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Université Paris Descartes Faculté de médecine MÉMOIRE POUR LE DIPLÔME UNIVERSITAIRE D’HISTOIRE DE LA MÉDECINE Présenté par Jean-Claude Dubois MALADIES ÉPIDÉMIQUES ET MÉDECINE CHINOISE Exemple du SRAS Dirigé par M. Le Professeur BERCHE PATRICK ANNEE 2016

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UniversitéParisDescartes

Facultédemédecine

MÉMOIREPOURLEDIPLÔMEUNIVERSITAIRED’HISTOIREDELAMÉDECINE

Présentépar

Jean-ClaudeDubois

MALADIESÉPIDÉMIQUESET

MÉDECINECHINOISE

ExempleduSRAS

DirigéparM.LeProfesseurBERCHEPATRICK

ANNEE 2016

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À MES PARENTS

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Remerciements À Messieurs les Professeurs Patrick BERCHE et Jean-Noël FABIANI Pour avoir su créer et animer avec passion ce diplôme d’Histoire de la Médecine qui serait tellement utile aux étudiants futurs médecins. Ils mettent en pratique la parole d’Auguste Comte : « On ne connaît une science que lorsqu’on en connaît l’histoire ».

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Table des illustrations Figure 1. Talisman thérapeutique (Da Cheng)……………………………. 11 Figure 2. Préface du Shang Han Lun……………………………...………. 16 Figure 3. Représentation schématique des Six Méridiens ……………… 17 Figure 4. Wu You Xing alias Wu You Ke 1582-1652……………………..22 Figure 5. Représentation schématique des Quatre Couches ……………….28 Figure 6. Radix Glycyrrhizae. La « réglisse européenne »..……………......33

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Table des matières

INTRODUCTION ................................................................................................................6PREMIÈREPARTIE:ETYMOLOGIEETHISTOIRE...................................................7I. Contagionetépidémiedanslestextesanciens ........................................................7II. Explicationslégendairesdesfléauxépidémiques.............................................. 10

DEUXIÈMEPARTIE:L’APPROCHEMÉDICALE ..................................................... 12I. L’approchemédicaledansleClassiquedel’Internedel’EmpereurJaune .. 12II. Médecinsetsavants ...................................................................................................... 14III. Lathéorieépidémiquetoxi-infectieuse................................................................ 21IV. Unespritnovateur:WuYouKe1582-1652........................................................ 22

TROISIÈME PARTIE : SRAS ET ACTUALITÉ DE LA MÉDECINE CHINOISETRADITIONNELLE ......................................................................................................... 28I. LapremièremaladiegraveettransmissibleduXXIèsiècle............................. 28II. SémiologieetnatureduSRAS.................................................................................... 29III. SRASetMédecineChinoiseTraditionnelle.......................................................... 30IV. Traitement ...................................................................................................................... 31

CONCLUSION ................................................................................................................... 34BIBLIOGRAPHIE............................................................................................................. 35

Ouvragesetarticleschinois ............................................................................................................. 35Ouvragesetarticlesfrançais ........................................................................................................... 37

ANNEXETextechinoiscités…………………………………………………………………….40

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INTRODUCTION Les maladies fébriles épidémiques sont connues et étudiées en Chine depuis l’antiquité. Leurs causes, leurs circonstances d’apparition, leur diagnostic et leur traitement ont été discutés et expérimentés durant des siècles. Ce n’est cependant qu’à partir du milieu du 17è siècle de notre ère qu’un courant médical spécialisé s’est progressivement constitué puis systématisé pour devenir une discipline à part entière, connue sous le nom d’École des maladies fébriles par la chaleur 溫病學派 wēnbìng xuépaì, que nous appellerons plus simplement École des maladies de la chaleur ou encore École des maladies fébriles exogènes1. Cette expression s’entend en fait des maladies fébriles contagieuses et non contagieuses. Dans les pages qui suivent je retracerai à grands traits l’histoire de cette aventure médicale qui s’enracine dans les énoncés princeps du Classique Interne de l’Empereur Jaune2 et se prolonge jusqu’à nos jours. Je mettrai l’accent sur les notions de contagion et d’épidémie pour tenter de mieux faire ressortir les phases principales de cette évolution historique scandée par les observations et les découvertes des plus fameux médecins de l’antiquité. Puis je survolerai les progrès des siècles suivants en marquant la rupture survenue entre les 12e et 14e siècles suivie des prolongements ininterrompus de l’époque Ming (1368-1644) jusqu’à la systématisation qui eut lieu sous les Qing (1644-1911). L’École des Maladies de la Chaleur peut en effet être considérée comme un apport original, en médecine, de cette période historique. Mais je négligerai volontairement la question de la variolisation et de la vaccination, qui devrait être traitée séparément. L’épidémie de Syndrome Respiratoire Aigu Sévère (SRAS) qui inquiéta le monde au cours des années 2003-2004 me servira ensuite d’illustration de ce que peuvent encore apporter ces anciennes méthodes dans le concert de la médecine contemporaine, défiée par l’émergence de nouvelles maladies infectieuses3. Au passage je me serai arrêté sur la figure singulière d’un médecin du 17è siècle, Wu You Xing 吳有性 alias Wu You Ke 吳又可 (1582-1652) qui le premier pressentit l’existence des micro-organismes et se trouve être le véritable précurseur de cette École des Maladies de la Chaleur, même s’il n’en fut pas le principal organisateur. Les citations des ouvrages chinois ont été reportées en annexe de fin de volume. Les sources utilisées, citées au fur et à mesure, sont regroupées dans la bibliographie. Une thèse de doctorat soutenue en 2011 à l’université de médecine chinoise de Nanjing m’a été particulièrement utile4. 1Dictionnaire médical chinois français 汉法醫學⼤詞典Éditions Renmin Weisheng, Beijing 1992 p.1513. Grand dictionnaire Ricci de la langue chinoise 利⽒漢法辭典 Desclée de Brouwer Paris 2001,volume VI p.599. 2 Classique interne de l’Empereur Jaune⿈帝內經 huángdì neìjīng, cf. infra p.12 3 Plus d’une vingtaine depuis l’an 2000. 4 Wang Wen Yuan, sous la direction du Pr Yang Jin : Concepts and Methods of Epidemic Prevention in Ancient China and their Moderne Applications Research古代中國防疫思想与⽅法 及 其現代應⽤研究 gǔ dài zhōngguó fángyì sīxiǎng yú fāngfǎ jí qí xiàndài yìngyòng yánjiù Nanjing University of Chinese Medicine. Elle se réfère largement aux ouvrages de l’antiquité chinoise et au Traité des Pestilences de Wu You Ke (1642) dont il sera question plus loin.

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PREMIÈRE PARTIE : ETYMOLOGIE ET HISTOIRE

I. Contagionetépidémiedanslestextesanciens

1. Définitions modernes En chinois moderne, épidémique se dit liúxíng 流⾏, contagion chuánrǎn 傳染, infection ou infestation gǎnrán 感染 ; de sorte que maladie épidémique se dit liúxíngbìng 流⾏病 (病 bìng = maladie), maladie contagieuse ou infectieuse se dit chuánrǎnbìng 傳染病 et maladie infectieuse aiguë jíxìngchuánrǎnbìng 急性傳染病. Mais on serait bien en peine, mis à part le mot « maladie », de retrouver ces termes tels quels dans les textes anciens.

2. Caractères chinois des maladies épidémiques dans les textes anciens Le chinois classique utilise en effet d’autres caractères pour traduire la nature fébrile et épidémique des maladies. Examinons les principaux d’entre eux :

• Yì 疫

C’est le plus important. Il signifie « épidémie, contagion, peste », un peu comme le latin pestis : « épidémie, destruction, fléau ». Associé au caractère de la maladie - bìng - 疫病 yìbìng - il désigne de nos jours toutes formes de « pestilences », toute maladie contagieuse caractérisée par une forte mortalité. Il s’emploie notamment pour toutes les maladies fébriles épidémiques graves. La peste bubonique, la peste noire due au bacille de Yersin, dans l’antiquité chinoise, se nommait shŭyì ⿏疫 - avec le caractère ⿏ shŭ qui est le nom générique des rats, souris et autres rongeurs - parce qu’elle est transmise à l’homme par les rats. En chinois contemporain on dira plutôt, en référence à la terminologie occidentale moderne, hēisǐbìng ⿊死病 pour marquer sa noirceur et sa nature mortifère, ou encore hēishŭbìng ⿊⿏病 qui veut dire littéralement « maladie noire transmise par les rats » (Ricci c.2364). Sans être aussi expressifs ces derniers termes sous-entendent donc toujours la gravité et la contagiosité de cette maladie. De fait le caractère Yì 疫 a un sens large qui ne permet guère de conclure, lorsqu’on le rencontre, à la nature exacte de la maladie en cause sinon qu’elle est plutôt « froide » ou « chaude », produite par un «souffle épidémique » ou encore par un agent épidémique « mixte »i 5. Il montre surtout, dans le contexte où il apparaît en plusieurs documents qui précédèrent l’époque Qin 先秦 (221-207 av. J.-C.) que les hommes de ces époques lointaines étaient déjà confrontés à de graves épidémies, entrainant la perte de beaucoup de vies humaines et de grands dommages sociaux.

5 Cf. en annexe de ce fascicule les expressions ou citations chinoises correspondantes.

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Avec dans la partie supérieure le radical de la maladie ⽧nì qui représente la forme d’un homme accoté, allongé sur un lit avec des points qui figurent la transpiration6, Yì 疫 est formé d’une figure ⽎ qui se prononce shū et qui signifie « bâton », « frapper », « un bâton pour frapper les gens ». Ce long bâton de section octogonale aux arêtes tranchantes était formé de bambous assemblés ou de bois taillé. Il était l’arme de la garde qui marchait en avant d’un char militaire. Les inscriptions sur carapace de tortue suggèrent en plus une main brandissant cette arme ou une massue7. Plus que de longs discours ces pictogrammes suggèrent la violence et l’anonymat avec lesquels frappe tout fléau épidémique, ce qui se retrouve en termes assez semblables dans les légendes occidentales. Émile Littré par exemple, dans un livre composé de fragments consacrés à la médecine, fait suivre les quarante premières pages de son étude sur les « grandes épidémies » par quarante autres pages consacrées aux « tables parlantes et aux esprits frappeurs » 8 !

• Wēn 瘟

Un autre caractère antique équivalent de Yì, pour dire les maladies épidémiques, est Wēn 瘟. Formé avec le radical de la maladie, il ne faut pas le confondre avec son homonyme wēn 溫 construit avec le radical de l’eau et qui indique une notion de température, donc de chaleur ; ce caractère wēn 溫 structure en grande partie les cadres nosologiques des affections fébriles en médecine chinoise traditionnelle, comme nous le verrons plus loin. Les deux caractères Wēn 瘟 et Yì 疫 associés 瘟疫 wēnyì eurent dans les temps anciens le sens général et affirmé d’épidémie, comme le rapporte le Cíyuán 辭源grand dictionnaire de la langue chinoise du début du XXe siècle (1915) : « Wēn signifie maladie épidémique Yì, maladies aiguës contagieuses qui atteignent l’homme ou les animaux domestiques et les oiseaux de basse-cour »ii. Mais parfois Wēn 瘟 a pu remplacer Yì 疫 avec le même sens de contagiosité, de gravité et de dissémination épidémique et il n’est pas rare de voir 瘟疫 wēnyì remplacé par 瘟 wēn ou par 疫 yì tout court. En revanche Yì 疫 associé au caractère wēn 溫 porteur du radical de l’eau - 溫疫 wēnyì - indiquera d’abord la nature chaude, fébrile de telle maladie contagieuse. Alors que 瘟疫 wēnyì connote toutes les espèces de maladies contagieuses, qu’elles soient fébriles ou non, toutes les sortes de maladies épidémiques pouvant toucher l’homme ou l’animal. D’où le titre de l’ouvrage publié en 1642 par Wu You Xing, précurseur de l’École des Maladies de la Chaleur : le Traité des Pestilences 瘟疫論 wēnyìlùn. 6 Morel P., Xu GuangCun, Les 214 clés de l’écriture chinoise, Editions You Feng, Paris 1997 p.104. 7 ibid p.79 8 Littré É., Médecine et Médecins, librairie académique, Paris 1872.

