wagner dream au XXI siècle

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le journal de la création à l’Ircam NOVEMBRE 2006 # 1 03 dossier spectres transatlantiques 16 du studio à la scène wagner dream 20 prospectives pour un traité d’orchestration au XXI e siècle 23 sur le vif agora 2006

Transcript of wagner dream au XXI siècle

le journal de la création à l’IrcamNOVEMBRE 2006 # 1

03

dossierspectres transatlantiques

16

du studioà la scène

wagner dream

20

prospectivespour un traité d’orchestration au XXIe siècle

23

sur le vifagora 2006

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ÉDiTÉ PAR L’iRCAM-CENTRE POMPiDOU

DiRECTEUR DE LA PUBLiCATiONFRANK MADLENER RÉDACTEUR EN CHEFPATRiCK JAVAULT COORDiNATiON ÉDiTORiALE CLAiRE MARQUETONT PARTiCiPÉ À CE NUMÉROBRUNO BOSSiS, JASON ECKARDT, JOSHUA FiNEBERG, BASTiEN GALLET, ROBERT HASEGAWA, PATRiCK JAVAULT, FRANK MADLENER, YAN MARESZ, TRiSTAN MURAiL, FRANÇOiS NiCOLAS

DOCUMENTATiONPATRiCK JAVAULT, CLAiRE MARQUETCOMMUNiCATiONVÉRONiQUE PRÉCONCEPTiON GRAPHiQUE AGENCE BELLEViLLECOUVERTURE ANTHONY McCALL, «LONG FiLM FOR FOURPROJECTORS», 1974. COURTESY ANTHONYMcCALL ET GALERiE MARTiNE ABOUCAYA.PHOTOGRAPHE © HENRY GRABER, 2003iMPRiMERiE PDi

iRCAMiNSTiTUT DE RECHERCHE ET COORDiNATiON ACOUSTiQUE/MUSiQUE1, PLACE iGOR-STRAViNSKY | 75004 PARiS+33 (0)1 44 78 48 43 | www.ircam.fr

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L’ÉTiNCELLE, JOURNAL DE LA CRÉATiON À L’iRCAM

L’étincelle naît d’une question. Comment écrire – vivre – l’expérience de lacréation musicale au sein d’un espace commun du sensible ? Fugitive,insaisissable, glorieusement autonome, la musique émancipée attend toutd’une oreille aux aguets et d’une pensée venue du dehors qui identifie sapuissance et sa forme vivante. Il nous faut quelques perspectives neuves surla recherche musicale, sur des mondes en formation ou promis.L’Étincelle désigne ce contact entre la musique et ce qui lui est hétérogène.L’Étincelle enquêtera sur les œuvres plutôt que sur les artistes, sur des modesd’apparition plus encore que sur des manières de faire, sur des blocs deperceptions plutôt que sur des événements énumérés.Composé avec le soutien précieux d’artistes et de collaborateurs de l’Ircam,enrichi par des signatures extérieures, contrepointé par la présence visuelledes arts plastiques, ce premier numéro place l’esthétique spectrale dans uneperspective transatlantique, le studio dans la perspective d’un opéra naissant,l’orchestration au XXIe siècle sous une approche rationnelle et systématique.Ce journal inaugure une chronique de l’après concert, cet « après-coup » quimérite le regard critique d’une plume étrangère à la fabrique de l’œuvre.Conjuguant l’esprit prospectif et l’éclat du présent, l’Ircam manifeste touteson ampleur par la singularité de ses projets et par leurs lignes de fuiteilluminant des champs autres que sonores. Ce double mouvement se lira dansles colonnes de l’Étincelle, dont le prochain numéro proposera un forum dediscussion sur le site etincelle.ircam.fr.Considérons, en paraphrasant André Breton, qu’une étincelle est toujours à larecherche de sa poudrière.

FRANK MADLENER SPECTRES TRANSATLANTIQUES

Si la musique spectrale est née à Paris, le « spectralism » est une inventionaméricaine révélatrice de l’importance prise aujourd’hui par ce courant musical aux États-Unis. L’enseignement de Tristan Murail à Columbia et de Joshua Finebergà Harvard porte bien évidemment une responsabilité dans ce phénomène.Au-delà des questions de prééminence, qui nous intéressent peu, il est incontestableque l’approche spectrale exerce une influence marquante sur une nouvellegénération de compositeurs aussi éloignés soient-ils de ce courant, comme en témoigne Jason Eckardt. De son côté, Robert Hasegawa met en perspective la « just intonation », qui marque l’histoire plus secrète de la musiqueexpérimentale américaine, et ses rapports avec la musique spectrale.

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LA REPRODUCTiON MÊME PARTiELLE D’UN ARTiCLE DE L’ÉTiNCELLE EST SOUMiSE À L’AUTORiSATiON DE LA RÉDACTiON.ÉDiTEUR iRCAM1, PLACE iGOR-STRAViNSKY - 75004 PARiS - www.ircam.fr

les compositeurs de l’intonation juste tentent de créer unnouveau langage musical analogue à la tonalité, en réintro-duisant les notions de consonance et de dissonance dans lapratique musicale, même si c’est au moyen d’une palettesonore beaucoup plus riche, élargie par les intervalles com-plexes de l’intonation juste étendue. Tandis que Harrison,Johnston et Sims utilisent leurs intervalles justes selon unstyle essentiellement traditionnel (à partir des notionsconventionnelles de mélodie et de contrepoint), d’autresAméricains – James Tenney, Alvin Lucier et La Monte Young– sont en rupture plus radicale à l’égard des formes musica-les traditionnelles et complètent les innovations spectrales.

Comme les spectralistes, James Tenney (1934-2006) s’inté-ressait aux points de rencontre entre l’art et la science. Il présentait son œuvre comme principalement expérimen-tale : « Ma musique, ce sont des sons destinés à explorer lephénomène de la perception5. » Tenney a souvent parlé de lacombinaison des techniques harmoniques de Partch avecl’esthétique ouverte et expérimen-tale de John Cage (1912–1992).«Selon moi, la révolution esthétiqueprovoquée par John Cage en 1951est absolument essentielle à toutevéritable évolution progressive del’harmonie car, sans ce passagedécisif des réflexions et des senti-ments du compositeur – et de leurcommunication à un public rela-tivement passif – à l’expérience auditive immédiate de l’au-diteur – dont on peut dire éventuellement qu’elle est due autravail du compositeur, mais qu’elle suppose la participationactive d’un public –, l’avenir de la musique resteraitembourbé dans le passé. L’évolution de l’harmonie est sou-mise à l’évolution préalable du rôle même de la musique6.»Critical Band (« Bande critique », 1988) est un bon exemplede l’esthétique de la composition chez Tenney. En acousti-que, l’expression « bande critique » se rapporte à la gammede fréquences au sein desquelles certaines vibrations stimulent une même partie de la membrane basilaire,située dans le limaçon de l’oreille interne. Deux sons pursrésonnant à l’intérieur de la bande critique produisent unesensation de battement ou de rudesse. L’œuvre commence par un la à l’unisson, note communémentemployée pour l’accordage des instruments d’un orchestre.Mais, deux minutes plus tard, de nouveaux tons sont ajoutés :les membres de l’orchestre peuvent jouer, selon un rythmelibre, soit le la de départ, soit des tons situés immédiatementau-dessus ou au-dessous de cette note, selon des ratiosjustes : 129/128 (environ 13 cents, ou centièmes d’undemi-ton en tempérament égal) au-dessus et 127/128(environ 14 cents) au-dessous. À mesure que de nouveauxtons apparaissent, les premiers disparaissent petit à petit :la sonorité évolue progressivement vers un agglomératchromatique dense (partiels 14 à 18 au-dessus d’un la fon-damental bas), puis (à la fin des dix-sept minutes que durel’œuvre) vers une série harmonique s’étalant sur troisoctaves. Ce processus simple produit de nombreuses étin-celles auditives qui ne figurent pas dans la notation de

l’œuvre : battements aux vitesses variables, harmoniquestour à tour audibles et inaudibles, sons combinés dérivants.L’écoute de Critical Band après celle d’une œuvre de Griseyde durée comparable – comme Partiels (1975), par exemple –met en évidence les positions esthétiques divergeantes des deux compositeurs. Bien que le commencement desdeux œuvres semble relever d’un même parti pris – la sérieharmonique d’une note unique –, celles-ci empruntentensuite des voies très différentes. Dans Partiels, la série harmonique initiale est constamment réorchestrée et soumiseà des changements de traitement rythmique. En outre, Griseyen vient rapidement à distordre la série harmonique initiale,ce qui produit une sonorité de plus en plus bruyante et demoins en moins consonante.

L’activité et l’évolution permanentes de Partiels témoignentde la forte influence exercée sur le spectralisme par descompositeurs post-sériels comme Stockhausen ; bien qu’àcertains égards, le spectralisme ait été conçu en réaction

contre le sérialisme, ces deux mou-vements sont nés de la même tradi-tion formelle fondée sur la tensiondramatique. En abandonnant lanotion traditionnelle de l’objetmusical, Tenney reconnaît claire-ment sa dette envers Cage. À partird’un phénomène acoustique inté-ressant (ici, la série harmonique),Tenney souhaite faire confiance à

l’auditeur et à son exploration auditive du son pour donnerune forme à l’œuvre, au lieu d’utiliser le phénomènecomme matériau dans le but de créer une forme plusconventionnellement expressive et dynamique.Un défenseur de l’esthétique de Tenney avancera que lescontrastes et changements constants d’une œuvre commePartiels empêchent l’auditeur de se plonger totalement dansla musique. Les surprises fréquentes maintiennent l’auditeuren alerte, en l’arrachant continuellement à la contemplationd’une texture ou d’un objet musical(e) donné(e) pour lui enimposer un(e) autre.Tenney : « Si l’auditeur parvient à y croire, après avoirentendu les vingt premières secondes de l’œuvre, il pourrapresque déterminer ce qui va se passer pendant le reste dutemps. Lorsqu’il sait que tel est le cas, il n’a pas besoin derester sur le bord de son siège…Young : « ... À attendre le big bang.Tenney : « Il peut se mettre à écouter vraiment les sons, àentrer en eux, à en remarquer les détails, à considérer laforme générale de l’œuvre ou à y réfléchir, aussi simpleque cela puisse paraître. Il est souvent intéressant de voirque, dans une forme simple, peuvent exister des rapportssurprenants7. »

Au lieu d’orienter constamment l’attention de l’auditeur àcoups de contrastes et de surprises, Tenney permet lacontemplation et l’observation d’un objet ou d’un processusmusical continu. La sensation d’un temps étiré produitepar des œuvres telles que Critical Band évoque la notion,chère à Grisey, de « temps dilaté » :

Bien qu’à certains égards,le spectralisme ait été conçu en réaction contre le sérialisme,ces deux mouvements sont nésde la même tradition formellefondée sur la tension dramatique.

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SPECTRES TRANSATLANTiQUES

À mesure que la musique spectrale pénètre les salles deconcerts américaines, nombre d’amateurs de musique

contemporaine se rendent compte que ses préoccupationssont étonnamment familières. Tandis que les auditeursdes États-Unis découvrent beaucoup d’aspects du spectra-lisme, certaines de ses notions musicales et sonores sont,depuis plusieurs décennies, au cœur des recherches descompositeurs américains.En 1984, Gérard Grisey affirmait dans un texte essentielconsacré à l’esthétique spectrale : « Nous sommes desmusiciens et notre modèle est le son, pas la littérature ; leson, pas les mathématiques ; le son, pas le théâtre, ni lesarts plastiques, ni la théorie quantique, ni la géologie, nil’astrologie, ni l’acupuncture1. » Si la principale caracté-ristique du spectralisme est le recours au son commesource du matériau musical et de l’inspiration, alors lamusique américaine du siècle dernier a donné naissance à de nombreux « spectralistes », chez des compositeursfascinés par des phénomènes acoustiques tels que la sérieharmonique, le battement et les sons combinés. Toutefois,les « spectralistes » américains ont évolué dans un contexteartistique et intellectuel très différent de celui de Murail et de Grisey et ont été profondément influencés par leursrencontres avec les systèmes d’accordage historiques, lesmusiques d’Asie, l’art conceptuel et le minimalisme.À l’instar des « spectralistes » qui se sont tournés vers le« son en soi » en réaction aux abstractions de la musiquesérielle, le compositeur autodidacte américain Harry Partch(1901–1974) estimait qu’une étude physique approfondiedu son pouvait raviver une tradition engluée dans laconvention et isolée de son matériau de base : « Il n’estguère utile de souligner que la musique est un art physique etqu’une exploration régulière du physique [...] est la seuledémarche fondamentale, la seule manière dont une périodemusicale puisse connaître quelque importance. » Partchdéplorait que l’emploi du tempérament égal (division del’octave en douze parties égales) aux dépens de l’intonationjuste (l’accord traditionnel d’intervalles musicaux selon desratios de vibrations, mesurés en nombres entiers) ait fait dela musique occidentale un « art du son qui nie le son2 ».

L’intonation juste repose sur les intervalles naturels qui setrouvent entre les tons de la série harmonique, élémentessentiel de la technique spectrale. Dans le tempéramentégal, ces intervalles justes idéaux ne sont disponibles que dansdes versions désaccordées et approximatives : les accordeurs

de claviers ont sacrifié la précision de l’intonation au profitde l’aisance à changer de tonalité. Partch a étendu la versionRenaissance de l’intonation juste – uniquement fondée surdes ratios créés à partir de multiples des nombres premiers2, 3 et 5 – en ajoutant des nombres premiers plus élevéscomme 7 et 11. Ces nouveaux nombres produisent desintervalles possédant la fluidité des intervalles justes tra-ditionnels, mais qui n’ont jamais fait partie de la théoriemusicale occidentale courante, notamment la septième natu-relle bémol (7:4) ou la quatrième augmentée bémol (11:8).Face à la difficulté à reproduire avec précision ses nouveauxintervalles sur des instruments traditionnels, Partch fabri-qua ses propres instruments, rassemblés en une collectionaux noms exotiques : le Chromelodeon, le Harmonic Canon[canon harmonique], la Kithara, les Spoils of War [dépouillesde guerre], le Zymo-Xyl, les Cloud Chamber Bowls et le DiamondMarimba [marimba en diamant]. À son concept d’une musique plus naturelle et orientéevers le corps, Partch a donné le nom de corporalisme. Lescompositions vocales de Partch associent l’intonationjuste étendue à un phrasé proche de la parole ; on compte,parmi ses nombreuses œuvres vocales, des mises en musi-que de textes de clochards, réunis à l’occasion de ses vaga-bondages durant la crise des années trente.

