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Serge Granger, Karine Bates, Mathieu Boisvert et Christophe Jaffrelot Inde L avatars et ses Les Presses de l’Université de Montréal PLURALITÉS D’UNE PUISSANCE Extrait de la publication

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  • Serge Granger, Karine Bates, Mathieu Boisvert et Christophe Jaffrelot

    IndeL’avatarset ses

    Les Presses de l’Université de Montréal

    Pluralités d’une PuissanceTerre paradoxale, multiple, à l’opposé de notre univers familier, l’Inde est largement perçue à travers les stéréotypes. On trouvera dans ce livre - le premier du genre

    en français - les repères essentiels pour comprendre un pays à la mesure d’un continent, dont les défis seront inévitablement les nôtres. Les auteurs exposent tour à tour les dimensions socioéconomiques, politiques et culturelles d’une Inde « globalisante » qui a marqué et marquera l’histoire tant par sa philosophie que par son économie vouée à la croissance. Globalisante aussi, car l’Inde ne se limite pas à ses frontières : sa diaspora et ses relations extérieures forgeront un monde bien différent dans les années à venir.

    Sous la direction de Serge Granger, Karine Bates, Mathieu Boisvert

    et Christophe Jaffrelot, avec la collaboration de Étienne Breton,

    Anju Musafir Chazot, Rachel Dwyer, Mira Kamdar, John Leavitt,

    Jean-René Milot, Mritiunjoy Mohanty, Vijaya Rao,

    Isabelle Saint-Mézard et Ingrid Therwath.

    un PreMier Grand liVre de réFérence sur l’inde actuelle et en deVenir

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    isbn 9782760632080

    49,95 $ • 45 e

    Disponible en version numériquewww.pum.umontreal.ca

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  • l’inde et ses avatars

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  • L’Inde et ses avatarspluralités d’une puissance

    Sous la direction de

    Serge GrangerKarine Bates

    Mathieu BoisvertChristophe Jaffrelot

    Les Presses de l’Université de Montréal

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  • 3210-33209-7

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  • remerciements

    Nous tenons à remercier les différentes institutions et instances qui nous ont appuyés dans cet ambitieux projet de publication, notamment le Centre d’études et de recherches internationales et le Pôle de recherche sur l’Inde et l’Asie du Sud de l’Université de Montréal, de même que le Vice-rectorat – Recherche, création et innovation et la Faculté des arts et des sciences de l’Université de Montréal, le Vice-rectorat, la Faculté des lettres et sciences humaines et l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, la Faculté de sciences humaines, le Centre d’études et de recherche sur l’Inde, l’Asie du Sud et sa diaspora, ainsi que le Département de sciences des religions de l’Université du Québec à Montréal. La contribution finan-cière du ministère des Relations internationales, de la Franco phonie et du Commerce extérieur du Québec est également à souligner. Nous remer-cions Explorateur Voyages et François Latulippe pour les photos, ainsi que Valentine Deglaire.

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  • Introduction

    Les autres Indiens, qui habitent à l’est de ceux-ci, sont nomades, et vivent de chair crue. On les appelle Padéens. Voici les lois qu’on leur attribue. Quiconque parmi eux tombe malade, si c’est un homme, ses plus proches parents et ses meilleurs amis le tuent, apportant pour raison que la maladie le ferait maigrir et que sa chair en serait moins bonne. Il a beau nier qu’il soit malade, ils l’égorgent impitoyablement, et se régalent de sa chair. Si c’est une femme, ses plus proches parentes la traitent de la même manière que les hommes agissent entre eux. Ils tuent ceux qui sont parvenus à un grand âge, et les mangent ; mais il s’en trouve peu, parce qu’ils ont grand soin de tuer tous ceux qui tombent malades1.