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• Lì 癘 Cet autre caractère classique possède aussi parfois un sens identique à celui de Yì 疫. Il se rencontre dans certains textes de la littérature chinoise ou encore dans les chroniques locales, source inépuisable d’informations sur les évènements de la vie chinoise ancienne. Ainsi le Shan Hai Jing Guo mentionne : « Lì, ce sont les maladies épidémiques »iii. Une étude plus complète des termes médicaux anciens relatifs à l’épidémiologie devrait s’arrêter sur un certain nombre de noms propres. Par exemple 瘴氣 zhàngqì dont le sens varie selon les cas entre « miasmes, vapeur pestilentielle », « maladie épidémique » voire « malaria, paludisme à falciparum » ; 霍亂 huòluàn dont l’expression graphique exprime bien la désorganisation soudaine qu’entraine dans l’organisme le choléra morbus ou les gastro-entérites aiguës ; 爛 喉瘤 lànhóushā, très anciennement utilisé pour dire la scarlatine ; ⼤頭瘟 dàtóuwēn, littéralement « infection avec tête enflée », nom des oreillons vus comme le résultat d’une atteinte par un « vent-chaleur épidémique », ou encore 疫咳 yìké pour la coqueluche, où la toux se trouve associée à l’idéogramme de la contagion9 etc. Mais tous ces termes, on le voit, sont des noms de maladies contagieuses bien définies et ne furent jamais pris comme termes génériques pour les maladies épidémiques . En somme, et bien que les questions de nosologie comparée avec les époques lointaines soient loin d’être simples - elles sont parfois insolubles - il est admis de nos jours que les caractères examinés ci-dessus couvrent toute une classe de maladies infectieuses, fébriles épidémiques dont les caractéristiques sont d’être à déclenchement soudain, très agressives et facilement contractées, quel que soit l’âge ou le sexe. Ces notions générales doivent être rappelées pour qui souhaite étudier les enseignements théoriques et pratiques de l’École chinoise des Maladies de la Chaleur 溫病學 wēnbìngxué tels qu’ils sont transmis actuellement dans les Universités de Médecine traditionnelle de Chine.

9 L’analyse des inscriptions sur carapaces de tortues 甲⾻⽂ jiāgǔwén au XXe siècle a révélé en fait l’existence à l’époque de la dynastie Yīn 殷代 (1401-1222 av.J.C.) de plus d’une centaine de noms propres de maladies contagieuses. Comme encore 瘧 nüè le paludisme ou 疥 jiè la gale. Cf Li Zhao Hua 傳染病証治从新 chuánránbìng zhèngzhì cóngxīn - Nouvelle Approche du diagnostic et du traitement des maladies contagieuses -, Éditions populaires du Hebei, Shijiazhuang 1981 pp.1-3. Le nom chinois moderne de la coqueluche est bǎirìké 百⽇咳 « toux de cent jours », sans doute parce que les quintes de toux de cette maladie qui durent normalement de deux à quatre semaines se prolongent souvent d’épisodes de toux sèche. Mais on voit que le nom moderne de la maladie ne contient plus le sens de contagion.

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II. Explicationslégendairesdesfléauxépidémiques Dans la Haute Antiquité Chinoise on expliquait les épidémies par l’intervention d’un ou plusieurs génies ou démons particuliers qui « frappaient » indistinctement des populations entières10. La mythologie fait état d’une divinité du Vent ⾵神 fēngshén nommée Bó Qiáng. Dans un commentaire ancien des Élégies de Chu, cette divinité, dont le souvenir s’est perpétué dans un poème du XIXe siècle, est considérée comme l’entité responsable des épidémies : « Bóqiáng est le nom de la divinité des épidémies, quand elle se manifeste elle nuit à la santé de l’homme » 11 iv Un autre ouvrage de l’antiquité, les Anciens Rituels des fonctionnaires Han, dans son supplément, rapporte une légende selon laquelle trois enfants morts à la naissance devinrent des démons fauteurs d’épidémies12. L’un devint le mauvais génie de la malaria, le deuxième le génie des eaux et le troisième, caché derrière les portes dans les appartements des hommes, terrorise désormais les enfants. C’est un peu en mode chinois l’histoire rapportée par Littré de loups-garous dévorant des enfants13. Ces croyances en des démons responsables d’épidémies ou de troubles mentaux collectifs sont en fait très répandues dans les textes anciens de la Chine. On en retrouve les traces jusque dans les textes médicaux. Ainsi le fameux Compendium des Aiguilles et des Moxas, publié en 1601 par Yang Ji Zhou, reproduit la Chanson des treize points vitaux de Sun Si Miao 孫真⼈鍼⼗三⿁⽳ sūnzhēnrén zhēnshísān guǐxué réputés traiter les « maladies de revenants », en fait des troubles psychiatriques14. Et il la fait précéder d’un « charme », d’un talisman thérapeutique 符咒 fúzhòu accompagné de formules incantatoires, intitulé « Secrets essentiels pour la puncture des influences néfastes » 針邪秘要 zhēnxié míyào. Ce charme présent dans toutes les éditions du Dacheng jusqu’au milieu du XXe siècle a été supprimé – superstition oblige ! - dans l’édition de 1963 et malheureusement aussi dans les suivantes, par ailleurs excellentes. Je le reproduis ci-dessous d’après la troisième édition de cet ouvrage, datée de 1657 (Figure 1). Ces explications étaient commodes pour les populations ; le Bouddhisme et le Taoïsme populaires y rajoutèrent d’autres éléments qui ne furent pas sans influencer les recommandations prophylactiques de ces fléaux. C’est ainsi que des rites spécifiques pour expulser les démons épidémiques firent partie des techniques de

10 Lee T’ao, historien de la médecine dans les années 1930, notait que « the original meaning of epidemics in Chinese is I (疫), whiche means evil spirits making people sick » Lee T’ao History of Medicine – A short history of the acute infectious diseases in China » Chinese Medical Journal 1936, 50, 172-83. Source : GERA (Groupe d’études et recherches en Acupuncture, Toulon). Notons que dans cet article 傷寒 shānghán est traduit par typhoïde alors qu’il signifie dans les textes traditionnels « atteinte par le froid » comme nous le verrons plus loin. 11 Cité par Wang Wen Yuan, Thèse 2011. 12 Il s’agit du Hàn Guān Jiù Yí 漢宮旧儀, ouvrage datant des Han de l’Est (25-220 apr. J-C.) 13 É. Littré, ouvrage cité p.20 14 Yang Ji Zhou 楊繼洲 Compendium des aiguilles et des moxas 針灸⼤成 zhēnjiǔ dàchéng première édition 1601. Compendium des aiguilles et des moxas commenté 針灸⼤成校釋 zhēnjiǔ dàchéng jiàoshì, sous la direction de l’Institut de Recherche de la province de Heilongjiang, Éditions Renmin Weisheng 1984 pp.1186-1189.

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conjuration des influences néfastes Nuó 儺 dont il existe encore maintes traces de nos jours en Chine15.

Figure 1. Talisman thérapeutique 針灸⼤成 zhēnjiǔ dàchéng troisième édition 1657 Sous la brillante dynastie Tang (618 - 907) de tels Rites étaient même pratiqués dans toutes les classes de la société, du monde paysan jusqu’aux plus hauts dignitaires de la Cour impériale. Il est prouvé maintenant qu’ils remontaient en ligne directe à la dynastie des Zhou de l’Ouest (1066 - 221 av. J.-C.). Yao He 姚合, un poète de cette époque, en a laissé le souvenir :

15 M. Rouffiandis (médecin aide-major de 1ère classe des troupes coloniales) : Théories chinoises sur la peste cf. base de données GERA. L’auteur fait une recension plutôt folklorique des cérémonies populaires dont il fut le témoin à Fu Zhou au début du XXème siècle. Il se trompe sur le nom de la peste bubonique shŭyì ⿏疫 qu’il confond avec celui des « maladies pestilentielles » en général, wēnyì 瘟疫. D’un autre côté, l’Occident à travers le Catholicisme par exemple a gardé d’anciennes oraisons, toujours actuelles, pour les cas d’épidémies chez les animaux. Et l’action de St François de Paule (1416-1507) au XVe siècle contre les épidémies de peste dans le sud de la France est restée dans toutes les mémoires. Il y a donc des constantes à ce sujet, intéressantes à observer au sein de civilisations aussi différentes et éloignées de nous que la civilisation extrême-orientale.

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« la bougie de l’année à peine éteinte alors que le coq annonce l’an nouveau

contre les épidémies se font entendre les Nuó avec les libations d’accueil du printemps ».

燭盡年還別,雞鳴⽼更新

儺聲⽅去疫,酒⾊已迎春 zhújìn niánhuán bié, jímǐng lǎo gēngxīn núoshēng fāng qùyì, jiǔsè yǐ yǐngchūn

Il serait difficile de nos jours d’évaluer convenablement ces pratiques. Leur efficience était liée à des représentations de l’homme et du cosmos totalement différentes des nôtres. Comme le notait Marcel Granet, on croyait encore au temps des Han que la Terre et le Ciel augmentaient progressivement de volume. La distance entre eux s’accroissait. Ils se tenaient jadis, quand les Esprits et les Hommes vivaient en promiscuité, si étroitement rapprochés (la Terre offrant au Ciel son dos et le Ciel la tenant embrassée) qu’on pouvait « montant et descendant » passer à chaque instant de l’une à l’autre16.

DEUXIÈME PARTIE : L’APPROCHE MÉDICALE

I. L’approche médicale dans le Classique de l’Interne del’EmpereurJaune

Parallèlement aux légendes sur les démons épidémiques s’était développée une approche médicale fondée sur l’observation et l’analyse dont le Classique de l’Interne de l’Empereur Jaune⿈帝內經 huángdì neìjīng est le fondement17. Cet ouvrage fondamental est composé de textes rédigés entre le IVe siècle av.J.-C. et le IIIe siècle apr.J.-C., avec des ajouts possibles jusqu’au IVe siècle. Il comprend deux parties : le Suwen 素問 ou Simples Questions compilé sous la dynastie Tang avec les commentaires de Wang Bing et le Lingshu 靈樞 ou Pivot Spirituel compilé sous la dynastie Song18. Il faut y ajouter deux chapitres dits « perdus » du Suwen parce qu’ils ne sont pas dans l’édition Wang Bing et sont censés avoir été « retrouvés » sous la dynastie Song. Toujours placés en annexe des différentes éditions ils sont très importants pour l’analyse et la compréhension des maladies fébriles épidémiques19.

