Une intégration sociale entre individu et groupe culturel
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UNIVERSITE MONTPELLIER III- PAUL VALERY Arts et Lettres, Langues et Sciences Humaines et Sociales
U. F. R . V : Sciences du sujet et de la socit
Thse de Doctorat Sociologie
Prsente et soutenue publiquement par
Marion THURMES
LES METROPOLITAINS EN GUYANE :
Une intgration sociale entre individu et groupe culturel
Sous la direction de
M. le Professeur Mohand KHELLIL
Membres du Jury : M. le Matre de Confrence- H.D.R Bernard CHERUBINI, Universit de la Runion M. le Professeur Gilles FERREOL, Universit de Poitiers Mme la Directrice de recherche Marie-Jos JOLIVET, I.R.D. Bondy M. le Professeur Mohand KHELLIL, Universit de Montpellier III M. le Professeur Patrick TACUSSEL, Universit de Montpellier III
Janvier 2006
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A ma petite famille
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REMERCIEMENTS
Je tiens remercier, en tout premier lieu, mon compagnon, Arnaud DAndra, pour son soutien continu durant ces quatre annes, ses aides techniques et son regard critique. Je naurais pu terminer ce travail sans sa participation. Je remercie ma famille pour avoir gard ma fille pendant que je travaillais. Je remercie en particulier ma mre pour ses corrections avises et sa confiance en moi. Le laboratoire de sciences sociales de lIRD de Cayenne, en macceptant comme stagiaire durant lanne 2003, a relanc ma motivation. Madame Marie-Jos Jolivet ma informe sur cette possibilit et a bien voulu sengager pour my introduire. Madame Odile Lescure ma accueillie chaleureusement dans les locaux de son quipe de recherche. Je tiens les en remercier fortement. Je naurais pu raliser mon enqute de terrain sans les accords des diffrentes administrations, associations qui ont bien voulu mapporter des informations les concernant. Je remercie donc lIRD, le CSG, le Conseil rgional, le Rectorat, lINSEE, de Cayenne qui ont mis ma disposition des donnes essentielles. Ce travail ne serait rien sans les tmoignages des acteurs de la socit. Je remercie vivement toutes les personnes, qui ont bien voulu me faire partager leur vie, leurs sentiments, mouvrir leur exprience et leur coeur. Ils mont fait confiance en me livrant une part de leur intimit, jespre ne pas avoir trahi leur ralit. Jai lutt tout le long de ce travail contre mes propres prjugs, mais aussi contre la tendance humaine penser de faon dichotomique soit blanc soit noir, soit gentil soit mchant, soit individu soit socit. La science sociale est une rflexion sur la ralit mais elle ne peut prtendre qu une interprtation subjective objective dune ralit. Je remercie mes amis de Guyane, souvent Mtropolitains, pour avoir support mon il de chercheur, mes interrogations, mes remises en question. Enfin, tout ce travail naurait abouti sans le soutien et la patience de mon Directeur de recherche, Monsieur le Professeur Mohand Khellil, qui revient une grande part de ma reconnaissance.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION ........................................................................................................- 5 -
THEORIE ET METHODE.................................................................................................- 20 -
Chapitre I. Construction de lobjet de recherche..........................................................- 21 -
Chapitre II. Mthodologie.................................................................................................- 51 -
LES DETERMINANTS SYMBOLIQUES ET OBJECTIFS DE LEXISTENCE DUN
GROUPE METROPOLITAIN ...................................................- 77 -
Chapitre I. La Socit dcoule dune histoire ................................................................- 78 -
Chapitre II. Les reprsentations sur les Mtropolitains aujourdhui .........................- 117 -
Chapitre III. Caractristiques objectives des Mtropolitains : une classe sociale.......- 163 -
Conclusion de la deuxime partie ............................................................................................- 194 -
SOCIALISATIONS ET TERRITOIRES DE LIDENTITE...........................................- 199 -
Chapitre I. Le projet migratoire pour la Guyane........................................................- 202 -
Chapitre II. Espace priv : habitats ...............................................................................- 230 -
Chapitre III. Espaces publics : frquentations, activits, manires dtre...................- 269 -
Chapitre IV. La citoyennet guyanaise ...........................................................................- 299 -
Chapitre V. Lacculturation par la langue....................................................................- 325 -
Conclusion de la troisime partie ............................................................................................- 335 -
LA CONSTRUCTION DE SON IDENTITE FACE A AUTRUI...................................- 339 -
Chapitre I. Les reprsentations de la Guyane .............................................................- 342 -