    Déjà au ve siècle avant l’ère commune, l’Occident se faisait une image de l’Inde. Hérodote présente ainsi un pays bien différent de la Grèce de l’époque en décrivant certains habitants comme appartenant à des tribus itinérantes cannibales. Solinus, au iiie siècle de notre ère, est tout aussi imaginatif dans sa présentation de l’Inde : un pays peuplé, entre autres, de gymnosophistes, d’ascètes de tout genre et de monstres farfelus avec des têtes de chien, ou bien des « hommes qui n’ont qu’une jambe, et qui pourtant sont fort agiles : quand ils veulent se protéger contre une chaleur trop vive, ils se couchent sur le dos et se donnent de l’ombre avec le pied, qu’ils ont énorme. Vers la source du Gange, il y a des hommes qui, pour se nourrir, n’ont besoin d’aucune ressource : ils ne vivent que de l’odeur des fruits de leurs forêts2. » L’Inde, cette contrée paradoxale, peu-plée de sages et de monstres, est présentée aux antipodes – et littéralement

    1. Hérodote, Histoire, traduit du grec par Larcher, avec notes de Bochard, Wesseling, Scaliger et al., Paris, Charpentier, 1850.

    2. Solinus, Polyhistor, traduit par M. A. Agnant, Paris, C.L.F. Panckoucke Éditeur, 1847, p. 320-321.

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    avec ce monopode au pied tourné vers le haut ! – de l’Occident. Pensée ancienne, imaginaire archaïque, pourrait-on juger. L’Inde demeure trop souvent, pour nos yeux d’Occidentaux, un pays imaginé, paradoxal, se situant à l’opposé de notre univers « connu » : la vision que nous en avons oscille donc entre un pays de sagesse, de richesse « spirituelle », et un pays qui abonde en monstruosités – telles la pauvreté excessive, l’immolation des veuves et l’amputation de membres d’enfants pour faciliter le qué-mandage. Il est temps de se défaire de ces stéréotypes qui régissent notre perception d’une Inde figée pour envisager une Inde actuelle, qui façonne notre avenir.

    L’Inde, le deuxième pays du monde pour la population, laquelle atteint 1,2 milliard d’habitants, peut se vanter, malgré ce que les critiques peuvent en dire, d’être la plus grande démocratie actuelle. De plus, en dépit de divers facteurs socioéconomiques apportant des défis considérables aux femmes, ce pays a tout de même élu à plusieurs reprises une femme – Indira Gandhi – à la tête du pays. Le Canada, les États-Unis et la France ne peuvent se féliciter d’être aussi progressistes à cet égard ! L’Inde n’est plus un pays en émergence ; depuis la libéralisation économique en 1991, elle se transforme rapidement pour devenir une puissance incontournable sur la scène internationale.

    L’objectif de cet ouvrage consiste à faire le point sur l’Inde contempo-raine, à fournir les outils nécessaires pour déconstruire l’image de l’Inde entretenue dans notre imaginaire depuis de nombreux siècles et à offrir une vision plus réaliste de ce pays. L’Inde est plurielle. Une vingtaine de chapitres ne suffit pas pour expliquer l’effet globalisant de l’Inde sur l’humanité. Mark Twain qualifiait l’Inde de mère de l’histoire et de grand-mère de la légende. Nous préférons lui attribuer le terme « globalisante » parce qu’elle a marqué et marquera l’histoire tant par sa dimension philo-sophique que par son économie vouée à la croissance. Globalisante, car l’Inde ne se limite pas à ses frontières. Sa diaspora et ses relations extérieu-res forgeront un monde bien différent dans vingt ans quand la population de l’Inde dépassera celle de la Chine.

    Il va sans dire que nous avons tenté de décrire cette puissance globali-sante afin de mieux comprendre le monde de demain. En proposant un portrait actuel de l’Inde (partie I), il nous apparaissait important de sou-ligner les caractéristiques sociopolitiques du pays afin de démontrer la complexité de la gouvernance sur un ensemble humain si vaste et diversi-fié. La culture de l’Inde (partie II) nous permet de croire que sa superpo-sition culturelle au monde demeurera malgré les changements profonds des sociétés au xxie siècle. La culture indienne, tant par son théâtre et ses films, sa littérature et sa philosophie, fera de plus en plus partie de nous.

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  • 11introduction

    La puissance internationale de l’Inde (partie III) concerne directement ses voisins et sa diaspora qui continue incontestablement d’être active dans notre mondialisation.

