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1 Laboratoire de Recherche Historique Rhône - Alpes (LARHRA) UMR 5190 THESE Pour l’obtention du grade de Docteur en DEMOGRAPHIE Présentée et soutenue publiquement par : M. Toussaint Aubin BOUTENE VIE ANTERIEURE, PARCOURS MIGRATOIRE ET INSERTION SOCIO- ECONOMIQUE DES REFUGIES CONGOLAIS (RDC) ET TCHADIENS INSTALLES A BANGUI EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE PREMIERE ET DEUXIEME PARTIES (TOME1) Sous la direction de : M. Guy BRUNET Professeur Université Lyon II, membre du LARHRA Membres du jury : M. Guy BRUNET Professeur Université Lyon II M. Christophe BERGOUIGNAN Professeur Université Bordeaux(Rapporteur) M. Michel ORIS Professeur Université Genève(Rapporteur) M. Claude PRUDHOMME Professeur émérite Année 2012-2013 UNIVERSITE LUMIERE, LYON II

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Laboratoire de Recherche Historique Rhône - Alpes (LARHRA) UMR 5190

THESE

Pour l’obtention du grade de Docteur en DEMOGRAPHIE

Présentée et soutenue publiquement par :

M. Toussaint Aubin BOUTENE

VIE ANTERIEURE, PARCOURS MIGRATOIRE ET INSERTION SOCIO-

ECONOMIQUE DES REFUGIES CONGOLAIS (RDC) ET TCHADIENS

INSTALLES A BANGUI EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

PREMIERE ET DEUXIEME PARTIES (TOME1)

Sous la direction de :

M. Guy BRUNET

Professeur Université Lyon II, membre du LARHRA

Membres du jury :

M. Guy BRUNET Professeur Université Lyon II

M. Christophe BERGOUIGNAN Professeur Université Bordeaux(Rapporteur)

M. Michel ORIS Professeur Université Genève(Rapporteur)

M. Claude PRUDHOMME Professeur émérite

Année 2012-2013

UNIVERSITE LUMIERE, LYON II

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Il y a donc deux sortes de vertu : l’une intellectuelle et l’autre morale. La vertu intellectuelle

tient en majeure partie de l’instruction sa genèse et sa croissance : aussi requiert- elle expérience

et temps. La vertu morale est le résultat de l’habitude, d’où le nom qu’elle a reçu, légère

déformation de celui de l’habitude1.

1 Aristote dans l’Ethique à Nicomaque, livre II.

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3

DEDICACE

Je dédie cette thèse à mon père Monsieur Augustin BOUTENE, à ma mère Madame Louise

BOUTENE, à mon épouse Madame Léonie BOUTENE, à mon grand-frère Monsieur Eloi

GOSSA-BOUTENE, à ma grande sœur Mademoiselle Marie-Christine BOUTENE, à mon grand-

frère Monsieur Pascal-Isidore BOUTENE, à tous mes neveux et nièces.

Je vous dis un grand merci pour toutes ces années de patience.

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4

REMERCIEMENTS

Je remercie vivement mon directeur de thèse le professeur Guy BRUNET de m’avoir accordé

sa confiance pendant toutes ces années de recherche. Un grand merci monsieur le professeur pour

votre professionnalisme, pour la rigueur intellectuelle et le sens du travail bien fait que vous

m’aviez transmis tout au long de cette formation doctorale. Par votre professionnalisme, votre

rigueur intellectuelle et votre sens du travail bien fait vous m’avez permis de progresser et

d’atteindre les objectifs que je m’étais fixés.

Je remercie mon épouse Léonie BOUTENE, pour sa patience, ses conseils, ses

encouragements, son soutien moral et psychologique.

Je remercie mon grand-frère Monsieur Eloi - GOSSA- BOUTENE de m’avoir transmis des

valeurs morales à savoir : le respect, l’honnêteté, la vérité et le sens du travail pendant mon

enfance. Merci Yaya Eloi, car c’est grâce à toi que je suis devenu ce que je suis aujourd’hui.

Je remercie Madame Lydie - KAPAWO - MOUKAM, l’épouse de mon grand Eloi GOSSA –

BOUTENE pour ses conseils, sa piété et ses encouragements pendant les moments difficiles.

Je remercie Monsieur et Madame IMGUIBERT pour leur soutien financier, matériel, moral et

psychologique pendant toutes les années de mes études en France.

Je remercie Monsieur Blaise - Bienvenu ALI, directeur technique du BCR (Bureau Central de

Recensement) de la République Centrafricaine pour son professionnalisme et sa disponibilité.

Monsieur ALI, tu as joué un grand rôle dans cette recherche du fait de m’avoir fourni toutes les

données statistiques sur la République Centrafricaine et avoir encadré l’équipe du BCR lors de la

phase finale de l’enquête « migration de refuge ».

Je remercie tous les personnels du BCR de Bangui qui ont participé à l’enquête « migration de

refuge. »

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5

Je remercie tous les agents enquêteurs (Madame Lydie KAPAWO – MOUKAM et Messieurs

Rodrigue YABO, Rigobert MOBEYI - NSAMPA, Aristide PANIKA, Edgard ABDELKADER,

Jésus KOITA) avec qui on a travaillé sur le terrain lors du déroulement de cette enquête.

Je remercie Monsieur Antime VOYOUMOKO, statisticien de la CNR (Comité National des

Réfugiés) de Bangui pour son professionnalisme, sa gentillesse et sa disponibilité.

Je remercie tous les personnels de la CNR de Bangui pour leur disponibilité.

Je remercie Madame Laura MICHALON, administratrice chargée des services

communautaires du HCR de Bangui de m’avoir accordé des entretiens malgré ses multiples

occupations.

Je remercie Monsieur Djerassem MBAIOREM, administrateur associé chargé des relations

extérieures et des rapports au HCR de Bangui pour toutes les informations qu’il m’a fournies lors

de nos différents entretiens.

Je remercie tous les bibliothécaires de la Bibliothèque du siège du HCR à GENEVE pour leur

gentillesse, leur disponibilité lors de mon séjour dans cette ville.

Je remercie Monsieur Arnaud BRINGE, chercheur à l’INED (l’Institut d’Etudes

Démographiques) de Paris pour ses conseils en statistique et pour avoir lu et critiqué la partie de

la thèse axée sur la problématique d’insertion économique.

Je remercie Monsieur Hugo LACOUR, statisticien, ressortissant de l’ISUP de Paris, pour ses

conseils en statistique.

Je remercie Monsieur Martin GARNIER pour avoir lu et avoir apporté des critiques à cette

thèse.

Je remercie Monsieur Francky TCHEBEMOU pour ses conseils et son amitié et sa

disponibilité.

Je remercie Monsieur Thierry BISSY pour ses conseils et de sa gentillesse.

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6

Je remercie Mademoiselle Patricia NGAYO pour sa sincère amitié, ses conseils, ses

encouragements pendant les moments difficiles.

Je remercie Monsieur Christian - Serge SAUNIE pour sa sincère amitié, ses conseils et ses

encouragements.

Je remercie Monsieur Yangou NINGATA pour ses encouragements et ses conseils.

Je remercie le Père Donatus NDULUO pour ses conseils, ses encouragements et son amitié.

Je remercie le Père Sébastien NGUENGON pour son aide financière, son soutien moral,

psychologique et spirituel.

Je remercie Monsieur Christophe - Richard PAMBOU pour sa compagnie, ses conseils et ses

encouragements pendant les moments difficiles lors de la rédaction de cette thèse.

Je remercie Monsieur Rodrigue Nadot pour son amitié et sa gentillesse.

Je remercie Monsieur Jean-Flaubert Siméon IKOLI pour son amitié et ses encouragements.

Je remercie Monsieur Henri - Paul KONZIVENET pour son amitié.

Je remercie mon beau-frère Monsieur Bruno LE CLERC pour sa gentillesse et son humanité.

Je remercie ma grande-sœur Lucie IFFOLO SANA d’avoir accepté de faire la mise en forme

du manuscrit de cette thèse, pour ses conseils et ses encouragements.

Je remercie Monsieur Mike MAKENZI pour sa sincère amitié, ses conseils et ses

encouragements lors de la rédaction de cette thèse.

Je remercie mon filleul Kenneth Uriel Christopher LAZANGUERE NGOMA et sa maman

Mademoiselle Ramsès II Muriel Stella LAZANGUERE pour la joie qu’ils m’apportent.

Je remercie Monsieur Privat MBO, pour son aide matérielle lors du déroulement l’enquête

migration de refuge.

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7

Je remercie Monsieur Yann KOYAMBA pour son amitié .

Je remercie vivement tous les réfugiés congolais (RDC) et tchadiens qui ont accepté de donner

des informations sur leur vie si difficile lors du déroulement de l’enquête « migration de refuge ».

Je remercie tous les amis et connaissances qui m’ont aidé de près ou de loin pendant toutes ces

années de recherche dont les noms ne figurent pas dans la liste des personnes que je viens de

citer.

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8

SOMMAIRE

INTRODUCTION GENERALE .................................................................................................... 11

PARTIE 1 : LE CONCEPT DE « REFUGIE » ET L’HISTOIRE DE LA MIGRATION DE

REFUGE EN AFRIQUE CENTRALE DU XXEME

AU XXIEME

SIECLE.................................... 23

Introduction de la 1ère partie de l’étude. ........................................................................................ 24

CHAPITRE 1 : Définition et Analyse des concepts liés à la Migration de Refuge. ...................... 27

1. Vers une définition détaillée de la migration « forcée » ou de « refuge ». ................................ 27

2. La Controverse autour du Concept de « Réfugié ». ................................................................... 34

3. Doit-on étendre le concept de « réfugié » ? ............................................................................... 51

CHAPITRE 2 : L’histoire de la migration de Refuge en Afrique Centrale au XXème et XXIème

siècle. .............................................................................................................................................. 56

1. La migration forcée en Afrique Centrale pendant la période coloniale. (De 1900 à 1945). ...... 56

2. La migration forcée en Afrique Centrale pendant la période de la décolonisation : De 1945 à

1960. ............................................................................................................................................... 65

3. Les migrations forcées récentes en Afrique CENTRALE : De 1960 à nos jours ...................... 72

3.1 Les chronologies de principales crises sociopolitiques et humanitaires contemporaines dans

quelques pays d’Afrique Centrale. ................................................................................................. 77

3.1.1 Le Burundi. ............................................................................................................................ 77

3.1.2 Le Congo Brazzaville. ........................................................................................................... 79

3.1.3 La République Centrafricaine. .............................................................................................. 81

3.1.4 La République Démocratique du Congo. .............................................................................. 84

3.1.5 Le Rwanda. ............................................................................................................................ 88

3.1.6 Le Soudan .............................................................................................................................. 89

3.1.7 Le Tchad. ............................................................................................................................... 91

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9

CHAPITRE 3 : Les Portraits des pays de l’Etude. ....................................................................... 102

1. Le portrait de la République Centrafricaine. ............................................................................ 102

1. 1 La situation sociopolitique et économique de la République Centrafricaine depuis

l’indépendance jusqu’à nos jours. ................................................................................................ 102

1. 2 La situation géopolitique de la Centrafrique et les problèmes des Réfugiés......................... 109

1.2.1 Le programme de rapatriement des Réfugiés. ..................................................................... 115

1.3 Le profil démographique des Réfugiés présents en République Centrafricaine en 2010. ..... 121

1.4 Les organes et les structures d’accueil et d’assistance aux réfugiés en République

Centrafricaine. .............................................................................................................................. 122

1.4.1 Le fonctionnement et l’organisation des organes et des structures nationaux d’accueil et

d’assistance aux réfugiés en République Centrafricaine. ............................................................. 123

1.4.1.1 La Coordination Nationale Pour la Protection du Réfugié (La CNPR). .......................... 124

1.4.1.2 La Commission Nationale Pour les Réfugiés (La CNR). ................................................. 125

1.4.2 Le HCR comme structure d’accueil et d’assistance aux réfugiés en République

Centrafricaine. .............................................................................................................................. 130

2. Le portrait de la République Démocratique du Congo. ........................................................... 136

2.1 La situation sociopolitique de la République la République Démocratique du Congo et la

production des réfugiés. ............................................................................................................... 136

3. Le portrait de la République du Tchad. .................................................................................... 145

3.1 La situation sociopolitique de la République du Tchad et la production des réfugiés. .......... 146

Conclusion de la première partie. ................................................................................................. 157

PARTIE 2 : REVUE DE LA LITTERATURE : MIGRATION ET MARCHE DU TRAVAIL

DANS LES VILLES D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE. .......................................................... 159

Introduction de la deuxième partie. .............................................................................................. 160

CHAPITRE 4 : La revue de littérature sur le fonctionnement du marché du travail dans les pays

de l’étude. ..................................................................................................................................... 168

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10

1. Insertion sur les marchés du travail dans les pays d’origine et d’accueil des réfugiés congolais

et tchadiens. .................................................................................................................................. 168

1.1 Insertion sur le marché du travail en République Démocratique du Congo et au Tchad. ...... 168

1.1.1 Insertion sur le marché du travail en république Démocratique du Congo. ........................ 168

1.1.2 Insertion sur le marché du travail au Tchad. ....................................................................... 182

1.2 Insertion sur le marché du travail en République Centrafricaine. .......................................... 188

1.2.1 Insertion sur le marché du travail à Bangui, la capitale centrafricaine. .............................. 193

1.2.2 Insertion des immigrants sur le marché du travail en République Centrafricaine. ............. 213

CHAPITRE 5 : La revue de littérature : Migration et matché du travail dans les villes d’Afrique

Subsaharienne. .............................................................................................................................. 219

1. L’insertion économique des migrants étrangers africains en Afrique du Sud du Sahara : Le cas

de quelques villes du Burkina-Faso. ............................................................................................ 222

2. L’insertion économique différentielle des migrants étrangers africains en Afrique du sud du

Sahara : Le cas des étrangers africains installés dans les centres urbains en Côte d’Ivoire. ........ 233

3. L’insertion des migrants africains en Afrique Centrale et des réfugiés urbains en Afrique

Subsaharienne. .............................................................................................................................. 238

3.1 L’insertion économique des migrants étrangers africains en Afrique Centrale : Le cas des

migrants d’origine africaine installés dans les centres urbains au Cameroun. ............................. 238

3.2 La difficile insertion économique des réfugiés urbains en Afrique Subsaharienne : Le cas des

réfugiés installés dans les centres urbains de Benin. .................................................................... 246

3.3 Les hypothèses de Recherche. ................................................................................................ 262

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE ........................................................................... 275

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INTRODUCTION GENERALE

L’Afrique centrale et la région des Grands Lacs sont les régions du continent africain qui sont

les plus touchées par le phénomène de la migration de refuge ces vingt dernières années. Cette

partie de l’Afrique compte à elle-seule plus de 945 000 réfugiés en 2010 alors que les régions de

l’Est de l’Afrique, du Sud de l’Afrique et de l’Ouest de l’Afrique comptent respectivement 779

2000, 143 400 et 149 000 réfugiés à la même année2. Le développement du phénomène de la

migration de refuge en Afrique centrale ces dernières années est dû à l’instabilité sociopolitique

de la majeure partie des pays de cette sous-région de l’Afrique. En effet, la guerre civile du

Burundi de 1993 et le génocide du Rwanda de 1994 se trouvent être en amont des principaux

conflits qui ont paralysé la sous-région d’Afrique centrale ces vingt dernières années. La

conséquence des deux guerres, c’est-à-dire celle de Burundi et celle de Rwandais, fut très lourde

pour leurs voisins Congolais (RDC). Un grand nombre d’individus vont fuir le Burundi et le

Rwanda dans les années 1993-1994 pour aller s’installer dans la région Est de l’Ex-Zaïre. La

présence massive de ces nouveaux réfugiés en provenance du Burundi et du Rwanda dans la

région de l’est de l’ex - Zaïre est loin d’être une source de bénédiction, elle est plutôt une source

de problèmes. En fait, l’arrivée massive des réfugiés, essentiellement en provenance du Rwanda

va compliquer la cohabitation entre les autochtones zaïrois et les Banyarwanda, c’est-à-dire des

Rwandais Hutu et Tutsi installés dans l’ex-Zaïre depuis très longtemps. Les Zaïrois originaires de

la région de l’est de l’ex-zaïre vont peu à peu s’en prendre à la fois aux nouveaux réfugiés

rwandais et aux anciens immigrés rwandais originaires des ethnies Hutu et Tutsi implantés dans

la région depuis fort longtemps 3. Des conflits vont alors surgir autour de ce sujet de cohabitation.

2 UNHCR (2010), Global Trends.

3 La population de l’est de l’actuelle République Démocratique du Congo se méfiait de ces anciens immigrés

rwandais. Les autorités du pays vont même classer les Rwandophones (Hutus et Tutsis) en quatre (4) sous-groupes

en 1996 : 1) Les autochtones d’avant 1885 ; 2) Les transplantés ; 3) Les réfugiés ; 4) Les clandestins. Ces mêmes

autorités vont refuser de délivrer des cartes d’identité aux Banyamulenge naturalisés congolais depuis fort

longtemps. Leur naturalisation est peu à peu remise en question. Lire : RUHIMBIKA M., (2001), Les Banyamulenge

(Congo- Zaïre) entre deux guerres, Paris, Harmattan, p10-109.

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Car les quelques Rwandais tels que les Banyamulenge, les plus anciennement installés dans la

région de l’est du Zaïre, qui sont ostracisés et rejetés par la population zaïroise avec laquelle ils

ont vécu depuis des longues années, vont prendre les armes pour entrer en rébellion contre le

pouvoir de Kinshasa. Ce fut donc le début du conflit du Zaïre.

Les rebelles banyamulenges vont s’organiser dans une structure appelée Alliance des Forces

Démocratiques pour la Libération du Zaïre (AFDL) cordonnée et dirigée par un certain Laurent

Désiré Kabila. Soutenue par les troupes venues du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi, l’AFDL

de Laurent Désiré Kabila va faire chuter le puissant régime du président Mobutu en 1997.

Le conflit de l’Est de l’ex-Zaïre va se déplacer dans la région du nord de l’actuelle République

Démocratique puis en République Centrafricaine. En effet, afin de combattre le nouveau régime

de Laurent Désiré Kabila, Jean Pierre Bemba, un proche cousin de Mobutu, le président déchu,

va fonder un mouvement rebelle qu’il baptise MLC (Mouvement de Libération des Congolais)

dans les années 1998. Les rebelles de MLC de Bemba vont déstabiliser la région du nord de

l’actuelle République Démocratique du Congo, entre 1998-2001. Ils ont été à l’origine des

pillages, des viols, des massacres et des actes de barbarie de tous genres. Ces rebelles vont

commettre les mêmes atrocités en République centrafricaine lorsqu’ils sont partis soutenir le

régime de l’ancien président centrafricain, Ange Félix Patassé, fragilisé par les mutineries et

quelques coups d’état orchestrés par quelques soldats hostiles à son régime. Des milliers de

Congolais (RDC) vont fuir la région de l’Equateur, gouvernée par les rebelles de Bemba, pour se

réfugier en République centrafricaine dans les années 2001.

En effet, la République Centrafricaine est un pays d’Afrique Centrale qui est située au nord de

la République Démocratique du Congo et de Congo-Brazzaville, à l’est du Cameroun et à l’ouest

du Soudan. Elle s’étend sur 623 000 kilomètres carrés. C’est un pays enclavé qui n’a pas

d’ouverture sur la mer. C’est un pays pauvre et sous-développé. Son économie repose

essentiellement sur le secteur primaire agricole. Les Nations Unies avaient classé la République

centrafricaine au 169ème mondial sur 177 parmi les pays les plus pauvres du monde selon le

rapport de Programme des Nations Unies pour le Développement de 2004. En effet, 50,3% des

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ménages centrafricains sont pauvres. Il s’agit ici de la pauvreté d’existence et non de la pauvreté

monétaire4. La population de la République centrafricaine s’élevait à 3 895 139 habitants en

2003, la date du dernier recensement général de la population et de l’habitation. 62% de cette

population vit dans les zones rurales contre 37,9% qui vivent dans les zones urbaines5. La ville de

Bangui, la capitale centrafricaine concentre environ 16% de la population totale du pays. Sa

population s’élevait à 622 771 en 2003. La population de la République Centrafricaine est

davantage jeune. En effet, l’âge moyen de cette dite population oscille autour de 22 ans selon les

données du dernier recensement général de la population6.

La situation géopolitique de la République Centrafricaine fait qu’elle est confrontée au

problème des réfugiés, car elle est frontalière avec des pays de conflits tels que la République

Démocratique du Congo, le Tchad, le Congo-Brazzaville et le Soudan. Le problème de la gestion

des flux des réfugiés s’est véritablement posé à la République Centrafricaine vers la fin des

années 1960 lorsqu’elle a accueilli pour la première fois sur son territoire un nombre important de

réfugiés Soudanais 7. Ces réfugiés, hommes, femmes et enfants étaient au nombre de 27 000. Un

grand nombre d’entre eux étaient installés dans le nord du pays. Après la vague des réfugiés

Soudanais de l’année 1967, vient celle des Tchadiens des années 1980. Des milliers de Tchadiens

vont fuir la guerre civile qui a paralysé leur pays en 1979 pour se réfugier en République

Centrafricaine. On estimait à près de 27 000 ces réfugiés Tchadiens, lesquels étaient répartis au

nord du pays et dans la capitale, Bangui. La crise rwandaise de 1994 n’a pas eu des conséquences

que sur la population de l’est du Zaïre comme on vient de le dire. Force est alors de constater que

la conséquence de cette crise rwandaise s’est fait sentir jusqu’en République Centrafricaine. Car

la Centrafrique était contrainte d’accueillir sur son territoire les Rwandais victimes de la guerre

4 République Centrafricaine (2003), Recensement Général de la Population et de l’Habitation (RGPH).

5 Ibid.

6 Nous allons présenter la République Centrafricaine avec plus de détails dans le chapitre 3 de cette étude

intitulée le portrait des pays de l’étude.

7 Ligue des Sociétés de la Croix Rouge (1967), Réinstallation des réfugiés soudanais en République

Centrafricaine, rapport de mission, octobre-décembre 1967.

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civile de 1994. La plupart de ces réfugiés rwandais sont arrivés en République Centrafricaine en

1994 presque au même moment que leurs homologues Congolais de Brazzaville, lesquels ont

aussi fui la guerre civile survenue dans leur pays en 1993 pour se réfugier en grand nombre en

République Centrafricaine. L’important flux des réfugiés qui est arrivé sur le territoire

centrafricain entre 2000-2010 est celui des Congolais (RDC) et Soudanais. Les Congolais (RDC)

sont au nombre de 6 000 à avoir fui les troubles de la région de l’Equateur pour se réfugier en

République Centrafricaine dans les années 2001. Quant aux Soudanais qui ont demandé l’asile en

République Centrafricaine au début des années 2000, ils sont très nombreux avoir quitté leur pays

à cause de la crise du Darfour. La population des réfugiés qui réside en République

Centrafricaine en 2010 est composée, de Congolais (RDC), de Tchadiens, de Soudanais, c'est-à-

dire des ressortissants des pays post-conflits et des ressortissants des pays tels que la Côte

d’Ivoire et des autres pays stables d’Afrique tels que le Cameroun, le Togo…

Les réfugiés qui arrivent en République Centrafricaine ne vivent pas que dans les camps dans

les zones rurales, comme c’est souvent le cas. Un grand nombre d’entre eux se dirigent dans la

capitale, Bangui. On constate un accroissement du nombre des réfugiés urbains ces dernières

années en Afrique Centrale. Le HCR estimait à près de 140 000 le nombre de réfugiés urbains en

Afrique Centrale en 2006, soit 8% de l’ensemble des réfugiés installés dans cette dite région cette

même année. Selon cette institution onusienne, 78% de ces réfugiés urbains sont installés

principalement dans les capitales des villes de leur pays d’accueil8. Ce fut le cas de la capitale

centrafricaine, Bangui. En effet, on estime à 6 166 le nombre de réfugiés et demandeurs d’asile à

Bangui en 2010, soit 27% de la population des réfugiés et demandeurs d’asile installés sur

l’ensemble du territoire centrafricain en 2010. Les réfugiés qui choisissent de vivre dans les zones

urbaines et dans une moindre mesure dans les capitales africaines comme ce fut le cas de Bangui,

ont espoir de trouver du travail dans ces capitales qui sont souvent des grands pôles économiques.

Un certain nombre d’eux décident même souvent de vivre d’une manière définitive dans ces

zones urbaines parce que les conflits qu’ils ont fui perdurent, leur pays d’origine a souvent du

88 UNHCR (2006), Statistical yeabook, http:// www.UNHCR.ORG/statistics/STATISTICS/478cda572.htmlvisité

le 05/10/2010.

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15

mal à se stabiliser socialement et politiquement à l’issue de ces longues années de conflit. Le

HCR qui opte de plus en plus pour l’intégration locale en facilitant la naturalisation dans le pays

d’accueil, va encadrer ces réfugiés qui choisissent de s’installer d’une manière temporaire ou

définitive dans leur pays d’accueil dans leur processus d’insertion socioprofessionnelle.

Le problème d’intégration de ces nouveaux réfugiés urbains va se poser à la fois au HCR et

aux gouvernements des pays d’accueil de ces réfugiés. Un pays, tel que la République

centrafricaine, qui est fragilisé économiquement depuis plus de trente ans aura nécessairement du

mal à mettre en place des structures adéquates pour prendre en charge les réfugiés urbains dont le

nombre croît de plus en plus sur son territoire.

En effet, l’économie de la République Centrafricaine, comme pour celle de bon nombre des

pays d’Afrique Subsaharienne, s’est fragilisée depuis les années 1970 suite à la chute des prix des

matières premières sur le marché international. Beaucoup d’entreprises implantées en République

Centrafricaine spécialisées dans la transformation des produits agricoles (coton, café) n’ont pas

pu résister à la crise des années 1970. La conséquence de cette crise fut dramatique, car elle a été

à l’origine de la destruction de dizaines de milliers d’emploi au niveau national en général et dans

la capitale en particulier. Après la crise économique due à la chute des prix des matières

premières agricoles vint ensuite l’ère du programme d’ajustement structurel. En effet, la politique

d’ajustement structurel imposée par la Banque Mondiale aux pays africains afin d’assainir leur

économie a eu des impacts néfastes sur le fonctionnement de l’économie de ces pays.

L’économie de la République centrafricaine fut affectée au même titre que celle des autres pays

d’Afrique Subsaharienne dans les années 1990, période pendant laquelle le programme

d’ajustement structurel régna dans les instances financières africaines. En effet, la République

Centrafricaine était obligée de consacrer à la fin des années 1990 plus de 50% de ses recettes

financières au remboursement des dettes qu’elle avait contractées auprès des institutions

internationales 9. Cette situation la met dans une situation très inconfortable en matière de

9 Banque Mondiale et BEAC (2010), in rapport annuel de la zone Franc, Bangue de France, p192.

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16

trésorerie, sa marge de manœuvre financière se trouve alors être très réduite si bien qu’elle ne

peut pas soutenir ni les entreprises publiques ni les entreprises privées. Or, ces entreprises ont

besoin des capitaux nécessaires pour de se développer et créer suffisamment d’emplois.

Les crises sociopolitiques des années 1996-1997 (trois mutineries)10

et celles de 2001 et 2003

(deux coups d’état) sont encore venues mettre à terre l’économie du pays. En effet, la population,

surtout celle vivant dans la capitale, a pillé et détruit les quelques infrastructures économiques

existantes. La population de Bangui a donc détruit le bassin d’emplois à l’issue de ces différentes

crises militaires et sociopolitiques. Le marché de l’emploi de Bangui s’est davantage rétréci

depuis les trois mutineries et les coups d’état de 2001 et 2003. Les quelques offres d’emploi

disponibles ne suffisent plus à résorber le problème grandissant de chômage dans la capitale

centrafricaine. A noter que plus de 18% de la population active de la capitale centrafricaine sont

au chômage selon le dernier recensement général de la population 11

. Ce qui signifie qu’il existe

réellement une vive tension sur le marché de travail de la capitale centrafricaine. Les sous-

emplois et les emplois informels ne font que se développer dans cet espace urbain, conséquence

de la pénurie des emplois formels disponibles. En effet, le taux de sous-emploi s’élevait à 75,3%

dans les zones urbaines centrafricaines en 2005 selon le Programme des Nations Unies pour le

développement12

. Ce qui signifie que 75,3% des actifs vivant dans les zones urbaines

centrafricaines et notamment à Bangui, la capitale, gagnent moins que le revenu salarial

minimum qui est de l’ordre de 17 850 F CFA en République Centrafricaine , soit 27,25 euros. On

peut dire que les actifs de Bangui, tout comme ceux d’autres zones urbaines centrafricaines,

10 La République Centrafricaine a subi trois mutineries en 1996 (le 30 avril, le 30 mai et le 15 novembre) Source :

Sangonet.com/afriqg/PAFF/Dic/8Cinstitutions.htm visité le 14/01/2013.

11 Ce chiffre semble sous-estimer l’ampleur du chômage dans la capitale centrafricaine. A vrai dire, le taux

chômage est nettement supérieur à 18% à Bangui. Un grand nombre d’individus qui sont au chômage ne seraient pas

comptabilisés lors de la dernière opération de collecte des données

12 Aho G., et Brisson – Lamaute (2005), Emploi, chômage et pauvreté dans les grands centres urbains de la

République Centrafricaine, PNUD, Bangui.

Page 17: Université Lyon II

17

éprouvent des réelles difficultés pour s’insérer sur le marché du travail au vu des statistiques

qu’on vient de présenter

Effectivement, l’insertion sur le marché du travail de Bangui devient de plus en plus difficile

pour les populations locales , pour les migrants qui viennent des zones rurales confrontées au

problème de chômage de masse dans leur région d’origine suite à la fermeture d’ un grand

nombre d’usines agricoles , et pour les immigrés venus principalement des pays frontaliers

(Congo RDC ; le Tchad , le Soudan ).

Au problème d’emploi, s’ajoute celui du logement. En effet, le gouvernement centrafricain n’a

pas suffisamment les moyens pour construire des logements sociaux destinés aux populations

vulnérables telles que les réfugiés. Tout cela pour dire que la République Centrafricaine ne

dispose pas suffisamment d’emplois ni de logements pour offrir aux réfugiés urbains qui se

trouvent en grand nombre dans la capitale, Bangui.

Il demeure alors important pour ces réfugiés urbains de mettre en place des stratégies afin de

décrocher un emploi et un logement à Bangui du fait qu’ils ne peuvent pas compter sur le

gouvernement centrafricain qui a même du mal à insérer professionnellement sa propre

population. Mais quelles stratégies les réfugiés peuvent-ils mettre en place ? Vont-ils s’appuyer

sur les réseaux sociaux (communautaires, amicaux, familiaux, ethniques religieux) pour

décrocher un emploi ou un logement à Bangui ou vont-ils davantage s’appuyer sur le HCR ?

Peuvent-ils réellement se distinguer sur le marché de travail de Bangui dans lequel il existe déjà

une vive tension ? La chance d’accéder à un emploi à Bangui est-elle fonction de la nationalité

des réfugiés, de leur capital humain avant la migration, de leur niveau d’instruction ou de leur

situation familiale avant et pendant la migration ? Nous essaierons de répondre à toutes ces

questions au sein de cette étude. A noter que nous n’allons pas étudier l’ensemble de la

population des réfugiés urbains se trouvant sur le territoire centrafricain. Notre étude se limite

Page 18: Université Lyon II

18

seulement à la population des réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens installée à Bangui, la

capitale centrafricaine 13

.

Les objectifs de cette étude sont les suivants : Il s’agit de :

Décrire la vie socio-économique des réfugiés congolais (RDC) et tchadiens dans leur pays

d’origine, c’est-à-dire avant la migration.

Décrire le parcours migratoire des réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens.

Décrire le processus d’insertion économique et sociale des réfugiés Congolais (RDC) et

Tchadiens installés à Bangui en République Centrafricaine.

Analyser les stratégies mises en place par ces réfugiés pour décrocher un emploi à Bangui.

13 Nous nous sommes limités à ces deux nationalités dans le cadre de cette étude pour quatre raisons : 1) Les

réfugiés Congolais (RDC) et les réfugiés Tchadiens sont les plus nombreux dans la population des réfugiés installée

à Bangui en 2010 ; 2) La migration des réfugiés tchadiens en direction de Bangui est plus ancienne par rapport à

celle de leurs homologues Congolais (RDC). ; 3) Les Tchadiens sont davantage musulmans à la différence des

Congolais (RDC) qui sont majoritairement chrétiens.4) Les Tchadiens viennent d’un pays dans lequel on parle à la

fois l’Arabe et le Français alors qu’il ya qu’une seule langue officielle en République Démocratique du Congo, le

français. Tous les éléments qu’on vient de décrire sont importants dans une étude comparative. La question qu’on

peut se poser est de cette nature : La bonne intégration sociale ou économique de telle ou telle population de réfugiés

à Bangui s’explique-t-elle par rapport à leur appartenance religieuse proche de celle de la population du pays

d’accueil ? , Par rapport à l’ancienneté de leur présence sur leur territoire d’accueil ? Par rapport à la similitude entre

les langues officielle et nationale de leur pays d’origine avec celles du pays d’accueil ? La population des réfugiés

congolais (RDC) et celle des réfugiés tchadiens semble être un bon cas de figure pour une étude comparative

puisqu’elle se distingue par rapport à leur appartenance religieuse, par rapport à leur histoire migratoire avec la

République centrafricaine, par rapport à leurs connaissances linguistiques.

Page 19: Université Lyon II

19

Présenter les secteurs d’activités économiques dans lesquels évoluent les réfugiés

Congolais (RDC) et Tchadiens installés à Bangui en République Centrafricaine.

Mesurer la mobilité résidentielle des réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens installés à

Bangui.

Mesurer l’insertion économique et sociale des réfugiés installés à Bangui en République

Centrafricaine dans sa globalité.

Nous avons conçu une enquête dans le cadre de cette étude afin d’avoir des données fiables

nous permettant de mesurer l’insertion socio-économique des réfugiés Congolais et Tchadiens

dans leur ville d’accueil. Cette enquête est de « type biographique » du fait que la majeure partie

des questions posées dans le questionnaire de la dite enquête est rétrospective. Nous avons

baptisé notre enquête « Enquête migration de refuge ». L’échantillon de l’enquête migration de

refuge est constitué de 312 individus de sexe masculin14

âgé de 10 ans et plus.

L’enquête migration de refuge est structurée en trois modules :

1) Les questions posées dans le premier module touchent la vie socio-économique des

réfugiés dans leur pays, c’est-à-dire avant la migration de refuge.

2) Les questions du deuxième module concernent exclusivement le parcours migratoire de ces

réfugiés, c’est -à-dire leur parcours migratoire avant la migration de refuge et le parcours de leur

14 Nous avons interviewé uniquement les hommes dans le cadre de cette enquête parce que nous estimons qu’il

n’est pas nécessaire de poser des questions à des femmes pour avoir des informations sur la problématique

d’insertion économique et résidentielle dans les pays d’Afrique Subsaharienne. Car malgré l’émancipation de la

société africaine noire et l’élévation du niveau d’éducation des femmes africaines ces dernières années, les hommes

prédominent toujours sur le marché du travail dans les pays d’Afrique Subsaharienne. Il est donc plus intéressant

d’interroger les hommes lorsqu’on veut faire une étude sur la problématique d’insertion économique en Afrique

noire. Les femmes sont aussi peu concernées par le problème d’insertion résidentielle en Afrique Subsaharienne. En

effet, elles sont le plus souvent hébergées par leurs maris dans cette partie du monde. Nous jugions moins important

d’interroger les femmes lors de l’enquêté migration de refuge car, celle-ci porte en grande partie sur la problématique

d’insertion économique et résidentielle. Les hommes qui sont les plus nombreux à être concernés par le problème

d’emplois et de logement en Afrique peuvent nous fournir des informations dont nous avons besoin pour cette étude.

Page 20: Université Lyon II

20

voyage en direction de Bangui, leur ville d’accueil. Enfin les questions du dernier module

touchent principalement la situation socioprofessionnelle des réfugiés Congolais (RDC) et

Tchadiens au moment de l’enquête (leur vie familiale, leur insertion résidentielle et

professionnelle à Bangui). L’enquête migration de refuge s’est déroulée à Bangui en avril 2010.

Les données de cette enquête seront analysées d’une manière descriptive dans l’ensemble.

Toutefois, les thèmes concernant l’insertion résidentielle (passage de l’état d’hébergé à l’état de

non hébergé) et de l’emploi seront analysés d’une manière longitudinale. Le modèle de

régression logistique sera appliqué également dans la partie concernant l’insertion économique. A

noter que la variable dépendante de l’étude (emploi à Bangui) est dichotomique.

Nous avons aussi utilisé d’autres données, hormis celles de notre enquête, dans le cadre de cette

étude. Les principales données que nous avons utilisées en plus de celles de notre enquête sont

celles des trois recensements généraux de la population de la République centrafricaine (RGPH1,

RGPH2, RGPH3), réalisées respectivement en 1975, en 1988 et en 2003, celles de l’enquête 1.2.3

réalisée en République Démocratique du Congo entre 2004-2005, celles de l’enquête sur l’emploi

et le secteur informel au Cameroun réalisée par le service de la statistique du Cameroun en 2005,

celles de l’enquête sur les conditions de vie auprès des ménages urbains en République

Centrafricaine réalisée par le PNUD en 2005, celle de l’enquête sur la problématique d’insertion

professionnelle des réfugiés dans quelques villes du Bénin réalisée par le BIT et les différentes

données des rapports d’activité, des tableaux synoptiques du HCR et de la CNR .

Notre étude est structurée en trois grandes parties qui sont les suivantes :

1) La première partie de notre étude est intitulée : « le concept de réfugié et l’histoire de la

migration de refuge en Afrique centrale du XXème au XXIème siècle ». Il s’agit d’analyser

l’évolution du concept de réfugié et de faire un bilan sur l’histoire de la migration de refuge en

Afrique centrale avant et après les phases de la colonisation. La première partie de cette étude est

composée de trois chapitres. a) Le premier chapitre aborde la question relative au concept de

réfugié. b) le second chapitre est consacrée à l’histoire la migration de refuge en Afrique centrale

du XXème au XXIème siècle et c) le troisième chapitre intitulé « portraits des pays de l’étude »

donne des détails sur la situation sociopolitique des pays d’origine des réfugiés soumis à cette

Page 21: Université Lyon II

21

étude ainsi que celle de leur pays d’accueil, la République Centrafricaine. La problématique sur

les causes de la migration de refuge en Afrique centrale pendant la période contemporaine est

largement développée dans ces trois chapitres.

2) La deuxième partie de l’étude intitulée : « revue de littérature : migration sur le marché du

travail dans les pays d’Afrique Subsaharienne » aborde la question relative au fonctionnement du

marché de travail en Afrique Subsaharienne dans sa globalité et présente les conditions

permettant de s’insérer sur ce marché du travail. Cette seconde partie de l’étude est subdivisée en

deux chapitres.

a) Le premier chapitre est consacrée revue à la revue de littérature sur le

fonctionnement du marché de travail dans les pays de l’étude.

b) Le second chapitre, quant à lui, aborde la revue de littérature sur la migration et le

marché du travail dans les villes d’Afrique Subsaharienne.

3) La troisième partie de l’étude concerne exclusivement les données de l’enquête migration de

refuge. Elle est intitulée : « Présentation de l’enquête migration de refuge et de ses résultats.».

Elle est composée de six chapitres. Le premier est consacré à la présentation de Bangui et à celle

des réfugiés (profil démographique et la localisation des réfugiés à Bangui), le second chapitre est

consacré à la présentation de l’enquête migration de refuge, le troisième aborde la question

relative à la vie socio-économique des réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens avant la migration

de refuge, le quatrième chapitre traite des questions relatives au parcours migratoire des réfugiés

(leur migration avant celle de refuge en République Centrafricaine, le parcours de leur voyage en

direction de Bangui), le cinquième chapitre aborde les questions relatives à la situation sociale

des réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens lors de leur arrivée à Bangui (les premières structures

d’accueil, leur mode de logement à l’arrivée, leur mode de prise en charge à l’arrivée, la taille de

leur ménage à l’arrivée). Enfin le dernier chapitre traite des questions relatives à la situation

socio-économique des réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens au moment de l’enquête, c’est-à-

dire en 2010 (leur situation familiale, leur insertion résidentielle et leur insertion économique). En

somme, cette étude est constituée de onze chapitres.

Page 22: Université Lyon II

22

Si nous avons choisi d’étudier en profondeur la problématique d’insertion socio-économique

des réfugiés urbains dans le cadre de cette étude doctorale, c’est pour les raisons suivantes :

La problématique d’insertion socioprofessionnelle des réfugiés urbains est

rarement étudiée en Afrique. Il n’y a presque pas de littérature sur cette

problématique.

Les travaux portant sur la problématique d’insertion des immigrants africains

dans leur pays d’accueil (Afrique) sont également rares.

Nous estimons que notre étude peut apporter de nouveaux éléments à la communauté

scientifique , surtout à celle qui s’intéresse à la problématique d’insertion urbaine en Afrique en

général et à celle des réfugiés urbains en particulier surtout que celle-ci présente un caractère

original , car les données de l’enquête que nous avons conçues pour mesurer l’insertion socio-

économique des migrants réfugiés à Bangui permettent non seulement de donner des

informations sur la vie actuelle des réfugiés mais également sur leur vie antérieure dans leur pays

d’origine avant la migration. Une telle information est capitale pour qui veut intégrer le réfugié

dans son pays d’accueil. En effet, la connaissance de la vie antérieure du réfugié peut être un

atout pour les organismes qui s’intéressent à la question d’intégration sociale des réfugiés. Ceux-

ci pourront orienter ces réfugiés en fonction de leur acquis professionnel antérieur. Ils pourront

alors considérer le réfugié comme un être humain normal, c’est-à-dire celui qui avait une vie

familiale, un emploi, une vie sociale épanouie dans son pays d’origine avant de connaitre les

tristes conditions de vie en exil. La connaissance de la vie antérieure du réfugié à travers les

données d’une enquête, permet de lui prendre davantage en considération et de faire l’impasse sur

les préjugés qu’on porte généralement sur lui. Ainsi, notre étude ’intéressa, non seulement des

scientifiques, mais également des institutions qui s’occupent des problèmes des migrants en

général et des réfugiés en particulier (le HCR…).

Page 23: Université Lyon II

23

PARTIE 1 : LE CONCEPT DE « REFUGIE » ET

L’HISTOIRE DE LA MIGRATION DE REFUGE EN

AFRIQUE CENTRALE DU XXEME

AU XXIEME

SIECLE.

Page 24: Université Lyon II

24

INTRODUCTION DE LA 1ERE PARTIE DE

L’ETUDE.

Nous allons nous appuyer sur les données historiques pour décrire et analyser l’histoire de la

migration de refuge en Afrique Centrale pendant la période du XXème

et XXIème

siècles dans la

partie de cette étude.

Les questions centrales auxquelles nous allons répondre sont les suivantes : L’Afrique

Centrale du XXème

et XXIème

siècles a-t-elle connu une migration de refuge d’une grande

importance ? Et si c’est le cas, quels sont les éléments qui seraient à l’origine de cette migration

de refuge ? L’intensité de cette migration varie-t-elle en fonction des contextes historiques et

géographiques ? Comment peut-on évaluer l’évolution de cette migration dans le temps ? Telles

seront nos interrogations tout au long de cette partie d’étude.

Mais comment décrire un phénomène tel que la migration de refuge sans se préoccuper au

préalable de sa définition ou des concepts qui la caractérisent ? Autrement dit, comment décrire

un phénomène sans définir le phénomène proprement dit ? Qu’est-ce qu’une migration de refuge

ou encore une migration dite forcée ? Quels sont les éléments qui la caractérisent ? Qu’est-ce qui

différencie cette migration des autres types de migration ? Qu’est-ce qu’un réfugié ? Quels sont

les textes juridiques qui encadrent ce concept de réfugié ?

En effet, la définition des concepts au préalable d’un travail de recherche est avant tout un

exercice méthodologique. Et celui-ci a préoccupé, pendant longtemps, un grand nombre de

penseurs ou spécialistes des Sciences Sociales ; surtout Emile Durkheim. Pour lui : « La première

démarche du sociologue (On suppose qu’il fait allusion aux spécialistes des autres disciplines de

Page 25: Université Lyon II

25

Sciences Sociales) doit donc être de définir les choses dont il traite, afin que l’on sache et qu’il

sache bien de quoi il est question »15

.

En fait, Durkheim propose ici une orientation méthodologique à tous les chercheurs en

Science Sociales à partir de l’expression : « définir les choses dont il traite ». Son souci majeur

réside dans la problématique de la formulation des objectifs de recherche.

En effet, la bonne définition « des choses », des sujets de recherche ou encore des objectifs de

recherche, dont parle Durkheim, doit aussi passer inéluctablement par la définition des mots

contenus dans « ces choses » ou encore dans ces sujets d’étude et qui les rend parfois obscurs. Il

s’agit alors de définir ces concepts parfois savants et obscurs avec des mots simples et accessibles

à tous.

Autrement dit, la définition des concepts clés d’un sujet de recherche permet de clarifier celui-

ci afin de le rendre accessible à un large public au-delà de la communauté scientifique car, le

résultat d’une recherche est en principe la réponse à un problème de société. Ceci dit, il doit être

diffusé au maximum. En effet, les mécanismes sociaux découverts à travers ces recherches

scientifiques ne doivent pas rester cantonnés dans les livres et n’être lus que par les spécialistes16

.

Il demeure alors important pour nous de définir les concepts ou encore les mots clés contenus

dans notre thème de recherche au début de cette étude. Il s’agit des concepts suivants : migration,

refuge, réfugié, asile, déplacé qui, dans l’imaginaire collectif, semblent parfois simples et

maîtrisés. Or, ces mots « migration, refuge, réfugié, asile, déplacé » prononcés et utilisés

habituellement au quotidien par tout le monde dans la société, sont très complexes dans la réalité.

C’est la raison pour laquelle, on fait généralement appel à beaucoup de notions pour les définir.

15 Durkheim E., (1988), les règles de la méthode sociologique, PUF. Op.cit. p34.

16 Christin O., et Champagne P., (2004), Mouvement d’une pensée Pierre Bourdieu, Bordas, p196.

Page 26: Université Lyon II

26

La première partie de cette étude consacrée à la description de l’histoire de la migration de

refuge en Afrique centrale au XXème et XXIème siècles va se présenter comme suit :

1) Un premier chapitre sera consacré exclusivement à la définition et à l’analyse des concepts

liés à la migration de refuge dans sa généralité.

2) Un second chapitre sera consacré à l’analyse historique de la migration de refuge en

Afrique centrale du XXème au XXIème siècle.

3) Enfin, un dernier chapitre, axé sur les portraits des pays d’étude, va clore la première partie

de cette étude.

Page 27: Université Lyon II

27

CHAPITRE 1 : DEFINITION ET ANALYSE DES

CONCEPTS LIES A LA MIGRATION DE REFUGE.

1. VERS UNE DEFINITION DETAILLEE DE LA MIGRATION

« FORCEE » OU DE « REFUGE ».

La littérature scientifique nous présente souvent un panel de phénomènes dits migratoires qui

sont souvent classés selon des typologies pour une meilleure lisibilité et compréhension17

. Ces

typologies donnent souvent une vision dualiste dans l’appréciation de ces phénomènes

migratoires. On cherche par exemple à opposer des migrations dites anciennes ou archaïques aux

migrations dites modernes ; des migrations agricoles, des migrations du travail ; des migrations

spontanées, des migrations organisées ou planifiées en élucidant, malgré tout, les éléments

particuliers qui caractérisent chacun de ces phénomènes migratoires 18

. En effet, les migrations

spontanées seraient donc du type traditionnel ou précolonial, alors que les mouvements des

peuples dirigés, orientés, ou planifiés, seraient du type colonial ou postcolonial19

.

17 RAISON J-P (1968, 1973) ; REMY G(1973) et AMIN S (1974).

18 AMSELLE J-P (dir)., (1976), Aspects et significations du phénomène migratoire en Afrique, in les migrations

africaines, Op Cit . p 12.

19 Ibid. p24.

Page 28: Université Lyon II

28

S’agissant de la migration de refuge, sur quelles bases se fonde-t-on pour la définir ? Ces

critères de définition sont-ils universels ? Quels sont les éléments qui la caractérisent

effectivement ?

En effet, « la migration de refuge peut être définie comme une migration ou un déplacement

sous contrainte »20

. Car migrer, c’est se déplacer, c’est-à-dire quitter un lieu pour en atteindre un

autre. Ce déplacement est qualifié de sous contrainte parce qu’il est involontaire, c’est-à-dire

contraire à la volonté du migrant.

Une migration de refuge est une migration forcée, c’est-à-dire des mouvements et des

déplacements de population contraints. Les causes de cette migration forcée demeurent

innombrables. Il peut s’agir de fuites et déplacements de grande ampleur survenus en réponse à

des contextes aigus de crises, de violence politique le plus souvent, mais aussi famine et

épidémie, catastrophe ou destruction environnementale, en cas d’intervention coercitive de

l’Etat21

.

En effet, l’analyse de la mobilité forcée nécessite une prise en compte du vécu de deux

groupes de population qui sont considérés directement par ce type de migration. Nous voulons

parler ici des déplacés et des migrants forcés. On remarque que les déplacés ont moins de

contraintes, ont une grande marge de manœuvre, se déplacement, font un mouvement

contrairement aux migrants forcés qui ont plus de pression, n’ont quasiment pas de liberté, ont un

choix très limité lors de leur prise de décision de départ lors la survenance d’une situation de crise

qui nécessite un départ immédiat ; un départ en urgence.

20Lassailly-Jacob V., (1999) les déplacés et réfugiés- la mobilité sous contrainte, p 13

21Ibid. p 27

Page 29: Université Lyon II

29

En effet, « les migrants forcés » fuient la violence menaçant leur sécurité ou bien quittent un

environnement dont les ressources ne sont pas suffisantes pour assurer leur survie22

.

Il est certain que lorsque le migrant est en face d’une situation qui met sa vie en danger, il ne

lui reste qu’une seule et dernière issue : celle de partir dans un lieu sûr afin de sauver sa vie. Cette

situation qui nécessite un départ de toute urgence peut être illustré par cette phrase qui aurait été

prononcée par un éleveur malien fuyant en 1993 la région de Tombouctou pour échapper aux

représailles de l’armée : « Il faut partir, vite. Partir et sauver ce qui peut l’être, emmener nos

bêtes dans cette transhumance forcée et contraire à nos usages. Partir et laisser presque tout, sans

savoir vraiment quand nous reverrons les terres où nous vivions depuis les décennies. Partir,

simplement pour rester en vie » 23

.

Nous pouvons, à partir de cette situation que nous venons de décrire, définir ce que sont des «

migrants forcés ». Ce sont des individus ou groupes d’individus qui sont contraints de quitter

leur espace vital habituel en urgence suite à une situation de crise particulière (guerres,

représailles politiques) pour migrer dans un autre espace vital inconnu afin de sauver leurs vies ;

abandonnant ainsi leurs biens vitaux et leurs attaches habituelles.

Par contre, les « déplacés », quant à eux, regroupent des personnes transférées par des projets

d’infrastructure, regroupées, expulsées ou déportées par décision politique ou encore victimes de

catastrophes d’origine naturelle ou humaine 24

.

22Ibid. p 28

23Rebelle, 1995 . Op. Cit

24Ibid. p 28

Page 30: Université Lyon II

30

De ce fait, on peut retenir que la migration forcée des déplacés demeure temporaire à la

différence de celle des migrants forcés qui peut être temporaire ou définitive. Mais les points de

différence autour de ces deux populations ne s’arrêtent pas uniquement sur cet élément de

temporalité qu’on vient d’évoquer, ils touchent également la notion de l’espace et de la

destination.

En effet, si les déplacés ont un de cadre de vie qui leur est réservé lors de leur séjour en temps

de migration forcée, ce n’est pas le cas pour les migrants forcés qui ignorent tout de leur future

destination et de leur futur espace vital. Ils ont une totale incertitude sur leur vie future, du pays

qui va les accueillir, de leur nouveau territoire. Les migrants forcés quittent généralement leur

territoire national, leur pays d’origine, pour une destination internationale ; ils migrent dans un

pays étranger qui devient leur pays d’accueil, à la différence des déplacés qui se déplacent

souvent uniquement sur le territoire national. C’est la raison pour laquelle les scientifiques les

qualifient souvent de « déplacés internes ».

Ainsi, en considérant la notion de « contrainte » comme élément déclencheur de la migration

forcée ou de migration de refuge, on peut alors affirmer que les déplacés internes sont des

migrants forcés parce que leur pouvoir de décision pour une éventuelle migration repose sur cette

notion de contrainte. Contraints de quitter leur territoire suite à une crise, ces derniers deviennent

des exilés temporaires, donc des migrants forcés. Mais les déplacés internes sont-ils souvent

comptabilisés dans la population des migrants forcés ou encore des migrants de refuge par les

institutions travaillant pour les personnes déplacées25

?

Nous venons de définir la migration « forcée » ou encore de « refuge » à partir du concept de

« contrainte », élément déclencheur de ce mouvement migratoire. En fait, les pouvoirs de

25 Nous reviendrons sur cette problématique lorsque nous aborderons les analyses sur les chartres des Nations-

Unies sur les réfugiés qui tendent à exclure les déplacés internes dans la catégorie des réfugiés, donc des migrants

forcés.

Page 31: Université Lyon II

31

décision de ces migrants reposent sur cette notion clé de contrainte. C’est elle qui donne le déclic

de cette migration dite forcée. Je ne peux quitter mon espace vital d’origine que lorsque j’ai une

contrainte spécifique. Mon déplacement est fonction de l’intensité de cette contrainte. Je ne suis

pas libre dans mes mouvements ; mon déplacement ne dépend pas de ma volonté. En fait, la

notion de « contrainte » est liée à celle de « volonté ». De ce fait, la migration forcée peut être

définie, à la fois, comme une migration « contraignante » ou « involontaire ». Mais peut-on se

baser sur cette notion de « volonté » ou encore de l’adjectif « volontaire » pour distinguer la

migration « forcée » de la migration dite « classique » (économique) ?

Effectivement, la littérature sur les phénomènes migratoires classe souvent les migrants en

deux grandes catégories : d’un côté, les migrants « volontaires » ou « spontanés », de l’autre, les

« migrants involontaires » ou « forcés », un classement qui se fonde sur le pouvoir de décision

des acteurs26

. « Le migrant volontaire » serait essentiellement « un migrant économique » qui

opère rationnement et librement des choix de départ et de retour, alors que le migrant «

involontaire » agirait dans un contexte contraignant qui empêche ou réduit fortement toute

possibilité de choix27

. La migration forcée serait donc une migration « contraignante »,

« involontaire », « spontanée », à la différence de la migration économique qui serait

« volontaire » et « planifiée ». Les notions de « contrainte » ou de « volonté » sur lesquelles on

se base pour distinguer la migration « économique » de la migration « forcée » ne cachent-elles

pas des subjectivités ? Autrement dit, les notions de contrainte ou de volonté ne sont-elles pas

subjectives ? Peut-on déterminer un seuil à partir duquel une migration volontaire devient-elle

une migration involontaire ? Une migration volontaire n’a-t-elle pas trop souvent une similitude

marquée avec la migration dite involontaire ? Les éléments caractéristiques de ces deux types de

migration tels que les motifs de départ ne sont-ils pas souvent similaires et liés les uns aux

autres ?

26 Lassailly-Jacob V., (1999), Migrants malgré eux : Une proposition de typologie, in Déplacés et réfugiés -

mobilité sous contrainte, p 29.

27 Bocco R., 1993 : Op. Cit

Page 32: Université Lyon II

32

Appuyons nous sur des littératures africanistes pour répondre à cette interrogation. En effet,

l’opposition entre aîné /cadet est souvent présentée comme étant à l’origine des migrations

spontanées ou répulsives. Ce type de conflit intervenant entre les jeunes et les vieux à l’intérieur

de certaines sociétés est un facteur de départ en migration 28

. En effet, les aînés ont une grande

influence sur les cadets dans ces sociétés. Lorsque survient une dispute ou une brouille familiale,

les aînés profitent de leur statut et exercent une contrainte sur leurs cadets. Les cadets sont

obligés de quitter les groupes résidentiels afin d’éviter que le conflit ne s’amplifie. Ils partent trop

souvent pour une destination inconnue ; généralement dans d’autres localités pour se salarier29

.

En effet, la migration des cadets dans cette situation, peut être définie à la fois comme une

migration forcée ; une migration involontaire et comme une migration économique, migration

volontaire. En fait, la contrainte se trouve bien à l’origine de ce mouvement de population. En

exerçant un pouvoir sur leurs cadets, les aînés contraignent ces derniers à migrer. Cette migration

forcée au départ devient économique en aval car, les cadets contraints de quitter leur territoire

sont obligés de se salarier au sein de leur nouvel environnement vital afin de survivre. De ce fait,

la migration économique, la migration de travail, c’est-à-dire la migration volontaire devient la

conséquence de la migration forcée, c’est-à-dire celle dite involontaire. La migration involontaire

a donc conditionné la migration volontaire dans ce cas de figure. Ce qui pousse à affirmer qu’il

est difficile de dissocier la migration forcée involontaire de la migration volontaire. Les éléments

qui caractérisent chacune de ces migrations se trouvent souvent être enchevêtrés. En effet, la

migration volontaire demeure souvent implicitement de la migration involontaire car, elle est trop

souvent causée par une contrainte. C’est le cas de la migration économique ou du travail dans les

pays riches ou dans les zones urbaines africaines.

28 Lire Rocheteau (1973) à propos des migrations rurales wolof.

Lire AMSELLE J.-L (dir) (1999)., Aspects et significations du phénomène migratoire en Afrique, in les

migrations africaines, p 16.

29Ibid p 16

Page 33: Université Lyon II

33

La pauvreté qui se situe comme une contrainte pousse généralement les populations pauvres à

quitter les zones rurales pour migrer dans les zones urbaines ou à quitter les pays pauvres pour

migrer dans les pays riches. De ce fait, « le migrant économique » peut être qualifié de « migrant

forcé » puisque les motifs du départ de ces deux populations de leur territoire d’origine reposent

sur un élément similaire qui est « la contrainte ».

Par conséquent, l’inverse est-il vrai ? Autrement dit, en quoi le « migrant forcé » peut-il être

qualifié de « migrant économique » ? En effet, le migrant forcé peut être qualifié de migrant

économique si et seulement si en plus de son motif de départ reposant fondamentalement sur « la

contrainte » se cache un autre motif lié à des raisons économiques. L’analyse des données, via la

question sur les motifs de départ pour la migration, de l’enquête biographique que nous avions

conçue pour cette étude nous permettra d’affirmer si effectivement tous nos enquêtés qui se

disent à la base être des migrants forcés le sont tous dans la réalité.

Eu égard à toutes ces analyses, on peut confirmer que la différence entre la migration

volontaire et la migration involontaire/forcée demeure encore floue dans la littérature

scientifique. Car ces deux types de migration ont souvent une même cause, la contrainte, élément

déclencheur des dites migrations. On ne peut en aucun cas déterminer un seuil à partir duquel on

peut basculer de la migration volontaire à la migration involontaire. La notion du seuil demeure, à

notre sens, très subjective. Par conséquent, la migration volontaire qui s’apparente à un processus

régulateur de contraintes économiques, sociales ou écologiques se différencie malgré tout de la

mobilité forcée qui est en elle-même le symptôme d’une crise profonde 30

.

Si le concept de « migrant forcé » est utilisé du moins couramment par les scientifiques

spécialistes de la problématique de la population déplacée, rares sont les institutions qui utilisent

ce concept. Parler du « migrant forcé », revient à parler du « réfugié » dans l’imaginaire collectif.

Ce qui est totalement vrai. Les institutions onusiennes, les organismes travaillant pour les

30Sauvin-Dugerdil,Preiswerk, 1993 Op. Cit

Page 34: Université Lyon II

34

personnes déplacées ainsi que les médias préfèrent le concept de « réfugié » à celui du « migrant

forcé ». Mais qu’est-ce qui signifie le concept « réfugié » ? Sur quelles bases juridiques se fonde-

t-il ? Comment pouvons-nous évaluer l’évolution de ce concept ? Nous allons répondre à cette

question dans la partie qui va suivre.

2. LA CONTROVERSE AUTOUR DU CONCEPT DE

« REFUGIE ».

Le terme « réfugié » est apparu dans le vocabulaire littéraire et scientifique en France à la fin

du XVIème siècle. Il désignait à l’époque les victimes étrangères de persécutions religieuses

ayant trouvé asile en France 31

. Ce fut la grande période de la persécution des calvinistes

hollandais par les Espagnols 32

. Ce terme va demeurer tributaire de la situation sociopolitique

mondiale tout au long de l’histoire de l’Humanité. En effet, le concept de réfugié a capté

l’attention de l’opinion depuis le XVIème

siècle jusqu’à aujourd’hui et retentira toujours vivement

dans les médias, les magazines, les débats et les recherches scientifiques à chaque fois qu’il y a

un déplacement forcé de population causé par diverses crises. Cependant, l’intensité de la

résonance de ce terme « réfugié » variera d’un pays à un autre. Force est alors de constater que le

concept de « réfugié » résonne davantage dans les pays qui accueillent les victimes de guerre que

dans les pays qui ne sont pas directement concernés par la problématique de l’accueil des

migrants forcés. Ces pays sont le plus souvent muets face à la problématique de la migration de

refuge parce qu’ils ne sont pas touchés de près par celle-ci.

Né dans un contexte européen, le concept de « réfugié » va davantage s’articuler autour des

histoires des crises sociopolitiques européennes du XVIème siècle au XIXème siècle. A cette

période, parler des réfugiés revient à s’intéresser uniquement aux migrants forcés européens,

31 Le Petit Robert., (1978), Paris, Hatier, P. 1641.

32 Zolberg A et Aguayo S, Espace from violence: Conflit and the refugee Crisis in the Developing word.

Page 35: Université Lyon II

35

c’est-à-dire des individus ou des peuples qui ont subi une violence, une persécution de la part

d’autres peuples. En effet, ce concept de « réfugié » était exclusivement européen et n’avait

aucun caractère universel. Comme tout concept, celui-ci va évoluer pour devenir universel.