Chapitre II. Les reprsentations des autres : les diffrents groupes culturels objets de la reprsentation collective ...................................................................- 373 -
Chapitre III. Les reprsentations de Soi et le sentiment dappartenance ....................- 397 -
Chapitre IV. Au-del du sentiment dappartenance au groupe mtropolitain : des stratgies identitaires .................................................................................- 440 -
Conclusion de la quatrieme partie...........................................................................................- 454 -
UN CERCLE METROPOLITAIN ...................................................................................- 458 -
Chapitre I. Etat des lieux des relations sociales des Mtropolitains : Une sociabilit communautaire...........................................................................................- 460 -
Chapitre II. La construction des relations entre dterminismes et stratgies............- 504 -
Conclusion de la cinquieme partie...........................................................................................- 560 -
CONCLUSION ....................................................................................................- 563 -
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES................................................................................- 570 -
BIBLIOGRAPHIE GENERALE RELATIVE A LA GUYANE..........................................- 583 -
INDEX DES AUTEURS...........................................................................................................- 590 -
TABLE DES ILLUSTRATIONS ............................................................................................- 593 -
TABLE DES MATIERES........................................................................................................- 597 -
ANNEXES
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INTRODUCTION
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Ceux que tout un chacun vivant en Guyane nomme les Mtros , semblent tre des
individus blancs originaires de la mtropole. Ils se diffrencient donc de la population locale
par leur couleur et leur identit de migrants1 issus de la mtropole2, de lEtat considr par
rapport ses colonies, ses territoires extrieurs (dictionnaire Le petit Larousse). En Guyane,
les Mtropolitains reprsentent 12 % de la population. Leur attribution catgorielle, comme le
diraient Philippe Poutignat et Jocelyne Streiff Fenart (1995), le simple fait de les nommer est
une faon de les diffrencier.
Les socits contemporaines semblent vivre un paradoxe. Alors que tout le monde saccorde
constater lhomognisation des cultures, la mondialisation, lamricanisation, la globalisation
qui seraient dues aux dveloppements des moyens de transports, de communication, au
dveloppement de lidologie capitaliste, consumriste et la monte de lindividualisme, la
scne internationale devient le lieu de la monte des particularismes, des revendications
identitaires.
Les Etats sont confronts la prsence sur leur sol de populations dorigines diverses qui
parfois entendent garder leur identit culturelle. La France hexagonale est amene se poser
des questions sur lintgration des ressortissants du Maghreb, dAfrique noire, mais aussi des
Basques, Catalans, Bretons et autres particularismes rgionaux, sans compter ses populations
doutre-mer. Le Canada tente de concilier les oppositions entre francophones, anglophones et
minorits autochtones amrindiennes . Les Etats-Unis, pays de migration, se trouvent face
des communauts diverses, mexicaine, asiatique, juive, noire amricaine. Tous les pays
dvelopps sont amens penser les recompositions identitaires. Quel quilibre peut avoir
une nation, c'est--dire un ensemble dhommes qui ont conscience davoir une histoire, une
culture, un devenir en commun, quand ses sujets se reconnaissent avant tout membres dun
groupe restreint en son sein ? Lidentit particulire devient pour lindividu un repre, un
enjeu de pouvoir et de reconnaissance et ces socits voient poindre le risque de
laccroissement de tensions, de luttes identitaires.
Deux idologies politiques se font alors face. Une idologie diffrentialiste pense que les
hommes sont diffrents et donne une place lappartenance de groupe. Cette idologie, que
1 Sont immigres les personnes qui rsident habituellement dans un lieu diffrent de celui de leur naissance (Dictionnaire Le Petit Robert), 2 du grec mtr et polis, qui signifient respectivement mre et ville
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lon nomme aussi multiculturelle, est labore par exemple en Grande-Bretagne, aux Etats-
Unis, en Allemagne. Dun autre ct, la France a une vision universaliste. Son action repose
sur la croyance a priori en lquivalence des hommes et des peuples. La France ne laisse pas
sexprimer politiquement les appartenances identitaires qui restent dans le domaine de la
sphre prive. Seul le citoyen a une importance aux yeux de lEtat. De cette idologie est ne
la politique assimilationniste qui visait rendre lindividu immigr conforme aux valeurs et
pratiques environnantes.
