Vernaz. San José Colonie valaisanne en Argentine.

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    La fonction primitive de l histoire est de conserve r le souvenir du pass,transmis par un rcit qui trouve bientt des accents piques ou lyriques etsoutenu par des objets qui revtent peu peu le caractre de reliques. Cettehistoire, nous l avons un peu oublie, nous l avons sentie com me dsute;nous nous en som mes m fis mm e, car elle avait tendance calquer la ralit passe sur des modles idaliss de socit. On la dcouvrait parfois audtour d un rcit populaire; on la pressentait la base de notre imagerie historique et patriotique. Or, voici qu elle retrouve sa vigueuret sa valeurchez les imm igrs argentins d origine valaisanne.

    Madame Celia E. Vernazest par got et par vocation, la gardienne de lammoire de la Colonie San Jos (Argentine). Elle perptue le souvenir desorigines et du premier dveloppement de cette Colonie; elle anime le Musehistorique rgional de San Jos qui expose, vritables reliques, les objets-tmoins de l aventure des im migrs.

    Les Annales valaisannes se plaisent, en cette anne de Valaisans dumonde et du 700e anniversaire de la Confdration, lui donner la parole.Elle livre ainsi au lecteur un texte mouvant, nourri de tradition orale peuttre simplificatrice, qui fait des pionniers, des patriarches et qui tmoigne del ardent dsir de conserver les racines qui rattachen t la Co lonie au Vieux-Pays expressionpour une fois justifie).

    La rdaction

    San JosColonie valaisanne en rgentineparCelia E. VERNAZ

    (Traduction: Sandra GAILLARD)

    Au sicle pass, l'Amrique fut un continent trs attirant pour les migrants europens, tant donn qu'il y existait de grandes tendues de terresfertiles mais incultes et que les gouvernements amricains offraient des avantages aux laboureurs en vue de favoriser leur tablissement dans les nouveauxpays.De leur ct, les populations alpines se trouvaient dans des situationsconomiques et sociales angoissantes dues l'excs de main-d'uvre et aumanque de travail sur les champs. Les familles trs nombreuses ne voyaientpas avec trop d'espoirs l'avenir de leurs enfants et elles prtrent l'oreille aux

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    paroles sduisantes des agences d'migration. C'est ainsi que plusieursconvois partirent du Valais en 1857, avec quelques Savoyards et Pimontais,vers l'hmisphre sud pour fonder une colonie agricole dans les terres dugnral Urquiza, prsident de la Confdration argentine. Cette colonie futappele San Jos. Les rgions d'Hrmence, Monthey, Saint-Maurice, Sierre,Sembrancher, Bagnes perdirent une grande partie de leur population. Cetexode augmenta lorsque les premiers colons, dj installs dans le nouveaupays, crivirent de longues lettres en dcrivant l'abondante production et lespotentialits des terres argentines, et en encourageant parents et amis entreprendre le voyage pour les rejoindre la C olonie.Les registres d'entre dans le pays signalent l'arrive de 93 famillesvalaisannes au cours de la premire anne partir de la fondation, chiffre quiaugmenta considrablement pendant les dix annes suivantes. Des famillesnombreuses, aussi nombreuses que celles qui quittrent le Vieux-Pays en1857,ont transm is, de gnration en gnration, leur empreinte d'origine travers des nom s tels que Delaloye, Bastian, Favre, Lonfat, G aillard, G ermanier,Fussey, Pralong, Forclaz, Bruchez, Creton, Rudaz, M icheloud, Bonvin, Fellay,Penon, etc.1Lorsqu'elles arrivrent aux nouvelles terres, on assigna chaque familleun terrain de 27 hectares, quatre bufs, deux chevaux, deux vaches, du boisde construction, des bches et une avance de 100 pesos. Les parcelles taientdmunies de tout, puisque ces champs vierges n'avaient t utiliss que pourl'levage du btail. C'est ct des ballots, des colis et des malles rangs aubord du fleuve Uruguay que les migrants attendirent, en plein air, sousl'inclmenc e de l'hiver, la dlimitation de leurs proprits.Pour des raisons diverses, le contrat d'immigration sign en Europe pourinstaller les colons dans l'Etat de Corrientes ne fut pas accept et les immigrants durent rester dans l'Etat d'Entre Rios, sous la protection du gnralUrquiza. En arrivant sur les terres octroyes, ils furent bientt dus, les orangers promis Corrientes taient devenus, dans la nouvelle rgion qu'on leur

    assigna, des arbres pineux.L'installation posa assez de problmes. Les colons durent signer de nouveaux engagements avec les autorits locales, mais heureusement celles-cileur donnrent tous la possibilit de devenir propritaires sur la base del'effort et du travail. Cependant les difficults apparurent immdiatement. Labase de l'alimentation argentine tait la viande, et les Europens supportaientmal ce changem ent. Ils demandaient plus de farine et de galettes pour complter les repas de tous les jours. Ces marchandises arrivaient la Colonie enchars depuis Conception del Uruguay, ville situe peu prs huit lieues dedistance. Il est facile de comprendre donc que la pluie provoqua, assez souvent, des retards dans le ravitaillement.