Trois phases sont donc à prendre en compte dans le processus de l’évolution de ce concept.

Une première phase qui s’étend de la période du XVIème siècle jusqu’à la révolution française33

,

une seconde phase qui démarre à la période de la révolution française jusqu’au XIXème

siècle et

une troisième phase qui s’étend de la période de la première guerre mondiale jusqu’à nos jours.

En effet, la période de la révolution française fut marquée par l’utilisation pour la première fois

de l’expression « réfugié politique », laquelle avait une connotation totalement péjorative et

désignait les « émigrés par le pouvoir »34

. Enfin, une dernière phase qui démarre vers la

première guerre mondiale jusqu’à nos jours où le concept de réfugié va avoir une vraie armature

juridique dans un cadre institutionnel spécifique, devenant ainsi universel. La définition du

réfugié va s’étendre à toutes les situations de la migration forcée en Afrique, en Amérique Latine,

en Asie puisque le phénomène de réfugié est non ethnique, non particulariste et donc universel35

.

C’est vraiment pendant la première guerre mondiale que la problématique des « réfugiés »

commence vraiment à prendre de l’ampleur sur la scène internationale. Et ce fut la question des

minorités qui fut à l’origine de cet éveil de conscience sur la question des réfugiés. Les minorités

ethniques étaient les proies d’autres peuples ou d’autres ethnies partout en Europe à cette époque.

On n’avait aucune considération pour ces minorités. On les traitait avec mépris. On cherchait le

plus souvent à se débarrasser d’elles pour des raisons idéologiques. Ce fut le cas du génocide des

Arméniens par les Turcs en 1915. On extermine pendant une guerre civile tout un peuple pour

des raisons idéologiques. Un grand nombre de ces minorités est contraint de se réfugier dans

d’autres territoires étrangers afin de fuir toutes ces exaltions et ces barbaries.

33Ibid.

34Ibid.

35Agier M., (2002), Aux bords du monde, les réfugiés, Paris, Flammarion, p 13.

Page 36: Université Lyon II

36

L’ampleur du problème des « minorités » en Europe et celui des réfugiés qui s’en suit va

obliger la Ligue des Nations à mettre en place une institution pour s’occuper exclusivement des

« réfugiés européens » 36

. La ligue des Nations nomme donc deux organismes. Le premier

Organisme s’appelle : « Haut Commissariat chargé des problèmes liés aux réfugiés russes en

Europe » : Fridtjof Nansen. Cet organisme a pour mandat de s’occuper exclusivement des

réfugiés russes d’Europe et ne doit pas déroger pour s’occuper des autres réfugiés européens. La

mission de cet organisme est limitée dans le temps ; elle est donc temporaire. Ceci dit, le Haut

Commissariat chargé des problèmes liés aux réfugiés russes en Europe doit être dissout une fois

le problème des réfugiés résolu. Ce fut donc une mission ponctuelle, précise et très encadrée qui

ne devrait pas avoir une autre extension. Car, on était certain de finir avec les problèmes de

réfugiés en Europe à la fin de cette mission. D’où il n’était pas nécessaire de mettre en place une

institution qui va s’occuper définitivement du problème des réfugiés en Europe.

On va vite se rendre compte que la Ligue des nations a eu tort de penser qu’elle allait mettre

fin à la question des réfugiés en Europe sous le seul mandat temporaire du Haut commissariat

chargé des problèmes liés aux réfugiés russes en Europe. En effet, l’Europe continue toujours

d’être secouée par les flux des migrants réfugiés, victimes des régimes fascistes en Italie et

36Après la déclaration de l’armistice du 11 novembre 1918 qui impose le cessez-le feu suite à la première guerre

mondiale, les hommes d’Etat se réunissent à Versailles pour réfléchir sur comment rétablir la paix définitivement

dans le monde ; surtout comment esquisser la paix de demain. Il s’agissait de construire un monde pacifique sans

guerre. Les différends entre les Nations devraient se régler sans les armes, mais uniquement sur des bases et des

consensus pacifiques. Il fallait alors mettre en place une institution susceptible de rassembler les Nations. En effet,

cette institution devrait garantir la paix dans le monde et être le garant du respect des droits de l’homme entre les

peuples. La Ligue des Nations est née après la première guerre mondiale afin de rassembler les Nations, promouvoir

la paix entre les peuples et les nations, garantir les droits humains et inciter les peuples à les respecter. Ce fut le

président des Etats-Unis, Woodrow Wilson qui fut à l’origine de la création de la Ligue des Nations. La conférence

des chefs d’Etat du monde désigna le 28 avril 1919 la ville de Genève comme siège de la ligue des Nations.

Nous nous sommes inspiré des textes du site aidh.org (La promotion et la défense des droits humains, Genève,

ville des droits de l’homme) du 28/04/2011 pour rédiger cette note sur la création de la ligue des Nations.

Page 37: Université Lyon II

37

Espagne et national-socialiste en Allemagne. De ce fait, la Ligue des Nations, à l’issue de son

assemblée générale du 3 octobre 1933, crée un autre organisme qui va s’occuper des réfugiés en

provenance d’Allemagne. Mais rapidement, les deux organismes créés, vont se fusionner et être

sous la direction d’une seule « Commission Intergouvernementale pour les Réfugiés ». Cette

nouvelle organisation va maintenant s’occuper de tous les réfugiés venus de toutes les zones

européennes. Ce fut donc la naissance d’une seule et unique institution capable de traiter de tous

les problèmes de réfugiés à l’intérieur du continent européen.

Il est certain que la naissance d’une institution sur les questions sensibles telles que celles des

réfugiés qui reposent sur des bases juridiques fragmentaires et inexistantes au départ ne peut que

présenter des limites et des fragilités. En effet, la ligue des Nations qui fut à l’initiative de

l’institutionnalisation du problème des réfugiés au niveau européen avait du mal à asseoir son

pouvoir et se trouvait parfois impuissante face à la recrudescence des problèmes des réfugiés en

Europe en cette période. Elle se trouvait par exemple impuissante face à la montée du Nazisme ;

mouvement qui était à l’origine de la mobilité forcée d’un grand nombre d’individus en Europe.

Il demeure important de noter que, la Ligue des Nations demeure, malgré tout, la première

structure qui a eu à prendre en charge et en considération le sort d’une catégorie d’individus

appelés réfugiés. Elle fut la première institution qui eut à défendre ces populations livrées à elles-

mêmes et victimes de la barbarie humaine. Ce fut donc le début de la protection juridique des

réfugiés.

Au fur et à mesure que le temps passe, les crises et la violence s’accentuent également dans le

monde. Les vœux pieux des chefs d’Etat réunis après l’armistice du 19 novembre 1919 pour

construire un monde sans guerre n’ont pas suffi à arrêter la barbarie des hommes. Ces derniers

continuent à s’affronter et à s’entretuer pour des raisons idéologiques dans des luttes fratricides.

Mais la plus importante fut la seconde guerre mondiale dont la conséquence humaine fut

catastrophique. Des nouveaux réfugiés vont surgir suite à cette guerre. Le nombre de ces derniers

va croître dans toute l’Europe. En effet, l’accroissement numérique de ces nouveaux réfugiés va

compliquer le travail de l’Organisation des Nations unies (l’ONU), l’institution qui a remplacé la

Page 38: Université Lyon II

38

Ligue des Nations ou la Société des Nations37

. Elle devint ainsi impuissante face à la montée de

ce phénomène de la migration de refuge puisqu’il lui faut de nouveaux moyens matériels et

juridiques plus solides lui permettant d’être plus efficace dans son exercice. En fait,

l’Organisation des Nations unies n’avait pas suffisamment de moyens pour prendre en charge ces

nouveaux réfugiés et ceux qui n’ont pas été résorbés. Pour ce faire, il fallait soit, renforcer ses

moyens et étendre ses compétences afin qu’elle prenne en charge ces millions de réfugiés issus de

la seconde guerre mondiale, ou créer une autre institution susceptible de protéger et de prendre en

charge ces nouveaux réfugiés. La seconde option va alors être choisie.

Ce fut alors la création de l’Organisation Internationale pour les Réfugiés (OIR). En effet, la

constitution de l’OIR fut votée le 15 décembre 1945 par l’Assemblée des Nations Unies. L’OIR

va commencer son activité proprement dite le 1er

juillet 1947 38

. L’OIR fut crée pour s’occuper

des quelques millions réfugiés non résorbés et des nouveaux réfugiés victimes de la seconde

guerre mondiale. En fait, la mission de L’OIR est similaire à celle de la Ligue des Nations, c’est-

à-dire protéger les réfugiés. Sa mission est temporaire. Il devrait disparaitre à la fin de sa mission

prévue au courant 1951. Il faut noter que ce fut l’OIR qui a mis en place pour la première fois la

procédure de la demande d’assistance. Les réfugiés obtiennent un droit fondamental ; celui

d’adresser une demande d’assistance à l’OIR, laquelle est examinée cas par cas. Ce fut vraiment

une grande innovation en matière du droit des réfugiés39

. En effet, la période de l’existence de

l’OIR fut riche en innovation. En fait, une des autres innovations qui a vu le jour pendant son

existence est celle de la définition universaliste du concept de « réfugié ». La problématique du

« réfugié » devient alors universelle. Le réfugié n’est plus la personne exclusivement européenne,

victime de la violence de la barbarie des autres peuples ou persécutée pour des raisons

idéologiques. Le réfugié peut être palestinien, africain, asiatique, américain. Donc, pourquoi

attacher le concept de réfugié uniquement aux européens, vu que certains peuples du monde

37 L’ONU, l’organisation des Nations Unies fut crée le 26 juin 1945 après la conférence de Francisco. Elle

remplace la Ligue des Nations ou la Société des Nations (SDN).

38Jacobsen P., (1951), l’œuvre de l’Organisation Internationale pour les Réfugiés in population, volume 6.

39Zolberg A et Aguayo S, Space from violence: Conflit and the refugee Crisis in the Developing word.

Page 39: Université Lyon II

39

connaissent les mêmes atrocités, les mêmes violences, les mêmes persécutions, les mêmes sorts

que les peuples européens ?

La situation géopolitique du monde des années 1950 fut marquée par l’extension des guerres

dans le monde 40

. Ce fut par exemple le cas de la guerre israélo-palestinienne dont la

conséquence démographique mérite une attention très particulière. A l’exemple de la guerre

mondiale, le conflit israélo-palestinien occasionna un grand mouvement migratoire. Un grand

nombre d’individus connurent la mobilité forcée pendant la première phase de ce conflit41

. Ils

sont donc des réfugiés par analogie aux réfugiés européens de la période d’entre les deux guerres

d’où, la nécessité d’étendre la question des réfugiés à travers le monde ce qui va nécessairement

poser un problème institutionnel et juridique. En effet, il faut créer une institution dotée d’une

compétence juridique élargie et étendue capable d’asseoir son pouvoir dans tous les pays du

monde dans lesquels se trouvent des personnes réfugiées. En plus d’un éventuel problème

institutionnel, ci-dessus mentionné, peut surgir également un problème d’ordre juridique puisque

comment donner une définition juridique unique et déterminer une caractéristique commune à

tous les réfugiés du monde ? Ces interrogations méritent d’être analysées et élucidées avec

précision.

En effet, le problème institutionnel va vite être résolu. En décembre 1949, une nouvelle

institution des Nations Unies, nommée « le Haut Commissariat des Nations Unies pour les

Réfugiés (HCR) » va remplacer l’OIT 42

. Le HCR va avoir une mission étendue et universelle

sur la problématique de la migration de refuge à la différence de l’OIR dont la mission était

40 Le fait le plus marquant de cette période fut la guerre israélo -palestinien. En effet, le conflit israélo-palestinien

a débuté en Décembre 1947 et s’est étendu jusqu’en 1949. Lire : Pica N., (2008) , 1948 dans l’histographie arabe et

palestinienne, online Encyclopédia of Mass Violence, Paris, Institut de Sciences Politiques.

41Quelques 750.000 à 800.000 palestiniens ont fui leur domicile et sont devenus des réfugiés. Lire Abu lughod,

1971.

42Le HCR a démarré ses activités proprement dites le 14 Décembre 1950. Cette date est souvent considérée

comme la date de la création de cette institution.

Page 40: Université Lyon II

40

exclusivement européenne. Le HCR va alors s’occuper de tous les réfugiés du monde sauf des

réfugiés palestiniens qui, eux, sont pris en charge par un organisme spécifique appelé

« UNRWA » (United Nations Relief and Works Agency) crée en 1948.

Le HCR est chargé en particulier de promouvoir les accords internationaux pour la protection

des réfugiés et d’en surveiller l’application. En fait, aux termes de la convention et du protocole,

les Etats contractants s’engagent à coopérer avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour

les réfugiés dans l’exercice de ses fonctions et en particulier à faciliter sa tâche de surveillance de

l’application des dispositions de ces instruments43

. Le problème des réfugiés doit maintenant être

traité sur un angle institutionnel et juridique à travers des accords entre les Etats du monde. Le

HCR devient un gendarme qui doit surveiller les bonnes applications de ces accords. Mais de

quels accords s’agit-il ? Et sur quelles bases doivent-ils se fonder, vu que le « réfugié » qui doit

être protégé, par ces dits accords, n’est pas encore juridiquement explicitement défini ?

A la suite d’une décision de l’assemblée générale (Résolution 429 (V) du 14 Décembre 1950

de l’Assemblée générale des Nations Unies, une conférence de plénipotentiaires des Nations

Unies s’est tenue à Genève en 1951 en vue d’élaborer une convention régissant le statut juridique

des réfugiés. La convention relative au statut des réfugiés issue des délibérations de cette

conférence a été adoptée le 28 juillet 1951. Elle est entrée en vigueur le 22 avril 1954, avec le

dépôt du sixième instrument de ratification 44

. Il ressort de cette convention des multitudes de

résolutions pour le traitement des réfugiés à travers le monde. Il y eut une consolidation des

précédents instruments internationaux au sujet des réfugiés, à savoir ceux utilisés par l’OIR. Les

droits des réfugiés devinrent plus codifiés et plus complets. Les normes essentielles furent

établies pour le traitement des questions des réfugiés. Les rôles des Etats aussi furent clairement

définis.

43Note introductive du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés in HCR (2007), Convention et

Protocole relatifs au statut des réfugiés, résolutions n° 2198 (XXI) adoptée par l’Assemblée générale des Nations

unies, Genève, Aout 2007, Op. Cit p 7.

44Ibid. p 1.

Page 41: Université Lyon II

41

Ils doivent désormais participer à la mission du HCR, c’est-à-dire accueillir les réfugiés sur leur

territoire, les protéger, les traiter tous sans discrimination et trouver des solutions à leur problème.

Bref, les Etats doivent coopérer avec le HCR et s’impliquer autant que lui à la prise en charge des

réfugiés.

Cette convention qui fut une première internationale donne des premières bases juridiques qui

vont encadrer la problématique de la migration du refuge et finit par donner une définition du

moins juridique au concept de « réfugié ». Le terme de « réfugié » est, selon la convention de

Genève de 1951 : « Toute personne : qui a été considérée comme réfugiée en application des

arrangements du 12 mai 1926 et du 30 juin 1928, ou en application des conventions du 28

octobre 1933 et du 10 février 1938 et du protocole du 14 septembre 1939, ou encore en

application de la constitution de l’organisation internationale pour les réfugiés. Les décisions de

non-éligibilité prises par l’organisation internationale pour les réfugiés pendant la durée de son

mandat ne font pas obstacle à ce que la qualité de réfugié soit accordée à des personnes qui

remplissent les conditions prévues au paragraphe 2 de la présente section, c’est-à-dire : toute

personne qui, par la suite d’évènements survenus avant le 1er

janvier 1951 et craignent avec

raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à

un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la

nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce

pays, ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa

résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de la dite crainte, ne veut

y retourner … »45

.

Voici enfin, une définition élaborée du terme « réfugié». On note que deux concepts sont à la

base de la structuration de cette définition. Il s’agit du concept de crainte et de celui de territoire

45 HCR (2007), Convention et Protocole relatifs au statut des réfugiés, résolutions n° 2198 (XXI) adoptée par

l’Assemblée générale des Nations unies, Genève, Aout 2007, Op. Cit p 16.

Page 42: Université Lyon II

42

désigné par le mot pays au sein de cette définition. Le réfugié est donc un migrant qui a quitté son

pays ou son lieu d’habitation habituelle pour un autre pays parce qu’il craint d’être persécuté. Par

conséquent, on ne peut donc pas être réfugié dans son pays d’origine, ni sur son territoire vital

habituel. Les termes de territoire et de crainte ou encore de persécution deviennent ainsi des

concepts importants sur lesquels on va désormais se baser juridiquement pour déterminer le statut

du réfugié.

On remarque, d’autre part, qu’au lieu de donner une définition universelle du terme

« réfugié », la convention de Genève 1951 s’est contentée de donner une définition qui ne cadre

qu’avec la réalité européenne. Car les mots « évènements survenus avant le 1er

Janvier 1951 »

contenus dans la définition du terme « réfugié » sont implicites et flous. Ces termes peuvent alors

être compris dans le sens de : « Evènements survenus avant 1er

janvier 1951 en Europe » ou soit

par « Evènements survenus avant le 1er

janvier 1951 en Europe ou ailleurs »46

.

A défaut de précision, on peut affirmer que le terme de « Evènements survenus avant le 1er

janvier 1951 » fait bien référence aux évènements survenus en Europe, car ce fut ce continent qui

était davantage touché par le problème des réfugiés à la sortie des deux grandes guerres

mondiales.

En effet, la définition du réfugié donnée par la convention de Genève fut donc très exclusive et

ne cadre que sur la réalité européenne du fait que la majorité des Etats signataires de cette dite

convention étaient européens. En effet, force est de constater que des pays du Tiers Monde furent

46Ibid. p 17.

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43

sous-représentés lors de la signature de cette convention de Genève de 195147

. Aucun Etat

africain noir n’était présent à Genève en 1951 lors de la signature de la Convention sur les

problèmes de « réfugié ». Car la quasi-totalité des pays africains était encore sous la domination

coloniale. De ce fait, on peut alors affirmer que la convention de Genève ne fut qu’une

convention entre les pays occidentaux et la définition du terme « réfugié » qui en ressort ne

concerne que ces derniers. Elle n’est pas universelle comme on l’entend souvent. Mais comment

faire pour étendre la définition de réfugié aux évènements postérieurs à ceux de 1951 ?

Pour répondre à cette question, les Nations Unies vont opter pour un protocole48

. En 1967, les

Nations - Unies adoptèrent un protocole aux termes duquel les évènements survenus après 1951

seraient désormais également pris en compte dans la définition du terme de « réfugié »49

. En fait,

ce protocole est venu clarifier les champs définitionnels du concept « réfugié ». Pour ce faire, on

va étendre pour la première fois le terme « réfugié ». La définition du terme « réfugié » s’étend

désormais à tous les évènements survenus avant et après 1951. La polémique née jadis autour de

temporalité des évènements, c’est-à-dire la prise en compte ou pas des évènements survenus

après 1951 dans la définition du terme « réfugié », va disparaitre.

Mais cet avenant mis en place dans la définition du « réfugié » à travers le protocole de 1967

a-t-il vraiment permis de rendre universelle cette définition ? Comment faire pour adapter la

47Sur les vingt-six Etats représentés lors de la signature de la convention des Nations unies à Genève en 1951 sur

les problèmes des réfugiés, seulement huit (8) viennent d’autres Nations du monde ; soit quelques 30% des Etats

représentés. L’Afrique toute entière fut représentée par qu’un seul Etat : l’Egypte. Source : HCR (2007), Convention

et Protocole relatifs au statut des réfugiés, résolutions n° 2198 (XXI) adoptée par l’Assemblée générale des Nations

unies, HCR, Aout 2007, p 8.

48Un protocole est un terme de droit international public qui est synonyme d’accord et de traité entre Etats et

employé plus spécialement pour désigner un accord qui complète un accord précédent : Source : Lexique des Termes

Juridiques, Paris, Dalloz, 2011.

49Hanne, C., (1998), Réfugiés et pionniers : installation de réfugiés burundais en Tanzanie, Paris, l’Harmattan,

p.11-12.

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44

définition du « réfugié » qui fut à la base exclusivement fondée sur des réalités socio-historiques

européennes aux réalités des autres peuples du monde ? Comment actualiser la définition du

terme « réfugié » ? Autrement dit, doit-on déterminer le statut d’un réfugié installé en Afrique en

1970 sur les bases juridiques de la convention de 1951 et du protocole de 1967 alors qu’elles sont

fondées uniquement sur les réalités européennes ? Les Nations Unies ne doivent-elles pas revoir

sa définition du terme « réfugié » ? Ne doivent-elles pas mettre en place une nouvelle définition

« du réfugié » qui prendrait en compte à la fois les réalités socio-historiques européennes de jadis

et les réalités sociopolitiques et géopolitiques mondiales contemporaines ? On a, ainsi, constaté

que la situation géopolitique mondiale a beaucoup changé depuis la signature de la convention de

Genève de 1951. L’Europe n’est plus confrontée au problème de « réfugiés » comme fut le cas

entre les deux guerres. En effet, c’est désormais l’Afrique subsaharienne qui est davantage

touchée par le phénomène de la migration de refuge. D’où la nécessité d’ériger une définition du

« réfugié » qui puisse prendre en compte les réalités sociopolitiques africaines contemporaines et

celles des autres continents.

L’augmentation progressive du nombre des réfugiés en Afrique au début des années 1960

suite aux différentes crises sociopolitiques qu’a connu le continent à cette époque devenait une

préoccupation pour les Etats africains nouvellement indépendants50

. On dénombrait environ

79.000 réfugiés au sein du continent africain vers les années 1960 51

. Les chefs d’Etat africains

commencent peu à peu à prendre au sérieux ce phénomène de migration de refuge. Il fallait par

conséquent mettre en place des pistes de réflexion sur cette nouvelle problématique et chercher à

court terme des solutions à ce problème des « réfugiés ».

En 1969, quarante et un représentants des Etats membres de l’OUA (l’Organisation de l’Unité

Africaine) s’étaient réunis à Addis-Abeba pour discuter sur le problème des réfugiés qui devenait

50Le cas des réfugiés rwandais, lire le rapport de HCR de l’année 2000.

51Banque mondiale (2007), Atelier international, programme Rural struc, Rapport sur les migrations :

« Migrations internationales – Une option de sortie par défaut ? », Février 2007, p 24.

Page 45: Université Lyon II

45

de plus en plus inquiétant au sein du continent Africain. En effet, la croissance du nombre des

réfugiés devenait un problème sérieux et était à l’origine des sources de conflit entre des Etats

africains. Il fallait donc chercher une solution africaine à ce problème de réfugiés. Tout comme

l’Europe à la sortie des deux guerres, l’Afrique va mettre en place une base juridique permettant

de cadrer le problème de la migration de refuge au sein de son continent.

L’Organisation de l’Unité Africaine promulgua en 1969 une « Convention régissant les

aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique » prenant appui sur les textes des droits de

l’homme, sur les textes de la convention des Nations Unies de Genève de 1951 et sur son

protocole de 1967. La Convention de l’OUA demeure à cet égard un complément à la

Convention des Nations Unies de 1951 et à son protocole de 1967.Par conséquent, l’OUA va

adopter la définition du « réfugié » de la convention des Nations unies de 1951 tout en ajoutant

un alinéa.

Ainsi libellé , le terme de réfugié « s’applique également à toute personne qui, du fait d’une

agression, d’une occupation extérieure, d’une domination étrangère ou des événements troublant

gravement l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine ou du pays dont

elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un

autre endroit à l’extérieur de son pays d’origine ou pays dont elle a la nationalité »52

. Ainsi défini,

le « réfugié » est selon l’OUA, toute personne fuyant son propre pays en raison de troubles

d’origine intérieure ou étrangère. Ceci dit, le statut de réfugié peut désormais être octroyé à une

personne qui, non seulement craint d’être persécutée dans son pays pour diverses raisons, mais

qui est obligée de quitter ce pays parce que celui-ci est occupé par un tiers pays étranger ou en

raison des troubles qui s’y déroulent.

52Hanne, C., (1998), Réfugiés et pionniers : installation de réfugiés burundais en Tanzanie, Paris, l’Harmattan,

p14. Lire aussi le texte original de la convention de l’OUA régissant les aspects propres aux réfugiés p1 à 9, Addis-

Abeba, Ethiopie.

Page 46: Université Lyon II

46

En effet, l’objectif de l’OUA était d’élargir la définition de « réfugié » afin qu’elle englobe

d’autres groupes d’individus dans le contexte africain. Cet objectif est atteint puisque que le Haut

Commissariat des Réfugiés (le HCR) utilise depuis 1969 les textes de la convention de l’OUA

pour traiter les problèmes des réfugiés en Afrique. Ceci dit, le terme de « réfugié » est donc

désormais encadré par trois textes juridiques qui sont : la convention de 1951 et son protocole de

1967 ainsi que la convention de l’OUA de 1969.

Il faut noter, par ailleurs, que le concept de « réfugié » onusien va perdre son sens littéraire et

juridique initial au contact de l’Afrique subsaharienne. Les Africains vont vite donner un autre

usage et un autre sens à ce concept de « réfugié ».

En effet, la montée du phénomène des déplacements internes en Afrique vers les années 1990

va favoriser une multitude de taxinomies autour du concept de « réfugié », certaines issues de la

sphère internationale, d’autres propres aux sphères nationales 53

. Ainsi, par exemple au sein de

l’espace burundais gravitent les termes tels que : « les déplacés », « les dispersés », « les

sinistrés ». Ces termes qui identifient principalement les migrations intérieures s’entrechoquent

avec d’autres termes tels que les « réfugiés », les « rapatriés » qui, à leur tour, identifient des

migrations transfrontalières54

.

En effet, les acteurs africains qui travaillent pour les réfugiés ne veulent pas qu’on leur impose

un « concept » venu de la sphère internationale pour traiter des problèmes concrets des réfugiés

qui se trouvent sur leur territoire. Ceci dit, ils vont utiliser ce concept de « réfugié » tout en le

53 Royer A., (2004), Les déplacements internes au Burundi : la gestion de l’incertitude in A. Guichaoua (dir)

Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et Orientale Op. Cit 269

54Ibid. p 269.

Page 47: Université Lyon II

47

vidant de sa substance et vont produire d’autres concepts sous forme identiques, mais aux

contenus différents répondant à l’histoire nationale, comme ce fut le cas au Burundi55

.

Ainsi, le terme de sinistrés peut être rattaché à celui de dispersés, de réfugiés, de regroupés, de

rapatriés, de retournés56

. « Les sinistrés » est donc un terme à vocation neutre et totalisante qui

englobe toutes les populations en mouvement ou non ayant besoin d’assistance57

. Le concept de

sinistré prend à son compte ainsi dire, celui de réfugié. De ce fait, les termes de déplacés, de

dispersés, de regroupés, de retournés, de sinistrés ou de réfugiés sont utilisés comme des termes

similaires pour désigner toutes les personnes contraintes à la mobilité forcée.

En effet, la multiplication de ces termes autour du concept de « réfugié » cache parfois

d’autres réalités. Il s’agit de la question de concurrence autour de l’assistance aux réfugiés.

En fait, les organisations non gouvernementales nationales africaines qui assistent les réfugiés

affichent parfois une préférence pour un type de population de réfugiés au détriment d’autres. On

remarque trop souvent que cette préférence est d’ordre ethnique58

. Les Hutus et les Tutsis qui

sont tous réfugiés rwandais ne sont pas traités de la même façon lors de leur séjour au sein de leur

pays d’accueil, le Burundi. Certaines organisations burundaises qui préfèrent assister les Hutus au

détriment des Tutsis pour des raisons idéologiques et ethniques ont exclu les Tutsis des champs

de catégories de personnes à assister par les institutions internationales. Pour ce faire, au lieu

d’appeler les Tutsis « des réfugiés » comme les autres « réfugiés », ils vont utiliser des mots

55Ibid.

56Ngayimpenda E., (2000), « les populations sinistrées du Burundi sept ans après, Cahiers démographiques du

Burundi, n° 14, Bujumbura.

57 Royer A., (2004), Les déplacements internes au Burundi : la gestion de l’incertitude in A. Guichaoua (dir)

Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et Orientale Op. Cit p275.

58Ibid. p 274.

Page 48: Université Lyon II

48

moins forts comme « des déplacés » ou « des sinistrés », ou « des infiltrés » minimisant ainsi le

sens de leurs déplacements ou de leurs souffrances afin qu’ils ne soient pas pris en charge par le

HCR.

En fait, certains de ces termes comme « les infiltrés » sont utilisés dans des stratégies

d’identification de l’ennemi59

. On qualifie le « réfugié dangereux » ou « ennemi », « d’infiltré »

afin de le différencier du « vrai réfugié ». Les infiltrés apparaissent dans la plupart des cas

comme des ennemis qui, travestis en victimes, vivent dans un territoire pour le déstabiliser 60

.

Le réfugié, est parfois considéré comme une personne privilégiée au sein de son pays

d’accueil, c’est-à-dire comme une personne qui a la chance de bénéficier des aides des

organisations onusiennes. Un nombre important de pauvres vivant dans les pays d’accueil des

réfugiés aimeraient bénéficier des aides de la part des organisations internationales au même titre

que ces populations réfugiées. Les autochtones envient, ainsi dire, les réfugiés. Ils voudraient être

comme eux. Ne pouvant pas avoir accès à l’assistance des organisations onusiennes, les

autochtones finissent parfois par imposer la violence aux réfugiés présents sur leur territoire ;

comme ce fut le cas entre les réfugiés rwandais et la population de certains villages ougandais en

1982 61

En effet, le concept de réfugié demeure ambigu dans l’imaginaire collectif africain et son sens

dépend de celui qui l’utilise. Il y a une controverse manifeste autour de ce concept puisqu’il

demeure un terme dont la définition divise à la fois les institutions et les individus.

59 Bazenguissa-Ganda R., (2004), les figures du migrant forcé au Congo –Brazzaville in A. Guichaoua (dir)

Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et Orientale, Paris, Karthala, OP.cit p247.

60 Ibid. p. 262.

61Bakwesegha C.J., (1994), Forced Migration in Africa and the OAU Convention ¸in: Adelman H., and Sorenson

J., (édité par), African Refugees: development Aid and Repatriation, North York, York Lane Press.

Page 49: Université Lyon II

49

On remarque que la définition du « réfugié » donnée par les Nations unies (La convention de

1951 et son protocole de 1967) ne prend en compte que le réfugié « isolé ». En fait, cette

définition est uniquement axée sur le réfugié considéré comme « individu ». L’instrument

juridique mis en place par les Nations Unies pour définir les réfugiés à travers cette convention

de 1951 et le protocole de 1967 relève d’une approche beaucoup plus « individualiste » et exclut

les situations de groupe62

, à la différence de la définition de l’OUA qui présente une qualité celle

qui est d’intégrer la notion de « groupe »63

.

En effet, le phénomène de la migration de groupe ne doit pas être marginalisé, vu qu’il se

développe de plus en plus dans le monde. C’est le cas des migrations forcées en Afrique

subsaharienne où les populations toutes entières se déplacent pour aller se réfugier dans une autre

localité à l’intérieur de leur pays suite à l’invasion de leur territoire par des armées rebelles ou

suite à des catastrophes naturelles64

. En effet, ces groupes individus se déplacent souvent à

l’intérieur de leur pays sans passer les frontières. On appelle généralement ces individus qui sont

contraints à la migration sous contrainte à l’intérieur de leur propre pays des « déplacés

internes ».

Se pose alors la question du statut juridique de ces déplacés internes, c’est-à-dire de ces

victimes des troubles socio-politiques ou des catastrophes naturelles qui ne traverseront jamais la

frontière pour aller trouver refuge ailleurs. Les Nations Unies peuvent-elles quitter le domaine du

« droit individuel » qui encadre actuellement la définition du « réfugié » et prendre en compte le

62 Carlier J.Y ., (2001), « Et Genève sera … la définition du réfugié : bilan et perspectives », in Chetail V., et

Flauss, la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés 50 ans après : Bilan et

perspectives, Bruxelles, Editions Bruylant, p 81.

63 Ibid. p 23-24.

64 Guichaoua A., (dir) (2004), Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et Orientale, Paris, Karthala.

Page 50: Université Lyon II

50

« droit collectif » afin de définir le « réfugié ». Autrement dit, les Nations-Unies ne doivent-

elles pas mettre en place un texte juridique différent de celui de la convention de 1951 et de son

protocole de 1967 permettant d’encadrer la migration de refuge « de groupe » ? Par exemple,

déclarer collectivement « réfugiés » un groupe d’individus qui est victime d’une même

persécution au lieu de statuer sur du cas par cas. Comment les Nations - Unies traitent-elles

aujourd’hui les réfugiés non classiques, c’est-à-dire ceux qui ne rentrent pas dans la définition de

la convention de 1951 et de son protocole de 1967 ? La définition du concept « réfugié » ne doit-

elle pas être étendue afin d’assister ou de secourir d’autres catégories d’individus dits « migrants

forcés » comme les déplacés internes ? Telles sont les interrogations qui vont nous préoccuper

dans la partie qui va suivre. Mais présentons d’abord un tableau récapitulatif des dates les plus

marquantes de l’évolution du terme « refugié » avant de répondre aux questions qu’on vient de

se poser.

Tableau 1.1 : Repères sur la migration de refuge dans le monde et en Afrique.

1685 Utilisation pour la première fois du terme « réfugié » pour désigner les protestants Huguenots

fuyant la France catholique.

1950-1951 Etablissement du Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés. (HCR)

1951 L’adoption de la Convention relative au statut des Réfugiés.

1967 Protocole des Nations unies complétant la Convention de 1951.

1969 Convention de l’OUA relative aux aspects relatifs au problème des réfugiés en Afrique.

2 Juin 1974 Entrée en vigueur de la Convention de l’OUA sur les Réfugiés.

12 Avril 1980 Adoption de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des peuples à Nairobi au Kenya.

Septembre

1990

Déclaration de Khartoum sur la crise des Réfugiés en Afrique.

Sources: HCR, Institut Panos et Courrier International (Dossier les réfugiés n° 450, juin 1999).

Page 51: Université Lyon II

51

3. DOIT-ON ETENDRE LE CONCEPT DE « REFUGIE » ?

Le Monde compte désormais de nouveaux migrants forcés dont le nombre croît d’une manière

exponentielle depuis quelques décennies. Parler de nouveaux migrants forcés, revient parler des

déplacés internes.

On dénombre environ 26 millions de déplacés internes dans le monde en 2008 et ce nombre

est en constante augmentation. Les déplacés internes représentent environ 62% de migrants

forcés dans le monde en 200865

. Ils sont actuellement plus nombreux que les réfugiés classiques

qui étaient au nombre de 10 millions et demi en 2008 66

. Par exemple, parmi les 141 660

personnes assistées par le HCR en République Centrafricaine en 2011, on dénombre 115 000

déplacés internes, soit environ 81,18% de la population totale des personnes assistées par le HCR.

En fait, les réfugiés ne représentent qu’une petite proportion de la population assistée par le HCR

en République Centrafricaine, soit un peu moins de 18, 82% de personnes assistées par cet

organisme. Force est de constater que le nombre des déplacés internes est en nette augmentation

numérique dans un grand nombre de pays d’Afrique Subsaharienne ces dernières années.

L’ampleur des statistiques qu’on vient de présenter doit pousser à la réflexion. Qui sont

vraiment ces nouveaux migrants forcés ? Quelles sont les institutions chargées de les assister ou

les prendre en charge ? Possèdent-ils un statut juridique particulier ou sont-ils couverts par les

textes juridiques de la convention de Genève de 1951 et de son protocole de 1967 définissant le

statut juridique du réfugié ? Sont-ils traités de la même manière que les autres réfugiés par les

Hauts Commissariats des Nations - Unies pour les réfugiés ? Telles sont les questions auxquelles

on va chercher des réponses au sein de cette partie d’étude.

65UNHCR, Statistical yearbook 2008, Juin 2009.

66 Ibid.

Page 52: Université Lyon II

52

Par définition, les déplacés internes sont des personnes qui sont contraintes de fuir leur lieu

d’habitation habituel pour se réfugier dans une localité sereine à l’intérieur de leur pays suite à

une situation de crise politique ou d’une catastrophe naturelle. N’ayant pas quitté le territoire

national, ils ne peuvent se prévaloir au statut de réfugié proprement dit selon les conventions

onusiennes. De ce fait, ils n’ont pas de statut juridique particulier comme les autres réfugiés

classiques même si leurs conditions d’existences demeurent semblables à ces derniers. Ils

demeurent citoyens à part entière de leur nation tout au long de leur vie migratoire forcée. Par

conséquent, ils doivent en principe être protégés et assistés par les autorités de leur pays au même

titre que leurs concitoyens.

Que dit alors la convention de Genève sur les déplacés internes ? Selon l’article A de la

convention de Genève : « Le réfugié est celui qui craint d’être persécuté du fait de sa race, de sa

religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions

politiques »67

. On constate que la définition de la convention Genève ne prend pas en compte la

notion du réfugié environnemental ni celle du déplacé interne. C’est une définition qui a une

vision exclusivement individualiste. Elle ne parle que de l’individu alors que la notion de la

migration environnementale fait référence à la notion de groupe. Comme nous avions dit plus

haut, la définition onusienne de 1951 et son protocole de 1967 est une définition du droit

individuel qui exclut toute notion du droit collectif ; laquelle devrait encadrer les phénomènes tels

que la migration environnementale ou encore le phénomène de déplacement interne.

Les concepts de territoire et de frontière demeurent fondamentaux dans le texte de la

convention de Genève de 1951 et son protocole de 1967. On est réfugié, si et seulement si, on est

hors de son pays d’origine ; c’est-à-dire à l’étranger alors que la plupart des cas, on est réfugié

dans son propre pays. C’est notamment le cas des réfugiés écologiques et des déplacés internes.

67HCR (1951), Convention de Genève relative à la définition du statut du réfugié, Nations unies, juillet 1951.

Page 53: Université Lyon II

53

En insistant sur la notion de frontière, les Nations Unies définissent implicitement la migration

de refuge comme une migration « préparée ». En effet, il est difficile de quitter son pays pour

aller dans un autre sans avoir un petit de temps préparation. Or, le propre de la migration de

refuge, c’est d’être une migration « spontanée ». C’est le cas notamment de la migration

écologique. Les victimes d’un tremblement de terre, surpris généralement par la survenance de la

catastrophe naturelle dont ils sont victimes, n’ont pas souvent le temps de se préparer pour aller

plus loin à l’étranger pour se déclarer « réfugiés ». Ceci dit, ils sont contraints de se déplacer à

l’intérieur de leur pays en attendant le rétablissement de la situation au sein de leur lieu de vie

habituel.

De ce fait, selon le texte de la convention de Genève de 1951, ainsi que son protocole de 1967,

un réfugié écologique ou un déplacé interne n’est pas un réfugié proprement dit.

S’agissant du texte de la convention de l’OUA de 1969, force est de constater qu’il intègre

implicitement la notion de réfugiés écologiques ou des déplacés internes en son sein. Rappelons

que l’OUA définit le réfugié comme « Toute personne qui a été victime d’une agression, d’une

occupation extérieure, d’une domination étrangère ou d’évènements troublant particulièrement

l’ordre public dans une partie ou une totalité de son pays d’origine ou du pays dont elle a la

nationalité… »68

En effet, la notion d’ordre public renvoie aux notions de sécurité (troublée en

cas de catastrophe grave, de troubles politiques internes) et salubrités publiques (inondations,

sécheresse, séismes, tornades, éruptions volcaniques …)69

. La convention de l’OUA a bel et bien

pris en compte, mais d’une manière implicite, la notion du réfugié écologique et de moindre

mesure de celle de déplacé interne dans l’extension de sa définition du terme de « réfugié ».

Cependant, il demeure difficile d’appliquer ces notions tirées implicitement de la Convention de

68Convention de L’OUA de 1969, Addis-Abeba, 1969, Op. Cit.

69 Gamito P., (2011), la notion de refuge écologique in Droit international de l’environnement : « Le statut

international des personnes victimes de catastrophes naturelles : être ou ne pas être un réfugié », Université libre de

Bruxelles, Op Cit p7.

Page 54: Université Lyon II

54

l’OUA, vu que cette dite convention est intimement liée à celle des Nations unies qui préfère

davantage des notions de persécution et de crainte70

.

A défaut des textes juridiques explicites, peut-on assister efficacement les déplacés internes en

ce moment où les conflits internes, les guerres civiles et les catastrophes naturelles demeurent les

raisons principales des migrations forcées surtout en Afrique subsaharienne ?

En effet, le HCR est obligé d’assister ces personnes vulnérables, ces nouveaux migrants qu’on

appelle communément les déplacés internes, et ce, malgré l’absence des textes juridiques qui

encadrent ces nouveaux phénomènes migratoires. Juridiquement, le HCR ne devrait pas prendre

en charge ces personnes, vu qu’elles ne relèvent pas de son mandat. Mais compte tenu de la

souffrance et de la précarité de la situation de ces personnes, le HCR a dû user de ses bons offices

à l’égard de ces dernières.71

Le HCR va ainsi reconnaître implicitement ces réfugiés internes ou

ces réfugiés victimes de catastrophe naturelle. En fait, le simple désengagement du HCR à

l’égard de ces personnes peut avoir des conséquences humanitaires internationales désastreuses

du fait que ces nouveaux réfugiés sont issus généralement des pays pauvres comme ceux

d’Afrique noire dont les Etats ont d’énormes difficultés financières. Le HCR est obligé de

coopérer avec ces Etats dans la prise en charge des personnes déplacées à l’intérieur de leur

propre pays.

On note alors que l’approche initiale du HCR, centrée sur les réfugiés au sens strict de la

convention onusienne a largement évolué depuis 1990 vers une approche beaucoup plus

holistique72

. Le mandat du HCR est, ainsi dit, étendu implicitement à d’autres groupes

vulnérables. Malgré l’effort déployé pour étendre son champ d’action à d’autres groupes

vulnérables , le HCR devrait étendre explicitement la définition terme « réfugié » à d’autres

70Ibid p 7.

71Académie de droit international de la Have., (1979).

72CRISP, 1999 :

Page 55: Université Lyon II

55

nouveaux réfugiés tels que les déplacés internes, les réfugiés écologiques et les victimes de

catastrophes naturelles afin de lever les flous juridiques qui planent sur le concept de « réfugié »

et de placer ces nouveaux réfugiés au même pied d’égalité que les « réfugiés » définis selon les

conventions de Genève et de l’OUA tout en respectant les principes d’ingérence qui régissent

chaque Etat.

Page 56: Université Lyon II

56

CHAPITRE 2 : L’HISTOIRE DE LA MIGRATION

DE REFUGE EN AFRIQUE CENTRALE AU XXEME

ET XXIEME SIECLE.

1. LA MIGRATION FORCEE EN AFRIQUE CENTRALE

PENDANT LA PERIODE COLONIALE. (DE 1900 A 1945).

Dans le cadre de l’expansion du capitalisme industriel européen, l’Afrique est encore au

premier rang des stratégies des gouvernements de l’Europe du XIXème siècle73

. Une stratégie

fondée exclusivement sur les intérêts économiques, mais avec un volet politique plus ou moins

voilé. Il y eut rapidement l’installation de l’économie coloniale au sein de ce nouveau continent,

laquelle se manifeste par l’appropriation des terres, l’extraction minière et le travail74

. En effet,

pour développer cette stratégie économique, les colons nouvellement installés ont besoin de la

force du travail des autochtones, c’est-à-dire de celle des travailleurs africains.

Les colons avaient grandement besoin de la main d’œuvre africaine pour développer leurs

exploitations agricoles et minières dont les rendements devaient servir en partie à la métropole.

Pour ce faire, ces derniers vont utiliser les travailleurs africains dans presque tous les secteurs

économiques de l’époque. L’Economie coloniale était organisée selon les spécialités régionales et

73 Gregory J., (1988), Migrations et urbanisation in Tabutin D., (dir), population et sociétés en Afrique au sud du

Sahara, Paris, l’Harmattan, op .cit p 371.

74 Coquery-Vidrovitch C., (1972) ; Suret – Canale J., (1964)

Page 57: Université Lyon II

57

se présentait de la manière suivante : la production de l’économie de traite était assurée

exclusivement par les cultivateurs africains en Afrique occidentale française et britannique et

l’économie des compagnies concessionnaires va se développer davantage en Afrique centrale

belge et francophone75

.

Le découpage économique et politique des territoires africains subsahariens va être accentué

pendant la colonisation et plus en encore dans la période qui suit les indépendances76

. Il faut

noter que le découpage des territoires et les tracés des frontières entre les Etats étaient effectués

d’une manière arbitraire sans prendre en compte les dimensions ethniques et tribales. Ce qui fait

que ces frontières vont séparer les peuples appartenant aux mêmes groupes tribaux ou

ethniques77

. Les tracés de ces frontières seront plus tard à l’origine de beaucoup de problèmes

sociopolitiques et notamment ceux du mouvement de populations à l’intérieur du continent. Nous

y reviendrons lorsque nous aborderons la problématique de la migration de refuge en Afrique

pendant la période contemporaine.

Les colons, pour atteindre leurs objectifs économiques, mettaient en place une stratégie fondée

totalement sur la répartition des territoires. Ils consacraient une grande partie des territoires qu’ils

occupaient à l’exploitation des ressources naturelles (mines, forêt…), aux cultures de rente (café,

cacao, coton) et à l’exploitation de la force de travail78

. De ce fait, d’immenses territoires, par

exemple, de l’Afrique Centrale dont les terres étaient favorables aux cultures furent concédés aux

75M’Bokolo E., (1980), l’Afrique au XXème siècle. Le continent convoité, Montréal, Editions Etudes vivantes,

p43. A noter que cette classification des secteurs économiques selon les régions d’Afrique pendant la période

coloniale est faite par les historiens britanniques Roland Olivier et Anthony Atmore.

76Quesnel A., (1988), les politiques gouvernementales de migration ou de répartition de population in Tabutin D.,

(dir), Population et sociétés en Afrique au sud du Sahara , Paris, l’Harmattan, p 401.

77Banque mondiale., (2007) , Atelier international, programme Rural struc, Rapport sur les migrations :

« Migrations internationales – Une option de sortie par défaut ? », Février 2007, p. 23

78 Quesnel A., (1988), les politiques gouvernementales de migration ou de répartition de population in D. Tabutin

(dir), Population et sociétés en Afrique au sud du Sahara , Paris, l’Harmattan, p 401.

Page 58: Université Lyon II

58

grandes compagnies de la métropole pour l’exploitation de caoutchouc et de l’ivoire 79

comme ce

fut le cas en Congo Belge, la République Démocratique du Congo actuelle, vers les années 1910.

L’Union minière du haut Katanga (UMHK), qui était fondée par la Société Générale de Belgique,

eut pour mission d’exploiter les mines de la riche région du Katanga.

En fait, l’Etat colonial présent au Congo Belge n’avait pas laissé les grandes firmes privées

occidentales exploiter toutes seules l’ensemble du territoire immensément riche du Congo Belge

de l’époque. Il s’était également grandement investi dans l’exploitation des mines et possédait

aussi ses propres sociétés qui exploitaient les mines d’or de Kilo-Moto dans la même logique

commerciale et économique que les autres grandes firmes privées 80

. En effet, si les colons

présents au Congo belge avaient donné de l’importance à l’exploitation des mines, ce ne fut pas

le cas pour d’autres colons présents en Afrique centrale à la même période. Par exemple, les

colons allemands présents au Cameroun vont davantage privilégier l’agriculture. Pour ce faire, ils

eurent à développer la culture du cacao, les plantations d’hévéas et de palmiers à huile et en y

acclimatant la variété de bananes « gros Michel », importée d’Amérique centrale81

. En effet, à la

différence des terres congolaises, les terres camerounaises étaient plutôt favorables à

l’agriculture.

Afin de réussir leurs objectifs économiques, les colons doivent compter sur une main d’œuvre

africaine disponible et mobile. Cette main d’ouvre devait être numériquement importante dans les

zones d’exploitation minière et agricole ; surtout les zones qui possèdent un potentiel climatique

favorable au développement des cultures commerciales. Ce fut le cas des terres de l’Afrique

Centrale82

. Pour ce faire, ces colons vont contraindre les populations des régions sahéliennes

79 M’Bokolo E., (1980), l’Afrique au XXème siècle. Le continent convoité, Montréal, Editions Etudes vivantes,

p41.

80 Ibid. p39.

81Ibid. p 141

82 (Mbokolo E., 1986).

Page 59: Université Lyon II

59

arides et pauvres à migrer dans les zones tropicales humides, riches, lesquelles sont susceptibles

de favoriser le développement des cultures de rente. De ce fait, bon nombre de personnes vont

délaisser leur territoire habituel pour se concentrer dans les régions tropicales, laissant ainsi les

zones sahéliennes, moins fertiles, désertes.

En effet, cette politique de la répartition de la population axée sur les intérêts exclusivement

économiques était fonctionnelle dans toute l’Afrique subsaharienne. Par exemple, pour

développer des économies dites concessionnaires en Afrique Centrale, les colons ont dû déplacer

de la main d’œuvre humaine des zones arides aux régions plus humides. Mais quel fut alors les

conséquences d’une telle politique de répartition de population ?

En organisant donc les déplacements de la force de travail, donc des individus, d’une zone à

une autre, selon les besoins de la localisation de la production des biens d’exportation, la

puissance coloniale réalise alors une politique migratoire au sens strict du terme marquée par

deux réalités 83

. La première est que les aires d’exploitation des ressources naturelles et les

régions côtières se voient privilégiées en matière d’infrastructures routières, sanitaires,

scolaires… . Par contre, les autres régions marquées par une pauvreté en ressources naturelles et

en infrastructure sont contraintes d’envoyer leur population au sein des aires d’exploitation riches

en infrastructures. Ceci dit, ces régions privilégiées et riches reçoivent les flux migratoires en

provenance de ces régions défavorisées et connaissent un accroissement démographique plus

rapide que les autres régions.

Outre cette conséquence qu’on vient de décrire, force est de constater que ce mouvement de

population décrit à travers cette précédente analyse possède bien la caractéristique d’une

migration forcée. Effectivement, ce besoin manifeste de la main d’œuvre pour l’exploitation des

83Quesnel A., (1988), les politiques gouvernementales de migration ou de répartition de population in Tabutin

D., (dir), Population et sociétés en Afrique au sud du Sahara , Paris, l’Harmattan, p 402.

Page 60: Université Lyon II

60

ressources minières et agricoles fut bien à l’origine de la migration forcée en Afrique

subsaharienne en général et en Afrique centrale en particulier pendant la période coloniale 84

.

En effet, cette migration était fondée sur une contrainte, une domination et une persécution de

la part des colons. A noter que les régimes coloniaux instaurés en Afrique centrale à cette période

furent caractérisés par une excessive domination et une grande oppression de la part du colon85

.

Cette migration n’était pas volontaire puisque les travailleurs africains n’étaient pas libres de

leurs mouvements. Les motifs de déplacement de ces travailleurs africains étaient bien fondés sur

la crainte et la persécution de la part de leurs envahisseurs, les colons. Il faut noter qu’une partie

non négligeable des mouvements migratoires africains, entre 1890 et 1945, ont requis la force et

ont souvent entraîné violences et révoltes 86

.

En effet, ces migrations forcées de la période coloniale furent surtout des migrations

temporaires pour le transport de marchandises, la construction de chemin de fer et de routes ou de

défrichement de terres. Cette migration forcée était exclusivement masculine. La migration

féminine en Afrique subsaharienne est très récente. C’est seulement vers les années 1960 que le

nombre des femmes va commencer à croitre dans la population des migrants en Afrique

subsaharienne 87

. Les colons avaient davantage besoin des hommes valides et forts pour travailler

dans les exploitations agricoles, sur les chantiers d’extraction minière et sur ceux de chemin de

fer et de construction de routes.

Il faut noter, par ailleurs, que cette migration forcée va davantage s’intensifier pendant les

deux grandes guerres mondiales du fait du recrutement d’un grand nombre de jeunes africains

84Banque mondiale (2007), Atelier international, programme Rural struc, Rapport sur les migrations :

« Migrations internationales – Une option de sortie par défaut ? », Février 2007, p. 23.

86

Asiwaju A.I, 1976.

87 Ibid p 24.

Page 61: Université Lyon II

61

dans les armées françaises et britanniques pour aller combattre au front. En fait, la conséquence

de cette guerre fut dramatique pour le continent africain en général et pour l’Afrique centrale en

particulier du fait de la disparation d’un grand nombre des jeunes de ce continent.

Eu égard aux précédentes analyses, force est de constater qu’à l’instar des migrations forcées

des périodes précoloniales, c’est-à-dire la migration forcée des esclaves, les migrations forcées

causées par les conflits familiaux et les migrations forcées de la période d’expansion de l’Islam

en Afrique Centrale, notamment en République Centrafricaine et au Tchad88

, l’Afrique coloniale

fut effectivement marquée par le phénomène de la migration forcée même si celui-ci n’a pas eu la

même résonance dans le domaine de la recherche en Sciences Sociales que celui de la période

esclavagiste. Ce furent les colons qui ont bel et bien introduit ce nouveau type de migration de

contrainte en Afrique subsaharienne pour des raisons qu’on a longuement développées dans les

précédentes parties de cette étude ; c’est-à-dire celles liées à l’Economie et à la Politique89

.

En effet, la politique de la conquête militaire, du maillage des territoires et de la création des

frontières étatiques mises en place par les colons ont provoqué des déplacements d’un grand

88En effet, il y eut des déplacements forcés de quelques ethnies centrafricaines et tchadiennes telles que les Sara

du sud du Tchad et les Banda et le Manza de l’actuelle République Centrafricaine du XIXème jusqu’ au début du

XXème suite aux razzias des musulmans venus implanter l’Islam avec une violence inouïe. La conséquence

démographique de ces razzias fut très prononcée même jusqu’aujourd’hui en République Centrafricaine. Car le faible

peuplement de certaines régions du Nord de la République Centrafricaine d’aujourd’hui s’explique par ce

phénomène des razzias qui a été à l’origine de la fuite d’un grand nombre de villageois de cette région du nord. Lire

à ce sujet Cordell, D.D ; « Des réfugiés dans l’Afrique précoloniale ? L’exemple de la Centrafrique 1850-1910 in

Politique africaine, n° 85, Mars 2002 ; Lire aussi Chevalier A.,(1907), Mission Chari –lac Tchad, 1902-1904.

L’Afrique Centrale française. Récit de voyage de la mission, Augustin Challamel, 1907 ; Lire aussi Prins P., « Les

troglodytes du Dar Banda et du Djebel Mela », bulletin de géographie historique et descriptive, 1909 ; lire aussi

Magnat J-P., (1986), la Terre sera, terre tchadienne, Paris, l’Harmattan. ; lire aussi Kalck P.,(1970) , « histoire de

la République centrafricaine, des origines à nos jours », thèse de doctorat, université Paris-Sorbonne, vol 1.

89 Pérouse de Montclos M.A (2002), Réfugiés : des stratégies de fuite dans la longue durée in Politique africaine, n°

85, Mars 2002, p 9.

Page 62: Université Lyon II

62

nombre d’individus sur tout le territoire d’Afrique subsaharienne pendant la période coloniale90

.

Les individus étaient, parfois, obligés de fuir les lieux de corvée et des « travaux dits d’utilité

collective » instaurés pour le non paiement des impôts pour se réfugier dans les zones

susceptibles d’être exemptes des corvées 91

. Ces populations ne voulaient pas vraiment quitter la

terre de leurs ancêtres pour aller dans un autre endroit puisqu’ils y étaient très attachés92

. Les

colons étaient obligés d’utiliser la force pour contraindre ces populations à quitter la terre de leurs

ancêtres pour une destination inconnue. Selon Makwala, le nombre de travailleurs recrutés et

déplacés de force en République Démocratique du Congo était de l’ordre de 47 000 à 125 000 de

1917 à 1920 et atteignait le nombre de 278 104 en 192493

.

Il est à noter que, hormis les déplacés forcés imposés par les colons, le développement de

certains mouvements religieux en Afrique Centrale pendant la période de la colonisation a

occasionné la migration forcée d’une grande intensité. Ce fut le cas du mouvement de Simon

Kimbangu en République Démocratique du Congo. Ses disciples étaient contraints de fuir la

province du Bas-Congo pour se réfugier dans d’autres provinces telles que l’Equateur, le

Bandundu, le Kassaï et le Katanga du fait de la répression dont leurs chefs religieux et leur

mouvement faisaient l’objet94

. Cette migration forcée pendant la période coloniale n’est pas un

cas isolé car les conflits interethniques ont aussi occasionné le déplacement des milliers de

personnes pendant la période coloniale en Afrique Centrale. Ce fut le cas du conflit entre les

Luba et les Lulua en République Démocratique du Congo95

.

90Ibid.

91Ibid.

92 LUTUTALA M., (2007), Les migrations en Afrique Centrale : Caractéristiques, enjeux et rôles dans

l’intégration et le développement des pays de la région, Université de Kinshasa, p8-10.

93 Makwala cité par Lututala in LUTUTALA M., (2007), Les migrations en Afrique Centrale : Caractéristiques,

enjeux et rôles dans l’intégration et le développement des pays de la région, Université de Kinshasa, p8-9.

94 Ibid.

95 Ibid.

Page 63: Université Lyon II

63

Mais ce qu’on peut retenir, c’est que les profils sociodémographiques des migrants forcés de

la période coloniale se distinguent nettement de ceux de la période postcoloniale (la période de la

décolonisation et celle plus contemporaine), ce qui est totalement logique, vu la différence des

contextes sociohistoriques.

Si les migrants forcés de la période coloniale sont en majorité des hommes et par analogie des

migrants de travail, ce n’est pas le cas pour ceux de la période postcoloniale. En effet, on va

assister progressivement à une féminisation de la migration dite de « refuge » en Afrique

subsaharienne à partir des années 1960. De ce fait, le nombre des femmes va progressivement

croître dans la population des migrants forcés en Afrique centrale à partir de cette période. Nous

reviendrons sur ces aspects lorsque nous allons aborder la problématique sur la migration forcée

ou encore de refuge pendant la période contemporaine.

Mais avant de nous projeter dans l’avenir pour parler des migrations forcées de la période

contemporaine, c’est-à-dire de celles de 1960 à nos jours, intéressons nous d’abord à la période

qui a suivi de près la période coloniale, c’est-à-dire la période de la décolonisation (1945-1960).

Quelle était la nature de la migration forcée en Afrique Centrale pendant la période de la

décolonisation ? Quelle était la cause de ce phénomène migratoire ? Quelle était la conséquence

démographique de cette migration forcée ? Quels étaient les profils sociodémographiques des

migrants forcés de cette période ? En quoi se distinguent-ils de ceux de la période coloniale et de

la période contemporaine ? Telles sont les interrogations qui vont nous préoccuper dans la partie

qui va suivre et que nous avons baptisée « La migration forcée en Afrique Centrale pendant la

période de la décolonisation : de 1945 à 1960 ».

Page 64: Université Lyon II

64

Tableau 2.1 : Les éléments caractéristiques de la migration forcée en Afrique Centrale pendant la

période Coloniale.

Migration causée par les colons pour des raisons polico-économiques

Migration qui fut très prononcée pendant la période allant du XIXème et jusqu’à la moitié du XXème siècle (Année

1945)*

Migration exclusivement temporaire

Migration analogue à une migration de travail et/ou économique

Migration à dominance masculine

Migration dont la conséquence démographique se traduit par une forte concentration des hommes dans les régions à

potentiel économique et climatique au détriment d’autres régions.

*Nous nous sommes intéressés qu’à la période allant de 1900 à 1945 dans cette partie d’étude.

Page 65: Université Lyon II

65

2. LA MIGRATION FORCEE EN AFRIQUE CENTRALE

PENDANT LA PERIODE DE LA DECOLONISATION : DE 1945 A

1960.

La décolonisation peut s’entendre au sens large comme l’ensemble des réponses

contestataires de l’ordre colonial, ou au sens étroit comme la phase ultime de ce mouvement,

celle de sa liquidation96

. En effet, ce mouvement est très complexe car il résulte de multitudes de

causes qui sont entre autres d’ordre conjoncturelles, internes et internationales, économiques et

politiques que nous essaierons de décrire au sein de cette étude.

Mais avant tout, présentons les éléments qui sont à l’origine du déclin de ce colonialisme

triomphant et impérial qui a dominé l’Afrique toute entière et l’Afrique centrale en particulier

pendant des décennies au prix de guerres épuisantes et meurtrières.

Le déclin de l’impérialisme colonial trouve sa principale explication au sein même de sa

propre structure. En fait, par ses succès comme par ses échecs, c’est-à-dire ses contradictions,

l’impérialisme colonial a levé des forces qui devrait tôt ou tard se retourner contre lui 97

.

96 Droz B., (2006), Histoire de la décolonisation au XXème siècle, l’univers historique, seuil, Op Cit. p 8.

97 Nouschi A., (2005), Les Armes retournées . Colonisation et décolonisation françaises, Paris, Belin,Op.Cit.

Page 66: Université Lyon II

66

Il demeure important de noter que, malgré ses abus, les colons, représentants de l’impérialisme

colonial, ont quand même grandement contribué au développement social des territoires conquis.

Il y eut, par exemple, la révolution sanitaire dans tous les territoires colonisés, laquelle a été

génératrice de l’explosion démographique de cette époque. Les colons ont, d’autre part, favorisé

la promotion d’une élite dite « indigène » par le biais de l’instruction transmise par des

institutions scolaires qu’ils avaient mises en place dans les territoires africains colonisés et en

Afrique Centrale en particulier. Ces indigènes instruits demeurent des privilégiés aux yeux des

colons, mais également aux yeux des leurs du fait de leur accession au savoir.

