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L'ABhiAYEI)E

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A MON AMI CAMILLf B()BNOT

Je relis, nzon cher Camille, ajrs l.rei:c ans, ces

pages écrites au retour d'un voyage ( Valmoni, où

'avait inviW Ion cher Père. Je n'ai rien à changer

à ce que j'écrivais alors, Mais je veux y ajouter un

souvenu pour celui qui u veillé, apri's M. Bataille

et avant toi, sur ce bijou architectural. /1 n'est pins

là, l7nte excellent (Le 1877. Mais la Chapelle est

toujours bien gardée. Le nom de celui à qui elle

appartient est le màne, et te nme aussi, le SOin.

artistique; les mémes, le yoàt, le dévouement e le

CWU)'. 8eu1'2?fleflt, nous avons vieilli, Les pierres seules

dc l'abbaye, les statues et les tombeaux de Vaimont ne

vieillissent jas'l'on uni,

JILE'- (:LARETÏE.

5 Juillet 1890.

-j

L'ABBAYE DE VALIONT

C'est une vérité souvent dite, et toujours utile àrépéter, qu'on va hien loin s'extasier devant (les siteset des monuments qui ne valent pas toujours ceuxqu'on a, en quelque sorte, chez soi et commeportée de la main.

Et encore, que d'oeuvres littéraires cékbie.s quiiie sont généralement vantées que parce qu'ellesviennent de l'étranger (!ue de paysages, de villes,de ruines, de chàteaux, on court admirer au loin,qu'on regarderait à peine si on les pouvait reit-contrer à une demi-journée (lu boulevard Tel pari-sien connaît pierre par pierre Floi'ence et. Homequi n'a jamais mis le pied (Jans la Sainte-Chapelle deParis. Tel autre a. visité l'Afrique ou le Japon qui n'ajamais traversé la vallée (le Chevreuse, belle et im-posante en automne comme un paysage de Judée. Ily a, en Normandie, une petite merveille d'art, quelque

- G

chose d'exquis c'est, dans l'ancienne abbaye de

Valmont, cette chapelle, (lite (le Six Heu?es, si bienconservée au milieu des ruines, et qui attire et attireratoujours les touristes érudits, les fins connaisseurs,ceux qui ne se contentent point des admirationsclassiques et des chemins battus et rebattus.

La Normandie est fière de ce bijou de iieire et

elle a raison. Ma surprise et mon émotion artistiquefurent grandes lorsqu'au bout de la vallée pittores-que, - une réduction charmante de la Suisse, enlongeant la petite rivière de Valmont qui court àtravers les prés vers Fécamp et vers la mer, -j'arrivai à cette Abbaye, à ces ruines imposantes oùle lierre jette hardiment son lourd manteau vert, etlorsqu'après avoir traversé ce qui reste de la vieilleéglise, une porte s'ouvrit et la Chapelle m'apparutavec ses vitraux et ses mausolées. La lumière péné-trait là joyeusement par les verrières et sous lesrayons rouges, bleus ou verts des vitraux, la chapelleblanche, presque coquette, ressemblait à un ivoiresuperbe orné (le rubis, d'améthystes et d'émeraudes.Rien de plus charmant et de plus parfait que ce restede l'abbaye, si bien conservé, si compTet dans sarésistan'e aux injures des àges.

Les autres parties de l'lise dont cette chapelleformait autrerois L'abside, ont été tour-à-tour saccagées

-1—et. incen(liées. La vieille al)l)aye de Notre-Dame (leValmont, que fonda, en 111G, Nicolas d'Estouteville,et qui, terminée cinquante-trois ans après, donnaitasile à des religieux (le l'ordre dc Saint-llenojt, a, desiècle en siècle, subi le sac des Anglais, l'assaut des1-luguenots, la colère des Ligueurs; elle a été brûléeen 1671, foudroyée peu d'années après; elle a connul'abandon et la ruine —la chapelle est demeuréeintacte comme si toutes ces catastrophes n'étaientfaites que pour mettre en lumière sa grtce et, je lerépète, cette coquetterie architecturale (lui lui donnetant de charme et tant de prix.