Paralllement ces idologies politiques, il existe des ralits anthropologiques (Todd 1994),
des diffrences culturelles, dans les pratiques, les visions du monde, les structures familiales.
On parle dinterculturalit (Camilleri 1990) lorsquil y a des contacts entre des populations
culturelles diffrentes. Selon plusieurs auteurs (Tribalat 1995, Todd 1994), la ralit
anthropologique de la France est bien une assimilation des individus, les appartenances
communautaires ne survivent pas. La France a une tradition dabsorption des diffrences.
Dans ce contexte gnral, nous proposons dtudier une population au sein dune socit
multiculturelle. La Guyane se situe 8 000 km de la France hexagonale. Aprs avoir t une
colonie presque 350 ans, elle devient en 1946 un dpartement et une rgion de la France au
mme titre que les autres dpartements doutre-mer. La Guyane fait donc partie de lensemble
des Dpartements dOutre-Mer (DOM), comme rgion ultrapriphrique de lUnion
Europenne. Elle est la seule rgion francophone et europenne du continent sud-amricain.
Ce territoire a une gographie, un climat, un environnement naturel spcifique. Prsentons
brivement le contexte physique de la Guyane. Dans le nord-est de lAmrique du Sud, situe
entre les 2 et 5 degrs de latitude nord et entre les 52 et 54 degrs de longitude ouest, la
Guyane repose sur le plateau des Guyanes regroupant le Brsil, le Venezuela, le Surinam et le
Guyana. Elle est borde au nord par lOcan Atlantique sur 320 km, louest par le Surinam
sur 520 km de frontire, au sud et lest par le Brsil sur 580 km de frontire commune. La
Guyane est le plus vaste des dpartements doutre-mer et la rgion la plus grande de France.
Avec ses 90 909 km2, elle reprsente 16 % ou 1/6me du territoire de lhexagone. Elle quivaut
donc un territoire comme la Belgique ou le Portugal. Ce territoire est occup 94 % par une
immense fort quatoriale (8 millions dhectares).
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Carte 1: La Guyane: positionnement en Amrique et rpartition des espaces (Source : Atlas illustr de Guyane, sous la direction de J.Barret 2002 : 13 et 27)
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La Guyane est par ailleurs une socit particulire bien quadministrativement part dun
ensemble national. Tout individu qui arrive sur son sol est frapp par sa composition humaine.
Les chercheurs saccordent dfinir cette socit comme multiethnique, multiculturelle,
autant de termes qui signifient la prsence de groupes humains diffrencis sur un territoire
commun. La Guyane est un espace franais, pourtant elle regorge dune diversit de
populations qui na pas son pareil en mtropole. La socit franaise parat plus homogne
que la socit guyanaise3. En parlant de la Guyane, lanthropologue Jean-Jacques Chalifoux
affirme qu il est difficile de dire sil sagit dune partie de socit, dune socit ou de
plusieurs socits distinctes (1989 : 16). Larticle de Pierre et Franoise Grenand,
anthropologues travaillant sur les populations amrindiennes, dans lAtlas de Guyane (2001),
dcrit la Guyane comme le type mme de socit pluriethnique regroupant en son sein une
quinzaine de communauts culturelles diffrentes.
Prsentons les caractristiques de cette socit. La Guyane nest pas trs peuple. En 1999,
lInstitut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) recense 157 213
habitants, ce qui reprsente 1.9 habitants au kilomtre carr (108 dans lhexagone). Il est
difficile davoir une estimation exacte de la rpartition de la population par groupes
culturels puisque les donnes officielles en France nautorisent pas la distinction des individus
selon leur origine ou leur appartenance ethnique. LINSEE, en 2002 (recensement de 1999),
donne tout de mme une vision des groupes en se basant sur le lieu de naissance des
individus. En premier lieu, seuls 54 % des individus vivants en Guyane y sont ns (INSEE,
1999). Les individus ns dans les autres Dom et Tom, qui sont 5 % de la population guyanaise
et les individus ns en mtropole (qui, on la dit, reprsentent 12 %) sont ns en France mais
en dehors du territoire guyanais. ). 30 % des individus sont ns ltranger (INSEE, 2002)4.