En effet, le développement social qui résulte de l’initiative des colons à travers leurs divers

projets de la promotion de la santé et de l’instruction au sein des territoires colonisés va créer une

valeur ajoutée aux colonisés, laquelle sera utilisée plus tard par ces derniers comme une arme

contre ces mêmes colons. Ainsi, l’explosion démographique générée par la révolution sanitaire

demeure un atout pour les colonisés. Car, elle eut à placer les colons européens dans une situation

d’infériorité par rapport aux colonisés. Les colonisés vont désormais mieux s’organiser pour

contrecarrer le pouvoir colonial. De l’autre côté, les élites formées par les colons vont être à

même de revendiquer leurs droits et à dénoncer les abus des colons, c’est-à-dire les travaux

forcés, les conditions précaires du travail.

La décolonisation a débuté en 1945, déclenchée par une multitude de facteurs structurels,

conjoncturels, internationaux, s’achève normalement dans les années 1975-198098

. La première

phase s’ouvre à la fin de la seconde guerre mondiale et s’achève avec la conférence de Genève de

1954 ; une seconde phase intervient vers le début des années 1961. Cette phase est caractérisée

par des guerres de libération longues, meurtrières et très complexes avec parfois l’intervention

98 Droz B., (2006), Histoire de la décolonisation au XXème siècle, l’univers historique, seuil, p 12

Page 67: Université Lyon II

67

des Etats voisins et l’activisme des grandes puissances. Cette phase arrive à son terme dans les

années 1975-198099

.

L’Afrique noire et notamment l’Afrique centrale a aussi connu cette phase compliquée des

guerres de libération qui demeure toujours triomphante pour les peuples colonisés dans la mesure

où ils finissent toujours par obtenir leur indépendance à la fin de cette guerre dite de libération.

Cette dernière demeure le passage plus ou moins obligé pour accéder à l’indépendance. Et le pays

qui accède à l’indépendance, à travers cette phase conflictuelle, pousse son voisin à faire comme

lui. En effet, l’indépendance du Ghana en 1957 et celle de la Guinée en 1958 ouvre la boîte de

pandore d’une décolonisation en chaîne beaucoup plus rapide que prévue 100

.

La décolonisation africaine, à l’instar d’autres mouvements de décolonisations à travers le

monde, s’est articulée sur trois périodes bien spécifiques. La première s’étend de 1957 à 1960

pendant laquelle quinze colonies noires vont accéder à l’indépendance. L’indépendance de la

Guinée de 1958 va ouvrir la voie de la décolonisation des possessions françaises parachevées en

1960 avec l’indépendance de douze anciennes colonies101

y compris les colonies d’Afrique

Centrale telles que le Cameroun, le Tchad, le Gabon et la Centrafrique . La seconde commence

en 1960 et s’achève en 1965. Ce fut une période marquée par la décolonisation d’un grand

nombre de colonies britanniques d’Afrique occidentale.

99Ibib p 15

100Ibid p 12.

101Ibid .p 227.

Page 68: Université Lyon II

68

Enfin, la troisième phase, très conflictuelle, marque la proclamation des indépendances de

Rhodésie du Sud en 1965. Il faut noter qu’aucune indépendance n’a été accordée en Afrique

noire sans épreuves de forces, à tout le moins sans affrontements préalables102

.

Alors quelles sont les conséquences humaines ou démographiques de ces guerres de la

libération ou d’indépendance ?

Les migrations de la décolonisation vont marquer l’histoire des migrations internationales par

sa particularité, sa singularité et sa complexité. Contrairement à la migration forcée de la période

coloniale dont les victimes furent exclusivement les colonisés qui sont contraints de quitter leur

espace vital habituel pour aller travailler de force dans des zones à forte potentialité économique

pour le compte des colons, la migration forcée de la période de la décolonisation va toucher à la

fois les colonisés et les colons et va prendre une allure internationale. Les colons vont devenir des

victimes au même titre que les colonisés de ce phénomène migratoire spécifique de la période de

la décolonisation.

La migration forcée va ainsi s’imposer aux colons. De ce fait, ils vont être contraints de quitter

les territoires colonisés suite aux conflits qu’ils les ont opposés aux colonisés, surtout après

l’accession à l’indépendance des pays colonisés, pour se réfugier en Europe principalement. On

dénombre environ quatre à cinq millions de « Blancs » qui ont regagné l’Europe après les guerres

de la décolonisation. Environ deux millions d’anciens colonisés qui furent les collaborateurs des

102Ibid . p 228.

Page 69: Université Lyon II

69

colons pendant la colonisation, rejetés par les leurs, vont être contraints également de suivre ces

derniers .103

On voit là apparaitre une typologie migratoire composée de trois types de populations : les

colonisés, les collaborateurs des colons et les colons, devenus tous, dans une moindre mesure, des

migrants forcés.

S’agissant de l’Afrique centrale, il faut noter que ce fut dans la colonie belge, actuelle

République Démocratique du Congo, que la migration forcée des colons pour le retour en Europe

fut très prononcée. En raison d’une situation politique devenue très préoccupante vers les années

1958 et après l’indépendance de ce pays, beaucoup de colons belges vont être contraints de

quitter dans la précipitation le territoire congolais pour retourner en Belgique. Ce départ accéléré

des colons belges se produisit dans une violence totale suite à la mutinerie organisée par la force

publique vers les années 1960. On dénombre environ 45 000 colons belges qui sont retournés en

Belgique vers les années 1960104

.

Mais l’itinéraire migratoire des colons ne fut pas fait selon un schéma unique, c’est-à-dire :

pays de départ (les anciennes colonies) et pays d’arrivée (les métropoles).

103Dubois J-L (1995), l’Europe retrouvée. Les migrations de la décolonisation, Paris, l’Harmattan.

104Droz B., (2006), Histoire de la décolonisation au XXème siècle, l’Univers historique, Seuil, p 317.

Page 70: Université Lyon II

70

En effet, ces colons étaient obligés d’emprunter d’autres itinéraires migratoires afin d’arriver

rapidement dans un lieu très sûr. Ce fut le cas des colons belges et des Grecs qui ont quitté le

Congo belge et ont choisi l’Afrique du Sud comme destination de refuge. Deux autres pays

d’Afrique Centrale qui furent touchés de près par cette migration forcée des colons furent le

Rwanda et le Burundi. Le mouvement de l’indépendance du Rwanda et du Burundi a déclenché

un mouvement forcé de populations essentiellement des colons. Quelques 10.000 ressortissants

belges ont du quitter ces deux pays en 1962105

.

Si le mouvement de retour des Blancs fut très prononcé et très dramatique dans les colonies

belges d’Afrique Centrale, ce n’est pas le cas pour celles des Français d’Afrique noire et

d’Afrique Centrale. En effet, il y eut seulement le rapatriement de quelques fonctionnaires avec

leur famille dans les colonies d’Afrique noire et notamment d’Afrique centrale. Certains colons

vont rester travailler dans le secteur privé en Afrique noire nouvellement indépendante. On

dénombre, malgré tout, environ 500 000 colons français rapatriés à travers le monde pendant

cette période de décolonisation106

.

Un autre aspect mérite d’être analysé dans la partie de cette étude. Il s’agit du cas des

auxiliaires indigènes qui collaboraient avec les colons lors de la domination coloniale. En effet,

ces derniers étaient recrutés par les colons parmi les indigènes pour combattre la guérilla

nationaliste, celle qui s’opposait au pouvoir colonial. Le sort des auxiliaires indigènes va être

compliqué pendant les périodes postcoloniales. En effet, ils ne pouvaient plus rester dans les

anciennes colonies nouvellement indépendantes puisqu’ils ont trahi les leurs en collaborant ou en

combattant du côté des colons, considérés comme des ennemis. Ils devinrent ainsi des personnes

105Ibid. p 317.

106Ibid. p 317.

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71

très vulnérables susceptibles d’être attaquées à tout moment par les populations autochtones. De

ce fait, ils furent obligés de suivre leurs collaborateurs, les colons dans leur périple migratoire.

Bon nombre ont incorporé les armées métropolitaines comme ce fut le cas de l’armée portugaise

et les autres groupes vont être contraint de migrer en Europe. Mais le sort de ces anciens

collaborateurs des colons demeura très précaire lors de leur séjour en migration de refuge dans les

pays de leurs anciens alliés. En effet, leurs conditions d’accueil furent très précaires, ils furent

parfois abandonnés à eux seuls. Par conséquent, ils se retrouvèrent ainsi sans repère.

En effet, la migration des indigènes auxiliaires en Europe après les phases de la décolonisation

fut presque quasi nulle. Les auxiliaires indigènes sont presque tous restés en Afrique noire. Par

conséquent, ils devinrent ainsi des réfugiés, car ils furent contraints au refuge et à la mobilité sous

contrainte à l’intérieur même de leur propre pays. Les nouveaux administrateurs africains qui ont

pris le pouvoir combattaient ces auxiliaires indigènes et les considéraient comme des ennemis du

fait de leur collaboration avec les colons.

A la lumière de tout ce qui a précédé, il faut bien remarquer qu’il y a eu une migration forcée

en Afrique noire et en Afrique Centrale pendant la période de la décolonisation. La conséquence

de ces guerres fut dramatique dans un registre humain et démographique. En fait, ces guerres de

libération ont produit des migrants forcés ou encore des « réfugiés » si on se réfère à l’appellation

contemporaine de ce type de population. Et ces réfugiés ne sont autres que des colons et leurs

collaborateurs indigènes qui sont contraints de quitter les territoires colonisés suite aux

mouvements de révolte des peuples colonisés qui furent, eux aussi, dans la plupart des cas des

réfugiés pendant la période coloniale parce qu’ils étaient contraints au déplacement forcé et aux

travaux forcés. Voici quelques éléments caractéristiques de cette migration forcée de la période

de la décolonisation résumés dans le tableau ci-dessous.

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Tableau 2.2: Les éléments caractéristiques de la migration forcée en Afrique noire et centrale

pendant la période de la décolonisation.

Migration causée par les guerres de libération et d’indépendance dans les colonies

Migration de groupe

Les migrants forcés sont principalement des colons et leurs collaborateurs, les auxiliaires indigènes

Migration définitive pour les colons

Migration international

3. LES MIGRATIONS FORCEES RECENTES EN AFRIQUE

CENTRALE : DE 1960 A NOS JOURS

Plusieurs crises sociopolitiques ont secoué l’Afrique Centrale depuis les années 1960. On ne

saurait décrire l’ensemble de ces crises au sein de cette étude. En effet, la description de

l’ensemble de ces crises pourrait faire l’objet d’une autre grande étude. Ceci dit, notre objectif va

être modeste et très limité dans ce volet que nous allons consacrer à l’inventaire de quelques

crises sociopolitiques qui furent à l’origine de la migration forcée en Afrique Centrale depuis les

années 1960. Notre objectif fondamental est de présenter d’une manière brève les chronologies

de ces principales crises sociopolitiques sans entrer dans un profond détail, analyser les

principales causes de ces crises et montrer les conséquences de celles-ci sous l’angle

démographique. Autrement dit, il s’agit de décrire la conséquence humaine et démographique de

ces crises sociopolitiques dans la production des nouveaux réfugiés.

« En effet, la particularité de l’Afrique Centrale tient au fait que des effectifs importants et

quasiment incompressibles de réfugiés subsistent depuis le début des indépendances notamment

au Rwanda qui, hormis l’Algérie à partir de 1954, fut le premier pays africain à produire des

réfugiés, les premiers officiellement recensés comme tel, au Congo (ex-Belge), au Burundi

Page 73: Université Lyon II

73

etc.…Les flux ensuite sans cesse réalimentés par d’autres situations de crise (1963, 1965, 1969,

1972, 1973) dispersèrent des centaines de milliers de réfugiés à travers le continent africain. A

partir de 1993, le Congo-Brazzaville, jusqu’à là considéré comme un lieu d’asile pour les réfugiés

du Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo) ou de l’Angola, entra lui aussi dans la

spirale de la production de réfugiés 107

». La République Centrafricaine, elle aussi, va devenir un

pays producteur de réfugiés. Un grand nombre de populations centrafricaines du sud, surtout les

Yakoma : l’ethnie de l’ancien président Kolingba, va fuir les hostilités de l’après coup d’état

manqué de l’année 2001 pour aller se réfugier en République Démocratique du Congo.

La figure ci-dessous décrit l’importance de flux des réfugiés en Afrique pendant la période

contemporaine.

107 Guichaoua A., (2004), Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et orientale, Paris, Karthala, op cit p 23

et 24.

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Figure 2.2 : Flux des réfugiés en Afrique en 2002.

Source : UNHCR(2002), http://www.unhcr.ch, Questions internationales, Genève.

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75

On note que sur l’intervalle de 50 ans (entre 1960 et 2010) presque tous les pays d’Afrique

Centrale sont touchés de près ou de loin par le phénomène de la migration forcée de sorte que

certains sont devenus de grands producteurs de réfugiés. Surtout, la plupart de ces pays sont à la

fois producteurs et récepteurs de réfugiés, c’est le cas de la République Démocratique du Congo.

D’où l’importance d’analyser le phénomène de la migration de refuge sous l’angle régional afin

de mieux cerner son ampleur.

D’après les données de la figure ci-dessus mentionnée, la Centrafrique aurait reçu environ un

flux de 50 000 réfugiés en 2002 sur son territoire Ce flux était composé de plus de 10.000

réfugiés Soudanais, entre 10.000 à 20.000 réfugiés congolais (RDC) et plus de 10.000 réfugiés

Tchadiens.

La Centrafrique, quand à elle, aurait fourni environ 20.000 réfugiés au cours de cette même

année. Ainsi, environ 10 000 réfugiés centrafricains se sont installés au Tchad, 5 000 au Congo

Brazzaville et 5 000 en République Démocratique du Congo.

Le Tchad aurait reçu sur son territoire plus 20 000 réfugiés en 2002 dont (plus de 10 000

réfugiés centrafricains et plus de 10 000 réfugiés soudanais) et en a fourni plus de 20 000 dont

plus de 10 000 se sont installés au Cameroun et plus de 5 000 en Centrafrique.

Enfin, la République Démocratique du Congo qui est le grand producteur et récepteur des

réfugiés aurait fourni entre 300 000 à 500 000 réfugiés en 2002. Environ 20 000 réfugiés

Congolais (RDC) ont fui vers la Centrafrique en 2002, plus 30 000 au Congo Brazzaville, plus de

20 000 au Rwanda et plus de 100 000 repartis en Afrique de l’Est. La République Démocratique

du Congo aurait reçu entre 200 000 à 300 000 réfugiés en provenance du Rwanda, du Soudan, et

de la Centrafrique.

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76

Il est vrai que presque tous les pays d’Afrique Centrale sont touchés de près et de loin par le

phénomène de la migration forcée depuis l’accession aux indépendances, mais force est alors de

constater que l’intensité de ce phénomène varie selon les pays. La question centrale qui mérite

d’être posée est la suivante : Qu’est-ce qui serait à l’origine du développement de ce phénomène

de la migration forcée en Afrique Centrale pendant cette période contemporaine ? Quelle est la

nature de cette migration forcée contemporaine ? Quels sont les profils sociodémographiques de

ces réfugiés contemporains ? Qu’est-ce qui différencieraient ces réfugiés contemporains des

autres migrants forcés de la période coloniale et de ceux de la période de la décolonisation ?

Il serait donc ingénieux de présenter d’une manière brève les chronologies des principales

crises sociopolitiques qui ont secoué l’Afrique centrale contemporaine. En effet, les causes de ce

phénomène migratoire ne peuvent se chercher qu’à travers ces différentes crises sociopolitiques.

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3.1 Les chronologies de principales crises sociopolitiques et

humanitaires contemporaines dans quelques pays d’Afrique

Centrale.

3.1.1 Le Burundi.

Année 1972 :

Assassinat de Ntare V Ndizeye, le prince de l’époque. Il y eut également des massacres

interethniques d’une grande envergure au sein du pays. L’année 1972 marque également le début

du génocide des élites de l’ethnie hutu. Des milliers de Burundais vont fuir leur pays pour se

réfugier dans les pays voisins notamment dans l’actuelle République Démocratique du Congo108

.

Le coup d’Etat militaire du colonel Jean-Baptiste Bagaza va encore déstabiliser le pays, mais il

y eut malgré tout, l’instauration de la deuxième République à l’issue de ce coup d’état.

Année 1987 :

Pierre Buyoya fait un coup d’état à l’issue duquel il y eut l’avènement de la troisième

République.

108 Nous nous sommes inspirés des textes de Guichaoua A., Chronologie thématique, in Guichaoua A. (dir)

(2004), Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et Orientale, Karthala, p 44-54 pour rédiger cette partie de

l’étude consacrée à la chronologie des différentes crises sociopolitiques et humanitaires survenues au Burundi

pendant la période contemporaine.

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78

Année 1988 :

Il y eut un affrontement interethnique dans les communes de Ntega et Marangara au nord du

pays. L’Etat est obligé d’intervenir afin de rétablir la paix dans cette zone de conflit. La

conséquence de ce conflit interethnique fut dramatique puisque qu’il y eut plus de 20 000

victimes. Un certain nombre de réfugiés hutus vont fuir la répression militaire et se diriger vers le

Rwanda.

Année 1992 :

Afflux de réfugiés burundais au Rwanda (environ 6 000) et dans l’actuelle République

Démocratique du Congo. Environ 40.000 se sont installés dans la région de Kivu, la région Est de

l’actuelle République Démocratique du Congo.

Année 1993 :

Putsch militaire et assassinat du président Melchior Ndadaye. Des violences ethniques gagnent

tout le pays et provoquent le départ en migration de refuge des centaines de milliers de

Burundais. Un grand nombre de Burundais qui n’ont pas pu traverser la frontière pour demander

l’asile dans les pays limitrophes sont devenus des déplacés internes. On dénombre 270 000

réfugiés burundais au Rwanda, 60 000 en Tanzanie et 15 000 dans l’actuelle République

Démocratique du Congo.

Année 1996 :

L’insécurité va gagner tout le pays. Les guérillas armées vont se structurer et se développer à

travers le pays. Un important effectif des militaires loyalistes vont s’engager dans ces guérillas.

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Année 2002 :

Les affrontements entre l’armée et le FLN (mouvement de rébellion) ont provoqué le

déplacement massif des Burundais à l’intérieur du pays. En effet, plus de 40 000 personnes sont

obligées de gagner le Bujumbura rural à cause de ces durs affrontements militaires.

3.1.2 Le Congo Brazzaville.

Année 1993 :

L’opposition congolaise conteste les résultats de l’élection présidentielle de 1992 remportée

par Pascal Lissouba. Les tensions vont naître dans tout le pays. Des guérillas urbaines vont se

constituer suite à cette tension et cette violence postélectorales109

.

Les forces de l’ordre, aidées par les groupes de jeunes milices de Brazzaville, vont combattre

les milices pro-opposition baptisés « Ninjas », lesquels enlevaient les hauts fonctionnaires et les

torturaient.

Les milices pro-président de la République, les Zoulous, lesquels furent fidèles au président

démocratiquement élu monsieur Pascal Lissouba vont se lancer dans une guerre sans merci contre

les milices pro-opposition (les Ninjas) tuant des milliers de civiles à Brazzaville. Ces violences

qui sont nées dans les milieux urbains Brazzavillois vont gagner peu à peu les zones rurales,

notamment celles du sud du pays. Les conséquences de ces violences sont catastrophiques, car

des dizaines de milliers de personnes vont se déplacer pour devenir ainsi des réfugiés.

109 Nous sommes principalement inspiré des textes de Guichaoua A., Chronologie thématique, in Guichaoua A.

(dir) (2004), Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et Orientale, Karthala, p 58-65 pour décrire les

différentes crises humanitaires et sociopolitiques qui ont eu lieu au Congo-Brazzaville pendant cette période

contemporaine.

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Année 1996 :

Après la victoire de Laurent-Désiré Kabila au Zaïre, l’actuelle République Démocratique du

Congo, un flux de partisans de l’ex-président Mobutu, les dignitaires de son régime et les

personnes issues de son ethnie font apparition à Brazzaville. On note aussi la présence d’un grand

nombre de réfugiés rwandais à Brazzaville en cette même période.

Année 1997 :

De violents combats éclatent entre l’armée régulière congolaise sous les ordres du président

Pascal Lissouba et les miliciens de l’ex président Denis Sassou Nguesso malgré l’annonce d’une

date proche d’un scrutin présidentiel. Une guerre civile est à nouveau relancée à Brazzaville.

L’armée régulière fidèle à Lissouba va affronter les miliciens Cobra qui soutiennent Sassou

Nguesso.

Les milices de l’ex-Président Sassou Nguesso contrôlent la ville de Brazzaville et renversent

le président démocratiquement élu monsieur Pascal Lissouba.

Denis Sassou Nguesso se proclame président le 25 octobre 1997 ; chassant ainsi un président

démocratiquement élu du pouvoir. Le processus démocratique est ainsi remis en question suite à

ce coup d’Etat qui s’est opéré dans une extrême violence et la guerre civile qui a couté la vie à

des milliers de personnes. Des centaines de milliers d’autres personnes sont déplacées ou

réfugiées à l’étranger ; notamment dans les pays voisins (La République centrafricaine et la

République Démocratique du Congo).

Année 2003 :

Les chefs des camps des réfugiés Centrafricains en RDC (République Démocratique du

Congo) et au Congo (Brazzaville) demandent leur rapatriement. En effet, il y eut environ 5 000

Centrafricains qui se sont réfugiés au Congo Brazzaville et en République Démocratique du

Congo suite au coup d’Etat du président François Bozize de mars 2003.

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3.1.3 La République Centrafricaine.

Année 1965 :

Putsch du colonel Bokassa contre le président David Dacko.

Année 1969 :

Echec d’un putsch tenté par le lieutenant-colonel Alexandre Banza. Ce dernier est exécuté le

12 avril de la même année.

Année 1976 :

Attentat contre le président Bokassa, dirigé par Fidèle Obrou.

Année 1979 :

Emeutes estudiantines à Bangui. L’armée va massacrer plusieurs étudiants sous l’ordre du

président Bokassa. Bokassa 1er

est déchu, et la République est rétablie.

David Dacko s’empare du pouvoir par un coup d’état orchestré par l’armée française baptisé

opération BARACCUDA.

Année 1981 :

Le général Kolingba démet le président Dacko de ses fonctions.

Année 1982 :

Le général Kolingba déjoue la tentative de putsch des partisans d’Ange Félix Patassé. Ce

dernier deviendra président de la République Centrafricaine plus tard.

Année 1986 :

Tentative de putsch de Jean Bedel Bokassa.

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82

Année 1996 :

Il y eut trois mutineries en République Centrafricaine cette même année, lesquelles

s’expliquent entre autres par la crise sociopolitique que traverse le pays en cette période110

. La

population centrafricaine éprouve un mécontentement contre le gouvernement de l’époque qui

était incapable de payer régulièrement le salaire des fonctionnaires. En effet, ces derniers

accumulaient plusieurs mois d’arriéré de salaire, de vingt à trente mois de retard de salaire pour

certains fonctionnaires. Les soldats centrafricains, mécontents comme leurs concitoyens, vont

investir la capitale et prendre le contrôle de la ville de Bangui en réclamant le paiement des

arriérés de leur salaire et l’amélioration des conditions de leur travail. La ville de Bangui ainsi

que tout l’intérieur du pays furent paralysés pendant plusieurs semaines jusqu’à l’intervention de

l’armée française qui rétablit le calme. La conséquence de ces mutineries fut dramatique du point

de vue humain. En effet, il y eut plusieurs morts du côté des mutins et de la population civile.

Une haine interethnique est née au sein de la population de Bangui à l’issue de ces mutineries. Il

y eut enfin un déplacement forcé de plusieurs milliers de personne à l’intérieur du pays.

Année 2001 :

Il y eut un coup d’état avorté le 28 mai 2001 en République Centrafricaine. Le président

centrafricain de l’époque, Monsieur Ange-Félix Patassé accuse son prédécesseur, André

Kolingba, d’être à l’origine de ce coup d’état. Par conséquent, le régime de Patassé va chercher à

arrêter le président Kolingba ainsi que tous ses proches, voire les gens de son ethnie. Il va se

développer une haine contre l’ethnie Yakoma, l’ethnie de l’ancien président Kolingba. Pour fuir

ces exaltions et cette violence orchestrées par le régime Patassé, de milliers de Centrafricains, des

hommes, des femmes, des enfants, des familles entières et un grand nombre de personnes

appartenant à l’ethnie Yakoma vont fuir le pays pour se réfugier dans les villes frontalières à la

République démocratique du Congo notamment à Zongo et des villes de la région de l’équateur ;

110 Corten O., (1997), République Centrafricaine 1996-1997 in Résolution 1136 (1997) des Nations Unies

concernant la situation en République Centrafricaine.

Page 83: Université Lyon II

83

d’autres Centrafricains vont se réfugier dans les villes Congolaises notamment à Betou et à

Brazzaville. On dénombre environ 25 000 réfugiés centrafricains en République Démocratique

du Congo vers les années 2001111

.

Année 2003 :

Il y eut le coup d’état du président François Bozize. Ce dernier fut général dans l’armée

centrafricaine et pendant longtemps chef d’état major du président Ange Félix Patassé. Il profita

de sa position pour renverser le régime d’Ange Félix Patassé. La Centrafrique va à nouveau

entrer dans un régime militaire qui ne va pas durer longtemps puisque le nouveau président va

rétablir le multipartisme et organiser des élections démocratiques en se présentant comme

candidat d’un parti politique démocratique. Le président Bozizé va remporter cette élection

présidentielle et demeure jusqu’à aujourd’hui le président de la République Centrafricaine.

Le coup d’état de 2003 fut, malgré tout, dramatique, puisse qu’il a été à l’origine du

déplacement forcé d’un grand nombre de Centrafricains qui, fuyant les violences post coup

d’état se sont réfugiés à l’étranger notamment au Congo-Brazzaville. On dénombre environ 5 000

réfugiés centrafricains au Congo-Brazzaville en 2003112

.

111Guichaoua A., Chronologie thématique, in Guichaoua A. (dir) (2004), Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique

Centrale et Orientale, Karthala.

112Ibid.

Page 84: Université Lyon II

84

3.1.4 La République Démocratique du Congo.

Année 1961 :

Assassinat de Patrice Lumumba, premier ministre de Monsieur Kasa-Vubu, premier chef

d’Etat de la République Démocratique du Congo.

Année 1962 :

Affrontements entre les Banyarwanda et d’autres groupes communautaires du Nord - Kivu.

Année 1964 :

Début de la deuxième rébellion par Gaston Soumialot et Laurent-Désiré Kabila, le futur

président de la République Démocratique du Congo, à partir de Bukavu et Uvira.

Rébellion muleliste. Les communautés Bavira, Babembe et Bafuliru vont s’engager à côté

de la rébellion tandis que les Banyamulenge vont plutôt défendre les forces gouvernementales.

Ce furent donc les premiers affrontements entre les communautés congolaises nouvellement

indépendantes.

Année 1965 :

Prise du pouvoir par Jean-Désiré Mobutu. Imposition d’un parti unique par ce dernier.

Le président Mobutu interdira les activités des partis politiques sur tout le territoire Congolais.

Début de la rébellion katangaise.

Année 1990 :

Massacre d’un grand nombre d’étudiants à l’université de Lubumbashi.

Page 85: Université Lyon II

85

Année 1993 :

Exode massif de populations rwandaises au nord et sud-Kivu.

Pillage des militaires dans la capitale, Kinshasa.

Année 1995 :

Arrivée dans le sud-Kivu d’un important flux de réfugiés burundais. Ils étaient au nombre de

35 000.

Plus 15 000 réfugiés hutus vont être refoulés dans leur pays d’origine suite à une opération

musclée de l’armée zaïroise.

Année 1996 :

Des groupes rebelles Banyamulenge lancent plusieurs opérations armées dans la région

d’Uvira (Sud-Kivu en République Démocratique du Congo). Ils attaquent les camps de réfugiés

rwandais et burundais.

Les combats vont s’intensifier entre l’armée zaïroise et les rebelles banyamulenge, lesquels

sont soutenus par les troupes rwandaises et ougandaises.

Le gouvernement du Zaïre, l’actuelle République Démocratique du Congo, va accuser le

Burundi et le Rwanda de leur ingérence dans les affaires zaïroises, surtout de leur collaboration

au groupe rebelle (les banyamulenge) qui combat l’armée officielle zaïroise.

En effet, ces forces rebelles avaient une seule intention, celle de renverser le pouvoir de

Kinshasa, c’est-à-dire le pouvoir de Mobutu.

L’année 1996 va être également marquée par un début de retour forcé au Rwanda de centaines

de milliers de réfugiés hutus. Un grand nombre parmi ces réfugiés vont fuir vers l’intérieur du

Zaïre.

Page 86: Université Lyon II

86

Année 1997 :

Laurent-Désiré Kabila, soutenu par les troupes rebelles Banyamulenge, renverse le régime de

Mobutu.

Il se proclame président de la République Démocratique du Congo dans la ville de

Lubumbashi.

Année 1998 :

Arrestation des chefs coutumiers et des leaders de la société civile du Sud-Kivu pour cause de

leur xénophobie à l’égard des Banyamulenge, les rebelles d’origines rwandaise et burundaise qui

ont combattu au côté du président Laurent-Désiré Kabila pour le conduire au pouvoir.

Expulsion des officiers rwandais opérant au sein de l’armée congolaise et fuite du personnel

politique d’obédience rwandaise.

Déclenchement de la guerre du RCD au Kivu. Un mouvement de rebelles, créé par l’armée

rwandaise fut à l’origine de cette guerre.

Année 2000 :

Environ 25 000 réfugiés de la République Démocratique du Congo s’installent dans les

villages situés du côté de la République du Congo aux environs de la ville de Betou et de

Njoundou fuyant les combats entre les rebelles et les forces gouvernementales.

Plus de 10 000 habitants du Nord-Kivu (République Démocratique du Congo) se réfugient

dans le district de Kisoro.

Les combats de la région de l’Equateur, nord-ouest de la République du Congo, vont pousser

quelque 6 000 Congolais de la République Démocratique du Congo, composés en grande partie

de femmes et des enfants, à se réfugier en République Centrafricaine.

Page 87: Université Lyon II

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Année 2001 :

Assassinat du président Laurent-Désiré Kabila. Son fils prend le pouvoir.

Les attaques de l’Unita (Mouvement rebelle angolais) poussent quelques 5 à 8 000 Angolais

à trouver refuge dans la province de Bandundu en République Démocratique du Congo.

Jean-Pierre Bemba, président du MLC, le mouvement rebelle qui s’est formé dans la région

de l’Equateur, au nord de la République Démocratique du Congo, lequel est hostile au

gouvernement de Kinshasa déclare que plus de 100 000 réfugiés issus de la République

Centrafricaine ont traversé le fleuve Oubangui et ont pénétré dans les régions du nord-est de la

République démocratique du Congo, contrôlée par son mouvement.

La frontière avec la République Centrafricaine suite au coup de d’Etat avorté du 28 mai

2001 à Bangui fut fermée à la suite de ces évènements.

Les autorités centrafricaines veulent empêcher le retour de quelques 25 000 réfugiés

centrafricains installés dans les zones transfrontalières surtout ceux qui sont installés dans la

province de l’Equateur.

Année 2003 :

Quelque 130 000 déplacés sont dénombrés dans les environs des villes de Beni et Lubero, au

nord-est de la République Démocratique du Congo du fait des affrontements entre mouvements

rebelles « alliés », le rassemblement congolais pour la démocratie « Kisangani-mouvement de

libération RDC-K/ML » et le mouvement pour la libération du Congo (MLC).

Début d’une offensive gouvernementale centrafricaine pour la reconquête des villes du nord

du pays contrôlées par une rébellion. Les troupes du MLC, mouvement rebelle congolais installé

dans le nord de la République démocratique du Congo, vont soutenir les forces armées

centrafricaines à la demande du président Ange Félix Patassé lors cette opération.

Page 88: Université Lyon II

88

3.1.5 Le Rwanda.

Année 1962 :

Attaques répétées d’unités militaires de réfugiés Tutsi à partir du Burundi et développement

d’idéologie anti-Tutsi à l’intérieur du Rwanda. Des milliers de Rwandais vont quitter leur pays

pour se réfugier dans les pays limitrophes ; notamment l’actuelle République Démocratique du

Congo.

Il y eut une incursion de grande envergure au Rwanda. Cette incursion regroupe des

combattants réfugiés venus du Burundi avec des forces Tutsi regroupées dans les camps de

Bugesera (Nyamata) et du Gisaka (Rumbeli). Cette incursion est stoppée in extremis à proximité

de la ville de Kigali. Ce fut donc le début de la chasse aux Tutsis qui commence dans tout le

pays. Par conséquent, un grand nombre de Tutsis sont contraints de s’exiler à l’étranger.

Année 1973 :

Forte agitation anti Tutsi et coup d’Etat du général Juvénal Habyarimana. Ce fut le début de

la deuxième République.

Année 1990 :

Attaque du Front Patriotique Rwandais Inkotanyi, un mouvement rebelle qui regroupe les

réfugiés rwandais Tutsi des années 1960 et 1970.

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89

Année 1994 :

Installation d’environ 600 000 réfugiés rwandais dans la région de Goma en République

Démocratique du Congo.

Le HCR estime à environ 2,1 millions le nombre de réfugiés rwandais à l’étranger, repartis

comme suit :

270 000 au Burundi – 500 000 en Tanzanie – 1,33 million en République Démocratique du

Congo dont 850 000 dans la région de Goma, 450 000 dans la région de Bukavu, et 30 000 dans

la région d’Uvira.

Année 2003 :

Signature à Brazzaville d’un accord pour le rapatriement volontaire d’environ 6 500 réfugiés

Hutus rwandais installés au Congo-Brazzaville depuis 1997.

Mise en place d’un programme de rapatriement de plus de 80 000 réfugiés installés

respectivement en République Démocratique du Congo et en Ouganda.

3.1.6 Le Soudan

Année 1982 :

Le président Nemeiri viole un accord de paix en initiant un programme qui consiste à diviser

la région du sud du Soudan en trois provinces distinctes et dissociées. Certains militaires issus de

cette région vont contester cette décision.

Un mouvement rebelle dénommé MPLS (Mouvement de Libération des Peuples du Soudan)

va voir le jour. Ce mouvement sera dirigé par John Garang. Il va relancer la rébellion dans la

région sud du Soudan. Cette rébellion sera à l’origine de la guerre civile des régions

subsahéliennes.

Page 90: Université Lyon II

90

Année 1985 :

Les milices pro-gouvernementales vont combattre les rebelles anti-gouvernementaux du sud.

Cet affrontement entre les milices pro-gouvernementales et les rebelles du sud fut désastreux du

point de vue humain. Il y eut des massacres et des actes de barbarie lors de cet affrontement. Tout

le pays va être confronté à une importance crise de réfugiés, laquelle est davantage prononcée

dans le sud du pays. En effet, deux à trois millions de personnes étaient en situation de danger sur

l’ensemble du pays. La plupart d’entre elles sont contraintes à l’exil dans les pays voisins ;

notamment en République Centrafricaine et au Tchad.

Année 1997 :

L’armée de l’opposition qui est une partie intégrante de l’Alliance Nationale Démocratique

prend le contrôle de nombreuses régions du pays. Une guerre va se déclencher dont la

conséquence fut très dramatique dans le registre humanitaire. Les villageois vont voir leurs terres

brûlées par les belligérants. Par conséquent, ces terres vont perdre leur fertilité. Ces villageois

sont abandonnés à eux-mêmes tout au long de cette crise et ne peuvent être secourus par les

organisations humanitaires. En effet, ces dernières étaient interdites d’accès aux zones conflits

par les belligérants. Cette situation fut à l’origine d’une grande crise humanitaire sans précédent.

Année 2003 :

Il y eut naissance d’un nouveau mouvement rebelle dans l’Ouest du Soudan au Darfour, le

SLM/A (Armée/Mouvement de libération du Soudan). Ce fut le début de la crise plus connue

sous le terme de la guerre du « Darfour » qui a mobilisé toute la presse mondiale pendant au

moins cinq années.

Le SLM/A, acteur principal de cette crise de Darfour, va consolider son action grâce au

soutien de différents mouvements rebelles étrangers (ex-mouvements tchadiens) et d’une assise

populaire nationale. Leur rébellion va se propager à travers les trois Etats du Darfour et dans

toutes les grandes villes du pays, combattant ainsi l’armée gouvernementale.

Pour se défendre, l’armée gouvernementale forme un groupe de milices « les groupes arabes

nomades ». Armés par le gouvernement de Khartoum, ces derniers vont combattre le SLM/A et

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91

vont semer la terreur parmi la population soudanaise en massacrant des milliers de personnes, en

ratissant plusieurs villages poussant leurs habitants à migrer dans les pays voisins comme au

Tchad et en République Centrafricaine. Cette dernière est contrainte d’accueillir des milliers de

réfugiés soudanais victimes de la crise du Darfour sur son territoire depuis le début de cette crise

jusqu’à nos jours.

3.1.7 Le Tchad.

Année 1966 :

Ibrahima Abacha crée le Front de Libération Nationale du Tchad (FROLINAT) au Soudan.

Année 1968 :

Début de la rébellion du nord du Tchad.

Année 1973 :

Occupation de la Bande d’Aouzou par l’armée libyenne.

Année 1974 :

Prise des otages par les rebelles Toubous dirigés par Hissène Habré.

Année 1975 :

Coup d’état militaire. Le président Tombalbaye est assassiné. Le général Malloum prend le

pouvoir

Année 1977 :

Offensive du FROLINAT dans le nord.

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92

Année 1979 :

Combats à Ndjamena, la capitale tchadienne entre les forces armées du nord (FAN)

d’Hissène Habré et les Forces Armées Populaires (FAP) de Goukouni Ouaddeï. C’est le début de

la guerre civile au Tchad.

Année 1982 :

Hissène Habré, renverse le président Félix Maloum et prend le pouvoir.

Année 1983 :

Goukouni Oueddeï appuyé par les troupes libyennes occupe Faya-Largeau.

Année 1984 :

Création par le FROLINAT-FAN, Forces armées du Nord, de l’Union Nationale pour

l’Indépendance et la Révolution (UNIR). La présidence de ce mouvement est confiée à Hissène

Habré.

Année 1990 :

Combats à la frontière tchado-soudanaise entre les forces armées tchadiennes (FANT) et les

partisans d’Idriss Déby du Mouvement Patriotique du Salut (MPS). Les partisans d’Idriss Déby

défient l’armée nationale et renversent Hissène Habré. Idriss Déby prend le pouvoir. Il organisera

successivement deux élections, en 2001 et en 2006, qu’il remportera. Il est toujours au pouvoir.

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93

Année 2003 :

Afflux de réfugiés soudanais victimes de la crise du Darfour sur le territoire tchadien.

Année 2008 :

La capitale du Tchad, Ndjamena, est attaquée par les rebelles. Ces derniers seront par la

suite repoussés par l’armée nationale officielle.

Déploiement de l’Eufor, la force européenne de 3 000 hommes dans l’Est du pays. Ces

derniers seront remplacés plus tard par une force onusienne.

Les différentes crises sociopolitiques et humanitaires présentées au sein de cette partie

d’étude consacrée à l’évaluation de la migration de refuge en Afrique Centrale pendant la période

contemporaine n’ont aucun caractère exhaustif. Cependant, celles qui ont été décrites

succinctement demeurent les plus importantes et qui sont à l’origine des plus importantes vagues

de migration de refuge à travers l’Afrique Centrale ces dernières années.

En effet, la crise du Congo-Brazzaville de 1993 à 1997 a provoqué la migration forcée de

plus 500 000 personnes. Ces migrants forcés, victimes de cette crise sociopolitique se repartissent

comme suit : une partie est restée à l’intérieur du pays. Ils deviennent des déplacés internes tandis

qu’une grande partie d’entre eux est contrainte à l’exil dans les pays frontaliers notamment en

Centrafrique et en République Démocratique du Congo.

S’agissant de la République Centrafricaine, il faut noter que les crises de 1996-1997, la

mutinerie des soldats de l’armée centrafricaine, qui a provoqué un conflit interethnique et le coup

d’Etat du 28 mai 2001, a été l’origine d’un mouvement anti-Yakoma113

. Les rebellions qui ont

113 L’Ethnie Yakoma est l’Ethnie de l’ancien président de la République André Kolingba, accusé d’être à

l’origine du coup d’Etat avorté du 28 mai 2001 à Bangui en République Centrafricaine.

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94

secoué ce pays pendant plus de vingt ans ont contraint plus de 100 000 personnes à la mobilité

sous contrainte à l’intérieur du pays et dans les pays limitrophes comme la République

Démocratique du Congo et le Tchad .

Les affrontements entre les rebelles venus du Rwanda et de l’Ouganda pour combattre l’armée

gouvernementale de la période Mobutu, la rébellion de la région de l’Equateur dirigée par

Monsieur Bemba et les multiples affrontements entre les rebelles rwando-ougandais et l’armée

régulière de la République démocratique du Congo ont été à l’origine des crises sociopolitiques

qu’a subies la République Démocratique du Congo.

Ces différentes crises congolaises (RDC)ont grandement affecté la région d’Afrique centrale

ces dernières années car on dénombre environ plus de 2 000 000 victimes directes et indirectes de

ces crises congolaises, lesquelles ont contraint à la migration forcée à l’intérieur du pays et dans

les pays voisins, notamment en République centrafricaine, au Congo-Brazzaville, au Rwanda et

au Burundi et dans les pays d’Afrique de l’Est des milliers de personnes.

Nous voulons, par le biais de la description chronologique sommaire de ces crises

sociopolitiques et humanitaires, attirer l’attention du lecteur sur l’ampleur du phénomène de la

migration de refuge à travers le temps au sein de cette partie de l’Afrique. Les pays choisis pour

cette description sont au nombre de sept : Le Burundi-Le Congo-Brazzaville - La Centrafrique -

La République Démocratique du Congo - Le Rwanda - le Soudan et le Tchad. Force est de

constater que certains de ces pays choisis ne font pas partie de facto des pays d’Afrique Centrale

comme le cas du Soudan. En principe, nous devrions nous limiter qu’aux pays de notre étude qui

sont : La République Centrafricaine, la République Démocratique du Congo, et le Tchad dans

cette description. Cependant, nous avions choisi les pays tels que le Soudan et le Congo-

Brazzaville à cause de leur proximité avec la Centrafrique et la République Démocratique du

Congo ; le Burundi et le Rwandais pour leur proximité avec la République Démocratique du

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95

Congo. Le phénomène tel que la migration de refuge ne peut se comprendre que lorsqu’on

l’analyse selon un angle régional puisque le migrant congolais (RDC) installé en République

Centrafricaine en 2010 peut être celui qui a été réfugié en Rwanda, puis en Congo-Brazzaville

avant d’atterrir en République Centrafricaine pour demander à nouveau le statut du réfugié. Le

réfugié peut passer par plusieurs pays de transit avant d’arriver dans un pays d’accueil donné.

En effet, la description des crises survenues dans les autres pays que ceux soumis à cette étude

seront utiles dans la prochaine partie de cette étude qui sera consacrée à l’analyse de l’itinéraire

migratoire de populations de notre étude.

L’analyse des données de l’enquête « Migration de refuge 2010-2011 » conçue pour cette

étude va nous permettre de visualiser l’itinéraire migratoire de nos populations et rendre compte

des différentes crises, guerres ou autres conflits, qu’elles auraient fuis pour se réfugier en

Centrafrique, et, par la suite, déterminer l’origine géographique et l’année d’apparition de ces

différents conflits.

Il faut noter, malgré tout, que l’Afrique Centrale et la région de Grands Lacs sont aujourd’hui

les régions dans lesquelles se trouve concentré un nombre important de réfugiés à la différence

d’autres régions d’Afrique subsaharienne. Selon les statistiques de HCR, environ 47% de réfugiés

africains se trouvent dans la région d’Afrique Centrale et des Grands Lacs114

.

114UNHCR (2010), Global Trends, Genève.

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Graphique 2.1: Distribution des réfugiés par régions d’Afrique subsaharienne en 2010.

Source : Graphique réalisé à partir des données du UNHCR ( UNHCR Global Trends 2010).

En effet, la multiplication des conflits en Afrique en général et en Afrique centrale en

particulier se trouve être à l’origine des migrations de refuge de ces dernières années dans cette

partie du monde. En fait, les innombrables conflits qui ont secoué l’Afrique depuis les

indépendances se distinguent par leur nature et varient selon les périodes. Vers les années 1960

(l’ère de la décolonisation), pendant la formation des Etats-Nations, les conflits sont nés autour

du sujet du pouvoir et des idéologies. Les jeunes nations décolonisées devaient former leurs

propres Etats parce qu’elles n’étaient plus dépendantes des Etats colonisateurs. Pour ce faire,

elles vont lutter pour asseoir leur autonomie en développant l’idéologie nationaliste comme une

marque de rupture avec les colons. Il va y avoir, malgré tout, une guerre de succession, c’est-à-

dire une guerre entre les chefs africains qui voulaient reprendre le pouvoir des colons. Les

conflits des années 1960 sont donc nés autour du pouvoir et des rivalités interethniques.

Trente années ans plus tard, c’est-à-dire vers les années 1990, les situations ne changent pas.

Les conflits perdurent toujours en Afrique, surtout en Afrique Centrale. Faits marquants, ces

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97

conflits vont prendre plusieurs appellations telles que : les guerres civiles, les conflits de basse

intensité, les guerres de guérillas fondées sur des motifs imprécis et flous115

En fait, les motivations des rebelles qui se lancent dans des guerres ou de ces soldats

informels, appelés communément des enfants soldats, qui déstabilisent généralement toute une

région pendant plusieurs années, demeurent souvent ambigües et floues. Ces motivations sont

fondées généralement sur des prétextes politiques et ethniques.

En effet, les causes des conflits en Afrique en général et en Afrique Centrale en particulier

pendant les périodes contemporaines, structurées à travers des mouvements de rébellion sont

multiples et se présentent comme suit :

1) la dégradation économique et l’inégalité dans le partage de la richesse puisque certains chefs

d’Etat issus de ces Etats pillent les ressources de leur pays, s’enrichissent personnellement et

favorisent économiquement les membres de leur clan et de leur ethnie au détriment du peuple. Se

développe dans la tête de ces chefs d’Etat, de ces dirigeants, uniquement l’idée du

« patrimonialisme » et de la « primauté des intérêts personnels » comme ce fut le cas du président

Bokassa en République Centrafricaine vers les années 70 116

et notamment du Président Mobutu

dans l’ex-Zaïre. Ainsi, ces dirigeants africains utilisent généralement la force ou encore

l’idéologie pour s’emparer des biens publics qu’ils utilisent selon leur gré, en gaspillant par

exemple des fonds publics sous couvert des actes de générosité afin d’asseoir leur notoriété.

Selon eux, le chef doit être riche et généreux. S’il est pauvre dans sa famille avant d’accéder au

115Ibid. .p 14

116Bigo D., (1988), pouvoir et obéissance en Centrafrique, Karthala, p 114.

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98

pouvoir, il doit tout faire pour devenir riche dans un laps de temps, c’est-à-dire dès son accession

au pouvoir, quitte à s’enrichir par l’utilisation les deniers de l’Etat117

.

De ce fait, beaucoup de dirigeants africains vont confondre les deniers publics avec les deniers

privés. Ils vont souvent s’enrichir sur le dos de leur peuple, privant ces derniers de tout bien être

social, les poussant ainsi dans l’extrême pauvreté118

Cette inégalité dans la répartition des richesses orchestrée par des dirigeants africains sans

scrupules va être à l’origine du mécontentement d’un groupe d’individus qui se disent lésés et

exclus par rapport au reste de la population. En fait, ces « désespérés » du système étatique, ceux

qui ne croient plus en « l’Etat », parce qu’elles se croient marginalisés et ostracisés par celui-ci,

vont contester l’ordre établi, c’est-à-dire de l’Etat, et être en amont de certains conflits.119

2) Les crises des Etas africains contemporains sont principalement à l’origine de la naissance

et du développement des mouvements des conflits en Afrique subsaharienne120

. En effet, les Etats

de l’Afrique du sud du Sahara sont très affaiblis pendant ces dernières années car ils sont

confrontés aux durs problèmes de gestion : mauvais choix dans les politiques économiques et

sociales, gaspillage des biens publics, corruption, l’envolée de la dette publique, l’application

stricte des mesures draconiennes d’ajustement structurels imposés par la Banque Mondiale, le

117 Chevalier F., (1979), histoire de l’Amérique latine jusqu’à nos jours, Paris, nouvelle Clio.

118Bayart F., (2006), l’Afrique : La politique du ventre, Paris, fayard, lire aussi Péan P., l’Argent Noir.

Corruption, et sous-développement, Paris, Fayard. Lire aussi Sonkara.com, l’Etat-Nation en Afrique (14 novembre

2007).

119 Ela J-M (1994), L’Afrique l’irruption des pauvres : Société contre ingérence, pouvoir et argent, L’Harmattan,

p14.

120Institut Panos d’Afrique de l’Ouest (2004), les migrations forcées en Afrique de l’ouest, p 14.

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99

clientélisme, le népotisme. Par conséquent, ces Etats ne peuvent plus faire face à leurs prorogatifs

les plus élémentaires tels qu’assurer à leur peuple les moyens de subsistance et la sécurité. Par

exemple, vers les années 1994 à 2000, des milliers de fonctionnaires centrafricains et congolais

(République Démocratique du Congo) avaient plus de douze à vingt quatre mois d’arriéré de

salaire. Face à cette situation de crise, les Etats africains se trouvent être obligés implicitement

d’abandonner la gestion d’une partie de leur espace. Ils sont incapables de contrôler la totalité de

cet espace, c’est-à-dire l’ensemble de leur territoire. En effet, aucune société humaine, aucun Etat

n’existe sans son espace organisé121

. Selon R. Brunet « l’espace est une dimension intrinsèque

des sociétés »122

. Or, dès que l’Etat se trouve en crise, son effet de structurant géographique, son

influence sur l’organisation de l’espace, sur le contrôle de la territorialité en général, se trouvent

affaiblis, ou, tout au moins, contestés 123

. Ce fut le cas de la majeure partie des Etats d’Afrique

centrale pendant cette période contemporaine.

Ayant constaté la faiblesse des Etats et son incapacité à tout contrôler, certains groupes

d’individus originaires d’Afrique Centrale, vont s’organiser dans des structures analogues aux

Etats formels afin de contrôler les espaces délaissés par les Etats officiels en état de crise. Pour ce

faire, ils vont former des bandes armées sous couvert de mouvements rebelles tel fut le cas des

enfants soldats en République Démocratique du Congo, notamment les Banyamulenge dans le

même pays. Mais, force est de constater que ces mouvements sont aussi présents dans tous les

pays d’Afrique Centrale. Ils sont appelés des Ninjas au Congo Brazzaville, des Zaraguinas en

République Centrafricaine pour ne citer que ceux-là.

121 Lothar Weiss T., (1995), contribution à une réflexion sur la crise de l’Etat en Afrique et sa gestion par les

espaces périphériques, projet OCISCA-ORSTOM, Paris, op. cit p 3.

122 Brunet R., cité par Scheibling J., (1994), in qu’est ce que la géographie ?, Paris, Hachette, p 77.

123Lothar Weiss T., (1995), contribution à une réflexion sur la crise de l’Etat en Afrique et sa gestion par les

espaces périphériques, projet OCISCA-ORSTOM, Op. Cit p 3.

Page 100: Université Lyon II

100

Ces rebelles opèrent généralement dans des zones de conflits, s’imposent dans ces dernières

qu’ils gèrent comme leurs propres Etats, régissent leurs propres lois, accaparent la richesse de la

région, pillent, massacrent et poussent ainsi des milliers de femmes et d’enfants à la mobilité sous

contrainte. Se développent généralement dans ces zones de non-droit, gouvernés de force par ces

rebelles ou ces enfants soldats, une nouvelle problématique ; celle du respect des Droits de

l’Homme. On dénombre, ainsi, des milliers de cas de viol et de torture dans ces zones contrôlées.

Hormis les affrontements ethniques entre les Hutus et Tutsis au Rwanda et quelques autres

orchestrés par les régimes politiques africains comme la guerre civile au Tchad, les conflits

africains contemporains, surtout ceux d’Afrique centrale, occasionnés par les mouvements de

rebelle, sont loin d’être seulement des conflits politiques et ethniques. Ils sont également

idéologiques et se développent suite à la crise et au désengagement des Etats.

On peut, affirmer, à partir de ce qui précède, que les conflits générés par ces nouveaux

rebelles, sont les principales causes des migrations de refuge en Afrique Centrale pendant cette

période contemporaine.

Page 101: Université Lyon II

101

Tableau 2.3 : Les éléments caractéristiques de la migration forcée en Afrique Centrale pendant la

période contemporaine.

1) Crise politique (Refus de la transition démocratique par les chefs d’état au pouvoir ; Régime

dictatorial imposant le parti unique).

2) Crise socio-économique (Mauvaise adaptation aux mesures économiques imposées par la Banque

Mondiale ; Mauvaise gestion des biens publics).

Crise des Etats (Les Etats sont affaiblis politiquement et économiquement. Par conséquent, ils ne

peuvent plus contrôler la totalité de leur espace territorial).

Reprise de l’espace ou de territoire délaissé par les Etats en état de crise par les groupements

d’individus (Des rebelles, des enfants soldats, des guérillas, des bandes armées).

Implication directe ou indirecte des groupements d’individus (Des rebelles, des enfants soldats, des

guérillas, des bandes armées) dans les différents troubles sociopolitiques à l’intérieur de la sous-région

(Les coups d’état, les guerres civiles, la rébellion pour la prise de pouvoir).

Augmentation de flux de réfugiés et des déplacés internes124

victimes de la violence des rebelles et des

troubles sociopolitiques. Forte montée de la migration forcée de groupe. Augmentation du nombre de

femmes et des enfants dans la population des réfugiés et des déplacés internes.

124Le phénomène de déplacement interne est plus prononcé que celui de la migration de refuge proprement dite.

Page 102: Université Lyon II

102

CHAPITRE 3 : LES PORTRAITS DES PAYS DE

L’ETUDE.

1. LE PORTRAIT DE LA REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE.

1. 1 La situation sociopolitique et économique de la République

Centrafricaine depuis l’indépendance jusqu’à nos jours.

Figure 3.1 : La Carte de la République Centrafricaine.

Source : Sango.net

Page 103: Université Lyon II

103

Nous conseillons au lecteur de se référer, par moment, à la partie précédente qui était

consacrée à la chronologie des principales crises sociopolitiques et humanitaires survenues en

République Centrafricaine dans la période contemporaine pour la bonne compréhension de la

partie qui va suivre.

La Centrafrique comme son nom l’indique, est un pays qui se trouve au centre du continent

africain. Elle s’étend sur 623 000 kilomètres carrés. Elle se situe au sud du Tchad, au Nord de la

République Démocratique du Congo et du Congo Brazzaville, à l’Ouest du Soudan et à l’Est du

Cameroun. C’est un pays enclavé, c’est-à-dire qui n’a pas d’ouverture sur la mer. C’est un pays

sous développé et pauvre.

Les Nations Unies ont classé la République Centrafricaine dans le rapport de PNUD (Le

Programme des Nations Unies pour le Développement) de 2004 au 169ème

sur 177 rangs

mondiaux parmi les pays les plus pauvres du monde. En effet, 50, 3% de ménages centrafricains

sont pauvres. Il s’agit ici de la pauvreté dite d’existence et non monétaire, mesurée à partir des

caractéristiques de l’habitation, les conditions de vie, l’accès à l’eau, à l’électricité et les biens

d’équipement des ménages125

. La durée moyenne de vie en Centrafrique est l’une des plus faibles

d’Afrique, soit 42,7 ans de l’espérance de vie en 2003. En effet, l’espérance de vie a régressé de

4,8 ans entre 1988 et 2003 en République Centrafricaine.

La Centrafrique est peuplée de 3 895 139 habitants en 2003. La majeure partie de cette

population vit dans les milieux ruraux (soit 62,1% de la population totale) contre 37,9% qui

vivent dans les zones urbaines. La population centrafricaine est davantage jeune. L’âge moyen de

la population Centrafricaine se situe entre 22 ans.

125Toutes les statistiques utilisées pour décrire la situation socioéconomique de la République Centrafricaine sont

celles du dernier recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de la Centrafrique de l’année 2003.

Page 104: Université Lyon II

104

Ainsi, la capitale du pays, Bangui, concentre une grande partie de la population à cause de son

attractivité économique. A noter que plus de 16% de la population du pays vivent à Bangui. On

estime à 622 771 habitants la population de la capitale centrafricaine en 2003126

. Si cette dernière

attire les populations rurales, ce n’est pas le cas pour le pays. En effet, la Centrafrique attire peu

d’étrangers à cause de son instabilité économique et politique.

On dénombre seulement 69 880 étrangers en Centrafrique, soit environ 1,8 du poids de la

population globale centrafricaine en 2003. Cette population étrangère est composée

principalement de Congolais (RDC), de Soudanais, de Tchadiens, de Camerounais, de Congolais

de Brazzaville, de Français et de Libanais. S’ajoutent à ces migrants classiques, les réfugiés qui

représentent 0,2 % de la population Centrafricaine. Les Centrafricains migrent aussi peu à

l’étranger. La France demeure la principale destination migratoire des Centrafricains.

Quatre phases sont donc à prendre en compte lorsqu’on veut étudier l’histoire sociopolitique et

économique de la République Centrafricaine. La première phase s’étend de 1958 à 1960 avec

deux faits historiques marquants : la proclamation de la République Centrafricaine le 1er

Décembre 1958 et l’indépendance de la République Centrafricaine le 23 août 1960.

La seconde phase commence au début de l’accession du pays à l’indépendance, en 1960 et

s’achève en 1979. Cette période fut marquée par un régime politique dictatorial. Celui-ci a

commencé vraiment en 1965 avec l’accession au pouvoir d’un certain colonel Bokassa qui se

nommera président à vie et s’autoproclamera Empereur127

. Il y eut pendant cette période une

126République Centrafricaine (2003), Recensement Général de la population et de l’habitation, RGPH3 .

127Bigo D., (1988), pouvoir et obéissance en Centrafrique, Paris, Karthala, p 32.

Page 105: Université Lyon II

105

politique de développement national dont l’objectif fut de développer les centres administratifs

afin qu’ils deviennent des pôles d’attraction. Ce même régime va vite mettre en cause cette

politique de régionalisation axée sur le développement des centres administratifs et va à nouveau

opter pour une politique de centralisation. Par conséquent, il va se désintéresser du

développement économique des centres ruraux et provinciaux. La réforme agricole qui s’ensuit

en 1970 a eu une conséquence très néfaste pour les populations rurales. Les projets agricoles ainsi

que les machines agricoles quittent les milieux ruraux pour la capitale, Bangui128

. Les projets du

développement agricoles furent abandonnés au profit du faste projet du développement de la ville

de Bangui ainsi que de la ville de Berengo, chère au président Bokassa. Les populations

provinciales furent désormais démunies de tout et furent livrées à la précarité.

La situation économique mondiale ne fut pas non plus propice à la République Centrafricaine

de l’époque. En effet, l’effondrement des prix des produits de base sur le marché international

vers les années 1974-1979 a eu également un impact négatif sur l’économie de la République

Centrafricaine comme un grand nombre des pays du monde de l’époque.

La Centrafrique, qui tirait une grande partie de ces capitaux des exportations des produits

agricoles, de l’élevage, de la pêche129

, a vu chuter d’une manière dramatique les prix de ses

principaux produits agricoles d’exportation. De ce fait, les recettes d’exportation chutèrent ainsi

que le budget de l’Etat qui en dépendait directement. Les conséquences de cette crise économique

furent donc néfastes pour la population. Force est de constater qu’elles furent entre autres à

l’origine des troubles sociaux comme plusieurs émeutes estudiantines, des massacres de

128Ibid, voir aussi Tenez-Koyzoa A., (1980), Histoire économique du Centrafrique au XXème siècle, 1900-1975,

thèse de doctorat d’économie , Université Paris X, Nanterre.

129Il faut noter que l’agriculture, l’élevage, la chasse et la pêche demeurent le pilier de l’économie de la

République centrafricaine jusqu’aujourd’hui. Selon le dernier recensement national de la population et de l’habitat

(RGPH 2003), 78,6% des actifs travaillent dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage, de la chasse et de la pêche.

Page 106: Université Lyon II

106

population civile et de grèves intermittentes durant l’année 1979.qui ont conduit la fin du règne

du président Bokassa ainsi que la chute de son empire130

. On nota un affaiblissement progressif

de l’appareil étatique. L’Etat Centrafricain commença peu à peu à s’affaiblir, car asphyxié par la

crise économique internationale et des problèmes de gestion interne .Cet Etat fragilisé ne parvint

plus à assurer le bien être de sa population.

La troisième phase de l’Histoire de la République Centrafricaine s’étendit de 1980-1993.

Après le régime dictatorial du président Bokassa qui a duré une décennie, se mit en place un

régime militaire, celui du président André Kolingba. Ce dernier imposa le parti unique puis

instaura plus tard le multipartisme qui fonctionna plus ou moins bien. Cette période fut celle de

l’ère du programme d’ajustement structurel imposé par la Banque mondiale dans l’optique

d’assainir et de redresser l’économie des pays d’Afrique.

En fait, au lieu d’assainir et de remettre l’économie des pays d’Afrique sur les rails, le PAS (le

Programme d’Ajustement Structurel) a encore mis l’Afrique dans le chaos, selon les dires de

certains économistes. Il a, en effet, contribué à la détérioration des secteurs économiques et

sociaux avec pour conséquences manifestes l’accroissement du chômage, la baisse de la

production agricole par habitant. La Centrafrique fut aussi secouée par le PAS au même titre que

tous les pays de la région. Il y eut effectivement une détérioration de l’activité des secteurs

sociaux en Centrafrique pendant les années 1990. Il y eut un accroissement du chômage, une

détérioration des indicateurs éducatifs et sanitaires entre autre. Il faut noter, par ailleurs, que la

période 1980-1993 demeura, malgré tout, une période faste pour la République Centrafricaine du

point de vue politique, car elle fut marquée par l’avènement du multipartisme suite à

l’organisation des élections démocratiques sur l’initiative d’un régime militaire, fait historique

très marquant.

130Bigo D., (1988), pouvoir et obéissance en Centrafrique, Paris, Karthala.