    1MACCHI,Manuel,U rquiza Colonizador, Bu enos A ires, 1949, p. 39.

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    Lorsque chaque parcelle commena produire, ces inconvnients disparurent ; en outre les colons s 'entraidaien t solidairement et ils partageaient lasatisfaction de leurs besoins vitaux, tel que le pain de chaque jour. L'adaptation au milieu se fit progressivement. L'lment natif, assez indocile au commencem ent, s'incorpora peu peu aux labours et, spcialement, tout ce quiconcernait l'levage du btail. C'tait le gaucho qui apprenait aux nouveauxvenus les formes de travail adquates au climat, au relief et aux tendues deschamps. En peu de temps, les Valaisans ont su organiser leur vie dans uneColonie et purent ds lors jouir des fruits obtenus dans la lutte pour s'enraciner dans un nouveau pays tout en gardant les sentiments, la nostalgie et lessouvenirs de la terre des parents. Beaucoup de traits de leur culture d'originese sont conservs si purs qu'on peut croire que le temps et la distance n'ontpas pu vaincre les liens d'am our avec la vieille patrie.

    La maisonLorsque le groupe d'immigrants arriva au lieu prvu pour son tablissement, il n'y avait, dans cet endroit, que l'abri d'un four chaux o se rfugirent quelques femmes. Le reste du convoi dut camper sous les arbres, protgpar des piles de malles jusqu' ce que les logements fussent construits. Ilscommencrent par des maisonnettes trs simples; de petites huttes avec desmurs en boue et des toits de paille. Peu peu, alternant avec les travaux lacampagne, ils fabriqurent des briques et moulrent des pierres pour btir deslogements solides. Ces maisons furent si bien faites qu'elles rsistrent auxravages du tem ps et, aprs cent ans, on peut encore observer ici et l, dans lescham ps, ces reliques qui parlent, en silence, de l'effort des pionniers pourconvertir une fort sauvage en une Colonie prospre.Les btiments taient constitus d'un rez-de-chausse et de deux tages,appels tous les deux greniers. Les murs faisaient gnralement plus d'undemi-mtre d'paisseur; bien que quelques-uns aient t faits uniquement enpierre, la plupart avaient une base en pierre faisant un mtre sur les ciments etle reste tait construit en briques. Un petit cube l'intrieur d'un mur rem plissait la fonction de coffre-fort; c'e st l qu 'on gardait les papiers et un peud'argent en rserve. La cuisine se trouvait presque toujours en face du restedes pices d'habitation. Elle tait quipe d'un grand fourneau, d'une cuisini

    re bois, d'une chemine et, assez souvent, d'un four pain. Certains prfraient placer celui-ci en dehors de la maison, au fond du jardin. Ils le construisaient donc suffisamment large pour cuire plus d'une douzaine de pices lafois. La famille Morend, par exemple, considrait cette tche comme faisantpartie d'une crmonie quasi religieuse, cause de l'motion qu'engendraitchaque semaine la prparation d'une pte en farine de bl, blanche comme lessomm ets des montagnes, laquelle ils donnaient des formes volum ineuses quigonflaient encore pendant qu'elles doraient dans le four chaud.

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    Les chambres taient amples et bien ares; il y avait toujours une fentrerecueillant les rayons du soleil. L'escalier conduisant aux tages suprieurs setrouvait l'intrieur. L es chelles, faites avec de g ros morceaux de bois dcors par les colons, s'harmonisaient avec les longues poutres graves qu i soutenaient les toits deux pans, parfois en tuiles, parfois en zinc. Les immigrantsvoulurent construire des maisons semblables celles qu'ils avaient eues enSuisse. Au cas o il y aurait des temptes de neige, ils pourraient - pensaient-ils - y faire face en protgeant m me les animaux , dans la grande salle au rez-de-chausse. Mais la neige n'est pas un phnomne connu dans la rgion deSan Jos, par consquen t le blanc des hivers ne resta que dans les souvenirs oudans les rves et l'espoir de le revoir se fondit lentement sous un ciel chaud.

