales. Le peu de films sov itiques crs

    sont noy s dans la masse de films de trophe diffuss (des

    films trangers rcuprs en Allemagne comme un trophe de

    guerre). Les publics n'ont pas accs la mme production du

    cinma : dans des rgions loignes les actualits arrivent en

    retard, ou n'arrivent pas du tout ; certains formats ne peuvent

    pas tre projets cause de l'absence du matriel de projection

    convenable. Et la structuration mme des zones rurales rend

    caduque la v ision centralisatrice de la diffusion : les fermes

    historiquement trs loignes les unes des autres, proches du

    modle du mas [khoutor] dans les rpubliques baltes, ou encore

    les habitations prov isoires des peuples du Grand Nord, laissent

    leurs habitants l'cart du cinma sov itique1 5.

    9

    Hormis l'intrt port de manire priv ilgie la

    cinfication des campagnes, l'tat de la distribution

    cinmatographique dans les v illes est galement abord. On

    apprend ainsi que les spectateurs des v illes sont, pour leur part,

    frapps par les mauvaises conditions de v isionnement et surtout

    par le manque de places. Leur nombre extrmement restreint

    cre depuis longtemps des situations amenant les spectateurs

    se battre pour acheter les tickets, ou se plier aux exigences des

    spculateurs qui les revendent plus cher. Certains articles

    signalent les stratgies de dtournement de ce problme,

    notamment par la cration de micro-espaces de projection,

    rservs aux cercles des convertis 1 6. Pour Mikhal Romm,

    clbre cinaste ay ant commenc sa carrire au dbut des

    annes 1930, les cinmas nains (de 200-250 places) crent

    les mmes conditions dplorables pour les spectateurs et ne sont

    pas rentables pour l'tat. L aussi le spectateur s'impose dans

    les dbats : les cinastes et les professionnels du secteur de la

    diffusion se rfrent ses volonts, ses prfrences et clament la

    ncessit d'uvrer son confort. Sous le poids des problmes

    10

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 7/31

    Ill. 3 : Salle de projection du cinma Oudarnik , 1952

    Archives des documents photos et vidos de Moscou, Fonds personnel de Korolev

    J.D., # 0-124822

    Extension du servicecinmatographique, quel prix ?

    conomiques v isibles dans leur interdpendance, le ministre

    conclut que lintgralit du sy stme n'est pas rentable et, pire

    encore, dficitaire. Le rseau d'exploitants est d'autant plus

    insuffisant, que l'on prvoit l'accroissement du nombre de

    spectateurs grce au passage envisag la journe de travail de

    6-7 heures et l'augmentation des revenus des travailleurs. La

    comparaison montre que la jauge des salles de cinma est trs

    faible en URSS : En moy enne, 1 000 spectateurs sov itiques ont

    leur disposition de dix-huit v ingt places de cinma alors qu'

    l'tranger au mme nombre de spectateurs correspondent

    soixante quatre-v ingt places1 7 . Conformment la v ision

    modernise du spectacle cinmatographique, le gouvernement

    envisage d'augmenter le nombre de places par salle jusqu'

    atteindre les normes europennes, savoir 450 1000 places.

    Les salles dcran large, c'est--dire dotes d'cran de 80 120

    mtres carrs, doivent tre construits pour satisfaire les

    besoins des spectateurs et rinventer le spectacle

    cinmatographique1 8. Or, pour l'instant il n'y en a que deux cents

    dans toute l'URSS.

    Le Ministre de la culture, Gosplan et le Ministre du contrle

    d'tat manifestent une volont politique de crer un serv ice

    cinmatographique moderne, uniforme et accessible tous les

    citoy ens. Contraints par le manque de financement, ils

    choisissent de miser sur l'intensification de l'exploitation des

    salles existantes et largissent l'activ it de projection,

    notamment en intgrant les salles des sy ndicats d'entreprises.

    11

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 8/31

    Le club [sy ndical] Konev possde un matriel et lesmeubles en parfait tat et doit raliser, selon le Plan, lechiffre d'affaire de 1 00 000 roubles par an. ct setrouv e un cinma d'tat av ec 250 places et l'obligationd'av oir un chiffre d'affaire de 1 30 000 roubles. [...]Nous sommes en train de perv ertir ce projet de transfertet de fait nous nous illusionnons ! [] Ils [les employ sdu rseau sy ndical] affichent des objectifs idologiques,mais en ralit ne font que projeter des films etfournissent d'autres serv ices [pay ants]22.

    Dsormais le rseau d'tat et le rseau sy ndical sont appeles

    accomplir ensemble les objectifs du Plan, savoir l'augmentation

    constante du nombre de sances et de spectateurs, ainsi que du

    chiffre d'affaire annuel, le tout en rnovant l'quipement des

    salles. Les serv ices culturels et sportifs font dj partie des

    fonctions des sy ndicats (DEPRETTO, 2000 ; MOINE, 2000). Le

    sy ndicat se charge de faire connatre les objectifs du Plan

    chaque travailleur, mais il doit galement lui fournir des

    conditions de travail et de v ie satisfaisantes : logement,

    ducation, divertissement, serv ices mdicaux, etc.1 9

    Progressivement un rseau organis principalement autour de la

    production et de la diffusion des films d'entreprise s'octroie de

    nouvelles missions pour pallier aux dy sfonctionnements des

    salles d'tat.

    Tout en accordant progressivement aux sy ndicats et aux

    entreprises agricoles le droit d'organiser les projections avec la

    vente des billets, le gouvernement et le Parti Communiste de

    l'Union Sovitique exigent que les ty pes de films projets soient

    mis en lien avec les caractristiques locales. Les kolkhozes et les

    sovkhozes sont incits construire leur frais les salles de

    cinma et organiser les projections portant sur lagriculture :

    les nouvelles mthodes de l'exploitation, la mcanisation, la

    culture du mas20. Les salles sy ndicales, installes dans les clubs

    de culture et dans les bibliothques, se voient ainsi confier une

    tche d'ducation civ ique. Mais, en inv itant les entreprises et

    leurs sy ndicats contribuer la distribution cinmatographique,

    les responsables politiques ne font que reprendre et gnraliser

    le sy stme de diffusion des films qui existait dj paralllement

    l'exploitation d'tat. Au lieu de penser un espace proprement

    public, les autorits politiques reportent les tches civ iques aux

    espaces que l'on pourrait qualifier de privs .

    12

    La fragmentation des tches conomiques entre diverses

    administrations et une libralisation de la diffusion des films

    contribuent creuser les ingalits dans l'accs aux films.

