Une intégration sociale entre individu et groupe culturel

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- 1 - UNIVERSITE MONTPELLIER III- PAUL VALERY Arts et Lettres, Langues et Sciences Humaines et Sociales U. F. R . V : Sciences du sujet et de la société Thèse de Doctorat Sociologie Présentée et soutenue publiquement par Marion THURMES LES METROPOLITAINS EN GUYANE : Une intégration sociale entre individu et groupe culturel Sous la direction de M. le Professeur Mohand KHELLIL Membres du Jury : M. le Maître de Conférence- H.D.R Bernard CHERUBINI, Université de la Réunion M. le Professeur Gilles FERREOL, Université de Poitiers Mme la Directrice de recherche Marie-José JOLIVET, I.R.D. Bondy M. le Professeur Mohand KHELLIL, Université de Montpellier III M. le Professeur Patrick TACUSSEL, Université de Montpellier III Janvier 2006

Transcript of Une intégration sociale entre individu et groupe culturel

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    UNIVERSITE MONTPELLIER III- PAUL VALERY Arts et Lettres, Langues et Sciences Humaines et Sociales

    U. F. R . V : Sciences du sujet et de la socit

    Thse de Doctorat Sociologie

    Prsente et soutenue publiquement par

    Marion THURMES

    LES METROPOLITAINS EN GUYANE :

    Une intgration sociale entre individu et groupe culturel

    Sous la direction de

    M. le Professeur Mohand KHELLIL

    Membres du Jury : M. le Matre de Confrence- H.D.R Bernard CHERUBINI, Universit de la Runion M. le Professeur Gilles FERREOL, Universit de Poitiers Mme la Directrice de recherche Marie-Jos JOLIVET, I.R.D. Bondy M. le Professeur Mohand KHELLIL, Universit de Montpellier III M. le Professeur Patrick TACUSSEL, Universit de Montpellier III

    Janvier 2006

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    A ma petite famille

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    REMERCIEMENTS

    Je tiens remercier, en tout premier lieu, mon compagnon, Arnaud DAndra, pour son soutien continu durant ces quatre annes, ses aides techniques et son regard critique. Je naurais pu terminer ce travail sans sa participation. Je remercie ma famille pour avoir gard ma fille pendant que je travaillais. Je remercie en particulier ma mre pour ses corrections avises et sa confiance en moi. Le laboratoire de sciences sociales de lIRD de Cayenne, en macceptant comme stagiaire durant lanne 2003, a relanc ma motivation. Madame Marie-Jos Jolivet ma informe sur cette possibilit et a bien voulu sengager pour my introduire. Madame Odile Lescure ma accueillie chaleureusement dans les locaux de son quipe de recherche. Je tiens les en remercier fortement. Je naurais pu raliser mon enqute de terrain sans les accords des diffrentes administrations, associations qui ont bien voulu mapporter des informations les concernant. Je remercie donc lIRD, le CSG, le Conseil rgional, le Rectorat, lINSEE, de Cayenne qui ont mis ma disposition des donnes essentielles. Ce travail ne serait rien sans les tmoignages des acteurs de la socit. Je remercie vivement toutes les personnes, qui ont bien voulu me faire partager leur vie, leurs sentiments, mouvrir leur exprience et leur coeur. Ils mont fait confiance en me livrant une part de leur intimit, jespre ne pas avoir trahi leur ralit. Jai lutt tout le long de ce travail contre mes propres prjugs, mais aussi contre la tendance humaine penser de faon dichotomique soit blanc soit noir, soit gentil soit mchant, soit individu soit socit. La science sociale est une rflexion sur la ralit mais elle ne peut prtendre qu une interprtation subjective objective dune ralit. Je remercie mes amis de Guyane, souvent Mtropolitains, pour avoir support mon il de chercheur, mes interrogations, mes remises en question. Enfin, tout ce travail naurait abouti sans le soutien et la patience de mon Directeur de recherche, Monsieur le Professeur Mohand Khellil, qui revient une grande part de ma reconnaissance.

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    SOMMAIRE

    INTRODUCTION ........................................................................................................- 5 -

    THEORIE ET METHODE.................................................................................................- 20 -

    Chapitre I. Construction de lobjet de recherche..........................................................- 21 -

    Chapitre II. Mthodologie.................................................................................................- 51 -

    LES DETERMINANTS SYMBOLIQUES ET OBJECTIFS DE LEXISTENCE DUN

    GROUPE METROPOLITAIN ...................................................- 77 -

    Chapitre I. La Socit dcoule dune histoire ................................................................- 78 -

    Chapitre II. Les reprsentations sur les Mtropolitains aujourdhui .........................- 117 -

    Chapitre III. Caractristiques objectives des Mtropolitains : une classe sociale.......- 163 -

    Conclusion de la deuxime partie ............................................................................................- 194 -

    SOCIALISATIONS ET TERRITOIRES DE LIDENTITE...........................................- 199 -

    Chapitre I. Le projet migratoire pour la Guyane........................................................- 202 -

    Chapitre II. Espace priv : habitats ...............................................................................- 230 -

    Chapitre III. Espaces publics : frquentations, activits, manires dtre...................- 269 -

    Chapitre IV. La citoyennet guyanaise ...........................................................................- 299 -

    Chapitre V. Lacculturation par la langue....................................................................- 325 -

    Conclusion de la troisime partie ............................................................................................- 335 -

    LA CONSTRUCTION DE SON IDENTITE FACE A AUTRUI...................................- 339 -

    Chapitre I. Les reprsentations de la Guyane .............................................................- 342 -

    Chapitre II. Les reprsentations des autres : les diffrents groupes culturels objets de la reprsentation collective ...................................................................- 373 -

    Chapitre III. Les reprsentations de Soi et le sentiment dappartenance ....................- 397 -

    Chapitre IV. Au-del du sentiment dappartenance au groupe mtropolitain : des stratgies identitaires .................................................................................- 440 -

    Conclusion de la quatrieme partie...........................................................................................- 454 -

    UN CERCLE METROPOLITAIN ...................................................................................- 458 -

    Chapitre I. Etat des lieux des relations sociales des Mtropolitains : Une sociabilit communautaire...........................................................................................- 460 -

    Chapitre II. La construction des relations entre dterminismes et stratgies............- 504 -

    Conclusion de la cinquieme partie...........................................................................................- 560 -

    CONCLUSION ....................................................................................................- 563 -

    REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES................................................................................- 570 -

    BIBLIOGRAPHIE GENERALE RELATIVE A LA GUYANE..........................................- 583 -

    INDEX DES AUTEURS...........................................................................................................- 590 -

    TABLE DES ILLUSTRATIONS ............................................................................................- 593 -

    TABLE DES MATIERES........................................................................................................- 597 -

    ANNEXES

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    INTRODUCTION

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    Ceux que tout un chacun vivant en Guyane nomme les Mtros , semblent tre des

    individus blancs originaires de la mtropole. Ils se diffrencient donc de la population locale

    par leur couleur et leur identit de migrants1 issus de la mtropole2, de lEtat considr par

    rapport ses colonies, ses territoires extrieurs (dictionnaire Le petit Larousse). En Guyane,

    les Mtropolitains reprsentent 12 % de la population. Leur attribution catgorielle, comme le

    diraient Philippe Poutignat et Jocelyne Streiff Fenart (1995), le simple fait de les nommer est

    une faon de les diffrencier.

    Les socits contemporaines semblent vivre un paradoxe. Alors que tout le monde saccorde

    constater lhomognisation des cultures, la mondialisation, lamricanisation, la globalisation

    qui seraient dues aux dveloppements des moyens de transports, de communication, au

    dveloppement de lidologie capitaliste, consumriste et la monte de lindividualisme, la

    scne internationale devient le lieu de la monte des particularismes, des revendications

    identitaires.

    Les Etats sont confronts la prsence sur leur sol de populations dorigines diverses qui

    parfois entendent garder leur identit culturelle. La France hexagonale est amene se poser

    des questions sur lintgration des ressortissants du Maghreb, dAfrique noire, mais aussi des

    Basques, Catalans, Bretons et autres particularismes rgionaux, sans compter ses populations

    doutre-mer. Le Canada tente de concilier les oppositions entre francophones, anglophones et

    minorits autochtones amrindiennes . Les Etats-Unis, pays de migration, se trouvent face

    des communauts diverses, mexicaine, asiatique, juive, noire amricaine. Tous les pays

    dvelopps sont amens penser les recompositions identitaires. Quel quilibre peut avoir

    une nation, c'est--dire un ensemble dhommes qui ont conscience davoir une histoire, une

    culture, un devenir en commun, quand ses sujets se reconnaissent avant tout membres dun

    groupe restreint en son sein ? Lidentit particulire devient pour lindividu un repre, un

    enjeu de pouvoir et de reconnaissance et ces socits voient poindre le risque de

    laccroissement de tensions, de luttes identitaires.

    Deux idologies politiques se font alors face. Une idologie diffrentialiste pense que les

    hommes sont diffrents et donne une place lappartenance de groupe. Cette idologie, que

    1 Sont immigres les personnes qui rsident habituellement dans un lieu diffrent de celui de leur naissance (Dictionnaire Le Petit Robert), 2 du grec mtr et polis, qui signifient respectivement mre et ville

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    lon nomme aussi multiculturelle, est labore par exemple en Grande-Bretagne, aux Etats-

    Unis, en Allemagne. Dun autre ct, la France a une vision universaliste. Son action repose

    sur la croyance a priori en lquivalence des hommes et des peuples. La France ne laisse pas

    sexprimer politiquement les appartenances identitaires qui restent dans le domaine de la

    sphre prive. Seul le citoyen a une importance aux yeux de lEtat. De cette idologie est ne

    la politique assimilationniste qui visait rendre lindividu immigr conforme aux valeurs et

    pratiques environnantes.

    Paralllement ces idologies politiques, il existe des ralits anthropologiques (Todd 1994),

    des diffrences culturelles, dans les pratiques, les visions du monde, les structures familiales.

    On parle dinterculturalit (Camilleri 1990) lorsquil y a des contacts entre des populations

    culturelles diffrentes. Selon plusieurs auteurs (Tribalat 1995, Todd 1994), la ralit

    anthropologique de la France est bien une assimilation des individus, les appartenances

    communautaires ne survivent pas. La France a une tradition dabsorption des diffrences.