    Au fur et mesure que la famille s'agrandissait, on ajoutait des pices,des galeries et d'autres commodits dans la maison. Bien sr, les caves nemanquaient pas. Il y en avait dans toutes les proprits. C'est dans ces picestrs fraches que l'on prparait le vin et que l'on conservait les fromages.La plupart des Valaisans taient trs ingnieux. Ils eurent de petits ateliers pour diverses activits: forge, menuiserie, fromagerie, fabrication dechaussures, etc. Ils btirent des m oulins et des g reniers pour conserver le foinet pour garder leurs outils. Ces dpendances constituaient un tout autour d'un ecour centrale o l'on se runissait aprs la journe pour prendre un verre etparler du Vieux-Pays. On peut encore aujourd'hui revivre les vieux tempsdans les cours de chez Fellay, Delaloye, M icheloud et Dallves.

    Le travailLes labours et l'levage du btail furent les tches fondamentales descolons. Ceci explique le malaise de certains horlogers de Neuchtel qui durent

    changer d'activit ou partir. Ceci provoqua des situations dsagrables 2. Parcontre, ceux qui voulurent travailler la terre eurent d'immenses possibilits.Au dbut, ils reurent l'aide du gnral Urquiza pour acheter des outils, de lasemence, des bufs. La plupart des immigrants s'arrangrent pour fabriquerleurs outils de leurs propres mains. Les premiers temps, un tronc d'arbre aiguis en forme de soc, tran par un cheval ou par un buf, servit labourer lesparcelles jusqu' ce que la charrue moucheron puisse le remplacer. Les activits commenaient au petit jour et finissaient avec le coucher du soleil. Laprparation de la terre pour les semailles dem andait plusieurs jou rs. On semaitdu bl, du lin, du mas ainsi que des plantes fourragres telles que l'avoine etle seigle.

    2 Manifeste du Conseil municipal de San Jos, publi le 10 aot 1862 (Archives du Centred'Etude s H istoriques de San Jos).

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    Le problme le plus gnralis fut le manque de cltures, car les troupeaux de vaches envahissaient, assez souvent pendant la nuit, les terres cultives et provoquaient la perte totale de la rcolte. Les sauterelles furent, ellesaussi, un ennem i redoutable mais, heureusement, elles n'apparu rent que sporadiquement.Pour la rcolte, les voisins se runissaient et s 'entraidaient puisque leseul instrument d e travail qu 'ils possdaient tait la faucille; ce n'es t que bienplus tard qu'ils ont eu la premire moissonneuse. Dans des chars trs lourds,ils transportaient les gerbes qu'ils allaient battre en sparant le grain du son.La paille, entasse dans les greniers, servait nourrir les animaux. Lesfemmes participaient au mme rythme que les hommes ces rudes labeurs.Pour ne pas bronzer, elles portaient des chapeaux en paille tresse avec delarges bords et des foulards qui voilaient presque compltement leurs visages.Les tabliers aux grandes po ches, toujours trs utiles, ne m anquaient jamais surleurs longues jupes. Les paysannes m anuvraient la fourche avec une dextrit tonnante et c'taient elles qui se faisaient remarquer par la perfection deleurs travaux.

    Toute la famille co llaborait la rcolte du m as. Dans des sacs dos, lescolons ramassaient les pis qu'ils entassaient ensuite ct des parcellesjusqu' ce qu'arrivent les chars qui les transportaient aux greniers pour lesgrener. Chez P. Dupont, ces tches furent clbres, parce qu'il aimait bienrecevo ir: il racontait des histoires et il offrait des verres de liqueur ou de vin tous les voisins qui venaient l'aider.Les vignes occupaient des tendues considrables dans les parcelles descolons, car ils tenaient beaucoup cette culture fort traditionnelle dans leurancienne patrie. Les ranges de vigne, prs des btimen ts, dessinaient des portes sur les champs. Les sarments enrouls autour des fils de fer s'levaient une hauteur d'un mtre et demi et s'tendaient sur des piquets quidistants.Les paysans taient fiers de la propret de leurs plantations. Ils prfraient leraisin noir au blanc. Ils les ramassaient dans des paniers ou dans des caissesqu 'ils transportaient sur des traneaux jusqu 'aux tonneaux . Ils faisaient du bonvin. Parmi les plus rputs, on peut citer ceux d'Arlettaz, de Dalleves ou deBesson. Mais les vignes les plus clbres cause de leur fertilit et de la perfection de leur mondage taient celles de la famille Fussey. Il fut trs dur,pour les colons, d'accepter l'ordre du gouvernement qui interdit la fabricationde vin et de liqueur dans la rgion. Les au torits vou lurent protger la qualitde la production des vins de l'Etat de Mendoza, et les colons en furent les victimes.