Elle est, au surplus, postérieure à plusieurs desterribles événements (lont l'abbaye supporta le poids.Construite au xvi' siècle, dans le style de la Renais-sance, elle a (le ce temps. d'une gentillesse presquepaïenne, comme on disait alors, l'attrait profond etl'élégance en quelque sorte féminine. L'impressionque donne ce coiii d'église, devenu un musée artis-tique et fait désormais pour rester tel, n'a rien del'émotion un peu farouche d'un temple gothiquecela est plutôt souriant, aimable et gracieux, commetout cet art d'une époque (le résurrection et de renou-veau où le ciseau de Jean-Goujon avait le charmed'une strophe de Ronsard.

Des verrières d'une coloration superbe et d'un

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dessin remarquable attirent tout d'ahord l'attentionpar leur lumineux éclat. Elles ieprdsentent l'Annon-ciation à sainte Anne, la naissance de la Vierge, saintZacharie, la Visitation à sainte E[isabeth ; la Présen-

tation, le Cantique de Saint-Siméon, la mort (le laVierge. Une date apparait '1. ELle n'y serait pasqu'on (levinerait l'heure o'i ces artistiques vitrauxsortirent des mains (l'un maitre inconnu. Il y a làtoute la poésie et à la fois tout le naturalisme desartistes du xvr siècle. Ce temps-ci croit très-orgueil-leusemement avoir inventé ce qu'il nomme le réa-lisme. dais quoi de plus vrai et de plus exquis enmême temps que telles de ces figures, dans cestableaux, - car ce sont [les tableanx' Certains (leces personnlges rappellent les poétiques composi-lions d'un André del Sarto.

il y a encore, au fond (le l'autel, des verrières

d'un talent inestimable qui représentent en basl'Adoration des bergers, au-dessus l'Assomption avec

toute une série d'anges aux poses raphaélesques,jouant de la viole ou étendant leurs ailes, commedans les assomptions primitives du Péiugin. Mais legroupe, qui, sur l'autel, forme rétable et représente

le m ystère (10 l'Annonciation, attire invinciblement

et retient l'LLltentiOfl. C'est que c'est lt vrai ment un

bijou artistique, d'une gi'tce et en même temps

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d'une curiosité infinies. Dans une chambre meubléeavec beaucoup de soin, la Vierge à genoux (levantson prie-Dieu, se tient les mains jointes au-dessusd'un livre ouvert qu'elle lisait tout à l'heure. Elle1ve avec douceur les eux sur l'ange Gabrie], quilui apparaît également agenouillé. Le visage de cettevierge, de cette femme—divine et humaine â la fois- est adorable, il n'y a Pas d'autre mot] La renais-sance ne nous a point laissé beaucoup de figuresd'une pureté égale à celle de ces deux statue3. UnPaul J)ubois ou un Mercié se désespéreraient devantce morceau exquis. Et. quoi de plus charmant, parles détails, que l'intérieur de celte chambre avecle lit â baldaquin, les rideaux aux plis élégants, lemiroir et le prie-Dieu rempli de livres de prières àfermoirs? Puis, à gauche, la haute et belle elieniinée

du xy i siècle avec sa crémaillière et ses hautslandiers. Cette intimité pnélrarite est un des carac-tères de cet art très-sincère et très-vrai, cherchantun peu la qi(.cilitJ et trouvaiit la grâce. Dans le fond,- détails charmants - un établi de menuisier avecpince, rabot, tenailles, et, au bas, la corbeille àouvrage (le la Vierge toute remplie de pelottes delaine. Au plafond, se détaclian t vers la gauche, unefigure du Père-Eternel semble, du haut de sa gloire,bénir cette délicieuse scène entre la Vierge et l'Ange.

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II est impossible de rien voir de plus délicatementtraiLé, (le plus finement ciselé, et la tradilion ne setrompe peut-être pas en attribuant cette sculptureGermain Pilon. Elle est certainement (ligne d'un telmaître.