    Dans ce contexte gnral, nous proposons dtudier une population au sein dune socit

    multiculturelle. La Guyane se situe 8 000 km de la France hexagonale. Aprs avoir t une

    colonie presque 350 ans, elle devient en 1946 un dpartement et une rgion de la France au

    mme titre que les autres dpartements doutre-mer. La Guyane fait donc partie de lensemble

    des Dpartements dOutre-Mer (DOM), comme rgion ultrapriphrique de lUnion

    Europenne. Elle est la seule rgion francophone et europenne du continent sud-amricain.

    Ce territoire a une gographie, un climat, un environnement naturel spcifique. Prsentons

    brivement le contexte physique de la Guyane. Dans le nord-est de lAmrique du Sud, situe

    entre les 2 et 5 degrs de latitude nord et entre les 52 et 54 degrs de longitude ouest, la

    Guyane repose sur le plateau des Guyanes regroupant le Brsil, le Venezuela, le Surinam et le

    Guyana. Elle est borde au nord par lOcan Atlantique sur 320 km, louest par le Surinam

    sur 520 km de frontire, au sud et lest par le Brsil sur 580 km de frontire commune. La

    Guyane est le plus vaste des dpartements doutre-mer et la rgion la plus grande de France.

    Avec ses 90 909 km2, elle reprsente 16 % ou 1/6me du territoire de lhexagone. Elle quivaut

    donc un territoire comme la Belgique ou le Portugal. Ce territoire est occup 94 % par une

    immense fort quatoriale (8 millions dhectares).

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    Carte 1: La Guyane: positionnement en Amrique et rpartition des espaces (Source : Atlas illustr de Guyane, sous la direction de J.Barret 2002 : 13 et 27)

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    La Guyane est par ailleurs une socit particulire bien quadministrativement part dun

    ensemble national. Tout individu qui arrive sur son sol est frapp par sa composition humaine.

    Les chercheurs saccordent dfinir cette socit comme multiethnique, multiculturelle,

    autant de termes qui signifient la prsence de groupes humains diffrencis sur un territoire

    commun. La Guyane est un espace franais, pourtant elle regorge dune diversit de

    populations qui na pas son pareil en mtropole. La socit franaise parat plus homogne

    que la socit guyanaise3. En parlant de la Guyane, lanthropologue Jean-Jacques Chalifoux

    affirme qu il est difficile de dire sil sagit dune partie de socit, dune socit ou de

    plusieurs socits distinctes (1989 : 16). Larticle de Pierre et Franoise Grenand,

    anthropologues travaillant sur les populations amrindiennes, dans lAtlas de Guyane (2001),

    dcrit la Guyane comme le type mme de socit pluriethnique regroupant en son sein une

    quinzaine de communauts culturelles diffrentes.

    Prsentons les caractristiques de cette socit. La Guyane nest pas trs peuple. En 1999,

    lInstitut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) recense 157 213

    habitants, ce qui reprsente 1.9 habitants au kilomtre carr (108 dans lhexagone). Il est

    difficile davoir une estimation exacte de la rpartition de la population par groupes

    culturels puisque les donnes officielles en France nautorisent pas la distinction des individus

    selon leur origine ou leur appartenance ethnique. LINSEE, en 2002 (recensement de 1999),

    donne tout de mme une vision des groupes en se basant sur le lieu de naissance des

    individus. En premier lieu, seuls 54 % des individus vivants en Guyane y sont ns (INSEE,

    1999). Les individus ns dans les autres Dom et Tom, qui sont 5 % de la population guyanaise

    et les individus ns en mtropole (qui, on la dit, reprsentent 12 %) sont ns en France mais

    en dehors du territoire guyanais. ). 30 % des individus sont ns ltranger (INSEE, 2002)4.

    Parmi eux, les Surinamiens seraient 11 %, les Hatiens 9 %, les Brsiliens 5 %, les Chinois et

    les Hmong chacun 1 % de la population guyanaise.

    LINSEE qui traite les individus par lieux de naissance ne donne quune image partielle de la

    ralit anthropologique de la socit, ne distinguant pas, par exemple, les diffrents groupes

    culturels au sein des ns en Guyane : les Amrindiens, les Businenge, les Croles, les

    enfants de migrants qui sont assimils une communaut. De plus, les recensements ne

    3 Pour donner un exemple visible de la moindre diversit, selon E. Todd (1994 : 336), la population noire de lhexagone est value dans les annes 1991 seulement 2 % de la population totale. Elle est aussi 12 % de la population des Etats-Unis. 4 Des estimations officieuses admettent une proportion de 50 % dtrangers.

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    prennent pas en compte les migrations clandestines qui sont trs nombreuses chez les

    Hatiens, les Brsiliens et les Surinamiens. Il est certainement plus juste de penser que les

    populations surinamiennes, hatiennes et brsiliennes sont plus importantes et que, par

    consquent, proportionnellement, les populations nes en Guyane, en mtropole ou dans les

    autres Dom Tom le sont bien moins.

    Selon une estimation de lanthropologue Myriam Toulemonde-Niaussat, en 1991, les Croles

    seraient 38 %, les Businenge 11 % et les Amrindiens 9 %. Tandis que la Cimade5, en 1993,

    avance les chiffres de 45 000 Croles guyanais (32 %), 25 000 Hatiens (18 %), 18 000

    Brsiliens (13 %), 12 000 Mtropolitains (9 %), 10 000 Surinamiens (7 %), 7 000 Croles des

    Antilles franaises (5 %), 6 000 Marrons (4 %), 5 000 Amrindiens (4 %), 3 000 Croles des

    Antilles anglophones (2 %), 1 600 Hmong (1 %), 1 000 Chinois (1 %) et 5 000 individus de

    diverses origines (4 %). Ces chiffres doivent tre pris avec rserve puisquils sont des

    estimations non officielles.

    De toute vidence, sil nest pas possible de donner une reprsentation exacte de chaque

    groupe culturel, il apparat que : la socit guyanaise est multiethnique ; les Croles guyanais

    reprsentent la plus forte minorit et sont un peuple originaire de Guyane tout comme les

    Amrindiens et les Businenge ; le poids des immigrs rcemment arrivs, en commenant par

    les Surinamiens, les Hatiens et les Brsiliens, est fort. Les Mtropolitains sont une minorit

    importante, qui se distingue physiquement par sa couleur blanche.

    Laspect multiculturel de la socit guyanaise se rvle avec la rpartition gographique des

    diffrents groupes culturels. Que lon se mette lchelle de la Guyane entire ou celle des

    centres urbains ou des quartiers, on remarque toujours une sparation des lieux de vie entre

    les diffrents groupes. La premire segmentation se voit au niveau rgional : lEst est occup

    par les Croles, Mtropolitains et immigrs rcemment arrivs, tandis que lOuest est occup

    par les Businenge, surinamiens ou franais et les Amrindiens. On trouve aussi des villages

    monoethniques. Il existe trois villages hmong en Guyane : Cacao, Javouhey (cr en 1979) et

    Rocoucoua (en 1989). Plusieurs regroupements amrindiens se distinguent, soit comme

    villages sur le littoral (Awala-Yalimapo, Bellevue) ou dans lintrieur (Antecume-Pata,

    5 Association cumnique cre en 1939 pour venir en aide aux personnes dplaces et regroupes dans les camps du sud de la France. Historiquement lie aux mouvements de jeunesse protestants, la Cimade travaille aujourd'hui en collaboration avec d'autres organismes catholiques, orthodoxes et lacs au service des rfugis, des trangers en France, et au dveloppement solidaire des pays de l'Est et du Sud.

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    Camopi), soit encore comme quartiers (Terre-rouge....). Les Businenge sont aussi

    largement majoritaires dans les communes du fleuve (Apatou, Grand-Santi...). Cette carte de

    lAtlas de Guyane de 2002 met, schmatiquement, en vidence les rpartitions spatiales par

    groupes culturels.

    Carte 2: Rpartition de la population guyanaise par ethnies (Source : Atlas illustr de la Guyane, sous la direction de J. Barret 2002 : 2

    Les communauts sont dautant plus marques quelles occupent des secteurs dactivit

    diffrents. Les migrations ont souvent t lobjet de la recherche dune position

    professionnelle : il est donc logique que les populations se soient spcialises dans un

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    domaine prcis, mme sil y a mobilit sociale pour certains. Les Hmong sont

    particulirement reprsents dans lagriculture (15 % des agriculteurs de Guyane sont hmong

    alors quils ne sont que 1 % de la population selon lINSEE 2002 : 15). Les Chinois sont en

    grande majorit dans les commerces dalimentation. En 1999, 60 % des commerces

    dalimentation sont tenus par des individus de nationalit chinoise tandis que les Chinois

    reprsentent 1 % de la population (INSEE 2002 : 15). Ils reprsentent une force conomique

    non ngligeable, comme lcrit Andr Calmont, gographe : les Chinois exercent un quasi-

    monopole commercial puisquils assurent prs de 90 % de la vente au dtail des produits

    dpicerie (1976 : 32).

    Avec R. Calmont, remarquons que les Hatiens occupent le plus souvent des tches ne

    demandant que trs peu de qualification, alors que les Brsiliens, souvent charpentiers,

    sadonnent des emplois demandant plus de savoir-faire (1988 : 4). Les Hatiens sont donc

    en majorit dans le secteur secondaire, dans le travail du btiment, dans des mtiers ne

    ncessitant pas de qualification. Dans le tertiaire, les trois-quarts des femmes hatiennes sont

    dans la catgorie des personnels de service, alors que les hommes dans ce type demploi sont

    jardiniers ou gardiens (Calmont 1988). Les Brsiliens sont plutt ouvriers qualifis ou

    spcialiss. Ils sont embauchs dans tous les mtiers de la construction. Les hommes

    businenge dans les centres urbains sont aussi, souvent, dans les mtiers du btiment, sur le

    fleuve Maroni, ils sont piroguiers et exercent de nombreux job dans les changes

    commerciaux (Toulemonde 1993). Les Libanais sont essentiellement dans le commerce du

    textile. Plus du tiers de lemploi en Guyane repose sur la fonction publique (INSEE 1999) qui

    est compose en majorit de Mtropolitains, dAntillais et de Croles guyanais (emplois

    rservs aux individus de nationalit franaise).

    Enfin, si on les nomme ethnies, groupes culturels, cest que leurs diffrences fondamentales

    reposent sur des diffrences de culture. Il faut se rfrer aux travaux des anthropologues ou

    ethnologues consacrs la description des diffrentes ethnies. Mais il est difficile de

    comparer point par point les cultures de populations diffrentes. La langue pratique est

    srement lindicateur le plus objectif des diffrences. Sans une langue, crit Marguerite de

    Fauquenoy (1990 : 55), pour lexprimer et la transmettre, point de culture qui puisse survivre,

    autrement que sclrose dans des manifestations folkloriques dpourvues de significations .