16 Granet M., La pensée chinoise, Albin Michel 1999 - avec une préface de Léon Vandermeersch - p.287 17 Il n’est pas le seul grand Classique de médecine de l’antiquité chinoise mais les autres ont été perdus. Cf. Bibliographie. 18 王冰 Wang Bing (710-804) fut donc à la fois éditeur et commentateur des Simples Questions. 19 Suwen 72 : 刺法論 cìfǎlùn Traité sur la méthode acupuncturale. Suwen 73 : 本病論 běnbìnglùn Étude sur l’origine des maladies épidémiques. Ces deux chapitres sont donc peut-être apocryphes. Le problème de leur authenticité est non résolu. Ils sont particulièrement précieux pour une approche globale des circonstances cosmologiques et climatiques qui président au déclenchement des maladies

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Le chapitre 72 offre une division par cinq des maladies épidémiques - « les cinq miasmes » 五疫 wǔyì – nommées en référence aux cinq mouvements de la tradition antique : métal, bois, eau, feu, terre. Cette distribution qui semble avoir eu ses limites - à moins que certaines clés de compréhension en aient été perdues - ne fut pas développée par la suite. On retint cependant la leçon principale de ce texte qui évoque les moyens d’éviter la contagion : « J’ai entendu dire que lorsque les cinq sortes d’épidémies se déclenchent, tout le monde est atteint, grands comme petits, avec les mêmes symptômes. Comment se fait-il que certains évitent la contagion sans recourir aux méthodes habituelles ? Réponse de Qi Bo : ceux qui ne sont pas atteints savent garder en eux leur énergie essentielle et l’énergie perverse ne peut les envahir ; en outre ils connaissent des moyens d’échapper à la pestilence » 20 v L’allusion y est claire à des techniques de concentration et de visualisation pour prévenir la contamination lorsqu’on visite un malade. Le texte énonce ensuite des couplages de points d’acupuncture susceptibles de traiter les sujets de faible constitution selon la nature des dérèglements des « circumductions célestes » en cause dans telle ou telle épidémie. Pratiques complexes qui demanderaient à être réévaluées à notre époque. Quoiqu’il en soit, face au risque épidémique en particulier, mieux vaut prévenir que guérir, expliquait-on déjà au deuxième chapitre du même livre : « Un sage ne doit pas attendre pour agir que le désordre se soit installé, mais agir avant qu’il ne s’installe. Faire autrement c’est se conduire comme un homme qui attendrait d’avoir soif pour creuser un puits ou que la guerre soit déclarée pour fourbir ses armes»vi. L’art médical traditionnel chinois ne participe t-il pas des mêmes principes que ceux de l’art de la guerre, élaboré par Sun Zi ! 21. Les chapitres 31,32 ,33 et 34 (qui forment le livre 9 du Suwen) sont tous consacrés aux différents types de maladies de la chaleur, à leurs formes particulières, aux méthodes acupuncturales qui leur sont applicables22.

épidémiques. Cf aussi les notes de Nguyen Van Nghi et Christine Recours-Nguyen, Huangdi Neijing Suwen, Editions N.V.N. Marseille 1991, tome IV pp. 317 et 341. 20 Nombreuses éditions chinoises dont celle plusieurs fois réimprimée : ⿈帝內經素問 huángdì neìjīng sùwèn Éditions Renmin Weisheng Beijing 1963. cf.aussi Commentaires sur le Huangdi Neijing Suwen ⿈帝內經素問校釋 huángdì neìjīng sùwèn jiaòshì , Institut de médecine chinoise du Shandong, Faculté de médecine du Hebei, Éditions Renmin Weisheng, Beijing 1982, 2 vol. Éditions françaises : Traductions françaises consultées : Nguyen Van Nghi et collaborateurs : Hoang ti nei king SO OUENN quatre volumes publiés entre 1973 et 1991. Albert Husson : Huang Di Nei Jing Su Wen ouvrage préfacé par Pierre Huard - Association Scientifique des Médecins Acupuncteurs de France, 2 rue du Général de Larminat 75015 Paris, 1987. Élisabeth Rochat de la Vallée et Claude Larre : Suwen Les onze premiers traités, Maisonneuve 1993. 21 Jean-Claude Dubois : « Art de guérir et art de la guerre », conférence non publiée faite dans le cadre du Colloque « Comprendre la Chine, Pensée chinoise et Philosophie européenne », organisé par le rectorat de Strasbourg, Palais universitaire de Strasbourg, novembre 2005 (autres participants : Joël Ben Lassen, Anne Cheng, Jean-François Billeter et François Jullien).

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Le chapitre 31 commence ainsi : « Toutes les maladies chaudes sont de la catégorie des atteintes du froid. Elles sont mortelles en 6 ou 7 jours, ou guérissent après le 10ème jour. Pourquoi ? »vii. C’est la définition première des états pathologiques fébriles aigus, a fortiori contagieux, dans l’antiquité. Toutes les maladies fébriles aiguës ou épidémiques sont alors considérées sous l’angle des atteintes par le froid. Mais cette notion de « Froid » est très large puisqu’elle englobe cinq formes : attaque par le vent, atteinte par le froid proprement dit (c’est à dire en un sens strict), humidité tiède, maladies de chaleur et mal de tiédeur. C’est pourquoi le Classique des Difficultés難經 nánjīng y reviendra spécialement (Difficulté 58)23 viii. Seules les trois dernières seront reconnues ultérieurement comme des « maladies de la chaleur exogène », notamment le « mal tiède » ou « intoxication de la tiédeur » 溫病 wēnbìng qui comprend des maladies épidémiques. On expliquera cette apparente contradiction avec l’étiologie froid par la théorie des énergies perverses quiescentes qui se manifestent en une autre saison que celle de l’atteinte initiale. Cette théorie sera développée au XIXe siècle et appliquée à notre époque à des flambées épidémiques comme celle du SRAS dont nous reparlerons plus loin. Même thématique en Suwen 61 et en Lingshu 21, 23 et 70 où les maladies tièdes ou chaudes sont souvent des maladies épidémiques. Cependant Suwen 4, 53, 72 et 73 en attribuent plusieurs au froid pathogène. Donc les distinctions restent à cette époque relativement floues. Et rappelons pour éviter toute confusion que Shànghán 傷寒 dans le langage médical ancien n’est pas du tout la fièvre typhoïde et le typhus, qui en est seulement le nom contemporain. Ainsi 傷寒桿菌 shànghángǎnjūn est le nom du bacille typhoïdique, bacille d’Eberth qui était évidemment inconnu des anciens.

II. Médecinsetsavants

• Wang Chong

L’époque des Han de l’Est (25-220 apr. J.-C.) connut de nombreux épisodes épidémiques. Le savant Wang Chong le nota dans son essai critique : « les maladies épidémiques chaudes provoquent l’anéantissement de mille foyers » 24

ix

22 Voir à propos de ces 4 chapitres les pertinentes remarques de Patrick Nguyen, précédées d’une longue introduction des livres IX à XVIII du Suwen : « Approche de la réalité pathologique en Chine ancienne », in Nguyen Van Nghi, Nguyen Patrick : Huangdi Neijing Suwen, tomme III, Edition N.V.N. Marseille 1988, pp. 9 à 25. 23 Le Classique des 81 difficultés de l’Acupuncture est du premier siècle A.C. Attribué légendairement à Bian Que, médecin de l’époque des Royaumes Combattants (- 475 -221) il soulève sous forme de questions réponses des difficultés d’interprétation du Huangdi Neijing. Traduction française par P. Grison (commentaires M. Mussat) : NAN-KING les 81 difficultés de l’acupuncture, Masson 1979. 24 Wang Chong : Théories mises dans la balance 王充論衡 wángchōng lùnhéng rédigé en 83 de notre ère où l’auteur discute les opinions courantes et critique les superstitions de son temps.

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• Zhang Zhong Jing

La répétition de ces épidémies décida de la vocation de Zhang Zhong Jing 張仲景 l’un des plus fameux médecins que la Chine ait connue, souvent surnommé l’Hippocrate chinois. Vivant aux premier et deuxième siècle de notre ère, il devait donner ses lettres de noblesse au concept d’atteinte par le froid dans un livre d’une subtilité extraordinaire que tout médecin chinois se doit d’avoir étudié : le Shānghán Zábìng Lùn 傷寒雜病論25. Son influence fut telle que l’on ne dénombre depuis pas moins de 400 ouvrages dont le titre fait référence aux atteintes par le froid. Dans sa préface Zhang Zhong Jing déclare s’être mis à l’étude de la médecine après avoir perdu les deux tiers de sa famille en quelques années, dont sept sur dix à cause d’atteintes par le froid :

« Mon clan avait toujours été nombreux, plus de deux cent membres, mais à partir de la période de règne Jiàn Ān (196-220 de notre ère) et en moins de dix années les deux tiers disparurent parmi lesquels sept sur dix à cause d’atteintes du froid. Je fus attristé par tant de vies perdues que je n’avais pu sauver. C’est pourquoi je m’appliquai à l’étude des enseignements laissés par les anciens, je recueillis un grand nombre de recettes … Je rédigeai le Shànghán Zǎbìnglùn en 16 rouleaux. Bien que je ne puisse pas guérir toutes les maladies, une bonne observation permet d’en comprendre les causes. En utilisant mon livre on trouvera déjà plus de la moitié des solutions »(Figure 2). Mais il faut se défier de la routine et faire appel au raisonnement : « Il y eut de grands maîtres de la médecine dans les temps anciens … (Malheureusement) les médecins de nos jours ne font pas attention au vrai sens des Classiques et ne peuvent donc en tirer le profit qu’ils devraient. Chacun garde ses propres techniques et recettes familiales, toujours les mêmes. On parle avec le malade et on lui délivre une ordonnance en négligeant d’examiner ses pouls… ». Zhang Zhong Jing met donc les « atteintes par le froid » 傷寒 shànghán en exergue d’une vaste synthèse construite à partir des données classiques, des connaissances médicales des siècles précédents, des procédés et recettes en vogue à son époque et des acquis de sa propre expérience. Ce livre unique est aussi le plus ancien traité chinois de thérapeutique des maladies fébriles. On notera cependant que le concept d’atteintes par le froid est plus complexe qu’il n’y paraît. D’où la difficulté à traduire ou à paraphraser le titre de ce livre en français26. 25 Zhang Zhong Jing 張仲景 ou Zhang Ji 張機. Le Shānghán Zábìng Lùn 傷寒雜病論 fut réarrangé par Wang Shu He (265-316) qui réunit les dix premiers volumes en un seul livre, le 傷寒論 shānghánlùn Traité des atteintes par le Froid. Les six volumes restant ne furent réunis qu’à l’époque Song sous le titre de Prescriptions essentielles du Coffret d’Or ⾦匱要略 jīnkuìyāolüè. 26 P. Dabry : La médecine chez les Chinois, Paris 1863 p.146. Cet auteur parle de Maladies provenant d’un refroidissement subit du corps et traduit Shānghán par « corps blessé par un grand froid ». Autres traductions françaises du Shang Han Lun ; Nguyen Van Nghi, Christine Nguyen Recours : Maladies évolutives des 3 Yin et des 3 Yang Éditions NVN Marseille 1987. Ming Wong : Shang-Han-Lun Traité du Froid nocif, traduction et commentaires Masson 1983. Catherine Despeux : Shanghanlun, le Traité des « coups de froid », Édition de la Tisserande, Paris 1985.

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Figure 2. Zhang Zhong Jing : Préface du Shang Han Lun (reprint d’édition ancienne)

Inspirée du chapitre 31 de Suwen la méthode de Zhang Zhong Jing décrit l’installation et la progression des maladies selon six niveaux, correspondant aux six grandes énergies formant les méridiens de l’homme, et préconise des remèdes appropriés à chaque stade et à chaque évolution morbides (Figure 3). Ses prescriptions répondent à des critères d’observation et de prise de décision très précis. L’une des plus connues est la Décoction à base d’Ephedra Sinica ⿇⿈湯 máhuángtāng qui se décline de plusieurs manières en fonction des situations rencontrées, par ajout ou soustraction d’un ou plusieurs de ses composants. Associant l’éphèdre (3 à 9 g), plante sudorifique, diurétique et anti-dyspnéique à la cannelle (3 à 9 g), à l’amande d’abricot (3 à 9 g) et à la réglisse (3 à 6 g), elle offre une série étonnante de synergies permettant de traiter bronchites aiguës, asthme bronchique, pneumonies franche lobaires ou arthrites rhumatismales, dès lors que sont réunis les signes d’une « plénitude externe par atteinte du vent-froid » : céphalées, lombalgies, arthralgies, crainte du froid mais absence de sueurs, fièvre modérée, dyspnée, pouls immergé (« flottant ») et serré, langue pâle mince enduit blanchâtre.

