Université Lyon II
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Laboratoire de Recherche Historique Rhône - Alpes (LARHRA) UMR 5190
THESE
Pour l’obtention du grade de Docteur en DEMOGRAPHIE
Présentée et soutenue publiquement par :
M. Toussaint Aubin BOUTENE
VIE ANTERIEURE, PARCOURS MIGRATOIRE ET INSERTION SOCIO-
ECONOMIQUE DES REFUGIES CONGOLAIS (RDC) ET TCHADIENS
INSTALLES A BANGUI EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
PREMIERE ET DEUXIEME PARTIES (TOME1)
Sous la direction de :
M. Guy BRUNET
Professeur Université Lyon II, membre du LARHRA
Membres du jury :
M. Guy BRUNET Professeur Université Lyon II
M. Christophe BERGOUIGNAN Professeur Université Bordeaux(Rapporteur)
M. Michel ORIS Professeur Université Genève(Rapporteur)
M. Claude PRUDHOMME Professeur émérite
Année 2012-2013
UNIVERSITE LUMIERE, LYON II
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Il y a donc deux sortes de vertu : l’une intellectuelle et l’autre morale. La vertu intellectuelle
tient en majeure partie de l’instruction sa genèse et sa croissance : aussi requiert- elle expérience
et temps. La vertu morale est le résultat de l’habitude, d’où le nom qu’elle a reçu, légère
déformation de celui de l’habitude1.
1 Aristote dans l’Ethique à Nicomaque, livre II.
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DEDICACE
Je dédie cette thèse à mon père Monsieur Augustin BOUTENE, à ma mère Madame Louise
BOUTENE, à mon épouse Madame Léonie BOUTENE, à mon grand-frère Monsieur Eloi
GOSSA-BOUTENE, à ma grande sœur Mademoiselle Marie-Christine BOUTENE, à mon grand-
frère Monsieur Pascal-Isidore BOUTENE, à tous mes neveux et nièces.
Je vous dis un grand merci pour toutes ces années de patience.
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REMERCIEMENTS
Je remercie vivement mon directeur de thèse le professeur Guy BRUNET de m’avoir accordé
sa confiance pendant toutes ces années de recherche. Un grand merci monsieur le professeur pour
votre professionnalisme, pour la rigueur intellectuelle et le sens du travail bien fait que vous
m’aviez transmis tout au long de cette formation doctorale. Par votre professionnalisme, votre
rigueur intellectuelle et votre sens du travail bien fait vous m’avez permis de progresser et
d’atteindre les objectifs que je m’étais fixés.
Je remercie mon épouse Léonie BOUTENE, pour sa patience, ses conseils, ses
encouragements, son soutien moral et psychologique.
Je remercie mon grand-frère Monsieur Eloi - GOSSA- BOUTENE de m’avoir transmis des
valeurs morales à savoir : le respect, l’honnêteté, la vérité et le sens du travail pendant mon
enfance. Merci Yaya Eloi, car c’est grâce à toi que je suis devenu ce que je suis aujourd’hui.
Je remercie Madame Lydie - KAPAWO - MOUKAM, l’épouse de mon grand Eloi GOSSA –
BOUTENE pour ses conseils, sa piété et ses encouragements pendant les moments difficiles.
Je remercie Monsieur et Madame IMGUIBERT pour leur soutien financier, matériel, moral et
psychologique pendant toutes les années de mes études en France.
Je remercie Monsieur Blaise - Bienvenu ALI, directeur technique du BCR (Bureau Central de
Recensement) de la République Centrafricaine pour son professionnalisme et sa disponibilité.
Monsieur ALI, tu as joué un grand rôle dans cette recherche du fait de m’avoir fourni toutes les
données statistiques sur la République Centrafricaine et avoir encadré l’équipe du BCR lors de la
phase finale de l’enquête « migration de refuge ».
Je remercie tous les personnels du BCR de Bangui qui ont participé à l’enquête « migration de
refuge. »
5
Je remercie tous les agents enquêteurs (Madame Lydie KAPAWO – MOUKAM et Messieurs
Rodrigue YABO, Rigobert MOBEYI - NSAMPA, Aristide PANIKA, Edgard ABDELKADER,
Jésus KOITA) avec qui on a travaillé sur le terrain lors du déroulement de cette enquête.
Je remercie Monsieur Antime VOYOUMOKO, statisticien de la CNR (Comité National des
Réfugiés) de Bangui pour son professionnalisme, sa gentillesse et sa disponibilité.
Je remercie tous les personnels de la CNR de Bangui pour leur disponibilité.
Je remercie Madame Laura MICHALON, administratrice chargée des services
communautaires du HCR de Bangui de m’avoir accordé des entretiens malgré ses multiples
occupations.
Je remercie Monsieur Djerassem MBAIOREM, administrateur associé chargé des relations
extérieures et des rapports au HCR de Bangui pour toutes les informations qu’il m’a fournies lors
de nos différents entretiens.
Je remercie tous les bibliothécaires de la Bibliothèque du siège du HCR à GENEVE pour leur
gentillesse, leur disponibilité lors de mon séjour dans cette ville.
Je remercie Monsieur Arnaud BRINGE, chercheur à l’INED (l’Institut d’Etudes
Démographiques) de Paris pour ses conseils en statistique et pour avoir lu et critiqué la partie de
la thèse axée sur la problématique d’insertion économique.
Je remercie Monsieur Hugo LACOUR, statisticien, ressortissant de l’ISUP de Paris, pour ses
conseils en statistique.
Je remercie Monsieur Martin GARNIER pour avoir lu et avoir apporté des critiques à cette
thèse.
Je remercie Monsieur Francky TCHEBEMOU pour ses conseils et son amitié et sa
disponibilité.
Je remercie Monsieur Thierry BISSY pour ses conseils et de sa gentillesse.
6
Je remercie Mademoiselle Patricia NGAYO pour sa sincère amitié, ses conseils, ses
encouragements pendant les moments difficiles.
Je remercie Monsieur Christian - Serge SAUNIE pour sa sincère amitié, ses conseils et ses
encouragements.
Je remercie Monsieur Yangou NINGATA pour ses encouragements et ses conseils.
Je remercie le Père Donatus NDULUO pour ses conseils, ses encouragements et son amitié.
Je remercie le Père Sébastien NGUENGON pour son aide financière, son soutien moral,
psychologique et spirituel.
Je remercie Monsieur Christophe - Richard PAMBOU pour sa compagnie, ses conseils et ses
encouragements pendant les moments difficiles lors de la rédaction de cette thèse.
Je remercie Monsieur Rodrigue Nadot pour son amitié et sa gentillesse.
Je remercie Monsieur Jean-Flaubert Siméon IKOLI pour son amitié et ses encouragements.
Je remercie Monsieur Henri - Paul KONZIVENET pour son amitié.
Je remercie mon beau-frère Monsieur Bruno LE CLERC pour sa gentillesse et son humanité.
Je remercie ma grande-sœur Lucie IFFOLO SANA d’avoir accepté de faire la mise en forme
du manuscrit de cette thèse, pour ses conseils et ses encouragements.
Je remercie Monsieur Mike MAKENZI pour sa sincère amitié, ses conseils et ses
encouragements lors de la rédaction de cette thèse.
Je remercie mon filleul Kenneth Uriel Christopher LAZANGUERE NGOMA et sa maman
Mademoiselle Ramsès II Muriel Stella LAZANGUERE pour la joie qu’ils m’apportent.
Je remercie Monsieur Privat MBO, pour son aide matérielle lors du déroulement l’enquête
migration de refuge.
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Je remercie Monsieur Yann KOYAMBA pour son amitié .
Je remercie vivement tous les réfugiés congolais (RDC) et tchadiens qui ont accepté de donner
des informations sur leur vie si difficile lors du déroulement de l’enquête « migration de refuge ».
Je remercie tous les amis et connaissances qui m’ont aidé de près ou de loin pendant toutes ces
années de recherche dont les noms ne figurent pas dans la liste des personnes que je viens de
citer.
8
SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE .................................................................................................... 11
PARTIE 1 : LE CONCEPT DE « REFUGIE » ET L’HISTOIRE DE LA MIGRATION DE
REFUGE EN AFRIQUE CENTRALE DU XXEME
AU XXIEME
SIECLE.................................... 23
Introduction de la 1ère partie de l’étude. ........................................................................................ 24
CHAPITRE 1 : Définition et Analyse des concepts liés à la Migration de Refuge. ...................... 27
1. Vers une définition détaillée de la migration « forcée » ou de « refuge ». ................................ 27
2. La Controverse autour du Concept de « Réfugié ». ................................................................... 34
3. Doit-on étendre le concept de « réfugié » ? ............................................................................... 51
CHAPITRE 2 : L’histoire de la migration de Refuge en Afrique Centrale au XXème et XXIème
siècle. .............................................................................................................................................. 56
1. La migration forcée en Afrique Centrale pendant la période coloniale. (De 1900 à 1945). ...... 56
2. La migration forcée en Afrique Centrale pendant la période de la décolonisation : De 1945 à
1960. ............................................................................................................................................... 65
3. Les migrations forcées récentes en Afrique CENTRALE : De 1960 à nos jours ...................... 72
3.1 Les chronologies de principales crises sociopolitiques et humanitaires contemporaines dans
quelques pays d’Afrique Centrale. ................................................................................................. 77
3.1.1 Le Burundi. ............................................................................................................................ 77
3.1.2 Le Congo Brazzaville. ........................................................................................................... 79
3.1.3 La République Centrafricaine. .............................................................................................. 81
3.1.4 La République Démocratique du Congo. .............................................................................. 84
3.1.5 Le Rwanda. ............................................................................................................................ 88
3.1.6 Le Soudan .............................................................................................................................. 89
3.1.7 Le Tchad. ............................................................................................................................... 91
9
CHAPITRE 3 : Les Portraits des pays de l’Etude. ....................................................................... 102
1. Le portrait de la République Centrafricaine. ............................................................................ 102
1. 1 La situation sociopolitique et économique de la République Centrafricaine depuis
l’indépendance jusqu’à nos jours. ................................................................................................ 102
1. 2 La situation géopolitique de la Centrafrique et les problèmes des Réfugiés......................... 109
1.2.1 Le programme de rapatriement des Réfugiés. ..................................................................... 115
1.3 Le profil démographique des Réfugiés présents en République Centrafricaine en 2010. ..... 121
1.4 Les organes et les structures d’accueil et d’assistance aux réfugiés en République
Centrafricaine. .............................................................................................................................. 122
1.4.1 Le fonctionnement et l’organisation des organes et des structures nationaux d’accueil et
d’assistance aux réfugiés en République Centrafricaine. ............................................................. 123
1.4.1.1 La Coordination Nationale Pour la Protection du Réfugié (La CNPR). .......................... 124
1.4.1.2 La Commission Nationale Pour les Réfugiés (La CNR). ................................................. 125
1.4.2 Le HCR comme structure d’accueil et d’assistance aux réfugiés en République
Centrafricaine. .............................................................................................................................. 130
2. Le portrait de la République Démocratique du Congo. ........................................................... 136
2.1 La situation sociopolitique de la République la République Démocratique du Congo et la
production des réfugiés. ............................................................................................................... 136
3. Le portrait de la République du Tchad. .................................................................................... 145
3.1 La situation sociopolitique de la République du Tchad et la production des réfugiés. .......... 146
Conclusion de la première partie. ................................................................................................. 157
PARTIE 2 : REVUE DE LA LITTERATURE : MIGRATION ET MARCHE DU TRAVAIL
DANS LES VILLES D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE. .......................................................... 159
Introduction de la deuxième partie. .............................................................................................. 160
CHAPITRE 4 : La revue de littérature sur le fonctionnement du marché du travail dans les pays
de l’étude. ..................................................................................................................................... 168
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1. Insertion sur les marchés du travail dans les pays d’origine et d’accueil des réfugiés congolais
et tchadiens. .................................................................................................................................. 168
1.1 Insertion sur le marché du travail en République Démocratique du Congo et au Tchad. ...... 168
1.1.1 Insertion sur le marché du travail en république Démocratique du Congo. ........................ 168
1.1.2 Insertion sur le marché du travail au Tchad. ....................................................................... 182
1.2 Insertion sur le marché du travail en République Centrafricaine. .......................................... 188
1.2.1 Insertion sur le marché du travail à Bangui, la capitale centrafricaine. .............................. 193
1.2.2 Insertion des immigrants sur le marché du travail en République Centrafricaine. ............. 213
CHAPITRE 5 : La revue de littérature : Migration et matché du travail dans les villes d’Afrique
Subsaharienne. .............................................................................................................................. 219
1. L’insertion économique des migrants étrangers africains en Afrique du Sud du Sahara : Le cas
de quelques villes du Burkina-Faso. ............................................................................................ 222
2. L’insertion économique différentielle des migrants étrangers africains en Afrique du sud du
Sahara : Le cas des étrangers africains installés dans les centres urbains en Côte d’Ivoire. ........ 233
3. L’insertion des migrants africains en Afrique Centrale et des réfugiés urbains en Afrique
Subsaharienne. .............................................................................................................................. 238
3.1 L’insertion économique des migrants étrangers africains en Afrique Centrale : Le cas des
migrants d’origine africaine installés dans les centres urbains au Cameroun. ............................. 238
3.2 La difficile insertion économique des réfugiés urbains en Afrique Subsaharienne : Le cas des
réfugiés installés dans les centres urbains de Benin. .................................................................... 246
3.3 Les hypothèses de Recherche. ................................................................................................ 262
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE ........................................................................... 275
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INTRODUCTION GENERALE
L’Afrique centrale et la région des Grands Lacs sont les régions du continent africain qui sont
les plus touchées par le phénomène de la migration de refuge ces vingt dernières années. Cette
partie de l’Afrique compte à elle-seule plus de 945 000 réfugiés en 2010 alors que les régions de
l’Est de l’Afrique, du Sud de l’Afrique et de l’Ouest de l’Afrique comptent respectivement 779
2000, 143 400 et 149 000 réfugiés à la même année2. Le développement du phénomène de la
migration de refuge en Afrique centrale ces dernières années est dû à l’instabilité sociopolitique
de la majeure partie des pays de cette sous-région de l’Afrique. En effet, la guerre civile du
Burundi de 1993 et le génocide du Rwanda de 1994 se trouvent être en amont des principaux
conflits qui ont paralysé la sous-région d’Afrique centrale ces vingt dernières années. La
conséquence des deux guerres, c’est-à-dire celle de Burundi et celle de Rwandais, fut très lourde
pour leurs voisins Congolais (RDC). Un grand nombre d’individus vont fuir le Burundi et le
Rwanda dans les années 1993-1994 pour aller s’installer dans la région Est de l’Ex-Zaïre. La
présence massive de ces nouveaux réfugiés en provenance du Burundi et du Rwanda dans la
région de l’est de l’ex - Zaïre est loin d’être une source de bénédiction, elle est plutôt une source
de problèmes. En fait, l’arrivée massive des réfugiés, essentiellement en provenance du Rwanda
va compliquer la cohabitation entre les autochtones zaïrois et les Banyarwanda, c’est-à-dire des
Rwandais Hutu et Tutsi installés dans l’ex-Zaïre depuis très longtemps. Les Zaïrois originaires de
la région de l’est de l’ex-zaïre vont peu à peu s’en prendre à la fois aux nouveaux réfugiés
rwandais et aux anciens immigrés rwandais originaires des ethnies Hutu et Tutsi implantés dans
la région depuis fort longtemps 3. Des conflits vont alors surgir autour de ce sujet de cohabitation.
2 UNHCR (2010), Global Trends.
3 La population de l’est de l’actuelle République Démocratique du Congo se méfiait de ces anciens immigrés
rwandais. Les autorités du pays vont même classer les Rwandophones (Hutus et Tutsis) en quatre (4) sous-groupes
en 1996 : 1) Les autochtones d’avant 1885 ; 2) Les transplantés ; 3) Les réfugiés ; 4) Les clandestins. Ces mêmes
autorités vont refuser de délivrer des cartes d’identité aux Banyamulenge naturalisés congolais depuis fort
longtemps. Leur naturalisation est peu à peu remise en question. Lire : RUHIMBIKA M., (2001), Les Banyamulenge
(Congo- Zaïre) entre deux guerres, Paris, Harmattan, p10-109.
12
Car les quelques Rwandais tels que les Banyamulenge, les plus anciennement installés dans la
région de l’est du Zaïre, qui sont ostracisés et rejetés par la population zaïroise avec laquelle ils
ont vécu depuis des longues années, vont prendre les armes pour entrer en rébellion contre le
pouvoir de Kinshasa. Ce fut donc le début du conflit du Zaïre.
Les rebelles banyamulenges vont s’organiser dans une structure appelée Alliance des Forces
Démocratiques pour la Libération du Zaïre (AFDL) cordonnée et dirigée par un certain Laurent
Désiré Kabila. Soutenue par les troupes venues du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi, l’AFDL
de Laurent Désiré Kabila va faire chuter le puissant régime du président Mobutu en 1997.
Le conflit de l’Est de l’ex-Zaïre va se déplacer dans la région du nord de l’actuelle République
Démocratique puis en République Centrafricaine. En effet, afin de combattre le nouveau régime
de Laurent Désiré Kabila, Jean Pierre Bemba, un proche cousin de Mobutu, le président déchu,
va fonder un mouvement rebelle qu’il baptise MLC (Mouvement de Libération des Congolais)
dans les années 1998. Les rebelles de MLC de Bemba vont déstabiliser la région du nord de
l’actuelle République Démocratique du Congo, entre 1998-2001. Ils ont été à l’origine des
pillages, des viols, des massacres et des actes de barbarie de tous genres. Ces rebelles vont
commettre les mêmes atrocités en République centrafricaine lorsqu’ils sont partis soutenir le
régime de l’ancien président centrafricain, Ange Félix Patassé, fragilisé par les mutineries et
quelques coups d’état orchestrés par quelques soldats hostiles à son régime. Des milliers de
Congolais (RDC) vont fuir la région de l’Equateur, gouvernée par les rebelles de Bemba, pour se
réfugier en République centrafricaine dans les années 2001.
En effet, la République Centrafricaine est un pays d’Afrique Centrale qui est située au nord de
la République Démocratique du Congo et de Congo-Brazzaville, à l’est du Cameroun et à l’ouest
du Soudan. Elle s’étend sur 623 000 kilomètres carrés. C’est un pays enclavé qui n’a pas
d’ouverture sur la mer. C’est un pays pauvre et sous-développé. Son économie repose
essentiellement sur le secteur primaire agricole. Les Nations Unies avaient classé la République
centrafricaine au 169ème mondial sur 177 parmi les pays les plus pauvres du monde selon le
rapport de Programme des Nations Unies pour le Développement de 2004. En effet, 50,3% des
13
ménages centrafricains sont pauvres. Il s’agit ici de la pauvreté d’existence et non de la pauvreté
monétaire4. La population de la République centrafricaine s’élevait à 3 895 139 habitants en
2003, la date du dernier recensement général de la population et de l’habitation. 62% de cette
population vit dans les zones rurales contre 37,9% qui vivent dans les zones urbaines5. La ville de
Bangui, la capitale centrafricaine concentre environ 16% de la population totale du pays. Sa
population s’élevait à 622 771 en 2003. La population de la République Centrafricaine est
davantage jeune. En effet, l’âge moyen de cette dite population oscille autour de 22 ans selon les
données du dernier recensement général de la population6.
La situation géopolitique de la République Centrafricaine fait qu’elle est confrontée au
problème des réfugiés, car elle est frontalière avec des pays de conflits tels que la République
Démocratique du Congo, le Tchad, le Congo-Brazzaville et le Soudan. Le problème de la gestion
des flux des réfugiés s’est véritablement posé à la République Centrafricaine vers la fin des
années 1960 lorsqu’elle a accueilli pour la première fois sur son territoire un nombre important de
réfugiés Soudanais 7. Ces réfugiés, hommes, femmes et enfants étaient au nombre de 27 000. Un
grand nombre d’entre eux étaient installés dans le nord du pays. Après la vague des réfugiés
Soudanais de l’année 1967, vient celle des Tchadiens des années 1980. Des milliers de Tchadiens
vont fuir la guerre civile qui a paralysé leur pays en 1979 pour se réfugier en République
Centrafricaine. On estimait à près de 27 000 ces réfugiés Tchadiens, lesquels étaient répartis au
nord du pays et dans la capitale, Bangui. La crise rwandaise de 1994 n’a pas eu des conséquences
que sur la population de l’est du Zaïre comme on vient de le dire. Force est alors de constater que
la conséquence de cette crise rwandaise s’est fait sentir jusqu’en République Centrafricaine. Car
la Centrafrique était contrainte d’accueillir sur son territoire les Rwandais victimes de la guerre
4 République Centrafricaine (2003), Recensement Général de la Population et de l’Habitation (RGPH).
5 Ibid.
6 Nous allons présenter la République Centrafricaine avec plus de détails dans le chapitre 3 de cette étude
intitulée le portrait des pays de l’étude.
7 Ligue des Sociétés de la Croix Rouge (1967), Réinstallation des réfugiés soudanais en République
Centrafricaine, rapport de mission, octobre-décembre 1967.
14
civile de 1994. La plupart de ces réfugiés rwandais sont arrivés en République Centrafricaine en
1994 presque au même moment que leurs homologues Congolais de Brazzaville, lesquels ont
aussi fui la guerre civile survenue dans leur pays en 1993 pour se réfugier en grand nombre en
République Centrafricaine. L’important flux des réfugiés qui est arrivé sur le territoire
centrafricain entre 2000-2010 est celui des Congolais (RDC) et Soudanais. Les Congolais (RDC)
sont au nombre de 6 000 à avoir fui les troubles de la région de l’Equateur pour se réfugier en
République Centrafricaine dans les années 2001. Quant aux Soudanais qui ont demandé l’asile en
République Centrafricaine au début des années 2000, ils sont très nombreux avoir quitté leur pays
à cause de la crise du Darfour. La population des réfugiés qui réside en République
Centrafricaine en 2010 est composée, de Congolais (RDC), de Tchadiens, de Soudanais, c'est-à-
dire des ressortissants des pays post-conflits et des ressortissants des pays tels que la Côte
d’Ivoire et des autres pays stables d’Afrique tels que le Cameroun, le Togo…
Les réfugiés qui arrivent en République Centrafricaine ne vivent pas que dans les camps dans
les zones rurales, comme c’est souvent le cas. Un grand nombre d’entre eux se dirigent dans la
capitale, Bangui. On constate un accroissement du nombre des réfugiés urbains ces dernières
années en Afrique Centrale. Le HCR estimait à près de 140 000 le nombre de réfugiés urbains en
Afrique Centrale en 2006, soit 8% de l’ensemble des réfugiés installés dans cette dite région cette
même année. Selon cette institution onusienne, 78% de ces réfugiés urbains sont installés
principalement dans les capitales des villes de leur pays d’accueil8. Ce fut le cas de la capitale
centrafricaine, Bangui. En effet, on estime à 6 166 le nombre de réfugiés et demandeurs d’asile à
Bangui en 2010, soit 27% de la population des réfugiés et demandeurs d’asile installés sur
l’ensemble du territoire centrafricain en 2010. Les réfugiés qui choisissent de vivre dans les zones
urbaines et dans une moindre mesure dans les capitales africaines comme ce fut le cas de Bangui,
ont espoir de trouver du travail dans ces capitales qui sont souvent des grands pôles économiques.
Un certain nombre d’eux décident même souvent de vivre d’une manière définitive dans ces
zones urbaines parce que les conflits qu’ils ont fui perdurent, leur pays d’origine a souvent du
88 UNHCR (2006), Statistical yeabook, http:// www.UNHCR.ORG/statistics/STATISTICS/478cda572.htmlvisité
le 05/10/2010.
15
mal à se stabiliser socialement et politiquement à l’issue de ces longues années de conflit. Le
HCR qui opte de plus en plus pour l’intégration locale en facilitant la naturalisation dans le pays
d’accueil, va encadrer ces réfugiés qui choisissent de s’installer d’une manière temporaire ou
définitive dans leur pays d’accueil dans leur processus d’insertion socioprofessionnelle.
Le problème d’intégration de ces nouveaux réfugiés urbains va se poser à la fois au HCR et
aux gouvernements des pays d’accueil de ces réfugiés. Un pays, tel que la République
centrafricaine, qui est fragilisé économiquement depuis plus de trente ans aura nécessairement du
mal à mettre en place des structures adéquates pour prendre en charge les réfugiés urbains dont le
nombre croît de plus en plus sur son territoire.
En effet, l’économie de la République Centrafricaine, comme pour celle de bon nombre des
pays d’Afrique Subsaharienne, s’est fragilisée depuis les années 1970 suite à la chute des prix des
matières premières sur le marché international. Beaucoup d’entreprises implantées en République
Centrafricaine spécialisées dans la transformation des produits agricoles (coton, café) n’ont pas
pu résister à la crise des années 1970. La conséquence de cette crise fut dramatique, car elle a été
à l’origine de la destruction de dizaines de milliers d’emploi au niveau national en général et dans
la capitale en particulier. Après la crise économique due à la chute des prix des matières
premières agricoles vint ensuite l’ère du programme d’ajustement structurel. En effet, la politique
d’ajustement structurel imposée par la Banque Mondiale aux pays africains afin d’assainir leur
économie a eu des impacts néfastes sur le fonctionnement de l’économie de ces pays.
L’économie de la République centrafricaine fut affectée au même titre que celle des autres pays
d’Afrique Subsaharienne dans les années 1990, période pendant laquelle le programme
d’ajustement structurel régna dans les instances financières africaines. En effet, la République
Centrafricaine était obligée de consacrer à la fin des années 1990 plus de 50% de ses recettes
financières au remboursement des dettes qu’elle avait contractées auprès des institutions
internationales 9. Cette situation la met dans une situation très inconfortable en matière de
9 Banque Mondiale et BEAC (2010), in rapport annuel de la zone Franc, Bangue de France, p192.
16
trésorerie, sa marge de manœuvre financière se trouve alors être très réduite si bien qu’elle ne
peut pas soutenir ni les entreprises publiques ni les entreprises privées. Or, ces entreprises ont
besoin des capitaux nécessaires pour de se développer et créer suffisamment d’emplois.
Les crises sociopolitiques des années 1996-1997 (trois mutineries)10
et celles de 2001 et 2003
(deux coups d’état) sont encore venues mettre à terre l’économie du pays. En effet, la population,
surtout celle vivant dans la capitale, a pillé et détruit les quelques infrastructures économiques
existantes. La population de Bangui a donc détruit le bassin d’emplois à l’issue de ces différentes
crises militaires et sociopolitiques. Le marché de l’emploi de Bangui s’est davantage rétréci
depuis les trois mutineries et les coups d’état de 2001 et 2003. Les quelques offres d’emploi
disponibles ne suffisent plus à résorber le problème grandissant de chômage dans la capitale
centrafricaine. A noter que plus de 18% de la population active de la capitale centrafricaine sont
au chômage selon le dernier recensement général de la population 11
. Ce qui signifie qu’il existe
réellement une vive tension sur le marché de travail de la capitale centrafricaine. Les sous-
emplois et les emplois informels ne font que se développer dans cet espace urbain, conséquence
de la pénurie des emplois formels disponibles. En effet, le taux de sous-emploi s’élevait à 75,3%
dans les zones urbaines centrafricaines en 2005 selon le Programme des Nations Unies pour le
développement12
. Ce qui signifie que 75,3% des actifs vivant dans les zones urbaines
centrafricaines et notamment à Bangui, la capitale, gagnent moins que le revenu salarial
minimum qui est de l’ordre de 17 850 F CFA en République Centrafricaine , soit 27,25 euros. On
peut dire que les actifs de Bangui, tout comme ceux d’autres zones urbaines centrafricaines,
10 La République Centrafricaine a subi trois mutineries en 1996 (le 30 avril, le 30 mai et le 15 novembre) Source :
Sangonet.com/afriqg/PAFF/Dic/8Cinstitutions.htm visité le 14/01/2013.
11 Ce chiffre semble sous-estimer l’ampleur du chômage dans la capitale centrafricaine. A vrai dire, le taux
chômage est nettement supérieur à 18% à Bangui. Un grand nombre d’individus qui sont au chômage ne seraient pas
comptabilisés lors de la dernière opération de collecte des données
12 Aho G., et Brisson – Lamaute (2005), Emploi, chômage et pauvreté dans les grands centres urbains de la
République Centrafricaine, PNUD, Bangui.
17
éprouvent des réelles difficultés pour s’insérer sur le marché du travail au vu des statistiques
qu’on vient de présenter
Effectivement, l’insertion sur le marché du travail de Bangui devient de plus en plus difficile
pour les populations locales , pour les migrants qui viennent des zones rurales confrontées au
problème de chômage de masse dans leur région d’origine suite à la fermeture d’ un grand
nombre d’usines agricoles , et pour les immigrés venus principalement des pays frontaliers
(Congo RDC ; le Tchad , le Soudan ).
Au problème d’emploi, s’ajoute celui du logement. En effet, le gouvernement centrafricain n’a
pas suffisamment les moyens pour construire des logements sociaux destinés aux populations
vulnérables telles que les réfugiés. Tout cela pour dire que la République Centrafricaine ne
dispose pas suffisamment d’emplois ni de logements pour offrir aux réfugiés urbains qui se
trouvent en grand nombre dans la capitale, Bangui.
Il demeure alors important pour ces réfugiés urbains de mettre en place des stratégies afin de
décrocher un emploi et un logement à Bangui du fait qu’ils ne peuvent pas compter sur le
gouvernement centrafricain qui a même du mal à insérer professionnellement sa propre
population. Mais quelles stratégies les réfugiés peuvent-ils mettre en place ? Vont-ils s’appuyer
sur les réseaux sociaux (communautaires, amicaux, familiaux, ethniques religieux) pour
décrocher un emploi ou un logement à Bangui ou vont-ils davantage s’appuyer sur le HCR ?
Peuvent-ils réellement se distinguer sur le marché de travail de Bangui dans lequel il existe déjà
une vive tension ? La chance d’accéder à un emploi à Bangui est-elle fonction de la nationalité
des réfugiés, de leur capital humain avant la migration, de leur niveau d’instruction ou de leur
situation familiale avant et pendant la migration ? Nous essaierons de répondre à toutes ces
questions au sein de cette étude. A noter que nous n’allons pas étudier l’ensemble de la
population des réfugiés urbains se trouvant sur le territoire centrafricain. Notre étude se limite
18
seulement à la population des réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens installée à Bangui, la
capitale centrafricaine 13
.
Les objectifs de cette étude sont les suivants : Il s’agit de :
Décrire la vie socio-économique des réfugiés congolais (RDC) et tchadiens dans leur pays
d’origine, c’est-à-dire avant la migration.
Décrire le parcours migratoire des réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens.
Décrire le processus d’insertion économique et sociale des réfugiés Congolais (RDC) et
Tchadiens installés à Bangui en République Centrafricaine.
Analyser les stratégies mises en place par ces réfugiés pour décrocher un emploi à Bangui.
13 Nous nous sommes limités à ces deux nationalités dans le cadre de cette étude pour quatre raisons : 1) Les
réfugiés Congolais (RDC) et les réfugiés Tchadiens sont les plus nombreux dans la population des réfugiés installée
à Bangui en 2010 ; 2) La migration des réfugiés tchadiens en direction de Bangui est plus ancienne par rapport à
celle de leurs homologues Congolais (RDC). ; 3) Les Tchadiens sont davantage musulmans à la différence des
Congolais (RDC) qui sont majoritairement chrétiens.4) Les Tchadiens viennent d’un pays dans lequel on parle à la
fois l’Arabe et le Français alors qu’il ya qu’une seule langue officielle en République Démocratique du Congo, le
français. Tous les éléments qu’on vient de décrire sont importants dans une étude comparative. La question qu’on
peut se poser est de cette nature : La bonne intégration sociale ou économique de telle ou telle population de réfugiés
à Bangui s’explique-t-elle par rapport à leur appartenance religieuse proche de celle de la population du pays
d’accueil ? , Par rapport à l’ancienneté de leur présence sur leur territoire d’accueil ? Par rapport à la similitude entre
les langues officielle et nationale de leur pays d’origine avec celles du pays d’accueil ? La population des réfugiés
congolais (RDC) et celle des réfugiés tchadiens semble être un bon cas de figure pour une étude comparative
puisqu’elle se distingue par rapport à leur appartenance religieuse, par rapport à leur histoire migratoire avec la
République centrafricaine, par rapport à leurs connaissances linguistiques.
19
Présenter les secteurs d’activités économiques dans lesquels évoluent les réfugiés
Congolais (RDC) et Tchadiens installés à Bangui en République Centrafricaine.
Mesurer la mobilité résidentielle des réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens installés à
Bangui.
Mesurer l’insertion économique et sociale des réfugiés installés à Bangui en République
Centrafricaine dans sa globalité.
Nous avons conçu une enquête dans le cadre de cette étude afin d’avoir des données fiables
nous permettant de mesurer l’insertion socio-économique des réfugiés Congolais et Tchadiens
dans leur ville d’accueil. Cette enquête est de « type biographique » du fait que la majeure partie
des questions posées dans le questionnaire de la dite enquête est rétrospective. Nous avons
baptisé notre enquête « Enquête migration de refuge ». L’échantillon de l’enquête migration de
refuge est constitué de 312 individus de sexe masculin14
âgé de 10 ans et plus.
L’enquête migration de refuge est structurée en trois modules :
1) Les questions posées dans le premier module touchent la vie socio-économique des
réfugiés dans leur pays, c’est-à-dire avant la migration de refuge.
2) Les questions du deuxième module concernent exclusivement le parcours migratoire de ces
réfugiés, c’est -à-dire leur parcours migratoire avant la migration de refuge et le parcours de leur
14 Nous avons interviewé uniquement les hommes dans le cadre de cette enquête parce que nous estimons qu’il
n’est pas nécessaire de poser des questions à des femmes pour avoir des informations sur la problématique
d’insertion économique et résidentielle dans les pays d’Afrique Subsaharienne. Car malgré l’émancipation de la
société africaine noire et l’élévation du niveau d’éducation des femmes africaines ces dernières années, les hommes
prédominent toujours sur le marché du travail dans les pays d’Afrique Subsaharienne. Il est donc plus intéressant
d’interroger les hommes lorsqu’on veut faire une étude sur la problématique d’insertion économique en Afrique
noire. Les femmes sont aussi peu concernées par le problème d’insertion résidentielle en Afrique Subsaharienne. En
effet, elles sont le plus souvent hébergées par leurs maris dans cette partie du monde. Nous jugions moins important
d’interroger les femmes lors de l’enquêté migration de refuge car, celle-ci porte en grande partie sur la problématique
d’insertion économique et résidentielle. Les hommes qui sont les plus nombreux à être concernés par le problème
d’emplois et de logement en Afrique peuvent nous fournir des informations dont nous avons besoin pour cette étude.
20
voyage en direction de Bangui, leur ville d’accueil. Enfin les questions du dernier module
touchent principalement la situation socioprofessionnelle des réfugiés Congolais (RDC) et
Tchadiens au moment de l’enquête (leur vie familiale, leur insertion résidentielle et
professionnelle à Bangui). L’enquête migration de refuge s’est déroulée à Bangui en avril 2010.
Les données de cette enquête seront analysées d’une manière descriptive dans l’ensemble.
Toutefois, les thèmes concernant l’insertion résidentielle (passage de l’état d’hébergé à l’état de
non hébergé) et de l’emploi seront analysés d’une manière longitudinale. Le modèle de
régression logistique sera appliqué également dans la partie concernant l’insertion économique. A
noter que la variable dépendante de l’étude (emploi à Bangui) est dichotomique.
Nous avons aussi utilisé d’autres données, hormis celles de notre enquête, dans le cadre de cette
étude. Les principales données que nous avons utilisées en plus de celles de notre enquête sont
celles des trois recensements généraux de la population de la République centrafricaine (RGPH1,
RGPH2, RGPH3), réalisées respectivement en 1975, en 1988 et en 2003, celles de l’enquête 1.2.3
réalisée en République Démocratique du Congo entre 2004-2005, celles de l’enquête sur l’emploi
et le secteur informel au Cameroun réalisée par le service de la statistique du Cameroun en 2005,
celles de l’enquête sur les conditions de vie auprès des ménages urbains en République
Centrafricaine réalisée par le PNUD en 2005, celle de l’enquête sur la problématique d’insertion
professionnelle des réfugiés dans quelques villes du Bénin réalisée par le BIT et les différentes
données des rapports d’activité, des tableaux synoptiques du HCR et de la CNR .
Notre étude est structurée en trois grandes parties qui sont les suivantes :
1) La première partie de notre étude est intitulée : « le concept de réfugié et l’histoire de la
migration de refuge en Afrique centrale du XXème au XXIème siècle ». Il s’agit d’analyser
l’évolution du concept de réfugié et de faire un bilan sur l’histoire de la migration de refuge en
Afrique centrale avant et après les phases de la colonisation. La première partie de cette étude est
composée de trois chapitres. a) Le premier chapitre aborde la question relative au concept de
réfugié. b) le second chapitre est consacrée à l’histoire la migration de refuge en Afrique centrale
du XXème au XXIème siècle et c) le troisième chapitre intitulé « portraits des pays de l’étude »
donne des détails sur la situation sociopolitique des pays d’origine des réfugiés soumis à cette
21
étude ainsi que celle de leur pays d’accueil, la République Centrafricaine. La problématique sur
les causes de la migration de refuge en Afrique centrale pendant la période contemporaine est
largement développée dans ces trois chapitres.
2) La deuxième partie de l’étude intitulée : « revue de littérature : migration sur le marché du
travail dans les pays d’Afrique Subsaharienne » aborde la question relative au fonctionnement du
marché de travail en Afrique Subsaharienne dans sa globalité et présente les conditions
permettant de s’insérer sur ce marché du travail. Cette seconde partie de l’étude est subdivisée en
deux chapitres.
a) Le premier chapitre est consacrée revue à la revue de littérature sur le
fonctionnement du marché de travail dans les pays de l’étude.
b) Le second chapitre, quant à lui, aborde la revue de littérature sur la migration et le
marché du travail dans les villes d’Afrique Subsaharienne.
3) La troisième partie de l’étude concerne exclusivement les données de l’enquête migration de
refuge. Elle est intitulée : « Présentation de l’enquête migration de refuge et de ses résultats.».
Elle est composée de six chapitres. Le premier est consacré à la présentation de Bangui et à celle
des réfugiés (profil démographique et la localisation des réfugiés à Bangui), le second chapitre est
consacré à la présentation de l’enquête migration de refuge, le troisième aborde la question
relative à la vie socio-économique des réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens avant la migration
de refuge, le quatrième chapitre traite des questions relatives au parcours migratoire des réfugiés
(leur migration avant celle de refuge en République Centrafricaine, le parcours de leur voyage en
direction de Bangui), le cinquième chapitre aborde les questions relatives à la situation sociale
des réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens lors de leur arrivée à Bangui (les premières structures
d’accueil, leur mode de logement à l’arrivée, leur mode de prise en charge à l’arrivée, la taille de
leur ménage à l’arrivée). Enfin le dernier chapitre traite des questions relatives à la situation
socio-économique des réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens au moment de l’enquête, c’est-à-
dire en 2010 (leur situation familiale, leur insertion résidentielle et leur insertion économique). En
somme, cette étude est constituée de onze chapitres.
22
Si nous avons choisi d’étudier en profondeur la problématique d’insertion socio-économique
des réfugiés urbains dans le cadre de cette étude doctorale, c’est pour les raisons suivantes :
La problématique d’insertion socioprofessionnelle des réfugiés urbains est
rarement étudiée en Afrique. Il n’y a presque pas de littérature sur cette
problématique.
Les travaux portant sur la problématique d’insertion des immigrants africains
dans leur pays d’accueil (Afrique) sont également rares.
Nous estimons que notre étude peut apporter de nouveaux éléments à la communauté
scientifique , surtout à celle qui s’intéresse à la problématique d’insertion urbaine en Afrique en
général et à celle des réfugiés urbains en particulier surtout que celle-ci présente un caractère
original , car les données de l’enquête que nous avons conçues pour mesurer l’insertion socio-
économique des migrants réfugiés à Bangui permettent non seulement de donner des
informations sur la vie actuelle des réfugiés mais également sur leur vie antérieure dans leur pays
d’origine avant la migration. Une telle information est capitale pour qui veut intégrer le réfugié
dans son pays d’accueil. En effet, la connaissance de la vie antérieure du réfugié peut être un
atout pour les organismes qui s’intéressent à la question d’intégration sociale des réfugiés. Ceux-
ci pourront orienter ces réfugiés en fonction de leur acquis professionnel antérieur. Ils pourront
alors considérer le réfugié comme un être humain normal, c’est-à-dire celui qui avait une vie
familiale, un emploi, une vie sociale épanouie dans son pays d’origine avant de connaitre les
tristes conditions de vie en exil. La connaissance de la vie antérieure du réfugié à travers les
données d’une enquête, permet de lui prendre davantage en considération et de faire l’impasse sur
les préjugés qu’on porte généralement sur lui. Ainsi, notre étude ’intéressa, non seulement des
scientifiques, mais également des institutions qui s’occupent des problèmes des migrants en
général et des réfugiés en particulier (le HCR…).
23
PARTIE 1 : LE CONCEPT DE « REFUGIE » ET
L’HISTOIRE DE LA MIGRATION DE REFUGE EN
AFRIQUE CENTRALE DU XXEME
AU XXIEME
SIECLE.
24
INTRODUCTION DE LA 1ERE PARTIE DE
L’ETUDE.
Nous allons nous appuyer sur les données historiques pour décrire et analyser l’histoire de la
migration de refuge en Afrique Centrale pendant la période du XXème
et XXIème
siècles dans la
partie de cette étude.
Les questions centrales auxquelles nous allons répondre sont les suivantes : L’Afrique
Centrale du XXème
et XXIème
siècles a-t-elle connu une migration de refuge d’une grande
importance ? Et si c’est le cas, quels sont les éléments qui seraient à l’origine de cette migration
de refuge ? L’intensité de cette migration varie-t-elle en fonction des contextes historiques et
géographiques ? Comment peut-on évaluer l’évolution de cette migration dans le temps ? Telles
seront nos interrogations tout au long de cette partie d’étude.
Mais comment décrire un phénomène tel que la migration de refuge sans se préoccuper au
préalable de sa définition ou des concepts qui la caractérisent ? Autrement dit, comment décrire
un phénomène sans définir le phénomène proprement dit ? Qu’est-ce qu’une migration de refuge
ou encore une migration dite forcée ? Quels sont les éléments qui la caractérisent ? Qu’est-ce qui
différencie cette migration des autres types de migration ? Qu’est-ce qu’un réfugié ? Quels sont
les textes juridiques qui encadrent ce concept de réfugié ?
En effet, la définition des concepts au préalable d’un travail de recherche est avant tout un
exercice méthodologique. Et celui-ci a préoccupé, pendant longtemps, un grand nombre de
penseurs ou spécialistes des Sciences Sociales ; surtout Emile Durkheim. Pour lui : « La première
démarche du sociologue (On suppose qu’il fait allusion aux spécialistes des autres disciplines de
25
Sciences Sociales) doit donc être de définir les choses dont il traite, afin que l’on sache et qu’il
sache bien de quoi il est question »15
.
En fait, Durkheim propose ici une orientation méthodologique à tous les chercheurs en
Science Sociales à partir de l’expression : « définir les choses dont il traite ». Son souci majeur
réside dans la problématique de la formulation des objectifs de recherche.
En effet, la bonne définition « des choses », des sujets de recherche ou encore des objectifs de
recherche, dont parle Durkheim, doit aussi passer inéluctablement par la définition des mots
contenus dans « ces choses » ou encore dans ces sujets d’étude et qui les rend parfois obscurs. Il
s’agit alors de définir ces concepts parfois savants et obscurs avec des mots simples et accessibles
à tous.
Autrement dit, la définition des concepts clés d’un sujet de recherche permet de clarifier celui-
ci afin de le rendre accessible à un large public au-delà de la communauté scientifique car, le
résultat d’une recherche est en principe la réponse à un problème de société. Ceci dit, il doit être
diffusé au maximum. En effet, les mécanismes sociaux découverts à travers ces recherches
scientifiques ne doivent pas rester cantonnés dans les livres et n’être lus que par les spécialistes16
.
Il demeure alors important pour nous de définir les concepts ou encore les mots clés contenus
dans notre thème de recherche au début de cette étude. Il s’agit des concepts suivants : migration,
refuge, réfugié, asile, déplacé qui, dans l’imaginaire collectif, semblent parfois simples et
maîtrisés. Or, ces mots « migration, refuge, réfugié, asile, déplacé » prononcés et utilisés
habituellement au quotidien par tout le monde dans la société, sont très complexes dans la réalité.
C’est la raison pour laquelle, on fait généralement appel à beaucoup de notions pour les définir.
15 Durkheim E., (1988), les règles de la méthode sociologique, PUF. Op.cit. p34.
16 Christin O., et Champagne P., (2004), Mouvement d’une pensée Pierre Bourdieu, Bordas, p196.
26
La première partie de cette étude consacrée à la description de l’histoire de la migration de
refuge en Afrique centrale au XXème et XXIème siècles va se présenter comme suit :
1) Un premier chapitre sera consacré exclusivement à la définition et à l’analyse des concepts
liés à la migration de refuge dans sa généralité.
2) Un second chapitre sera consacré à l’analyse historique de la migration de refuge en
Afrique centrale du XXème au XXIème siècle.
3) Enfin, un dernier chapitre, axé sur les portraits des pays d’étude, va clore la première partie
de cette étude.
27
CHAPITRE 1 : DEFINITION ET ANALYSE DES
CONCEPTS LIES A LA MIGRATION DE REFUGE.
1. VERS UNE DEFINITION DETAILLEE DE LA MIGRATION
« FORCEE » OU DE « REFUGE ».
La littérature scientifique nous présente souvent un panel de phénomènes dits migratoires qui
sont souvent classés selon des typologies pour une meilleure lisibilité et compréhension17
. Ces
typologies donnent souvent une vision dualiste dans l’appréciation de ces phénomènes
migratoires. On cherche par exemple à opposer des migrations dites anciennes ou archaïques aux
migrations dites modernes ; des migrations agricoles, des migrations du travail ; des migrations
spontanées, des migrations organisées ou planifiées en élucidant, malgré tout, les éléments
particuliers qui caractérisent chacun de ces phénomènes migratoires 18
. En effet, les migrations
spontanées seraient donc du type traditionnel ou précolonial, alors que les mouvements des
peuples dirigés, orientés, ou planifiés, seraient du type colonial ou postcolonial19
.
17 RAISON J-P (1968, 1973) ; REMY G(1973) et AMIN S (1974).
18 AMSELLE J-P (dir)., (1976), Aspects et significations du phénomène migratoire en Afrique, in les migrations
africaines, Op Cit . p 12.
19 Ibid. p24.
28
S’agissant de la migration de refuge, sur quelles bases se fonde-t-on pour la définir ? Ces
critères de définition sont-ils universels ? Quels sont les éléments qui la caractérisent
effectivement ?
En effet, « la migration de refuge peut être définie comme une migration ou un déplacement
sous contrainte »20
. Car migrer, c’est se déplacer, c’est-à-dire quitter un lieu pour en atteindre un
autre. Ce déplacement est qualifié de sous contrainte parce qu’il est involontaire, c’est-à-dire
contraire à la volonté du migrant.
Une migration de refuge est une migration forcée, c’est-à-dire des mouvements et des
déplacements de population contraints. Les causes de cette migration forcée demeurent
innombrables. Il peut s’agir de fuites et déplacements de grande ampleur survenus en réponse à
des contextes aigus de crises, de violence politique le plus souvent, mais aussi famine et
épidémie, catastrophe ou destruction environnementale, en cas d’intervention coercitive de
l’Etat21
.
En effet, l’analyse de la mobilité forcée nécessite une prise en compte du vécu de deux
groupes de population qui sont considérés directement par ce type de migration. Nous voulons
parler ici des déplacés et des migrants forcés. On remarque que les déplacés ont moins de
contraintes, ont une grande marge de manœuvre, se déplacement, font un mouvement
contrairement aux migrants forcés qui ont plus de pression, n’ont quasiment pas de liberté, ont un
choix très limité lors de leur prise de décision de départ lors la survenance d’une situation de crise
qui nécessite un départ immédiat ; un départ en urgence.
20Lassailly-Jacob V., (1999) les déplacés et réfugiés- la mobilité sous contrainte, p 13
21Ibid. p 27
29
En effet, « les migrants forcés » fuient la violence menaçant leur sécurité ou bien quittent un
environnement dont les ressources ne sont pas suffisantes pour assurer leur survie22
.
Il est certain que lorsque le migrant est en face d’une situation qui met sa vie en danger, il ne
lui reste qu’une seule et dernière issue : celle de partir dans un lieu sûr afin de sauver sa vie. Cette
situation qui nécessite un départ de toute urgence peut être illustré par cette phrase qui aurait été
prononcée par un éleveur malien fuyant en 1993 la région de Tombouctou pour échapper aux
représailles de l’armée : « Il faut partir, vite. Partir et sauver ce qui peut l’être, emmener nos
bêtes dans cette transhumance forcée et contraire à nos usages. Partir et laisser presque tout, sans
savoir vraiment quand nous reverrons les terres où nous vivions depuis les décennies. Partir,
simplement pour rester en vie » 23
.
Nous pouvons, à partir de cette situation que nous venons de décrire, définir ce que sont des «
migrants forcés ». Ce sont des individus ou groupes d’individus qui sont contraints de quitter
leur espace vital habituel en urgence suite à une situation de crise particulière (guerres,
représailles politiques) pour migrer dans un autre espace vital inconnu afin de sauver leurs vies ;
abandonnant ainsi leurs biens vitaux et leurs attaches habituelles.
Par contre, les « déplacés », quant à eux, regroupent des personnes transférées par des projets
d’infrastructure, regroupées, expulsées ou déportées par décision politique ou encore victimes de
catastrophes d’origine naturelle ou humaine 24
.
22Ibid. p 28
23Rebelle, 1995 . Op. Cit
24Ibid. p 28
30
De ce fait, on peut retenir que la migration forcée des déplacés demeure temporaire à la
différence de celle des migrants forcés qui peut être temporaire ou définitive. Mais les points de
différence autour de ces deux populations ne s’arrêtent pas uniquement sur cet élément de
temporalité qu’on vient d’évoquer, ils touchent également la notion de l’espace et de la
destination.
En effet, si les déplacés ont un de cadre de vie qui leur est réservé lors de leur séjour en temps
de migration forcée, ce n’est pas le cas pour les migrants forcés qui ignorent tout de leur future
destination et de leur futur espace vital. Ils ont une totale incertitude sur leur vie future, du pays
qui va les accueillir, de leur nouveau territoire. Les migrants forcés quittent généralement leur
territoire national, leur pays d’origine, pour une destination internationale ; ils migrent dans un
pays étranger qui devient leur pays d’accueil, à la différence des déplacés qui se déplacent
souvent uniquement sur le territoire national. C’est la raison pour laquelle les scientifiques les
qualifient souvent de « déplacés internes ».
Ainsi, en considérant la notion de « contrainte » comme élément déclencheur de la migration
forcée ou de migration de refuge, on peut alors affirmer que les déplacés internes sont des
migrants forcés parce que leur pouvoir de décision pour une éventuelle migration repose sur cette
notion de contrainte. Contraints de quitter leur territoire suite à une crise, ces derniers deviennent
des exilés temporaires, donc des migrants forcés. Mais les déplacés internes sont-ils souvent
comptabilisés dans la population des migrants forcés ou encore des migrants de refuge par les
institutions travaillant pour les personnes déplacées25
?
Nous venons de définir la migration « forcée » ou encore de « refuge » à partir du concept de
« contrainte », élément déclencheur de ce mouvement migratoire. En fait, les pouvoirs de
25 Nous reviendrons sur cette problématique lorsque nous aborderons les analyses sur les chartres des Nations-
Unies sur les réfugiés qui tendent à exclure les déplacés internes dans la catégorie des réfugiés, donc des migrants
forcés.
31
décision de ces migrants reposent sur cette notion clé de contrainte. C’est elle qui donne le déclic
de cette migration dite forcée. Je ne peux quitter mon espace vital d’origine que lorsque j’ai une
contrainte spécifique. Mon déplacement est fonction de l’intensité de cette contrainte. Je ne suis
pas libre dans mes mouvements ; mon déplacement ne dépend pas de ma volonté. En fait, la
notion de « contrainte » est liée à celle de « volonté ». De ce fait, la migration forcée peut être
définie, à la fois, comme une migration « contraignante » ou « involontaire ». Mais peut-on se
baser sur cette notion de « volonté » ou encore de l’adjectif « volontaire » pour distinguer la
migration « forcée » de la migration dite « classique » (économique) ?
Effectivement, la littérature sur les phénomènes migratoires classe souvent les migrants en
deux grandes catégories : d’un côté, les migrants « volontaires » ou « spontanés », de l’autre, les
« migrants involontaires » ou « forcés », un classement qui se fonde sur le pouvoir de décision
des acteurs26
. « Le migrant volontaire » serait essentiellement « un migrant économique » qui
opère rationnement et librement des choix de départ et de retour, alors que le migrant «
involontaire » agirait dans un contexte contraignant qui empêche ou réduit fortement toute
possibilité de choix27
. La migration forcée serait donc une migration « contraignante »,
« involontaire », « spontanée », à la différence de la migration économique qui serait
« volontaire » et « planifiée ». Les notions de « contrainte » ou de « volonté » sur lesquelles on
se base pour distinguer la migration « économique » de la migration « forcée » ne cachent-elles
pas des subjectivités ? Autrement dit, les notions de contrainte ou de volonté ne sont-elles pas
subjectives ? Peut-on déterminer un seuil à partir duquel une migration volontaire devient-elle
une migration involontaire ? Une migration volontaire n’a-t-elle pas trop souvent une similitude
marquée avec la migration dite involontaire ? Les éléments caractéristiques de ces deux types de
migration tels que les motifs de départ ne sont-ils pas souvent similaires et liés les uns aux
autres ?
26 Lassailly-Jacob V., (1999), Migrants malgré eux : Une proposition de typologie, in Déplacés et réfugiés -
mobilité sous contrainte, p 29.
27 Bocco R., 1993 : Op. Cit
32
Appuyons nous sur des littératures africanistes pour répondre à cette interrogation. En effet,
l’opposition entre aîné /cadet est souvent présentée comme étant à l’origine des migrations
spontanées ou répulsives. Ce type de conflit intervenant entre les jeunes et les vieux à l’intérieur
de certaines sociétés est un facteur de départ en migration 28
. En effet, les aînés ont une grande
influence sur les cadets dans ces sociétés. Lorsque survient une dispute ou une brouille familiale,
les aînés profitent de leur statut et exercent une contrainte sur leurs cadets. Les cadets sont
obligés de quitter les groupes résidentiels afin d’éviter que le conflit ne s’amplifie. Ils partent trop
souvent pour une destination inconnue ; généralement dans d’autres localités pour se salarier29
.
En effet, la migration des cadets dans cette situation, peut être définie à la fois comme une
migration forcée ; une migration involontaire et comme une migration économique, migration
volontaire. En fait, la contrainte se trouve bien à l’origine de ce mouvement de population. En
exerçant un pouvoir sur leurs cadets, les aînés contraignent ces derniers à migrer. Cette migration
forcée au départ devient économique en aval car, les cadets contraints de quitter leur territoire
sont obligés de se salarier au sein de leur nouvel environnement vital afin de survivre. De ce fait,
la migration économique, la migration de travail, c’est-à-dire la migration volontaire devient la
conséquence de la migration forcée, c’est-à-dire celle dite involontaire. La migration involontaire
a donc conditionné la migration volontaire dans ce cas de figure. Ce qui pousse à affirmer qu’il
est difficile de dissocier la migration forcée involontaire de la migration volontaire. Les éléments
qui caractérisent chacune de ces migrations se trouvent souvent être enchevêtrés. En effet, la
migration volontaire demeure souvent implicitement de la migration involontaire car, elle est trop
souvent causée par une contrainte. C’est le cas de la migration économique ou du travail dans les
pays riches ou dans les zones urbaines africaines.
28 Lire Rocheteau (1973) à propos des migrations rurales wolof.
Lire AMSELLE J.-L (dir) (1999)., Aspects et significations du phénomène migratoire en Afrique, in les
migrations africaines, p 16.
29Ibid p 16
33
La pauvreté qui se situe comme une contrainte pousse généralement les populations pauvres à
quitter les zones rurales pour migrer dans les zones urbaines ou à quitter les pays pauvres pour
migrer dans les pays riches. De ce fait, « le migrant économique » peut être qualifié de « migrant
forcé » puisque les motifs du départ de ces deux populations de leur territoire d’origine reposent
sur un élément similaire qui est « la contrainte ».
Par conséquent, l’inverse est-il vrai ? Autrement dit, en quoi le « migrant forcé » peut-il être
qualifié de « migrant économique » ? En effet, le migrant forcé peut être qualifié de migrant
économique si et seulement si en plus de son motif de départ reposant fondamentalement sur « la
contrainte » se cache un autre motif lié à des raisons économiques. L’analyse des données, via la
question sur les motifs de départ pour la migration, de l’enquête biographique que nous avions
conçue pour cette étude nous permettra d’affirmer si effectivement tous nos enquêtés qui se
disent à la base être des migrants forcés le sont tous dans la réalité.
Eu égard à toutes ces analyses, on peut confirmer que la différence entre la migration
volontaire et la migration involontaire/forcée demeure encore floue dans la littérature
scientifique. Car ces deux types de migration ont souvent une même cause, la contrainte, élément
déclencheur des dites migrations. On ne peut en aucun cas déterminer un seuil à partir duquel on
peut basculer de la migration volontaire à la migration involontaire. La notion du seuil demeure, à
notre sens, très subjective. Par conséquent, la migration volontaire qui s’apparente à un processus
régulateur de contraintes économiques, sociales ou écologiques se différencie malgré tout de la
mobilité forcée qui est en elle-même le symptôme d’une crise profonde 30
.
Si le concept de « migrant forcé » est utilisé du moins couramment par les scientifiques
spécialistes de la problématique de la population déplacée, rares sont les institutions qui utilisent
ce concept. Parler du « migrant forcé », revient à parler du « réfugié » dans l’imaginaire collectif.
Ce qui est totalement vrai. Les institutions onusiennes, les organismes travaillant pour les
30Sauvin-Dugerdil,Preiswerk, 1993 Op. Cit
34
personnes déplacées ainsi que les médias préfèrent le concept de « réfugié » à celui du « migrant
forcé ». Mais qu’est-ce qui signifie le concept « réfugié » ? Sur quelles bases juridiques se fonde-
t-il ? Comment pouvons-nous évaluer l’évolution de ce concept ? Nous allons répondre à cette
question dans la partie qui va suivre.
2. LA CONTROVERSE AUTOUR DU CONCEPT DE
« REFUGIE ».
Le terme « réfugié » est apparu dans le vocabulaire littéraire et scientifique en France à la fin
du XVIème siècle. Il désignait à l’époque les victimes étrangères de persécutions religieuses
ayant trouvé asile en France 31
. Ce fut la grande période de la persécution des calvinistes
hollandais par les Espagnols 32
. Ce terme va demeurer tributaire de la situation sociopolitique
mondiale tout au long de l’histoire de l’Humanité. En effet, le concept de réfugié a capté
l’attention de l’opinion depuis le XVIème
siècle jusqu’à aujourd’hui et retentira toujours vivement
dans les médias, les magazines, les débats et les recherches scientifiques à chaque fois qu’il y a
un déplacement forcé de population causé par diverses crises. Cependant, l’intensité de la
résonance de ce terme « réfugié » variera d’un pays à un autre. Force est alors de constater que le
concept de « réfugié » résonne davantage dans les pays qui accueillent les victimes de guerre que
dans les pays qui ne sont pas directement concernés par la problématique de l’accueil des
migrants forcés. Ces pays sont le plus souvent muets face à la problématique de la migration de
refuge parce qu’ils ne sont pas touchés de près par celle-ci.
Né dans un contexte européen, le concept de « réfugié » va davantage s’articuler autour des
histoires des crises sociopolitiques européennes du XVIème siècle au XIXème siècle. A cette
période, parler des réfugiés revient à s’intéresser uniquement aux migrants forcés européens,
31 Le Petit Robert., (1978), Paris, Hatier, P. 1641.
32 Zolberg A et Aguayo S, Espace from violence: Conflit and the refugee Crisis in the Developing word.
35
c’est-à-dire des individus ou des peuples qui ont subi une violence, une persécution de la part
d’autres peuples. En effet, ce concept de « réfugié » était exclusivement européen et n’avait
aucun caractère universel. Comme tout concept, celui-ci va évoluer pour devenir universel.
Trois phases sont donc à prendre en compte dans le processus de l’évolution de ce concept.
Une première phase qui s’étend de la période du XVIème siècle jusqu’à la révolution française33
,
une seconde phase qui démarre à la période de la révolution française jusqu’au XIXème
siècle et
une troisième phase qui s’étend de la période de la première guerre mondiale jusqu’à nos jours.