    Plus dune vingtaine de langues se ctoient dans ce dpartement de lOutre-mer franais :

    des langues amrindiennes, au nombre de six, des langues croles, au nombre de trois et une

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    langue asiatique, le hmong, (Goury 2001 : 1). Parmi elles, dix langues sont reconnues

    comme rgionales par le rapport Cerquiglini de 1999. De nombreuses autres langues sont

    en prsence, la faveur des diffrentes migrations : crole martiniquais, guadeloupen,

    hatien, sainte-lucien, portugais du Brsil, espagnol, nerlandais, sranan tongo, diffrents

    dialectes chinois, arabe libanais, javanais, hindi, vietnamien, lao etc. On peut prsent dire

    que si le franais est la langue officielle, il nen reste pas moins que de nombreuses autres

    langues sont les langues maternelles et vhiculaires des populations prsentes en Guyane. Une

    grande partie des communications entre coliers se passe en langue maternelle. I. Lglise et B.

    Migge, sociolinguistes ayant travaill sur Saint-Laurent, jugent que le franais, bien que

    langue de lcole, simpose comme langue seconde dans prs de 100 % des cas (2003).

    Chaque population utilise donc plusieurs langues dont et en priorit, celle de son groupe

    culturel. Il est difficile dvaluer de manire statique la culture dune population mais on peut

    dire que, derrire les pratiques de langues diffrentes, se trouve tout un systme culturel qui

    distingue les populations les unes des autres. La socit guyanaise est donc multiethnique. Il

    ny a pas dhomognit culturelle.

    Lhistoire avec ses mouvements migratoires est lorigine de cette composition. Bien qu

    8 000 km du territoire franais la Guyane est depuis 1604 sous lemprise administrative de la

    France. Son histoire passe successivement par des temps forts : une priode de colonisation

    esclavagiste (1670-1848), la rue vers lor (1870-1920), la priode du bagne (1852-1952),

    pour enfin devenir dpartement et voir le dveloppement du Centre Spatial Guyanais (depuis

    1965). Lhistoire, en quelques 400 ans, a plac des populations diffrentes sur un mme

    territoire. Dune seule prsence amrindienne, la colonisation franaise amnera des

    Europens et des Africains. Puis, les diverses priodes clefs, lui feront subir plusieurs vagues

    dimmigration. Une description de lhistoire permet de replacer dans son contexte larrive de

    chaque population constituante de la socit guyanaise actuelle et de les dfinir brivement.

    Les Amrindiens sont prsents en Guyane depuis des millnaires (Il y a 6000 ans selon

    Jacqueline Zonzon et Grard Prost (1996), il y a 2 000 ans selon P. et F. Grenand (1985a), les

    anctres des Arawak pntrent dans lactuelle Guyane), ils reprsentent alors plus de trente

    ethnies diffrentes (Grenand P. et F. 2002 : 30). Leur contact avec les Europens au XVIIme

    sicle va faire passer leur groupe de 30 000 3 000 individus (Barret 2001 : 144). Ce sont

    essentiellement les pidmies qui seront la cause de la mort des Amrindiens. On trouve en

    Guyane six ethnies diffrentes dAmrindiens (les Kalina, les Wayana, les Palikour, les

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    Wayampi, les Emrillons et les Arawak) qui appartiennent trois ensembles linguistiques

    distincts (carib, arawak, tupi). Des groupes vivent sur le littoral tandis que dautres vivent en

    fort.

    La colonisation et lesclavage voient la naissance de deux groupes diffrents : les Businenge

    et les Croles. 20 000 esclaves sont amens sur les terres de Guyane. Les Businenge ou Noirs

    marrons sont, lorigine, les esclaves qui fuirent les habitations et leur condition desclaves et

    se rfugirent dans les bois en restructurant des socits tribales. En Guyane, les mouvements

    de marronnage ont t limits et toujours rduits par les troupes du Gouverneur. La seule

    chance dchapper au systme esclavagiste en Guyane tait de passer la frontire du Brsil et

    de rejoindre les groupes de quilombos, ce que firent la plupart des chapps (Price R. et S.

    2003). Au Surinam par contre, colonie hollandaise o les esclaves taient en plus grand

    nombre, le marronnage sest dvelopp et a constitu des petites rpubliques autonomes,

    rorganises sur les modles sociaux africains. En 1776, quelques centaines desclaves en

    fuite des plantations du Surinam traversent le Maroni et sinstallent en Guyane (Bourgarel

    1990 : 43). Le premier groupe de Marrons venir sinstaller fut celui des Boni, en 1776. Au

    temps de la rue vers lor, vers 1890, des Saramaka vinrent aussi sinstaller, puis ce furent les

    Ndjuka et les Paramaka. Si toutes ces populations sont homognises sous lappellation

    Businenge , il sagit en fait de plusieurs ethnies distinctes et parfois en conflit.

    Selon Marie-Jos Jolivet, anthropologue spcialiste de la population crole : le mot

    crole dsigne, dune manire gnrale, la descendance locale dune espce importe.

    Appliqu au genre humain, il caractrise donc les descendants dune population autrefois

    venue dailleurs et distingue ainsi des autochtones proprement dits et des nouveaux venus.

    (1986a : 15). Le premier emploi du terme concernait avant tout les Blancs colons ns dans les

    territoires dOutre-mer. Ce mot sest ensuite appliqu aux esclaves noirs ns dans la colonie,

    en opposition aux esclaves ns en Afrique, les Bossales . Les Croles, sont gnralement

    caractriss comme les descendants des esclaves ns dans la colonie, parfois mtisss avec les

    matres blancs. A lheure actuelle, ce terme dsigne un groupe culturel particulier.

    Les colons blancs sont prsents pendant la colonisation mais ne parviendront pas se

    maintenir comme groupe social constitu la fin de lesclavage, en raison de lcroulement

    du systme conomique. Il ny a donc pas de groupe blanc, descendant de la colonisation

    premire, comme cest le aux Antilles avec le groupe bk.

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    A la fin de lesclavage, en 1848, la France lance des appels la migration pour remplacer la

    main duvre perdue (Calmont 1976 : 28). Les librs se dtachent de tout ce qui pourrait

    leur rappeler leur condition servile et refusent donc le travail salari qui leur est propos chez

    leurs anciens matres. Ils prfrent construire des abattis6 et vivre en autogestion (Jolivet

    1982). Cest le dbut des vagues migratoires. Selon Ketty Girondin (1986), la France fit

    successivement appel des Madriens (248 arrivent entre 1849 et 1851), des Africains

    (2000 entre 1854 et 1859), des Indiens dInde (8000 viendront de 1856 1877) et enfin

    des Chinois (500 personnes arrivrent entre 1870 et 1880, puis 150 de 1953 1973). Des

    Javanais (230 personnes) vinrent sinstaller en 1955 sur la commune de Sinnamary pour

    dvelopper la riziculture. Ceux-ci, pour la plupart, sinstalleront finalement dans lle de

    Cayenne et occuperont diverses fonctions (Chalifoux 1982).

    La rue vers lor amnera galement son lot de migrants venus tenter leur chance. Au plus fort

    de la rue, entre 1894 et 1901, les arrives varient entre 12 000 et 20 000 par an. Ce sont

    surtout des populations des Antilles anglaises (Sainte-Lucie, Dominique, Barbades, Saint-

    Vincent, de Grenade) mais aussi des Antilles franaises (Guadeloupe et Martinique) et

    quelques Europens qui sont concerns par cette priode. Les Martiniquais arrivrent avec la

    rue vers lor, puis une seconde vague dimmigrs arriva avec la catastrophe de lruption du

    Mont Pel en Martinique en 1902. Enfin, la dpartementalisation leur facilitera laccs des

    emplois dans la fonction publique.

    Daprs Eric Fougre (2002), historien, le bagne, qui dura cent ans (1850-1950), apparat et

    donne lieu au dplacement de 68 000 bagnards originaires en majorit de mtropole, mais

    aussi des colonies franaises du monde entier (Maroc, Indochine...). Les bagnards sont

    normment touchs par la mortalit : leurs conditions de vie, le peu dhygine les rend

    vulnrables aux diffrentes maladies circulant dans un pays humide et peu survivront. Ceux

    qui survcurent ne restrent que peu en Guyane (5 000 reverront le sol mtropolitain). La

    colonie et le dpartement (ds 1946) seront loccasion dune immigration de fonctionnaires

    venue de mtropole. La prsence du Centre Spatial Guyanais (CSG) ds 1965 amnera aussi

    des ingnieurs. Les Blancs seront alors dnomms les Mtropolitains, sans que lon sache

    exactement de quand date cette appellation. Il semble que ce terme naisse sous la

    dpartementalisation alors quils taient dnomms Europens sous la colonie.

    6 Type dexploitation agricole, petite unit de production vivrire familiale

  • - 16 -

    En 1965, commencent les grands chantiers du CSG qui dureront pendant 10 ans. A cette

    occasion, la France fait de nouveau appel de la main-duvre trangre. Ce sont en

    particulier des Colombiens (qui retourneront pour la plupart dans leur pays la fin de leur

    contrat), des Businenge et des Brsiliens qui travaillrent pour ces chantiers. Limmigration

    brsilienne ne cessa ds lors de samplifier.

    Le ministre des Dom-Tom, Olivier Stirn, lana, en 1974, un projet de dveloppement agricole

    et de peuplement de la Guyane, le Plan Vert , qui permit quelques migrants de sinstaller.

    Des Runionnais (50 familles sur Macouria) sinstallrent en 1976 (Calmont 1979 : 1), ainsi

    que des Hmong du Laos, qui vinrent directement des camps de rfugis de Thalande (500

    personnes sur la commune de Roura) et quelques Europens ds 1977.

    Enfin, ce sont des vnements politiques extrieurs qui dclenchrent deux migrations : celle

    des Hatiens et celle des Surinamiens. Limmigration hatienne a dbut dans les annes

    1970 (Gorgeon 1986). Victimes de la pauvret et dun rgime politique svre dans leur pays,

    ils sont arrivs massivement. Ils ont t, jusquau dbut des annes 1990, la premire

    communaut trangre de Guyane. Les Surinamiens sont venus sinstaller massivement dans

    les annes 1980 la suite de la guerre civile du Surinam, pays frontalier de la Guyane. Enfin,

    des migrations varies, de Chinois, de Libanais, dIndonsiens, de Pruviens, se rajoutrent.