La musique et les théories de Partch ont influencé des com-positeurs des générations suivantes qui ont écrit pour desinstruments occidentaux conventionnels, notamment LouHarrison (1917–2003), Ben Johnston (1926), et Ezra Sims(1928). La pratique de ces compositeurs de l’intonationjuste demeure assez différente de l’esthétique spectrale,même si leur recours aux intervalles justes démontre un intérêt pour l’aspect physique du son. Bien que l’emploi dephénomènes sonores naturels soit l’essence de ce mouve-ment, le spectralisme ne se définit pas seulement par l’uti-lisation de la série harmonique (et des intervalles qui endécoulent). L’usage du sonagramme a permis aux composi-teurs de musique spectrale d’étendre leur matériau harmo-nique au-delà de la série harmonique mathématiquementidéale, afin d’y inclure les spectres distordus et inharmoni-ques de nombreux sons du monde réel. Selon Bob Gilmore,spécialiste de Partch, les spectralistes s’intéressent avanttout au temps et à la forme, et non à la microtonalité3.Pour le compositeur Joshua Fineberg, le concept spectralessentiel repose sur la conviction que « la musique est, endéfinitive, du son qui évolue dans le temps4 ». Au contraire,

AUX ÉTATS-UNiS, DES VOiES PARALLÈLESAU SPECTRALiSMEPAR ROBERT HASEGAWATRADUIT DE L’ANGLAIS PAR JEAN-FRANÇOIS CORNU

« Pour moi, la musique spectrale a une origine temporelle.À un moment donné de notre histoire, il a été nécessaired’attribuer une forme à l’exploration d’un temps extrême-ment dilaté et d’atteindre le degré de maîtrise le plusachevé dans la transition d’un son à un autre8. »L’« exploration d’un temps extrêmement dilaté » par Tenneyest plus radicale que celle de Grisey et, par là même, il insistesur un accordage bien plus précis des tons de ses accords. Lacadence musicale et l’intonation sont étroitement liées.Comme l’affirme Terry Riley, «la musique occidentale estrapide parce qu’elle n’est pas juste9 ». Tandis que la plupart descompositeurs de musique spectrale se contentent d’approcherles partiels au quart ou au huitième de ton le plus proche,Tenney précise ses tons au cent près et indique les ratios d’intonation juste qui associent chaque note au la fondamental.Alvin Lucier (1931) partage l’esthétique antispectaculaire deTenney et, comme lui, utilise fréquemment les phénomènesacoustiques comme fondement de ses compositions. Dansl’une de ses compositions les plus connues, I Am Sitting in aRoom (« Je suis assis dans une pièce », 1969), Lucierdemande à l’interprète d’enregistrer un court texte (« Je suisassis dans une pièce, différente de celle dans laquelle vousvous trouvez actuellement…»), décrivant tout le processus del’œuvre. L’enregistrement est diffusé dans la pièce et réenregis-tré sans cesse. Au fil des répétitions de la procédure, certainséléments de fréquence (des partiels) du texte parlé sontamplifiés par les résonances acoustiques naturelles de lapièce, tandis que d’autres sont annulés. Finalement, seulesdemeurent les notes résonantes de la pièce donnée, sous laforme de sifflements mélodiques obsédants: «Nous découvronsque chaque pièce possède son propre ensemble de fréquencesrésonantes de la même façon que les sons musicaux possèdentdes harmoniques10. »La forme de cette «partition» – instructions verbales décrivantun processus plutôt que notation musicale traditionnelle –doit beaucoup à l’influence de John Cage, dont Lucier étaittrès proche dans les années soixante. Cette œuvre met en mou-vement un processus général, le compositeur renonçant auxdétails spécifiques de son déroulement. Comme dans lesœuvres de Tenney, la prévisibilité de la forme générale del’œuvre laisse l’auditeur libre de s’immerger davantage dansle son en évolution. Dans des œuvres plus récentes commeMusic for Piano with Slow Sweep Pure Wave Oscillators («Musiquepour piano et oscillateurs d’ondes pures à balayage lent», 1992),Lucier associe des instruments traditionnels à des ondes sinu-soïdales qui changent lentement de ton. À mesure que lesondes croisent les sons des instruments, elles déclenchentde subtils motifs kaléidoscopiques d’interférences et debattements.

Il serait incomplet d’évoquer l’intonation juste et les voiesaméricaines parallèles au mouvement spectral sans parlerde La Monte Young (né en 1935), compositeur parvenu à unetechnique d’intonation juste indépendamment de Partch etde ses disciples. Young est peut-être surtout connu commel’un des pères (avec Terry Riley) du minimalisme qui,comme le spectralisme, était une riposte à la complexité et àl’abstraction du sérialisme, riposte qui a pris cependant unetout autre direction.

Si Young a participé au mouvement Fluxus au début desannées soixante, l’influence la plus durable sur sa musiqueest due à son apprentissage auprès du musicien indienPandit Pran Nath. L’immersion de Young dans la musiqueindienne a conduit le compositeur à faire preuve d’unevénération quasi mystique pour les intervalles justes supé-rieurs. Son The Well-Tuned Piano (« Le piano bien accordé »)est une œuvre pour piano seul, partiellement improvisée etd’une durée de six heures, selon une tonalité fondée sur lesnombres entiers 3 et 7; ceci produit des relations harmoniquessimples telles que 7:4 (équivalente au septième partiel de lafondamentale), mais aussi des relations composites complexescomme 441/256. La durée extraordinaire des œuvres de Youngest accentuée dans ses installations à ondes sinusoïdales, quimaintiennent des jours durant des tons purs selon des ratiosjustes complexes.

L’influence directe des compositeurs français de musiquespectrale est aujourd’hui patente dans la composition amé-ricaine, en particulier en milieu universitaire, phénomènelogique puisque Tristan Murail enseigne à la ColumbiaUniversity, tandis qu’Edmund Campion et Joshua Fineberg,« spectralistes de la deuxième génération », enseignent àBerkeley et à Harvard. Le spectralisme européen exerce sa plus forte influence surles cercles plus universitaires, plus « nobles », de la compo-sition américaine, tandis que les compositeurs que j’évoqueici sont plutôt associés à une musique « moins noble » :expérimentalisme, conceptualisme et minimalisme. Lesidées des compositeurs en intonation juste ont tendance àrester en marge de la scène musicale, bien qu’elles prospè-rent grâce à une nouvelle génération de compositeurs parmilesquels Larry Polansky, David Doty et Kyle Gann. Ce der-nier, étudiant de Ben Johnston, déplore cette situation: « J’aibien du mal à comprendre pourquoi les compositeurs amé-ricains en intonation juste ne sont considérés que commedes visionnaires égarés, alors que les compositeurs françaisde musique spectrale sont canonisés avec diligence11. »La rencontre de la tradition expérimentale américaine et duspectralisme français sera peut-être fructueuse, à mesureque la complexité formelle et la sophistication technologi-que du spectralisme se frotteront à la pureté des accords dePartch, ainsi qu’à l’intense précision et à l’éléganceconceptuelle présentes dans les œuvres de Tenney, deYoung et de Lucier. L’attraction permanente et immédiatepour le son proprement dit comme source d’inspirationmusicale offre la possibilité d’un terrain d’entente, d’unpont jeté sur un grand fossé esthétique et philosophique. #

/1.Gérard Grisey,“La Musique:le devenir des sons”,Darmstädter Beiträge zur Neuen Musik,n°19,1994,p.22,trad.DanielPressnitzer etStephen McAdams,“Acoustics,Psychoacoustics,and Spectral Music”,Contemporary Music Review,vol.19,n° 2,2000,p.58 /2. Harry Partch,“Show Horses in the ConcertRing”,Circle,n°10,été 1948,p.43-51,repris dans Bitter Music:Collected Journals, Essays, Introductions, and Librettos, Urbana et Chicago, University of Illinois Press, 1991, p. 176-179 /3.

Bob Gilmore,op.cit.,p.30 /4. Joshua Fineberg,Classical Music,Why Bother?,New York et Londres,Routledge,2006,p.112 /5.James Tenney,“Interview with Gayle Young”,Only Paper Today, juin 1978,p.16,et cité dans Larry Polansky,“The Early Works of James Tenney”, Soundings, n° 13, 1984, p. 194-195 /6. James Tenney, texte de présentation duCD Donaueschinger Musiktage, 1996, Munich, Col Legno, 1997, p. 74 /7.Tenney,“Interview with Gayle Young”, op.cit., p. 194 /8. Gérard Grisey,“Did You Say Spectral?”, Contemporary Music Review, vol. 19, n° 3, 2000, p. 1 /9. Citédans Kyle Gann, “Just Intonation Explained”. http://www.kylegann.com/tuning.html /10. Alvin Lucier,“Careful listening is more important than making sounds happen”, Reflections : Interview, Scores, Writing,Cologne, MusikTexte, 1995, p. 434 /11. Kyle Gann, “ New Music in Old Europe ”, PostClassic, 24 mars 2004.http://www.artsjournal.com/postcalssic/2004/03/new_music-_in_old_europe.html.

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SPECTRES TRANSATLANTiQUESAnthony McCall, Turning Under, 2004. Vue de l’installation 12 minutes (Centre Georges Pompidou / La maison rouge installation, 2004). Courtesy :Anthony McCall et Galerie Martine Aboucaya. Photographe © Marc Domage,coproduction MNAM/La Fondation Antoine de Galbert, Paris.

Anthony McCall, Line describing a cone, 1973. Vue de l’installation (exposition au Whitney Museum of American Art. Courtesy : Anthony McCall et Galerie Martine Aboucaya. Photographe © Henry Graber, 2002.

riciens ne sont pas préparés. Ça aprovoqué pas mal de malentendus et,surtout, pas mal d’oppositions et decritiques. C’est en train de changer,c’est seulement aujourd’hui qu’on ades musicologues et des théoricienscapables d’écrire sur cette musique.

Quel était le sentiment généralface à ce courant lors de votrearrivée ?Jusqu’ici aux États-Unis, une foissorti de New York, on voyait cettemusique comme curieuse mais onne comprenait pas très bien de quoiil s’agissait. Mon nom était déjàconnu à New York, sinon on nem’aurait pas engagé, mais ilsavaient encore beaucoup de choses àdécouvrir concernant la musiqueeuropéenne. Ces dernières années,un fossé s’était créé et une igno-rance réciproque entre Europe etÉtats-Unis.

Qu’avez-vous trouvé et qu’avez-vous apporté dansl’emploi de l’informatique ?Là non plus, les gens n’étaient paspréparés. Parce qu’à Columbia, lacomputer music, c’est vraiment uneautre direction, très technique, avecdes gens très forts d’ailleurs. Ons’intéresse au traitement du signal, onécrit des programmes, on fait pasmal de temps réel, on utilise des cap-teurs et puis on se livre à des transfor-mations avec l’ordinateur Imax. J’aiapporté ce que je savais faire avec latechnique Ircam qui n’était pas connue.

N’y a-t-il pas aux États-Unis des séparations nettes entrerecherche, expérimentation et écriture musicale ?Oui, ça fonctionne un peu comme unvaste club avec un congrès annuel. Etce que je déplorais en arrivant, et quiest encore malheureusement un peule cas, c’est cette séparation entremusique instrumentale et musiqueinformatique. On a essayé de rompreavec cette division à Columbia, mais

Vous n’aviez pas de votre côté, un intérêt particulier pour la musique américaine ?Autrefois, j’ai eu un intérêt pour lamusique minimaliste des débuts,avant qu’elle ne tourne mal. Je penseà la musique très pure des premièrespièces de Reich. Pas seulement à samusique, mais aussi sa théorie, cetteidée de changement qu’on avaitreprise Grisey et moi dans unedémarche parallèle. Après, au momentde l’Itinéraire, je me suis intéressé àGeorge Crumb, parce qu’il avait toutun travail extrêmement fin sur letimbre, même si au niveau esthéti-que, je n’étais pas forcément d’ac-cord. Après ça, il y a pour moi ungrand vide dans la musique améri-caine. Aujourd’hui il y a quelquesélèves très intéressants qui, je l’es-père, vont pouvoir se développer. Cesont des compositeurs intéressés parles techniques spectrales mais dansun sens très large. Ca devient popu-laire dans le cadre évidemment res-treint des communautés musicalesnew-yorkaise et bostonienne.

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SPECTRES TRANSATLANTiQUES

En dehors des avantagesmatériels que l’on suppose,quelles raisons vous ont conduità venir enseigner aux États-Unis ?Les raisons étaient en grande partiematérielles, mais j’avais aussi envied’apporter quelque chose de neuf etc’est ce que j’ai essayé de faire. C’estdifficile de dresser soi-même lebilan de son action mais je croisquand même avoir apporté quelqueséléments nouveaux, y compris cer-taines choses très pratiques. Mêmesi ça se serait probablement tôt ou tard fait sans moi, j’ai contribuéà faire connaître tout un pan de lamusique européenne pas ou malconnue à mon arrivée. Aujourd’hui,à New York en tout cas, on joue assezcouramment Grisey, Sciarrino, unpeu moins Lachenmann mais c’esten train de changer.

Qu’attendait-on de vous en vous invitant à Columbia ?Lorsqu’on engage un professeur, il ya d’abord une recherche de pres-tige. Il existe une véritable concur-rence entre universités, et on essaied’attirer des professeurs suscepti-bles eux-mêmes d’attirer des étu-diants ou d’accroître la renomméede l’institution. On ne s’attendaitpas à ce que je bouleverse le systèmeéducatif mais on espérait un certainéclat professoral. J’occupe là-bas un poste de senior que l’on obtientnormalement après tout un parcoursuniversitaire, mais pour moi quivenais de l’extérieur, c’était différent.Je reste l’outsider et on me laisseune grande liberté, et je ne cherchepas à trop m’impliquer dans la poli-tique universitaire.