En effet, la période de la révolution française fut marquée par l’utilisation pour la première fois
de l’expression « réfugié politique », laquelle avait une connotation totalement péjorative et
désignait les « émigrés par le pouvoir »34
. Enfin, une dernière phase qui démarre vers la
première guerre mondiale jusqu’à nos jours où le concept de réfugié va avoir une vraie armature
juridique dans un cadre institutionnel spécifique, devenant ainsi universel. La définition du
réfugié va s’étendre à toutes les situations de la migration forcée en Afrique, en Amérique Latine,
en Asie puisque le phénomène de réfugié est non ethnique, non particulariste et donc universel35
.
C’est vraiment pendant la première guerre mondiale que la problématique des « réfugiés »
commence vraiment à prendre de l’ampleur sur la scène internationale. Et ce fut la question des
minorités qui fut à l’origine de cet éveil de conscience sur la question des réfugiés. Les minorités
ethniques étaient les proies d’autres peuples ou d’autres ethnies partout en Europe à cette époque.
On n’avait aucune considération pour ces minorités. On les traitait avec mépris. On cherchait le
plus souvent à se débarrasser d’elles pour des raisons idéologiques. Ce fut le cas du génocide des
Arméniens par les Turcs en 1915. On extermine pendant une guerre civile tout un peuple pour
des raisons idéologiques. Un grand nombre de ces minorités est contraint de se réfugier dans
d’autres territoires étrangers afin de fuir toutes ces exaltions et ces barbaries.
33Ibid.
34Ibid.
35Agier M., (2002), Aux bords du monde, les réfugiés, Paris, Flammarion, p 13.
36
L’ampleur du problème des « minorités » en Europe et celui des réfugiés qui s’en suit va
obliger la Ligue des Nations à mettre en place une institution pour s’occuper exclusivement des
« réfugiés européens » 36
. La ligue des Nations nomme donc deux organismes. Le premier
Organisme s’appelle : « Haut Commissariat chargé des problèmes liés aux réfugiés russes en
Europe » : Fridtjof Nansen. Cet organisme a pour mandat de s’occuper exclusivement des
réfugiés russes d’Europe et ne doit pas déroger pour s’occuper des autres réfugiés européens. La
mission de cet organisme est limitée dans le temps ; elle est donc temporaire. Ceci dit, le Haut
Commissariat chargé des problèmes liés aux réfugiés russes en Europe doit être dissout une fois
le problème des réfugiés résolu. Ce fut donc une mission ponctuelle, précise et très encadrée qui
ne devrait pas avoir une autre extension. Car, on était certain de finir avec les problèmes de
réfugiés en Europe à la fin de cette mission. D’où il n’était pas nécessaire de mettre en place une
institution qui va s’occuper définitivement du problème des réfugiés en Europe.
On va vite se rendre compte que la Ligue des nations a eu tort de penser qu’elle allait mettre
fin à la question des réfugiés en Europe sous le seul mandat temporaire du Haut commissariat
chargé des problèmes liés aux réfugiés russes en Europe. En effet, l’Europe continue toujours
d’être secouée par les flux des migrants réfugiés, victimes des régimes fascistes en Italie et
36Après la déclaration de l’armistice du 11 novembre 1918 qui impose le cessez-le feu suite à la première guerre
mondiale, les hommes d’Etat se réunissent à Versailles pour réfléchir sur comment rétablir la paix définitivement
dans le monde ; surtout comment esquisser la paix de demain. Il s’agissait de construire un monde pacifique sans
guerre. Les différends entre les Nations devraient se régler sans les armes, mais uniquement sur des bases et des
consensus pacifiques. Il fallait alors mettre en place une institution susceptible de rassembler les Nations. En effet,
cette institution devrait garantir la paix dans le monde et être le garant du respect des droits de l’homme entre les
peuples. La Ligue des Nations est née après la première guerre mondiale afin de rassembler les Nations, promouvoir
la paix entre les peuples et les nations, garantir les droits humains et inciter les peuples à les respecter. Ce fut le
président des Etats-Unis, Woodrow Wilson qui fut à l’origine de la création de la Ligue des Nations. La conférence
des chefs d’Etat du monde désigna le 28 avril 1919 la ville de Genève comme siège de la ligue des Nations.
Nous nous sommes inspiré des textes du site aidh.org (La promotion et la défense des droits humains, Genève,
ville des droits de l’homme) du 28/04/2011 pour rédiger cette note sur la création de la ligue des Nations.
37
Espagne et national-socialiste en Allemagne. De ce fait, la Ligue des Nations, à l’issue de son
assemblée générale du 3 octobre 1933, crée un autre organisme qui va s’occuper des réfugiés en
provenance d’Allemagne. Mais rapidement, les deux organismes créés, vont se fusionner et être
sous la direction d’une seule « Commission Intergouvernementale pour les Réfugiés ». Cette
nouvelle organisation va maintenant s’occuper de tous les réfugiés venus de toutes les zones
européennes. Ce fut donc la naissance d’une seule et unique institution capable de traiter de tous
les problèmes de réfugiés à l’intérieur du continent européen.
Il est certain que la naissance d’une institution sur les questions sensibles telles que celles des
réfugiés qui reposent sur des bases juridiques fragmentaires et inexistantes au départ ne peut que
présenter des limites et des fragilités. En effet, la ligue des Nations qui fut à l’initiative de
l’institutionnalisation du problème des réfugiés au niveau européen avait du mal à asseoir son
pouvoir et se trouvait parfois impuissante face à la recrudescence des problèmes des réfugiés en
Europe en cette période. Elle se trouvait par exemple impuissante face à la montée du Nazisme ;
mouvement qui était à l’origine de la mobilité forcée d’un grand nombre d’individus en Europe.
Il demeure important de noter que, la Ligue des Nations demeure, malgré tout, la première
structure qui a eu à prendre en charge et en considération le sort d’une catégorie d’individus
appelés réfugiés. Elle fut la première institution qui eut à défendre ces populations livrées à elles-
mêmes et victimes de la barbarie humaine. Ce fut donc le début de la protection juridique des
réfugiés.
Au fur et à mesure que le temps passe, les crises et la violence s’accentuent également dans le
monde. Les vœux pieux des chefs d’Etat réunis après l’armistice du 19 novembre 1919 pour
construire un monde sans guerre n’ont pas suffi à arrêter la barbarie des hommes. Ces derniers
continuent à s’affronter et à s’entretuer pour des raisons idéologiques dans des luttes fratricides.
Mais la plus importante fut la seconde guerre mondiale dont la conséquence humaine fut
catastrophique. Des nouveaux réfugiés vont surgir suite à cette guerre. Le nombre de ces derniers
va croître dans toute l’Europe. En effet, l’accroissement numérique de ces nouveaux réfugiés va
compliquer le travail de l’Organisation des Nations unies (l’ONU), l’institution qui a remplacé la
38
Ligue des Nations ou la Société des Nations37
. Elle devint ainsi impuissante face à la montée de
ce phénomène de la migration de refuge puisqu’il lui faut de nouveaux moyens matériels et
juridiques plus solides lui permettant d’être plus efficace dans son exercice. En fait,
l’Organisation des Nations unies n’avait pas suffisamment de moyens pour prendre en charge ces
nouveaux réfugiés et ceux qui n’ont pas été résorbés. Pour ce faire, il fallait soit, renforcer ses
moyens et étendre ses compétences afin qu’elle prenne en charge ces millions de réfugiés issus de
la seconde guerre mondiale, ou créer une autre institution susceptible de protéger et de prendre en
charge ces nouveaux réfugiés. La seconde option va alors être choisie.
Ce fut alors la création de l’Organisation Internationale pour les Réfugiés (OIR). En effet, la
constitution de l’OIR fut votée le 15 décembre 1945 par l’Assemblée des Nations Unies. L’OIR
va commencer son activité proprement dite le 1er
juillet 1947 38
. L’OIR fut crée pour s’occuper
des quelques millions réfugiés non résorbés et des nouveaux réfugiés victimes de la seconde
guerre mondiale. En fait, la mission de L’OIR est similaire à celle de la Ligue des Nations, c’est-
à-dire protéger les réfugiés. Sa mission est temporaire. Il devrait disparaitre à la fin de sa mission
prévue au courant 1951. Il faut noter que ce fut l’OIR qui a mis en place pour la première fois la
procédure de la demande d’assistance. Les réfugiés obtiennent un droit fondamental ; celui
d’adresser une demande d’assistance à l’OIR, laquelle est examinée cas par cas. Ce fut vraiment
une grande innovation en matière du droit des réfugiés39
. En effet, la période de l’existence de
l’OIR fut riche en innovation. En fait, une des autres innovations qui a vu le jour pendant son
existence est celle de la définition universaliste du concept de « réfugié ». La problématique du
« réfugié » devient alors universelle. Le réfugié n’est plus la personne exclusivement européenne,
victime de la violence de la barbarie des autres peuples ou persécutée pour des raisons
idéologiques. Le réfugié peut être palestinien, africain, asiatique, américain. Donc, pourquoi
attacher le concept de réfugié uniquement aux européens, vu que certains peuples du monde
37 L’ONU, l’organisation des Nations Unies fut crée le 26 juin 1945 après la conférence de Francisco. Elle
remplace la Ligue des Nations ou la Société des Nations (SDN).
38Jacobsen P., (1951), l’œuvre de l’Organisation Internationale pour les Réfugiés in population, volume 6.
39Zolberg A et Aguayo S, Space from violence: Conflit and the refugee Crisis in the Developing word.
39
connaissent les mêmes atrocités, les mêmes violences, les mêmes persécutions, les mêmes sorts
que les peuples européens ?
La situation géopolitique du monde des années 1950 fut marquée par l’extension des guerres
dans le monde 40
. Ce fut par exemple le cas de la guerre israélo-palestinienne dont la
conséquence démographique mérite une attention très particulière. A l’exemple de la guerre
mondiale, le conflit israélo-palestinien occasionna un grand mouvement migratoire. Un grand
nombre d’individus connurent la mobilité forcée pendant la première phase de ce conflit41
. Ils
sont donc des réfugiés par analogie aux réfugiés européens de la période d’entre les deux guerres
d’où, la nécessité d’étendre la question des réfugiés à travers le monde ce qui va nécessairement
poser un problème institutionnel et juridique. En effet, il faut créer une institution dotée d’une
compétence juridique élargie et étendue capable d’asseoir son pouvoir dans tous les pays du
monde dans lesquels se trouvent des personnes réfugiées. En plus d’un éventuel problème
institutionnel, ci-dessus mentionné, peut surgir également un problème d’ordre juridique puisque
comment donner une définition juridique unique et déterminer une caractéristique commune à
tous les réfugiés du monde ? Ces interrogations méritent d’être analysées et élucidées avec
précision.
En effet, le problème institutionnel va vite être résolu. En décembre 1949, une nouvelle
institution des Nations Unies, nommée « le Haut Commissariat des Nations Unies pour les
Réfugiés (HCR) » va remplacer l’OIT 42
. Le HCR va avoir une mission étendue et universelle
sur la problématique de la migration de refuge à la différence de l’OIR dont la mission était
40 Le fait le plus marquant de cette période fut la guerre israélo -palestinien. En effet, le conflit israélo-palestinien
a débuté en Décembre 1947 et s’est étendu jusqu’en 1949. Lire : Pica N., (2008) , 1948 dans l’histographie arabe et
palestinienne, online Encyclopédia of Mass Violence, Paris, Institut de Sciences Politiques.
41Quelques 750.000 à 800.000 palestiniens ont fui leur domicile et sont devenus des réfugiés. Lire Abu lughod,
1971.
42Le HCR a démarré ses activités proprement dites le 14 Décembre 1950. Cette date est souvent considérée
comme la date de la création de cette institution.
40
exclusivement européenne. Le HCR va alors s’occuper de tous les réfugiés du monde sauf des
réfugiés palestiniens qui, eux, sont pris en charge par un organisme spécifique appelé
« UNRWA » (United Nations Relief and Works Agency) crée en 1948.
Le HCR est chargé en particulier de promouvoir les accords internationaux pour la protection
des réfugiés et d’en surveiller l’application. En fait, aux termes de la convention et du protocole,
les Etats contractants s’engagent à coopérer avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour
les réfugiés dans l’exercice de ses fonctions et en particulier à faciliter sa tâche de surveillance de
l’application des dispositions de ces instruments43
. Le problème des réfugiés doit maintenant être
traité sur un angle institutionnel et juridique à travers des accords entre les Etats du monde. Le
HCR devient un gendarme qui doit surveiller les bonnes applications de ces accords. Mais de
quels accords s’agit-il ? Et sur quelles bases doivent-ils se fonder, vu que le « réfugié » qui doit
être protégé, par ces dits accords, n’est pas encore juridiquement explicitement défini ?
A la suite d’une décision de l’assemblée générale (Résolution 429 (V) du 14 Décembre 1950
de l’Assemblée générale des Nations Unies, une conférence de plénipotentiaires des Nations
Unies s’est tenue à Genève en 1951 en vue d’élaborer une convention régissant le statut juridique
des réfugiés. La convention relative au statut des réfugiés issue des délibérations de cette
conférence a été adoptée le 28 juillet 1951. Elle est entrée en vigueur le 22 avril 1954, avec le
dépôt du sixième instrument de ratification 44
. Il ressort de cette convention des multitudes de
résolutions pour le traitement des réfugiés à travers le monde. Il y eut une consolidation des
précédents instruments internationaux au sujet des réfugiés, à savoir ceux utilisés par l’OIR. Les
droits des réfugiés devinrent plus codifiés et plus complets. Les normes essentielles furent
établies pour le traitement des questions des réfugiés. Les rôles des Etats aussi furent clairement
définis.
43Note introductive du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés in HCR (2007), Convention et
Protocole relatifs au statut des réfugiés, résolutions n° 2198 (XXI) adoptée par l’Assemblée générale des Nations
unies, Genève, Aout 2007, Op. Cit p 7.
44Ibid. p 1.
41
Ils doivent désormais participer à la mission du HCR, c’est-à-dire accueillir les réfugiés sur leur
territoire, les protéger, les traiter tous sans discrimination et trouver des solutions à leur problème.
Bref, les Etats doivent coopérer avec le HCR et s’impliquer autant que lui à la prise en charge des
réfugiés.
Cette convention qui fut une première internationale donne des premières bases juridiques qui
vont encadrer la problématique de la migration du refuge et finit par donner une définition du
moins juridique au concept de « réfugié ». Le terme de « réfugié » est, selon la convention de
Genève de 1951 : « Toute personne : qui a été considérée comme réfugiée en application des
arrangements du 12 mai 1926 et du 30 juin 1928, ou en application des conventions du 28
octobre 1933 et du 10 février 1938 et du protocole du 14 septembre 1939, ou encore en
application de la constitution de l’organisation internationale pour les réfugiés. Les décisions de
non-éligibilité prises par l’organisation internationale pour les réfugiés pendant la durée de son
mandat ne font pas obstacle à ce que la qualité de réfugié soit accordée à des personnes qui
remplissent les conditions prévues au paragraphe 2 de la présente section, c’est-à-dire : toute
personne qui, par la suite d’évènements survenus avant le 1er
janvier 1951 et craignent avec
raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à
un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la
nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce
pays, ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa
résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de la dite crainte, ne veut
y retourner … »45
.
Voici enfin, une définition élaborée du terme « réfugié». On note que deux concepts sont à la
base de la structuration de cette définition. Il s’agit du concept de crainte et de celui de territoire
45 HCR (2007), Convention et Protocole relatifs au statut des réfugiés, résolutions n° 2198 (XXI) adoptée par
l’Assemblée générale des Nations unies, Genève, Aout 2007, Op. Cit p 16.
42
désigné par le mot pays au sein de cette définition. Le réfugié est donc un migrant qui a quitté son
pays ou son lieu d’habitation habituelle pour un autre pays parce qu’il craint d’être persécuté. Par
conséquent, on ne peut donc pas être réfugié dans son pays d’origine, ni sur son territoire vital
habituel. Les termes de territoire et de crainte ou encore de persécution deviennent ainsi des
concepts importants sur lesquels on va désormais se baser juridiquement pour déterminer le statut
du réfugié.
On remarque, d’autre part, qu’au lieu de donner une définition universelle du terme
« réfugié », la convention de Genève 1951 s’est contentée de donner une définition qui ne cadre
qu’avec la réalité européenne. Car les mots « évènements survenus avant le 1er
Janvier 1951 »
contenus dans la définition du terme « réfugié » sont implicites et flous. Ces termes peuvent alors
être compris dans le sens de : « Evènements survenus avant 1er
janvier 1951 en Europe » ou soit
par « Evènements survenus avant le 1er
janvier 1951 en Europe ou ailleurs »46
.
A défaut de précision, on peut affirmer que le terme de « Evènements survenus avant le 1er
janvier 1951 » fait bien référence aux évènements survenus en Europe, car ce fut ce continent qui
était davantage touché par le problème des réfugiés à la sortie des deux grandes guerres
mondiales.
En effet, la définition du réfugié donnée par la convention de Genève fut donc très exclusive et
ne cadre que sur la réalité européenne du fait que la majorité des Etats signataires de cette dite
convention étaient européens. En effet, force est de constater que des pays du Tiers Monde furent
46Ibid. p 17.
43
sous-représentés lors de la signature de cette convention de Genève de 195147
. Aucun Etat
africain noir n’était présent à Genève en 1951 lors de la signature de la Convention sur les
problèmes de « réfugié ». Car la quasi-totalité des pays africains était encore sous la domination
coloniale. De ce fait, on peut alors affirmer que la convention de Genève ne fut qu’une
convention entre les pays occidentaux et la définition du terme « réfugié » qui en ressort ne
concerne que ces derniers. Elle n’est pas universelle comme on l’entend souvent. Mais comment
faire pour étendre la définition de réfugié aux évènements postérieurs à ceux de 1951 ?
Pour répondre à cette question, les Nations Unies vont opter pour un protocole48
. En 1967, les
Nations - Unies adoptèrent un protocole aux termes duquel les évènements survenus après 1951
seraient désormais également pris en compte dans la définition du terme de « réfugié »49
. En fait,
ce protocole est venu clarifier les champs définitionnels du concept « réfugié ». Pour ce faire, on
va étendre pour la première fois le terme « réfugié ». La définition du terme « réfugié » s’étend
désormais à tous les évènements survenus avant et après 1951. La polémique née jadis autour de
temporalité des évènements, c’est-à-dire la prise en compte ou pas des évènements survenus
après 1951 dans la définition du terme « réfugié », va disparaitre.
Mais cet avenant mis en place dans la définition du « réfugié » à travers le protocole de 1967
a-t-il vraiment permis de rendre universelle cette définition ? Comment faire pour adapter la
47Sur les vingt-six Etats représentés lors de la signature de la convention des Nations unies à Genève en 1951 sur
les problèmes des réfugiés, seulement huit (8) viennent d’autres Nations du monde ; soit quelques 30% des Etats
représentés. L’Afrique toute entière fut représentée par qu’un seul Etat : l’Egypte. Source : HCR (2007), Convention
et Protocole relatifs au statut des réfugiés, résolutions n° 2198 (XXI) adoptée par l’Assemblée générale des Nations
unies, HCR, Aout 2007, p 8.
48Un protocole est un terme de droit international public qui est synonyme d’accord et de traité entre Etats et
employé plus spécialement pour désigner un accord qui complète un accord précédent : Source : Lexique des Termes
Juridiques, Paris, Dalloz, 2011.
49Hanne, C., (1998), Réfugiés et pionniers : installation de réfugiés burundais en Tanzanie, Paris, l’Harmattan,
p.11-12.
44
définition du « réfugié » qui fut à la base exclusivement fondée sur des réalités socio-historiques
européennes aux réalités des autres peuples du monde ? Comment actualiser la définition du
terme « réfugié » ? Autrement dit, doit-on déterminer le statut d’un réfugié installé en Afrique en
1970 sur les bases juridiques de la convention de 1951 et du protocole de 1967 alors qu’elles sont
fondées uniquement sur les réalités européennes ? Les Nations Unies ne doivent-elles pas revoir
sa définition du terme « réfugié » ? Ne doivent-elles pas mettre en place une nouvelle définition
« du réfugié » qui prendrait en compte à la fois les réalités socio-historiques européennes de jadis
et les réalités sociopolitiques et géopolitiques mondiales contemporaines ? On a, ainsi, constaté
que la situation géopolitique mondiale a beaucoup changé depuis la signature de la convention de
Genève de 1951. L’Europe n’est plus confrontée au problème de « réfugiés » comme fut le cas
entre les deux guerres. En effet, c’est désormais l’Afrique subsaharienne qui est davantage
touchée par le phénomène de la migration de refuge. D’où la nécessité d’ériger une définition du
« réfugié » qui puisse prendre en compte les réalités sociopolitiques africaines contemporaines et
celles des autres continents.
L’augmentation progressive du nombre des réfugiés en Afrique au début des années 1960
suite aux différentes crises sociopolitiques qu’a connu le continent à cette époque devenait une
préoccupation pour les Etats africains nouvellement indépendants50
. On dénombrait environ
79.000 réfugiés au sein du continent africain vers les années 1960 51
. Les chefs d’Etat africains
commencent peu à peu à prendre au sérieux ce phénomène de migration de refuge. Il fallait par
conséquent mettre en place des pistes de réflexion sur cette nouvelle problématique et chercher à
court terme des solutions à ce problème des « réfugiés ».
En 1969, quarante et un représentants des Etats membres de l’OUA (l’Organisation de l’Unité
Africaine) s’étaient réunis à Addis-Abeba pour discuter sur le problème des réfugiés qui devenait
50Le cas des réfugiés rwandais, lire le rapport de HCR de l’année 2000.
51Banque mondiale (2007), Atelier international, programme Rural struc, Rapport sur les migrations :
« Migrations internationales – Une option de sortie par défaut ? », Février 2007, p 24.
45
de plus en plus inquiétant au sein du continent Africain. En effet, la croissance du nombre des
réfugiés devenait un problème sérieux et était à l’origine des sources de conflit entre des Etats
africains. Il fallait donc chercher une solution africaine à ce problème de réfugiés. Tout comme
l’Europe à la sortie des deux guerres, l’Afrique va mettre en place une base juridique permettant
de cadrer le problème de la migration de refuge au sein de son continent.
L’Organisation de l’Unité Africaine promulgua en 1969 une « Convention régissant les
aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique » prenant appui sur les textes des droits de
l’homme, sur les textes de la convention des Nations Unies de Genève de 1951 et sur son
protocole de 1967. La Convention de l’OUA demeure à cet égard un complément à la
Convention des Nations Unies de 1951 et à son protocole de 1967.Par conséquent, l’OUA va
adopter la définition du « réfugié » de la convention des Nations unies de 1951 tout en ajoutant
un alinéa.
Ainsi libellé , le terme de réfugié « s’applique également à toute personne qui, du fait d’une
agression, d’une occupation extérieure, d’une domination étrangère ou des événements troublant
gravement l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine ou du pays dont
elle a la nationalité, est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un
autre endroit à l’extérieur de son pays d’origine ou pays dont elle a la nationalité »52
. Ainsi défini,
le « réfugié » est selon l’OUA, toute personne fuyant son propre pays en raison de troubles
d’origine intérieure ou étrangère. Ceci dit, le statut de réfugié peut désormais être octroyé à une
personne qui, non seulement craint d’être persécutée dans son pays pour diverses raisons, mais
qui est obligée de quitter ce pays parce que celui-ci est occupé par un tiers pays étranger ou en
raison des troubles qui s’y déroulent.
52Hanne, C., (1998), Réfugiés et pionniers : installation de réfugiés burundais en Tanzanie, Paris, l’Harmattan,
p14. Lire aussi le texte original de la convention de l’OUA régissant les aspects propres aux réfugiés p1 à 9, Addis-
Abeba, Ethiopie.
46
En effet, l’objectif de l’OUA était d’élargir la définition de « réfugié » afin qu’elle englobe
d’autres groupes d’individus dans le contexte africain. Cet objectif est atteint puisque que le Haut
Commissariat des Réfugiés (le HCR) utilise depuis 1969 les textes de la convention de l’OUA
pour traiter les problèmes des réfugiés en Afrique. Ceci dit, le terme de « réfugié » est donc
désormais encadré par trois textes juridiques qui sont : la convention de 1951 et son protocole de
1967 ainsi que la convention de l’OUA de 1969.
Il faut noter, par ailleurs, que le concept de « réfugié » onusien va perdre son sens littéraire et
juridique initial au contact de l’Afrique subsaharienne. Les Africains vont vite donner un autre
usage et un autre sens à ce concept de « réfugié ».
En effet, la montée du phénomène des déplacements internes en Afrique vers les années 1990
va favoriser une multitude de taxinomies autour du concept de « réfugié », certaines issues de la
sphère internationale, d’autres propres aux sphères nationales 53
. Ainsi, par exemple au sein de
l’espace burundais gravitent les termes tels que : « les déplacés », « les dispersés », « les
sinistrés ». Ces termes qui identifient principalement les migrations intérieures s’entrechoquent
avec d’autres termes tels que les « réfugiés », les « rapatriés » qui, à leur tour, identifient des
migrations transfrontalières54
.
En effet, les acteurs africains qui travaillent pour les réfugiés ne veulent pas qu’on leur impose
un « concept » venu de la sphère internationale pour traiter des problèmes concrets des réfugiés
qui se trouvent sur leur territoire. Ceci dit, ils vont utiliser ce concept de « réfugié » tout en le
53 Royer A., (2004), Les déplacements internes au Burundi : la gestion de l’incertitude in A. Guichaoua (dir)
Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et Orientale Op. Cit 269
54Ibid. p 269.
47
vidant de sa substance et vont produire d’autres concepts sous forme identiques, mais aux
contenus différents répondant à l’histoire nationale, comme ce fut le cas au Burundi55
.
Ainsi, le terme de sinistrés peut être rattaché à celui de dispersés, de réfugiés, de regroupés, de
rapatriés, de retournés56
. « Les sinistrés » est donc un terme à vocation neutre et totalisante qui
englobe toutes les populations en mouvement ou non ayant besoin d’assistance57
. Le concept de
sinistré prend à son compte ainsi dire, celui de réfugié. De ce fait, les termes de déplacés, de
dispersés, de regroupés, de retournés, de sinistrés ou de réfugiés sont utilisés comme des termes
similaires pour désigner toutes les personnes contraintes à la mobilité forcée.
En effet, la multiplication de ces termes autour du concept de « réfugié » cache parfois
d’autres réalités. Il s’agit de la question de concurrence autour de l’assistance aux réfugiés.
En fait, les organisations non gouvernementales nationales africaines qui assistent les réfugiés
affichent parfois une préférence pour un type de population de réfugiés au détriment d’autres. On
remarque trop souvent que cette préférence est d’ordre ethnique58
. Les Hutus et les Tutsis qui
sont tous réfugiés rwandais ne sont pas traités de la même façon lors de leur séjour au sein de leur
pays d’accueil, le Burundi. Certaines organisations burundaises qui préfèrent assister les Hutus au
détriment des Tutsis pour des raisons idéologiques et ethniques ont exclu les Tutsis des champs
de catégories de personnes à assister par les institutions internationales. Pour ce faire, au lieu
d’appeler les Tutsis « des réfugiés » comme les autres « réfugiés », ils vont utiliser des mots
55Ibid.
56Ngayimpenda E., (2000), « les populations sinistrées du Burundi sept ans après, Cahiers démographiques du
Burundi, n° 14, Bujumbura.
57 Royer A., (2004), Les déplacements internes au Burundi : la gestion de l’incertitude in A. Guichaoua (dir)
Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et Orientale Op. Cit p275.
58Ibid. p 274.
48
moins forts comme « des déplacés » ou « des sinistrés », ou « des infiltrés » minimisant ainsi le
sens de leurs déplacements ou de leurs souffrances afin qu’ils ne soient pas pris en charge par le
HCR.
En fait, certains de ces termes comme « les infiltrés » sont utilisés dans des stratégies
d’identification de l’ennemi59
. On qualifie le « réfugié dangereux » ou « ennemi », « d’infiltré »
afin de le différencier du « vrai réfugié ». Les infiltrés apparaissent dans la plupart des cas
comme des ennemis qui, travestis en victimes, vivent dans un territoire pour le déstabiliser 60
.
Le réfugié, est parfois considéré comme une personne privilégiée au sein de son pays
d’accueil, c’est-à-dire comme une personne qui a la chance de bénéficier des aides des
organisations onusiennes. Un nombre important de pauvres vivant dans les pays d’accueil des
réfugiés aimeraient bénéficier des aides de la part des organisations internationales au même titre
que ces populations réfugiées. Les autochtones envient, ainsi dire, les réfugiés. Ils voudraient être
comme eux. Ne pouvant pas avoir accès à l’assistance des organisations onusiennes, les
autochtones finissent parfois par imposer la violence aux réfugiés présents sur leur territoire ;
comme ce fut le cas entre les réfugiés rwandais et la population de certains villages ougandais en
1982 61
En effet, le concept de réfugié demeure ambigu dans l’imaginaire collectif africain et son sens
dépend de celui qui l’utilise. Il y a une controverse manifeste autour de ce concept puisqu’il
demeure un terme dont la définition divise à la fois les institutions et les individus.
59 Bazenguissa-Ganda R., (2004), les figures du migrant forcé au Congo –Brazzaville in A. Guichaoua (dir)
Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et Orientale, Paris, Karthala, OP.cit p247.
60 Ibid. p. 262.
61Bakwesegha C.J., (1994), Forced Migration in Africa and the OAU Convention ¸in: Adelman H., and Sorenson
J., (édité par), African Refugees: development Aid and Repatriation, North York, York Lane Press.
49
On remarque que la définition du « réfugié » donnée par les Nations unies (La convention de
1951 et son protocole de 1967) ne prend en compte que le réfugié « isolé ». En fait, cette
définition est uniquement axée sur le réfugié considéré comme « individu ». L’instrument
juridique mis en place par les Nations Unies pour définir les réfugiés à travers cette convention
de 1951 et le protocole de 1967 relève d’une approche beaucoup plus « individualiste » et exclut
les situations de groupe62
, à la différence de la définition de l’OUA qui présente une qualité celle
qui est d’intégrer la notion de « groupe »63
.
En effet, le phénomène de la migration de groupe ne doit pas être marginalisé, vu qu’il se
développe de plus en plus dans le monde. C’est le cas des migrations forcées en Afrique
subsaharienne où les populations toutes entières se déplacent pour aller se réfugier dans une autre
localité à l’intérieur de leur pays suite à l’invasion de leur territoire par des armées rebelles ou
suite à des catastrophes naturelles64
. En effet, ces groupes individus se déplacent souvent à
l’intérieur de leur pays sans passer les frontières. On appelle généralement ces individus qui sont
contraints à la migration sous contrainte à l’intérieur de leur propre pays des « déplacés
internes ».
Se pose alors la question du statut juridique de ces déplacés internes, c’est-à-dire de ces
victimes des troubles socio-politiques ou des catastrophes naturelles qui ne traverseront jamais la
frontière pour aller trouver refuge ailleurs. Les Nations Unies peuvent-elles quitter le domaine du
« droit individuel » qui encadre actuellement la définition du « réfugié » et prendre en compte le
62 Carlier J.Y ., (2001), « Et Genève sera … la définition du réfugié : bilan et perspectives », in Chetail V., et
Flauss, la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés 50 ans après : Bilan et
perspectives, Bruxelles, Editions Bruylant, p 81.
63 Ibid. p 23-24.
64 Guichaoua A., (dir) (2004), Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et Orientale, Paris, Karthala.
50
« droit collectif » afin de définir le « réfugié ». Autrement dit, les Nations-Unies ne doivent-
elles pas mettre en place un texte juridique différent de celui de la convention de 1951 et de son
protocole de 1967 permettant d’encadrer la migration de refuge « de groupe » ? Par exemple,
déclarer collectivement « réfugiés » un groupe d’individus qui est victime d’une même
persécution au lieu de statuer sur du cas par cas. Comment les Nations - Unies traitent-elles
aujourd’hui les réfugiés non classiques, c’est-à-dire ceux qui ne rentrent pas dans la définition de
la convention de 1951 et de son protocole de 1967 ? La définition du concept « réfugié » ne doit-
elle pas être étendue afin d’assister ou de secourir d’autres catégories d’individus dits « migrants
forcés » comme les déplacés internes ? Telles sont les interrogations qui vont nous préoccuper
dans la partie qui va suivre. Mais présentons d’abord un tableau récapitulatif des dates les plus
marquantes de l’évolution du terme « refugié » avant de répondre aux questions qu’on vient de
se poser.
Tableau 1.1 : Repères sur la migration de refuge dans le monde et en Afrique.
1685 Utilisation pour la première fois du terme « réfugié » pour désigner les protestants Huguenots
fuyant la France catholique.
1950-1951 Etablissement du Haut Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés. (HCR)
1951 L’adoption de la Convention relative au statut des Réfugiés.
1967 Protocole des Nations unies complétant la Convention de 1951.
1969 Convention de l’OUA relative aux aspects relatifs au problème des réfugiés en Afrique.
2 Juin 1974 Entrée en vigueur de la Convention de l’OUA sur les Réfugiés.
12 Avril 1980 Adoption de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des peuples à Nairobi au Kenya.
Septembre
1990
Déclaration de Khartoum sur la crise des Réfugiés en Afrique.
Sources: HCR, Institut Panos et Courrier International (Dossier les réfugiés n° 450, juin 1999).
51
3. DOIT-ON ETENDRE LE CONCEPT DE « REFUGIE » ?
Le Monde compte désormais de nouveaux migrants forcés dont le nombre croît d’une manière
exponentielle depuis quelques décennies. Parler de nouveaux migrants forcés, revient parler des
déplacés internes.
On dénombre environ 26 millions de déplacés internes dans le monde en 2008 et ce nombre
est en constante augmentation. Les déplacés internes représentent environ 62% de migrants
forcés dans le monde en 200865
. Ils sont actuellement plus nombreux que les réfugiés classiques
qui étaient au nombre de 10 millions et demi en 2008 66
. Par exemple, parmi les 141 660
personnes assistées par le HCR en République Centrafricaine en 2011, on dénombre 115 000
déplacés internes, soit environ 81,18% de la population totale des personnes assistées par le HCR.
En fait, les réfugiés ne représentent qu’une petite proportion de la population assistée par le HCR
en République Centrafricaine, soit un peu moins de 18, 82% de personnes assistées par cet
organisme. Force est de constater que le nombre des déplacés internes est en nette augmentation
numérique dans un grand nombre de pays d’Afrique Subsaharienne ces dernières années.
L’ampleur des statistiques qu’on vient de présenter doit pousser à la réflexion. Qui sont
vraiment ces nouveaux migrants forcés ? Quelles sont les institutions chargées de les assister ou
les prendre en charge ? Possèdent-ils un statut juridique particulier ou sont-ils couverts par les
textes juridiques de la convention de Genève de 1951 et de son protocole de 1967 définissant le
statut juridique du réfugié ? Sont-ils traités de la même manière que les autres réfugiés par les
Hauts Commissariats des Nations - Unies pour les réfugiés ? Telles sont les questions auxquelles
on va chercher des réponses au sein de cette partie d’étude.
65UNHCR, Statistical yearbook 2008, Juin 2009.
66 Ibid.
52
Par définition, les déplacés internes sont des personnes qui sont contraintes de fuir leur lieu
d’habitation habituel pour se réfugier dans une localité sereine à l’intérieur de leur pays suite à
une situation de crise politique ou d’une catastrophe naturelle. N’ayant pas quitté le territoire
national, ils ne peuvent se prévaloir au statut de réfugié proprement dit selon les conventions
onusiennes. De ce fait, ils n’ont pas de statut juridique particulier comme les autres réfugiés
classiques même si leurs conditions d’existences demeurent semblables à ces derniers. Ils
demeurent citoyens à part entière de leur nation tout au long de leur vie migratoire forcée. Par
conséquent, ils doivent en principe être protégés et assistés par les autorités de leur pays au même
titre que leurs concitoyens.
Que dit alors la convention de Genève sur les déplacés internes ? Selon l’article A de la
convention de Genève : « Le réfugié est celui qui craint d’être persécuté du fait de sa race, de sa
religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions
politiques »67
. On constate que la définition de la convention Genève ne prend pas en compte la
notion du réfugié environnemental ni celle du déplacé interne. C’est une définition qui a une
vision exclusivement individualiste. Elle ne parle que de l’individu alors que la notion de la
migration environnementale fait référence à la notion de groupe. Comme nous avions dit plus
haut, la définition onusienne de 1951 et son protocole de 1967 est une définition du droit
individuel qui exclut toute notion du droit collectif ; laquelle devrait encadrer les phénomènes tels
que la migration environnementale ou encore le phénomène de déplacement interne.
Les concepts de territoire et de frontière demeurent fondamentaux dans le texte de la
convention de Genève de 1951 et son protocole de 1967. On est réfugié, si et seulement si, on est
hors de son pays d’origine ; c’est-à-dire à l’étranger alors que la plupart des cas, on est réfugié
dans son propre pays. C’est notamment le cas des réfugiés écologiques et des déplacés internes.
67HCR (1951), Convention de Genève relative à la définition du statut du réfugié, Nations unies, juillet 1951.
53
En insistant sur la notion de frontière, les Nations Unies définissent implicitement la migration
de refuge comme une migration « préparée ». En effet, il est difficile de quitter son pays pour
aller dans un autre sans avoir un petit de temps préparation. Or, le propre de la migration de
refuge, c’est d’être une migration « spontanée ». C’est le cas notamment de la migration
écologique. Les victimes d’un tremblement de terre, surpris généralement par la survenance de la
catastrophe naturelle dont ils sont victimes, n’ont pas souvent le temps de se préparer pour aller
plus loin à l’étranger pour se déclarer « réfugiés ». Ceci dit, ils sont contraints de se déplacer à
l’intérieur de leur pays en attendant le rétablissement de la situation au sein de leur lieu de vie
habituel.
De ce fait, selon le texte de la convention de Genève de 1951, ainsi que son protocole de 1967,
un réfugié écologique ou un déplacé interne n’est pas un réfugié proprement dit.
S’agissant du texte de la convention de l’OUA de 1969, force est de constater qu’il intègre
implicitement la notion de réfugiés écologiques ou des déplacés internes en son sein. Rappelons
que l’OUA définit le réfugié comme « Toute personne qui a été victime d’une agression, d’une
occupation extérieure, d’une domination étrangère ou d’évènements troublant particulièrement
l’ordre public dans une partie ou une totalité de son pays d’origine ou du pays dont elle a la
nationalité… »68
En effet, la notion d’ordre public renvoie aux notions de sécurité (troublée en
cas de catastrophe grave, de troubles politiques internes) et salubrités publiques (inondations,
sécheresse, séismes, tornades, éruptions volcaniques …)69
. La convention de l’OUA a bel et bien
pris en compte, mais d’une manière implicite, la notion du réfugié écologique et de moindre
mesure de celle de déplacé interne dans l’extension de sa définition du terme de « réfugié ».
Cependant, il demeure difficile d’appliquer ces notions tirées implicitement de la Convention de
68Convention de L’OUA de 1969, Addis-Abeba, 1969, Op. Cit.
69 Gamito P., (2011), la notion de refuge écologique in Droit international de l’environnement : « Le statut
international des personnes victimes de catastrophes naturelles : être ou ne pas être un réfugié », Université libre de
Bruxelles, Op Cit p7.
54
l’OUA, vu que cette dite convention est intimement liée à celle des Nations unies qui préfère
davantage des notions de persécution et de crainte70
.
A défaut des textes juridiques explicites, peut-on assister efficacement les déplacés internes en
ce moment où les conflits internes, les guerres civiles et les catastrophes naturelles demeurent les
raisons principales des migrations forcées surtout en Afrique subsaharienne ?
En effet, le HCR est obligé d’assister ces personnes vulnérables, ces nouveaux migrants qu’on
appelle communément les déplacés internes, et ce, malgré l’absence des textes juridiques qui
encadrent ces nouveaux phénomènes migratoires. Juridiquement, le HCR ne devrait pas prendre
en charge ces personnes, vu qu’elles ne relèvent pas de son mandat. Mais compte tenu de la
souffrance et de la précarité de la situation de ces personnes, le HCR a dû user de ses bons offices
à l’égard de ces dernières.71
Le HCR va ainsi reconnaître implicitement ces réfugiés internes ou
ces réfugiés victimes de catastrophe naturelle. En fait, le simple désengagement du HCR à
l’égard de ces personnes peut avoir des conséquences humanitaires internationales désastreuses
du fait que ces nouveaux réfugiés sont issus généralement des pays pauvres comme ceux
d’Afrique noire dont les Etats ont d’énormes difficultés financières. Le HCR est obligé de
coopérer avec ces Etats dans la prise en charge des personnes déplacées à l’intérieur de leur
propre pays.
On note alors que l’approche initiale du HCR, centrée sur les réfugiés au sens strict de la
convention onusienne a largement évolué depuis 1990 vers une approche beaucoup plus
holistique72
. Le mandat du HCR est, ainsi dit, étendu implicitement à d’autres groupes
vulnérables. Malgré l’effort déployé pour étendre son champ d’action à d’autres groupes
vulnérables , le HCR devrait étendre explicitement la définition terme « réfugié » à d’autres
70Ibid p 7.
71Académie de droit international de la Have., (1979).
72CRISP, 1999 :
55
nouveaux réfugiés tels que les déplacés internes, les réfugiés écologiques et les victimes de
catastrophes naturelles afin de lever les flous juridiques qui planent sur le concept de « réfugié »
et de placer ces nouveaux réfugiés au même pied d’égalité que les « réfugiés » définis selon les
conventions de Genève et de l’OUA tout en respectant les principes d’ingérence qui régissent
chaque Etat.
56
CHAPITRE 2 : L’HISTOIRE DE LA MIGRATION
DE REFUGE EN AFRIQUE CENTRALE AU XXEME
ET XXIEME SIECLE.
1. LA MIGRATION FORCEE EN AFRIQUE CENTRALE
PENDANT LA PERIODE COLONIALE. (DE 1900 A 1945).
Dans le cadre de l’expansion du capitalisme industriel européen, l’Afrique est encore au
premier rang des stratégies des gouvernements de l’Europe du XIXème siècle73
. Une stratégie
fondée exclusivement sur les intérêts économiques, mais avec un volet politique plus ou moins
voilé. Il y eut rapidement l’installation de l’économie coloniale au sein de ce nouveau continent,
laquelle se manifeste par l’appropriation des terres, l’extraction minière et le travail74
. En effet,
pour développer cette stratégie économique, les colons nouvellement installés ont besoin de la
force du travail des autochtones, c’est-à-dire de celle des travailleurs africains.
Les colons avaient grandement besoin de la main d’œuvre africaine pour développer leurs
exploitations agricoles et minières dont les rendements devaient servir en partie à la métropole.
Pour ce faire, ces derniers vont utiliser les travailleurs africains dans presque tous les secteurs
économiques de l’époque. L’Economie coloniale était organisée selon les spécialités régionales et
73 Gregory J., (1988), Migrations et urbanisation in Tabutin D., (dir), population et sociétés en Afrique au sud du
Sahara, Paris, l’Harmattan, op .cit p 371.
74 Coquery-Vidrovitch C., (1972) ; Suret – Canale J., (1964)
57
se présentait de la manière suivante : la production de l’économie de traite était assurée
exclusivement par les cultivateurs africains en Afrique occidentale française et britannique et
l’économie des compagnies concessionnaires va se développer davantage en Afrique centrale
belge et francophone75
.
Le découpage économique et politique des territoires africains subsahariens va être accentué
pendant la colonisation et plus en encore dans la période qui suit les indépendances76
. Il faut
noter que le découpage des territoires et les tracés des frontières entre les Etats étaient effectués
d’une manière arbitraire sans prendre en compte les dimensions ethniques et tribales. Ce qui fait
que ces frontières vont séparer les peuples appartenant aux mêmes groupes tribaux ou
ethniques77
. Les tracés de ces frontières seront plus tard à l’origine de beaucoup de problèmes
sociopolitiques et notamment ceux du mouvement de populations à l’intérieur du continent. Nous
y reviendrons lorsque nous aborderons la problématique de la migration de refuge en Afrique
pendant la période contemporaine.
Les colons, pour atteindre leurs objectifs économiques, mettaient en place une stratégie fondée
totalement sur la répartition des territoires. Ils consacraient une grande partie des territoires qu’ils
occupaient à l’exploitation des ressources naturelles (mines, forêt…), aux cultures de rente (café,
cacao, coton) et à l’exploitation de la force de travail78
. De ce fait, d’immenses territoires, par
exemple, de l’Afrique Centrale dont les terres étaient favorables aux cultures furent concédés aux
75M’Bokolo E., (1980), l’Afrique au XXème siècle. Le continent convoité, Montréal, Editions Etudes vivantes,
p43. A noter que cette classification des secteurs économiques selon les régions d’Afrique pendant la période
coloniale est faite par les historiens britanniques Roland Olivier et Anthony Atmore.
76Quesnel A., (1988), les politiques gouvernementales de migration ou de répartition de population in Tabutin D.,
(dir), Population et sociétés en Afrique au sud du Sahara , Paris, l’Harmattan, p 401.
77Banque mondiale., (2007) , Atelier international, programme Rural struc, Rapport sur les migrations :
« Migrations internationales – Une option de sortie par défaut ? », Février 2007, p. 23
78 Quesnel A., (1988), les politiques gouvernementales de migration ou de répartition de population in D. Tabutin
(dir), Population et sociétés en Afrique au sud du Sahara , Paris, l’Harmattan, p 401.
58
grandes compagnies de la métropole pour l’exploitation de caoutchouc et de l’ivoire 79
comme ce
fut le cas en Congo Belge, la République Démocratique du Congo actuelle, vers les années 1910.
L’Union minière du haut Katanga (UMHK), qui était fondée par la Société Générale de Belgique,
eut pour mission d’exploiter les mines de la riche région du Katanga.
En fait, l’Etat colonial présent au Congo Belge n’avait pas laissé les grandes firmes privées
occidentales exploiter toutes seules l’ensemble du territoire immensément riche du Congo Belge
de l’époque. Il s’était également grandement investi dans l’exploitation des mines et possédait
aussi ses propres sociétés qui exploitaient les mines d’or de Kilo-Moto dans la même logique
commerciale et économique que les autres grandes firmes privées 80
. En effet, si les colons
présents au Congo belge avaient donné de l’importance à l’exploitation des mines, ce ne fut pas
le cas pour d’autres colons présents en Afrique centrale à la même période. Par exemple, les
colons allemands présents au Cameroun vont davantage privilégier l’agriculture. Pour ce faire, ils
eurent à développer la culture du cacao, les plantations d’hévéas et de palmiers à huile et en y
acclimatant la variété de bananes « gros Michel », importée d’Amérique centrale81
. En effet, à la
différence des terres congolaises, les terres camerounaises étaient plutôt favorables à
l’agriculture.
Afin de réussir leurs objectifs économiques, les colons doivent compter sur une main d’œuvre
africaine disponible et mobile. Cette main d’ouvre devait être numériquement importante dans les
zones d’exploitation minière et agricole ; surtout les zones qui possèdent un potentiel climatique
favorable au développement des cultures commerciales. Ce fut le cas des terres de l’Afrique
Centrale82
. Pour ce faire, ces colons vont contraindre les populations des régions sahéliennes
79 M’Bokolo E., (1980), l’Afrique au XXème siècle. Le continent convoité, Montréal, Editions Etudes vivantes,
p41.
80 Ibid. p39.
81Ibid. p 141
82 (Mbokolo E., 1986).
59
arides et pauvres à migrer dans les zones tropicales humides, riches, lesquelles sont susceptibles
de favoriser le développement des cultures de rente. De ce fait, bon nombre de personnes vont
délaisser leur territoire habituel pour se concentrer dans les régions tropicales, laissant ainsi les
zones sahéliennes, moins fertiles, désertes.
En effet, cette politique de la répartition de la population axée sur les intérêts exclusivement
économiques était fonctionnelle dans toute l’Afrique subsaharienne. Par exemple, pour
développer des économies dites concessionnaires en Afrique Centrale, les colons ont dû déplacer
de la main d’œuvre humaine des zones arides aux régions plus humides. Mais quel fut alors les
conséquences d’une telle politique de répartition de population ?
En organisant donc les déplacements de la force de travail, donc des individus, d’une zone à
une autre, selon les besoins de la localisation de la production des biens d’exportation, la
puissance coloniale réalise alors une politique migratoire au sens strict du terme marquée par
deux réalités 83
. La première est que les aires d’exploitation des ressources naturelles et les
régions côtières se voient privilégiées en matière d’infrastructures routières, sanitaires,
scolaires… . Par contre, les autres régions marquées par une pauvreté en ressources naturelles et
en infrastructure sont contraintes d’envoyer leur population au sein des aires d’exploitation riches
en infrastructures. Ceci dit, ces régions privilégiées et riches reçoivent les flux migratoires en
provenance de ces régions défavorisées et connaissent un accroissement démographique plus
rapide que les autres régions.
Outre cette conséquence qu’on vient de décrire, force est de constater que ce mouvement de
population décrit à travers cette précédente analyse possède bien la caractéristique d’une
migration forcée. Effectivement, ce besoin manifeste de la main d’œuvre pour l’exploitation des
83Quesnel A., (1988), les politiques gouvernementales de migration ou de répartition de population in Tabutin
D., (dir), Population et sociétés en Afrique au sud du Sahara , Paris, l’Harmattan, p 402.
60
ressources minières et agricoles fut bien à l’origine de la migration forcée en Afrique
subsaharienne en général et en Afrique centrale en particulier pendant la période coloniale 84
.
En effet, cette migration était fondée sur une contrainte, une domination et une persécution de
la part des colons. A noter que les régimes coloniaux instaurés en Afrique centrale à cette période
furent caractérisés par une excessive domination et une grande oppression de la part du colon85
.
Cette migration n’était pas volontaire puisque les travailleurs africains n’étaient pas libres de
leurs mouvements. Les motifs de déplacement de ces travailleurs africains étaient bien fondés sur
la crainte et la persécution de la part de leurs envahisseurs, les colons. Il faut noter qu’une partie
non négligeable des mouvements migratoires africains, entre 1890 et 1945, ont requis la force et
ont souvent entraîné violences et révoltes 86
.
En effet, ces migrations forcées de la période coloniale furent surtout des migrations
temporaires pour le transport de marchandises, la construction de chemin de fer et de routes ou de
défrichement de terres. Cette migration forcée était exclusivement masculine. La migration
féminine en Afrique subsaharienne est très récente. C’est seulement vers les années 1960 que le
nombre des femmes va commencer à croitre dans la population des migrants en Afrique
subsaharienne 87
. Les colons avaient davantage besoin des hommes valides et forts pour travailler
dans les exploitations agricoles, sur les chantiers d’extraction minière et sur ceux de chemin de
fer et de construction de routes.
Il faut noter, par ailleurs, que cette migration forcée va davantage s’intensifier pendant les
deux grandes guerres mondiales du fait du recrutement d’un grand nombre de jeunes africains
84Banque mondiale (2007), Atelier international, programme Rural struc, Rapport sur les migrations :
« Migrations internationales – Une option de sortie par défaut ? », Février 2007, p. 23.
86
Asiwaju A.I, 1976.
87 Ibid p 24.
61
dans les armées françaises et britanniques pour aller combattre au front. En fait, la conséquence
de cette guerre fut dramatique pour le continent africain en général et pour l’Afrique centrale en
particulier du fait de la disparation d’un grand nombre des jeunes de ce continent.
Eu égard aux précédentes analyses, force est de constater qu’à l’instar des migrations forcées
des périodes précoloniales, c’est-à-dire la migration forcée des esclaves, les migrations forcées
causées par les conflits familiaux et les migrations forcées de la période d’expansion de l’Islam
en Afrique Centrale, notamment en République Centrafricaine et au Tchad88
, l’Afrique coloniale
fut effectivement marquée par le phénomène de la migration forcée même si celui-ci n’a pas eu la
même résonance dans le domaine de la recherche en Sciences Sociales que celui de la période
esclavagiste. Ce furent les colons qui ont bel et bien introduit ce nouveau type de migration de
contrainte en Afrique subsaharienne pour des raisons qu’on a longuement développées dans les
précédentes parties de cette étude ; c’est-à-dire celles liées à l’Economie et à la Politique89
.
En effet, la politique de la conquête militaire, du maillage des territoires et de la création des
frontières étatiques mises en place par les colons ont provoqué des déplacements d’un grand
88En effet, il y eut des déplacements forcés de quelques ethnies centrafricaines et tchadiennes telles que les Sara
du sud du Tchad et les Banda et le Manza de l’actuelle République Centrafricaine du XIXème jusqu’ au début du
XXème suite aux razzias des musulmans venus implanter l’Islam avec une violence inouïe. La conséquence
démographique de ces razzias fut très prononcée même jusqu’aujourd’hui en République Centrafricaine. Car le faible
peuplement de certaines régions du Nord de la République Centrafricaine d’aujourd’hui s’explique par ce
phénomène des razzias qui a été à l’origine de la fuite d’un grand nombre de villageois de cette région du nord. Lire
à ce sujet Cordell, D.D ; « Des réfugiés dans l’Afrique précoloniale ? L’exemple de la Centrafrique 1850-1910 in
Politique africaine, n° 85, Mars 2002 ; Lire aussi Chevalier A.,(1907), Mission Chari –lac Tchad, 1902-1904.
L’Afrique Centrale française. Récit de voyage de la mission, Augustin Challamel, 1907 ; Lire aussi Prins P., « Les
troglodytes du Dar Banda et du Djebel Mela », bulletin de géographie historique et descriptive, 1909 ; lire aussi
Magnat J-P., (1986), la Terre sera, terre tchadienne, Paris, l’Harmattan. ; lire aussi Kalck P.,(1970) , « histoire de
la République centrafricaine, des origines à nos jours », thèse de doctorat, université Paris-Sorbonne, vol 1.
89 Pérouse de Montclos M.A (2002), Réfugiés : des stratégies de fuite dans la longue durée in Politique africaine, n°
85, Mars 2002, p 9.
62
nombre d’individus sur tout le territoire d’Afrique subsaharienne pendant la période coloniale90
.
Les individus étaient, parfois, obligés de fuir les lieux de corvée et des « travaux dits d’utilité
collective » instaurés pour le non paiement des impôts pour se réfugier dans les zones
susceptibles d’être exemptes des corvées 91
. Ces populations ne voulaient pas vraiment quitter la
terre de leurs ancêtres pour aller dans un autre endroit puisqu’ils y étaient très attachés92
. Les
colons étaient obligés d’utiliser la force pour contraindre ces populations à quitter la terre de leurs
ancêtres pour une destination inconnue. Selon Makwala, le nombre de travailleurs recrutés et
déplacés de force en République Démocratique du Congo était de l’ordre de 47 000 à 125 000 de
1917 à 1920 et atteignait le nombre de 278 104 en 192493
.
Il est à noter que, hormis les déplacés forcés imposés par les colons, le développement de
certains mouvements religieux en Afrique Centrale pendant la période de la colonisation a
occasionné la migration forcée d’une grande intensité. Ce fut le cas du mouvement de Simon
Kimbangu en République Démocratique du Congo. Ses disciples étaient contraints de fuir la
province du Bas-Congo pour se réfugier dans d’autres provinces telles que l’Equateur, le
Bandundu, le Kassaï et le Katanga du fait de la répression dont leurs chefs religieux et leur
mouvement faisaient l’objet94
. Cette migration forcée pendant la période coloniale n’est pas un
cas isolé car les conflits interethniques ont aussi occasionné le déplacement des milliers de
personnes pendant la période coloniale en Afrique Centrale. Ce fut le cas du conflit entre les
Luba et les Lulua en République Démocratique du Congo95
.
90Ibid.
91Ibid.
92 LUTUTALA M., (2007), Les migrations en Afrique Centrale : Caractéristiques, enjeux et rôles dans
l’intégration et le développement des pays de la région, Université de Kinshasa, p8-10.
93 Makwala cité par Lututala in LUTUTALA M., (2007), Les migrations en Afrique Centrale : Caractéristiques,
enjeux et rôles dans l’intégration et le développement des pays de la région, Université de Kinshasa, p8-9.
94 Ibid.
95 Ibid.
63
Mais ce qu’on peut retenir, c’est que les profils sociodémographiques des migrants forcés de
la période coloniale se distinguent nettement de ceux de la période postcoloniale (la période de la
décolonisation et celle plus contemporaine), ce qui est totalement logique, vu la différence des
contextes sociohistoriques.
Si les migrants forcés de la période coloniale sont en majorité des hommes et par analogie des
migrants de travail, ce n’est pas le cas pour ceux de la période postcoloniale. En effet, on va
assister progressivement à une féminisation de la migration dite de « refuge » en Afrique
subsaharienne à partir des années 1960. De ce fait, le nombre des femmes va progressivement
croître dans la population des migrants forcés en Afrique centrale à partir de cette période. Nous
reviendrons sur ces aspects lorsque nous allons aborder la problématique sur la migration forcée
ou encore de refuge pendant la période contemporaine.
Mais avant de nous projeter dans l’avenir pour parler des migrations forcées de la période
contemporaine, c’est-à-dire de celles de 1960 à nos jours, intéressons nous d’abord à la période
qui a suivi de près la période coloniale, c’est-à-dire la période de la décolonisation (1945-1960).
Quelle était la nature de la migration forcée en Afrique Centrale pendant la période de la
décolonisation ? Quelle était la cause de ce phénomène migratoire ? Quelle était la conséquence
démographique de cette migration forcée ? Quels étaient les profils sociodémographiques des
migrants forcés de cette période ? En quoi se distinguent-ils de ceux de la période coloniale et de
la période contemporaine ? Telles sont les interrogations qui vont nous préoccuper dans la partie
qui va suivre et que nous avons baptisée « La migration forcée en Afrique Centrale pendant la
période de la décolonisation : de 1945 à 1960 ».
64
Tableau 2.1 : Les éléments caractéristiques de la migration forcée en Afrique Centrale pendant la
période Coloniale.
Migration causée par les colons pour des raisons polico-économiques
Migration qui fut très prononcée pendant la période allant du XIXème et jusqu’à la moitié du XXème siècle (Année
1945)*
Migration exclusivement temporaire
Migration analogue à une migration de travail et/ou économique
Migration à dominance masculine
Migration dont la conséquence démographique se traduit par une forte concentration des hommes dans les régions à
potentiel économique et climatique au détriment d’autres régions.
*Nous nous sommes intéressés qu’à la période allant de 1900 à 1945 dans cette partie d’étude.
65
2. LA MIGRATION FORCEE EN AFRIQUE CENTRALE
PENDANT LA PERIODE DE LA DECOLONISATION : DE 1945 A
1960.
La décolonisation peut s’entendre au sens large comme l’ensemble des réponses
contestataires de l’ordre colonial, ou au sens étroit comme la phase ultime de ce mouvement,
celle de sa liquidation96
. En effet, ce mouvement est très complexe car il résulte de multitudes de
causes qui sont entre autres d’ordre conjoncturelles, internes et internationales, économiques et
politiques que nous essaierons de décrire au sein de cette étude.
Mais avant tout, présentons les éléments qui sont à l’origine du déclin de ce colonialisme
triomphant et impérial qui a dominé l’Afrique toute entière et l’Afrique centrale en particulier
pendant des décennies au prix de guerres épuisantes et meurtrières.
Le déclin de l’impérialisme colonial trouve sa principale explication au sein même de sa
propre structure. En fait, par ses succès comme par ses échecs, c’est-à-dire ses contradictions,
l’impérialisme colonial a levé des forces qui devrait tôt ou tard se retourner contre lui 97
.
96 Droz B., (2006), Histoire de la décolonisation au XXème siècle, l’univers historique, seuil, Op Cit. p 8.
97 Nouschi A., (2005), Les Armes retournées . Colonisation et décolonisation françaises, Paris, Belin,Op.Cit.
66
Il demeure important de noter que, malgré ses abus, les colons, représentants de l’impérialisme
colonial, ont quand même grandement contribué au développement social des territoires conquis.
Il y eut, par exemple, la révolution sanitaire dans tous les territoires colonisés, laquelle a été
génératrice de l’explosion démographique de cette époque. Les colons ont, d’autre part, favorisé
la promotion d’une élite dite « indigène » par le biais de l’instruction transmise par des
institutions scolaires qu’ils avaient mises en place dans les territoires africains colonisés et en
Afrique Centrale en particulier. Ces indigènes instruits demeurent des privilégiés aux yeux des
colons, mais également aux yeux des leurs du fait de leur accession au savoir.
En effet, le développement social qui résulte de l’initiative des colons à travers leurs divers
projets de la promotion de la santé et de l’instruction au sein des territoires colonisés va créer une
valeur ajoutée aux colonisés, laquelle sera utilisée plus tard par ces derniers comme une arme
contre ces mêmes colons. Ainsi, l’explosion démographique générée par la révolution sanitaire
demeure un atout pour les colonisés. Car, elle eut à placer les colons européens dans une situation
d’infériorité par rapport aux colonisés. Les colonisés vont désormais mieux s’organiser pour
contrecarrer le pouvoir colonial. De l’autre côté, les élites formées par les colons vont être à
même de revendiquer leurs droits et à dénoncer les abus des colons, c’est-à-dire les travaux
forcés, les conditions précaires du travail.