    La base de la population a longtemps t crole. Mais les diffrentes populations immigres et

    le dsenclavement de la rgion ouest de la Guyane posent une nouvelle dynamique. La socit

    actuelle dcoule effectivement de lhistoire qui a plac des populations diffrentes sur un

    mme territoire mais elle est aussi la scne de dynamiques identitaires communautaires.

    Plusieurs groupes, les Croles, les Amrindiens, les Businenge, entendent conserver leurs

    particularits et revendiquent une identit propre. Lethnicit, c'est--dire la volont de se

    diffrencier des autres, des diffrents groupes maintient lidentit multiculturelle de la

    socit7. Cette juxtaposition de communauts est aussi le rsultat de dynamiques identitaires

    volontaires, comme lcrit G. Collomb, anthropologue : ...la diversit de la population

    guyanaise nest saisissable aujourdhui que comme la juxtaposition de groupes humains

    conscients deux-mmes et porteurs didentits particulires (1998b : 230). Lindividu se

    positionne dans la socit par son appartenance au groupe culturel. Selon S. Mam Lam Fouck,

    7 Nous dtaillerons les processus dethnicit dans la deuxime partie.

  • - 17 -

    historien, dans limmdiat, chaque communaut dfinit sa propre stratgie culturelle tout en

    affirmant sa volont de sintgrer dans un ensemble o toutes les communauts auraient leur

    place (1996a : 199). Le groupe culturel est le produit dun mlange complexe entre des

    particularits culturelles et ce mouvement dethnicit.

    Les Mtropolitains se trouvent apparemment dans un groupe culturel part. Ils arrivent dans

    un espace social o des communauts sont formes. Y a-t-il un groupe mtropolitain ? Ces

    individus sont-ils unis par une culture commune, des relations interpersonnelles intenses, le

    sentiment dappartenir un groupe ? Sont-ils acteurs dune revendication de leur identit ?

    Comme le note Isabelle Hidair, auteur dun travail sur lidentit crole, dans son introduction,

    les tudes relatives aux Mtropolitains de Guyane font jusqualors dfaut (2003 : 10).

    On ne sait rien des processus identitaires de cette population.

    Ces individus se trouvent immigrs dans une socit o la logique semble tre

    communautariste. Ils ont pourtant t socialiss dans une socit qui prne une idologie

    universaliste, qui suppose une intgration par le citoyen et non par lintermdiaire dun

    groupe culturel et on suppose que lindividu a incorpor cette logique. Quelle est donc

    lintgration sociale des Mtropolitains en Guyane ? Sintgrent-ils individuellement, comme

    citoyens, la socit guyanaise ? Ou bien, sintgrent-ils la socit guyanaise par

    lintermdiaire dune appartenance au groupe mtropolitain ?

    Au-del dune intgration conomique, du fait de trouver une place sur le march de lemploi,

    lintgration sociale suppose, de faon synthtique, une acculturation des immigrs

    (ladoption de traits culturels locaux et donc le partage dune culture), le sentiment

    dappartenir une entit commune (sentiment davoir un devenir en commun), la

    participation la politique ( la gestion de la Cit), des relations avec la population daccueil

    et lacceptation par la socit daccueil. Mais dans cette socit daccueil, multiculturelle,

    qui sintgrent les Mtropolitains ?

    Ltude de lintgration dun groupe nous permet donc de nous interroger, de faon plus

    large, sur la dynamique identitaire guyanaise. O se trouve lide de nation lorsque lon est

    face une juxtaposition de communauts ? La relation lAutre est au cur de la notion

  • - 18 -

    dintgration. Nous allons en fait tudier les frontires symboliques que les hommes instituent

    entre eux : les identits.

    On peut se poser la question de savoir quelle est la manire dont sarticulent ces diffrents

    groupes culturels. Quand on fait le point sur la composition sociale de la Guyane, on est

    forcment amen se demander comment une socit hbergeant autant de cultures

    diffrentes peut trouver un quilibre, question souleve par Bernard Cherubini,

    anthropologue, quand il crit que la Guyane est place devant un vritable problme de

    coexistence et il reste trouver un quilibre entre ces diverses communauts (1986 : 5). Une

    socit multiculturelle pose le problme de son harmonie, de sa cohsion sociale, de

    larticulation des diffrentes populations qui se dfinissent avec une identit particulire. Les

    dcideurs guyanais, soucieux de faire lconomie de conflits identitaires, semblent tre

    attentifs la dfinition dun espace commun (Etats gnraux de la Rgion Guyane 1998).

    Les questions sur la coexistence des groupes culturels sont en France souvent lies aux

    migrants, ce qui explique notre dmarche intellectuelle pluridisciplinaire mlant lhritage de

    la sociologie de limmigration franaise et de lanthropologie culturelle qui traite

    particulirement des identits des groupes ethniques, culturels ou communauts. Nous

    empruntons aussi la psychologie sociale des outils danalyse pour cerner les mcanismes

    complexes lis la construction de lidentit.

    Nous adoptons une dmarche constructiviste. Dun ct, nous admettons, avec le holisme, que

    la socit surplombe les individus : lhistoire, les donnes conomiques, institutionnelles

    simposent eux. Dun autre ct, nous empruntons au paradigme individualiste sa vision de

    lindividu crateur de la ralit sociale. Ainsi, nous privilgions une approche qualitative,

    plaant au cur de lanalyse lapprhension que lindividu fait de sa vie.

    Dans une premire partie nous allons dtailler les choix thoriques et leurs influences sur la

    mthode employe. Dans une deuxime partie, nous commencerons entrevoir les

    dterminismes sociaux qui faonnent lidentit dun groupe mtropolitain : lhistoire, le

    regard des autres, les caractristiques socio-conomiques. Dans une troisime partie, nous

    nous interrogerons sur les pratiques culturelles des Mtropolitains, part de la culture et

    lments essentiels de ladaptation du migrant son espace social. La culture suppose aussi le

    partage de mmes reprsentations, de mmes valeurs, ce que nous traiterons dans une

  • - 19 -

    quatrime partie. De ces reprsentations nous analyserons le sentiment dappartenance. Enfin,

    dans une cinquime et dernire partie, nous mettrons en lumire les interactions relationnelles

    des individus, nud de leur identit.

  • - 20 -

    PREMIERE PARTIE :

    THEORIE ET METHODE

  • - 21 -

    Cette partie reflte la dmarche globale, thorique et mthodologique, que nous avons mene

    du dbut la fin de ce travail. Si la partie thorique parat longue, cest que les outils

    intellectuels ont t essentiels, mais aussi que nous avons tent dutiliser plusieurs visions du

    monde afin de rester humble dans notre apprhension de la Guyane. Il est important de donner

    aux lecteurs le background avec lequel nous abordons lobjet dtude. Cette partie dfinit

    donc l il sociologique avec lequel nous regardons la ralit apprhende. Elle dfinit

    galement la mthode employe, condition des conclusions tires.

    Chapitre I. CONSTRUCTION DE LOBJET DE RECHERCHE

    Ainsi que lcrivent les sociologues Alain Accardo et Philippe Corcuff, la construction de

    l'objet est la phase essentielle de la recherche qui consiste dcouper un secteur de la ralit,

    c'est--dire slectionner certains lments de cette ralit multiforme et dcouvrir derrire

    les apparences un systme de relations propres au secteur tudi. Les objets scientifiques ne

    sont donc pas donns tels quels au dpart mais construits (par les diffrents choix oprs, par

    les mthodes utilises, par les concepts mis en oeuvre). (1986 : 228). Ce chapitre vise

    dcrire les thories sur lesquelles notre recherche se structure et dfinir les concepts

    fondamentaux utiliss. Premirement, nous allons tenter de mettre en lumire, les notions qui

    entourent les concepts dintgration sociale et de groupe. Puis, nous prciserons le courant de

    pense dans lequel nous nous engageons.

    La question qui soude notre rflexion est celle de savoir si les Mtropolitains forment un

    groupe dans cette socit guyanaise multiculturelle. A travers cette question nous pourrions

    comprendre comment lindividu sintgre la socit : de faon individuelle, comme

    lidologie de sa culture dorigine le formule ou de faon communautaire, voie qui semble

    tre de rigueur en Guyane. Si le concept d intgration sociale nat en sociologie, celui de

    groupe culturel vient de lanthropologie culturelle. Nous empruntons des concepts la

    sociologie comme lanthropologie en pensant que la Guyane et le Mtropolitain se trouvent

    dans un entre-deux : lune, entre une identit officielle franaise et une identit

    multiculturelle ; lautre, entre tre franais et tre immigr.

  • - 22 -

    Un des premiers objets de la sociologie a t de comprendre pourquoi et comment les

    individus forment des socits. Emile Durkheim, Max Weber, Ferdinand Tnnies et tant

    dautres sinterrogeaient sur la faon dont une collectivit dindividus peut se constituer en

    socit. Marcel Mauss dcrit la place quil faudrait donner cette thmatique : Cette

    question de l'harmonie normale des sexes, des ges et des gnrations et des divers sous-

    groupes (clans, castes, classes confrries etc.), les uns par rapport aux autres, cette question de

    l'harmonie intrieure chacun d'eux et du rapport de ces harmonies diverses l'harmonie

    gnrale et la morale normale de la socit, cette question est disparue de l'horizon

    sociologique. Or il faut la remettre au premier plan de l'tude et de la discussion . (1931 :

    13). Le terme parfois utilis de cohsion sociale semble dsigner, de faon gnrale, un tat

    dharmonie, dquilibre de la socit, dans lequel les parties, les individus se trouvent

    assembls. Il sagit donc dune harmonie de la socit qui sous-entend un tat pacifique, sans

    conflits qui la remettraient en question. Lusage de certains mots est indispensable dans la

    conception de thories sans pour autant quils soient dfinis prcisment. Ces mots, comme le

    dirait Claude Lvi-Strauss dans le cas du concept didentit, sont une sorte de foyer virtuel

    auquel il nous est indispensable de nous rfrer pour expliquer un certain nombre de choses,

    mais sans quil ait jamais dexistence relle (1977 : 332).