Quelles sont les différencesessentielles dans l’enseignemententre France et aux États-Unis ?Le fait que ce soit une université etpas un conservatoire suppose uneapproche totalement différente. Iln’y a pour ainsi dire pas d’enseigne-ment instrumental ou alors à unniveau à peine supérieur à l’amateuréclairé. Ne pas avoir d’instrumen-tistes avec lesquels travailler estévidemment un manque. La grandeforce en revanche se situe au niveauthéorique : composition, ethnomu-sicologie, histoire de la musique,théorie, analyse. Telles sont les qua-tre ou cinq orientations au niveaudu doctorat. Le niveau intellectuelest élevé, voire très élevé. D’autrepart, mes étudiants à Columbia ensont tous au niveau du doctorat, etnos relations ne peuvent être cellesde maître à élèves. Un certain nom-bre d’entre eux ont déjà des carriè-res. On dit souvent que l’enseignantapprend autant que les élèves. Ce n’est pas toujours vrai mais là,c’est effectivement le cas. Les élèvesm’apportent énormément, y com-pris à un simple niveau pratique. Jeviens de terminer un CD de mesœuvres avec l’ensemble Argentoformé par un de mes élèves. MichelGalante, qui dirige l’ensemble, aune conception de la musique quime donne entièrement confiance etnous avons réalisé ensemble desenregistrements tout à fait extraor-dinaires. La force de l’université américaine,c’est son cosmopolitisme. À Columbiaet à Harvard, grâce à Joshua Fineberg,on est en train de diffuser le courantspectral, pas seulement aux États-Unis, mais aussi ailleurs dans lemonde, grâce aux étudiants quenous avons et qui viennent de partout.Même au niveau des publications,

j’ai un livre qui va sortir prochaine-ment en Angleterre. Nous avons pasmal d’élèves sud-américains, euro-péens et asiatiques. Dans les uni-versités, les classes de composition,ça se passe en entretiens indivi-duels, donc nous pouvons avoir deséchanges extrêmement différentsen fonction des personnes. Ça va dela technique brute jusqu’aux consi-dérations esthétiques ou sociologi-ques. Suivant les cas, ça peut eneffet être intéressant. Beaucoup seposent les questions de leurs raci-nes, de leurs origines. Qu’ils soientasiatiques ou sud-américains, cesont toujours les mêmes questionsqui reviennent : qu’est ce que je faisde mon héritage culturel ? Est-ce quej’en ai un ? Est-ce que je le connais ?parce que souvent ils ne le connais-sent même pas. Que faire de cet héri-tage sans tomber dans le folklore.Ce que je trouve également enri-chissant, ce sont nos réunions heb-domadaires en séminaires où lescompositeurs viennent présenterleur travail. On découvre parfoisdans ces occasions des chocs depoint de vue étonnants entre lesdifférentes cultures.

Pour en revenir à la théoriemusicale, les Américains n’ontguère écrit sur le spectralisme.Personne n’a beaucoup écrit sur lespectralisme et il y a plusieurs raisonsà cela. L’une des raisons est que per-sonne n’était formé à écrire surcette musique. L’attitude spectraleprend le contre-pied de l’attitudetraditionnelle: thème-développement,accompagnement, soit tout ce qu’ontrouve dans la musique classique oudans la musique sérielle. Alors,quand il s’agit de partir d’un autrepoint de vue : l’écriture de masse,les questions acoustiques, les théo-

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Entretien avecTRiSTAN MURAiLPROPOS RECUEILLIS PAR PATRICK JAVAULT

Anthony McCall, Doubling Back, 2003. Vue de l’installation (à la Biennale de Whitney, 2004). Courtesy: Anthony McCall et Galerie Martine Aboucaya. Photographe © Henry Graber,2004.

ANTHONY McCALL

Line describing a Cone (1973) d’Anthony McCall est l’un des classiques ducinéma expérimental et, plus spécifiquement, de ce que l’on a nommé« expanded cinema » (cinéma élargi). Sortis du ghetto expérimental etbénéficiant de l’intérêt grandissant du monde de l’art pour l’image pro-jetée, les films de McCall sont aujourd’hui montrés dans les plus grandsmusées et institutions. Plutôt qu’à rechercher, comme les cinéastesstructurels, les principes essentiels de leur art, McCall s’attache dans sonœuvre aux qualités du projecteur de cinéma qui cesse avec lui de deve-nir outil de transmission pour se révéler producteur de « films de lumièresolide ». En projetant dans des salles noires envahies d’une nappe debrouillard artificiel des films qui montrent le tracé lumineux progressifde formes géométriques, il se crée dans l’espace des formes tridimen-sionnelles que les spectateurs peuvent traverser ou dans lesquelles ilspeuvent s’immerger. Le film devient une expérience à vivre plutôt qu’unspectacle limité aux deux dimensions de l’écran. McCall considère que laforme tridimensionnelle est le vrai « corps de l’œuvre » et l’image sur lemur son empreinte. Par leur lent développement qui est aussi mode d’in-vestigation, leur double jeu d’illusion et de révélation, les films de McCalltendent une voie « tangible » entre arts de durée et arts de l’espace.

dans d’autres universités, il s’agitd’enseignements totalement séparés.À Columbia, on oblige tous les élèvesde composition à suivre des coursd’informatique musicale. Il y a dansla computer music, quelques cher-cheurs très forts et qui cherchent à protéger leur petit domaine.

Observez-vous un élargissementdu public ?La musique contemporaine ne peuts’écouter qu’à New York et Bostond’un côté, San Francisco et LosAngeles de l’autre, et puis Chicagoentre les deux. En dehors de cesgrandes villes, on peut l’entendre àtravers le réseau universitaire quis’étend dans tout le pays, mais ça sepasse alors sur le campus et celareste un public universitaire.

Avez-vous bénéficié pluslargement de commandes ?Pas énormément, pas autant qu’enEurope, puisque les commandes sonttoujours le fait des fondations et quele mécénat a tendance aujourd’hui àse tourner soit vers les arts plasti-ques, soit vers l’humanitaire. Il nereste pas grand-chose pour la musi-que, mais il y a quand même des fon-dations bien établies, comme la Fordà Boston, qui continuent à donnerrégulièrement de l’argent. C’est uneinstitution sur laquelle on peutcompter et pour un certain type deprojets il n’y a pas besoin de chercherde nouveaux mécènes. En revanche,lorsqu’à Columbia on veut organiserune série de concerts, il faut trouverl’argent et chaque fois présenter leprojet à d’éventuels bailleurs defonds. Les commandes représententtrès peu de choses à côté de l’organi-sation de concerts qui, eux, pèsentlourds. New York n’est pas vraimentun désert musical mais, dans cedomaine-là, on a vraiment affaire àune économie de survie. Ce qui man-que, c’est une forme de soutien publicpour la musique. Les échanges parInternet vont probablement amenertrès vite à un bouleversement de cettesituation. C’est peut-être encore unpeu tôt pour le téléchargement et ladiffusion de la musique contempo-raine par le Net, mais on s’acheminevers ça.

Votre musique est jouée des deux côtés des États-Unis ?Aussi sur la côte ouest un peu maisce qui est joué, c’est la musique dechambre, genre sinfonietta, à la limite15 ou 20 musiciens. Mais, le plussouvent, je suis joué et invité dansles universités. Pour des conférenceset des masters classes, on s’arrangegénéralement pour que ce soit suivid’un concert. On a parfois de trèsbonnes surprises. Je me suis trouvérécemment invité dans un collège àAtlanta et j’ai assisté à un concert quim’était consacré par un ensembleinvité, et c’était d’un très bon niveau.Chaque année, j’ai trois ou quatreinvitations de ce genre au États-Unis, y compris dans des endroitsun peu improbables. L’année pro-chaine, je suis par exemple invité à Salt Lake City.

Existe-t-il selon vous des compositeurs américainshonteusement méconnus en France ?Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de compositeurs importants que l’onméconnaîtrait ici. Peut-être quandmême ces compositeurs expérimen-taux qui mériteraient d’être davan-tage joués. Je pense à James Tenney,Christian Wolff, Alvin Lucier, La MonteYoung. #

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Pouvez-vous nous dire quellessont les différences les plusflagrantes entre la France et les États-Unis dans la façon dont un compositeur construitune carrière ? Que faut-il pourque ses œuvres soient jouées et(de préférence) plus d’une fois ?La principale différence en termes decarrière pour un jeune compositeuraux États-Unis et en France est qu’auxÉtats-Unis le système n’en est pas vrai-ment un. Tout est fragmenté. On a desensembles, des orchestres, des univer-sités, fondations, concours… Chacun ases propres structures et sa façon defaire. En France, il peut être difficiled’entrer dans le réseau mais, au moins,un jeune compositeur peut voir cequ’est ce réseau. En Amérique, chaquecompositeur procède à sa façon pour sefaire connaître. Certains compositeursprennent la voie institutionnelle, d’au-tres les circuits alternatifs et d’autresencore mélangent librement les deux.Aux États-Unis, un jeune compositeurne doit pas seulement réussir mais secréer un rôle et, ensuite, réussir dansce rôle. Cela peut avoir des effets terri-bles lorsqu’on donne beaucoup trop depoids à la carrière et aux relationspubliques (beaucoup de jeunes compo-siteurs aux États-Unis engagent despublicitaires pour aider à leur promo-tion), mais cela offre en revanche uneouverture incroyable pour quelqu’unqui peut être brillant sans entrer dans lemoule traditionnel.

Vous évoquiez, dans une précédenteconversation, la façon dont les Américains sont, en général,« dogmatiquement anti-dogmatiques » et manifestentune grande réticence envers toutce qui se rattache à un programme.Pouvez-vous préciser ce point et expliquer ce qui, selon vous,

a permis à la musique spectraled’être jouée et écoutée aux États-Unis en dépit de sa mauvaiseimage.Le climat intellectuel que je décrivaiscomme dogmatiquement antidogmeest un phénomène relativement récent.De plus, je crois qu’il tire son énergiedes dogmes dont il cherchait à sedébarrasser. Depuis le début, l’éclec-tisme a été un cri de ralliement diffi-cile à employer. C’est une chose d’écou-ter un concert avec des pièces couvranttout le spectre de l’écriture musicalealors que tous les autres concerts ras-semblent des pièces qui se ressem-blent toutes. Mais, dès que l’éclec-tisme devient la norme, le danger estque cela apparaisse imprécis ou aléa-toire. Lorsque Tristan Murail et moisommes arrivés à New York, les dog-mes avaient été jetés mais n’avaientpas vraiment été remplacés par quel-que chose d’autre. Les concertsparaissaient souvent imprécis, et lesinterprètes et le public étaient souventplutôt insatisfaits. Cela était déjà entrain de changer sous l’impulsiondavantage des interprètes et des publicsque des compositeurs et des théoriciens.Les ensembles étaient à la recherchede quelque chose qu’ils pourraientdéfendre avec davantage d’engage-ment. Le fait que nous venions de lascène parisienne, où nous étions encontact régulier avec nos interprètes,nous rendaient aptes à leur apprendreà jouer nos musiques avec davantagede pratique que des compositeursaméricains passés par l’université.Même parmi ceux qui n’aimaient pasnotre musique il y avait une authenti-que curiosité pour ces idées qui sem-blaient être devenues si importantes àune époque où la musique ne semblaitplus reposer sur des idées importantes.Un dernier facteur important a été lesoutien apporté à la musique française

par Emmanuel Morlet qui travaille auConsulat français à New York. Enfin, je pense que nous avons bénéficié dufait que l’opposition à un programmen’est jamais, à long terme, aussi fortequ’un programme.On peut dire que lamusique spectrale a cessé ici d’être unproduit exotique rare que l’on ne pro-gramme qu’en certaines occasions.Mes étudiants et beaucoup d’autre auxÉtats-Unis commencent à réaliserqu’utiliser le son et le processus commeéléments centraux du discours musicaln’est pas un choix aberrant (comme le pensaient encore nombre de mesprofesseurs), mais que c’est au moinsune voie possible pour résoudre ledilemme fondamental d’un composi-teur : comment écrire une musiquequi soit à la fois nouvelle et compré-hensible pour un public, hors du cadrecommun de l’époque tonale. Dans unarticle sur la musique spectrale écrit àma demande pour Contemporary MusicReview, Jonathan Harvey a écrit : « Jene voudrais pas faire écho au fameux“inutile” employé par Boulez pourdécrire ceux qui n’étaient pas affiliés ausérialisme; néanmoins, je trouve que lescompositeurs d’aujourd’hui qui sontrestés totalement insensibles au spec-tralisme sont en tout cas moins intéres-sants. Pour une fois, l’histoire paraîtgrande; le spectralisme est le momentd’un changement important après lequelpenser la musique ne peut plus êtreexactement la même chose.» Ce n’étaitpeut-être pas encore tout à fait vrai auxÉtats-Unis quand il a écrit ceci, maisc’est en train de le devenir rapidement.

Indépendamment de votreexemple, qu’est-ce que lamusique spectrale a apporté à la jeune génération decompositeurs américains ? Quels effets en voyez-vous chez des compositeurs dont

Entretien avecJOSHUA FiNEBERGPROPOS RECUEILLIS PAR PATRICK JAVAULT

TRiSTAN MURAiL

1947 Naissance au HavreDiplômé d'arabe classiqueet d'arabe maghrébinDiplômé de l'Institutd'études politiques

-1967Élève d'Olivier Messiaen au Conservatoire nationalsupérieur de Paris

-1971Reçoit le prix de Rome et passe deux ans à la Villa Medicis

-1973 Fondation de l'ensembleL'itinéraire

-1991 Collaboration régulière avec l'Ircam où il enseignela composition

-1997Titulaire de la chaire decomposition à l'universitéde Columbia (New York)

---œuvresrécentesWinter Fragments (2000)Les Travaux et les Jours (2002)Terre d'ombre (2003-2004)Pour adoucir le cours du temps (2005)Les Ruines circulaires (2006)Seven Lakes Drive (2006)

SPECTRES TRANSATLANTiQUES

pièce, nous trions et poussons nosrésultats jusqu’à ce qu’ils émettentles sons que nous voulons créer.

La minoration de la théorie, le refus de justificationsextérieures à la musique ontdonné ou donnent de la musiquespectrale l’image d’un courantmoderniste attaché à l’autonomie, à une formed’isolement. Il me semble que, en dépit de cette image, la musique spectrale est aussi à la recherche de la réalité.Je ne peux parler qu’en mon nom,mais je crois appartenir à ce cadremoderniste qui cherche à créer unobjet que l’on puisse juger selon sespropres termes, sans le rattacher àdes contextes extérieurs ou du moinsnon-sonores. Le plus important pourmoi est que je ne veux pas que le sensintérieur soit abstrait, je veux qu’ilsoit « réel » pour les auditeurs ; jeveux être sûr qu’un auditeur humain,attentif, a l’information et la capacitéde faire ce contexte à partir des élé-ments qui se trouvent dans la pièce.Je veux créer un objet qui soit « sono-rement » réel, mais je ne veux pas lerattacher à une quelconque réaliténon-musicale qui sera différentepour chaque auditeur et pour chaquemoment donné. C’est certainementutopiste, mais je veux que ma musi-que soit autonome et accessible àn’importe quel auditeur attentif quiest prêt à faire l’effort. Je ne veux pasécrire pour un public utopique avecune concentration, un engagement etun entraînement surhumains. Toutce que vous avez besoin de « com-prendre » devrait être contenu dansson univers sonore.