Page 107: Université Lyon II

107

La dernière phase de la chronologie historique de la République Centrafricaine s’étend de

1994 à nos jours. Ce fut une période maudite à tous les niveaux de la vie économique, sociale,

politique, sanitaire. L’évènement économique marquant de cette période fut la dévaluation du

Franc CFA intervenue en 1994. Les ménages vont voir leur pouvoir d’achat baisser suite à cette

dévaluation. Par conséquent, une grande partie de ceux-ci va plonger dans l’extrême pauvreté. En

effet, comment vivre décemment si on n’a pas de salaire ni de sources de revenus assurés ?

Ainsi, il faut noter que plusieurs ménages centrafricains accumulaient les arriérés de salaire

(de douze à quarante mois de salaire entre 1994 et 2001)131

. Les troubles politiques et militaires,

conséquences inévitables des crises socioéconomiques, vont se multiplier pendant cette période.

Il y a eu trois mutineries en 1996 en République Centrafricaine qui s’expliquèrent dans une large

mesure par le mécontentement de la population contre l’Etat incapable de payer les salaires de ses

fonctionnaires132

. Les rebelles militaires vont profiter de cette situation pour entrer en mutinerie

contre le gouvernement, en réclamant le paiement des arriérés de leur solde.

Les années 2000 vont ressembler à celles de 1990 du point de vue de l’instabilité sociale et

politique. Elles vont être marquées par deux coups d’état qui plongèrent le pays dans une totale

insécurité. Le coup d’état avorté de 2001 fut à l’origine de la migration sous contrainte des

milliers de Centrafricains. Ces derniers se réfugièrent en République Démocratique du Congo et

au Congo Brazzaville. Ce fut la première fois qu’un flux important de Centrafricains quitta la

Centrafrique pour demander refuge à l’étranger. Le gouvernement Centrafricain demanda à

Bemba, le chef de la rébellion du nord de la République Démocratique du Congo, une assistance

militaire. Ce dernier envoya des milliers de soldats, anciens rebelles, pour assurer la sécurité du

chef d’Etat Centrafricain ainsi que de ses proches.

131Journal le Citoyen (Quotidien national centrafricain) synthèse des évènements de 1996.

132 Corton O., (1998), situation en République Centrafricaine : Résolution des Nations unies, Janvier 1998, p 2.

Page 108: Université Lyon II

108

Cet épisode fut dramatique pour l’ensemble de la population Centrafricaine. Les rebelles de

Bemba mirent le pays à feu et à sang. Ils furent à l’origine de l’élimination systématique des

hauts fonctionnaires d’Etat, des viols dans la capitale, des pillages, des massacres et de diverses

violences ; bafouant ainsi les principes fondamentaux des Droits de l’Homme. La prolifération

des mouvements rebelles fut, plus ou moins, à l’origine de la migration forcée à l’intérieur du

pays. On dénombre à ce jour environ 185 000 déplacés internes en République Centrafricaine133

.

En fin, le coup d’état de 2003 marqua le retour d’un régime militaire au pouvoir.

Pour conclure, la Centrafrique demeure un pays instable au même titre que tous les pays de la

sous-région. En effet, trois présidents sur les cinq qui ont dirigé le pays depuis l’indépendance ont

pris le pouvoir par des armes.

133 HCR (2011), Rapport Global : République Centrafricaine.

Page 109: Université Lyon II

109

1. 2 La situation géopolitique de la Centrafrique et les problèmes

des Réfugiés.

Située au centre de l’Afrique et à proximité des pays très instables politiquement comme la

République Démocratique du Congo, le Congo Brazzaville, le Soudan et le Tchad, la

Centrafrique ne peut qu’être confrontée aux problèmes de réfugiés.

Le problème de la gestion des flux de réfugiés s’est imposé à la Centrafrique dès le début des

indépendances (vers les années 1960).

En effet, la Centrafrique, jeune Etat indépendant, était contrainte d’accueillir sur son territoire

en 1967 quelque 27 000 réfugiés soudanais qui avaient fui la guerre civile qui déchirait leur pays.

Ces réfugiés soudanais se trouvaient dans la région de Bambouti en République Centrafricaine

(région frontalière avec le Soudan)134

. Afin de faciliter l’intégration de ces réfugiés sur son

territoire, le Gouvernement Centrafricain et les organisations internationales installées en

Centrafrique à l’époque (Le HCR et la Ligue de la Croix Rouge) avaient mis en place un

programme d’insertion socioprofessionnelle à des fins exclusivement agricoles. L’objectif

général de ce programme était de permettre aux populations réfugiées soudanaises d’atteindre

dans moins de deux ans, c’est-à-dire en 1969, le niveau de vie des populations locales. Ce fut un

grand défi pour ce jeune pays nouvellement indépendant qui n’avait guère connu un problème

similaire auparavant, c’est-à-dire celui de la gestion et de la prise en charge d’un grand nombre

de populations migrantes en situation de refuge. Mais grâce au concours du HCR et de la Ligue

134Ligue des Sociétés de Croix - Rouge (1967), Réinstallation des réfugiés soudanais en République

Centrafricaine : Rapport de mission en République Centrafricaine, octobre - décembre 1967, p 1.

Page 110: Université Lyon II

110

de la Croix rouge, l’objectif de ce programme fut plus ou moins atteint. Ces deux institutions et le

Gouvernement Centrafricain ont organisé pour la première fois une enquête démographique

auprès de la population réfugiée soudanaise afin de collecter des informations sur leur structure

familiale, leur situation socioprofessionnelle et d’autres informations sociologiques ; éléments

capitaux pour la réussite d’un programme d’intégration locale135

. La question se posait de savoir

comment réussir un programme d’intégration locale sans avoir des informations chiffrées, ni

aucune connaissance des besoins de ces réfugiés. Ce fut, à notre sens, la genèse de la solidarité

institutionnelle autour de la question des réfugiés en République Centrafricaine.

Après la grande vaque des réfugiés des années 1967 principalement soudanaise, vient celle des

années 1980. En effet, environ 7 000 réfugiés tchadiens se sont installés au Nord de la

République Centrafricaine et dans sa capitale, Bangui136

. Ces derniers avaient fui principalement

la guerre civile qui avait débuté le 12 février 1979 au Tchad. On remarqua une nette stabilité du

nombre de réfugiés tchadiens en République Centrafricaine entre 1981-1982. Mais c’est entre

1984-1985 que la Centrafrique va connaitre un flux très important des réfugiés tchadiens sur son

territoire à cause des troubles politico-militaires et sociaux au Tchad. Il y eut des massacres des

populations du sud du Tchad pendant la période dite de « septembre noir ». En effet, les FANT,

les forces armées nationales tchadiennes, furent responsables d’actes de barbarie atroces à l’égard

des populations du Sud. Afin de fuir ces atrocités, quelques 40 000 Tchadiens quittèrent leur

région pour se réfugier dans les pays limitrophes.

Selon le HCR, environ 8 500 réfugiés tchadiens se sont exilés en République Centrafricaine en

1985. Compte-tenue de l’ampleur de la crise, le HCR va mettre en place un programme

d’assistance d’urgence en faveur de ces réfugiés installés en République Centrafricaine. D’aucuns

135 Ibid p 2 et suivant.

136HCR (1980), les rapports sur les événements de 1980.

Page 111: Université Lyon II

111

affirment qu’un groupement d’individus armés appartenant à l’armée Tchadienne auraient

attaqué les camps des réfugiés tchadiens installés en République Centrafricaine et auraient

contraint ainsi ces derniers à rentrer de force au Tchad. Le gouvernement centrafricain de

l’époque démentit cette information. Par conséquent, il collabora avec le HCR dans la mise en

place d’un dispositif de relocalisation de ces réfugiés. Ces derniers furent désormais localisés

dans des zones de sécurité à l’intérieur du pays afin d’éviter toute attaque éventuelle de la FANT.

L’année 1986 fut une année de normalisation plus ou moins précaire au Tchad. Certains

réfugiés tchadiens, environ 10 000, installés en Centrafrique vont profiter de cette normalisation

temporaire pour retourner au Tchad au cours de l’année 1986137

. De ce fait, le nombre de réfugiés

tchadiens présents en République Centrafricaine va baisser de 5 000 personnes à partir de 1987

pour augmenter plus tard, de nouveau, plus 18 000 réfugiés en 1993, plus 17 000 réfugiés en

1994 mais .pour de nouveau baisser vers les années 2 000 pour n’atteindre que l’effectif de 1 410

réfugiés présents en Centrafrique en 2010.

Cette baisse significative du nombre de réfugiés vers les années 2000 s’explique par le

programme de rapatriement volontaire mis en place par le HCR pendant cette période. En effet, le

réfugié avait le choix, soit de rentrer volontairement dans son pays d’origine, soit de rester en

Centrafrique à condition d’accepter le programme centrafricain d’intégration sociale nationale.

En fait, bon nombre de réfugiés tchadiens ont donc profité de ce programme de rapatriement

volontaire pour retourner au Tchad.

Les années 1990 vont être marquées tout d’abord par l’arrivée massive, en Centrafrique, des

réfugiés du Congo Brazzaville. 500 000 Congolais auraient fui la guerre dans leur pays pour se

137USCR (1986).

Page 112: Université Lyon II

112

réfugier dans les pays limitrophes. Une partie de ces 500 000 personnes qui ont fui le Congo ont

trouvé refuge en République Centrafricaine. Compte tenu du manque de données chiffrées nous

ne pouvons être précis sur leur nombre.

La seconde vague de réfugiés qui s’installa sur le territoire Centrafricain à partir des années

1990 fut celle des Rwandais et des Congolais (RDC). Il faut noter qu’environ deux millions de

Rwandais s’étaient réfugiés à l’étranger vers les années 1994 suite à la guerre civile qui avait

déchiré leur pays. Un grand nombre de ces Rwandais, environ un million, avait trouvé refuge en

République Démocratique du Congo d’une manière définitive ou temporaire principalement dans

la région de Goma. A noter aussi que certains réfugiés Rwandais n’étaient que de transit sur le

territoire congolais. Ils transitaient en République Démocratique du Congo pour ensuite aller soit

au Congo Brazzaville ou en République Centrafricaine. On remarque malgré tout, la présence de

quelques réfugiés Rwandais sur le territoire centrafricain vers les années 1994-1996. Mais le flux

le plus important de réfugiés présents sur le territoire Centrafricain vers les années 1990 vient

principalement de la République Démocratique du Congo. En effet, en 1997, l’année de la chute

du président Mobutu et de l’accession au pouvoir du président Kabila, des milliers de Congolais

(RDC) vont fuir leur pays pour se réfugier en République Centrafricaine. Le gouvernement

centrafricain et le HCR furent alors confrontés à un grand problème de la gestion de ce flux.

Page 113: Université Lyon II

113

L’année 2000 débute mal pour la Centrafrique avec des problèmes récurrents des réfugiés

installés sur son territoire. La crise de la région du nord de la République Démocratique du

Congo (la région de l’équateur) marquée par la rébellion de Bemba qui combat le pouvoir de

Kinshasa a contraint des milliers de personnes à la mobilité sous contrainte. De ce fait, plus de

6000 Congolais (RDC) originaires de la région de l’équateur ont fui cette région belliqueuse pour

se réfugier en République Centrafricaine.

Enfin, la République Centrafricaine est confrontée depuis 2003 au problème des réfugiés

soudanais victimes des troubles socio-politiques (la crise du Darfour). Des milliers de réfugiés

soudanais affluèrent sur le territoire centrafricain depuis le début de cette crise même si un grand

nombre de ces réfugiés furent rapatriés au Soudan dans les années 2006-2007138

.

Quatre phases sont donc à prendre en compte dans l’histoire de la migration de refuge sur le

territoire centrafricain :

1) Une première phase, qui s’étend de 1965 à 1967, marquée par l’arrivée massive des

réfugiés Soudanais.

2) Une seconde phase, qui s’étend de 1980 à 1985, marquée par l’arrivée de milliers de

réfugiés Tchadiens.

3) Une troisième phase, qui s’étend de 1993 à 1997, pendant laquelle on voit arriver des réfugiés

en provenance de trois pays qui sont : Le Congo-Brazzaville ; le Rwanda et le Congo (RDC). Et

enfin une quatrième phase qui s’étend de l’année 2000 à nos jours, qui, elle, est marquée par

l’arrivée massive de réfugiés Congolais (RDC), Tchadiens et Soudanais.

138Environ 5123 réfugiés soudanais sont rapatriés au Soudan vers les années 2006 suite au programme de

rapatriement volontaire mis en place par le HCR. Source : HCR(2006), rapport sur la République Centrafricaine.

Page 114: Université Lyon II

114

On a constaté, d’après ce qui précède, que la République Centrafricaine est confrontée au

problème de gestion de flux des réfugiés depuis les années 1960 jusqu’à maintenant En fait, les

mêmes pays qui envoyaient les réfugiés en Centrafrique dès les années 1960-1980 continuent

d’envoyer des réfugiés sur le territoire centrafricain jusqu’à aujourd’hui. Car, ils n’ont jamais

trouvé un calme définitif. C’est le cas du Soudan et du Tchad qui ont eu à envoyer les réfugiés en

République Centrafricaine d’une manière presque continue depuis les années 1960, pour le

Soudan, et depuis les années 1980 pour le Tchad.

En fait, le CNR (le comité national pour les réfugiés), organisme public centrafricain qui

s’occupe des réfugiés, enregistre chaque année les nouveaux cas des demandes d’asile exprimées

par des Soudanais et des Tchadiens. De ce fait, ces derniers sont majoritairement présents dans la

liste des nouveaux demandeurs d’asile. Il faut noter, par ailleurs, que les nouveaux pays en

conflits tels que la Côte d’Ivoire et le Libéria et les autres pays africains plus calmes envoient

également des réfugiés en République Centrafricaine mais d’une manière irrégulière et en

nombre moindre.

Il y eut, malgré tout, une baisse relative du nombre de réfugiés sur le territoire centrafricain à

partir de l’année 2004 puisqu’un grand nombre de réfugiés vont retourner dans leur pays à l’issue

du programme de rapatriement volontaire mis en place par le HCR. Ainsi, le HCR et le CNR ont

rapatrié 2034 réfugiés en 2004, 2 167 en 2005, 5 656 en 2006 et 7 862 en 2007139

. Ces

organismes ont donc réussi à rapatrier environ 17 719 réfugiés entre 2004 et 2007. Cependant, un

nombre important de réfugiés est retourné dans leur pays sans en aviser le HCR. Par conséquent,

ces derniers échappent donc aux statistiques du HCR. Outre le phénomène de rapatriement

volontaire des réfugiés, l’amélioration de la situation politique de quelques pays frontaliers de la

République Centrafricaine se trouve également être à l’origine de la décroissance du nombre de

réfugiés dans ce pays. Le Congo Brazzaville, la République Démocratique du Congo, le Soudan

139CNR (2010) et HCR (2010), Rapport d’activité et tableaux synoptiques.

Page 115: Université Lyon II

115

et le Tchad n’ont, ainsi, pas envoyé de réfugiés en République Centrafricaine comme dans les

années précédentes.

Le nombre de réfugiés va, malgré tout, croître en 2009 sur le territoire centrafricain. Cela est

dû à un afflux des réfugiés congolais (RDC) qui se sont installés dans la région de Haut Mbomou

et de la Lobaye à l’Est et au Sud du pays. Le nombre de réfugiés s’élève à 22 840 en République

Centrafricaine en 2010.

1.2.1 Le programme de rapatriement des Réfugiés.

L’un des Droits les plus importants des réfugiés est de choisir volontairement la solution qu’ils

désirent. L’une des solutions est le rapatriement volontaire140

. En effet, le réfugié a le droit de

demander à être rapatrié dans son pays d’origine s’il estime qu’il peut y retourner vivre sans

crainte d’être persécuté

L’article 5 de la Convention de l’OUA relative aux problèmes des réfugiés en Afrique définit

les conditions de rapatriement volontaire du réfugié. Il revient uniquement au réfugié de formuler

la demande de son rapatriement dans son pays d’origine. Ni personne ni aucune institution ne

peut l’influencer dans cette démarche. Il ne peut donc pas être rapatrié contre son gré.

Le retour dans son pays d’origine doit être organisé à la fois par les autorités du pays d’accueil

et son pays d’origine ainsi que les organisations humanitaires qui s’occupent des problèmes des

140 Déclaration de monsieur Auguste R. Lindt, Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés à la session

du Conseil Economique et Social (ECOSOC), le 20 juillet 1959.

Page 116: Université Lyon II

116

réfugiés (le plus souvent le HCR)141

. Ce retour doit être encadré juridiquement. Donc, les

autorités du pays d’accueil doivent mentionner ce retour dans un texte officiel dans lequel

figurent les noms, le nombre de réfugiés candidats au départ, la nationalité et les pays de

destination de ces derniers.

Ce texte doit être envoyé officiellement aux autorités des pays d’origine de ces réfugiés afin

qu’il y ait des traces juridiques de l’opération de rapatriement. On doit leur fournir gratuitement

un titre de voyage. Les autorités du pays d’origine doivent également garantir aux réfugiés

rapatriés un plan de réinsertion sociale.

Le rapatriement peut se faire individuellement. Mais la plupart des cas, celui-ci se fait

collectivement afin de minimiser le coût du voyage. L’opération débute souvent par un

recensement, par nationalité et zone géographique des réfugiés qui émettent le souhait d’être

rapatrié. Le HCR et le gouvernement des pays d’accueil rassemblent ainsi les réfugiés originaires

d’un même pays ou d’une même région dans le même moyen de transport et encadrent le voyage

jusqu’à la destination.

Les réfugiés, qui demandent d’être rapatriés, sont généralement ceux dont les pays d’origine

ont retrouvé la paix et la tranquillité d’une manière temporaire ou définitive. Ce fut le cas de

certains réfugiés installés à Bangui. Ils sont au nombre de 2 034 à l’avoir demandé en 2004. Les

réfugiés Congolais (RDC) étant les plus nombreux(2011).

Le tableau ci-dessous donne des informations sur le nombre de réfugiés rapatriés en

République Centrafricaine entre 2004 et 2007 selon leur nationalité.

141 République Islamique de Mauritanie (2007), Accord tripartite entre le Gouvernement de la République

Islamique de Mauritanie, le Gouvernement de la République du Sénégal et le Haut Commissariat des Nations Unies

pour les Réfugiés (HCR), pour le rapatriement volontaire des réfugiés mauritaniens au Sénégal.

Page 117: Université Lyon II

117

Tableau 3.1 : Distribution des réfugiés rapatriés en République Centrafricaine entre 2004 et 2007

selon leur nationalité.

Année

Les pays d'origine des réfugiés 2004 2005 2006 2007 Ensemble

République Démocratique du Congo (RDC) 2011 786 480 1363 4 640

Tchad 3 1375 1 3 1 382

Soudan 4 0 5123 6473 11 600

Burundi 1 0 5 0 6

Congo Brazzaville 15 6 0 21 42

Angola 0 0 46 0 46

Libéria 0 0 1 0 1

Cameroun 0 0 0 2 2

Ensemble 2 034 2 167 5 656 7 862 17 719

Source : HCR et CNR de Bangui (2010), Tableaux Synoptiques.

Graphique 3.1 : Evolution du nombre des réfugiés et demandeurs d’asile en Centrafrique entre

1993 et 2000.

Source : Graphique Réalisé à partir des compilations de données de HCR (UNHCR Statistical

Yearbook ) et de CNR (rapport d’activité et tableaux synoptiques).

Page 118: Université Lyon II

118

On remarque que les réfugiés et demandeurs d’asile Congolais (RDC), Soudanais et Tchadiens

sont en nombre important dans la population des réfugiés et demandeurs d’asile installés en

République Centrafricaine en 2010 Ils représentent respectivement 70%, 21% et 6% de la

population des migrants de refuge présents sur le territoire centrafricain. Ce chiffre semble

logique, vu la proximité des pays d’origine de ces réfugiés avec la République Centrafricaine et

le contexte sociopolitique de ces pays marqué par des perpétuels troubles. Les réfugiés et

demandeurs d’asile Congolais (RDC) représentent donc le plus grand pourcentage des migrants

de refuge installés en République Centrafricaine en 2010. En effet, l’afflux de 5 000 réfugiés

Congolais (RDC) dans les régions de Haut Mbomou, région Est de la République Centrafricaine,

et de 8 000 autres dans la région de Lobaye (région Sud-ouest de la République Centrafricaine)

ces dernières années est venu gonfler le nombre de réfugiés Congolais (RDC) présents en

République Centrafricaine.

Graphique 3.2 : Distribution des réfugiés et demandeurs d’asile résidant en République

Centrafrique en 2010.

Source : Graphique réalisé à partir des données du CNR et du HCR (rapport d’activité et

tableaux synoptiques, année 2010).

Il faut noter, par ailleurs, que la plus grande proportion de ces réfugiés vit dans les camps à

l’intérieur du pays, proche des zones frontalières et dans les villes provinciales de moindre

importance comme nous le montre la carte ci-dessous. En fait, c’est généralement dans les camps

Page 119: Université Lyon II

119

que ces réfugiés reçoivent leur première assistance avant de se livrer à toute autre activité à

l’intérieur de leur pays d’accueil.

En effet, 15 à 20 000 réfugiés vivent dans les camps en République Centrafricaine. Les

principaux camps recensés par le HCR sont les suivants : Sam Ouandja, Mboki, Obo, Zemio,

Mongo. Ces camps ont accueilli respectivement 1602, 1 500, 700, 3 448 et 8 000 réfugiés en

2010142

. Il faut remarquer que réfugiés sont peu représentés dans les importants grands centres

urbains de la République Centrafricaine. Par contre, ils sont surreprésentés au niveau de la

capitale. On dénombre, en 2010, tout de même 6 166 réfugiés dans la capitale centrafricaine, soit

environ 27% de la population des réfugiés et des demandeurs d’asile implantés en Centrafrique.

Nous allons revenir sur ce phénomène particulier de la migration de refuge à l’intérieur de la

capitale centrafricaine lorsque nous présenterons, dans la seconde partie de cette étude, un

chapitre qui sera axé sur la structure de population des réfugiés installée à Bangui.

142CNR et HCR de la République Centrafricaine, Tableau Synoptique 2010, Bangui République Centrafricaine.

Page 120: Université Lyon II

120

Figure 3.2. : Localisation des réfugiés sur le territoire centrafricain en

2010.

Source : HCR(2010), Rapport Global sur la République Centrafricaine.

Page 121: Université Lyon II

121

1.3 Le profil démographique des Réfugiés présents en République

Centrafricaine en 2010.

Tableau 3.2 : Distribution des réfugiés et demandeurs d’asile résidant en Centrafrique en 2010

selon leur âge et leur sexe.

Classes d'âge Effectif des réfugiés et demandeurs d’asile de

sexe féminin

Effectif des réfugiés et demandeurs

d’asile de sexe masculin

0 - 4 ans 1926 2037

5 - 11 ans 2151 2167

12 - 17 ans 1707 1529

18 - 59 ans 4769 5908

60 ans et plus 275 371

TOTAL 10 828 12 012

Source : CNR et HCR (2010), Bangui République Centrafricaine.

La population des réfugiés présente en République Centrafricaine est composée d’hommes de

femmes et d’enfants. Les hommes représentent 53% de cette population. Les femmes sont autant

représentées au sein de cette population que les hommes. On dénombre 10 828 réfugiés et

demandeurs d’asile de sexe féminin en République Centrafricaine en 2010, soit 47% de la

population totale des réfugiés dans cette localité. Les réfugiés qui vivent en République

Centrafricaine sont davantage jeunes. En effet, 50% d’entre eux ont moins de 18 ans. On

constate, d’après ces statistiques, que la migration de refuge ne concerne plus que les hommes

adultes. Elle concerne désormais les femmes et les enfants. La migration de refuge se féminise de

plus en plus. En effet, le développement de la migration de refuge ou de regroupe, en Afrique

Centrale ces dernières années, est à l’origine du phénomène de la mobilité sous contrainte des

femmes et des enfants. Le nombre des enfants croît de plus en plus dans la population des

réfugiés en Afrique centrale. C’est le cas en République Centrafricaine.

Page 122: Université Lyon II

122

Les enfants, c’est-à-dire des personnes ayant moins de 12 ans, représentent 36% de la

population des réfugiés et demandeurs d’asile résidant en République Centrafricaine en 2010, soit

un effectif de 8 281 personnes. Mais une mise en garde s’impose dans l’interprétation de ces

données

En effet, tous les enfants qui ont été recensés par la Commission des Réfugiés et qui sont

comptabilisés dans la population des réfugiés présents en République Centrafricaine en 2010

n’ont pas forcément connu un cheminement migratoire, c’est-à-dire qu’ils ont migré pour arriver

en République Centrafricaine. En effet, un grand nombre de ces enfants sont nés en République

Centrafricaine. Ils sont comptabilisés dans la population des réfugiés parce qu’ils sont les enfants

des réfugiés. Ils ont dû bénéficier du statut du réfugié au même titre que leurs parents. Les

organismes qui accueillent les réfugiés en République Centrafricaine consacrent généralement un

budget considérable à la scolarisation de ces enfants.

Les personnes en âge de travailler sont également très nombreuses dans cette population de

réfugiés. D’après les statistiques du CNR, 47% de réfugiés qui vivent en République

Centrafricaine en 2010 ont entre 18 ans et 59 ans. On retrouve à peu près la même proportion

d’hommes et de femmes dans cette tranche d’âge. Va alors se poser le problème d’insertion

professionnelle de ces réfugiés. Nous reviendrons sur cet aspect dans la dernière partie de notre

étude. On constate, par ailleurs, que les personnes ayant un âge élevé, c’est-à-dire celles qui ont

60 ans et plus sont sous-représentées dans la population des réfugiés qui sont installées en

République Centrafricaine. En effet, elles ne représentent seulement que 3% de cette population.

1.4 Les organes et les structures d’accueil et d’assistance aux

réfugiés en République Centrafricaine.

Plusieurs organismes nationaux et internationaux installés en République Centrafricaine

travaillent auprès des réfugiés présents dans ce pays selon des domaines diversifiés de la vie

Page 123: Université Lyon II

123

sociale. Certains s’occupent davantage de leur protection comme le volet juridique consacré aux

problèmes des réfugiés ; d’autres de leur habitation, de leur santé et de leur alimentation au

moment où ils se trouvent concentrés dans les camps. D’autres vont, par ailleurs, s’occuper de

leur insertion socioprofessionnelle selon qu’ils soient dans les camps ou dans les centres urbains.

Nous n’allons présenter dans cette partie d’étude que les plus importants organismes nationaux

ou internationaux qui accueillent et assistent les réfugiés et les demandeurs d’asile en République

Centrafricaine.

1.4.1 Le fonctionnement et l’organisation des organes et des

structures nationaux d’accueil et d’assistance aux réfugiés en

République Centrafricaine.

En effet, le décret n° 09.001 du 06 Janvier 2009 de la République Centrafricaine en lien avec

les dispositions des articles 7, 8,9 et 10 de la loi n°07.019 du 28 décembre 2007, portant Statut

des réfugiés en République Centrafricaine, détermine les modalités d’organisation et de

fonctionnement des organes de mise en œuvre de la politique nationale relative aux réfugiés ,

c’est-à-dire des structures nationales qui travaillent auprès des réfugiés en République

Centrafricaine 143

.

143Source : République Centrafricaine (2009), Journal Officiel, Septembre 2009.

Page 124: Université Lyon II

124

1.4.1.1 La Coordination Nationale Pour la Protection du Réfugié

(La CNPR).

La CNPR est un organe clé qui veille à la mise en œuvre de la politique nationale du

gouvernement Centrafricain en matière d’asile.

La CNPR est placée sous la responsabilité du Ministère de l’Intérieur de la République

Centrafricaine et se compose :

d’un Président qui n’est autre que le Ministre de l’Intérieur, lui-même, ou son représentant.

d’un Vice-président qui est le Ministre des Affaires Etrangères ou son représentant.

des membres suivants: le Ministre de la Justice Garde des Sceaux, le Ministre du Travail et de

la Sécurité Sociale, le Ministre du Plan et de la Coopération Internationale, le Ministre de

l’Education Nationale, le Ministre de l’Environnement, le Ministre de la Défense ou leurs

représentants respectifs.

Le problème des migrants de refuge fait donc partie intégrante des domaines d’intervention de

ces ministres puisque la présence des réfugiés peut occasionner des problèmes de sécurité au sein

du territoire centrafricain. Cette présence peut également être à l’origine des problèmes

environnementaux comme l’inflation de la consommation animale ou végétale, la destruction des

arbres préservés pour des usages domestiques.

Le réfugié est également une personne qu’on doit protéger par une législation spécifique. Il a

droit à l’éducation et à l’instruction. Bref, il a droit à une vie sociale adéquate comme tous les

autres citoyens nationaux. D’où la nécessité de rassembler les ministres qui s’occupent des

problèmes de l’environnement, de la sécurité publique, de l’éducation, des droits de l’homme …,

c’est-à-dire de tous les problèmes qui touchent de près les réfugiés au sein de cet organe national

Page 125: Université Lyon II

125

qui est la CNPR afin qu’eux mêmes proposent des textes de loi relatifs aux problèmes des

réfugiés en République Centrafricaine. Le Gouvernement Centrafricain donne une importance

capitale au problème des réfugiés. C’est la raison pour laquelle il a mobilisé tout son corps

ministériel autour de cette problématique.

En effet, la CNPR a l’obligation de présenter un rapport annuel de ses activités au

gouvernement centrafricain. Pour ce faire, les membres de la CNPR doivent se réunir une fois par

an, voire plusieurs fois en cas d’urgence, sur convocation du ministère de l’Intérieur afin de

discuter sur la politique nationale en matière d’asile et de sa mise en application ou en exécution.

La CNPR travaille en étroite collaboration avec la CNR (La Commission Nationale pour les

Réfugiés), une autre structure nationale qui s’occupe des réfugiés en République Centrafricaine.

1.4.1.2 La Commission Nationale Pour les Réfugiés (La CNR).

Elle est située à Bangui. On peut dire que c’est le lieu de rassemblement de tous les réfugiés

vivant à Bangui et des autres réfugiés venus des zones provinciales. La CNR est vraiment la

maison des réfugiés. Il ne passe jamais un seul jour sans qu’une foule de réfugiés se rassemble au

sein des locaux de CNR à Bangui. Du matin au soir, la CNR est toujours bondée de monde. On y

trouve des réfugiés de toutes les nationalités. En effet, la distinction des nationalités se fait savoir

à travers des différentes langues qu’on entend dans les locaux de CNR. On y trouve les anciens

réfugiés , c’est-à-dire les réfugiés statutaires ou ceux qui sont arrivés sur le territoire centrafricain

depuis plusieurs années ; les futurs réfugiés, autrement dit les personnes qui ont introduit une

demande de statut de réfugié, lequel est en cours de traitement et les nouveaux demandeurs

d’asile, des femmes réfugiées avec des enfants en bas âge, des réfugiés malades etc.

Page 126: Université Lyon II

126

En fait, la CNR demeure à notre sens le lieu privilégié d’accueil des réfugiés vivant

principalement au sein du centre urbain de Bangui. En effet, ce n’est pas pour rien que les

réfugiés sont concentrés tous les jours du matin au soir au sein des locaux de la CNR. S’ils sont là

quotidiennement, c’est que cet organisme apporte plus ou moins des solutions à leurs problèmes.

Mais quels sont objectifs de cet organisme ? Quel est son mode d’organisation et de

fonctionnement ?

En effet, la commission nationale pour les réfugiés est chargée :

d’ assurer la protection des demandeurs d’asile et des réfugiés en accord avec la Convention

de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié, de la Convention de l’OUA du 10

septembre 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique ainsi que la

loi n° 07.019 du 28 décembre 2007, portant Statut des réfugiés en République Centrafricaine et

de tout accord ou arrangement concernant la protection des réfugiés en République

Centrafricaine144

.

de faire des propositions au gouvernement centrafricain ainsi qu’au Haut Commissariat pour

les réfugiés des mesures concrètes en cas d’afflux des réfugiés sur le territoire centrafricain.

de décider de la perte ou de la cessation du statut de réfugié en accord avec des textes de loi en

vigueur.

de donner un avis sur les mesures d’exclusion mises en place à l’encontre d’un réfugié en

accord avec les textes de loi en vigueur.

d’informer le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés sur les dossiers de

réinstallation des réfugiés.

144 République Centrafricaine (2009), Journal officiel, Septembre 2009, Op Cit p 3.

Page 127: Université Lyon II

127

de faciliter l’accueil des demandeurs d’asile et les réfugiés sur le territoire centrafricain.de

recevoir toutes les demandes de rapatriement volontaire des réfugiés ; d’organiser avec l’appui du

HCR le retour des réfugiés dans leur pays d’origine.

de sensibiliser l’opinion publique nationale et internationale sur la question des réfugiés.

de subvenir aux besoins élémentaires des réfugiés installés en République Centrafricaine en

fonction des moyens mis à sa disposition.

Il faut noter que la CNR est un organisme public placé sous tutelle du ministère de l’Intérieur

et comprend :

un secrétaire général qui a pour mission principale, de recevoir les demandes d’asile ou toutes

les autres demandes de la part d’un demandeur d’asile ou d’un réfugié afin de les transmettre aux

organismes compétents pour évaluation et décision.

une sous-commission d’éligibilité qui est un organe de décision au niveau de l’attribution du

statut de réfugié. Elle est composée :

d’un représentant du Ministère de l’Intérieur qui est le président de la sous-commission ; d’un

représentant du Ministère des Affaires Etrangères ; d’un représentant du service juridique du

Ministère de l’Intérieur ; d’un représentant de la Direction de l’Emigration-Immigration ; d’un

représentant de la Commission Nationale pour les Réfugiés et d’un, ou des, représentants du Haut

Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés à titre d’observateur.

d’une direction des affaires juridiques et sociales, un des pôles du Secrétariat Général qui, en

plus des tâches d’accueil et d’enregistrement des demandes d’asile, élabore des projets pour les

réfugiés, suit et évalue leurs microprojets, leur apporte des soutiens dans la création de leur projet

d’insertion socioprofessionnelle, bref assure l’insertion sociale des réfugiés. Figure au sein cette

direction des affaires juridiques et sociales un service de la protection, de la documentation et de

la statistique.

Page 128: Université Lyon II

128

d’une direction des affaires administratives et financières, un pôle du Secrétariat général, qui a

pour missions principales d’assister les réfugiés, d’élaborer, de mettre en œuvre et de coordonner

les programmes de réinsertion sociale des réfugiés en République Centrafricaine.

La CNR est à notre sens la principale plate-forme administrative et juridique des réfugiés en

République Centrafricaine. C’est en effet, le seul organisme national qui coordonne et gère tous

les problèmes administratifs et juridiques des réfugiés installés en République Centrafricaine en

amont jusqu’en aval.

En effet, la CNR est créée en 1983 par une ordonnance du Gouvernement Centrafricain. Elle

vit grâce aux subventions de l’Etat Centrafricain et du HCR. C’est l’Etat Centrafricain qui paie le

salaire de tous les fonctionnaires détachés de la fonction publique centrafricaine travaillant au

sein de cette structure. En plus des salaires des fonctionnaires, l’Etat centrafricain alloue

mensuellement un portefeuille de 15 000 000 de franc CFA, soit environ 23.000 euros, à la CNR

afin de l’aider à réussir sa mission.

Le HCR finance également la majorité des projets de la CNR puisqu’il est l’un des ses

partenaires privilégiés, en plus du gouvernement centrafricain. Les projets qu’il finance sont ceux

que les réfugiés ont soumis ou présentés à la CNR. Les projets apparaissent dans les domaines

divers tels que : l’hôtellerie, la couture, le transport, l’informatique, l’enseignement général et

technique. Par conséquent, le CNR se présente comme un intermédiaire entre le réfugié et le

HCR.

Il faut noter, par ailleurs, que l’aide du HCR ne se limite pas seulement aux financements des

projets d’insertion sociale des réfugiés accueillis par la CNR. Il assiste également la CNR dans le

domaine logistique en fournissant par exemple des véhicules à ses personnels pour divers

Page 129: Université Lyon II

129

déplacements dans les sites de l’intérieur du pays. En effet, les véhicules demeurent des outils

précieux pour ces agents qui se déplacent souvent très loin de la capitale dans les zones où les

routes sont généralement en mauvais état.

Force est de constater que la CNR éprouve toujours des difficultés à répondre à tous les

besoins des réfugiés malgré les aides de l’Etat centrafricain et les multiples dons du HCR. Ces

donations financières demeurent, malgré tout, insignifiantes vu le nombre croissant des réfugiés

ainsi que de leurs besoins. Surtout, elle n’a pas aussi vocation de s’occuper de tous les volets du

programme d’assistance aux réfugiés installés en République Centrafricaine.

Certaines organisations nationales ou internationales implantées en République Centrafricaine

s’occupent généralement des autres volets du programme d’assistance aux réfugiés. Par exemple :

le COOPI s’occupe du volet alimentation et éducation (distribution des vivres aux réfugiés pour

une sécurité alimentaire et l’instruction de la population réfugiée) ; le PAM (le Programme

Alimentaire Mondial) s’occupe également du volet alimentaire (distribution des banques

alimentaires aux réfugiés ) ; l’IMC implanté dans la ville de Bambari s’occupe du volet santé

(soins et distribution des médicaments aux réfugiés ) ; le Triangle s’occupe entre autres du volet

éducation ; le CSSI s’occupe du volet dit service communautaire ainsi que les Organisations Non

Gouvernementales Nationales et les associations telles que les femmes juristes et l’association

Azoudanga assistent les réfugiés dans les démarches administratives et juridiques.

En fait, la liste des structures d’accueil et d’assistance ci-dessus présentée n’est pas

exhaustive. C’est pour dire que beaucoup d’autres structures implantées en République

Centrafricaine accueillent les réfugiés et interviennent dans le processus de leur insertion sociale.

Il est à noter qu’une des plus importantes de ces structures d’accueil non mentionnée plus haut

demeure les familles d’accueil. Les familles d’accueil des réfugiés peuvent être les propres

parents de ces derniers, des familles issues de sa communauté ou des familles centrafricaines.

Page 130: Université Lyon II

130

Les familles d’accueil demeurent à notre sens une structure d’assistance et d’accueil au même

titre que les organisations qu’on vient de présenter. C’est généralement en leur sein que les

réfugiés urbains trouvent un premier accueil et une première assistance lorsqu’ils arrivent dans en

Centrafrique Ils sont généralement logés, nourris par les membres de leur famille d’accueil,

lesquels les soutiennent moralement, psychologiquement tout au long de leur séjour migratoire.

En effet, les membres de la famille du migrant réfugié jouent souvent un rôle très important dans

le processus de son intégration sociale dans ce sens où ils vont conseiller, orienter le réfugié dans

ses démarches ; voire lui trouver un emploi par le canal de leurs réseaux.

Nous reviendrons largement sur cet aspect dans la dernière partie de cette étude dans un

chapitre tout entier qui sera consacré à la description de la vie des réfugiés congolais (RDC) et

tchadiens dès leur arrivée à Bangui.

Présentons le fonctionnement et l’organisation du HCR avant de clore cette partie d’étude.

1.4.2 Le HCR comme structure d’accueil et d’assistance aux

réfugiés en République Centrafricaine.

Implanté en République Centrafricain depuis plus de cinquante ans, le HCR est la principale

organisation des Nations Unies qui s’occupe des problèmes des réfugiés. Le HCR exerce sa

mission en République Centrafricaine, comme dans tous les pays du monde, conformément aux

textes juridiques de la Convention de Genève relatifs au Statut des réfugiés de juillet 1951 et son

protocole du 31 Janvier 1967, les textes de la Convention de l’Organisation de l’Union Africaine

(OUA) de 10 Septembre 1969 ainsi que les textes de loi de la République Centrafricaine traitant

des problèmes des réfugiés (Loi n° 07.019 du 28 décembre 2007 portant statut des réfugiés en

République Centrafricaine).

Page 131: Université Lyon II

131

Les objectifs du HCR en République Centrafricaine sont multiples mais se focalisent sur les

problèmes des réfugiés installés au sein de ce pays.

Le HCR a pour objectifs fondamentaux :

la protection des réfugiés pour garantir les droits des réfugiés en prenant appui sur les

principes des Droits de l’Homme ; empêcher le refoulement abusif des réfugiés ;

l’assistance aux réfugiés par l’auto-prise en charge, la santé, l’éducation, la formation, accès

aux microcrédits et appui aux initiatives individuelles et collectives dans le cadre d’un

microprojet d’insertion sociale ;

la documentation : financer les pièces d’identité aux déplacés internes afin qu’ils ne

deviennent pas des apatrides.

En 2011, le HCR a assisté environ 141 660 personnes réfugiées dont la majorité sont les

déplacés internes. Ces derniers représentent plus de 80% de personnes assistées par le HCR en

2011145

. Leur effectif a crû ces dernières années à cause de la prolifération des troubles à

l’intérieur du pays.

En effet, l’Est de la République Centrafricaine est devenu depuis quelques années une zone de

non-droit. La LRA (l’Armée de la Résistance du Salut), un groupe rebelle venu du Soudan sème

la panique dans cette partie de la République Centrafrique. Les rebelles de la LRA se livrent aux

actes de barbarie auprès de la population de ces lieux. Ils violent les femmes, massacrent des

milliers de personne et pillent. Par conséquent, cette zone de l’Est contrôlée par ce groupe rebelle

s’est transformée en une grande zone d’insécurité dans laquelle le principe des Droits de

l’Homme est totalement violé et bafoué.

145HCR (2011), Appel global, République Centrafricaine.

Page 132: Université Lyon II

132

S’ajoute à ce problème, celui de la santé publique. En effet, le taux de prévalence du Sida a

grandement crû dans cette zone compte tenu du nombre croissant de cas de viol enregistré. D’où

la nécessité de mettre en place des structures sociales permettant de prendre en charge des

personnes traumatisées par ces actes de barbarie.

Le HCR doit donc répondre aux immenses besoins de ces déplacés internes. Ceci dit, il se

propose de leur garantir la sécurité, la protection, les soins, l’éducation, la sécurité alimentaire. Il

se substitue ainsi au gouvernement centrafricain, lequel devrait en principe s’occuper de ces

déplacés internes. En principe, les déplacés internes ne font pas partie du mandat du HCR. Le

HCR devrait s’occuper exclusivement des réfugiés, c’est-à-dire des migrants forcés étrangers

ayant traversé une frontière pour trouver refuge en République Centrafricaine. Mais pour des

raisons humanitaires, le HCR va consacrer une grande partie de son budget pour répondre aux

besoins de cette population vulnérable compte tenu de l’impuissance de l’Etat Centrafricain. En

effet, l’Etat centrafricain se trouve à l’heure actuelle en état de crise politico- économique

comme la plupart des Etats d’Afrique noire. Par conséquent, il est incapable de contrôler la

totalité de son territoire, ni de garantir la sécurité à ses citoyens. Il revient donc au HCR de

prendre en main le destin des réfugiés et des déplacés internes installés en République

Centrafricaine.

Il est à noter que le HCR fonctionne grâce aux dons émanant principalement des pays

occidentaux comme les Etats- Unis et les pays de l’Union Européenne, le Japon. En effet, ces

dons sont, malgré tout, insuffisants pour couvrir toutes les dépenses compte tenu de l’immensité

de son domaine d’intervention. Par exemple, le HCR a débloqué 24,6 millions de dollars pour

répondre aux besoins des réfugiés et des déplacés internes installés sur le territoire centrafricain

en 2011146

. En fait, ce budget de 24,6 millions de dollars devrait être affecté entre autre aux

146Ibid .p4.

Page 133: Université Lyon II

133

postes de dépenses les plus importants à savoir : les abris et autres infrastructures, les soins de

santé primaire, le VIH - SIDA, l’Education, le Service d’assainissement.

Le HCR de Centrafrique a d’énormes contraintes dans sa mission. La première contrainte est

d’ordre sécuritaire. Le contexte d’insécurité dans lequel se trouve la République Centrafricaine

empêche les agents travaillant dans le secteur humanitaire, notamment ceux du HCR, de se

déplacer en toute quiétude à l’intérieur du pays sans être attaqués par les bandits et les coupeurs

de route. Les zones d’intervention du HCR se trouvent généralement à l’intérieur du pays dans

les zones de conflit.

La seconde contrainte du HCR est d’ordre budgétaire. Il dispose de peu de moyens ce qui fait

qu’il ne peut pas répondre convenablement à tous les besoins des réfugiés. Mais force est de

constater que cette contrainte budgétaire ne peut en aucun freiner l’élan de sa mission puisqu’il

travaille avec d’autres institutions onusiennes et des ONG dans un partenariat renforcé dans le

cadre de l’approche modulaire. Se développe alors dans ce partenariat l’idée d’une

solidarité autour du sujet de réfugié. Le HCR est ainsi soutenu dans sa mission grâce à ce

partenariat.

Page 134: Université Lyon II

134

Tableau 3.3 : Les organisations d’accueil et d’assistance aux réfugiés et aux personnes déplacées

implantées en RCA travaillant en partenariat avec le HCR/ Centrafrique en 2011.

Partenaires d’exécution Partenaires opérationnels

1) Organismes Gouvernementaux :

- Commission Nationale pour les Réfugiés.

1) Organismes Gouvernementaux :

- Ministères de la santé, de la justice, de

l’intérieur et de la sécurité, de l’agriculture.

- Cabinet du premier ministre.

2) ONG

- Association des femmes juristes.

- Caritas Centrafrique.

- Conseil Danois pour les réfugiés.

- Echelle.

- International Corps.

- Medical Emergency International.

- Triangle International.

2) AUTRES

- Bureau intégré des Nations Unies pour les

consolidations de la paix en République

centrafricaine (BINUCA).

- Croix Rouge française.

- FNUAP. - PNUD.

- OMS. - UNICEF.

- ONUSIDA. - PAM.

Source : HCR (2011), Appel Global, République Centrafrique.

Page 135: Université Lyon II

135

Graphique 3.3 : Evolution du nombre de personnes assistées par le HCR en Centrafrique entre

2009 en 2011.

Source : Graphique réalisé à partir des données du Rapport global du HCR de l’année 2011

sur la République Centrafricaine.

Page 136: Université Lyon II

136

2. LE PORTRAIT DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU

CONGO.

Figure 3.3 : La Carte de la République Démocratique du Congo.

Source : République Française (2011), division des archives du ministère des affaires Etrangères.

2.1 La situation sociopolitique de la République la République

Démocratique du Congo et la production des réfugiés.

On peut se référer à la partie consacrée à la chronologie des principales crises sociopolitiques

et humanitaires survenues en République Démocratique du Congo dans la période contemporaine

et sur celle consacrée aux problèmes des réfugiés en Centrafrique pour la bonne compréhension

de ce qui va suivre.

Page 137: Université Lyon II

137

En effet, le portrait de la République Démocratique que nous allons présenter sera très

sommaire et très succinct. Car, nous avions déjà plus ou moins présenté l’histoire politique de la

République Démocratique du Congo dans la partie consacrée à la migration forcée en Afrique

Centrale de 1960 à nos jours et celle consacrée à la situation géopolitique de la République

Centrafrique et les problèmes des réfugiés. Les quelques écrits qui vont suivre ne vont que

compléter ce que nous avions relatés dans les précédentes parties mentionnées ci-haut dans un

souci méthodologique.

La République Démocratique est un immense pays qui s’étend sur 2.345.410 Kilomètres

carrés, un des plus grands pays d’Afrique, soit 4,3 fois la France147

. Elle fut une ancienne colonie

belge. Elle se situe au sud de la République Centrafricaine, à l’est du Congo-Brazzaville, au nord

de l’Angola et de la Zambie, à l’ouest du Rwanda, de Burundi, de la Tanzanie (Confère la carte

ci-dessus). Elle est peuplée de 57.500.000 personnes. La majeure partie de cette population vit

dans les zones rurales (soit environ 65,4% de la population globale). Cette population est

davantage jeune. En effet, 50% de Congolais (RDC) a moins de 16 ans148

. La ville de Kinshasa,

la capitale de la République Démocratique du Congo concentre le plus grand effectif de la

population (6000 000 à 7000 000 de personnes y vivent)149

. La République Démocratique du

Congo fait partie des pays les plus pauvres de la planète. Elle a un IDH (Indicateur de

Développement Humain) de 0, 385 en 2003 et se classe au 168 /177 des pays du monde. Les

Congolais (RDC) vivent moins longtemps qu’un grand nombre de nations pauvres de la planète.

En effet, l’espérance de vie de la République Démocratique du Congo est l’une des plus faibles

du monde.

147Badie B., Didiot B., (2007), l’état du monde 2007, Paris la découverte, Ministère des Affaires Etrangères,

République Française.

148 Ibid

149 Ibid

Page 138: Université Lyon II

138

Elle est de l’ordre 44 ans en 2005 150

. A noter que L’Economie de la République Démocratique

du Congo est fortement dominée par le secteur informel comme celle de la plupart des pays

d’Afrique Subsaharienne. Mais force est de constater que ce pays possède, malgré tout, un

potentiel minier qui demeure à l’heure actuelle mal exploité. En effet, la République

Démocratique du Congo est un grand producteur du diamant industriel, du cuivre, de l’argent, de

l’or, du pétrole et du coltan151

.

En effet, la République Démocratique du Congo est un pays qui n’a jamais connu la paix. Elle

est secouée par des troubles sociopolitiques depuis les années 1960 (année de son accession à

l’indépendance) jusqu’aujourd’hui. Alors que certains peuples africains nouvellement

indépendants s’unissaient pour construire une nation forte autour de la paix, les Congolais (RDC)

eux, se déchiraient et s’entretuaient. En fait, on parlait déjà de rébellion et des affrontements

interethniques ou intercommunautaires dans la République Démocratique du Congo des années

1960. Il eut en 1964 à Bukavu et à Uvira une rébellion dirigée par Laurent Désiré Kabila et

Gaston Soumialot152

. Les revendications de ces rebelles étaient plus ou moins idéologiques et

politiques. Ils s’opposaient aux Belges et au pouvoir de Kinshasa soutenu par ces derniers. Ils

constituaient un front dit « de l’est » et proclamèrent une République qui fut nommée «

République Populaire du Congo »153

. Le Front de l’est s’est aussitôt éteint suite à l’intervention

de l’armée belge. Cette région de l’est ne va jamais retrouver une stabilité. Elle demeure

jusqu’aujourd’hui une plate forme de principales rébellions qui furent à l’origine de grands

conflits de la sous-région pendant cette période contemporaine.

150 Sources : BAD, OCDE 2005 , Les données macro-économiques de l’économie Congolaise (RDC).

151Badie B., Didiot B., (2007), l’état du monde 2007, Paris la découverte, Ministère des Affaires Etrangères,

République Française.

152Guichaoua A., Chronologie thématique, in Guichaoua A. (dir) (2004), Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique

Centrale et Orientale, Karthala, p 66.

153 ibid.

Page 139: Université Lyon II

139

La période 1960-1964 fut une période de trouble et d’instabilité pour la République

Démocratique du Congo. En effet, il n’y avait pas que la rébellion de l’est qui déstabilisait le pays

à cette période. Il y avait également la rébellion muleliste et une guerre dite de « Kinyarwanda »

au nord Kivu154

. S’agissant de la rébellion muleliste, force est de constater que les communautés

bavira, babemba et bafuliru qui furent du côté de ladite rébellion affrontèrent les banyamulenge

qui, eux, combattaient du côté de la force gouvernementale. Les conséquences de ces

affrontements furent dramatiques du fait des pertes humaines dans les deux camps et de la

mobilité sous contrainte de milliers de personnes.

L’année 1965 fut marquée par l’accession du président Mobutu au pouvoir. Ce dernier va

imposer le parti unique, le Mouvement Populaire de la Révolution (le MPR). Par conséquent, il

va empêcher l’éclosion du multipartisme. Il s’appuya sur l’armée pour sécuriser son pouvoir. Un

pouvoir qu’il gardait farouchement. Car, il était prêt à emprisonner ou à assassiner les opposants

afin de conserver ce pouvoir. On le qualifiait de dictateur. Car, tous les pouvoirs étaient

concentrés entre ses mains (le pouvoir exécutif, judiciaire …). Il détenait ainsi dire un pouvoir

absolu. Mais le seul mérite du président Mobutu, c’est d’avoir rétabli la paix et la sécurité à

travers tout le Zaïre (l’actuelle RDC). En effet, il a eu à combattre les divers mouvements de

rébellion qui existaient dans le pays. Il avait mis fin aux principales rébellions qui déstabilisaient

le pays lorsqu’il était au pouvoir. Par conséquent, il avait permis à tous les citoyens zaïrois de

circuler librement dans tout le pays. Mais cette tranquillité et cette liberté de circulation vont

quand même être compromises dès les années 1995 avec l’arrivée massive des réfugiés rwandais,

victimes du génocide, sur le territoire zaïrois.

En effet, les Congolais (RDC), du moins ceux de l’est du pays, vont vite subir les

conséquences de la crise rwandaise (Le génocide). Il faut noter que plus de 1 200 000 Rwandais,

154Ibid.

Page 140: Université Lyon II

140

principalement les Hutus, vont fuir le Rwanda suite au renversement de leur régime pour se

réfugier dans la région de Kivu à l’est de la République démocratique du Congo. L’arrivée de ces

nouveaux réfugiés va compliquer la cohabitation entre la population autochtone et les

Banyarwanda (Les Zaïrois hutu et tutsi originaires du Rwanda implantés au Zaïre dans la région

de Kivu depuis plusieurs années)155

. Un phénomène anti-hutu va naitre dans la région de Kivu

puis se propager rapidement dans tout le Zaïre vers 1995. Par conséquent, les Zaïrois vont

commencer peu à peu à remettre en cause les acquis de la nationalité zaïroise de tous les Hutus

implantés sur le territoire zaïrois ainsi que des hutu Banyarwanda. En effet, cette remise en cause

des acquis de la nationalité zaïroise des hutus présents sur le sol zaïrois fut à l’origine d’un grand

conflit qui va déstabiliser le Zaïre et même la sous-région pendant plusieurs années.

Afin de calmer les tensions qui régnaient entre la population autochtone et les Hutus, le

parlement zaïrois va voter le 28 avril 1995 une série de résolutions visant à assimiler les tous les

Zaïrois d’origine rwandaise, y compris les Banyamulenge (les zaïrois tutsi d’origine

rwandaise)156

. En fait, ces résolutions furent en défaveur des Banyamulenge puisqu’elles

laissaient entendre que ces derniers avaient acquis la nationalité zaïroise de manière frauduleuse

et appelaient à leur expulsion, à l’annulation de leur contrat de propriété et de l’interdiction de

leurs associations 157

. Autrement dit, les Banyamulenge devraient être expulsés du territoire

zaïrois du fait d’avoir acquis la nationalité zaïroise frauduleusement.

155Nyama W-R ., (2010), les effets collatéraux des conflits en Afrique : Cas des réfugiés au Gabon de 1968 à nos

jours, thèse de doctorat d’histoire, université de Perpignan, p 123.

156 Ibid p 124.

157Rusamira E., (2003) , La dynamique des conflits au Nord - Kivu : Une réflexion prospective, in Afrique

contemporaine, n° spécial automne 2003.

Page 141: Université Lyon II

141

Les Banyamulenge furent très mécontents des mesures mises en place par le gouvernement

zaïrois, lesquelles furent totalement à leur défaveur. Par conséquent, ils vont développer une

hostilité à l’égard du pouvoir de Kinshasa. Ils déclenchèrent une rébellion le 13 octobre 1996

contre le régime de Mobutu 158

. Figurent parmi ces rebelles Banyamulenge des troupes venus de

Rwanda, de l’Ouganda, et du Burundi. Cette rébellion va prendre une grande ampleur et va

impliquer un grand nombre de pays frontaliers au Rwanda et au Zaïre ; surtout les pays dits des

grands lacs. En effet, tous ces pays frontaliers qui aidaient les Banyamulenge en leur fournissant

des armes et des hommes avaient une seule visée : renverser le régime de Mobutu afin de mettre

la main sur les richesses naturelles de la région de l’est du Zaïre. Car, le Zaïre, pays

immensément riche, était très convoité de tous.

Pour réussir cette mission, c’est - à-dire celle qui consiste à renverser le régime de Mobutu, les

Banyamulenge vont s’organiser dans une structure appelée Alliance des Forces Démocratiques

pour la Libération du Zaïre (AFDL) dirigée par Laurent Désiré Kabila. Les rebelles de AFLD

vont se battre contre l’armée régulière (la FAZ : La force armée zaïroise) pour le contrôle de la

région de l’est. En effet, l’armée régulière zaïroise ne va pas résister pendant longtemps. Elle fut

impuissante face aux AFDL, soutenues par des milliers d’hommes venus de plus de quatre pays

(le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, la Tanzanie). Elle dut donc faire face à un assaut conjoint de

plusieurs de ses voisins. Le Zaïre, ne pouvant pas faire face à tous ces envahisseurs, perdit peu à

peu le contrôle de la région de l’est ; principalement les territoires situés entre Goma, au nord et

Uvira, au sud de Kivu159

. Les rebelles d’AFDL ainsi que d’autres mercenaires profitent de la

situation pour prendre le contrôle total de la région.

158 Nyama W-R (2010), les effets collatéraux des conflits en Afrique : Cas des réfugiés au Gabon de 1968 à nos

jours, thèse de doctorat d’histoire, université de Perpignan, p 125.

159Ibid. p 126.

Page 142: Université Lyon II

142

En effet, les rebelles et les mercenaires venus des pays frontaliers du Zaïre ont conquis les

deux tiers du territoire zaïrois en moins de deux ans. Ces deniers vont gouverner la région de l’est

du Zaïre comme leur propre territoire ou encore comme un Etat à part. Ils vont piller des

ressources minérales de la région (l’or, le diamant, le cuivre, le manganèse et cobalt), piller les

populations civiles, massacrer des milliers de personnes, violer les femmes. Les Droits de

l’Homme furent complètement bafoués tout au long de ce conflit.

Il ressort de cette guerre de l’est du Zaïre un bilan très catastrophique. On dénombra de

milliers de morts et plus de 300.000 migrants forcés (les déplacés internes et les réfugiés)160

. On

observa, à travers ce conflit, un mouvement très prononcé de la migration forcée de groupe. Les

populations se déplaçaient en groupes organisés ou dispersés : des familles entières ou des

villages tout entiers.

Les rebelles d’AFLD accomplirent, malgré tout, leur mission dans la mesure où ils

renversèrent le régime du président Mobutu en 1997 et permirent à Laurent Désiré Kabila de

prendre le pouvoir. En effet, les combats entre les AFLD et l’armée régulière pour la prise de

Kinshasa eurent de lourdes conséquences. Il y eut des milliers de morts et la mobilité sous

contrainte de quelques milliers de personnes. Des milliers de Congolais (RDC) se sont réfugiés à

Brazzaville au Congo-Brazzaville dont un grand nombre furent les plus proches du président

Mobutu.

L’accession de Laurent Désiré Kabila au pouvoir ne marqua pas la fin des conflits en

République Démocratique. En effet, le conflit zaïrois qui a débuté à l’est de l’ex-Zaïre en1995 va

se déplacer dans le Nord du pays.

160Source: Human Rights Wath, août 2002.

Page 143: Université Lyon II

143

Monsieur Jean-Pierre Bemba, un proche parent du président déchu Mobutu crée en 1998 un

mouvement de rébellion dénommé MLC (Mouvement de Libération du Congo) afin de combattre

le président Laurent Désiré Kabila. Ce mouvement fut implanté dans la région de l’équateur au

nord de la République Démocratique du Congo (Nouvelle appellation du Zaïre après l’arrivée de

Kabila au pouvoir). Le mouvement de Bemba était soutenu par les troupes ougandaises. En effet,

les rebelles et les milices de Bemba vont vite déstabiliser cette région du nord de la République

Démocratique du Congo. Ils furent à l’origine des pillages, des massacres et des viols. La région

de l’équateur devint en quelques mois une zone de non droit où règne une totale insécurité. Par

conséquent, des milliers de personnes vont fuir la zone pour se réfugier en République

Centrafricaine.

Le champ d’action des rebelles de Bemba ne s’était pas arrêté à la seule région du nord de

l’équateur. En effet, le président centrafricain, Ange Félix Patassé avait demandé en 2001 aux

rebelles de Bemba de venir soutenir l’armée gouvernementale Centrafricaine afin rétablir la

sécurité dans son pays qui vient de connaitre un coup d’Etat. Les rebelles et les milices de Bemba

vont vite être déçus de celui qu’ils venaient soutenir militairement, c’est-à-dire du président Ange

Félix Patassé. En fait, ce dernier les sous-payait. Par conséquent, ils se soulevèrent contre le

président Patassé pour revendiquer leur solde. Ils vont alors profiter de cette revendication

salariale pour semer la panique au sein de la ville Bangui, la capitale centrafricaine. Ils

transformèrent la ville de Bangui en un champ de bataille ou encore en une ville colonisée dans

laquelle ils faisaient leurs propres lois. Ils se démobilisèrent complètement et ne respectèrent plus

les conseils, ni des ordres venus des chefs des armées centrafricaines. Ils pillèrent, massacrèrent,

torturèrent, violèrent et contraignirent de milliers de personnes à la migration forcée.

En effet, les actes de barbarie commis par les rebelles et les milices de Bemba furent tellement

dramatiques qu’ils furent qualifiés de crime contre l’Humanité par le Tribunal Pénal International

de la Haye. Par conséquent, leur leader, monsieur Bemba, fut détenu afin de répondre devant

Page 144: Université Lyon II

144

cette institution des chefs d’accusation qui pesaient contre lui et être jugé des crimes qu’il aurait

organisés avec ses troupes en République Centrafricaine en 2002.

On constate, d’après ce qui précède, que la République Démocratique du Congo demeure un

pays très instable, producteur de réfugiés. En effet, un grand nombre de réfugiés congolais (RDC)

victimes des conflits qui avaient déstabilisé la région de l’est et du nord de la République

Démocratique du Congo entre 1995 et 2001 se trouvent à l’heure actuelle dans quelques pays

d’Afrique Centrale, notamment en République Centrafricaine.

Page 145: Université Lyon II

145

3. LE PORTRAIT DE LA REPUBLIQUE DU TCHAD.

Figure 3.4 : La carte du Tchad.

Page 146: Université Lyon II

146

3.1 La situation sociopolitique de la République du Tchad et la

production des réfugiés.