    Chaque maison avait sa plantation d'arbres fruitiers; on y trouvait despchers, des orangers, des mandariniers, des citronniers, des poiriers, des pruniers, des figuiers, des abricotiers, des pommiers et des cerisiers. Les visiteursqui venaient de la Maison centrale de l'Immigration furent tonns parla beaut des arbres du Docteur Bastian de Liddes 3. De cette magnifique

    3 W ILCKEN,Guillelmo,Las C olonias,Buenos Aires, 1872, p. 282.

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    plantation, il reste encore des orangers centenaires qui, luttant contre le temps,constituent au jourd'hui le tmoignage de l'ancienne splendeur de la Colon ie.Les noyers les plus remarquables appartenaient la famille Follonier.Elle ramassait chaque anne des quantits de fruits extraordinaires. Les colonsfaisaient des fruits secs, des fruits confits et toutes sortes de confitures. Degrands flacons de conserves, qui ornaient les tagres des caves, servaient nourrir la famille pendant toute l'anne. Les paysans avaient aussi leurs jardins.Les lgumes, les pommes de terre, les cacahutes, les patates douces nemanquaient pas sur la table.L'levage fut encore une activit assume avec responsabilit et amourpar les Va laisans. Ds leur arrive, Urquiza leur fournit le cheval pour le charet le buf pour la charrue. Les vaches donnaient le lait de chaque jou r et celui-ci constituait l'un des produits de base de l'alimentation. Avec le lait qu'ilsn'arrivaient pas consommer frais, ils prparaient des fromages qui mrissaient dans les caves, l'un ct de l'autre, sur les tagres. Habituellement ilsvendaient leurs produits la ville de Conception del Uruguay situe plusieurs kilomtres de la Colonie. Les Valaisans traversaient pied les forts etles ruisseaux pour apporter les fromages au march. Les fruits de cette petiteentreprise familiale furent si bons que les paysans les prsentrent des expositions agricoles Buenos A ires et mme Ch icago et San Luis, aux Etats-Unis, o ils obtinrent des premiers prix. La famille Fellay en conserve encoredes tmoignages4.Les colons taient fiers des troupeaux de vaches q u'ils levaient, mais ilsont eu assez souvent de graves problmes avec les animaux qui s'infiltraientdans les terres cultives et dtruisaient les plantations de l'leveur ou cellesdes voisins. Les paysans su rveillaient soigneusement le btail lorsqu 'il paissaitdans les champs, mais ils durent galement l'enfermer, la nuit, dans desenclos. Bien que p rcaires, ceux-ci permirent de m ettre fin aux ravages.Bien que les Europens aient apport leurs propres monnaies, laColonie circulait le patacon bolivien, le ral et une monnaie que le gnralUrquiza fit frapper spcialement pour San Jos. Lorsque les Anglais tablirentleur centre industriel aux alentours des parcelles des colons, la vente du btailcommena se faire en livres sterling.

    CultureLe centre valaisan tait constitu par des personnes de diffrents niveaux

    de prparation. Bien qu'il y ait eu de rudes montagnards qui savaient peinecrire on peut le constater dans les lettres conserves au M use il y en eutd'autres dont l'instruction tait remarquable. Parmi les immigrants on vit arriver deux mdecins. Le docteur Jean-Joseph Bastian, de Liddes, exera l'art degurir avec un altruisme et une abngation incomparables; il reut des colons

    4Archives du Muse Historique de San Jos: documents.