Nous avons évoqué les rencontreset les proximités possibles avec des compositeurs américains de la même génération, ou plusâgés, que Grisey et Murail. À propos de Tenney, vous m’avez dit que ce qui vousséparait résolument de lui étaitle fait que, pour lui, tout devaitêtre donné au début, et qu’il étaitsatisfait de ce qu’il n’y ait aucunesurprise à attendre au cours de l’écoute de l’œuvre.

La différence est donc dans le sens que vous donnez chacun à l’idée de processus. C’est une différence de projet, de philosophie ou simplement de conception de la musique ?Je crois qu’il s’agit d’une véritabledifférence dans la conception de lamusique et probablement même del’art. Je ne crois pas que l’artiste doiveessayer de se détacher lui-même del’œuvre. Au contraire, lorsque j’écouteune œuvre je veux être conduit deforce dans les perceptions de quelqu’und’autre. Je veux éprouver une trèsforte présence. De plus, dans l’ap-proche de Cage et de Fluxus, on trouveun fort rejet de beaucoup ou de la plu-part de l’art des XVIIIe et XIXe siècles (jeveux parler des buts artistiques, pasdes buts sociaux qui, jusqu’à un cer-tain point, peuvent être séparés).Pour moi cet art, et particulièrementcette musique, produit de surpre-nantes sensations chez les humains,tous ces sentiments d’attente, de sur-prise, d’accomplissement, d’antici-pation. Je n’ai aucune envie d’extir-per ces choses de ma musique, je veuxseulement trouver une manière per-sonnelle de créer ces sensations et lesutiliser pour donner forme à uneexpérience nouvelle. En un sens, jecrois qu’il est plus facile de rejeter lesprémisses que de se confronter à ladifficulté d’écrire quelque chose devraiment différent qui ait la puis-sance de cette ancienne musique.Comme Grisey, je crois que la musi-que vraiment satisfaisante est avanttout une question de forme. L’esprithumain crée constamment des sensa-tions de causalité et même de narra-tion. Cela me semble être quelquechose qu’un compositeur doit mettreen forme et manipuler, pas supprimer.#

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les œuvres ne se rattachent pasdirectement à ce courant ?Je crois que cet effet commence àdevenir très important de plusieursfaçons. La première est qu’enAmérique il y a souvent eu commeune sorte de ligne de partage absolueentre compositeurs qui emploientdes « notes » et ceux qui ont recoursà des effets spéciaux, des bruits oudes sons électroniques. Il y a aussisouvent eu une division absolueentre compositeurs « électroniques »et compositeurs « acoustiques ». Lesœuvres des compositeurs spectrauxont eu un rôle clé pour montrer quela hauteur des sons est toujoursimportante et que les qualités tim-brales des « notes » sont aussiimportantes, que le contenu sonoredes sons électroniques et acoustiquesexiste en un continuum. Sans le cadrecommun de la grammaire tonale,même les qualités sonores de lastructure musicale la plus abstraiteseront problématiques pour la réussited’une œuvre musicale. Il n’y a peut-être qu’un ou deux de mes quinze

traire, mais l’explication ne signifierien si l’art n’est pas convaincant. Si l’on compare aux arts visuels, nous maintenons une croyance un peuvieillotte en une sorte d’objet artisti-que avec ses qualités artisanales, etc’est ce résultat final qui compte, pasles moyens avec lesquels il a été pro-duit. Nous jugeons les théories nonpas selon leur beauté ou leur cohé-rence, mais selon la beauté ou lacohérence des objets qu’ils permet-tent de réaliser.Cela peut sembler une distinctionarbitraire, mais d’un point de vuepratique cela change tout. Si la théo-rie est centrale, on hésite à la défor-mer, mais s’il s’agit d’un moyen onn’hésitera pas à s’en défaire lorsqu’ellesera devenue inutile, ses résultatsseront moins décisifs, davantage dessuggestions. Les musicologues débat-tent souvent de savoir si une « faussenote » dans une pièce à 12 sons deSchoenberg est une erreur ou unchoix compositionnel. À notre propos,ils n’ont pas besoin de débat, nouschangeons les notes dans chaque

étudiants à manifester un véritableintérêt pour le spectral, mais chacunest aujourd’hui préoccupé par lafaçon dont ses choix de timbres vontaffecter son discours musical.

Si, pour les « spectraux », la théorie n’était pas considéréecomme primordiale, ne croyez-vous pas que le fait d’avoir un programme, le fait de croire à un progrès, à des évolutions,relève aussi d’une théorie ? La « théorie » n’est-elle pasnécessaire à l’écoute d’unemusique exigeante ?Je crois que le rôle de la théorie pourcertains compositeurs du XXe siècle a été plutôt inhabituel comparé àd’autres époques ou à d’autres arts. La musique spectrale n’a jamais pré-tendu rejeter les théories ni même lanotion de musique d’avant-garde. Ceque nous rejetons est l’idée que lathéorie, aussi élégante soit-elle, suf-fise à justifier une œuvre d’art. Ellepeut expliquer un choix, et peut-êtreest-ce une façon de justifier l’arbi-

JOSHUA FiNEBERG

1966 Naissance à Boston (États-Unis)Débute sa formationmusicale dès l'âge de cinq ansDiplômé du PeabodyConservatory de Baltimore(États-Unis)

-1991S'installe à Paris et étudieavec Tristan Murail

-1997 Doctorat en compositionmusicale à l'université de Columbia (New York)

-2000 Professeur au départementmusique de l'université de Harvard (États-Unis)

---œuvresprincipalesEmpreintes (1995),Tremor (1995-1996),Brokensymmetries (2000-2001),Shards (2002),Lolita (2006-2007)

Anthony McCall, Doubling Back, 2003. Vue de l’installation (à la Biennale de Whitney, 2004). Courtesy : Anthony McCall etGalerie Martine Aboucaya. Photographe © Henry Graber, 2004.

Anthony McCall, Doubling Back, 2003. Vue de l’installation.Courtesy : Anthony McCall et Galerie Martine Aboucaya.Photographe © Henry Graber, 2004.

«lancer», «rouler» et «couper» tandis que les miens pourraientêtre «élargir», «converger», ou «accroître».Comme Serra, j'utilise également le processus pourinfluer sur la perception du temps et de l'espace. Alors quele processus en cours peut ne pas être immédiatement évi-dent, une structure sous-jacente soutient l'élan musical eten même temps le guide vers une destination ; tout en res-tant assez subtile pour laisser l'auditeur légèrement dés-orienté. C’est seulement par une évaluation rétrospectivedu processus achevé que l'auditeur comprend entièrementle terrain musical traversé et le temps qu’il a fallu pour lefaire. Serra décrit les effets de son travail récent sur lespectateur en des termes similaires : « Son corps par rap-port à un endroit inconnu qui se révèle quand il y entre[dans une de mes sculptures] apporte probablement unplus grand facteur psychologique… On a le sentiment qu’àmesure que la pièce se dévoile elle progresse, et on n’avraiment aucune idée où le chemin va mener. Et c'estextrêmement différent des pièces précédentes qui étaienttrès axiomatiques : une fois qu’on les avait vues, on avaitcompris comment elles avaient été érigées, comment elles

se tenaient, et comment on pouvait entrer et se déplacer àl’intérieur, au travers, et autour d’elles. La révélation étaitdonc complète. Ici, il y a beaucoup plus un effet de dissi-mulation qui précède la révélation. »Trois processus simultanés soutiennent l’ouverture de macomposition After Serra. D'abord, il y a l'expansion duregistre de l'ensemble du milieu de sa tessiture à ses extrê-mes confins. Puis, l'écriture instrumentale transformedes masses de sons comprimés et inintelligibles en lignespolyphoniques complexes et détaillées. Enfin, les silencesse remplissent de son. Le premier son de l’œuvre est un deces silences, confrontant l’auditoire à la question de savoirce qui constitue le commencement de la pièce et quelleportion de celle-ci s’est alors écoulée. Les silences qui sui-vent, interrompus par des éruptions instrumentales, sontalors compris non plus comme dépourvus de contenu maisau contraire riches d'implications. Ils induisent une esti-mation temporelle de la prochaine arrivée de sons. Parconséquent, les silences sont chargés de plus de tension etde possibilités que les sons eux-mêmes. Ma musique estce que deviennent son et silence. #

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SPECTRES TRANSATLANTiQUES

L a première fois que je l’ai lu, j'ai été immédiatementfrappé par le célèbre propos de Gérard Grisey, « la

musique est ce que le son devient ». Cette citation deGrisey passe aujourd’hui pour exprimer la quintessence del’approche spectrale du son, un terme rarement employépour caractériser ma musique.L'idée même de devenir est néanmoins centrale dans montravail. L’attrait le plus immédiat de cette idée depuis la perspective spectrale réside sans doute dans l'analyse duson. Celui-ci n’est pas réduit à ses composants mais estexaminé dans sa façon de se développer au fil du temps. Onpourrait également l’interpréter comme la manière dontdes projets formels de grandeampleur s’accomplissent à traversle temps. Cette interprétation quifascinait Grisey est pour moi pri-mordiale.La forme dans mon travail estdéfinie par des processus, tandisque les frontières formelles sontdélimitées par les points de débutet de fin de ceux-ci. Commençant avec un matériau musi-cal de base, le processus le transforme, changeant son état.La forme que prend le matériau au début et à la fin du pro-cessus n'est finalement pas aussi importante que son évo-lution progressive à l’intérieur du processus même. Parconséquent, le matériau est défini par son mouvement àtravers un présent qui ne cesse de changer, dans un état de

devenir qui donne à la musique un sens du mouvement, del’instabilité et du changement. Bien que les processus dic-tent certaines des façons dont le matériau sonore peut secomporter, d'autres aspects restent libres, permettant unéquilibre entre indépendance locale et cohésion globale.Les processus s’achèvent par l'épuisement des possibilitésdans une dimension musicale.Je suis attiré par le travail de Richard Serra en partie àcause de notre intérêt commun pour le processus. Pourl’un comme pour l’autre, les processus permettent de nousaventurer au-delà de ce que nous connaissons et d’éviter lebanal. En acceptant les contraintes du processus, des solu-

tions plus imaginatives et plusoriginales sont trouvées aux pro-blèmes que pose la création d’unepièce. Dans les premiers travaux deSerra, cela l’a conduit à compilerune liste de verbes transitifs pourensuite les mettre en applicationdans la réalisation de ses sculptu-res. Selon les mots de l'artiste :

« Ce qui se passe à ce moment-là, c’est que vous ne vousembarrassez pas de la psychologie de ce que vous faites, nide l’image rémanente de ce à quoi ça va ressembler. Ainsi,fondamentalement, cela te donne une manière d’agir sur lematériau en rapport avec le mouvement du corps, en rapportavec le faire, qui s’écarte de toute notion de métaphore, de toutenotion d’imagerie facile. » Les verbes de Serra comprenaient

DEVENiRPAR JASON ECKARDT, COMPOSITEURTRADUIT DE L’ANGLAIS PAR DEBORAH LOPATIN

La première fois que je l’ai lu,j'ai été immédiatement frappépar le célèbre propos de GérardGrisey, « la musique est ce que le son devient ».

Christian Marclay, Untitled (des séries Fourth ofJuly), 2005. Pièce unique. Courtesy de l’artiste et Yvon Lambert, Paris.

U n opéra sur Richard Wagner? Non. Quel rapport entreWagner et le compositeur anglais Jonathan Harvey?

Et l’Ircam dans tout cela?Si les apports pour le genre de l’opéra et les dérives idéolo-giques de Wagner sont bien connus, on oublie trop souventla complexité du personnage et de sa pensée. Il faut souli-gner par exemple sa connaissance de la philosophie deSchopenhauer et son intérêt, peut-être plus surprenant,pour le bouddhisme. Pourtant, cet intérêt ne s’est pasdémenti durant les dernières décennies de la vie du com-positeur. Jusqu’à sa mort en février 1883 à Venise, il songeaà un opéra sur un sujet bouddhiste.Très rapidement, la philosophie de Schopenhauer, axéesur une vision pessimiste de la condition humaine, estadoptée par Richard Wagner, en proie à des difficultéspersonnelles. Schopenhauer publie en 1819 Le Mondecomme volonté et comme représentation où il met en évi-dence le rôle primordial de notre représentation. Cettedistanciation par rapport au monde réel n’est pas si éloi-gnée de l’idée de renoncement adoptée par Bouddha,lui-même redécouvert par l’Europe intellectuelle du XXe

siècle. La philosophie de Schopenhauer s’inspire de cel-les de Platon, de Kant, mais aussi de la spiritualitéindienne. Wagner sera à la fois passionné par Schopenhaueret le bouddhisme.Dès l’été 1855 à Seelisberg, Wagner, commence à se préoc-cuper d’un opéra bouddhiste qu’il intitulera un peu plustard Die Sieger (Les Vainqueurs). Et le 16 mai 1856, il enrédige un bref synopsis à partir d’un récit découvert dansl’Introduction à l’histoire du bouddhisme indien d’EugèneBurnouf. Prakriti, une jeune fille indienne de la plus basseextraction, brûle d’un amour impossible pour Ananda, unproche de Bouddha. Elle ne pourra vivre auprès de sonamant qu’en entrant dans son ordre religieux et en faisantvœu de chasteté. Renoncement au monde comme rédemp-tion, l’histoire de Prakriti et d’Ananda est également unemétaphore de l’inégalité entre les hommes et les femmes.La mort ne laissera pas le temps à Wagner d’achever cetessai ni de composer Die Sieger.La fin de la vie de Wagner est bien connue, notamment parles témoignages de ses proches. Le 16 septembre 1882, ils’installe au Palais Vendramin de Venise avec sa secondefemme Cosima. Sa fille Isolde rapporte une violente que-relle le mardi 13 février 1883 avec Cosima. La raison enserait l’invitation faite à Carrie Pringle (l’interprète de

l’une des Filles du Rhin) de venir à Venise lui rendre visite.La femme de chambre Betty Bürkel, restée à proximité deWagner, est le premier témoin de la crise cardiaque quiemporte le compositeur.Dans Wagner Dream, le compositeur Jonathan Harvey et lelibrettiste Jean-Claude Carrière, tous deux intéressés par laspiritualité bouddhiste, ont relié deux faits de la vie deWagner : la narration de ses derniers instants et son projetde composer un opéra sur un sujet bouddhiste. Et les tech-nologies de l’Ircam ? Des effets spéciaux spectaculaires ?Non, ou pas seulement : elles donnent sens au drame.Bien entendu, mener à bien un tel projet n’est pas une tâcheordinaire pour un compositeur habitué de l’Ircam. Depuisla première idée de Wagner jusqu’à l’achèvement de WagnerDream, l’œuvre en devenir mérite d’être observée.