La décolonisation a débuté en 1945, déclenchée par une multitude de facteurs structurels,
conjoncturels, internationaux, s’achève normalement dans les années 1975-198098
. La première
phase s’ouvre à la fin de la seconde guerre mondiale et s’achève avec la conférence de Genève de
1954 ; une seconde phase intervient vers le début des années 1961. Cette phase est caractérisée
par des guerres de libération longues, meurtrières et très complexes avec parfois l’intervention
98 Droz B., (2006), Histoire de la décolonisation au XXème siècle, l’univers historique, seuil, p 12
67
des Etats voisins et l’activisme des grandes puissances. Cette phase arrive à son terme dans les
années 1975-198099
.
L’Afrique noire et notamment l’Afrique centrale a aussi connu cette phase compliquée des
guerres de libération qui demeure toujours triomphante pour les peuples colonisés dans la mesure
où ils finissent toujours par obtenir leur indépendance à la fin de cette guerre dite de libération.
Cette dernière demeure le passage plus ou moins obligé pour accéder à l’indépendance. Et le pays
qui accède à l’indépendance, à travers cette phase conflictuelle, pousse son voisin à faire comme
lui. En effet, l’indépendance du Ghana en 1957 et celle de la Guinée en 1958 ouvre la boîte de
pandore d’une décolonisation en chaîne beaucoup plus rapide que prévue 100
.
La décolonisation africaine, à l’instar d’autres mouvements de décolonisations à travers le
monde, s’est articulée sur trois périodes bien spécifiques. La première s’étend de 1957 à 1960
pendant laquelle quinze colonies noires vont accéder à l’indépendance. L’indépendance de la
Guinée de 1958 va ouvrir la voie de la décolonisation des possessions françaises parachevées en
1960 avec l’indépendance de douze anciennes colonies101
y compris les colonies d’Afrique
Centrale telles que le Cameroun, le Tchad, le Gabon et la Centrafrique . La seconde commence
en 1960 et s’achève en 1965. Ce fut une période marquée par la décolonisation d’un grand
nombre de colonies britanniques d’Afrique occidentale.
99Ibib p 15
100Ibid p 12.
101Ibid .p 227.
68
Enfin, la troisième phase, très conflictuelle, marque la proclamation des indépendances de
Rhodésie du Sud en 1965. Il faut noter qu’aucune indépendance n’a été accordée en Afrique
noire sans épreuves de forces, à tout le moins sans affrontements préalables102
.
Alors quelles sont les conséquences humaines ou démographiques de ces guerres de la
libération ou d’indépendance ?
Les migrations de la décolonisation vont marquer l’histoire des migrations internationales par
sa particularité, sa singularité et sa complexité. Contrairement à la migration forcée de la période
coloniale dont les victimes furent exclusivement les colonisés qui sont contraints de quitter leur
espace vital habituel pour aller travailler de force dans des zones à forte potentialité économique
pour le compte des colons, la migration forcée de la période de la décolonisation va toucher à la
fois les colonisés et les colons et va prendre une allure internationale. Les colons vont devenir des
victimes au même titre que les colonisés de ce phénomène migratoire spécifique de la période de
la décolonisation.
La migration forcée va ainsi s’imposer aux colons. De ce fait, ils vont être contraints de quitter
les territoires colonisés suite aux conflits qu’ils les ont opposés aux colonisés, surtout après
l’accession à l’indépendance des pays colonisés, pour se réfugier en Europe principalement. On
dénombre environ quatre à cinq millions de « Blancs » qui ont regagné l’Europe après les guerres
de la décolonisation. Environ deux millions d’anciens colonisés qui furent les collaborateurs des
102Ibid . p 228.
69
colons pendant la colonisation, rejetés par les leurs, vont être contraints également de suivre ces
derniers .103
On voit là apparaitre une typologie migratoire composée de trois types de populations : les
colonisés, les collaborateurs des colons et les colons, devenus tous, dans une moindre mesure, des
migrants forcés.
S’agissant de l’Afrique centrale, il faut noter que ce fut dans la colonie belge, actuelle
République Démocratique du Congo, que la migration forcée des colons pour le retour en Europe
fut très prononcée. En raison d’une situation politique devenue très préoccupante vers les années
1958 et après l’indépendance de ce pays, beaucoup de colons belges vont être contraints de
quitter dans la précipitation le territoire congolais pour retourner en Belgique. Ce départ accéléré
des colons belges se produisit dans une violence totale suite à la mutinerie organisée par la force
publique vers les années 1960. On dénombre environ 45 000 colons belges qui sont retournés en
Belgique vers les années 1960104
.
Mais l’itinéraire migratoire des colons ne fut pas fait selon un schéma unique, c’est-à-dire :
pays de départ (les anciennes colonies) et pays d’arrivée (les métropoles).
103Dubois J-L (1995), l’Europe retrouvée. Les migrations de la décolonisation, Paris, l’Harmattan.
104Droz B., (2006), Histoire de la décolonisation au XXème siècle, l’Univers historique, Seuil, p 317.
70
En effet, ces colons étaient obligés d’emprunter d’autres itinéraires migratoires afin d’arriver
rapidement dans un lieu très sûr. Ce fut le cas des colons belges et des Grecs qui ont quitté le
Congo belge et ont choisi l’Afrique du Sud comme destination de refuge. Deux autres pays
d’Afrique Centrale qui furent touchés de près par cette migration forcée des colons furent le
Rwanda et le Burundi. Le mouvement de l’indépendance du Rwanda et du Burundi a déclenché
un mouvement forcé de populations essentiellement des colons. Quelques 10.000 ressortissants
belges ont du quitter ces deux pays en 1962105
.
Si le mouvement de retour des Blancs fut très prononcé et très dramatique dans les colonies
belges d’Afrique Centrale, ce n’est pas le cas pour celles des Français d’Afrique noire et
d’Afrique Centrale. En effet, il y eut seulement le rapatriement de quelques fonctionnaires avec
leur famille dans les colonies d’Afrique noire et notamment d’Afrique centrale. Certains colons
vont rester travailler dans le secteur privé en Afrique noire nouvellement indépendante. On
dénombre, malgré tout, environ 500 000 colons français rapatriés à travers le monde pendant
cette période de décolonisation106
.
Un autre aspect mérite d’être analysé dans la partie de cette étude. Il s’agit du cas des
auxiliaires indigènes qui collaboraient avec les colons lors de la domination coloniale. En effet,
ces derniers étaient recrutés par les colons parmi les indigènes pour combattre la guérilla
nationaliste, celle qui s’opposait au pouvoir colonial. Le sort des auxiliaires indigènes va être
compliqué pendant les périodes postcoloniales. En effet, ils ne pouvaient plus rester dans les
anciennes colonies nouvellement indépendantes puisqu’ils ont trahi les leurs en collaborant ou en
combattant du côté des colons, considérés comme des ennemis. Ils devinrent ainsi des personnes
105Ibid. p 317.
106Ibid. p 317.
71
très vulnérables susceptibles d’être attaquées à tout moment par les populations autochtones. De
ce fait, ils furent obligés de suivre leurs collaborateurs, les colons dans leur périple migratoire.
Bon nombre ont incorporé les armées métropolitaines comme ce fut le cas de l’armée portugaise
et les autres groupes vont être contraint de migrer en Europe. Mais le sort de ces anciens
collaborateurs des colons demeura très précaire lors de leur séjour en migration de refuge dans les
pays de leurs anciens alliés. En effet, leurs conditions d’accueil furent très précaires, ils furent
parfois abandonnés à eux seuls. Par conséquent, ils se retrouvèrent ainsi sans repère.
En effet, la migration des indigènes auxiliaires en Europe après les phases de la décolonisation
fut presque quasi nulle. Les auxiliaires indigènes sont presque tous restés en Afrique noire. Par
conséquent, ils devinrent ainsi des réfugiés, car ils furent contraints au refuge et à la mobilité sous
contrainte à l’intérieur même de leur propre pays. Les nouveaux administrateurs africains qui ont
pris le pouvoir combattaient ces auxiliaires indigènes et les considéraient comme des ennemis du
fait de leur collaboration avec les colons.
A la lumière de tout ce qui a précédé, il faut bien remarquer qu’il y a eu une migration forcée
en Afrique noire et en Afrique Centrale pendant la période de la décolonisation. La conséquence
de ces guerres fut dramatique dans un registre humain et démographique. En fait, ces guerres de
libération ont produit des migrants forcés ou encore des « réfugiés » si on se réfère à l’appellation
contemporaine de ce type de population. Et ces réfugiés ne sont autres que des colons et leurs
collaborateurs indigènes qui sont contraints de quitter les territoires colonisés suite aux
mouvements de révolte des peuples colonisés qui furent, eux aussi, dans la plupart des cas des
réfugiés pendant la période coloniale parce qu’ils étaient contraints au déplacement forcé et aux
travaux forcés. Voici quelques éléments caractéristiques de cette migration forcée de la période
de la décolonisation résumés dans le tableau ci-dessous.
72
Tableau 2.2: Les éléments caractéristiques de la migration forcée en Afrique noire et centrale
pendant la période de la décolonisation.
Migration causée par les guerres de libération et d’indépendance dans les colonies
Migration de groupe
Les migrants forcés sont principalement des colons et leurs collaborateurs, les auxiliaires indigènes
Migration définitive pour les colons
Migration international
3. LES MIGRATIONS FORCEES RECENTES EN AFRIQUE
CENTRALE : DE 1960 A NOS JOURS
Plusieurs crises sociopolitiques ont secoué l’Afrique Centrale depuis les années 1960. On ne
saurait décrire l’ensemble de ces crises au sein de cette étude. En effet, la description de
l’ensemble de ces crises pourrait faire l’objet d’une autre grande étude. Ceci dit, notre objectif va
être modeste et très limité dans ce volet que nous allons consacrer à l’inventaire de quelques
crises sociopolitiques qui furent à l’origine de la migration forcée en Afrique Centrale depuis les
années 1960. Notre objectif fondamental est de présenter d’une manière brève les chronologies
de ces principales crises sociopolitiques sans entrer dans un profond détail, analyser les
principales causes de ces crises et montrer les conséquences de celles-ci sous l’angle
démographique. Autrement dit, il s’agit de décrire la conséquence humaine et démographique de
ces crises sociopolitiques dans la production des nouveaux réfugiés.
« En effet, la particularité de l’Afrique Centrale tient au fait que des effectifs importants et
quasiment incompressibles de réfugiés subsistent depuis le début des indépendances notamment
au Rwanda qui, hormis l’Algérie à partir de 1954, fut le premier pays africain à produire des
réfugiés, les premiers officiellement recensés comme tel, au Congo (ex-Belge), au Burundi
73
etc.…Les flux ensuite sans cesse réalimentés par d’autres situations de crise (1963, 1965, 1969,
1972, 1973) dispersèrent des centaines de milliers de réfugiés à travers le continent africain. A
partir de 1993, le Congo-Brazzaville, jusqu’à là considéré comme un lieu d’asile pour les réfugiés
du Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo) ou de l’Angola, entra lui aussi dans la
spirale de la production de réfugiés 107
». La République Centrafricaine, elle aussi, va devenir un
pays producteur de réfugiés. Un grand nombre de populations centrafricaines du sud, surtout les
Yakoma : l’ethnie de l’ancien président Kolingba, va fuir les hostilités de l’après coup d’état
manqué de l’année 2001 pour aller se réfugier en République Démocratique du Congo.
La figure ci-dessous décrit l’importance de flux des réfugiés en Afrique pendant la période
contemporaine.
107 Guichaoua A., (2004), Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et orientale, Paris, Karthala, op cit p 23
et 24.
74
Figure 2.2 : Flux des réfugiés en Afrique en 2002.
Source : UNHCR(2002), http://www.unhcr.ch, Questions internationales, Genève.
75
On note que sur l’intervalle de 50 ans (entre 1960 et 2010) presque tous les pays d’Afrique
Centrale sont touchés de près ou de loin par le phénomène de la migration forcée de sorte que
certains sont devenus de grands producteurs de réfugiés. Surtout, la plupart de ces pays sont à la
fois producteurs et récepteurs de réfugiés, c’est le cas de la République Démocratique du Congo.
D’où l’importance d’analyser le phénomène de la migration de refuge sous l’angle régional afin
de mieux cerner son ampleur.
D’après les données de la figure ci-dessus mentionnée, la Centrafrique aurait reçu environ un
flux de 50 000 réfugiés en 2002 sur son territoire Ce flux était composé de plus de 10.000
réfugiés Soudanais, entre 10.000 à 20.000 réfugiés congolais (RDC) et plus de 10.000 réfugiés
Tchadiens.
La Centrafrique, quand à elle, aurait fourni environ 20.000 réfugiés au cours de cette même
année. Ainsi, environ 10 000 réfugiés centrafricains se sont installés au Tchad, 5 000 au Congo
Brazzaville et 5 000 en République Démocratique du Congo.
Le Tchad aurait reçu sur son territoire plus 20 000 réfugiés en 2002 dont (plus de 10 000
réfugiés centrafricains et plus de 10 000 réfugiés soudanais) et en a fourni plus de 20 000 dont
plus de 10 000 se sont installés au Cameroun et plus de 5 000 en Centrafrique.
Enfin, la République Démocratique du Congo qui est le grand producteur et récepteur des
réfugiés aurait fourni entre 300 000 à 500 000 réfugiés en 2002. Environ 20 000 réfugiés
Congolais (RDC) ont fui vers la Centrafrique en 2002, plus 30 000 au Congo Brazzaville, plus de
20 000 au Rwanda et plus de 100 000 repartis en Afrique de l’Est. La République Démocratique
du Congo aurait reçu entre 200 000 à 300 000 réfugiés en provenance du Rwanda, du Soudan, et
de la Centrafrique.
76
Il est vrai que presque tous les pays d’Afrique Centrale sont touchés de près et de loin par le
phénomène de la migration forcée depuis l’accession aux indépendances, mais force est alors de
constater que l’intensité de ce phénomène varie selon les pays. La question centrale qui mérite
d’être posée est la suivante : Qu’est-ce qui serait à l’origine du développement de ce phénomène
de la migration forcée en Afrique Centrale pendant cette période contemporaine ? Quelle est la
nature de cette migration forcée contemporaine ? Quels sont les profils sociodémographiques de
ces réfugiés contemporains ? Qu’est-ce qui différencieraient ces réfugiés contemporains des
autres migrants forcés de la période coloniale et de ceux de la période de la décolonisation ?
Il serait donc ingénieux de présenter d’une manière brève les chronologies des principales
crises sociopolitiques qui ont secoué l’Afrique centrale contemporaine. En effet, les causes de ce
phénomène migratoire ne peuvent se chercher qu’à travers ces différentes crises sociopolitiques.
77
3.1 Les chronologies de principales crises sociopolitiques et
humanitaires contemporaines dans quelques pays d’Afrique
Centrale.
3.1.1 Le Burundi.
Année 1972 :
Assassinat de Ntare V Ndizeye, le prince de l’époque. Il y eut également des massacres
interethniques d’une grande envergure au sein du pays. L’année 1972 marque également le début
du génocide des élites de l’ethnie hutu. Des milliers de Burundais vont fuir leur pays pour se
réfugier dans les pays voisins notamment dans l’actuelle République Démocratique du Congo108
.
Le coup d’Etat militaire du colonel Jean-Baptiste Bagaza va encore déstabiliser le pays, mais il
y eut malgré tout, l’instauration de la deuxième République à l’issue de ce coup d’état.
Année 1987 :
Pierre Buyoya fait un coup d’état à l’issue duquel il y eut l’avènement de la troisième
République.
108 Nous nous sommes inspirés des textes de Guichaoua A., Chronologie thématique, in Guichaoua A. (dir)
(2004), Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et Orientale, Karthala, p 44-54 pour rédiger cette partie de
l’étude consacrée à la chronologie des différentes crises sociopolitiques et humanitaires survenues au Burundi
pendant la période contemporaine.
78
Année 1988 :
Il y eut un affrontement interethnique dans les communes de Ntega et Marangara au nord du
pays. L’Etat est obligé d’intervenir afin de rétablir la paix dans cette zone de conflit. La
conséquence de ce conflit interethnique fut dramatique puisque qu’il y eut plus de 20 000
victimes. Un certain nombre de réfugiés hutus vont fuir la répression militaire et se diriger vers le
Rwanda.
Année 1992 :
Afflux de réfugiés burundais au Rwanda (environ 6 000) et dans l’actuelle République
Démocratique du Congo. Environ 40.000 se sont installés dans la région de Kivu, la région Est de
l’actuelle République Démocratique du Congo.
Année 1993 :
Putsch militaire et assassinat du président Melchior Ndadaye. Des violences ethniques gagnent
tout le pays et provoquent le départ en migration de refuge des centaines de milliers de
Burundais. Un grand nombre de Burundais qui n’ont pas pu traverser la frontière pour demander
l’asile dans les pays limitrophes sont devenus des déplacés internes. On dénombre 270 000
réfugiés burundais au Rwanda, 60 000 en Tanzanie et 15 000 dans l’actuelle République
Démocratique du Congo.
Année 1996 :
L’insécurité va gagner tout le pays. Les guérillas armées vont se structurer et se développer à
travers le pays. Un important effectif des militaires loyalistes vont s’engager dans ces guérillas.
79
Année 2002 :
Les affrontements entre l’armée et le FLN (mouvement de rébellion) ont provoqué le
déplacement massif des Burundais à l’intérieur du pays. En effet, plus de 40 000 personnes sont
obligées de gagner le Bujumbura rural à cause de ces durs affrontements militaires.
3.1.2 Le Congo Brazzaville.
Année 1993 :
L’opposition congolaise conteste les résultats de l’élection présidentielle de 1992 remportée
par Pascal Lissouba. Les tensions vont naître dans tout le pays. Des guérillas urbaines vont se
constituer suite à cette tension et cette violence postélectorales109
.
Les forces de l’ordre, aidées par les groupes de jeunes milices de Brazzaville, vont combattre
les milices pro-opposition baptisés « Ninjas », lesquels enlevaient les hauts fonctionnaires et les
torturaient.
Les milices pro-président de la République, les Zoulous, lesquels furent fidèles au président
démocratiquement élu monsieur Pascal Lissouba vont se lancer dans une guerre sans merci contre
les milices pro-opposition (les Ninjas) tuant des milliers de civiles à Brazzaville. Ces violences
qui sont nées dans les milieux urbains Brazzavillois vont gagner peu à peu les zones rurales,
notamment celles du sud du pays. Les conséquences de ces violences sont catastrophiques, car
des dizaines de milliers de personnes vont se déplacer pour devenir ainsi des réfugiés.
109 Nous sommes principalement inspiré des textes de Guichaoua A., Chronologie thématique, in Guichaoua A.
(dir) (2004), Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et Orientale, Karthala, p 58-65 pour décrire les
différentes crises humanitaires et sociopolitiques qui ont eu lieu au Congo-Brazzaville pendant cette période
contemporaine.
80
Année 1996 :
Après la victoire de Laurent-Désiré Kabila au Zaïre, l’actuelle République Démocratique du
Congo, un flux de partisans de l’ex-président Mobutu, les dignitaires de son régime et les
personnes issues de son ethnie font apparition à Brazzaville. On note aussi la présence d’un grand
nombre de réfugiés rwandais à Brazzaville en cette même période.
Année 1997 :
De violents combats éclatent entre l’armée régulière congolaise sous les ordres du président
Pascal Lissouba et les miliciens de l’ex président Denis Sassou Nguesso malgré l’annonce d’une
date proche d’un scrutin présidentiel. Une guerre civile est à nouveau relancée à Brazzaville.
L’armée régulière fidèle à Lissouba va affronter les miliciens Cobra qui soutiennent Sassou
Nguesso.
Les milices de l’ex-Président Sassou Nguesso contrôlent la ville de Brazzaville et renversent
le président démocratiquement élu monsieur Pascal Lissouba.
Denis Sassou Nguesso se proclame président le 25 octobre 1997 ; chassant ainsi un président
démocratiquement élu du pouvoir. Le processus démocratique est ainsi remis en question suite à
ce coup d’Etat qui s’est opéré dans une extrême violence et la guerre civile qui a couté la vie à
des milliers de personnes. Des centaines de milliers d’autres personnes sont déplacées ou
réfugiées à l’étranger ; notamment dans les pays voisins (La République centrafricaine et la
République Démocratique du Congo).
Année 2003 :
Les chefs des camps des réfugiés Centrafricains en RDC (République Démocratique du
Congo) et au Congo (Brazzaville) demandent leur rapatriement. En effet, il y eut environ 5 000
Centrafricains qui se sont réfugiés au Congo Brazzaville et en République Démocratique du
Congo suite au coup d’Etat du président François Bozize de mars 2003.
81
3.1.3 La République Centrafricaine.
Année 1965 :
Putsch du colonel Bokassa contre le président David Dacko.
Année 1969 :
Echec d’un putsch tenté par le lieutenant-colonel Alexandre Banza. Ce dernier est exécuté le
12 avril de la même année.
Année 1976 :
Attentat contre le président Bokassa, dirigé par Fidèle Obrou.
Année 1979 :
Emeutes estudiantines à Bangui. L’armée va massacrer plusieurs étudiants sous l’ordre du
président Bokassa. Bokassa 1er
est déchu, et la République est rétablie.
David Dacko s’empare du pouvoir par un coup d’état orchestré par l’armée française baptisé
opération BARACCUDA.
Année 1981 :
Le général Kolingba démet le président Dacko de ses fonctions.
Année 1982 :
Le général Kolingba déjoue la tentative de putsch des partisans d’Ange Félix Patassé. Ce
dernier deviendra président de la République Centrafricaine plus tard.
Année 1986 :
Tentative de putsch de Jean Bedel Bokassa.
82
Année 1996 :
Il y eut trois mutineries en République Centrafricaine cette même année, lesquelles
s’expliquent entre autres par la crise sociopolitique que traverse le pays en cette période110
. La
population centrafricaine éprouve un mécontentement contre le gouvernement de l’époque qui
était incapable de payer régulièrement le salaire des fonctionnaires. En effet, ces derniers
accumulaient plusieurs mois d’arriéré de salaire, de vingt à trente mois de retard de salaire pour
certains fonctionnaires. Les soldats centrafricains, mécontents comme leurs concitoyens, vont
investir la capitale et prendre le contrôle de la ville de Bangui en réclamant le paiement des
arriérés de leur salaire et l’amélioration des conditions de leur travail. La ville de Bangui ainsi
que tout l’intérieur du pays furent paralysés pendant plusieurs semaines jusqu’à l’intervention de
l’armée française qui rétablit le calme. La conséquence de ces mutineries fut dramatique du point
de vue humain. En effet, il y eut plusieurs morts du côté des mutins et de la population civile.
Une haine interethnique est née au sein de la population de Bangui à l’issue de ces mutineries. Il
y eut enfin un déplacement forcé de plusieurs milliers de personne à l’intérieur du pays.
Année 2001 :
Il y eut un coup d’état avorté le 28 mai 2001 en République Centrafricaine. Le président
centrafricain de l’époque, Monsieur Ange-Félix Patassé accuse son prédécesseur, André
Kolingba, d’être à l’origine de ce coup d’état. Par conséquent, le régime de Patassé va chercher à
arrêter le président Kolingba ainsi que tous ses proches, voire les gens de son ethnie. Il va se
développer une haine contre l’ethnie Yakoma, l’ethnie de l’ancien président Kolingba. Pour fuir
ces exaltions et cette violence orchestrées par le régime Patassé, de milliers de Centrafricains, des
hommes, des femmes, des enfants, des familles entières et un grand nombre de personnes
appartenant à l’ethnie Yakoma vont fuir le pays pour se réfugier dans les villes frontalières à la
République démocratique du Congo notamment à Zongo et des villes de la région de l’équateur ;
110 Corten O., (1997), République Centrafricaine 1996-1997 in Résolution 1136 (1997) des Nations Unies
concernant la situation en République Centrafricaine.
83
d’autres Centrafricains vont se réfugier dans les villes Congolaises notamment à Betou et à
Brazzaville. On dénombre environ 25 000 réfugiés centrafricains en République Démocratique
du Congo vers les années 2001111
.
Année 2003 :
Il y eut le coup d’état du président François Bozize. Ce dernier fut général dans l’armée
centrafricaine et pendant longtemps chef d’état major du président Ange Félix Patassé. Il profita
de sa position pour renverser le régime d’Ange Félix Patassé. La Centrafrique va à nouveau
entrer dans un régime militaire qui ne va pas durer longtemps puisque le nouveau président va
rétablir le multipartisme et organiser des élections démocratiques en se présentant comme
candidat d’un parti politique démocratique. Le président Bozizé va remporter cette élection
présidentielle et demeure jusqu’à aujourd’hui le président de la République Centrafricaine.
Le coup d’état de 2003 fut, malgré tout, dramatique, puisse qu’il a été à l’origine du
déplacement forcé d’un grand nombre de Centrafricains qui, fuyant les violences post coup
d’état se sont réfugiés à l’étranger notamment au Congo-Brazzaville. On dénombre environ 5 000
réfugiés centrafricains au Congo-Brazzaville en 2003112
.
111Guichaoua A., Chronologie thématique, in Guichaoua A. (dir) (2004), Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique
Centrale et Orientale, Karthala.
112Ibid.
84
3.1.4 La République Démocratique du Congo.
Année 1961 :
Assassinat de Patrice Lumumba, premier ministre de Monsieur Kasa-Vubu, premier chef
d’Etat de la République Démocratique du Congo.
Année 1962 :
Affrontements entre les Banyarwanda et d’autres groupes communautaires du Nord - Kivu.
Année 1964 :
Début de la deuxième rébellion par Gaston Soumialot et Laurent-Désiré Kabila, le futur
président de la République Démocratique du Congo, à partir de Bukavu et Uvira.
Rébellion muleliste. Les communautés Bavira, Babembe et Bafuliru vont s’engager à côté
de la rébellion tandis que les Banyamulenge vont plutôt défendre les forces gouvernementales.
Ce furent donc les premiers affrontements entre les communautés congolaises nouvellement
indépendantes.
Année 1965 :
Prise du pouvoir par Jean-Désiré Mobutu. Imposition d’un parti unique par ce dernier.
Le président Mobutu interdira les activités des partis politiques sur tout le territoire Congolais.
Début de la rébellion katangaise.
Année 1990 :
Massacre d’un grand nombre d’étudiants à l’université de Lubumbashi.
85
Année 1993 :
Exode massif de populations rwandaises au nord et sud-Kivu.
Pillage des militaires dans la capitale, Kinshasa.
Année 1995 :
Arrivée dans le sud-Kivu d’un important flux de réfugiés burundais. Ils étaient au nombre de
35 000.
Plus 15 000 réfugiés hutus vont être refoulés dans leur pays d’origine suite à une opération
musclée de l’armée zaïroise.
Année 1996 :
Des groupes rebelles Banyamulenge lancent plusieurs opérations armées dans la région
d’Uvira (Sud-Kivu en République Démocratique du Congo). Ils attaquent les camps de réfugiés
rwandais et burundais.
Les combats vont s’intensifier entre l’armée zaïroise et les rebelles banyamulenge, lesquels
sont soutenus par les troupes rwandaises et ougandaises.
Le gouvernement du Zaïre, l’actuelle République Démocratique du Congo, va accuser le
Burundi et le Rwanda de leur ingérence dans les affaires zaïroises, surtout de leur collaboration
au groupe rebelle (les banyamulenge) qui combat l’armée officielle zaïroise.
En effet, ces forces rebelles avaient une seule intention, celle de renverser le pouvoir de
Kinshasa, c’est-à-dire le pouvoir de Mobutu.
L’année 1996 va être également marquée par un début de retour forcé au Rwanda de centaines
de milliers de réfugiés hutus. Un grand nombre parmi ces réfugiés vont fuir vers l’intérieur du
Zaïre.
86
Année 1997 :
Laurent-Désiré Kabila, soutenu par les troupes rebelles Banyamulenge, renverse le régime de
Mobutu.
Il se proclame président de la République Démocratique du Congo dans la ville de
Lubumbashi.
Année 1998 :
Arrestation des chefs coutumiers et des leaders de la société civile du Sud-Kivu pour cause de
leur xénophobie à l’égard des Banyamulenge, les rebelles d’origines rwandaise et burundaise qui
ont combattu au côté du président Laurent-Désiré Kabila pour le conduire au pouvoir.
Expulsion des officiers rwandais opérant au sein de l’armée congolaise et fuite du personnel
politique d’obédience rwandaise.
Déclenchement de la guerre du RCD au Kivu. Un mouvement de rebelles, créé par l’armée
rwandaise fut à l’origine de cette guerre.
Année 2000 :
Environ 25 000 réfugiés de la République Démocratique du Congo s’installent dans les
villages situés du côté de la République du Congo aux environs de la ville de Betou et de
Njoundou fuyant les combats entre les rebelles et les forces gouvernementales.
Plus de 10 000 habitants du Nord-Kivu (République Démocratique du Congo) se réfugient
dans le district de Kisoro.
Les combats de la région de l’Equateur, nord-ouest de la République du Congo, vont pousser
quelque 6 000 Congolais de la République Démocratique du Congo, composés en grande partie
de femmes et des enfants, à se réfugier en République Centrafricaine.
87
Année 2001 :
Assassinat du président Laurent-Désiré Kabila. Son fils prend le pouvoir.
Les attaques de l’Unita (Mouvement rebelle angolais) poussent quelques 5 à 8 000 Angolais
à trouver refuge dans la province de Bandundu en République Démocratique du Congo.
Jean-Pierre Bemba, président du MLC, le mouvement rebelle qui s’est formé dans la région
de l’Equateur, au nord de la République Démocratique du Congo, lequel est hostile au
gouvernement de Kinshasa déclare que plus de 100 000 réfugiés issus de la République
Centrafricaine ont traversé le fleuve Oubangui et ont pénétré dans les régions du nord-est de la
République démocratique du Congo, contrôlée par son mouvement.
La frontière avec la République Centrafricaine suite au coup de d’Etat avorté du 28 mai
2001 à Bangui fut fermée à la suite de ces évènements.
Les autorités centrafricaines veulent empêcher le retour de quelques 25 000 réfugiés
centrafricains installés dans les zones transfrontalières surtout ceux qui sont installés dans la
province de l’Equateur.
Année 2003 :
Quelque 130 000 déplacés sont dénombrés dans les environs des villes de Beni et Lubero, au
nord-est de la République Démocratique du Congo du fait des affrontements entre mouvements
rebelles « alliés », le rassemblement congolais pour la démocratie « Kisangani-mouvement de
libération RDC-K/ML » et le mouvement pour la libération du Congo (MLC).
Début d’une offensive gouvernementale centrafricaine pour la reconquête des villes du nord
du pays contrôlées par une rébellion. Les troupes du MLC, mouvement rebelle congolais installé
dans le nord de la République démocratique du Congo, vont soutenir les forces armées
centrafricaines à la demande du président Ange Félix Patassé lors cette opération.
88
3.1.5 Le Rwanda.
Année 1962 :
Attaques répétées d’unités militaires de réfugiés Tutsi à partir du Burundi et développement
d’idéologie anti-Tutsi à l’intérieur du Rwanda. Des milliers de Rwandais vont quitter leur pays
pour se réfugier dans les pays limitrophes ; notamment l’actuelle République Démocratique du
Congo.
Il y eut une incursion de grande envergure au Rwanda. Cette incursion regroupe des
combattants réfugiés venus du Burundi avec des forces Tutsi regroupées dans les camps de
Bugesera (Nyamata) et du Gisaka (Rumbeli). Cette incursion est stoppée in extremis à proximité
de la ville de Kigali. Ce fut donc le début de la chasse aux Tutsis qui commence dans tout le
pays. Par conséquent, un grand nombre de Tutsis sont contraints de s’exiler à l’étranger.
Année 1973 :
Forte agitation anti Tutsi et coup d’Etat du général Juvénal Habyarimana. Ce fut le début de
la deuxième République.
Année 1990 :
Attaque du Front Patriotique Rwandais Inkotanyi, un mouvement rebelle qui regroupe les
réfugiés rwandais Tutsi des années 1960 et 1970.
89
Année 1994 :
Installation d’environ 600 000 réfugiés rwandais dans la région de Goma en République
Démocratique du Congo.
Le HCR estime à environ 2,1 millions le nombre de réfugiés rwandais à l’étranger, repartis
comme suit :
270 000 au Burundi – 500 000 en Tanzanie – 1,33 million en République Démocratique du
Congo dont 850 000 dans la région de Goma, 450 000 dans la région de Bukavu, et 30 000 dans
la région d’Uvira.
Année 2003 :
Signature à Brazzaville d’un accord pour le rapatriement volontaire d’environ 6 500 réfugiés
Hutus rwandais installés au Congo-Brazzaville depuis 1997.
Mise en place d’un programme de rapatriement de plus de 80 000 réfugiés installés
respectivement en République Démocratique du Congo et en Ouganda.
3.1.6 Le Soudan
Année 1982 :
Le président Nemeiri viole un accord de paix en initiant un programme qui consiste à diviser
la région du sud du Soudan en trois provinces distinctes et dissociées. Certains militaires issus de
cette région vont contester cette décision.
Un mouvement rebelle dénommé MPLS (Mouvement de Libération des Peuples du Soudan)
va voir le jour. Ce mouvement sera dirigé par John Garang. Il va relancer la rébellion dans la
région sud du Soudan. Cette rébellion sera à l’origine de la guerre civile des régions
subsahéliennes.
90
Année 1985 :
Les milices pro-gouvernementales vont combattre les rebelles anti-gouvernementaux du sud.
Cet affrontement entre les milices pro-gouvernementales et les rebelles du sud fut désastreux du
point de vue humain. Il y eut des massacres et des actes de barbarie lors de cet affrontement. Tout
le pays va être confronté à une importance crise de réfugiés, laquelle est davantage prononcée
dans le sud du pays. En effet, deux à trois millions de personnes étaient en situation de danger sur
l’ensemble du pays. La plupart d’entre elles sont contraintes à l’exil dans les pays voisins ;
notamment en République Centrafricaine et au Tchad.
Année 1997 :
L’armée de l’opposition qui est une partie intégrante de l’Alliance Nationale Démocratique
prend le contrôle de nombreuses régions du pays. Une guerre va se déclencher dont la
conséquence fut très dramatique dans le registre humanitaire. Les villageois vont voir leurs terres
brûlées par les belligérants. Par conséquent, ces terres vont perdre leur fertilité. Ces villageois
sont abandonnés à eux-mêmes tout au long de cette crise et ne peuvent être secourus par les
organisations humanitaires. En effet, ces dernières étaient interdites d’accès aux zones conflits
par les belligérants. Cette situation fut à l’origine d’une grande crise humanitaire sans précédent.
Année 2003 :
Il y eut naissance d’un nouveau mouvement rebelle dans l’Ouest du Soudan au Darfour, le
SLM/A (Armée/Mouvement de libération du Soudan). Ce fut le début de la crise plus connue
sous le terme de la guerre du « Darfour » qui a mobilisé toute la presse mondiale pendant au
moins cinq années.
Le SLM/A, acteur principal de cette crise de Darfour, va consolider son action grâce au
soutien de différents mouvements rebelles étrangers (ex-mouvements tchadiens) et d’une assise
populaire nationale. Leur rébellion va se propager à travers les trois Etats du Darfour et dans
toutes les grandes villes du pays, combattant ainsi l’armée gouvernementale.
Pour se défendre, l’armée gouvernementale forme un groupe de milices « les groupes arabes
nomades ». Armés par le gouvernement de Khartoum, ces derniers vont combattre le SLM/A et
91
vont semer la terreur parmi la population soudanaise en massacrant des milliers de personnes, en
ratissant plusieurs villages poussant leurs habitants à migrer dans les pays voisins comme au
Tchad et en République Centrafricaine. Cette dernière est contrainte d’accueillir des milliers de
réfugiés soudanais victimes de la crise du Darfour sur son territoire depuis le début de cette crise
jusqu’à nos jours.
3.1.7 Le Tchad.
Année 1966 :
Ibrahima Abacha crée le Front de Libération Nationale du Tchad (FROLINAT) au Soudan.
Année 1968 :
Début de la rébellion du nord du Tchad.
Année 1973 :
Occupation de la Bande d’Aouzou par l’armée libyenne.
Année 1974 :
Prise des otages par les rebelles Toubous dirigés par Hissène Habré.
Année 1975 :
Coup d’état militaire. Le président Tombalbaye est assassiné. Le général Malloum prend le
pouvoir
Année 1977 :
Offensive du FROLINAT dans le nord.
92
Année 1979 :
Combats à Ndjamena, la capitale tchadienne entre les forces armées du nord (FAN)
d’Hissène Habré et les Forces Armées Populaires (FAP) de Goukouni Ouaddeï. C’est le début de
la guerre civile au Tchad.
Année 1982 :
Hissène Habré, renverse le président Félix Maloum et prend le pouvoir.
Année 1983 :
Goukouni Oueddeï appuyé par les troupes libyennes occupe Faya-Largeau.
Année 1984 :
Création par le FROLINAT-FAN, Forces armées du Nord, de l’Union Nationale pour
l’Indépendance et la Révolution (UNIR). La présidence de ce mouvement est confiée à Hissène
Habré.
Année 1990 :
Combats à la frontière tchado-soudanaise entre les forces armées tchadiennes (FANT) et les
partisans d’Idriss Déby du Mouvement Patriotique du Salut (MPS). Les partisans d’Idriss Déby
défient l’armée nationale et renversent Hissène Habré. Idriss Déby prend le pouvoir. Il organisera
successivement deux élections, en 2001 et en 2006, qu’il remportera. Il est toujours au pouvoir.
93
Année 2003 :
Afflux de réfugiés soudanais victimes de la crise du Darfour sur le territoire tchadien.
Année 2008 :
La capitale du Tchad, Ndjamena, est attaquée par les rebelles. Ces derniers seront par la
suite repoussés par l’armée nationale officielle.
Déploiement de l’Eufor, la force européenne de 3 000 hommes dans l’Est du pays. Ces
derniers seront remplacés plus tard par une force onusienne.
Les différentes crises sociopolitiques et humanitaires présentées au sein de cette partie
d’étude consacrée à l’évaluation de la migration de refuge en Afrique Centrale pendant la période
contemporaine n’ont aucun caractère exhaustif. Cependant, celles qui ont été décrites
succinctement demeurent les plus importantes et qui sont à l’origine des plus importantes vagues
de migration de refuge à travers l’Afrique Centrale ces dernières années.
En effet, la crise du Congo-Brazzaville de 1993 à 1997 a provoqué la migration forcée de
plus 500 000 personnes. Ces migrants forcés, victimes de cette crise sociopolitique se repartissent
comme suit : une partie est restée à l’intérieur du pays. Ils deviennent des déplacés internes tandis
qu’une grande partie d’entre eux est contrainte à l’exil dans les pays frontaliers notamment en
Centrafrique et en République Démocratique du Congo.
S’agissant de la République Centrafricaine, il faut noter que les crises de 1996-1997, la
mutinerie des soldats de l’armée centrafricaine, qui a provoqué un conflit interethnique et le coup
d’Etat du 28 mai 2001, a été l’origine d’un mouvement anti-Yakoma113
. Les rebellions qui ont
113 L’Ethnie Yakoma est l’Ethnie de l’ancien président de la République André Kolingba, accusé d’être à
l’origine du coup d’Etat avorté du 28 mai 2001 à Bangui en République Centrafricaine.
94
secoué ce pays pendant plus de vingt ans ont contraint plus de 100 000 personnes à la mobilité
sous contrainte à l’intérieur du pays et dans les pays limitrophes comme la République
Démocratique du Congo et le Tchad .
Les affrontements entre les rebelles venus du Rwanda et de l’Ouganda pour combattre l’armée
gouvernementale de la période Mobutu, la rébellion de la région de l’Equateur dirigée par
Monsieur Bemba et les multiples affrontements entre les rebelles rwando-ougandais et l’armée
régulière de la République démocratique du Congo ont été à l’origine des crises sociopolitiques
qu’a subies la République Démocratique du Congo.
Ces différentes crises congolaises (RDC)ont grandement affecté la région d’Afrique centrale
ces dernières années car on dénombre environ plus de 2 000 000 victimes directes et indirectes de
ces crises congolaises, lesquelles ont contraint à la migration forcée à l’intérieur du pays et dans
les pays voisins, notamment en République centrafricaine, au Congo-Brazzaville, au Rwanda et
au Burundi et dans les pays d’Afrique de l’Est des milliers de personnes.
Nous voulons, par le biais de la description chronologique sommaire de ces crises
sociopolitiques et humanitaires, attirer l’attention du lecteur sur l’ampleur du phénomène de la
migration de refuge à travers le temps au sein de cette partie de l’Afrique. Les pays choisis pour
cette description sont au nombre de sept : Le Burundi-Le Congo-Brazzaville - La Centrafrique -
La République Démocratique du Congo - Le Rwanda - le Soudan et le Tchad. Force est de
constater que certains de ces pays choisis ne font pas partie de facto des pays d’Afrique Centrale
comme le cas du Soudan. En principe, nous devrions nous limiter qu’aux pays de notre étude qui
sont : La République Centrafricaine, la République Démocratique du Congo, et le Tchad dans
cette description. Cependant, nous avions choisi les pays tels que le Soudan et le Congo-
Brazzaville à cause de leur proximité avec la Centrafrique et la République Démocratique du
Congo ; le Burundi et le Rwandais pour leur proximité avec la République Démocratique du
95
Congo. Le phénomène tel que la migration de refuge ne peut se comprendre que lorsqu’on
l’analyse selon un angle régional puisque le migrant congolais (RDC) installé en République
Centrafricaine en 2010 peut être celui qui a été réfugié en Rwanda, puis en Congo-Brazzaville
avant d’atterrir en République Centrafricaine pour demander à nouveau le statut du réfugié. Le
réfugié peut passer par plusieurs pays de transit avant d’arriver dans un pays d’accueil donné.
En effet, la description des crises survenues dans les autres pays que ceux soumis à cette étude
seront utiles dans la prochaine partie de cette étude qui sera consacrée à l’analyse de l’itinéraire
migratoire de populations de notre étude.
L’analyse des données de l’enquête « Migration de refuge 2010-2011 » conçue pour cette
étude va nous permettre de visualiser l’itinéraire migratoire de nos populations et rendre compte
des différentes crises, guerres ou autres conflits, qu’elles auraient fuis pour se réfugier en
Centrafrique, et, par la suite, déterminer l’origine géographique et l’année d’apparition de ces
différents conflits.
Il faut noter, malgré tout, que l’Afrique Centrale et la région de Grands Lacs sont aujourd’hui
les régions dans lesquelles se trouve concentré un nombre important de réfugiés à la différence
d’autres régions d’Afrique subsaharienne. Selon les statistiques de HCR, environ 47% de réfugiés
africains se trouvent dans la région d’Afrique Centrale et des Grands Lacs114
.
114UNHCR (2010), Global Trends, Genève.
96
Graphique 2.1: Distribution des réfugiés par régions d’Afrique subsaharienne en 2010.
Source : Graphique réalisé à partir des données du UNHCR ( UNHCR Global Trends 2010).
En effet, la multiplication des conflits en Afrique en général et en Afrique centrale en
particulier se trouve être à l’origine des migrations de refuge de ces dernières années dans cette
partie du monde. En fait, les innombrables conflits qui ont secoué l’Afrique depuis les
indépendances se distinguent par leur nature et varient selon les périodes. Vers les années 1960
(l’ère de la décolonisation), pendant la formation des Etats-Nations, les conflits sont nés autour
du sujet du pouvoir et des idéologies. Les jeunes nations décolonisées devaient former leurs
propres Etats parce qu’elles n’étaient plus dépendantes des Etats colonisateurs. Pour ce faire,
elles vont lutter pour asseoir leur autonomie en développant l’idéologie nationaliste comme une
marque de rupture avec les colons. Il va y avoir, malgré tout, une guerre de succession, c’est-à-
dire une guerre entre les chefs africains qui voulaient reprendre le pouvoir des colons. Les
conflits des années 1960 sont donc nés autour du pouvoir et des rivalités interethniques.
Trente années ans plus tard, c’est-à-dire vers les années 1990, les situations ne changent pas.
Les conflits perdurent toujours en Afrique, surtout en Afrique Centrale. Faits marquants, ces
97
conflits vont prendre plusieurs appellations telles que : les guerres civiles, les conflits de basse
intensité, les guerres de guérillas fondées sur des motifs imprécis et flous115
En fait, les motivations des rebelles qui se lancent dans des guerres ou de ces soldats
informels, appelés communément des enfants soldats, qui déstabilisent généralement toute une
région pendant plusieurs années, demeurent souvent ambigües et floues. Ces motivations sont
fondées généralement sur des prétextes politiques et ethniques.
En effet, les causes des conflits en Afrique en général et en Afrique Centrale en particulier
pendant les périodes contemporaines, structurées à travers des mouvements de rébellion sont
multiples et se présentent comme suit :
1) la dégradation économique et l’inégalité dans le partage de la richesse puisque certains chefs
d’Etat issus de ces Etats pillent les ressources de leur pays, s’enrichissent personnellement et
favorisent économiquement les membres de leur clan et de leur ethnie au détriment du peuple. Se
développe dans la tête de ces chefs d’Etat, de ces dirigeants, uniquement l’idée du
« patrimonialisme » et de la « primauté des intérêts personnels » comme ce fut le cas du président
Bokassa en République Centrafricaine vers les années 70 116
et notamment du Président Mobutu
dans l’ex-Zaïre. Ainsi, ces dirigeants africains utilisent généralement la force ou encore
l’idéologie pour s’emparer des biens publics qu’ils utilisent selon leur gré, en gaspillant par
exemple des fonds publics sous couvert des actes de générosité afin d’asseoir leur notoriété.
Selon eux, le chef doit être riche et généreux. S’il est pauvre dans sa famille avant d’accéder au
115Ibid. .p 14
116Bigo D., (1988), pouvoir et obéissance en Centrafrique, Karthala, p 114.
98
pouvoir, il doit tout faire pour devenir riche dans un laps de temps, c’est-à-dire dès son accession
au pouvoir, quitte à s’enrichir par l’utilisation les deniers de l’Etat117
.
De ce fait, beaucoup de dirigeants africains vont confondre les deniers publics avec les deniers
privés. Ils vont souvent s’enrichir sur le dos de leur peuple, privant ces derniers de tout bien être
social, les poussant ainsi dans l’extrême pauvreté118
Cette inégalité dans la répartition des richesses orchestrée par des dirigeants africains sans
scrupules va être à l’origine du mécontentement d’un groupe d’individus qui se disent lésés et
exclus par rapport au reste de la population. En fait, ces « désespérés » du système étatique, ceux
qui ne croient plus en « l’Etat », parce qu’elles se croient marginalisés et ostracisés par celui-ci,
vont contester l’ordre établi, c’est-à-dire de l’Etat, et être en amont de certains conflits.119
2) Les crises des Etas africains contemporains sont principalement à l’origine de la naissance
et du développement des mouvements des conflits en Afrique subsaharienne120
. En effet, les Etats
de l’Afrique du sud du Sahara sont très affaiblis pendant ces dernières années car ils sont
confrontés aux durs problèmes de gestion : mauvais choix dans les politiques économiques et
sociales, gaspillage des biens publics, corruption, l’envolée de la dette publique, l’application
stricte des mesures draconiennes d’ajustement structurels imposés par la Banque Mondiale, le
117 Chevalier F., (1979), histoire de l’Amérique latine jusqu’à nos jours, Paris, nouvelle Clio.
118Bayart F., (2006), l’Afrique : La politique du ventre, Paris, fayard, lire aussi Péan P., l’Argent Noir.
Corruption, et sous-développement, Paris, Fayard. Lire aussi Sonkara.com, l’Etat-Nation en Afrique (14 novembre
2007).
119 Ela J-M (1994), L’Afrique l’irruption des pauvres : Société contre ingérence, pouvoir et argent, L’Harmattan,
p14.
120Institut Panos d’Afrique de l’Ouest (2004), les migrations forcées en Afrique de l’ouest, p 14.
99
clientélisme, le népotisme. Par conséquent, ces Etats ne peuvent plus faire face à leurs prorogatifs
les plus élémentaires tels qu’assurer à leur peuple les moyens de subsistance et la sécurité. Par
exemple, vers les années 1994 à 2000, des milliers de fonctionnaires centrafricains et congolais
(République Démocratique du Congo) avaient plus de douze à vingt quatre mois d’arriéré de
salaire. Face à cette situation de crise, les Etats africains se trouvent être obligés implicitement
d’abandonner la gestion d’une partie de leur espace. Ils sont incapables de contrôler la totalité de
cet espace, c’est-à-dire l’ensemble de leur territoire. En effet, aucune société humaine, aucun Etat
n’existe sans son espace organisé121
. Selon R. Brunet « l’espace est une dimension intrinsèque
des sociétés »122
. Or, dès que l’Etat se trouve en crise, son effet de structurant géographique, son
influence sur l’organisation de l’espace, sur le contrôle de la territorialité en général, se trouvent
affaiblis, ou, tout au moins, contestés 123
. Ce fut le cas de la majeure partie des Etats d’Afrique
centrale pendant cette période contemporaine.
Ayant constaté la faiblesse des Etats et son incapacité à tout contrôler, certains groupes
d’individus originaires d’Afrique Centrale, vont s’organiser dans des structures analogues aux
Etats formels afin de contrôler les espaces délaissés par les Etats officiels en état de crise. Pour ce
faire, ils vont former des bandes armées sous couvert de mouvements rebelles tel fut le cas des
enfants soldats en République Démocratique du Congo, notamment les Banyamulenge dans le
même pays. Mais, force est de constater que ces mouvements sont aussi présents dans tous les
pays d’Afrique Centrale. Ils sont appelés des Ninjas au Congo Brazzaville, des Zaraguinas en
République Centrafricaine pour ne citer que ceux-là.
121 Lothar Weiss T., (1995), contribution à une réflexion sur la crise de l’Etat en Afrique et sa gestion par les
espaces périphériques, projet OCISCA-ORSTOM, Paris, op. cit p 3.
122 Brunet R., cité par Scheibling J., (1994), in qu’est ce que la géographie ?, Paris, Hachette, p 77.
123Lothar Weiss T., (1995), contribution à une réflexion sur la crise de l’Etat en Afrique et sa gestion par les
espaces périphériques, projet OCISCA-ORSTOM, Op. Cit p 3.
100
Ces rebelles opèrent généralement dans des zones de conflits, s’imposent dans ces dernières
qu’ils gèrent comme leurs propres Etats, régissent leurs propres lois, accaparent la richesse de la
région, pillent, massacrent et poussent ainsi des milliers de femmes et d’enfants à la mobilité sous
contrainte. Se développent généralement dans ces zones de non-droit, gouvernés de force par ces
rebelles ou ces enfants soldats, une nouvelle problématique ; celle du respect des Droits de
l’Homme. On dénombre, ainsi, des milliers de cas de viol et de torture dans ces zones contrôlées.
Hormis les affrontements ethniques entre les Hutus et Tutsis au Rwanda et quelques autres
orchestrés par les régimes politiques africains comme la guerre civile au Tchad, les conflits
africains contemporains, surtout ceux d’Afrique centrale, occasionnés par les mouvements de
rebelle, sont loin d’être seulement des conflits politiques et ethniques. Ils sont également
idéologiques et se développent suite à la crise et au désengagement des Etats.
On peut, affirmer, à partir de ce qui précède, que les conflits générés par ces nouveaux
rebelles, sont les principales causes des migrations de refuge en Afrique Centrale pendant cette
période contemporaine.
101
Tableau 2.3 : Les éléments caractéristiques de la migration forcée en Afrique Centrale pendant la
période contemporaine.
1) Crise politique (Refus de la transition démocratique par les chefs d’état au pouvoir ; Régime
dictatorial imposant le parti unique).
2) Crise socio-économique (Mauvaise adaptation aux mesures économiques imposées par la Banque
Mondiale ; Mauvaise gestion des biens publics).
Crise des Etats (Les Etats sont affaiblis politiquement et économiquement. Par conséquent, ils ne
peuvent plus contrôler la totalité de leur espace territorial).
Reprise de l’espace ou de territoire délaissé par les Etats en état de crise par les groupements
d’individus (Des rebelles, des enfants soldats, des guérillas, des bandes armées).
Implication directe ou indirecte des groupements d’individus (Des rebelles, des enfants soldats, des
guérillas, des bandes armées) dans les différents troubles sociopolitiques à l’intérieur de la sous-région
(Les coups d’état, les guerres civiles, la rébellion pour la prise de pouvoir).
Augmentation de flux de réfugiés et des déplacés internes124
victimes de la violence des rebelles et des
troubles sociopolitiques. Forte montée de la migration forcée de groupe. Augmentation du nombre de
femmes et des enfants dans la population des réfugiés et des déplacés internes.
124Le phénomène de déplacement interne est plus prononcé que celui de la migration de refuge proprement dite.
102
CHAPITRE 3 : LES PORTRAITS DES PAYS DE
L’ETUDE.
1. LE PORTRAIT DE LA REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE.
1. 1 La situation sociopolitique et économique de la République
Centrafricaine depuis l’indépendance jusqu’à nos jours.
Figure 3.1 : La Carte de la République Centrafricaine.
Source : Sango.net
103
Nous conseillons au lecteur de se référer, par moment, à la partie précédente qui était
consacrée à la chronologie des principales crises sociopolitiques et humanitaires survenues en
République Centrafricaine dans la période contemporaine pour la bonne compréhension de la
partie qui va suivre.
La Centrafrique comme son nom l’indique, est un pays qui se trouve au centre du continent
africain. Elle s’étend sur 623 000 kilomètres carrés. Elle se situe au sud du Tchad, au Nord de la
République Démocratique du Congo et du Congo Brazzaville, à l’Ouest du Soudan et à l’Est du
Cameroun. C’est un pays enclavé, c’est-à-dire qui n’a pas d’ouverture sur la mer. C’est un pays
sous développé et pauvre.
Les Nations Unies ont classé la République Centrafricaine dans le rapport de PNUD (Le
Programme des Nations Unies pour le Développement) de 2004 au 169ème
sur 177 rangs
mondiaux parmi les pays les plus pauvres du monde. En effet, 50, 3% de ménages centrafricains
sont pauvres. Il s’agit ici de la pauvreté dite d’existence et non monétaire, mesurée à partir des
caractéristiques de l’habitation, les conditions de vie, l’accès à l’eau, à l’électricité et les biens
d’équipement des ménages125
. La durée moyenne de vie en Centrafrique est l’une des plus faibles
d’Afrique, soit 42,7 ans de l’espérance de vie en 2003. En effet, l’espérance de vie a régressé de
4,8 ans entre 1988 et 2003 en République Centrafricaine.
La Centrafrique est peuplée de 3 895 139 habitants en 2003. La majeure partie de cette
population vit dans les milieux ruraux (soit 62,1% de la population totale) contre 37,9% qui
vivent dans les zones urbaines. La population centrafricaine est davantage jeune. L’âge moyen de
la population Centrafricaine se situe entre 22 ans.
125Toutes les statistiques utilisées pour décrire la situation socioéconomique de la République Centrafricaine sont
celles du dernier recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) de la Centrafrique de l’année 2003.
104
Ainsi, la capitale du pays, Bangui, concentre une grande partie de la population à cause de son
attractivité économique. A noter que plus de 16% de la population du pays vivent à Bangui. On
estime à 622 771 habitants la population de la capitale centrafricaine en 2003126
. Si cette dernière
attire les populations rurales, ce n’est pas le cas pour le pays. En effet, la Centrafrique attire peu
d’étrangers à cause de son instabilité économique et politique.
On dénombre seulement 69 880 étrangers en Centrafrique, soit environ 1,8 du poids de la
population globale centrafricaine en 2003. Cette population étrangère est composée
principalement de Congolais (RDC), de Soudanais, de Tchadiens, de Camerounais, de Congolais
de Brazzaville, de Français et de Libanais. S’ajoutent à ces migrants classiques, les réfugiés qui
représentent 0,2 % de la population Centrafricaine. Les Centrafricains migrent aussi peu à
l’étranger. La France demeure la principale destination migratoire des Centrafricains.
Quatre phases sont donc à prendre en compte lorsqu’on veut étudier l’histoire sociopolitique et
économique de la République Centrafricaine. La première phase s’étend de 1958 à 1960 avec
deux faits historiques marquants : la proclamation de la République Centrafricaine le 1er
Décembre 1958 et l’indépendance de la République Centrafricaine le 23 août 1960.
La seconde phase commence au début de l’accession du pays à l’indépendance, en 1960 et
s’achève en 1979. Cette période fut marquée par un régime politique dictatorial. Celui-ci a
commencé vraiment en 1965 avec l’accession au pouvoir d’un certain colonel Bokassa qui se
nommera président à vie et s’autoproclamera Empereur127
. Il y eut pendant cette période une
126République Centrafricaine (2003), Recensement Général de la population et de l’habitation, RGPH3 .
127Bigo D., (1988), pouvoir et obéissance en Centrafrique, Paris, Karthala, p 32.
105
politique de développement national dont l’objectif fut de développer les centres administratifs
afin qu’ils deviennent des pôles d’attraction. Ce même régime va vite mettre en cause cette
politique de régionalisation axée sur le développement des centres administratifs et va à nouveau
opter pour une politique de centralisation. Par conséquent, il va se désintéresser du
développement économique des centres ruraux et provinciaux. La réforme agricole qui s’ensuit
en 1970 a eu une conséquence très néfaste pour les populations rurales. Les projets agricoles ainsi
que les machines agricoles quittent les milieux ruraux pour la capitale, Bangui128
. Les projets du
développement agricoles furent abandonnés au profit du faste projet du développement de la ville
de Bangui ainsi que de la ville de Berengo, chère au président Bokassa. Les populations
provinciales furent désormais démunies de tout et furent livrées à la précarité.
La situation économique mondiale ne fut pas non plus propice à la République Centrafricaine
de l’époque. En effet, l’effondrement des prix des produits de base sur le marché international
vers les années 1974-1979 a eu également un impact négatif sur l’économie de la République
Centrafricaine comme un grand nombre des pays du monde de l’époque.
La Centrafrique, qui tirait une grande partie de ces capitaux des exportations des produits
agricoles, de l’élevage, de la pêche129
, a vu chuter d’une manière dramatique les prix de ses
principaux produits agricoles d’exportation. De ce fait, les recettes d’exportation chutèrent ainsi
que le budget de l’Etat qui en dépendait directement. Les conséquences de cette crise économique
furent donc néfastes pour la population. Force est de constater qu’elles furent entre autres à
l’origine des troubles sociaux comme plusieurs émeutes estudiantines, des massacres de
128Ibid, voir aussi Tenez-Koyzoa A., (1980), Histoire économique du Centrafrique au XXème siècle, 1900-1975,
thèse de doctorat d’économie , Université Paris X, Nanterre.
129Il faut noter que l’agriculture, l’élevage, la chasse et la pêche demeurent le pilier de l’économie de la
République centrafricaine jusqu’aujourd’hui. Selon le dernier recensement national de la population et de l’habitat
(RGPH 2003), 78,6% des actifs travaillent dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage, de la chasse et de la pêche.
106
population civile et de grèves intermittentes durant l’année 1979.qui ont conduit la fin du règne
du président Bokassa ainsi que la chute de son empire130
. On nota un affaiblissement progressif
de l’appareil étatique. L’Etat Centrafricain commença peu à peu à s’affaiblir, car asphyxié par la
crise économique internationale et des problèmes de gestion interne .Cet Etat fragilisé ne parvint
plus à assurer le bien être de sa population.
La troisième phase de l’Histoire de la République Centrafricaine s’étendit de 1980-1993.
Après le régime dictatorial du président Bokassa qui a duré une décennie, se mit en place un
régime militaire, celui du président André Kolingba. Ce dernier imposa le parti unique puis
instaura plus tard le multipartisme qui fonctionna plus ou moins bien. Cette période fut celle de
l’ère du programme d’ajustement structurel imposé par la Banque mondiale dans l’optique
d’assainir et de redresser l’économie des pays d’Afrique.
En fait, au lieu d’assainir et de remettre l’économie des pays d’Afrique sur les rails, le PAS (le
Programme d’Ajustement Structurel) a encore mis l’Afrique dans le chaos, selon les dires de
certains économistes. Il a, en effet, contribué à la détérioration des secteurs économiques et
sociaux avec pour conséquences manifestes l’accroissement du chômage, la baisse de la
production agricole par habitant. La Centrafrique fut aussi secouée par le PAS au même titre que
tous les pays de la région. Il y eut effectivement une détérioration de l’activité des secteurs
sociaux en Centrafrique pendant les années 1990. Il y eut un accroissement du chômage, une
détérioration des indicateurs éducatifs et sanitaires entre autre. Il faut noter, par ailleurs, que la
période 1980-1993 demeura, malgré tout, une période faste pour la République Centrafricaine du
point de vue politique, car elle fut marquée par l’avènement du multipartisme suite à
l’organisation des élections démocratiques sur l’initiative d’un régime militaire, fait historique
très marquant.
130Bigo D., (1988), pouvoir et obéissance en Centrafrique, Paris, Karthala.
107
La dernière phase de la chronologie historique de la République Centrafricaine s’étend de
1994 à nos jours. Ce fut une période maudite à tous les niveaux de la vie économique, sociale,
politique, sanitaire. L’évènement économique marquant de cette période fut la dévaluation du
Franc CFA intervenue en 1994. Les ménages vont voir leur pouvoir d’achat baisser suite à cette
dévaluation. Par conséquent, une grande partie de ceux-ci va plonger dans l’extrême pauvreté. En
effet, comment vivre décemment si on n’a pas de salaire ni de sources de revenus assurés ?