Parmi eux, les Surinamiens seraient 11 %, les Hatiens 9 %, les Brsiliens 5 %, les Chinois et
les Hmong chacun 1 % de la population guyanaise.
LINSEE qui traite les individus par lieux de naissance ne donne quune image partielle de la
ralit anthropologique de la socit, ne distinguant pas, par exemple, les diffrents groupes
culturels au sein des ns en Guyane : les Amrindiens, les Businenge, les Croles, les
enfants de migrants qui sont assimils une communaut. De plus, les recensements ne
3 Pour donner un exemple visible de la moindre diversit, selon E. Todd (1994 : 336), la population noire de lhexagone est value dans les annes 1991 seulement 2 % de la population totale. Elle est aussi 12 % de la population des Etats-Unis. 4 Des estimations officieuses admettent une proportion de 50 % dtrangers.
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prennent pas en compte les migrations clandestines qui sont trs nombreuses chez les
Hatiens, les Brsiliens et les Surinamiens. Il est certainement plus juste de penser que les
populations surinamiennes, hatiennes et brsiliennes sont plus importantes et que, par
consquent, proportionnellement, les populations nes en Guyane, en mtropole ou dans les
autres Dom Tom le sont bien moins.
Selon une estimation de lanthropologue Myriam Toulemonde-Niaussat, en 1991, les Croles
seraient 38 %, les Businenge 11 % et les Amrindiens 9 %. Tandis que la Cimade5, en 1993,
avance les chiffres de 45 000 Croles guyanais (32 %), 25 000 Hatiens (18 %), 18 000
Brsiliens (13 %), 12 000 Mtropolitains (9 %), 10 000 Surinamiens (7 %), 7 000 Croles des
Antilles franaises (5 %), 6 000 Marrons (4 %), 5 000 Amrindiens (4 %), 3 000 Croles des
Antilles anglophones (2 %), 1 600 Hmong (1 %), 1 000 Chinois (1 %) et 5 000 individus de
diverses origines (4 %). Ces chiffres doivent tre pris avec rserve puisquils sont des
estimations non officielles.
De toute vidence, sil nest pas possible de donner une reprsentation exacte de chaque
groupe culturel, il apparat que : la socit guyanaise est multiethnique ; les Croles guyanais
reprsentent la plus forte minorit et sont un peuple originaire de Guyane tout comme les
Amrindiens et les Businenge ; le poids des immigrs rcemment arrivs, en commenant par
les Surinamiens, les Hatiens et les Brsiliens, est fort. Les Mtropolitains sont une minorit
importante, qui se distingue physiquement par sa couleur blanche.
Laspect multiculturel de la socit guyanaise se rvle avec la rpartition gographique des
diffrents groupes culturels. Que lon se mette lchelle de la Guyane entire ou celle des
centres urbains ou des quartiers, on remarque toujours une sparation des lieux de vie entre
les diffrents groupes. La premire segmentation se voit au niveau rgional : lEst est occup
par les Croles, Mtropolitains et immigrs rcemment arrivs, tandis que lOuest est occup
par les Businenge, surinamiens ou franais et les Amrindiens. On trouve aussi des villages
monoethniques. Il existe trois villages hmong en Guyane : Cacao, Javouhey (cr en 1979) et
Rocoucoua (en 1989). Plusieurs regroupements amrindiens se distinguent, soit comme
villages sur le littoral (Awala-Yalimapo, Bellevue) ou dans lintrieur (Antecume-Pata,
5 Association cumnique cre en 1939 pour venir en aide aux personnes dplaces et regroupes dans les camps du sud de la France. Historiquement lie aux mouvements de jeunesse protestants, la Cimade travaille aujourd'hui en collaboration avec d'autres organismes catholiques, orthodoxes et lacs au service des rfugis, des trangers en France, et au dveloppement solidaire des pays de l'Est et du Sud.