On peut se référer à la partie consacrée à la chronologie des principales crises sociopolitiques

et humanitaires survenues au Tchad pendant la période contemporaine et celle axée sur la

situation géopolitique de la République Centrafricaine et les problèmes des réfugiés pour la

bonne compréhension de ce qui va suivre.

Le Tchad est un immense pays qui s’étend sur 1,2 millions de kilomètres carrés (au moins

deux fois la France)161

. C’est un pays d’Afrique Centrale qui est totalement enclavé. Il n’a pas

d’ouverture sur la mer. (Confère la figure ci-dessus). Le Tchad est composé de trois zones

géographiques qui se caractérisent par une tendance climatique et météorologique spécifique : 1)

Le Sahara au nord (la pluie est presque inexistante dans cette région) ; 2) Le Sahel au Centre, une

zone plus abondante que celle de Sahara. Les précipitations atteignent 250 à 800 mm par an dans

cette région du Sahel. Et enfin 3) La zone soudanaise au sud marquée par un climat tropical (on

enregistre de 800 à 1100 mm de pluies par an dans cette région). Le Tchad se situe au nord de la

République Centrafricaine, au sud de la Libie, au nord-est du Cameroun et du Nigéria et à l’est du

Niger. Il est peuplé de 11. 200.000 d’habitants en 2009 162

. La ville de N’Djamena, la capitale,

est la plus grande ville du pays (555.791 personnes y vivent)163

. Le Tchad est composé de

plusieurs ethnies (environ 200) dont les principales sont les Sara (soit 27,7% de la population

161Word Gazetter, année 2007.

162ACDI (Agence Canadienne de Développement International), (2011), données démographiques, sociales et

économiques du Tchad.

163Ibid.

Page 147: Université Lyon II

147

tchadienne et les Arabes (12,3%) de ladite population)164

. En effet, toutes ces ethnies forment

douze groupes linguistiques qui cohabitent ensemble dans toutes les contrées du pays. Mais le

pays compte, malgré tout, plus de musulmans que de chrétiens. En fait, 53,9% de la population

tchadienne est musulmane contre 20,4% chrétienne catholique ; 14,4% chrétienne protestante et

7,4% animiste165

. L’islam est très présent dans la région du nord dans laquelle on trouve

principalement des éleveurs nomades. Par contre, les éleveurs nomades et semi-nomades de la

région du Sahel sont partagés entre l’islam et l’animisme. La région du sud demeure, quant à elle,

chrétienne et animiste.

Le Tchad fait partie des pays les plus pauvres du monde. Selon les Nations Unies, il se classe

au 175ème

rand mondial sur 182 pays pour ce qui est de son IDH (Indicateur du Développement

Humain) et possède une espérance de vie très faible (49 ans en 2008)166

. Son économie est basée

essentiellement sur l’industrie (42% de son PIB) et sur l’agriculture (23% de son PIB en 2008).

167 A noter que son agriculture est peu diversifiée. Elle est davantage spécialisée dans la culture

du coton et de l’élevage dont les rendements sont très médiocres. Cette économie est tributaire de

l’assistance régionale et internationale, notamment de la France depuis les indépendances168

. Le

programme d’ajustement structurel imposé par la Banque mondiale et le FMI vers les années

1980 a eu un impact négatif sur l’économie tchadienne. Du coup, le pays va connaitre une crise

sans précédent. Des milliers de Tchadiens vont tomber dans la pauvreté à partir des années 1980.

164BCR, Ministère du plan et de la coopération de la République du Tchad, RGPH (Recensement Général de la

Population et de l’Habita) de 1993.

165République du Tchad (1994) , les données sociales et économiques .

166ACDI (Agence Canadienne de Développement International), (2011), données démographiques, sociales et

économiques du Tchad

167Ibid.

168Coats, 1990 .

Page 148: Université Lyon II

148

Par conséquent, ils vont développer des stratégies économiques informelles pour sortir de cette

pauvreté et gérer cette crise économique. Il faut noter que le Tchad a, malgré tout, un potentiel

pétrolier qui demeure à l’heure actuelle mal exploité et qui ne profite pas à l’ensemble de la

population.

Le Tchad accède à l’indépendance le 11 août 1960. Le premier président tchadien de l’ère

poste indépendance fut François Tombalbaye, président du Parti Progressiste Tchadien (Le PTT).

En effet, cette indépendance qui devrait marquer le début d’une ère d’union pour la nation

tchadienne dans son ensemble va au contraire raviver la rivalité entre les Tchadiens. En fait, les

Tchadiens de la région du sud qui furent dominés par les colons Français tout au long de la

période coloniale se rivalisaient avec les nordistes, plus hostiles aux Français. Les nordistes

reprochèrent au président Tombalbaye d’avoir choisi le Français comme langue officielle du

Tchad au détriment de l’Arabe. En effet, les nordistes plus arabisés et qui n’avaient pas été au

contact avec la langue française ni avec l’enseignement français de la période coloniale furent

marginalisés par cette mesure mise en place par le président Tombalbaye. Car il fallait connaitre

le français et avoir un minimum d’instruction pour travailler dans l’administration publique

tchadienne post coloniale. Or, les sudistes qui ont profité de l’enseignement français de la période

coloniale et qui sont plus instruits formèrent l’élite tchadienne de l’époque. Par conséquent, ils

occupèrent les postes de responsabilité au sein de l’administration publique et de l’armée. En

effet, la principale ethnie du sud, l’ethnie Sara, avait une totale emprise sur l’armée et

l’administration pendant le règne du président Tombalbaye.

Les nordistes, marginalisés par la politique du président Tombalbaye plus favorables aux

populations chrétiennes et animistes du sud, développèrent peu à peu une haine contre les

sudistes et le président en exercice. Le Tchad du nord musulman va s’opposer au Tchad du sud

Page 149: Université Lyon II

149

chrétien de Tombalbaye. Ce fut donc le début d’une guerre ethnique et religieuse entre les

peuples du nord et du sud. Et cette guerre va marquer toute l’histoire du Tchad.

Il eut un soulèvement en 1963 contre le régime du président Tombalbaye. Ce fut la première

révolte des nordistes contre le régime en place. En effet, le président Tombalbaye ne va pas rester

muet face à cette attaque nordiste. Il va vite réagir en réprimant cette révolte. Sa réaction eut des

conséquences très néfastes puisqu’il a occasionné des troubles à l’intérieur du Tchad. En effet, le

Tchad a échappé de près à une guerre civile en 1965 après la révolte musulmane nordiste. Mais

les tensions vont encore s’amplifier et se compliquer quelques mois plus tard. En fait, ces mêmes

nordistes vont s’organiser à l’intérieur d’une structure. Ils constituèrent un mouvement de

rébellion qui va déstabiliser le Tchad de l’époque. A noter que le principal mouvement de

rébellion nordiste des années 1965 fut le FROLINAT (Le Front de Libération Nationale du

Tchad). Ce mouvement était soutenu par le régime du Colonel Kadhafi. Le FROLINAT avait un

appui financier et logistique de Tripoli. En effet, le régime de Kadhafi qui soutenait le

FROLINAT va finir par s’ingérer dans les affaires de l’Etat Tchadien, profitant de la situation

politique instable de ce pays pour annexer la bande d’Aozou (région nord du Tchad frontalière

avec la Libye) en 1973. La bande d’Aozou ne sera restituée au Tchad qu’en 1994.

Pour calmer les tensions et apaiser ses compatriotes, Tombalbaye va dissoudre son propre

parti pour fonder le MNRCS (le Mouvement National pour la Révolution Culturelle Tchadienne

ou « Tchaditude »). Il espérait réconcilier les Tchadiens, les sudistes et les nordistes à travers ce

mouvement dont l’objectif principal fut le retour aux valeurs authentiques. Mais son initiative

sera vaine puisque les sudistes chrétiens et les nordistes ne vont jamais adhérer à son idéologie.

Par conséquent, ils vont critiquer farouchement son mouvement. Pour eux, ce mouvement ne se

présente pas comme un emblème réconciliateur puisqu’il est fondé exclusivement sur des

pratiques animistes du sud. Les chrétiens sudistes et les musulmans nordistes se disent peu

concernés par un tel mouvement. Tombalbaye va être rejeté à la fois par les siens, les sudistes et

les nordistes musulmans, toujours hostiles à sa politique. Les sudistes lui reprochent sa barbarie

et sa violence. En effet, Tombalbaye avait massacré des dizaines de cadres et des pasteurs qui

Page 150: Université Lyon II

150

critiquaient sa politique. La révolution culturelle ne va non plus arranger les choses. Elle va

davantage frustrer les nordistes et révolter les populations du sud, lesquelles accusent

Tombalbaye d’être un assassin169

. Le régime de Tombalbaye va vraiment se fragiliser après cette

période dite de révolution culturelle. Il va perdre peu à peu le contrôle de l’armée qu’il accuse de

se conduire comme une structure à part, c’est-à-dire comme un « Etat dans un autre Etat ». Et

cette armée va lui tourner le dos et précipiter son départ du pouvoir.

IL y eut un coup d’état militaire au Tchad le 13 Avril 1975 à l’issue duquel le président

Tombalbaye fut assassiné. En effet, ce coup d’état marque la fin du régime sudiste. Les nordistes

vont désormais prendre la commande du pouvoir au Tchad. Et c’est un certain Félix Malloum qui

devient le nouvel homme fort du Tchad après le coup d’état du 13 Avril 1975.

Le général Félix Malloum qui succéda au président Tombalbaye venait du nord. En effet, la

prise de pouvoir par un nordiste devrait apaiser les esprits des rebelles nordistes puisque ce

dernier est un des leurs, donc susceptible de prendre en compte leurs revendications. Ce ne fut

pas le cas. En effet, le Tchad de Félix Malloum fut aussi instable que celui de Tombalbaye. Car la

rébellion du nord (le FROLINAT) continuait toujours son offensive ainsi qu’à déstabiliser le

pays. Le FROLINAT fit même une grande offensive contre l’armée régulière tchadienne en Juin

1977 qui aboutit à de lourdes pertes humaines. L’armée tchadienne qui fut impuissante face à

cette rébellion nordiste toujours bien organisée et puissante fit appel à l’armée française pour lui

venir en aide. Celle-ci lui apporta un soutien logistique d’une grande importance en juin 1977.

L’armée française devait combattre le FROLINAT afin de rétablir la sécurité dans le pays. Mais,

ces rebelles très déterminés, n’avaient peur de personne, pas même de l’armée française. Ils

continuèrent leur offensive à l’intérieur du pays malgré les attaques de l’armée française. Ils vont

prendre la ville de Faya-Largeau le 17 Février 1978.

169Golhor, 1991.

Page 151: Université Lyon II

151

Le gouvernement tchadien, toujours impuissant, demande un accord de cessez-le-feu entre lui

et le FROLINAT. Cet accord fut signé le 27 Mars 1978 mais ne sera pas respecté.

Le régime de Félix Malloum qui a duré quatre ans, c’est-à-dire de 1975 à 1979 fut un régime

dictatorial au même titre que celui de Tombalbaye. Les exécutions sommaires furent très

courantes à l’époque de Félix Malloum. En effet, ce dernier assassinait les hommes qui

s’opposaient à sa pensée. Quelques mouvements sociaux, notamment les grèves des travailleurs

et des étudiants, vont malgré tout, paralyser ce régime dictatorial.

Le FROLINAT (Le mouvement rebelle nordiste) qui a régné au Tchad depuis les années 1965

s’éteint peu à peu à la fin des années 1979 laissant la place à d’autres mouvements rebelles tels

que le Mouvement Populaire de Libération du Tchad (MLPT) dirigé par Lol Mohamed Shawwa ;

Les Forces Armées Populaires (FAP) dirigées par Goukouni Oueddei et les Forces Armées du

Nord (FAN) dirigées par Hissène Habré. En effet, les FAN sont le prolongement de FROLINAT.

En fait, Hissène Habré qui fut partisan de Goukouni Oueddei se sépare de lui en juin 1977 après

de longues années de lutte pour le pouvoir. Il va reconstituer deux factions de FROLINAT pour

constituer les FAN (les forces armées du nord) qu’il va diriger par la suite. Goukouni part avec

ses rebelles des FAP (Forces armées Populaires) à la conquête du BET tandis que Hissène Habré

contrôle les zones frontalières au Soudan avec les FAN.

Il faut noter que les FAN de Hissène Habré étaient financés par les Français et les Américains.

Grâce à ces financements extérieurs, Hissène Habré a pu rapidement étendre sa faction qui

s’étendait de Zaghawa à Hadjeraï. Le mouvement de Hissène Habré va déstabiliser de plus en

plus le régime Malloum. Pour rétablir la sécurité à l’intérieur du pays, la France va exercer une

pression entre les deux parties (Malloum et Habré) afin qu’ils procèdent à une négociation. Ces

derniers acceptèrent cette négociation. Les deux parties concluent un accord à l’issue de cette

Page 152: Université Lyon II

152

négociation. Il y eut l’accord de Khartoum de Septembre 1977 et la charte fondamentale d’août

1978. Hissène Habré devient le premier ministre.

Par contre, Malloum garde toujours son fauteuil présidentiel. Mais cette entente ne va être que

de courte durée. Hissène Habré, assoiffé du pouvoir, n’est pas satisfait de son poste de premier

ministre. Il voulait coûte que coûte s’emparer du pouvoir exécutif. Par conséquent, il va tout faire

pour renverser le régime de Malloum. En fait, Habré va de plus en plus réclamer le pouvoir. Il

remplacera les ministres et les cadres sudistes par les Goranes.

En effet, Hissène Habré ne se détache pas complètement de sa philosophie rebelle malgré sa

nouvelle fonction ministérielle. On le sentait très stratégique dans ses actes. Il avait même refusé

d’intégrer ses rebelles FAN (Forces armées du nord) dans l’armée régulière nationale (les

FANT : Force Armée Nationale Tchadienne) puisqu’il savait qu’il avait encore besoin d’eux. Il

savait qu’il pouvait à tout moment reprendre les armes pour rentrer en rébellion.

Une date va alors marquer l’histoire du Tchad ; le 12 Février 1979. Ce fut la date qui marqua

le début de la première guerre civile au Tchad. En effet, les partisans de Habré (le premier

ministre) qui se sont mis en grève en cette date du 12 Février 1979 vont affronter les partisans du

président Malloum. Les FAP de Goukouni s’allièrent aux FAN de Hissène Habré pour combattre

les partisans du président Malloum. La ville de N’djamena devint en quelques heures une grande

zone guerrière où l’on pouvait entendre les armes tirer de toutes part. Les Tchadiens originaires

du sud habitant dans les quartiers musulmans à Ndjamena ainsi que ceux d’autres villes sont

attaqués et massacrés. De guérilla, l’affrontement devient une guerre civile car, de fait, les

quartiers de la ville sont relativement homogènes du point de vue ethnique170

. Les résidents de

170Bouquet, 1988 . Op. Cit.

Page 153: Université Lyon II

153

N’djamena originaires du sud sont contraints de fuir la capitale. Mais ceux qui y restaient

ripostaient aux attaques des nordistes et s’en prenaient aux commerçants musulmans nordistes.

Mais une grande partie de la population originaire du centre et du nord qui vivait à N’Djamena

va se réfugier au Cameroun. On est ainsi passé de ce qui fut au départ une rébellion d’une partie

du nord du Tchad contre le pouvoir central à une guerre généralisée du nord contre le sud171

. En

effet, la guerre civile du Tchad était prévisible du fait de la multiplication des mouvements de la

rébellion à travers le pays depuis l’indépendance. Et ces rébellions, qui semblaient être fondées

sur des revendications politiques, avaient pour la plupart des cas des ancrages idéologiques et

ethniques. La dénomination des mouvements rebelles telle que : la Force Armée du Nord prouve

la vision exclusivement ethnique de ces groupements. Il était certain que la confrontation de ces

différents mouvements rebelles à connotation ethnique finirait un jour par occasionner une guerre

civile. Ce fut finalement le cas le 12 février 1979. Le bilan de cette guerre fut catastrophique. Car,

il y eut des milliers de morts et des centaines de milliers d’exilés.

Le Tchad va fonctionner comme une fédération entre 1979 et 1982. Le nord et le sud vont être

gouvernés par des autorités politiques distinctes. En effet, la région du sud était gouvernée par un

comité politique exclusivement réservé aux sudistes composé d’anciens ministres et de hauts

fonctionnaires sudistes dont le chef était le colonel Kamougue , chef des FAT tandis que le nord

était sous le contrôle du président Malloum et des mouvements rebelles nordistes. En fait, les

neufs préfectures musulmanes du nord furent subdivisées en fonction des diverses tendances du

FROLINAT tout au long de cette période de guerre172

.

La communauté internationale et particulièrement l’OUA va aider le Tchad à se reconstruire et

à retrouver son unité nationale perdue pendant la guerre. Pour ce faire, elle va demander aux

Tchadiens d’organiser des conférences dites de réconciliation nationale. Trois conférences de

171 Golhor, 1991. Op.cit.

172 Dadi, 1988 .

Page 154: Université Lyon II

154

réconciliation nationale seront alors organisées à l’issue desquelles les accords furent signés entre

les nordistes et les sudistes jadis séparés par la guerre.

Un cessez-le feu fut décrété. Un Gouvernement d’Unité Nationale Tchadienne nommée GUNT

était mis en place à l’issue de cette conférence d’unité nationale sous l’initiative de Habré et de

Goukouni. L’instance des conférences nationales dissout le gouvernement de Malloum et obligea

le président Malloum à quitter la présidence de la République. Ce dernier démissionna de son

poste de chef de l’Etat. Goukouni prit le pouvoir et dirigea le GUNT. Le gouvernement d’unité

nationale réconcilia plus ou moins les Tchadiens malgré sa fragilité. Mais on note, malgré tout,

l’absence des sudistes dans ce gouvernement d’unité nationale. En effet, un grand nombre de

chefs et de hauts dignitaires sudistes refusaient de participer au GUNT. Ils s’étaient retirés, pour

la plupart, dans leur région du sud.

La paix retrouvée à l’issue de la conférence nationale fut de courte durée. En mars 1980 une

nouvelle guerre éclata au Tchad opposant Goukouni et Habré. Les deux amis qui furent à

l’initiative de la construction du GUNT vont maintenant s’affronter au sujet de pouvoir. Les

forces extérieures vont intervenir dans cette guerre. Goukouni sera soutenu par les troupes

libyennes dont l’objectif était depuis longtemps de prendre le contrôle total du Tchad. Habré, en

revanche, sera soutenu par l’Egypte et le Soudan. Cette guerre va à nouveau déstabiliser le

Tchad. Des milliers de Tchadiens vont fuir le pays pour se réfugier dans les pays voisins

notamment au Cameroun, au Nigéria, au Soudan et en Centrafrique. Les pays cités furent les

principales destinations migratoires de ces réfugiés tchadiens pendant la période de la crise qui

s’étend de 1979 à 1985.

Il y avait, selon le HCR, environ 230.000 réfugiés tchadiens au Cameroun vers les années

1980. En effet, ces réfugiés vivaient principalement à Koussouri et dans les camps construits

Page 155: Université Lyon II

155

d’urgence par le HCR. Cette organisation a dût mettre en place un plan d’urgence pour assister et

secourir ces réfugiés dont le nombre augmentait chaque jour.

La Centrafrique aussi fut contrainte d’accueillir sur son territoire des réfugiés tchadiens, surtout

ceux originaires de la région du sud. En effet, quelque 6 100 réfugiés Tchadiens trouvèrent refuge

en République Centrafricaine entre juillet et octobre 1980. Ces réfugiés s’installèrent

principalement dans les régions du nord et dans la capitale, Bangui. (3020 réfugiés y étaient

installés)173

. Ces réfugiés étaient composés d’environ 451 enfants, de 987 femmes et de 4662

hommes.

L’accueil des réfugiés tchadiens au Nigéria fut, par ailleurs, d’une autre nature. En fait, les

quelques 50.000 réfugiés tchadiens qui se trouvaient au Nigéria dans les années 1980 étaient

fortement assimilés à la population locale. En effet, ces réfugiés ne découvraient pas le Nigéria.

Ce ne fut pas leur premier séjour dans le pays. Ils le connaissaient bien puisqu’ils y séjournaient

régulièrement avant le déclenchement de la guerre au Tchad. Il y avait un échancre migratoire

entre le Tchad et le Nigéria bien avant la guerre civile de 1979. Du coup, les réfugiés tchadiens

étaient considérés comme des migrants économiques au Nigéria à cause de leur attache avec le

pays. Par conséquent, le HCR n’était pas obligé de mettre en place un plan d’urgence et de

grande importance pour assister ces réfugiés tchadiens considérés aux yeux de tous comme des

migrants économiques.

Le Soudan aussi a dût faire face au problème des réfugiés tchadiens. En effet, on dénombrait

plus de 10.000 réfugiés tchadiens au Soudan en 1980. On trouvait dans la population de réfugiés

tchadiens installés au Soudan des hommes, des femmes et des enfants.

173République Centrafricaine (1980), ministère de l’intérieur, rapport sur les réfugiés installés à Bangui.

Page 156: Université Lyon II

156

Le HCR avait mis en place un programme de rapatriement volontaire dans les années 1982 afin

d’inciter les réfugiés tchadiens à repartir dans leur pays. En effet, le bilan de ce programme fut

mitigé puisque bon nombre de réfugiés tchadiens vont décider de rester dans leur pays d’exil. Car

ils trouvaient que le Tchad était encore très instable politiquement. En fait, ils avaient absolument

raison puisque le Tchad va à nouveau sombrer dans un conflit en 1984.

En effet, le conflit de 1984 naquit suite aux actes de barbarie des FANT (les Forces Armées

Nationales Tchadiennes). En fait, les soldats de la force armée nationale tchadienne s’en étaient

pris aux populations du sud. Ils avaient massacré des milliers de personnes ressortissantes de la

région du Sud. Par conséquent, les populations du Moyen Chari et des deux Logone étaient

contraintes de fuir leur région pour se réfugier ailleurs. Quelques milliers de Sudistes, victimes de

la violence des FANT, vont se réfugier en République Centrafricaine vers les années 1984. On

dénombrait environ 2000 réfugiés tchadiens en République Centrafricaine en 1984.

L’histoire politique du Tchad fut marquée par des troubles militaires et des conflits depuis les

indépendances jusqu’aujourd’hui. Le Tchadien est devenu un éternel itinérant obligé de fuir son

pays toujours instable pour chercher un refuge ainsi que la tranquillité dans les pays voisins. En

effet, tous les conflits survenus au Tchad entre 1965 jusqu’en 1985, voire jusqu’aujourd’hui qui

paraissent être fondés sur des mobiles politiques (la lutte pour la prise de pouvoir) ont bien

d’autres explications. En effet, ces conflits auraient pour origine le sous-développement

économique, l’esclavage pratiqué par certaines ethnies au détriment d’autres groupes, un héritage

colonial français basé sur des structures politico-administratives inadaptées aux réalités

socioculturelles et la déviation de l’Etat colonial par rapport à ses origines africaines et au modèle

colonial174

.

174Golhor, 1991 op. Cit.

Page 157: Université Lyon II

157

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE.

L’analyse des flux de migrations forcées contemporaines suppose une mise en perspective

historique et spatiale. En effet, bien des traits communs subsistent entre les phénomènes de

mobilité anciens de la première moitié du XXème siècle et les flux récents, notamment pour

expliquer certaines destinations175

. C’est la raison pour laquelle nous avons consacré toute la

première partie de cette étude à la description de l’histoire de la migration forcée en Afrique

Subsaharienne et d’une manière particulière en Afrique centrale pendant le XXème et le XXIème

siècle.

En effet, le terme de réfugié est connu du grand public que récemment, c’est-à-dire pendant la

période contemporaine (Après la première guerre mondiale). Or, ce n’est pas le cas pour le

phénomène de la migration forcée en Afrique noire. En fait, le phénomène de la migration forcée

a traversé l’histoire de l’Afrique noire et notamment l’Afrique centrale depuis le début du

XXème siècle jusqu’aujourd’hui, mais varie selon les époques. Les éléments qui caractérisent la

migration forcée en Afrique noire et notamment centrale pendant la période coloniale (De 1900 à

1945) se trouvent être différents de ceux de la période de la décolonisation (1945-1960) et de

ceux de la période contemporaine (1960 à nos jours).

La migration forcée de la période coloniale (1900-1995) fut causée par les colons pour des

raisons politico-économiques ; c’est une migration exclusivement temporaire ; c’est une

migration qui est analogue à une migration de travail et/ou économique ; c’est une migration à

175Guichaoua A., (2004), migrants , réfugiés et déplacés en Afrique centrale et orientale, in Guichaoua A., (2004)

, Exilés , réfugiés , déplacés en Afrique Centrale et orientale , op. Cit p 9.

Page 158: Université Lyon II

158

dominante masculine ; c’est une migration dont la conséquence démographique se traduit par une

forte concentration d’hommes dans les régions à potentiel économique et climatique au détriment

d’autres régions.

La migration forcée de la période de la décolonisation (1945-1960) fut causée par les guerres

de libération et d’indépendance ; ce fut une migration de groupe ; les migrants forcés sont

principalement des colons et leurs collaborateurs (les auxiliaires indigènes) ; ce fut une migration

définitive pour les colons ; ce fut une migration internationale.

Enfin, la migration forcée de la période contemporaine (1960 à nos jours) a des causes à la fois

politiques et économiques. En effet, les Etats africains et plus particulièrement ceux d’Afrique

Centrale affaiblis politiquement et économiquement deviennent de plus en plus impuissants. Ils

sont donc incapables de contrôler la totalité de leur espace ou de leur territoire. Certains individus

vont profiter de la fragilité des Etats en état de crise pour contrôler une partie de l’espace ou des

territoires délaissée par ces Etats impuissants. Ces groupements d’individus vont prendre de

multitude d’appellations (des rebelles, des enfants soldats, des guérillas, des bandes armées). Ces

derniers vont s’impliquer directement ou indirectement dans les différentes troubles

sociopolitiques à l’intérieur de la sous-région (les coups d’état, les guerres civiles, les rebellions

pour la prise de pouvoir…). Il y eut au cours de cette période une augmentation des réfugiés et

des déplacés internes victimes de la violence des rebelles et des troubles politiques. Le

phénomène de déplacement interne est très développé par rapport à celui de la migration de

refuge classique. On note un accroissement du nombre des femmes et des enfants dans la

population des réfugiés et de ces déplacés internes. Un grand nombre de ces réfugiés et ces

déplacés internes se déplace par groupe (la famille entière, des groupes composés d’individus qui

n’ont pas de lien de parenté, des villages et des quartiers entiers).

Page 159: Université Lyon II

159

PARTIE 2 : REVUE DE LA LITTERATURE :

MIGRATION ET MARCHE DU TRAVAIL DANS

LES VILLES D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE.

Page 160: Université Lyon II

160

INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE.

Après avoir décrit l’histoire de la migration forcée en Afrique Centrale au XXème et XXIème

siècle, il demeure important de présenter dans la partie qui va suivre une revue de littérature

consacrée d’une part, à la problématique d’insertion économique dans les pays de notre étude, et

d’autre part , sur le thème de l’insertion urbaine des migrants dans les villes africaines.

Ainsi, cette revue de littérature sera consacrée à la description de la situation du marché du

travail dans les trois pays d’étude, à savoir la République Démocratique du Congo, la République

du Tchad et la République Centrafricaine et à l’analyse de la problématique d’insertion

économique des étrangers d’origine africaine sur les marchés du travail de quelques pays

d’Afrique Subsaharienne. Il s’agit d’établir les indicateurs pertinents qui caractérisent ces

marchés du travail, à savoir : le taux brut d’activité des populations actives, le taux de chômage,

la proportion des inactifs, les caractéristiques des emplois disponibles (les emplois modernes dit

formels ou des emplois dits informels), les conditions d’entrée ou de sortie sur ces marchés du

travail et de présenter les théories économiques qui permettent d’expliquer le fonctionnement de

ces marchés du travail africain. Existe-il- de grandes différences ou de grandes similitudes entre

le marché du travail des pays d’origine des réfugiés et celui de leur pays d’accueil, c’est-à-dire

celui de la République Centrafricaine ? Ces réfugiés peuvent-ils s’adapter à ce nouveau marché

du travail ? Quels sont ceux qui auront plus de chance de trouver un emploi dans ce nouveau

marché de travail ? La réussite de l’insertion professionnelle des réfugiés dans leur pays d’accueil

est-elle fonction de certains facteurs ? Et quels sont ces facteurs ?

En effet, cette revue de littérature, celle consacrée à la description des marchés du travail dans

les pays d’origine des réfugiés ainsi qu’en Centrafrique et celle axée sur les quelques études

relatives à l’insertion socioprofessionnelle des migrants ou des immigrants en Afrique

Page 161: Université Lyon II

161

Subsaharienne vont nous orienter dans la mise en place des hypothèses de cette étude. Car celles-

ci demeurent le noyau de cette recherche.

Il nous parait important de définir quelques concepts liés à l’emploi dans cette partie d’étude

qui est consacrée à la revue de littérature axée sur le fonctionnement du marché du travail en

Afrique Subsaharienne. A noter que les définitions que nous allons donner à ces quelques

concepts sont aussi valables pour l’analyse des données de notre enquête (enquête migration de

refuge).

Tableau 4.1: Définition des concepts liés à l’emploi.

Activité économique :

Par activité économique, on entend toute activité ou tout travail exercé par un individu ou un

groupe d’individus dans le but de produire ou de contribuer à la production des biens et services

économiques dans une structure économique donnée (entreprises…). L’individu ou les individus

qui participent à la production d’un bien ou un service via une activité économique reçoivent une

rémunération en nature ou en monnaie.

Branche d’activité économique :

La branche d’activité désigne le type d’activité de l’établissement de la structure économique

dans laquelle un individu ou un groupe d’individus exercent une activité économique pendant

une période déterminée.

Emploi rémunéré :

C’est s’investir dans tous les aspects d’un travail , comme un métier , une profession ou toute

Page 162: Université Lyon II

162

autre forme d’emploi , contre rémunération que ce soit en tant qu’employé à temps complet ou

partiel , ou comme indépendants 176

dans le secteur formel ou informel de l’économie lorsqu’on

se trouve en Afrique Subsaharienne et notamment à Bangui en République Centrafricaine.

Ce terme d’emploi rémunéré ci-dessus défini est retenu pour l’analyse des données de notre

enquête (enquête migration de refuge).

Population active :

Elle est constituée des individus de sexe masculin et féminin lesquels fournissent la main

d’œuvre disponible pour la production des biens et services sur un territoire déterminé. La

population active est constituée à la fois des personnes qui possèdent effectivement un emploi

(les occupés) et de celles qui en sont à sa recherche (les chômeurs).

Population en âge de travailler :

C’est une portion de la population totale se trouvant sur un territoire déterminée. Cette

population est généralement âgée de 15 ans et plus. Pour des besoins spécifiques, on peut

ramener l’âge du début d’activité à 6, voire 10 ans. C’est souvent le cas pour certaines études

portant sur l’emploi en Afrique Subsaharienne. Par exemple pour le recensement Général de la

population et de l’Habitation (RGPH) de Centrafrique de 2003, l’âge du début d’activité

économique est fixé à 6 ans car, beaucoup de personnes, surtout les filles, rentrent sur le marché

du travail à cet âge.

Population active occupée :

C’est l’ensemble des individus ayant exercé effectivement une activité économique pendant

une période déterminée sur un territoire donné. Les chômeurs ne font pas partie de la population

active dite « occupée).

176 IIDRIS (Index International et Dictionnaire de la réadaption et l’Intégration Sociale, Définition du terme :

Emploi rémunéré, www.IIDRIS.fr , visité le 02/11/2012. Op cit.

Page 163: Université Lyon II

163

Population inactive :

Elle est généralement constituée des étudiants, des élèves, des femmes au foyer, des retraités

et des rentiers.

Population au chômage :

Le BIT (Bureau international du Travail) donne quelques critères permettant de définir le

chômage : Selon le BIT, être au chômage signifie : Être dépourvu d’emploi (est exclue toute

personne ayant déclaré avoir exercé un emploi une activité, même de très courte durée, au cours

de la semaine de référence), être capable de travailler (c’est-à-dire être disponible dans un délai

de quinze jours, voire d’un mois), rechercher un emploi rémunéré, être effectivement à la

recherche de cet emploi177

.

Profession dans l’activité économique :

La profession d’un individu dans une activité économique est le genre de travail effectué par

cet individu dans une structure économique et pendant une période déterminée.

Taux d’activité :

C’est le rapport en % entre les individus actifs (occupés ou chômeurs) et la population

correspondante.

Taux d’activité globaux :

Ils rapportent l’ensemble de la population totale :

- soit à la population totale du pays considéré (Inconvénient : On prend en compte des

individus qui ne sont pas susceptibles de travailler, enfants, personnes âgées) ;

177 Echaudemaison C-D (2009), Dictionnaire d’économie et des Sciences Sociales, Paris, Edition Nathan, op.cit

p386.

Page 164: Université Lyon II

164

- soit à la population de 15 à 64 ans, convention qui permet des comparaisons internationales ;

- soit à la « population en âge de travailler ». Celle-ci dépend des seuils légaux d’entrée et de

sortie de l’activité professionnelle et donc varie dans le temps 178

et selon les pays.

Les taux catégoriels :

Ils rapportent les actifs d’une catégorie donnée au total des effectifs de cette catégorie. Les

plus utilisés sont les taux d’activité par âge ou tranche d’âge et les taux par sexe (hommes,

femmes). On croise généralement ces taux entre eux. On peut par exemple calculer les taux

d’activité des hommes de 30-34 ans ou ceux des femmes de 50-54ans.

Nous retiendrons les définitions de taux d’activités ci - dessus mentionnées dans l’analyse des

données de notre enquête (enquête migration de refuge).

Le taux d’emploi :

C’est le rapport de l’effectif de la population âgée, par exemple, de 15 ans et plus ayant

réellement un emploi pendant une période déterminée à celui de la population totale âgée de 15

ans et plus.

NB : Le taux d’emploi se distingue du taux d’activité du fait qu’il s’applique qu’aux actifs ayant

effectivement un emploi (actifs occupés) alors que on prend en compte les chômeurs (les actifs à

la recherche d’un emploi) dans le calcul des taux d’activité).

Taux spécifiques d’emploi :

Nous désignons par taux spécifique d’emploi, le rapport de l’effectif de la population d’une

catégorie d’âge ou de sexe déterminée qui a effectivement un emploi à la population totale de

cette catégorie d’âge et de sexe. Par exemple, le taux d’emploi de la population âgée de 25-29ans

est le rapport en % des individus âgés de 25-29ans qui détient réellement un emploi à la

178 Ibid.

Page 165: Université Lyon II

165

population totale des 25-29ans.

Nous retiendrons les définitions de taux d’emploi ci-dessus mentionnées à la partie qui sera

consacrée à l’analyse des données de notre enquête (enquête migration de refuge).

Le secteur informel ou le secteur non structuré.

Le « rapport Kenya » du BIT proposait en 1972 de définir le secteur informel à partir des

sept caractéristiques suivantes 179

:

- Facilité d’accès à l’activité ;

- Utilisation de ressources locales ;

- Propriété familiale de l’entreprise ;

- Echelle d’activité réduite ;

- Usage des techniques qui privilégient le recours à la main d’œuvre ;

- Qualifications acquises hors du système officiel de formation ;

- Marchés concurrentiels et sans réglementation.

Sethraman va aussi s’appuyer sur les critères de BIT pour définir le secteur informel dans les

années 1976. Cet auteur donne quinze (15) critères pour définir le secteur informel parmi les

quels la flexibilité des horaires de travail, l’absence de recours au crédit régulier, le bas prix des

produits, le bas niveau d’instruction, l’absence d’usage d’électricité etc. 180

.

Les définitions du secteur informel se sont multipliées dans le monde scientifique et dans les

organisations internationales depuis celle proposée par le BIT en 1972 et celle de Sethraman en

1976. Chaque auteur donne sa propre définition et selon l’objectif de son étude. On remarque

souvent des insuffisances dans les définitions que ces différents auteurs donnent au secteur

informel. Un grand nombre d’auteurs, y compris de nombreux instituts de statistique, s’appuient

souvent sur le critère de « taille » pour définir le secteur informel. Ils considèrent comme

179 Lautier B., (2004), l’économie informelle dans le tiers monde, Paris, Edition la découverte, Op. Cit. p12.

180 Ibid.

Page 166: Université Lyon II

166

« informelles » les unités économiques regroupant au plus 10 personnes et divisées en trois

classes : les indépendants, des unités composées de deux à cinq personnes et celles composées

de six à dix personnes. On voit que cette définition ne colle pas à la réalité économique d’un

grand nombre de pays du tiers monde. Car un certain nombre de structures économiques de

secteur structuré fonctionne souvent avec un nombre restreint d’individus (cabinets d’avocat,

des experts comptables, de médecins, des architectes).

Hormis le critère de taille de structures économique, le critère tel que le rapport à la loi choisi

pour définir le secteur informel présente aussi quelques limites. Car de quelle loi s’agit-il ? Doit-

on distinguer les activités dites « illicites » de celles qui sont licites lesquelles sont pratiquées

hors de la législation du travail en vigueur dans un pays donné ? Est-ce que les structures qui

sont hors la loi sont celles qui ne payent pas d’impôt ou celles qui font des activités illicites de

nature criminelle (la vente de la drogue…) ? Un grand flou apparait souvent dans cette approche

qui consiste à définir le secteur informel à partir du rapport à la loi du fait qu’il y ait une totale

confusion entre la notion de la légalité. Car si on considère qu’être hors la loi ce n’est pas

respecter les prescriptions légales en matière de la fiscalité (ne pas payer ses impôts), nombre

d’unités économiques qui se trouvent dans le secteur structuré vont basculer dans le secteur

informel. On va par conséquent, les qualifier d’unités informelles alors qu’elles sont bien dans le

secteur structuré.

On peut, conclure, eu égard à ce qui précède, qu’il est vraiment difficile de donner une

définition au secteur informel.

Nous allons, toutefois, retenir le critère de la comptabilité pour définir le secteur informel

dans le cadre cette étude. Une entreprise qui ne tient pas de comptabilité est considérée par nous

comme une entreprise du secteur informel. Il est vrai que tenir une comptabilité ne signifie pas

nécessairement être en règle avec les services de l’Etat en Afrique, car un grand nombre

Page 167: Université Lyon II

167

d’entreprises d’Afrique noire tiennent des comptabilités alors qu’elles ne sont pas enregistrées

auprès des services de l’Etat181

. Ce qui est certain, c’est ce que les entreprises qui tiennent des

comptabilités en Afrique délivrent généralement les fiches des salaires à leurs employés.

Nous sommes focalisés sur « le critère de fiche de salaire » pour distinguer les activités dites

formelles de celles dites informelles dans l’enquête migration de refuge. Ainsi, tous les enquêtés

qui ont déclaré avoir un emploi et qui disent recevoir régulièrement la fiche de salaire de la part

de leur employeur sont considérés comme travailleurs dans le secteur formel. Ceux qui disent

avoir un emploi rémunéré et qui affirment ne pas recevoir de la part de leurs employeurs une

fiche de salaire à la fin du moi sont considérés comme des travailleurs du secteur informel. Nous

estimons que ce critère basé sur la fiche de salaire est moins complexe et semble être

compréhensible par nos enquêtés. Car les autres critères (contrat de travail, horaire de travail,

taille de l’entreprise dans laquelle travaille l’enquêté) semblent, à notre sens, très complexes et

moins pratiques. A noter que nous avons aussi considérer les indépendants (les enquêtés

travaillant à leur propre compte) comme des personnes travaillant dans le secteur non structuré

(secteur informel) pour être en conformité avec les instituts de Statistique de la République

Centrafricaine (Bureau Central de Recensement ; Institut de statistiques et d’études économiques

de la Centrafrique). Car les indépendants sont définis comme des personnes exerçant dans le

secteur informel par les instituts de statistique de ce pays.

Nous avons choisi la « patente » comme critère permettant de distinguer des activités

commerciales dites formelles de celles qui sont informelles. Un enquêté qui déclare être

commerçant et qui dit ne pas posséder une patente est donc considérée comme exerçant dans le

commerce informel. En revanche, celui qui déclare posséder une patente, est considérée comme

exerçant dans le commerce formel.

181 Bocquier P., (2000-2001), L’emploi dans les enquêtes « insertion » à Dakar et à Bamako, Cahier /discussion

paper/ Cuaderno, Montréal, p 8.

Page 168: Université Lyon II

168

CHAPITRE 4 : LA REVUE DE LITTERATURE

SUR LE FONCTIONNEMENT DU MARCHE DU

TRAVAIL DANS LES PAYS DE L’ETUDE.

1. INSERTION SUR LES MARCHES DU TRAVAIL DANS LES

PAYS D’ORIGINE ET D’ACCUEIL DES REFUGIES CONGOLAIS

ET TCHADIENS.

1.1 Insertion sur le marché du travail en République Démocratique

du Congo et au Tchad.

1.1.1 Insertion sur le marché du travail en république

Démocratique du Congo.

La République démocratique du Congo a connu depuis les années 1960 plusieurs crises

sociopolitiques, lesquelles ont eu des impacts très significatifs et négatifs sur l’organisation de

son économie. L’économie de la République Démocratique du Congo qui, jadis (vers les années

1960), fut totalement extractive, c’est-à-dire qui avait pour seul but de produire pour le

développement de la métropole, la Belgique, n’a pas pu résister aux différentes crises politiques

et socioéconomiques qu’a connues le pays pendant cette période contemporaine, lesquelles ont

grandement contribué à sa dégradation. La transition tumultueuse, les pillages de 1991 et de

1993, la guerre de libération de 1997, la guerre des grands lacs, sont des évènements qui ont

désorganisé une économie congolaise déjà très affectée et fragilisée.

Page 169: Université Lyon II

169

En effet, ces différentes crises sociales vont favoriser le développement d’une économie

informelle au détriment d’une économie structurée dite formelle. Ainsi, plus de 80% des actifs

Congolais(RDC) travaillent aujourd’hui dans le secteur informel contre un peu moins de 20%

dans le secteur formel182

.

Le marché du travail congolais (RDC) qui est le reflet de l’économie du pays est caractérisé

par la prédominance du secteur informel et un taux d’activité très faible par rapport à la moyenne

des pays d’Afrique Subsaharienne. Ce taux d’activité est de l’ordre 61% en 2004 183

Or, le taux

d’activité moyen de l’Afrique subsaharienne est de l’ordre de 68, 6%.184

. Le faible taux d’activité

de la République démocratique du Congo est dû à une insertion relativement tardive sur le

marché du travail du fait d’une scolarité plus longue, surtout dans le milieu urbain 185

. Notons

que la proportion de la population active ne fait que croitre dans le secteur informel depuis les

années 1955. Par exemple, en 1955, 39% de la population active urbaine, c’est-à-dire âgée de 15

à 59 ans, se trouvait dans le secteur formel et 61% dans l’économie non structurée dite

informelle. En 1961, 29,1% de la population active se trouvait dans le secteur formel contre 70%

dans le secteur informel. En 1990, 5% seulement de la population active urbaine travaillait dans

le secteur formel186

. En fait, l’économie de la République Démocratique du Congo repose

principalement sur le secteur informel, c’est le poumon de l’économie de ce pays puisque presque

trois actifs sur quatre en font partie. Nous allons, malgré tout, présenter dans la partie qui va

182 Kabambi N., (2010), République Démocratique du Congo : Le service public de l’emploi (S.P.E) et

l’information sur le marché du travail, Kinshasa, p 20.

183 INS (2004-2005) , « L’emploi, le chômage et les conditions d’activité en République Démocratique du

Congo : Enquête 1-2-3 , Document de Travail, Dial, P 7.

184O.I.T (Organisation Internationale du Travail) (2007), tendances de l’emploi en Afrique, Genève.

185 BAFD/OCDE (2008), Les perspectives économiques, Paris, p270.

186 Malikwisha M., l’importance du secteur informel en RDC, les classiques des Sciences Sociales en

collaboration avec la bibliothèque Paul-Emile Boulet de l’université de Québec à Chicoutimi, Op. Cit p 7.

Page 170: Université Lyon II

170

suivre le fonctionnement et l’organisation du marché du travail en République Démocratique du

Congo.

L’insertion sur le marché du travail rural et urbain en République Démocratique du Congo.

La République Démocratique du Congo compte environ de 27 millions de personnes en âge

de travailler187

. Il en ressort un taux d’activité de 61% pour l’ensemble du pays. Il faut noter, par

ailleurs, que ce taux d’activité varie en fonction des zones (urbaine ou rurale), du sexe et de l’âge

des actifs. En fait, le taux d’activité est un bon indicateur permettant d’évaluer un marché du

travail donné.

Il existe une nette différence entre le taux d’activité en milieu urbain et rural en République

Démocratique du Congo. Le milieu rural enregistre un taux d’activité de plus de vingt (20) points

supérieur au milieu urbain. Le taux d’activité est respectivement de 67% en milieu rural et de

47% en milieu urbain. En effet, cette grande différence observée entre le taux d’activité rural et

urbain a bien une explication. En fait, les personnes habitant dans les zones rurales éprouvent

moins de difficulté à trouver un emploi puisqu’elles sont généralement concentrées de degré ou

de force dans le secteur agricole. On dit généralement que le secteur agricole absorbe ces

ruraux188

. Surtout, l’entrée dans le secteur agricole est moins difficile que dans les autres secteurs

économiques concentrés dans le secteur urbain pour lesquels l’entrée nécessite des qualifications,

des compétences, des diplômes et des réseaux. En fait, c’est généralement dans les grandes villes

que ce taux d’activité se trouve être faible. Par exemple, on note un faible taux d’activité, soit

187 BRAECKMAN C (2009)., Le Congo et ses amis chinois , archive monde diplômatique , bulletin mensuel,

septembre 2009.

188INS (2004-2005), « L’emploi, le chômage et les conditions d’activité en République Démocratique du Congo :

Enquête 1-2-3, Document de Travail, Dial, P 7.

Page 171: Université Lyon II

171

43% au niveau de la ville de Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo. Ce

qui est normal du fait de la disparition de milliers d’emplois suite aux différents troubles qu’a

connues la capitale pendant lesquelles une partie de la population a détruit des infrastructures

économiques en pillant des magasins, des usines, des bureaux. En fait, les citadins ont eux mêmes

détruit leur bassin d’emploi. Les investisseurs étrangers peinent à reconstruire les infrastructures

économiques détruites durant les conflits étant donné que le contexte politique reste encore

instable. Le climat d’affaire n’est pas propice en République Démocratique du Congo à cause de

l’instabilité politique, de l’insécurité, des tracasseries policières, de la corruption, des lourdeurs

administratives selon les dires des économistes. Tous ces éléments font obstacle à un réel

dynamisme entrepreneurial et découragent les opérateurs économiques dans leur projet de

création d’entreprises. Le ralentissement de création d’entreprises a un impact significatif sur le

marché du travail congolais (RDC). Car il y a moins de création d’emploi ces dernières années.

Du coup, les offres et la demandes d’emploi se déséquilibrent surtout dans les centres urbains.

Les rares offres d’emploi ne suffisent plus à satisfaire les multitudes de demandes. On note,

malgré tout, une nette différence des taux d’activité entre les différentes zones du pays. Certaines

régions sont pourvues en emplois plus que les autres. Il y a par exemple plus d’offre d’emplois

dans les régions minières que dans d’autres zones.

Le marché du travail urbain congolais (RDC) est caractérisé par la prédominance des actifs

masculins par rapport aux femmes actives. En revanche, c’est l’inverse dans les milieux ruraux. Il

y a en effet plus d’actives que d’actifs en milieu rural. En effet, les femmes étant moins

scolarisées, elles s’orientent davantage dans des activités agricoles dans les zones rurales ce qui

fait qu’elles ont un taux d’activité plus élevé que les hommes dans ces zones, soit 69%, c’est-à-

dire trois points de plus que les hommes. Il est à noter que le faible niveau d’instruction des

femmes demeure un frein pour accéder au marché du travail urbain. En effet, les hommes, plus

scolarisés et instruits, ont plus de chance d’avoir un emploi moderne et de se salarier dans les

zones urbaines que les femmes.

Page 172: Université Lyon II

172

Il faut noter que les femmes jouent un rôle très important dans le tissu social et familial en

République Démocratique du Congo. Elles ont deux fonctions principales qu’elles exercent

conjointement. La première consiste à prendre en charge les tâches domestiques de leur ménage.

Leur seconde fonction est davantage économique du fait qu’elles contribuent grandement au

pouvoir d’achat de leur ménage par le biais des activités économiques qu’elles exercent. Par

conséquent, elles ont un volume horaire hebdomadaire de travail supérieur aux hommes. En

République Démocratique du Congo, les femmes actives consacrent en moyenne 19h par semaine

aux tâches domestiques en plus des horaires habituels de leurs activités économiques189

. Se

développe alors le phénomène dit de « la double journée » chez ces femmes actives qui partagent

leur quotidien entre une activité économique épuisante et des tâches domestiques contraignantes.

Le taux d’activité en République Démocratique du Congo varie selon le genre et le milieu de

résidence (Une nette différence entre les zones rurales et urbaines). Par ailleurs, l’absence

d’activité en République Démocratique du Congo correspond en fait à une forme de chômage

déguisé. En fait, les personnes qui n’ont pas d’activité sont celles qui sont généralement retirées

du marché du travail parce qu’elles ne pensent pas pouvoir obtenir d’emploi190

.

Tableau 4.2 : Le taux d’activité selon le genre et le milieu de résidence en République

Démocratique du Congo en %.

Kinshasa Milieu Urbain Milieu Rural RDC

Hommes de 10 ans et plus 50,2 52,7 65,7 61,6

Hommes de 15 ans et plus 59,4 63,4 77,7 73,2

Femmes de 10 ans et plus 35,8 41,7 69 60,3

Femmes de 15 ans et plus 42,3 49,6 79,8 70,2

Ensemble de 10 ans et plus 42,8 47,1 67,4 60,9

Ensemble de 15 ans et plus 50,6 56,3 78,8 71,6

Source : INS, Enquête 1-2-3 Nationale RDC Phase 1 (2004-2005).

189 Kabambi N., (2010), République Démocratique du Congo : Le service public de l’emploi (S.P.E) et

l’information sur le marché du travail, Kinshasa.

190 INS (2004-2005), « L’emploi, le chômage et les conditions d’activité en République Démocratique du Congo :

Enquête 1-2-3, Document de Travail, Dial, P 7.

Page 173: Université Lyon II

173

Graphique 4.1 : Le taux d’activité selon les zones géographiques de la République Démocratique

du Congo (RDC).

Source : Graphique réalisé à partir des données de l’enquête 1-2-3, INS (Institut National de

Statistique), RDC Phase 1 (2004-2005).

Insertion des jeunes, des chefs de ménage et des seniors sur le marché du travail en République

Démocratique du Congo.

La structure de la population de la République Démocratique du Congo est caractéristique de

celle de tous les pays d’Afrique subsaharienne. En fait, la population congolaise (RDC) est

composée en majorité de jeunes. Par conséquent, la structure de la population active de la

République Démocratique du Congo est le reflet de la structure de sa population. On trouve donc

une grande proportion de jeunes de moins de 20 ans dans cette population active. Elle représente

à elle seule environ 39% de la population en âge de travailler. Mais seulement le quart de cette

population jeune est en réalité en activité. Le taux d’activité des jeunes est relativement faible en

République Démocratique du Congo. C’est généralement dans les grandes villes que les taux

Page 174: Université Lyon II

174

d’activité des actifs jeunes sont les plus faibles. Le taux d’activité des jeunes, c’est-à-dire des

moins de 20 ans, est de l’ordre de 7,5% à Kinshasa, le plus faible au niveau national. En

revanche, le taux d’activité des jeunes en milieu urbain hors capitale est de l’ordre de 12%. Mais

c’est dans les zones rurales qu’on enregistre le plus fort taux d’activité de la population active de

jeune. En effet, le taux d’activité de la population active jeune est de l’ordre de 29,2% dans les

campagnes congolaises. Ce taux d’activité élevé de la population active jeune des zones rurales

s’explique entre autres autre par l’entrée précoce des enfants sur le marché du travail dans les

campagnes.

A noter que ce sont généralement les chefs de ménage qui ont le plus fort taux d’activité (soit

environ 92,5% au niveau national) car ils demeurent les poumons économiques de leurs ménages.

Les enfants ont donc un faible taux d’activité. Car, leur contribution financière au fonctionnement

du ménage dans lequel ils se trouvent est souvent de moindre importance à côté de celle du chef

du ménage ou des autres membres adultes du ménage. Ils sont le plus souvent sollicités en

dernière instance lorsque le chef de ménage ou les autres membres du ménage ne sont plus

solvables.

Page 175: Université Lyon II

175

Tableau 4.3 : Taux d’activité selon le genre, l’âge et le milieu de résidence en RDC en %.

Kinshasa Milieu urbain Milieu rural RDC

Hommes

De 10 à 14 ans 2 3 10,7 8,3

De 15 à 29 ans 32,5 38 56,9 49,3

De 30 à 49 ans 86,1 90,5 97 95

De 50ans et + 75,1 77,2 89,2 85,6

Femmes

De 10 à 14 ans 1,5 2,9 14,3 10,6

De 15 à 29 ans 26,7 33,6 69,2 57,1

De 30 à 49 ans 61,8 70,1 91,9 85,3

De 50ans et + 49,7 57 81,9 74,7

Ensemble

De 10 à 14 ans 1,7 3 12,5 9,4

De 15 à 29 ans 29,3 35,6 63,3 54

De 30 à 49 ans 73,5 80,1 94,3 90

De 50ans et + 63,8 67,8 85,7 80,5

Source : INES, Enquête 1-2-3 Nationale RDC Phase 1 (2004-2005).

Le taux de chômage selon le milieu de résidence, le genre, le niveau d’instruction de la

population congolaise (RDC).

La République Démocratique du Congo comptait environ 776.000 chômeurs en l’an 2005 au

sens du BIT191

. Le taux de chômage était de l’ordre de 3,7% dans ce grand pays d’Afrique

191 INS (2004-2005), « L’emploi, le chômage et les conditions d’activité en République Démocratique du Congo :

Enquête 1-2-3, Document de Travail, Dial.

Page 176: Université Lyon II

176

Centrale en 2005. Il est certain que ce taux de chômage est très faible comparé à celui de certains

pays industrialisés. Il est à signaler que la République Démocratique du Congo est un pays dit

agro-pastoral où la terre représente le principal facteur de production, autrement dit le principal

facteur économique. Car environ 70% de la population congolaise subsiste grâce aux activités

agricoles. Par conséquent, elles recourent généralement à la terre pour cultiver et produire, ce qui

explique le faible taux de chômage dans les zones rurales. Car, la terre est généralement

accessible à tout le monde dans ces zones rurales. On ne peut donc pas parler du chômage dans

les zones rurales puisque tout le monde peut plus ou moins avoir accès à la terre pour produire,

donc avoir une activité économique proprement dite.

Le chômage demeure donc un phénomène exclusivement urbain en République Démocratique

du Congo. En fait, les deux tiers des chômeurs congolais se trouvent dans la capitale, c’est-à-dire

dans la ville de Kinshasa. Le taux de chômage est de l’ordre de 15% dans la ville de Kinshasa, le

plus fort taux au niveau national selon l’institut de la statistique nationale. Il y eut certainement

assez de bais lors de la production des données concernant les taux de chômage dans les centres

urbains de la République Démocratique du Congo. Il ne devrait pas y avoir un grand écart entre

le taux de chômage enregistré à Kinshasa et celui des autres villes du pays puisque que la capitale

Congolaise et les autres grandes villes du pays sont affectées de la même façon par la crise socio-

politique de ces dernières années. Cette crise socio-politique a eu impact à la fois sur les

infrastructures économiques de la capitale congolaise (RDC) tout comme ceux des autres villes

du pays. Les chômeurs qui ont été comptabilisés dans les centres urbains congolais (RDC)

seraient davantage ceux qui vivent à Kinshasa. Les chômeurs des autres zones urbaines seraient

certainement sous-enregistrés lors de la production des données concernant le chômage en

République Démocratique du Congo. Ce qui explique ce grand écart entre le taux de chômage

entre la ville de Kinshasa et les autres villes du pays. Comme le taux d’activité, le taux de

chômage varie d’une région urbaine à une autre en République Démocratique du Congo.

Le Chômage varie également en fonction de l’âge et du sexe des individus en âge de travailler.

En effet, le chômage touche davantage les jeunes. Il affecte davantage les hommes que les

Page 177: Université Lyon II

177

femmes. Le taux de chômage croit de 15ans à 25 ans dans la population active congolaise, puis

décroit de 25 ans à 50ans.

S’agissant du niveau d’instruction, force est de constater que le taux de chômage croit avec le

niveau scolaire. C’est en effet, les actifs congolais (RDC) qui n’ont aucun niveau d’instruction

qui enregistrent le plus faible taux de chômage. A Kinshasa par exemple, le taux de chômage des

non scolarisés est de 8% contre 16% pour ceux ayant suivi des études secondaires ou supérieures.

Ce qui revient à dire que les non scolarisés s’incèrent mieux sur le marché du travail congolais

que leurs homologues qui sont diplômés ou qui ont un niveau d’instruction élevé. En effet, les

personnes moins instruites ont généralement moins d’exigence sur le marché du travail. Elles

sont généralement prêtes à accepter tous types de travail. En revanche, les personnes diplômées

ou qui ont atteint un niveau d’instruction élevé sont plus exigeantes. Elles préfèrent généralement

occuper un emploi qui correspond à leur qualification. Elles sont donc susceptibles de refuser tout

travail qu’elles jugent dévalorisant.

Graphique 4.2 : Taux de chômage selon l’âge des actifs congolais (RDC) en %.

Source : Graphique réalisé à partir des données de l’enquête 1-2-3 Nationale RDC Phase1 (2004-

2005).

Page 178: Université Lyon II

178

Tableau 4.4 : Taux de chômage BIT selon le niveau d’études par milieu de résidence.

Milieu de résidence Non scolarisé Primaire secondaire Supérieur Ensemble

Hommes

Kinshasa 13,1 18,1 18,2 14,4 17,3

Milieu urbain 11 13,6 12,5 10 12,2

Milieu rural 1,7 1,9 1,4 1,6

RDC 2,5 3,5 5 8,4 4,5

Femmes

Kinshasa 5,8 7,5 13,8 19,6 11,8

Milieu urbain 5 8,1 11,8 15,4 10,1

Milieu rural 0,5 1,1 1,3 0,9

RDC 0,8 2,3 5,9 13,6 2,9

Ensemble

Kinshasa 7,8 11,8 16,5 15,6 14,9

Milieu urbain 6,5 10,2 12,2 11,1 11,2

Milieu rural 0,8 1,5 1,4 1,2

RDC 1,2 2,8 5,3 9,3 3,7

Source : L’enquête 1-2-3 Nationale RDC Phase1 (2004-2005).

La répartition des emplois selon les secteurs institutionnels en République Démocratique du

Congo.

Le secteur informel est le premier bassin d’emploi en République Démocratique du Congo.

Car, environ 80% des actifs congolais (RDC) occupés y sont employés192

. Les emplois informels

s’exercent aussi bien dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Ils sont occupés aussi

bien par les hommes que par les femmes. En revanche, les emplois informels sont davantage

192Kabambi N., (2010), République Démocratique du Congo : Le service public de l’emploi (S.P.E) et

l’information sur le marché du travail, Kinshasa, p 20.

Page 179: Université Lyon II

179

exercés dans les secteurs privés que dans le secteur public ; surtout dans les entreprises

individuelles (les micro-entreprises privées). Comme le secteur moderne dit formel, le secteur

informel congolais se repartit souvent en secteurs d’activité (primaire, secondaire, tertiaire) et en

branches d’activité (agriculture et alimentaire ; mines et métallurgie ; bâtiments et travaux

publics). Les individus travaillant dans le secteur informel ne bénéficient généralement d’aucun

droit. Par conséquent, ils ne peuvent ni bénéficier de la sécurité sociale, ni se syndiquer. Ils ont

généralement une condition de travail précaire puisqu’ils sont généralement recrutés sans contrat

de travail. Ces derniers ne peuvent donc pas revendiquer leur droit, ni défendre leurs intérêts. Les

employeurs du secteur informel ont généralement du mal à trouver des capitaux nécessaires pour

financer leurs activités. En effet, ils sont généralement obligés de s’orienter vers les circuits

traditionnels dits informels pour chercher des financements pour développer leurs affaires

puisqu’ils ne peuvent pas être financés par les banques ordinaires. Les employés qui travaillent

dans le secteur informel en République Démocratique du Congo ont généralement un niveau de

qualification très bas et un niveau d’instruction bas ; voire aucun niveau d’instruction. Par

conséquent, Ils sont parfois obligés d’apprendre leur métier sur le tas en le pratiquant193

.

En effet, l’entrée sur le marché du travail informel en République Démocratique du Congo est

relativement facile puisqu’elle n’est soumise à aucune condition de qualification professionnelle,

de diplôme, ou de nationalité. C’est la raison pour laquelle bon nombre de personnes y

travaillent. Mais ce secteur ne peut pas absorber tous les actifs congolais demandeurs d’emploi

malgré sa flexibilité.

Par ailleurs, l’emploi formel ou moderne est occupé par seulement 20% des actifs en

République Démocratique du Congo. L’emploi formel se trouve dans les organisations ou les

entreprises individuelles ou sociétaires, publiques ou privées. Ces entreprises se repartissent

193Ibid.

Page 180: Université Lyon II

180

généralement dans les secteurs d’activité primaire, secondaire, tertiaire, et les branches d’activité

(agriculture et alimentaire, mines et métallurgie, industrie, bâtiment et travaux public, énergie,

transports, commerce, services, administration, force armée…). Les emplois modernes sont

davantage concentrés dans les centres urbains, surtout à Kinshasa. L’entrée dans le secteur formel

dans les zones urbaines telles que la ville de Kinshasa est très difficile. Il faut avoir en plus des

qualifications et des diplômes requis des réseaux amicaux et familiaux puissants afin d’avoir une

grande chance d’accéder à un emploi moderne dans les zones urbaines, surtout au sein de la ville

de Kinshasa.

L’entrée des migrants internes sur le marché du travail en République Démocratique du Congo.