Ainsi, il faut noter que plusieurs ménages centrafricains accumulaient les arriérés de salaire
(de douze à quarante mois de salaire entre 1994 et 2001)131
. Les troubles politiques et militaires,
conséquences inévitables des crises socioéconomiques, vont se multiplier pendant cette période.
Il y a eu trois mutineries en 1996 en République Centrafricaine qui s’expliquèrent dans une large
mesure par le mécontentement de la population contre l’Etat incapable de payer les salaires de ses
fonctionnaires132
. Les rebelles militaires vont profiter de cette situation pour entrer en mutinerie
contre le gouvernement, en réclamant le paiement des arriérés de leur solde.
Les années 2000 vont ressembler à celles de 1990 du point de vue de l’instabilité sociale et
politique. Elles vont être marquées par deux coups d’état qui plongèrent le pays dans une totale
insécurité. Le coup d’état avorté de 2001 fut à l’origine de la migration sous contrainte des
milliers de Centrafricains. Ces derniers se réfugièrent en République Démocratique du Congo et
au Congo Brazzaville. Ce fut la première fois qu’un flux important de Centrafricains quitta la
Centrafrique pour demander refuge à l’étranger. Le gouvernement Centrafricain demanda à
Bemba, le chef de la rébellion du nord de la République Démocratique du Congo, une assistance
militaire. Ce dernier envoya des milliers de soldats, anciens rebelles, pour assurer la sécurité du
chef d’Etat Centrafricain ainsi que de ses proches.
131Journal le Citoyen (Quotidien national centrafricain) synthèse des évènements de 1996.
132 Corton O., (1998), situation en République Centrafricaine : Résolution des Nations unies, Janvier 1998, p 2.
108
Cet épisode fut dramatique pour l’ensemble de la population Centrafricaine. Les rebelles de
Bemba mirent le pays à feu et à sang. Ils furent à l’origine de l’élimination systématique des
hauts fonctionnaires d’Etat, des viols dans la capitale, des pillages, des massacres et de diverses
violences ; bafouant ainsi les principes fondamentaux des Droits de l’Homme. La prolifération
des mouvements rebelles fut, plus ou moins, à l’origine de la migration forcée à l’intérieur du
pays. On dénombre à ce jour environ 185 000 déplacés internes en République Centrafricaine133
.
En fin, le coup d’état de 2003 marqua le retour d’un régime militaire au pouvoir.
Pour conclure, la Centrafrique demeure un pays instable au même titre que tous les pays de la
sous-région. En effet, trois présidents sur les cinq qui ont dirigé le pays depuis l’indépendance ont
pris le pouvoir par des armes.
133 HCR (2011), Rapport Global : République Centrafricaine.
109
1. 2 La situation géopolitique de la Centrafrique et les problèmes
des Réfugiés.
Située au centre de l’Afrique et à proximité des pays très instables politiquement comme la
République Démocratique du Congo, le Congo Brazzaville, le Soudan et le Tchad, la
Centrafrique ne peut qu’être confrontée aux problèmes de réfugiés.
Le problème de la gestion des flux de réfugiés s’est imposé à la Centrafrique dès le début des
indépendances (vers les années 1960).
En effet, la Centrafrique, jeune Etat indépendant, était contrainte d’accueillir sur son territoire
en 1967 quelque 27 000 réfugiés soudanais qui avaient fui la guerre civile qui déchirait leur pays.
Ces réfugiés soudanais se trouvaient dans la région de Bambouti en République Centrafricaine
(région frontalière avec le Soudan)134
. Afin de faciliter l’intégration de ces réfugiés sur son
territoire, le Gouvernement Centrafricain et les organisations internationales installées en
Centrafrique à l’époque (Le HCR et la Ligue de la Croix Rouge) avaient mis en place un
programme d’insertion socioprofessionnelle à des fins exclusivement agricoles. L’objectif
général de ce programme était de permettre aux populations réfugiées soudanaises d’atteindre
dans moins de deux ans, c’est-à-dire en 1969, le niveau de vie des populations locales. Ce fut un
grand défi pour ce jeune pays nouvellement indépendant qui n’avait guère connu un problème
similaire auparavant, c’est-à-dire celui de la gestion et de la prise en charge d’un grand nombre
de populations migrantes en situation de refuge. Mais grâce au concours du HCR et de la Ligue
134Ligue des Sociétés de Croix - Rouge (1967), Réinstallation des réfugiés soudanais en République
Centrafricaine : Rapport de mission en République Centrafricaine, octobre - décembre 1967, p 1.
110
de la Croix rouge, l’objectif de ce programme fut plus ou moins atteint. Ces deux institutions et le
Gouvernement Centrafricain ont organisé pour la première fois une enquête démographique
auprès de la population réfugiée soudanaise afin de collecter des informations sur leur structure
familiale, leur situation socioprofessionnelle et d’autres informations sociologiques ; éléments
capitaux pour la réussite d’un programme d’intégration locale135
. La question se posait de savoir
comment réussir un programme d’intégration locale sans avoir des informations chiffrées, ni
aucune connaissance des besoins de ces réfugiés. Ce fut, à notre sens, la genèse de la solidarité
institutionnelle autour de la question des réfugiés en République Centrafricaine.
Après la grande vaque des réfugiés des années 1967 principalement soudanaise, vient celle des
années 1980. En effet, environ 7 000 réfugiés tchadiens se sont installés au Nord de la
République Centrafricaine et dans sa capitale, Bangui136
. Ces derniers avaient fui principalement
la guerre civile qui avait débuté le 12 février 1979 au Tchad. On remarqua une nette stabilité du
nombre de réfugiés tchadiens en République Centrafricaine entre 1981-1982. Mais c’est entre
1984-1985 que la Centrafrique va connaitre un flux très important des réfugiés tchadiens sur son
territoire à cause des troubles politico-militaires et sociaux au Tchad. Il y eut des massacres des
populations du sud du Tchad pendant la période dite de « septembre noir ». En effet, les FANT,
les forces armées nationales tchadiennes, furent responsables d’actes de barbarie atroces à l’égard
des populations du Sud. Afin de fuir ces atrocités, quelques 40 000 Tchadiens quittèrent leur
région pour se réfugier dans les pays limitrophes.
Selon le HCR, environ 8 500 réfugiés tchadiens se sont exilés en République Centrafricaine en
1985. Compte-tenue de l’ampleur de la crise, le HCR va mettre en place un programme
d’assistance d’urgence en faveur de ces réfugiés installés en République Centrafricaine. D’aucuns
135 Ibid p 2 et suivant.
136HCR (1980), les rapports sur les événements de 1980.
111
affirment qu’un groupement d’individus armés appartenant à l’armée Tchadienne auraient
attaqué les camps des réfugiés tchadiens installés en République Centrafricaine et auraient
contraint ainsi ces derniers à rentrer de force au Tchad. Le gouvernement centrafricain de
l’époque démentit cette information. Par conséquent, il collabora avec le HCR dans la mise en
place d’un dispositif de relocalisation de ces réfugiés. Ces derniers furent désormais localisés
dans des zones de sécurité à l’intérieur du pays afin d’éviter toute attaque éventuelle de la FANT.
L’année 1986 fut une année de normalisation plus ou moins précaire au Tchad. Certains
réfugiés tchadiens, environ 10 000, installés en Centrafrique vont profiter de cette normalisation
temporaire pour retourner au Tchad au cours de l’année 1986137
. De ce fait, le nombre de réfugiés
tchadiens présents en République Centrafricaine va baisser de 5 000 personnes à partir de 1987
pour augmenter plus tard, de nouveau, plus 18 000 réfugiés en 1993, plus 17 000 réfugiés en
1994 mais .pour de nouveau baisser vers les années 2 000 pour n’atteindre que l’effectif de 1 410
réfugiés présents en Centrafrique en 2010.
Cette baisse significative du nombre de réfugiés vers les années 2000 s’explique par le
programme de rapatriement volontaire mis en place par le HCR pendant cette période. En effet, le
réfugié avait le choix, soit de rentrer volontairement dans son pays d’origine, soit de rester en
Centrafrique à condition d’accepter le programme centrafricain d’intégration sociale nationale.
En fait, bon nombre de réfugiés tchadiens ont donc profité de ce programme de rapatriement
volontaire pour retourner au Tchad.
Les années 1990 vont être marquées tout d’abord par l’arrivée massive, en Centrafrique, des
réfugiés du Congo Brazzaville. 500 000 Congolais auraient fui la guerre dans leur pays pour se
137USCR (1986).
112
réfugier dans les pays limitrophes. Une partie de ces 500 000 personnes qui ont fui le Congo ont
trouvé refuge en République Centrafricaine. Compte tenu du manque de données chiffrées nous
ne pouvons être précis sur leur nombre.
La seconde vague de réfugiés qui s’installa sur le territoire Centrafricain à partir des années
1990 fut celle des Rwandais et des Congolais (RDC). Il faut noter qu’environ deux millions de
Rwandais s’étaient réfugiés à l’étranger vers les années 1994 suite à la guerre civile qui avait
déchiré leur pays. Un grand nombre de ces Rwandais, environ un million, avait trouvé refuge en
République Démocratique du Congo d’une manière définitive ou temporaire principalement dans
la région de Goma. A noter aussi que certains réfugiés Rwandais n’étaient que de transit sur le
territoire congolais. Ils transitaient en République Démocratique du Congo pour ensuite aller soit
au Congo Brazzaville ou en République Centrafricaine. On remarque malgré tout, la présence de
quelques réfugiés Rwandais sur le territoire centrafricain vers les années 1994-1996. Mais le flux
le plus important de réfugiés présents sur le territoire Centrafricain vers les années 1990 vient
principalement de la République Démocratique du Congo. En effet, en 1997, l’année de la chute
du président Mobutu et de l’accession au pouvoir du président Kabila, des milliers de Congolais
(RDC) vont fuir leur pays pour se réfugier en République Centrafricaine. Le gouvernement
centrafricain et le HCR furent alors confrontés à un grand problème de la gestion de ce flux.
113
L’année 2000 débute mal pour la Centrafrique avec des problèmes récurrents des réfugiés
installés sur son territoire. La crise de la région du nord de la République Démocratique du
Congo (la région de l’équateur) marquée par la rébellion de Bemba qui combat le pouvoir de
Kinshasa a contraint des milliers de personnes à la mobilité sous contrainte. De ce fait, plus de
6000 Congolais (RDC) originaires de la région de l’équateur ont fui cette région belliqueuse pour
se réfugier en République Centrafricaine.
Enfin, la République Centrafricaine est confrontée depuis 2003 au problème des réfugiés
soudanais victimes des troubles socio-politiques (la crise du Darfour). Des milliers de réfugiés
soudanais affluèrent sur le territoire centrafricain depuis le début de cette crise même si un grand
nombre de ces réfugiés furent rapatriés au Soudan dans les années 2006-2007138
.
Quatre phases sont donc à prendre en compte dans l’histoire de la migration de refuge sur le
territoire centrafricain :
1) Une première phase, qui s’étend de 1965 à 1967, marquée par l’arrivée massive des
réfugiés Soudanais.
2) Une seconde phase, qui s’étend de 1980 à 1985, marquée par l’arrivée de milliers de
réfugiés Tchadiens.
3) Une troisième phase, qui s’étend de 1993 à 1997, pendant laquelle on voit arriver des réfugiés
en provenance de trois pays qui sont : Le Congo-Brazzaville ; le Rwanda et le Congo (RDC). Et
enfin une quatrième phase qui s’étend de l’année 2000 à nos jours, qui, elle, est marquée par
l’arrivée massive de réfugiés Congolais (RDC), Tchadiens et Soudanais.
138Environ 5123 réfugiés soudanais sont rapatriés au Soudan vers les années 2006 suite au programme de
rapatriement volontaire mis en place par le HCR. Source : HCR(2006), rapport sur la République Centrafricaine.
114
On a constaté, d’après ce qui précède, que la République Centrafricaine est confrontée au
problème de gestion de flux des réfugiés depuis les années 1960 jusqu’à maintenant En fait, les
mêmes pays qui envoyaient les réfugiés en Centrafrique dès les années 1960-1980 continuent
d’envoyer des réfugiés sur le territoire centrafricain jusqu’à aujourd’hui. Car, ils n’ont jamais
trouvé un calme définitif. C’est le cas du Soudan et du Tchad qui ont eu à envoyer les réfugiés en
République Centrafricaine d’une manière presque continue depuis les années 1960, pour le
Soudan, et depuis les années 1980 pour le Tchad.
En fait, le CNR (le comité national pour les réfugiés), organisme public centrafricain qui
s’occupe des réfugiés, enregistre chaque année les nouveaux cas des demandes d’asile exprimées
par des Soudanais et des Tchadiens. De ce fait, ces derniers sont majoritairement présents dans la
liste des nouveaux demandeurs d’asile. Il faut noter, par ailleurs, que les nouveaux pays en
conflits tels que la Côte d’Ivoire et le Libéria et les autres pays africains plus calmes envoient
également des réfugiés en République Centrafricaine mais d’une manière irrégulière et en
nombre moindre.
Il y eut, malgré tout, une baisse relative du nombre de réfugiés sur le territoire centrafricain à
partir de l’année 2004 puisqu’un grand nombre de réfugiés vont retourner dans leur pays à l’issue
du programme de rapatriement volontaire mis en place par le HCR. Ainsi, le HCR et le CNR ont
rapatrié 2034 réfugiés en 2004, 2 167 en 2005, 5 656 en 2006 et 7 862 en 2007139
. Ces
organismes ont donc réussi à rapatrier environ 17 719 réfugiés entre 2004 et 2007. Cependant, un
nombre important de réfugiés est retourné dans leur pays sans en aviser le HCR. Par conséquent,
ces derniers échappent donc aux statistiques du HCR. Outre le phénomène de rapatriement
volontaire des réfugiés, l’amélioration de la situation politique de quelques pays frontaliers de la
République Centrafricaine se trouve également être à l’origine de la décroissance du nombre de
réfugiés dans ce pays. Le Congo Brazzaville, la République Démocratique du Congo, le Soudan
139CNR (2010) et HCR (2010), Rapport d’activité et tableaux synoptiques.
115
et le Tchad n’ont, ainsi, pas envoyé de réfugiés en République Centrafricaine comme dans les
années précédentes.
Le nombre de réfugiés va, malgré tout, croître en 2009 sur le territoire centrafricain. Cela est
dû à un afflux des réfugiés congolais (RDC) qui se sont installés dans la région de Haut Mbomou
et de la Lobaye à l’Est et au Sud du pays. Le nombre de réfugiés s’élève à 22 840 en République
Centrafricaine en 2010.
1.2.1 Le programme de rapatriement des Réfugiés.
L’un des Droits les plus importants des réfugiés est de choisir volontairement la solution qu’ils
désirent. L’une des solutions est le rapatriement volontaire140
. En effet, le réfugié a le droit de
demander à être rapatrié dans son pays d’origine s’il estime qu’il peut y retourner vivre sans
crainte d’être persécuté
L’article 5 de la Convention de l’OUA relative aux problèmes des réfugiés en Afrique définit
les conditions de rapatriement volontaire du réfugié. Il revient uniquement au réfugié de formuler
la demande de son rapatriement dans son pays d’origine. Ni personne ni aucune institution ne
peut l’influencer dans cette démarche. Il ne peut donc pas être rapatrié contre son gré.
Le retour dans son pays d’origine doit être organisé à la fois par les autorités du pays d’accueil
et son pays d’origine ainsi que les organisations humanitaires qui s’occupent des problèmes des
140 Déclaration de monsieur Auguste R. Lindt, Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés à la session
du Conseil Economique et Social (ECOSOC), le 20 juillet 1959.
116
réfugiés (le plus souvent le HCR)141
. Ce retour doit être encadré juridiquement. Donc, les
autorités du pays d’accueil doivent mentionner ce retour dans un texte officiel dans lequel
figurent les noms, le nombre de réfugiés candidats au départ, la nationalité et les pays de
destination de ces derniers.
Ce texte doit être envoyé officiellement aux autorités des pays d’origine de ces réfugiés afin
qu’il y ait des traces juridiques de l’opération de rapatriement. On doit leur fournir gratuitement
un titre de voyage. Les autorités du pays d’origine doivent également garantir aux réfugiés
rapatriés un plan de réinsertion sociale.
Le rapatriement peut se faire individuellement. Mais la plupart des cas, celui-ci se fait
collectivement afin de minimiser le coût du voyage. L’opération débute souvent par un
recensement, par nationalité et zone géographique des réfugiés qui émettent le souhait d’être
rapatrié. Le HCR et le gouvernement des pays d’accueil rassemblent ainsi les réfugiés originaires
d’un même pays ou d’une même région dans le même moyen de transport et encadrent le voyage
jusqu’à la destination.
Les réfugiés, qui demandent d’être rapatriés, sont généralement ceux dont les pays d’origine
ont retrouvé la paix et la tranquillité d’une manière temporaire ou définitive. Ce fut le cas de
certains réfugiés installés à Bangui. Ils sont au nombre de 2 034 à l’avoir demandé en 2004. Les
réfugiés Congolais (RDC) étant les plus nombreux(2011).
Le tableau ci-dessous donne des informations sur le nombre de réfugiés rapatriés en
République Centrafricaine entre 2004 et 2007 selon leur nationalité.
141 République Islamique de Mauritanie (2007), Accord tripartite entre le Gouvernement de la République
Islamique de Mauritanie, le Gouvernement de la République du Sénégal et le Haut Commissariat des Nations Unies
pour les Réfugiés (HCR), pour le rapatriement volontaire des réfugiés mauritaniens au Sénégal.
117
Tableau 3.1 : Distribution des réfugiés rapatriés en République Centrafricaine entre 2004 et 2007
selon leur nationalité.
Année
Les pays d'origine des réfugiés 2004 2005 2006 2007 Ensemble
République Démocratique du Congo (RDC) 2011 786 480 1363 4 640
Tchad 3 1375 1 3 1 382
Soudan 4 0 5123 6473 11 600
Burundi 1 0 5 0 6
Congo Brazzaville 15 6 0 21 42
Angola 0 0 46 0 46
Libéria 0 0 1 0 1
Cameroun 0 0 0 2 2
Ensemble 2 034 2 167 5 656 7 862 17 719
Source : HCR et CNR de Bangui (2010), Tableaux Synoptiques.
Graphique 3.1 : Evolution du nombre des réfugiés et demandeurs d’asile en Centrafrique entre
1993 et 2000.
Source : Graphique Réalisé à partir des compilations de données de HCR (UNHCR Statistical
Yearbook ) et de CNR (rapport d’activité et tableaux synoptiques).
118
On remarque que les réfugiés et demandeurs d’asile Congolais (RDC), Soudanais et Tchadiens
sont en nombre important dans la population des réfugiés et demandeurs d’asile installés en
République Centrafricaine en 2010 Ils représentent respectivement 70%, 21% et 6% de la
population des migrants de refuge présents sur le territoire centrafricain. Ce chiffre semble
logique, vu la proximité des pays d’origine de ces réfugiés avec la République Centrafricaine et
le contexte sociopolitique de ces pays marqué par des perpétuels troubles. Les réfugiés et
demandeurs d’asile Congolais (RDC) représentent donc le plus grand pourcentage des migrants
de refuge installés en République Centrafricaine en 2010. En effet, l’afflux de 5 000 réfugiés
Congolais (RDC) dans les régions de Haut Mbomou, région Est de la République Centrafricaine,
et de 8 000 autres dans la région de Lobaye (région Sud-ouest de la République Centrafricaine)
ces dernières années est venu gonfler le nombre de réfugiés Congolais (RDC) présents en
République Centrafricaine.
Graphique 3.2 : Distribution des réfugiés et demandeurs d’asile résidant en République
Centrafrique en 2010.
Source : Graphique réalisé à partir des données du CNR et du HCR (rapport d’activité et
tableaux synoptiques, année 2010).
Il faut noter, par ailleurs, que la plus grande proportion de ces réfugiés vit dans les camps à
l’intérieur du pays, proche des zones frontalières et dans les villes provinciales de moindre
importance comme nous le montre la carte ci-dessous. En fait, c’est généralement dans les camps
119
que ces réfugiés reçoivent leur première assistance avant de se livrer à toute autre activité à
l’intérieur de leur pays d’accueil.
En effet, 15 à 20 000 réfugiés vivent dans les camps en République Centrafricaine. Les
principaux camps recensés par le HCR sont les suivants : Sam Ouandja, Mboki, Obo, Zemio,
Mongo. Ces camps ont accueilli respectivement 1602, 1 500, 700, 3 448 et 8 000 réfugiés en
2010142
. Il faut remarquer que réfugiés sont peu représentés dans les importants grands centres
urbains de la République Centrafricaine. Par contre, ils sont surreprésentés au niveau de la
capitale. On dénombre, en 2010, tout de même 6 166 réfugiés dans la capitale centrafricaine, soit
environ 27% de la population des réfugiés et des demandeurs d’asile implantés en Centrafrique.
Nous allons revenir sur ce phénomène particulier de la migration de refuge à l’intérieur de la
capitale centrafricaine lorsque nous présenterons, dans la seconde partie de cette étude, un
chapitre qui sera axé sur la structure de population des réfugiés installée à Bangui.
142CNR et HCR de la République Centrafricaine, Tableau Synoptique 2010, Bangui République Centrafricaine.
120
Figure 3.2. : Localisation des réfugiés sur le territoire centrafricain en
2010.
Source : HCR(2010), Rapport Global sur la République Centrafricaine.
121
1.3 Le profil démographique des Réfugiés présents en République
Centrafricaine en 2010.
Tableau 3.2 : Distribution des réfugiés et demandeurs d’asile résidant en Centrafrique en 2010
selon leur âge et leur sexe.
Classes d'âge Effectif des réfugiés et demandeurs d’asile de
sexe féminin
Effectif des réfugiés et demandeurs
d’asile de sexe masculin
0 - 4 ans 1926 2037
5 - 11 ans 2151 2167
12 - 17 ans 1707 1529
18 - 59 ans 4769 5908
60 ans et plus 275 371
TOTAL 10 828 12 012
Source : CNR et HCR (2010), Bangui République Centrafricaine.
La population des réfugiés présente en République Centrafricaine est composée d’hommes de
femmes et d’enfants. Les hommes représentent 53% de cette population. Les femmes sont autant
représentées au sein de cette population que les hommes. On dénombre 10 828 réfugiés et
demandeurs d’asile de sexe féminin en République Centrafricaine en 2010, soit 47% de la
population totale des réfugiés dans cette localité. Les réfugiés qui vivent en République
Centrafricaine sont davantage jeunes. En effet, 50% d’entre eux ont moins de 18 ans. On
constate, d’après ces statistiques, que la migration de refuge ne concerne plus que les hommes
adultes. Elle concerne désormais les femmes et les enfants. La migration de refuge se féminise de
plus en plus. En effet, le développement de la migration de refuge ou de regroupe, en Afrique
Centrale ces dernières années, est à l’origine du phénomène de la mobilité sous contrainte des
femmes et des enfants. Le nombre des enfants croît de plus en plus dans la population des
réfugiés en Afrique centrale. C’est le cas en République Centrafricaine.
122
Les enfants, c’est-à-dire des personnes ayant moins de 12 ans, représentent 36% de la
population des réfugiés et demandeurs d’asile résidant en République Centrafricaine en 2010, soit
un effectif de 8 281 personnes. Mais une mise en garde s’impose dans l’interprétation de ces
données
En effet, tous les enfants qui ont été recensés par la Commission des Réfugiés et qui sont
comptabilisés dans la population des réfugiés présents en République Centrafricaine en 2010
n’ont pas forcément connu un cheminement migratoire, c’est-à-dire qu’ils ont migré pour arriver
en République Centrafricaine. En effet, un grand nombre de ces enfants sont nés en République
Centrafricaine. Ils sont comptabilisés dans la population des réfugiés parce qu’ils sont les enfants
des réfugiés. Ils ont dû bénéficier du statut du réfugié au même titre que leurs parents. Les
organismes qui accueillent les réfugiés en République Centrafricaine consacrent généralement un
budget considérable à la scolarisation de ces enfants.
Les personnes en âge de travailler sont également très nombreuses dans cette population de
réfugiés. D’après les statistiques du CNR, 47% de réfugiés qui vivent en République
Centrafricaine en 2010 ont entre 18 ans et 59 ans. On retrouve à peu près la même proportion
d’hommes et de femmes dans cette tranche d’âge. Va alors se poser le problème d’insertion
professionnelle de ces réfugiés. Nous reviendrons sur cet aspect dans la dernière partie de notre
étude. On constate, par ailleurs, que les personnes ayant un âge élevé, c’est-à-dire celles qui ont
60 ans et plus sont sous-représentées dans la population des réfugiés qui sont installées en
République Centrafricaine. En effet, elles ne représentent seulement que 3% de cette population.
1.4 Les organes et les structures d’accueil et d’assistance aux
réfugiés en République Centrafricaine.
Plusieurs organismes nationaux et internationaux installés en République Centrafricaine
travaillent auprès des réfugiés présents dans ce pays selon des domaines diversifiés de la vie
123
sociale. Certains s’occupent davantage de leur protection comme le volet juridique consacré aux
problèmes des réfugiés ; d’autres de leur habitation, de leur santé et de leur alimentation au
moment où ils se trouvent concentrés dans les camps. D’autres vont, par ailleurs, s’occuper de
leur insertion socioprofessionnelle selon qu’ils soient dans les camps ou dans les centres urbains.
Nous n’allons présenter dans cette partie d’étude que les plus importants organismes nationaux
ou internationaux qui accueillent et assistent les réfugiés et les demandeurs d’asile en République
Centrafricaine.
1.4.1 Le fonctionnement et l’organisation des organes et des
structures nationaux d’accueil et d’assistance aux réfugiés en
République Centrafricaine.
En effet, le décret n° 09.001 du 06 Janvier 2009 de la République Centrafricaine en lien avec
les dispositions des articles 7, 8,9 et 10 de la loi n°07.019 du 28 décembre 2007, portant Statut
des réfugiés en République Centrafricaine, détermine les modalités d’organisation et de
fonctionnement des organes de mise en œuvre de la politique nationale relative aux réfugiés ,
c’est-à-dire des structures nationales qui travaillent auprès des réfugiés en République
Centrafricaine 143
.
143Source : République Centrafricaine (2009), Journal Officiel, Septembre 2009.
124
1.4.1.1 La Coordination Nationale Pour la Protection du Réfugié
(La CNPR).
La CNPR est un organe clé qui veille à la mise en œuvre de la politique nationale du
gouvernement Centrafricain en matière d’asile.
La CNPR est placée sous la responsabilité du Ministère de l’Intérieur de la République
Centrafricaine et se compose :
d’un Président qui n’est autre que le Ministre de l’Intérieur, lui-même, ou son représentant.
d’un Vice-président qui est le Ministre des Affaires Etrangères ou son représentant.
des membres suivants: le Ministre de la Justice Garde des Sceaux, le Ministre du Travail et de
la Sécurité Sociale, le Ministre du Plan et de la Coopération Internationale, le Ministre de
l’Education Nationale, le Ministre de l’Environnement, le Ministre de la Défense ou leurs
représentants respectifs.
Le problème des migrants de refuge fait donc partie intégrante des domaines d’intervention de
ces ministres puisque la présence des réfugiés peut occasionner des problèmes de sécurité au sein
du territoire centrafricain. Cette présence peut également être à l’origine des problèmes
environnementaux comme l’inflation de la consommation animale ou végétale, la destruction des
arbres préservés pour des usages domestiques.
Le réfugié est également une personne qu’on doit protéger par une législation spécifique. Il a
droit à l’éducation et à l’instruction. Bref, il a droit à une vie sociale adéquate comme tous les
autres citoyens nationaux. D’où la nécessité de rassembler les ministres qui s’occupent des
problèmes de l’environnement, de la sécurité publique, de l’éducation, des droits de l’homme …,
c’est-à-dire de tous les problèmes qui touchent de près les réfugiés au sein de cet organe national
125
qui est la CNPR afin qu’eux mêmes proposent des textes de loi relatifs aux problèmes des
réfugiés en République Centrafricaine. Le Gouvernement Centrafricain donne une importance
capitale au problème des réfugiés. C’est la raison pour laquelle il a mobilisé tout son corps
ministériel autour de cette problématique.
En effet, la CNPR a l’obligation de présenter un rapport annuel de ses activités au
gouvernement centrafricain. Pour ce faire, les membres de la CNPR doivent se réunir une fois par
an, voire plusieurs fois en cas d’urgence, sur convocation du ministère de l’Intérieur afin de
discuter sur la politique nationale en matière d’asile et de sa mise en application ou en exécution.
La CNPR travaille en étroite collaboration avec la CNR (La Commission Nationale pour les
Réfugiés), une autre structure nationale qui s’occupe des réfugiés en République Centrafricaine.
1.4.1.2 La Commission Nationale Pour les Réfugiés (La CNR).
Elle est située à Bangui. On peut dire que c’est le lieu de rassemblement de tous les réfugiés
vivant à Bangui et des autres réfugiés venus des zones provinciales. La CNR est vraiment la
maison des réfugiés. Il ne passe jamais un seul jour sans qu’une foule de réfugiés se rassemble au
sein des locaux de CNR à Bangui. Du matin au soir, la CNR est toujours bondée de monde. On y
trouve des réfugiés de toutes les nationalités. En effet, la distinction des nationalités se fait savoir
à travers des différentes langues qu’on entend dans les locaux de CNR. On y trouve les anciens
réfugiés , c’est-à-dire les réfugiés statutaires ou ceux qui sont arrivés sur le territoire centrafricain
depuis plusieurs années ; les futurs réfugiés, autrement dit les personnes qui ont introduit une
demande de statut de réfugié, lequel est en cours de traitement et les nouveaux demandeurs
d’asile, des femmes réfugiées avec des enfants en bas âge, des réfugiés malades etc.
126
En fait, la CNR demeure à notre sens le lieu privilégié d’accueil des réfugiés vivant
principalement au sein du centre urbain de Bangui. En effet, ce n’est pas pour rien que les
réfugiés sont concentrés tous les jours du matin au soir au sein des locaux de la CNR. S’ils sont là
quotidiennement, c’est que cet organisme apporte plus ou moins des solutions à leurs problèmes.
Mais quels sont objectifs de cet organisme ? Quel est son mode d’organisation et de
fonctionnement ?
En effet, la commission nationale pour les réfugiés est chargée :
d’ assurer la protection des demandeurs d’asile et des réfugiés en accord avec la Convention
de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié, de la Convention de l’OUA du 10
septembre 1969 régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique ainsi que la
loi n° 07.019 du 28 décembre 2007, portant Statut des réfugiés en République Centrafricaine et
de tout accord ou arrangement concernant la protection des réfugiés en République
Centrafricaine144
.
de faire des propositions au gouvernement centrafricain ainsi qu’au Haut Commissariat pour
les réfugiés des mesures concrètes en cas d’afflux des réfugiés sur le territoire centrafricain.
de décider de la perte ou de la cessation du statut de réfugié en accord avec des textes de loi en
vigueur.
de donner un avis sur les mesures d’exclusion mises en place à l’encontre d’un réfugié en
accord avec les textes de loi en vigueur.
d’informer le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés sur les dossiers de
réinstallation des réfugiés.
144 République Centrafricaine (2009), Journal officiel, Septembre 2009, Op Cit p 3.
127
de faciliter l’accueil des demandeurs d’asile et les réfugiés sur le territoire centrafricain.de
recevoir toutes les demandes de rapatriement volontaire des réfugiés ; d’organiser avec l’appui du
HCR le retour des réfugiés dans leur pays d’origine.
de sensibiliser l’opinion publique nationale et internationale sur la question des réfugiés.
de subvenir aux besoins élémentaires des réfugiés installés en République Centrafricaine en
fonction des moyens mis à sa disposition.
Il faut noter que la CNR est un organisme public placé sous tutelle du ministère de l’Intérieur
et comprend :
un secrétaire général qui a pour mission principale, de recevoir les demandes d’asile ou toutes
les autres demandes de la part d’un demandeur d’asile ou d’un réfugié afin de les transmettre aux
organismes compétents pour évaluation et décision.
une sous-commission d’éligibilité qui est un organe de décision au niveau de l’attribution du
statut de réfugié. Elle est composée :
d’un représentant du Ministère de l’Intérieur qui est le président de la sous-commission ; d’un
représentant du Ministère des Affaires Etrangères ; d’un représentant du service juridique du
Ministère de l’Intérieur ; d’un représentant de la Direction de l’Emigration-Immigration ; d’un
représentant de la Commission Nationale pour les Réfugiés et d’un, ou des, représentants du Haut
Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés à titre d’observateur.
d’une direction des affaires juridiques et sociales, un des pôles du Secrétariat Général qui, en
plus des tâches d’accueil et d’enregistrement des demandes d’asile, élabore des projets pour les
réfugiés, suit et évalue leurs microprojets, leur apporte des soutiens dans la création de leur projet
d’insertion socioprofessionnelle, bref assure l’insertion sociale des réfugiés. Figure au sein cette
direction des affaires juridiques et sociales un service de la protection, de la documentation et de
la statistique.
128
d’une direction des affaires administratives et financières, un pôle du Secrétariat général, qui a
pour missions principales d’assister les réfugiés, d’élaborer, de mettre en œuvre et de coordonner
les programmes de réinsertion sociale des réfugiés en République Centrafricaine.
La CNR est à notre sens la principale plate-forme administrative et juridique des réfugiés en
République Centrafricaine. C’est en effet, le seul organisme national qui coordonne et gère tous
les problèmes administratifs et juridiques des réfugiés installés en République Centrafricaine en
amont jusqu’en aval.
En effet, la CNR est créée en 1983 par une ordonnance du Gouvernement Centrafricain. Elle
vit grâce aux subventions de l’Etat Centrafricain et du HCR. C’est l’Etat Centrafricain qui paie le
salaire de tous les fonctionnaires détachés de la fonction publique centrafricaine travaillant au
sein de cette structure. En plus des salaires des fonctionnaires, l’Etat centrafricain alloue
mensuellement un portefeuille de 15 000 000 de franc CFA, soit environ 23.000 euros, à la CNR
afin de l’aider à réussir sa mission.
Le HCR finance également la majorité des projets de la CNR puisqu’il est l’un des ses
partenaires privilégiés, en plus du gouvernement centrafricain. Les projets qu’il finance sont ceux
que les réfugiés ont soumis ou présentés à la CNR. Les projets apparaissent dans les domaines
divers tels que : l’hôtellerie, la couture, le transport, l’informatique, l’enseignement général et
technique. Par conséquent, le CNR se présente comme un intermédiaire entre le réfugié et le
HCR.
Il faut noter, par ailleurs, que l’aide du HCR ne se limite pas seulement aux financements des
projets d’insertion sociale des réfugiés accueillis par la CNR. Il assiste également la CNR dans le
domaine logistique en fournissant par exemple des véhicules à ses personnels pour divers
129
déplacements dans les sites de l’intérieur du pays. En effet, les véhicules demeurent des outils
précieux pour ces agents qui se déplacent souvent très loin de la capitale dans les zones où les
routes sont généralement en mauvais état.
Force est de constater que la CNR éprouve toujours des difficultés à répondre à tous les
besoins des réfugiés malgré les aides de l’Etat centrafricain et les multiples dons du HCR. Ces
donations financières demeurent, malgré tout, insignifiantes vu le nombre croissant des réfugiés
ainsi que de leurs besoins. Surtout, elle n’a pas aussi vocation de s’occuper de tous les volets du
programme d’assistance aux réfugiés installés en République Centrafricaine.
Certaines organisations nationales ou internationales implantées en République Centrafricaine
s’occupent généralement des autres volets du programme d’assistance aux réfugiés. Par exemple :
le COOPI s’occupe du volet alimentation et éducation (distribution des vivres aux réfugiés pour
une sécurité alimentaire et l’instruction de la population réfugiée) ; le PAM (le Programme
Alimentaire Mondial) s’occupe également du volet alimentaire (distribution des banques
alimentaires aux réfugiés ) ; l’IMC implanté dans la ville de Bambari s’occupe du volet santé
(soins et distribution des médicaments aux réfugiés ) ; le Triangle s’occupe entre autres du volet
éducation ; le CSSI s’occupe du volet dit service communautaire ainsi que les Organisations Non
Gouvernementales Nationales et les associations telles que les femmes juristes et l’association
Azoudanga assistent les réfugiés dans les démarches administratives et juridiques.
En fait, la liste des structures d’accueil et d’assistance ci-dessus présentée n’est pas
exhaustive. C’est pour dire que beaucoup d’autres structures implantées en République
Centrafricaine accueillent les réfugiés et interviennent dans le processus de leur insertion sociale.
Il est à noter qu’une des plus importantes de ces structures d’accueil non mentionnée plus haut
demeure les familles d’accueil. Les familles d’accueil des réfugiés peuvent être les propres
parents de ces derniers, des familles issues de sa communauté ou des familles centrafricaines.
130
Les familles d’accueil demeurent à notre sens une structure d’assistance et d’accueil au même
titre que les organisations qu’on vient de présenter. C’est généralement en leur sein que les
réfugiés urbains trouvent un premier accueil et une première assistance lorsqu’ils arrivent dans en
Centrafrique Ils sont généralement logés, nourris par les membres de leur famille d’accueil,
lesquels les soutiennent moralement, psychologiquement tout au long de leur séjour migratoire.
En effet, les membres de la famille du migrant réfugié jouent souvent un rôle très important dans
le processus de son intégration sociale dans ce sens où ils vont conseiller, orienter le réfugié dans
ses démarches ; voire lui trouver un emploi par le canal de leurs réseaux.
Nous reviendrons largement sur cet aspect dans la dernière partie de cette étude dans un
chapitre tout entier qui sera consacré à la description de la vie des réfugiés congolais (RDC) et
tchadiens dès leur arrivée à Bangui.
Présentons le fonctionnement et l’organisation du HCR avant de clore cette partie d’étude.
1.4.2 Le HCR comme structure d’accueil et d’assistance aux
réfugiés en République Centrafricaine.
Implanté en République Centrafricain depuis plus de cinquante ans, le HCR est la principale
organisation des Nations Unies qui s’occupe des problèmes des réfugiés. Le HCR exerce sa
mission en République Centrafricaine, comme dans tous les pays du monde, conformément aux
textes juridiques de la Convention de Genève relatifs au Statut des réfugiés de juillet 1951 et son
protocole du 31 Janvier 1967, les textes de la Convention de l’Organisation de l’Union Africaine
(OUA) de 10 Septembre 1969 ainsi que les textes de loi de la République Centrafricaine traitant
des problèmes des réfugiés (Loi n° 07.019 du 28 décembre 2007 portant statut des réfugiés en
République Centrafricaine).
131
Les objectifs du HCR en République Centrafricaine sont multiples mais se focalisent sur les
problèmes des réfugiés installés au sein de ce pays.
Le HCR a pour objectifs fondamentaux :
la protection des réfugiés pour garantir les droits des réfugiés en prenant appui sur les
principes des Droits de l’Homme ; empêcher le refoulement abusif des réfugiés ;
l’assistance aux réfugiés par l’auto-prise en charge, la santé, l’éducation, la formation, accès
aux microcrédits et appui aux initiatives individuelles et collectives dans le cadre d’un
microprojet d’insertion sociale ;
la documentation : financer les pièces d’identité aux déplacés internes afin qu’ils ne
deviennent pas des apatrides.
En 2011, le HCR a assisté environ 141 660 personnes réfugiées dont la majorité sont les
déplacés internes. Ces derniers représentent plus de 80% de personnes assistées par le HCR en
2011145
. Leur effectif a crû ces dernières années à cause de la prolifération des troubles à
l’intérieur du pays.
En effet, l’Est de la République Centrafricaine est devenu depuis quelques années une zone de
non-droit. La LRA (l’Armée de la Résistance du Salut), un groupe rebelle venu du Soudan sème
la panique dans cette partie de la République Centrafrique. Les rebelles de la LRA se livrent aux
actes de barbarie auprès de la population de ces lieux. Ils violent les femmes, massacrent des
milliers de personne et pillent. Par conséquent, cette zone de l’Est contrôlée par ce groupe rebelle
s’est transformée en une grande zone d’insécurité dans laquelle le principe des Droits de
l’Homme est totalement violé et bafoué.
145HCR (2011), Appel global, République Centrafricaine.
132
S’ajoute à ce problème, celui de la santé publique. En effet, le taux de prévalence du Sida a
grandement crû dans cette zone compte tenu du nombre croissant de cas de viol enregistré. D’où
la nécessité de mettre en place des structures sociales permettant de prendre en charge des
personnes traumatisées par ces actes de barbarie.
Le HCR doit donc répondre aux immenses besoins de ces déplacés internes. Ceci dit, il se
propose de leur garantir la sécurité, la protection, les soins, l’éducation, la sécurité alimentaire. Il
se substitue ainsi au gouvernement centrafricain, lequel devrait en principe s’occuper de ces
déplacés internes. En principe, les déplacés internes ne font pas partie du mandat du HCR. Le
HCR devrait s’occuper exclusivement des réfugiés, c’est-à-dire des migrants forcés étrangers
ayant traversé une frontière pour trouver refuge en République Centrafricaine. Mais pour des
raisons humanitaires, le HCR va consacrer une grande partie de son budget pour répondre aux
besoins de cette population vulnérable compte tenu de l’impuissance de l’Etat Centrafricain. En
effet, l’Etat centrafricain se trouve à l’heure actuelle en état de crise politico- économique
comme la plupart des Etats d’Afrique noire. Par conséquent, il est incapable de contrôler la
totalité de son territoire, ni de garantir la sécurité à ses citoyens. Il revient donc au HCR de
prendre en main le destin des réfugiés et des déplacés internes installés en République
Centrafricaine.
Il est à noter que le HCR fonctionne grâce aux dons émanant principalement des pays
occidentaux comme les Etats- Unis et les pays de l’Union Européenne, le Japon. En effet, ces
dons sont, malgré tout, insuffisants pour couvrir toutes les dépenses compte tenu de l’immensité
de son domaine d’intervention. Par exemple, le HCR a débloqué 24,6 millions de dollars pour
répondre aux besoins des réfugiés et des déplacés internes installés sur le territoire centrafricain
en 2011146
. En fait, ce budget de 24,6 millions de dollars devrait être affecté entre autre aux
146Ibid .p4.
133
postes de dépenses les plus importants à savoir : les abris et autres infrastructures, les soins de
santé primaire, le VIH - SIDA, l’Education, le Service d’assainissement.
Le HCR de Centrafrique a d’énormes contraintes dans sa mission. La première contrainte est
d’ordre sécuritaire. Le contexte d’insécurité dans lequel se trouve la République Centrafricaine
empêche les agents travaillant dans le secteur humanitaire, notamment ceux du HCR, de se
déplacer en toute quiétude à l’intérieur du pays sans être attaqués par les bandits et les coupeurs
de route. Les zones d’intervention du HCR se trouvent généralement à l’intérieur du pays dans
les zones de conflit.
La seconde contrainte du HCR est d’ordre budgétaire. Il dispose de peu de moyens ce qui fait
qu’il ne peut pas répondre convenablement à tous les besoins des réfugiés. Mais force est de
constater que cette contrainte budgétaire ne peut en aucun freiner l’élan de sa mission puisqu’il
travaille avec d’autres institutions onusiennes et des ONG dans un partenariat renforcé dans le
cadre de l’approche modulaire. Se développe alors dans ce partenariat l’idée d’une
solidarité autour du sujet de réfugié. Le HCR est ainsi soutenu dans sa mission grâce à ce
partenariat.
134
Tableau 3.3 : Les organisations d’accueil et d’assistance aux réfugiés et aux personnes déplacées
implantées en RCA travaillant en partenariat avec le HCR/ Centrafrique en 2011.
Partenaires d’exécution Partenaires opérationnels
1) Organismes Gouvernementaux :
- Commission Nationale pour les Réfugiés.
1) Organismes Gouvernementaux :
- Ministères de la santé, de la justice, de
l’intérieur et de la sécurité, de l’agriculture.
- Cabinet du premier ministre.
2) ONG
- Association des femmes juristes.
- Caritas Centrafrique.
- Conseil Danois pour les réfugiés.
- Echelle.
- International Corps.
- Medical Emergency International.
- Triangle International.
2) AUTRES
- Bureau intégré des Nations Unies pour les
consolidations de la paix en République
centrafricaine (BINUCA).
- Croix Rouge française.
- FNUAP. - PNUD.
- OMS. - UNICEF.
- ONUSIDA. - PAM.
Source : HCR (2011), Appel Global, République Centrafrique.
135
Graphique 3.3 : Evolution du nombre de personnes assistées par le HCR en Centrafrique entre
2009 en 2011.
Source : Graphique réalisé à partir des données du Rapport global du HCR de l’année 2011
sur la République Centrafricaine.
136
2. LE PORTRAIT DE LA REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU
CONGO.
Figure 3.3 : La Carte de la République Démocratique du Congo.
Source : République Française (2011), division des archives du ministère des affaires Etrangères.
2.1 La situation sociopolitique de la République la République
Démocratique du Congo et la production des réfugiés.
On peut se référer à la partie consacrée à la chronologie des principales crises sociopolitiques
et humanitaires survenues en République Démocratique du Congo dans la période contemporaine
et sur celle consacrée aux problèmes des réfugiés en Centrafrique pour la bonne compréhension
de ce qui va suivre.
137
En effet, le portrait de la République Démocratique que nous allons présenter sera très
sommaire et très succinct. Car, nous avions déjà plus ou moins présenté l’histoire politique de la
République Démocratique du Congo dans la partie consacrée à la migration forcée en Afrique
Centrale de 1960 à nos jours et celle consacrée à la situation géopolitique de la République
Centrafrique et les problèmes des réfugiés. Les quelques écrits qui vont suivre ne vont que
compléter ce que nous avions relatés dans les précédentes parties mentionnées ci-haut dans un
souci méthodologique.
La République Démocratique est un immense pays qui s’étend sur 2.345.410 Kilomètres
carrés, un des plus grands pays d’Afrique, soit 4,3 fois la France147
. Elle fut une ancienne colonie
belge. Elle se situe au sud de la République Centrafricaine, à l’est du Congo-Brazzaville, au nord
de l’Angola et de la Zambie, à l’ouest du Rwanda, de Burundi, de la Tanzanie (Confère la carte
ci-dessus). Elle est peuplée de 57.500.000 personnes. La majeure partie de cette population vit
dans les zones rurales (soit environ 65,4% de la population globale). Cette population est
davantage jeune. En effet, 50% de Congolais (RDC) a moins de 16 ans148
. La ville de Kinshasa,
la capitale de la République Démocratique du Congo concentre le plus grand effectif de la
population (6000 000 à 7000 000 de personnes y vivent)149
. La République Démocratique du
Congo fait partie des pays les plus pauvres de la planète. Elle a un IDH (Indicateur de
Développement Humain) de 0, 385 en 2003 et se classe au 168 /177 des pays du monde. Les
Congolais (RDC) vivent moins longtemps qu’un grand nombre de nations pauvres de la planète.
En effet, l’espérance de vie de la République Démocratique du Congo est l’une des plus faibles
du monde.
147Badie B., Didiot B., (2007), l’état du monde 2007, Paris la découverte, Ministère des Affaires Etrangères,
République Française.
148 Ibid
149 Ibid
138
Elle est de l’ordre 44 ans en 2005 150
. A noter que L’Economie de la République Démocratique
du Congo est fortement dominée par le secteur informel comme celle de la plupart des pays
d’Afrique Subsaharienne. Mais force est de constater que ce pays possède, malgré tout, un
potentiel minier qui demeure à l’heure actuelle mal exploité. En effet, la République
Démocratique du Congo est un grand producteur du diamant industriel, du cuivre, de l’argent, de
l’or, du pétrole et du coltan151
.
En effet, la République Démocratique du Congo est un pays qui n’a jamais connu la paix. Elle
est secouée par des troubles sociopolitiques depuis les années 1960 (année de son accession à
l’indépendance) jusqu’aujourd’hui. Alors que certains peuples africains nouvellement
indépendants s’unissaient pour construire une nation forte autour de la paix, les Congolais (RDC)
eux, se déchiraient et s’entretuaient. En fait, on parlait déjà de rébellion et des affrontements
interethniques ou intercommunautaires dans la République Démocratique du Congo des années
1960. Il eut en 1964 à Bukavu et à Uvira une rébellion dirigée par Laurent Désiré Kabila et
Gaston Soumialot152
. Les revendications de ces rebelles étaient plus ou moins idéologiques et
politiques. Ils s’opposaient aux Belges et au pouvoir de Kinshasa soutenu par ces derniers. Ils
constituaient un front dit « de l’est » et proclamèrent une République qui fut nommée «
République Populaire du Congo »153
. Le Front de l’est s’est aussitôt éteint suite à l’intervention
de l’armée belge. Cette région de l’est ne va jamais retrouver une stabilité. Elle demeure
jusqu’aujourd’hui une plate forme de principales rébellions qui furent à l’origine de grands
conflits de la sous-région pendant cette période contemporaine.
150 Sources : BAD, OCDE 2005 , Les données macro-économiques de l’économie Congolaise (RDC).
151Badie B., Didiot B., (2007), l’état du monde 2007, Paris la découverte, Ministère des Affaires Etrangères,
République Française.
152Guichaoua A., Chronologie thématique, in Guichaoua A. (dir) (2004), Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique
Centrale et Orientale, Karthala, p 66.
153 ibid.
139
La période 1960-1964 fut une période de trouble et d’instabilité pour la République
Démocratique du Congo. En effet, il n’y avait pas que la rébellion de l’est qui déstabilisait le pays
à cette période. Il y avait également la rébellion muleliste et une guerre dite de « Kinyarwanda »
au nord Kivu154
. S’agissant de la rébellion muleliste, force est de constater que les communautés
bavira, babemba et bafuliru qui furent du côté de ladite rébellion affrontèrent les banyamulenge
qui, eux, combattaient du côté de la force gouvernementale. Les conséquences de ces
affrontements furent dramatiques du fait des pertes humaines dans les deux camps et de la
mobilité sous contrainte de milliers de personnes.
L’année 1965 fut marquée par l’accession du président Mobutu au pouvoir. Ce dernier va
imposer le parti unique, le Mouvement Populaire de la Révolution (le MPR). Par conséquent, il
va empêcher l’éclosion du multipartisme. Il s’appuya sur l’armée pour sécuriser son pouvoir. Un
pouvoir qu’il gardait farouchement. Car, il était prêt à emprisonner ou à assassiner les opposants
afin de conserver ce pouvoir. On le qualifiait de dictateur. Car, tous les pouvoirs étaient
concentrés entre ses mains (le pouvoir exécutif, judiciaire …). Il détenait ainsi dire un pouvoir
absolu. Mais le seul mérite du président Mobutu, c’est d’avoir rétabli la paix et la sécurité à
travers tout le Zaïre (l’actuelle RDC). En effet, il a eu à combattre les divers mouvements de
rébellion qui existaient dans le pays. Il avait mis fin aux principales rébellions qui déstabilisaient
le pays lorsqu’il était au pouvoir. Par conséquent, il avait permis à tous les citoyens zaïrois de
circuler librement dans tout le pays. Mais cette tranquillité et cette liberté de circulation vont
quand même être compromises dès les années 1995 avec l’arrivée massive des réfugiés rwandais,
victimes du génocide, sur le territoire zaïrois.
En effet, les Congolais (RDC), du moins ceux de l’est du pays, vont vite subir les
conséquences de la crise rwandaise (Le génocide). Il faut noter que plus de 1 200 000 Rwandais,
154Ibid.
140
principalement les Hutus, vont fuir le Rwanda suite au renversement de leur régime pour se
réfugier dans la région de Kivu à l’est de la République démocratique du Congo. L’arrivée de ces
nouveaux réfugiés va compliquer la cohabitation entre la population autochtone et les
Banyarwanda (Les Zaïrois hutu et tutsi originaires du Rwanda implantés au Zaïre dans la région
de Kivu depuis plusieurs années)155
. Un phénomène anti-hutu va naitre dans la région de Kivu
puis se propager rapidement dans tout le Zaïre vers 1995. Par conséquent, les Zaïrois vont
commencer peu à peu à remettre en cause les acquis de la nationalité zaïroise de tous les Hutus
implantés sur le territoire zaïrois ainsi que des hutu Banyarwanda. En effet, cette remise en cause
des acquis de la nationalité zaïroise des hutus présents sur le sol zaïrois fut à l’origine d’un grand
conflit qui va déstabiliser le Zaïre et même la sous-région pendant plusieurs années.
Afin de calmer les tensions qui régnaient entre la population autochtone et les Hutus, le
parlement zaïrois va voter le 28 avril 1995 une série de résolutions visant à assimiler les tous les
Zaïrois d’origine rwandaise, y compris les Banyamulenge (les zaïrois tutsi d’origine
rwandaise)156
. En fait, ces résolutions furent en défaveur des Banyamulenge puisqu’elles
laissaient entendre que ces derniers avaient acquis la nationalité zaïroise de manière frauduleuse
et appelaient à leur expulsion, à l’annulation de leur contrat de propriété et de l’interdiction de
leurs associations 157
. Autrement dit, les Banyamulenge devraient être expulsés du territoire
zaïrois du fait d’avoir acquis la nationalité zaïroise frauduleusement.
155Nyama W-R ., (2010), les effets collatéraux des conflits en Afrique : Cas des réfugiés au Gabon de 1968 à nos
jours, thèse de doctorat d’histoire, université de Perpignan, p 123.
156 Ibid p 124.
157Rusamira E., (2003) , La dynamique des conflits au Nord - Kivu : Une réflexion prospective, in Afrique
contemporaine, n° spécial automne 2003.
141
Les Banyamulenge furent très mécontents des mesures mises en place par le gouvernement
zaïrois, lesquelles furent totalement à leur défaveur. Par conséquent, ils vont développer une
hostilité à l’égard du pouvoir de Kinshasa. Ils déclenchèrent une rébellion le 13 octobre 1996
contre le régime de Mobutu 158
. Figurent parmi ces rebelles Banyamulenge des troupes venus de
Rwanda, de l’Ouganda, et du Burundi. Cette rébellion va prendre une grande ampleur et va
impliquer un grand nombre de pays frontaliers au Rwanda et au Zaïre ; surtout les pays dits des
grands lacs. En effet, tous ces pays frontaliers qui aidaient les Banyamulenge en leur fournissant
des armes et des hommes avaient une seule visée : renverser le régime de Mobutu afin de mettre
la main sur les richesses naturelles de la région de l’est du Zaïre. Car, le Zaïre, pays
immensément riche, était très convoité de tous.
Pour réussir cette mission, c’est - à-dire celle qui consiste à renverser le régime de Mobutu, les
Banyamulenge vont s’organiser dans une structure appelée Alliance des Forces Démocratiques
pour la Libération du Zaïre (AFDL) dirigée par Laurent Désiré Kabila. Les rebelles de AFLD
vont se battre contre l’armée régulière (la FAZ : La force armée zaïroise) pour le contrôle de la
région de l’est. En effet, l’armée régulière zaïroise ne va pas résister pendant longtemps. Elle fut
impuissante face aux AFDL, soutenues par des milliers d’hommes venus de plus de quatre pays
(le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, la Tanzanie). Elle dut donc faire face à un assaut conjoint de
plusieurs de ses voisins. Le Zaïre, ne pouvant pas faire face à tous ces envahisseurs, perdit peu à
peu le contrôle de la région de l’est ; principalement les territoires situés entre Goma, au nord et
Uvira, au sud de Kivu159
. Les rebelles d’AFDL ainsi que d’autres mercenaires profitent de la
situation pour prendre le contrôle total de la région.
158 Nyama W-R (2010), les effets collatéraux des conflits en Afrique : Cas des réfugiés au Gabon de 1968 à nos
jours, thèse de doctorat d’histoire, université de Perpignan, p 125.
159Ibid. p 126.
142
En effet, les rebelles et les mercenaires venus des pays frontaliers du Zaïre ont conquis les
deux tiers du territoire zaïrois en moins de deux ans. Ces deniers vont gouverner la région de l’est
du Zaïre comme leur propre territoire ou encore comme un Etat à part. Ils vont piller des
ressources minérales de la région (l’or, le diamant, le cuivre, le manganèse et cobalt), piller les
populations civiles, massacrer des milliers de personnes, violer les femmes. Les Droits de
l’Homme furent complètement bafoués tout au long de ce conflit.
Il ressort de cette guerre de l’est du Zaïre un bilan très catastrophique. On dénombra de
milliers de morts et plus de 300.000 migrants forcés (les déplacés internes et les réfugiés)160
. On
observa, à travers ce conflit, un mouvement très prononcé de la migration forcée de groupe. Les
populations se déplaçaient en groupes organisés ou dispersés : des familles entières ou des
villages tout entiers.
Les rebelles d’AFLD accomplirent, malgré tout, leur mission dans la mesure où ils
renversèrent le régime du président Mobutu en 1997 et permirent à Laurent Désiré Kabila de
prendre le pouvoir. En effet, les combats entre les AFLD et l’armée régulière pour la prise de
Kinshasa eurent de lourdes conséquences. Il y eut des milliers de morts et la mobilité sous
contrainte de quelques milliers de personnes. Des milliers de Congolais (RDC) se sont réfugiés à
Brazzaville au Congo-Brazzaville dont un grand nombre furent les plus proches du président
Mobutu.
L’accession de Laurent Désiré Kabila au pouvoir ne marqua pas la fin des conflits en
République Démocratique. En effet, le conflit zaïrois qui a débuté à l’est de l’ex-Zaïre en1995 va
se déplacer dans le Nord du pays.
160Source: Human Rights Wath, août 2002.
143
Monsieur Jean-Pierre Bemba, un proche parent du président déchu Mobutu crée en 1998 un
mouvement de rébellion dénommé MLC (Mouvement de Libération du Congo) afin de combattre
le président Laurent Désiré Kabila. Ce mouvement fut implanté dans la région de l’équateur au
nord de la République Démocratique du Congo (Nouvelle appellation du Zaïre après l’arrivée de
Kabila au pouvoir). Le mouvement de Bemba était soutenu par les troupes ougandaises. En effet,
les rebelles et les milices de Bemba vont vite déstabiliser cette région du nord de la République
Démocratique du Congo. Ils furent à l’origine des pillages, des massacres et des viols. La région
de l’équateur devint en quelques mois une zone de non droit où règne une totale insécurité. Par
conséquent, des milliers de personnes vont fuir la zone pour se réfugier en République
Centrafricaine.
Le champ d’action des rebelles de Bemba ne s’était pas arrêté à la seule région du nord de
l’équateur. En effet, le président centrafricain, Ange Félix Patassé avait demandé en 2001 aux
rebelles de Bemba de venir soutenir l’armée gouvernementale Centrafricaine afin rétablir la
sécurité dans son pays qui vient de connaitre un coup d’Etat. Les rebelles et les milices de Bemba
vont vite être déçus de celui qu’ils venaient soutenir militairement, c’est-à-dire du président Ange
Félix Patassé. En fait, ce dernier les sous-payait. Par conséquent, ils se soulevèrent contre le
président Patassé pour revendiquer leur solde. Ils vont alors profiter de cette revendication
salariale pour semer la panique au sein de la ville Bangui, la capitale centrafricaine. Ils
transformèrent la ville de Bangui en un champ de bataille ou encore en une ville colonisée dans
laquelle ils faisaient leurs propres lois. Ils se démobilisèrent complètement et ne respectèrent plus
les conseils, ni des ordres venus des chefs des armées centrafricaines. Ils pillèrent, massacrèrent,
torturèrent, violèrent et contraignirent de milliers de personnes à la migration forcée.
En effet, les actes de barbarie commis par les rebelles et les milices de Bemba furent tellement
dramatiques qu’ils furent qualifiés de crime contre l’Humanité par le Tribunal Pénal International
de la Haye. Par conséquent, leur leader, monsieur Bemba, fut détenu afin de répondre devant
144
cette institution des chefs d’accusation qui pesaient contre lui et être jugé des crimes qu’il aurait
organisés avec ses troupes en République Centrafricaine en 2002.
On constate, d’après ce qui précède, que la République Démocratique du Congo demeure un
pays très instable, producteur de réfugiés. En effet, un grand nombre de réfugiés congolais (RDC)
victimes des conflits qui avaient déstabilisé la région de l’est et du nord de la République
Démocratique du Congo entre 1995 et 2001 se trouvent à l’heure actuelle dans quelques pays
d’Afrique Centrale, notamment en République Centrafricaine.
145
3. LE PORTRAIT DE LA REPUBLIQUE DU TCHAD.
Figure 3.4 : La carte du Tchad.
146
3.1 La situation sociopolitique de la République du Tchad et la
production des réfugiés.
On peut se référer à la partie consacrée à la chronologie des principales crises sociopolitiques
et humanitaires survenues au Tchad pendant la période contemporaine et celle axée sur la
situation géopolitique de la République Centrafricaine et les problèmes des réfugiés pour la
bonne compréhension de ce qui va suivre.