    Pour Emile Durkheim, le processus dintgration concerne la faon dont un groupe social

    attire lui lindividu. Lintgration de lindividu se traduit par lomnipotence de la socit sur

    les individus, par sa conformit aux normes sociales de lindividu. Il crit que : quand la

    socit est fortement intgre, elle tient les individus sous sa dpendance, considre quils

    sont son service et, par consquent, ne leur permet pas de disposer deux-mmes leurs

    fantaisies (1990 : 223). Cette contrainte se concrtise par les normes incorpores (et donc la

    socialisation de lindividu, nous le verrons plus loin) et une conscience collective partage.

    Au-del de la conscience individuelle, une entit collective, indpendante de ses membres,

    renforce lexistence du groupe. La conscience collective peut tre dfinie comme lensemble

    des croyances et des sentiments communs la moyenne des membres dune socit. La

    socit mane des individus mais acquiert une vie propre, au-del des individualits, comme

    lcrit E. Durkheim : Dans une socit cohrente et vivace, il y a de tous chacun et de

    chacun tous un continuel change dides et de sentiments et comme une mutuelle

    assistance morale, qui fait que lindividu, au lieu dtre rduit ses seules forces, participe

    lnergie collective et vient y rconforter la sienne quand elle est bout (1990 : 224). Les

    individus se sentent pris dans une collectivit par le partage dune conscience collective.

  • - 23 -

    Durkheim ne prend pas en considration lventualit de consciences collectives mulitples, de

    groupes diffrents dans lesquels un individu pourrait voluer. Pour lui, il existe deux formes

    de lien social, qui ne cohabitent pas dans un mme contexte. Des socits sont caractrises

    par une solidarit mcanique qui rassemble des individus semblables, aux mmes fonctions,

    partageant une conscience collective forte. Dautres socits fonctionnent sous le mode de la

    solidarit organique, les hommes y sont complmentaires et dveloppent leurs consciences

    individuelles. Ces concepts sinspirent largement de la typologie de Ferdinand Tnnies.

    Daprs F. Tnnies, la Gemeinschaft ou communaut est une collection dhommes unis par un

    mme tat desprit. Ce qui la constitue, c'est une unit absolue qui exclut la distinction des

    parties. La communaut est avant tout le groupe familial, la communaut de sang, mais aussi

    ce que lon pourrait appeler les ethnies, les socits traditionnelles. Un groupe qui mrite ce

    nom, crit E. Durkheim, n'est pas une collection mme organise d'individus diffrents en

    relation les uns avec les autres ; c'est une masse indistincte et compacte qui n'est capable que

    de mouvements d'ensemble, que ceux-ci soient dirigs par la masse elle-mme ou par un de

    ces lments charg de la reprsenter. C'est un agrgat de consciences si fortement

    agglutines qu'aucune ne peut se mouvoir indpendamment des autres. C'est en un mot la

    communaut ou, si l'on veut, le communisme port son plus haut point de perfection. Le

    tout seul existe ; seul il a une sphre d'action qui lui est propre. Les parties n'en ont pas.

    (1889 : 416). La notion de collectivit domine celle de lindividualisme dans la communaut.

    Au contraire, la Gesellschaft est limage de la socit moderne, plus anonyme. Les individus

    y sont loigns dans laffect et rapprochs dans la loi, le projet. Selon F. Tnnies, cest un

    cercle d'hommes qui, comme dans la Gemeinschaft, vivent et habitent en paix les uns ct

    des autres mais, au lieu d'tre essentiellement unis, sont au contraire, essentiellement spars

    et tandis que dans la Gemeinschaft ils restent unis malgr toutes les distinctions, ici ils restent

    distincts malgr tous les liens. Par consquent, il ne s'y trouve pas d'activits qui puissent tre

    dduites d'une unit existant a priori et ncessairement et qui expriment la volont et l'esprit

    de cette unit (...) Mais chacun est ici pour soi et dans un tat d'hostilit vis--vis des autres.

    Les divers champs d'activit et de pouvoir sont fortement dtermins les uns par rapport aux

    autres de sorte que chacun interdit aux autres tout contact et toute immixtion (...) Personne ne

    fera rien pour autrui moins que ce ne soit en change d'un service similaire ou d'une

    rtribution qu'il juge tre l'quivalent de ce qu'il donne (...) Seule la perspective d'un profit

    peut l'amener se dfaire d'un bien qu'il possde (1944). En dautres termes la communaut

  • - 24 -

    reprsente un lien proche, une forte homognit des individus, une conscience collective,

    alors que la socit dveloppe les individualits et la coopration fonde sur lintrt et le

    contrat.

    E. Durkheim et F. Tnnies dfinissent deux tats sociaux de lvolution dune socit. Ils

    dcrivent, dans un schma volutionniste, le passage de la communaut vers la socit sans

    penser que les communauts peuvent tre dans la socit (mise part la communaut de sang

    dont parle Tnnies, la famille) et quelles peuvent renatre ou se renforcer. La communaut

    tait donc linstar des socits traditionnelles, primitives , tandis que la socit se rvlait

    dans le monde moderne occidental. Pour Durkheim, les changements sociaux sont des

    consquences endmiques, il ny a pas dinterpntration de cultures.

    La sociologie franaise a eu du mal penser la diversit au sein de la socit jusque dans les

    annes 1990 o on commence travailler les concepts dinterculturalit et de pluriethnicit.

    Lidologie universaliste de la France a orient les recherches. Tandis que les tudes sur les

    questions de races, dethnies taient discutes aux Etats-Unis ds les annes 1910, les

    recherches franaises ne traitent de lAutre qu travers limage de limmigr. Il est courant de

    distinguer deux modles dintgration la nation : le modle intgrationniste la franaise et

    le modle multiculturaliste des pays anglo-saxons. Le modle anglo-saxon met en valeur et

    respecte les diffrences des individus en les associant des groupes culturels ethniques ; le

    modle franais considre lindividu comme un citoyen de la nation et a toujours mis en avant

    lhomognit culturelle de la nation, bien quelle ait toujours t marque par des migrations

    diverses.

    La nation, principal rfrent identitaire, a ainsi gomm les diversits culturelles. Des auteurs

    continuent de penser quil ne peut y avoir de place pour les communauts dans lespace public

    franais. Sinscrivant dans la ligne de Durkheim, Dominique Schnapper, sociologue, insiste

    sur la fonction intgratrice de la socit. Pour elle, la spcificit de la nation moderne

    consiste intgrer toutes les populations en communauts de citoyens et lgitimer laction

    de lEtat, qui est son instrument, par cette communaut (1994 : 49). Comme lcrivent

    Andrea Rea et Maryse Tripier, cette auteure labore lidal-type de lintgration

    rpublicaine la franaise qui repose sur les principes de la sparation de la sphre publique

    et de la sphre prive et de la primaut des droits individuels sur les droits collectifs (2003 :

    99).

  • - 25 -

    Selon Ernest Renan, lessence dune nation est que tous les individus aient beaucoup de

    choses en commun et aussi que tous aient oubli bien des choses (1992 : 42). Cette

    dfinition met en valeur lide que ladhsion des membres dune socit cre la socit. Elle

    soppose une dfinition organiciste, dorigine allemande, faisant rfrence lethnie,

    lagrgation dindividus issus dun mme anctre, partageant les mmes coutumes, religions,

    croyances. J.G. Fichte dmontre que ce sont les traits caractristiques dun peuple qui le

    fonde. Il fait donc ainsi le lien avec une origine biologique. Cette opposition de point de vue

    explique la diffrence dacquisition de la nationalit entre la France et lAllemagne : entre le

    droit du sol et le droit du sang. Donc pour E. Renan, au-del des facteurs de langue, de

    religion, cest la volont dappartenir un ensemble qui fonde le lien social : Une nation est

    donc une grande solidarit, constitue par le sentiment des sacrifices qu'on a fait et de ce

    qu'on est dispos faire encore. Elle suppose un pass ; elle se rsume pourtant dans le

    prsent par un fait intangible : le consentement, le dsir clairement exprim de continuer la

    vie commune. L'existence d'une nation est un plbiscite de tous les jours, comme l'existence

    de l'individu est une affirmation perptuelle de vie (1992 : 54-55).

    Les philosophes du contrat social, Thomas Hobbes, John Locke, Jean-Jacques Rousseau,

    mettent aussi en valeur, non luniformit des individus ncessaire pour former une socit,

    mais leur volont consciente de se trouver dans cette socit. Comme E. Renan, M. Weber

    constate que cette reprsentation de lappartenance est plus forte que certains traits objectifs :

    De mme que peuple au sens ethnique courant, le terme de nationalit suggre normalement

    l'ide vague que ce qui est ressenti en tant que commun devrait avoir pour base la

    communaut d'origine, bien que dans la ralit des faits, des hommes se considrent comme

    des compatriotes, tout en tant (...) plus loigns par leur origine qu'ils ne le sont d'autres

    hommes de nationalits diffrentes, voire ennemies (1971 : 424). Les individus dune nation

    sont alors senss ressentir ce sentiment dappartenance commun. Les Mtropolitains ont-ils le

    sentiment dappartenir un groupe ? la population guyanaise ? la socit franaise ?

    Les politiques franaises tentent de faire entrer les immigrs dans cette citoyennet

    nationale afin de crer une communaut de citoyens .

    Aprs 1945, limmigr doit sassimiler, devenir citoyen franais, par la nationalit, par la

    participation politique, par le travail. Mais Mohand Khellil, sociologue spcialis dans les

    questions de lintgration, rappelle que les problmatiques dintgration taient prsentes,

  • - 26 -

    avant quon sintersse aux immigrs, dans les socits coloniales (1997 : 82-83). La figure

    du travailleur hante les tudes. La ralit sociale franaise est limmigration de populations

    dorigines maghrbines, africaines, venues des anciennes colonies ou de pays plus pauvres. Il

    sagit le plus souvent dune immigration de travail. Le contexte est donc bien diffrent de la

    migration des Mtropolitains, franais et de condition conomique privilgie, en Guyane

    franaise. Dans les annes 1980-1990, limmigration change de visage avec la loi sur le

    regroupement familial. De nouveaux problmes sont poss, de nouvelles tudes commencent :

    sur lhabitat (sociologie urbaine), la citoyennet, la vie associative, la vie familiale, laccs

    lducation, la transformation des pratiques culturelles. La conviction que limmigration est

    durablement inscrite dans le paysage social franais va progressivement sinstaller. Selon

    Patrick Simon, il sagit de prendre acte de lirresistible visibilit de limmigration dans tous

    les domaines de la vie sociale (2005 : 37). La figure de limmigr simpose dans le

    voisinage, lcole, dans les lieux publics... Les enfants des familles immigres sont

    dnomms les secondes gnrations .