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    une mdaille d'honneur, en reconnaissance de son dvouement. Le deuximemdecin tait Laurent-Joseph Morard, d'Ayent; mais, curieusement, il n'exera jamais sa profession la Colonie; on ne possde pas de documents cetgard, cependant, d'apr s ses descendants, le mdecin n 'aurait pas apport sondiplme de l'Europe.En plus de ces professionnels, la Colonie compta de nombreux Suissesfort cultivs, par exem ple: M. Rodolphe Siegrist qui fut engag com me secrtaire par l'Administrateur de la Colonie, Alexis Peyret, ou Jean Meyer quis'occupa de la prsidence du Tir suisse international, ou Lon Pellenc et M arieClou, tous deux instituteurs remarquables. Certaines familles donnrent laColonie des hommes et des femmes minents, tels que les Varonne (ouVarona).La plupart des colons parlaient des patois valaisans ou des dialectes allemands; cependant leurs enfants, en allant l'cole argentine, n'apprirent quel'espagnol. Les autorits exigeaient que les cours soient faits uniquement enlangue nationale. Les immigrants ne purent donc pas viter, chez leurs fils, laperte de la langue maternelle. Les nouveaux venus tenaient beaucoup l'instruction et la religion; en effet, leur souci d'obtenir la cration d'une cole etd'une glise catholique, au sein de la Colonie, se manifesta ds leur arrive. Ilsexpliqurent cette proccupation au gnral Urquiza qui ne s'attarda pas trop lui donner une solution; selon des documents officiels, en 1860, les deux insti

    tutions fonctionnaient dj San Jos. D'aprs les registres d'ducation, l'cole, on enseignait la religion, l'arithmtique, la grammaire nationale,l'criture, la lecture, la gographie, le civisme et l'urbanisme. On incorporaplus tard d'autres enseignements5 .Un aspect remarquable chez les immigrants tait leur got de la musiqueet du chant. Ils jouaient presque tous d'un instrument et ils faisaient partied'une fanfare ou d'une bande. Lorsque le soleil se couchait, ils se runissaientchez des amis pour chanter. Les soires chez Vincent Micheloud taientbrillantes; on dit que de son jardin jaillissait une m usique m lodieuse et subli

    me qui tait le rgal des voisins lointains. Parmi leurs cahiers de partition, deshymnes et des marches, qui reposent actuellement dans le Muse local, se distinguent ceux de Camille Bruchez et de Luis Eggs. Un vritable bijou littraireest le recueil de chansons ralis par Franois Rudaz, expression de sa passionet de son amour pour le chant.Toutes sortes de manifestations artistiques enrichirent le bagage culturelde la Colonie. Certains paysans sculptaient en bois d'oranger des statuettesreligieuses qu'ils offraient l'glise ou qu'ils gardaient jalousement dans untiroir de la table de nuit. D'autres, qui, dans leurs villes d'origine, avaient tsculpteurs de marbre, s'occuprent de tailler la pierre artistiquement. La famille Udrizard a conserv des peintures sacres ralises au temps o l'on installa

    5 GUIOT, Elena A. de, La Ensenanza primaria en la Colonia San Jos, Santa Fe, 1987,p.46.

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    un collge religieux San Jos. La cration artisanale attira beaucoup de gens,notamm ent les travaux en laine, en paille tresse et le tissage.Peu de Valaisans envoyrent leurs enfants ailleurs pour suivre des tudessuprieures, car les centres ducatifs se trouvaient loin et, en plus, parce qu'ilsavaient besoin des jeunes pour travailler aux champs. Cependant, au sein despremires familles, on vit surgir des studieux tels que Dcurgez, Germanier,Gaillard, M agnin, Ballay, Gay, Duprat, Micheloud, A rlettaz, Moix et Favre.

    spect socialLe noyau familial valaisan tait constitu des parents, enfants, grands-parents, oncles, cousins et autres personnes qui s'incorporaient cette cellulesociale. M me avant le dpart en Am rique, ils se mettaient en rapport les unsavec les autres pour se voir octroyer des parcelles en commun. En effet, uneclause du contrat d'tablissement autorisait les paysans s'associer pourconstituer le groupe de cinq adultes indispensable pour avoir droit aux concessions.Le pilier de base de la famille tait l'homme le plus g qui, par son

    exprience, imposait un respect indiscutable. Le grand-pre devenait une figure mythique, quelque chose de semblable l'axe autour duquel tournaient leshommes et les vnements. Rien ne se faisait sans son consentement et sesparoles avaient force de loi. Ces patriarches taient admirs et considrs partous les habitants de la Colonie. Par diffrentes qualits ou conditions, ceshommes devinrent clbres. Imoff, par exemple, fut fameux par son aspecttoujours impeccable. Il tait trs grand, son chapeau et son costume noirscontrastaient avec sa longue barbe blanche; il se dplaait d'un endroit unautre en portant une petite valise carre o - disait-on - il avait son argent. EtEtienne Delasoie, lui, tait connu par son imposante autorit et par son air demontagnard. Homme trs fort et silencieux, il passait des heures assis devantla porte de la maison, en surveillant le travail de tous les mem bres de la famille.