Le Tchad est un immense pays qui s’étend sur 1,2 millions de kilomètres carrés (au moins
deux fois la France)161
. C’est un pays d’Afrique Centrale qui est totalement enclavé. Il n’a pas
d’ouverture sur la mer. (Confère la figure ci-dessus). Le Tchad est composé de trois zones
géographiques qui se caractérisent par une tendance climatique et météorologique spécifique : 1)
Le Sahara au nord (la pluie est presque inexistante dans cette région) ; 2) Le Sahel au Centre, une
zone plus abondante que celle de Sahara. Les précipitations atteignent 250 à 800 mm par an dans
cette région du Sahel. Et enfin 3) La zone soudanaise au sud marquée par un climat tropical (on
enregistre de 800 à 1100 mm de pluies par an dans cette région). Le Tchad se situe au nord de la
République Centrafricaine, au sud de la Libie, au nord-est du Cameroun et du Nigéria et à l’est du
Niger. Il est peuplé de 11. 200.000 d’habitants en 2009 162
. La ville de N’Djamena, la capitale,
est la plus grande ville du pays (555.791 personnes y vivent)163
. Le Tchad est composé de
plusieurs ethnies (environ 200) dont les principales sont les Sara (soit 27,7% de la population
161Word Gazetter, année 2007.
162ACDI (Agence Canadienne de Développement International), (2011), données démographiques, sociales et
économiques du Tchad.
163Ibid.
147
tchadienne et les Arabes (12,3%) de ladite population)164
. En effet, toutes ces ethnies forment
douze groupes linguistiques qui cohabitent ensemble dans toutes les contrées du pays. Mais le
pays compte, malgré tout, plus de musulmans que de chrétiens. En fait, 53,9% de la population
tchadienne est musulmane contre 20,4% chrétienne catholique ; 14,4% chrétienne protestante et
7,4% animiste165
. L’islam est très présent dans la région du nord dans laquelle on trouve
principalement des éleveurs nomades. Par contre, les éleveurs nomades et semi-nomades de la
région du Sahel sont partagés entre l’islam et l’animisme. La région du sud demeure, quant à elle,
chrétienne et animiste.
Le Tchad fait partie des pays les plus pauvres du monde. Selon les Nations Unies, il se classe
au 175ème
rand mondial sur 182 pays pour ce qui est de son IDH (Indicateur du Développement
Humain) et possède une espérance de vie très faible (49 ans en 2008)166
. Son économie est basée
essentiellement sur l’industrie (42% de son PIB) et sur l’agriculture (23% de son PIB en 2008).
167 A noter que son agriculture est peu diversifiée. Elle est davantage spécialisée dans la culture
du coton et de l’élevage dont les rendements sont très médiocres. Cette économie est tributaire de
l’assistance régionale et internationale, notamment de la France depuis les indépendances168
. Le
programme d’ajustement structurel imposé par la Banque mondiale et le FMI vers les années
1980 a eu un impact négatif sur l’économie tchadienne. Du coup, le pays va connaitre une crise
sans précédent. Des milliers de Tchadiens vont tomber dans la pauvreté à partir des années 1980.
164BCR, Ministère du plan et de la coopération de la République du Tchad, RGPH (Recensement Général de la
Population et de l’Habita) de 1993.
165République du Tchad (1994) , les données sociales et économiques .
166ACDI (Agence Canadienne de Développement International), (2011), données démographiques, sociales et
économiques du Tchad
167Ibid.
168Coats, 1990 .
148
Par conséquent, ils vont développer des stratégies économiques informelles pour sortir de cette
pauvreté et gérer cette crise économique. Il faut noter que le Tchad a, malgré tout, un potentiel
pétrolier qui demeure à l’heure actuelle mal exploité et qui ne profite pas à l’ensemble de la
population.
Le Tchad accède à l’indépendance le 11 août 1960. Le premier président tchadien de l’ère
poste indépendance fut François Tombalbaye, président du Parti Progressiste Tchadien (Le PTT).
En effet, cette indépendance qui devrait marquer le début d’une ère d’union pour la nation
tchadienne dans son ensemble va au contraire raviver la rivalité entre les Tchadiens. En fait, les
Tchadiens de la région du sud qui furent dominés par les colons Français tout au long de la
période coloniale se rivalisaient avec les nordistes, plus hostiles aux Français. Les nordistes
reprochèrent au président Tombalbaye d’avoir choisi le Français comme langue officielle du
Tchad au détriment de l’Arabe. En effet, les nordistes plus arabisés et qui n’avaient pas été au
contact avec la langue française ni avec l’enseignement français de la période coloniale furent
marginalisés par cette mesure mise en place par le président Tombalbaye. Car il fallait connaitre
le français et avoir un minimum d’instruction pour travailler dans l’administration publique
tchadienne post coloniale. Or, les sudistes qui ont profité de l’enseignement français de la période
coloniale et qui sont plus instruits formèrent l’élite tchadienne de l’époque. Par conséquent, ils
occupèrent les postes de responsabilité au sein de l’administration publique et de l’armée. En
effet, la principale ethnie du sud, l’ethnie Sara, avait une totale emprise sur l’armée et
l’administration pendant le règne du président Tombalbaye.
Les nordistes, marginalisés par la politique du président Tombalbaye plus favorables aux
populations chrétiennes et animistes du sud, développèrent peu à peu une haine contre les
sudistes et le président en exercice. Le Tchad du nord musulman va s’opposer au Tchad du sud
149
chrétien de Tombalbaye. Ce fut donc le début d’une guerre ethnique et religieuse entre les
peuples du nord et du sud. Et cette guerre va marquer toute l’histoire du Tchad.
Il eut un soulèvement en 1963 contre le régime du président Tombalbaye. Ce fut la première
révolte des nordistes contre le régime en place. En effet, le président Tombalbaye ne va pas rester
muet face à cette attaque nordiste. Il va vite réagir en réprimant cette révolte. Sa réaction eut des
conséquences très néfastes puisqu’il a occasionné des troubles à l’intérieur du Tchad. En effet, le
Tchad a échappé de près à une guerre civile en 1965 après la révolte musulmane nordiste. Mais
les tensions vont encore s’amplifier et se compliquer quelques mois plus tard. En fait, ces mêmes
nordistes vont s’organiser à l’intérieur d’une structure. Ils constituèrent un mouvement de
rébellion qui va déstabiliser le Tchad de l’époque. A noter que le principal mouvement de
rébellion nordiste des années 1965 fut le FROLINAT (Le Front de Libération Nationale du
Tchad). Ce mouvement était soutenu par le régime du Colonel Kadhafi. Le FROLINAT avait un
appui financier et logistique de Tripoli. En effet, le régime de Kadhafi qui soutenait le
FROLINAT va finir par s’ingérer dans les affaires de l’Etat Tchadien, profitant de la situation
politique instable de ce pays pour annexer la bande d’Aozou (région nord du Tchad frontalière
avec la Libye) en 1973. La bande d’Aozou ne sera restituée au Tchad qu’en 1994.
Pour calmer les tensions et apaiser ses compatriotes, Tombalbaye va dissoudre son propre
parti pour fonder le MNRCS (le Mouvement National pour la Révolution Culturelle Tchadienne
ou « Tchaditude »). Il espérait réconcilier les Tchadiens, les sudistes et les nordistes à travers ce
mouvement dont l’objectif principal fut le retour aux valeurs authentiques. Mais son initiative
sera vaine puisque les sudistes chrétiens et les nordistes ne vont jamais adhérer à son idéologie.
Par conséquent, ils vont critiquer farouchement son mouvement. Pour eux, ce mouvement ne se
présente pas comme un emblème réconciliateur puisqu’il est fondé exclusivement sur des
pratiques animistes du sud. Les chrétiens sudistes et les musulmans nordistes se disent peu
concernés par un tel mouvement. Tombalbaye va être rejeté à la fois par les siens, les sudistes et
les nordistes musulmans, toujours hostiles à sa politique. Les sudistes lui reprochent sa barbarie
et sa violence. En effet, Tombalbaye avait massacré des dizaines de cadres et des pasteurs qui
150
critiquaient sa politique. La révolution culturelle ne va non plus arranger les choses. Elle va
davantage frustrer les nordistes et révolter les populations du sud, lesquelles accusent
Tombalbaye d’être un assassin169
. Le régime de Tombalbaye va vraiment se fragiliser après cette
période dite de révolution culturelle. Il va perdre peu à peu le contrôle de l’armée qu’il accuse de
se conduire comme une structure à part, c’est-à-dire comme un « Etat dans un autre Etat ». Et
cette armée va lui tourner le dos et précipiter son départ du pouvoir.
IL y eut un coup d’état militaire au Tchad le 13 Avril 1975 à l’issue duquel le président
Tombalbaye fut assassiné. En effet, ce coup d’état marque la fin du régime sudiste. Les nordistes
vont désormais prendre la commande du pouvoir au Tchad. Et c’est un certain Félix Malloum qui
devient le nouvel homme fort du Tchad après le coup d’état du 13 Avril 1975.
Le général Félix Malloum qui succéda au président Tombalbaye venait du nord. En effet, la
prise de pouvoir par un nordiste devrait apaiser les esprits des rebelles nordistes puisque ce
dernier est un des leurs, donc susceptible de prendre en compte leurs revendications. Ce ne fut
pas le cas. En effet, le Tchad de Félix Malloum fut aussi instable que celui de Tombalbaye. Car la
rébellion du nord (le FROLINAT) continuait toujours son offensive ainsi qu’à déstabiliser le
pays. Le FROLINAT fit même une grande offensive contre l’armée régulière tchadienne en Juin
1977 qui aboutit à de lourdes pertes humaines. L’armée tchadienne qui fut impuissante face à
cette rébellion nordiste toujours bien organisée et puissante fit appel à l’armée française pour lui
venir en aide. Celle-ci lui apporta un soutien logistique d’une grande importance en juin 1977.
L’armée française devait combattre le FROLINAT afin de rétablir la sécurité dans le pays. Mais,
ces rebelles très déterminés, n’avaient peur de personne, pas même de l’armée française. Ils
continuèrent leur offensive à l’intérieur du pays malgré les attaques de l’armée française. Ils vont
prendre la ville de Faya-Largeau le 17 Février 1978.
169Golhor, 1991.
151
Le gouvernement tchadien, toujours impuissant, demande un accord de cessez-le-feu entre lui
et le FROLINAT. Cet accord fut signé le 27 Mars 1978 mais ne sera pas respecté.
Le régime de Félix Malloum qui a duré quatre ans, c’est-à-dire de 1975 à 1979 fut un régime
dictatorial au même titre que celui de Tombalbaye. Les exécutions sommaires furent très
courantes à l’époque de Félix Malloum. En effet, ce dernier assassinait les hommes qui
s’opposaient à sa pensée. Quelques mouvements sociaux, notamment les grèves des travailleurs
et des étudiants, vont malgré tout, paralyser ce régime dictatorial.
Le FROLINAT (Le mouvement rebelle nordiste) qui a régné au Tchad depuis les années 1965
s’éteint peu à peu à la fin des années 1979 laissant la place à d’autres mouvements rebelles tels
que le Mouvement Populaire de Libération du Tchad (MLPT) dirigé par Lol Mohamed Shawwa ;
Les Forces Armées Populaires (FAP) dirigées par Goukouni Oueddei et les Forces Armées du
Nord (FAN) dirigées par Hissène Habré. En effet, les FAN sont le prolongement de FROLINAT.
En fait, Hissène Habré qui fut partisan de Goukouni Oueddei se sépare de lui en juin 1977 après
de longues années de lutte pour le pouvoir. Il va reconstituer deux factions de FROLINAT pour
constituer les FAN (les forces armées du nord) qu’il va diriger par la suite. Goukouni part avec
ses rebelles des FAP (Forces armées Populaires) à la conquête du BET tandis que Hissène Habré
contrôle les zones frontalières au Soudan avec les FAN.
Il faut noter que les FAN de Hissène Habré étaient financés par les Français et les Américains.
Grâce à ces financements extérieurs, Hissène Habré a pu rapidement étendre sa faction qui
s’étendait de Zaghawa à Hadjeraï. Le mouvement de Hissène Habré va déstabiliser de plus en
plus le régime Malloum. Pour rétablir la sécurité à l’intérieur du pays, la France va exercer une
pression entre les deux parties (Malloum et Habré) afin qu’ils procèdent à une négociation. Ces
derniers acceptèrent cette négociation. Les deux parties concluent un accord à l’issue de cette
152
négociation. Il y eut l’accord de Khartoum de Septembre 1977 et la charte fondamentale d’août
1978. Hissène Habré devient le premier ministre.
Par contre, Malloum garde toujours son fauteuil présidentiel. Mais cette entente ne va être que
de courte durée. Hissène Habré, assoiffé du pouvoir, n’est pas satisfait de son poste de premier
ministre. Il voulait coûte que coûte s’emparer du pouvoir exécutif. Par conséquent, il va tout faire
pour renverser le régime de Malloum. En fait, Habré va de plus en plus réclamer le pouvoir. Il
remplacera les ministres et les cadres sudistes par les Goranes.
En effet, Hissène Habré ne se détache pas complètement de sa philosophie rebelle malgré sa
nouvelle fonction ministérielle. On le sentait très stratégique dans ses actes. Il avait même refusé
d’intégrer ses rebelles FAN (Forces armées du nord) dans l’armée régulière nationale (les
FANT : Force Armée Nationale Tchadienne) puisqu’il savait qu’il avait encore besoin d’eux. Il
savait qu’il pouvait à tout moment reprendre les armes pour rentrer en rébellion.
Une date va alors marquer l’histoire du Tchad ; le 12 Février 1979. Ce fut la date qui marqua
le début de la première guerre civile au Tchad. En effet, les partisans de Habré (le premier
ministre) qui se sont mis en grève en cette date du 12 Février 1979 vont affronter les partisans du
président Malloum. Les FAP de Goukouni s’allièrent aux FAN de Hissène Habré pour combattre
les partisans du président Malloum. La ville de N’djamena devint en quelques heures une grande
zone guerrière où l’on pouvait entendre les armes tirer de toutes part. Les Tchadiens originaires
du sud habitant dans les quartiers musulmans à Ndjamena ainsi que ceux d’autres villes sont
attaqués et massacrés. De guérilla, l’affrontement devient une guerre civile car, de fait, les
quartiers de la ville sont relativement homogènes du point de vue ethnique170
. Les résidents de
170Bouquet, 1988 . Op. Cit.
153
N’djamena originaires du sud sont contraints de fuir la capitale. Mais ceux qui y restaient
ripostaient aux attaques des nordistes et s’en prenaient aux commerçants musulmans nordistes.
Mais une grande partie de la population originaire du centre et du nord qui vivait à N’Djamena
va se réfugier au Cameroun. On est ainsi passé de ce qui fut au départ une rébellion d’une partie
du nord du Tchad contre le pouvoir central à une guerre généralisée du nord contre le sud171
. En
effet, la guerre civile du Tchad était prévisible du fait de la multiplication des mouvements de la
rébellion à travers le pays depuis l’indépendance. Et ces rébellions, qui semblaient être fondées
sur des revendications politiques, avaient pour la plupart des cas des ancrages idéologiques et
ethniques. La dénomination des mouvements rebelles telle que : la Force Armée du Nord prouve
la vision exclusivement ethnique de ces groupements. Il était certain que la confrontation de ces
différents mouvements rebelles à connotation ethnique finirait un jour par occasionner une guerre
civile. Ce fut finalement le cas le 12 février 1979. Le bilan de cette guerre fut catastrophique. Car,
il y eut des milliers de morts et des centaines de milliers d’exilés.
Le Tchad va fonctionner comme une fédération entre 1979 et 1982. Le nord et le sud vont être
gouvernés par des autorités politiques distinctes. En effet, la région du sud était gouvernée par un
comité politique exclusivement réservé aux sudistes composé d’anciens ministres et de hauts
fonctionnaires sudistes dont le chef était le colonel Kamougue , chef des FAT tandis que le nord
était sous le contrôle du président Malloum et des mouvements rebelles nordistes. En fait, les
neufs préfectures musulmanes du nord furent subdivisées en fonction des diverses tendances du
FROLINAT tout au long de cette période de guerre172
.
La communauté internationale et particulièrement l’OUA va aider le Tchad à se reconstruire et
à retrouver son unité nationale perdue pendant la guerre. Pour ce faire, elle va demander aux
Tchadiens d’organiser des conférences dites de réconciliation nationale. Trois conférences de
171 Golhor, 1991. Op.cit.
172 Dadi, 1988 .
154
réconciliation nationale seront alors organisées à l’issue desquelles les accords furent signés entre
les nordistes et les sudistes jadis séparés par la guerre.
Un cessez-le feu fut décrété. Un Gouvernement d’Unité Nationale Tchadienne nommée GUNT
était mis en place à l’issue de cette conférence d’unité nationale sous l’initiative de Habré et de
Goukouni. L’instance des conférences nationales dissout le gouvernement de Malloum et obligea
le président Malloum à quitter la présidence de la République. Ce dernier démissionna de son
poste de chef de l’Etat. Goukouni prit le pouvoir et dirigea le GUNT. Le gouvernement d’unité
nationale réconcilia plus ou moins les Tchadiens malgré sa fragilité. Mais on note, malgré tout,
l’absence des sudistes dans ce gouvernement d’unité nationale. En effet, un grand nombre de
chefs et de hauts dignitaires sudistes refusaient de participer au GUNT. Ils s’étaient retirés, pour
la plupart, dans leur région du sud.
La paix retrouvée à l’issue de la conférence nationale fut de courte durée. En mars 1980 une
nouvelle guerre éclata au Tchad opposant Goukouni et Habré. Les deux amis qui furent à
l’initiative de la construction du GUNT vont maintenant s’affronter au sujet de pouvoir. Les
forces extérieures vont intervenir dans cette guerre. Goukouni sera soutenu par les troupes
libyennes dont l’objectif était depuis longtemps de prendre le contrôle total du Tchad. Habré, en
revanche, sera soutenu par l’Egypte et le Soudan. Cette guerre va à nouveau déstabiliser le
Tchad. Des milliers de Tchadiens vont fuir le pays pour se réfugier dans les pays voisins
notamment au Cameroun, au Nigéria, au Soudan et en Centrafrique. Les pays cités furent les
principales destinations migratoires de ces réfugiés tchadiens pendant la période de la crise qui
s’étend de 1979 à 1985.
Il y avait, selon le HCR, environ 230.000 réfugiés tchadiens au Cameroun vers les années
1980. En effet, ces réfugiés vivaient principalement à Koussouri et dans les camps construits
155
d’urgence par le HCR. Cette organisation a dût mettre en place un plan d’urgence pour assister et
secourir ces réfugiés dont le nombre augmentait chaque jour.
La Centrafrique aussi fut contrainte d’accueillir sur son territoire des réfugiés tchadiens, surtout
ceux originaires de la région du sud. En effet, quelque 6 100 réfugiés Tchadiens trouvèrent refuge
en République Centrafricaine entre juillet et octobre 1980. Ces réfugiés s’installèrent
principalement dans les régions du nord et dans la capitale, Bangui. (3020 réfugiés y étaient
installés)173
. Ces réfugiés étaient composés d’environ 451 enfants, de 987 femmes et de 4662
hommes.
L’accueil des réfugiés tchadiens au Nigéria fut, par ailleurs, d’une autre nature. En fait, les
quelques 50.000 réfugiés tchadiens qui se trouvaient au Nigéria dans les années 1980 étaient
fortement assimilés à la population locale. En effet, ces réfugiés ne découvraient pas le Nigéria.
Ce ne fut pas leur premier séjour dans le pays. Ils le connaissaient bien puisqu’ils y séjournaient
régulièrement avant le déclenchement de la guerre au Tchad. Il y avait un échancre migratoire
entre le Tchad et le Nigéria bien avant la guerre civile de 1979. Du coup, les réfugiés tchadiens
étaient considérés comme des migrants économiques au Nigéria à cause de leur attache avec le
pays. Par conséquent, le HCR n’était pas obligé de mettre en place un plan d’urgence et de
grande importance pour assister ces réfugiés tchadiens considérés aux yeux de tous comme des
migrants économiques.
Le Soudan aussi a dût faire face au problème des réfugiés tchadiens. En effet, on dénombrait
plus de 10.000 réfugiés tchadiens au Soudan en 1980. On trouvait dans la population de réfugiés
tchadiens installés au Soudan des hommes, des femmes et des enfants.
173République Centrafricaine (1980), ministère de l’intérieur, rapport sur les réfugiés installés à Bangui.
156
Le HCR avait mis en place un programme de rapatriement volontaire dans les années 1982 afin
d’inciter les réfugiés tchadiens à repartir dans leur pays. En effet, le bilan de ce programme fut
mitigé puisque bon nombre de réfugiés tchadiens vont décider de rester dans leur pays d’exil. Car
ils trouvaient que le Tchad était encore très instable politiquement. En fait, ils avaient absolument
raison puisque le Tchad va à nouveau sombrer dans un conflit en 1984.
En effet, le conflit de 1984 naquit suite aux actes de barbarie des FANT (les Forces Armées
Nationales Tchadiennes). En fait, les soldats de la force armée nationale tchadienne s’en étaient
pris aux populations du sud. Ils avaient massacré des milliers de personnes ressortissantes de la
région du Sud. Par conséquent, les populations du Moyen Chari et des deux Logone étaient
contraintes de fuir leur région pour se réfugier ailleurs. Quelques milliers de Sudistes, victimes de
la violence des FANT, vont se réfugier en République Centrafricaine vers les années 1984. On
dénombrait environ 2000 réfugiés tchadiens en République Centrafricaine en 1984.
L’histoire politique du Tchad fut marquée par des troubles militaires et des conflits depuis les
indépendances jusqu’aujourd’hui. Le Tchadien est devenu un éternel itinérant obligé de fuir son
pays toujours instable pour chercher un refuge ainsi que la tranquillité dans les pays voisins. En
effet, tous les conflits survenus au Tchad entre 1965 jusqu’en 1985, voire jusqu’aujourd’hui qui
paraissent être fondés sur des mobiles politiques (la lutte pour la prise de pouvoir) ont bien
d’autres explications. En effet, ces conflits auraient pour origine le sous-développement
économique, l’esclavage pratiqué par certaines ethnies au détriment d’autres groupes, un héritage
colonial français basé sur des structures politico-administratives inadaptées aux réalités
socioculturelles et la déviation de l’Etat colonial par rapport à ses origines africaines et au modèle
colonial174
.
174Golhor, 1991 op. Cit.
157
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE.
L’analyse des flux de migrations forcées contemporaines suppose une mise en perspective
historique et spatiale. En effet, bien des traits communs subsistent entre les phénomènes de
mobilité anciens de la première moitié du XXème siècle et les flux récents, notamment pour
expliquer certaines destinations175
. C’est la raison pour laquelle nous avons consacré toute la
première partie de cette étude à la description de l’histoire de la migration forcée en Afrique
Subsaharienne et d’une manière particulière en Afrique centrale pendant le XXème et le XXIème
siècle.
En effet, le terme de réfugié est connu du grand public que récemment, c’est-à-dire pendant la
période contemporaine (Après la première guerre mondiale). Or, ce n’est pas le cas pour le
phénomène de la migration forcée en Afrique noire. En fait, le phénomène de la migration forcée
a traversé l’histoire de l’Afrique noire et notamment l’Afrique centrale depuis le début du
XXème siècle jusqu’aujourd’hui, mais varie selon les époques. Les éléments qui caractérisent la
migration forcée en Afrique noire et notamment centrale pendant la période coloniale (De 1900 à
1945) se trouvent être différents de ceux de la période de la décolonisation (1945-1960) et de
ceux de la période contemporaine (1960 à nos jours).
La migration forcée de la période coloniale (1900-1995) fut causée par les colons pour des
raisons politico-économiques ; c’est une migration exclusivement temporaire ; c’est une
migration qui est analogue à une migration de travail et/ou économique ; c’est une migration à
175Guichaoua A., (2004), migrants , réfugiés et déplacés en Afrique centrale et orientale, in Guichaoua A., (2004)
, Exilés , réfugiés , déplacés en Afrique Centrale et orientale , op. Cit p 9.
158
dominante masculine ; c’est une migration dont la conséquence démographique se traduit par une
forte concentration d’hommes dans les régions à potentiel économique et climatique au détriment
d’autres régions.
La migration forcée de la période de la décolonisation (1945-1960) fut causée par les guerres
de libération et d’indépendance ; ce fut une migration de groupe ; les migrants forcés sont
principalement des colons et leurs collaborateurs (les auxiliaires indigènes) ; ce fut une migration
définitive pour les colons ; ce fut une migration internationale.
Enfin, la migration forcée de la période contemporaine (1960 à nos jours) a des causes à la fois
politiques et économiques. En effet, les Etats africains et plus particulièrement ceux d’Afrique
Centrale affaiblis politiquement et économiquement deviennent de plus en plus impuissants. Ils
sont donc incapables de contrôler la totalité de leur espace ou de leur territoire. Certains individus
vont profiter de la fragilité des Etats en état de crise pour contrôler une partie de l’espace ou des
territoires délaissée par ces Etats impuissants. Ces groupements d’individus vont prendre de
multitude d’appellations (des rebelles, des enfants soldats, des guérillas, des bandes armées). Ces
derniers vont s’impliquer directement ou indirectement dans les différentes troubles
sociopolitiques à l’intérieur de la sous-région (les coups d’état, les guerres civiles, les rebellions
pour la prise de pouvoir…). Il y eut au cours de cette période une augmentation des réfugiés et
des déplacés internes victimes de la violence des rebelles et des troubles politiques. Le
phénomène de déplacement interne est très développé par rapport à celui de la migration de
refuge classique. On note un accroissement du nombre des femmes et des enfants dans la
population des réfugiés et de ces déplacés internes. Un grand nombre de ces réfugiés et ces
déplacés internes se déplace par groupe (la famille entière, des groupes composés d’individus qui
n’ont pas de lien de parenté, des villages et des quartiers entiers).
159
PARTIE 2 : REVUE DE LA LITTERATURE :
MIGRATION ET MARCHE DU TRAVAIL DANS
LES VILLES D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE.
160
INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE.
Après avoir décrit l’histoire de la migration forcée en Afrique Centrale au XXème et XXIème
siècle, il demeure important de présenter dans la partie qui va suivre une revue de littérature
consacrée d’une part, à la problématique d’insertion économique dans les pays de notre étude, et
d’autre part , sur le thème de l’insertion urbaine des migrants dans les villes africaines.
Ainsi, cette revue de littérature sera consacrée à la description de la situation du marché du
travail dans les trois pays d’étude, à savoir la République Démocratique du Congo, la République
du Tchad et la République Centrafricaine et à l’analyse de la problématique d’insertion
économique des étrangers d’origine africaine sur les marchés du travail de quelques pays
d’Afrique Subsaharienne. Il s’agit d’établir les indicateurs pertinents qui caractérisent ces
marchés du travail, à savoir : le taux brut d’activité des populations actives, le taux de chômage,
la proportion des inactifs, les caractéristiques des emplois disponibles (les emplois modernes dit
formels ou des emplois dits informels), les conditions d’entrée ou de sortie sur ces marchés du
travail et de présenter les théories économiques qui permettent d’expliquer le fonctionnement de
ces marchés du travail africain. Existe-il- de grandes différences ou de grandes similitudes entre
le marché du travail des pays d’origine des réfugiés et celui de leur pays d’accueil, c’est-à-dire
celui de la République Centrafricaine ? Ces réfugiés peuvent-ils s’adapter à ce nouveau marché
du travail ? Quels sont ceux qui auront plus de chance de trouver un emploi dans ce nouveau
marché de travail ? La réussite de l’insertion professionnelle des réfugiés dans leur pays d’accueil
est-elle fonction de certains facteurs ? Et quels sont ces facteurs ?
En effet, cette revue de littérature, celle consacrée à la description des marchés du travail dans
les pays d’origine des réfugiés ainsi qu’en Centrafrique et celle axée sur les quelques études
relatives à l’insertion socioprofessionnelle des migrants ou des immigrants en Afrique
161
Subsaharienne vont nous orienter dans la mise en place des hypothèses de cette étude. Car celles-
ci demeurent le noyau de cette recherche.
Il nous parait important de définir quelques concepts liés à l’emploi dans cette partie d’étude
qui est consacrée à la revue de littérature axée sur le fonctionnement du marché du travail en
Afrique Subsaharienne. A noter que les définitions que nous allons donner à ces quelques
concepts sont aussi valables pour l’analyse des données de notre enquête (enquête migration de
refuge).
Tableau 4.1: Définition des concepts liés à l’emploi.
Activité économique :
Par activité économique, on entend toute activité ou tout travail exercé par un individu ou un
groupe d’individus dans le but de produire ou de contribuer à la production des biens et services
économiques dans une structure économique donnée (entreprises…). L’individu ou les individus
qui participent à la production d’un bien ou un service via une activité économique reçoivent une
rémunération en nature ou en monnaie.
Branche d’activité économique :
La branche d’activité désigne le type d’activité de l’établissement de la structure économique
dans laquelle un individu ou un groupe d’individus exercent une activité économique pendant
une période déterminée.
Emploi rémunéré :
C’est s’investir dans tous les aspects d’un travail , comme un métier , une profession ou toute
162
autre forme d’emploi , contre rémunération que ce soit en tant qu’employé à temps complet ou
partiel , ou comme indépendants 176
dans le secteur formel ou informel de l’économie lorsqu’on
se trouve en Afrique Subsaharienne et notamment à Bangui en République Centrafricaine.
Ce terme d’emploi rémunéré ci-dessus défini est retenu pour l’analyse des données de notre
enquête (enquête migration de refuge).
Population active :
Elle est constituée des individus de sexe masculin et féminin lesquels fournissent la main
d’œuvre disponible pour la production des biens et services sur un territoire déterminé. La
population active est constituée à la fois des personnes qui possèdent effectivement un emploi
(les occupés) et de celles qui en sont à sa recherche (les chômeurs).
Population en âge de travailler :
C’est une portion de la population totale se trouvant sur un territoire déterminée. Cette
population est généralement âgée de 15 ans et plus. Pour des besoins spécifiques, on peut
ramener l’âge du début d’activité à 6, voire 10 ans. C’est souvent le cas pour certaines études
portant sur l’emploi en Afrique Subsaharienne. Par exemple pour le recensement Général de la
population et de l’Habitation (RGPH) de Centrafrique de 2003, l’âge du début d’activité
économique est fixé à 6 ans car, beaucoup de personnes, surtout les filles, rentrent sur le marché
du travail à cet âge.
Population active occupée :
C’est l’ensemble des individus ayant exercé effectivement une activité économique pendant
une période déterminée sur un territoire donné. Les chômeurs ne font pas partie de la population
active dite « occupée).
176 IIDRIS (Index International et Dictionnaire de la réadaption et l’Intégration Sociale, Définition du terme :
Emploi rémunéré, www.IIDRIS.fr , visité le 02/11/2012. Op cit.
163
Population inactive :
Elle est généralement constituée des étudiants, des élèves, des femmes au foyer, des retraités
et des rentiers.
Population au chômage :
Le BIT (Bureau international du Travail) donne quelques critères permettant de définir le
chômage : Selon le BIT, être au chômage signifie : Être dépourvu d’emploi (est exclue toute
personne ayant déclaré avoir exercé un emploi une activité, même de très courte durée, au cours
de la semaine de référence), être capable de travailler (c’est-à-dire être disponible dans un délai
de quinze jours, voire d’un mois), rechercher un emploi rémunéré, être effectivement à la
recherche de cet emploi177
.
Profession dans l’activité économique :
La profession d’un individu dans une activité économique est le genre de travail effectué par
cet individu dans une structure économique et pendant une période déterminée.
Taux d’activité :
C’est le rapport en % entre les individus actifs (occupés ou chômeurs) et la population
correspondante.
Taux d’activité globaux :
Ils rapportent l’ensemble de la population totale :
- soit à la population totale du pays considéré (Inconvénient : On prend en compte des
individus qui ne sont pas susceptibles de travailler, enfants, personnes âgées) ;
177 Echaudemaison C-D (2009), Dictionnaire d’économie et des Sciences Sociales, Paris, Edition Nathan, op.cit
p386.
164
- soit à la population de 15 à 64 ans, convention qui permet des comparaisons internationales ;
- soit à la « population en âge de travailler ». Celle-ci dépend des seuils légaux d’entrée et de
sortie de l’activité professionnelle et donc varie dans le temps 178
et selon les pays.
Les taux catégoriels :
Ils rapportent les actifs d’une catégorie donnée au total des effectifs de cette catégorie. Les
plus utilisés sont les taux d’activité par âge ou tranche d’âge et les taux par sexe (hommes,
femmes). On croise généralement ces taux entre eux. On peut par exemple calculer les taux
d’activité des hommes de 30-34 ans ou ceux des femmes de 50-54ans.
Nous retiendrons les définitions de taux d’activités ci - dessus mentionnées dans l’analyse des
données de notre enquête (enquête migration de refuge).
Le taux d’emploi :
C’est le rapport de l’effectif de la population âgée, par exemple, de 15 ans et plus ayant
réellement un emploi pendant une période déterminée à celui de la population totale âgée de 15
ans et plus.
NB : Le taux d’emploi se distingue du taux d’activité du fait qu’il s’applique qu’aux actifs ayant
effectivement un emploi (actifs occupés) alors que on prend en compte les chômeurs (les actifs à
la recherche d’un emploi) dans le calcul des taux d’activité).
Taux spécifiques d’emploi :
Nous désignons par taux spécifique d’emploi, le rapport de l’effectif de la population d’une
catégorie d’âge ou de sexe déterminée qui a effectivement un emploi à la population totale de
cette catégorie d’âge et de sexe. Par exemple, le taux d’emploi de la population âgée de 25-29ans
est le rapport en % des individus âgés de 25-29ans qui détient réellement un emploi à la
178 Ibid.
165
population totale des 25-29ans.
Nous retiendrons les définitions de taux d’emploi ci-dessus mentionnées à la partie qui sera
consacrée à l’analyse des données de notre enquête (enquête migration de refuge).
Le secteur informel ou le secteur non structuré.
Le « rapport Kenya » du BIT proposait en 1972 de définir le secteur informel à partir des
sept caractéristiques suivantes 179
:
- Facilité d’accès à l’activité ;
- Utilisation de ressources locales ;
- Propriété familiale de l’entreprise ;
- Echelle d’activité réduite ;
- Usage des techniques qui privilégient le recours à la main d’œuvre ;
- Qualifications acquises hors du système officiel de formation ;
- Marchés concurrentiels et sans réglementation.
Sethraman va aussi s’appuyer sur les critères de BIT pour définir le secteur informel dans les
années 1976. Cet auteur donne quinze (15) critères pour définir le secteur informel parmi les
quels la flexibilité des horaires de travail, l’absence de recours au crédit régulier, le bas prix des
produits, le bas niveau d’instruction, l’absence d’usage d’électricité etc. 180
.
Les définitions du secteur informel se sont multipliées dans le monde scientifique et dans les
organisations internationales depuis celle proposée par le BIT en 1972 et celle de Sethraman en
1976. Chaque auteur donne sa propre définition et selon l’objectif de son étude. On remarque
souvent des insuffisances dans les définitions que ces différents auteurs donnent au secteur
informel. Un grand nombre d’auteurs, y compris de nombreux instituts de statistique, s’appuient
souvent sur le critère de « taille » pour définir le secteur informel. Ils considèrent comme
179 Lautier B., (2004), l’économie informelle dans le tiers monde, Paris, Edition la découverte, Op. Cit. p12.
180 Ibid.
166
« informelles » les unités économiques regroupant au plus 10 personnes et divisées en trois
classes : les indépendants, des unités composées de deux à cinq personnes et celles composées
de six à dix personnes. On voit que cette définition ne colle pas à la réalité économique d’un
grand nombre de pays du tiers monde. Car un certain nombre de structures économiques de
secteur structuré fonctionne souvent avec un nombre restreint d’individus (cabinets d’avocat,
des experts comptables, de médecins, des architectes).
Hormis le critère de taille de structures économique, le critère tel que le rapport à la loi choisi
pour définir le secteur informel présente aussi quelques limites. Car de quelle loi s’agit-il ? Doit-
on distinguer les activités dites « illicites » de celles qui sont licites lesquelles sont pratiquées
hors de la législation du travail en vigueur dans un pays donné ? Est-ce que les structures qui
sont hors la loi sont celles qui ne payent pas d’impôt ou celles qui font des activités illicites de
nature criminelle (la vente de la drogue…) ? Un grand flou apparait souvent dans cette approche
qui consiste à définir le secteur informel à partir du rapport à la loi du fait qu’il y ait une totale
confusion entre la notion de la légalité. Car si on considère qu’être hors la loi ce n’est pas
respecter les prescriptions légales en matière de la fiscalité (ne pas payer ses impôts), nombre
d’unités économiques qui se trouvent dans le secteur structuré vont basculer dans le secteur
informel. On va par conséquent, les qualifier d’unités informelles alors qu’elles sont bien dans le
secteur structuré.
On peut, conclure, eu égard à ce qui précède, qu’il est vraiment difficile de donner une
définition au secteur informel.
Nous allons, toutefois, retenir le critère de la comptabilité pour définir le secteur informel
dans le cadre cette étude. Une entreprise qui ne tient pas de comptabilité est considérée par nous
comme une entreprise du secteur informel. Il est vrai que tenir une comptabilité ne signifie pas
nécessairement être en règle avec les services de l’Etat en Afrique, car un grand nombre
167
d’entreprises d’Afrique noire tiennent des comptabilités alors qu’elles ne sont pas enregistrées
auprès des services de l’Etat181
. Ce qui est certain, c’est ce que les entreprises qui tiennent des
comptabilités en Afrique délivrent généralement les fiches des salaires à leurs employés.
Nous sommes focalisés sur « le critère de fiche de salaire » pour distinguer les activités dites
formelles de celles dites informelles dans l’enquête migration de refuge. Ainsi, tous les enquêtés
qui ont déclaré avoir un emploi et qui disent recevoir régulièrement la fiche de salaire de la part
de leur employeur sont considérés comme travailleurs dans le secteur formel. Ceux qui disent
avoir un emploi rémunéré et qui affirment ne pas recevoir de la part de leurs employeurs une
fiche de salaire à la fin du moi sont considérés comme des travailleurs du secteur informel. Nous
estimons que ce critère basé sur la fiche de salaire est moins complexe et semble être
compréhensible par nos enquêtés. Car les autres critères (contrat de travail, horaire de travail,
taille de l’entreprise dans laquelle travaille l’enquêté) semblent, à notre sens, très complexes et
moins pratiques. A noter que nous avons aussi considérer les indépendants (les enquêtés
travaillant à leur propre compte) comme des personnes travaillant dans le secteur non structuré
(secteur informel) pour être en conformité avec les instituts de Statistique de la République
Centrafricaine (Bureau Central de Recensement ; Institut de statistiques et d’études économiques
de la Centrafrique). Car les indépendants sont définis comme des personnes exerçant dans le
secteur informel par les instituts de statistique de ce pays.
Nous avons choisi la « patente » comme critère permettant de distinguer des activités
commerciales dites formelles de celles qui sont informelles. Un enquêté qui déclare être
commerçant et qui dit ne pas posséder une patente est donc considérée comme exerçant dans le
commerce informel. En revanche, celui qui déclare posséder une patente, est considérée comme
exerçant dans le commerce formel.
181 Bocquier P., (2000-2001), L’emploi dans les enquêtes « insertion » à Dakar et à Bamako, Cahier /discussion
paper/ Cuaderno, Montréal, p 8.
168
CHAPITRE 4 : LA REVUE DE LITTERATURE
SUR LE FONCTIONNEMENT DU MARCHE DU
TRAVAIL DANS LES PAYS DE L’ETUDE.
1. INSERTION SUR LES MARCHES DU TRAVAIL DANS LES
PAYS D’ORIGINE ET D’ACCUEIL DES REFUGIES CONGOLAIS
ET TCHADIENS.
1.1 Insertion sur le marché du travail en République Démocratique
du Congo et au Tchad.
1.1.1 Insertion sur le marché du travail en république
Démocratique du Congo.
La République démocratique du Congo a connu depuis les années 1960 plusieurs crises
sociopolitiques, lesquelles ont eu des impacts très significatifs et négatifs sur l’organisation de
son économie. L’économie de la République Démocratique du Congo qui, jadis (vers les années
1960), fut totalement extractive, c’est-à-dire qui avait pour seul but de produire pour le
développement de la métropole, la Belgique, n’a pas pu résister aux différentes crises politiques
et socioéconomiques qu’a connues le pays pendant cette période contemporaine, lesquelles ont
grandement contribué à sa dégradation. La transition tumultueuse, les pillages de 1991 et de
1993, la guerre de libération de 1997, la guerre des grands lacs, sont des évènements qui ont
désorganisé une économie congolaise déjà très affectée et fragilisée.
169
En effet, ces différentes crises sociales vont favoriser le développement d’une économie
informelle au détriment d’une économie structurée dite formelle. Ainsi, plus de 80% des actifs
Congolais(RDC) travaillent aujourd’hui dans le secteur informel contre un peu moins de 20%
dans le secteur formel182
.
Le marché du travail congolais (RDC) qui est le reflet de l’économie du pays est caractérisé
par la prédominance du secteur informel et un taux d’activité très faible par rapport à la moyenne
des pays d’Afrique Subsaharienne. Ce taux d’activité est de l’ordre 61% en 2004 183
Or, le taux
d’activité moyen de l’Afrique subsaharienne est de l’ordre de 68, 6%.184
. Le faible taux d’activité
de la République démocratique du Congo est dû à une insertion relativement tardive sur le
marché du travail du fait d’une scolarité plus longue, surtout dans le milieu urbain 185
. Notons
que la proportion de la population active ne fait que croitre dans le secteur informel depuis les
années 1955. Par exemple, en 1955, 39% de la population active urbaine, c’est-à-dire âgée de 15
à 59 ans, se trouvait dans le secteur formel et 61% dans l’économie non structurée dite
informelle. En 1961, 29,1% de la population active se trouvait dans le secteur formel contre 70%
dans le secteur informel. En 1990, 5% seulement de la population active urbaine travaillait dans
le secteur formel186
. En fait, l’économie de la République Démocratique du Congo repose
principalement sur le secteur informel, c’est le poumon de l’économie de ce pays puisque presque
trois actifs sur quatre en font partie. Nous allons, malgré tout, présenter dans la partie qui va
182 Kabambi N., (2010), République Démocratique du Congo : Le service public de l’emploi (S.P.E) et
l’information sur le marché du travail, Kinshasa, p 20.
183 INS (2004-2005) , « L’emploi, le chômage et les conditions d’activité en République Démocratique du
Congo : Enquête 1-2-3 , Document de Travail, Dial, P 7.
184O.I.T (Organisation Internationale du Travail) (2007), tendances de l’emploi en Afrique, Genève.
185 BAFD/OCDE (2008), Les perspectives économiques, Paris, p270.
186 Malikwisha M., l’importance du secteur informel en RDC, les classiques des Sciences Sociales en
collaboration avec la bibliothèque Paul-Emile Boulet de l’université de Québec à Chicoutimi, Op. Cit p 7.
170
suivre le fonctionnement et l’organisation du marché du travail en République Démocratique du
Congo.
L’insertion sur le marché du travail rural et urbain en République Démocratique du Congo.
La République Démocratique du Congo compte environ de 27 millions de personnes en âge
de travailler187
. Il en ressort un taux d’activité de 61% pour l’ensemble du pays. Il faut noter, par
ailleurs, que ce taux d’activité varie en fonction des zones (urbaine ou rurale), du sexe et de l’âge
des actifs. En fait, le taux d’activité est un bon indicateur permettant d’évaluer un marché du
travail donné.
Il existe une nette différence entre le taux d’activité en milieu urbain et rural en République
Démocratique du Congo. Le milieu rural enregistre un taux d’activité de plus de vingt (20) points
supérieur au milieu urbain. Le taux d’activité est respectivement de 67% en milieu rural et de
47% en milieu urbain. En effet, cette grande différence observée entre le taux d’activité rural et
urbain a bien une explication. En fait, les personnes habitant dans les zones rurales éprouvent
moins de difficulté à trouver un emploi puisqu’elles sont généralement concentrées de degré ou
de force dans le secteur agricole. On dit généralement que le secteur agricole absorbe ces
ruraux188
. Surtout, l’entrée dans le secteur agricole est moins difficile que dans les autres secteurs
économiques concentrés dans le secteur urbain pour lesquels l’entrée nécessite des qualifications,
des compétences, des diplômes et des réseaux. En fait, c’est généralement dans les grandes villes
que ce taux d’activité se trouve être faible. Par exemple, on note un faible taux d’activité, soit
187 BRAECKMAN C (2009)., Le Congo et ses amis chinois , archive monde diplômatique , bulletin mensuel,
septembre 2009.
188INS (2004-2005), « L’emploi, le chômage et les conditions d’activité en République Démocratique du Congo :
Enquête 1-2-3, Document de Travail, Dial, P 7.
171
43% au niveau de la ville de Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo. Ce
qui est normal du fait de la disparition de milliers d’emplois suite aux différents troubles qu’a
connues la capitale pendant lesquelles une partie de la population a détruit des infrastructures
économiques en pillant des magasins, des usines, des bureaux. En fait, les citadins ont eux mêmes
détruit leur bassin d’emploi. Les investisseurs étrangers peinent à reconstruire les infrastructures
économiques détruites durant les conflits étant donné que le contexte politique reste encore
instable. Le climat d’affaire n’est pas propice en République Démocratique du Congo à cause de
l’instabilité politique, de l’insécurité, des tracasseries policières, de la corruption, des lourdeurs
administratives selon les dires des économistes. Tous ces éléments font obstacle à un réel
dynamisme entrepreneurial et découragent les opérateurs économiques dans leur projet de
création d’entreprises. Le ralentissement de création d’entreprises a un impact significatif sur le
marché du travail congolais (RDC). Car il y a moins de création d’emploi ces dernières années.
Du coup, les offres et la demandes d’emploi se déséquilibrent surtout dans les centres urbains.
Les rares offres d’emploi ne suffisent plus à satisfaire les multitudes de demandes. On note,
malgré tout, une nette différence des taux d’activité entre les différentes zones du pays. Certaines
régions sont pourvues en emplois plus que les autres. Il y a par exemple plus d’offre d’emplois
dans les régions minières que dans d’autres zones.
Le marché du travail urbain congolais (RDC) est caractérisé par la prédominance des actifs
masculins par rapport aux femmes actives. En revanche, c’est l’inverse dans les milieux ruraux. Il
y a en effet plus d’actives que d’actifs en milieu rural. En effet, les femmes étant moins
scolarisées, elles s’orientent davantage dans des activités agricoles dans les zones rurales ce qui
fait qu’elles ont un taux d’activité plus élevé que les hommes dans ces zones, soit 69%, c’est-à-
dire trois points de plus que les hommes. Il est à noter que le faible niveau d’instruction des
femmes demeure un frein pour accéder au marché du travail urbain. En effet, les hommes, plus
scolarisés et instruits, ont plus de chance d’avoir un emploi moderne et de se salarier dans les
zones urbaines que les femmes.
172
Il faut noter que les femmes jouent un rôle très important dans le tissu social et familial en
République Démocratique du Congo. Elles ont deux fonctions principales qu’elles exercent
conjointement. La première consiste à prendre en charge les tâches domestiques de leur ménage.
Leur seconde fonction est davantage économique du fait qu’elles contribuent grandement au
pouvoir d’achat de leur ménage par le biais des activités économiques qu’elles exercent. Par
conséquent, elles ont un volume horaire hebdomadaire de travail supérieur aux hommes. En
République Démocratique du Congo, les femmes actives consacrent en moyenne 19h par semaine
aux tâches domestiques en plus des horaires habituels de leurs activités économiques189
. Se
développe alors le phénomène dit de « la double journée » chez ces femmes actives qui partagent
leur quotidien entre une activité économique épuisante et des tâches domestiques contraignantes.
Le taux d’activité en République Démocratique du Congo varie selon le genre et le milieu de
résidence (Une nette différence entre les zones rurales et urbaines). Par ailleurs, l’absence
d’activité en République Démocratique du Congo correspond en fait à une forme de chômage
déguisé. En fait, les personnes qui n’ont pas d’activité sont celles qui sont généralement retirées
du marché du travail parce qu’elles ne pensent pas pouvoir obtenir d’emploi190
.
Tableau 4.2 : Le taux d’activité selon le genre et le milieu de résidence en République
Démocratique du Congo en %.
Kinshasa Milieu Urbain Milieu Rural RDC
Hommes de 10 ans et plus 50,2 52,7 65,7 61,6
Hommes de 15 ans et plus 59,4 63,4 77,7 73,2
Femmes de 10 ans et plus 35,8 41,7 69 60,3
Femmes de 15 ans et plus 42,3 49,6 79,8 70,2
Ensemble de 10 ans et plus 42,8 47,1 67,4 60,9
Ensemble de 15 ans et plus 50,6 56,3 78,8 71,6
Source : INS, Enquête 1-2-3 Nationale RDC Phase 1 (2004-2005).
189 Kabambi N., (2010), République Démocratique du Congo : Le service public de l’emploi (S.P.E) et
l’information sur le marché du travail, Kinshasa.
190 INS (2004-2005), « L’emploi, le chômage et les conditions d’activité en République Démocratique du Congo :
Enquête 1-2-3, Document de Travail, Dial, P 7.
173
Graphique 4.1 : Le taux d’activité selon les zones géographiques de la République Démocratique
du Congo (RDC).
Source : Graphique réalisé à partir des données de l’enquête 1-2-3, INS (Institut National de
Statistique), RDC Phase 1 (2004-2005).
Insertion des jeunes, des chefs de ménage et des seniors sur le marché du travail en République
Démocratique du Congo.
La structure de la population de la République Démocratique du Congo est caractéristique de
celle de tous les pays d’Afrique subsaharienne. En fait, la population congolaise (RDC) est
composée en majorité de jeunes. Par conséquent, la structure de la population active de la
République Démocratique du Congo est le reflet de la structure de sa population. On trouve donc
une grande proportion de jeunes de moins de 20 ans dans cette population active. Elle représente
à elle seule environ 39% de la population en âge de travailler. Mais seulement le quart de cette
population jeune est en réalité en activité. Le taux d’activité des jeunes est relativement faible en
République Démocratique du Congo. C’est généralement dans les grandes villes que les taux
174
d’activité des actifs jeunes sont les plus faibles. Le taux d’activité des jeunes, c’est-à-dire des
moins de 20 ans, est de l’ordre de 7,5% à Kinshasa, le plus faible au niveau national. En
revanche, le taux d’activité des jeunes en milieu urbain hors capitale est de l’ordre de 12%. Mais
c’est dans les zones rurales qu’on enregistre le plus fort taux d’activité de la population active de
jeune. En effet, le taux d’activité de la population active jeune est de l’ordre de 29,2% dans les
campagnes congolaises. Ce taux d’activité élevé de la population active jeune des zones rurales
s’explique entre autres autre par l’entrée précoce des enfants sur le marché du travail dans les
campagnes.
A noter que ce sont généralement les chefs de ménage qui ont le plus fort taux d’activité (soit
environ 92,5% au niveau national) car ils demeurent les poumons économiques de leurs ménages.
Les enfants ont donc un faible taux d’activité. Car, leur contribution financière au fonctionnement
du ménage dans lequel ils se trouvent est souvent de moindre importance à côté de celle du chef
du ménage ou des autres membres adultes du ménage. Ils sont le plus souvent sollicités en
dernière instance lorsque le chef de ménage ou les autres membres du ménage ne sont plus
solvables.
175
Tableau 4.3 : Taux d’activité selon le genre, l’âge et le milieu de résidence en RDC en %.
Kinshasa Milieu urbain Milieu rural RDC
Hommes
De 10 à 14 ans 2 3 10,7 8,3
De 15 à 29 ans 32,5 38 56,9 49,3
De 30 à 49 ans 86,1 90,5 97 95
De 50ans et + 75,1 77,2 89,2 85,6
Femmes
De 10 à 14 ans 1,5 2,9 14,3 10,6
De 15 à 29 ans 26,7 33,6 69,2 57,1
De 30 à 49 ans 61,8 70,1 91,9 85,3
De 50ans et + 49,7 57 81,9 74,7
Ensemble
De 10 à 14 ans 1,7 3 12,5 9,4
De 15 à 29 ans 29,3 35,6 63,3 54
De 30 à 49 ans 73,5 80,1 94,3 90
De 50ans et + 63,8 67,8 85,7 80,5
Source : INES, Enquête 1-2-3 Nationale RDC Phase 1 (2004-2005).
Le taux de chômage selon le milieu de résidence, le genre, le niveau d’instruction de la
population congolaise (RDC).
La République Démocratique du Congo comptait environ 776.000 chômeurs en l’an 2005 au
sens du BIT191
. Le taux de chômage était de l’ordre de 3,7% dans ce grand pays d’Afrique
191 INS (2004-2005), « L’emploi, le chômage et les conditions d’activité en République Démocratique du Congo :
Enquête 1-2-3, Document de Travail, Dial.
176
Centrale en 2005. Il est certain que ce taux de chômage est très faible comparé à celui de certains
pays industrialisés. Il est à signaler que la République Démocratique du Congo est un pays dit
agro-pastoral où la terre représente le principal facteur de production, autrement dit le principal
facteur économique. Car environ 70% de la population congolaise subsiste grâce aux activités
agricoles. Par conséquent, elles recourent généralement à la terre pour cultiver et produire, ce qui
explique le faible taux de chômage dans les zones rurales. Car, la terre est généralement
accessible à tout le monde dans ces zones rurales. On ne peut donc pas parler du chômage dans
les zones rurales puisque tout le monde peut plus ou moins avoir accès à la terre pour produire,
donc avoir une activité économique proprement dite.
Le chômage demeure donc un phénomène exclusivement urbain en République Démocratique
du Congo. En fait, les deux tiers des chômeurs congolais se trouvent dans la capitale, c’est-à-dire
dans la ville de Kinshasa. Le taux de chômage est de l’ordre de 15% dans la ville de Kinshasa, le
plus fort taux au niveau national selon l’institut de la statistique nationale. Il y eut certainement
assez de bais lors de la production des données concernant les taux de chômage dans les centres
urbains de la République Démocratique du Congo. Il ne devrait pas y avoir un grand écart entre
le taux de chômage enregistré à Kinshasa et celui des autres villes du pays puisque que la capitale
Congolaise et les autres grandes villes du pays sont affectées de la même façon par la crise socio-
politique de ces dernières années. Cette crise socio-politique a eu impact à la fois sur les
infrastructures économiques de la capitale congolaise (RDC) tout comme ceux des autres villes
du pays. Les chômeurs qui ont été comptabilisés dans les centres urbains congolais (RDC)
seraient davantage ceux qui vivent à Kinshasa. Les chômeurs des autres zones urbaines seraient
certainement sous-enregistrés lors de la production des données concernant le chômage en
République Démocratique du Congo. Ce qui explique ce grand écart entre le taux de chômage
entre la ville de Kinshasa et les autres villes du pays. Comme le taux d’activité, le taux de
chômage varie d’une région urbaine à une autre en République Démocratique du Congo.
Le Chômage varie également en fonction de l’âge et du sexe des individus en âge de travailler.
En effet, le chômage touche davantage les jeunes. Il affecte davantage les hommes que les
177
femmes. Le taux de chômage croit de 15ans à 25 ans dans la population active congolaise, puis
décroit de 25 ans à 50ans.
S’agissant du niveau d’instruction, force est de constater que le taux de chômage croit avec le
niveau scolaire. C’est en effet, les actifs congolais (RDC) qui n’ont aucun niveau d’instruction
qui enregistrent le plus faible taux de chômage. A Kinshasa par exemple, le taux de chômage des
non scolarisés est de 8% contre 16% pour ceux ayant suivi des études secondaires ou supérieures.
Ce qui revient à dire que les non scolarisés s’incèrent mieux sur le marché du travail congolais
que leurs homologues qui sont diplômés ou qui ont un niveau d’instruction élevé. En effet, les
personnes moins instruites ont généralement moins d’exigence sur le marché du travail. Elles
sont généralement prêtes à accepter tous types de travail. En revanche, les personnes diplômées
ou qui ont atteint un niveau d’instruction élevé sont plus exigeantes. Elles préfèrent généralement
occuper un emploi qui correspond à leur qualification. Elles sont donc susceptibles de refuser tout
travail qu’elles jugent dévalorisant.
Graphique 4.2 : Taux de chômage selon l’âge des actifs congolais (RDC) en %.
Source : Graphique réalisé à partir des données de l’enquête 1-2-3 Nationale RDC Phase1 (2004-
2005).
178
Tableau 4.4 : Taux de chômage BIT selon le niveau d’études par milieu de résidence.
Milieu de résidence Non scolarisé Primaire secondaire Supérieur Ensemble
Hommes
Kinshasa 13,1 18,1 18,2 14,4 17,3
Milieu urbain 11 13,6 12,5 10 12,2
Milieu rural 1,7 1,9 1,4 1,6
RDC 2,5 3,5 5 8,4 4,5
Femmes
Kinshasa 5,8 7,5 13,8 19,6 11,8
Milieu urbain 5 8,1 11,8 15,4 10,1
Milieu rural 0,5 1,1 1,3 0,9
RDC 0,8 2,3 5,9 13,6 2,9
Ensemble
Kinshasa 7,8 11,8 16,5 15,6 14,9
Milieu urbain 6,5 10,2 12,2 11,1 11,2
Milieu rural 0,8 1,5 1,4 1,2
RDC 1,2 2,8 5,3 9,3 3,7
Source : L’enquête 1-2-3 Nationale RDC Phase1 (2004-2005).
La répartition des emplois selon les secteurs institutionnels en République Démocratique du
Congo.
Le secteur informel est le premier bassin d’emploi en République Démocratique du Congo.
Car, environ 80% des actifs congolais (RDC) occupés y sont employés192
. Les emplois informels
s’exercent aussi bien dans les zones rurales que dans les zones urbaines. Ils sont occupés aussi
bien par les hommes que par les femmes. En revanche, les emplois informels sont davantage
192Kabambi N., (2010), République Démocratique du Congo : Le service public de l’emploi (S.P.E) et
l’information sur le marché du travail, Kinshasa, p 20.
179
exercés dans les secteurs privés que dans le secteur public ; surtout dans les entreprises
individuelles (les micro-entreprises privées). Comme le secteur moderne dit formel, le secteur
informel congolais se repartit souvent en secteurs d’activité (primaire, secondaire, tertiaire) et en
branches d’activité (agriculture et alimentaire ; mines et métallurgie ; bâtiments et travaux
publics). Les individus travaillant dans le secteur informel ne bénéficient généralement d’aucun
droit. Par conséquent, ils ne peuvent ni bénéficier de la sécurité sociale, ni se syndiquer. Ils ont
généralement une condition de travail précaire puisqu’ils sont généralement recrutés sans contrat
de travail. Ces derniers ne peuvent donc pas revendiquer leur droit, ni défendre leurs intérêts. Les
employeurs du secteur informel ont généralement du mal à trouver des capitaux nécessaires pour
financer leurs activités. En effet, ils sont généralement obligés de s’orienter vers les circuits
traditionnels dits informels pour chercher des financements pour développer leurs affaires
puisqu’ils ne peuvent pas être financés par les banques ordinaires. Les employés qui travaillent
dans le secteur informel en République Démocratique du Congo ont généralement un niveau de
qualification très bas et un niveau d’instruction bas ; voire aucun niveau d’instruction. Par
conséquent, Ils sont parfois obligés d’apprendre leur métier sur le tas en le pratiquant193
.
En effet, l’entrée sur le marché du travail informel en République Démocratique du Congo est
relativement facile puisqu’elle n’est soumise à aucune condition de qualification professionnelle,
de diplôme, ou de nationalité. C’est la raison pour laquelle bon nombre de personnes y
travaillent. Mais ce secteur ne peut pas absorber tous les actifs congolais demandeurs d’emploi
malgré sa flexibilité.
Par ailleurs, l’emploi formel ou moderne est occupé par seulement 20% des actifs en
République Démocratique du Congo. L’emploi formel se trouve dans les organisations ou les
entreprises individuelles ou sociétaires, publiques ou privées. Ces entreprises se repartissent
193Ibid.
180
généralement dans les secteurs d’activité primaire, secondaire, tertiaire, et les branches d’activité
(agriculture et alimentaire, mines et métallurgie, industrie, bâtiment et travaux public, énergie,
transports, commerce, services, administration, force armée…). Les emplois modernes sont
davantage concentrés dans les centres urbains, surtout à Kinshasa. L’entrée dans le secteur formel
dans les zones urbaines telles que la ville de Kinshasa est très difficile. Il faut avoir en plus des
qualifications et des diplômes requis des réseaux amicaux et familiaux puissants afin d’avoir une
grande chance d’accéder à un emploi moderne dans les zones urbaines, surtout au sein de la ville
de Kinshasa.
L’entrée des migrants internes sur le marché du travail en République Démocratique du Congo.
Les migrants représentent 16% de la population Congolaise (RDC) et 22% de la population en
âge de travailler (soit environ trois actifs sur dix)194
. Ce qui est marquant, c’est que les migrants
s’incèrent mieux sur le marché du travail que les natifs en République Démocratique du Congo.