    Les recherches sociologiques tudient alors comment les particularismes sont absorbs par la

    socit, dans un creuset franais (Noiriel 1988). Lide de nation a fait natre le concept

    dassimilation. Lassimilation peut tre dfinie comme le processus qui amne un individu

    absorber les traits dune autre culture de telle faon quil soit assimil aux membres de cette

    culture. Dans lassimilation une culture est abandonne lavantage de lautre. Cet angle de

    vue utilis pour analyser la socit a longtemps bloqu les dveloppements des questions lies

    aux appartenances culturelles. Pour Dominique Schnapper, lassimilation culturelle relle est

    un mythe : Cest llaboration de la nation qui a t qualifie de politique dassimilation ,

    mais dans les faits, cette politique na jamais russi liminer les diversits. Lhomognit

    des individus et des groupes lintrieur de la nation na t quun idal, jamais concrtement

    ralis (1991 : 78). Lassimilation ici, ne prend pas exactement le mme sens que dans les

    Dpartements et Territoires doutre-mer. Si dans les Dom-Tom ce terme signifie

    exclusivement lincorporation du modle occidental, lassimilation en sciences humaines

    signifie lincorporation par le migrant de la culture du pays daccueil au dtriment de sa

    culture dorigine.

    Depuis la dcolonisation, la notion dassimilation est peu peu abandonne. Elle nest

    presque plus utilise (la dmographe Michle Tribalat justifie encore son utilisation

    scientifique) car devenue pjorative. En effet, dans un contexte de combat pour

  • - 27 -

    lindpendance, lassimilation apparat pour les anciens coloniss comme un processus

    dvastateur pour la construction de son identit. Il sagit de se dfaire de lemprise du

    colonialisme en affirmant une culture, une histoire, des valeurs propres (Boucher 2000 : 26).

    Nous nutiliserons pas cette notion dans nos travaux et prfererons parler dacculturation ou

    de re-socialisation comme nous le dvelopperons plus loin.

    Le terme dintgration est petit petit prfr celui dassimilation. Il ouvre une possibilit

    pour lindividu de conserver sa culture dorigine, dans la mesure o elle reste dans lespace

    priv et que les valeurs fondamentales quelle avance ne soient pas contraires celles des

    Droits de lhomme, base thique de la socit franaise. Selon D. Schnapper, le terme

    dintgration permet le mariage de la culture dorigine du candidat la naturalisation avec

    celle du pays daccueil (1991 : 83). Dans le mme sens, Le Haut Conseil lintgration

    estime : quil faut concevoir lintgration non comme une sorte de voie moyenne entre

    lassimilation et linsertion mais comme un processus spcifique : il sagit de susciter la

    participation active la socit nationale dlments varis et diffrents, tout en acceptant la

    subsistance de spcificits culturelles, sociales et morales et en tenant pour vrai que

    lensemble senrichit, de cette complexit. Sans nier les diffrences, en sachant les prendre en

    compte sans les exalter, cest sur les ressemblances et les convergences quune politique

    dintgration met laccent afin, dans lgalit des droits et des obligations, de rendre solidaires

    les diffrentes composantes ethniques et culturelles de notre socit et de donner chacun,

    quelle que soit son origine, la possibilit de vivre dans cette socit dont il a accept les rgles

    et dont il devient un lment constituant (cit dans Lapeyronnie 1993 : 18).

    La question de la dfinition de ce concept apparat depuis le dbat sur le projet de la rforme

    du Code de la nationalit de 1987 (Khellil 1991). Pourtant il est difficile de trouver une

    dfinition qui le cerne de faon exhaustive. De faon simpliste, Le Petit Larousse de 1999

    dfinit le verbe intgrer comme faire entrer dans un ensemble plus vaste : incorporer,

    inclure . Lintgration est aussi lopration qui consiste assembler les diffrentes parties

    dun systme et assurer leur compatibilit ainsi que le bon fonctionnement du systme

    complet . Enfin, daprs lEncyclopedia Universalis, l intgration est le processus par

    lequel un groupe social, quelles que soient ses dimensions (de la famille la nation)

    sapproprie lindividu pour assurer la cohsion sociale du groupe . Ce sont finalement les

    questions du vivre ensemble qui se trouvent poses. Le terme dintgration renvoie deux

    sens principaux selon Dominique Schnapper : Il peut caractriser lensemble dun systme

  • - 28 -

    ou de la socit, ce quon peut appeler lintgration de la socit8 ou intgration systmique.

    Cest alors la proprit du groupe dans son ensemble. Mais il peut aussi caractriser la

    relation des individus ou dun sous-systme un systme plus large, ce quon peut appeler

    lintgration la socit ou intgration tropique. Cest alors la proprit dun individu ou

    dun groupe particulier lintrieur dun ensemble plus large (1994 : 39). Lintgration de

    la socit suppose son harmonie, sa cohsion sociale et on a vu que cest en assimilant les

    immigrs que la France a voulu trouver cet tat. Lintgration des individus, elle, ne se

    comprend que par rapport la socit large, la nation. Il nest en aucun cas question de

    lintgration des individus dans un groupe intermdiaire qui lui-mme ferait partie de la

    nation.

    M. Khellil donne une dfinition de ce concept dans son ouvrage Lintgration des maghrbins

    en France (1991) : nous pouvons dfinir lintgration comme un processus plus ou moins

    long grce auquel un ou plusieurs individus vivant dans une socit, trangre par dfinition,

    manifestent leur volont de participer ldification de lidentit nationale de celle-ci qui, sur

    le plan conomique et social, prend leur gard toute une srie de dispositions propres

    atteindre cet objectif lintgration suppose le partage dun certain nombre de valeurs

    fondamentales et le dsir de participer ldification dun ensemble national (1991 : 52).

    Lintgration est donc un processus et non un tat, qui suppose des efforts dune part de la

    population immigre, dautre part de la socit daccueil dans le but de construire un

    ensemble national. La consquence de cette intgration citoyenne, de ses actions rciproques

    se trouvera dans le partage dun socle culturel commun.

    Cette dfinition correspond lutilisation du concept dans un contexte particulier. Il sagit de

    rpondre la problmatique pose dans le contexte de la venue dune minorit de migrants

    trangers dans un ensemble national homogne dominant. Or ltude que nous proposons

    rpond aussi un contexte particulier. Tout dabord, la Guyane, bien que franaise, ne

    constitue pas un ensemble socialement homogne, comme nous lavons dcrit en

    introduction : cest une socit pluriculturelle o se ctoient diffrents groupes culturels dont

    le plus important reste compos des Croles guyanais. Bien que toute socit soit

    multiculturelle, la Guyane renvoie limage dune mosaque tandis que la France ne parat pas

    autant marque par les communauts. Ensuite, la dfinition de M. Khellil ninsinue pas que

    8 Cest nous qui soulignons

  • - 29 -

    les immigrs doivent renoncer leur culture dorigine, mais ils sont invits adopter des traits

    culturels de la socit daccueil. La population dont nous voulons tudier lintgration, tout en

    tant une population minoritaire de migrants, dimmigrs en Guyane, nest pas trangre,

    puisque de nationalit franaise. Cette population nest donc pas place officiellement dans la

    position de changer de culture pour adopter la culture dominante du pays. De plus, Les

    Mtropolitains sont la population majoritaire du territoire national franais, bien quils soient

    une minorit culturelle, rellement, sur le territoire guyanais. Les Mtropolitains porteurs de

    la culture officielle franaise (mais qui nest pas homogne videmment) et citoyens franais

    en France ne doivent pas justifier de leur intgration par leur participation ldification dun

    ensemble national. Rien ne les pousse donc dvelopper un sentiment dappartenance la

    Guyane comme ils pourraient le faire pour la socit franaise. Paralllement, ladministration

    nationale na pas de raison de favoriser lintgration de cette population en son sein

    puisquelle est sa population majoritaire. Bref, le contexte de limmigration des

    Mtropolitains en Guyane mrite que lon prenne la notion dintgration avec soin, comme

    elle est dfinie en France.

    On voit se poser la question rcurrente de savoir si la Guyane est un territoire franais ou si

    elle est un territoire particulier, un pays : alors soit les Mtropolitains sont des migrants

    franais dans un ensemble franais, soit ils sont des immigrs sur le territoire guyanais. Nous

    nous plaons videmment du ct de lanthropologie, du ct des significations humaines.

    Les Mtropolitains sont des immigrs dans une socit multiculturelle. Notre point de vue se

    propose de traiter des questions dinterculturalit et donc de mettre jour les processus

    dinteraction entre des individus porteurs de cultures diffrentes.

    Voyons ce que M. Khellil ajoute plus loin ce propos, toujours dans la dfinition du concept

    dintgration : cette volont partage nexclut pas un change qui se ralisera par une

    interaction culturelle o chacun puisera dans lautre culture des lments propres rapprocher

    les tres et les cultures () cet change devrait aboutir au partage dun certain nombre de

    valeurs sans que chacun renonce aux lments fondamentaux de sa propre culture () cest

    dire quil revient ici limmigr, ce nouveau partenaire, de sadapter aux normes et valeurs

    propres de la socit civile franaise sans pour autant aliner ses valeurs propres (1991 : 52-

  • - 30 -

    53). La notion dintgration se distingue donc de la notion dassimilation9 qui stipulait le

    gommage des diffrences, dans une fusion, par la rupture totale avec la culture dorigine au

    profit de la culture daccueil. Lintgration serait un processus qui engage un individu

    recomposer son identit, sa culture en fonction des nouvelles normes sociales qui

    lenvironnent. Lintgration comme tat serait la manire dont cet individu ngocie sa culture

    dorigine et la culture en prsence ; sa culture de groupe et sa culture nationale. Cette

    problmatique est donc aussi envisageable dans notre tude.

    Comment un individu gre-t-il sa double appartenance un groupe et une entit nationale ?

    Dans leur article Lintgration en question , Marie-Antoinette Hily et Christian Rinaudo

    crivent : les formules dintgration proposes dans un cadre national ou tatique sont de

    plus en plus inadquates aux multiples situations des individus quelles visent unifier

    (2002 : 227). Ainsi, le concept dintgration ne suffit pas rpondre de nouvelles

    proccupations. Effectivement, la monte des particularismes pose de nouvelles

    problmatiques.