Les migrants représentent 16% de la population Congolaise (RDC) et 22% de la population en

âge de travailler (soit environ trois actifs sur dix)194

. Ce qui est marquant, c’est que les migrants

s’incèrent mieux sur le marché du travail que les natifs en République Démocratique du Congo.

En effet, on observe que le taux d’activité des migrants est supérieur à celui des natifs dans

presque toutes les zones du pays. Notons que le taux d’activité des migrants est de l’ordre de

71,8% contre 57,8% pour les natifs. Mais c’est surtout dans les zones urbaines que l’écart entre

les taux d’activité des migrants et des natifs est très prononcé. Par exemple dans la ville de

Kinshasa le taux d’activité des migrants est supérieur à celui des natifs de l’ordre de 30 points. En

effet, les migrants ont une grande nécessité de mettre en place des multitudes de stratégies afin de

trouver un emploi. Car les membres de leur famille qui sont restés dans leur village ont besoin de

leur aide financière. Surtout, ces derniers sont le plus souvent envoyés par les leurs pour aller se

194 INS (2004-2005), « L’emploi, le chômage et les conditions d’activité en République

Démocratique du Congo : Enquête 1-2-3, Document de Travail, Dial, P8.

Page 181: Université Lyon II

181

salarier en ville. Par conséquent, ils sont contraints de travailler afin d’envoyer de l’argent aux

membres de leur clan ou de leur famille restés dans leur village. Cette contrainte les pousse

généralement à être plus motivés que les natifs. En effet, les natifs ont moins de contrainte

psychologique que les migrants puisqu’ils sont chez eux. Par conséquent, ils peuvent compter sur

les membres de leur famille qui vivent avec eux en cas de difficulté financière à la différence des

migrants qui doivent travailler pour nourrir à la fois leur famille qui vit avec eux et celle qui est

restée dans leur village.

Nous ne disposons, par ailleurs, pas de données permettant de mesurer l’insertion

professionnelle des immigrants, c’est-à-dire des étrangers installés en République Démocratique

du Congo (RDC). En effet, il aurait été possible de mesurer l’insertion socio-professionnelle de

ces étrangers à partir de telles données (Enquête 1.2.3). Car la migration interne n’est pas tout à

fait semble à celui de la migration internationale. Les indicateurs présentés plus hauts relatifs à

l’insertion professionnelle des migrants internes en République Démocratique du Congo peuvent,

malgré tout, nous éclairer et nous aider à comprendre la problématique d’insertion

professionnelle des immigrants sur le marché du travail en Afrique Subsaharienne. Car ces

migrants internes ont souvent plus ou moins le même mode d’insertion professionnelle que les

immigrants.

En somme, le marché du travail congolais (RDC) se caractérise par un faible taux d’activité

même s’il est très élevé en milieu rural. Les emplois informels dépassent largement les emplois

formels. L’entrée sur ce marché est très difficile surtout dans les zones urbaines où le taux de

chômage est très élevé, symptôme de la tension effective sur ce marché du travail urbain. Ce sont,

malgré tout, les personnes qui ont un faible niveau d’instruction et les migrants qui s’insèrent le

mieux sur ce marché du travail. Les emplois y sont mal rémunérés. L’entrée au sein de ce marché

ne garantit rien. Car, on peut le quitter à tout moment. En effet, la porte de sortie sur ce marché

n’est aucunement rigide. Les gens qui quittent ce marché du travail mettent souvent du temps à y

retourner puisque les chômeurs congolais (RDC) restent en moyenne cinq ans au chômage avant

de retrouver un emploi.

Page 182: Université Lyon II

182

Il est certain que les réfugiés congolais (RDC) qui viennent des zones rurales congolaises

auront du mal à s’adapter au marché du travail urbain de Bangui. Car, ils viennent des zones

rurales qui offrent une plus grande possibilité d’emploi. L’accès à la terre est très facile dans ces

zones, contrairement à la ville de Bangui dans la laquelle il est très difficile de se procurer de la

terre pour vaquer aux activités agricoles. Par contre, les réfugiés Congolais qui viennent des

zones urbaines congolaises s’adapteront plus ou moins bien au marché du travail de Bangui

puisqu’il fonctionne à peu près de la même façon que celui des zones urbaines congolaises.

1.1.2 Insertion sur le marché du travail au Tchad.

Le Tchad, à l’instar de plusieurs pays d’Afrique du sud de Sahara, se trouve actuellement

dans une période dite de transition économique, c’est-à-dire entre une période de déclin

économique et social, conséquence des troubles militaires et politiques (les guerres successives)

et une période d’entrée dans l’ère pétrolière (une période de forte croissance économique). En

effet, l’économie tchadienne connait ces dernières années de forts taux de croissance dû aux

investissements et aux projets d’exploitation dans le secteur pétrolier 195

. Il est vrai que le secteur

pétrolier a fortement contribué au développement économique du Tchad ces dernières années,

mais cette contribution est à relativiser puisque ce secteur n’a pas pu créer suffisamment

d’emplois pour absorber un grand nombre d’actifs tchadiens. En effet, le secteur pétrolier ne crée

que des emplois précaires, des emplois à temps partiels qui ne durent pas. Car les quelque 4000

emplois créés par le secteur pétrolier entre 1990 et 2000 ont été supprimés en 2004196

. Les

195République du Tchad, Ministère du plan, du développement et de la coopération (2003), documents de

Stratégie nationale de Réduction de la pauvreté, p 12.

196La République du Tchad, Ministère de la fonction publique, du travail et de l’emploi (2004), Contribution du

Tchad au somment extraordinaire des chefs d’état et de gouvernement sur l’emploi et la lutte contre la pauvreté en

Afrique.

Page 183: Université Lyon II

183

potentialités pétrolières dont dispose le Tchad devraient en principe stimuler son économie pour

un décollage effectif. Or, ce n’est pas le cas. L’économie tchadienne demeure de nos jours très

fragile. Elle est caractérisée par :197

Une très faible productivité.

Une vulnérabilité extrême face aux chocs aussi bien internes qu’externes.

Un secteur privé non dynamique.

Une insuffisance des infrastructures routières.

Une prédominance des emplois du secteur informel.

En somme, l’économie tchadienne repose principalement sur le secteur primaire, le secteur

tertiaire et le secteur informel. Mais les emplois créés par ces trois secteurs demeurent

insuffisants pour couvrir les besoins du marché du travail tchadien. Un marché du travail

caractérisé par la prédominance des emplois informels au détriment des emplois formels et dans

lequel les demandes d’emploi sont largement supérieures aux offres. Les emplois sont en nombre

très limité surtout dans les zones urbaines. Par conséquent, le taux d’activité ou encore de

participation au marché du travail au Tchad demeure faible par rapport à la moyenne de l’Afrique

Subsaharienne qui est de l’ordre 68,6 %. En effet, le taux d’activité ou de participation au marché

du travail au Tchad est de l’ordre de 66% 198

.

197République du Tchad, Ministère du plan, du développement et de la coopération (2003), documents de

Stratégie nationale de Réduction de la pauvreté, année 2003, op cit. p 15.

198OIT (Organisation International du Travail) (2007), Tendances de l’emploi en Afrique, Genève, P11.

Page 184: Université Lyon II

184

Insertion sur le marché du travail formel au Tchad.

Le plus grand nombre d’emplois formels au Tchad se trouve dans la fonction publique. l’Etat,

demeure à ce titre, le grand employeur du pays. Elle emploie plus de 30.000 personnes.

Le secteur privé qui devrait être un secteur dynamique de l’économie tchadienne susceptible

de créer suffisamment d’emplois pour absorber un grand nombre de Tchadiens à la recherche

d’emplois n’emploie qu’un infime nombre d’actifs, soit environ 27.000 personnes. Les grands

pourvoyeurs d’emplois du secteur privé moderne au Tchad demeurent les services, l’industrie et

le commerce. En effet, le secteur moderne privé du Tchad demeure encore très fragile et ne peut

pas faire face aux demandes croissantes des actifs tchadiens qui arrivent en nombre sur le marché

du travail. Surtout, la plupart des actifs tchadiens qui se présentent sur le marché du travail ont

généralement un niveau de qualification très faible. Or, les entreprises du secteur privé moderne

tchadien cherchent beaucoup plus une main d’œuvre qualifiée. Or, la plupart des Tchadiens qui

arrivent sur le marché du travail ont très souvent un parcours de formation très généraliste, lequel

est totalement incompatible avec les besoins du marché du travail et de l’économie. Ce qui

explique que les personnes qui sortent de ces formations sont généralement non opérationnelles

sur le marché du travail. Et cette situation n’arrange pas les entreprises du secteur privé moderne

tchadien puisqu’elles peinent souvent à recruter des personnes qualifiées totalement

opérationnelles pour travailler pour elles.

Force est de constater que le secteur privé moderne tchadien est confronté à deux problèmes. Il

est confronté, d’une part, à un problème de capitaux. Il a en effet besoin de solides

investissements pour son développement. Et d’autre part, à un problème de main d’œuvre

qualifiée.

Page 185: Université Lyon II

185

Les Tchadiens qui ont un niveau de qualification et d’instruction faible et qui n’ont pas pu

avoir un emploi dans le secteur privé moderne très exigeant sont contraints de se tourner vers le

secteur informel. L’entrée dans le secteur informel tchadien est moins contraignante que dans le

secteur moderne. Le secteur informel absorbe généralement les actifs en état de difficulté ou

d’handicap ou ceux qui sont tout simplement discriminés comme les femmes. Présentons la

caractéristique du secteur informel au Tchad.

Insertion sur le marché de travail informel au Tchad.

L’économie tchadienne, comme la plupart de celle des pays africains subsahariens, est

caractérisée par une forte présence du secteur informel qui demeure mal réglementé du point de

vue des statistiques et du droit du travail. Comme en République Démocratique du Congo, le

secteur informel constitue le poumon de l’économie tchadienne. Il demeure effectivement le

principal employeur au Tchad. En effet, 74% de la population active tchadienne non agricole

travaille dans le secteur informel199

Le secteur informel est donc un secteur important qui fait vivre la majorité des ménages

tchadiens même s’il n’est pas encore réglementé, organisé et structuré. Il répond plus ou moins à

la demande des besoins croissants d’emplois au Tchad là où le secteur formel structuré a échoué.

Les travailleurs du secteur informel au Tchad sont en majorité des personnes qui travaillent à

leur propre compte. Ce sont des indépendants/propriétaires, des aides familiaux ou des apprentis.

Le salariat n’est pas encore vraiment développé dans le secteur informel au Tchad. On note, un

nombre très restreint de salariés du secteur informel au Tchad de nos jours. Les emplois du

199 La République du Tchad, Ministère de la fonction publique, du travail et de l’emploi (2004) : Contribution du

Tchad au somment extraordinaire des chefs d’état et de gouvernement sur l’emploi et la lutte contre la pauvreté en

Afrique.

Page 186: Université Lyon II

186

secteur informel au Tchad sont concentrés principalement dans les activités suivantes : (i) le

commerce de détail, (ii) la petite restauration, (iii) la couture, (iv) la menuiserie et l’artisanat200

.

Il faut noter que le secteur informel tchadien emploie à la fois les hommes et les femmes. Mais

le nombre de femmes qui y travaille dépasse celui des hommes. En effet, les femmes sont

surreprésentées dans le secteur informel au Tchad ; 46% des femmes tchadiennes qui travaillent

dans le secteur informel sont des indépendantes, contre 51% qui sont des aides familiales et

0,75% qui sont des salariées201

. La majorité des femmes qui travaillent dans le secteur informel

sont celles qui n’ont pu avoir le travail dans le secteur moderne. Car ce secteur n’absorbe qu’un

nombre restreint de femmes. Par exemple, dans la fonction publique tchadienne, seulement

26,9% des emplois sont occupés par les femmes. Et la fonction publique tchadienne n’offre que

des postes subalternes aux femmes.

En effet, un certain nombre de facteurs ont une incidence sur l’emploi des femmes en Afrique

et notamment au Tchad. Les plus importants sont liés aux préjugés culturels qui sont

généralement consacrés dans les lois sociales qui sont à l’origine de la discrimination sur le

marché du travail et dans le secteur de l’éducation202

. Dans l’imaginaire collectif des Tchadiens

comme bon nombre d’Africains, les femmes devraient se consacrer exclusivement aux tâches

domestiques et à la gestion de leur famille. Pour ce faire, elles doivent s’abstenir d’avoir des

activités professionnelles et salariales, lesquelles demeurent exclusivement les affaires des

hommes. On observe généralement une forte discrimination à l’égard des femmes sur le marché

du travail et dans les structures éducatives au Tchad comme dans bon nombre de pays africains

du sud du Sahara.

200Ibid.

201Ibid.

202 OIT (Organisation International du Travail) (2007), Tendances de l’emploi en Afrique, Genève, Op.cit p13.

Page 187: Université Lyon II

187

La discrimination à l’égard des femmes dans le système scolaire a généralement une incidence

sur leur vie sociale toute entière. N’étant pas instruites, elles sont obligées d’entrer très tôt dans la

vie active. Car elles y entrent souvent deux ans environ avant les hommes203

. Par exemple dans

les zones rurales, les filles commencent à travailler très tôt, c’est-à-dire vers dix ans. Elles aident

pour les tâches domestiques tout en travaillant dans le secteur agricole. Les filles deviennent donc

une main d’œuvre très tôt que les autres enfants de leur âge.

Le faible niveau d’instruction des femmes d’Afrique demeure un handicap qui les empêche de

se distinguer sur le marché du travail urbain. Les femmes tchadiennes, tout comme les autres

femmes d’Afrique subsaharienne, sont souvent concentrées dans le secteur informel dans les

zones urbaines. Elles travaillent généralement chez les parents éloignés et ne perçoivent souvent

aucune rémunération. Le faible niveau d’instruction des femmes les exclut du secteur formel et

les oblige à se débrouiller dans le secteur informel avec une condition de travail très précaire.

Le chômage sur le marché du travail tchadien.

Le chômage demeure exclusivement un phénomène urbain au Tchad. Les tchadiens ruraux ne

sont pas concernés par le chômage. Le taux global de chômage ne représente que 1% de la

population active se trouvant dans les zones rurales tchadiennes. Par contre, le chômage est très

prononcé dans les zones urbaines tchadiennes. Le taux global de chômage est de l’ordre de 11%

203A study of gender and labour market liberation in Africa : Une étude sur l’égalité des sexes et la libéralisation

du marché du travail en Afrique in OIT (OrganisationInternationale du Travail) (2007) , Tendances de l’emploi en

Afrique, Genève , p 13.

Page 188: Université Lyon II

188

en milieu urbain. Le taux global du chômage au niveau national est de l’ordre de 7,5%. C’est en

effet, dans la ville de Ndjamena que le chômage est le plus fort.

On remarque, cependant, que le taux de chômage est très faible au Tchad à comparer à

d’autres pays du sud du Sahara. Mais ce faible taux de chômage cache bien d’autres réalités. En

effet, les sous-emplois qui se trouvent en nombre dans les secteurs informel et agricole et qui sont

peut-être considérés comme des emplois normaux ont du biaiser les statistiques de l’emploi

minimisant ainsi le taux de chômage.

Les réfugiés tchadiens qui sont installés à Bangui auront nécessairement du mal à s’insérer

professionnellement à Bangui. Car, ils viennent d’un pays qui n’a pas un bon système de

scolarisation et de formation. Ces Tchadiens n’auront pas un capital professionnel de qualité leur

permettant de se distinguer sur le marché du travail à Bangui.

1.2 Insertion sur le marché du travail en République

Centrafricaine.

Les données du dernier recensement général de la population et de l’habitation (RGPH 2003)

ont permis de mesurer la participation au marché du travail des actifs centrafricains et des

étrangers (les immigrants) installés en République Centrafricaine. On a comparé ces nouvelles

données à celles de 1988, c’est-à-dire du recensement précédent afin de mesurer l’évolution du

taux d’activité entre ces deux dates. Nous allons présenter dans cette étude uniquement les taux

d’activité obtenus à partir des données du dernier recensement général de la population. Notre

objectif est le suivant : Présenter le marché du travail en République Centrafricaine, présenter les

acteurs de ce marché du travail, montrer le mode d’entrée et de sortie sur ce marché du travail,

décrire les profils des actifs qui s’insèrent le mieux sur ce marché du travail à travers les

Page 189: Université Lyon II

189

indicateurs tels que le taux d’activité et le taux de chômage. En effet, le taux d’activité mesure la

participation des actifs sur le marché du travail et le taux de chômage lui, lui, donne une

indication sur la tension entre les actifs sur le marché du travail.

Il existe une nette différence entre le taux d’activité en milieu urbain et rural en République

Centrafricaine comme dans presque tous les pays d’Afrique subsaharienne. La République

centrafricaine est aussi un pays agro-pastoral dans lequel la majorité des individus vivent de la

terre. Il est plus facile pour les ruraux que pour les urbains de participer aux activités

économiques agricoles qu’aux urbains puisqu’ils ont la terre à proximité. Ils peuvent produire,

consommer une partie de leur production et vendre l’excédent. Ce n’est pas le cas pour les

urbains. Ces derniers doivent subir les contraintes du marché du travail. Un marché du travail

dans lequel les emplois se raréfient. Car l’entrée sur ce marché du travail est conditionné par

beaucoup de facteurs tels que la qualification, les diplômes, les réseaux. En toute logique, les

ruraux centrafricains comme les ruraux de presque tous les pays d’Afrique subsaharienne

participent plus à l’activité économique que les urbains et ils ont un taux d’activité supérieur à

celui des urbains. Le taux d’activité dans les zones rurales centrafricaines est de l’ordre de 75%

contre 53% dans les zones urbaines, soit un taux d’activité national de l’ordre de 64 %204

.

On observe que ce taux d’activité est faible par rapport au taux d’activité moyen des pays

d’Afrique du sud du Sahara qui est de l’ordre de 68%. En effet, le faible taux d’activité enregistré

en République Centrafricaine est le reflet du marché du travail et de l’économie du pays. Une

économie fragilisée par les crises socio-politiques qu’a connues le pays ces dernières années. La

Centrafrique demeure un pays qui attire peu les investisseurs étrangers, lesquels ont besoin de

sécurité. Or, on ne peut pas parler de sécurité de nos jours en République Centrafricaine puisque

204République Centrafricaine : Troisième recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH2003),

Caractéristiques économiques de la population de Centrafrique : Rapport d’analyse thématique, année 2005, p 7.

Page 190: Université Lyon II

190

le pays est confronté au phénomène des coupeurs de route. Les coupeurs de route, qui sont des

bandits, se livrent souvent à des actes de violence et de barbarie sur les routes qui mènent aux

zones provinciales. Ils vont parfois jusqu’à tuer les voyageurs pour récupérer leurs biens.

L’insécurité qui règne en République Centrafricaine dissuade souvent les opérateurs

économiques et les investisseurs étrangers. Or, avec un faible niveau d’investissement l’économie

du pays ne peut pas être performante pour créer suffisamment d’emplois. Ce qui explique, entre

autres, le faible taux d’activité du pays.

Un des grands problèmes du marché du travail centrafricain est celui de la main d’œuvre. On

observe que les actifs qui se présentent sur ce marché du travail ont généralement un faible

niveau d’instruction et de qualification. Ces actifs ne constituent donc pas une main d’œuvre de

qualité. Or, l’économie du pays a besoin à la fois d’une main d’œuvre à moindre coût et de

qualité pour accroitre sa productivité. L’économie du pays repose essentiellement sur

l’agriculture, l’élevage, la chasse et la pêche. En effet, 74,2% des personnes vivant en République

Centrafricaine travaillent dans ces secteurs. On note malgré tout, une baisse des effectifs des

actifs dans le secteur agricole ces dernières années , ce qui est un mauvais signe. L’économie du

pays pourrait ainsi être moins performante dans les années à venir puisqu’elle repose, comme on

vient de le dire, essentiellement sur le secteur agricole205

.

Comme la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, la Centrafrique est confrontée au

phénomène du travail des enfants. Selon les données du dernier recensement général de la

population et de l’habitation (RGPH 2003), environ 16,4% des enfants âgés de six à dix sept ans

seraient touchés par ce phénomène. Ces enfants sont généralement contraints de rentrer tôt sur le

marché du travail parce qu’ils sont orphelins ou membres d’un ménage pauvre. Par conséquent,

pour survivre, ils sont obligés de faire des petits boulots précaires dans les centres urbains pour

acheter quelques vivres et des produits de première nécessité comme des habits . Le phénomène

205 Ibip p 7.

Page 191: Université Lyon II

191

du travail des enfants est également très répandu dans les zones rurales surtout chez les jeunes

filles. Comme nous l’avons déjà souligné précédemment pour le Tchad, ces dernières sont

souvent partagées entre les activités agricoles et les activités domestiques. En effet, les filles

deviennent des actives malgré elles dans les zones rurales en République Centrafricaine.

Que ce soit dans les zones urbaines ou dans les zones rurales en République Centrafricaine, le

travail des enfants se présente généralement comme un mal qui doit être combattu et bannis. Car,

il a un impact négatif sur la vie sociale des enfants et sur l’économie du pays. En effet, les enfants

qui rentrent tôt sur le marché du travail sont ceux là même qui ont abandonné le chemin de

l’école. Ils n’ont pour la plupart reçu aucune instruction. Par conséquent, ils ne pourront pas

constituer une main d’œuvre de qualité dont l’économie du pays aura besoin pour son

développement. Avec un faible niveau d’instruction, ces enfants ne peuvent même pas espérer

un avenir meilleur. Car ils finissent généralement par rentrer dans le secteur informel dans les

centres urbains lorsqu’ils deviennent adultes. Ils vont alors augmenter le nombre des actifs qui

travaillent déjà dans ce secteur clé de l’économie de la plupart des pays africains du sud du

Sahara. Le phénomène du travail des enfants a donc un impact négatif sur l’économie de la

République centrafricaine du fait qu’il occasionne la détérioration du capital humain des enfants.

Or, on ne peut pas envisager un développement socio-économique sans un capital humain de

qualité.

La description de la population active en République Centrafricaine.

Selon les données du dernier recensement général de la population et de l’habitation de la

République Centrafricaine (RHPH 2003), le nombre d’actifs âgés de plus de six ans se trouvant

sur le territoire centrafricain s’élève à 1.615.329. 54,2% de ces actifs sont de sexe masculin et

45,8% de sexe féminin. La structure par âge et par sexe de la population active de la Centrafrique

est le reflet de la démographie du pays, c’est-à-dire jeune. Les jeunes filles rentrent en activité à

Page 192: Université Lyon II

192

un âge plus précoce que les garçons notamment dans les zones rurales comme nous l’avons dit ci-

dessus. Les femmes centrafricaines sont plus touchées par le chômage que les hommes surtout

dans les zones urbaines. Cela est dû à leur faible niveau d’instruction. Etant davantage moins

scolarisées, ces femmes sont le plus souvent exclues du marché du travail formel dans les centres

urbains, notamment dans la ville de Bangui. Par conséquent, elles sont obligées de se tourner vers

le secteur informel où elles travaillent généralement comme des « indépendants ».

Tableau 4.5 : Répartition en % de la population active âgée de 6 ans et plus en République

Centrafricaine.

Milieu de résidence Catégorie de la population active Homme Femme Ensemble

URBAIN Occupés 80,1 84,7 82

Chômeurs ayant travaillé 3,9 1,4 2,9

Chômeurs n'ayant pas travaillé 16 13,9 15,2

TOTAL 100 100 100

RURAL Occupés 92,1 93,2 93,2

Chômeurs ayant travaillé 1,8 1,3 1,3

Chômeurs n'ayant pas travaillé 6,1 5,5 5,5

TOTAL 100 100 100

ENSEMBLE Occupés 88,2 89,9 89,9

Chômeurs ayant travaillé 2,5 1,8 1,8

Chômeurs n'ayant pas travaillé 9,4 8,4 8,4

TOTAL 100 100 100

Source : RGPH3 (2003).

Taux d’activité selon l’âge, le genre et le niveau d’instruction en République Centrafricaine.

Les femmes centrafricaines étant généralement actives très jeunes, ont un taux d’activité

supérieur aux hommes aux âges jeunes, c’est-à-dire avant vingt cinq ans. Mais après vingt cinq

ans, les taux d’activité des hommes et des femmes vont tous les deux croitre. Toutefois, aux âges

élevés, les hommes participent plus au marché du travail.

Page 193: Université Lyon II

193

S’agissant du niveau d’instruction, nous constatons qu’il est corrélé négativement avec le taux

d’activité comme nous avions pu constater en République Démocratique du Congo et au Tchad.

Autrement dit, les Centrafricains qui un faible niveau d’instruction ont un taux d’activité plus

élevé que ceux qui ont un niveau d’instruction élevé.

Graphique 4.3 : Taux d’activité selon le niveau d’instruction en République Centrafricaine.

Source : Graphique réalisé à partir des données de RGPH3 (Année 2003).

1.2.1 Insertion sur le marché du travail à Bangui, la capitale

centrafricaine.

Comme la plupart des capitales des pays d’Afrique du Sud du Sahara, le taux d’activité de la

ville de Bangui, la capitale centrafricaine est le plus faible au niveau national. Ce taux d’activité

est de l’ordre de 34,3%, largement inférieur à la moyenne nationale qui est de 51,95%. On note

Page 194: Université Lyon II

194

qu’il ya environ un écart de seize points entre le taux d’activité national et celui de la ville de

Bangui. Il ya donc une faible participation des actifs sur le marché du travail à Bangui. En effet,

les quelques infrastructures économiques de cette ville (les usines, les entreprises, les bureaux)

ont été pillées et détruites par la population lors des dernières troubles (la mutinerie de 1996, les

coups d’état de 2001 et de 2003). Cette situation fut catastrophique car, elle a été à l’origine de la

fermeture de plusieurs entreprises installées en République Centrafricaine. Cela s’avéra

dramatique du point de vue économique. En effet, plusieurs personnes se trouvent au chômage du

jour au lendemain. Les habitants de Bangui ont eux- mêmes contribué à la destruction de leur

bassin d’emplois. Les opportunités d’emploi deviennent de plus en plus très difficiles au sein de

la ville de Bangui. Car les demandes sont largement supérieures aux offres sur le marché du

travail, vu que la plupart des entreprises spécialisées dans le coton et le café pourvoyeuses

d’emplois autrefois se trouvent en difficulté et sont obligées elles aussi d’arrêter leurs activités.

Les entreprises de transformations agricoles ont dû faire face à deux grands problèmes ces

dernières années.

La première se situe au niveau des investissements. En effet, elles n’ont pas eu suffisamment

des capitaux pour développer leurs activités pour enfin créer des emplois. L’Etat centrafricain

fragilisé par les problèmes de la dette n’a pas pu soutenir ce secteur clé de l’économie

centrafricaine. Car il consacre une grande part de sa recette budgétaire (soit 50,2% de cette

recette budgétaire en 2006206

) pour rembourser la dette qu’il a contractée auprès des institutions

financières principalement étrangères. Surtout, il a peine à emprunter sur les marchés financiers

ces dernières années207

. La marge de trésorerie de l’Etat centrafricain se trouve alors très réduite.

206Banque Mondiale et BEAC (Banque des Etats de l’Afrique Centrale) (2010) in Rapport annuel de la zone

Franc, Banque de France, p 192.

207La majorité des pays d’Afrique du Sud du Sahara est mal notée par les institutions financières. Ces instances

financières internationales donnent généralement une note de 15 à 20 sur une échelle 100 à la plupart des pays

d’Afrique Subsaharienne. En effet, ces pays n’ont pas souvent une bonne réputation en matière de gestion

économique. Ils sont considérés comme des pays à risque. La Centrafrique aussi est considérée comme un pays à

risque selon le FMI et la Banque Mondiale. Du coup, elle peine à emprunter sur les marchés financiers. Lire Eifert

Page 195: Université Lyon II

195

Par conséquent, il ne peut pas injecter suffisamment de capitaux dans le secteur agricole et

soutenir les entreprises publiques ainsi que le secteur privé formel. En effet, les ressources

affectées au payement de la dette constituent un manque à gagner pour l’économie centrafricaine

toute entière et pour le marché du travail en particulier, surtout dans les zones urbaines où sont

concentrées la majorité des entreprises du pays. Si ces entreprises de transformations agricoles et

celles d’autres secteurs privés formels étaient suffisamment soutenues par l’Etat centrafricain,

elles auraient pu se développer et créer des emplois pour absorber un grand nombre d’actifs

urbains, surtout ceux qui vivent à Bangui.

Le second problème rencontré par le secteur agricole centrafricain est commun à la plupart des

pays d’Afrique du Sud du Sahara est celui relatif à la chute des cours des produits agricoles et la

dégradation de leur prix sur les marchés internationaux 208

. On note une baisse des activités dans

presque tous les secteurs agricoles centrafricains après cette phase de l’effondrement des cours

des produits agricoles. Par exemple, la production du café a chuté de 20.000 tonnes de la

compagne 1988-1989 à 2.514 tonnes pendant la compagne de 2004-2005209

. Le secteur café

centrafricain continue à souffrir jusqu’aujourd’hui. Car, il manque de financement. Il est

considéré comme un secteur à risque. Du coup, les quelques entreprises du secteur peinent à se

développer, à se dynamiser pour créer suffisamment d’emplois. Plusieurs d’entre elles ont cessé

leurs activités comme ce fut le cas de l’ADECAF (Agence Centrafricaine du Développement de

la Caféiculture).

A noter que le ralentissement des activités dans le secteur du café a eu un impact très

significatif sur le marché du travail centrafricain en général et sur celui de Bangui en particulier.

B., et Ramachandran V., (2004), Compétitivité et développement du secteur privé en Afrique, Groupe Banque

Mondiale, Unité Secteur privé en Afrique, p 19.

208Abdou Salam F., et Rokhaya C., (2007), Migrations internationales et Pauvreté en Afrique de l’Ouest, Chronic

Poverty Research, Janvier 2007, p 7.

209ORCCPA (l’Office de Réglementation et de Contrôle du Conditionnement des Produits Agricoles en

Centrafrique).

Page 196: Université Lyon II

196

Car, il est à l’origine de la destruction des milliers d’emplois dans les zones rurales et urbaines.

En effet, les compagnes de café font généralement travailler plus de 100.000 personnes en

République Centrafricaine et maintiennent ces dernières dans leur région d’origine. La baisse des

activités lors des compagnes caféières de ces dernières années est à l’origine de la croissance du

nombre des candidats à l’exode rural. En effet, les individus qui travaillaient dans le secteur du

café dans les zones rurales sont obligés de quitter leur région d’origine pour migrer dans les

centres urbains pour chercher du travail à cause de la baisse des activités enregistrée dans le

secteur café ces dernières années. Ces ruraux ont grandement contribué à l’augmentation du

nombre de chômeur à Bangui .

Le secteur coton centrafricain a aussi connu des difficultés ces dernières années. Il a connu

une forte perturbation entre 2001-2003 à cause des troubles militaires orchestrées dans les régions

du centre et du nord-est où le coton est cultivé. En effet, la production du coton a grandement

chuté à cause de ces troubles. Elle est passée de 46.037 tonnes durant la compagne de 1997-1998

à 2,3 tonnes en 2002-2003 et peine à remonter depuis quelques années210

. Comme le café, la

baisse des activités dans le secteur du coton a eu un impact négatif sur le marché du travail

centrafricain ces dernières années. Elle est l’origine de la destruction de milliers d’emplois. Car,

en temps normal, cette filière occupe des milliers de personnes dans les activités connexes211

.

Plusieurs entreprises centrafricaines du secteur coton sont tombées en faillite ou ont eu des

scissions des activités ces dernières années à cause du manque de financement et de la mauvaise

gestion comme ce fut le cas respectivement d’UCATEX (Union Centrafricaine de textile) et de

la SOCADA (Société Centrafricaine de Développement Agricole)212

. Or, ces entreprises

210République Centrafricaine, Analyse de politique et pratique commerciale, document WT,TPS,/S183 , p 51.

211Ibid.

212Lire Kakeko-Tigague D., (2010), Impact des stratégies multifonctionnelles sur la performance économique des

exploitations agricoles en zones de savanes de Centrafrique face à la crise cotonnière, thèse de doctorat

d’Economie, Université Rennes II. La Société UCATEX était spécialisée dans le texte à base du coton. Par contre

SOCADA était une société d’économie mixte qui fut crée en 1983. 75% de son capital est détenu par l’Etat

Centrafricain. Elle s’occupait des activités industrielles et commerciales liées à la production du coton. Il y une

Page 197: Université Lyon II

197

employaient quelques milliers de personnes dans les zones rurales et au niveau de Bangui. En

effet, des centaines de milliers d’emplois ont été détruits en République Centrafricaine et à

Bangui depuis la période de la chute de cours de produits agricoles jusqu’aujourd’hui. Car le

secteur agricole centrafricain souffre de problèmes de capitaux et de la compétition

internationale. En effet, les entreprises internationales, c’est-à-dire celles des pays émergents et

celles d’Europe, qui sont mieux organisées, plus solides sont les seules à faire face à l’exigence

du marché en matière de prix.

La crise du secteur agricole a contraint l’Etat centrafricain a privatisé un grand nombre des

entreprises du secteur agricole comme ce fut le cas de SOCOCA (Société Cotonnière

Centrafricaine) 213

et la SOGESCA (Société de Gestion des Sucreries Centrafricaines) 214

. La

Société SURCAF-RCA qui a repris la SOGESCA devrait embaucher la grande majorité des

personnels de la SOGESCA selon les closes de cette privatisation. Or, ce n’est pas le cas.

Quelques salariés de la SOGESCA se sont retrouvés au chômage après cette privatisation.

Il est vrai que les personnes qui sont licenciées lors des opérations de privatisation reçoivent

généralement les indemnités de départ et un plan de reclassement. Ce n’est pas vraiment le cas en

Afrique noire et notamment en Centrafrique. Les anciens salariés des entreprises privatisées ne

reçoivent généralement aucun plan de formation pour une réorientation professionnelle. Ils sont

parfois livrés à eux-mêmes. Les quelques rares personnes qui ont profité d’un plan

scission de ses activités vers les années 1990 suite aux difficultés qu’elle rencontrée pour financer tous les pôles de

ces dites activités. Il y eut une réduction de ses personnels suite à cette scission. Une grande part de ses activités sera

transférée à l’entreprise SOCOCA.

213Les capitaux de la SOCACA sont détenus respectivement comme suit : les producteurs (20%), opérateurs

privés (6%) et l’Etat Centrafricain (40%) à l’issue de cette privatisation.

214La SOGESCA fut reprise par la Société SURCAF - RCA laquelle a injecté plus de 5 milliards dans les de la

SOGESCA.

Page 198: Université Lyon II

198

d’accompagnement professionnel après une privatisation peinent souvent à rebondir dans le

monde du travail. Ils deviennent, du coup, des chômeurs. La privatisation des entreprises

africaines et notamment de celles de Centrafrique n’a pas eu que du côté positif. Car, beaucoup

d’auteurs s’accordent à dire que le bilan de la privatisation en Afrique est négatif215

. Cependant,

son impact sur le marché du travail n’a pas fait l’objet de beaucoup d’études pour le moment.

L’Etat centrafricain aurait tout intérêt cependant à soutenir le secteur agricole en lui

fournissant les capitaux nécessaires, lui permettant ainsi de diversifier ses activités afin d’être

compétitif sur le marché international et surtout pour accéder à l’autonomie alimentaire. Il a

vraiment intérêt à soutenir ce secteur puisque c’est lui qui emploie le plus grand nombre d’actifs

au niveau national et le premier à contribuer à la croissance du PIB en République

Centrafricaine216

.

S’agissant du secteur privé centrafricain, force est de constater qu’il manque d’un réel

dynamisme. En effet, le secteur privé centrafricain est confronté à de multiples problèmes qui

sont les suivants :

L’accès difficile au financement. En effet, les entreprises centrafricaines ont moins

d’accès au crédit. La plupart d’entre elles utilisent leurs fonds propres ou des bénéfices

non distribués pour financer leurs activités. Ces entreprises contractent souvent des crédits

avec des taux très exorbitants. Seules les entreprises qui ont des relations avec le

gouvernement peuvent emprunter avec des faibles taux d’intérêt. L’obtention des crédits

est donc fonction des réseaux.

215Lire Moussa Samb, Privatisation des services publics en Afrique Subsaharienne à l’heure des bilans,

Université Cheikh Anta Diop , Dakar, Sénégal, www.afrilex-bordeaux4.fr

216Banque Mondiale et BEAC (Banque des Etats de l’Afrique Centrale) (2010) in Rapport annuel de la zone

Franc, Banque de France, P 188.

Page 199: Université Lyon II

199

Les coûts très élevés du transport. En effet, la Centrafrique est un pays enclavé. Par

conséquent, elle est obligée de passer par les ports les plus proches, notamment celui de

Douala (au Cameroun) et de Brazzaville (Congo) pour envoyer ces produits à

l’exportation. Cela va de même pour les produits importés. En effet, les délais

d’acheminement des produits est souvent très long à cause des mauvais états des routes,

des intempéries pluviométriques, des tracasseries policières. Car, il y a des barrières

presque tous les 50 km sur les routes de Centrafrique. Il faut donc glisser un billet de

banque aux policiers ou aux militaires à chaque barrière.

Les coûts très élevés de l’électricité. Certaines entreprises centrafricaines sont obligées

de produire elles-mêmes leur électricité. Elles ont généralement recours à

l’autoproduction. Car la société d’électricité centrafricaine, l’ENERCA, éprouve

beaucoup de difficultés ces dernières années à faire fonctionner les réseaux électriques au

niveau de Bangui et dans les centres provinciaux. Il y a le délestage et les coupures de

courant tous les jours à Bangui. La ville de Bangui est électrifiée que 8h en moyenne par

jour.

Les tracasseries administratives et la corruption font un grand un obstacle à la création

des entreprises.

L’insécurité enregistrée dans la ville de Bangui et dans les arrières pays fait fuir des

milliers d’opérateurs économiques.

Le climat d’affaires n’est donc pas propice en République Centrafricaine et au sein de la ville

de Bangui pour des nombreuses raisons qu’on vient d’évoquer. En effet, la République

Centrafricaine occupe la dernière place (183ème

) dans le classement de Doing Business, le rapport

Page 200: Université Lyon II

200

de la Banque Mondiale sur le climat des affaires avant l’année 2010. Il est classé 158ème

dans le

même classement en 2010 en matière de création d’entreprises217

. Cela revient à dire que le

secteur privé centrafricain manque vraiment de dynamisme. Par conséquent, il ne peut pas créer

suffisamment d’emplois pour résorber le chômage à Bangui.

La situation macroéconomique de la République Centrafrique n’est pas non plus favorable au

développement du marché du travail dans les zones urbaines, notamment au sein de la ville de

Bangui. Il est à signaler qu’il y a eu absence de croissance économique en République

Centrafricaine depuis plus de 30 ans. En effet, le taux de croissance économique a été de -1,5%

en République Centrafricaine entre 1975 - 2003 218

. Il y a une reprise effective de la croissance

économique en République centrafricaine que vers l’année 2003. Mais celle-ci demeure, malgré

tout, timide. Elle est de l’ordre de 3,4% en 2010. Cette croissance économique a été pendant des

décennies plus faibles que la croissance démographique. Il faut noter que cette croissance ne sert

davantage qu’à financer le crédit bancaire intérieur avec des coûts très élevés. Elle ne profite

donc pas à l’ensemble des secteurs économiques, ni à la population centrafricaine toute entière.

En effet, elle ne profite qu’aux couches sociales les plus aisées et celles qui sont proches du

pouvoir. En effet, 10% des plus riches habitant dans les zones urbaines centrafricaines et

notamment à Bangui détiennent les 75% du revenu global au niveau urbain tandis que les 10%

des plus pauvres ne détiennent que les 0 ,15% de ce revenu global219

. La situation

macroéconomique instable de la République Centrafricaine depuis les années 1975 n’a pas

favorisé le développement du marché de l’emploi. Il y a eu peu de création d’emplois depuis des

décennies en République Centrafricaine à cause de la morosité des indicateurs

217Source : PEA (Perspectives Economiques en Afrique) (2012), les statistiques sur les secteurs économiques de

la République Centrafricaine.

218Aho G., la croissance économique, moteur de la lutte contre la pauvreté, Pnud,

www.cf.pnud/Armoire/chap2.pdf, p 24, visité lé 10/09/2012.

219Source : Données ECVU, Pnud, 2003.

Page 201: Université Lyon II

201

macroéconomiques (faible croissance économique, l’envolée de la dette publique, balance

commerciale déficitaire.

Tableau 4.6 : Quelques indicateurs macro-économiques de la République Centrafricaine.

INDICATEURS ANNEE

1997-

2002

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 20010

Croissance réelle du PIB

(%)

2,8 -7,1 1 2,4 3,8 3,7 2,2 2,4 3,7

Croissance réelle du PIB

par habitant (%)

0,8 -8,9 -1 0,4 1,8 1,7 0,2 0,4 1,1

PIB réel par habitant (En

dollars EU aux prix de

2000. Calculer aux taux

de change de 2000)

242 216 214 215 219 222 233 223 226

Prix à la consommation

(% moyen de variation

annuelle)

1,3 4,4 -2 ,2 2,9 6,7 0,9 9,3 4,6 2,8

Investissement réel (en

% du PIB)

9,7 6,3 6,8 9,8 10,1 10 11,6 10,6 12,4

Epargne intérieur (en %

du PIB)

4,8 1,7 0,3 1,7 3,4 0,7 -1 -2 -0,5

Solde budgétaire global

dons y compris

(administration centrale)

en % du PIB)

-1,4 1,3 0,9 -0,8 1,1 -0,4 -1,6 -1,9 -1,7

Recettes publiques hors

dons (en % du PIB)

9,4 8,1 8,3 8,2 9,5 10,3 10,4 10,8 10,7

Dépenses publiques

(administration centrale)

en % du PIB

16,6 8,3 10,8 13,1 21,7 14,8 16,7 17,9 18,4

Exportations des biens

et service (en % du PIB)

19,6 13,5 13,8 12,8 14,2 14,1 10,8 8,6 9,1

Importations des biens

et services (en % du

PIB)

24,5 18 20,3 20,8 21,9 23,5 23,4 21,1 22

Balance commerciale

(en % du PIB)

2,5 0,9 -1,4 -3,5 -3,1 -4,3 -7,8 _7,7 -8,1

Dette extérieure envers

les créanciers publics

(en % du PIB)

88,1 104 80,6 75,2 69,9 58 49,6 51,1 46,3

Terme de l’échange

(Indice ,2000=100)

96,5 85 73,2 72,6 72,2 60,9 44,1 37,7 37,5

Source: République Centrafricaine (2011), Ministère de Plan.

Page 202: Université Lyon II

202

Graphique 4.4: Evolution du PIB PERCAPITA (PIB PAR HABITANT) de la République

Centrafricaine et celle de l’ensemble des autres pays de la CEMAC (Communauté

Economique Monétaire de l’Afrique) entre 1980 et 2010 en dollars américains courants.

Source : Graphique réalité à partir des données des comptes nationaux de la Banque Mondiale

et celles des comptes nationaux de l’OCDE (année 2012), Indicateur du développement dans

le monde, http://données.banquemondiale.org//indicateur/NY.GDP.PCAP.CD? Visité le 3

/9/2011.

Le programme d’ajustement structurel imposé par la Banque mondiale pour assainir

l’économie de la République Centrafricaine comme ceux de beaucoup de pays d’Afrique du sud

du Sahara a également contribué à la détérioration du marché du travail urbain surtout celui de

Bangui, la capitale220

. Il faut noter qu’une des mesures phares de ce programme concernait la

220 Il y eut une baisse de revenu National Brut par habitant en République Centrafricaine entre les périodes 1990

et 1998 et une baisse de niveau de vie dans tout le pays. Le Revenu Brut par habitant qui est de l’ordre de 234.490

F.CFA en 1990 a baissé et se situe à 144.744F.CFA en 1998. Source : (OCDE et Banque Mondiale) (2012),

Données de comptabilité nationale de la Banque Mondiale et de l’OCDE.

Page 203: Université Lyon II

203

masse salariale. La Banque mondiale avait imposé à l’Etat Centrafricain de réduire sa masse

salariale qui, selon l’institution, pesait trop sur le budget du pays. Le gouvernement centrafricain

devrait réduire coûte que coûte le nombre de ses fonctionnaires. Il y eut ainsi un gel des emplois

dans les administrations publiques depuis la première moitié des années 1990 en République

Centrafricaine221

. Le gouvernement Centrafricain mit alors en place une vaste campagne de

départ volontaire assisté (Le DVA). L’objectif de cette campagne était de pousser des

fonctionnaires à demander leur départ de la fonction publique moyennant une colossale

indemnité. Beaucoup de fonctionnaires centrafricains ont alors profité de cette mesure pour

quitter définitivement la fonction publique. Le gouvernement centrafricain avait en effet deux

objectifs : 1) Réduire le nombre de fonctionnaires ; 2) Réduire le nombre de recrutements dans la

fonction publique dans les années futures.

…Cependant, la politique de réduction du nombre de recrutement dans la fonction publique ne

fut pas une bonne chose puisqu’elle va grandement contribuer à la précarité sur marché du travail

urbain, surtout à Bangui. En effet, les jeunes diplômés sortis des universités nationales et ceux

des écoles professionnelles sont contraints de s’orienter dans le secteur informel pour chercher du

travail à la sortie des universités ou des écoles alors qu’il revient à l’Etat de leur garantir des

emplois stables. Ceci n’étant plus possible, les jeunes centrafricains diplômés, sortis de

l’université sont parfois obligés d’occuper des emplois informels subalternes. Or, ce secteur

informel, le fait qu’il occupe 80% des actifs centrafricains222

, ne peut à lui seul absorber la

totalité des actifs urbains, surtout ceux vivant dans la capitale Centrafricaine. Il faut noter que

c’est seulement depuis cinq ans que l’Etat centrafricain a repris la campagne de recrutement dans

la fonction publique et dans les entreprises publiques223

. Mais le nombre d’emplois qu’il propose

221Aho G., et Brisson –Lamaute N., (2005) : emploi, chômage et pauvreté dans les grands centres urbains de la

République Centrafricaine, PNUD, Op Cit. P 65.

222 République Centrafricaine (2004), Contribution à la plate forme africaine sur la « promotion de l’emploi et la

réduction de la pauvreté » : Rapport national, Août 2004.

223 Il y eut 1500 admis à l’issue du Concours de la fonction publique Centrafricaine sur 2500 Candidatures. A

noter que seulement 402 personnes sur ces admis ont été recrutés immédiatement. Les autres 1098 admis attendront

Page 204: Université Lyon II

204

demeure très limité, étant donné le nombre croissant de diplômés chômeurs et des demandeurs

d’emploi notamment dans la ville de Bangui. Le gouvernement centrafricain devrait, en principe,

intégrer un grand nombre de personnes dans la fonction publique afin de remplacer des milliers

de fonctionnaires et les salariés des entreprises publiques qui sont décédés suite à la pandémie du

Sida qui a ravagé le pays depuis le début des années quatre vingt. Or, ce n’est pas le cas. Un

grand nombre de décès liés à cette pathologie n’est pas déclaré à la fonction publique

centrafricaine 224

. Du coup, certains fonctionnaires du Trésor public continuent à percevoir

frauduleusement le salaire de ces défunts. On perle alors du phénomène des fonctionnaires

fantômes. Le gouvernement centrafricain aurait dû utiliser des millions de Franc CFA qui est

utilisé inutilement pour payer le salaire de ces fonctionnaires fantômes pour recruter des jeunes

diplômés victimes du phénomène de la corruption nationale afin d’améliorer les services de la

fonction publique.

pendant une durée indéterminée qui peut dépasser plus de cinq années pour être effectivement intégré. A noter que

plus de 3000 personnes sortent du système scolaire centrafricain tous les ans avec un diplôme équivalent ou

supérieur au baccalauréat. Le recrutement dans la fonction publique se fait presque tous les cinq ans voire plus. Et

seulement 1500 personnes sont recrutées à l’issue de ce recrutement. Sources : République Centrafricaine (2007),

Comité d’Organisation du concours de la fonction publique ; République Centrafricaine (2001-2002), Annuaire des

statistiques de l’Education.

224Le taux de prévalence du sida était de 13,3% chez les adultes de 14 à 49 ans en République Centrafricaine. Il y

avait une augmentation de 327% de décès chez les 14 - 49ans cette même année, soit 29042 décès. Source : Pnud

(2005), Impact du vih/Sida sur le développement en République Centrafricaine.

Il faut noter que le profil des personnes qui sont touchées par la maladie évolue avec l’épidémie. Les personnes

les plus touchées au début de la pandémie furent celles qui appartenaient à des classes économiques aisées. C’étaient

des personnes qui avaient un emploi, des revenus importants qui pouvaient se permettre d’avoir des multiples

partenaires. La pathologie du sida était davantage répondue chez des personnes qui avaient une activité économique,

c’est-à-dire des hauts fonctionnaires, des salariés du secteur privé, des personnes aisées. Ce qui fait que la fonction

publique et le secteur privé centrafricain furent très affectés par cette pandémie. Il y eut des milliers de morts parmi

les fonctionnaires de la fonction publique et du secteur privé entre les années 1980 et 2000 en République

Centrafricaine à cause de la pandémie du sida. Ce n’est qu’à près, c’est-à-dire vers les années 1990, que la maladie

du sida va être répandue dans toutes les couches sociales. La mortalité liée au sida a commencé a baissé que

récemment, c’est-à-dire vers les années 2000 avec la vulgarisation de la trithérapie.

Page 205: Université Lyon II

205

La politique de la réduction d’embauche dans le secteur de la fonction publique et dans les

entreprises publiques ne peut qu’avoir un impact significatif sur le marché du travail de Bangui

puisque c’est là que se trouve le grand effectif des jeunes diplômé à la recherche d’un premier

emploi. Cette politique ne vient qu’alourdir la précarité sur le marché du travail de Bangui. Les

statistiques sont là pour confirmer la précarité de ce marché du travail. En effet, le taux de

chômage de Bangui, qui est de l’ordre de 18,1%, dépasse largement celui du niveau national qui

est aux alentours de 10,3% et la moyenne des zones rurales qui est de l’ordre de 6,9%225

. Ce qui

traduit le caractère particulier du marché du travail de Bangui.

En effet, Bangui, le grand pôle économique du pays, accueille la majorité des migrants ruraux

226et des migrants internationaux à la différence des autres zones du pays. Or, son bassin

d’emplois est très restreint et ne suffit même pas absorber les actifs natifs de la ville.

On observe que 11, 2% des actifs vivant à Bangui travaillent dans les entreprises privées ;

1,6% dans le secteur parapublic ; 9,9% dans la fonction publique et 74,8% travaillent comme

individu/ménage privé227

dans le secteur informel.

Force est de constater que la plupart des actifs travaillant à Bangui ont généralement des sous-

emplois. En fait, l’indicateur appelé communément le taux de sous-emploi permet de mesurer la

225RGPH , 2003.

226La ville de Bangui accueille les 31% des migrants internes selon le dernier recensement de la population et de

l’habitation (RGPH : 2003).

227Source : (ECVU) (Enquête sur les conditions de vie auprès des ménages urbains en République

Centrafricaine) (2003), Pnud, Bangui.

Page 206: Université Lyon II

206

proportion des travailleurs gagnant moins que le revenu minimum en vigueur de la localité

donnée. Ce revenu minimum est de l’ordre de 17.850 CFA228

, soit environ 27,25 euros en

République Centrafricaine. Le Smig en République Centrafricaine est donc de l’ordre de 27, 25

euros. Le taux de sous emploi est en moyenne de l’ordre de 75,3 % dans les centres urbains en

République Centrafricaine selon le Programme des Nations Unies pour le Développement

(PNUD 2005).229

En effet, plus de 3 centrafricains sur 4 habitant dans les zones urbaines

centrafricaines touchent généralement une rémunération faible par rapport au salaire minimum230

En fait, ce taux de sous emploi très élevé traduit la difficulté que les actifs des zones urbaines

centrafricaines et notamment ceux de Bangui éprouvent pour s’insérer sur le marché du travail.

Avec un taux de chômage et un taux de sous-emploi très élevés, les zones urbaines

centrafricaines et notamment la ville de Bangui se présentent comme des zones de précarité dans

lesquelles vivent un grand nombre de ménages pauvres. En effet, les pauvres de ces zones

urbaines sont à la fois des chômeurs qui ont du mal à trouver du travail et des salariés du secteur

moderne qui gagnent un faible salaire, très insuffisant pour vivre décemment, sans oublier les

inactifs qui n’ont pas d’emploi et donc qui n’ont aucun revenu . Car, la pauvreté urbaine en

République Centrafricaine ne concerne pas exclusivement les inactifs ou les chômeurs de longue

durée 231

. Elle concerne également les actifs qui ont un emploi stable quel que soit le secteur

d’activité dudit emploi comme nous montre le tableau ci-dessous.

228 Aho G., et Brisson -Lamaute N., (2005), emploi, chômage et pauvreté dans les grands centres urbains de la

République Centrafricaine, PNUD, Bangui, p69.

229Ibid. p 69.

230Ibid. p 69.

231Les chômeurs mettent souvent plus de 24 mois pour retrouver un emploi dans les zones urbaines d’un grand

nombre de pays d’Afrique du Sud du Sahara. Le chômage de longue durée concerne généralement 15 à 20% de la

population active dans les zones urbaines africaines. Il contribue, pour la plupart, à environ 2/3 du chômage global

dans les zones urbaines. Lachaud J-P ., (1994), Marché du travail et exclusion sociale en Afrique francophone :

Quelques éléments d’analyse, Université Montesquieu-Bordeaux IV, France.

Page 207: Université Lyon II

207

Tableau 4.7 : Bangui. Distribution (%) des actifs occupés selon le type d’employeur par statut de

pauvreté* (%) selon le type d’employeur.

Type d'employeur Non-Pauvres Vulnérables Pauvres Ensemble

Gouvernement/Etat 15,2 9,3 8,9 9,9

Parapublic 4 2,2 1 1,6

Entreprise Privée 17,2 9,3 10,2 11,2

Individu/Ménage privé 62 74,3 77,6 74,8

Autres 1,6 4,9 2,3 2,5

Total 100 100 100 100

Source : Rapport provisoire, Enquête sur les conditions de vie auprès des ménages urbains en

République Centrafricaine (ECVU), PNUD, 2003. Note *: Il s’agit ici de la pauvreté monétaire.

On constate que ce sont les ménages indépendants (individu/ménage privé), c’est-à-dire ceux

qui travaillent à leur propre compte ou dans une moindre mesure dans le secteur informel qui sont

le plus affectés par la pauvreté à Bangui. En effet, ces derniers ont généralement une faible

rémunération, parfois ils n’en reçoivent même pas. C’est souvent le cas des personnes qui

travaillent dans les entreprises familiales. En fait, ces catégories d’actifs ont généralement des

emplois très précaires.

Il est certain que la ville de Bangui va grandement contribuer à l’incidence de la pauvreté au

niveau national étant donné que la plupart des actifs habitant en son sein évoluent dans le secteur

dit individu/ménage privé, secteur le plus précaire qui concentre la grande proportion des

ménages sous-payés. En effet, environ 56 % de ménages vivant à Bangui sont pauvres et 70,6%

sont ultra-pauvres selon les données de l’enquête sur les conditions de vie auprès des ménages

urbains (ECVU, PNUD 2003). La ville de Bangui contribue à hauteur de 71,8% à l’incidence de

la pauvreté au niveau des zones urbaines. Ce qui signifie que la ville de Bangui est une ville de

précarité dans laquelle il est difficile de s’insérer professionnellement.

Page 208: Université Lyon II

208

Mais comment peut-on décrire le fonctionnement du marché du travail de Bangui ?

Les économistes ont développé de multitudes de théories pour analyser le fonctionnement

marché du travail dans les pays industrialisés parmi lesquelles : 1) La théorie Néoclassique ; 2)

La théorie dite Standard ; 3) La théorie du capital humain ; 4) La théorie de l’écart des salaires.232

Dans le contexte subsaharien, l’examen du fonctionnement du marché du travail se heurte

souvent à des difficultés majeures liées aux insuffisances des cadres théoriques233

.

Tableau 4.8 : Quelques théories économiques permettant d’expliquer le fonctionnement du

marché du travail.

1) La théorie néoclassique :

Selon cette théorie, la demande globale et l’offre globale sur le marché du travail sont égales respectivement à

la somme des demandes individuelles déterminées selon le principe de la maximisation du profit par chaque

producteur et la somme des offres individuelles issues de l’arbitrage entre le travail et le loisir dans la fonction de

l’utilité. La demande de travail individuelle du producteur s’établit donc au niveau où le salaire est égal à la valeur

de la productivité marginale. Elle est croissante avec le salaire réel. L’offre du travail est croissante avec le salaire

réel. L’équilibre néoclassique sur le marché du travail s’obtient par la confrontation de la demande du travail et de

l’offre de travail permettant d’aboutir au niveau de salaire d’équilibre grâce aux forces de la concurrence. Source :

Zerbo A., (2006), Marché du travail urbain et pauvreté en Afrique subsaharienne : Un modèle d’analyse,

Document du travail numéro 129, Centre d’Economie du développement – Université Bordeaux IV, Op.cit.

2) La Théorie de Standard :

Selon cette théorie, il n’y a pas d’écart de salaires sur les marchés du travail. En effet, le travail est un facteur dit

« homogène ». Ceci dit, tous travailleurs doivent être rémunérés d’une manière homogène, c’est-à-dire au même

taux horaire.

233Bocquier (1996).

Page 209: Université Lyon II

209

3) La théorie du capital humain :

Cette théorie rejette la notion d’homogénéité du travail développée par les adeptes de la théorie de Standard.

Cette théorie va prendre en compte davantage la notion de « niveaux de qualification ». En effet, c’est le capital

humain qui détermine à la fois le salaire et l’offre du travail. Cette théorie fut développée par Schultz (en 1961) et

Becker (en 1964).

4) La théorie de l’écart des salaires :

Les écarts des salaires sur le marché du travail s’expliquent par le biais de la théorie de la prospection. En effet,

les écarts de salaires sur le marché du travail s’expliquent par le fait que les individus disposent d’une information

imparfaite sur les emplois et les salaires. Le chômeur visite le marché du travail afin de trouver un meilleur salaire

pour le service qu’il propose. Cette théorie fut développée par MC Call (en 1970) et par Mortensen (en 1970).

Source : Zerbo A., (2006), Marché du travail urbain et pauvreté en Afrique subsaharienne : Un modèle d’analyse,

Document du travail numéro 129, Centre d’Economie du développement IFREDE-CRES – Université Bordeaux IV,

Op.cit.

5) L’approche macro structurelle / L’approche individuelle/ La Théorie de la segmentation

L’approche macro structurelle est davantage appliquée à la problématique de la migration internationale vers les

pays développés234

. Elle met l’accent sur la structure du marché du travail des pays développés. En effet, ce marché

du travail structuré est régi par des règles d’entrée qui lui est propre. Le marché dont parle ici n’est pas un marché

unique, il s’agit de plusieurs marchés différenciés. Ainsi, les marchés du travail étant segmentés, les modes

d’insertion varieront selon les divers segments et certaines catégories de personnes, au-delà de leurs catégories

individuelles, se trouveront concentrés dans les segments spécifiques235

. Il existerait donc des barrières

institutionnelles à l’emploi236

. Il y aurait donc une barrière d’entrée dans certains secteurs économiques.

Certains travailleurs tels que les migrants à qui on a barré l’entrée dans un secteur économique privilégié se

234 Nous nous sommes inspiré principalement de la revue de littérature sur la théorie de l’insertion développée par

Piché et Gingras dans l’ouvrage intitulé Migrer, un atout pour l’emploi in Antoine P., Ouédraogo D., Piché V., ,trois

générations de citadins au Sahel, trente ans d’histoire sociale à Dakar et à Bamako pour faire notre analyse sur

l’approche macro structurelle et micro-individiduelle du marché du travail ainsi que la théorie de la segmentation .

235 (Portes, 1983).

236 (Gindling, 1991).

Page 210: Université Lyon II

210

trouve donc être exclu du marché du travail. En effet, cette barrière agirait en quelque sorte comme facteurs

d’exclusion de certains individus dont les migrants sur le marché du travail237

. Etant exclus du marché du travail, les

migrants sont obligés de se tourner vers les emplois précaires ou vont développer des stratégies basées sur

l’économie ethnique et constitueront des niches ou même des enclaves238

. Les migrants deviennent des personnes

vulnérables sur le marché du travail de leur pays d’accueil. Ils sont le plus souvent discriminés sur ce marché du

travail du fait de leur origine nationale. Ils se retrouvent souvent en grand nombre dans les emplois précaires où ils

perçoivent une faible rémunération.

En Afrique, la théorie de la vulnérabilité des migrants et celle de l’exclusion a surtout été appliquée aux

migrants internationaux impliqués dans les systèmes migratoires circulaires (Wolpe, 1972 ; Cordell ; Grégory et

Piché, 1996). On constate que cette théorie est de plus en plus appliquée à la migration rurale-urbaine. On part du

principe où les migrants ruraux qui arrivent dans les centres urbains sont aussi marginalisés sur le marché du travail

que les migrants internationaux. Les migrants ruraux sont désavantageux par rapport aux natifs sur le marché du

travail urbain selon cette théorie de la vulnérabilité.

L’hypothèse de l’exclusion des migrants sur le marché du travail urbain est maintenant reformulée dans le cadre

des théories dites « dualistes ». En effet, le marché du travail se présente comme une structure duale : 1) le secteur

formel et 2) le secteur informel. Beaucoup d’auteurs s’affrontent sur cette théorie duale du marché du travail. Deux

écoles vont donc s’affronter sur le dit sujet. Selon les partisans de la première école, il n’aurait pas de barrières

d’entrée dans les deux secteurs (formel et informel)239

. Les partisans de la seconde école partent des principes où il

existerait une barrière d’entrée seulement dans le secteur formel240

. En effet, seuls les migrants dotés du capital

humain peuvent s’insérer dans ce secteur sans difficulté.

237 Piché V., et Gingras L., Migrer, un atout pour l’emploi in Antoine P., Ouédraogo D., Piché V, trois

générations de citadins au Sahel, trente ans d’histoire sociale à Dakar et à Bamako, p48.