En effet, on observe que le taux d’activité des migrants est supérieur à celui des natifs dans
presque toutes les zones du pays. Notons que le taux d’activité des migrants est de l’ordre de
71,8% contre 57,8% pour les natifs. Mais c’est surtout dans les zones urbaines que l’écart entre
les taux d’activité des migrants et des natifs est très prononcé. Par exemple dans la ville de
Kinshasa le taux d’activité des migrants est supérieur à celui des natifs de l’ordre de 30 points. En
effet, les migrants ont une grande nécessité de mettre en place des multitudes de stratégies afin de
trouver un emploi. Car les membres de leur famille qui sont restés dans leur village ont besoin de
leur aide financière. Surtout, ces derniers sont le plus souvent envoyés par les leurs pour aller se
194 INS (2004-2005), « L’emploi, le chômage et les conditions d’activité en République
Démocratique du Congo : Enquête 1-2-3, Document de Travail, Dial, P8.
181
salarier en ville. Par conséquent, ils sont contraints de travailler afin d’envoyer de l’argent aux
membres de leur clan ou de leur famille restés dans leur village. Cette contrainte les pousse
généralement à être plus motivés que les natifs. En effet, les natifs ont moins de contrainte
psychologique que les migrants puisqu’ils sont chez eux. Par conséquent, ils peuvent compter sur
les membres de leur famille qui vivent avec eux en cas de difficulté financière à la différence des
migrants qui doivent travailler pour nourrir à la fois leur famille qui vit avec eux et celle qui est
restée dans leur village.
Nous ne disposons, par ailleurs, pas de données permettant de mesurer l’insertion
professionnelle des immigrants, c’est-à-dire des étrangers installés en République Démocratique
du Congo (RDC). En effet, il aurait été possible de mesurer l’insertion socio-professionnelle de
ces étrangers à partir de telles données (Enquête 1.2.3). Car la migration interne n’est pas tout à
fait semble à celui de la migration internationale. Les indicateurs présentés plus hauts relatifs à
l’insertion professionnelle des migrants internes en République Démocratique du Congo peuvent,
malgré tout, nous éclairer et nous aider à comprendre la problématique d’insertion
professionnelle des immigrants sur le marché du travail en Afrique Subsaharienne. Car ces
migrants internes ont souvent plus ou moins le même mode d’insertion professionnelle que les
immigrants.
En somme, le marché du travail congolais (RDC) se caractérise par un faible taux d’activité
même s’il est très élevé en milieu rural. Les emplois informels dépassent largement les emplois
formels. L’entrée sur ce marché est très difficile surtout dans les zones urbaines où le taux de
chômage est très élevé, symptôme de la tension effective sur ce marché du travail urbain. Ce sont,
malgré tout, les personnes qui ont un faible niveau d’instruction et les migrants qui s’insèrent le
mieux sur ce marché du travail. Les emplois y sont mal rémunérés. L’entrée au sein de ce marché
ne garantit rien. Car, on peut le quitter à tout moment. En effet, la porte de sortie sur ce marché
n’est aucunement rigide. Les gens qui quittent ce marché du travail mettent souvent du temps à y
retourner puisque les chômeurs congolais (RDC) restent en moyenne cinq ans au chômage avant
de retrouver un emploi.
182
Il est certain que les réfugiés congolais (RDC) qui viennent des zones rurales congolaises
auront du mal à s’adapter au marché du travail urbain de Bangui. Car, ils viennent des zones
rurales qui offrent une plus grande possibilité d’emploi. L’accès à la terre est très facile dans ces
zones, contrairement à la ville de Bangui dans la laquelle il est très difficile de se procurer de la
terre pour vaquer aux activités agricoles. Par contre, les réfugiés Congolais qui viennent des
zones urbaines congolaises s’adapteront plus ou moins bien au marché du travail de Bangui
puisqu’il fonctionne à peu près de la même façon que celui des zones urbaines congolaises.
1.1.2 Insertion sur le marché du travail au Tchad.
Le Tchad, à l’instar de plusieurs pays d’Afrique du sud de Sahara, se trouve actuellement
dans une période dite de transition économique, c’est-à-dire entre une période de déclin
économique et social, conséquence des troubles militaires et politiques (les guerres successives)
et une période d’entrée dans l’ère pétrolière (une période de forte croissance économique). En
effet, l’économie tchadienne connait ces dernières années de forts taux de croissance dû aux
investissements et aux projets d’exploitation dans le secteur pétrolier 195
. Il est vrai que le secteur
pétrolier a fortement contribué au développement économique du Tchad ces dernières années,
mais cette contribution est à relativiser puisque ce secteur n’a pas pu créer suffisamment
d’emplois pour absorber un grand nombre d’actifs tchadiens. En effet, le secteur pétrolier ne crée
que des emplois précaires, des emplois à temps partiels qui ne durent pas. Car les quelque 4000
emplois créés par le secteur pétrolier entre 1990 et 2000 ont été supprimés en 2004196
. Les
195République du Tchad, Ministère du plan, du développement et de la coopération (2003), documents de
Stratégie nationale de Réduction de la pauvreté, p 12.
196La République du Tchad, Ministère de la fonction publique, du travail et de l’emploi (2004), Contribution du
Tchad au somment extraordinaire des chefs d’état et de gouvernement sur l’emploi et la lutte contre la pauvreté en
Afrique.
183
potentialités pétrolières dont dispose le Tchad devraient en principe stimuler son économie pour
un décollage effectif. Or, ce n’est pas le cas. L’économie tchadienne demeure de nos jours très
fragile. Elle est caractérisée par :197
Une très faible productivité.
Une vulnérabilité extrême face aux chocs aussi bien internes qu’externes.
Un secteur privé non dynamique.
Une insuffisance des infrastructures routières.
Une prédominance des emplois du secteur informel.
En somme, l’économie tchadienne repose principalement sur le secteur primaire, le secteur
tertiaire et le secteur informel. Mais les emplois créés par ces trois secteurs demeurent
insuffisants pour couvrir les besoins du marché du travail tchadien. Un marché du travail
caractérisé par la prédominance des emplois informels au détriment des emplois formels et dans
lequel les demandes d’emploi sont largement supérieures aux offres. Les emplois sont en nombre
très limité surtout dans les zones urbaines. Par conséquent, le taux d’activité ou encore de
participation au marché du travail au Tchad demeure faible par rapport à la moyenne de l’Afrique
Subsaharienne qui est de l’ordre 68,6 %. En effet, le taux d’activité ou de participation au marché
du travail au Tchad est de l’ordre de 66% 198
.
197République du Tchad, Ministère du plan, du développement et de la coopération (2003), documents de
Stratégie nationale de Réduction de la pauvreté, année 2003, op cit. p 15.
198OIT (Organisation International du Travail) (2007), Tendances de l’emploi en Afrique, Genève, P11.
184
Insertion sur le marché du travail formel au Tchad.
Le plus grand nombre d’emplois formels au Tchad se trouve dans la fonction publique. l’Etat,
demeure à ce titre, le grand employeur du pays. Elle emploie plus de 30.000 personnes.
Le secteur privé qui devrait être un secteur dynamique de l’économie tchadienne susceptible
de créer suffisamment d’emplois pour absorber un grand nombre de Tchadiens à la recherche
d’emplois n’emploie qu’un infime nombre d’actifs, soit environ 27.000 personnes. Les grands
pourvoyeurs d’emplois du secteur privé moderne au Tchad demeurent les services, l’industrie et
le commerce. En effet, le secteur moderne privé du Tchad demeure encore très fragile et ne peut
pas faire face aux demandes croissantes des actifs tchadiens qui arrivent en nombre sur le marché
du travail. Surtout, la plupart des actifs tchadiens qui se présentent sur le marché du travail ont
généralement un niveau de qualification très faible. Or, les entreprises du secteur privé moderne
tchadien cherchent beaucoup plus une main d’œuvre qualifiée. Or, la plupart des Tchadiens qui
arrivent sur le marché du travail ont très souvent un parcours de formation très généraliste, lequel
est totalement incompatible avec les besoins du marché du travail et de l’économie. Ce qui
explique que les personnes qui sortent de ces formations sont généralement non opérationnelles
sur le marché du travail. Et cette situation n’arrange pas les entreprises du secteur privé moderne
tchadien puisqu’elles peinent souvent à recruter des personnes qualifiées totalement
opérationnelles pour travailler pour elles.
Force est de constater que le secteur privé moderne tchadien est confronté à deux problèmes. Il
est confronté, d’une part, à un problème de capitaux. Il a en effet besoin de solides
investissements pour son développement. Et d’autre part, à un problème de main d’œuvre
qualifiée.
185
Les Tchadiens qui ont un niveau de qualification et d’instruction faible et qui n’ont pas pu
avoir un emploi dans le secteur privé moderne très exigeant sont contraints de se tourner vers le
secteur informel. L’entrée dans le secteur informel tchadien est moins contraignante que dans le
secteur moderne. Le secteur informel absorbe généralement les actifs en état de difficulté ou
d’handicap ou ceux qui sont tout simplement discriminés comme les femmes. Présentons la
caractéristique du secteur informel au Tchad.
Insertion sur le marché de travail informel au Tchad.
L’économie tchadienne, comme la plupart de celle des pays africains subsahariens, est
caractérisée par une forte présence du secteur informel qui demeure mal réglementé du point de
vue des statistiques et du droit du travail. Comme en République Démocratique du Congo, le
secteur informel constitue le poumon de l’économie tchadienne. Il demeure effectivement le
principal employeur au Tchad. En effet, 74% de la population active tchadienne non agricole
travaille dans le secteur informel199
Le secteur informel est donc un secteur important qui fait vivre la majorité des ménages
tchadiens même s’il n’est pas encore réglementé, organisé et structuré. Il répond plus ou moins à
la demande des besoins croissants d’emplois au Tchad là où le secteur formel structuré a échoué.
Les travailleurs du secteur informel au Tchad sont en majorité des personnes qui travaillent à
leur propre compte. Ce sont des indépendants/propriétaires, des aides familiaux ou des apprentis.
Le salariat n’est pas encore vraiment développé dans le secteur informel au Tchad. On note, un
nombre très restreint de salariés du secteur informel au Tchad de nos jours. Les emplois du
199 La République du Tchad, Ministère de la fonction publique, du travail et de l’emploi (2004) : Contribution du
Tchad au somment extraordinaire des chefs d’état et de gouvernement sur l’emploi et la lutte contre la pauvreté en
Afrique.
186
secteur informel au Tchad sont concentrés principalement dans les activités suivantes : (i) le
commerce de détail, (ii) la petite restauration, (iii) la couture, (iv) la menuiserie et l’artisanat200
.
Il faut noter que le secteur informel tchadien emploie à la fois les hommes et les femmes. Mais
le nombre de femmes qui y travaille dépasse celui des hommes. En effet, les femmes sont
surreprésentées dans le secteur informel au Tchad ; 46% des femmes tchadiennes qui travaillent
dans le secteur informel sont des indépendantes, contre 51% qui sont des aides familiales et
0,75% qui sont des salariées201
. La majorité des femmes qui travaillent dans le secteur informel
sont celles qui n’ont pu avoir le travail dans le secteur moderne. Car ce secteur n’absorbe qu’un
nombre restreint de femmes. Par exemple, dans la fonction publique tchadienne, seulement
26,9% des emplois sont occupés par les femmes. Et la fonction publique tchadienne n’offre que
des postes subalternes aux femmes.
En effet, un certain nombre de facteurs ont une incidence sur l’emploi des femmes en Afrique
et notamment au Tchad. Les plus importants sont liés aux préjugés culturels qui sont
généralement consacrés dans les lois sociales qui sont à l’origine de la discrimination sur le
marché du travail et dans le secteur de l’éducation202
. Dans l’imaginaire collectif des Tchadiens
comme bon nombre d’Africains, les femmes devraient se consacrer exclusivement aux tâches
domestiques et à la gestion de leur famille. Pour ce faire, elles doivent s’abstenir d’avoir des
activités professionnelles et salariales, lesquelles demeurent exclusivement les affaires des
hommes. On observe généralement une forte discrimination à l’égard des femmes sur le marché
du travail et dans les structures éducatives au Tchad comme dans bon nombre de pays africains
du sud du Sahara.
200Ibid.
201Ibid.
202 OIT (Organisation International du Travail) (2007), Tendances de l’emploi en Afrique, Genève, Op.cit p13.
187
La discrimination à l’égard des femmes dans le système scolaire a généralement une incidence
sur leur vie sociale toute entière. N’étant pas instruites, elles sont obligées d’entrer très tôt dans la
vie active. Car elles y entrent souvent deux ans environ avant les hommes203
. Par exemple dans
les zones rurales, les filles commencent à travailler très tôt, c’est-à-dire vers dix ans. Elles aident
pour les tâches domestiques tout en travaillant dans le secteur agricole. Les filles deviennent donc
une main d’œuvre très tôt que les autres enfants de leur âge.
Le faible niveau d’instruction des femmes d’Afrique demeure un handicap qui les empêche de
se distinguer sur le marché du travail urbain. Les femmes tchadiennes, tout comme les autres
femmes d’Afrique subsaharienne, sont souvent concentrées dans le secteur informel dans les
zones urbaines. Elles travaillent généralement chez les parents éloignés et ne perçoivent souvent
aucune rémunération. Le faible niveau d’instruction des femmes les exclut du secteur formel et
les oblige à se débrouiller dans le secteur informel avec une condition de travail très précaire.
Le chômage sur le marché du travail tchadien.
Le chômage demeure exclusivement un phénomène urbain au Tchad. Les tchadiens ruraux ne
sont pas concernés par le chômage. Le taux global de chômage ne représente que 1% de la
population active se trouvant dans les zones rurales tchadiennes. Par contre, le chômage est très
prononcé dans les zones urbaines tchadiennes. Le taux global de chômage est de l’ordre de 11%
203A study of gender and labour market liberation in Africa : Une étude sur l’égalité des sexes et la libéralisation
du marché du travail en Afrique in OIT (OrganisationInternationale du Travail) (2007) , Tendances de l’emploi en
Afrique, Genève , p 13.
188
en milieu urbain. Le taux global du chômage au niveau national est de l’ordre de 7,5%. C’est en
effet, dans la ville de Ndjamena que le chômage est le plus fort.
On remarque, cependant, que le taux de chômage est très faible au Tchad à comparer à
d’autres pays du sud du Sahara. Mais ce faible taux de chômage cache bien d’autres réalités. En
effet, les sous-emplois qui se trouvent en nombre dans les secteurs informel et agricole et qui sont
peut-être considérés comme des emplois normaux ont du biaiser les statistiques de l’emploi
minimisant ainsi le taux de chômage.
Les réfugiés tchadiens qui sont installés à Bangui auront nécessairement du mal à s’insérer
professionnellement à Bangui. Car, ils viennent d’un pays qui n’a pas un bon système de
scolarisation et de formation. Ces Tchadiens n’auront pas un capital professionnel de qualité leur
permettant de se distinguer sur le marché du travail à Bangui.
1.2 Insertion sur le marché du travail en République
Centrafricaine.
Les données du dernier recensement général de la population et de l’habitation (RGPH 2003)
ont permis de mesurer la participation au marché du travail des actifs centrafricains et des
étrangers (les immigrants) installés en République Centrafricaine. On a comparé ces nouvelles
données à celles de 1988, c’est-à-dire du recensement précédent afin de mesurer l’évolution du
taux d’activité entre ces deux dates. Nous allons présenter dans cette étude uniquement les taux
d’activité obtenus à partir des données du dernier recensement général de la population. Notre
objectif est le suivant : Présenter le marché du travail en République Centrafricaine, présenter les
acteurs de ce marché du travail, montrer le mode d’entrée et de sortie sur ce marché du travail,
décrire les profils des actifs qui s’insèrent le mieux sur ce marché du travail à travers les
189
indicateurs tels que le taux d’activité et le taux de chômage. En effet, le taux d’activité mesure la
participation des actifs sur le marché du travail et le taux de chômage lui, lui, donne une
indication sur la tension entre les actifs sur le marché du travail.
Il existe une nette différence entre le taux d’activité en milieu urbain et rural en République
Centrafricaine comme dans presque tous les pays d’Afrique subsaharienne. La République
centrafricaine est aussi un pays agro-pastoral dans lequel la majorité des individus vivent de la
terre. Il est plus facile pour les ruraux que pour les urbains de participer aux activités
économiques agricoles qu’aux urbains puisqu’ils ont la terre à proximité. Ils peuvent produire,
consommer une partie de leur production et vendre l’excédent. Ce n’est pas le cas pour les
urbains. Ces derniers doivent subir les contraintes du marché du travail. Un marché du travail
dans lequel les emplois se raréfient. Car l’entrée sur ce marché du travail est conditionné par
beaucoup de facteurs tels que la qualification, les diplômes, les réseaux. En toute logique, les
ruraux centrafricains comme les ruraux de presque tous les pays d’Afrique subsaharienne
participent plus à l’activité économique que les urbains et ils ont un taux d’activité supérieur à
celui des urbains. Le taux d’activité dans les zones rurales centrafricaines est de l’ordre de 75%
contre 53% dans les zones urbaines, soit un taux d’activité national de l’ordre de 64 %204
.
On observe que ce taux d’activité est faible par rapport au taux d’activité moyen des pays
d’Afrique du sud du Sahara qui est de l’ordre de 68%. En effet, le faible taux d’activité enregistré
en République Centrafricaine est le reflet du marché du travail et de l’économie du pays. Une
économie fragilisée par les crises socio-politiques qu’a connues le pays ces dernières années. La
Centrafrique demeure un pays qui attire peu les investisseurs étrangers, lesquels ont besoin de
sécurité. Or, on ne peut pas parler de sécurité de nos jours en République Centrafricaine puisque
204République Centrafricaine : Troisième recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH2003),
Caractéristiques économiques de la population de Centrafrique : Rapport d’analyse thématique, année 2005, p 7.
190
le pays est confronté au phénomène des coupeurs de route. Les coupeurs de route, qui sont des
bandits, se livrent souvent à des actes de violence et de barbarie sur les routes qui mènent aux
zones provinciales. Ils vont parfois jusqu’à tuer les voyageurs pour récupérer leurs biens.
L’insécurité qui règne en République Centrafricaine dissuade souvent les opérateurs
économiques et les investisseurs étrangers. Or, avec un faible niveau d’investissement l’économie
du pays ne peut pas être performante pour créer suffisamment d’emplois. Ce qui explique, entre
autres, le faible taux d’activité du pays.
Un des grands problèmes du marché du travail centrafricain est celui de la main d’œuvre. On
observe que les actifs qui se présentent sur ce marché du travail ont généralement un faible
niveau d’instruction et de qualification. Ces actifs ne constituent donc pas une main d’œuvre de
qualité. Or, l’économie du pays a besoin à la fois d’une main d’œuvre à moindre coût et de
qualité pour accroitre sa productivité. L’économie du pays repose essentiellement sur
l’agriculture, l’élevage, la chasse et la pêche. En effet, 74,2% des personnes vivant en République
Centrafricaine travaillent dans ces secteurs. On note malgré tout, une baisse des effectifs des
actifs dans le secteur agricole ces dernières années , ce qui est un mauvais signe. L’économie du
pays pourrait ainsi être moins performante dans les années à venir puisqu’elle repose, comme on
vient de le dire, essentiellement sur le secteur agricole205
.
Comme la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, la Centrafrique est confrontée au
phénomène du travail des enfants. Selon les données du dernier recensement général de la
population et de l’habitation (RGPH 2003), environ 16,4% des enfants âgés de six à dix sept ans
seraient touchés par ce phénomène. Ces enfants sont généralement contraints de rentrer tôt sur le
marché du travail parce qu’ils sont orphelins ou membres d’un ménage pauvre. Par conséquent,
pour survivre, ils sont obligés de faire des petits boulots précaires dans les centres urbains pour
acheter quelques vivres et des produits de première nécessité comme des habits . Le phénomène
205 Ibip p 7.
191
du travail des enfants est également très répandu dans les zones rurales surtout chez les jeunes
filles. Comme nous l’avons déjà souligné précédemment pour le Tchad, ces dernières sont
souvent partagées entre les activités agricoles et les activités domestiques. En effet, les filles
deviennent des actives malgré elles dans les zones rurales en République Centrafricaine.
Que ce soit dans les zones urbaines ou dans les zones rurales en République Centrafricaine, le
travail des enfants se présente généralement comme un mal qui doit être combattu et bannis. Car,
il a un impact négatif sur la vie sociale des enfants et sur l’économie du pays. En effet, les enfants
qui rentrent tôt sur le marché du travail sont ceux là même qui ont abandonné le chemin de
l’école. Ils n’ont pour la plupart reçu aucune instruction. Par conséquent, ils ne pourront pas
constituer une main d’œuvre de qualité dont l’économie du pays aura besoin pour son
développement. Avec un faible niveau d’instruction, ces enfants ne peuvent même pas espérer
un avenir meilleur. Car ils finissent généralement par rentrer dans le secteur informel dans les
centres urbains lorsqu’ils deviennent adultes. Ils vont alors augmenter le nombre des actifs qui
travaillent déjà dans ce secteur clé de l’économie de la plupart des pays africains du sud du
Sahara. Le phénomène du travail des enfants a donc un impact négatif sur l’économie de la
République centrafricaine du fait qu’il occasionne la détérioration du capital humain des enfants.
Or, on ne peut pas envisager un développement socio-économique sans un capital humain de
qualité.
La description de la population active en République Centrafricaine.
Selon les données du dernier recensement général de la population et de l’habitation de la
République Centrafricaine (RHPH 2003), le nombre d’actifs âgés de plus de six ans se trouvant
sur le territoire centrafricain s’élève à 1.615.329. 54,2% de ces actifs sont de sexe masculin et
45,8% de sexe féminin. La structure par âge et par sexe de la population active de la Centrafrique
est le reflet de la démographie du pays, c’est-à-dire jeune. Les jeunes filles rentrent en activité à
192
un âge plus précoce que les garçons notamment dans les zones rurales comme nous l’avons dit ci-
dessus. Les femmes centrafricaines sont plus touchées par le chômage que les hommes surtout
dans les zones urbaines. Cela est dû à leur faible niveau d’instruction. Etant davantage moins
scolarisées, ces femmes sont le plus souvent exclues du marché du travail formel dans les centres
urbains, notamment dans la ville de Bangui. Par conséquent, elles sont obligées de se tourner vers
le secteur informel où elles travaillent généralement comme des « indépendants ».
Tableau 4.5 : Répartition en % de la population active âgée de 6 ans et plus en République
Centrafricaine.
Milieu de résidence Catégorie de la population active Homme Femme Ensemble
URBAIN Occupés 80,1 84,7 82
Chômeurs ayant travaillé 3,9 1,4 2,9
Chômeurs n'ayant pas travaillé 16 13,9 15,2
TOTAL 100 100 100
RURAL Occupés 92,1 93,2 93,2
Chômeurs ayant travaillé 1,8 1,3 1,3
Chômeurs n'ayant pas travaillé 6,1 5,5 5,5
TOTAL 100 100 100
ENSEMBLE Occupés 88,2 89,9 89,9
Chômeurs ayant travaillé 2,5 1,8 1,8
Chômeurs n'ayant pas travaillé 9,4 8,4 8,4
TOTAL 100 100 100
Source : RGPH3 (2003).
Taux d’activité selon l’âge, le genre et le niveau d’instruction en République Centrafricaine.
Les femmes centrafricaines étant généralement actives très jeunes, ont un taux d’activité
supérieur aux hommes aux âges jeunes, c’est-à-dire avant vingt cinq ans. Mais après vingt cinq
ans, les taux d’activité des hommes et des femmes vont tous les deux croitre. Toutefois, aux âges
élevés, les hommes participent plus au marché du travail.
193
S’agissant du niveau d’instruction, nous constatons qu’il est corrélé négativement avec le taux
d’activité comme nous avions pu constater en République Démocratique du Congo et au Tchad.
Autrement dit, les Centrafricains qui un faible niveau d’instruction ont un taux d’activité plus
élevé que ceux qui ont un niveau d’instruction élevé.
Graphique 4.3 : Taux d’activité selon le niveau d’instruction en République Centrafricaine.
Source : Graphique réalisé à partir des données de RGPH3 (Année 2003).
1.2.1 Insertion sur le marché du travail à Bangui, la capitale
centrafricaine.
Comme la plupart des capitales des pays d’Afrique du Sud du Sahara, le taux d’activité de la
ville de Bangui, la capitale centrafricaine est le plus faible au niveau national. Ce taux d’activité
est de l’ordre de 34,3%, largement inférieur à la moyenne nationale qui est de 51,95%. On note
194
qu’il ya environ un écart de seize points entre le taux d’activité national et celui de la ville de
Bangui. Il ya donc une faible participation des actifs sur le marché du travail à Bangui. En effet,
les quelques infrastructures économiques de cette ville (les usines, les entreprises, les bureaux)
ont été pillées et détruites par la population lors des dernières troubles (la mutinerie de 1996, les
coups d’état de 2001 et de 2003). Cette situation fut catastrophique car, elle a été à l’origine de la
fermeture de plusieurs entreprises installées en République Centrafricaine. Cela s’avéra
dramatique du point de vue économique. En effet, plusieurs personnes se trouvent au chômage du
jour au lendemain. Les habitants de Bangui ont eux- mêmes contribué à la destruction de leur
bassin d’emplois. Les opportunités d’emploi deviennent de plus en plus très difficiles au sein de
la ville de Bangui. Car les demandes sont largement supérieures aux offres sur le marché du
travail, vu que la plupart des entreprises spécialisées dans le coton et le café pourvoyeuses
d’emplois autrefois se trouvent en difficulté et sont obligées elles aussi d’arrêter leurs activités.
Les entreprises de transformations agricoles ont dû faire face à deux grands problèmes ces
dernières années.
La première se situe au niveau des investissements. En effet, elles n’ont pas eu suffisamment
des capitaux pour développer leurs activités pour enfin créer des emplois. L’Etat centrafricain
fragilisé par les problèmes de la dette n’a pas pu soutenir ce secteur clé de l’économie
centrafricaine. Car il consacre une grande part de sa recette budgétaire (soit 50,2% de cette
recette budgétaire en 2006206
) pour rembourser la dette qu’il a contractée auprès des institutions
financières principalement étrangères. Surtout, il a peine à emprunter sur les marchés financiers
ces dernières années207
. La marge de trésorerie de l’Etat centrafricain se trouve alors très réduite.
206Banque Mondiale et BEAC (Banque des Etats de l’Afrique Centrale) (2010) in Rapport annuel de la zone
Franc, Banque de France, p 192.
207La majorité des pays d’Afrique du Sud du Sahara est mal notée par les institutions financières. Ces instances
financières internationales donnent généralement une note de 15 à 20 sur une échelle 100 à la plupart des pays
d’Afrique Subsaharienne. En effet, ces pays n’ont pas souvent une bonne réputation en matière de gestion
économique. Ils sont considérés comme des pays à risque. La Centrafrique aussi est considérée comme un pays à
risque selon le FMI et la Banque Mondiale. Du coup, elle peine à emprunter sur les marchés financiers. Lire Eifert
195
Par conséquent, il ne peut pas injecter suffisamment de capitaux dans le secteur agricole et
soutenir les entreprises publiques ainsi que le secteur privé formel. En effet, les ressources
affectées au payement de la dette constituent un manque à gagner pour l’économie centrafricaine
toute entière et pour le marché du travail en particulier, surtout dans les zones urbaines où sont
concentrées la majorité des entreprises du pays. Si ces entreprises de transformations agricoles et
celles d’autres secteurs privés formels étaient suffisamment soutenues par l’Etat centrafricain,
elles auraient pu se développer et créer des emplois pour absorber un grand nombre d’actifs
urbains, surtout ceux qui vivent à Bangui.
Le second problème rencontré par le secteur agricole centrafricain est commun à la plupart des
pays d’Afrique du Sud du Sahara est celui relatif à la chute des cours des produits agricoles et la
dégradation de leur prix sur les marchés internationaux 208
. On note une baisse des activités dans
presque tous les secteurs agricoles centrafricains après cette phase de l’effondrement des cours
des produits agricoles. Par exemple, la production du café a chuté de 20.000 tonnes de la
compagne 1988-1989 à 2.514 tonnes pendant la compagne de 2004-2005209
. Le secteur café
centrafricain continue à souffrir jusqu’aujourd’hui. Car, il manque de financement. Il est
considéré comme un secteur à risque. Du coup, les quelques entreprises du secteur peinent à se
développer, à se dynamiser pour créer suffisamment d’emplois. Plusieurs d’entre elles ont cessé
leurs activités comme ce fut le cas de l’ADECAF (Agence Centrafricaine du Développement de
la Caféiculture).
A noter que le ralentissement des activités dans le secteur du café a eu un impact très
significatif sur le marché du travail centrafricain en général et sur celui de Bangui en particulier.
B., et Ramachandran V., (2004), Compétitivité et développement du secteur privé en Afrique, Groupe Banque
Mondiale, Unité Secteur privé en Afrique, p 19.
208Abdou Salam F., et Rokhaya C., (2007), Migrations internationales et Pauvreté en Afrique de l’Ouest, Chronic
Poverty Research, Janvier 2007, p 7.
209ORCCPA (l’Office de Réglementation et de Contrôle du Conditionnement des Produits Agricoles en
Centrafrique).
196
Car, il est à l’origine de la destruction des milliers d’emplois dans les zones rurales et urbaines.
En effet, les compagnes de café font généralement travailler plus de 100.000 personnes en
République Centrafricaine et maintiennent ces dernières dans leur région d’origine. La baisse des
activités lors des compagnes caféières de ces dernières années est à l’origine de la croissance du
nombre des candidats à l’exode rural. En effet, les individus qui travaillaient dans le secteur du
café dans les zones rurales sont obligés de quitter leur région d’origine pour migrer dans les
centres urbains pour chercher du travail à cause de la baisse des activités enregistrée dans le
secteur café ces dernières années. Ces ruraux ont grandement contribué à l’augmentation du
nombre de chômeur à Bangui .
Le secteur coton centrafricain a aussi connu des difficultés ces dernières années. Il a connu
une forte perturbation entre 2001-2003 à cause des troubles militaires orchestrées dans les régions
du centre et du nord-est où le coton est cultivé. En effet, la production du coton a grandement
chuté à cause de ces troubles. Elle est passée de 46.037 tonnes durant la compagne de 1997-1998
à 2,3 tonnes en 2002-2003 et peine à remonter depuis quelques années210
. Comme le café, la
baisse des activités dans le secteur du coton a eu un impact négatif sur le marché du travail
centrafricain ces dernières années. Elle est l’origine de la destruction de milliers d’emplois. Car,
en temps normal, cette filière occupe des milliers de personnes dans les activités connexes211
.
Plusieurs entreprises centrafricaines du secteur coton sont tombées en faillite ou ont eu des
scissions des activités ces dernières années à cause du manque de financement et de la mauvaise
gestion comme ce fut le cas respectivement d’UCATEX (Union Centrafricaine de textile) et de
la SOCADA (Société Centrafricaine de Développement Agricole)212
. Or, ces entreprises
210République Centrafricaine, Analyse de politique et pratique commerciale, document WT,TPS,/S183 , p 51.
211Ibid.
212Lire Kakeko-Tigague D., (2010), Impact des stratégies multifonctionnelles sur la performance économique des
exploitations agricoles en zones de savanes de Centrafrique face à la crise cotonnière, thèse de doctorat
d’Economie, Université Rennes II. La Société UCATEX était spécialisée dans le texte à base du coton. Par contre
SOCADA était une société d’économie mixte qui fut crée en 1983. 75% de son capital est détenu par l’Etat
Centrafricain. Elle s’occupait des activités industrielles et commerciales liées à la production du coton. Il y une
197
employaient quelques milliers de personnes dans les zones rurales et au niveau de Bangui. En
effet, des centaines de milliers d’emplois ont été détruits en République Centrafricaine et à
Bangui depuis la période de la chute de cours de produits agricoles jusqu’aujourd’hui. Car le
secteur agricole centrafricain souffre de problèmes de capitaux et de la compétition
internationale. En effet, les entreprises internationales, c’est-à-dire celles des pays émergents et
celles d’Europe, qui sont mieux organisées, plus solides sont les seules à faire face à l’exigence
du marché en matière de prix.
La crise du secteur agricole a contraint l’Etat centrafricain a privatisé un grand nombre des
entreprises du secteur agricole comme ce fut le cas de SOCOCA (Société Cotonnière
Centrafricaine) 213
et la SOGESCA (Société de Gestion des Sucreries Centrafricaines) 214
. La
Société SURCAF-RCA qui a repris la SOGESCA devrait embaucher la grande majorité des
personnels de la SOGESCA selon les closes de cette privatisation. Or, ce n’est pas le cas.
Quelques salariés de la SOGESCA se sont retrouvés au chômage après cette privatisation.
Il est vrai que les personnes qui sont licenciées lors des opérations de privatisation reçoivent
généralement les indemnités de départ et un plan de reclassement. Ce n’est pas vraiment le cas en
Afrique noire et notamment en Centrafrique. Les anciens salariés des entreprises privatisées ne
reçoivent généralement aucun plan de formation pour une réorientation professionnelle. Ils sont
parfois livrés à eux-mêmes. Les quelques rares personnes qui ont profité d’un plan
scission de ses activités vers les années 1990 suite aux difficultés qu’elle rencontrée pour financer tous les pôles de
ces dites activités. Il y eut une réduction de ses personnels suite à cette scission. Une grande part de ses activités sera
transférée à l’entreprise SOCOCA.
213Les capitaux de la SOCACA sont détenus respectivement comme suit : les producteurs (20%), opérateurs
privés (6%) et l’Etat Centrafricain (40%) à l’issue de cette privatisation.
214La SOGESCA fut reprise par la Société SURCAF - RCA laquelle a injecté plus de 5 milliards dans les de la
SOGESCA.
198
d’accompagnement professionnel après une privatisation peinent souvent à rebondir dans le
monde du travail. Ils deviennent, du coup, des chômeurs. La privatisation des entreprises
africaines et notamment de celles de Centrafrique n’a pas eu que du côté positif. Car, beaucoup
d’auteurs s’accordent à dire que le bilan de la privatisation en Afrique est négatif215
. Cependant,
son impact sur le marché du travail n’a pas fait l’objet de beaucoup d’études pour le moment.
L’Etat centrafricain aurait tout intérêt cependant à soutenir le secteur agricole en lui
fournissant les capitaux nécessaires, lui permettant ainsi de diversifier ses activités afin d’être
compétitif sur le marché international et surtout pour accéder à l’autonomie alimentaire. Il a
vraiment intérêt à soutenir ce secteur puisque c’est lui qui emploie le plus grand nombre d’actifs
au niveau national et le premier à contribuer à la croissance du PIB en République
Centrafricaine216
.
S’agissant du secteur privé centrafricain, force est de constater qu’il manque d’un réel
dynamisme. En effet, le secteur privé centrafricain est confronté à de multiples problèmes qui
sont les suivants :
L’accès difficile au financement. En effet, les entreprises centrafricaines ont moins
d’accès au crédit. La plupart d’entre elles utilisent leurs fonds propres ou des bénéfices
non distribués pour financer leurs activités. Ces entreprises contractent souvent des crédits
avec des taux très exorbitants. Seules les entreprises qui ont des relations avec le
gouvernement peuvent emprunter avec des faibles taux d’intérêt. L’obtention des crédits
est donc fonction des réseaux.
215Lire Moussa Samb, Privatisation des services publics en Afrique Subsaharienne à l’heure des bilans,
Université Cheikh Anta Diop , Dakar, Sénégal, www.afrilex-bordeaux4.fr
216Banque Mondiale et BEAC (Banque des Etats de l’Afrique Centrale) (2010) in Rapport annuel de la zone
Franc, Banque de France, P 188.
199
Les coûts très élevés du transport. En effet, la Centrafrique est un pays enclavé. Par
conséquent, elle est obligée de passer par les ports les plus proches, notamment celui de
Douala (au Cameroun) et de Brazzaville (Congo) pour envoyer ces produits à
l’exportation. Cela va de même pour les produits importés. En effet, les délais
d’acheminement des produits est souvent très long à cause des mauvais états des routes,
des intempéries pluviométriques, des tracasseries policières. Car, il y a des barrières
presque tous les 50 km sur les routes de Centrafrique. Il faut donc glisser un billet de
banque aux policiers ou aux militaires à chaque barrière.
Les coûts très élevés de l’électricité. Certaines entreprises centrafricaines sont obligées
de produire elles-mêmes leur électricité. Elles ont généralement recours à
l’autoproduction. Car la société d’électricité centrafricaine, l’ENERCA, éprouve
beaucoup de difficultés ces dernières années à faire fonctionner les réseaux électriques au
niveau de Bangui et dans les centres provinciaux. Il y a le délestage et les coupures de
courant tous les jours à Bangui. La ville de Bangui est électrifiée que 8h en moyenne par
jour.
Les tracasseries administratives et la corruption font un grand un obstacle à la création
des entreprises.
L’insécurité enregistrée dans la ville de Bangui et dans les arrières pays fait fuir des
milliers d’opérateurs économiques.
Le climat d’affaires n’est donc pas propice en République Centrafricaine et au sein de la ville
de Bangui pour des nombreuses raisons qu’on vient d’évoquer. En effet, la République
Centrafricaine occupe la dernière place (183ème
) dans le classement de Doing Business, le rapport
200
de la Banque Mondiale sur le climat des affaires avant l’année 2010. Il est classé 158ème
dans le
même classement en 2010 en matière de création d’entreprises217
. Cela revient à dire que le
secteur privé centrafricain manque vraiment de dynamisme. Par conséquent, il ne peut pas créer
suffisamment d’emplois pour résorber le chômage à Bangui.
La situation macroéconomique de la République Centrafrique n’est pas non plus favorable au
développement du marché du travail dans les zones urbaines, notamment au sein de la ville de
Bangui. Il est à signaler qu’il y a eu absence de croissance économique en République
Centrafricaine depuis plus de 30 ans. En effet, le taux de croissance économique a été de -1,5%
en République Centrafricaine entre 1975 - 2003 218
. Il y a une reprise effective de la croissance
économique en République centrafricaine que vers l’année 2003. Mais celle-ci demeure, malgré
tout, timide. Elle est de l’ordre de 3,4% en 2010. Cette croissance économique a été pendant des
décennies plus faibles que la croissance démographique. Il faut noter que cette croissance ne sert
davantage qu’à financer le crédit bancaire intérieur avec des coûts très élevés. Elle ne profite
donc pas à l’ensemble des secteurs économiques, ni à la population centrafricaine toute entière.
En effet, elle ne profite qu’aux couches sociales les plus aisées et celles qui sont proches du
pouvoir. En effet, 10% des plus riches habitant dans les zones urbaines centrafricaines et
notamment à Bangui détiennent les 75% du revenu global au niveau urbain tandis que les 10%
des plus pauvres ne détiennent que les 0 ,15% de ce revenu global219
. La situation
macroéconomique instable de la République Centrafricaine depuis les années 1975 n’a pas
favorisé le développement du marché de l’emploi. Il y a eu peu de création d’emplois depuis des
décennies en République Centrafricaine à cause de la morosité des indicateurs
217Source : PEA (Perspectives Economiques en Afrique) (2012), les statistiques sur les secteurs économiques de
la République Centrafricaine.
218Aho G., la croissance économique, moteur de la lutte contre la pauvreté, Pnud,
www.cf.pnud/Armoire/chap2.pdf, p 24, visité lé 10/09/2012.
219Source : Données ECVU, Pnud, 2003.
201
macroéconomiques (faible croissance économique, l’envolée de la dette publique, balance
commerciale déficitaire.
Tableau 4.6 : Quelques indicateurs macro-économiques de la République Centrafricaine.
INDICATEURS ANNEE
1997-
2002
2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 20010
Croissance réelle du PIB
(%)
2,8 -7,1 1 2,4 3,8 3,7 2,2 2,4 3,7
Croissance réelle du PIB
par habitant (%)
0,8 -8,9 -1 0,4 1,8 1,7 0,2 0,4 1,1
PIB réel par habitant (En
dollars EU aux prix de
2000. Calculer aux taux
de change de 2000)
242 216 214 215 219 222 233 223 226
Prix à la consommation
(% moyen de variation
annuelle)
1,3 4,4 -2 ,2 2,9 6,7 0,9 9,3 4,6 2,8
Investissement réel (en
% du PIB)
9,7 6,3 6,8 9,8 10,1 10 11,6 10,6 12,4
Epargne intérieur (en %
du PIB)
4,8 1,7 0,3 1,7 3,4 0,7 -1 -2 -0,5
Solde budgétaire global
dons y compris
(administration centrale)
en % du PIB)
-1,4 1,3 0,9 -0,8 1,1 -0,4 -1,6 -1,9 -1,7
Recettes publiques hors
dons (en % du PIB)
9,4 8,1 8,3 8,2 9,5 10,3 10,4 10,8 10,7
Dépenses publiques
(administration centrale)
en % du PIB
16,6 8,3 10,8 13,1 21,7 14,8 16,7 17,9 18,4
Exportations des biens
et service (en % du PIB)
19,6 13,5 13,8 12,8 14,2 14,1 10,8 8,6 9,1
Importations des biens
et services (en % du
PIB)
24,5 18 20,3 20,8 21,9 23,5 23,4 21,1 22
Balance commerciale
(en % du PIB)
2,5 0,9 -1,4 -3,5 -3,1 -4,3 -7,8 _7,7 -8,1
Dette extérieure envers
les créanciers publics
(en % du PIB)
88,1 104 80,6 75,2 69,9 58 49,6 51,1 46,3
Terme de l’échange
(Indice ,2000=100)
96,5 85 73,2 72,6 72,2 60,9 44,1 37,7 37,5
Source: République Centrafricaine (2011), Ministère de Plan.
202
Graphique 4.4: Evolution du PIB PERCAPITA (PIB PAR HABITANT) de la République
Centrafricaine et celle de l’ensemble des autres pays de la CEMAC (Communauté
Economique Monétaire de l’Afrique) entre 1980 et 2010 en dollars américains courants.
Source : Graphique réalité à partir des données des comptes nationaux de la Banque Mondiale
et celles des comptes nationaux de l’OCDE (année 2012), Indicateur du développement dans
le monde, http://données.banquemondiale.org//indicateur/NY.GDP.PCAP.CD? Visité le 3
/9/2011.
Le programme d’ajustement structurel imposé par la Banque mondiale pour assainir
l’économie de la République Centrafricaine comme ceux de beaucoup de pays d’Afrique du sud
du Sahara a également contribué à la détérioration du marché du travail urbain surtout celui de
Bangui, la capitale220
. Il faut noter qu’une des mesures phares de ce programme concernait la
220 Il y eut une baisse de revenu National Brut par habitant en République Centrafricaine entre les périodes 1990
et 1998 et une baisse de niveau de vie dans tout le pays. Le Revenu Brut par habitant qui est de l’ordre de 234.490
F.CFA en 1990 a baissé et se situe à 144.744F.CFA en 1998. Source : (OCDE et Banque Mondiale) (2012),
Données de comptabilité nationale de la Banque Mondiale et de l’OCDE.
203
masse salariale. La Banque mondiale avait imposé à l’Etat Centrafricain de réduire sa masse
salariale qui, selon l’institution, pesait trop sur le budget du pays. Le gouvernement centrafricain
devrait réduire coûte que coûte le nombre de ses fonctionnaires. Il y eut ainsi un gel des emplois
dans les administrations publiques depuis la première moitié des années 1990 en République
Centrafricaine221
. Le gouvernement Centrafricain mit alors en place une vaste campagne de
départ volontaire assisté (Le DVA). L’objectif de cette campagne était de pousser des
fonctionnaires à demander leur départ de la fonction publique moyennant une colossale
indemnité. Beaucoup de fonctionnaires centrafricains ont alors profité de cette mesure pour
quitter définitivement la fonction publique. Le gouvernement centrafricain avait en effet deux
objectifs : 1) Réduire le nombre de fonctionnaires ; 2) Réduire le nombre de recrutements dans la
fonction publique dans les années futures.
…Cependant, la politique de réduction du nombre de recrutement dans la fonction publique ne
fut pas une bonne chose puisqu’elle va grandement contribuer à la précarité sur marché du travail
urbain, surtout à Bangui. En effet, les jeunes diplômés sortis des universités nationales et ceux
des écoles professionnelles sont contraints de s’orienter dans le secteur informel pour chercher du
travail à la sortie des universités ou des écoles alors qu’il revient à l’Etat de leur garantir des
emplois stables. Ceci n’étant plus possible, les jeunes centrafricains diplômés, sortis de
l’université sont parfois obligés d’occuper des emplois informels subalternes. Or, ce secteur
informel, le fait qu’il occupe 80% des actifs centrafricains222
, ne peut à lui seul absorber la
totalité des actifs urbains, surtout ceux vivant dans la capitale Centrafricaine. Il faut noter que
c’est seulement depuis cinq ans que l’Etat centrafricain a repris la campagne de recrutement dans
la fonction publique et dans les entreprises publiques223
. Mais le nombre d’emplois qu’il propose
221Aho G., et Brisson –Lamaute N., (2005) : emploi, chômage et pauvreté dans les grands centres urbains de la
République Centrafricaine, PNUD, Op Cit. P 65.
222 République Centrafricaine (2004), Contribution à la plate forme africaine sur la « promotion de l’emploi et la
réduction de la pauvreté » : Rapport national, Août 2004.
223 Il y eut 1500 admis à l’issue du Concours de la fonction publique Centrafricaine sur 2500 Candidatures. A
noter que seulement 402 personnes sur ces admis ont été recrutés immédiatement. Les autres 1098 admis attendront
204
demeure très limité, étant donné le nombre croissant de diplômés chômeurs et des demandeurs
d’emploi notamment dans la ville de Bangui. Le gouvernement centrafricain devrait, en principe,
intégrer un grand nombre de personnes dans la fonction publique afin de remplacer des milliers
de fonctionnaires et les salariés des entreprises publiques qui sont décédés suite à la pandémie du
Sida qui a ravagé le pays depuis le début des années quatre vingt. Or, ce n’est pas le cas. Un
grand nombre de décès liés à cette pathologie n’est pas déclaré à la fonction publique
centrafricaine 224
. Du coup, certains fonctionnaires du Trésor public continuent à percevoir
frauduleusement le salaire de ces défunts. On perle alors du phénomène des fonctionnaires
fantômes. Le gouvernement centrafricain aurait dû utiliser des millions de Franc CFA qui est
utilisé inutilement pour payer le salaire de ces fonctionnaires fantômes pour recruter des jeunes
diplômés victimes du phénomène de la corruption nationale afin d’améliorer les services de la
fonction publique.
pendant une durée indéterminée qui peut dépasser plus de cinq années pour être effectivement intégré. A noter que
plus de 3000 personnes sortent du système scolaire centrafricain tous les ans avec un diplôme équivalent ou
supérieur au baccalauréat. Le recrutement dans la fonction publique se fait presque tous les cinq ans voire plus. Et
seulement 1500 personnes sont recrutées à l’issue de ce recrutement. Sources : République Centrafricaine (2007),
Comité d’Organisation du concours de la fonction publique ; République Centrafricaine (2001-2002), Annuaire des
statistiques de l’Education.
224Le taux de prévalence du sida était de 13,3% chez les adultes de 14 à 49 ans en République Centrafricaine. Il y
avait une augmentation de 327% de décès chez les 14 - 49ans cette même année, soit 29042 décès. Source : Pnud
(2005), Impact du vih/Sida sur le développement en République Centrafricaine.
Il faut noter que le profil des personnes qui sont touchées par la maladie évolue avec l’épidémie. Les personnes
les plus touchées au début de la pandémie furent celles qui appartenaient à des classes économiques aisées. C’étaient
des personnes qui avaient un emploi, des revenus importants qui pouvaient se permettre d’avoir des multiples
partenaires. La pathologie du sida était davantage répondue chez des personnes qui avaient une activité économique,
c’est-à-dire des hauts fonctionnaires, des salariés du secteur privé, des personnes aisées. Ce qui fait que la fonction
publique et le secteur privé centrafricain furent très affectés par cette pandémie. Il y eut des milliers de morts parmi
les fonctionnaires de la fonction publique et du secteur privé entre les années 1980 et 2000 en République
Centrafricaine à cause de la pandémie du sida. Ce n’est qu’à près, c’est-à-dire vers les années 1990, que la maladie
du sida va être répandue dans toutes les couches sociales. La mortalité liée au sida a commencé a baissé que
récemment, c’est-à-dire vers les années 2000 avec la vulgarisation de la trithérapie.
205
La politique de la réduction d’embauche dans le secteur de la fonction publique et dans les
entreprises publiques ne peut qu’avoir un impact significatif sur le marché du travail de Bangui
puisque c’est là que se trouve le grand effectif des jeunes diplômé à la recherche d’un premier
emploi. Cette politique ne vient qu’alourdir la précarité sur le marché du travail de Bangui. Les
statistiques sont là pour confirmer la précarité de ce marché du travail. En effet, le taux de
chômage de Bangui, qui est de l’ordre de 18,1%, dépasse largement celui du niveau national qui
est aux alentours de 10,3% et la moyenne des zones rurales qui est de l’ordre de 6,9%225
. Ce qui
traduit le caractère particulier du marché du travail de Bangui.
En effet, Bangui, le grand pôle économique du pays, accueille la majorité des migrants ruraux
226et des migrants internationaux à la différence des autres zones du pays. Or, son bassin
d’emplois est très restreint et ne suffit même pas absorber les actifs natifs de la ville.
On observe que 11, 2% des actifs vivant à Bangui travaillent dans les entreprises privées ;
1,6% dans le secteur parapublic ; 9,9% dans la fonction publique et 74,8% travaillent comme
individu/ménage privé227
dans le secteur informel.
Force est de constater que la plupart des actifs travaillant à Bangui ont généralement des sous-
emplois. En fait, l’indicateur appelé communément le taux de sous-emploi permet de mesurer la
225RGPH , 2003.
226La ville de Bangui accueille les 31% des migrants internes selon le dernier recensement de la population et de
l’habitation (RGPH : 2003).
227Source : (ECVU) (Enquête sur les conditions de vie auprès des ménages urbains en République
Centrafricaine) (2003), Pnud, Bangui.
206
proportion des travailleurs gagnant moins que le revenu minimum en vigueur de la localité
donnée. Ce revenu minimum est de l’ordre de 17.850 CFA228
, soit environ 27,25 euros en
République Centrafricaine. Le Smig en République Centrafricaine est donc de l’ordre de 27, 25
euros. Le taux de sous emploi est en moyenne de l’ordre de 75,3 % dans les centres urbains en
République Centrafricaine selon le Programme des Nations Unies pour le Développement
(PNUD 2005).229
En effet, plus de 3 centrafricains sur 4 habitant dans les zones urbaines
centrafricaines touchent généralement une rémunération faible par rapport au salaire minimum230
En fait, ce taux de sous emploi très élevé traduit la difficulté que les actifs des zones urbaines
centrafricaines et notamment ceux de Bangui éprouvent pour s’insérer sur le marché du travail.
Avec un taux de chômage et un taux de sous-emploi très élevés, les zones urbaines
centrafricaines et notamment la ville de Bangui se présentent comme des zones de précarité dans
lesquelles vivent un grand nombre de ménages pauvres. En effet, les pauvres de ces zones
urbaines sont à la fois des chômeurs qui ont du mal à trouver du travail et des salariés du secteur
moderne qui gagnent un faible salaire, très insuffisant pour vivre décemment, sans oublier les
inactifs qui n’ont pas d’emploi et donc qui n’ont aucun revenu . Car, la pauvreté urbaine en
République Centrafricaine ne concerne pas exclusivement les inactifs ou les chômeurs de longue
durée 231
. Elle concerne également les actifs qui ont un emploi stable quel que soit le secteur
d’activité dudit emploi comme nous montre le tableau ci-dessous.
228 Aho G., et Brisson -Lamaute N., (2005), emploi, chômage et pauvreté dans les grands centres urbains de la
République Centrafricaine, PNUD, Bangui, p69.
229Ibid. p 69.
230Ibid. p 69.
231Les chômeurs mettent souvent plus de 24 mois pour retrouver un emploi dans les zones urbaines d’un grand
nombre de pays d’Afrique du Sud du Sahara. Le chômage de longue durée concerne généralement 15 à 20% de la
population active dans les zones urbaines africaines. Il contribue, pour la plupart, à environ 2/3 du chômage global
dans les zones urbaines. Lachaud J-P ., (1994), Marché du travail et exclusion sociale en Afrique francophone :
Quelques éléments d’analyse, Université Montesquieu-Bordeaux IV, France.
207
Tableau 4.7 : Bangui. Distribution (%) des actifs occupés selon le type d’employeur par statut de
pauvreté* (%) selon le type d’employeur.
Type d'employeur Non-Pauvres Vulnérables Pauvres Ensemble
Gouvernement/Etat 15,2 9,3 8,9 9,9
Parapublic 4 2,2 1 1,6
Entreprise Privée 17,2 9,3 10,2 11,2
Individu/Ménage privé 62 74,3 77,6 74,8
Autres 1,6 4,9 2,3 2,5
Total 100 100 100 100
Source : Rapport provisoire, Enquête sur les conditions de vie auprès des ménages urbains en
République Centrafricaine (ECVU), PNUD, 2003. Note *: Il s’agit ici de la pauvreté monétaire.
On constate que ce sont les ménages indépendants (individu/ménage privé), c’est-à-dire ceux
qui travaillent à leur propre compte ou dans une moindre mesure dans le secteur informel qui sont
le plus affectés par la pauvreté à Bangui. En effet, ces derniers ont généralement une faible
rémunération, parfois ils n’en reçoivent même pas. C’est souvent le cas des personnes qui
travaillent dans les entreprises familiales. En fait, ces catégories d’actifs ont généralement des
emplois très précaires.
Il est certain que la ville de Bangui va grandement contribuer à l’incidence de la pauvreté au
niveau national étant donné que la plupart des actifs habitant en son sein évoluent dans le secteur
dit individu/ménage privé, secteur le plus précaire qui concentre la grande proportion des
ménages sous-payés. En effet, environ 56 % de ménages vivant à Bangui sont pauvres et 70,6%
sont ultra-pauvres selon les données de l’enquête sur les conditions de vie auprès des ménages
urbains (ECVU, PNUD 2003). La ville de Bangui contribue à hauteur de 71,8% à l’incidence de
la pauvreté au niveau des zones urbaines. Ce qui signifie que la ville de Bangui est une ville de
précarité dans laquelle il est difficile de s’insérer professionnellement.
208
Mais comment peut-on décrire le fonctionnement du marché du travail de Bangui ?
Les économistes ont développé de multitudes de théories pour analyser le fonctionnement
marché du travail dans les pays industrialisés parmi lesquelles : 1) La théorie Néoclassique ; 2)
La théorie dite Standard ; 3) La théorie du capital humain ; 4) La théorie de l’écart des salaires.232
Dans le contexte subsaharien, l’examen du fonctionnement du marché du travail se heurte
souvent à des difficultés majeures liées aux insuffisances des cadres théoriques233
.
Tableau 4.8 : Quelques théories économiques permettant d’expliquer le fonctionnement du
marché du travail.
1) La théorie néoclassique :
Selon cette théorie, la demande globale et l’offre globale sur le marché du travail sont égales respectivement à
la somme des demandes individuelles déterminées selon le principe de la maximisation du profit par chaque
producteur et la somme des offres individuelles issues de l’arbitrage entre le travail et le loisir dans la fonction de
l’utilité. La demande de travail individuelle du producteur s’établit donc au niveau où le salaire est égal à la valeur
de la productivité marginale. Elle est croissante avec le salaire réel. L’offre du travail est croissante avec le salaire
réel. L’équilibre néoclassique sur le marché du travail s’obtient par la confrontation de la demande du travail et de
l’offre de travail permettant d’aboutir au niveau de salaire d’équilibre grâce aux forces de la concurrence. Source :
Zerbo A., (2006), Marché du travail urbain et pauvreté en Afrique subsaharienne : Un modèle d’analyse,
Document du travail numéro 129, Centre d’Economie du développement – Université Bordeaux IV, Op.cit.
2) La Théorie de Standard :
Selon cette théorie, il n’y a pas d’écart de salaires sur les marchés du travail. En effet, le travail est un facteur dit
« homogène ». Ceci dit, tous travailleurs doivent être rémunérés d’une manière homogène, c’est-à-dire au même
taux horaire.
233Bocquier (1996).
209
3) La théorie du capital humain :
Cette théorie rejette la notion d’homogénéité du travail développée par les adeptes de la théorie de Standard.
Cette théorie va prendre en compte davantage la notion de « niveaux de qualification ». En effet, c’est le capital
humain qui détermine à la fois le salaire et l’offre du travail. Cette théorie fut développée par Schultz (en 1961) et
Becker (en 1964).
4) La théorie de l’écart des salaires :
Les écarts des salaires sur le marché du travail s’expliquent par le biais de la théorie de la prospection. En effet,
les écarts de salaires sur le marché du travail s’expliquent par le fait que les individus disposent d’une information
imparfaite sur les emplois et les salaires. Le chômeur visite le marché du travail afin de trouver un meilleur salaire
pour le service qu’il propose. Cette théorie fut développée par MC Call (en 1970) et par Mortensen (en 1970).
Source : Zerbo A., (2006), Marché du travail urbain et pauvreté en Afrique subsaharienne : Un modèle d’analyse,
Document du travail numéro 129, Centre d’Economie du développement IFREDE-CRES – Université Bordeaux IV,
Op.cit.
5) L’approche macro structurelle / L’approche individuelle/ La Théorie de la segmentation
L’approche macro structurelle est davantage appliquée à la problématique de la migration internationale vers les
pays développés234
. Elle met l’accent sur la structure du marché du travail des pays développés. En effet, ce marché
du travail structuré est régi par des règles d’entrée qui lui est propre. Le marché dont parle ici n’est pas un marché
unique, il s’agit de plusieurs marchés différenciés. Ainsi, les marchés du travail étant segmentés, les modes
d’insertion varieront selon les divers segments et certaines catégories de personnes, au-delà de leurs catégories
individuelles, se trouveront concentrés dans les segments spécifiques235
. Il existerait donc des barrières
institutionnelles à l’emploi236
. Il y aurait donc une barrière d’entrée dans certains secteurs économiques.
Certains travailleurs tels que les migrants à qui on a barré l’entrée dans un secteur économique privilégié se
234 Nous nous sommes inspiré principalement de la revue de littérature sur la théorie de l’insertion développée par
Piché et Gingras dans l’ouvrage intitulé Migrer, un atout pour l’emploi in Antoine P., Ouédraogo D., Piché V., ,trois
générations de citadins au Sahel, trente ans d’histoire sociale à Dakar et à Bamako pour faire notre analyse sur
l’approche macro structurelle et micro-individiduelle du marché du travail ainsi que la théorie de la segmentation .
235 (Portes, 1983).
236 (Gindling, 1991).
210
trouve donc être exclu du marché du travail. En effet, cette barrière agirait en quelque sorte comme facteurs
d’exclusion de certains individus dont les migrants sur le marché du travail237
. Etant exclus du marché du travail, les
migrants sont obligés de se tourner vers les emplois précaires ou vont développer des stratégies basées sur
l’économie ethnique et constitueront des niches ou même des enclaves238
. Les migrants deviennent des personnes
vulnérables sur le marché du travail de leur pays d’accueil. Ils sont le plus souvent discriminés sur ce marché du
travail du fait de leur origine nationale. Ils se retrouvent souvent en grand nombre dans les emplois précaires où ils
perçoivent une faible rémunération.
En Afrique, la théorie de la vulnérabilité des migrants et celle de l’exclusion a surtout été appliquée aux
migrants internationaux impliqués dans les systèmes migratoires circulaires (Wolpe, 1972 ; Cordell ; Grégory et
Piché, 1996). On constate que cette théorie est de plus en plus appliquée à la migration rurale-urbaine. On part du
principe où les migrants ruraux qui arrivent dans les centres urbains sont aussi marginalisés sur le marché du travail
que les migrants internationaux. Les migrants ruraux sont désavantageux par rapport aux natifs sur le marché du
travail urbain selon cette théorie de la vulnérabilité.
L’hypothèse de l’exclusion des migrants sur le marché du travail urbain est maintenant reformulée dans le cadre
des théories dites « dualistes ». En effet, le marché du travail se présente comme une structure duale : 1) le secteur
formel et 2) le secteur informel. Beaucoup d’auteurs s’affrontent sur cette théorie duale du marché du travail. Deux
écoles vont donc s’affronter sur le dit sujet. Selon les partisans de la première école, il n’aurait pas de barrières
d’entrée dans les deux secteurs (formel et informel)239
. Les partisans de la seconde école partent des principes où il
existerait une barrière d’entrée seulement dans le secteur formel240
. En effet, seuls les migrants dotés du capital
humain peuvent s’insérer dans ce secteur sans difficulté.
237 Piché V., et Gingras L., Migrer, un atout pour l’emploi in Antoine P., Ouédraogo D., Piché V, trois
générations de citadins au Sahel, trente ans d’histoire sociale à Dakar et à Bamako, p48.
238 (Light, 1984) et Portes et Manning, 1985) cités par Piché V., et Gingras L., Migrer, un atout pour l’emploi in
Antoine P., Ouédraogo D., Piché V, trois générations de citadins au Sahel, trente ans d’histoire sociale à Dakar et à
Bamako, p48.
239 (Todaro, 1976).
240 (Cole et Sanders, 1985).
211
L’approche micro- individuelle, à la différence de l’approche macro structurelle, met un accent particulier sur le
capital humain sans oublier les caractéristiques individuelles telles que l’instruction, l’expérience de travail, l’âge, le
sexe, l’origine sociale et l’origine nationale du migrant241
.