    Lintgration suppose une adaptation du migrant la socit daccueil. Cette adaptation

    renvoie au concept de socialisation. Ce concept nous intresse particulirement. Le

    Mtropolitain a t socialis, comme tout immigr, dans une socit dans laquelle il ne vit

    plus, mais dont il porte les traits. Lindividu narrive jamais dans un pays sans une identit, un

    pass, la marque dune autre culture. Pour M. Khellil, cette socialisation est le concept

    sociologique qui rend le mieux compte de lintgration, au point de sidentifier elle (1997 :

    24). Pour Claude Javeau, devenir homme, shominiser, cest donc avant toutes choses se

    socialiser. Cest la raison pour laquelle les apprentissages sont groups sous le vocable de

    socialisation. Il ne sagit pas, au demeurant, dapprendre simplement reproduire des

    comportements, par imitation (), mais bien dintrioriser le social, c'est--dire ce quil a

    dobjectif pour lindividu : ses rgles, ses lois, ses us et coutumes, ses normes, ses valeurs

    (1986 : 219). La dfinition de la socialisation ne pose pas vraiment de problme. Lindividu se

    dveloppant intriorise les normes, valeurs, comportements de la socit qui lenvironne.

    Selon une dfinition de Y. Grafmeyer, la socialisation est lensemble des mcanismes

    9 Lassimilation doit sanalyser non plus comme un processus mais le rsultat dune srie dactions ayant conduit un ou plusieurs individus renoncer leur culture dorigine pour adopter conscutivement les murs et les coutumes du pays daccueil, par dfinition diffrentes des leurs (Khellil 1991 : 45)

  • - 31 -

    dapprentissage qui font que les individus intriorisent les valeurs et les normes dune socit

    ou dun groupe social particulier (1995 : 88).

    Mais la socialisation nest pas un processus unilatral qui ferait de lindividu le rceptacle

    passif des informations que lui enverrait la socit. Nous privilgions une approche

    interactionniste de ce concept. Cette approche dveloppe par Georg Herbert Mead, par Peter

    Berger et Luckman, par Pierre Bourdieu, par exemple, soppose lapproche du

    conditionnement (Boudon et Bourricaud 1982 : 529-530). Ainsi, C. Javeau crit : le

    procs de socialisation est lui-mme de nature interactive. La mise en place des schmes de

    comportements, des attitudes essentielles, des ides principales, des affects, rsulte en

    quelques sorte de la collaboration entre lindividu concern et son entourage (1986 : 220).

    Lindividu prend une part active dans le processus de socialisation. Cet auteur reprend :

    lindividu nest pas gav de social la manire des oies du Prigord. Il se socialise tout en

    tant socialis. Il se construit lui-mme, dans la mesure o il est construit par les autres (op.

    cit. : 220). Cette approche interactionniste ouvre la voie la considration de la socit dans

    sa pluralit culturelle. Il ny a pas une culture fige et unique, lindividu qui incorpore le

    social, peut aussi remettre en question le rle quil entend jouer. Selon A. Percheron, dans

    toute socialisation, il y a une part de crativit (1993 : 33). Ainsi, limmigr arrive avec un

    bagage culturel, il est amen adopter de nouveaux lments de la culture locale, mais il est

    aussi un facteur du changement social de la socit daccueil. Les Mtropolitains ont t

    socialiss, pour la plupart, en mtropole, qui on la dit conoit lintgration dans la socit sur

    le mode individuel. Dun autre ct, la Guyane est porteuse dune vision diffrentialiste,

    chaque individu semble faire partie dun groupe intermdiaire. Aussi posons-nous la question

    de savoir si lindividu adopte la vision dintgration locale communautaire ou sil reste sur

    une vision individualiste. Cette reprsentation de lintgration serait, dans notre ide, motrice

    de leur intgration relle.

    Dans une logique interactionniste, P. Bourdieu articule structure sociale et individus. Les

    conditions sociales d'existence sont intriorises par les individus, sous la forme de principes

    inconscients d'action et de rflexion, de schmes de la sensibilit et de l'entendement, donc

    sous forme de structure de la subjectivit, que P. Bourdieu nomme habitus. Une fois structur,

    l'habitus ne va cesser de produire des perceptions, des reprsentations, des opinions, des

    croyances, des gots, des dsirs et des rpugnances, bref toute une subjectivit relativement

    indpendante de l'extrieur ; mais qui ne cesse de s'extrioriser dans l'action des individus et

  • - 32 -

    des groupes et de contribuer par l mme la reproduction des structures sociales, qui a leur

    tour s'imposeront demain aux individus et aux groupes comme des conditions d'existence

    objectives. Ainsi, la ralit sociale ne cesse de se construire travers l'action des individus

    et des groupes. Elle-mme conditionne par la ralit sociale prexistante (Accardo et

    Corcuff 1986 : 14).

    Peter Berger et Thomas Luckmann (1986) distinguent la socialisation primaire, qui est la

    premire socialisation que l'individu subit dans son enfance et grce laquelle il devient

    membre de la socit, de la socialisation secondaire, qui est un processus postrieur qui

    permet d'incorporer un individu dj socialis dans des nouveaux secteurs du monde objectif

    de la socit. La socialisation est un processus en uvre pour tout individu mais il lest encore

    plus pour des individus trangers qui arrivent dans une nouvelle socit. M. Khellil, pour sa

    part, considre : la socialisation en tant que processus dinteractions sociales qui implique

    que la culture n'est pas fige dans une sorte d'unicit mais suppose la coexistence de cultures

    diffrentes, voire de sub-culture, dans une mme socit : la culture va ainsi voluer au gr

    des relations entre les individus vivant dans une mme entit sociale (1997 : 25). On parle

    alors de resocialisation. Cet auteur poursuit : pour limmigr, il sagit dans un premier

    temps dune resocialisation, de tout un apprentissage devant lui permettre de se mouvoir avec

    aisance dans la socit franaise (1991 : 53). Le concept de resocialisation se rapproche

    intimement de celui dacculturation que nous verrons plus loin.

    Lintgration en partant de la socialisation pose la question de lidentit des individus. Il nous

    semble essentiel demprunter des concepts de lanthropologie culturelle pour cerner ltude de

    la socit guyanaise. Lanthropologie culturelle prend pour objet principal dtude les

    rapports que les groupes entretiennent lintrieur dun mme ensemble et en relation avec

    dautres ensembles (Laplantine 1987 : 116). La culture est alors compose des caractres

    distinctifs que prsentent les comportements individuels des membres de ce groupe, ainsi que

    ces productions originales. Il est difficile de donner une dfinition tout fait satisfaisante de la

    culture. On se rfre immanquablement Edward Burnett Tylor pour dfinir la culture dans

    un sens large, elle est un ensemble complexe incluant les savoirs, les croyances, lart, les

    murs, le droit, les coutumes, ainsi que toutes dispositions ou usages acquis par lhomme

    vivant en socit (1895). Selon F. Laplantine, la culture est lensemble des comportements,

    savoirs et savoir-faire caractristiques dun groupe humain ou dune socit donne, ensemble

    acquis par un processus dapprentissage et transmis ses membres. Lcole de pense

  • - 33 -

    culturaliste a tent de rpertorier tous les traits culturels (cultural patterns) dune culture :

    elle a fini par abandonner ce projet avec plus de 7 000 traits diffrents. La culture est donc le

    caractre propre dun groupement humain. Selon Alex Mucchieli (1986), une culture, au sens

    anthropologique, comprend les croyances, les normes, les valeurs et les reprsentations

    communes mais galement les coutumes, les murs, lensemble des objets quotidiens et des

    expriences artistiques. Il y a donc cette ide de similitude, de partage de mmes valeurs,

    reprsentations, croyances, pratiques. Ce sont ces facteurs similaires qui forment le groupe

    social. La culture des individus est ce qui les lie dans un mme quotidien, une mme socit,

    un mme groupe social ou groupe culturel. La dfinition donne par Denys Cuche, est la

    suivante : la culture est la somme des savoirs accumuls et transmis par lhumanit,

    considrs comme totalit, au cours de son histoire (1996). La culture est donc la base de la

    pratique sociale des individus. Ceux-ci sappuient sur leurs croyances, leurs reprsentations,

    leurs normes afin de fonder leurs actions dans la socit.

    Comme il est crit justement dans l Encyclopedia universalis, la culture est aussi

    lorganisation symbolique dun groupe, de la transmission de cette organisation et de

    lensemble des valeurs tayant la reprsentation que le groupe se fait de lui-mme, de ses

    rapports avec les autres groupes et de ses rapports avec lunivers. . Une part de la culture

    dun individu se trouve dans la nature de ses reprsentations sociales. Et nous drivons de

    lanthropologie culturelle vers la psychosociologie pour tayer ce concept de reprsentations

    sociales. Selon Denise Jodelet, les reprsentations nous guident dans la faon de nommer et

    de dfinir ensemble les diffrents aspects de notre ralit de tous les jours, dans la faon de les

    interprter, statuer sur eux et, le cas chant, prendre une position leur gard et la dfendre

    (1989 : 31). Les reprsentations sont donc un systme dinterprtation du monde, de

    significations de la ralit, qui orientent les actions des individus et concourent la

    construction dune ralit commune. Les images symboliques sont des facteurs de ralliement

    des hommes. Selon Gilbert Durand, la raison et la science ne relient les hommes quaux

    choses, mais ce qui relie les hommes entre eux, lhumble niveau des bonheurs et des peines

    quotidiennes de lespce humaine, cest cette reprsentation affective parce que vcue et que

    constitue lempire des images (1960 : 124). La culture est aussi et surtout cette partie

    invisible qui marque les individus dun mme groupe.

    Les reprsentations, les croyances, les valeurs sont lorigine des comportements sociaux, des

    pratiques sociales, de toute action que lhomme a en socit. M. Weber dfinit laction sociale

  • - 34 -

    comme tout comportement humain auquel lhomme donne un sens. Talcott Parsons dveloppe

    une thorie gnrale de laction quil dfinit comme toute conduite humaine qui est motive et

    guide par les significations que lacteur dcouvre dans le monde extrieur. Selon lui, tous

    ces rapports avec le milieu physique supposent un jeu d'interprtation travers lequel l'acteur

    aperoit la ralit et lui donne un sens en fonction duquel il agit (1973 : 45).

    Lenvironnement est ici lensemble des objets matriels, des conditions climatiques, de la

    gographie, de la gologie des lieux, de lorganisme de lindividu. Les individus dun mme

    groupe social ou culturel ont, par l mme, des pratiques sociales proches ou similaires. Les

    pratiques sociales se basent sur linterprtation du systme par lacteur et sur le jeu

    dinteraction avec les autres individus ou collectivits.