    Depuis quelques années, la francophonie s’intéresse davantage à l’Inde par des colloques, des voyages d’affaires ou des échanges culturels. Le Pôle de recherche sur l’Inde et l’Asie du Sud du CERIUM (Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal) organise régu-lièrement une « école d’été » qui réunit plusieurs spécialistes de l’Inde – tous domaines confondus – où chacun anime une, deux ou trois sessions de trois heures offrant une vision de l’Inde contemporaine qui tient compte de ses différents aspects. Dans le cadre de nos rencontres avec nos collè-gues, le désir de rassembler en un seul volume les différents points de vue disciplinaires sur l’Inde est devenu impérieux. Nous avons donc réuni une dizaine de spécialistes afin d’offrir à un large public un ouvrage de syn-thèse en langue française qui pourra alimenter « les idées » que l’on se fait sur ce pays. Nous sommes convaincus que l’Inde agit comme une force globalisante dont l’intensité s’accentuera du fait de sa démographie, son économie émergente et ses besoins immenses.

    L’expression « Mā Bhārata », la Mère Inde, fait référence à une Inde divinisée, élevée au rang de déesse. Le terme sanskrit Bhārata est issu de la littérature védique et, par le fait même, intimement lié à la tradition hindoue. Bien que la généalogie mythique de l’Inde attribue l’origine des Indiens à un empereur du nom de Bharat, l’idée de cette « mère patrie », aussi paradoxale que soit l’expression, se développe davantage au xixe siècle et est utilisée comme pierre angulaire par les mouvements nationalistes indiens afin de stimuler la ferveur populaire hindoue anticoloniale. Une fois l’indépendance du pays obtenue, cette même Mā Bhārata devient le symbole par excellence, non pas d’une Inde laïque, comme le veut sa constitution actuelle, mais plutôt d’un pays fondamentalement hindou et, selon certains penseurs radicaux, dépourvu de tout « colonialisme reli-gieux », à la différence de l’islam et du christianisme.

    Cette « Déesse Inde », cette grande « Mā-trice », si l’on joue avec les mots, s’incarne (avatāra – littéralement, « traverser vers le bas »), tel Vishnu – ce dieu hindou dont la fonction est de préserver l’univers –, sous diffé-rentes formes selon les besoins du moment. C’est ce que nous avons voulu souligner en choisissant comme titre pour ce livre L’Inde et ses avatars : ce pays se manifeste sous différentes formes selon les besoins ou les attentes disciplinaires de l’observateur. Comme le soulignent plusieurs chapitres, l’Inde est multiple, elle se manifeste sous des aspects fort variés, selon les régions bien entendu, mais également selon la sphère qui est considérée : selon que notre regard se tourne vers l’éducation, l’économie, la politique

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    ou la religion, une facette particulière du pays apparaît. Notre objectif n’est donc pas de présenter une Inde monolithique, mais bien de tenter de donner une image globale de ce pays complexe. Objectif impossible, iné-luctablement voué à l’échec en raison, d’une part, de la multiplicité même de l’objet étudié, et d’autre part, du caractère « vivant » de cette Mā Bhārata. L’Inde est une culture ou plutôt une mosaïque de cultures, de cultures vivantes dont le propre est justement le dynamisme, le mouvement, la transformation.

    Tout de même, nous fixons ici sur papier une vision de l’Inde, vision qui devient automatiquement figée et que le lecteur se doit de remettre immédiatement dans son contexte : toute culture est vivante et, inélucta-blement, se transforme. Impossible de décrire l’Inde en détail dans un seul livre, si volumineux soit-il. L’Inde est aussi multiple que les individus qui la composent, qui l’ont composée… Cependant, nous traçons ici des fron-tières, nous établissons certaines balises. Nous offrons au lecteur une vision du pays se déclinant en 21 chapitres – ou avatāra – qui, nous l’espé-rons, lui permettront de se forger une image du pays – plus complète mais toujours limitée – qui aille bien au-delà de l’imaginaire occidental que nous évoquions plus haut.

  • Pakistan

    Chine

    Népal

    Birmanie

    Bangladesh

    ÉTATS INDIENSJammu et Cachemire

    Himachal Pradesh

    Uttarakhand

    Punjab

    Haryana

    Chandigarh

    Rajasthan

    Gujarat

    Maharashtra

    Madhya Pradesh

    Uttar Pradesh

    Delhi

    Bihar

    Sikkim

    Assam

    Arunachal Pradesh

    Nagaland

    Manipur

    MizoramTripura

    Meghalaya

    Bengale occcidental

    Jharkhand

    Chhattisgarh

    Andhra Pradesh

    Orissa

    Tamil NaduKerala

    Karnataka

    Goa

    Andaman-et-Nicobar

    Pondichéry

    Dadra etNagar Haveli

    Daman et Diu

    Lakshadweep

    Source : Leclerc, Jacques. « Inde » dans L’aménagement linguistique dans le monde, Québec, TLFQ, Université Laval, 2012. http://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/inde-carte-etats2.htm