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Figure 3. Représentation schématique des Six Grands Méridiens

(Shang Han Lun)

C’est aussi une excellente prescription pour les épidémies de grippe lorsque le tableau clinique répond à ces critères. Elle est en revanche contre-indiquée dans les atteintes de type vent chaleur et chez les sujets faibles avec sueurs. Profitons en pour marquer, à la suite de l’historien de la médecine Patrick Nguyen, ce qui distingue le plus nettement, dans l’approche des maladies fébriles épidémiques, le modèle pathogénique et nosologique développé par la tradition chinoise et les modèles occidentaux, de l’antiquité jusqu’au XVIIIe siècle et scientifique actuel : « Le modèle scientifique occidental est comparable à une poupée russe (F. Jacob 1970) où l’organisme est composé de plans d’organisation emboités les uns dans les autres : tissulaire, cellulaire, moléculaire. Le médecin réorganise les manifestations apparentes selon les tissus (méthode anatomo - clinique) en fonction desquels il recherche le germe causal par prélèvement et mise en culture (niveau cellulaire), effectuant des séro - diagnostics et instituant un traitement (niveau moléculaire). Le modèle de l’antiquité occidentale, le modèle hippocratique, peut être comparé à un chaudron. L’organisme, composé d’humeurs potentiellement équilibrées, harmonieusement répandues, réagit par une sorte de cuisson (coction), à un excès d’humeur considérée comme en état de crudité. La coction doit aboutir à une crise (crisis) consistant en une évacuation : selles, urines, sueurs, saignements… Dans ce cas le médecin porte une attention plus particulière à l’observation fine et concrète de ces évacuations, dans leur nature et dans le temps de leur survenue. Le modèle chinois, le modèle du Suwen, est plutôt comparable à un instrument de musique à cordes, c’est-à-dire à des successions de méridiens et de couches du corps disposées de l’extérieur vers l’intérieur, l’ensemble étant exposé aux variations cosmiques. La maladie fébrile se manifeste par des « vibrations » symptomatologiques dues aux énergies cosmiques saisonnières en lutte avec les énergies corporelles de chaque « corde ». Dans la pensée chinoise, le temps et l’espace sont toujours liés par des solidarités concrètes. Dans un tel mode de pensée l’évolution temporelle d’une maladie est toujours liée à une évolution spatiale sur la base d’un système hiérarchisé : les vaisseaux méridiens jingmai »27. 27 Patrick Nguyen, in Nguyen Van Nghi - Patrick Nguyen, Huangdi Neijing Suwen, Éditions N.V.N. Marseille 1988 Tome III p.25 et 29-30

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• Wang Shu He

Succédant à Zhang Zhong Jing, Wang Shu He王叔和 (210-285) qui avait réorganisé le 傷寒雜病論 Shānghán Zábìnglùn fut aussi l’auteur du fameux Classique de Sphygmologie脈經màijīng dont l’influence dépassa largement l’aire géographique chinoise puisqu’on le retrouve commenté à Montpellier au milieu du XVIIIe siècle28. Mais Wang Shu He prêta aussi une grande attention à l’influence des dérèglements climatiques saisonniers fauteurs possibles d’épidémies. L’idée était d’ailleurs en germe dans le Neijing. L’auteur remarqua que dans les années où le froid règne au printemps alors que normalement le temps devrait être doux, ou lorsque la chaleur domine en automne, saison habituellement fraiche, ou lorsqu’un froid inattendu se manifeste en été ou encore, inversement, lorsque des souffles tièdes remplacent le froid hivernal, dans ces années s’observent des maladies identiques chez les adultes et les enfants. Ces épidémies saisonnières sont dues à des souffles venant à contretemps, nommés « souffles hors saison ». Tout un discours devait être élaboré à la suite de ces observations et Wang Shu He est à bon droit considéré comme le fondateur de la « théorie des facteurs épidémiques liés aux souffles saisonniers » 時⾏之氣 shíxíngzhīqì 29. De grands progrès furent ensuite accomplis dans le diagnostic différentiel et la prévention des maladies contagieuses par deux célèbres médecins qui vivaient, le premier à l’époque des Sui orientaux (317- 420), le second sous la dynastie Sui (581-618) : Ge Hong et Chao Yuan Fang.

• Ge Hong

Ge Hong (281-341) perfectionna les observations de ses devanciers sur les souffles saisonniers et fut attentif au rôle des vents dominants dans une année. Il repéra les années porteuses de miasmes épidémiques inhabituels, où sévissent des « pestilences accompagnées d’un génie toxique », comme il les appelait. À ce titre il fut l’instigateur d’une approche « toxi-infectieuse » avant la lettre des maladies épidémiques qui fut reprise et développée bien des siècles plus tard par l’École des Maladies de la Chaleur. « Atteinte par le froid, souffles saisonniers, épidémies chaudes sont trois noms pour dire une seule sorte de maladies, avec peu de différence quant à leur cause ... lorsque dans une année il y a des miasmes accompagnés d’un génie toxique, on parle de maladies chaudes »x

28 Menuret M : Nouveau traité du Pouls Amsterdam 1768. Dès la fin du XVIIe siècle un missionnaire le Père Hervieu avait fait paraître Les secrets de la médecine des chinois consistant en la parfaite connaissance du pouls Grenoble 1671, reprint Geneviève Dubois-Éditions, Grenoble 1988. Plus récemment G. Soulié de Morant commenta le chapitre relatif aux pouls de l’Introduction à la Médecine 醫學⼊⾨ yīxué rùmén (1575) : Le diagnostic par les pouls radiaux (Le I Sio Jou Menn traduit et commenté) Guy Trédaniel, Paris 1983. 29 時⾏ shíxíng ou 時氣 shíqì, ainsi que d’autres termes comme 天⾏ tiānxíng, 疫病 yìbìng ou 疫癘 yìlì forgés ou repensés par Wang Shu He sont devenus classiques. Ils veulent tous dire à peu près la même chose pour qualifier des conditions climatiques particulières pouvant être à l’origine des maladies épidémiques saisonnières. Ils seront repris à notre époque dans les discussions sur les causes climatiques déclenchantes de l’épidémie de SRAS des années 2003-2004.

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Pour cela Ge Hong est considéré comme le fondateur de la « théorie miasmatique » 癘氣說 lìqìshuō30. Pour lui cependant, comme pour Wang Shu He, ces maladies restaient englobées dans le cadre très général des « atteintes par le froid » 傷寒 Shànghán telles que les avaient déjà définies le Neijing.

• Chao Yuan Fang

Chao Yuan Fang, qui vivait à l’époque de la dynastie Sui (581-618) commença à distinguer plus nettement les affections causées par le froid au sens strict et les maladies chaudes contagieuses : « Dans les maladies d’atteintes par le froid, lorsque le contage peut être rapporté à un poison de nature froide, les individus ne sont pas contagieux ; mais lorsque le climat des saisons d’une année est déséquilibré, que le chaud et le froid sont déréglés, les individus sont blessés par des souffles transgresseurs ; la contagiosité est alors très forte »xi. Ce passage est révélateur. Des expressions inédites comme guāilì zhīqì 乖戾之氣 qui porte l’idée d’une transgression de l’ordre naturel et duōxiāng rányì 多相染易qui oriente vers la responsabilité de facteurs aisément contagieux, suggèrent l’émergence de conceptions nouvelles concernant l’étiologie des maladies épidémiques31. Zhang Zhong Jing, Wang Shu He, Ge Hong et Chao Yuan Fang sont des maillons essentiels dans l’histoire de la médecine chinoise en quête des causes véritables des maladies épidémiques. Leurs traitements furent réputés et inspirèrent la pratique des médecins des siècles suivants. Dans le cadre d’une étude comparée des courants médicaux d’Orient et d’Occident on ne manquerait d’ailleurs pas de remarquer une parenté entre ces observations chinoises et celles rapportées aux premier et troisième livres des Épidémies d’Hippocrate ; une même intuition s’y exprime, un même souci de percer le mystère des liens qui existent entre la « constitution de l’atmosphère d’une année » et la survenue des maladies épidémiques32.

30 Ge Hong 葛洪 (281 ?-341) Manuel de prescriptions à garder sous le coude 肘後備急⽅ zhóuhòu beìjífāng, chapitre « recettes pour traiter les maladies chaudes en périodes d’atteintes du froid » (治傷寒時期溫病⽅ zhìshānghán shíqī wēnbìngfāng), ouvrage cité par Wang Wen Yuan, thèse 2011. Cháo Yuán Fāng 巢 元 ⽅ Traité des origines et symptômes des maladies 諸 病 源 侯 論 zhūbìngyuánhòulùn compilé en 610. 31 cf. Version commentée de l’ouvrage précédent - 諸病源侯論校釋 zhūbìngyuánhòulùnjiàoshì, sous la direction de l’Institut de médecine chinoise de Nanjing, Éditions Renmin Weisheng 1980, volume 1 pp.299-300. 32 Gardeil J.-B., Hippocrate in Encyclopédie des Sciences Médicales, Collection des Auteurs Classiques, Hippocrate 1. Paris 1836 pp.327-374

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• Sun Si Miao, Wang Tao Sous les Tang (618-907) deux autres médecins marquèrent l’évolution de la médecine confrontée aux maladies fébriles épidémiques : Sun Si Miao (581-682) 33 et Wang Tao (environ 670-755) 34 . Leurs recommandations et prescriptions sont toujours citées, commentées dans les ouvrages et revues spécialisés. Eux aussi forgèrent une terminologie qui est passée dans le langage technique de la médecine chinoise traditionnelle. Cependant une vraie rupture devait survenir sous les dynasties Song du Sud et Jin (1127-1279).

• Pang An Shi, Guo Yong Contraints de mieux cerner la nature des maladies épidémiques, des auteurs comme Pang An Shi (1043-1100) et Guo Yong (env. 1106-1187) discutèrent les thèses avancées dans l’antiquité par Wang Shu He, Ge Hong et Chao Yuan Fang en les complétant ou en se permettant même d’y ajouter de nouvelles pathologies accompagnées de traitements adaptés à chaque variation saisonnière35.

• Liu Wan Su Avec Liu Wan Su刘完素alias Liu He Jian 刘河間la rupture fut plus radicale. Confronté également aux épidémies qui sévissaient à son époque, vraisemblablement différentes dans leurs modalités de celles qu’avaient connues l’antiquité, ce médecin qui devait devenir l’un des quatre chefs d’École de l’époque Jin Yuan ⾦元四⼤家 jīnyuánsìdàjiā en vint à rapporter systématiquement l’étiopathogénie des maladies fébriles épidémiques à une contagion de type Feu-Chaleur. Pour lui aucun des facteurs exogènes habituels, c’est à dire aucun des six agents atmosphériques - les 六氣liùqì - ne pouvait devenir cause d’épidémie sans avoir subi préalablement une transformation telle que seuls des remèdes « froids » pouvaient y remédier : « les Six Énergies pathogènes peuvent être en cause dès lors qu’elles se transforment en Feu »xii

33 Sun Si Miao 孫思邈 : Prescriptions valant mille onces d’or 千⾦⽅ qiānjīnfāng comprenant le 千⾦要⽅ qiānjīnyàofāng et le 千⾦翼⽅ qiānjīnyìfāng. Il existe des éditions chinoises annotées de ces textes ce qui montre leur actualité ; celle de Liu Geng Sheng et Zhang Rui Xian d’après une édition de la dynastie Song, Éditions Hua Xia, Beijing 1993 et celle de Li Jing Rong : 孫真⼈千⾦⽅ Éditions Renmin Weisheng, Beijing 1996. Traduction française de la partie acupuncturale par Catherine Despeux : Prescriptions d’acuponcture valant mille onces d’or Traité d’acuponcture de Sun Simiao du VIIe siècle, Guy Trédaniel Éditeur, Paris 1987. 34 Wang Tao王燾 : Secrets médicaux d’un Officier (752) 外台秘要 wàitái mìyāo Éditions Renmin Weisheng Beijing 2000, 8ème réimpression de l’édition de 1955, reprenant des textes de l’époque Qing, Ming et japonais. 35 Pang An Shi 龐安時 : Traité général des maladies par atteintes du froid 傷寒總病論 shānghán zǒngbìnglùn. Guo Yong 郭雍 Compléments au Shang Han Lun, 傷寒補亡論 Shānghán pǔwáng lùn (1181), dans lequel l’auteur insiste pour « traiter en fonction des étiologies saisonnières » 各因其時⽽治之 gèyīnqíshí érzhìzhī.