    Dans tous les foyers, c'tait spcialement table qu'on pouvait constaterla force de l'autorit paternelle qui s'exerait mme sur les domestiques, lesemploys de la maison et les ouvriers agricoles. Pendant le repas, la paroletait rserve exclusivement au patron qui dominait la situation souverainement.La femme tait la compagne fidle, elle prenait en charge non seulementle mnage, mais aussi des travaux au jardin. Elle participait, ct deshommes, aux soins du btail, aux semailles et aux rcoltes. Elle ne reculaitdevant aucune tche; elle rparait mm e les outils pour le labourage. C ertainesfemmes, tant devenues veuves et ayant des enfants tout petits, firent face laralit et prirent en main le soutien de leur famille avec une fermet remarquable. Rien ne les branlait; ces solides Valaisannes russirent surmontertoutes sortes de difficults.

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    Le service domestique fut assur par des jeunes filles indigentes qui travaillaient pour la nourriture et l'habillement. On a appris, cependant, qu'il yeut des immigrants - tel le cas de A. Bonvin - qui sollicitrent de leurs parentsrests en Valais l'env oi d 'une femme de mnage, laquelle - disaient-ils -serait bien rmunre6. Ces jeunes filles furent gnralement incorpores etacceptes gentiment com me des m embres de la famille.En ce qui concerne la religion, la majorit des immigrants taient catholiques; un tout petit nombre seulement de protestants vint s'installer dans laColonie. Les deux religions eurent des adeptes comprhensifs et respectueuxdes autres au point qu'on clbra des mariages mixtes assez souvent. L'glisetait situe en face de la place centrale. C'est l qu'on clbrait la messe quirassemblait la totalit de la population. Trs tt le matin, on voyait arriver leschars avec toute la famille trs lgamment habille. Comme les gens allaientrester toute la journe au village, ils dtachaient les chevaux ct de la chapelle. La vie sociale commenait, pleine de gaiet. Les colons changeaientdes nouvelles, ils lisaient, en groupes, les lettres des parents du Valais, ils parlaient des rcoltes, des flaux, des affaires. Chaque dimanche tait la ftemrite aprs une dure semaine de travail. Les cloches sonnaient les heures,mais elles annonaient aussi le commencement de la messe, l'Anglus midiet le dpart dfinitif d'un des habitants vers le repos ternel.L'glise fut toujours un centre de runion important. La clbration dupatron, saint Joseph, tous les 19 mars tait trs significative. Aprs la messesolennelle,o faisait une procession et, plus tard, c'tait la fte avec la kermesse et des repas en plein air.De petites soires entre voisins et amis ne manquaient pas. Notamment,les gens qui avaient migr ensemble se rencontraient pour partager de bonsmome nts, tant ils en avaient partag de m auvais... Les colons s 'entraidaientdans les labours, que ce soit aux moissons, au battage ou aux semailles.. Et,lorsque les tches taient accomplies, ils ftaient avec des repas anims parl'accordon et les danses. Ils s'amusaient bien en sautant au rythme des

    mazu rkas, des shotis ou des polka s. Au cours de ces runions familiales, lesjeunes se faisaient des amis et cultivaient mme des relations qui deviendraient, avec le temps, trs so lides. Ceci rendait heureux les parents puisqu 'ilssentaient q ue, de cette manire, leur amiti, ne dans les lointaines montagnes,se continuait sur les pampas argentines, travers leurs enfants.Pour le carnaval, les hommes faisaient des cortges. Ils parcouraient laColonie pied ou cheval, pour arriver jusqu'aux maisons o il y avait desjeunes filles. Ils y dansaient toute l'aprs-mid i du dim anche. Les femmes de lamaison servaient du vin et des gteaux.Il y avait encore une autre fte trs gaie: la kermesse qu'on organisait l'cole. On y jouait toutes sortes de jeux; on participait des concours, et lesoir, on assistait la soire artistique o l'on donnait les prix gagns pendantl'aprs-midi. La soire finissait, bien sr, avec un bal populaire.

    6Archives du Centre d'E tudes Historiques de San Jos: lettres.