A droite du rétable, il laut admirer aussi ccgroupe de pierre : Saint Jean-Baptiste, dont le busteest une merveille, et l'ange à genoux, et les délicieuxet infinis détails du paysage dc pierre qui encadrecette scène, malheureusement brisée, du Baptême.

Tout ici est à regarder, je veux dire à admirer.En levant les yeux, on aperçoit les entrelacementssuperbes d'un plafond composé d'arceaux qui soutien-nent un dôme en forme de couronne d'une éléganceet d'une hardiesse étonnantes, et là dans la muraillequ'a fait bàtir en 1832 M. Bataille, pour préservercette chapelle, on voit encastrée avec goût une rosacecomposée d'anciens vitraux provenant de l'abbayemême et que réunit ainsi et agença ingénieusementun grand peintre dont on conserve aussi des fresquesbien intéressantes et. déjà magistrales dans la demeuredu propriétaire. Regardez-là cette rosace qui sur-monte l'entrée (le la chapelle, et qui représente bPêre-Elernel entouré d'anges chantant sa gloire : elleest l'oeuvre d'Eugène Dclaei'oix. L'admirable artistetraa sur un tatleau en bois, avant d'achever cette

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rosace, un dessin, un croquis au fusain de l'agen-cement de ces fragments de vitraux qui, gràce à lui,forment aujourd'hui un tout. Ce dessin existe

encore..Ainsi, je le répète, tout sollicite le regard, dans

ce bijou architectural. A vos pieds des figuresplaquées sur les dalles, s'aliongent dans des posesraidies. Cc sont les tombeaux des dEstoutcville, lefondateur de l'Abbaye ayant réservé pour lui et safamille le privilège d'une sépulture dans le choeurde l'église. Le temps a légèrement effacé les traitsde ces figures, et les têtes et les mains lamées (lecuivre ou de marbre n'existent plus. Mais aux ailettes

qui ornent les épaules, aux lions rampants quiapparaissent encore sui' l'armure, on reconnait (leces chevaliers normands qui firent avec Guillaumela conquète de l'Angleterre. Un d'EstouteviUe tomba

à Flastings.Dans sa Xotre-Dame de Paris, Victor l-lugo, le

poète, l'évocateur du passé, a signalé ces superbestombeaux des d'Estouteville conservés dans la cha-

pelle de Valmont.En entrant et en regardant à droite, la statue

couchée est celle de Nicolas d'Estouteville, le fon-dateur (le l'abbaye; le masque est en albàtre et lemonument tout entier est (l'une pierre parfaitement

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belle. Sur le socle on déchiffre sans trop de peineces mots :IWcolc d'I']stonteL'ilie fottda etie abbayei'au I I I(i, et bpa.ssa le 2 avril I 1.49. Edifiélongtemps après la mort de Nicolas d'lstouteviIle,comme souvenir (le reconnaissance, ce tombeau estd'un caractère remarqual)le; mais celui qui lui faitface et qui, â gauche de la chapelle, supporte lesdeux statues de Jacques d'Estouteville, mort le 42mars 1489, et (le sa femme Louise d'Alhret, décédéele 8 septembre 1494, est d'une valeur pins haute, etvaut surtout par les figurines qui décorent le céno-taphe. Les deux statues d'un pur albâtre furent jadispolychrômes. Les mailles de la cotte d'armes (luguerrier gardent encore la trace (le l'or dont elles

étaient recouvertes. Côte è côte l'époux et l'épousedorment ainsi pour l'éternité, lui, les pieds appuyéssur un lion, emblème de la vaillance, elle sur unebrebis, eiribiême de la douceur. La bonté et lecourage, n'est-ce pas l'idéal (le l'union rèvée entrel'homme et la femme?