    Certains responsables locaux ngligent dlibrment l'activ it de

    diffusion cinmatographique, considre comme un loisir

    superflu21 . D'autres ne sont pas en capacit de l'assurer

    financirement. Les troisimes s'efforcent de mener une activ it

    rentable. En accdant en 1954 la gestion exclusive des maisons

    de la culture et des clubs, la Centrale pan-sov itique des

    sy ndicats [VCSPS] dveloppe une importante infrastructure

    d'animation culturelle, ce qui cre une situation de concurrence

    entre le rseau sy ndical et celui de ltat :

    13

    L'ancrage territorial des entreprises et, par14

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 9/31

    consquent, des salles sy ndicales, cre une

    configuration o celles-ci dtiennent, dans certaines

    rgions industrielles, des monopoles de

    diffusion . Les sy ndicats doivent atteindre des

    objectifs difficilement conciliables : organiser les

    projections pay antes afin de raliser les objectifs du

    Plan (qui sont toutefois moins levs que ceux des

    salles d'tat) et satisfaire en mme temps lex igence

    d'ducation. Selon laffirmation de la responsable de

    la VCSPS, la dcision de projeter les Nuits de Cabiria

    [film de fiction de Federico Fellini sorti en 1957 ]

    n'est pas le rsultat d'une volont particulire de le

    projeter aux ouvriers, mais plutt une consquence

    de la non-ralisation des indices du Plan ! 23. Cette

    confusion participe la transformation de la nature

    mme de la diffusion. A la fin des annes 1950 les

    tensions entre ces deux sy stmes de diffusion

    dnotent une forme de concurrence entre eux. La

    VCSPS, se prvalant de cette configuration

    globalement positive pour les sy ndicats, met en

    avant le nombre de spectateurs serv is et, tout en

    accordant que la diffusion a exclu toute autre forme

    d'ducation civ ique, suggre qu'il faudrait accorder

    le droit de projection des nouveaux films aux

    salles qui servent plus de spectateurs et les servent

    de la meilleure manire 24. Les sy ndicats semblent

    s'aligner progressivement aux gots de spectateurs

    et recourent la rhtorique des directeurs des salles

    d'tat. Ils oscillent rgulirement entre les notions

    de commerce et de serv ice cinmatographique.

    Comment attirer le spectateur et raliser le Plan,

    tout en v itant de tomber dans le mauvais

    commerce ce qui amne minorer lducation du

    public et lex igence de qualit des conditions de la

    projection ?

    Au sein du sy stme tatique de diffusion,

    l'oscillation de la conception du cinma entre

    commerce et ducation, serv ice national et action

    de diffusion autonome est manifeste. Il est dcid,

    par exemple, de valoriser la proximit du

    projectionniste par rapport aux spectateurs dans les

    zones rurales. Former les projectionnistes d'un

    village donn pour les envoy er sur place ou mettre

    en valeur et diffuser le modle bnvole de son

    activ it qualifie d' ducative ? Le ministre de la

    culture opte pour la deuxime solution moins

    coteuse et plus habituelle, dans la mesure o le

    travail bnvole d'oprateur projectionniste

    permettait auparavant de compenser la dfaillance

    chronique de la distribution25. Des brochures

    spciales comportent ds lors des mini-biographies

    de projectionnistes exemplaires26. Ces essais semi-

    fictionnels , selon les termes des responsables de

    ladministration de cinma, doivent inciter les futurs

    15

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 10/31

    projectionnistes mener la cause ducative, o les

    liens interpersonnels sont mis profit pour la

    constitution du public de cinma. Ces

    projectionnistes feraient venir les spectateurs dans

    les salles et contribueraient la propagande du

    cinma ducatif et documentaire. La communaut

    v illageoise serait ainsi runie autour de quelques

    indiv idus qui constitueraient savamment les

    programmes et seraient mme d'orienter la

    discussion27 . Les projectionnistes se voient confier

    le rle de reprsentant de la structure centrale de

    diffusion. Placs sous le rgime de d'autosuffisance

    financire et de rentabilit, les projectionnistes

    passent une grande partie de leur temps

    chercher le spectateur . Ils sont obligs de

    ngocier avec les autorits locales les lieux de

    projection et prfrent les localits plus faciles

    d'accs ou celles dont la population est plus aise.

    Un double mouvement s'opre ainsi : la diffusion

    fonde sur les liens de proximit est stabilise et

    lgitime comme une forme d'action publique.

    De manire gnrale, les directeurs des salles de

    cinma mnent une politique de programmation au

    coup par coup. chaque sance la salle doit tre

    remplie presque 100 % pour que les objectifs du

    Plan soient accomplis. Si la frquentation baisse,

    mme jusqu' 80 %, le film est immdiatement

    retir28. Un nouveau film n'est projet en moy enne

    que un deux jours dans tous les cinmas de la

    v ille29. Privs de possibilit de s'appuy er sur des

    informations accessibles pour valuer le film, les

    potentiels spectateurs se dplacent massivement

    sans pouvoir accorder cette pratique avec leurs

    exigences esthtiques et thmatiques, ni

    simplement avec leur humeur du moment (n'ay ant

    pas le choix entre les films, ils ne possdent en

    mme temps que de quelques jours pour voir le seul

    projet en salle). Les fluctuations des publics en

    fonction des temporalits de projection sont de

    premire importance pour toute la filire

    cinmatographique d'tat. Ds lors, la conception

    du public dev ient l'enjeu central. Pour les

    distributeurs et les exploitants, il s'agit de perdre le

    moins de fonds possible. Les cinastes regrettent le

    manque de v isibilit de leur travail en raison de

    l'absence de la publicit et d'une diffusion trop brve

    de leurs films. Les documentaristes, dont le cinma

    est de plus en plus inv isible, peuvent craindre pour

    la prennit de leurs postes. Les ministres de la

    culture (central et rpublicains) doivent assurer la

    ralisation des objectifs des plans financiers, se

    prmunir des critiques les accusant de ne pas

    prendre en compte les aspects culturels et ducatifs

    du cinma qui glissent vers les logiques de

    16

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 11/31

    Rpercussions sur lacration des films

    Spectateur ? Connais pas

    rentabilit , et doivent tenir le bon fonctionnement

    (tant du point de vue des ressources matrielles que

    humaines) de toutes les entreprises du cinma.

    La presse relay e les critiques et les souhaits des

    spectateurs. De multiples prfrences mergent

    alors au risque de laisser dans l'ombre la figure

    rifie du spectateur. Le mensuel Iskusstvo kino

    publie rgulirement ces lettres : l'une considre

    que les personnages d'un film sont simplifis en

    comparaison avec ceux du roman pony me ; l'autre

    souhaite voir plus de films touristiques ; la troisime

    propose de construire une salle rserve la

    projection des films consacrs l'art30. La manire

    dont les lettres en question sont prsentes incite

    les percevoir la fois comme des critiques et des

    petites commandes prives. Les rflexions de cet

    ordre se multiplient : Qui est le futur spectateur de

    mon film ? Qui est cet homme rel qui prendra peut-

    tre sa place dans la salle pour trois-quatre roubles.