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Il en vint ainsi à concevoir de nouveaux traitements et donna naissance à l’École connue sous le nom du Froid et du Frais 寒涼派 hánliángpài. Liu Wan Su eut de nombreux disciples. Sa doctrine est très subtile. L’un d’eux, Wang An Dao, sans doute trop enthousiaste, conseillait : « laissez tomber les atteintes du froid et ne voyez plus que des maladies de la chaleur ! »xiii .

III. Lathéorieépidémiquetoxi-infectieuse Enfin la théorie épidémique toxi-infectieuse 毒邪致疫說 dúxié zhìyì shuō initiée par Ge Hong dans les temps anciens revint en honneur. Le Ling Shu il est vrai avait frayé le chemin en son chapitre 70 où sont décrites des fistules shǔlòu ⿏瘻 qui font penser à celles de la lymphadénite tuberculeuse. Des agents toxiques 毒氣 dúqì de nature froide ou chaude sont censés selon ce texte se propager et s’incruster dans les ganglions des vaisseaux lymphatiques 36 . Version chinoise de nos fameuses « écrouelles » que guérissaient les rois de France. Le caractère Dú 毒 « poison », « venin », « toxines », demanderait une longue analyse qui ne peut trouver sa place ici. Il traverse tout le champ de la médecine et de la pharmacopée chinoises, porteur d’une idée de densité, de présence massive et dominante de substances particulièrement nuisibles pour l’homme : mal-être, dégoût, nausées en étant les premières manifestations. Il faudrait l’examiner dans le cadre d’une étude comparée, par exemple avec certaines idées de Paracelse touchant les « virus » et la toxicologie 37. En outre s’imposerait un examen plus précis d’une classe de médicaments particulièrement énergiques de la pharmacopée chinoise, dont on ne parle pas assez parce qu’ils sont toxiques et réputés « inférieurs » - 下藥 xiàyào « les médicaments d’en bas » - mais sont appropriés à certaines maladies agressives. Combattre le poison par le poison 以毒攻毒 yǐdú gōngdú n’est donc pas une idée nouvelle en Chine. La période de quatre cents ans qui s’étend du début de la dynastie Song au début de la dynastie Ming (960 - 1368) fut très riche du point de vue qui nous occupe. Les enseignements de Zhang Zhong Jing, malgré leur prestige n’apparaissaient plus suffisants à eux seuls pour affronter les épidémies nouvelles, dont le nombre ne cessa de grandir avec l’essor économique, les échanges commerciaux et l’augmentation de la population. Peut-être aussi la Chine connut elle alors de ces changements climatiques que connaissaient au même moment les pays d’Europe occidentale et qui ont une incidence considérable sur la démographie, la richesse collective et par contre coup la santé des populations.

36 Ming Wong, Ling-Shu Masson 1987, p.335. Nguyen Van Nghi, Ling shu tome III, éditions NVN, Marseille 1999 p.285. 37 Le Dictionnaire Ricci des caractères chinois note entre autres acceptions de ce terme Dú 毒en médecine : « empoisonnement par venin animal, par aliments, par médicaments ou par substance chimique. Infection fulminante, attaque de chaleur et humidité toxiques. Maladie épidémique infectieuse »… Association Ricci, Desclée de Brouwer Paris 1999, tome 2 p.1990 (caractère 11644).

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Cette intense émulation finit par produire ses effets38. C’est sous la dynastie Ming qu’apparurent les premiers ouvrages traitant spécialement des maladies contagieuses et c’est en 1642 que fut publié le Traité des pestilences 瘟疫論 wēnyìlùn de Wu You Ke 吳又可 point de départ véritable de l’Ecole des maladies de la chaleur 溫病學派 wēnbìng xuépài qui s’organisa tout au long des deux cent soixante sept années de la dynastie Qing, la dernière qu’ait connut la Chine.

IV. Unespritnovateur:WuYouKe1582-1652

Figure 4. Wu You Xing吳有性 alias Wu You Ke 吳又可(1582-1652) Les modifications socio-économiques de la dynastie Ming s’accompagnèrent d’un grand nombre d’épidémies : 64 épisodes au cours des 276 années de règne, et sous la dynastie Qing qui lui succéda, 74 épisodes en 266 ans39. Le regard des médecins sur ces maladies en fut modifié. Beaucoup d’observations furent consignées, des connaissances nouvelles surgirent, alimentées par les apports venus de l’étranger. Tous les champs de la médecine s’en trouvèrent impactés. C’est alors qu’apparut Wu You Ke吳又可(1582-1652) un spécialiste en épidémiologie dont les intuitions concernant, entre autres, le rôle de facteurs infectieux dans la transmission des maladies méritent d’être rapportées en détail.

38 On ne peut songer à analyser ici les idées de Zhang Jie Bin (1563-1640) l’un des plus pertinents de tous les commentateurs du Neijing. Bien qu’il ne fût pas un novateur dans le domaine des maladies fébriles épidémiques, il leur consacre une section entière – ch. 瘟疫 wēnyì - de ses Œuvres Complètes 景岳全書 jǐngyuè quánshū. 39 Histoire de la Médecine chinoise 中國醫學史 zhōnguó yīxué shǐ Manuel d’histoire de la médecine, Institut de médecine chinoise, Beijing, 1978 p.47. D’autres sources donnent 39 épisodes épidémiques entre 1408 et 1643 et trois cent vingt huit entre cette date et la fin de la dynastie Qing (1911). Jia De Dao 賈得道 : 中國醫學史略 zhōnguó yīxué shǐlüè Précis d’histoire de la médecine chinoise, Éditions Renmin du Shanxi, Taiyuan 1979 pp.222-230.

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En 1641, 14ème année du nom de règne Chóng Zhēng, une épidémie de type wēnyì 瘟疫, autrement dit maladie infectieuse épidémique liúxíngxìngchuánrǎnbìng 流⾏性傳染病 en chinois moderne, fit des ravages dans les provinces de Shandong, Jiangsu, Hebei et Zhejiang. Wu You Xing, natif de la province du Jiangsu, directement confronté au problème, se rendit compte que les thérapeutes en étaient restés grosso modo à la méthode et aux prescriptions de Zhang Zhong Jing (Shang Han Lun) ; or les gens mouraient par milliers. Marqué par cet épisode et possédant une culture médicale classique lui permettant de comprendre ce qui se passait, il fut convaincu que la cause de ces maladies était demeurée jusque là inconnue et qu’il faudrait bientôt la découvrir. Excellent observateur il entreprit de colliger son expérience et rédigea en une année les deux chapitres de son Traité des Pestilences 瘟疫論 wēnyìlùn publié en 1642. Ce petit volume par la taille devait connaître par la suite une grande notoriété. Il contient de nombreuses observations et pensées fort justes sinon prémonitoires de toutes les découvertes ultérieures sur les maladies infectieuses. Wu You Ke commence par récuser la théorie des influences saisonnières comme explication étiologique des maladies épidémiques. C’est le premier paragraphe de son traité : « Les maladies fébriles épidémiques ne viennent ni du vent, ni du froid, ni de la chaleur caniculaire, ni de l’humidité, mais sont dues à des infestations par des « Qi différents » présents dans la nature »xiv Qu’entend-il par « Qi différents » Yì Qì 異氣 ? Avant tout des « souffles » d’une autre nature, différents des souffles saisonniers, des souffles atmosphériques. Le caractère 異Yì en effet a le sens de « dissemblable, étrange, dissident, rebelle ». Il renvoie même en philosophie traditionnelle à l’idée de « phénomène spectaculaire et terrifiant que le Ciel envoie aux hommes quand leur conduite est contraire à l‘ordre naturel et qu’ils n’ont pas tenu compte des premiers avertissements »40. Et Qì 氣 rappelons-le, a un sens très large en chinois. George Soulié de Morant (1878-1955), grand introducteur de l’acupuncture en Occident, notait que les Anciens ayant constaté l’existence de « quelque chose » qui passe dans un méridien quand un point en est excité, donnèrent à cet influx le nom de Tsri (Qì) que nous traduisons faute de mieux par le mot « énergie ». Cet idéogramme, explique Soulié de Morant, est composé des éléments figurant « la force de la vapeur soulevant le couvercle d’une marmite où bout du riz ». Il est employé constamment dans la langue courante pour exprimer la vapeur, la force, l’énergie, la respiration, le souffle, et par extension la vie. Mais aussi la colère, et à notre époque l’influx nerveux, l’influx électrique, les ondes TSF etc. L’idée foncière est celle de force immatérielle, subtile ; c’est le « Prana » des Hindous », ajoute t-il41. Marcel Granet de son côté

40 Dictionnaire Ricci de caractères chinois, Desclée de Brouwer 1999 3 vol. caract. 5374 41 Soulié de Morant G., L’Acuponcture chinoise 鍼灸法 Maloine, Paris 1972 p.79. On ne saurait sous-estimer l’œuvre de Soulié de Morant malgré ses lacunes, soulignées récemment par Johan Nguyen : La réception de l’acupuncture en France : une biographie revisitée de George Soulié de Morant (1878-1955) Paris L’Harmattan 2015.

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parle de Souffle, d’Influence, de « ce qui dans l’individu et dans l’univers constitue la puissance de vie (le k’i - souffle) »42. En médecine le caractère Qì 氣 caractérise les « esprits vitaux » en un sens assez proche de celui qu’avait ce mot en Europe au XVIIe siècle, chez un Michel Ettmuller par exemple43. Il signifie aussi, ajouté de divers qualificatifs, les fluides ou les humeurs, le souffle respiratoire ; en physique les vapeurs, les exhalaisons, l’air atmosphérique, l’haleine, etc. Ces « Qi » différents, Wu You Ke les appelle des « pestilences » : Lìqì 戾氣, Yìlì 疫戾 ou encore Záqì 雜氣 «souffles impurs », faute de mieux et faute de les voir. Mais sous sa plume le sens de ces termes que l’on trouvait déjà chez les anciens, a changé. Si l’on compare avec les agents saisonniers 時⾏之氣 shíxíngzhīqì de Wang Shu He ou les souffles miasmatiques 乖戾之氣 guāilì zhīqì de Chao Yuan Fang on se rend compte de la différence. Chez les auteurs de l’antiquité et du moyen âge les agents épidémiques ne se distinguaient pas vraiment des souffles propres aux quatre saisons : froid, chaleur, tiédeur, fraîcheur ou des six énergies cosmiques : vent, froid, chaleur caniculaire, humidité, sécheresse et feu. Leur distorsion, leurs transformations ou leur « inconvenance » était la cause directe des épidémies44. Au contraire pour Wu You Ke les agents épidémiques sont bien particuliers, ils n’ont rien à voir avec l’air lui-même, les énergies saisonnières ou cosmiques, quelque nom qu’on leur donne. Présents dans l’environnement ils sont imperceptibles à nos sens ordinaires : « sans forme (qui permettrait de les voir), sans odeur (qui permettrait de les sentir), sans vibrations (qui permettrait de les entendre) on ne peut les observer ni les connaître »xv. Bien qu’insaisissables ils sont cependant matériels, substantiels, ce ne sont pas des « incorporels ». D’ailleurs quelle différence y a t-il entre l’énergie et la matière ? « la matière n’est qu’une transformation de l’énergie, l’énergie un changement d’état de la matière. En fait les Qi sont substance et la substance est Qi »xvi Wu You Ke en vient à décrire les caractéristiques de ces agents pathogènes tels qu’il les conçoit. Leur première caractéristique est qu’ils sont de toutes sortes : « Les maladies sont très variées, difficiles à dénombrer. Mais chacune a sa tendance propre ; si dans tous les familles et chez chaque personne les symptômes sont les mêmes, c’est parce qu’une pestilence épidémique s’est installée dans son cœur de

42 Granet M., La pensée chinoise, p.434 43 Ettmuller M., Nouveaux instituts de médecine, Thomas Amaulry, Lyon 1693 44 Pareillement pourrait se discuter la notion de « poison » 毒 dú chez Ge Hong et chez Wu You Ke. Ge Hong disait : « les épidémies pestilentielles sont dues à des souffles toxiques » 天⾏瘟疫是毒病之氣 et Wu You Ke : « les pestilences que l’on attrape ne sont autres que les poisons du Ciel-Terre » 今感疫氣者 , 乃天地之毒也 lìnggǎn yìqìzhě, nǎi tiāndì zhīdúyě. Les termes sont quasiment identiques mais il n’est pas certain que le sens soit encore le même.