A l’instar des approches macrostructure et micro-individuelle et dans une moindre mesure la
théorie de la segmentation, toutes les théories telles que celles dites « néoclassique »,
« Standard », « capital humain », ou « d’écart de salaire », utilisées couramment pour analyser le
marché du travail dans les pays développés se prêtent mal au marché du travail urbain
subsaharien. Ces théories ne permettent pas généralement d’analyser le marché du travail urbain
subsaharien qui possède une logique de fonctionnement qui est totalement différente de celui des
pays industrialisés. En effet, le marché du travail urbain subsaharien repose sur les systèmes de
réseaux. Selon Cohen et Houx (1996), les marchés urbains du travail dans les pays en
développement sont caractérisés par les réseaux et les pratiques informels 242
. En effet, les
contacts informels (les relations de parenté ou d’amitié, les réseaux ethniques et religieux) sont
les plus importantes dans la recherche et au centre des pratiques de recrutement243
. En fait, la
majorité des chômeurs des pays d’Afrique subsaharienne effectuent généralement leur recherche
d’emploi en mobilisant leurs réseaux familiaux 244
. La théorie des réseaux se prête donc bien à
241 (Borjas, 1989).
242Zerbo A., 2006), Marché du travail urbain et pauvreté en Afrique Subsaharienne : Un modèle d’analyse,
Document du travail numéro 129, Centre d’Economie du développement IFREDE – GRES, Université de
Bordeaux, IV op. Cit
243Ibid.
244Selon les résultats de l’enquête 1.2.3 réalisée dans 13 pays de l’OUEMEO (Brillant et al, 2004), 59,6% des
chômeurs interrogés ont répondu qu’ils ont eu recours à des réseaux de solidarités familiales dans leur recherche
d’emploi, contre seulement 3,1% qui ont recours aux annonces des médias et des agences pour l’emploi. Environ
35,9% de ces chômeurs ont eu recours au concours de la fonction publique.
212
l’analyse du fonctionnement du marché du travail dans les centres urbains en Afrique
Subsaharienne et notamment à Bangui.
Effectivement, l’entrée sur le marché du travail à Bangui est très difficile pour les
Centrafricains ainsi que pour les étrangers. Par conséquent, les actifs présents sur ce marché du
travail mettent généralement en place des stratégies pour parvenir à trouver un emploi tant désiré.
En effet, les seules compétences et diplômes ne suffisent pas pour faire de la place sur ce marché
du travail très compétitif et très déséquilibré. Il faut donc avoir un système de réseaux très
puissant pour avoir de la chance de décrocher un emploi à Bangui. Car les recrutements
s’organisent de bouche à oreille. La tension est très vive sur ce marché du travail, étant donné le
faible nombre d’offres d’emplois. Les personnes qui parviennent à s’y intégrer ne peuvent pas
dire qu’elles se trouvent à l’abri. Car elles peuvent perdre leur emploi à tout moment. La sortie
de ce marché de travail n’est en aucun cas rigide. En effet, la situation du marché du travail
centrafricain et de celui de Bangui en particulier risque d’être encore très perturbée à l’horizon
2015 quand les populations jeunes (la proportion actuelle des Centrafricains ayant moins de 14
ans est de l’ordre de 44%) y accéderont245
.
Mais les personnes les plus vulnérables du marché du travail de Bangui demeurent les
femmes. En effet, ces dernières ont généralement du mal à décrocher un emploi sur ce marché, vu
leur double handicap. En effet, elles ont deux handicaps majeurs à savoir : leur faible niveau
d’instruction et les préjugés qu’on porte généralement sur elles. Cette situation fait que les
femmes participent peu au marché du travail à Bangui. Et cela se constate par leur taux d’activité
qui est de l’ordre de 25,4% contre 43% pour les hommes, soit dix huit points inférieurs à celui
des hommes.
245Aho G., et Brisson -Lamaute N., (2005) : emploi, chômage et pauvreté dans les grands centres urbains de la
République Centrafricaine, PNUD, P 67.
213
En effet, les femmes exclues de ce marché du travail sont obligés de s’orienter vers le secteur
informel pour travailler. La tension sur le marché du marché du travail formel urbain se déplace
désormais sur le secteur informel qui récupère les actifs délaissés par le secteur formel de
l’économie.
Tableau 4.9 : Taux d’activité en % selon le sexe à Bangui et en République Centrafricaine.
Milieu de résidence Taux d'activité
République Centrafricaine
Hommes Femmes
56,8 47,1
Bangui 43 25,4
Source : RGPH (2003).
1.2.2 Insertion des immigrants sur le marché du travail en
République Centrafricaine.
Les immigrants présents en République Centrafricaine qui sont venus principalement des pays
de la CEMAC (Communauté Economique de l’Afrique Centrale), de la République
Démocratique du Congo et de l’Afrique de l’Ouest sont davantage concentrés dans les grands
centres urbains du pays et surtout dans la capitale, Bangui. En effet, les trois quarts des étrangers
présents en République Centrafricaine vivent à Bangui. Car la ville de Bangui se présente comme
le grand pôle économique, politique et diplomatique de la République Centrafricaine. Les
ambassades, les bureaux des grandes institutions internationales, les bureaux des organisations
non gouvernementales, les sièges des grandes entreprises du pays, les ministères, la présidence de
la république sont tous implantés au sein de la ville de Bangui.
214
Il faut noter que la plupart des immigrants qui vivent à Bangui sont sans instruction. On
retrouve peu de personnes ayant un niveau d’instruction élevé dans la population des étrangers
vivant en République Centrafricaine et notamment à Bangui. Force est de constater que 56, 4%
des immigrants qui vivent en République Centrafricaine sont sans niveau d’instruction. Parmi
cette population immigrée, les femmes ont là aussi une plus faible instruction que les hommes.
Selon les données du RGPH 2003, 63,9% des immigrantes vivant en République Centrafricaine
ne sont pas scolarisées.
Il est certain que ces immigrants auront du mal à s’insérer professionnellement au niveau de
Bangui, du fait de leur faible niveau d’instruction. Car le marché du travail de Bangui connaît des
tensions permanentes et se trouve être très sélectif et compétitif. Même si on y entre le plus
souvent par le biais des systèmes de réseaux, l’instruction reste malgré tout très importante pour
celui qui veut travailler dans le secteur formel. Il faut, en effet, savoir lire, écrire et s’exprimer
correctement en Français, la langue officielle du pays, pour prétendre à un poste de travail dans le
secteur formel à Bangui. En effet, la lecture, l’écriture et l’expression sont là trois éléments de
base qu’on doit maîtriser si on veut s’appuyer sur un réseau pour décrocher un emploi dans la
capitale. Il demeure donc difficile de se faire une place dans le secteur moderne si l’on n’a pas la
moindre connaissance des ces trois éléments de base.
215
Graphique 4.5 : Répartition des immigrants installés en République Centrafricaine en % selon
leur niveau d’instruction.
Source : Graphique réalisé à partir des données du RGPH 2003
Tableau 4.10 : Répartition en % des immigrants présents en République Centrafricaine selon le
sexe et le niveau d’instruction.
Niveau d'instruction atteint Sexe masculin Sexe féminin
Aucun 50,36 63,92
Primaire 18,30 18,39
Secondaire 22,57 14,70
Supérieur 8,14 2,41
Autre 0,63 0,58
Ensemble 100 100
Source : République Centrafricaine (2003), RGPH.
Malgré leur faible niveau d’instruction et de moindre de mesure de leur qualification, les
immigrants présents en République Centrafricaine participent en nombre au marché du travail
tout comme les natifs centrafricains. Il faut noter que 56,46% de ces immigrants ont une activité
économique contre 8,33% qui sont au chômage. En revanche, environ 27% de ces immigrants
sont inactifs. Ces immigrants inactifs sont généralement des femmes au foyer, des élèves
étudiants et des rentiers. Il existe, cependant une nette différence de la participation à l’activité
216
économique entre les immigrants de sexe masculin et ceux de sexe féminin. 68,85% des
immigrants présents en République Centrafricaine ont une activité économique contre 36,49%
des immigrantes.
Les étrangers résidant en République Centrafricaine sont en majorité des indépendants, soit
60,90% des immigrants. Ils travaillent généralement dans le secteur informel. Une grande
proportion de ces immigrants évolue, malgré tout, dans le secteur privé, soit 24,85% de cette
population étrangère. Figurent parmi les immigrants qui travaillent dans le secteur privé quelques
fonctionnaires internationaux et des représentants des entreprises étrangères installées en
République Centrafricaine.
Tableau 4.11 : Répartition des migrants internationaux résidant en République Centrafricaine
selon leur situation dans l’activité économique.
Situation dans l'activité économique Pourcentage (%) des migrants internationaux
Occupés 56,46
Chômeurs 8,33
Etudiants/Elèves 11,56
Femmes au foyer 15,28
Retraité 0,17
Rentier 0,87
Autre 7,33
Ensemble 100
Source : RGPH 2003.
217
Tableau 4.12 : Répartition (en %) des migrants internationaux résidant en République
Centrafricaine selon leur sexe et leur situation dans l’activité économique.
Situation dans l’activité économique Sexe masculin Sexe féminin
Occupés 68,85 39,46
Chômeurs 10,62 5,19
Etudiants/Elèves 12,79 9,88
Femme au foyer -------- 36,24
Retraités 0,12 0,25
Rentiers 1,32 0,25
Autre 6,30 8,73
Ensemble 100 100
Source : RGPH 2003.
Tableau 4.13 : Répartition (%) des migrants internationaux résidant en République Centrafricaine
selon leur situation dans la profession.
Situation dans la profession Pourcentage (%) des immigrants
Salariés du secteur public 4,46
Salariés du secteur privé 24,85
Salariés du secteur parapublic 0,62
Indépendants 60,9
Employeurs 0,93
Aides familiales 4,15
Apprentis 0,31
Autres 3,78
Ensemble 100
Source : République centrafricaine (2003), RGPH.
218
Les quelques données de RGPH de l’année 2003 nous ont permis de mesurer la participation
des immigrants résidant en République Centrafricaine sur le marché du travail du pays. Les
réfugiés ne font pas partie des migrants étrangers que nous venons de présenter. En effet, le
service de la statistique de la République Centrafricaine et les institutions travaillant sur la
problématique de la migration de refuge ne disposent pas encore de données fiables permettant de
mesurer la participation des réfugiés sur le marché du travail centrafricain. C’est la raison pour
laquelle nous avons conçu une enquête dans le cadre de cette étude afin de mesurer l’insertion
professionnelle des migrants réfugiés, principalement des réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens
sur le marché du travail à Bangui. Nous allons tout d’abord présenter quelques pages de la revue
de littérature sur la problématique de l’insertion socioprofessionnelle des immigrants dans
quelques pays africains , puis les hypothèses de cette étude , avant de présenter l’enquête
migration de refuge conçue pour mesurer l’insertion économique des réfugiés congolais (RDC) et
tchadiens installés au sein de la ville de Bangui.
219
CHAPITRE 5 : LA REVUE DE LITTERATURE :
MIGRATION ET MATCHE DU TRAVAIL DANS
LES VILLES D’AFRIQUE SUBSAHARIENNE.
Nous avons présenté dans les parties qui ont précédé le fonctionnement du marché du travail
dans nos trois pays d’étude, à savoir : La République Démocratique du Congo, le Tchad et la
République Centrafricaine. Et nous avons, par la suite, abordé la problématique d’insertion des
étrangers sur le marché du travail en République Centrafricaine d’une manière sommaire. En
effet, les données du dernier recensement de la population et de l’habitat (RGPH, 2003) dont
nous disposons ne nous permettent pas de faire une analyse approfondie sur tous les aspects du
problème de l’insertion économique des migrants étrangers présents en République
Centrafricaine. En fait, les données des recensements permettent généralement d’analyser la
migration d’une manière exclusivement transversale. Or, la problématique d’insertion
économique des migrants doit être analysée d’une manière longitudinale. En effet, l’approche
longitudinale donne une importance capitale à la notion de « durée » et de « changement » à la
différence de l’approche transversale qui ne s’intéresse qu’aux situations du moment, c’est-à-dire
celles qui se passent au moment de l’enquête. En effet, les données du recensement 2003 ont
seulement permis de mesurer la participation des étrangers sur le marché du travail centrafricain
au moment de l’enquête , c’est-à-dire en 2003. Elles ont donc permis de mesurer l’insertion
économique de ces migrants d’une manière exclusivement transversale sans prendre en compte
les notions de durée, de changement et de génération. On peut alors se poser ces questions :
Combien de temps ces étrangers ont-ils mis en République Centrafricaine avant d’avoir leur
premier emploi ? Combien de temps sont-ils restés dans ce premier emploi ? Combien de fois
ont-ils changé d’emplois avant de trouver celui dans lequel ils se trouvent au moment de
l’enquête ? Quelle est la génération des étrangers qui participe le mieux au marché du travail en
République Centrafricaine ? Est-ce que toutes les nationalités présentes à Bangui ont la même
220
chance d’accéder à l’emploi ? Si ce n’est pas le cas, les quelles ont plus de chance d’accéder à
l’emploi par rapport aux autres ? Le taux d’activité varie-il selon les générations de ces
étrangers ?
En effet, toutes ces questions n’ont pas été abordées dans l’étude qui porte sur l’intégration des
étrangers en République Centrafricaine. Or, de telles questions sont généralement posées dans les
enquêtes biographiques et permettent souvent de mesurer la participation des migrants sur le
marché du travail dans une zone ou dans un pays d’accueil d’une manière longitudinale. En effet,
les données biographiques permettent souvent de suivre toute la trajectoire professionnelle des
migrants. On peut alors affirmer que les données du Recensement Général de la Population et de
l’Habitat (RGPH 2003) demeurent très limitées. Elles ne permettent donc pas de mesurer tous les
aspects de la problématique de l’intégration économique de ces migrants.
Nous allons nous appuyer sur d’autres études afin d’enrichir la revue de littérature sur la
problématique de l’insertion économique des migrants étrangers sur le marché du travail en
Afrique Subsaharienne. En effet, ces études ont été faites pour mesurer la participation des
migrants étrangers sur le marché du travail dans quelques pays africains subsahariens. Les études
que nous avons choisies pour cette revue de littérature portent davantage sur la migration
économique et familiale. Car les travaux portant sur la problématique d’insertion des migrants de
refuge sur le marché du travail dans leur pays d’accueil sont très rares. Les quelques études qui
existent sur ce sujet en Afrique Subsaharienne portent généralement sur la vie des réfugiés dans
les camps et sur la problématique d’insertion sociale des réfugiés dans les zones rurales246
.
246 Karimumuryango J., (2000) Les réfugiés rwandais dans la région de Bukavu Congo RDC : La survie du
réfugié dans les camps de secours d’urgence, Karthala-IUED.
221
Il n’existe quasiment pas de grande étude ni de grande enquête sur la problématique de
l’intégration socio- économique des migrants de refuge dans les zones urbaines en Afrique
subsaharienne. L’intégration socio-économique des réfugiés dans le contexte urbain est
davantage étudiée dans les pays développés, notamment en Europe247
. Pour pallier à ce manque ,
nous allons nous appuyer sur les études portant sur l’insertion économique des migrants étrangers
sur le marché du travail dans quelques pays d’Afrique pour esquisser cette revue de littérature
compte tenu du manque de littérature sur la problématique de l’insertion urbaine de migrants de
refuge en Afrique Subsaharienne.
Il est vrai que les motifs de départ en migration diffèrent selon qu’on soit migrant économique
ou migrant de refuge. Cependant, le processus d’intégration économique dans les zones urbaines
demeure similaire pour toutes les catégories de migrants. Tous les migrants, qu’ils soient ruraux,
étrangers, ou réfugiés trouvent généralement des difficultés à s’insérer professionnellement dans
les zones urbaines. Ils s’appuient généralement sur les réseaux sociaux et familiaux pour
décrocher un premier emploi 248
. Et ce premier emploi est souvent informel. La majorité des
migrants qui vivent dans les zones urbaines en Afrique Subsaharienne exercent dans le secteur
informel249
. Cela est autant vrai pour les migrants originaires des zones rurales que pour les
migrants économiques et dans une moindre mesure pour les migrants de refuge.
247 Ntampaka C., (2004), Les réfugiés rwandais en Belgique : Itinéraires et nouveaux réseaux sociaux, in
A .Guichaoua (dir), Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique Centrale et Orientale, Paris, Karthala.
248 T. Lococh T., (1989) , le rôle des familles dans l’accueil des migrants vers les villes africaines in l’insertion
urbaine des migrants en Afrique, Editions de l’Orstom, Paris 1989.Lire aussi Ouedraogo D., (1989), Quelques
repères sur l’insertion économique des migrants dans les villes Burkinabé in l’insertion urbaine des migrants en
Afrique, Editions de l’Orstom, Paris 1989 .
249Selon Tockman (1990), il existe aucune barrière à l’entrée dans l’économie informelle ce qui permet souvent
aux migrants de s’y intégrer facilement en faisant des activités de survie. Cette hypothèse demeure, malgré tout,
discutable, puisque des nombreux travaux plus récents montrent qu’on retrouve de plus en plus des migrants à la fois
dans les secteurs informels et les secteurs structurés dans les pays d’Afrique Subsaharienne.
222
Etant donné que tous les migrants urbains ont en général un même parcours d’intégration
économique en Afrique subsaharienne, avec un passage plus ou moins obligé par le secteur
informel avant l’accès à emploi formel, il est possible de passer en revue la littérature portant sur
l’insertion économique des immigrants économiques pour expliquer celle de migrants de refuge.
En effet, les travaux portant sur l’insertion des immigrants économiques sur le marché du travail
en Afrique Subsaharienne peuvent fournir des informations suffisantes permettant de comprendre
l’insertion économique des migrants de refuge du fait que ces deux catégories de population ont
généralement un même mode ou un même processus d’insertion économique dans les zones
urbaines en Afrique Subsaharienne. Ces différents travaux que nous allons esquisser nous
aideront également dans la conception des hypothèses de notre étude.
1. L’INSERTION ECONOMIQUE DES MIGRANTS ETRANGERS
AFRICAINS EN AFRIQUE DU SUD DU SAHARA : LE CAS DE
QUELQUES VILLES DU BURKINA-FASO.
Dieudonné Ouedraogo aborde la question de l’insertion des migrants étrangers sur le marché
du travail burkinabè dans une étude qu’il a faite principalement pour décrire les mécanismes et
les processus d’intégration économique des migrants ruraux burkinabè installés dans les deux
plus grandes villes du Burkina Faso , à savoir Ouagadougou et Bobo-Dioulasso 250
. Il faut noter
que les villes de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso font partie des grandes villes d’Afrique de
l’Ouest qui attirent quelques étrangers tels que les Nigérians, les Sénégalais, les Ghanéens et les
250Ouedraogo D., (1989), Quelques repères sur l’insertion économique des migrants dans les villes Burkinabè, in
l’insertion urbaine des migrants en Afrique, Editions de l’Orstom, Paris, 1989.
223
Togolais, pour ne citer que ceux-là. Ces derniers viennent souvent développer leurs affaires au
sein de ces deux grandes villes burkinabè qui demeurent des poumons économiques du pays.
Dieudonné Ouedraogo donne des descriptifs des métiers et des emplois occupés par ces
migrants étrangers installés au Burkina - Faso.
Selon Dieudonné Ouedraogo, les migrants étrangers installés au Burkina-Faso au moment de
la production de son étude sont pour la plupart des travailleurs spécialisés : « grilleurs de viande »
pour les Nigérians, vendeurs de montres et d’objets d’art pour les Sénégalais, prostitution légale
pour des femmes originaires surtout du Ghana et du Togo, broderie pour les hommes nigériens,
vente de produits de beauté et d’industrie de cuisine pour les femmes nigérianes251
. En effet, ces
migrants se sont spécialisés dans leur pays d’origine avant de migrer au Burkina-Faso. Ils ont
presque tous des compétences dans leur domaine. Par conséquent, ils n’ont pas besoin d’être
formés avant de rentrer sur le marché du travail. Ils sont opérationnels dès leur arrivée au
Burkina-Faso. Ceci dit, ils n’ont pas de problèmes d’intégration économique sur le marché de
travail urbain burkinabè tout comme les migrants ruraux. A noter que les migrants qui vivent à
Ouagadougou, qu’ils viennent des zones rurales burkinabè ou de l’étranger, ont plus de chance
d’accéder à l’emploi rémunéré que les non-migrants252
. Car, ces derniers ne restent pas souvent
très longtemps inactifs. Ils sont le plus souvent obligés de prendre n’importe quel emploi pourvu
que celui-ci procure une rémunération 253
.
251 Op. Cit p 103.
252 Piché V., et Zoukaléini Y., (2002), Migration et emploi urbain : Le cas de Ouagadougou au Burkina-Faso,
Ouagadougou, p 80.
253 Obérai et Singh cités par Victor Piché et Zoukaléini Y., in Migration et emploi urbain : Le cas
d’Ouagadougou au Burkina-Faso, Ouagadougou, année 2002, P 80.
224
La réussite de l’intégration économique des migrants étrangers installés au Burkina-Faso
s’explique par le fait qu’ils détiennent un grand nombre d’informations sur le fonctionnement du
marché du travail du Burkina-Faso et dans une moindre mesure sur celui de ses grands centres
urbains depuis leur pays d’origine. Ce sont la plupart du temps leurs hôtes originaires du
Burkina-Faso qui leur fournissent toutes ces informations. Ces derniers leur font généralement un
bref aperçu du marché du travail burkinabè avec des détails précis sur les secteurs économiques
les plus dynamiques et les métiers dont les spécialistes sont les plus sollicités. Ils leur donnent
ainsi le maximum d’informations sur les besoins du marché du travail burkinabè en leur
mentionnant les secteurs qui manquent de main d’œuvre, les secteurs dans lesquels il y a moins
de concurrence. Ces migrants obtiennent le plus souvent aussi des informations sur l’état du
marché de leur future ville d’accueil par eux-mêmes lors des courtes visites qu’ils font au sein
cette dite ville avant la migration254
. Ces étrangers vont alors établir une stratégie en fonction des
informations reçues. Et seuls ceux qui ont un métier précis vont décider de quitter leur pays pour
le Burkina-Faso.
En effet, la plupart des étrangers qui arrivent au Burkina-Faso, comme on vient de le dire, ont
généralement une idée sur le fonctionnement du marché du travail dudit pays avant la migration.
Ils se sont préparés en conséquence pour affronter ce marché du travail. Ce qui fait qu’ils n’ont
généralement pas de problème d’intégration économique puisqu’ils ont mis en place une stratégie
avant de quitter leur pays de départ. Cette stratégie consiste notamment à se salarier dans les
secteurs dans lesquels il n’y a pas de concurrence. Ces migrants étrangers occupent généralement
ainsi les créneaux dans lesquels ils n’ont presque pas de concurrence de la part des nationaux
dans les centres urbains du Burkina-Faso, notamment à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso 255
.
254 Piché V., et Zoukaléini Y., Migration et emploi urbain : Le cas de Ouagadougou au Burkina-Faso,
Ouagadougou, année 2002.
255Ouedraogo D., (1989) , quelques repères sur l’insertion économique des migrants dans les villes Burkinabè in
l’insertion urbaine des migrants en Afrique, Editions de l’Orstom, Paris, 1989, p 103.
225
En fait, on trouve généralement peu de Burkinabè dans les domaines ou des métiers dans lesquels
ils excellent.
Il est vrai que les migrants étrangers n’ont pas de problème d’intégration économique au
Burkina-Faso du fait qu’ils soient des travailleurs très spécialisés, mais force est de constater que
les emplois qu’ils occupent ont moins de valeur que des emplois formels bureaucratiques
modernes. En effet, les emplois de « grilleurs de viande », de vendeurs de montres, de vendeurs
de produits de beauté et de broderies occupés par ces étrangers ne sont pas des emplois très
valorisés dans les pays africains subsahariens. Ce sont des emplois sous qualifiés et souvent
dévalorisés. Ces emplois se trouvent généralement dans les secteurs non structurés, c’est-à-dire le
secteur informel. En effet, les métiers de grilleurs de viande, de vendeurs de montres, de vendeurs
de produits de beauté sont des petits métiers au même titre que ceux de gardiens ou de manœuvre
qui attirent peu de personnes. Les personnes qui font ces métiers sont celles qui ont le plus
souvent un faible niveau d’instruction. Car, l’exercice de ces métiers ne nécessite aucune
qualification précise ou de diplôme particulier. En effet, les migrants qui ont un faible niveau
d’instruction ou ceux qui n’en ont pas reçue sont souvent concentrés dans le secteur informel des
centres urbains burkinabè et notamment au sein de la ville de Ouagadougou où ils occupent des
petits emplois comme ceux du commerce256
.
Il est certain que ces petits métiers qu’occupent ces migrants étrangers n’attirent pas forcement
la population autochtone. En effet, ces immigrants n’ont pas de difficulté particulière sur le
marché du travail dans ces centres urbains parce qu’ils n’ont pas de concurrence de la part de la
population autochtone. En effet, cette concurrence est le plus souvent prononcée sur le marché du
travail formel dans lequel il y a un grand déséquilibre entre les offres et les demandes de travail.
Et la politique de préférence nationale initiée par un grand nombre de pays africains en matière
256 Piché V., et Zoukaléini Y., Migration et emploi urbain : Le cas d’Ouagadougou au Burkina-Faso,
Ouagadougou, année 2002, p80.
226
de législation du travail exclut généralement les étrangers du champ du marché du travail formel.
Certains emplois formels sont réservés aux nationaux. Par exemple, l’entrée dans la fonction
publique ou dans certaines entreprises parapubliques est soumise à la condition de nationalité
dudit pays. Les législations en matière de travail et de séjour empêchent les étrangers de se
salarier dans le secteur moderne dans les pays africains du sud du Sahara257
En effet, ce critère de
nationalité constitue souvent une barrière effective pour l’entrée sur le marché du travail formel
dans le contexte de migration internationale en Afrique Subsaharienne. Force est de constater que
les nationaux ont généralement plus de privilèges sur le marché du travail formel africain que les
étrangers, lesquels sont souvent discriminés. Cette situation décrite est vraie dans bon nombre de
pays d’Afrique subsaharienne et dans une moindre mesure au Burkina-Faso. En fait, les étrangers
vivant dans les centres urbains africains se contentent généralement du secteur informel,
dévalorisé, peu rémunérés et moins sécurisé du fait de leur exclusion sur le marché du travail
structuré258
. Car, selon Yann Moulier-Boutang, les emplois les plus dévalorisés ont été toujours
257Selon le code du travail centrafricain en son article 100 : Les travailleurs non centrafricains doivent être
titulaires d’un contrat de travail ou une lettre d’embauche visée par le ministère en charge de l’emploi sur un
formulaire à cet effet ; article 101 : La réglementation des conditions de recrutement et des frais d’établissement de
visa de contrat de travail des personnes non centrafricaines est établi par un arrêté du Ministère en charge de
l’emploi. Article 101 du code du travail centrafricain stipule : L’employeur qui recrute un Centrafricain, de même le
travailleur expatrié lui-même, a l’obligation de respecter la réglementation sur les conditions d’admission et de
séjour d’étrangers en République Centrafricaine.
En effet, toutes ces mesures sont très difficiles et demeurent des obstacles pour l’employabilité de l’étranger. Car,
il est difficile pour l’étranger installé en République Centrafricaine de payer son visa de travail et de séjour qui coûte
souvent excessivement cher , de l’ordre de 100.000 à 200.000 franc , soit 150 à 200 euros, une somme très
importante en République. La plupart des étrangers qui ne peuvent pas payer ces visas finissent par travailler dans
l’illégalité où ils sont le plus souvent exploités par les employeurs sans scrupule. C’est situation décrite est aussi
vraie au Gabon. En effet, beaucoup de travailleurs étrangers sont obligés de travailler dans la clandestinité à cause
des mesures législatives draconiennes à leur égard. La plupart d’entre eux sont exploités et sous-payés par leurs
employeurs. Lire à ce sujet : Nyama W. R., (2010), Les effets collatéraux des conflits en Afrique : Cas des réfugiés
au Gabon de 1968 à nos jours, Thèse de doctorat d’histoire.
258A noter que la notion de l’exclusion sociale selon le critère de nationalité est difficile à mesurer. Elle demeure
souvent très idéologique dans l’imaginaire collectif. Lire à ce sujet Lachaud J.P (1994), marché du travail et
exclusion sociale en Afrique francophone, Université Montesquieu – Bordeaux IV.
227
occupés par des groupes sociaux inférieurs259
. En effet, les étrangers sont généralement
considérés comme des minorités ou comme des groupes sociaux inférieurs dans leurs pays
d’accueil lors de leur séjour migratoire. Mais ce n’est pas vraiment le cas pour les migrants vivant
dans les centres urbains burkinabés.
On constate que bon nombre d’entre eux ont, malgré tout, franchi les barrières ou les obstacles
liés à la discrimination pour se retrouver dans le secteur moderne où ils occupent des emplois au
même titre que les natifs de la localité. Selon Victor Piché et Zouléini Younoussi, 19,23% des
migrants vivant à Ouagadougou ont trouvé leur premier emploi dans le secteur formel contre
seulement 6,79% de non-migrants 260
. A noter que ces migrants sont constitués de personnes qui
viennent des zones rurales Burkinabès, c’est-à-dire des migrants ruraux et de celles qui viennent
de l’étranger, c’est-à-dire des migrants étrangers. Même si on n’a pas l’effectif exact des
étrangers dans cette population de migrants, force est de constater que les migrants en général
participent autant que les non-migrants au marché du travail formel à Ouagadougou. Par
conséquent, on peut confirmer, d’après ce qui précède, que les migrants ruraux ainsi que les
migrants étrangers n’ont pas vraiment de problème d’intégration sur le marché du travail
burkinabè et notamment sur celui de Ouagadougou puisqu’on les retrouve très nombreux à la fois
dans le secteur formel et informel de l’économie du pays.
En effet, dire que les étrangers n’ont pas de concurrence sur le marché du travail urbain
informel burkinabè ne signifie pas qu’il n’ ya pas de concurrence, ni de tension sur ce marché de
travail. Il existe bien en effet, de vives tensions et concurrences sur le marché du travail urbain
informel burkinabè de nos jours. Car les villes de Burkina-Faso ont connu dans les années 1990
259 Sebaï F., et Vercellone C., (2007-2008), Ecole de la Régulation et Critique de la raison économique, Institut
de Sciences politiques de Rennes, p. 228.
260Piché V., et Zoukaléini Y., (2002), Migration et emploi urbain : Le cas de Ouagadougou au Burkina-Faso,
Ouagadougou, année 2002. Pp 79.
228
des crises économiques au même titre que les autres villes d’Afrique Subsaharienne suite aux
mesures d’ajustement structurel imposé par la Banque Mondiale261
. Beaucoup de ménages
Burkinabès vont subir la conséquence de ces crises. La pauvreté va croitre surtout dans les
centres urbains du Burkina Faso. Pour faire face à cette pauvreté, beaucoup de Burkinabés sont
obligés de se tourner vers le secteur informel pour travailler. Car, les quelques emplois du secteur
structuré sont insuffisants pour absorber un grand nombre d’actifs Burkinabès qui se présentent
sur le marché du travail. Les actifs burkinabés qui peinent à trouver un emploi formel trouvent
généralement leur compte dans le secteur informel. Car l’entrée dans ce secteur est moins
difficile que dans le secteur moderne. Selon Victor Piché et Zoukaléini Younoussi, 80,77% des
migrants et 93,21% des non-migrants vivant à Ouagadougou trouvent généralement leur premier
emploi dans le secteur informel 262
. Ce secteur concentre ainsi le plus grand effectif des actifs
burkinabés. Cependant, les emplois se raréfient de plus en plus dans ce secteur vu le nombre
croissant des actifs qui s’y trouvent. Il est certain qu’une telle situation va forcement générer des
tensions et des concurrences. En effet, si les étrangers qui vivent dans les centres urbains
burkinabés ne sont pas concernés par la tension et la concurrence du secteur informel urbain,
c’est tout simplement parce qu’ils excellent dans les secteurs qui sont délaissés par les
burkinabés, ou pour lesquels ces derniers ne brillent pas.
En somme, on doit constater que la migration a permis à un grand nombre de migrants
étrangers présents dans les centres urbains burkinabés de s’insérer professionnellement sur le
marché du travail burkinabè. Toutefois, elle n’a pas permis à certains d’entre eux d’améliorer
effectivement leur condition de vie. C’est le cas de ceux qui travaillent dans le secteur
informel263
. Car les emplois qu’ils occupent ne peuvent pas leur permettre de gagner
suffisamment d’argent pour changer leur condition de vie.
261Ibid. p 70.
262Ibid p79.
263L’effet de travailler dans le secteur informel ne veut pas forcement dire avoir une faible rémunération. Les
études plus récentes ont montré que certains actifs travaillant dans le secteur informel étaient mieux rémunérés que
229
Les deux études sur lesquelles nous nous sommes fondés pour analyser la problématique de
l’intégration économique des migrants dans les centres urbains de Burkina-Faso dans cette revue
de littérature présentent, malgré tout, quelques limites264
. On constate que les auteurs de ces
études n’ont pas pris en compte la notion de l’intégration différentielle au sein de leur analyse. En
effet, les immigrants qui vivent dans les centres urbains du Burkina-Faso ont des origines
nationales distinctes. Car ils sont ressortissants de plusieurs pays africains tels que le Togo, le
Nigéria, le Ghana, la Côte d’Ivoire, pour ne citer que ceux-là. Il est certain que les ressortissants
de ces différents pays ne vont pas avoir le même degré d’intégration économique au Burkina-
Faso. Certaines nationalités vont nécessairement avoir des meilleurs niveaux d’intégration
économique que les autres. Par exemple, les Ghanéens peuvent avoir un meilleur niveau
d’intégration économique dans les centres urbains du Burkina-Faso que les Ivoiriens et les
Togolais. L’origine nationale devient ainsi une variable très importante qu’on doit prendre en
compte lorsqu’on veut étudier l’intégration des immigrants dans un pays donné. Car, l’intégration
économique peut en effet varier selon l’origine nationale des immigrants.
Les auteurs des deux principales études que nous avions choisies pour cette revue de littérature
ont étudié l’intégration économique des migrants et dans une certaine mesure celle des
immigrants dans une vision globale et générale. Ils n’ont pas classifié les immigrants présents au
leurs homologues qui évoluent dans le secteur structuré. Certains actifs évoluant dans le secteur informel ont même
un niveau de vie plus élevé que ceux travaillant dans le secteur structuré. Par exemple, tous les pauvres ne sont pas
nécessairement dans le secteur informel, et que tous les non-pauvres ne sont pas non plus dans le secteur moderne.
Lire à ce sujet Harris, Hannan, Rodgers (1990) et Lachaud (1988).
264Nous nous sommes inspiré de deux principales études celle de Dieudonné Ouedraogo, quelques repères sur
l’insertion économique des migrants dans les villes Burkinabè in l’insertion urbaine des migrants en Afrique,
Editions de l’Orstom, Paris 1989 et celle de Victor Piché et Zoukaléini Younoussi, Migration et emploi urbain : Le
cas de Ouagadougou au Burkina-Faso, Ouagadougou, année 2002.
230
Burkina-Faso au moment de la production de leurs études selon leur degré d’intégration
économique. Ils n’ont pas précisé non plus les nationalités qui ont un meilleur niveau
d’intégration économique au Burkina-Faso ni celles qui présentent des difficultés d’intégration.
Or, la problématique d’intégration différentielle des immigrants selon leur origine nationale
devient un sujet de préoccupation pour les gouvernements des pays développés, pour les
institutions internationales œuvrant pour les migrants internationaux et pour les chercheurs des
pays développés 265
. Il est souvent question de comparer le degré d’intégration économique des
ressortissants de tel ou tel pays ou de tel ou tel continent dans un pays d’accueil des dits
immigrants. Les questions qu’on se pose généralement sont par exemple de cette nature : les
Africains subsahariens ont un meilleur niveau d’intégration économique que les Asiatiques au
Canada ? On peut aussi poser le même type de question pour le cas des immigrants installés à
Ouagadougou. Est-ce que les Ghanéens ont un meilleur niveau d’intégration économique que les
Nigérians ou les Togolais à Ouagadougou ? La réponse à une telle question est très importante.
Car elle permet souvent de mettre en place une politique de population ou d’immigration.
Force est de constater que la problématique d’intégration des immigrants selon leur origine
nationale est encore peu étudiée en Afrique. En effet, les chercheurs commencent à se pencher
sur la problématique d’intégration des immigrants en Afrique que très récemment. Les premiers
véritables travaux scientifiques sur les thèmes de l’intégration des immigrants en Afrique ont vu
le jour qu’à la fin des années 1980 à l’issue du premier séminaire scientifique de Lomé porté sur
le thème de l’insertion urbaine en Afrique . L’insertion urbaine était évaluée selon trois axes par
les chercheurs lors de ce séminaire scientifique à savoir : l’insertion économique, l’insertion
sociale et l’insertion résidentielle266
. On va vite rendre compte de quelques insuffisances dans les
265 Héran F., (2002), immigration, marché du travail, intégration, Commissariat du Plan, Paris.
266 (Antoine et Coulibaly, 1989).
231
quelques premières littératures scientifiques portées sur les thématiques d’insertion urbaine en
Afrique. On remarque que les chercheurs qui travaillent sur la problématique d’insertion urbaine
en Afrique se préoccupent peu de la situation des ménages dans les zones rurales alors que ceux-
ci sont frappés par la crise économique de ces dernières années au même titre que ceux des zones
urbaines. Les ménages ruraux africains ont même mis en place des stratégies pour faire à la crise
économique de ces dernières années. Les chercheurs qui travaillent sur la problématique
d’insertion urbaine en Afrique ne devraient pas se limiter exclusivement aux problématiques
d’insertion résidentielle, économique et sociale dans les zones urbaines, ils feraient mieux
d’étendre les champs de leurs études aux zones rurales africaines. Les premières littératures sur la
problématique d’insertion urbaine présentent une autre insuffisance qui se situe dans le registre
de la définition des concepts. On remarque que les premiers chercheurs qui s’intéressent à la
problématique d’insertion socio-économique des migrants dans les zones urbaines font
difficilement la distinction entre le statut migratoire des migrants qu’ils étudient. Certains d’entre
eux ne font pas de différence entre des migrants internes et les immigrés, c’est-à-dire des
migrants qui viennent d’un pays étranger dans la production de leurs études. Les migrants en
provenance des zones rurales et ceux qui viennent de l’étranger sont souvent mélangés dans une
même base de données. Du coup, leur processus d’insertion économique et sociale dans les
zones urbaines est souvent étudié de la même manière. Ces chercheurs attribuent souvent les
mêmes chances d’insertion à ces deux groupes de migrants267
. Or, ce n’est pas le cas dans les
pays développés. Les chercheurs qui s’intéressent à la problématique d’insertion socio-
économique des migrants dans les pays développés font généralement la différence entre le statut
migratoire de ces migrants. Ils distinguent souvent des migrants internes des immigrés. Ceux qui
travaillent sur les immigrés ne centrent généralement leurs études que sur les migrants en
provenance des pays étrangers. Les statistiques qu’ils produisent lors de leurs études ne
concernent, par conséquent, que ces migrants étrangers. Et les résultats de ces recherches portées
sur les immigrés révèlent souvent une grande variation dans les modes d’intégration de ces
267 Comoé E.F (2006), Relations de genre et migration en Côte-d’Ivoire : De la décision de migrer à l’insertion
dans le marché du travail, thèse de doctorat de démographie, université de Montréal.
232
derniers dans leur pays d’accueil268
. L’intégration de ces immigrés varie souvent selon leur
origine nationale comme on avait dit dans plus haut.
Si la problématique d’intégration des migrants dans le contexte de la migration intra-africaine
s’est posée avec acuité aux chercheurs africanistes d’une manière générale depuis le séminaire de
Lomé ce n’est pas le cas pour celle concernant l’intégration des immigrants selon leur origine
nationale. L’intégration différentielle selon l’origine nationale des immigrés est encore peu
étudiée en Afrique Subsaharienne. En effet, une des rares études africanistes portant sur cette
problématique est celle de Victor Piché et d’Elise Fiédir Comoé intitulée : 269
. Nous allons
enrichir notre revue de la littérature grâce à cette étude. Il est important pour nous de comprendre
cette notion d’intégration différentielle, car nous allons l’utiliser dans cette thèse. En effet, nous
allons mesurer le degré d’insertion économique de nos populations cibles à savoir : les réfugiés
Congolais (RDC) et les réfugiés Tchadiens à Bangui. L’objectif ici est de montrer en quoi le
degré d’insertion économique peut varier d’une population à une autre. Les réfugiés Congolais
(RDC) ont-ils un meilleur niveau d’intégration économique que les réfugiés Tchadiens à Bangui
ou est-ce l’inverse ? Nous allons nous inspirer de l’étude Victor Piché et d’Elise Fiédir Comoé
afin de mettre en place des outils méthodologiques permettant de répondre à cette question.
268 (Tribalat, 1995-1996 ; Renault et al,1997 ; Dayen , Echardour et Claude ,1997 ; Piché et al, 2002 Héran
,2002 , Cahuc et al, 2002).
269 L’intégration des immigrants en Côte d’Ivoire, une analyse économique et sociale, université de Montréal,
2002.
233
2. L’INSERTION ECONOMIQUE DIFFERENTIELLE DES
MIGRANTS ETRANGERS AFRICAINS EN AFRIQUE DU SUD DU
SAHARA : LE CAS DES ETRANGERS AFRICAINS INSTALLES
DANS LES CENTRES URBAINS EN COTE D’IVOIRE.
La Côte d’Ivoire demeure l’un des plus grands pays d’immigration d’Afrique Subsaharienne
comme l’Afrique du Sud270
. En effet, la population étrangère représentait 26% de la population
ivoirienne en 1998. La majorité de cette population étrangère vient de l’Afrique de l’ouest. Les
immigrants présents en Côte d’Ivoire viennent principalement des pays suivants : Le Burkina-
Faso, le Mali et de la Guinée. Les ressortissants de ces pays représentent respectivement 56%,
19,8% et 5,8% de la population immigrante installée en Côte d’Ivoire.
Avant les années 1990, le problème d’intégration économique des immigrants ne se posait pas
en Côte d’Ivoire puisqu’on ne faisait pas de distinction entre les étrangers et les nationaux. Il y
avait vraiment une confusion dans l’imaginaire collectif sur ce sujet. C’était une période
d’insouciance du fait que le pays fonctionnait très bien surtout du point de vue économique. Les
Ivoiriens ne voyaient pas en l’étranger une source de problème, c’est-à-dire celui qui viendrait
prendre leur emploi. Le gouvernement ivoirien non plus ne se préoccupait pas de la question des
flux des étrangers.
Mais les choses ont changé au début des années 1990. La question d’immigration et
d’intégration va peu à peu avoir de l’écho au sein de l’opinion ivoirienne. Elle va également se
270(Russel, 1988) cité par Victor Piché et Elise Fiédir Comoe, in l’intégration des immigrants en Côte d’Ivoire,
une analyse économique et Sociale, Université de Montréal, année 2002.
234
poser au gouvernement ivoirien. Par conséquent, elle va être abordée dans un contexte de crise
économique et sociopolitique271
. Il faut noter que la Côte d’Ivoire, comme bon nombre de pays
d’Afrique Subsaharienne, était secouée par une crise économique, conséquence des mesures
d’ajustement structurel imposées par la Banque Mondiale, dans les années 1990. La question de
l’immigration devient peu à peu un sujet de préoccupation du gouvernement ivoirien pendant
cette période de crise. Cette question va également se poser aux chercheurs africanistes, surtout
celle de l’intégration différentielle selon l’origine nationale des immigrants installés en Côte
d’Ivoire. On peut alors cibler les ressortissants de certains pays qui s’intègrent bien et ceux qui
ont de la peine à s’intégrer à partir de cette mesure.
Victor Piché et Elise Fiédir Comoé vont se pencher sur cette problématique d’intégration
différentielle selon l’origine nationale des immigrants au sein de leur étude intitulée :
l’intégration des immigrants en Côte d’Ivoire, une analyse économique et Sociale272
. Selon ces
deux auteurs, l’origine nationale constitue un des facteurs déterminants de l’intégration
économique et sociale des immigrants en Côte d’ivoire. Pour ce faire, ils vont analyser
l’intégration socio-économique des trois groupes d’immigrants arrivés en Côte - d’Ivoire entre
1988-1993 à savoir les Burkinabés, les Maliens et les Guinéens. Pour tester leurs hypothèses de
travail, les deux auteurs ont utilisé les données de l’enquête Ivoirienne sur les migrations et
l’urbanisation réalisée en 1993. Les principales questions posées par ces deux chercheurs sont les
suivantes : comment ces immigrants réussissent-ils à accéder à un emploi, à se maintenir sur le
marché du travail et à obtenir des revenus relatifs à cet emploi ? Par quels mécanismes ces
immigrants parviennent-ils à s’intégrer socialement dans la société ivoirienne 273
? Au niveau
271(Breteloup, 1995) cité par Victor Piché et Elise Fiédir Comoe in l’intégration des immigrants en Côte d’Ivoire,
une analyse économique et Sociale, Université de Montréal, 2002.
272Les auteurs ont également développé la question de l’intégration économique différentielle selon le genre au
sein de cette étude. Nous n’allons pas nous appuyer sur cet aspect vu que cela ne concerne pas vraiment la
problématique de notre thèse.
273Nous n’allons pas nous appuyer vraiment sur le volet d’intégration sociale. Nous allons davantage nous
inspirer des analyses concernant le volet intégration économique.
235
individuel, les auteurs vont s’appuyer sur l’origine nationale des immigrants. Il s’agit de montrer
en quoi l’intégration économique peut varier d’une nationalité à une autre. Les Maliens ont-ils un
meilleur niveau d’intégration économique que les burkinabés en Côte d’Ivoire ? Est-ce les
Guinées qui ont un meilleur niveau d’intégration économique que les Burkinabés et les
Maliens en Côte-d’Ivoire ? Certaines études qui ont été faites dans les pays développés ont
montré de nettes variations dans l’intégration des immigrants selon leur origine nationale. Par
exemple, certaines études qui ont été faites aux Etats-Unis ont révélé que les immigrants
d’origine européenne installés aux Etats-Unis ont un meilleur un niveau d’intégration
économique que ceux d’origine latino-américaine. Une autre étude qui a été faite au Canada va
dans le même sens que celle des Etats-Unis. La conclusion de l’étude faite au sujet de
l’intégration différentielle des immigrants selon leur origine nationale au Canada est sans appel.
Il ressort de cette étude que les immigrants d’Europe de l’ouest ainsi que ceux d’Amérique du
nord ont un meilleur degré d’intégration économique que les immigrants originaires de l’Asie et
d’Afrique Subsaharienne274
. On a également réalisé ce même type d’étude en France permettant
de distinguer les immigrants selon leur degré d’intégration économique.
Voici en quelques lignes les résultats de l’étude de nos deux auteurs. Ils constatent que les
immigrants qui vivent en Côte d’Ivoire participent bien au marché du travail. Ils ont un taux
d’activité très élevé. Mais ce sont les Guinées qui participent le plus au marché du travail par
rapport aux autres migrants étrangers. Les Burkinabés participent plus au marché du travail
ivoirien que les Maliens. En effet, 69% de Maliens ont déclaré avoir un emploi pendant l’enquête
contre 75% de Burkinabés. Les auteurs de l’étude remarquent que les immigrants participent plus
au marché du travail ivoirien que les immigrantes. S’agissant des immigrantes, force est de
constater que leur taux de participation au marché du travail ivoirien varie selon leur origine
nationale. Ce sont les immigrantes Burkinabès qui ont un plus fort taux de participation sur le
274 Piché V ., et Comoe E.F (2002) in l’intégration des immigrants en Côte d’Ivoire, une analyse économique et
Sociale, Université de Montréal.
236
marché du travail que les autres immigrantes. En effet, 48% des immigrantes Burkinabès ont
déclaré avoir un emploi pendant l’enquête contre 39% des Maliennes et Guinéennes. Il faut noter,
par ailleurs, que la majorité de ces femmes sont, malgré tout , des femmes au foyer. En effet, la
proportion des femmes immigrantes qui ont une activité en Côte-d’Ivoire est relativement faible.
Il faut noter que les immigrants vivant en Côte d’Ivoire ont en majorité des emplois sous
qualifiés. Toutefois, un nombre restreint de ces immigrants a des emplois qualifiés. Les
immigrants d’origine guinéenne sont les plus nombreux à avoir des emplois qualifiés en Côte
d’ivoire par rapport aux autres immigrants. En effet, 10% des Guinéens présents en Côte d’Ivoire
ont déclaré avoir des emplois qualifiés.
Les auteurs constatent que l’origine nationale a un effet brut significatif sur le type d’activité
contrairement au sexe. Il ressort de l’analyse de régression mise en place par les auteurs que :
Les Guinéens ont 7 fois plus de chances d’exercer un emploi qualifié que les autres
immigrants.
Les Guinéens ont 7 fois plus de chance que les Burkinabés d’exercer un emploi qualifié
plutôt qu’un emploi non qualifié.
Les Guinéens ont 19 fois plus de chances que les Burkinabés d’exercer un emploi dans la
vente.
Les Maliens ont 9,4 fois plus de chances d’exercer un emploi dans la vente que les
Burkinabés.
Les résultats de cette étude présentent un caractère original puisqu’ils nous ont permis de saisir
la notion d’intégration différentielle selon l’origine nationale des immigrants. On peut conclure
que les immigrants s’intègrent bien économiquement en Côte d’Ivoire, mais cette intégration
économique varie d’une nationalité à une autre. On constate que les immigrants d’origine
guinéenne ont un meilleur niveau d’intégration économique que les autres immigrants installés en
Côte d’Ivoire, car ils ont plus de chance d’exercer un emploi qualifié que les autres immigrants.
237
Cela s’explique peut-être par un meilleur niveau de la scolarisation et de formation dans leur pays
d’origine ou par la solidité de leurs réseaux au niveau de la Côte d’Ivoire. En effet, la question de
l’intégration des immigrants en Côte - d’Ivoire se pose en termes de différence selon l’origine
nationale. En effet, toutes les nationalités présentes en Côte-d’Ivoire n’ont pas le même degré
d’intégration économique.
Qu’en est- t-il de l’intégration des immigrants en Afrique Centrale et celle des réfugiés urbains
en Afrique Subsaharienne ? Nous allons présenter dans la partie qui va suivre la problématique
d’intégration économique des immigrants en Afrique Centrale et celle des réfugiés urbains en
Afrique Subsaharienne.
238
3. L’INSERTION DES MIGRANTS AFRICAINS EN AFRIQUE
CENTRALE ET DES REFUGIES URBAINS EN AFRIQUE
SUBSAHARIENNE.
3.1 L’insertion économique des migrants étrangers africains en
Afrique Centrale : Le cas des migrants d’origine africaine installés
dans les centres urbains au Cameroun.
Le Cameroun, considéré comme un pays stable, attire de plus en plus de migrants étrangers
africains. Ces migrants africains qui vivent au Cameroun proviennent principalement de
l’Afrique de l’ouest. En effet, ces migrants ouest africains représentent environ 49% de la
population globale de migrants vivant au Cameroun dont les tiers sont des Nigérians. S’ajoutent à
ces migrants ouest africains des migrants d’Afrique centrale, ceux qui proviennent des pays de la
Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale, la CEMAC. Ces derniers
représentent environ 43 % de l’ensemble de migrants installés au Cameroun. On peut conclure
que les migrants d’origine africaine représentent plus de 94% de migrants étrangers vivant au
Cameroun d’après les statistiques de l’EESI (Enquête sur l’emploi et le secteur Informel au
Cameroun de l’année 2005).
La présence massive des étrangers au Cameroun pose un grand problème aux autorités du
pays. Car le Cameroun n’a pas suffisamment de moyens pour absorber ces flux importants de
migrants africains et surtout pour leur procurer un emploi. Le bassin de l’emploi du Cameroun,
étant très restreint, il ne peut pas à la fois absorber les nationaux et les étrangers. Même les
nationaux ont du mal à trouver un emploi dans ce bassin d’emploi. Le taux de chômage enregistré
au Cameroun suffit à confirmer qu’il existe bien une forte tension sur le marché du travail
camerounais surtout dans les centres urbains. Le taux de taux de chômage est de l’ordre de 14%
en 2007 au Cameroun selon l’Institut de Statistique camerounais.
239
Va alors se poser le problème de l’insertion économique de ces migrants africains. En effet,
ces migrants peuvent-ils vraiment faire face aux multiples tensions qui existent sur le marché du
travail camerounais ? Ont-ils des difficultés ou des facilités pour rentrer sur ce marché du travail?
Quels types d’emploi exercent-ils et dans quels secteurs d’activité ? Qu’est-ce qui détermine
vraiment l’insertion de ces migrants sur le marché du travail camerounais ? Félicien Fomekong,
un chercheur camerounais, va apporter quelques éléments de réponse à toutes ces questions dans
une de ses études dont le thème est le suivant : 275
Félicien Fomekong a utilisé les bases de données de l’enquête EESI (Enquête sur l’Emploi et
le secteur Informel) du Cameroun pour produire son étude. L’EESI a été réalisée par l’institut
National de la Statistique du Cameroun (INS) en 2005. Il faut noter que l’enquête EESI a couvert
l’ensemble du territoire camerounais et a porté sur un échantillon de 8500 ménages repartis dans
les zones urbaines et rurales. Les variables « nationalité » et « pays de naissance » utilisées au
sein de l’enquête ont permis à l’auteur de sélectionner les migrants d’origine étrangère. L’effectif
total des migrants d’origine étrangère dans l’échantillon de l’EESI est de 121.332. Et les migrants
africains représentent 94,8% de l’ensemble de cette population migrante, soit 11.5110 individus.
Il ressort de cette enquête que 49,1% des migrants africains vivant au Cameroun sont de sexe
féminin. Les hommes représentent un peu plus de la moitié de cette population, soit 50,9%.
La majorité de ces migrants sont mariés. Les mariés représentent ainsi 60% de la population
des migrants africains vivant au Cameroun. Le régime monogamique prédomine dans cette
population puisque 49,7% des mariages enregistrés lors de cette enquête sont monogamiques.
275 L’insertion des migrants africains dans le marché du travail au Cameroun
240
Force est alors de constater qu’une grande proportion de ces migrants est constitituée des
célibataires. Les célibataires représentent 36,2% de cette population étrangère.
La population des migrants africains installés au Cameroun est relativement jeune. En effet,
48,7% de ces migrants sont âgés de 30 à 40 ans selon les statistiques descriptives de l’EESI.
La proportion des personnes ayant un âge élevé est relativement faible dans cette population,
seulement 14% de cette population est âgé de 50 ans et plus.
S’agissant de la religion, les migrants sont partagés entre le christianisme et l’islam. En effet,
les chrétiens sont majoritaires dans cette population. Ils représentent 60,8% de cette population
étrangère contre 29,8% de musulman. Ces chrétiens sont majoritairement catholiques. Car, ils
représentent environ 33,6% de cette population chrétienne.
Les migrants d’origine africaine vivant au Cameroun ont un faible niveau d’instruction. En
effet, 43% sont non scolarisés , c’est-à-dire qu’ils n’ont aucune instruction. Le niveau
d’instruction des migrants africains installés au Cameroun est bas par rapport au niveau national
camerounais. Car seulement 27% de la population n’est pas scolarisée au Cameroun contre 43%
pour celle des migrants africains. La proportion des personnes ayant un niveau d’instruction élevé
est relativement faible dans cette population étrangère. Seulement 2,1% des individus composant
cette population étrangère ont un niveau d’instruction supérieur ou élevé. En effet, les migrations
intra-africaines touchent davantage des personnes non scolarisées et peu qualifiées 276
.
276 Les données d’une enquête portée sur les migrants subsahariens installés au Maroc vont dans le même sens
que celles de l’EESI du Cameroun . Il ressort des données de l’enquête : Profil des migrants subsahariens au Maroc
241
Il faut noter que 52,8% de ces migrants africains vivent dans les zones rurales et 47% vivent
dans les zones urbaines. Ce sont les villes de Yaoundé, la capitale politique et la ville de Douala,
la capitale économique, qui absorbent la plus grande proportion des migrants africains urbains.
Ces villes accueillent respectivement 13 % et 12% des migrants africains résidant au Cameroun.
Selon l’auteur, les migrants d’origine africaine n’ont pas vraiment de problèmes d’insertion
économique au Cameroun. D’après les statistiques descriptives de l’EESI, le taux de chômage au
sein de la population migrante d’origine africaine est de l’ordre de 1,9%, taux très faible par
rapport au niveau national. On note, par ailleurs, que plus de 79% de cette population étrangère
africaine est constituée des actifs occupés. Cette population a donc un fort taux de participation
sur le marché du travail camerounais. Rappelons que le taux d’activité global de cette population
étrangère est de l’ordre de 81%, un taux largement supérieur à celui du niveau national qui est de
l’ordre de 67%. Ce qui signifie que les migrants d’origine africaine vivant au Cameroun
participent plus au marché du travail camerounais que les nationaux camerounais. Il faut noter,
par ailleurs, que ce taux d’activité varie selon le sexe des migrants. Le taux d’activité est de 86,
2% chez les migrants de sexe masculin contre 69,5% chez leurs homologues féminins. L’écart
entre ces deux taux d’activité est très significatif. Il est de l’ordre de 17%. Ce qui signifie que les
migrants africains masculins participent plus au marché du travail au Cameroun que les migrantes
africaines.
Les résultats de cette étude révèlent également que la propension à travailler pour un migrant
d’origine africaine croît avec l’âge et le niveau d’instruction. Ce qui revient à dire que les
2007 que plus de 31% des migrants africains installés au Maroc ont aucun niveau d’instruction , plus de 32% de cette
même population n’ont qu’un niveau primaire. Source : AMER (Association Marocaine d’Etudes et de Recherches
sur les Migrations ) et CISP (Comité International pour le Développement des Peuples ) ., (2007), Synthèse des
principaux résultats de l’enquête : « profil des migrants sunsahareins au Maroc 2007 », Rabat, Maroc, p2-6.
242
migrants qui ont un niveau d’instruction élevé ont plus de chance d’accéder à l’emploi au
Cameroun que ceux qui ont un faible niveau d’instruction. Et que les migrants qui ont un âge
moins élevé (15 à 25 ans), c’est-à-dire les jeunes, auront moins de chance d’accéder à l’emploi au
Cameroun que ceux qui ont un âge intermédiaire (25 à 40 ans). Par contre, la chance d’accès à
l’emploi pour un migrant baisse lorsqu’il a un âge plus élevé (50 ans et plus).
L’auteur passe par le modèle de la régression logistique pour déterminer l’influence des
caractéristiques sociodémographiques sur le statut d’occupation. Il ressort de ce modèle que :
Les migrants africains de sexe masculin ont sensiblement 3,3fois plus de chances d’être
occupés sur le marché du travail camerounais que les migrants africains de sexe féminin. Les
migrants vivant en milieu rural ont 3, 3fois plus de chances d’être occupés que ceux du milieu
urbain.
Force est de constater que les emplois que les migrants africains occupent au Cameroun sont
davantage concentrés dans le secteur agricole. En effet, selon les données de l’EESI, 38,7% des
migrants d’origine africaine qui vivent au Cameroun travaillent dans le secteur agricole. Le
secteur industriel et commercial emploient également 21% des migrants africains actifs. Par
contre, le secteur des services, n’emploie qu’une faible proportion de cette population, seulement
17,7% . Ces migrants sont davantage concentrés dans le secteur primaire à cause de leur faible
niveau d’instruction. L’entrée dans ce secteur d’activité ne nécessite généralement aucune
qualification et pas de niveau d’instruction particulier, ni aucun savoir faire agricole. Par contre,
l’entrée dans les secteurs secondaire (industrie) et tertiaire (les services) est plus difficile. Seules
les personnes qui ont un niveau d’instruction et de qualification élevés accèdent généralement à
ces secteurs d’activité économique. En effet, les quelques 17,7 % des migrants africains qui
travaillent dans le secteur tertiaire au Cameroun sont ceux qui ont un niveau d’instruction très
élevé. Ces derniers sont les seuls capables de faire face à la compétition des actifs camerounais
243
dans ce secteur d’activité. Car les emplois de ce secteur sont les plus valorisés, les mieux
rémunérés et les plus sûrs. Par conséquent, les nationaux les préfèrent par rapport aux emplois du
secteur primaire qui sont moins valorisés et moins rémunérés. Les nationaux font généralement
tout pour empêcher les étrangers d’accéder à ces emplois valorisés.
En effet, le secteur tertiaire est très sélectif au Cameroun à la différence du secteur primaire
qui absorbe tout le monde. On note que le secteur primaire absorbe les migrants quelque soit leur
sexe. En revanche, on constate que les migrantes africaines sont presque inexistantes dans le
secteur tertiaire de l’économie camerounaise.