    A ce niveau, est-il possible de dire que les Mtropolitains partagent une culture commune

    avec les autres populations de Guyane ? Ou le seul partage de culture se fait-il entre les

    individus mtropolitains, dont nous pourront alors qualifier lagrgat de groupe culturel ?

    Prcisons lapproche que nous allons privilgier pour cette tude. Deux types de pense

    sopposent face la culture : une vision statique et culturaliste tend penser que le groupe

    culturel est lassociation dindividus possdant une mme culture. Cette approche que lon

    nomme aussi essentialiste, fait des cultures des entits fixes, durables, hrites du pass. Un

    deuxime courant interactionniste pense les contacts culturels et dfinit les groupes par

    dautres concepts notamment celui de lethnicit. Nous prenons parti pour ce second courant

    tout en tenant compte de la culture comme lment dunification du groupe.

    Les groupes culturels sont rarement isols, sans contacts avec dautres groupes culturels. Si

    limmigration na pas t traite comme des contacts de cultures pendant longtemps, la

    question de limmigration se pose diffremment aux Etats-Unis dAmrique. La sociologie

    amricaine, a depuis les annes 1910, dvelopp, dans un travail sur lintgration, des thmes

    sur les diffrences culturelles, les races, les ethnies. Lcole de Chicago (1910-1940) tudie en

    particularit les relations que les hommes nouent dans un monde en transformation sous les

    effets de lindustrialisation, de lurbanisation et de la migration. Lexpansion rapide de

    Chicago, la venue dimmigrants et de Noirs des Etats du sud transforment la ville. La question

    ethnique est alors une ralit dans laquelle la prsence des Indiens tient un rle majeur. Si les

    auteurs pensent en terme dassimilation, ils ne conoivent pas moins lappartenance au groupe

    dorigine comme une tape ncessaire de lintgration. Pour Thomas Znaniecki, lassimilation

  • - 35 -

    est un processus inluctable, qui arrive au terme dune suite de dsorganisations

    rorganisations de la culture du migrant. Robert Ezra Park (1967) dcrit quatre tapes de

    lintgration du groupe avec la socit daccueil : la comptition, le conflit, la ngociation,

    lassimilation. Il dfinit lintgration comme le processus au cours duquel des groupes

    dindividus participent activement au fonctionnement de la socit tout en conservant leurs

    particularits. Pourtant il considre aussi que lassimilation est lintgration invitable des

    migrants.

    Lcole de Chicago dveloppe les premiers travaux sur linteraction des acteurs. Cest dans ce

    cadre que Cooley a t le premier dvelopper la notion de groupe primaire pour dsigner les

    groupes qui se caractrisent par une association et une coopration intime de face face.

    Primaires en plusieurs sens, ils le sont principalement parce quils sont la base de la

    formation de la nature sociale et des idaux de lindividu (cit dans Mattelart et Mattelart

    1996). Les individus faisant partie dun groupe social sont dans des relations sociales plus

    intenses, plus frquentes, quavec des individus extrieurs au groupe. La relation sociale est,

    pour M. Weber (1922), la catgorie fondamentale de la socit, car les individus orientent

    rciproquement leur comportement les uns daprs les autres. La rciprocit des actions

    sociales fonde le lien social. Chez Georg Simmel, lassociation est lensemble des

    interactions entre individus qui ont conscience de former une unit et qui forment le creuset

    de la socit. Il y a socit, au sens large, partout o il y a action rciproque des individus.

    Ces groupes primaires sont donc gnralement de petite taille, lidentification des individus au

    collectif y est forte et les rapports de sympathie, de coopration et daide mutuelle dominent

    au sein du groupe. Des exemples de ces groupes primaires sont la famille, le groupe de

    camarades, le voisinage. Les groupes secondaires, quant eux, sont loppos des groupes de

    plus grande taille o les relations sont plus superficielles et reposent sur une base utilitaire. La

    diffrence entre groupe primaire et groupe secondaire nest pas sans rappeler la typologie de

    F. Tnnies entre communaut et socit. La diffrence majeure est que groupe primaire et

    groupe secondaire peuvent cohabiter dans une mme socit. Cette typologie permet donc de

    penser les multiples appartenances dun individu.

    Faisons un apart en renvoyant cette approche celle dveloppe par Max Weber, en Europe,

    dans un contexte diffrent. Dans Economie et socit, M. Weber consacre dailleurs un

    chapitre au groupe ethnique. M. Weber revisite les concepts de communaut et de socit

  • - 36 -

    travers la communalisation et la sociation : deux types de relations sociales. Il ne considre

    pas la communaut comme une forme sociale mais comme un lien social. La relation de

    communalisation se base sur laffectif, le sentiment de partager des valeurs communes, la

    tradition, alors que la sociation est une relation base sur lintrt, le contrat. Un individu peut

    tre pris dans des relations de sociation et/ou de communalisation. Cette vision du lien social

    nous parat bien plus intressante puisquelle dpasse le ct statique de deux socits et

    conoit la complmentarit des types de liens pour un individu. Un individu peut se trouver

    dans des liens de communalisation avec sa famille et de sociation avec les membres dune

    association.

    Les Mtropolitains ont-ils des liens de communalisation avec les autres Mtropolitains,

    forment-ils un groupe primaire ? Ont-ils des liens de sociation avec les autres populations, ce

    qui voudrait dire quils forment une communaut mtropolitaine dans une socit guyanaise ?

    Mais ny a-t-il que des relations de communalisation entre Mtropolitains ou peut-on

    considrer aussi ce type de relation avec des individus dautres populations ? La nature des

    relations entre les individus joue sur la nature des groupes sociaux.

    Carmel Camilleri (1989), psychosociologue, dfinit linterculturalit comme un processus

    dynamique engendr par les interactions entre cultures et les interpntrations de cultures.

    Linterculturalit est lensemble des processus psychiques, relationnels, groupaux,

    institutionnels engendrs par ces interactions, dans un rapport dchanges rciproques et dans

    une perspective de sauvegarde dune relative identit culturelle des partenaires en relation.

    Lacculturation dsigne alors le changement culturel qui rsulte du contact entre personnes de

    cultures diffrentes, la fois dominante et non dominante. Lacculturation est le processus de

    re-socialisation : elle dfinit la fois un contact culturel et un changement culturel qui sopre

    de faon plus ou moins profonde. On en doit la dfinition premire Robert Redfield, Ralph

    Linton et Melville Herskovits. Ainsi lacculturation est lensemble des phnomnes qui

    rsultent de ce que des groupes dindividus de cultures diffrentes entrent en contact continu

    et direct et des changements qui se produisent dans les patrons (patterns) culturels originaux

    de lun ou des deux groupes (1936). R. Bastide prcise que ce sont les individus qui sont

    porteurs des cultures qui se rencontrent : ce ne sont jamais des cultures qui sont en contact

    mais des individus. Si nous prenons des individus donneurs , il est vident que, quels quils

    soient, colons, missionnaires, aventuriers, ils ne prsentent jamais la totalit de leurs cultures

    mais seulement la part que R. Linton appellerait statutaire , c'est--dire le secteur de leurs

  • - 37 -

    cultures qui touche leurs statuts et leurs rles distinctifs dans la socit globale. Ce qui fait

    que, de la part des rcepteurs , des lments entiers de la culture native ne sont pas

    touchs (Bastide 1971 : 49).

    Lacculturation ressemble fortement la notion de resocialisation utilise en sociologie mais

    elle met fortement laccent sur le contact et le changement. Nous parlerons plus volontiers

    dacculturation puisque la notion semble taye dune typologie intressante pour lanalyse

    des situations concrtes. R. Bastide sest interrog, travers ses tudes sur les civilisations

    africaines en Amrique, aux problmes du mlange des cultures, de lacculturation, de

    lassimilation, de lintgration, des rsistances culturelles, des survivances, des

    recompositions identitaires (ou rinterprtations) et du syncrtisme religieux. Il distingue

    quatre processus dacculturation : lassimilation (processus par lequel un individu issu dune

    culture minoritaire dlaisse sa culture dorigine pour la culture dominante), la raction (qui

    consiste en un rejet du contact culturel), la contre-acculturation (qui survient quand

    lacculturation a dj eu lieu et prend alors des formes de rejet, apparent ou non-apparent) et

    le syncrtisme (processus qui donne naissance un nouveau produit culturel qui nest pas la

    simple addition des deux cultures, mais plutt une combinaison unique).

    M. Herskovits en tudiant le peuple noir amricain dveloppe la thorie des survivances

    culturelles, cest--dire le processus par lequel danciennes significations sont attribues des

    lments nouveaux. Ce processus de rinterprtation est aussi tudi par R. Bastide mais cette

    fois comme le processus par lequel de nouvelles valeurs changent la signification culturelle de

    formes anciennes. Si M. Herskovits pense que la culture est un patrimoine, quil faut se

    tourner vers le pass pour comprendre le prsent ; R. Bastide pense que la culture est une

    construction permanente, une cration en devenir. M. Herskovits parle donc des survivances

    identitaires dans son ouvrage The Myth of the Negro Past . R. Bastide, de son ct, dcrit

    les recompositions culturelles, les crations identitaires qui se droulent lors de rencontres de

    cultures diffrentes, les phnomnes de syncrtisme.

    Lacculturation nous entrane considrer les consquences plus individuelles de la rencontre

    des cultures. Il existe un lien essentiel entre lquilibre dune socit et lquilibre individuel.

    Les rsultats de lacculturation peuvent tre positifs ou ngatifs pour lindividu, comme lcrit

    Slim Abou (1981). Lacculturation est ngative, lorsquelle se traduit par une dculturation

    de la personnalit, le dchirement entre deux cultures et quelle entrane un sentiment

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    dinfriorit, de mpris de soi, langoisse, lagressivit, allant jusquau dsir de suicide.

    Lacculturation est dite positive quand celle-ci permet de rorganiser culturellement la

    personnalit, avec la certitude dtre compris et affectivement accept. Enfin, lacculturation

    est incertaine quand la dculturation est vite sans pour autant quon puisse parler de

    rorganisation culturelle.

    Lacculturation suppose un contact et les groupes se modifient au gr des contacts. Le courant

    de lethnicit rintroduit en France par Philippe Poutignat et Jocelyne Streiff-Feinart en 1995