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Camopi), soit encore comme quartiers (Terre-rouge....). Les Businenge sont aussi
largement majoritaires dans les communes du fleuve (Apatou, Grand-Santi...). Cette carte de
lAtlas de Guyane de 2002 met, schmatiquement, en vidence les rpartitions spatiales par
groupes culturels.
Carte 2: Rpartition de la population guyanaise par ethnies (Source : Atlas illustr de la Guyane, sous la direction de J. Barret 2002 : 2
Les communauts sont dautant plus marques quelles occupent des secteurs dactivit
diffrents. Les migrations ont souvent t lobjet de la recherche dune position
professionnelle : il est donc logique que les populations se soient spcialises dans un
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domaine prcis, mme sil y a mobilit sociale pour certains. Les Hmong sont
particulirement reprsents dans lagriculture (15 % des agriculteurs de Guyane sont hmong
alors quils ne sont que 1 % de la population selon lINSEE 2002 : 15). Les Chinois sont en
grande majorit dans les commerces dalimentation. En 1999, 60 % des commerces
dalimentation sont tenus par des individus de nationalit chinoise tandis que les Chinois
reprsentent 1 % de la population (INSEE 2002 : 15). Ils reprsentent une force conomique
non ngligeable, comme lcrit Andr Calmont, gographe : les Chinois exercent un quasi-
monopole commercial puisquils assurent prs de 90 % de la vente au dtail des produits
dpicerie (1976 : 32).
Avec R. Calmont, remarquons que les Hatiens occupent le plus souvent des tches ne
demandant que trs peu de qualification, alors que les Brsiliens, souvent charpentiers,
sadonnent des emplois demandant plus de savoir-faire (1988 : 4). Les Hatiens sont donc
en majorit dans le secteur secondaire, dans le travail du btiment, dans des mtiers ne
ncessitant pas de qualification. Dans le tertiaire, les trois-quarts des femmes hatiennes sont
dans la catgorie des personnels de service, alors que les hommes dans ce type demploi sont
jardiniers ou gardiens (Calmont 1988). Les Brsiliens sont plutt ouvriers qualifis ou
spcialiss. Ils sont embauchs dans tous les mtiers de la construction. Les hommes
businenge dans les centres urbains sont aussi, souvent, dans les mtiers du btiment, sur le
fleuve Maroni, ils sont piroguiers et exercent de nombreux job dans les changes
commerciaux (Toulemonde 1993). Les Libanais sont essentiellement dans le commerce du
textile. Plus du tiers de lemploi en Guyane repose sur la fonction publique (INSEE 1999) qui
est compose en majorit de Mtropolitains, dAntillais et de Croles guyanais (emplois
rservs aux individus de nationalit franaise).
Enfin, si on les nomme ethnies, groupes culturels, cest que leurs diffrences fondamentales
reposent sur des diffrences de culture. Il faut se rfrer aux travaux des anthropologues ou
ethnologues consacrs la description des diffrentes ethnies. Mais il est difficile de
comparer point par point les cultures de populations diffrentes. La langue pratique est
srement lindicateur le plus objectif des diffrences. Sans une langue, crit Marguerite de
Fauquenoy (1990 : 55), pour lexprimer et la transmettre, point de culture qui puisse survivre,
autrement que sclrose dans des manifestations folkloriques dpourvues de significations .
Plus dune vingtaine de langues se ctoient dans ce dpartement de lOutre-mer franais :
des langues amrindiennes, au nombre de six, des langues croles, au nombre de trois et une
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langue asiatique, le hmong, (Goury 2001 : 1). Parmi elles, dix langues sont reconnues
comme rgionales par le rapport Cerquiglini de 1999. De nombreuses autres langues sont
en prsence, la faveur des diffrentes migrations : crole martiniquais, guadeloupen,
hatien, sainte-lucien, portugais du Brsil, espagnol, nerlandais, sranan tongo, diffrents
dialectes chinois, arabe libanais, javanais, hindi, vietnamien, lao etc. On peut prsent dire
que si le franais est la langue officielle, il nen reste pas moins que de nombreuses autres
langues sont les langues maternelles et vhiculaires des populations prsentes en Guyane. Une
grande partie des communications entre coliers se passe en langue maternelle. I. Lglise et B.