LA NAISSANCE D’UN OPÉRAAlors qu’il ébauche Wagner Dream, Jonathan Harvey a déjàécrit plusieurs œuvres en rapport avec le bouddhisme,depuis Bakhti et The Path of Devotion jusqu’aux deuxBuddhist Songs. Le compositeur a également une longueexpérience de l’électronique, acquise avec la trentaine depièces réalisées notamment à l’Ircam.Annonçant directement Wagner Dream, The Summer Cloud’sAwakening (2001, pour chœur mixte, flûte alto et piccolo,violoncelle préparé et électronique) réunit des textes deWagner et de Shakyamuni (Bouddha) ainsi qu’un dispositiftemps réel réalisé avec l’assistant musical Carl Faia. Par ail-leurs, la musique de l’opéra utilisera le principe des « chaî-nes mélodiques » déjà expérimenté dans From Silence(1988) et les Ritual Melodies (1989-1990).Avant de rechercher des collaborateurs, le compositeur écritlui-même un premier synopsis et une ébauche de livret enfévrier 2002. L’idée est de mettre en scène une vision deWagner pendant le bref instant de sa mort. Cette vision esttout simplement l’opéra bouddhiste qu’il n’a pas écrit,enchâssé dans le récit des derniers instants de Wagner.À cette époque, l’opéra comprend trois scènes entouréesd’un prologue et d’un épilogue. Dans cette ébauche, la findu drame est alors bien différente de la version définitive.La disparition finale du décor et des personnages indiensdevait mettre en évidence l’irréalité du récit bouddhiste. Ily avait deux interprètes prévus pour Wagner, un acteur par-lant en allemand et un chanteur hors-scène. L’ensemble dudispositif sera simplifié dans la version définitive.

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DU STUDiO À LA SCÈNE

S’inspirant des derniers moments de la vie de Richard Wagner et de son projet d’opéra Die Sieger, lui-même inspiré de la légende bouddhique de Prakriti et Ananda, Wagner Dream,opéra en préparation de Jonathan Harvey, semble multiplier et éclairer les voiles d’illusion.C’est avec Jean-Claude Carrière, qui partage son attirance pour le bouddhisme, qu’Harvey a construit cette illusion-révélation donnée à Wagner « le temps d’un battement de paupières ».

WAGNER DREAM OU LE TEMPS IMMOBILE D’UN DERNIER SOUPIR

Wagner DreamOPÉRA POUR 22 MUSiCiENS, DiSPOSiTiF ÉLECTRONiQUE TEMPS RÉEL SPATiALiSÉ, 5 ACTEURS, 6 CHANTEURS ET CHŒUR DE SOLiSTES.AMSTERDAM / 06, 08, 09, 11, 12,13 JUiN 2007LUXEMBOURG, GRAND THÉÂTRE / 28 ET 30 AVRiL 2007NANTERRE, THÉÂTRE DES AMANDiERS / 23 ET 24 JUiN 2007

ÉLECTRONIQUE POUR UN OPÉRA BOUDDHISTECommandés par le London Sinfonietta, quelques fragmentsde l’opéra sont composés en 2003 et constituent TwoInterludes and a Scene. Les interludes seront joués à Berlin le5 mars 2005. L’ensemble sera donné au Centre Pompidou àParis le 25 mars 2006. La partie électronique des interludesest très importante et préfigure l’ampleur de l’ensembletechnologique mis en œuvre pour l’opéra.L’électronique « temps réel » des interludes, réalisée parCarl Faia, sera ensuite intégrée au dispositif complet del’opéra par Gilbert Nouno à l’Ircam. Seule, une institutioncomme l’Ircam possède les ressources nécessaires à la miseau point et à la pérennité d’une telle réalisation. Les périodesde travail dans le Studio 5 à l’Ircam entre le compositeur etson assistant musical se poursuivront par intermittencejusqu’en 2006.Selon Harvey, seule l’électroacoustique crée le lien entreréalité et rêve, en permettant l’exploration de la frontièreentre l’implicite et l’explicite. Un objet musical peut êtresculpté à volonté et prendre corps dans l’espace. Les proces-sus utilisés comprennent aussi bien la synthèse granulaire,la modulation en anneau, le filtrage multiple, la spatialisa-tion dessinée en temps réel sur une tablette graphique.

L’OPÉRA DÉFINITIFDébut 2005, le librettiste et le compositeur mettent aupoint le livret définitif. L’opéra comportera neuf scènes,les rôles des personnages allemands sont parlés alors queles personnages indiens sont chantés. Le dispositif choralest redéfini et simplifié. Un chœur de solistes chantera desfragments en sanskrit du Livre des morts tibétain. La fin dulivret est encore retravaillée au printemps 2005 pour gom-mer toute action ou discours trop explicite.L’écriture (vocale, instrumentale et électronique) avance àgrands pas pendant l’année 2005 et le début de l’année sui-vante. Le travail se termine en septembre 2006 avec la miseau point de l’électronique pour la fin de l’opéra.

LE TEMPS D’UN BATTEMENT DE PAUPIÈRESComme dans La Tempête de Shakespeare : le monde n’est pasce qu’on croit, les apparences sont trompeuses. Pour le com-positeur, « les choses sont et ne sont pas, le rêve comme laréalité sont deux illusions, nous sommes dans un théâtre ».Wagner Dream est le lieu de rencontre de deux cultures, de deux manières de concevoir la vie et la mort.D’une part, le paradigme de la quête spirituelle chargéed’une grande intensité émotionnelle baigne l’opéra dans le monde de Wagner et du romantisme. Le mythe et l’uni-versalité y rejoignent le contexte psychologique individuel.D’autre part, Wagner, à la personnalité si complexe et siégoïste, était également l’un des rares occidentaux à sonépoque à s’intéresser à l’Inde. L’opéra s’enracine dans lemonde ancestral du bouddhisme oriental et de son détache-ment, son approche philosophique de la souffrancehumaine et de la joie. #

Peu après la mise au point de cette première ébauche dutexte, le nom de Jean-Claude Carrière pour l’écriture dulivret est suggéré à Jonathan Harvey par Pierre Audi, quiaccepte de mettre en scène l’opéra. Les lumières seront assu-rées par Jean Kalman qui, comme Carrière, a travaillé avecPeter Brook.Comme Jonathan Harvey, Jean-Claude Carrière est pro-fondément imprégné par la spiritualité du bouddhisme etl’Inde. Il a notamment écrit La Force du bouddhisme avec ledalaï-lama en 1995 et un Dictionnaire amoureux de l’Inde en2001. Scénariste bien connu de Buñuel (Belle de jour, Cet obs-cur objet du désir, etc.), Forman (Taking Off, Valmont), Deray(Borsalino), Schlöndorff (Le Tambour, Le Roi des Aulnes),Godard (Sauve qui peut (la vie)), Wajda (Danton), Louis Malle(Milou en mai)… il poursuit également une carrière de dra-maturge et d’adaptateur, en particulier avec Jean-LouisBarrault et Peter Brook.Début 2003, la musique de la plupart des passages impor-tants du brouillon proposé par le compositeur est ébau-chée, sans citer explicitement ni Wagner ni les rituelsbouddhistes. Elle ne comprend ni collage ni pastiche, maissuggère des atmosphères par quelques contours mélodi-ques ou des allusions à l’harmonie wagnérienne.Par ailleurs, les commanditaires et les producteurs sontréunis peu à peu. Pierre Audi fait accepter l’opéra àAmsterdam, et Sally Cavender, de Faber Music, prend encharge la publication de la partition.

L’ÉCLAIR DE LA MORTProgressivement, le sens général de l’opéra devient plusnet : il ne s’agit pas d’asséner des enseignements boud-dhistes, mais de faire vivre un texte bouddhiste dans l’étin-celle du moment de la mort de Wagner. L’ensemble doit res-ter mystérieux, mais évocateur de la pensée bouddhiste. Lerôle de Wagner, personnage familier dans la culture del’opéra, ne peut être chanté, il sera parlé. Et si Prakriti etAnanda choisissent le renoncement de l’amour sur terre, laperte du Moi comme rédemption, Wagner, lui, rejette in finel’abandon de tout désir. Il veut revivre, conquérir, vaincre. Ilchoisit « le sang héroïque de Siegfried » contre « l’eau insi-pide de Prakriti ». Comme l’écrit Jonathan Harvey dans unelettre à Jean-Claude Carrière, « le romantisme glorifie lasouffrance comme illumination, le Moi (subjectivité)comme baromètre de la vérité ».En juin 2003, Jean-Claude Carrière écrit un synopsis pré-cisant le déroulement de l’action. Dans l’éclair de la mort,le temps est suspendu, l’histoire est révélée à Wagner, ellelui est donnée tout entière. Il ne l’écrira jamais. Pour Jean-Claude Carrière,« il meurt après avoir connu ce que per-sonne avant lui ne connaissait : le temps immobile, lavanité de toute gloire, l’illusion de toute identité et mêmede toute réalité, l’évidence que tous les êtres n’en fontqu’un, que notre vie tout entière peut se décider au dernierinstant, en une fraction de seconde, et que nous nousrejoignons dans l’immense creuset du vide où toutes leschoses vivantes, qu’on le veuille ou non, se réconcilient ».

Voici quelques notes au sujet de ce que nous nous sommes dit lors de notre rencontre à Bruxelles, et quelques réflexions complémentaires.

J’adore vraiment ton idée : un opéradans un opéra. Wagner a rêvé d’écrireune « légende bouddhiste » et, au moment précis de sa mort, cette légende lui est révélée.

Prendre Wagner lui-même en tantque personnage est une très belleidée, et Cosima bien sûr ainsi queCarrie Pringle. Mon sentiment est,comme je te l’ai dit à Bruxelles, quec’est dommage de perdre Wagner dèsqu’il souffre de sa crise cardiaque,juste pour le voir à nouveau –mourant – tout à la fin.

Avant d’y revenir, je continue depenser que nous devrions éviter tout« enseignement » bouddhiste (ce n’estpas notre rôle) et parvenir à une formeplus mystérieuse et évocatrice.

Les éléments bouddhistes (mots,chants, attitudes) devraient êtreperçus comme des visions de Wagner, et parfois décrits par lui, à la stupéfaction de Cosima (et peut-être qui ne voit ni n’entend rien.

Par conséquent, nous devrionsprobablement garder Wagner, commeprésence active tout au long del’opéra, du début jusqu’à la fin. Il pose des questions, bien sûr,comme il le fait dans ton scénario, et essaie d’expliquer ce qu’il voit, ce qu’il entend. Il participe – pendantce très court moment qui sépare la viede la mort.

Mais ce qu’il voit et ce qu’il entendest son œuvre, même s’il ne le réalisepas. C’est le résultat d’années de pensées et de rêves éveillés, et peut-être de tentatives secrètesd’écriture et de composition. Et celalui est donné, à la fin, par la mortelle-même, comme l’improvisationsuprême.

Trop tard ? Peut-être pas,puisqu’aujourd’hui nous avons lapièce. (grâce à Jonathan Harvey.)

Voici quelques réflexions pouréclaircir mes impressions sur notreopéra après avoir repensé à tes notes.

La principale difficulté est le rôle de Wagner. Je veux l’idée de la mortde Wagner. Peut-être peut-on garderl’ouverture plus ou moins telle qu’elleest (W. écrivant son essai final/crisecardiaque/cloche/entrée de Cosima –et ajouter une entrée de Carrie (quiest, bien sûr, froidement congédiéepar Cosima) ensuite ; après cela nousavons Wagner qui entend des voixdans son coma, ayant des visions deBouddha (cela demande du travail).

La question est comment passer d’un « Wagner dans le coma » à un Wagner pré-comateux, prenantune part active à la genèse de DieSieger. Peut-être un changementsoudain de lumières, ou noircomplet, et du son (assistéélectroniquement) peut l’aider à bondir de sa couche et retrouverson habituelle énergie, en interactionavec Cosima et Carrie. Le flash-backne fonctionne pas facilement dansl’opéra, je crains qu’il n’entraîne de la confusion pour le public.

Dans tous les cas, Wagner, Cosima et Carrie devraient parler ou utiliserune sorte de Sprechgesang (parlérythmé). Carrie, étant une chanteused’opéra, pourrait chanter par moments,peut-être de la musique chantée quiressemblerait un peu aux filles-fleursde Parsifal (c’est comme cela queWagner l’imagine). Les personnagesde Die Sieger chantent.

Wagner doit aussi retourner sur le lità la fin (comment ?) pour souligner le caractère intérieur de ce voyage.L’idée qui me transperce est celle du choix – du choix pour le futur. Ceci est dramatisé comme le momentde la mort. – c’est le choix le pluscritique de tous… Si Wagner n’est pasdans le coma ou vivant visiblementun processus INTÉRIEUR, commentle public peut-il le comprendre ? […]

Le choix que fait Wagner n’est pasencore au point dans mon texte.Pourquoi choisit-il « samsara »,

destruction alla Götterdämmerung*(crépuscule des dieux) ?

Sa vie entière a été une méditationsur la renonciation ; principalementla renonciation de quelqu’un pour la rédemption du héros.

Prakriti choisit la renonciation, aprèsune sombre Katabasis, et se rachèteelle-même.

Ananda choisit la renonciation :peut-être devrait-il avoir une vision à la Parsifal d’une souffranceéprouvée dans son propre cœur – la compassion.

Wagner, pourtant, ne choisit pas de renoncer à « samsara » : il est le héros ; il choisit, non racheté par Vairochana, de revivre la vie avec toutes ses souffrances et sa riche texture, car il agit en Artiste,choisissant «la perfection de l’œuvre ».

« L’esprit de l’homme est forcé de choisirLa perfection de la vie ou celle de l’œuvre, Et s’il prend la seconde, il doit refuser Un manoir céleste, et tempêter dans le noir. »

(WB Yeats)

Ainsi Wagner n’accomplit pas ce qu’il a passé sa vie à désirer : la rédemption à travers celle qui se sacrifie elle-même (à traversl’amour). Beaucoup d’auteurs ont dit que Cosima s’était sacrifiée.

Mais Wagner (dans cette œuvre)peut-être imaginé comme échouant à cet égard. Nous sommes sortis de l’esprit de Wagner et l’avons vu« objectivement », comme d’autresl’ont vu à la fin.