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cible. S’il y a autant de maladies différentes, c’est parce que ces pestilences ne sont pas uniques !»xvii Ou encore : « quand toute une population est en leur contact, les troubles qu’elle développe sont conformes à leur génie propre» xviii Ensuite il considère que ces « pestilences » ont des tropismes viscéraux précis : « là où une pestilence pénètre dans un viscère ou un méridien, là se déclenche la maladie »xix En outre elles ont des affinités d’espèces : « Des animaux comme le bœuf, le mouton, la poule ou le canard peuvent être touchés, donc les épidémies ne se limitent pas à l’homme ! Mais quand les vaches sont atteintes on voit que les moutons ne le sont pas, quand les poulets sont atteints les canards ne le sont pas et quand les hommes sont atteints les volailles ne le sont pas. Pourquoi ? Parce que ces pestilences ne sont pas identiques »45 Wu You Ke discuta encore clairement du mode de transmission des agents pathogènes ; il incrimina avec pertinence les voies aériennes, la bouche et le nez (air et salive) exactement comme nous le faisons de nos jours pour les virus grippaux et autres virus respiratoires : « À l’arrivée de ces souffles, que l’on soit jeune ou vieux robuste ou faible, le moindre contage rend malade, ces agents pathogènes pénètrent par la bouche et le nez»xx

Il prêta une grande attention aux infections post-chirurgicales et aux maladies nosocomiales dont il attribua le polymorphisme à ces mêmes pestilences, ces organismes microscopiques dont il ne pouvait observer que les effets. Ce qui l’amena à critiquer la description phénoménologique traditionnelle du « Feu du Cœur », à son époque invoquée à tout propos… En outre il observa et comprit l’existence des formes sporadiques. Certaines années, explique t-il, les pestilences sont en quantité massive avec des atteintes graves et une très forte contagiosité, atteignant le plus grand nombre ; pourtant on observe dans certains villages quelques personnes dont l’état est bien différent. Et quand on les examine attentivement on découvre qu’ils développent des symptômes déjà vus les années précédentes, en d’autres endroits et dans telles conditions, avec une ressemblance frappante. Mais la virulence en est désormais atténuée et ne concerne plus que quelques individus… (Traité des Pestilences). Wu You Ke fut en revanche déçu par les moyens thérapeutiques dont il disposait, bien que dans ce domaine aussi il ait apporté quelques innovations à la médecine de

45 Pasteur découvrira le vaccin contre le choléra des poules en 1879 et le vaccin contre la rage en 1885. Avec le mot de « vaccination » vont naître l’immunologie, le concept d’immunité cellulaire (Metchnikoff 1884), survenir la découverte des effets thérapeutiques du champignon penicillium notatum (1928), puis de l’agent actif de la pénicilline contre le staphylocoque (1939). Patrick Berche : Histoire de la syphilis, DU Histoire de la médecine, Paris 12-12-2015.

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son temps. Il était sans doute trop à la recherche de remèdes spécifiques pour appliquer minutieusement des prescriptions classiques qui montraient leurs limites dans les maladies infectieuses. Il parut même tout à fait iconoclaste lorsqu’il déclara que si l’on pouvait découvrir un médicament efficace pour chaque sorte de « pestilence » alors tous les remèdes traditionnels pourraient être abandonnés ! Ailleurs il s’attriste sur ce malheur d’avoir à « subir des maladies causées par des agents nombreux et sans forme sans avoir les moyens de les neutraliser ! »xxi Or il suffirait, dit-il, d’un seul remède pour faire disparaître totalement une maladie et il n’y aurait plus à se soucier d’apparier les drogues dites « souveraine, ministre, ambassadeur et assistantes », en y ajoutant ou en y retranchant selon chaque cas particulier ! De quoi se faire quelques sérieux ennemis parmi les tenants de cette tradition millénaire. Il n’est pas possible de reprendre ici l’ensemble des remarques faites par cet auteur au sujet de facteurs infectieux dont il percevait presque la présence en en constatant l’existence. Ses déductions sur l’infection des plaies chirurgicales et les gangrènes sont également prémonitoires. On ne les retrouvera en Occident que trois cents ans plus tard avec le chirurgien anglais John Lister armé de la théorie des germes formulée par Pasteur. Lister en avait besoin pour imaginer que l’on puisse tuer ces micro-organismes présents dans l'air ambiant. Grâce à cette théorie il put comprendre que l’atmosphère était septique pour les plaies non pas à cause de l’oxygène mais à cause d’organismes minuscules. On pouvait donc éviter la décomposition des régions blessées ou opérées sans supprimer l’air, mais en appliquant comme pansement des substances capables de détruire la vie de ces « particules flottantes »46. Tel était aussi la pensée de Wu You Ke qui ne put cependant en tirer les conséquences. Mais il faudrait traduire et commenter l’ensemble de son Traité. L’intérêt pour nous est de comparer ses idées avec les données occidentales à la même époque. En 1642 Leeuwenhoek (1632-1723) qui vivait à Delft et que l’on considère à bon droit comme l’un des précurseurs de la microbiologie et de la biologie cellulaire, n’avait que dix ans ! Marchand drapier avisé il ne devait réaliser son premier microscope qu’en 1668, pour compter les fils de ses tissus… Ses instruments d’optique parvinrent à une telle qualité et une telle puissance - inconnues à son époque - qu’il découvrit par hasard et fit connaître une quantité d’êtres vivants microscopiques, comme les globules rouges du sang (1673), les spermatozoïdes, les protozoaires et surtout les bactéries dont les bacilles, les coques et les spirales. Ces découvertes furent faites trente ans après la publication du Traité des Pestilences. Malheureusement pour la Chine, les observations et les idées les plus originales de Wu You Ke ne furent pas poursuivies. Divers facteurs historiques, sociologiques et culturels expliquent qu’elles n’attirèrent pas toute l’attention qu’elles méritaient.

46 Patrick Berche : Histoire d’un grand fléau : la tuberculose, DU Histoire de la médecine, cours du 26 mai 2016.

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Elles furent même enterrées en douceur au grand dam rétrospectif de nos confrères extrême-orientaux47! Nous en dirons un mot en conclusion. Au lieu d’évoluer vers une sorte d’ère pastorienne la pensée médicale chinoise garda son pli ancestral et privilégia, des travaux de Wu You Ke, ceux qui l’orientaient vers la constitution de la doctrine des maladies de la chaleur dont il a été question en introduction. Trois personnages clés en furent les organisateurs :

• Ye Tian Shi 葉天⼠ (1667-1756) Très influencé par Wu You Ke, Ye Tian Shi connut une grande renommée pour son art du diagnostic et ses traitements ; son enseignement fut consigné par ses disciples dans un Traité des maladies fébriles 溫熱論 wēnrélùn.

• Wu Ju Tong 吳鞠通 (1758-1836) : auteur d’une Analyse des maladies fébriles 溫病條辨 wēnbìng tiáobiàn, il introduisit la théorie des Trois Réchauffeurs dans la méthode d’analyse et traitement des maladies fébriles, épidémiques.

• Wang Meng Ying 王孟英 (1808-1866) rédigea un livre en deux volumes sur le choléra en 1838 (complété en 1862) et une Présentation explicative des pathologies épidémiques dues à la chaleur 溫熱經緯 wēnrè jīngwěi dont la trame jīng 經 est formée par la théorie de Zhang Zhong Jing et la chaine wěi 緯 par les enseignements de Ye Tian Shi, notamment.

C’est grâce à eux que furent systématisées les connaissances antérieures touchant les maladies de la Chaleur. La notion de Six Grands Méridiens, comme nous l’avons vu, audacieuse réorganisation conceptuelle opérée au deuxième siècle après J-C par Zhang Zhong Jing, à partir du chapitre 31 du Suwen, avait prévalu très longtemps pour l’analyse, le diagnostic et le traitement des maladies fébriles. À présent s’imposait une nouvelle théorie - plus complémentaire que concurrente de la précédente - malgré de violentes rivalités aujourd’hui dépassées - dite des Quatre Couches 四分sìfēn : Défensive, Énergétique, Nourricière et du Sang, mieux adaptée aux affections de type chaleur, c’est à dire à un grand nombre des maladies infectieuses et épidémiques de la nosologie moderne (Figure 5). Ces Quatre Couches ne sont pas plus anatomiques que les Six Méridiens. Elles représentent plutôt une suite de lignes de défense de l’organisme suscitant des pathologies particulières dont la théorie des Six Méridiens rendait mal la spécificité. Le génie de Ye Tian Shi, très influencé par le Traité des Pestilences de Wu You Ke fut de leur affecter la sémiologie des maladies fébriles aiguës dont il avait au préalable reconnu les règles évolutives ; et de s’inspirer, comme l’avait fait son grand prédécesseur Zhang Zhong Jing, d’un concept du Classique de l’Interne que l’application à ce nouvel objet transforma totalement. De sorte que la théorie des Quatre Couches n’est pas moins originale, ni moins décisive que celle des Six Méridiens pour la compréhension, le diagnostic et la conduite thérapeutique de ces maladies. Plus tard Wu Ju Tong y ajouta une division supplémentaire en trois étages

47 Cf. Précis d’histoire de la médecine chinoise ouvrage cité p.226.

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(théorie dite des Trois Réchauffeurs sānjiāo 三焦) ce qui permit de la finaliser. Tel est son enseignement actuel dans les Universités spécialisées de Chine.

Figure 5. Représentation schématique des Quatre Couches (Ecole des Maladies de la Chaleur)

TROISIÈME PARTIE : SRAS ET ACTUALITÉ DE LA MÉDECINE CHINOISE TRADITIONNELLE

I. LapremièremaladiegraveettransmissibleduXXIèsiècle Personne n’aurait pu prévoir il y a une quarantaine d’années que la médecine devrait bientôt s’affronter à de nouvelles maladies émergentes à tendance épidémique. En Chine comme en Europe la mortalité par maladies infectieuses avait été la grande affaire du XIXe siècle (80% de la mortalité en France due aux maladies contagieuses) mais les découvertes pastoriennes avaient donné de grands espoirs de les voir disparaître. D’où sans doute cette espèce de panique collective qui survint au début des années 2000 lorsque se déclencha dans le Sud de la Chine le SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère) ou pneumonie atypique. Tout sembla d’abord se passer comme si nos sociétés n’étaient « visiblement plus en état de supporter cette émergence brutale de maladies n’entrant pas dans les cadres habituels »48. Mais l’agent causal de la maladie fut rapidement identifié. Il ne s’agissait ni d’une bactérie ni d’un virus habituellement responsable de pneumonie mais d’un coronavirus. De tels virus n’induisent habituellement chez l’homme que des rhumes sans gravité ou des épidémies hivernales de quelques semaines touchant de petites

48 Sicard D. L’humanité ne communie que dans la catastrophe. La Croix 2003 Jun 19 :5. Bientôt apparurent le Sida, la grippe aviaire, le virus Ébola etc.