238 (Light, 1984) et Portes et Manning, 1985) cités par Piché V., et Gingras L., Migrer, un atout pour l’emploi in

Antoine P., Ouédraogo D., Piché V, trois générations de citadins au Sahel, trente ans d’histoire sociale à Dakar et à

Bamako, p48.

239 (Todaro, 1976).

240 (Cole et Sanders, 1985).

Page 211: Université Lyon II

211

L’approche micro- individuelle, à la différence de l’approche macro structurelle, met un accent particulier sur le

capital humain sans oublier les caractéristiques individuelles telles que l’instruction, l’expérience de travail, l’âge, le

sexe, l’origine sociale et l’origine nationale du migrant241

.

A l’instar des approches macrostructure et micro-individuelle et dans une moindre mesure la

théorie de la segmentation, toutes les théories telles que celles dites « néoclassique »,

« Standard », « capital humain », ou « d’écart de salaire », utilisées couramment pour analyser le

marché du travail dans les pays développés se prêtent mal au marché du travail urbain

subsaharien. Ces théories ne permettent pas généralement d’analyser le marché du travail urbain

subsaharien qui possède une logique de fonctionnement qui est totalement différente de celui des

pays industrialisés. En effet, le marché du travail urbain subsaharien repose sur les systèmes de

réseaux. Selon Cohen et Houx (1996), les marchés urbains du travail dans les pays en

développement sont caractérisés par les réseaux et les pratiques informels 242

. En effet, les

contacts informels (les relations de parenté ou d’amitié, les réseaux ethniques et religieux) sont

les plus importantes dans la recherche et au centre des pratiques de recrutement243

. En fait, la

majorité des chômeurs des pays d’Afrique subsaharienne effectuent généralement leur recherche

d’emploi en mobilisant leurs réseaux familiaux 244

. La théorie des réseaux se prête donc bien à

241 (Borjas, 1989).

242Zerbo A., 2006), Marché du travail urbain et pauvreté en Afrique Subsaharienne : Un modèle d’analyse,

Document du travail numéro 129, Centre d’Economie du développement IFREDE – GRES, Université de

Bordeaux, IV op. Cit

243Ibid.

244Selon les résultats de l’enquête 1.2.3 réalisée dans 13 pays de l’OUEMEO (Brillant et al, 2004), 59,6% des

chômeurs interrogés ont répondu qu’ils ont eu recours à des réseaux de solidarités familiales dans leur recherche

d’emploi, contre seulement 3,1% qui ont recours aux annonces des médias et des agences pour l’emploi. Environ

35,9% de ces chômeurs ont eu recours au concours de la fonction publique.

Page 212: Université Lyon II

212

l’analyse du fonctionnement du marché du travail dans les centres urbains en Afrique

Subsaharienne et notamment à Bangui.

Effectivement, l’entrée sur le marché du travail à Bangui est très difficile pour les

Centrafricains ainsi que pour les étrangers. Par conséquent, les actifs présents sur ce marché du

travail mettent généralement en place des stratégies pour parvenir à trouver un emploi tant désiré.

En effet, les seules compétences et diplômes ne suffisent pas pour faire de la place sur ce marché

du travail très compétitif et très déséquilibré. Il faut donc avoir un système de réseaux très

puissant pour avoir de la chance de décrocher un emploi à Bangui. Car les recrutements

s’organisent de bouche à oreille. La tension est très vive sur ce marché du travail, étant donné le

faible nombre d’offres d’emplois. Les personnes qui parviennent à s’y intégrer ne peuvent pas

dire qu’elles se trouvent à l’abri. Car elles peuvent perdre leur emploi à tout moment. La sortie

de ce marché de travail n’est en aucun cas rigide. En effet, la situation du marché du travail

centrafricain et de celui de Bangui en particulier risque d’être encore très perturbée à l’horizon

2015 quand les populations jeunes (la proportion actuelle des Centrafricains ayant moins de 14

ans est de l’ordre de 44%) y accéderont245

.

Mais les personnes les plus vulnérables du marché du travail de Bangui demeurent les

femmes. En effet, ces dernières ont généralement du mal à décrocher un emploi sur ce marché, vu

leur double handicap. En effet, elles ont deux handicaps majeurs à savoir : leur faible niveau

d’instruction et les préjugés qu’on porte généralement sur elles. Cette situation fait que les

femmes participent peu au marché du travail à Bangui. Et cela se constate par leur taux d’activité

qui est de l’ordre de 25,4% contre 43% pour les hommes, soit dix huit points inférieurs à celui

des hommes.

245Aho G., et Brisson -Lamaute N., (2005) : emploi, chômage et pauvreté dans les grands centres urbains de la

République Centrafricaine, PNUD, P 67.

Page 213: Université Lyon II

213

En effet, les femmes exclues de ce marché du travail sont obligés de s’orienter vers le secteur

informel pour travailler. La tension sur le marché du marché du travail formel urbain se déplace

désormais sur le secteur informel qui récupère les actifs délaissés par le secteur formel de

l’économie.

Tableau 4.9 : Taux d’activité en % selon le sexe à Bangui et en République Centrafricaine.

Milieu de résidence Taux d'activité

République Centrafricaine

Hommes Femmes

56,8 47,1

Bangui 43 25,4

Source : RGPH (2003).

1.2.2 Insertion des immigrants sur le marché du travail en

République Centrafricaine.

Les immigrants présents en République Centrafricaine qui sont venus principalement des pays

de la CEMAC (Communauté Economique de l’Afrique Centrale), de la République

Démocratique du Congo et de l’Afrique de l’Ouest sont davantage concentrés dans les grands

centres urbains du pays et surtout dans la capitale, Bangui. En effet, les trois quarts des étrangers

présents en République Centrafricaine vivent à Bangui. Car la ville de Bangui se présente comme

le grand pôle économique, politique et diplomatique de la République Centrafricaine. Les

ambassades, les bureaux des grandes institutions internationales, les bureaux des organisations

non gouvernementales, les sièges des grandes entreprises du pays, les ministères, la présidence de

la république sont tous implantés au sein de la ville de Bangui.

Page 214: Université Lyon II

214

Il faut noter que la plupart des immigrants qui vivent à Bangui sont sans instruction. On

retrouve peu de personnes ayant un niveau d’instruction élevé dans la population des étrangers

vivant en République Centrafricaine et notamment à Bangui. Force est de constater que 56, 4%

des immigrants qui vivent en République Centrafricaine sont sans niveau d’instruction. Parmi

cette population immigrée, les femmes ont là aussi une plus faible instruction que les hommes.

Selon les données du RGPH 2003, 63,9% des immigrantes vivant en République Centrafricaine

ne sont pas scolarisées.

Il est certain que ces immigrants auront du mal à s’insérer professionnellement au niveau de

Bangui, du fait de leur faible niveau d’instruction. Car le marché du travail de Bangui connaît des

tensions permanentes et se trouve être très sélectif et compétitif. Même si on y entre le plus

souvent par le biais des systèmes de réseaux, l’instruction reste malgré tout très importante pour

celui qui veut travailler dans le secteur formel. Il faut, en effet, savoir lire, écrire et s’exprimer

correctement en Français, la langue officielle du pays, pour prétendre à un poste de travail dans le

secteur formel à Bangui. En effet, la lecture, l’écriture et l’expression sont là trois éléments de

base qu’on doit maîtriser si on veut s’appuyer sur un réseau pour décrocher un emploi dans la

capitale. Il demeure donc difficile de se faire une place dans le secteur moderne si l’on n’a pas la

moindre connaissance des ces trois éléments de base.

Page 215: Université Lyon II

215

Graphique 4.5 : Répartition des immigrants installés en République Centrafricaine en % selon

leur niveau d’instruction.

Source : Graphique réalisé à partir des données du RGPH 2003

Tableau 4.10 : Répartition en % des immigrants présents en République Centrafricaine selon le

sexe et le niveau d’instruction.

Niveau d'instruction atteint Sexe masculin Sexe féminin

Aucun 50,36 63,92

Primaire 18,30 18,39

Secondaire 22,57 14,70

Supérieur 8,14 2,41

Autre 0,63 0,58

Ensemble 100 100

Source : République Centrafricaine (2003), RGPH.

Malgré leur faible niveau d’instruction et de moindre de mesure de leur qualification, les

immigrants présents en République Centrafricaine participent en nombre au marché du travail

tout comme les natifs centrafricains. Il faut noter que 56,46% de ces immigrants ont une activité

économique contre 8,33% qui sont au chômage. En revanche, environ 27% de ces immigrants

sont inactifs. Ces immigrants inactifs sont généralement des femmes au foyer, des élèves

étudiants et des rentiers. Il existe, cependant une nette différence de la participation à l’activité

Page 216: Université Lyon II

216

économique entre les immigrants de sexe masculin et ceux de sexe féminin. 68,85% des

immigrants présents en République Centrafricaine ont une activité économique contre 36,49%

des immigrantes.

Les étrangers résidant en République Centrafricaine sont en majorité des indépendants, soit

60,90% des immigrants. Ils travaillent généralement dans le secteur informel. Une grande

proportion de ces immigrants évolue, malgré tout, dans le secteur privé, soit 24,85% de cette

population étrangère. Figurent parmi les immigrants qui travaillent dans le secteur privé quelques

fonctionnaires internationaux et des représentants des entreprises étrangères installées en

République Centrafricaine.

Tableau 4.11 : Répartition des migrants internationaux résidant en République Centrafricaine

selon leur situation dans l’activité économique.

Situation dans l'activité économique Pourcentage (%) des migrants internationaux

Occupés 56,46

Chômeurs 8,33

Etudiants/Elèves 11,56

Femmes au foyer 15,28

Retraité 0,17

Rentier 0,87

Autre 7,33

Ensemble 100

Source : RGPH 2003.

Page 217: Université Lyon II

217

Tableau 4.12 : Répartition (en %) des migrants internationaux résidant en République

Centrafricaine selon leur sexe et leur situation dans l’activité économique.

Situation dans l’activité économique Sexe masculin Sexe féminin

Occupés 68,85 39,46

Chômeurs 10,62 5,19

Etudiants/Elèves 12,79 9,88

Femme au foyer -------- 36,24

Retraités 0,12 0,25

Rentiers 1,32 0,25

Autre 6,30 8,73

Ensemble 100 100

Source : RGPH 2003.

Tableau 4.13 : Répartition (%) des migrants internationaux résidant en République Centrafricaine

selon leur situation dans la profession.

Situation dans la profession Pourcentage (%) des immigrants

Salariés du secteur public 4,46

Salariés du secteur privé 24,85

Salariés du secteur parapublic 0,62

Indépendants 60,9

Employeurs 0,93

Aides familiales 4,15

Apprentis 0,31

Autres 3,78

Ensemble 100

Source : République centrafricaine (2003), RGPH.

Page 218: Université Lyon II

218

Les quelques données de RGPH de l’année 2003 nous ont permis de mesurer la participation

des immigrants résidant en République Centrafricaine sur le marché du travail du pays. Les

réfugiés ne font pas partie des migrants étrangers que nous venons de présenter. En effet, le

service de la statistique de la République Centrafricaine et les institutions travaillant sur la

problématique de la migration de refuge ne disposent pas encore de données fiables permettant de

mesurer la participation des réfugiés sur le marché du travail centrafricain. C’est la raison pour

laquelle nous avons conçu une enquête dans le cadre de cette étude afin de mesurer l’insertion

professionnelle des migrants réfugiés, principalement des réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens

sur le marché du travail à Bangui. Nous allons tout d’abord présenter quelques pages de la revue

de littérature sur la problématique de l’insertion socioprofessionnelle des immigrants dans

quelques pays africains , puis les hypothèses de cette étude , avant de présenter l’enquête

migration de refuge conçue pour mesurer l’insertion économique des réfugiés congolais (RDC) et

tchadiens installés au sein de la ville de Bangui.

Page 219: Université Lyon II

219

CHAPITRE 5 : LA REVUE DE LITTERATURE :

MIGRATION ET MATCHE DU TRAVAIL DANS

LES VILLES D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE.

Nous avons présenté dans les parties qui ont précédé le fonctionnement du marché du travail

dans nos trois pays d’étude, à savoir : La République Démocratique du Congo, le Tchad et la

République Centrafricaine. Et nous avons, par la suite, abordé la problématique d’insertion des

étrangers sur le marché du travail en République Centrafricaine d’une manière sommaire. En

effet, les données du dernier recensement de la population et de l’habitat (RGPH, 2003) dont

nous disposons ne nous permettent pas de faire une analyse approfondie sur tous les aspects du

problème de l’insertion économique des migrants étrangers présents en République

Centrafricaine. En fait, les données des recensements permettent généralement d’analyser la

migration d’une manière exclusivement transversale. Or, la problématique d’insertion

économique des migrants doit être analysée d’une manière longitudinale. En effet, l’approche

longitudinale donne une importance capitale à la notion de « durée » et de « changement » à la

différence de l’approche transversale qui ne s’intéresse qu’aux situations du moment, c’est-à-dire

celles qui se passent au moment de l’enquête. En effet, les données du recensement 2003 ont

seulement permis de mesurer la participation des étrangers sur le marché du travail centrafricain

au moment de l’enquête , c’est-à-dire en 2003. Elles ont donc permis de mesurer l’insertion

économique de ces migrants d’une manière exclusivement transversale sans prendre en compte

les notions de durée, de changement et de génération. On peut alors se poser ces questions :

Combien de temps ces étrangers ont-ils mis en République Centrafricaine avant d’avoir leur

premier emploi ? Combien de temps sont-ils restés dans ce premier emploi ? Combien de fois

ont-ils changé d’emplois avant de trouver celui dans lequel ils se trouvent au moment de

l’enquête ? Quelle est la génération des étrangers qui participe le mieux au marché du travail en

République Centrafricaine ? Est-ce que toutes les nationalités présentes à Bangui ont la même

Page 220: Université Lyon II

220

chance d’accéder à l’emploi ? Si ce n’est pas le cas, les quelles ont plus de chance d’accéder à

l’emploi par rapport aux autres ? Le taux d’activité varie-il selon les générations de ces

étrangers ?

En effet, toutes ces questions n’ont pas été abordées dans l’étude qui porte sur l’intégration des

étrangers en République Centrafricaine. Or, de telles questions sont généralement posées dans les

enquêtes biographiques et permettent souvent de mesurer la participation des migrants sur le

marché du travail dans une zone ou dans un pays d’accueil d’une manière longitudinale. En effet,

les données biographiques permettent souvent de suivre toute la trajectoire professionnelle des

migrants. On peut alors affirmer que les données du Recensement Général de la Population et de

l’Habitat (RGPH 2003) demeurent très limitées. Elles ne permettent donc pas de mesurer tous les

aspects de la problématique de l’intégration économique de ces migrants.

Nous allons nous appuyer sur d’autres études afin d’enrichir la revue de littérature sur la

problématique de l’insertion économique des migrants étrangers sur le marché du travail en

Afrique Subsaharienne. En effet, ces études ont été faites pour mesurer la participation des

migrants étrangers sur le marché du travail dans quelques pays africains subsahariens. Les études

que nous avons choisies pour cette revue de littérature portent davantage sur la migration

économique et familiale. Car les travaux portant sur la problématique d’insertion des migrants de

refuge sur le marché du travail dans leur pays d’accueil sont très rares. Les quelques études qui

existent sur ce sujet en Afrique Subsaharienne portent généralement sur la vie des réfugiés dans

les camps et sur la problématique d’insertion sociale des réfugiés dans les zones rurales246

.

246 Karimumuryango J., (2000) Les réfugiés rwandais dans la région de Bukavu Congo RDC : La survie du

réfugié dans les camps de secours d’urgence, Karthala-IUED.

Page 221: Université Lyon II

221

Il n’existe quasiment pas de grande étude ni de grande enquête sur la problématique de

l’intégration socio- économique des migrants de refuge dans les zones urbaines en Afrique

subsaharienne. L’intégration socio-économique des réfugiés dans le contexte urbain est

davantage étudiée dans les pays développés, notamment en Europe247

. Pour pallier à ce manque ,

nous allons nous appuyer sur les études portant sur l’insertion économique des migrants étrangers

sur le marché du travail dans quelques pays d’Afrique pour esquisser cette revue de littérature

compte tenu du manque de littérature sur la problématique de l’insertion urbaine de migrants de

refuge en Afrique Subsaharienne.

Il est vrai que les motifs de départ en migration diffèrent selon qu’on soit migrant économique

ou migrant de refuge. Cependant, le processus d’intégration économique dans les zones urbaines

demeure similaire pour toutes les catégories de migrants. Tous les migrants, qu’ils soient ruraux,

étrangers, ou réfugiés trouvent généralement des difficultés à s’insérer professionnellement dans

les zones urbaines. Ils s’appuient généralement sur les réseaux sociaux et familiaux pour

décrocher un premier emploi 248

. Et ce premier emploi est souvent informel. La majorité des

migrants qui vivent dans les zones urbaines en Afrique Subsaharienne exercent dans le secteur

informel249

. Cela est autant vrai pour les migrants originaires des zones rurales que pour les

migrants économiques et dans une moindre mesure pour les migrants de refuge.

247 Ntampaka C., (2004), Les réfugiés rwandais en Belgique : Itinéraires et nouveaux réseaux sociaux, in

A .Guichaoua (dir), Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et Orientale, Paris, Karthala.

248 T. Lococh T., (1989) , le rôle des familles dans l’accueil des migrants vers les villes africaines in l’insertion

urbaine des migrants en Afrique, Editions de l’Orstom, Paris 1989.Lire aussi Ouedraogo D., (1989), Quelques

repères sur l’insertion économique des migrants dans les villes Burkinabé in l’insertion urbaine des migrants en

Afrique, Editions de l’Orstom, Paris 1989 .

249Selon Tockman (1990), il existe aucune barrière à l’entrée dans l’économie informelle ce qui permet souvent

aux migrants de s’y intégrer facilement en faisant des activités de survie. Cette hypothèse demeure, malgré tout,

discutable, puisque des nombreux travaux plus récents montrent qu’on retrouve de plus en plus des migrants à la fois

dans les secteurs informels et les secteurs structurés dans les pays d’Afrique Subsaharienne.

Page 222: Université Lyon II

222

Etant donné que tous les migrants urbains ont en général un même parcours d’intégration

économique en Afrique subsaharienne, avec un passage plus ou moins obligé par le secteur

informel avant l’accès à emploi formel, il est possible de passer en revue la littérature portant sur

l’insertion économique des immigrants économiques pour expliquer celle de migrants de refuge.

En effet, les travaux portant sur l’insertion des immigrants économiques sur le marché du travail

en Afrique Subsaharienne peuvent fournir des informations suffisantes permettant de comprendre

l’insertion économique des migrants de refuge du fait que ces deux catégories de population ont

généralement un même mode ou un même processus d’insertion économique dans les zones

urbaines en Afrique Subsaharienne. Ces différents travaux que nous allons esquisser nous

aideront également dans la conception des hypothèses de notre étude.

1. L’INSERTION ECONOMIQUE DES MIGRANTS ETRANGERS

AFRICAINS EN AFRIQUE DU SUD DU SAHARA : LE CAS DE

QUELQUES VILLES DU BURKINA-FASO.

Dieudonné Ouedraogo aborde la question de l’insertion des migrants étrangers sur le marché

du travail burkinabè dans une étude qu’il a faite principalement pour décrire les mécanismes et

les processus d’intégration économique des migrants ruraux burkinabè installés dans les deux

plus grandes villes du Burkina Faso , à savoir Ouagadougou et Bobo-Dioulasso 250

. Il faut noter

que les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso font partie des grandes villes d’Afrique de

l’Ouest qui attirent quelques étrangers tels que les Nigérians, les Sénégalais, les Ghanéens et les

250Ouedraogo D., (1989), Quelques repères sur l’insertion économique des migrants dans les villes Burkinabè, in

l’insertion urbaine des migrants en Afrique, Editions de l’Orstom, Paris, 1989.

Page 223: Université Lyon II

223

Togolais, pour ne citer que ceux-là. Ces derniers viennent souvent développer leurs affaires au

sein de ces deux grandes villes burkinabè qui demeurent des poumons économiques du pays.

Dieudonné Ouedraogo donne des descriptifs des métiers et des emplois occupés par ces

migrants étrangers installés au Burkina - Faso.

Selon Dieudonné Ouedraogo, les migrants étrangers installés au Burkina-Faso au moment de

la production de son étude sont pour la plupart des travailleurs spécialisés : « grilleurs de viande »

pour les Nigérians, vendeurs de montres et d’objets d’art pour les Sénégalais, prostitution légale

pour des femmes originaires surtout du Ghana et du Togo, broderie pour les hommes nigériens,

vente de produits de beauté et d’industrie de cuisine pour les femmes nigérianes251

. En effet, ces

migrants se sont spécialisés dans leur pays d’origine avant de migrer au Burkina-Faso. Ils ont

presque tous des compétences dans leur domaine. Par conséquent, ils n’ont pas besoin d’être

formés avant de rentrer sur le marché du travail. Ils sont opérationnels dès leur arrivée au

Burkina-Faso. Ceci dit, ils n’ont pas de problèmes d’intégration économique sur le marché de

travail urbain burkinabè tout comme les migrants ruraux. A noter que les migrants qui vivent à

Ouagadougou, qu’ils viennent des zones rurales burkinabè ou de l’étranger, ont plus de chance

d’accéder à l’emploi rémunéré que les non-migrants252

. Car, ces derniers ne restent pas souvent

très longtemps inactifs. Ils sont le plus souvent obligés de prendre n’importe quel emploi pourvu

que celui-ci procure une rémunération 253

.

251 Op. Cit p 103.

252 Piché V., et Zoukaléini Y., (2002), Migration et emploi urbain : Le cas de Ouagadougou au Burkina-Faso,

Ouagadougou, p 80.

253 Obérai et Singh cités par Victor Piché et Zoukaléini Y., in Migration et emploi urbain : Le cas

d’Ouagadougou au Burkina-Faso, Ouagadougou, année 2002, P 80.

Page 224: Université Lyon II

224

La réussite de l’intégration économique des migrants étrangers installés au Burkina-Faso

s’explique par le fait qu’ils détiennent un grand nombre d’informations sur le fonctionnement du

marché du travail du Burkina-Faso et dans une moindre mesure sur celui de ses grands centres

urbains depuis leur pays d’origine. Ce sont la plupart du temps leurs hôtes originaires du

Burkina-Faso qui leur fournissent toutes ces informations. Ces derniers leur font généralement un

bref aperçu du marché du travail burkinabè avec des détails précis sur les secteurs économiques

les plus dynamiques et les métiers dont les spécialistes sont les plus sollicités. Ils leur donnent

ainsi le maximum d’informations sur les besoins du marché du travail burkinabè en leur

mentionnant les secteurs qui manquent de main d’œuvre, les secteurs dans lesquels il y a moins

de concurrence. Ces migrants obtiennent le plus souvent aussi des informations sur l’état du

marché de leur future ville d’accueil par eux-mêmes lors des courtes visites qu’ils font au sein

cette dite ville avant la migration254

. Ces étrangers vont alors établir une stratégie en fonction des

informations reçues. Et seuls ceux qui ont un métier précis vont décider de quitter leur pays pour

le Burkina-Faso.

En effet, la plupart des étrangers qui arrivent au Burkina-Faso, comme on vient de le dire, ont

généralement une idée sur le fonctionnement du marché du travail dudit pays avant la migration.

Ils se sont préparés en conséquence pour affronter ce marché du travail. Ce qui fait qu’ils n’ont

généralement pas de problème d’intégration économique puisqu’ils ont mis en place une stratégie

avant de quitter leur pays de départ. Cette stratégie consiste notamment à se salarier dans les

secteurs dans lesquels il n’y a pas de concurrence. Ces migrants étrangers occupent généralement

ainsi les créneaux dans lesquels ils n’ont presque pas de concurrence de la part des nationaux

dans les centres urbains du Burkina-Faso, notamment à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso 255

.

254 Piché V., et Zoukaléini Y., Migration et emploi urbain : Le cas de Ouagadougou au Burkina-Faso,

Ouagadougou, année 2002.

255Ouedraogo D., (1989) , quelques repères sur l’insertion économique des migrants dans les villes Burkinabè in

l’insertion urbaine des migrants en Afrique, Editions de l’Orstom, Paris, 1989, p 103.

Page 225: Université Lyon II

225

En fait, on trouve généralement peu de Burkinabè dans les domaines ou des métiers dans lesquels

ils excellent.

Il est vrai que les migrants étrangers n’ont pas de problème d’intégration économique au

Burkina-Faso du fait qu’ils soient des travailleurs très spécialisés, mais force est de constater que

les emplois qu’ils occupent ont moins de valeur que des emplois formels bureaucratiques

modernes. En effet, les emplois de « grilleurs de viande », de vendeurs de montres, de vendeurs

de produits de beauté et de broderies occupés par ces étrangers ne sont pas des emplois très

valorisés dans les pays africains subsahariens. Ce sont des emplois sous qualifiés et souvent

dévalorisés. Ces emplois se trouvent généralement dans les secteurs non structurés, c’est-à-dire le

secteur informel. En effet, les métiers de grilleurs de viande, de vendeurs de montres, de vendeurs

de produits de beauté sont des petits métiers au même titre que ceux de gardiens ou de manœuvre

qui attirent peu de personnes. Les personnes qui font ces métiers sont celles qui ont le plus

souvent un faible niveau d’instruction. Car, l’exercice de ces métiers ne nécessite aucune

qualification précise ou de diplôme particulier. En effet, les migrants qui ont un faible niveau

d’instruction ou ceux qui n’en ont pas reçue sont souvent concentrés dans le secteur informel des

centres urbains burkinabè et notamment au sein de la ville de Ouagadougou où ils occupent des

petits emplois comme ceux du commerce256

.

Il est certain que ces petits métiers qu’occupent ces migrants étrangers n’attirent pas forcement

la population autochtone. En effet, ces immigrants n’ont pas de difficulté particulière sur le

marché du travail dans ces centres urbains parce qu’ils n’ont pas de concurrence de la part de la

population autochtone. En effet, cette concurrence est le plus souvent prononcée sur le marché du

travail formel dans lequel il y a un grand déséquilibre entre les offres et les demandes de travail.

Et la politique de préférence nationale initiée par un grand nombre de pays africains en matière

256 Piché V., et Zoukaléini Y., Migration et emploi urbain : Le cas d’Ouagadougou au Burkina-Faso,

Ouagadougou, année 2002, p80.

Page 226: Université Lyon II

226

de législation du travail exclut généralement les étrangers du champ du marché du travail formel.

Certains emplois formels sont réservés aux nationaux. Par exemple, l’entrée dans la fonction

publique ou dans certaines entreprises parapubliques est soumise à la condition de nationalité

dudit pays. Les législations en matière de travail et de séjour empêchent les étrangers de se

salarier dans le secteur moderne dans les pays africains du sud du Sahara257

En effet, ce critère de

nationalité constitue souvent une barrière effective pour l’entrée sur le marché du travail formel

dans le contexte de migration internationale en Afrique Subsaharienne. Force est de constater que

les nationaux ont généralement plus de privilèges sur le marché du travail formel africain que les

étrangers, lesquels sont souvent discriminés. Cette situation décrite est vraie dans bon nombre de

pays d’Afrique subsaharienne et dans une moindre mesure au Burkina-Faso. En fait, les étrangers

vivant dans les centres urbains africains se contentent généralement du secteur informel,

dévalorisé, peu rémunérés et moins sécurisé du fait de leur exclusion sur le marché du travail

structuré258

. Car, selon Yann Moulier-Boutang, les emplois les plus dévalorisés ont été toujours

257Selon le code du travail centrafricain en son article 100 : Les travailleurs non centrafricains doivent être

titulaires d’un contrat de travail ou une lettre d’embauche visée par le ministère en charge de l’emploi sur un

formulaire à cet effet ; article 101 : La réglementation des conditions de recrutement et des frais d’établissement de

visa de contrat de travail des personnes non centrafricaines est établi par un arrêté du Ministère en charge de

l’emploi. Article 101 du code du travail centrafricain stipule : L’employeur qui recrute un Centrafricain, de même le

travailleur expatrié lui-même, a l’obligation de respecter la réglementation sur les conditions d’admission et de

séjour d’étrangers en République Centrafricaine.

En effet, toutes ces mesures sont très difficiles et demeurent des obstacles pour l’employabilité de l’étranger. Car,

il est difficile pour l’étranger installé en République Centrafricaine de payer son visa de travail et de séjour qui coûte

souvent excessivement cher , de l’ordre de 100.000 à 200.000 franc , soit 150 à 200 euros, une somme très

importante en République. La plupart des étrangers qui ne peuvent pas payer ces visas finissent par travailler dans

l’illégalité où ils sont le plus souvent exploités par les employeurs sans scrupule. C’est situation décrite est aussi

vraie au Gabon. En effet, beaucoup de travailleurs étrangers sont obligés de travailler dans la clandestinité à cause

des mesures législatives draconiennes à leur égard. La plupart d’entre eux sont exploités et sous-payés par leurs

employeurs. Lire à ce sujet : Nyama W. R., (2010), Les effets collatéraux des conflits en Afrique : Cas des réfugiés

au Gabon de 1968 à nos jours, Thèse de doctorat d’histoire.

258A noter que la notion de l’exclusion sociale selon le critère de nationalité est difficile à mesurer. Elle demeure

souvent très idéologique dans l’imaginaire collectif. Lire à ce sujet Lachaud J.P (1994), marché du travail et

exclusion sociale en Afrique francophone, Université Montesquieu – Bordeaux IV.

Page 227: Université Lyon II

227

occupés par des groupes sociaux inférieurs259

. En effet, les étrangers sont généralement

considérés comme des minorités ou comme des groupes sociaux inférieurs dans leurs pays

d’accueil lors de leur séjour migratoire. Mais ce n’est pas vraiment le cas pour les migrants vivant

dans les centres urbains burkinabés.

On constate que bon nombre d’entre eux ont, malgré tout, franchi les barrières ou les obstacles

liés à la discrimination pour se retrouver dans le secteur moderne où ils occupent des emplois au

même titre que les natifs de la localité. Selon Victor Piché et Zouléini Younoussi, 19,23% des

migrants vivant à Ouagadougou ont trouvé leur premier emploi dans le secteur formel contre

seulement 6,79% de non-migrants 260

. A noter que ces migrants sont constitués de personnes qui

viennent des zones rurales Burkinabès, c’est-à-dire des migrants ruraux et de celles qui viennent

de l’étranger, c’est-à-dire des migrants étrangers. Même si on n’a pas l’effectif exact des

étrangers dans cette population de migrants, force est de constater que les migrants en général

participent autant que les non-migrants au marché du travail formel à Ouagadougou. Par

conséquent, on peut confirmer, d’après ce qui précède, que les migrants ruraux ainsi que les

migrants étrangers n’ont pas vraiment de problème d’intégration sur le marché du travail

burkinabè et notamment sur celui de Ouagadougou puisqu’on les retrouve très nombreux à la fois

dans le secteur formel et informel de l’économie du pays.

En effet, dire que les étrangers n’ont pas de concurrence sur le marché du travail urbain

informel burkinabè ne signifie pas qu’il n’ ya pas de concurrence, ni de tension sur ce marché de

travail. Il existe bien en effet, de vives tensions et concurrences sur le marché du travail urbain

informel burkinabè de nos jours. Car les villes de Burkina-Faso ont connu dans les années 1990

259 Sebaï F., et Vercellone C., (2007-2008), Ecole de la Régulation et Critique de la raison économique, Institut

de Sciences politiques de Rennes, p. 228.

260Piché V., et Zoukaléini Y., (2002), Migration et emploi urbain : Le cas de Ouagadougou au Burkina-Faso,

Ouagadougou, année 2002. Pp 79.

Page 228: Université Lyon II

228

des crises économiques au même titre que les autres villes d’Afrique Subsaharienne suite aux

mesures d’ajustement structurel imposé par la Banque Mondiale261

. Beaucoup de ménages

Burkinabès vont subir la conséquence de ces crises. La pauvreté va croitre surtout dans les

centres urbains du Burkina Faso. Pour faire face à cette pauvreté, beaucoup de Burkinabés sont

obligés de se tourner vers le secteur informel pour travailler. Car, les quelques emplois du secteur

structuré sont insuffisants pour absorber un grand nombre d’actifs Burkinabès qui se présentent

sur le marché du travail. Les actifs burkinabés qui peinent à trouver un emploi formel trouvent

généralement leur compte dans le secteur informel. Car l’entrée dans ce secteur est moins

difficile que dans le secteur moderne. Selon Victor Piché et Zoukaléini Younoussi, 80,77% des

migrants et 93,21% des non-migrants vivant à Ouagadougou trouvent généralement leur premier

emploi dans le secteur informel 262

. Ce secteur concentre ainsi le plus grand effectif des actifs

burkinabés. Cependant, les emplois se raréfient de plus en plus dans ce secteur vu le nombre

croissant des actifs qui s’y trouvent. Il est certain qu’une telle situation va forcement générer des

tensions et des concurrences. En effet, si les étrangers qui vivent dans les centres urbains

burkinabés ne sont pas concernés par la tension et la concurrence du secteur informel urbain,

c’est tout simplement parce qu’ils excellent dans les secteurs qui sont délaissés par les

burkinabés, ou pour lesquels ces derniers ne brillent pas.

En somme, on doit constater que la migration a permis à un grand nombre de migrants

étrangers présents dans les centres urbains burkinabés de s’insérer professionnellement sur le

marché du travail burkinabè. Toutefois, elle n’a pas permis à certains d’entre eux d’améliorer

effectivement leur condition de vie. C’est le cas de ceux qui travaillent dans le secteur

informel263

. Car les emplois qu’ils occupent ne peuvent pas leur permettre de gagner

suffisamment d’argent pour changer leur condition de vie.

261Ibid. p 70.

262Ibid p79.

263L’effet de travailler dans le secteur informel ne veut pas forcement dire avoir une faible rémunération. Les

études plus récentes ont montré que certains actifs travaillant dans le secteur informel étaient mieux rémunérés que

Page 229: Université Lyon II

229

Les deux études sur lesquelles nous nous sommes fondés pour analyser la problématique de

l’intégration économique des migrants dans les centres urbains de Burkina-Faso dans cette revue

de littérature présentent, malgré tout, quelques limites264

. On constate que les auteurs de ces

études n’ont pas pris en compte la notion de l’intégration différentielle au sein de leur analyse. En

effet, les immigrants qui vivent dans les centres urbains du Burkina-Faso ont des origines

nationales distinctes. Car ils sont ressortissants de plusieurs pays africains tels que le Togo, le

Nigéria, le Ghana, la Côte d’Ivoire, pour ne citer que ceux-là. Il est certain que les ressortissants

de ces différents pays ne vont pas avoir le même degré d’intégration économique au Burkina-

Faso. Certaines nationalités vont nécessairement avoir des meilleurs niveaux d’intégration

économique que les autres. Par exemple, les Ghanéens peuvent avoir un meilleur niveau

d’intégration économique dans les centres urbains du Burkina-Faso que les Ivoiriens et les

Togolais. L’origine nationale devient ainsi une variable très importante qu’on doit prendre en

compte lorsqu’on veut étudier l’intégration des immigrants dans un pays donné. Car, l’intégration

économique peut en effet varier selon l’origine nationale des immigrants.

Les auteurs des deux principales études que nous avions choisies pour cette revue de littérature

ont étudié l’intégration économique des migrants et dans une certaine mesure celle des

immigrants dans une vision globale et générale. Ils n’ont pas classifié les immigrants présents au

leurs homologues qui évoluent dans le secteur structuré. Certains actifs évoluant dans le secteur informel ont même

un niveau de vie plus élevé que ceux travaillant dans le secteur structuré. Par exemple, tous les pauvres ne sont pas

nécessairement dans le secteur informel, et que tous les non-pauvres ne sont pas non plus dans le secteur moderne.

Lire à ce sujet Harris, Hannan, Rodgers (1990) et Lachaud (1988).

264Nous nous sommes inspiré de deux principales études celle de Dieudonné Ouedraogo, quelques repères sur

l’insertion économique des migrants dans les villes Burkinabè in l’insertion urbaine des migrants en Afrique,

Editions de l’Orstom, Paris 1989 et celle de Victor Piché et Zoukaléini Younoussi, Migration et emploi urbain : Le

cas de Ouagadougou au Burkina-Faso, Ouagadougou, année 2002.

Page 230: Université Lyon II

230

Burkina-Faso au moment de la production de leurs études selon leur degré d’intégration

économique. Ils n’ont pas précisé non plus les nationalités qui ont un meilleur niveau

d’intégration économique au Burkina-Faso ni celles qui présentent des difficultés d’intégration.

Or, la problématique d’intégration différentielle des immigrants selon leur origine nationale

devient un sujet de préoccupation pour les gouvernements des pays développés, pour les

institutions internationales œuvrant pour les migrants internationaux et pour les chercheurs des

pays développés 265

. Il est souvent question de comparer le degré d’intégration économique des

ressortissants de tel ou tel pays ou de tel ou tel continent dans un pays d’accueil des dits

immigrants. Les questions qu’on se pose généralement sont par exemple de cette nature : les

Africains subsahariens ont un meilleur niveau d’intégration économique que les Asiatiques au

Canada ? On peut aussi poser le même type de question pour le cas des immigrants installés à

Ouagadougou. Est-ce que les Ghanéens ont un meilleur niveau d’intégration économique que les

Nigérians ou les Togolais à Ouagadougou ? La réponse à une telle question est très importante.

Car elle permet souvent de mettre en place une politique de population ou d’immigration.

Force est de constater que la problématique d’intégration des immigrants selon leur origine

nationale est encore peu étudiée en Afrique. En effet, les chercheurs commencent à se pencher

sur la problématique d’intégration des immigrants en Afrique que très récemment. Les premiers

véritables travaux scientifiques sur les thèmes de l’intégration des immigrants en Afrique ont vu

le jour qu’à la fin des années 1980 à l’issue du premier séminaire scientifique de Lomé porté sur

le thème de l’insertion urbaine en Afrique . L’insertion urbaine était évaluée selon trois axes par

les chercheurs lors de ce séminaire scientifique à savoir : l’insertion économique, l’insertion

sociale et l’insertion résidentielle266

. On va vite rendre compte de quelques insuffisances dans les

265 Héran F., (2002), immigration, marché du travail, intégration, Commissariat du Plan, Paris.

266 (Antoine et Coulibaly, 1989).

Page 231: Université Lyon II

231

quelques premières littératures scientifiques portées sur les thématiques d’insertion urbaine en

Afrique. On remarque que les chercheurs qui travaillent sur la problématique d’insertion urbaine

en Afrique se préoccupent peu de la situation des ménages dans les zones rurales alors que ceux-

ci sont frappés par la crise économique de ces dernières années au même titre que ceux des zones

urbaines. Les ménages ruraux africains ont même mis en place des stratégies pour faire à la crise

économique de ces dernières années. Les chercheurs qui travaillent sur la problématique

d’insertion urbaine en Afrique ne devraient pas se limiter exclusivement aux problématiques

d’insertion résidentielle, économique et sociale dans les zones urbaines, ils feraient mieux

d’étendre les champs de leurs études aux zones rurales africaines. Les premières littératures sur la

problématique d’insertion urbaine présentent une autre insuffisance qui se situe dans le registre

de la définition des concepts. On remarque que les premiers chercheurs qui s’intéressent à la

problématique d’insertion socio-économique des migrants dans les zones urbaines font

difficilement la distinction entre le statut migratoire des migrants qu’ils étudient. Certains d’entre

eux ne font pas de différence entre des migrants internes et les immigrés, c’est-à-dire des

migrants qui viennent d’un pays étranger dans la production de leurs études. Les migrants en

provenance des zones rurales et ceux qui viennent de l’étranger sont souvent mélangés dans une

même base de données. Du coup, leur processus d’insertion économique et sociale dans les

zones urbaines est souvent étudié de la même manière. Ces chercheurs attribuent souvent les

mêmes chances d’insertion à ces deux groupes de migrants267

. Or, ce n’est pas le cas dans les

pays développés. Les chercheurs qui s’intéressent à la problématique d’insertion socio-

économique des migrants dans les pays développés font généralement la différence entre le statut

migratoire de ces migrants. Ils distinguent souvent des migrants internes des immigrés. Ceux qui

travaillent sur les immigrés ne centrent généralement leurs études que sur les migrants en

provenance des pays étrangers. Les statistiques qu’ils produisent lors de leurs études ne

concernent, par conséquent, que ces migrants étrangers. Et les résultats de ces recherches portées

sur les immigrés révèlent souvent une grande variation dans les modes d’intégration de ces

267 Comoé E.F (2006), Relations de genre et migration en Côte-d’Ivoire : De la décision de migrer à l’insertion

dans le marché du travail, thèse de doctorat de démographie, université de Montréal.

Page 232: Université Lyon II

232

derniers dans leur pays d’accueil268

. L’intégration de ces immigrés varie souvent selon leur

origine nationale comme on avait dit dans plus haut.

Si la problématique d’intégration des migrants dans le contexte de la migration intra-africaine

s’est posée avec acuité aux chercheurs africanistes d’une manière générale depuis le séminaire de

Lomé ce n’est pas le cas pour celle concernant l’intégration des immigrants selon leur origine

nationale. L’intégration différentielle selon l’origine nationale des immigrés est encore peu

étudiée en Afrique Subsaharienne. En effet, une des rares études africanistes portant sur cette

problématique est celle de Victor Piché et d’Elise Fiédir Comoé intitulée : 269

. Nous allons

enrichir notre revue de la littérature grâce à cette étude. Il est important pour nous de comprendre

cette notion d’intégration différentielle, car nous allons l’utiliser dans cette thèse. En effet, nous

allons mesurer le degré d’insertion économique de nos populations cibles à savoir : les réfugiés

Congolais (RDC) et les réfugiés Tchadiens à Bangui. L’objectif ici est de montrer en quoi le

degré d’insertion économique peut varier d’une population à une autre. Les réfugiés Congolais

(RDC) ont-ils un meilleur niveau d’intégration économique que les réfugiés Tchadiens à Bangui

ou est-ce l’inverse ? Nous allons nous inspirer de l’étude Victor Piché et d’Elise Fiédir Comoé

afin de mettre en place des outils méthodologiques permettant de répondre à cette question.

268 (Tribalat, 1995-1996 ; Renault et al,1997 ; Dayen , Echardour et Claude ,1997 ; Piché et al, 2002 Héran

,2002 , Cahuc et al, 2002).

269 L’intégration des immigrants en Côte d’Ivoire, une analyse économique et sociale, université de Montréal,

2002.

Page 233: Université Lyon II

233

2. L’INSERTION ECONOMIQUE DIFFERENTIELLE DES

MIGRANTS ETRANGERS AFRICAINS EN AFRIQUE DU SUD DU

SAHARA : LE CAS DES ETRANGERS AFRICAINS INSTALLES

DANS LES CENTRES URBAINS EN COTE D’IVOIRE.

La Côte d’Ivoire demeure l’un des plus grands pays d’immigration d’Afrique Subsaharienne

comme l’Afrique du Sud270

. En effet, la population étrangère représentait 26% de la population

ivoirienne en 1998. La majorité de cette population étrangère vient de l’Afrique de l’ouest. Les

immigrants présents en Côte d’Ivoire viennent principalement des pays suivants : Le Burkina-

Faso, le Mali et de la Guinée. Les ressortissants de ces pays représentent respectivement 56%,

19,8% et 5,8% de la population immigrante installée en Côte d’Ivoire.

Avant les années 1990, le problème d’intégration économique des immigrants ne se posait pas

en Côte d’Ivoire puisqu’on ne faisait pas de distinction entre les étrangers et les nationaux. Il y

avait vraiment une confusion dans l’imaginaire collectif sur ce sujet. C’était une période

d’insouciance du fait que le pays fonctionnait très bien surtout du point de vue économique. Les

Ivoiriens ne voyaient pas en l’étranger une source de problème, c’est-à-dire celui qui viendrait

prendre leur emploi. Le gouvernement ivoirien non plus ne se préoccupait pas de la question des

flux des étrangers.

Mais les choses ont changé au début des années 1990. La question d’immigration et

d’intégration va peu à peu avoir de l’écho au sein de l’opinion ivoirienne. Elle va également se

270(Russel, 1988) cité par Victor Piché et Elise Fiédir Comoe, in l’intégration des immigrants en Côte d’Ivoire,

une analyse économique et Sociale, Université de Montréal, année 2002.

Page 234: Université Lyon II

234

poser au gouvernement ivoirien. Par conséquent, elle va être abordée dans un contexte de crise

économique et sociopolitique271

. Il faut noter que la Côte d’Ivoire, comme bon nombre de pays

d’Afrique Subsaharienne, était secouée par une crise économique, conséquence des mesures

d’ajustement structurel imposées par la Banque Mondiale, dans les années 1990. La question de

l’immigration devient peu à peu un sujet de préoccupation du gouvernement ivoirien pendant

cette période de crise. Cette question va également se poser aux chercheurs africanistes, surtout

celle de l’intégration différentielle selon l’origine nationale des immigrants installés en Côte

d’Ivoire. On peut alors cibler les ressortissants de certains pays qui s’intègrent bien et ceux qui

ont de la peine à s’intégrer à partir de cette mesure.

Victor Piché et Elise Fiédir Comoé vont se pencher sur cette problématique d’intégration

différentielle selon l’origine nationale des immigrants au sein de leur étude intitulée :

l’intégration des immigrants en Côte d’Ivoire, une analyse économique et Sociale272

. Selon ces

deux auteurs, l’origine nationale constitue un des facteurs déterminants de l’intégration

économique et sociale des immigrants en Côte d’ivoire. Pour ce faire, ils vont analyser

l’intégration socio-économique des trois groupes d’immigrants arrivés en Côte - d’Ivoire entre

1988-1993 à savoir les Burkinabés, les Maliens et les Guinéens. Pour tester leurs hypothèses de

travail, les deux auteurs ont utilisé les données de l’enquête Ivoirienne sur les migrations et

l’urbanisation réalisée en 1993. Les principales questions posées par ces deux chercheurs sont les

suivantes : comment ces immigrants réussissent-ils à accéder à un emploi, à se maintenir sur le

marché du travail et à obtenir des revenus relatifs à cet emploi ? Par quels mécanismes ces

immigrants parviennent-ils à s’intégrer socialement dans la société ivoirienne 273

? Au niveau

271(Breteloup, 1995) cité par Victor Piché et Elise Fiédir Comoe in l’intégration des immigrants en Côte d’Ivoire,

une analyse économique et Sociale, Université de Montréal, 2002.

272Les auteurs ont également développé la question de l’intégration économique différentielle selon le genre au

sein de cette étude. Nous n’allons pas nous appuyer sur cet aspect vu que cela ne concerne pas vraiment la

problématique de notre thèse.

273Nous n’allons pas nous appuyer vraiment sur le volet d’intégration sociale. Nous allons davantage nous

inspirer des analyses concernant le volet intégration économique.

Page 235: Université Lyon II

235

individuel, les auteurs vont s’appuyer sur l’origine nationale des immigrants. Il s’agit de montrer

en quoi l’intégration économique peut varier d’une nationalité à une autre. Les Maliens ont-ils un

meilleur niveau d’intégration économique que les burkinabés en Côte d’Ivoire ? Est-ce les

Guinées qui ont un meilleur niveau d’intégration économique que les Burkinabés et les

Maliens en Côte-d’Ivoire ? Certaines études qui ont été faites dans les pays développés ont

montré de nettes variations dans l’intégration des immigrants selon leur origine nationale. Par

exemple, certaines études qui ont été faites aux Etats-Unis ont révélé que les immigrants

d’origine européenne installés aux Etats-Unis ont un meilleur un niveau d’intégration

économique que ceux d’origine latino-américaine. Une autre étude qui a été faite au Canada va

dans le même sens que celle des Etats-Unis. La conclusion de l’étude faite au sujet de

l’intégration différentielle des immigrants selon leur origine nationale au Canada est sans appel.

Il ressort de cette étude que les immigrants d’Europe de l’ouest ainsi que ceux d’Amérique du

nord ont un meilleur degré d’intégration économique que les immigrants originaires de l’Asie et

d’Afrique Subsaharienne274

. On a également réalisé ce même type d’étude en France permettant

de distinguer les immigrants selon leur degré d’intégration économique.

Voici en quelques lignes les résultats de l’étude de nos deux auteurs. Ils constatent que les

immigrants qui vivent en Côte d’Ivoire participent bien au marché du travail. Ils ont un taux

d’activité très élevé. Mais ce sont les Guinées qui participent le plus au marché du travail par

rapport aux autres migrants étrangers. Les Burkinabés participent plus au marché du travail

ivoirien que les Maliens. En effet, 69% de Maliens ont déclaré avoir un emploi pendant l’enquête

contre 75% de Burkinabés. Les auteurs de l’étude remarquent que les immigrants participent plus

au marché du travail ivoirien que les immigrantes. S’agissant des immigrantes, force est de

constater que leur taux de participation au marché du travail ivoirien varie selon leur origine

nationale. Ce sont les immigrantes Burkinabès qui ont un plus fort taux de participation sur le

274 Piché V ., et Comoe E.F (2002) in l’intégration des immigrants en Côte d’Ivoire, une analyse économique et

Sociale, Université de Montréal.

Page 236: Université Lyon II

236

marché du travail que les autres immigrantes. En effet, 48% des immigrantes Burkinabès ont

déclaré avoir un emploi pendant l’enquête contre 39% des Maliennes et Guinéennes. Il faut noter,

par ailleurs, que la majorité de ces femmes sont, malgré tout , des femmes au foyer. En effet, la

proportion des femmes immigrantes qui ont une activité en Côte-d’Ivoire est relativement faible.

Il faut noter que les immigrants vivant en Côte d’Ivoire ont en majorité des emplois sous

qualifiés. Toutefois, un nombre restreint de ces immigrants a des emplois qualifiés. Les

immigrants d’origine guinéenne sont les plus nombreux à avoir des emplois qualifiés en Côte

d’ivoire par rapport aux autres immigrants. En effet, 10% des Guinéens présents en Côte d’Ivoire

ont déclaré avoir des emplois qualifiés.

Les auteurs constatent que l’origine nationale a un effet brut significatif sur le type d’activité

contrairement au sexe. Il ressort de l’analyse de régression mise en place par les auteurs que :

Les Guinéens ont 7 fois plus de chances d’exercer un emploi qualifié que les autres

immigrants.

Les Guinéens ont 7 fois plus de chance que les Burkinabés d’exercer un emploi qualifié

plutôt qu’un emploi non qualifié.

Les Guinéens ont 19 fois plus de chances que les Burkinabés d’exercer un emploi dans la

vente.

Les Maliens ont 9,4 fois plus de chances d’exercer un emploi dans la vente que les

Burkinabés.

Les résultats de cette étude présentent un caractère original puisqu’ils nous ont permis de saisir

la notion d’intégration différentielle selon l’origine nationale des immigrants. On peut conclure

que les immigrants s’intègrent bien économiquement en Côte d’Ivoire, mais cette intégration

économique varie d’une nationalité à une autre. On constate que les immigrants d’origine

guinéenne ont un meilleur niveau d’intégration économique que les autres immigrants installés en

Côte d’Ivoire, car ils ont plus de chance d’exercer un emploi qualifié que les autres immigrants.

Page 237: Université Lyon II

237

Cela s’explique peut-être par un meilleur niveau de la scolarisation et de formation dans leur pays

d’origine ou par la solidité de leurs réseaux au niveau de la Côte d’Ivoire. En effet, la question de

l’intégration des immigrants en Côte - d’Ivoire se pose en termes de différence selon l’origine

nationale. En effet, toutes les nationalités présentes en Côte-d’Ivoire n’ont pas le même degré

d’intégration économique.

Qu’en est- t-il de l’intégration des immigrants en Afrique Centrale et celle des réfugiés urbains

en Afrique Subsaharienne ? Nous allons présenter dans la partie qui va suivre la problématique

d’intégration économique des immigrants en Afrique Centrale et celle des réfugiés urbains en

Afrique Subsaharienne.

Page 238: Université Lyon II

238

3. L’INSERTION DES MIGRANTS AFRICAINS EN AFRIQUE

CENTRALE ET DES REFUGIES URBAINS EN AFRIQUE

SUBSAHARIENNE.

3.1 L’insertion économique des migrants étrangers africains en

Afrique Centrale : Le cas des migrants d’origine africaine installés

dans les centres urbains au Cameroun.

Le Cameroun, considéré comme un pays stable, attire de plus en plus de migrants étrangers

africains. Ces migrants africains qui vivent au Cameroun proviennent principalement de

l’Afrique de l’ouest. En effet, ces migrants ouest africains représentent environ 49% de la

population globale de migrants vivant au Cameroun dont les tiers sont des Nigérians. S’ajoutent à

ces migrants ouest africains des migrants d’Afrique centrale, ceux qui proviennent des pays de la

Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale, la CEMAC. Ces derniers

représentent environ 43 % de l’ensemble de migrants installés au Cameroun. On peut conclure

que les migrants d’origine africaine représentent plus de 94% de migrants étrangers vivant au

Cameroun d’après les statistiques de l’EESI (Enquête sur l’emploi et le secteur Informel au

Cameroun de l’année 2005).

La présence massive des étrangers au Cameroun pose un grand problème aux autorités du

pays. Car le Cameroun n’a pas suffisamment de moyens pour absorber ces flux importants de

migrants africains et surtout pour leur procurer un emploi. Le bassin de l’emploi du Cameroun,

étant très restreint, il ne peut pas à la fois absorber les nationaux et les étrangers. Même les

nationaux ont du mal à trouver un emploi dans ce bassin d’emploi. Le taux de chômage enregistré

au Cameroun suffit à confirmer qu’il existe bien une forte tension sur le marché du travail

camerounais surtout dans les centres urbains. Le taux de taux de chômage est de l’ordre de 14%

en 2007 au Cameroun selon l’Institut de Statistique camerounais.

Page 239: Université Lyon II

239

Va alors se poser le problème de l’insertion économique de ces migrants africains. En effet,

ces migrants peuvent-ils vraiment faire face aux multiples tensions qui existent sur le marché du

travail camerounais ? Ont-ils des difficultés ou des facilités pour rentrer sur ce marché du travail?

Quels types d’emploi exercent-ils et dans quels secteurs d’activité ? Qu’est-ce qui détermine

vraiment l’insertion de ces migrants sur le marché du travail camerounais ? Félicien Fomekong,

un chercheur camerounais, va apporter quelques éléments de réponse à toutes ces questions dans

une de ses études dont le thème est le suivant : 275

Félicien Fomekong a utilisé les bases de données de l’enquête EESI (Enquête sur l’Emploi et

le secteur Informel) du Cameroun pour produire son étude. L’EESI a été réalisée par l’institut

National de la Statistique du Cameroun (INS) en 2005. Il faut noter que l’enquête EESI a couvert

l’ensemble du territoire camerounais et a porté sur un échantillon de 8500 ménages repartis dans

les zones urbaines et rurales. Les variables « nationalité » et « pays de naissance » utilisées au

sein de l’enquête ont permis à l’auteur de sélectionner les migrants d’origine étrangère. L’effectif

total des migrants d’origine étrangère dans l’échantillon de l’EESI est de 121.332. Et les migrants

africains représentent 94,8% de l’ensemble de cette population migrante, soit 11.5110 individus.

Il ressort de cette enquête que 49,1% des migrants africains vivant au Cameroun sont de sexe

féminin. Les hommes représentent un peu plus de la moitié de cette population, soit 50,9%.

La majorité de ces migrants sont mariés. Les mariés représentent ainsi 60% de la population

des migrants africains vivant au Cameroun. Le régime monogamique prédomine dans cette

population puisque 49,7% des mariages enregistrés lors de cette enquête sont monogamiques.

275 L’insertion des migrants africains dans le marché du travail au Cameroun

Page 240: Université Lyon II

240

Force est alors de constater qu’une grande proportion de ces migrants est constitituée des

célibataires. Les célibataires représentent 36,2% de cette population étrangère.

La population des migrants africains installés au Cameroun est relativement jeune. En effet,

48,7% de ces migrants sont âgés de 30 à 40 ans selon les statistiques descriptives de l’EESI.

La proportion des personnes ayant un âge élevé est relativement faible dans cette population,

seulement 14% de cette population est âgé de 50 ans et plus.

S’agissant de la religion, les migrants sont partagés entre le christianisme et l’islam. En effet,

les chrétiens sont majoritaires dans cette population. Ils représentent 60,8% de cette population

étrangère contre 29,8% de musulman. Ces chrétiens sont majoritairement catholiques. Car, ils

représentent environ 33,6% de cette population chrétienne.

Les migrants d’origine africaine vivant au Cameroun ont un faible niveau d’instruction. En

effet, 43% sont non scolarisés , c’est-à-dire qu’ils n’ont aucune instruction. Le niveau

d’instruction des migrants africains installés au Cameroun est bas par rapport au niveau national

camerounais. Car seulement 27% de la population n’est pas scolarisée au Cameroun contre 43%

pour celle des migrants africains. La proportion des personnes ayant un niveau d’instruction élevé

est relativement faible dans cette population étrangère. Seulement 2,1% des individus composant

cette population étrangère ont un niveau d’instruction supérieur ou élevé. En effet, les migrations

intra-africaines touchent davantage des personnes non scolarisées et peu qualifiées 276

.

276 Les données d’une enquête portée sur les migrants subsahariens installés au Maroc vont dans le même sens

que celles de l’EESI du Cameroun . Il ressort des données de l’enquête : Profil des migrants subsahariens au Maroc

Page 241: Université Lyon II

241

Il faut noter que 52,8% de ces migrants africains vivent dans les zones rurales et 47% vivent

dans les zones urbaines. Ce sont les villes de Yaoundé, la capitale politique et la ville de Douala,

la capitale économique, qui absorbent la plus grande proportion des migrants africains urbains.

Ces villes accueillent respectivement 13 % et 12% des migrants africains résidant au Cameroun.

Selon l’auteur, les migrants d’origine africaine n’ont pas vraiment de problèmes d’insertion

économique au Cameroun. D’après les statistiques descriptives de l’EESI, le taux de chômage au

sein de la population migrante d’origine africaine est de l’ordre de 1,9%, taux très faible par

rapport au niveau national. On note, par ailleurs, que plus de 79% de cette population étrangère

africaine est constituée des actifs occupés. Cette population a donc un fort taux de participation

sur le marché du travail camerounais. Rappelons que le taux d’activité global de cette population

étrangère est de l’ordre de 81%, un taux largement supérieur à celui du niveau national qui est de

l’ordre de 67%. Ce qui signifie que les migrants d’origine africaine vivant au Cameroun

participent plus au marché du travail camerounais que les nationaux camerounais. Il faut noter,

par ailleurs, que ce taux d’activité varie selon le sexe des migrants. Le taux d’activité est de 86,

2% chez les migrants de sexe masculin contre 69,5% chez leurs homologues féminins. L’écart

entre ces deux taux d’activité est très significatif. Il est de l’ordre de 17%. Ce qui signifie que les

migrants africains masculins participent plus au marché du travail au Cameroun que les migrantes

africaines.

Les résultats de cette étude révèlent également que la propension à travailler pour un migrant

d’origine africaine croît avec l’âge et le niveau d’instruction. Ce qui revient à dire que les

2007 que plus de 31% des migrants africains installés au Maroc ont aucun niveau d’instruction , plus de 32% de cette

même population n’ont qu’un niveau primaire. Source : AMER (Association Marocaine d’Etudes et de Recherches

sur les Migrations ) et CISP (Comité International pour le Développement des Peuples ) ., (2007), Synthèse des

principaux résultats de l’enquête : « profil des migrants sunsahareins au Maroc 2007 », Rabat, Maroc, p2-6.

Page 242: Université Lyon II

242

migrants qui ont un niveau d’instruction élevé ont plus de chance d’accéder à l’emploi au

Cameroun que ceux qui ont un faible niveau d’instruction. Et que les migrants qui ont un âge

moins élevé (15 à 25 ans), c’est-à-dire les jeunes, auront moins de chance d’accéder à l’emploi au

Cameroun que ceux qui ont un âge intermédiaire (25 à 40 ans). Par contre, la chance d’accès à

l’emploi pour un migrant baisse lorsqu’il a un âge plus élevé (50 ans et plus).

L’auteur passe par le modèle de la régression logistique pour déterminer l’influence des

caractéristiques sociodémographiques sur le statut d’occupation. Il ressort de ce modèle que :

Les migrants africains de sexe masculin ont sensiblement 3,3fois plus de chances d’être

occupés sur le marché du travail camerounais que les migrants africains de sexe féminin. Les

migrants vivant en milieu rural ont 3, 3fois plus de chances d’être occupés que ceux du milieu

urbain.

Force est de constater que les emplois que les migrants africains occupent au Cameroun sont

davantage concentrés dans le secteur agricole. En effet, selon les données de l’EESI, 38,7% des

migrants d’origine africaine qui vivent au Cameroun travaillent dans le secteur agricole. Le

secteur industriel et commercial emploient également 21% des migrants africains actifs. Par

contre, le secteur des services, n’emploie qu’une faible proportion de cette population, seulement

17,7% . Ces migrants sont davantage concentrés dans le secteur primaire à cause de leur faible

niveau d’instruction. L’entrée dans ce secteur d’activité ne nécessite généralement aucune

qualification et pas de niveau d’instruction particulier, ni aucun savoir faire agricole. Par contre,

l’entrée dans les secteurs secondaire (industrie) et tertiaire (les services) est plus difficile. Seules

les personnes qui ont un niveau d’instruction et de qualification élevés accèdent généralement à

ces secteurs d’activité économique. En effet, les quelques 17,7 % des migrants africains qui

travaillent dans le secteur tertiaire au Cameroun sont ceux qui ont un niveau d’instruction très

élevé. Ces derniers sont les seuls capables de faire face à la compétition des actifs camerounais

Page 243: Université Lyon II

243

dans ce secteur d’activité. Car les emplois de ce secteur sont les plus valorisés, les mieux

rémunérés et les plus sûrs. Par conséquent, les nationaux les préfèrent par rapport aux emplois du

secteur primaire qui sont moins valorisés et moins rémunérés. Les nationaux font généralement

tout pour empêcher les étrangers d’accéder à ces emplois valorisés.