Le dernier ethos romantique glorifiela souffrance – la plus extrême, la plus éclairante ? Cet ethos glorifie le Moi commebaromètre de la vérité (subjectivité).Wagner choisit le Moi/subjectivité et la souffrance.Il ne peut concevoir que la perte duMoi (« Je ») puisse être importante :excepté dans le nihilisme, « la nuit »,l’extinction.

Il estime que la délivrance ne se trouve que dans l’oubli.Si la possibilité de disparaître lui est refusée, il retournera« héroïquement » (en individu fier et indépendant, un vainqueur) dansle tumulte de la vie (la réincarnation– une idée qui apparaît dans le Hollandais volant, Brunnhilde,Kundry et d’autres personnages de Wagner). La réincarnationbouleverse Wagner profondément et intuitivement. Je partage au moinsceci avec lui : nous croyons tous les deux que la musique est une sorted’expression d’idées de réincarnation.Ceci a été voulu très clairement dans le Die Sieger de Wagner.

Beaucoup de choses sontcaractéristiques de sensibilitémoderne chez Wagner. D’où sonadaptabilité. Mais ce nihilisme estdangereux… il y a un autre point de vue…[…]

Fais-moi part de tes réflexions, et quand tu auras le temps d’écrire…

Bien amicalementJonathan Harvey, Lewes, 2003

Ndt * Götterdämmerung est utilisé occasionnellementen anglais pour signifier une désastreuse conclusiond’événements.

TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR DANY BAUDOUIN

Cher Jonathan, Cher Jean-Claude,Cosima pouvait sentir différemmentcette « absurdité asiatique ».

Dans l’état actuel, il est assez difficilede trouver un lien entre la crisecardiaque de Wagner et l’histoire dePrakriti-Ananda. Dès que l’histoirecommence, on oublie Wagner.

J’ai l’impression que, d’une certaine façon, la raison est que les enseignements bouddhiqueschoisis ici ne sont pas les bons. Je veux dire – pour l’opéra, pour la pièce. Renoncer à nos désirs estnaturellement l’un des enseignements(je dirais plutôt, l’un des conseils),mais ça n’a jamais été très convainquantni pratique. Et cela ne concerne detoute façon pas le Wagner mourant.

À l’opposé, l’enseignement principaldu Bouddha (« attends tout de toi-même ») concerne tout le monde, y compris toi-même, moi-même et Wagner – et même beaucoup de personnes dans le public.

D’une part, pendant toute la pièce,nous aurions ce qui est central« attention aux apparences, le monden’est pas ce que l’on voit, ce que l’onpense qu’il est » – qui pourrait êtreinterprété par le fait que noussommes – comme dans La Tempêtede Shakespeare – dans un théâtre,avec des acteurs et des chanteurs.

D’autre part, nous pourrions trèsbien, à la fin, atteindre le fait que « le fruit de l’action » n’a pasd’importance. L’opéra que Wagnervoulait écrire est désormais écrit –puisque nous l’avons vu – et non écrit– puisqu’il s’agissait d’une vision,d’une illusion. Les choses sont et nesont pas. Les choses sont ainsi et toutce dont nous avons rêvé est réel.

Qui a écrit la pièce ? Cela n’a pasd’importance. Wagner, de toute façon,est mort à la fin. Il ne saura jamais.

Très amicalementJean-Claude Carrière, Paris, 2003

TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR DANY BAUDOUIN

DU STUDiO À LA SCÈNE

Un autre point est que ce que Wagnervoit et entend est constammentinterrompu. Images et sons n’entrentni ne pénètrent la scène comme unedémonstration bien organisée, maispar fragments, en désordre. Wagnern’a pas réellement écrit la pièce, maisquelques éclairs le frappent commede soudaines illuminations.

En d’autres termes : Bouddha et lesautres personnages ne sont pas réels,ce sont les créations et les visions de Wagner issues d’une tradition qui l’a intéressé pendant des années,sans faire de lui un spécialiste ou un érudit.

Pour lui, comme nous nous l’étionsdit à Bruxelles, la pièce devraitapparaître comme une énigme :« Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce queje vois ? Qu’est-ce que j’entends ?D’où cela vient-il ? Qui a écrit cela ?Suis-je mort ? » (tu as déjà quelques-uns des éléments dans ton scénario.)

Presque : « Qui a volé mon idée ? »

Et il en parle, à différents moments, à Cosima et Carrie. Peut-être l’uned’entre elles (Carrie ?) comprend ce qui se passe et essaie de l’aider.Elle était au courant du projet(Cosima ne l’était pas) et elle pourraitmême éclaircir la situation pourCosima – et donc pour le public. Une sorte de miracle est en train de se produire, ultime récompensepour le génie.

Wagner aurait très bien pu lui parlerdans un passé récent et lui raconterl’histoire de Prakriti et Ananda. Elle reconnaît plus ou moins lespersonnages et bien sûr le Bouddhalui-même. Elle était favorable auprojet et pensait qu’il était dommage que Wagner ne pût jamais y arriver.

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aucun. Les mauvaises langues diront que ceux qui écriventdes traités d’orchestration sont de médiocres créateurs et,malheureusement, cette remarque a certainement dû enretenir plus d’un de s’atteler à cette tâche (ah, vanitas !).On sait pourtant que des compositeurs tels que Boulez etBerio caressaient ensemble l’idée d’un tel traité, qu’ilsappelaient « la Bible ». Gageons que c’est à cause de sonampleur décourageante que ce travail n’a pas été entrepris.

Depuis quelques années sont apparus de nouveaux outils,programmes informatiques1, CD-ROM2 ou sites Web3 quisont, au mieux, des catalogues de sons et, au pire, uneredite des versions papier de certains traités. Dans lesdeux cas, ces tentatives restent plutôt au niveau de l’instru-mentation et l’information n’est de toute façon jamaiscomplète. Le cas des programmes avec possibilités d’as-semblages est plus intéressant, car ils permettent d’expéri-menter un grand nombre de combinaisons, mais ils restentrudimentaires en ce qui concerne l’information textuelle.Toutes ces nouvelles méthodes de diffusion présentent toutde même un grand avantage pour les compositeurs actuels :ils peuvent entendre les résultats d’une technique instru-mentale donnée grâce à des échantillons représentatifs, et accélérer ou compléter ainsi leur connaissance du soninstrumental sans le recours à un instrumentiste. Restera leproblème des limites d’exécution « enchaînée » de cestechniques instrumentales, en plus de leurs limites indivi-duelles. Le problème reste donc entier.

Parmi les compositeurs d’aujourd’hui, beaucoup sontrésolument tournés vers les qualités expressives du « son »en tant qu’énergie brute, vers le potentiel des sons com-plexes, bruités ou de source électronique comme matériaude base. Or, ces sons sont eux-mêmes des complexes sonores,ce qui rend problématique leur inscription dans le domainesymbolique, leur réalisation par un ensemble d’instrumentset, enfin, l’alliage de ces sons entre eux. Les révolutionsspectrales et bruitistes ont bouleversé le rapport à l’orches-tration traditionnelle, mais le mode de diffusion desconnaissances qu’elles entraînent reste trop intimiste et n’a pas encore fait l’objet d’une étude systématique etapprofondie.

Un véritable traité contemporain d’instrumentation et d’or-chestration est vraiment nécessaire aujourd’hui. Je croisqu’une partie de la solution, en raison de l’énormité et de lacomplexité d’un tel projet, peut résider dans la création d’unespace contributif tel qu’un wiki sur le Web. En effet, chaquecompositeur comme chaque instrumentiste détient unepartie de la connaissance nécessaire à une telle base de don-nées en perpétuel devenir. Cette « encyclopédie » rendraitcompte, en temps réel, des progrès incessants des connais-sances instrumentales et compositionnelles.

L’autre partie de la solution consisterait à créer les outilsnécessaires à l’exploration des mélanges de timbres, sonsélectroniques et nouvelles techniques instrumentales,signatures timbrales riches de sens dont nous héritonsaujourd’hui et dont nous devons comprendre et explorerles comportements dans le domaine qui nous intéresse. Untel travail a été initié à l’Ircam avec le groupe de recherchesur l’orchestration. La nouveauté de la démarche est que ce

travail ne concerne plus seulement les compositeurs et les instrumentistes, mais s’enrichit et bénéficie égalementdes avancés et des connaissances dues aux acousticiens,psychoacousticiens et aux équipes d’analyse-synthèse, dereprésentations musicales et d’acoustique des salles.Aujourd’hui, la connaissance formidable héritée de l’ana-lyse du son instrumental, les percées dans la recherche dutimbre, l’accessibilité à de larges bases de données de sonset les progrès informatiques nous permettent de réduire ladistance entre les systèmes de composition assistée parordinateur et le potentiel actuel d’analyse et de manipula-tion du son. Il reste à ordonner cette connaissance en uncorpus cohérent, à le diffuser et à l’inscrire dans l’appren-tissage de l’instrumentation-orchestration.Le travail de ce groupe de recherche a abouti à un premieroutil concret de recherche musicale dans le domaine del’orchestration, en cours d’élaboration à l’Ircam. Il s’agit,de manière très schématique, de considérer le problèmede manière « explorable » par le calcul grâce aux progrèseffectués dans la description du son. À terme, cet outilnous permettra, par exemple, d’étudier de manière systé-matique la similitude entre les timbres et leurs mélanges,ainsi que le degré d’affinité qu’ils entretiennent. Il nouspermettra aussi d’adresser le problème de l’orchestrationdu son électronique et celui de la « synthèse instrumen-tale » en se rapprochant d’un modèle acoustique donné, quine sera plus seulement orchestré par défaut (contrainte destessitures, contrôle manuel de l’équilibre des timbres envue de la fusion et… idées et bon sens !) mais par un rap-prochement plus fin en considérant les instrumentscomme générateurs de sons complexes pouvant êtresmélangés pour obtenir une cible acoustique ou symboli-que. La possibilité d’un accès rapide à la recherche de timbresinstrumentaux par description de leur qualité (similarité,brillance, enveloppe spectrale, résonance) et selon unequalité subjective définissable par l’utilisateur (« metalli-cité », granulosité, rugosité, etc.) est aussi possible danscet environnement.

Pour de nombreux compositeurs, il est grand tempsd’avoir un outil de contrôle plus fin mais aussi une capacitéprospective dans les alliages de timbres imaginables touten pouvant en tester les résultats. Comme il renferme unfort potentiel expérimental, ce futur outil représente doncaussi un domaine de recherche pour l’écriture musicalequi, dans le domaine du timbre acoustique, ne demandequ’à être exploré toujours plus loin. Il n’est tout simplementpas imaginable que l’orchestration reste le seul domainede la composition qui ne bénéficie pas des avancées tech-nologiques de la CAO, au même titre que l’harmonie, ladurée ou le timbre de synthèse par exemple. La portéepédagogique d’un tel outil est manifeste. C’est aussi unedes raisons essentielles de ce projet. Ce programme permeten effet d’étudier les règles et les usages de l’orchestrationtels que nous les trouvons décrits dans l’histoire, et d’expliciterde manière plus scientifique les choix empiriques de nosaînés.#

/1.Virtual Orchestra par exemple; très intéressant mais malheureusement incomplet /2 CD-ROM & DVD-ROMcontenant des banques de sons pour échantillonneur /3. Quelques sites : http://www.mti.dmu.ac.uk/~ahu-gill/manual/ + http://www.vsl.co.at/en-us/70/149/46.vsl + http://www.northernsounds.com/forum/forum-display.php?f=77

L ’art de l’orchestration est sans doute la disciplinemusicale la plus difficile à expliciter et à transmettre

de manière satisfaisante. Le passage de la notation musi-cale à la réalisation acoustique met en effet en jeu un nombreimportant de variables difficilement quantifiables et resteassez imprévisible. C’est probablement pourquoi l’orches-tration, champ de l’imaginaire le plus pur où œuvrent deconcert l’audace et l’expérience, est toujours demeurée uneactivité empirique, comme aucune autre composante del’écriture musicale. En ce domaine, nous vivons encore denotre héritage. Et si certains compositeurs l’ont, bienentendu, consommé et dépassé, on doit constater que l’or-chestration est toujours approchée de manière quelquepeu archaïque à l’ère de l’informatique musicale, que sonapproche rationnelle et scientifique est encore à faire, etque les obstacles que doivent surmonter son analyse et saformalisation sont considérables.

Rappelons la différence entre les termes « orchestration »,qui concerne l'assemblage des timbres des divers instru-ments, et « instrumentation », qui étudie le fonctionnementet les possibilités de chaque instrument. Dans le domainede l’instrumentation, nous continuons l’évolution initiéeil y a quelques siècles. Les compositeurs, par leurs idéesmusicales et grâce à leurs rapports avec les instrumentistes(bien qu’ils étaient en général toujours les deux…), fontnaturellement évoluer la technique instrumentale, proces-

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PROSPECTiVES

L’extension du domaine sonore qui caractérise aujourd’hui la musique contemporaine n’estétudiée systématiquement par aucun traité d’orchestration. Comment élaborer un tel outil ? Le compositeur Yan Maresz pose les jalons d’un immense chantier.

POUR UN TRAITÉ D’ORCHESTRATIONAU XXIE SIÈCLE

sus dont témoignent leurs œuvres à travers l’histoire.Ainsi, le XVIIe siècle fut celui de l’évolution des cordes, leXVIIIe celui des vents, le XIXe celui des cuivres, le XXe celui despercussions, et tout laisse à penser que le XXIe sera bien celuide l’électronique.