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communautés. La nouvelle variante appelée CoV-SRAS possédait en revanche des propriétés jamais observées auparavant et une virulence inexpliquée49. La chronologie de l’épidémie est désormais fixée. Un silence malheureux de trois mois précéda l’annonce de la maladie par l’OMS ; un rapport complet avait été transmis le 27 novembre 2002 aux responsables des opérations d’alerte et d’action, concernant une nouvelle épidémie de grippe en Chine, mais ce rapport transmis en Chinois avec un en-tête en anglais ne fut pas traduit… De leur côté les autorités de Pékin ne reconnurent officiellement l’existence d’une épidémie de pneumonie atypique sévère dans la province de Canton que le 11 février 2003, qui touchait surtout le personnel soignant et les proches des malades, avec déjà trois cent cinq cas dont cinq décès50. L’alerte internationale fut déclenchée le 12 mars 2003. Finalement, grâce à des mesures d’isolement et de quarantaine, l’épidémie fut endiguée. Les retombées économiques, psychologiques, épidémiologiques ou stratégiques (capacité de réaction de nos systèmes d’alerte dans un contexte de mondialisation sanitaire) du SRAS furent largement commentées par les médias du monde entier. Depuis, des leçons ont été tirées et des réorganisations entreprises pour mieux répondre à cette notion de maladies infectieuses émergentes51. La pandémie concerna 8445 personnes, sans compter les cas secondaires probablement pas identifiés, et provoqua 812 décès dans trente pays différents, à cause d’un petit nombre de voyageurs et des multiples transports aériens. Le Canada fut l’un des pays les plus touchés - environ 10% de décès chez les personnes atteintes - ainsi que Singapour, mais surtout la Chine avec Hong Kong (552 décès). Ces chiffres sont relativement faibles comparés à ceux de la grippe, qui cause actuellement de 250 000 à 500 000 décès par an partout dans le monde. C’est un indice qui plaide pour une relativement faible transmissibilité du Cov-Sras.

II. SémiologieetnatureduSRAS Rappelons que le SRAS est un syndrome qui répond à un certain nombre de critères cliniques, biologiques et radiologiques survenant dans un contexte épidémiologique évocateur. Sa durée d’incubation est de 2 à 10 jours. Il se présente comme une pneumopathie fébrile avec une forte fièvre (>38°C), des troubles respiratoires sérieux et des symptômes qui ressemblent à ceux de la grippe : douleurs musculaires, frissons, maux de tête et de gorge ainsi que malaise général et diarrhées fréquentes, lesquelles ont pu constituer en 2003 un important facteur de propagation du virus par l’évacuation des matières fécales contaminées. La toux sèche, l’essoufflement ou les difficultés respiratoires n’apparaissent qu’un ou deux jours après la fièvre. La plupart des personnes se rétablissent après 6 ou 7 49 Le virus du SRAS a franchi la barrière des espèces. Des analyses phylogénétiques faites en 2013 ont conclu que son réservoir naturel était les chauves-souris (lesquelles infectées ne montrent pas de signe visible de maladie) qui pouvait le transmettre directement à l’homme sans intermédiaire ou par l’intermédiaire des civettes, animaux sauvages vendus comme aliments sur les marchés de la province de Guangdong. 50 Anne-Claude Crémieux : Gouverner l’imprévisible, pandémie grippale, SRAS, crises sanitaires, Lavoisier 2009 pp.5-6. 51 Morand S. ; Émergence de maladies infectieuses : Risques et enjeux de société SRAS, grippes aviaires, virus Ébola, Mers-cov… Paris, Quae 2016.

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jours, ressentant une grande fatigue mais d’autres voient leur état s’aggraver vers une décompensation cardio-respiratoire et la mort. Ce sont souvent des personnes de plus de 50 ans ou souffrant d’autres pathologies comme le diabète, maladies cardio-vasculaires etc. Les examens complémentaires montrèrent en 2003 les anomalies suivantes : opacité des champs pulmonaires à la radiographie dans 78% des cas, leucopénie dans 34% des cas, lymphopénie dans 69% des cas, thrombopénie dans 45% des cas52. Le traitement resta symptomatique. Depuis, aucune preuve de l’efficacité d’un médicament contre ce virus n’a pu être établie. L’antibiothérapie fut parfois utilisée à titre préventif d’autres causes bactériologiques de pneumonie, l’oxygénothérapie en fonction de la désaturation, la corticothérapie en fonction du risque de syndrome de détresse respiratoire aiguë. La ribavirine enfin, antiviral dont il fut beaucoup question, est désormais déconseillée en raison de ses nombreux effets secondaires de gravité potentielle. En fait c’est l’isolement des patients et la protection du personnel soignant ainsi que des proches des patients qui furent les plus efficaces, le SRAS étant une maladie transmissible par contact direct.

III. SRASetMédecineChinoiseTraditionnelle Cette flambée de pneumonie atypique venue de Chine apporta un autre enseignement à certains observateurs. Pour la première fois il fut possible de considérer avec attention, presque en direct, quasiment semaine après semaine, la manière dont la médecine traditionnelle chinoise se mobilisait et s’adaptait lorsqu’elle devait faire face à un nouveau fléau. Jusqu’à présent on ne prenait connaissance de ce genre d’événements que rétrospectivement, par l’étude des données cliniques et des traitements préconisés. Ici tout fut donné d’un coup. Le plus curieux est que les médias occidentaux n’en dirent à peu près rien. Pourtant des publications et des travaux de synthèse paraissaient, dont je proposai alors une présentation que je ne fais aujourd’hui qu’actualiser53. Le SRAS dont le nom chinois est fèidiǎn 肺典 forme abrégée de fēidiǎnxíngfèiyán ⾮典型肺炎 ou pneumonie atypique est considéré dans les milieux de la médecine traditionnelle comme une forme virulente et contagieuse des Maladies de la Chaleur. Il répond parfaitement à la définition des « pestilences » 瘟疫 wēnyì telle que nous l’avons vue plus haut, dont le genre épidémique est caractérisé par une grande variabilité et une forte dépendance à l’égard de facteurs saisonniers, climatiques et individuels, comme l’état de l’énergie vitale et la constitution des sujets54. D’où la 52 Mascret D., Duméry S. SRAS, le dossier scientifique, Impact médecine 2003 ;37 :16-20. 53Dubois J.-C., Médecine chinoise et syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) : un autre regard, Acupuncture & moxibustion 2003,2(3) pp.138-145. 54 Xiao ZC, Chang SF. Doctrine of seasonal fébrile disease and newly formative infectious disease wēnbìng xuéshuō yù xīnshēng chuánrǎnbìng Tianjin Journal of Traditional Chinese Médicine 2003 ;20(2) :45-7. Notons que la grippe H1N1 et les grippes aviaires font également partie des yíbìng 疫病 .

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notion corollaire qui lui est attachée de « venin », « poison » 毒 dú, à peu près équivalente à celle que portait le mot « virus » dans la médecine occidentale à la fin du XIXe siècle55. Les caractéristiques épidémiologiques et sémiologiques du SRAS présentent en effet beaucoup de ressemblances avec les descriptions du Traité des Pestilences de Wu You Ke56. Autrement dit ce n’est pas tout à fait une maladie nouvelle pour la Chine. De ce point de vue les critères cliniques du SRAS retenus officiellement parurent insuffisants aux yeux des médecins chinois car ils ne valorisent pas les signes digestifs ainsi que d’autres signes généraux tels que la sueur, la soif, l’évolution nycthémérale de la fièvre ou les variations du pouls et de la langue qui sont nécessaires pour les prescriptions traditionnelles. Je n’entrerai pas dans le détail de cette classification dressée durant l’épidémie de 2003. Bien que le génie épidémique d’une maladie comme le SRAS confère à l’ensemble de ses tableaux cliniques une certaine homogénéité, quatre tableaux furent décrits pour le processus évolutif de la maladie et cinq pour les états d’épuisement. La maladie fut dominée de façon constante à sa phase de début par des signes internes d’atteinte « de la Couche Énergétique », selon le schéma des Quatre Couches rapporté plus haut. Ce qui situe le SRAS du côté des Maladies de la Chaleur causées par des énergies pathogènes dites « enfouies » 伏氣溫病 fúqì wēnbìng telles qu’affections de chaleur printanière 春溫 chūnwēn ou humidité latente 伏濕 fúshī pour utiliser les termes consacrés. Certains auteurs y reconnaissent en outre, sur le modèle du chapitre 43 de Suwen, des complications de type « Bi épidémique » du Poumon, fèibìyì 肺痹疫57.

IV. Traitement La pandémie de SRAS fut surtout jugulée grâce à une excellente organisation sanitaire et la mise en œuvre d’outils de contrôle efficaces, qui datent en fait des premiers âges de la médecine, l’isolement et la quarantaine58. Mais de son côté la médecine chinoise traditionnelle ne resta pas inactive. S’appuyant sur une relative mais nécessaire individualisation des cas, le Bureau National de la Médecine et Pharmacie de Chine (guójiā zhōngyīyào guǎnlǐjú) publia au mois d’avril 2003 une liste de formules de plantes pouvant combattre l’épidémie de SRAS. Six formules furent proposées, avec les posologies et les modes d’administration idoines. Elles furent largement diffusées par la presse, y compris la presse chinoise à l’étranger. Je les avais reproduites dans l’article cité d’après le quotidien parisien Nouvelles d’Europe du 26 avril 2003 et un ouvrage publié à Guangzhou, intitulé « Formules de médicaments et régime alimentaire pour prévenir et traiter la

55 Littré E, Robin Ch. Dictionnaire de médecine art. virus. Paris : Librairie J.-B. Baillière et fils ; 1878. 56 Jiang Xin, Jin Ying : Application de la théorie du Traité des Pestilences au SRAS « 瘟疫論 » 理論在⾮典型肺炎病機中的應⽤ wēnyìlùn fēidiǎnxíngfèiyán bìngjīzhōng de yìngyòng, Journal de Médecine chinoise de Guìyáng Vol.32 N°2 March 2010 pp.5-7. 57 Wang Wen Yuan : thèse citée pp.48,55,64. 58 OMS. Cumulative Number of Reported Probable Cases SRAS. 2003 Jul 23, Statut de la flambée et leçon pour l’avenir. Genève ;2003 May 23.

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pneumonie atypique »59. Elles sont une sorte de résumé à destination d’un large public et pour des praticiens isolés de ce qui se pratiqua dans les hôpitaux du Nord et du Sud de la Chine. Ainsi à l’hôpital de Tianjin, ville très touchée par le SRAS, ce sont plus de vingt prescriptions, et non six, qui furent fréquemment utilisées, la plupart venant des ouvrages de l’époque Qing consacrés aux Maladies de la Chaleur, quelques autres de traités plus anciens comme le Shang Han Lun et le Traité sur la Rate et l’Estomac60. Il fut tenu compte d’importantes variations régionales, des formes cliniques avec des signes de « sécheresse » dominant dans le Nord et des formes cliniques avec des signes « d’humidité » dominant dans le Sud. Ces traitements furent généralement combinés à ceux de la médecine occidentale mais en l’occurrence cela a pu constituer un plus ou un moins (comme les effets secondaires de la ribavirine). Le lecteur que le détail de ces formules de plantes intéresse se reportera à l’article cité61. Elles font toujours partie des recommandations officielles chinoises pour lutter contre le SRAS. On y trouve des plantes fébrifuges, sudorifiques ou « antitoxiques » associées à des plantes reconstituantes, toniques, censées « soutenir l’énergie vitale » ou « fortifier la Rate ». Plusieurs de ces plantes sont soit acclimatées sous nos cieux, soit susceptibles d’être avantageusement remplacées par des plantes de nos terroirs, connues en Chine. Limitons nous à quelques exemples. Le rhizome de fougère mâle, Dryopteris filix mas., fut utilisé contre le SRAS dans la province de Xinjiang. On lui attribue des vertus dans les maladies épidémiques pestilentielles, les méningites épidémiques, les parotidites ourliennes, certaines encéphalites. En France on s’est contenté d’y voir un produit abortif et vermifuge : « il tue le ténia et expulse les lombrics » disait Cazin au XIXe siècle 62. Une autre plante, active à la phase de début du SRAS, est Herba Eupatorii, l’eupatoire chanvrine (eupatorium cannabinum L.) utilisée au Thibet à la place de sa consœur chinoise, eupatorium fortunei. Dans le contexte actuel ne serait-il pas opportun de reconsidérer cette autre remarque de Cazin, faite en … 1868 : « l’attention du corps médical…se dirigera aussi, nous l’espérons, sur notre modeste eupatoire, et si une épidémie éclate, on n’oubliera pas qu’à nos pieds il y a une plante utile et efficace » (ibidem). D’autres plantes réputées actives sur le SRAS en médecine chinoise sont acclimatées dans nos parcs et nos jardins, comme Fructus Forsythiae, le fruit du forsythia suspendu ou Flos Lonicerae, fleurs du chèvrefeuille japonais63. Ce sont les deux

59 Collectif. (La Chine recommande six prescriptions de phytothérapie pour lutter contre la pneumonie atypique) zhōngguótuījiàn fángzhìfēidiǎn liùgèchùfāng. Nouvelles d’Europe ouzhou shibao 2003 ;51 30 :1. Huang Xiao Ling. Formules de médicaments et régime alimentaire pour prévenir et traiter la pneumonie atypique 防治⾮典型肺炎中藥處⽅于⾷料fángzhì fēidiǎnxíngfèiyán zhōngyào chùfāng yù shíliào, Guangzhou : Éditions techniques du Guangdong ; 2003 : 15-17. 60 脾胃論 píweìlùn, de Li Gao 李杲 (1180-1251). Ce traité insiste sur les traitements capables de renouveler les forces de la Rate et de l’Estomac, impliquées dans les causes des maladies. 61 Dubois J.-C., Médecine chinoise et syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) : un autre regard, Acupuncture & moxibustion 2003,2(3) pp.140-144. 62 Cazin FJ. Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes. Paris : P. Asselin 3ème édition revue et augmentée par le Dr Henri Cazin ; 1868. 63 Brosse J. Atlas des arbustes de France et d’Europe occidentale. Paris : Bordas ;1979.