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    Relations avec le ValaisNombreux sont ceux qui se demandent si les Valaisans se trouvrent l'aise ets ilsse plurent dans leur nouvelle patrie, ou si, au contraire, ils dsiraient rentrer chez eux. En lisant de vieilles lettres, en parlant avec les colonsoctognaires qui conservent encore frais leurs souvenirs, on a pu reconstituerles faits. Les immigrants regrettrent leur pays, leurs amis, leurs parents siloigns qu 'ils ne pourraient plus revoir. Ils eurent la nostalgie des mon tagnes,de la neige, de la maison natale. Mais ils taient ravis de l'abondance desrcoltes et de la varit des travaux; ils s'extasiaient devant l'tendu e des proprits fertiles. En gnral, ils russirent quilibrer leurs sentiments, puisquela quasi-totalit des trangers arrivs resta la Colonie. Ceux qui ne s'y plurent pas - trs peu nom breux - allrent s'installer Santa Fe ou rentrrent enValais comm e, par exemple, Jean B . Dubuis. La plupart des colons appelaientleurs compatriotes les rejoindre San Jos. Appel qui eut un bon cho pendant plusieurs annes. Il y eut aussi des gens qui visitrent souvent la Suissepour se fournir des choses qu'ils ne pouvaient pas acheter en Argentine, poury vendre des proprits et en rapporter l'argent la Colonie. A. Mller, parexemple, possdait San Jos un grand magasin et de vastes plantations devignes. Il fabriquait des liqueurs et des vins exquis. Comme il faisait partie dela commission fondatrice du Tir suisse international depuis 1859, il rentra plu

    sieurs fois dans sa patrie o il acheta des marchandises telles que des armes,des munitions, des horloges, de la vaisselle en porcelaine, de la faence fine,des outils, etc. D. J. Favre fit la mme chose; il tait, lui aussi, li l'institution du Tir. Il runissait tous les colons dans la pratique du Veterli.Outre les lettres qui arrivaient frquemment aux premiers temps, racontant non seulement les vnements produits en Valais mais aussi dansl'Europe, les immigrants attendaient anxieusement les journaux du Vieux-Pays. Ces nouvelles envoyes par les parents arrivaient, naturellement, avecbeaucoup de retard.Chaque 1er aot on commmorait la date patriotique dans des actespub lics. Le drapeau suisse tait hiss ct de l'argentin et la Bande jouait desmarches et des hymnes avec motion. Ces journes-l, on prparait des repassucculents et les toasts joyeux rassemblaient tous les frres de l'anciennepatrie.La premire guerre mondiale provoqua une fracture dans les com munications qui s'interrompirent pendant un trs, trs long temps. Les lettres s'garrent ou, peut-tre, elles ne furent plus env oyes, les imm igrants ayant dj tropde mal crire en franais. Leurs enfants, n'ayant pas appris la langue desparents l'cole et n'ayan t pas, d'un autre ct, connu leur famille en E urope,taient m oins motivs pou r tenter une reprise des contacts.Actuellement, les relations entre le Valais et la Colonie se sont rtablies7.Beaucoup de descendants des immigrants valaisans ont retrouv leurs cousins

    7CARRON,A. etCARRON,C , Nos Cousins d Amrique, Sierre, 1986, p. 250.

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    lointains et une abondante correspondance unit les sentiments et les penses travers l'ocan. D'ailleurs, ce rapprochements estaccru grce au sjour que leprofesseur Sandra Gaillard a fait dernirement en Valais. Elles estoccupe demettre en contact beaucoup de familles, au moyen de recherches de documentsqui certifirent les liens de parent. Ses activits ralises avec ardeur etl'enthousiasme qu'elle manifesta dans la rcupration de nos racines rveillrent, chez les Valaisans, le dsir d'entreprendre des projets en commun.Revenue en Argentine, Sandra Gaillard appuya la cration d'une associationde soutien qui mit sur pied le Centre d'tudes Valais-Argentine, Colon (EntreRios). Celui-ci se propose de contribuer resserrer les liens des familles desdeux pays , de faire la diffusion de la culture valaisanne la Colon ie et viceversa, d'enseigner aux Argentins la langue de leurs anctres et d'organisertoutes sortes d'activits culturelles et des changes qui assurent que des liensde sang et d'amour seront nousjamais.L'hommage le plus grand l'pope de l'immigration fait par les descendants des premiers colons est le Muse historique rgional de San Jos. C'estl qu'o n a concentr, dans de modestes salles, le trsor d'un pass m erveilleuxqui vit encore travers chaque objet. Il s agit d'une trs vieille maison quiouvre ses portes tous les jours, sur la place centrale. C'est l que bat le curde la Colon ie. A peine on y entre qu 'un e sensation trange vous saisit, c'est unmlange d'motions et d'interrogations. Enroul autour d'une fleur indigneapparat un criteau: Voyageur qui passes, fais une halte et coute. Onrpond l'appel presque inconsciemment. Juste en face un portrait d'un immigrant aux cheveux blancs et la barbe longue vous prend avec un regardindfinissable enjambant les annes et la distance. Un silence mouvant vousfait sentir le passage du temps. Vous glissez sur l'histoire et vous trouvez laliste des nom s des imm igrants. Le rideau se replie dans la mm oire, un cortgede souvenirs vous entrane dans la maison et le grand-pre qui vous souhaitala bienvenue, l'entre, vous offre tendrement son bras pour vous inviter revivre l'aventure de l'immigration. Vous traversez une cour paisible, ornede colonnes austres et de fleurs blanches qui transmettent une profonde quitude l'esprit. Un deuxime criteau vous rappelle: Ici repose le souvenir detant d'annes de lutte...Le visiteur est entour d'un air mystrieux et il se laisse amener doucement vers le pass. Embaum du parfum des ptales hospitaliers, sous un cielaccueillant, il arrive devant une deuxime porte qui s'ouvre, gnreuse. Lasurprise, l'tonnement provoquent des expressions inoues. Les armoiriesvalaisannes s'alignent en face. Le grand drapeau dort dans un coffre, c'est le