Jusqu’à un certain point, la partition suffisait pour diffuserdes modèles « réalisés » mettant en œuvre les avancés dansle domaine de la technique instrumentale. Aujourd’hui, celane suffit pas toujours pour que les nouvelles techniquessoient diffusées dans un temps acceptable et de manièrelarge et exhaustive. Il faut bien souvent attendre qu’uninstrumentiste s’empare du problème pour disposer d’uncatalogue complet de techniques qui servira de référence àla communauté musicale. Ceci est très perceptible dans ladeuxième moitié du XXe siècle, période où apparaissent lespremiers traités d’instruments individuels écrits par despraticiens souhaitant fixer la profusion des nouvellestechniques de jeu (sans parler de leur notation !), et qui sontla conséquence prévisible de l’évolution du langage musicalet des progrès des instrumentistes. Les compositeurs sesont plutôt attachés au problème de l’orchestration(entendue comme l’ensemble de règles empiriques régissantles relations plus ou moins heureuses des instruments etgroupes d’instrument entre eux), en laissant des traitésqui feront date.Citons les plus fameux : le vénérable Grand Traité d’instru-mentation et d’orchestration modernes (1855) d’Hector Berlioz,les Principes d’orchestration de Rimsky-Korsakov (1908), le Traité de l’orchestration (4 vol., 1935-1943) de CharlesKoechlin, la Technique de l’orchestre contemporain (1948) de Casella et Mortari (qui traite toutefois principalementd’instrumentation). Les traités les plus récents nous vien-nent des États-Unis. Mais, généralement, ceux-ci ne portentguère d’attention (en tout cas, pas de manière approfondieet satisfaisante) aux connaissances et techniques acquisesdans la musique écrite depuis les années cinquante, princi-palement en Europe.Tous ces ouvrages donnent une image assez fidèle desconnaissances de leur époque et ont l’avantage d’en fixer etrépertorier les règles. Mais la question se pose de savoirpourquoi aucun véritable traité d’instrumentation et d’or-chestration de cette envergure, complet et à jour, n’est pasapparu au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. Quelcompositeur, aujourd’hui, pourrait se permettre d’entre-prendre un travail d’une telle ampleur ? Probablement

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SUR LE ViF

ment rétroactif, sans prospectionpossible. L’œuvre aurait pu musica-lement s’interrompre plus tôt : auterme par exemple du crescendo clô-turant l’avant-dernière scène. Maisdramaturgiquement, la dernière scèneest capitale : moment décisif car le chefs’avère y diriger une phalange d’om-bres, un cortège de fantômes ; commesi le chiasme d’un temps devenantespace (le jeu théâtral sur la boîte) etd’un espace devenant temps (le jeumusical sur la rumeur théâtrale) cir-conscrivait un vide, ajusté au lieusubjectif vacant résultant de l’impos-sible croisement, dans le livret, d’uneliberté et d’une servitude.Plus localement, FAMA met en œuvreun chiasme des distances où l’espa-cement de la source sonore à l’audi-teur se trouve scindé puis recom-posé : la source vocale pourra êtrelocalisée au loin mais sembler prochegrâce à l’utilisation d’un porte-voixqui dirige un son privé de sa réverbé-ration naturelle vers l’auditeur : soitune scission de la catégorie de dis-tance perceptive entre une distancede localisation (m’apparaît proche cequi est localisé près de moi) et une dis-tance de directivité (m’apparaît prochece qui s’adresse directement à moi, mêmesi cela provient de loin). À l’inverse, unesource proche pourra s’avérer loin-taine pour peu qu’un obstacle se dresseentre elle et l’auditeur et dote ainsi leson adressé d’une réverbération inat-tendue : soit une scission entre dis-tance du son direct et distance du sonréverbéré (m’apparaît proche ce qui meparvient privé de l’empreinte sonore dulieu ; m’apparaît lointain ce qui accroche

FAMA, BEAT FURRER

Le compositeur installe ses auditeursdans une boîte close, la « maison desrumeurs» de Lucrèce nous précise-t-il,dont les ouïes (panneaux pivotantverticalement) sont manipulables.Pas d’instruments en vue, pas de corpssusceptibles de vocaliser : l’auditeurse trouve enfermé face à des murs nus.Manipulations manuelles des ouïes-fenêtres, réalisées par les acteurs dudrame : pas de partage des tâchesentre musiciens et techniciens, entreacteurs manifestes et assistants inap-parents. Des panneaux semblables à ceux de l’espace de projection del’Ircam (ils n’ont ici que deux faces –l’une mate, l’autre réverbérante).Toute modification du lieu d’écoute setrouve connectée à une action drama-tique : le lieu d’écoute est théâtralisé,en son occupation (l’actrice se déplace,comme les musiciens) mais égale-ment en sa configuration. «Ici, le tempsdevient espace » puisque le tempsd’un simple geste (ouvrir/fermer telpanneau, faire pivoter tel autre) suffità changer l’espace sonore et visuel,celui non de la représentation mais del’action musicale et de l’auditeur.Vieille fascination des compositeurspour la rumeur, ce bruit du monde,cette figure sonore exogène procédantd’un chaosmos inintelligible : la rumeurcomme forme bruiteuse, déchet-bruitd’un discours impénétrable. Longuehistoire musicale : comment fairemusique des rythmes urbains au débutdu XXe siècle (Varèse), de « la rumeurdes batailles » (Kaltenecker) à la fin duXVIIIe (Beethoven…), du tumulte politi-

que du XXe siècle (Zimmermann)… ?Singularité de FAMA : la rumeur y estendogène ; le lieu même, tel qu’agencépar ses panneaux, donne figure derumeur à ses sonorités vocales et instrumentales. Ici rumeur désigneun élargissement de la notion musi-cale de réverbération : l’isolement-amplification de la face réverbéréedu discours musical. La rumeur commeun «Maintenant, l’espace devienttemps » : quand un lieu donne dutemps aux résonances et désinencesmusicales.Rumeur du livret, également, car ladramaturgie narrative est minimale :pas d’événements proprement ditsmais le cortège, monotone, d’unedéploration sans fin découlant d’unesituation subjective impossible (lafigure perverse, en double bind, d’unelibération par une prostitutioncontrainte).À la toute fin de l’œuvre, les audi-teurs-spectateurs font face à un pla-teau orchestral déserté de tous lesmusiciens et chanteurs sauf du chefqui continue de battre mesure…devant des pupitres vides ! En cemoment conclusif, les musiciens etchanteurs se trouvent répartis, invi-sibles, à l’extérieur-arrière de laboîte, suivant désormais les gestes duchef par vidéo. Soit un chef ne voyantplus personne mais vu de tous : ledual donc du panoptique de Foucault,une figure retournée de la prison, un« renfermement » du chef…Ce moment – « moment-faveur »dramaturgique – fait vérité de l’œuvre.Et, ce moment-clef étant le dernierde l’œuvre, son éclairage est unique-

SUR LE VIF Lumières éteintes, le concert demeure dans la trace d’une perspective écrite qui n’est plusl’exégèse de l’œuvre par son auteur. Retour sur deux soirées d’Agora 2006 par le biais des regardsattentifs de François Nicolas et Bastien Gallet.

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de celui-là, présentait l’absent en lereprésentant.Spectacle avant tout : nulle dramatur-gie en vérité, qui viendrait scellerl’alliance du voir et de l’entendre parune rétroaction du théâtre sur lamusique ; d’ailleurs l’œuvre deLachenmann préexistait à cette miseen scène chorégraphique et restejouée dans une version ignorant toutdu spectacle auquel elle donne lieu.Pourtant, cette rétroaction du théâtresur la musique ne serait-elle pas lamodalité minimale d’une véritabledramaturgie, c’est-à-dire d’une syn-thèse entre danse et musique ?Cette non-synthèse a pour effet d’en-combrer l’écoute musicale. Certes laperception sonore est aiguisée par laperception visuelle, mais l’écoutemusicale n’en est pas libérée, tout aucontraire : l’attention du spectateur-auditeur, se trouvant focalisée sur lerapport (dissymétrique) entre entenduet vu (la musique reste imperturbéepar la chorégraphie superposée), estrendue indisponible aux rapportsproprement musicaux. D’où l’impres-sion qu’il s’agit là d’une théâtralisa-tion de la perception, non d’une dra-matisation de l’écoute musicale.L’opérateur principal de cette théâ-tralisation est la dissociation de l’ac-cord musical entre instrumentiste etinstrument, la déconnexion de cetteinteraction musicienne où l’instru-mentiste ne fait plus qu’un avec soninstrument, la déconstruction ducorps-accord musicien (corps à corpsentre le corps physiologique du musi-cien et le corps mécanique de l’ins-trument) par sa projection sur un seulaxe de l’interaction : celui du corpsphysiologique. Quand la technologiecontemporaine réalise de telles pro-jections par capteurs optiques resti-tuant l’image des membres mobilesdu musicien, cette expérience-ci « meten corps » la composante physiologi-que de l’interaction musicale grâce à la verve ancestrale du mime, en éco-nomisant cette technologie.S’agit-là d’une simple prolongation

la traînée réverbérante du lieu). Tout cepetit jeu sonore – que des dispositifsélectroacoustiques plus sophistiqués(par ex. la Timée de l’Ircam…) saventmieux diversifier – est ici affaire d’unemécanique manuelle, restituant ainsiune fraîcheur musicale immédiate à desproblématiques souvent encombréesde technologies. Et cette manière de dis-socier ce qui est naturellement associé(un son et sa rumeur, un lieu et sescloisons, une perception sonore et sonlieu d’épreuve…) pour le réassocierautrement, pour soumettre l’associa-tion à des torsions inattendues,constitue une proposition stimulanteen matière de spatialisation musicale.Par ailleurs, il y a dans FAMA quelquechose d’essentiellement allemand. Unspectre, en effet, rode dans cette expé-rience : une sourde inquiétude quantaux conditions de possibilité aujourd’huide la musique, comme si l’histoirepolitique allemande du précédentsiècle avait affecté la possibilité pro-prement allemande d’un art musical,d’un Durchführung qui ne soit pas laservitude d’une emprise déguisée ennécessité. Dans FAMA, ce doute portesingulièrement sur l’écoute car il y vade cette énigmatique question : dansquelles conditions une écoute qui soità hauteur de ce qu’est notre temps est-elle aujourd’hui possible ? Or l’œuvredonne l’impression de s’épuiser àformuler la question qui la constitueet de demeurer ainsi en amont de cequi déploierait une écoute contempo-raine, le sentiment de suggérer uneproblématique plutôt que d’affirmerune voie.Mais cette problématique suscite undouble doute : à quel titre l’écoutemusicale aurait-elle lieu de se vouloircontemporaine ? Et à quel titre uneécoute ne pourrait être telle qu’endialectique étroite avec une drama-turgie renouvelée ? La dynamiqueeffective du compositeur semble envérité opérer dans l’ordre inverse : lapréoccupation allemande « contem-poraine » en matière de conditionsde possibilité configure l’objectif

d’une nouvelle dramaturgie laquelleimpose la contrainte d’une figurecontemporaine de l’écoute.

SALUT FÜR CAUDWELL

Sur le devant de la scène, deux danseursmiment les gestes musicaux de deuxguitaristes jouant plus loin, dissimu-lés derrière un rideau, l’œuvre musi-cale. La synchronisation et l’adéqua-tion des gestes chorégraphiques auxgestes musiciens devinés sont pres-que parfaites, un léger tremblemententre « l’image et le son » ajoutantune touche de vérité à cette reconsti-tution. Il ne s’agit pas ici de tromperle spectateur, mais de magnifier le spectacle par le jeu déclaré d’unsimulacre : un peu comme dans cestableaux hyperréalistes où l’hyper duréalisme désigne la représentation,dénonce le trompe-l’œil et distanciele regard d’une vision naïve.Un peu plus tard, les gestes chorégra-phiques se détachent des gestes musi-ciens auxquels ils adhéraient jusque-là (un danseur va se gratter la têteplutôt que frotter sa guitare fictive) enun effet comique immédiatementrelevé des rires du public. Jeu subtil oùl’humour (rapprocher mimétiquementles lointains — les espaces séparés dumusicien et du danseur –) bascule enironie (creuser un lointain au plusproche, écarter d’un geste anachroni-que ce qui semblait conjoint et ainsirestituer l’hétérophonie des voixvisuelle et auditive).Puis le spectacle se prolonge, au gréde fluctuations entre l’humour d’uneconjonction et l’ironie de sa déprise :deux Buster Keaton mettant en corpsla musique, par injection des gestesmusiciens dans un corps dansant.Effets inattendus de tels gestes trans-posés : on perçoit mieux tel frotte-ment du musicien sur son instrumentà observer un frottement simultanétrès ample du danseur, comme si legeste de celui-ci, désignant le geste

de ces jeux enfantins où il faut décou-vrir un métier en mimant les gestesd’un artisan, ou de ces divertissementsadolescents qui miment la mise enscène hystérisée d’un guitariste-rock(Air Guitar…) ? Qu’est-ce que cetteexpérience tente d’affirmer ? S’il s’agitbien d’expérience (ex-perire), queldanger s’agit-il ici de traverser, et endirection de quoi ?L’attention est dans ce cas trop cen-trée sur le geste physiologique quiexcite l’instrument pour ne pas êtredétournée de la trace sonore projetéeet donc pour que l’écoute musicalepuisse constituer l’enjeu véritable decette expérience. Son enjeu est plutôtd’inviter ses spectateurs à réfléchirsur les conditions mêmes des syn-thèses perceptives, sur les manièresd’accorder nos yeux et nos oreilles.À nouveau, cette expérience en resteau stade de l’interrogation, sans véri-tablement déboucher sur une affir-mation : elle s’installe dans unedéconstruction lachenmannienneplutôt qu’elle ne franchit le seuild’une « reconstruction ». En ce sens,cette expérience porte la déconstruc-tion musicale de l’œuvre deLachenmann à son point d’affirma-tion chorégraphique en dévoilant cequ’il y a d’affirmation chorégraphiquedissimulée dans cette geste musicale.Qu’en est-il, à la lumière de cetteproposition, d’une dialectique possi-ble entre musique et danse ?Comment ainsi faire synthèse desdeux séries de perceptions (l’unevisuelle des deux danseurs-mimes,l’autre auditive des deux guitaristes)manifestement coordonnées par unetroisième série absentée du regard(la série des gestes physiologiquesparticipant du corps-accord desmusiciens) ? Faut-il en rester à uneconsécution d’humour et d’ironie – àl’amusement d’un jeu chorégraphi-que – ou l’enjeu est-il autre ?L’enjeu proprement musical mesemble d’interroger un corps-accordmusical – fondement de la musique –qui se voit, en ce début du XXIe siècle,

remis en cause, en particulier parl’irruption irrépressible de l’ordina-teur, lequel, même affublé de haut-parleurs, ne saurait, en l’état, consti-tuer un véritable instrument demusique. L’intérêt spécifique de cetteexpérience est alors de déprendre cesinterrogations de leur gangue tech-nologique et de les projeter dans l’es-pace traditionnel de la musique (horsordinateur et haut-parleurs).