En effet, le secteur tertiaire est très sélectif au Cameroun à la différence du secteur primaire

qui absorbe tout le monde. On note que le secteur primaire absorbe les migrants quelque soit leur

sexe. En revanche, on constate que les migrantes africaines sont presque inexistantes dans le

secteur tertiaire de l’économie camerounaise.

D’après l’auteur de cette étude, dans l’ensemble, les migrants africains installés au Cameroun

travaillent en majorité dans le secteur informel. En effet, le secteur informel occupe 74,8% des

migrants africains (dont 43,9% dans le secteur informel non agricole et 30,9% dans le secteur

informel agricole). A noter que le secteur formel n’emploie que 5,1% des migrants d’origine

africaine 277

. La forte concentration des migrants d’origine africaine dans le secteur informel

s’explique à la fois par leur faible niveau d’instruction et par les difficultés qu’ils ont pour

accéder aux emplois modernes. Car les migrants étrangers ont généralement plus de difficulté à

accéder aux emplois modernes que les natifs des pays qui les accueillent dans le contexte de la

migration en Afrique subsaharienne. La législation du travail prône souvent la notion de

préférence nationale dans bon nombre de pays africains du sud du Sahara et notamment au

Cameroun. Par conséquent, les étrangers se trouvent être exclus par ces législations. Ils sont le

plus souvent discriminés sur le marché du travail formel. On note , d’après cette étude, que la

migration au Cameroun d’Afrique du sud du Sahara a seulement permis aux migrants africains

présents au Cameroun de s’insérer professionnellement sur le marché du travail Camerounais .

Par contre, comme à Ouagadougou et à Abidjan, elle n’a pas permis à ces migrants étrangers

Page 244: Université Lyon II

244

d’améliorer effectivement leur condition de vie. Cette situation décrite est vraie dans bon nombre

de pays d’Afrique Subsaharienne.

Page 245: Université Lyon II

245

Graphique 5.1 : Répartition des migrants africains occupés au Cameroun selon le secteur

d’activité.

Source : Graphique réalisé à partir des données d’EESI.

Graphique 5.2 : Répartition des migrants africains occupés au Cameroun selon les secteurs

institutionnels.

Source : Graphique réalisé à partir des données d’EESI.

Page 246: Université Lyon II

246

3.2 La difficile insertion économique des réfugiés urbains en

Afrique Subsaharienne : Le cas des réfugiés installés dans les

centres urbains de Benin.

Une des rares études d’une grande portée concernant la problématique de l’insertion

économique des réfugiés dans les zones urbaines en Afrique du sud du Sahara est celle de René

Daugé et Richard Feukeu réalisée au Benin en 2005 dans le cadre d’une coopération technique

entre le HCR et le BIT (Bureau International du Travail)278

. Il est certain qu’une telle étude peut

apporter des réponses aux innombrables questions généralement posées sur la problématique de

l’insertion économique des réfugiés dans un environnement urbain en Afrique Subsaharienne.

Car cette problématique qui préoccupe généralement peu les organisations humanitaires et les

chercheurs doit, malgré tout, être développée. Pour ce faire, il nous semble important de présenter

la conclusion de cette étude au sein de cette revue de la littérature.

Les objectifs généraux de l’étude de ces deux auteurs sont notamment de :

Analyser le marché de l’emploi à Porto-Novo et à Natitingou, deux grandes villes du

Benin.

Identifier les secteurs dynamiques et pourvus en emplois de ce marché du travail, secteurs

dans lesquels les réfugiés peuvent trouver facilement le travail.

Evaluer les compétences des réfugiés installés dans les villes de Cotonou, de Kpomasse et

de Porto Novo.

Développer une stratégie permettant aux réfugiés d’être autonome dans les zones

urbaines ; les inciter à avoir une activité dite génératrice de revenu (AGR).

Evaluer les actions d’intégration mises en place par le HCR en faveur des réfugiés

installés au Benin.

278Daugé R., et Feukeu R., (2005), Renforcement de l’insertion professionnelle des Réfugiés au Benin, HCR-BIT.

Page 247: Université Lyon II

247

Afin d’atteindre les objectifs décrits ci-haut, ces deux auteurs ont mis en place une opération

de collecte de données. En effet, une enquête a été conçue dans le cadre de cette étude. Cette

enquête a été initiée par le BIT et réalisée par le Cabinet d’étude Afric Performance avec l’appui

logistique et humain du HCR du Benin.

Cette enquête a porté sur une population des réfugiés âgés de plus de 18 ans arrivés au Benin

entre 1996 et 2004 et originaires des pays suivants : Le Congo-Brazzaville, le Rwanda, le Tchad ,

le Togo. Ces réfugiés sont tous statutaires depuis au moins un an au Benin.

666 individus furent sélectionnés pour répondre aux questions posées dans le questionnaire

mis en place à cet effet, soit environ 10% de la population cible, c’est-à-dire celle représentant les

individus des 4 nationalités choisies initialement et représentative des réfugiés vivant en milieu

urbain à Cotonou et dans le camp de Kpomasse.

Les questionnaires administrés à ces enquêtés portent sur cinq (5) thèmes qui sont les

suivants : L’Etat-Civil ; Le Profil Professionnel ; L’Utilisation des services du HCR depuis

l’arrivée au Benin ; La Situation du réfugié au moment de l’enquête ; Le Projet Professionnel du

réfugié.

Il ressort de l’enquête que les réfugiés de sexe masculin prédominent dans la population des

réfugiés installés dans les villes choisies pour l’étude. Ils représentent environ 62% de cette

population. Les réfugiés de sexe féminin représentent seulement 38% des réfugiés installés dans

les centres urbains béninois.

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248

La majorité de ces réfugiés est jeune. En effet, environ 60% des réfugiés vivant dans les zones

urbaines de Benin ont entre 26ans et 40 ans. 1 réfugié sur 2 de sexe masculin vivant dans les

zones urbaines béninoises est célibataire. A noter que seulement 3 réfugiés de sexe féminin sur

10 vivant dans les zones urbaines béninoises sont célibataires.

Les réfugiés présents dans les zones urbaines béninoises ont généralement acquis un niveau de

formation et d’instruction élevé dans leur pays d’origine avant de migrer au Benin. D’après les

données de cette étude, plus de 53% des réfugiés ont un niveau supérieur au Baccalauréat.

Tableau 5.1 : Répartition des réfugiés installés dans le centre urbain au Benin selon le niveau

d’instruction et le genre (Ville de Cotonou et le Camp de Kpomasse).

Diplômes obtenus Homme (en%) Femme (en %)

CEP 10 23

BEPC 15 15

BAC 34 27

BTS (BAC + 2) 11 6

LICENCE 9 4

MAITRISE 4 3

DEA/DESS/BAC+5 1 0

DOCTORAT 1 0

FORMATION EN APPRENTISSAGE 10 14

AUCUN 4 8

ENSEMBLE 100 100

Source : Daugé R., et Feukeu R., (2005), Renforcement de l’insertion professionnelle des réfugiés

au Benin, HCR-BIT.

On constate que le niveau d’instruction des réfugiés installés dans les centres urbains béninois

varie d’une nationalité à une autre. Les réfugiés de nationalité togolaise possèdent le plus faible

niveau d’instruction par rapport à ceux d’autres nationalités. En effet, environ 3 réfugiés togolais

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249

sur 10 étaient apprentis dans leur pays d’origine, 26% avaient un niveau BEPC, 26% avaient un

niveau CEP et 9% n’avaient aucun niveau d’instruction. En somme, plus de 8 réfugiés Togolais

sur 10 ont un niveau d’instruction inférieur au baccalauréat.

Ce sont les réfugiés originaires de Congo-Brazzaville qui sont les plus instruits parmi les

réfugiés vivant dans les centres urbains béninois. En effet, plus de 67% des réfugiés Congolais de

Brazzaville ont un niveau d’instruction supérieur au Baccalauréat. Les autres nationalités ont plus

ou moins le même niveau d’instruction.

Il demeure important de signifier que la plupart de ces réfugiés présents au moment de l’étude

avaient un emploi dans leur pays d’origine avant de migrer au Benin. Ils évoluaient dans

plusieurs professions. Ils étaient militaires, personnels enseignants, comptables, vendeurs,

artisans du textile, coiffeurs, salariés de la restauration dans leur pays d’origine.

En effet, force est de constater, d’après les données de cette étude, que Le capital

professionnel acquis par ces réfugiés dans leur pays d’origine n’a pas permis à ces derniers de

s’insérer sans difficulté sur le marché du travail dans les zones urbaines béninoises. En fait, un

grand nombre de ces réfugiés sont parfois obligés de recourir aux services d’intégration du HCR

du Benin pour suivre des formations complémentaires sans quoi leur intégration dans la société

béninoise serait compromise. Ces formations organisées ou financées par le HCR dans des

domaines tels que le droit, les sciences humaines et sociales, l’informatique, la restauration, le

textile, la confection, la coiffure sont très pratiques et répondent généralement aux besoins

concrets du marché du travail béninois. Par conséquent, les réfugiés qui passent par ces

formations ont généralement une meilleure intégration économique et sociale au Benin que les

autres. C’est la raison pour laquelle le HCR du Benin met un accent particulier sur la formation

de ces réfugiés. Car, la qualification acquise par le biais de ces différentes formations va

conditionner la réussite de l’intégration économique et sociale de ces réfugiés. Le HCR du Benin

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250

joue donc un rôle capital dans le processus d’intégration économique des réfugiés qu’il assiste. Sa

politique en matière d’intégration repose entre autres sur le développement du capital humain et

professionnel et sur les activités dites génératrices de revenu. Mais cette politique est-elle

vraiment efficace ? Quelle est vraiment la situation des réfugiés par rapport à l’emploi dans les

centres urbains béninois ?

La situation des réfugiés qui vivent dans les zones urbaines béninoises par rapport à l’emploi

est très précaire. D’après les données de l’enquête sur l’insertion professionnelle des réfugiés

dans les centres urbains du Benin, près de 8 réfugiés sur 10 sont au chômage au moment de

l’enquête, seulement 14,5% des réfugiés ont un emploi salarié, dont 12,5% occasionnel279

. Les

réfugiés du sexe masculin s’insèrent, encore une fois, mieux sur le marché du travail urbain au

Benin et ont un meilleur taux d’activité que les femmes. D’après les données dont nous

disposons, 15% des réfugiés de sexe masculin ont un emploi salarié occasionnel au moment de

l’enquête, 3,2% ont un emploi salarié permanent, environ 70 % de ces réfugiés ont déclaré

n’avoir aucune activité et 4% disent avoir une activité génératrice de revenus, appelée

communément l’AGR.

Les réfugiés de sexe féminin ont, par ailleurs, une grande difficulté à s’insérer

professionnellement sur le marché du travail urbain au Benin. En effet, environ 80% d’entre elles

ont déclaré n’avoir aucune activité, seulement 8% d’entre elles ont des emplois occasionnels et

8,9% ont des activités génératrices de revenu au moment de l’enquête.

279 René Daugé et Richard Feukeu, Renforcement de l’insertion professionnelle des Réfugiés au Benin, HCR-BIT,

année 2005, Op. Cit .p 17.

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251

On constate que les taux d’activité des réfugiés vivant dans les centres urbains béninois varient

selon le niveau d’instruction. Les réfugiés qui ont un fort niveau d’instruction ont un taux

d’inactivité moins élevé. Il en va de même pour les réfugiés formés par apprentissage. Les

réfugiés qui ont atteint un niveau de licence ou de maîtrise ont un taux d’inactivité avoisinant

70% contre 68% pour ceux qui sont formés par apprentissage. La formation par apprentissage

augmente donc davantage la chance au réfugié de trouver un emploi sur le marché du travail

urbain béninois.

Certains réfugiés sont obligés de se tourner vers les activités génératrices de revenus dans les

centres urbains béninois pour chercher leur gagne pain quotidien. Force est alors de constater que

ces activités dites génératrices de revenu sont le plus souvent pratiquées par les réfugiés qui ont

un faible niveau d’instruction et de qualification. Les réfugiés togolais pratiquent davantage

l’AGR dans les centres urbains béninois que les réfugiés d’autres nationalités à cause de leur

faible niveau d’instruction. La majorité des réfugiés de sexe féminin tire également ses revenus

des activités dites génératrices de revenu. Nombreuses parmi elles font des tontines 280

ou des

petits commerces pour gagner de l’argent. Il faut noter que l’AGR est un volet du programme

d’intégration mis en place par le HCR du Benin.

280 La tontine est une institution d’épargne et de crédit solidaire. Les personnes, membres d’une tontine cotisent

de l’argent selon une fréquence admise par tous les membres. Les membres de la tontine reçoivent à tour de rôle le

capital cotisé par chaque membre. Celui qui a reçu le capital doit cotiser pour les autres jusqu’à la fin de la rotation.

Lire Kane A., (2010), tontines, caisses de solidarité et banques ambulantes, univers des pratiques financières

informelles en Afrique, Paris, Harmattan, p5 - 20.

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252

En effet, pour inciter les réfugiés installés dans les centres urbains en Afrique du sud du

Sahara à être autonomes financièrement, le HCR octroie généralement des microcrédits à ces

derniers afin de les pousser à se lancer dans des activités génératrices de revenu au lieu de

compter uniquement sur les emplois salariés plus difficiles à décrocher. Le HCR est bien

conscient de la difficile situation économique de ces pays africains, une situation économique très

instable qui ne favorise pas le développement du marché du travail. C’est la raison pour laquelle

cet organisme ne peut pas miser uniquement sur les emplois salariés pour intégrer les réfugiés

installés dans les centres urbains africains. Pour ce faire, il va faciliter des prêts aux réfugiés en

faisant l’impasse sur les risques liés au remboursement. Les réfugiés de sexe féminin bénéficient

plus de ces microcrédits. En fait, 63% des réfugiés de sexe féminin interrogés lors de l’enquête

sur l’insertion professionnelle des réfugiés dans les centres urbains béninois ont déclaré avoir

bénéficié des microcrédits du HCR du Benin. Mais, ce microcrédit, dont la somme est souvent

très insignifiante ne permet pas généralement à ces réfugiés d’accroitre leur activité. Par

conséquent, ils sont parfois obligés de chercher d’autres sources de revenu pour développer les

activités génératrices de revenu. La plupart des réfugiés ayant bénéficié du microcrédit pour se

lancer dans l’AGR ont déclaré que celui-ci n’a pas amélioré leur activité 281

. L’AGR ne serait

pas à notre sens une meilleure solution au problème d’intégration économique des réfugiés

puisqu’elle n’a pas permis à la plupart des réfugiés vivant dans les centres urbains béninois de

bâtir une autonomie financière.

En somme, les quelques données présentées au sein de cette étude nous ont permis d’esquisser

la problématique d’insertion professionnelle des réfugiés installés dans les centres urbains au

Benin et dans une moindre mesure de ceux de la plupart des pays d’Afrique noire. On remarque,

d’après les données de cette étude, que ces réfugiés éprouvent bien des difficultés à s’insérer

professionnellement dans les centres urbains au Benin. En effet, la difficile intégration

281 Daugé R., et Feukeu R., (2005), Renforcement de l’insertion professionnelle des Réfugiés au Benin, HCR-

BIT, p 19.

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253

économique des réfugiés dans les zones urbaines béninoises s’explique entre autres par rapport

aux éléments suivants :

i) Le contexte macroéconomique du Benin comme celui de la plupart des pays d’Afrique noire

n’est pas favorable au développement du marché du travail puisqu’il présente plusieurs fragilités.

En effet, l’économie du Benin est faiblement financée. Le taux d’investissement et de

financement de l’économie du Benin est relativement faible d’après René Daugé et Richard

Feukeu. Cette économie a donc besoin de capitaux pour son développement. En effet, le taux de

croissance économique du Benin a également fléchi ces dernières années. Ce taux de croissance

qui était de l’ordre de 5,3% entre 1996 et 2003 a fortement baissé et se retrouve à 2,7% en 2005,

l’année de la réalisation de l’étude sur l’insertion professionnelle des réfugiés dans les centres

urbains béninois282

. Les exportations du Benin ont également chuté ces dernières années suite au

ralentissement des activités du secteur coton. En effet, la chute des activités cotonnières se

trouve être à l’origine de la mauvaise performance du secteur primaire de l’économie béninoise et

dans une moindre mesure de la croissance économique du Benin de ces dernières années.

L’économie béninoise qui présente plusieurs fragilités énumérées ci-haut ne peut pas favoriser

le développement du marché du travail. Le ralentissement des activités du secteur primaire a eu

nécessairement un impact sur le marché du travail et serait à l’origine de la destruction de milliers

d’emplois surtout dans les centres urbains béninois.

Force est alors de constater que le marché du travail béninois présente les mêmes

caractéristiques que celui de la plupart des pays africains du sud du Sahara. Le secteur informel,

se développe, se dynamise et prend le relais du secteur moderne sur le marché du travail. Il faut

282 Ibip . p 5.

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254

noter que 8 actifs sur 10 vivant au Benin évoluent dans le secteur informel. En fait, seulement 5%

de Béninois évoluent dans le secteur moderne de l’économie. La tension se généralise de plus en

plus sur le marché du travail formel et informel au Benin comme dans la plupart des pays

d’Afrique du sud du Sahara. Car le secteur informel qui a pu compenser le manque d’emploi du

secteur moderne ces dernières années se fragilise de plus en plus surtout dans les centres urbains.

En effet, ce secteur, de plus en plus saturé, ne peut plus absorber tous les actifs qui n’ont pas pu

trouver leur compte dans le secteur moderne. Les sous-emplois se développent comme dans

d’autres pays d’Afrique Subsaharienne. Et ces ses sous-emplois sont généralement payés au

dessous du smig imposé par l’Etat.

Il va de soi que les immigrants et les réfugiés installés au Benin et dans une moindre mesure

ceux qui vivent dans les centres urbains du pays éprouvent des difficultés à s’insérer

professionnellement sur le marché de travail. En effet, comment trouver son compte sur un

marché du travail très saturé dans lequel il existe de vive tension entre les actifs et qui ne parvient

pas absorber une grande proportion de la population autochtone ? Il semble difficile, dans une

telle situation, de trouver des secteurs qui pourraient facilement offrir des emplois à des réfugiés.

C’est la raison pour laquelle ils sont obligés de se battre comme les autochtones pour se faire de

la place sur ce marché du travail. Ils deviennent des acteurs au même titre que les autochtones

dans leur processus d’insertion professionnelle dans le contexte urbain même s’ils sont encadrés,

assistés, aidés par le HCR et les organisations humanitaires internationales et nationales. Leur fort

taux d’inactivité dans les centres urbains béninois s’explique par la difficile situation de

l’économie du pays qui ne favorise pas le développement ni le dynamisme du marché du travail.

Le bassin de l’emploi du pays se rétrécit et n’offre pas beaucoup de possibilité d’emplois

modernes aux actifs qui se présentent sur le marché du travail. Les emplois disponibles sont

davantage informels.

ii) Le statut de réfugié se présente également comme un handicap sur le marché du travail. En

effet, ce statut est parfois très ambigu du fait qu’il peut être à la fois avantageux et

désavantageux. D’aucuns pensent que le statut de réfugié est un statut privilégié, car, il permet de

bénéficier de la protection et des services des Nations Unies. En effet, le réfugié est protégé par

Page 255: Université Lyon II

255

les instances des Nations unies, il est suivi, accompagné, assisté par les organisations onusiennes

et humanitaires tout au long de son processus d’intégration sociale au sein du pays qui l’accueille.

Ce traitement fait de lui un privilégié par rapport aux autres migrants. Par conséquent, le statut

de réfugié est un statut avantageux.

Mais, on doit constater que ce statut de réfugié peut, par ailleurs, être désavantageux. En effet,

beaucoup de réfugiés vivent généralement dans la peur au sein de leur pays d’accueil. Du coup ,

ils se résignent parfois à se dévoiler au grand public au risque d’être mal vu, d’être mal jugés, mal

traités . Certains préfèrent même vivre cachés. Ils s’efforcent d’être invisibles là où ils se trouvent

afin d’éviter tout soupçon. Cette situation de repli-sur soi demeure un handicap pour ces réfugiés.

Car, c’est en s’ouvrant aux autres que ces derniers peuvent avoir des informations sur les

emplois. Les informations sur l’emploi circulent généralement dans les réseaux sociaux dans les

pays d’Afrique noire comme nous avions dit dans les précédentes pages. A force de chercher à se

protéger, ces réfugiés finissent par être invisibles dans la vie sociale des pays qui les accueillent

et dans une moindre mesure sur le marché du travail de ces pays. Du coup, il sera difficile pour

eux de trouver une situation convenable sur ce marché de travail. Car, il faut s’appuyer sur les

réseaux pour trouver un emploi sur ce marché du travail. Or, il est difficile de créer des réseaux

lorsqu’on vit caché.

iii) Le réfugié qui se voit attribuer un crédit pour se lancer dans une activité génératrice de

revenu n’est plus motivé sur le marché de travail. Il va nécessairement se contenter de cette

activité et fuir la difficulté du marché du travail. Il va se cacher derrière cette activité et sera

enclin à continuer à vivre de l’assistanat. Le HCR doit en principe miser davantage sur l’emploi

pour intégrer ses réfugiés au lieu de compter sur les activités génératrices de revenu qui se

trouvent être des solutions non soutenables et durables. En effet, ces activités dites génératrices

de revenu devraient davantage être considérées comme des solutions de pluriactivité283

.

283Ibid. p 26.

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256

Autrement dit, elles devraient compléter une activité professionnelle déjà stable et se positionner

seulement comme une activité secondaire. Les revenus tirés de ces activités devraient compléter

les faibles revenus de ces réfugiés puisque la plupart d’entre eux ont des emplois précaires et

sous-payés.

Ces réfugiés peuvent avoir un niveau de vie semblable à celui d’un Béninois moyen dans les

centres urbains béninois à condition de se lancer dans la pluriactivité. La faible participation des

réfugiés au marché du travail urbain au Benin s’explique entre autres par le fort taux de

participation de ces derniers aux activités génératrices de revenu, surtout les réfugiés de sexe

féminin. En effet, ces activités détournent généralement les réfugiés du marché du travail dans

lequel ils devraient chercher un emploi susceptible de leur garantir des revenus dans la durée.

iv) La plupart des réfugiés qui peinent à s’intégrer économiquement dans les centres urbains

béninois sont généralement ceux qui ont du mal à mettre en place un projet professionnel

cohérent. En effet, l’absence de toute démarche d’élaboration d’un projet professionnel cohérent

de la part du réfugié a pour conséquence la réduction de l’employabilité et l’affaiblissement du

taux d’accessibilité au marché du travail284

. En effet, la plupart des réfugiés qui ont un emploi

salarié dans les centres urbains béninois sont ceux qui ont eu à présenter un projet professionnel

au service d’intégration du HCR du Benin. Ces projets sont souvent très pragmatiques et

répondent dans la plupart des cas aux besoins du marché du travail béninois. Les réfugiés qui ont

un projet professionnel cohérent sont généralement bien suivis par le HCR tout au long de leur

processus d’intégration sociale. Ils bénéficient généralement de conseil, d’information, de

formation de la part de cet organisme. Leur parcours d’accès à l’emploi est plus facilité grâce à

tous les dispositifs mis en place par le HCR. Du coup, ils ont plus de chance d’accéder à l’emploi

que leurs homologues qui ne se sont pas présentés au service d’insertion du HCR pour un suivi à

l’insertion professionnelle ou qui n’ont pas présenté un projet professionnel à cet organisme.

284Ibid p 26.

Page 257: Université Lyon II

257

v) Les réfugiés ont généralement du mal à avoir des informations sur les offres d’emploi qui se

présentent sur le marché du travail urbain béninois. Ils se référent, dans la plupart des cas, au

HCR et aux autres organismes humanitaires dans leur démarche d’accès à l’emploi. Or, les

informations concernant les offres d’emploi sont généralement détenues dans les agences

nationales spécialisées sur les emplois ou d’autres organismes privés. Force est de constater

qu’un grand nombre de ces réfugiés ont une mauvaise connaissance de ces organismes. Il faut

aussi noter que les informations concernant les offres d’emploi passent aussi généralement par le

bouche à oreille dans les pays d’Afrique noire et dans une moindre mesure dans les centres

urbains béninois. Ce sont généralement les nationaux qui détiennent ces informations. Les

réfugiés sont donc lésés par rapport aux autres dans cette transmission d’information concernant

les offres d’emploi disponibles. Du coup, ils se trouvent donc moins armés que les nationaux sur

le marché du travail. Ce manque d’information sur les offres d’emploi demeure un handicap

majeur pour l’accès à l’emploi des réfugiés dans les centres urbains béninois.

En somme, l’étude de René Daugé et de Richard Feukeu que nous avons exploitée dans le

cadre de cette revue de la littérature a clarifié plusieurs questions que nous nous posions sur la

problématique d’insertion professionnelle des réfugiés dans les centres urbains en Afrique du Sud

de Sahara. Cependant, cette étude présente quelques limites qui méritent d’être soulignées.

Page 258: Université Lyon II

258

Cette étude présente tout d’abord une limite d’ordre méthodologique. En effet, l’enquête que

les auteurs ont conçue pour mesurer la participation des réfugiés sur le marché du travail dans les

centres urbains béninois est exclusivement quantitative. Et la méthode qu’ils ont choisie pour

traiter les données de cette enquête est totalement descriptive. Or, on ne peut se limiter

exclusivement une méthode quantitative lorsqu’on veut traiter des données concernant la

problématique d’insertion professionnelle des migrants. Les auteurs de cette étude devraient, à

notre sens, compléter les données quantitatives de cette enquête avec des données qualitatives

afin de toucher toute la dimension de la problématique de l’insertion professionnelle de ces

migrants réfugiés. Ils devraient, en principe, intégrer des questions ouvertes au sein des

questionnaires qu’ils ont conçus pour cette enquête, ce qui permettrait de recueillir d’autres

informations, lesquelles viendraient compléter celles contenues dans les statistiques descriptives

de cette étude. En effet, ces réfugiés auraient pu donner plus de détails sur leur parcours ou

trajectoire professionnelle dans les centres urbains béninois si on leur avait posé des questions

ouvertes. Les migrants donnent généralement des détails sur leur trajectoire professionnelle sous

forme de récit, communément appelé « biographie professionnelle ».

L’enquête que ces deux auteurs ont conçue pour cette étude ressemble davantage à une

enquête sur l’emploi en milieu urbain. Les questions migratoires ne sont nullement abordées au

sein de cette enquête. Or, les réfugiés qu’ils étudient à travers cette enquête sont des migrants. Par

conséquent, ils devraient, à notre sens, intégrer le thème de « migration » au sein de cette

enquête. Il serait souhaitable qu’ils décrivent l’itinéraire migratoire de ces migrants réfugiés,

qu’ils interrogent ces réfugiés sur leur date d’arrivée au Benin, sur la date de leur premier emploi,

sur le secteur d’activité de leur premier emploi, sur le secteur d’activité de leur emploi au

moment de l’enquête , sur les revenus de leur travail, sur le nombre de fois qu’ils ont changé

d’emploi depuis qu’ils sont installés dans les centres urbains béninois. Il est souhaitable que les

thèmes de l’emploi et de migration soient traités ensemble dans une même enquête lorsqu’il

s’agit de mesurer la participation des migrants au marché du travail urbain. Cela permettrait

d’analyser le processus d’insertion professionnelle de ces migrants d’une manière longitudinale et

transversale, ce qui n’est pas le cas pour cette étude. On remarque que les auteurs de celle-ci ont

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259

analysé la problématique d’insertion professionnelle des migrants réfugiés sous un angle

exclusivement transversal.

A lire ces deux auteurs, on croirait qu’il existe seulement une seule structure qui est chargée

de l’insertion socioprofessionnelle des réfugiés en Afrique noire, le HCR. En effet, ces auteurs

présentent le HCR comme la seule structure qui intervient tout au long du processus d’insertion

professionnelle des réfugiés en Afrique noire. Ils font l’impasse sur les autres structures qui

participent également activement à l’insertion socioprofessionnelle des réfugiés dans cette partie

du monde. En effet, plusieurs organisations nationales autres que le HCR s’intéressent aussi au

problème d’insertion des réfugiés en Afrique. Mais les structures qui agissent en amont et qui

jouent un rôle très important dans le processus d’insertion de ces réfugiés dans les centres urbains

demeurent les réseaux familiaux et communautaires. Il demeure important de signifier que la vie

des réfugiés dans les centres urbains en Afrique noire dépend grandement de leurs réseaux

familiaux et communautaires. Ces réfugiés sont généralement accueillis par les membres de ses

réseaux dès leur arrivée dans les centres urbains. Ce sont les mêmes membres de ces réseaux qui

vont les assister et les accompagner dans leur recherche d’emploi. Ce sont généralement eux qui

leur trouvent leur premier emploi. En définitive, ces réseaux familiaux et communautaires jouent

un rôle important dans le processus d’insertion des réfugiés dans les centres urbains au Benin

comme dans la plupart des pays d’Afrique noire au même titre que le HCR. Les auteurs semblent

avoir oublié tous ces aspects.

En conclusion, les différents thèmes abordés dans cette partie d’étude consacrée à la revue de

la littérature relative à la problématique d’insertion professionnelle des immigrants africains dans

les centres urbains d’Afrique Subsaharienne nous ont permis de faire ces observations:

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260

Que le marché du travail fonctionne presque de la même façon dans les trois pays de notre

d’étude à savoir : La République Démocratique du Congo, le Tchad et la République

Centrafricaine.

Que l’accès à ce marché du travail est plus facile dans les zones rurales que dans les zones

urbaines.

Qu’il y a une vive tension entre les actifs sur le marché du travail dans les zones urbaines

de ces trois pays.

Que la majorité des actifs vivant dans les zones urbaines de ces trois pays évoluent dans le

secteur informel.

Que les emplois modernes sont rares sur le marché du travail urbain de ces trois pays.

Que les étrangers d’origine africaine installés dans les centres urbains de la plupart des

pays d’Afrique noire n’ont pas vraiment de problème d’insertion professionnelle à

condition de se contenter d’emplois sous qualifiés et peu rémunérés.

Qu’ils ont un taux d’activité semblable, voire supérieur à celui des nationaux.

Que la majorité de ces immigrants évoluent dans le secteur informel dans ces zones

urbaines africaines.

Que les emplois qu’ils occupent sont davantage précaires.

Qu’ils ne peuvent pas vivre décemment dans ces zones urbaines puisque les emplois

qu’ils occupent sont généralement sous-payés.

Que les réfugiés ont des problèmes d’insertion professionnelle dans les centres urbains

d’Afrique noire.

Que la majorité d’entre eux n’occupent que des emplois occasionnels et précaires dans les

centres urbains africains.

Qu’ils sont davantage concentrés dans le secteur informel de l’économie dans les centres

urbains dans lesquels ils sont installés.

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261

Que les revenus de leurs activités économiques, souvent très maigres, ne leur permettent

pas souvent de vivre décemment dans les centres urbains en Afrique Subsaharienne.

Que la majorité d’entre eux vit grâce aux activités génératrices de revenus financées par le

HCR.

Si les réfugiés ont des problèmes d’insertion professionnelle dans les centres urbains en

Afrique du Sud du Sahara, qu’en sera-t-il pour ceux qui vivent dans le centre urbain de la

ville de Bangui en République Centrafricaine. Nous voudrions parler ici des réfugiés

Congolais de la RDC et des réfugiés tchadiens, la population cible de notre étude. Ces

réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens s’adaptent-ils au marché du travail de Bangui ?

Quels sont les profils des réfugiés qui ont une meilleure insertion économique à Bangui ?

Les réfugiés de nationalité Congolaise (RDC) ont t-il plus de chance d’accéder à l’emploi

rémunéré à Bangui que ceux de nationalité Tchadienne ? Les réfugiés Congolais (RDC)

et Tchadiens qui ont acquis une formation professionnelle dans leur pays d’origine avant

de migrer en Centrafrique ont-il plus de chance d’accéder à l’emploi rémunéré à Bangui

que leurs homologues qui n’ont pas acquis une formation professionnelle avant la

migration ? Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui ont un niveau d’instruction

élevé ont-ils plus de chance d’accéder à l’emploi rémunéré à Bangui que ceux qui ont un

faible niveau d’instruction ? Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadien qui étaient chefs

de ménage dans leur pays d’origine avant la migration ont-ils plus de chance d’accéder à

l’emploi au niveau de Bangui que ceux qui ne l’étaient pas ? Les réfugiés Tchadiens et

Congolais (RDC) qui sont chefs de ménage à Bangui ont- ils plus de chance d’accéder à

l’emploi à Bangui que ceux qui ne le sont pas ? Les réfugiés qui sont mariés ou qui

vivent en union avec une centrafricaine ont-ils ils plus de chance d’accéder à l’emploi à

Bangui que ceux qui vivent en union avec une femme de leur pays d’origine ? En

somme, la chance d’accès à l’emploi à Bangui est-il fonction de la nationalité des

réfugiés, de leur capital humain avant la migration, de leur niveau d’instruction et de leur

situation familiale avant et pendant la migration ? Telles sont les questions

fondamentales de cette recherche auxquelles nous allons chercher apporter des réponses.

Les hypothèses de cette recherche apporteront, dans un premier temps, des réponses à ces

questions fondamentales. Nous allons, dans un second temps, utiliser les données de

Page 262: Université Lyon II

262

l’enquête migration de « refuge » que nous avons conçue pour cette étude pour mesurer

ces hypothèses de recherche.

3.3 Les hypothèses de Recherche.

Nous avons conçu une (1) hypothèse de base et neuf (9) hypothèses spécifiques pour cette

recherche. Ces hypothèses découlent entre autres de notre revue de littérature.

a) L’hypothèse de base.

Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens sont plus nombreux à exercer dans le secteur

informel à Bangui.

Les réfugiés et Congolais (RDC) seront en grand nombre dans le secteur informel à Bangui

puisque c’est là où se trouvent concentré la majorité des emplois. La majorité des réfugiés

Congolais (RDC) et Tchadiens trouveront leur premier emploi dans le secteur informel, il en va

de même pour l’emploi au moment de l’enquête.

b) Les hypothèses spécifiques :

Hypothèse 1:

Les réfugiés Congolais (RDC) ont plus de chance d’accéder à un emploi rémunéré à Bangui que

les réfugiés Tchadiens

En effet, les réfugiés Congolais (RDC) viennent d’un pays où la langue officielle est le

Français. On parle le Français à l’école, dans les administrations, dans les églises, dans certaines

familles en République Démocratique du Congo. Il est certain que la plupart des réfugiés

Congolais présents à Bangui s’expriment plus ou moins bien en français ou ont une notion de

cette langue car elle demeure la langue officielle de leur pays d’origine. Les réfugiés congolais

qui ont un niveau d’instruction élevé auront certes une meilleure connaissance du Français que

ceux qui un faible niveau d’instruction. Car, ils ont appris le Français pendant une longue durée

du fait d’être restés pendant longtemps à l’école.

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263

La connaissance du français demeure un atout pour les réfugiés congolais(RDC) lors de leur

séjour dans leur pays d’accueil, la République Centrafricaine. En effet, les réfugiés Congolais qui

parlent français accèderont facilement aux administrations, aux institutions en République

Centrafricaine et notamment à Bangui. Car le Français est également la langue officielle de la

République centrafricaine. Les réfugiés congolais (RDC) dont la majorité parle Français pourront

communiquer facilement avec les Centrafricains. Ils pourront, à partir de là, créer des réseaux

amicaux à Bangui. Ces réseaux amicaux pourront être bénéfiques pour eux. Car, les informations

concernant les offres d’emploi circulent généralement dans ces types de réseaux. Les réfugiés

Congolais (RDC) auront aussi un accès facile aux organismes nationaux et internationaux

œuvrant pour l’insertion sociale des réfugiés installés à Bangui, notamment le HCR et le CNR,

car le français reste la langue de travail pour les agents de ces organismes. Ils seront, par

conséquent, bien suivis et encadrés par ces organismes et auront nécessairement une meilleure

intégration socio-économique. Les réfugiés Congolais (RDC) auront aussi un contact facile avec

les employeurs centrafricains. Ils peuvent directement leur présenter leur candidature. Ils n’auront

donc pas besoin nécessairement d’un intermédiaire dans ce type de démarche puisqu’ils parlent le

français, la langue officielle du pays.

Les réfugiés Congolais (RDC) présentent aussi un autre atout qui se situe toujours dans le

registre linguistique. En effet, bon nombre de réfugiés Congolais parlent le Sango, la langue

nationale de la République Centrafricaine. Car la plupart de réfugiés Congolais(RDC) qui sont

installés à Bangui sont originaires de la région de l’Equateur, la région nord de la République

Démocratique du Congo. On parle généralement le Mongbandi dans un grand nombre de villes

de cette région. Or, le Sango, la langue nationale de la République Centrafricaine est très proche

de Mongbandi. En effet, tous les gens qui parlent Mongandi comprennent généralement le Sango

et ont des facilités à le parler. L’inverse est aussi vrai. Les gens qui parlent Sango comprennent

généralement bien le Mongbandi. Donc, les Congolais (RDC) qui viennent en majorité de la

région du nord de la République démocratique du Congo auront des facilités à rentrer en contact

avec les Centrafricains puisqu’ils seront compris par eux. Ils jouiront d’une certaine facilité à

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264

accéder aux emplois informels ou des emplois sous qualifiés. Car, le Sango demeure la langue du

secteur informel. Les employeurs du secteur informel utilisent généralement cette langue au

quotidien au sein de la ville de Bangui.

En somme, les réfugiés congolais (RDC) possèdent deux atouts majeurs leur permettant

d’accéder au marché de travail de la ville de Bangui avec moins de difficulté. La connaissance du

français peut leur ouvrir les portes d’entrée du secteur formel. Et leur maîtrise de la langue

nationale, le Sango, peut également leur ouvrir les portes d’entrée du secteur informel.

Or, ce n’est pas le cas pour les réfugiés Tchadiens. Les réfugiés Tchadiens sont partagés entre

le Français et l’Arabe. Il faut noter que bon nombre de réfugiés Tchadiens installés à Bangui ne

parlent que l’arabe et n’ont aucune connaissance du français. Car ils viennent d’un pays dans

lequel on parle à la fois le français et l’arabe. En effet, seuls les réfugiés tchadiens qui ont la

maîtrise du français auront la chance d’accéder à un emploi rémunéré à Bangui. Par contre, ceux

qui ne parlent que l’arabe et qui n’ont aucune connaissance du français auront du mal à accéder à

l’emploi et à s’intégrer économiquement à Bangui. Ils auront tendance à ne tisser des liens

qu’avec les membres de leur communauté qui parlent comme eux l’arabe. Par conséquent, ils

auront du mal à quitter leur communauté pour s’ouvrir aux autres. Ils ne pourront pas étendre leur

champ de réseau. Or, cela est capital pour qui veut accéder à l’emploi lors d’un séjour migratoire.

En effet, c’est en s’appuyant sur un grand nombre de réseaux qu’on peut augmenter ses chances

d’accéder à un emploi rémunéré. En fait, les informations qui sont transmises au sein des réseaux

communautaires concernant les emplois demeurent parfois très limités. Il faut donc aller au-delà

de sa sphère communautaire pour chercher d’autres informations. En fait, on a plus de chance de

décrocher un emploi lorsqu’on est épaulé à la fois par ses hôtes, c’est-à-dire par ses réseaux

communautaires, et par les autres, c’est-à-dire par les réseaux amicaux voire les organisations

spécialisées. En effet, les réfugiés Tchadiens qui ne parlent que l’arabe ne peuvent pas étendre

leurs réseaux puisqu’ils ont un handicap linguistique. Par conséquent, ils seront obligés de ne

compter que sur leurs réseaux communautaires ethniques et familiaux, ce qui diminue leur

chance d’accès à l’emploi à Bangui.

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265

Hypothèse 2 :

Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui ont un faible niveau d’instruction ont une forte

propension à accéder à un emploi rémunéré à Bangui que ceux qui ont un niveau d’instruction

élevé.

L’objectif de tous les migrants quel que soit leur statut, c’est de trouver un emploi rémunéré

dans leur pays d’accueil. C’est le cas notamment des réfugiés présents à Bangui en République

Centrafricaine. En effet, ces derniers sont obligés de chercher un travail rémunéré dès leur arrivée

à Bangui. Car, les aides qu’ils reçoivent généralement de la part des organisations humanitaires

ne peuvent pas couvrir toutes leurs dépenses. Ces aides sont souvent très insignifiantes et parfois

elles ne sont même pas de nature financière. En effet, ces organismes donnent rarement de

l’argent aux réfugiés. Or, les réfugiés ont généralement besoin d’argent pour payer leur loyer,

acheter leur nourriture, contribuer aux frais de scolarité de leurs enfants, payer leur frais de santé.

Les réfugiés ont donc besoin d’un revenu régulier pour faire face à ces innombrables dépenses.

Face au poids des dépenses auxquels ils doivent faire face dans les centres urbains et

notamment au sein de la ville de Bangui, ces réfugiés sont obligés d’accepter n’importe quel

emploi pourvu que celui-ci leur procure une rémunération. Car ils veulent coûte que coûte avoir

une indépendance financière afin de rompre avec le statut « d’assisté » qu’on leur colle

généralement , de vivre à l’aise et dans la dignité comme tout le monde. Par conséquent, ils vont

être moins exigeants sur le marché du travail urbain.

Les réfugiés ou les autres immigrants moins instruits se trouvent être les moins exigeants sur

le marché du travail urbain. Ils acceptent généralement tous les types d’emploi qui se présentent à

eux, des plus précaires aux plus pénibles. En effet, ils savent qu’ils n’ont rien à perdre puisqu’ils

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266

ont un faible niveau d’instruction car, ils ne peuvent pas espérer mieux. Ils savent qu’ils ont

moins de chance d’accéder un emploi qualifié. Ils préfèrent occuper un emploi sous qualifié et

précaire que de rester pendant longtemps sans activité. En effet, les réfugiés comme les autres

immigrants qui ont un faible niveau d’instruction vont être guidés par leur réalisme. Pour ce faire,

ils vont se contenter des emplois précaires. C’est ce qui fait qu’ils accèdent généralement plus

rapidement aux emplois rémunérés que leurs homologues qui ont un niveau d’instruction élevé

dans le contexte migratoire africain. Ils ont généralement un taux d’activité supérieur par rapport

à leurs homologues instruits dès le début du séjour migratoire dans une ville d’accueil.

Par contre, les réfugiés ou les autres immigrants qui ont un niveau d’instruction élevé vont être

plus exigeants sur le marché du travail urbain. Par conséquent, ils ne vont pas accepter facilement

les emplois sous qualifiés, lesquels ne sont pas à la hauteur de leurs qualifications. Ces derniers

restent généralement longtemps inactifs, le temps de trouver un emploi qui correspond à leur

profil. En effet, ces derniers cherchent généralement des emplois qualifiés du secteur formel, bien

sûrs et rémunérés. Par conséquent, ils se voient mal occuper des emplois informels, sous qualifiés

qu’ils trouveront certainement très dévalorisants.

Or, la chance qu’un réfugié ou un autre immigrant a d’occuper un emploi qualifié dès son

arrivée dans une ville d’accueil et notamment à Bangui est généralement très faible. Les premiers

emplois qui s’offrent à ces réfugiés sont généralement sous qualifiés, voire informels. Les

réfugiés ou les immigrants moins instruits ont plus de chance d’accéder à ces premiers emplois

que ceux qui ont un niveau d’instruction élevé parce qu’ils ont moins d’exigence que ces derniers

sur le marché du travail comme on vient de le dire ci-haut.

Par ailleurs, dans la durée, les réfugiés qui ont un niveau d’instruction élevé auront

nécessairement un meilleur niveau d’insertion économique que ceux qui ont un faible niveau

d’instruction. En effet, les réfugiés instruits auront une plus grande chance d’accéder aux emplois

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formels à Bangui à long terme que ceux qui ont un faible niveau d’instruction. La chance d’accès

aux emplois rémunérés qualifiés pour les réfugiés instruits augmente du fait qu’ils ont la capacité

de faire des formations professionnelles complémentaires dans leur pays d’accueil, notamment en

République Centrafricaine. Ces derniers complètent généralement leurs formations initiales avec

des formations spécifiques proposées par des organisations humanitaires dans le pays d’accueil

dans le but d’approfondir leurs acquis ou de se réorienter professionnellement. Or, ce n’est pas le

cas pour les réfugiés qui ont un faible niveau d’instruction. Ces derniers ne peuvent pas

bénéficier des formations intensives organisées par des organisations humanitaires ou des

organismes spécialisés pour augmenter la chance d’accéder aux emplois formels, voire même

informels, parce qu’ils sont pour la plupart analphabètes.

En somme, les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui ont un faible niveau d’instruction

auront plus de chance d’accéder au premier emploi rémunéré au niveau de Bangui que ceux qui

ont un niveau d’instruction élevé. Un premier emploi qui serait davantage sous qualifié. Par

contre, ceux qui ont un niveau d’instruction élevé auront plus de chance d’accéder à un emploi

rémunéré qualifié dans la durée, c’est-à-dire à long terme à Bangui

Hypothèse 3 :

Les réfugiés qui travaillaient habituellement dans leur pays d’origine avant de migrer en

République Centrafricaine sont plus nombreux à accéder à un emploi rémunéré à Bangui que

ceux qui étaient habituellement au chômage ou en inactivité.

Les réfugiés qui travaillaient habituellement dans leur pays d’origine avant de migrer en

République Centrafricaine auront plus de chance d’accéder à un emploi rémunéré au niveau de

Bangui que ceux qui étaient habituellement au chômage pour plusieurs raisons. En effet, les

réfugiés qui avaient l’habitude de travailler dans leur pays ont certainement la maîtrise du

fonctionnement du marché du travail. Ils doivent avoir une bonne connaissance des stratégies à

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268

mettre en place pour décrocher un emploi sur ce marché du travail. Car, s’ils avaient un emploi

dans leur pays d’origine, c’est qu’ils avaient dû mettre en place des stratégies pour avoir cet

emploi, stratégies qui consistent à s’appuyer sur ses réseaux amicaux, familiaux, et religieux pour

trouver un emploi. Car, les informations concernant les offres d’emploi circulent généralement

dans ces types de réseaux dans les pays d’Afrique subsaharienne. En développant une stratégie

axée sur les réseaux, on augmente la chance d’accès à l’emploi formel ou informel dans les pays

d’Afrique noire.

Les réfugiés qui ont l’habitude de travailler dans leur pays d’origine vont certainement utiliser

la même stratégie qu’ils avaient mise en place pour trouver un emploi dans leur pays d’origine

sur le marché du travail de Bangui. Une stratégie, comme on vient de le dire, axée sur les

réseaux. Ayant constaté l’efficacité de cette stratégie dans leur pays, ils vont tout faire pour

étendre leurs champs de réseaux à Bangui. Ils s’ouvriront certainement à d’autres communautés

et particulièrement aux Centrafricains dans le but de tisser des liens et de créer des nouveaux

réseaux amicaux. Il est certain qu’ils s’appuieront sur ces réseaux dans leur démarche de

recherche d’emploi au niveau de Bangui.

Les réfugiés qui travaillaient habituellement dans leur pays d’origine avant de migrer en

République Centrafricaine ont également un autre atout. En effet, ils ont acquis une expérience

professionnelle et une qualification grâce à l’emploi qu’ils occupaient dans leur pays d’origine. Il

est donc plus facile pour eux de se placer sur le marché du travail à Bangui. Ils pourront, lors

d’un entretien avec un employeur à Bangui, valoriser leur expérience professionnelle antérieure.

Ce qui demeure un atout majeur pour eux et bénéfique également pour des éventuels employeurs.

Ces réfugiés peuvent se faire embaucher directement du fait d’être opérationnels

professionnellement. Car, ils ont un savoir-faire professionnel qui peut intéresser bon nombre

d’employeurs du secteur informel tout comme du secteur formel dans la capitale centrafricaine.

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269

Il faut noter, par ailleurs, que les réfugiés qui ont eu à travailler dans leur pays d’origine avant

de migrer en République Centrafricaine ont certainement acquis une certaine habitude

professionnelle. Autrement dit, ils sont habitués au travail. Ils connaissent généralement sa

valeur. Ils savent qu’il procure, en plus d’une rémunération, la dignité à tout être humain. Ayant

connu la valeur du travail dans leur pays d’origine, il sera difficile pour eux de s’en passer même

s’ils se trouvent à l’étranger avec un statut particulier. En effet, être à l’étranger ne va pas, à notre

sens, changer leur vision sur le travail. Ils vont toujours lui accorder une grande importance . Ils

vont tout faire pour décrocher un emploi à Bangui afin de renouer avec leur habitude

professionnelle de jadis, retrouver le niveau de vie qu’ils avaient dans leur pays d’origine et

trouver une certaine dignité. Car le travail a dû permettre à ces réfugiés d’avoir un statut

particulier et privilégié dans leur pays d’origine, un statut qu’ils aimeraient retrouver à l’étranger.

Par conséquent, ces réfugiés vont tout mettre en œuvre pour trouver un emploi à Bangui afin de

retrouver éventuellement le statut qu’ils avaient dans leur pays avant de migrer en République

Centrafricaine.

En revanche, les réfugiés qui étaient habituellement chômeurs ou inactifs (rentiers, malades)

dans leur pays d’origine avant de migrer en République Centrafricaine vont certainement avoir

moins de chance d’accéder à un emploi rémunéré à Bangui que leurs homologues qui

travaillaient régulièrement. En effet, ne travaillant pas régulièrement dans leur pays d’origine, ils

se retrouvent sans expérience professionnelle, sans qualification, voire sans métier. En plus, ils ne

maîtrisent pas nécessairement bien les rouages du marché du travail. Ils ne sauront pas forcement

mettre en place les bonnes stratégies pour décrocher un emploi. En effet, le manque d’expérience

et de qualification, la méconnaissance du fonctionnement du marché du travail, se retrouvent être

des handicaps majeurs, lesquels vont diminuer la chance d’accès à l’emploi rémunéré à Bangui

pour cette catégorie de réfugiés.

Les réfugiés qui avaient l’habitude de travailler dans leur pays avant de migrer en République

Centrafricaine seront forcement plus motivés et plus dynamiques sur le marché du travail à

Bangui que ceux qui étaient habituellement chômeurs ou inactifs dans leur pays d’origine. Ils

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270

avaient certainement plus de contraintes dans leur pays d’origine que leurs homologues qui

étaient habituellement chômeurs ou inactifs. Ils devaient certainement avoir beaucoup de charges

dans leur pays d’origine, car, les personnes qui ont une solvabilité financière, c’est-à-dire celles

qui ont un emploi rémunéré sont celles qui ont généralement le plus de personnes à charge dans

les pays d’Afrique Subsaharienne. Une personne travaille généralement pour plusieurs individus

dans cette partie de l’humanité. Autrement dit, le revenu du travail d’un individu doit permettre

de prendre en charge plusieurs individus. On travaille généralement pour nourrir, non seulement

les membres de sa propre famille, mais également ses parents éloignés. Les réfugiés qui avaient

un emploi rémunéré avaient certainement plusieurs personnes à charge dans leur pays d’origine

du fait de leur statut de salarié. Du coup, ils doivent tout faire pour décrocher un emploi rémunéré

à Bangui afin de continuer à nourrir éventuellement des personnes qui sont restées dans leur pays

d’origine et qui étaient à leur charge ou de payer le voyage à ces personnes avec qui ils ont

certainement un lien de parenté pour les faire venir à Bangui. Le revenu de leur travail leur

permettra certainement de payer ce voyage et de prendre en charge ces personnes dans la durée

au niveau de Bangui.

Hypothèse 4 :

Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui étaient chefs de ménage dans leur pays d’origine

ont plus de chance d’accéder à un emploi rémunéré à Bangui que ceux qui n’étaient pas chefs de

ménage.

Les réfugiés qui étaient chefs de ménage dans leur pays d’origine avaient la responsabilité de

tous les membres de leur ménage. Ils avaient la charge des membres de leur famille et toutes les

autres personnes qui vivaient dans le ménage qu’ils dirigeaient. Les réfugiés qui étaient chefs de

ménage dans leur pays d’origine vont certainement être plus motivés sur le marché du travail de

Bangui que leurs homologues qui n’étaient pas chefs de ménage à cause du poids des charges

qu’ils ont dans leur pays d’origine. Même s’ils choisissent la plupart du temps un membre de leur

famille pour les remplacer pendant leur absence, force est de constater que ces remplaçants ne

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jouent souvent que le rôle de l’autorité morale dans les ménages dans lesquels ils avaient la

responsabilité. La charge économique de ces ménages revient toujours à leurs chefs habituels

quelque soit l’endroit où ils se trouvent. Les migrants qui ont le statut de chef de ménage dans

leur pays d’origine avant le départ en migration doivent tout faire pour décrocher un emploi dans

leur pays d’accueil afin d’avoir une stabilité financière. Car, la vie économique des membres des

ménages dont ils avaient la responsabilité dépend grandement d’eux. Ils doivent envoyer de

l’argent afin de nourrir les personnes dont ils avaient la charge. Les réfugiés qui n’étaient pas

chefs de ménage avant le départ en migration n’ont pas assez de contrainte par rapport à leurs

homologues qui étaient chefs de ménage du fait d’avoir moins de charge dans leur pays d’origine.

Ils vont nécessairement être moins motivés sur le marché du travail que leurs homologues chefs

de ménage lesquels ont grandement besoin d’argent pour nourrir les personnes qui se trouvent

dans les ménages dont ils avaient la responsabilité avant le départ en migration. Les réfugiés qui

étaient chefs de ménage dans leur pays d’origine avant la migration de refuge vont certainement

être plus nombreux à participer à l’activité économique à Bangui que leurs homologues qui

n’étaient pas chefs de ménage à cause du poids des charges qu’ils ont dans leur pays d’origine.

Hypothèse 5 :

Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui sont mariés ou qui vivent en union libre avec

une Centrafricaine ont une forte propension à accéder à un emploi rémunéré à Bangui que ceux

qui sont mariés ou qui vivent en union avec les femmes de leur pays.

Les réfugiés qui sont mariés ou qui vivent en union avec une centrafricaine ont plusieurs

atouts qui peuvent faciliter leur insertion économique à Bangui. Ils peuvent bénéficier des faveurs

des parents de leurs épouses ou compagnes centrafricaines dans leur processus d’insertion

sociale. Ces derniers vont certainement leur ouvrir les portes de certains de leurs réseaux et les

aider à y intégrer. S’ils vont ce geste c’est parce qu’ils ne considèrent plus leurs beaux parents

réfugiés comme des étrangers. Ils les considèrent comme un de leurs. En effet, les réfugiés qui

sont mariés ou qui vivent en union avec une centrafricaine sont liés d’une manière symbolique

avec les parents de leurs épouses ou de leurs compagnes centrafricaines. Ils deviennent en

quelque sorte les membres de la famille de ces dernières. Car l’union matrimoniale unit

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généralement les membres de la famille des époux en Afrique Subsaharienne. Les réfugiés qui

sont mariés ou qui vivent en union avec une Centrafricaine vont bénéficier à la fois des aides des

parents de leurs épouses et de celles des personnes de leurs communauté dans le processus

d’insertion sociale, ce qui va augmenter grandement leur chance d’accès à l’emploi à Bangui à la

différence de leurs homologues qui sont mariés ou qui vivent en union avec les femmes de leurs

pays d’origine qui ont moins de diversité de réseaux. Ces derniers s’appuient généralement que

sur leurs réseaux communautaires dans leur démarche d’accès à l’emploi.

Hypothèse 6 :

Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui ont des enfants à Bangui ont plus de chance

d’accéder à un emploi rémunéré à Bangui que ceux qui n’en ont pas eu.

Avoir des enfants est synonyme d’avoir des charges. Il faut donc avoir de l’argent pour

prendre en charge les innombrables dépenses des enfants. Car il faut les nourrir, les vêtir, les

soigner et les scolariser. Les réfugiés qui ont eu des enfants à Bangui vont être très motivés sur le

marché du travail. Ils vont tout faire pour décrocher un emploi afin d’avoir une stabilité

financière leur permettant de prendre en charge les enfants dont ils ont la charge. Leurs

homologues qui n’ont pas eu d’enfants à Bangui seront nécessairement moins motivés sur le

marché du travail du fait d’avoir moins de contrainte financière. Les réfugiés qui ont connu la

paternité à Bangui vont chercher à participer en grand nombre à l’activité économique à Bangui à

cause de la lourdeur de leurs charges financières et familiales par rapport à leurs homologues qui

ne sont pas pères lesquels n’ont pas une forte contrainte financière et familiale.

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Hypothèse 7 :

Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui sont arrivés à Bangui depuis très longtemps

(depuis plus de cinq ans) ont plus de chance d’accéder à l’emploi rémunéré à Bangui que ceux

qui viennent d’être installés (durée de séjour inférieure à trois ans)

La durée de séjour augmente généralement la chance d’accéder à l’emploi rémunéré lors d’un

séjour migratoire. Car c’est dans la durée que le migrant peut développer ses réseaux sociaux et

maîtriser la langue parlée dans son pays d’accueil. Les réfugiés qui ont duré plus de cinq ans à

Bangui ont certainement la maîtrisé de la langue nationale centrafricaine. Ils ont du également

diversifier leurs réseaux pendant ces cinq années de séjour à Bangui.

Leurs réseaux se trouvent alors être très étendus et au-delà de leurs sphères communautaires.

Leurs réseaux amicaux, sociaux et communautaires se sont donc solidifiés pendant ces quelques

années de séjour. Ils peuvent désormais s’appuyer sur ses réseaux pour décrocher un emploi à

Bangui. Or, ce n’est pas le cas pour les nouveaux réfugiés lesquels doivent apprendre la langue

nationale du pays et chercher à solidifier leurs réseaux afin d’augmenter leur chance d’accéder à

l’emploi.

Hypothèse 8 :

Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui ont un âge moins élevé (Moins de 30ans) ont

plus de chance d’accéder à l’emploi rémunéré à Bangui que ceux qui ont un âge élevé [40ans et

plus [.

L’âge demeure souvent une variable discriminatoire sur le marché du travail. Il est certain que

les réfugiés qui sont jeunes (moins de 40 ans) vont éprouver moins de difficulté à accéder au

marché du travail à Bangui que ceux qui ont un âge élevé (40 ans et plus). Leur force physique et

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274

leur dynamisme leur permettra de se distinguer sur le marché de travail informel. Ils pourront

exercer des métiers pénibles qui nécessitent une grande capacité physique à la différence de leurs

homologues qui ont un âge élevé lesquels auront nécessairement une contrainte physique.

Hypothèse 9 :

Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui ont un emploi rémunéré sont plus nombreux à

accéder au logement à Bangui que ceux qui n’ont pas d’emploi rémunéré.

L’emploi demeure en amont dans tous les processus d’insertion sociale des migrants dans leur

pays d’accueil. L’accès à l’emploi précède généralement l’accès au logement dans un contexte

migratoire. En effet, seuls les migrants qui sont parvenus à avoir une autonomie financière à

travers une activité économique peuvent accéder à un hébergement individuel et acquérir une

autonomie résidentielle. Les réfugiés qui possèdent un emploi rémunéré à Bangui seront

nécessairement les plus nombreux à avoir accès au logement et par conséquent à une autonomie

résidentielle.

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CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE.

La revue de la littérature portée sur la migration et marché du travail en Afrique

Subsaharienne et celle axée sur la problématique d’insertion sur le marché du travail dans les

pays de notre étude nous ont permis de décrire le mode de fonctionnement du marché du travail

des pays africains subsahariens d’une manière générale. On a constaté, à travers les données

quantitatives et qualitatives exploitées, que le marché du travail des pays africains subsahariens a

une logique de fonctionnement qui lui être propre et qui est totalement différente de celle des

pays dits industrialisés. Ce marché du travail repose essentiellement sur le système des réseaux.

Les informations sur les offres des emplois passent rarement dans les agences d’emploi lesquelles

n’existent que par leur simple nom. En effet, les informations sur les offres de l’emploi passent

généralement dans les réseaux dans cette partie du monde. Le recours aux réseaux sociaux

s’impose donc à tous les individus qui veulent s’insérer sur le marché du travail dans les pays

d’Afrique Subsaharienne. Les compétences sont loin d’être la vraie et la seule arme de défense

sur le marché de travail déséquilibré de ces pays africains. Il faut, en plus des diplômes et des

compétences, avoir un solide réseau social .La combinaison de ces deux facteurs augmentent

inéluctablement la chance d’accès à l’emploi. Les réseaux sociaux transcendent tout dans les pays

africains subsahariens. Ils se trouvent même souvent au dessus des institutions. C’est la raison

pour laquelle un grand nombre d’Africains Subsahariens préfèrent se tourner vers cette institution

informelle lors de leur démarche à l’accès à l’emploi plutôt que de compter sur les institutions

formelles.

L’informel se trouve être le noyau du marché du travail des pays africains subsahariens. Le

mode d’entrée sur le marché du travail des pays africains subsahariens repose essentiellement sur

le système informel (les réseaux) comme on vient de le dire et les emplois qui se trouvent dans ce

marché de travail sont aussi d’une manière générale informelle. En effet, plus de trois quart des

Africains Subsahariens exercent dans le secteur non structuré. L’entrée dans ce secteur non

structuré devient de plus en plus difficile à cause du nombre croissant des actifs qui peinent à

trouver de l’emploi dans le secteur structuré et qui sont obligés de se tourner vers le secteur non

structuré pour trouver leur compte. En fait, les gouvernements de ces pays africains fragilisés par

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les crises économiques de ces dernières années éprouvent des réelles difficultés à créer des

emplois dans le secteur formel afin de résorber le problème grandissant de chômage. Les actifs

diplômés et qualifiés qui devraient en principe évoluer dans le secteur structuré et qui n’ont pas

pu trouver leur compte dans le dit secteur se déversent dans le secteur informel pour prendre le

premier emploi qui s’offrent à eux. Le secteur non structuré commence peu à peu à être saturé en

Afrique noire à cause du nombre élevé des actifs qui s’y trouvent.

On ne saurait mettre en place les hypothèses de cette étude sans les informations tirées de cette

revue de littérature. En effet, comme on avait dit plus loin, les hypothèses de cette recherche

découlent en grande partie de la revue de littérature « migration et le marché du travail en

Afrique Subsaharienne » qu’on a longuement développée dans cette partie de thèse.