    mme qui, en 1857, accompagna les colons dans leur geste historique. Unegrande carte signale les villages d'origine et les noms des familles qui les quittrent jam ais. A c t, un coffret en verre garde amoureusement une poignede la terre aime, cette terre jamais revue, qui reut dans son sein les parentsvalaisans rests l-bas. Quelque chose vous treint, un sentiment qui jaillitdu fond du cur. On se tait un instant devant la galerie des portraits. Desvisages dcharns vous interpellent. Les mots des criteaux reviennent l'esprit: Regarde ces cloches devenues muettes; elles ne sonnent plus comme

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    autrefois; regarde ces rverbres nus et endeuills..., ils se sont teints.Regarde les aiguilles de la pendule, ces pices de monnaie, cette charrue, cesroues..., elles ont tellement tourn qu 'elles reposent aujou rd'hui, dans le silence de cette maison, puises ainsi que l'image du grand-pre qui, de sontableau, contemple la scne.On avance par les couloirs et l'on dcouvre une salle aprs l'autre. Sixmille pices constituent la richesse du M use. Pourtant, ce n'es t pas la quantitd'objets et de documents qui tonne le visiteur, c'est leur tendresse et leur gravit.Parce que le lit en bronze est fait, le crochet est repass, la robe de mariage fait parade de sa dignit, le chapeau aux rubans apparat tout neuf. Toutbrille avec la mme puret. Les ustensiles de la cuisine, des casseroles, depetits appareils, des porcelaines, des faences et mme le beurrier artistiquement orn d'une gravure reprsentant des grappes. Des malles, des tonneaux,des pipes et des lunettes, des fusils et des balles, tant de choses valaisannes...Comment a-t-on pu croire que des liens si forts allaient tre vaincus par letemps?Cent trente ans en arrire, le Valais nous offrit la force de ses bras jeun espour construire notre avenir. Ces hommes courageux ne se fatigurent pas envain, on leur rend hommage au Muse. Dans cette vieille maison le temps estirrel, les heures s'coulent sans qu'on s'en rende compte et le voyageur n'avu que la moiti des pices. Tout d'un coup, les horloges se mettent enmarche, les sonneries rappellent au prsent et le visiteur, fatigu et mu, estconduit dans le salon. L, les fauteuils, les sourires accueillants, le caf, lesliqueurs, les causeries le mettent l'aise. Des gens viennent saluer le voyageur; comme un sicle plus tt, les colons veulent recevoir des nouvelles deleur famille europenne. Que c'est beau, nous d it le visiteur, de se sentir chezsoi avec un ocan au milieu Avant le dpart, vous vous arrtez devant ledernier criteau: Voyageur qu i passes, coute avant de partir: en chaque objetdu Muse historique rgional de la Colonie San Jos bat encore l'cho chri etimprissable des choses qui persistent travers le temps grce l'amo ur sincre des fils.En effet, ce rduit valaisan a t visit par beaucoup de Suisses et sesportes ne cessent d'tre ouvertes tout le monde en une chaleureuse treintefraternelle o se fondent les sentiments et l'histoire en ce moment solennel oun important anniversaire de la Confdration unit le cur de l'Helvtie et deses migrs.

    San Jos, 1988.