    Le scnariste et le ralisateur ne se proccupent pas

    de rpondre cette question31 . Toutefois, un

    travail de prospection sur les prfrences

    spectatorielles saurait-il en mesure de donner

    quelques orientations pour la production ? Un ajout

    de points de vue indiv iduels, aboutirait-il une

    image d'ensemble ? L'cart entre les projets des

    cinastes et les attentes des spectateurs est

    permanent, ce que dmontre entre autres l'article

    Si on regarde tout ce qui passe de Jurij

    Khaniutin32, critique du cinma. Il rapporte ses

    observations sur les projections dans une petite

    salle Moscou durant un mois et dresse une image

    du quotidien de la distribution. En mettant en

    lumire la prpondrance des genres lgers, comme

    les comdies et les films policiers, et en critiquant

    particulirement leurs versions sov itiques, il v ise

    branler l'appellation traditionnelle d art qui

    masque la diversit des films produits en URSS. Le

    caractre acadmique et l'immensit des objectifs

    politiques de celui-ci doivent tre pour le moins

    nuancs. Le sy stme de production se dveloppe en

    effet selon les logiques internes au corps

    professionnel du cinma, en construction cette

    poque, et semble difficilement s'adapter aux

    17

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 12/31

    attentes des publics dont il a une v ision

    extrmement floue.

    Les mesures lgislatives entreprises cette

    poque en matire de cinma affichent une volont

    d'tablir un lien plus fort entre la diffusion et la

    production. Dans un premier temps, l'largissement

    du rseau de distribution et l'intensification de son

    exploitation psent sur les studios, obligs de

    produire un nombre exponentiel de films. Puis, afin

    d'orienter et de rationaliser la production, des

    mcanismes d'valuation de la rentabilit des films

    sont introduits. partir de 1961, au niveau des

    studios et des ministres rpublicains et fdraux de

    la culture sont cres des commissions pour

    attribuer des catgories (quatre en tout) au film. Le

    classement doit tre dtermin par le succs ou

    l'chec du film en diffusion. Prcdemment, le

    rseau de distribution achetait des films aux studios

    prix cotant et versait 5 % de la facture au fonds

    financier du studio. La distribution prenait donc la

    majorit de risques de l'exploitation des films.

    partir de 1961, le studio est galement pnalis

    financirement si son film ne recueille pas assez de

    fonds. Si le film est class dans les catgories

    suprieures, ses frais de production lui sont

    rembourss et ralise un bnfice hauteur de 5

    15 % du cot de production. En revanche, si le film

    se voit attribu la dernire catgorie, le studio ne

    touche qu'une somme minimale. Dans le cas o le

    cot rel de la production du film est suprieur au

    devis ce qui est gnralement le cas le studio

    produit perte.

    18

    Les distributeurs souhaiteraient que la

    dpendance de la production v is--v is de la

    distribution soit dploy e plus largement : Pour

    conomiser ou en tout cas utiliser rationnellement

    les moy ens de la distribution, il faut tre plus

    exigeants au moment de l'achat des films. En effet,

    pourquoi acheter, imprimer et sortir sur les crans

    de toute l'Union sov itique les films que le peuple ne

    veut pas regarder ?33 . Ce point de vue,

    relativement rpandu dans les milieux de la

    distribution et de l'e xploitation du cinma, branle

    la production sov itique, dvalorise cause de sa

    mauvaise qualit technique et de la fadeur de ses

    rcits. Cette tendance est dangereusement amplifie

    par l'importation croissante des films34.

    L'instauration des commissions est une mesure

    bien des gards prcautionneuse. Au lieu d'tre

    dpendante de l'accueil favorable ou non du film par

    les spectateurs (valu en recettes), la production

    dpend du pronostic du succs, pens seulement au

    regard du cot du film. De plus, la catgorie est la

    fois le pronostic de la future rception du film et agit

    19

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 13/31

    sur l'ampleur que celle-ci peut prendre. En effet,

    c'est en fonction de la catgorie attribue qu'est

    tabli le nombre de copies tirer. Enfin, les

    commissions, cres au sein du sy stme de la

    production, sont composes majoritairement des

    membres des milieux cinmatographiques

    artistiques. Pour valuer les films, ils mettent en

    uvre les critres professionnels : composition

    dramaturgique, procds v isuels, etc. Au risque de

    la rentabilit, ils rpondent en insistant sur la valeur

    artistique. Par ailleurs, dfendant implicitement leur

    studio ou leurs collgues, les cinastes membres

    des commissions en question optent souvent pour

    une catgorie plus importante que celle que mrite

    le film aux y eux des distributeurs.

    Le corps professionnel du cinma, qui s'efforce de

    rformer les logiques de production et les formes de

    sa justification publique, recourt aussi aux

    arguments politiques. En invoquant le projet initial

    de l'ducation par le cinma, les cinastes appellent

    crer des programmes complets, comportant

    plusieurs ty pes de films, de mme que de porter

    l'attention sur l'ventuelle diversification de la

    programmation (films scientifiques ou d'animation

    diffuss des heures fixes dans des salles repres

    par la population)35. Conformment cette

    proposition, le ciblage des publics en fonction de

    leurs gots esthtiques devrait avoir des

    rpercussions sur la rationalisation du sy stme de la

    production, structure lourde et souvent prsente

    par ses employ s comme dficiente. La rupture avec

    l'orientation majeure des annes 1920-1930 est

    notable : une production flexible du cinma devrait

    s'adapter une pluralit de publics au lieu de

    chercher un spectateur-modle, servant jusque-l

    d'objectif abstrait de la production. Accabls par

    l'uniformit de leurs uvres, qui contredit la logique

    artistique de leur valuation, les cinastes s'en

    aperoivent avant les autres. Ils critiquent, lors des

    runions internes, des membres de l'administration

    qui font de leurs prfrences indiv iduelles celles du

    spectateur sov itique36.

    20

    L'administration cinmatographique n'est pas en

    mesure de satisfaire ponctuellement la demande,

    d'autant plus que les informations sur les

    prfrences des spectateurs ne sont pas

    sy stmatises ni analy ses37 . Le regard

    intellectualiste port sur le cinma par les critiques

    et les professionnels amne penser que les

    spectateurs font leur choix en fonction des genres et

    des prfrences esthtiques. D'autres analy ses

    empiriques dmontrent que les spectateurs de

    diverses origines sociales et de niveaux d'tudes

    varis peuvent apprcier les mmes films, ou encore

    21

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 14/31

    Persistance de la visioncentralisatrice des spectateurs

    une certaine poque [en 1 955], leMinistre de la culture et le studio ont euquelques dsaccords propos du film LaLeon de la vie. La section cratrice43 apropos un v isionnement pralable dansles clubs ouv riers, ce qui a t fait. Maisl'opinion publique a t diffrente de celledu collge [qui dfend le film]44. Au final,il a t demand lauteur dapporter desmodifications. Ce processus aprobablement t dune certaine utilit,

    que l'crasante majorit des spectateurs vont au

    cinma, sans chercher voir un film particulier38.