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  • pa rtie i

    L’Inde actuelle

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  • chapitre 1

    Les grandes tendances sociales

    Christophe Jaffrelot

    D ’après un cliché tenace, l’Inde serait une « terre-de-contrastes ». Ce stéréotype doit beaucoup à la méconnaissance du pays, mais il recèle une bonne part de vérité que l’on retrouve d’ailleurs dans la devise officielle de l’Inde : L’unité dans la diversité.

    L’Inde est plurielle. Sa masse continentale (3,9 millions de km²) et sa démographie (1,2 milliard d’habitants) y contribuent, bien sûr, mais son voisin chinois, qui soutient la comparaison en ce qui concerne la superficie et la population, est bien plus homogène. L’Inde est d’une diversité atypique.

    Ce pays est d’abord la terre de toutes les religions. Certes, l’hindouisme représente 80 % de la population totale, mais, outre que le milieu hindou est divisé en de nombreux courants sectaires, il laisse plus de 250 millions d’âmes à d’autres cultes. L’islam, d’abord, est une grande religion de l’Inde, non seulement parce que les musulmans, avec près de 170 millions de croyants, font quasiment de l’Union indienne le deuxième pays musulman du monde, derrière l’Indonésie, à égalité avec le Pakistan et le Bangladesh, mais en outre parce que le sédiment islamique a marqué l’histoire indienne, comme en témoignent les monuments hérités de l’Empire moghol et les miniatures persanes – sans parler du syncrétisme observable en matière de musique et de cuisine.

    Les chrétiens, s’ils ne forment que 2 % de la population, constituent une minorité très appréciable aussi. D’une part, ils se disent « fils du sol » du seul fait que saint Thomas a évangélisé le pays avant d’y mourir et d’y être enterré en 52. D’autre part, même s’ils ne sont que 25 millions, ils jouent

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    un rôle important dans le domaine de l’éducation et des soins (comme en témoigne l’œuvre de Mère Teresa), et en matière théologique (tant en Inde qu’à l’étranger, comme le montrent les répercussions de ses théoriciens de l’inculturation, notamment en milieu jésuite). Les sikhs représentent 2 % de la population indienne, mais leur poids social, politique, économique et culturel est également sans commune mesure avec ce faible pourcentage : ils sont toujours surreprésentés au sein de l’armée du fait, notamment, du statut de martiale race que les Britanniques leur avaient reconnu et aussi à cause de leur ardeur au travail à l’origine du formidable essor éco-nomique (agricole et industriel) du Punjab, le seul État où les sikhs sont majoritaires. Viennent ensuite des communautés qui ne représentent pas plus d’un point de pourcentage, mais qu’on aurait tort de prendre pour quantité négligeable. Le bouddhisme est né en Inde et s’il a été évincé du pays dès l’époque médiévale, il appartient au patrimoine national au point d’apparaître sur le drapeau indien dans la roue du Dharma qui en orne le centre (les bandes ocre, blanche et verte renvoyant, elles, chacune à l’une des religions évoquées plus haut).

    Le zoroastrisme compte moins d’adeptes encore que le bouddhisme – surtout depuis l’installation du Dalaï Lama en Inde en 1959 et la conversion de milliers d’intouchables depuis 1956 – puisque ses disciples, les Parsis, ne sont plus qu’une soixantaine de milliers. Mais cette poignée d’hommes pèse lourd dans l’économie indienne étant donné la présence de firmes familiales très anciennes comme les Godrej, les Wadia et surtout les Tata. Les juifs sont moins nombreux encore depuis le départ en Israël de milliers d’Indiens après la création de l’État hébreu. Mais New Delhi peut se targuer du fait que le pays n’a jamais connu l’antisémitisme – le pays met d’ailleurs volontiers en avant la synagogue de Cochin datant du xive siècle pour l’attester.