Migge, sociolinguistes ayant travaill sur Saint-Laurent, jugent que le franais, bien que
langue de lcole, simpose comme langue seconde dans prs de 100 % des cas (2003).
Chaque population utilise donc plusieurs langues dont et en priorit, celle de son groupe
culturel. Il est difficile dvaluer de manire statique la culture dune population mais on peut
dire que, derrire les pratiques de langues diffrentes, se trouve tout un systme culturel qui
distingue les populations les unes des autres. La socit guyanaise est donc multiethnique. Il
ny a pas dhomognit culturelle.
Lhistoire avec ses mouvements migratoires est lorigine de cette composition. Bien qu
8 000 km du territoire franais la Guyane est depuis 1604 sous lemprise administrative de la
France. Son histoire passe successivement par des temps forts : une priode de colonisation
esclavagiste (1670-1848), la rue vers lor (1870-1920), la priode du bagne (1852-1952),
pour enfin devenir dpartement et voir le dveloppement du Centre Spatial Guyanais (depuis
1965). Lhistoire, en quelques 400 ans, a plac des populations diffrentes sur un mme
territoire. Dune seule prsence amrindienne, la colonisation franaise amnera des
Europens et des Africains. Puis, les diverses priodes clefs, lui feront subir plusieurs vagues
dimmigration. Une description de lhistoire permet de replacer dans son contexte larrive de
chaque population constituante de la socit guyanaise actuelle et de les dfinir brivement.
Les Amrindiens sont prsents en Guyane depuis des millnaires (Il y a 6000 ans selon
Jacqueline Zonzon et Grard Prost (1996), il y a 2 000 ans selon P. et F. Grenand (1985a), les
anctres des Arawak pntrent dans lactuelle Guyane), ils reprsentent alors plus de trente
ethnies diffrentes (Grenand P. et F. 2002 : 30). Leur contact avec les Europens au XVIIme
sicle va faire passer leur groupe de 30 000 3 000 individus (Barret 2001 : 144). Ce sont
essentiellement les pidmies qui seront la cause de la mort des Amrindiens. On trouve en
Guyane six ethnies diffrentes dAmrindiens (les Kalina, les Wayana, les Palikour, les
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Wayampi, les Emrillons et les Arawak) qui appartiennent trois ensembles linguistiques
distincts (carib, arawak, tupi). Des groupes vivent sur le littoral tandis que dautres vivent en
fort.
La colonisation et lesclavage voient la naissance de deux groupes diffrents : les Businenge
et les Croles. 20 000 esclaves sont amens sur les terres de Guyane. Les Businenge ou Noirs
marrons sont, lorigine, les esclaves qui fuirent les habitations et leur condition desclaves et
se rfugirent dans les bois en restructurant des socits tribales. En Guyane, les mouvements
de marronnage ont t limits et toujours rduits par les troupes du Gouverneur. La seule
chance dchapper au systme esclavagiste en Guyane tait de passer la frontire du Brsil et
de rejoindre les groupes de quilombos, ce que firent la plupart des chapps (Price R. et S.
2003). Au Surinam par contre, colonie hollandaise o les esclaves taient en plus grand
nombre, le marronnage sest dvelopp et a constitu des petites rpubliques autonomes,
rorganises sur les modles sociaux africains. En 1776, quelques centaines desclaves en
fuite des plantations du Surinam traversent le Maroni et sinstallent en Guyane (Bourgarel
1990 : 43). Le premier groupe de Marrons venir sinstaller fut celui des Boni, en 1776. Au
temps de la rue vers lor, vers 1890, des Saramaka vinrent aussi sinstaller, puis ce furent les
Ndjuka et les Paramaka. Si toutes ces populations sont homognises sous lappellation
Businenge , il sagit en fait de plusieurs ethnies distinctes et parfois en conflit.
Selon Marie-Jos Jolivet, anthropologue spcialiste de la population crole : le mot
crole dsigne, dune manire gnrale, la descendance locale dune espce importe.
Appliqu au genre humain, il caractrise donc les descendants dune population autrefois
venue dailleurs et distingue ainsi des autochtones proprement dits et des nouveaux venus.