    Enfin, les sociologues critiquent la v ision

    globalisante du spectateur l enfant des dites

    recettes . Les informations disponibles, tout en

    restant maigres, sont rvlatrices : au lieu d'affirmer

    qu'en moy enne le spectateur sov itique va au

    cinma dix-huit fois par an, les enqutes suggrent

    que 80 % de la population urbaine et 90 % de la

    population rurale adultes vont au cinma 2-3 fois

    par an39. la fin de cette priode, ouverte pourtant

    par une aspiration lempirie et la prcision, les

    gots et les pratiques des spectateurs restent

    globalement inconnus.

    Depuis le dbut du rgime sov itique, les

    spectateurs sont inv its contribuer activement

    l'introduction du film dans l'espace commun. Avant

    d'tre officiellement lanc sur les crans, les films

    sont montrs un groupe choisi de spectateurs pour

    valuer sa rception publique. Cette forme de

    participation, nomme le v isionnement public

    [obschestvennyj prosmotr], est cense au dpart

    intgrer les masses travailleuses dans la

    production des objets artistiques et culturels, dans

    une optique de dmocratisation de la culture. La

    rception se prsente ainsi comme une situation o

    sont mis en uvre la fois les lments d'ducation

    et d'auto-reprsentation. Exprimer son opinion,

    fonde sur lexprience personnelle d'un fait

    historique (SUMPF, 2007 ) ou sur celle de lexercice

    d'un mtier, en est la dmarche fondamentale.

    22

    Au dbut du Dgel, les v isionnements publics ,

    utiliss de manire cible, se veulent tre loutil de

    lvaluation de la future rception du film. Favoriss

    publiquement par la direction du PCUS40, ils sont

    ponctuellement organiss avant la sortie officielle

    du film sur les crans41 , dans les clubs ouvriers ou

    directement dans les studios42. Comme le rappelle

    un des cinastes du studio Mosfilm :

    23

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 15/31

    mais ne serait-il pas plus judicieux desortir le film et d'en discuter av ec le public

    dans la presse45 ?

    tant militaire, je suis trscontent de sav oir que cestudio aborde un thmeaussi grand et noble que laGrande guerre Patriotique[Seconde Guerre mondiale]. mon av is, l'image ducombattant y est tout faitrussie. C'est un boncombattant, un v raicombattant de l'arme

    Dans la perspective de la

    dmocratisation de ce mode

    dvaluation publique de luvre, les

    cinastes s'expriment assez

    massivement pour une libre circulation

    des scnarios, considrs encore

    comme des documents secrets , et

    pour leur publication rgulire afin de

    mettre en place un rel dbat public46.

    Toutefois, le v isionnement public

    semble rester un procd mobilis

    tour de rle par l'administration, le

    studio ou le cinaste pour mettre en

    valeur certaines dimensions du film47 .

    la diffrence de la pratique de

    preview rpandue aux tats-Unis, les

    spectateurs sov itiques sont

    slectionns selon des critres

    sociologiques prcis. Ils sont appels

    interprter le film du point de vue de

    leur classe (on parle alors de

    l'opinion du public ouvrier, du public

    scientifique ou pdagogique l'gard

    d'un film48). Les ouvriers des usines,

    choisis comme prototy pes pour les

    films de fiction, sont appels valuer

    la pertinence de la reprsentation de

    leur groupe professionnel et de leur

    contexte de travail. La reprsentation

    de soi se cantonne l'image du groupe

    professionnel dont des membres se

    prsentent comme porte-parole.

    Nanmoins, on ne peut pas qualifier ces

    pratiques de participation de pur

    artefact sociologique. Les spectateurs

    lont intgr eux-mmes et mettent en

    avant leur rattachement un groupe

    professionnel pour formuler la critique

    de tel ou tel film. Le propos d'Ignatjev ,

    major de l'Arme Rouge, en est

    rvlateur :

    24

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 16/31

    Rouge, qui possde toutes les

    qualits moralesncessaires. [...] Sonpersonnage incarne lesmeilleurs traits du soldatsov itique, propres celuiqui v ient de rentrer dans lesrangs de l'Arme Rouge49 !

    Paradoxalement, le

    v isionnement public ,

    cens, dans le contexte de

    la dstalinisation, serv ir

    au dcloisonnement

    administratif des films en

    leur affectant une

    validation publique au

    niveau national, retombe

    dans les travers de la

    segmentation des publics.

    Certains cinastes et

    crivains qualifient cette

    consultation de

    sociologisme

    vulgaire50 : Si dans un

    film on montre un

    mauvais balay eur de rues,

    tout de suite une lettre

    collective des balay eurs

    des rues signale que leur

    corps professionnel est

    discrdit51 . Les

    dfenseurs des

    v isionnements

    publics , en revanche,

    invoquent les bases

    politiques de cette

    pratique. En guise de

    rponse aux rformes

    tumultueuses des annes

    1950, ils en v iennent

    mettre en usage la notion

    de commande sociale

    dans la production des

    films52. l'origine, le

    terme tait cens traduire

    les aspirations de larges

    groupes de population

    dterminants sociaux de

    l'activ it de l'artiste.

    Idalement, en traduisant

    leurs attentes en rcits et

    images, celui-ci les

    propagerait et en mme

    temps duquerait ces

    commanditaires .

    25

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 17/31

    Dans les annes 1960,

    lorsque la notion est de

    nouveau usite, elle

    renvoie la fois

    l'exprience de la

    planification dans le

    cinma et la tentative

    d'valuer la rentabilit des

    films. La production des

    studios ne trouve pas

    toujours les voies vers la

    diffusion : les bureaux de

    la distribution ne

    commandent pas tel ou tel

    film, qui serait donc cr

    pour personne . Le

    Comit du cinma initie

    une discussion autour des

    formes de commande

    des films, en justifiant le

    retour une planification

    centralise par un

    dy sfonctionnement

    conomique de la

    production et de la

    diffusion des films53.

    26

    En parallle, l'Union des

    cinastes (compose

    notamment par les

    cinastes clbres des

    studios centraux) et le

    Comit du cinma de

    l'URSS plaident pour une

    incitation matrielle des

    studios (et des cinastes

    pris indiv iduellement)

    crer des films qui auront

    un succs auprs de la

    population54. Au lieu de

    toucher une rmunration

    pour le travail accompli et

    pour le nombre de copies

    tires (en fonction de la

    catgorie attribue), ils

    percevraient un

    pourcentage des recettes

    au-del du seuil de retour

    sur investissement. La

    rorientation de la

    production

    cinmatographique en

    fonctions des exigences

    du spectateur doit ainsi

    enrler, pour certains,

    27

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 18/31

    jusqu'au crateur lui-

    mme. La rforme devrait

    s'accompagner d'une

    dissociation de la

    production et de la

    cration : d'un ct la

    fabrique du cinma qui

    reste une entreprise

    industrielle de fourniture

    de serv ices et de

    matriaux et le studio qui

    runit les crateurs-

    contractuels. La sortie des

    crateurs du salariat et

    la mise en uvre des

    logiques

    d intressement

    matriel , selon la

    conception des auteurs du

    projet, changeraient la

    structure administrative

    obsolte et nocive . La

    mise en place d'un studio

    exprimental [ETK]

    Moscou, entre 1965 et

    197 6, en est un des

    versants55. Son unique

    source de profit est le

    pourcentage sur les

    recettes. partir du seuil

    de dix-sept millions de

    spectateurs par film, les

    auteurs touchent une

    prime supplmentaire.