    De fait, l’incroyable efflorescence religieuse que nous venons d’expo-ser (et qui ne serait complète que si on y ajoutait le jaïnisme, les formes d’animisme que cultivent les aborigènes et les sous-ensembles musulmans formés par les chi’ites, les ismaéliens, etc.) a donné lieu à une coexistence relativement pacifique. Il ne faut, bien sûr, pas sous-estimer les conflits qui ont opposé les hindous et les musulmans (débouchant même sur la Partition en 1947 et un véritable pogrome au Gujarat en 2002). Mais sans oublier les violences récurrentes dont les musulmans sont encore aujourd’hui victimes, il faut reconnaître à l’Inde un succès méritoire dans ses efforts pour transcender le pluralisme religieux au nom d’un principe d’unité qui s’incarne dans l’idée de sécularisme, un « isme » qui n’est pas la laïcité à la française, car il n’est pas ici question de séparation de l’État et d’une ou plusieurs Églises, mais bien plutôt d’une égale bienveillance mani-festée par le pouvoir à l’égard des différentes communautés religieuses.

  • 19les grandes tendances sociales

    Le raisonnement qu’on applique au fait religieux vaut pour la question linguistique. Là aussi, l’Inde se singularise par une extrême diversité. Certes, les grammairiens ont distingué, depuis le xviiie siècle, deux familles de langue seulement, l’indo-européenne au Nord et la dravidienne au Sud. Mais cette simplification est trompeuse. Au sein de la famille dravidienne, on distingue en effet au moins quatre grandes langues régio-nales : le tamoul au Tamil Nadu, le malayalam au Kerala, le télougou en Andhra Pradesh et le kannada au Karnataka. La famille indo-européenne, elle, compte encore davantage de membres : certes le hindi domine l’en-semble, puisque cette langue du Nord représente jusqu’à 40 % du total, mais certaines autres langues de cette famille comptent autant de locuteurs que certains idiomes parlés en Europe : le gujarati, le marathi, le bengali, le punjabi, etc., sont autant d’exemples pertinents.

    Au total, l’Inde compte 23 langues officielles reconnues par la Constitu-tion. Toute la production de la bureaucratie nationale doit emprunter l’ensemble de ces idiomes de façon simultanée. L’article 30 de la Constitution permet d’ailleurs aux écoles des minorités linguistiques de solliciter des subventions publiques. Cette diversité linguistique s’est trouvée réduite par suite de la reconnaissance fort pragmatique d’un idiome commun dans l’anglais qui a été déclaré langue officielle associée après l’indépendance. Il faut là aussi se garder de tout irénisme, car cette décision n’a pas été prise sans mal. Le Nord hindiphone n’en voulait pas, mais le Sud a opposé une telle résistance au hindi que Nehru a pu imposer l’anglais comme langue officielle associée aux côtés du hindi, langue nationale, en guise de com-promis. Aujourd’hui, même les nationalistes hindous partisans du « tout hindi » recourent à l’anglais, la langue qui permet à l’élite indienne de communiquer sans problème aux quatre coins du pays. Grosso modo, l’Inde compte aujour d’hui 80 millions d’anglophones, un chiffre qui en fait le deuxième pays anglophone du monde (derrière les États-Unis) et qui correspond à peu près à celui des abonnés à Internet. Au-delà de l’élite, la classe moyenne – même dans ses couches inférieures – se met à la langue de Shakespeare, comme en témoigne le succès des écoles English medium. Mais, dans le même temps, le hindi progresse du fait de la lente expansion de l’enseignement secondaire où il est obligatoire, et de l’essor des médias – et d’abord du cinéma dont le hindi est l’idiome de prédilection. Du coup, il n’est pas rare qu’un Indien instruit maîtrise trois langues : celle de sa région – sa langue maternelle–, le hindi et l’anglais. Ce pluralisme linguis-tique se retrouve dans le florilège des littératures de l’Inde, puisque, à côté de la littérature indo-anglaise qui conquiert chaque année de nouveaux lecteurs en Occident, il y en existe d’autres, en langues vernaculaires, qui sont tout aussi vivantes.

    Extrait de la publication

  • l’inde et ses avatars20

    Le contraste Nord/Sud

    De toutes les lignes de clivage géographique qui parcourent l’Inde, celle qui oppose le Nord au Sud est sans doute la plus significative, parce qu’elle est liée à plusieurs critères culturels, sociaux et économiques.