DEUX EXPÉRIENCES

Cette expérience, comme celle deFAMA, fait ainsi retour sur la musiquede questions urgentes qui ontemprunté, pendant une ou deuxdécennies, un tour prioritairementtechnologique et suggère qu’il convientaujourd’hui de réexaminer musicale-ment ces problèmes à distance de cettetechnologie, en renouvelant le partide coordonner acoustique et musiquepar un recours à des moyens musicauxtraditionnels, non surdéterminés parle nouvel appareillage technologique.Soit l’idée que la musique peut/doitse réapproprier les réponses esquis-sées par la technique et les mettre à l’épreuve de ses propres modalités.Ainsi, s’il s’agit de coordonner musi-que instrumentale et spatialité, il doitêtre également possible de le faireavec des moyens proprement musi-caux, en économisant ceux des disposi-tifs électroniques (simulation de salles)en sorte que ces moyens restent sousle contrôle plus étroit de leur fin musi-cale. Et de même, s’il s’agit d’amplifierthéâtralement le geste du musicien ensorte de conquérir une nouvelle dra-maturgie, agie par la musique, on doitpouvoir également le faire par un jeudirectement chorégraphique.Finalement ces deux expériencesoutrepassent ce type de coordinationacoustique-musique qui met la tech-nique au poste de commandement etsuggèrent qu’une nouvelle séquencede cette coordination doit rehausser

l’autorité de la composition musicalesur la technique électroacoustique.Or n’est-il pas vrai que l’intérêt de la technologie est de débroussaillerde nouveaux territoires sonores, denouveaux champs problématiques, à charge ensuite à la musique de lesoccuper, ce que la technologie ne sau-rait faire ? N’est-il pas avéré que lamusique n’occupe de nouveaux terri-toires qu’en attestant de sa capacité às’y installer en économie de la techni-que ayant servi à les dégager et à lesconquérir ? N’a-t-on pas déjà connuun pareil effet en retour de la techno-logie sur la composition avec l’élar-gissement de la catégorie musicale detimbre sous l’emblème du « spectre » –ce fut l’apport singulier de L’Itinérairedans les années 1970-1980 que d’ainsiintrojecter dans la composition musi-cale des opérations d’analyse et syn-thèses sonores initialement conquisespar l’électroacoustique ? Et finale-ment, toute l’œuvre de Ligeti ne peut-elle être vue comme le vaste projet dedonner à l’électronique le statut musicald’une cause absente ?Au total, si la nouvelle séquence de larecherche en matière de coordinationacoustique-musique devait inclure lamusicalisation des nouveaux champs(nouveaux territoires sonores, nou-velles pratiques et problématiques…)dégagés depuis un quart de siècle parla technologie, quel musicien sauraits’en plaindre ?#

FRANÇOIS NICOLAS

nulle part (ni dedans ni dehors, nimorte ni vivante) et qu’il est lui-même par conséquent, et aussi tousles autres, dans son crâne, dansson rêve, dans le labyrinthe acous-tique d’une aliénation qu’aucunsujet ne vient supporter.#

BASTIEN GALLET

l’espace) – mais de manière plusexplicite et systématique, scéno-graphie, musique et drame ne ces-sent de se signifier les unes lesautres, de renvoyer les unes auxautres. FAMA est donc un opéra. Un opéra parce que l’opéra est lejeu de ces différentes dimensions :textuelle, vocale, scénographique,musicale. Un opéra sur l’hétérotopiecomme figure de l’aliénation engénéral (puisque rien n’est dit desdéterminants social et psychiquede cette aliénation). La réussiteexemplaire de FAMA est de faire decette hétérotopie le principe detoutes les dimensions de l’œuvre,jusqu’au vertige. Car ce que lespectateur de ce non-spectaclecomprend à la fin – quand Elseécoute en silence (scène 8), écoutece qu’il y a dans ces sons qui revien-nent sans cesse (citations des scè-nes précédentes), écoute le dehorsà l’intérieur d’elle-même (« Quelson étrange rend ma voi » dit-elledans la scène 3) – c’est qu’elle n’est

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SUR LE ViF

FAMA, BEAT FURRER

É coutons/Observons. Nous sommes assis dans une boîte.Quelqu’un ouvre les panneaux quisont devant nous, fait apparaîtreles musiciens (chœur et ensemble)qui sont derrière. Ce quelqu’un est la voix principale de FAMA :Mademoiselle Else. Pendant quechœur et ensemble entrent en érup-tion (celle que décrit Lucrèce dansDe Natura Rerum), elle se tient entreles panneaux, ni dedans ni dehors,et crie à plusieurs reprises en direc-tion des spectateurs : « Je veux m’enaller. » Le personnage n’est pas surscène. Il n’y a pas de scène dansFAMA. Ou alors tout est scène. Lepublic n’est pas devant la rampecomme dans les maisons d’opéracar il n’y a pas de rampe. Pour ledire autrement, la représentationn’est pas d’un côté, le public devantoccuper l’autre. La représentationest partout, la représentation estl’espace en son entier, et les spec-tateurs en font partie. La scène estdé-mise – « Ma fonction ici, ditChristoph Marthaler, metteur enscène de FAMA , est de dé-mettre enscène. » – mais reste duelle, dedans/dehors.Il n’y a pas de scène mais il y a unpersonnage, emprunté à ArthurSchnitzler. Dans le récit d’ArthurSchnitzler, un homme demande àMademoiselle Else de se dévêtirdevant lui pour apurer la dette deson père. Mais Else ne peut vouloirêtre contrainte, ne peut en mêmetemps se donner et se prostituer, et

c’est finalement à tout le mondequ’elle se montre nue dans la sallede musique de l’hôtel où l’hommel’attend. De ce drame, sur la non-scène de FAMA , il ne reste presquerien : à peine un personnage, unevoix errante, un spectre.La forme générale de l’œuvre estdes plus simples. Les panneauxouverts par Else au début de la pre-mière scène vont progressivementse fermer et s’assourdir jusqu’à lascène 5, la plus solipsiste. Else erreautour du public, elle a dans lesmains un porte-voix de plastique,elle nous murmure à l’oreille : « Jerepose sur un catafalque dans lesalon, les cierges sont allumés. Delongs cierges… » Puis les panneauxs’ouvriront. Tous. Les musiciens seseront dispersés autour de la boîte,encerclant les spectateurs et lamusique jaillira de tous les côtéscomme de plusieurs volcans enéruption. La forme est spatiale etdonc acoustique : on ferme, onouvre ; les sons s’éloignent, s’as-sourdissent ou passent par destrous de souris puis ils s’engouf-frent dans la boîte en puissantesbourrasques. Mais cette forme,aussi efficace soit-elle (et elle l’est),tire son sens et sa force du dramedont elle dessine la courbe.Beat Furrer a mis en musique qua-tre extraits du texte de Schnitzler,quatre fragments du monologueintérieur d’Else. Chacun de cesfragments dessine une configura-tion psychique et topique particu-lière. Dans le premier – « Je veux m’en

aller » – elle crie son désir de fuitemais reste immobile devant lesstridences de l’ensemble. Dans le deuxième (scène 3), elleparle prestissimo, répète convul-sivement les mêmes phrases oùelle cherche absurdement à conci-lier le proche et le lointain, l’étran-ger et le familier : « J’aimerais bientrouver un mari en Amérique, maispas d’Américain. Ou alors j’épouseun Américain et nous vivons enEurope… » Dans le troisième (scène 5), elle sevoit morte, éclairée par des cierges. Dans le quatrième (scène 6), elleest nue, elle parle avec son reflet dansle miroir, imagine qu’il n’y a qu’ellesdeux au monde, séparées par une« vitre froide ». Ces configurationstopiques de sa folie – ici/ailleurs,proche/lointain, morte/vivante, une/duelle – correspondent à chaquefois à une modulation particulièredu dispositif scénographique. Ellessont aussi accompagnées d’uneécriture musicale spécifique. C’estune des plus belles réussites deFAMA . L’orchestre si éruptif ethostile dans la première scène vapeu à peu se subjectiver, épouserles variations du courant deconscience d’Else en suivant savoix qui ne chante jamais maisparle sur tous les tons. Dans lascène 2, devant le silence d’Else, leviolon prend sa voix, c’est-à-diredessine l’espace de sa voix contreet dans l’orchestre. Dans la scène 5,son monologue murmuré est sou-tenu par deux clarinettes basses,deux flûtes et des harmoniques aux

cordes qui résonnent au loin, der-rière les panneaux fermés. Dans lascène 6, le reflet à qui elle s’adresseest une flûte basse qui s’invite dansla boîte à ses côtés et dont elleimite les Flatterzunge. Aucun des quatre extraits retenusne dit quoi que ce soit du contexte,psychique et social, qui sous-tendle drame. On ne nous montre de safolie que les symptômes, que latopographie. Else n’est pas ici unpersonnage, encore moins un sujet,elle n’est qu’une voix disloquée,très précisément un fantôme, c’est-à-dire une conscience sans lieu,désincarnée, errante. C’est pour-quoi il n’y a pas de place pour unescène. Il n’y a à proprement parlerrien à mettre en scène. Mais il y abien à dé-mettre, à multiplier leslieux pour qu’une telle voix puisseapparaître.Comme dans Invocation – l’opéraque Beat Furrer a composé d’aprèsModerato cantabile de MargueriteDuras (qui est aussi un drame de

2 JUIN 2006

/ FAMA, BEAT FURRER

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RENDEZ-VOUS DE L’iRCAM DE NOVEMBRE 06 À FÉVRiER 07

CONCERTS À PARiS

LA POURSUiTE« La poursuite » s’engage le 13 novembre par le récital du pianiste autrichienThomas Larcher : poursuite d’une pensée musicale par-delà les séparationshistoriques (Vienne), poursuite lumière dans l’espace du théâtre (Éclipses),poursuite d'un héritage capté par l’héritier (Bartók, Ligeti, Chin).

13 NOVEMBRE / ViENNETHOMAS LARCHER, PiANO / ŒUVRES D’OLGA NEUWiRTH, ARNOLD SCHOENBERG, FRANZ SCHUBERT, FABiEN LEVY, THOMAS LARCHER8 JANViER / ECLiPSESSOLiSTES DE L’ENSEMBLE iNTERCONTEMPORAiN / ŒUVRES DE THOMAS ADÈS, MARCO STROPPA, PATRiCK MARCLAND 12 FÉVRiER / BARTÓK, LiGETi, CHiNHAE-SUN KANG, ViOLON / GARTH KNOX, ALTO

p THÉÂTRE DES BOUFFES DU NORD, 20H30

SPECTRES TRANSATLANTiQUESLe mouvement spectral a plusieurs fois traversé l’Atlantique au cours de sonhistoire. Retour à Paris, en décembre, avec quelques intrus de choix.

1ER DÉCEMBRE / ORCHESTRE PHiLHARMONiQUE DE RADiO FRANCEDiRECTiON PETER EÖTVÖS / ŒUVRES DE MARC-ANDRÉ DALBAViE, MiCHAEL JARRELL, TRiSTAN MURAiLp MAiSON DE LA RADiO, SALLE OLiViER MESSiAEN, 20H

4 DÉCEMBRE / ENSEMBLE FADiRECTiON JEFFREY MiLARSKY / ŒUVRES DE TRiSTAN MURAiL, JOSHUA FiNEBERG, HUGUES DUFOURT, JASON ECKARDTp iRCAM, ESPACE DE PROJECTiON, 20H30

9 DÉCEMBRE / ENSEMBLE 21DiRECTiON JEAN DEROYER / ŒUVRES DE JASON ECKARDT, TRiSTAN MURAiL, PASCAL DUSAPiN, JOSHUA FiNEBERG, DREW BAKERp iRCAM, ESPACE DE PROJECTiON, 20H30

CASSANDRE À L’ODÉONGeorges Lavaudant met en scène le monodrame de Michael Jarrell, inspiré par leroman de Christa Wolf. L’expérience de la défaite vécue par une femmen'appartient pas à la description héroïque et homérique de la chute de Troie.

9, 12, 13 DÉCEMBRE / CASSANDREMONODRAME D’APRÈS CHRiSTA WOLF / MUSiQUE MiCHAEL JARRELL / MiSE EN SCÈNE GEORGES LAVAUDANT / ENSEMBLE iNTERCONTEMPORAiNp ODÉON-THÉÂTRE DE L’EUROPE / ATELiERS BERTHiER, GRANDE SALLE, 2OH

L’iRCAM EN TOURNÉEDOUBLE POiNTS:+CRÉATiON DE HANSPETER KYBURZ ET EMiO GRECO | PiETER C. SCHOLTEN / ENSEMBLE iNTERCONTEMPORAiNp 5 NOVEMBRE, ZURiCH / 9 NOVEMBRE, BOURGES

LA PASSiON DE SiMONECRÉATiON DE KAiJA SAARiAHO / TEXTE AMiN MAALOUF / MiSE EN SCÈNE PETER SELLARS / KLANGFORUM WiEN / CHŒUR ARNOLD SCHOENBERGp 26, 28 ET 30 NOVEMBRE, ViENNE

RÉMANENCESENSEMBLE CONTRECHAMPS / ŒUVRES DE MAGNUS LiNDBERG, GÉRARD ZiNSSTAG, GÉRARD GRiSEYp 5 DECEMBRE, GENÈVE

TRANSMiSSiONATELiERS CONCERTS «UNE HEURE, UNE ŒUVRE»UN MERCREDi PAR MOiS, À L’HEURE DU DÉJEUNER, L’OCCASiON DE DÉCOUVRiR UNE ŒUVRE DU RÉPERTOiRE iRCAM. LUCA FRANCESCONi, «ANiMUS», 24 JANViER / JONATHAN HARVEY, «ADVAYA», 14 FÉVRiERp CENTRE POMPiDOU, 12H30-13H30

LES SÉMiNAiRES RECHERCHE ET CRÉATiONL’ACTUALiTÉ DE LA RECHERCHE À L’iRCAM. LES COMPOSiTEURS EN RÉSiDENCE PRÉSENTENT LES ENJEUX ARTiSTiQUES ET TECHNOLOGiQUES DE LEUR CRÉATiON EN COURS.MARTiN MATALON, 9 NOVEMBRE / FRÉDÉRiC DURiEUX AVEC SERGE LEMOUTON, 23 NOVEMBRE / XAViER DAYER AVEC GiLBERT NOUNO, 7 DÉCEMBRE / PATRiCK MARCLAND AVEC MANUEL POLETTi, 11 JANViER / LUCA FRANCESCONi AVEC BENOîT MEUDiC, 27 JANViER / UNSUK CHiN AVEC BENOîT MEUDiC, 8 FÉVRiERp iRCAM, 12H-13H30

UN DiMANCHE, UNE ŒUVREUN REGARD SiNGULiER SUR UNE ŒUVRE CHOiSiE DANS LES COLLECTiONS DU MUSÉE NATiONAL D’ART MODERNE, ANALYSÉE PAR UN iNTERPRÈTE.11 FÉVRiER / PiERRE BOULEZ, «RÉPONS», 1981-1984 / PAR PiERRE-LAURENT AiMARD, PiANiSTE ET CONFÉRENCiERp CENTRE POMPiDOU, 11H30