    Ainsi, les cinastes sont

    rmunrs en fonction du

    bnfice cr par chaque

    film et plus en fonction de

    leur contribution la

    production de tout le

    studio56 (dans le sy stme

    sovitique). Les analy stes

    du studio suggrent que le

    critre de rentabilit du

    film (projet un nombre

    de spectateurs suprieur

    l'objectif de spectateurs

    minimal pour atteindre un

    retour sur investissement)

    ne puisse tre utilis que

    pour inciter le studio

    innover. Hormis la

    lourdeur du recueil des

    donnes sur les

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 19/31

    spectateurs d'un film et la

    faillibilit de ces

    informations, ils

    suggrent de calculer

    l'objectif minimal du

    nombre de spectateurs,

    non partir d'une

    valuation moy enne pour

    l'ensemble de la

    production

    cinmatographique, mais

    au cas par cas, pour

    chaque film et sur une

    plus longue priode (deux

    ans au lieu d'un57 ). Mais le

    Gosplan refuse la

    proposition, en

    considrant que le

    nombre de films non-

    rentables a augment.

    Puisque les cinastes sont

    pay s au moment de la

    proposition du projet,

    l'accroissement de la

    priode de rtribution des

    cinastes ne les inciterait

    pas produire de

    meilleurs films , c'est--

    dire innover58.

    Les dbats lancs au

    dbut des annes 1960

    continuent jusqu'au milieu

    des annes 197 0, o de

    fait, aucun sy stme de

    commande n'est encore

    stabilis. Le Comit du

    cinma de lURSS formule

    des commandes d'tat

    avec allocation

    dimportants fonds

    financiers pour la

    production des films

    patriotiques, portant

    notamment sur la Seconde

    Guerre mondiale. En

    197 3, des opinions

    s'expriment au sein du

    comit plaidant pour une

    tude sociologique des

    besoins [potrebnosti] des

    spectateurs, outil de la

    constitution des plans,

    comme Holly wood59 .

    Les dcideurs et les

    28

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 20/31

    la priphrie :est-il possiblede crer unpublic ?

    administrateurs du

    cinma, oscillent entre la

    volont de planifier les

    succs60 (qu'ils peinent

    pourtant identifier) et de

    maintenir le sy stme de

    production quitte

    perptuer l'importance du

    travail gratuit dans la

    diffusion des films moins

    populaires. Le projet

    initial du Comit du

    cinma, sign par l'Union

    des cinastes, comporte la

    rv ision des relations

    entre divers secteurs de

    production. Le cinma

    documentaire ou les

    productions

    rpublicaines, a priori non

    rentables, doivent tre

    dissocis de la production

    des long-mtrages de

    fiction. La dcision fut

    prise en faveur du

    maintien du sy stme o

    s'effectue, malgr tout,

    une rpartition des parts

    du budget entre divers

    ty pes de cinma et entre

    les studios de l'Union.

    Sans que ce soit

    publiquement justifi, la

    production des films a

    priori non-rentables,

    comme le documentaire

    ou la vulgarisation

    scientifique a t

    maintenue.

    Ds les annes 1950, la

    participation citoy enne

    des spectateurs est

    conue comme le moy en

    de diffuser l'ensemble des

    films produits en URSS.

    Les conseils de

    29

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 21/31

    spectateurs, les

    commissions civ iques

    auprs des salles de

    cinma et les cin-

    organisateurs doivent

    veiller ce que le serv ice

    cinmatographique soit

    fourni61 . Ils se doivent de

    s'assurer du bon

    fonctionnement des salles

    (respect des horaires, de

    la propret), d' attirer les

    spectateurs et de lutter

    contre la projection

    gratuite des films. Dans les

    zones rurales, les cin-

    organisateurs s'occupent

    du transport des

    projectionnistes, des

    locaux et des meubles

    pour la projection. Leurs

    fonctions s'tendent aussi

    la sensibilisation des

    directions des kolkhozes

    la conclusion de contrats

    pour la diffusion des

    films62. Dans les v illes, les

    spectateurs-activ istes

    sont organiss en conseils

    auprs des salles. De la

    mme manire, ils

    effectuent certains

    travaux bnvolement et

    sont appels obliger les

    salles projeter les films

    carts pour des raisons

    commerciales. Tout

    comme les

    projectionnistes-

    activ istes, les spectateurs

    sont penss comme des

    militants de la cause

    d'ducation

    cinmatographique qui de

    fait aident attnuer le

    penchant commercial

    de la distribution. Leur

    identit est double :

    assurer la distribution de

    la production sov itique

    (ils organisent entre

    autres la vente des tickets

    sur les lieux de travail,

    d'tude et de v ie) et forger

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 22/31

    une forme de

    participation

    citoy enne , en

    recueillant des demandes

    et des souhaits des

    spectateurs. Ils

    reprennent en partie les

    fonctions des

    projectionnistes dans les

    zones rurales pour

    suppler au manque de

    publicit et de

    mobilisation des

    spectateurs, mais ce

    faisant ils mettent en

    avant leur cinphilie. Ils

    agissent la fois comme

    promoteurs, ducateurs,

    et reprsentants de ce

    vaste groupe inconnu de

    spectateurs. Bien qu'il soit

    difficile d'valuer la

    contribution relle des

    spectateurs militants

    l'exploitation des films,

    des donnes de premire

    main rvlent toutefois

    leur prsence dans les

    grandes v illes.

    L'investissement de ces

    cinphiles donne

    naissance un rseau des

    cin-clubs.

    De manire

    convergente, les cinastes

    des films documentaires

    et de vulgarisation

    scientifique cherchent

    projeter leurs films. Ceux-

    ci sont soit carts de la

    diffusion commerciale soit

    rduits

    l'accompagnement des

    long-mtrages de fiction.

    Dans ce contexte, les long-

    mtrages documentaires

    ou de vulgarisation

    scientifique sont

    pnaliss encore plus

    fortement. Dans les

    annes 1960, une seule

    salle dans une grande v ille

    est gnralement rserve

    au cinma non-jou

    30

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 23/31

    (documentaire, journaux

    films et vulgarisation

    scientifique). Les publics

    du cinma documentaire

    se forment au coup par

    coup souvent

    l'instigation des cinastes.

    Traditionnellement, les

    projections sont

    organises bnvolement

    par les ralisateurs du

    cinma documentaire sur

    les lieux de tournage.