(1986a : 15). Le premier emploi du terme concernait avant tout les Blancs colons ns dans les
territoires dOutre-mer. Ce mot sest ensuite appliqu aux esclaves noirs ns dans la colonie,
en opposition aux esclaves ns en Afrique, les Bossales . Les Croles, sont gnralement
caractriss comme les descendants des esclaves ns dans la colonie, parfois mtisss avec les
matres blancs. A lheure actuelle, ce terme dsigne un groupe culturel particulier.
Les colons blancs sont prsents pendant la colonisation mais ne parviendront pas se
maintenir comme groupe social constitu la fin de lesclavage, en raison de lcroulement
du systme conomique. Il ny a donc pas de groupe blanc, descendant de la colonisation
premire, comme cest le aux Antilles avec le groupe bk.
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A la fin de lesclavage, en 1848, la France lance des appels la migration pour remplacer la
main duvre perdue (Calmont 1976 : 28). Les librs se dtachent de tout ce qui pourrait
leur rappeler leur condition servile et refusent donc le travail salari qui leur est propos chez
leurs anciens matres. Ils prfrent construire des abattis6 et vivre en autogestion (Jolivet
1982). Cest le dbut des vagues migratoires. Selon Ketty Girondin (1986), la France fit
successivement appel des Madriens (248 arrivent entre 1849 et 1851), des Africains
(2000 entre 1854 et 1859), des Indiens dInde (8000 viendront de 1856 1877) et enfin
des Chinois (500 personnes arrivrent entre 1870 et 1880, puis 150 de 1953 1973). Des
Javanais (230 personnes) vinrent sinstaller en 1955 sur la commune de Sinnamary pour
dvelopper la riziculture. Ceux-ci, pour la plupart, sinstalleront finalement dans lle de
Cayenne et occuperont diverses fonctions (Chalifoux 1982).
La rue vers lor amnera galement son lot de migrants venus tenter leur chance. Au plus fort
de la rue, entre 1894 et 1901, les arrives varient entre 12 000 et 20 000 par an. Ce sont
surtout des populations des Antilles anglaises (Sainte-Lucie, Dominique, Barbades, Saint-
Vincent, de Grenade) mais aussi des Antilles franaises (Guadeloupe et Martinique) et
quelques Europens qui sont concerns par cette priode. Les Martiniquais arrivrent avec la
rue vers lor, puis une seconde vague dimmigrs arriva avec la catastrophe de lruption du
Mont Pel en Martinique en 1902. Enfin, la dpartementalisation leur facilitera laccs des
emplois dans la fonction publique.
Daprs Eric Fougre (2002), historien, le bagne, qui dura cent ans (1850-1950), apparat et
donne lieu au dplacement de 68 000 bagnards originaires en majorit de mtropole, mais
aussi des colonies franaises du monde entier (Maroc, Indochine...). Les bagnards sont
normment touchs par la mortalit : leurs conditions de vie, le peu dhygine les rend
vulnrables aux diffrentes maladies circulant dans un pays humide et peu survivront. Ceux
qui survcurent ne restrent que peu en Guyane (5 000 reverront le sol mtropolitain). La
colonie et le dpartement (ds 1946) seront loccasion dune immigration de fonctionnaires
venue de mtropole. La prsence du Centre Spatial Guyanais (CSG) ds 1965 amnera aussi
des ingnieurs. Les Blancs seront alors dnomms les Mtropolitains, sans que lon sache
exactement de quand date cette appellation. Il semble que ce terme naisse sous la
dpartementalisation alors quils taient dnomms Europens sous la colonie.
6 Type dexploitation agricole, petite unit de production vivrire familiale
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En 1965, commencent les grands chantiers du CSG qui dureront pendant 10 ans. A cette
occasion, la France fait de nouveau appel de la main-duvre trangre. Ce sont en
particulier des Colombiens (qui retourneront pour la plupart dans leur pays la fin de leur
contrat), des Businenge et des Brsiliens qui travaillrent pour ces chantiers. Limmigration
brsilienne ne cessa ds lors de samplifier.