    Le monde dravidien, un monde à part

    Sur le plan culturel, le Sud se définit d’abord comme l’espace linguistique où rayonnent quatre langues de la famille dravidienne, le tamoul, le kan-nada, le malayalam et le télougou. Idiomes de communication, ces langues ont aussi donné naissance à une riche littérature dont la plus ancienne et la plus sophistiquée est sans aucun doute celles des Tamouls, qui témoigent d’un patriotisme littéraire presque aussi ardent que celui des Bengalis ! Sur le plan architectural et même urbanistique, le Sud contraste naturellement avec le Nord par la magnificence de ses temples – véritables villes dans les villes – car ils ont survécu aux invasions musulmanes. Le Sud apparaît d’ailleurs comme un conservatoire de l’hindouisme, ce qu’illustre aussi la vitalité de ses écoles de danse classique, de chant et de musique.

    En même temps, c’est sans doute la partie du pays où la présence de la civilisation hindoue a été contestée le plus tôt. En effet, s’inspirant des découvertes de linguistes européens, des leaders de basse caste du Sud dravidien ont dénoncé la domination des brahmanes, en prétendant que ces derniers étaient les descendants des Indo-Européens qui avaient envahi l’Inde à l’époque antique, alors qu’eux-mêmes étaient les fils du sol. Ce nationalisme pétri de résistance sociale, de fierté culturelle et linguistique a donné lieu à des mouvements politiques qui ont pris le pouvoir dans la province de Madras (Chennai), dès les années 1920. Les partis politiques qui s’en réclament sont, aujourd’hui encore, au pouvoir au Tamil Nadu, l’État où ce culte du dravidianisme est le plus solide. Il s’y est notamment manifesté dans un cinéma plus vivant dans le Sud et qui, du fait de sa popularité, a conduit bien des acteurs à passer à la politique.

    L’essor socioéconomique du Sud

    Il est aujourd’hui possible de tracer une ligne passant du Punjab à l’Andhra Pradesh pour couper l’Inde en deux : au sud-ouest se trouve « l’Inde qui brille », tandis qu’au nord-est correspond « l’autre Inde ». Le revenu par tête mensuel dépasse 22 000 roupies dans la première, alors qu’il se situe au-dessous dans la seconde – les seuls États échappant à cette règle sont le Rajasthan, qui, bien qu’à l’ouest, appartient à « l’autre Inde » ainsi que deux États du Nord-Est – le Bengale occidental et le Tripura –, qui sont à ratta-cher à la première Inde, malgré leur position géographique. Une autre

  • Crédits des photos

    Valentine Deglaire : p. 146, 332, 487 DINODIA : p. 360-361

    Explorateur Voyages : p. 118, 188, 424, 482 Angelo Giampiccolo/Shutterstock.com : p. 482

    Istockphoto : p. 14-15François Latulippe : p. 8, 50, 318, 359, 398, 467, 488-489, 490-491

    Giancarlo Majocchi : p. 274OlegD/Shutterstock.com : p. 468

    saiko3p/Shutterstock.com : p. 232-233Sapsiwai/Shutterstock.com : p. 414theowl84/Shutterstock.com : p. 2-3

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  • Serge Granger, Karine Bates, Mathieu Boisvert et Christophe Jaffrelot

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    Pluralités d’une PuissanceTerre paradoxale, multiple, à l’opposé de notre univers familier, l’Inde est largement perçue à travers les stéréotypes. On trouvera dans ce livre - le premier du genre

    en français - les repères essentiels pour comprendre un pays à la mesure d’un continent, dont les défis seront inévitablement les nôtres. Les auteurs exposent tour à tour les dimensions socioéconomiques, politiques et culturelles d’une Inde « globalisante » qui a marqué et marquera l’histoire tant par sa philosophie que par son économie vouée à la croissance. Globalisante aussi, car l’Inde ne se limite pas à ses frontières : sa diaspora et ses relations extérieures forgeront un monde bien différent dans les années à venir.

    Sous la direction de Serge Granger, Karine Bates, Mathieu Boisvert

    et Christophe Jaffrelot, avec la collaboration de Étienne Breton,

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    RemerciementsIntroductionPARTIE I – L’Inde actuelle1. Les grandes tendances sociales – Christophe Jaffrelot