    Ainsi se fait la rencontre

    entre les cinastes et les

    spectateurs (qui en sont

    en mme temps les

    figurants). L'importance

    de ce lien de proximit est

    souvent souligne par les

    cinastes63. Cette situation

    de projection est cre

    par les reprsentants de la

    nouvelle gnration

    enclins chercher les

    publics pour leurs films.

    Certains cinastes, par

    exemple ceux du studio

    de Sverdlovsk, organisent

    des cin-clubs au sein

    mme du studio64. Comme

    en tmoigne Lia Kozy reva,

    documentariste et lune

    des premires animatrices

    de cin-clubs

    Sverdlovsk, la salle

    qu'utilisent les cinastes

    pour v isionner les prises

    de vue a t adopte pour

    ces premires rencontres

    publiques. Li Kozy reva

    remarque avec fiert :

    Nous avons duqu

    toute une pliade de

    spectateurs clairs, chez

    qui nous avons dvelopp

    un bon got . Les sances

    de projection des films,

    accompagnes de

    confrences, dev iennent

    rgulires au point que

    certains spectateurs

    louent des salles de

    spectacles, v ia leurs

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 24/31

    organisations

    professionnelles65.

    Paralllement, l'Union

    des cinastes66 popularise

    cette pratique en

    organisant, ds le dbut

    des annes 1960, des

    projections pour son

    propre compte67 . Celles-ci

    sont aussi bien de grands

    spectacles populaires

    auxquels participent des

    acteurs connus, que des

    rencontres plus intimistes

    avec un cinaste

    prsentant son uvre.

    L'Union publie des cartes

    postales l'effigie des

    acteurs clbres et des

    ditions faible tirage,

    consacres au cinma. Ce

    faisant, elle alimente un

    fonds financier pour ses

    membres et cre une

    possibilit pour les

    cinastes de mener des

    confrences pour toucher

    une rmunration durant

    leur priode de chmage

    (entre les participations

    aux projets). Le Bureau

    de la propagande de l'art

    cinmatographique

    sovitique68 fond cet

    effet met en place des

    confrences, en accord

    avec les sy ndicats

    dentreprises et des

    administrations. tant la

    seule structure qui a accs

    aux fonds filmiques, sans

    pay er un impt, l'Union

    des cinastes en fait une

    activ it part entire. Le

    cinaste s'affirme en tant

    qu'auteur en face d'un

    public rgulier, runi

    autour de l'Union des

    cinastes. plus grande

    chelle, les projections

    ouvertes un large public,

    sont issues de la

    collaboration entre les

    entreprises, les bureaux

    31

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 25/31

    En guise deconclusion

    de propagande du cinma

    sovitique et les studios

    locaux.

    C'est ainsi qu'au dbut

    des annes 197 0

    Sverdlovsk des groupes de

    spectateurs sont

    sensibiliss au cinma

    scientifique et

    documentaire. la mme

    poque, un public rgulier

    du cinma documentaire

    social et des films d'art

    s'est progressivement

    constitu Riga.

    L'mergence de ces

    affinits avec les publics

    s'explique par les

    rorientations apportes

    lors du Dgel. Celles-ci

    rsultent des tentatives

    d'adaptation aux rgles de

    la diffusion commerciale

    entreprises par les studios

    et leurs employ s, tandis

    que l'image dun public

    homogne, incarne dans

    la politique de

    programmation des salles

    d'tat, rend inv isible ces

    modalits de la diffusion

    cinmatographique,

    confines l'change

    inter-institutionnel.

    32

    La priode du Dgel est

    originale plusieurs

    gards. D'une part, elle est

    le thtre d'un

    affrontement entre

    diffrentes v isions du

    public et de multiples

    figures du spectateur .

    Mais d'autre part, ces

    portraits du spectateur ne

    sont pas pure rhtorique.

    Ils tmoignent de

    l'importance des

    conditions matrielles de

    33

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 26/31

    projection et des

    volutions du sy stme de

    production et de diffusion.

    Prsent tantt comme la

    v ictime d'un sy stme qui

    dy sfonctionne, comme la

    mesure d'valuation de la

    qualit des films, ou

    comme le garant de la

    lgitimit politique du

    sy stme de production et

    de diffusion, le

    spectateur cristallise,

    travers ces diffrentes

    figures, les enjeux

    politiques et sociaux de

    l'volution de la

    cinmatographie

    sov itique. C'est

    paradoxalement en ay ant

    le regard tourn vers la

    notion de public telle

    qu'elle existe en Occident,

    que les autorits vont

    chercher dans les valeurs

    politiques et ducatives

    des annes 1920, le

    moy en de renouveler les

    relations

    d'interdpendance entre

    les groupes de spectateurs

    et le cinma (tant dans sa

    production que dans sa

    diffusion). Les cinastes,

    quant eux, prennent

    leur compte l'objectif

    d'ducation esthtique.

    D'une certaine manire, le

    public est considr

    par l'ensemble de ces

    acteurs comme un point

    d'aboutissement du travail

    culturel que le cinma est

    cens mener.

    La volont d'intgrer

    les lieux disparates de

    diffusion (salles d'tat en

    zones urbaines et rurales,

    salles d'entreprises) et de

    les soumettre des

    critres communs de la

    rentabilit n'a pas nivel

    entirement la production

    des films. Certains de ces

    34

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 27/31

    Bibliographie

    Notes

    1 Le projet politique mis en place l'poque de Nikita Hruev qui consistait

    espaces et publics ont

    hberg un cinma plus

    confidentiel. Et au-del du

    travail gratuit, le

    bnvolat est devenu une

    forme de militantisme

    cinphile tablissant des

    liens priv ilgis avec

    certains studios. L'usage

    rcurrent de la notion de

    public au singulier dans la

    documentation officielle

    v ient en ralit masquer la

    diversit des ty pes de

    cinma et de leurs publics

    en Union sov itique.

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  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 28/31

    transfrer les domaines de la culture et du sport des organisations non-tatiques,s'intitulait l'tat de tout le peuple [obenarodnoe gosudarstv o]. Bien quel'objectif annonc sav oir la disparition des structures d'tat nait tnullement ralis, la notion de participation citoy enne reflte des ides conomiqueset politiques alors en v igueur en URSS (v oir PYYKOV, 2002).

    2 Sans nom, Ne zaby v at interesy kinozritel , Sovetska kultura, 1 7 octobre1 953, p. 4 ; Otliny e filmy kinozritel ! , Sovetska kultura, 1 8 juin 1 955, p. 2 .

    3 Archiv es d'tat de la Lettonie (LVA), Fonds du Ministre de la culture de laRpublique 67 8/1 /1 99/p. 203.

    4 Je tiens remercier les responsables des Archiv es des documents photo et v ido deMoscou d'av oir mis ma disposition ces photographies.