D’après l’auteur de cette étude, dans l’ensemble, les migrants africains installés au Cameroun
travaillent en majorité dans le secteur informel. En effet, le secteur informel occupe 74,8% des
migrants africains (dont 43,9% dans le secteur informel non agricole et 30,9% dans le secteur
informel agricole). A noter que le secteur formel n’emploie que 5,1% des migrants d’origine
africaine 277
. La forte concentration des migrants d’origine africaine dans le secteur informel
s’explique à la fois par leur faible niveau d’instruction et par les difficultés qu’ils ont pour
accéder aux emplois modernes. Car les migrants étrangers ont généralement plus de difficulté à
accéder aux emplois modernes que les natifs des pays qui les accueillent dans le contexte de la
migration en Afrique subsaharienne. La législation du travail prône souvent la notion de
préférence nationale dans bon nombre de pays africains du sud du Sahara et notamment au
Cameroun. Par conséquent, les étrangers se trouvent être exclus par ces législations. Ils sont le
plus souvent discriminés sur le marché du travail formel. On note , d’après cette étude, que la
migration au Cameroun d’Afrique du sud du Sahara a seulement permis aux migrants africains
présents au Cameroun de s’insérer professionnellement sur le marché du travail Camerounais .
Par contre, comme à Ouagadougou et à Abidjan, elle n’a pas permis à ces migrants étrangers
244
d’améliorer effectivement leur condition de vie. Cette situation décrite est vraie dans bon nombre
de pays d’Afrique Subsaharienne.
245
Graphique 5.1 : Répartition des migrants africains occupés au Cameroun selon le secteur
d’activité.
Source : Graphique réalisé à partir des données d’EESI.
Graphique 5.2 : Répartition des migrants africains occupés au Cameroun selon les secteurs
institutionnels.
Source : Graphique réalisé à partir des données d’EESI.
246
3.2 La difficile insertion économique des réfugiés urbains en
Afrique Subsaharienne : Le cas des réfugiés installés dans les
centres urbains de Benin.
Une des rares études d’une grande portée concernant la problématique de l’insertion
économique des réfugiés dans les zones urbaines en Afrique du sud du Sahara est celle de René
Daugé et Richard Feukeu réalisée au Benin en 2005 dans le cadre d’une coopération technique
entre le HCR et le BIT (Bureau International du Travail)278
. Il est certain qu’une telle étude peut
apporter des réponses aux innombrables questions généralement posées sur la problématique de
l’insertion économique des réfugiés dans un environnement urbain en Afrique Subsaharienne.
Car cette problématique qui préoccupe généralement peu les organisations humanitaires et les
chercheurs doit, malgré tout, être développée. Pour ce faire, il nous semble important de présenter
la conclusion de cette étude au sein de cette revue de la littérature.
Les objectifs généraux de l’étude de ces deux auteurs sont notamment de :
Analyser le marché de l’emploi à Porto-Novo et à Natitingou, deux grandes villes du
Benin.
Identifier les secteurs dynamiques et pourvus en emplois de ce marché du travail, secteurs
dans lesquels les réfugiés peuvent trouver facilement le travail.
Evaluer les compétences des réfugiés installés dans les villes de Cotonou, de Kpomasse et
de Porto Novo.
Développer une stratégie permettant aux réfugiés d’être autonome dans les zones
urbaines ; les inciter à avoir une activité dite génératrice de revenu (AGR).
Evaluer les actions d’intégration mises en place par le HCR en faveur des réfugiés
installés au Benin.
278Daugé R., et Feukeu R., (2005), Renforcement de l’insertion professionnelle des Réfugiés au Benin, HCR-BIT.
247
Afin d’atteindre les objectifs décrits ci-haut, ces deux auteurs ont mis en place une opération
de collecte de données. En effet, une enquête a été conçue dans le cadre de cette étude. Cette
enquête a été initiée par le BIT et réalisée par le Cabinet d’étude Afric Performance avec l’appui
logistique et humain du HCR du Benin.
Cette enquête a porté sur une population des réfugiés âgés de plus de 18 ans arrivés au Benin
entre 1996 et 2004 et originaires des pays suivants : Le Congo-Brazzaville, le Rwanda, le Tchad ,
le Togo. Ces réfugiés sont tous statutaires depuis au moins un an au Benin.
666 individus furent sélectionnés pour répondre aux questions posées dans le questionnaire
mis en place à cet effet, soit environ 10% de la population cible, c’est-à-dire celle représentant les
individus des 4 nationalités choisies initialement et représentative des réfugiés vivant en milieu
urbain à Cotonou et dans le camp de Kpomasse.
Les questionnaires administrés à ces enquêtés portent sur cinq (5) thèmes qui sont les
suivants : L’Etat-Civil ; Le Profil Professionnel ; L’Utilisation des services du HCR depuis
l’arrivée au Benin ; La Situation du réfugié au moment de l’enquête ; Le Projet Professionnel du
réfugié.
Il ressort de l’enquête que les réfugiés de sexe masculin prédominent dans la population des
réfugiés installés dans les villes choisies pour l’étude. Ils représentent environ 62% de cette
population. Les réfugiés de sexe féminin représentent seulement 38% des réfugiés installés dans
les centres urbains béninois.
248
La majorité de ces réfugiés est jeune. En effet, environ 60% des réfugiés vivant dans les zones
urbaines de Benin ont entre 26ans et 40 ans. 1 réfugié sur 2 de sexe masculin vivant dans les
zones urbaines béninoises est célibataire. A noter que seulement 3 réfugiés de sexe féminin sur
10 vivant dans les zones urbaines béninoises sont célibataires.
Les réfugiés présents dans les zones urbaines béninoises ont généralement acquis un niveau de
formation et d’instruction élevé dans leur pays d’origine avant de migrer au Benin. D’après les
données de cette étude, plus de 53% des réfugiés ont un niveau supérieur au Baccalauréat.
Tableau 5.1 : Répartition des réfugiés installés dans le centre urbain au Benin selon le niveau
d’instruction et le genre (Ville de Cotonou et le Camp de Kpomasse).
Diplômes obtenus Homme (en%) Femme (en %)
CEP 10 23
BEPC 15 15
BAC 34 27
BTS (BAC + 2) 11 6
LICENCE 9 4
MAITRISE 4 3
DEA/DESS/BAC+5 1 0
DOCTORAT 1 0
FORMATION EN APPRENTISSAGE 10 14
AUCUN 4 8
ENSEMBLE 100 100
Source : Daugé R., et Feukeu R., (2005), Renforcement de l’insertion professionnelle des réfugiés
au Benin, HCR-BIT.
On constate que le niveau d’instruction des réfugiés installés dans les centres urbains béninois
varie d’une nationalité à une autre. Les réfugiés de nationalité togolaise possèdent le plus faible
niveau d’instruction par rapport à ceux d’autres nationalités. En effet, environ 3 réfugiés togolais
249
sur 10 étaient apprentis dans leur pays d’origine, 26% avaient un niveau BEPC, 26% avaient un
niveau CEP et 9% n’avaient aucun niveau d’instruction. En somme, plus de 8 réfugiés Togolais
sur 10 ont un niveau d’instruction inférieur au baccalauréat.
Ce sont les réfugiés originaires de Congo-Brazzaville qui sont les plus instruits parmi les
réfugiés vivant dans les centres urbains béninois. En effet, plus de 67% des réfugiés Congolais de
Brazzaville ont un niveau d’instruction supérieur au Baccalauréat. Les autres nationalités ont plus
ou moins le même niveau d’instruction.
Il demeure important de signifier que la plupart de ces réfugiés présents au moment de l’étude
avaient un emploi dans leur pays d’origine avant de migrer au Benin. Ils évoluaient dans
plusieurs professions. Ils étaient militaires, personnels enseignants, comptables, vendeurs,
artisans du textile, coiffeurs, salariés de la restauration dans leur pays d’origine.
En effet, force est de constater, d’après les données de cette étude, que Le capital
professionnel acquis par ces réfugiés dans leur pays d’origine n’a pas permis à ces derniers de
s’insérer sans difficulté sur le marché du travail dans les zones urbaines béninoises. En fait, un
grand nombre de ces réfugiés sont parfois obligés de recourir aux services d’intégration du HCR
du Benin pour suivre des formations complémentaires sans quoi leur intégration dans la société
béninoise serait compromise. Ces formations organisées ou financées par le HCR dans des
domaines tels que le droit, les sciences humaines et sociales, l’informatique, la restauration, le
textile, la confection, la coiffure sont très pratiques et répondent généralement aux besoins
concrets du marché du travail béninois. Par conséquent, les réfugiés qui passent par ces
formations ont généralement une meilleure intégration économique et sociale au Benin que les
autres. C’est la raison pour laquelle le HCR du Benin met un accent particulier sur la formation
de ces réfugiés. Car, la qualification acquise par le biais de ces différentes formations va
conditionner la réussite de l’intégration économique et sociale de ces réfugiés. Le HCR du Benin
250
joue donc un rôle capital dans le processus d’intégration économique des réfugiés qu’il assiste. Sa
politique en matière d’intégration repose entre autres sur le développement du capital humain et
professionnel et sur les activités dites génératrices de revenu. Mais cette politique est-elle
vraiment efficace ? Quelle est vraiment la situation des réfugiés par rapport à l’emploi dans les
centres urbains béninois ?
La situation des réfugiés qui vivent dans les zones urbaines béninoises par rapport à l’emploi
est très précaire. D’après les données de l’enquête sur l’insertion professionnelle des réfugiés
dans les centres urbains du Benin, près de 8 réfugiés sur 10 sont au chômage au moment de
l’enquête, seulement 14,5% des réfugiés ont un emploi salarié, dont 12,5% occasionnel279
. Les
réfugiés du sexe masculin s’insèrent, encore une fois, mieux sur le marché du travail urbain au
Benin et ont un meilleur taux d’activité que les femmes. D’après les données dont nous
disposons, 15% des réfugiés de sexe masculin ont un emploi salarié occasionnel au moment de
l’enquête, 3,2% ont un emploi salarié permanent, environ 70 % de ces réfugiés ont déclaré
n’avoir aucune activité et 4% disent avoir une activité génératrice de revenus, appelée
communément l’AGR.
Les réfugiés de sexe féminin ont, par ailleurs, une grande difficulté à s’insérer
professionnellement sur le marché du travail urbain au Benin. En effet, environ 80% d’entre elles
ont déclaré n’avoir aucune activité, seulement 8% d’entre elles ont des emplois occasionnels et
8,9% ont des activités génératrices de revenu au moment de l’enquête.
279 René Daugé et Richard Feukeu, Renforcement de l’insertion professionnelle des Réfugiés au Benin, HCR-BIT,
année 2005, Op. Cit .p 17.
251
On constate que les taux d’activité des réfugiés vivant dans les centres urbains béninois varient
selon le niveau d’instruction. Les réfugiés qui ont un fort niveau d’instruction ont un taux
d’inactivité moins élevé. Il en va de même pour les réfugiés formés par apprentissage. Les
réfugiés qui ont atteint un niveau de licence ou de maîtrise ont un taux d’inactivité avoisinant
70% contre 68% pour ceux qui sont formés par apprentissage. La formation par apprentissage
augmente donc davantage la chance au réfugié de trouver un emploi sur le marché du travail
urbain béninois.
Certains réfugiés sont obligés de se tourner vers les activités génératrices de revenus dans les
centres urbains béninois pour chercher leur gagne pain quotidien. Force est alors de constater que
ces activités dites génératrices de revenu sont le plus souvent pratiquées par les réfugiés qui ont
un faible niveau d’instruction et de qualification. Les réfugiés togolais pratiquent davantage
l’AGR dans les centres urbains béninois que les réfugiés d’autres nationalités à cause de leur
faible niveau d’instruction. La majorité des réfugiés de sexe féminin tire également ses revenus
des activités dites génératrices de revenu. Nombreuses parmi elles font des tontines 280
ou des
petits commerces pour gagner de l’argent. Il faut noter que l’AGR est un volet du programme
d’intégration mis en place par le HCR du Benin.
280 La tontine est une institution d’épargne et de crédit solidaire. Les personnes, membres d’une tontine cotisent
de l’argent selon une fréquence admise par tous les membres. Les membres de la tontine reçoivent à tour de rôle le
capital cotisé par chaque membre. Celui qui a reçu le capital doit cotiser pour les autres jusqu’à la fin de la rotation.
Lire Kane A., (2010), tontines, caisses de solidarité et banques ambulantes, univers des pratiques financières
informelles en Afrique, Paris, Harmattan, p5 - 20.
252
En effet, pour inciter les réfugiés installés dans les centres urbains en Afrique du sud du
Sahara à être autonomes financièrement, le HCR octroie généralement des microcrédits à ces
derniers afin de les pousser à se lancer dans des activités génératrices de revenu au lieu de
compter uniquement sur les emplois salariés plus difficiles à décrocher. Le HCR est bien
conscient de la difficile situation économique de ces pays africains, une situation économique très
instable qui ne favorise pas le développement du marché du travail. C’est la raison pour laquelle
cet organisme ne peut pas miser uniquement sur les emplois salariés pour intégrer les réfugiés
installés dans les centres urbains africains. Pour ce faire, il va faciliter des prêts aux réfugiés en
faisant l’impasse sur les risques liés au remboursement. Les réfugiés de sexe féminin bénéficient
plus de ces microcrédits. En fait, 63% des réfugiés de sexe féminin interrogés lors de l’enquête
sur l’insertion professionnelle des réfugiés dans les centres urbains béninois ont déclaré avoir
bénéficié des microcrédits du HCR du Benin. Mais, ce microcrédit, dont la somme est souvent
très insignifiante ne permet pas généralement à ces réfugiés d’accroitre leur activité. Par
conséquent, ils sont parfois obligés de chercher d’autres sources de revenu pour développer les
activités génératrices de revenu. La plupart des réfugiés ayant bénéficié du microcrédit pour se
lancer dans l’AGR ont déclaré que celui-ci n’a pas amélioré leur activité 281
. L’AGR ne serait
pas à notre sens une meilleure solution au problème d’intégration économique des réfugiés
puisqu’elle n’a pas permis à la plupart des réfugiés vivant dans les centres urbains béninois de
bâtir une autonomie financière.
En somme, les quelques données présentées au sein de cette étude nous ont permis d’esquisser
la problématique d’insertion professionnelle des réfugiés installés dans les centres urbains au
Benin et dans une moindre mesure de ceux de la plupart des pays d’Afrique noire. On remarque,
d’après les données de cette étude, que ces réfugiés éprouvent bien des difficultés à s’insérer
professionnellement dans les centres urbains au Benin. En effet, la difficile intégration
281 Daugé R., et Feukeu R., (2005), Renforcement de l’insertion professionnelle des Réfugiés au Benin, HCR-
BIT, p 19.
253
économique des réfugiés dans les zones urbaines béninoises s’explique entre autres par rapport
aux éléments suivants :
i) Le contexte macroéconomique du Benin comme celui de la plupart des pays d’Afrique noire
n’est pas favorable au développement du marché du travail puisqu’il présente plusieurs fragilités.
En effet, l’économie du Benin est faiblement financée. Le taux d’investissement et de
financement de l’économie du Benin est relativement faible d’après René Daugé et Richard
Feukeu. Cette économie a donc besoin de capitaux pour son développement. En effet, le taux de
croissance économique du Benin a également fléchi ces dernières années. Ce taux de croissance
qui était de l’ordre de 5,3% entre 1996 et 2003 a fortement baissé et se retrouve à 2,7% en 2005,
l’année de la réalisation de l’étude sur l’insertion professionnelle des réfugiés dans les centres
urbains béninois282
. Les exportations du Benin ont également chuté ces dernières années suite au
ralentissement des activités du secteur coton. En effet, la chute des activités cotonnières se
trouve être à l’origine de la mauvaise performance du secteur primaire de l’économie béninoise et
dans une moindre mesure de la croissance économique du Benin de ces dernières années.
L’économie béninoise qui présente plusieurs fragilités énumérées ci-haut ne peut pas favoriser
le développement du marché du travail. Le ralentissement des activités du secteur primaire a eu
nécessairement un impact sur le marché du travail et serait à l’origine de la destruction de milliers
d’emplois surtout dans les centres urbains béninois.
Force est alors de constater que le marché du travail béninois présente les mêmes
caractéristiques que celui de la plupart des pays africains du sud du Sahara. Le secteur informel,
se développe, se dynamise et prend le relais du secteur moderne sur le marché du travail. Il faut
282 Ibip . p 5.
254
noter que 8 actifs sur 10 vivant au Benin évoluent dans le secteur informel. En fait, seulement 5%
de Béninois évoluent dans le secteur moderne de l’économie. La tension se généralise de plus en
plus sur le marché du travail formel et informel au Benin comme dans la plupart des pays
d’Afrique du sud du Sahara. Car le secteur informel qui a pu compenser le manque d’emploi du
secteur moderne ces dernières années se fragilise de plus en plus surtout dans les centres urbains.
En effet, ce secteur, de plus en plus saturé, ne peut plus absorber tous les actifs qui n’ont pas pu
trouver leur compte dans le secteur moderne. Les sous-emplois se développent comme dans
d’autres pays d’Afrique Subsaharienne. Et ces ses sous-emplois sont généralement payés au
dessous du smig imposé par l’Etat.
Il va de soi que les immigrants et les réfugiés installés au Benin et dans une moindre mesure
ceux qui vivent dans les centres urbains du pays éprouvent des difficultés à s’insérer
professionnellement sur le marché de travail. En effet, comment trouver son compte sur un
marché du travail très saturé dans lequel il existe de vive tension entre les actifs et qui ne parvient
pas absorber une grande proportion de la population autochtone ? Il semble difficile, dans une
telle situation, de trouver des secteurs qui pourraient facilement offrir des emplois à des réfugiés.
C’est la raison pour laquelle ils sont obligés de se battre comme les autochtones pour se faire de
la place sur ce marché du travail. Ils deviennent des acteurs au même titre que les autochtones
dans leur processus d’insertion professionnelle dans le contexte urbain même s’ils sont encadrés,
assistés, aidés par le HCR et les organisations humanitaires internationales et nationales. Leur fort
taux d’inactivité dans les centres urbains béninois s’explique par la difficile situation de
l’économie du pays qui ne favorise pas le développement ni le dynamisme du marché du travail.
Le bassin de l’emploi du pays se rétrécit et n’offre pas beaucoup de possibilité d’emplois
modernes aux actifs qui se présentent sur le marché du travail. Les emplois disponibles sont
davantage informels.
ii) Le statut de réfugié se présente également comme un handicap sur le marché du travail. En
effet, ce statut est parfois très ambigu du fait qu’il peut être à la fois avantageux et
désavantageux. D’aucuns pensent que le statut de réfugié est un statut privilégié, car, il permet de
bénéficier de la protection et des services des Nations Unies. En effet, le réfugié est protégé par
255
les instances des Nations unies, il est suivi, accompagné, assisté par les organisations onusiennes
et humanitaires tout au long de son processus d’intégration sociale au sein du pays qui l’accueille.
Ce traitement fait de lui un privilégié par rapport aux autres migrants. Par conséquent, le statut
de réfugié est un statut avantageux.
Mais, on doit constater que ce statut de réfugié peut, par ailleurs, être désavantageux. En effet,
beaucoup de réfugiés vivent généralement dans la peur au sein de leur pays d’accueil. Du coup ,
ils se résignent parfois à se dévoiler au grand public au risque d’être mal vu, d’être mal jugés, mal
traités . Certains préfèrent même vivre cachés. Ils s’efforcent d’être invisibles là où ils se trouvent
afin d’éviter tout soupçon. Cette situation de repli-sur soi demeure un handicap pour ces réfugiés.
Car, c’est en s’ouvrant aux autres que ces derniers peuvent avoir des informations sur les
emplois. Les informations sur l’emploi circulent généralement dans les réseaux sociaux dans les
pays d’Afrique noire comme nous avions dit dans les précédentes pages. A force de chercher à se
protéger, ces réfugiés finissent par être invisibles dans la vie sociale des pays qui les accueillent
et dans une moindre mesure sur le marché du travail de ces pays. Du coup, il sera difficile pour
eux de trouver une situation convenable sur ce marché de travail. Car, il faut s’appuyer sur les
réseaux pour trouver un emploi sur ce marché du travail. Or, il est difficile de créer des réseaux
lorsqu’on vit caché.
iii) Le réfugié qui se voit attribuer un crédit pour se lancer dans une activité génératrice de
revenu n’est plus motivé sur le marché de travail. Il va nécessairement se contenter de cette
activité et fuir la difficulté du marché du travail. Il va se cacher derrière cette activité et sera
enclin à continuer à vivre de l’assistanat. Le HCR doit en principe miser davantage sur l’emploi
pour intégrer ses réfugiés au lieu de compter sur les activités génératrices de revenu qui se
trouvent être des solutions non soutenables et durables. En effet, ces activités dites génératrices
de revenu devraient davantage être considérées comme des solutions de pluriactivité283
.
283Ibid. p 26.
256
Autrement dit, elles devraient compléter une activité professionnelle déjà stable et se positionner
seulement comme une activité secondaire. Les revenus tirés de ces activités devraient compléter
les faibles revenus de ces réfugiés puisque la plupart d’entre eux ont des emplois précaires et
sous-payés.
Ces réfugiés peuvent avoir un niveau de vie semblable à celui d’un Béninois moyen dans les
centres urbains béninois à condition de se lancer dans la pluriactivité. La faible participation des
réfugiés au marché du travail urbain au Benin s’explique entre autres par le fort taux de
participation de ces derniers aux activités génératrices de revenu, surtout les réfugiés de sexe
féminin. En effet, ces activités détournent généralement les réfugiés du marché du travail dans
lequel ils devraient chercher un emploi susceptible de leur garantir des revenus dans la durée.
iv) La plupart des réfugiés qui peinent à s’intégrer économiquement dans les centres urbains
béninois sont généralement ceux qui ont du mal à mettre en place un projet professionnel
cohérent. En effet, l’absence de toute démarche d’élaboration d’un projet professionnel cohérent
de la part du réfugié a pour conséquence la réduction de l’employabilité et l’affaiblissement du
taux d’accessibilité au marché du travail284
. En effet, la plupart des réfugiés qui ont un emploi
salarié dans les centres urbains béninois sont ceux qui ont eu à présenter un projet professionnel
au service d’intégration du HCR du Benin. Ces projets sont souvent très pragmatiques et
répondent dans la plupart des cas aux besoins du marché du travail béninois. Les réfugiés qui ont
un projet professionnel cohérent sont généralement bien suivis par le HCR tout au long de leur
processus d’intégration sociale. Ils bénéficient généralement de conseil, d’information, de
formation de la part de cet organisme. Leur parcours d’accès à l’emploi est plus facilité grâce à
tous les dispositifs mis en place par le HCR. Du coup, ils ont plus de chance d’accéder à l’emploi
que leurs homologues qui ne se sont pas présentés au service d’insertion du HCR pour un suivi à
l’insertion professionnelle ou qui n’ont pas présenté un projet professionnel à cet organisme.
284Ibid p 26.
257
v) Les réfugiés ont généralement du mal à avoir des informations sur les offres d’emploi qui se
présentent sur le marché du travail urbain béninois. Ils se référent, dans la plupart des cas, au
HCR et aux autres organismes humanitaires dans leur démarche d’accès à l’emploi. Or, les
informations concernant les offres d’emploi sont généralement détenues dans les agences
nationales spécialisées sur les emplois ou d’autres organismes privés. Force est de constater
qu’un grand nombre de ces réfugiés ont une mauvaise connaissance de ces organismes. Il faut
aussi noter que les informations concernant les offres d’emploi passent aussi généralement par le
bouche à oreille dans les pays d’Afrique noire et dans une moindre mesure dans les centres
urbains béninois. Ce sont généralement les nationaux qui détiennent ces informations. Les
réfugiés sont donc lésés par rapport aux autres dans cette transmission d’information concernant
les offres d’emploi disponibles. Du coup, ils se trouvent donc moins armés que les nationaux sur
le marché du travail. Ce manque d’information sur les offres d’emploi demeure un handicap
majeur pour l’accès à l’emploi des réfugiés dans les centres urbains béninois.
En somme, l’étude de René Daugé et de Richard Feukeu que nous avons exploitée dans le
cadre de cette revue de la littérature a clarifié plusieurs questions que nous nous posions sur la
problématique d’insertion professionnelle des réfugiés dans les centres urbains en Afrique du Sud
de Sahara. Cependant, cette étude présente quelques limites qui méritent d’être soulignées.
258
Cette étude présente tout d’abord une limite d’ordre méthodologique. En effet, l’enquête que
les auteurs ont conçue pour mesurer la participation des réfugiés sur le marché du travail dans les
centres urbains béninois est exclusivement quantitative. Et la méthode qu’ils ont choisie pour
traiter les données de cette enquête est totalement descriptive. Or, on ne peut se limiter
exclusivement une méthode quantitative lorsqu’on veut traiter des données concernant la
problématique d’insertion professionnelle des migrants. Les auteurs de cette étude devraient, à
notre sens, compléter les données quantitatives de cette enquête avec des données qualitatives
afin de toucher toute la dimension de la problématique de l’insertion professionnelle de ces
migrants réfugiés. Ils devraient, en principe, intégrer des questions ouvertes au sein des
questionnaires qu’ils ont conçus pour cette enquête, ce qui permettrait de recueillir d’autres
informations, lesquelles viendraient compléter celles contenues dans les statistiques descriptives
de cette étude. En effet, ces réfugiés auraient pu donner plus de détails sur leur parcours ou
trajectoire professionnelle dans les centres urbains béninois si on leur avait posé des questions
ouvertes. Les migrants donnent généralement des détails sur leur trajectoire professionnelle sous
forme de récit, communément appelé « biographie professionnelle ».
L’enquête que ces deux auteurs ont conçue pour cette étude ressemble davantage à une
enquête sur l’emploi en milieu urbain. Les questions migratoires ne sont nullement abordées au
sein de cette enquête. Or, les réfugiés qu’ils étudient à travers cette enquête sont des migrants. Par
conséquent, ils devraient, à notre sens, intégrer le thème de « migration » au sein de cette
enquête. Il serait souhaitable qu’ils décrivent l’itinéraire migratoire de ces migrants réfugiés,
qu’ils interrogent ces réfugiés sur leur date d’arrivée au Benin, sur la date de leur premier emploi,
sur le secteur d’activité de leur premier emploi, sur le secteur d’activité de leur emploi au
moment de l’enquête , sur les revenus de leur travail, sur le nombre de fois qu’ils ont changé
d’emploi depuis qu’ils sont installés dans les centres urbains béninois. Il est souhaitable que les
thèmes de l’emploi et de migration soient traités ensemble dans une même enquête lorsqu’il
s’agit de mesurer la participation des migrants au marché du travail urbain. Cela permettrait
d’analyser le processus d’insertion professionnelle de ces migrants d’une manière longitudinale et
transversale, ce qui n’est pas le cas pour cette étude. On remarque que les auteurs de celle-ci ont
259
analysé la problématique d’insertion professionnelle des migrants réfugiés sous un angle
exclusivement transversal.
A lire ces deux auteurs, on croirait qu’il existe seulement une seule structure qui est chargée
de l’insertion socioprofessionnelle des réfugiés en Afrique noire, le HCR. En effet, ces auteurs
présentent le HCR comme la seule structure qui intervient tout au long du processus d’insertion
professionnelle des réfugiés en Afrique noire. Ils font l’impasse sur les autres structures qui
participent également activement à l’insertion socioprofessionnelle des réfugiés dans cette partie
du monde. En effet, plusieurs organisations nationales autres que le HCR s’intéressent aussi au
problème d’insertion des réfugiés en Afrique. Mais les structures qui agissent en amont et qui
jouent un rôle très important dans le processus d’insertion de ces réfugiés dans les centres urbains
demeurent les réseaux familiaux et communautaires. Il demeure important de signifier que la vie
des réfugiés dans les centres urbains en Afrique noire dépend grandement de leurs réseaux
familiaux et communautaires. Ces réfugiés sont généralement accueillis par les membres de ses
réseaux dès leur arrivée dans les centres urbains. Ce sont les mêmes membres de ces réseaux qui
vont les assister et les accompagner dans leur recherche d’emploi. Ce sont généralement eux qui
leur trouvent leur premier emploi. En définitive, ces réseaux familiaux et communautaires jouent
un rôle important dans le processus d’insertion des réfugiés dans les centres urbains au Benin
comme dans la plupart des pays d’Afrique noire au même titre que le HCR. Les auteurs semblent
avoir oublié tous ces aspects.
En conclusion, les différents thèmes abordés dans cette partie d’étude consacrée à la revue de
la littérature relative à la problématique d’insertion professionnelle des immigrants africains dans
les centres urbains d’Afrique Subsaharienne nous ont permis de faire ces observations:
260
Que le marché du travail fonctionne presque de la même façon dans les trois pays de notre
d’étude à savoir : La République Démocratique du Congo, le Tchad et la République
Centrafricaine.
Que l’accès à ce marché du travail est plus facile dans les zones rurales que dans les zones
urbaines.
Qu’il y a une vive tension entre les actifs sur le marché du travail dans les zones urbaines
de ces trois pays.
Que la majorité des actifs vivant dans les zones urbaines de ces trois pays évoluent dans le
secteur informel.
Que les emplois modernes sont rares sur le marché du travail urbain de ces trois pays.
Que les étrangers d’origine africaine installés dans les centres urbains de la plupart des
pays d’Afrique noire n’ont pas vraiment de problème d’insertion professionnelle à
condition de se contenter d’emplois sous qualifiés et peu rémunérés.
Qu’ils ont un taux d’activité semblable, voire supérieur à celui des nationaux.
Que la majorité de ces immigrants évoluent dans le secteur informel dans ces zones
urbaines africaines.
Que les emplois qu’ils occupent sont davantage précaires.
Qu’ils ne peuvent pas vivre décemment dans ces zones urbaines puisque les emplois
qu’ils occupent sont généralement sous-payés.
Que les réfugiés ont des problèmes d’insertion professionnelle dans les centres urbains
d’Afrique noire.
Que la majorité d’entre eux n’occupent que des emplois occasionnels et précaires dans les
centres urbains africains.
Qu’ils sont davantage concentrés dans le secteur informel de l’économie dans les centres
urbains dans lesquels ils sont installés.
261
Que les revenus de leurs activités économiques, souvent très maigres, ne leur permettent
pas souvent de vivre décemment dans les centres urbains en Afrique Subsaharienne.
Que la majorité d’entre eux vit grâce aux activités génératrices de revenus financées par le
HCR.
Si les réfugiés ont des problèmes d’insertion professionnelle dans les centres urbains en
Afrique du Sud du Sahara, qu’en sera-t-il pour ceux qui vivent dans le centre urbain de la
ville de Bangui en République Centrafricaine. Nous voudrions parler ici des réfugiés
Congolais de la RDC et des réfugiés tchadiens, la population cible de notre étude. Ces
réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens s’adaptent-ils au marché du travail de Bangui ?
Quels sont les profils des réfugiés qui ont une meilleure insertion économique à Bangui ?
Les réfugiés de nationalité Congolaise (RDC) ont t-il plus de chance d’accéder à l’emploi
rémunéré à Bangui que ceux de nationalité Tchadienne ? Les réfugiés Congolais (RDC)
et Tchadiens qui ont acquis une formation professionnelle dans leur pays d’origine avant
de migrer en Centrafrique ont-il plus de chance d’accéder à l’emploi rémunéré à Bangui
que leurs homologues qui n’ont pas acquis une formation professionnelle avant la
migration ? Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui ont un niveau d’instruction
élevé ont-ils plus de chance d’accéder à l’emploi rémunéré à Bangui que ceux qui ont un
faible niveau d’instruction ? Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadien qui étaient chefs
de ménage dans leur pays d’origine avant la migration ont-ils plus de chance d’accéder à
l’emploi au niveau de Bangui que ceux qui ne l’étaient pas ? Les réfugiés Tchadiens et
Congolais (RDC) qui sont chefs de ménage à Bangui ont- ils plus de chance d’accéder à
l’emploi à Bangui que ceux qui ne le sont pas ? Les réfugiés qui sont mariés ou qui
vivent en union avec une centrafricaine ont-ils ils plus de chance d’accéder à l’emploi à
Bangui que ceux qui vivent en union avec une femme de leur pays d’origine ? En
somme, la chance d’accès à l’emploi à Bangui est-il fonction de la nationalité des
réfugiés, de leur capital humain avant la migration, de leur niveau d’instruction et de leur
situation familiale avant et pendant la migration ? Telles sont les questions
fondamentales de cette recherche auxquelles nous allons chercher apporter des réponses.
Les hypothèses de cette recherche apporteront, dans un premier temps, des réponses à ces
questions fondamentales. Nous allons, dans un second temps, utiliser les données de
262
l’enquête migration de « refuge » que nous avons conçue pour cette étude pour mesurer
ces hypothèses de recherche.
3.3 Les hypothèses de Recherche.
Nous avons conçu une (1) hypothèse de base et neuf (9) hypothèses spécifiques pour cette
recherche. Ces hypothèses découlent entre autres de notre revue de littérature.
a) L’hypothèse de base.
Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens sont plus nombreux à exercer dans le secteur
informel à Bangui.
Les réfugiés et Congolais (RDC) seront en grand nombre dans le secteur informel à Bangui
puisque c’est là où se trouvent concentré la majorité des emplois. La majorité des réfugiés
Congolais (RDC) et Tchadiens trouveront leur premier emploi dans le secteur informel, il en va
de même pour l’emploi au moment de l’enquête.
b) Les hypothèses spécifiques :
Hypothèse 1:
Les réfugiés Congolais (RDC) ont plus de chance d’accéder à un emploi rémunéré à Bangui que
les réfugiés Tchadiens
En effet, les réfugiés Congolais (RDC) viennent d’un pays où la langue officielle est le
Français. On parle le Français à l’école, dans les administrations, dans les églises, dans certaines
familles en République Démocratique du Congo. Il est certain que la plupart des réfugiés
Congolais présents à Bangui s’expriment plus ou moins bien en français ou ont une notion de
cette langue car elle demeure la langue officielle de leur pays d’origine. Les réfugiés congolais
qui ont un niveau d’instruction élevé auront certes une meilleure connaissance du Français que
ceux qui un faible niveau d’instruction. Car, ils ont appris le Français pendant une longue durée
du fait d’être restés pendant longtemps à l’école.
263
La connaissance du français demeure un atout pour les réfugiés congolais(RDC) lors de leur
séjour dans leur pays d’accueil, la République Centrafricaine. En effet, les réfugiés Congolais qui
parlent français accèderont facilement aux administrations, aux institutions en République
Centrafricaine et notamment à Bangui. Car le Français est également la langue officielle de la
République centrafricaine. Les réfugiés congolais (RDC) dont la majorité parle Français pourront
communiquer facilement avec les Centrafricains. Ils pourront, à partir de là, créer des réseaux
amicaux à Bangui. Ces réseaux amicaux pourront être bénéfiques pour eux. Car, les informations
concernant les offres d’emploi circulent généralement dans ces types de réseaux. Les réfugiés
Congolais (RDC) auront aussi un accès facile aux organismes nationaux et internationaux
œuvrant pour l’insertion sociale des réfugiés installés à Bangui, notamment le HCR et le CNR,
car le français reste la langue de travail pour les agents de ces organismes. Ils seront, par
conséquent, bien suivis et encadrés par ces organismes et auront nécessairement une meilleure
intégration socio-économique. Les réfugiés Congolais (RDC) auront aussi un contact facile avec
les employeurs centrafricains. Ils peuvent directement leur présenter leur candidature. Ils n’auront
donc pas besoin nécessairement d’un intermédiaire dans ce type de démarche puisqu’ils parlent le
français, la langue officielle du pays.
Les réfugiés Congolais (RDC) présentent aussi un autre atout qui se situe toujours dans le
registre linguistique. En effet, bon nombre de réfugiés Congolais parlent le Sango, la langue
nationale de la République Centrafricaine. Car la plupart de réfugiés Congolais(RDC) qui sont
installés à Bangui sont originaires de la région de l’Equateur, la région nord de la République
Démocratique du Congo. On parle généralement le Mongbandi dans un grand nombre de villes
de cette région. Or, le Sango, la langue nationale de la République Centrafricaine est très proche
de Mongbandi. En effet, tous les gens qui parlent Mongandi comprennent généralement le Sango
et ont des facilités à le parler. L’inverse est aussi vrai. Les gens qui parlent Sango comprennent
généralement bien le Mongbandi. Donc, les Congolais (RDC) qui viennent en majorité de la
région du nord de la République démocratique du Congo auront des facilités à rentrer en contact
avec les Centrafricains puisqu’ils seront compris par eux. Ils jouiront d’une certaine facilité à
264
accéder aux emplois informels ou des emplois sous qualifiés. Car, le Sango demeure la langue du
secteur informel. Les employeurs du secteur informel utilisent généralement cette langue au
quotidien au sein de la ville de Bangui.
En somme, les réfugiés congolais (RDC) possèdent deux atouts majeurs leur permettant
d’accéder au marché de travail de la ville de Bangui avec moins de difficulté. La connaissance du
français peut leur ouvrir les portes d’entrée du secteur formel. Et leur maîtrise de la langue
nationale, le Sango, peut également leur ouvrir les portes d’entrée du secteur informel.
Or, ce n’est pas le cas pour les réfugiés Tchadiens. Les réfugiés Tchadiens sont partagés entre
le Français et l’Arabe. Il faut noter que bon nombre de réfugiés Tchadiens installés à Bangui ne
parlent que l’arabe et n’ont aucune connaissance du français. Car ils viennent d’un pays dans
lequel on parle à la fois le français et l’arabe. En effet, seuls les réfugiés tchadiens qui ont la
maîtrise du français auront la chance d’accéder à un emploi rémunéré à Bangui. Par contre, ceux
qui ne parlent que l’arabe et qui n’ont aucune connaissance du français auront du mal à accéder à
l’emploi et à s’intégrer économiquement à Bangui. Ils auront tendance à ne tisser des liens
qu’avec les membres de leur communauté qui parlent comme eux l’arabe. Par conséquent, ils
auront du mal à quitter leur communauté pour s’ouvrir aux autres. Ils ne pourront pas étendre leur
champ de réseau. Or, cela est capital pour qui veut accéder à l’emploi lors d’un séjour migratoire.
En effet, c’est en s’appuyant sur un grand nombre de réseaux qu’on peut augmenter ses chances
d’accéder à un emploi rémunéré. En fait, les informations qui sont transmises au sein des réseaux
communautaires concernant les emplois demeurent parfois très limités. Il faut donc aller au-delà
de sa sphère communautaire pour chercher d’autres informations. En fait, on a plus de chance de
décrocher un emploi lorsqu’on est épaulé à la fois par ses hôtes, c’est-à-dire par ses réseaux
communautaires, et par les autres, c’est-à-dire par les réseaux amicaux voire les organisations
spécialisées. En effet, les réfugiés Tchadiens qui ne parlent que l’arabe ne peuvent pas étendre
leurs réseaux puisqu’ils ont un handicap linguistique. Par conséquent, ils seront obligés de ne
compter que sur leurs réseaux communautaires ethniques et familiaux, ce qui diminue leur
chance d’accès à l’emploi à Bangui.
265
Hypothèse 2 :
Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui ont un faible niveau d’instruction ont une forte
propension à accéder à un emploi rémunéré à Bangui que ceux qui ont un niveau d’instruction
élevé.
L’objectif de tous les migrants quel que soit leur statut, c’est de trouver un emploi rémunéré
dans leur pays d’accueil. C’est le cas notamment des réfugiés présents à Bangui en République
Centrafricaine. En effet, ces derniers sont obligés de chercher un travail rémunéré dès leur arrivée
à Bangui. Car, les aides qu’ils reçoivent généralement de la part des organisations humanitaires
ne peuvent pas couvrir toutes leurs dépenses. Ces aides sont souvent très insignifiantes et parfois
elles ne sont même pas de nature financière. En effet, ces organismes donnent rarement de
l’argent aux réfugiés. Or, les réfugiés ont généralement besoin d’argent pour payer leur loyer,
acheter leur nourriture, contribuer aux frais de scolarité de leurs enfants, payer leur frais de santé.
Les réfugiés ont donc besoin d’un revenu régulier pour faire face à ces innombrables dépenses.
Face au poids des dépenses auxquels ils doivent faire face dans les centres urbains et
notamment au sein de la ville de Bangui, ces réfugiés sont obligés d’accepter n’importe quel
emploi pourvu que celui-ci leur procure une rémunération. Car ils veulent coûte que coûte avoir
une indépendance financière afin de rompre avec le statut « d’assisté » qu’on leur colle
généralement , de vivre à l’aise et dans la dignité comme tout le monde. Par conséquent, ils vont
être moins exigeants sur le marché du travail urbain.
Les réfugiés ou les autres immigrants moins instruits se trouvent être les moins exigeants sur
le marché du travail urbain. Ils acceptent généralement tous les types d’emploi qui se présentent à
eux, des plus précaires aux plus pénibles. En effet, ils savent qu’ils n’ont rien à perdre puisqu’ils
266
ont un faible niveau d’instruction car, ils ne peuvent pas espérer mieux. Ils savent qu’ils ont
moins de chance d’accéder un emploi qualifié. Ils préfèrent occuper un emploi sous qualifié et
précaire que de rester pendant longtemps sans activité. En effet, les réfugiés comme les autres
immigrants qui ont un faible niveau d’instruction vont être guidés par leur réalisme. Pour ce faire,
ils vont se contenter des emplois précaires. C’est ce qui fait qu’ils accèdent généralement plus
rapidement aux emplois rémunérés que leurs homologues qui ont un niveau d’instruction élevé
dans le contexte migratoire africain. Ils ont généralement un taux d’activité supérieur par rapport
à leurs homologues instruits dès le début du séjour migratoire dans une ville d’accueil.
Par contre, les réfugiés ou les autres immigrants qui ont un niveau d’instruction élevé vont être
plus exigeants sur le marché du travail urbain. Par conséquent, ils ne vont pas accepter facilement
les emplois sous qualifiés, lesquels ne sont pas à la hauteur de leurs qualifications. Ces derniers
restent généralement longtemps inactifs, le temps de trouver un emploi qui correspond à leur
profil. En effet, ces derniers cherchent généralement des emplois qualifiés du secteur formel, bien
sûrs et rémunérés. Par conséquent, ils se voient mal occuper des emplois informels, sous qualifiés
qu’ils trouveront certainement très dévalorisants.
Or, la chance qu’un réfugié ou un autre immigrant a d’occuper un emploi qualifié dès son
arrivée dans une ville d’accueil et notamment à Bangui est généralement très faible. Les premiers
emplois qui s’offrent à ces réfugiés sont généralement sous qualifiés, voire informels. Les
réfugiés ou les immigrants moins instruits ont plus de chance d’accéder à ces premiers emplois
que ceux qui ont un niveau d’instruction élevé parce qu’ils ont moins d’exigence que ces derniers
sur le marché du travail comme on vient de le dire ci-haut.
Par ailleurs, dans la durée, les réfugiés qui ont un niveau d’instruction élevé auront
nécessairement un meilleur niveau d’insertion économique que ceux qui ont un faible niveau
d’instruction. En effet, les réfugiés instruits auront une plus grande chance d’accéder aux emplois
267
formels à Bangui à long terme que ceux qui ont un faible niveau d’instruction. La chance d’accès
aux emplois rémunérés qualifiés pour les réfugiés instruits augmente du fait qu’ils ont la capacité
de faire des formations professionnelles complémentaires dans leur pays d’accueil, notamment en
République Centrafricaine. Ces derniers complètent généralement leurs formations initiales avec
des formations spécifiques proposées par des organisations humanitaires dans le pays d’accueil
dans le but d’approfondir leurs acquis ou de se réorienter professionnellement. Or, ce n’est pas le
cas pour les réfugiés qui ont un faible niveau d’instruction. Ces derniers ne peuvent pas
bénéficier des formations intensives organisées par des organisations humanitaires ou des
organismes spécialisés pour augmenter la chance d’accéder aux emplois formels, voire même
informels, parce qu’ils sont pour la plupart analphabètes.
En somme, les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui ont un faible niveau d’instruction
auront plus de chance d’accéder au premier emploi rémunéré au niveau de Bangui que ceux qui
ont un niveau d’instruction élevé. Un premier emploi qui serait davantage sous qualifié. Par
contre, ceux qui ont un niveau d’instruction élevé auront plus de chance d’accéder à un emploi
rémunéré qualifié dans la durée, c’est-à-dire à long terme à Bangui
Hypothèse 3 :
Les réfugiés qui travaillaient habituellement dans leur pays d’origine avant de migrer en
République Centrafricaine sont plus nombreux à accéder à un emploi rémunéré à Bangui que
ceux qui étaient habituellement au chômage ou en inactivité.
Les réfugiés qui travaillaient habituellement dans leur pays d’origine avant de migrer en
République Centrafricaine auront plus de chance d’accéder à un emploi rémunéré au niveau de
Bangui que ceux qui étaient habituellement au chômage pour plusieurs raisons. En effet, les
réfugiés qui avaient l’habitude de travailler dans leur pays ont certainement la maîtrise du
fonctionnement du marché du travail. Ils doivent avoir une bonne connaissance des stratégies à
268
mettre en place pour décrocher un emploi sur ce marché du travail. Car, s’ils avaient un emploi
dans leur pays d’origine, c’est qu’ils avaient dû mettre en place des stratégies pour avoir cet
emploi, stratégies qui consistent à s’appuyer sur ses réseaux amicaux, familiaux, et religieux pour
trouver un emploi. Car, les informations concernant les offres d’emploi circulent généralement
dans ces types de réseaux dans les pays d’Afrique subsaharienne. En développant une stratégie
axée sur les réseaux, on augmente la chance d’accès à l’emploi formel ou informel dans les pays
d’Afrique noire.
Les réfugiés qui ont l’habitude de travailler dans leur pays d’origine vont certainement utiliser
la même stratégie qu’ils avaient mise en place pour trouver un emploi dans leur pays d’origine
sur le marché du travail de Bangui. Une stratégie, comme on vient de le dire, axée sur les
réseaux. Ayant constaté l’efficacité de cette stratégie dans leur pays, ils vont tout faire pour
étendre leurs champs de réseaux à Bangui. Ils s’ouvriront certainement à d’autres communautés
et particulièrement aux Centrafricains dans le but de tisser des liens et de créer des nouveaux
réseaux amicaux. Il est certain qu’ils s’appuieront sur ces réseaux dans leur démarche de
recherche d’emploi au niveau de Bangui.
Les réfugiés qui travaillaient habituellement dans leur pays d’origine avant de migrer en
République Centrafricaine ont également un autre atout. En effet, ils ont acquis une expérience
professionnelle et une qualification grâce à l’emploi qu’ils occupaient dans leur pays d’origine. Il
est donc plus facile pour eux de se placer sur le marché du travail à Bangui. Ils pourront, lors
d’un entretien avec un employeur à Bangui, valoriser leur expérience professionnelle antérieure.
Ce qui demeure un atout majeur pour eux et bénéfique également pour des éventuels employeurs.
Ces réfugiés peuvent se faire embaucher directement du fait d’être opérationnels
professionnellement. Car, ils ont un savoir-faire professionnel qui peut intéresser bon nombre
d’employeurs du secteur informel tout comme du secteur formel dans la capitale centrafricaine.
269
Il faut noter, par ailleurs, que les réfugiés qui ont eu à travailler dans leur pays d’origine avant
de migrer en République Centrafricaine ont certainement acquis une certaine habitude
professionnelle. Autrement dit, ils sont habitués au travail. Ils connaissent généralement sa
valeur. Ils savent qu’il procure, en plus d’une rémunération, la dignité à tout être humain. Ayant
connu la valeur du travail dans leur pays d’origine, il sera difficile pour eux de s’en passer même
s’ils se trouvent à l’étranger avec un statut particulier. En effet, être à l’étranger ne va pas, à notre
sens, changer leur vision sur le travail. Ils vont toujours lui accorder une grande importance . Ils
vont tout faire pour décrocher un emploi à Bangui afin de renouer avec leur habitude
professionnelle de jadis, retrouver le niveau de vie qu’ils avaient dans leur pays d’origine et
trouver une certaine dignité. Car le travail a dû permettre à ces réfugiés d’avoir un statut
particulier et privilégié dans leur pays d’origine, un statut qu’ils aimeraient retrouver à l’étranger.
Par conséquent, ces réfugiés vont tout mettre en œuvre pour trouver un emploi à Bangui afin de
retrouver éventuellement le statut qu’ils avaient dans leur pays avant de migrer en République
Centrafricaine.
En revanche, les réfugiés qui étaient habituellement chômeurs ou inactifs (rentiers, malades)
dans leur pays d’origine avant de migrer en République Centrafricaine vont certainement avoir
moins de chance d’accéder à un emploi rémunéré à Bangui que leurs homologues qui
travaillaient régulièrement. En effet, ne travaillant pas régulièrement dans leur pays d’origine, ils
se retrouvent sans expérience professionnelle, sans qualification, voire sans métier. En plus, ils ne
maîtrisent pas nécessairement bien les rouages du marché du travail. Ils ne sauront pas forcement
mettre en place les bonnes stratégies pour décrocher un emploi. En effet, le manque d’expérience
et de qualification, la méconnaissance du fonctionnement du marché du travail, se retrouvent être
des handicaps majeurs, lesquels vont diminuer la chance d’accès à l’emploi rémunéré à Bangui
pour cette catégorie de réfugiés.
Les réfugiés qui avaient l’habitude de travailler dans leur pays avant de migrer en République
Centrafricaine seront forcement plus motivés et plus dynamiques sur le marché du travail à
Bangui que ceux qui étaient habituellement chômeurs ou inactifs dans leur pays d’origine. Ils
270
avaient certainement plus de contraintes dans leur pays d’origine que leurs homologues qui
étaient habituellement chômeurs ou inactifs. Ils devaient certainement avoir beaucoup de charges
dans leur pays d’origine, car, les personnes qui ont une solvabilité financière, c’est-à-dire celles
qui ont un emploi rémunéré sont celles qui ont généralement le plus de personnes à charge dans
les pays d’Afrique Subsaharienne. Une personne travaille généralement pour plusieurs individus
dans cette partie de l’humanité. Autrement dit, le revenu du travail d’un individu doit permettre
de prendre en charge plusieurs individus. On travaille généralement pour nourrir, non seulement
les membres de sa propre famille, mais également ses parents éloignés. Les réfugiés qui avaient
un emploi rémunéré avaient certainement plusieurs personnes à charge dans leur pays d’origine
du fait de leur statut de salarié. Du coup, ils doivent tout faire pour décrocher un emploi rémunéré
à Bangui afin de continuer à nourrir éventuellement des personnes qui sont restées dans leur pays
d’origine et qui étaient à leur charge ou de payer le voyage à ces personnes avec qui ils ont
certainement un lien de parenté pour les faire venir à Bangui. Le revenu de leur travail leur
permettra certainement de payer ce voyage et de prendre en charge ces personnes dans la durée
au niveau de Bangui.
Hypothèse 4 :
Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui étaient chefs de ménage dans leur pays d’origine
ont plus de chance d’accéder à un emploi rémunéré à Bangui que ceux qui n’étaient pas chefs de
ménage.
Les réfugiés qui étaient chefs de ménage dans leur pays d’origine avaient la responsabilité de
tous les membres de leur ménage. Ils avaient la charge des membres de leur famille et toutes les
autres personnes qui vivaient dans le ménage qu’ils dirigeaient. Les réfugiés qui étaient chefs de
ménage dans leur pays d’origine vont certainement être plus motivés sur le marché du travail de
Bangui que leurs homologues qui n’étaient pas chefs de ménage à cause du poids des charges
qu’ils ont dans leur pays d’origine. Même s’ils choisissent la plupart du temps un membre de leur
famille pour les remplacer pendant leur absence, force est de constater que ces remplaçants ne
271
jouent souvent que le rôle de l’autorité morale dans les ménages dans lesquels ils avaient la
responsabilité. La charge économique de ces ménages revient toujours à leurs chefs habituels
quelque soit l’endroit où ils se trouvent. Les migrants qui ont le statut de chef de ménage dans
leur pays d’origine avant le départ en migration doivent tout faire pour décrocher un emploi dans
leur pays d’accueil afin d’avoir une stabilité financière. Car, la vie économique des membres des
ménages dont ils avaient la responsabilité dépend grandement d’eux. Ils doivent envoyer de
l’argent afin de nourrir les personnes dont ils avaient la charge. Les réfugiés qui n’étaient pas
chefs de ménage avant le départ en migration n’ont pas assez de contrainte par rapport à leurs
homologues qui étaient chefs de ménage du fait d’avoir moins de charge dans leur pays d’origine.
Ils vont nécessairement être moins motivés sur le marché du travail que leurs homologues chefs
de ménage lesquels ont grandement besoin d’argent pour nourrir les personnes qui se trouvent
dans les ménages dont ils avaient la responsabilité avant le départ en migration. Les réfugiés qui
étaient chefs de ménage dans leur pays d’origine avant la migration de refuge vont certainement
être plus nombreux à participer à l’activité économique à Bangui que leurs homologues qui
n’étaient pas chefs de ménage à cause du poids des charges qu’ils ont dans leur pays d’origine.
Hypothèse 5 :
Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui sont mariés ou qui vivent en union libre avec
une Centrafricaine ont une forte propension à accéder à un emploi rémunéré à Bangui que ceux
qui sont mariés ou qui vivent en union avec les femmes de leur pays.
Les réfugiés qui sont mariés ou qui vivent en union avec une centrafricaine ont plusieurs
atouts qui peuvent faciliter leur insertion économique à Bangui. Ils peuvent bénéficier des faveurs
des parents de leurs épouses ou compagnes centrafricaines dans leur processus d’insertion
sociale. Ces derniers vont certainement leur ouvrir les portes de certains de leurs réseaux et les
aider à y intégrer. S’ils vont ce geste c’est parce qu’ils ne considèrent plus leurs beaux parents
réfugiés comme des étrangers. Ils les considèrent comme un de leurs. En effet, les réfugiés qui
sont mariés ou qui vivent en union avec une centrafricaine sont liés d’une manière symbolique
avec les parents de leurs épouses ou de leurs compagnes centrafricaines. Ils deviennent en
quelque sorte les membres de la famille de ces dernières. Car l’union matrimoniale unit
272
généralement les membres de la famille des époux en Afrique Subsaharienne. Les réfugiés qui
sont mariés ou qui vivent en union avec une Centrafricaine vont bénéficier à la fois des aides des
parents de leurs épouses et de celles des personnes de leurs communauté dans le processus
d’insertion sociale, ce qui va augmenter grandement leur chance d’accès à l’emploi à Bangui à la
différence de leurs homologues qui sont mariés ou qui vivent en union avec les femmes de leurs
pays d’origine qui ont moins de diversité de réseaux. Ces derniers s’appuient généralement que
sur leurs réseaux communautaires dans leur démarche d’accès à l’emploi.
Hypothèse 6 :
Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui ont des enfants à Bangui ont plus de chance
d’accéder à un emploi rémunéré à Bangui que ceux qui n’en ont pas eu.
Avoir des enfants est synonyme d’avoir des charges. Il faut donc avoir de l’argent pour
prendre en charge les innombrables dépenses des enfants. Car il faut les nourrir, les vêtir, les
soigner et les scolariser. Les réfugiés qui ont eu des enfants à Bangui vont être très motivés sur le
marché du travail. Ils vont tout faire pour décrocher un emploi afin d’avoir une stabilité
financière leur permettant de prendre en charge les enfants dont ils ont la charge. Leurs
homologues qui n’ont pas eu d’enfants à Bangui seront nécessairement moins motivés sur le
marché du travail du fait d’avoir moins de contrainte financière. Les réfugiés qui ont connu la
paternité à Bangui vont chercher à participer en grand nombre à l’activité économique à Bangui à
cause de la lourdeur de leurs charges financières et familiales par rapport à leurs homologues qui
ne sont pas pères lesquels n’ont pas une forte contrainte financière et familiale.
273
Hypothèse 7 :
Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui sont arrivés à Bangui depuis très longtemps
(depuis plus de cinq ans) ont plus de chance d’accéder à l’emploi rémunéré à Bangui que ceux
qui viennent d’être installés (durée de séjour inférieure à trois ans)
La durée de séjour augmente généralement la chance d’accéder à l’emploi rémunéré lors d’un
séjour migratoire. Car c’est dans la durée que le migrant peut développer ses réseaux sociaux et
maîtriser la langue parlée dans son pays d’accueil. Les réfugiés qui ont duré plus de cinq ans à
Bangui ont certainement la maîtrisé de la langue nationale centrafricaine. Ils ont du également
diversifier leurs réseaux pendant ces cinq années de séjour à Bangui.
Leurs réseaux se trouvent alors être très étendus et au-delà de leurs sphères communautaires.
Leurs réseaux amicaux, sociaux et communautaires se sont donc solidifiés pendant ces quelques
années de séjour. Ils peuvent désormais s’appuyer sur ses réseaux pour décrocher un emploi à
Bangui. Or, ce n’est pas le cas pour les nouveaux réfugiés lesquels doivent apprendre la langue
nationale du pays et chercher à solidifier leurs réseaux afin d’augmenter leur chance d’accéder à
l’emploi.
Hypothèse 8 :
Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui ont un âge moins élevé (Moins de 30ans) ont
plus de chance d’accéder à l’emploi rémunéré à Bangui que ceux qui ont un âge élevé [40ans et
plus [.
L’âge demeure souvent une variable discriminatoire sur le marché du travail. Il est certain que
les réfugiés qui sont jeunes (moins de 40 ans) vont éprouver moins de difficulté à accéder au
marché du travail à Bangui que ceux qui ont un âge élevé (40 ans et plus). Leur force physique et
274
leur dynamisme leur permettra de se distinguer sur le marché de travail informel. Ils pourront
exercer des métiers pénibles qui nécessitent une grande capacité physique à la différence de leurs
homologues qui ont un âge élevé lesquels auront nécessairement une contrainte physique.
Hypothèse 9 :
Les réfugiés Congolais (RDC) et Tchadiens qui ont un emploi rémunéré sont plus nombreux à
accéder au logement à Bangui que ceux qui n’ont pas d’emploi rémunéré.
L’emploi demeure en amont dans tous les processus d’insertion sociale des migrants dans leur
pays d’accueil. L’accès à l’emploi précède généralement l’accès au logement dans un contexte
migratoire. En effet, seuls les migrants qui sont parvenus à avoir une autonomie financière à
travers une activité économique peuvent accéder à un hébergement individuel et acquérir une
autonomie résidentielle. Les réfugiés qui possèdent un emploi rémunéré à Bangui seront
nécessairement les plus nombreux à avoir accès au logement et par conséquent à une autonomie
résidentielle.
275
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE.
La revue de la littérature portée sur la migration et marché du travail en Afrique
Subsaharienne et celle axée sur la problématique d’insertion sur le marché du travail dans les
pays de notre étude nous ont permis de décrire le mode de fonctionnement du marché du travail
des pays africains subsahariens d’une manière générale. On a constaté, à travers les données
quantitatives et qualitatives exploitées, que le marché du travail des pays africains subsahariens a
une logique de fonctionnement qui lui être propre et qui est totalement différente de celle des
pays dits industrialisés. Ce marché du travail repose essentiellement sur le système des réseaux.
Les informations sur les offres des emplois passent rarement dans les agences d’emploi lesquelles
n’existent que par leur simple nom. En effet, les informations sur les offres de l’emploi passent
généralement dans les réseaux dans cette partie du monde. Le recours aux réseaux sociaux
s’impose donc à tous les individus qui veulent s’insérer sur le marché du travail dans les pays
d’Afrique Subsaharienne. Les compétences sont loin d’être la vraie et la seule arme de défense
sur le marché de travail déséquilibré de ces pays africains. Il faut, en plus des diplômes et des
compétences, avoir un solide réseau social .La combinaison de ces deux facteurs augmentent
inéluctablement la chance d’accès à l’emploi. Les réseaux sociaux transcendent tout dans les pays
africains subsahariens. Ils se trouvent même souvent au dessus des institutions. C’est la raison
pour laquelle un grand nombre d’Africains Subsahariens préfèrent se tourner vers cette institution
informelle lors de leur démarche à l’accès à l’emploi plutôt que de compter sur les institutions
formelles.
L’informel se trouve être le noyau du marché du travail des pays africains subsahariens. Le
mode d’entrée sur le marché du travail des pays africains subsahariens repose essentiellement sur
le système informel (les réseaux) comme on vient de le dire et les emplois qui se trouvent dans ce
marché de travail sont aussi d’une manière générale informelle. En effet, plus de trois quart des
Africains Subsahariens exercent dans le secteur non structuré. L’entrée dans ce secteur non
structuré devient de plus en plus difficile à cause du nombre croissant des actifs qui peinent à
trouver de l’emploi dans le secteur structuré et qui sont obligés de se tourner vers le secteur non
structuré pour trouver leur compte. En fait, les gouvernements de ces pays africains fragilisés par
276
les crises économiques de ces dernières années éprouvent des réelles difficultés à créer des
emplois dans le secteur formel afin de résorber le problème grandissant de chômage. Les actifs
diplômés et qualifiés qui devraient en principe évoluer dans le secteur structuré et qui n’ont pas
pu trouver leur compte dans le dit secteur se déversent dans le secteur informel pour prendre le
premier emploi qui s’offrent à eux. Le secteur non structuré commence peu à peu à être saturé en
Afrique noire à cause du nombre élevé des actifs qui s’y trouvent.
On ne saurait mettre en place les hypothèses de cette étude sans les informations tirées de cette
revue de littérature. En effet, comme on avait dit plus loin, les hypothèses de cette recherche
découlent en grande partie de la revue de littérature « migration et le marché du travail en
Afrique Subsaharienne » qu’on a longuement développée dans cette partie de thèse.