Il y a d'autres tombeaux des d'Estouteville sousles pierres de la chapelle. Voilà bien une quaran-taine d'années, une L'tnesse presque aussi intelligenteque celle de lalaam, s'enfonça clans le sol, eu brou-tant l'herbe des ruines. Ou y découvrit une excava-tion, un escalier, et, au lias, on trouva au milieu du

choeur, dans un vieux caveau dont la voûte venaitde s'écrouler, des cercueils en plomb d'une époquefort ancienne portant le noin de la famille d'Estou-teville. Il étaient posés depuis des siècles sur desbarreaux de fer, û un pied ou deux au-dessus del'eau qui est très-proche en cette terre. M. Bataille,alors propriétaire des ruines et oncle du propriétaireactuel, respecta ces cercueils, qui, transférés par sessoins, reposent aujourd'hui clans un caveau neuf,construit sous le parvis de la chapelle conservée.Durant les travaux, un des coeurs de plomb poséssur chaque cercueil, contenant les entrailles d'un deces morts, avait été volé. On le retrouva par miracle.Le coeur de plomb avait été ouvert par côté et ils'en échappait une sorte (le poudre d'un gris-roux,la poussière de la mort. Cette relique es t triaintenantplacée sui l'autel de la chapelle. Les dépouilles hu-maines ont aussi leurs destinées!

On resterait longtemps à regarder, à songer danscelte chapelle de Valmont. Chapelle, ai-je dit! C'estMusée, je le répète, qu'il faut dire. M. Hornot, quihabite le monastère devenu sa propriété à la mort (leM. Bataille, a pris soin, en elTet, (le conservci' etd'amasser dans ce coin de monument échappé à ladestruction, et qu'il ouvre gracieusement aux visi-teurs, tous les débris, tous les morceaux de sculpture,

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les pierres ornées de figures ou chargées d'inscrip-tions que les fouilles ou le hasard lui font découvrirautour de la vieille abbaye. Il aime ces vestigescurieux ou précieux. Il les conserve avec une solli-citude rare et les sauve pour la plus grande joie desarchéologues, des artistes et des visiteurs.

Les belles et bonnes heures que j'ai passées là,contemplant ces rciquioe d'un temps évanoui, admi-rant ces 'vitraux et ces sculptures, traversant cetteéglise en ruines, où les arbres vivants alternent avecles colonnes semblables à des spectres Et quelleimpression profonde et exquise d'art et de voyagej'ai rapportée de ce passage à Valmont si plein decuriosités, de séduction et de souvenirs!

La Normandie a bieii des merveilles, mais Valmont

est un de ses joyaux.

Jules CLARETIE

Octobre 1877.

RUI NES

L'ABBAYE DE VALMONT

INTÉRIEUR DE LA CHAPELLE CONSEflVE

Ircite

Torolieau de Nicolas d'Estouvilh. Sur le socle de la statue

coudée est. écrit.

Ci (UST HAUT ET PUISSANT SEIGNEUII N1COLE SIRES

D'EST OiJTE\11.LE, I.EVU UI. EN SON ViVAT I"ONI)A CETTE PNT'E

AUBAVE EN L ' AN PU CPACE '1 l'I[i FiT fllPSS' LE XXIJ

.IOUII P 'AVrUL MIL CENT ET NI,. s

'lombeau de lac (lues il'Estouteville , inuit le 1 mars

I 819, et de Louise d'Albrel, son épouse, lccedée le 8 sep-

leuiiire '1 1.94.

BAS-RELIEF DE CE TOMBEAU

d€i a,ticbe l drcjite'10 'aiiit Jacques-Ie-Miiieui'." Sa nIe BaI'l)('.

2 1 Saint Séhastien.4n Saillie Vierge.5° 5j 1 Jean-le-Précurseur.

(i Sairile Anne.7° Saint Elui.8° Sainte Cat lierine.9 Saini Louis.

VITRAUX.

Preiidèi'e baie, à gaucheI . l'Annonriation â salifie Aime,l't1ueation de la Viere ; 2. la Naissance de la Vierge,

J}euxi'nie baie, â 4auclle : I . Saint Zacliaric ; 2. Visitation àsainte Elisabeth.

Troisime baie, à droite.1 - La Prêsenlatiou '2. Cantique desaint Siméon.

Quatri"ute baie, à droiteMon de la Vierge.

Cinquième baie, au fond L'adoration des berei's.

ixi'itie baie, au-dessus:1' Assomption.

Rétahie ; l'AnnonciaLion à la Vierge.

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