    5 L'article, crit la premire personne, laisse le doute sur la personnalitd'auteur : journaliste ou spectateur lambda ? Tantt les lettres sont publies tellesquelles, tantt un journaliste rdige un article critique qui runit les plaintesreues sans s'y rfrer prcisment.

    6 PIOTROVSKIJ, A., O komercii i ideologii , izn iskusstva, 1 929, n 1 29 cit d'aprsle recueil des articles de Piotrov skij publi dans Iskusstvo kino, n 3 , 1 968, p. 7 1 .

    7 Les archiv es tudies des structures centrales : Direction de la cinfication et del'exploitation du cinma au sein du Ministre de la culture de l'URSS aux Archiv esde la littrature et des arts (RGALI), Conseil des ministres, Comit Central du PCUSdans les Archiv es de l'histoire contemporaine (RGANI), et celles des organesrelev ant des rpubliques sov itiques.

    8 Le Ministre de la culture de l'URSS rapporte qu'entre 1 953 et 1 954, un habitanten zone rurale v a au cinma en moy enne 4 fois par an. Dans les rpubliquessov itiques de Bilorussie, d'Azerbadjan, de Lituanie, de Tadjikistan, deTurkmnistan et d'Armnie on compte moins de 2 places achetes par an. RGALI,Fonds du Ministre de la culture de l'URSS, 2329/1 3/3/p. 2-9 ; RGALI, F.2329/1 3/8.

    9 Depuis la date du tirage de la copie, les films Mdecin de campagne, Cavalier del'toile d'or et les Mineurs de Donetsk ont t v us par 1 % de la population rurale de laRpublique d'Azerbadjan, par exemple. RGALI, F. 2329/1 3/8, p. 6.

    1 0 Dans la rgion de Rezekne en Lettonie, dans la priode du 1 er aot au 1 er

    dcembre 1 953, 347 sances ont v u leur programme chang. Ainsi, le film Carte duParti a t remplac par le film les Aventures de Robin des Bois, le film Tractoristespar Gladiateur. LVA, Fonds du Conseil des ministres, 27 0/2/57 97 /p. 1 2.

    1 1 RGALI, F. 2329/1 3/3/p. 2-9 ; LVA, F.27 0/2/57 9/p. 45.

    1 2 RGALI, F. 2329/1 3/8/p. 28.

    1 3 RGALI, F. 2329/1 3/1 8/p. 60-61 .

    1 4 Le redressement de la diffusion cinmatographique en URSS dans l'aprs-guerreest bas sur l'introduction de la projection en pellicule 1 6 mm. La qualit de l'imageet du son est moins lev e que celle de la pellicule 35 mm, ce qui exige unajustement de la luminance, de la chrominance, du v olume et de la dy namiquesonores des films tirs sur ce support. Or, ces contraintes ne sont pas prises encompte par les producteurs et les laboratoires. Les films ne sont passy stmatiquement imprims en copie 1 6 mm et des pans entiers de films de fiction,dactualits et de films documentaires existent exclusiv ement en 35 mm. Leresponsable de la Direction de la diffusion cinmatographique qui dresse ce tableause rfre notamment aux plaintes des spectateurs et signale le refus sy stmatiquedes ministres rpublicains de la culture d'instaurer la diffusion des films en 1 6 mm.RGALI, F. 2329/1 3/8/p. 36-42.

    1 5 Entretien av ec Armin Leins, Lettonie, av ril 201 0.

    1 6 SIZILOV, A., Kinoseans v kv artire , Sovetska kultura, 5 nov embre 1 953, p. 4.

    1 7 LVA, F. 67 8/2/203/p. 2-1 2 et 24-26.

    1 8 CAOPIM (Les archiv es centrales de l'histoire civ ique et politique de Moscou),Fonds du Comit du Parti de la v ille de Moscou, 4/91 /1 1 /p. 1 0.

    1 9 Pour un tableau gnral des fonctions du sy ndicat dans une entreprisesov itique et des pay s de dmocratie populaire v oir LOWIT, 1 97 1 .

    20 LVA, F. 67 8/1 /1 99/p. 8-1 2 ; RGALI, F. 2329/1 3/1 8.

    21 RGALI, F. 2329/1 3/8, p. 7 .

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 29/31

    22 RGALI, F. 2329/1 3/23/p. 90.

    23 RGALI, F. 2329/1 3/32, p. 50.

    24 Ibid., p. 1 62.

    25 CAOPIM, F. 957 /1 /1 1 9/1 4/p. 1 6.

    26 KADYNIN, G. et ANAKIN, Mihail, elovek bologo serdca. Oerk o selskommehanike, elbinsk, 1 964 ; BATALOV, V., ny j kinomehanik (M. ihov ) - aktiv istpropagandy kino, Kirov , 1 957 , dans Kinofikaci sl RSFSR, Sov etska Rossi,Moscou, 1 961 .

    27 On peine diter les matriaux d'accompagnement des films, les textes ou lesimages publicitaires. Le journal spcialis Kinomehanik, dont l'dition a tinterrompue entre 1 941 et 1 951 , oscille entre la publicit et l'apport d'informationstechniques. CAOPIM, F. 957 /1 /1 1 9/1 4/p. 4-1 9.

    28 CAOPIM, Fonds du comit du Parti dans la v ille de Moscou, 4/99/9/p. 1 1 6-1 1 7 .

    29 ROMM, Mihail, Kino i zritel , Literaturna gazeta, 1 7 mars 1 955, p. 1 .

    30 Iskusstvo kino, n 1 1 , 1 957 , p. 1 48.

    31 ITOVA, Vera, Po osobomu zakazu , Iskusstvo kino, 1 960, n 6, p. 33 .

    32 HANTIN, rij, Esli smotret v s podrd , Iskusstvo kino, 1 959, n 9, p. 63-7 5.

    33 MASKIN, P., Pov y sit' rentabel'nost' prokata kinofil'mov , Kinomekhanik,1 961 , n 5, cit dans Ju. Kalistratov et A. Anakin, Kinoprokat i ego problemy,Iskusstv o,Moscou, 1 963, p. 41 .

    34 Pour les longs mtrages de fiction, la proportion des films trangers dans lenombre global des films sortis sur les crans est en 1 950 de 38 %, en 1 955 de 54 %,en 1 960 de 53 % (dans KALISTRATOV, Ju. et ANAKIN, A., op. cit., p. 52).

    35 CAOPIM, F. 4/99/9/p. 1 37 -1 65.

    36 RGALI, F. 2329/1 2/2569/p. 31 -32.

    37 VAJSFELD, Il, Iz Uralskogo dnev nika , Iskusstvo kino, 1 960, n 9.

    38 VOLKOV, V. et KOGAN, L., Kino i sociologi. S ego e v se-taki nainat ? ,Sovetskij kran, 1 968, n 4, p. 20.

    39 GRITIN, V., Srednestatistieskij i iv oj zritel , Sovetskij kran, 1 968, n 1 3 ,p. 20.

    40 Hruev incite les studios organiser les v isionnements publics , en lesinscriv ant dans le contexte de la participation civ ique.