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ingrédients principaux d’une formule chinoise emblématique des Maladies de la Chaleur : Yín Qiáo Sǎn 銀翹散. Pour combattre le SRAS des plantes toniques ont été souvent mises à contribution en complément des précédentes. Radix Panacis Quinquefolii le « ginseng d’Occident » s’est montrée efficace en 2003 à l’hôpital n°2 de l’Institut de Médecine Chinoise de Tianjin à la phase de récupération de la maladie, permettant de traiter l’épuisement, la fièvre résiduelle et les problèmes de constipation. Radix Glycyrrhizae, racine et rhizome desséchés de glycyrrhiza uralensis, la réglisse chinoise ou de glycyrrhiza glabra L., la « réglisse européenne » également répandue dans le Xinjiang, fut également très utilisée, avec succès, lors de cette épidémie. Réputée tonique du réchauffeur moyen (rate-estomac) et du Qì, rafraichissante, anti-toxique, elle humecte les poumons et arrête la toux, relâche les spasmes et soulage les douleurs. Il est singulier que pendant l’épidémie de SRAS, une équipe de virologues de l’université de Francfort montra que la glycyrrhizine était l’antiviral le plus actif in vitro sur la réplication du coronavirus responsable de cette maladie, comparé à la ribavirine, la 6 azauridine, la pyrazofurine et l’acide mycophénolique64.

Figure 6. Radix glycyrrhizae. La « réglisse européenne », répandue aussi dans la province de Xinjiang, peut-être utilisée à la place de

glycyrrhiza uralensis Fisch., la principale réglisse de la pharmacopée chinoise. Ces quelques données expliquent qu’un groupe de chercheurs ait demandé l’évaluation des plantes chinoises à côté des interférons et des antiviraux utilisés jusque-là dans le Sida ou l’herpès (cf. déclaration du Dr Julie Gerberding, directrice des centres de contrôle et de prévention des maladies infectieuses d’Atlanta, 22 avril 2003)65.

64 Catala I. La réglisse contre le SRAS. Le Quotidien du Pharmacien 2003 ;21 47 :14. Catala I. Les questions en suspens à la fin de l’épidémie de SRAS, commentaire d’un article paru dans Nature ; 424 ;121-7. Le Quotidien du Médecin 2003 ;7367 :8. 65 Mascret D., Duméry S., article cité.

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CONCLUSION Ce survol de l’histoire des maladies épidémiques en Chine montre à la fois une grande continuité et d’importantes évolutions, voire l’amorce de fractures épistémologiques profondes au sein de cette science médicale venue du fond des âges. L’histoire des sciences médicales est intimement liée à l’histoire des civilisations. Elle permet d’édifiantes comparaisons, c’est un privilège de notre époque. La théorie épidémiologique des influences saisonnières et des agents pathogènes toxi-infectieux élaborée par l’antiquité chinoise conduisit progressivement à l’éclosion de nouveaux concepts, jusqu’au XVIIe siècle où jaillirent des intuitions prémonitoires de découvertes à venir sur l’étiologie des maladies infectieuses. Au même moment dans un tout autre contexte naissait en Europe la médecine quantitative moderne qui devait introduire l’ère pastorienne et l’invention d’une impressionnante panoplie de remèdes anti-infectieux. Pourquoi cette révolution se fit-elle en Europe, avec la fracture galiléenne, et non en Chine qui jusqu’à la fin de l’époque médiévale était technologiquement plus avancée que la civilisation européenne ? C’est la question que se posa Joseph Needham (1900-1995) le grand historien des sciences dont l’œuvre fait la part si belle à la médecine66. Pour lui l’une des raisons principales de la faillite de la science et de la technologie modernes en Chine serait l’échec, à cause d’un système bureaucratique, de l’ascension au pouvoir de la classe marchande. Les marchands en effet dans leur commerce ne peuvent se passer de mesures précises, d’où l’invention des sciences exactes. Le perfectionnement du microscope et la découverte fortuite des bactéries par le savant drapier Leeuwenhoek à la fin du XVIIe siècle ou le développement de la chimie du benzène au XIXe, à l’origine de toute l’industrie pharmaceutique moderne, confortent sa thèse. La médecine chinoise de son côté perfectionna un système médical traditionnel fondé sur un modèle pathogénique et nosologique totalement différent des modèles occidentaux, tant médiéval que scientifique actuel. Ses résultats ne sont pas pour autant négligeables et pourraient contribuer à l’avenir à mieux répondre au défi des maladies infectieuses émergentes.

66 Needham J. Science and Civilisation in China (sept volumes en douze parties), Cambridge 1954. Titre chinois 中國科學技術史. Joseph Needham, La science chinoise et l’Occident Seuil 1973 p.50 sv. etc.

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ANNEXE

Textes chinois cités i p.7 寒疫 hányì, 溫疫 wēnyì, 疫氣 yìqì, 雜疫 záyì. ii p.8 瘟, 疫病, ⼈或牲畜家禽所⽣的急性傳染病 wēn, yìbìng, rén huò shēngchù jiāqín suǒshēng dė jíxìng chuánrǎn bìng. iii p.9 癘, 疫病也 lì, yìbìng yě. iv p.10 伯強為疫⿁名, 所致傷⼈ bóqiáng weí yìguǐmíng, suǒzhì shāngrén. v p.13 余聞五疫之⾄, 皆相染易, ⽆聞⼤⼩, 病狀相似, 不施救療, 如何可得不相移易者?岐伯⽈ : 不相染者, 正氣存內, 邪不可⼲, 避其毒氣... yú wén wǔ yì zhī zhì, jiē xiāng rǎn yì, wú wèn dàxiǎo, bing zhuàng xiāng sì, bū shī jiù liáo, rúhé kě dě bū xiāng yí yì zhě ? qíbó yuē : bū xiāng rán zhě, zhèng qì cún neì, xié bū kě gān, bì qí dú qì… vi p.13 聖⼈不治已病治未病,不治已亂治未亂 … 夫病已成⽽後藥之 亂已成⽽後治之 譬猶渴⽽穿井⽃⽽鑄錐 不亦晚乎!shèngrén bùzhìyǐbìng zhìwèibìng, bùzhìyǐluàn zhìwèiluàn… fúbìngyǐchéng érhòuyàozhī luànyǐchéng érhòuzhìzhī bìyóukěér chuānjǐng dòu ér zhùzhuī bùyì wǎn hū ! vii p.14 今夫熱病者,皆傷寒之類也, 或愈或死, 其死皆以⼗⽇以上者何也 lìngfů rèbìng zhě, jiē shānghán zhīlèi yě, huòyùhuòsǐ, qísǐjiēyǐ shírìyǐshǎngzhě héyě viii p.14 傷寒有五,有中⾵,有傷寒,有濕溫,有熱病,有溫病 shānghán yǒuwǔ, yǒufēng, yǒuhán, yǒushīwēn, yǒurèbìng, yǒuwēnbìng ix p.14 溫氣疫癘,千⼾滅⾨ wēnqìyìlì, qīanhù mìemén x p.18 傷寒 時氣溫疫三名同⼀病⽿ ⽽源本⼩異 … 其年歲中有戾氣 兼挾⿁毒相注 名為溫病 shānghán shíqì wēnyì sānmíng tóngyībìng ěr éryuánběn xiǎoyì … qíniánsuìzhōngyǒu lìqì jiānxié guǐdú xiāngzhù míngwéi wēnbìng. xi p.19 傷寒之病, 但⼈有⾃觸冒寒毒之氣⽣病者, 此則不染着他⼈, 若因歲時不和, 溫涼失節, ⼈感 乖 戾 之 氣 ⽽ 發 病 者 , 此 則 多 相 染 易 shānghánzhībìng, dànrényǒu zìchùmào hándúzhīqì shēngbìngzhě, cǐzěbùránzhāo tārén, ruòyīnsuìshí bùhé, wēnliàng shījiè, rénhuòguāiqìzhīqì ér fābìngzhě, cǐzéduōxiāngrányì. xii p.20 六氣皆能化⽕ liùqì jiēnéng huàhuǒ. xiii p.21 脫却傷寒, 辨證溫病 tuō shānghán, biànzhèng wēnbìng. xiv p.23 …夫瘟疫之為病 ⾮⾵ ⾮寒 ⾮署⾮濕 乃天地間別有⼀種異氣所感 fu wēnyì zhī wéi bìng, fēi fēng fēi hán fēi shǔ fēishī nǎi tiāndì jiàn biéyǒu yīzhǒng yìqì suǒ gǎn. xv p.24此氣⽆象可⾒ , 况⽆聲⽆臭, 何能得睹得聞 cǐqìwúxiàng kèjiàn, kuàng wúshēngwúchòu, hé néngdé déwén.

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xvi p.24 夫物者氣之化也 氣者物之變也 ... 氣即是物, 物即是氣 fú wùzhé qìzhīhuàyě qìzhé wùzhībiàn yě …qìjíshìwú, wújíshìqì xvii p.25 為病種種難以枚舉 ⼤約偏于⼀⽅ 沿⾨闔⼾ 众⼈相同 此時⾏疫氣 即 雜氣所種。 為病種種是知氣之不⼀也 wéibìngzhòngzhòng nányǐ méi dàyuē piānyúyīfāng yánmén héhù zhòngrén xiāngtóng cǐ shíxíngyìqì jí záqì suǒzhòng. wéi bìngzhòngzhòng shìzhīqìzhī bùyī yě xviii p.25 众⼈觸之者, 各隨其氣⽽為諸病焉 zhòngrén chùzhīzhě, gèsuí qíqì érwéi zhūbìng yān xix p.25 盖當其特適 有某氣專⼊某臟腑經絡 專發為某病 gàidāng qítèshì yǒumǒuqìzhuānrù mǒu zàngfǔjīngluò zhuānfā wéi mǒubìng. xx p.25此氣之來 , 無⽼少強弱 , 觸之者即病 , 邪⾃⼜⿐⽽⼊ cǐqìzhīlái wúlǎoshào qiángruò chùzhīzhějíbìng xiézìkǒubí ér rù. xxi p.26 受無形雜氣為病, 莫知何物之能制矣 shòuwúxíng záqìwéibìng, mòzhīhéwù zhīnéngzhì yǐ.

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