    41 RGALI, F. 2329/1 3/3.

    42 Archiv es d'tat de Lettonie, LVA, 7 238/1 /1 1 .

    43 Officiellement, il s'agit d'une subdiv ision de la cellule du Parti au studiorunissant les trav ailleurs de la cration. De fait, la section cratrice est constituesurtout de reprsentants d'autres professions reprsentes studio.

    44 Collge de scnarios de cinma.

    45 RGALI, F. 2453/3/32/p. 1 9.

    46 CAOPIM, Fonds de la cellule du Parti du studio Mosfilm, 2820/1 /58/8.

    47 RGALI, Fonds du Goskino, 2944/1 /1 49/p. 1 57 -1 59.

    48 Le studio attribue une catgorie au film et dtermine sur ces bases le nombre decopies et la rmunration de l'quipe. L'octroi de la 1 re catgorie, la plus v alorise,n'est possible qu'aprs l'exploitation du film durant 2-3 mois, en prenant en compte son v aluation par le public .

    49 Archiv es de la rgion de Sv erdlov sk, Fonds du studio de cinma, 2258/1 /1 001 .

    50 Selon la formule d'Il Vajsfeld, critique et scnariste de cinma.

    51 RGALI, F. 2453/3/32/p. 66.

    52 L'article Vers Gosplan, qui dfend de manire fort conv aincante lesav antages d'une planification socialiste profonde en matire de cinma, sert denoble rponse aux adeptes de la non-interv ention de l'tat dans un art pur etlibre, ces adeptes qui sont influencs par les ides petites-bourgeoises etanarchistes. La pratique artistique d'Eisenstein, qui a cr ses meilleurs films suite la commande directe de son peuple, et le fondement thorique qu'il a pos pour lancessit d'un Plan d'tat, large et tout-puissant, prouv ent cette noble ide selon

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 30/31

    laquelle un artiste issu de la culture socialiste est un crateur non par la commandebureaucratique mais ses v ritables russites artistiques se situent sur le chemin oconv ergent une bonne comprhension historique de la commande de son peuple, deson poque et de son parti av ec la ncessit intrieure de l'artiste d'exprimer lesaspirations populaires, et av ec sa responsabilit personnelle dev ant son temps et sonart. , Sergej tkev i, RGALI, Fonds personnel, 307 0/1 /529/p. 33 .

    53 Selon la formulation de Romanov , prsident du Comit d'tat du cinma del'URSS ; CAOPIM, Fonds du comit de la v ille de Moscou et du comit du PCUS,2820/1 /85/1 1 .

    54 RGANI, Fonds du Comit Central PCUS, 5/36/1 58/p. 1 -24 et 9-69.

    55 Cf. FOMIN Valerij rd., Kino ottepeli, recueil des documents et des tmoignages, p.232-254.

    56 Archiv es du studio Mosfilm, Fonds du studio artistique exprimental, 1 /5/p. 33-51 .

    57 Ibid., p. 86-92.

    58 RGANI, 5/36/1 58/p. 7 4-7 6.

    59 CAOPIM, Fonds de la cellule du parti Goskino URSS/1 252/2/57 /1 0/p. 50.

    60 CAOPIM, F. 2820/1 /85/1 1 .

    61 KURGANOV, ., Klub v kino et BELKOR, S., Obestv ennaa komissia nabiraetsilu , dans Kino v klube. Sov etska Rossi, Moscou, 1 963, p. 7 -26 et 26-32.

    62 NAELSKIJ, A. et STOLROVA, T., konomika, organizaci, planirovanie kinoseti ikinoprokata, Sov etska Rossi, Moscou, 1 964, p. 63-65.

    63 Entretiens av ec Iv ars Seleckis (oprateur), Av ars Fremanis (ralisateur),Riga, octobre 2008, Li Kozy rev a (ralisatrice), Ekaterinbourg, dcembre 2007 ,Boris apiro (oprateur), Ekaterinbourg, av ril 2009.

    64 Entretien av ec Li Kozy rev a.

    65 Le premier cin-club est l'initiativ e des employ s de l'usine Uralma. Enfv rier 1 967 , le cin-club Kontakt est officiellement ouv ert au sein de l'Institutde recherche UralTep. D'abord ses projections ont lieu la Maison des trav ailleursde la culture, puis il s'installe dans la salle de cinma Kosmos . Dans la mmesalle, trav aille un autre cin-club estudiantin Logos .

    66 Organisation professionnelle runissant les trav ailleurs crateurs du cinmafonde en 1 957 .

    67 LVA, F. 67 8/2/203/p. 27 .

    68 cette priode apparaissent des bureaux de la propagande de presque tous lesarts en URSS.

    Table des illustrations

    T itre Ill. 1 : Dans la salle de lecture du cinma Oudarnik , 1952.

    LgendeArchives des documents photos et vidos de Moscou, Fondspersonnel de Korolev J.D, # 0-1248214.

    URL http://cm.revues.org/docannexe/image/1168/img-1.png

    Fichier image/png, 152k

    T itreIll. 2 : Photo panoramique Prs du cinma Oudarnik aumoment de la diffusion du film Chute de Berlin , janvier 1950.

    LgendeArchives des documents photos et vidos de Moscou, Fondspersonnel de Korolev J.D., # 0-30659.

    URL http://cm.revues.org/docannexe/image/1168/img-2.png

    Fichier image/png, 165k

    T itre Ill. 3 : Salle de projection du cinma Oudarnik , 1952

    LgendeArchives des documents photos et vidos de Moscou, Fondspersonnel de Korolev J.D., # 0-124822

    URL http://cm.revues.org/docannexe/image/1168/img-3.png

    Fichier image/png, 134k

  • 14/02/13 L'tat de tous les spectateurs

    cm.revues.org/1168 31/31

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Irina Tcherneva, L'tat de tous les spectateurs , Conserveries mmorielles [Enligne], # 12 | 2012, mis en ligne le 05 avril 2012, Consult le 14 fvrier 2013. URL :http://cm.revues.org/1168

    Auteur

    Irina TchernevaAprs avoir effectu un parcours en sciences politiques, Irina Tcherneva mne undoctorat en histoire et civilisation l'cole des Hautes tudes en Sciences Sociales,Centre des tudes du monde russe, caucasien et centre-europen. Son travail de thseporte sur le cinma non-jou sovitique l'poque de la dstalinisation (1953-1968), les units de la production et les modalits de diffusion.

    Graduated in political sciences, Irina Tcherneva is a Ph.D candidate in the School forAdvanced Studies in the Social Sciences (EHESS), Center of studies of Russian,Caucasian and center-European civilizations. Her research is in the sphere of thecinema sociology : non-fiction film in the USSR during the period of de-Stalinization (1953-1968), through the study of the production, distribution and diffusion structures.

    Droits d'auteur

    Conserveries mmorielles