Le ministre des Dom-Tom, Olivier Stirn, lana, en 1974, un projet de dveloppement agricole
et de peuplement de la Guyane, le Plan Vert , qui permit quelques migrants de sinstaller.
Des Runionnais (50 familles sur Macouria) sinstallrent en 1976 (Calmont 1979 : 1), ainsi
que des Hmong du Laos, qui vinrent directement des camps de rfugis de Thalande (500
personnes sur la commune de Roura) et quelques Europens ds 1977.
Enfin, ce sont des vnements politiques extrieurs qui dclenchrent deux migrations : celle
des Hatiens et celle des Surinamiens. Limmigration hatienne a dbut dans les annes
1970 (Gorgeon 1986). Victimes de la pauvret et dun rgime politique svre dans leur pays,
ils sont arrivs massivement. Ils ont t, jusquau dbut des annes 1990, la premire
communaut trangre de Guyane. Les Surinamiens sont venus sinstaller massivement dans
les annes 1980 la suite de la guerre civile du Surinam, pays frontalier de la Guyane. Enfin,
des migrations varies, de Chinois, de Libanais, dIndonsiens, de Pruviens, se rajoutrent.
La base de la population a longtemps t crole. Mais les diffrentes populations immigres et
le dsenclavement de la rgion ouest de la Guyane posent une nouvelle dynamique. La socit
actuelle dcoule effectivement de lhistoire qui a plac des populations diffrentes sur un
mme territoire mais elle est aussi la scne de dynamiques identitaires communautaires.
Plusieurs groupes, les Croles, les Amrindiens, les Businenge, entendent conserver leurs
particularits et revendiquent une identit propre. Lethnicit, c'est--dire la volont de se
diffrencier des autres, des diffrents groupes maintient lidentit multiculturelle de la
socit7. Cette juxtaposition de communauts est aussi le rsultat de dynamiques identitaires
volontaires, comme lcrit G. Collomb, anthropologue : ...la diversit de la population
guyanaise nest saisissable aujourdhui que comme la juxtaposition de groupes humains
conscients deux-mmes et porteurs didentits particulires (1998b : 230). Lindividu se
positionne dans la socit par son appartenance au groupe culturel. Selon S. Mam Lam Fouck,
7 Nous dtaillerons les processus dethnicit dans la deuxime partie.
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historien, dans limmdiat, chaque communaut dfinit sa propre stratgie culturelle tout en
affirmant sa volont de sintgrer dans un ensemble o toutes les communauts auraient leur
place (1996a : 199). Le groupe culturel est le produit dun mlange complexe entre des
particularits culturelles et ce mouvement dethnicit.
Les Mtropolitains se trouvent apparemment dans un groupe culturel part. Ils arrivent dans
un espace social o des communauts sont formes. Y a-t-il un groupe mtropolitain ? Ces
individus sont-ils unis par une culture commune, des relations interpersonnelles intenses, le
sentiment dappartenir un groupe ? Sont-ils acteurs dune revendication de leur identit ?
Comme le note Isabelle Hidair, auteur dun travail sur lidentit crole, dans son introduction,
les tudes relatives aux Mtropolitains de Guyane font jusqualors dfaut (2003 : 10).
On ne sait rien des processus identitaires de cette population.
Ces individus se trouvent immigrs dans une socit o la logique semble tre
communautariste. Ils ont pourtant t socialiss dans une socit qui prne une idologie
universaliste, qui suppose une intgration par le citoyen et non par lintermdiaire dun
groupe culturel et on suppose que lindividu a incorpor cette logique. Quelle est donc
lintgration sociale des Mtropolitains en Guyane ? Sintgrent-ils individuellement, comme
citoyens, la socit guyanaise ? Ou bien, sintgrent-ils la socit guyanaise par
lintermdiaire dune appartenance au groupe mtropolitain ?
Au-del dune intgration conomique, du fait de trouver une place sur le march de lemploi,
lintgration sociale suppose, de faon synthtique, une acculturation des immigrs
(ladoption de traits culturels locaux et donc le partage dune culture), le sentiment
dappartenir une entit commune (sentiment davoir un devenir en commun), la
participation la politique ( la gestion de la Cit), des relations avec la population daccueil
et lacceptation par la socit daccueil. Mais dans cette socit daccueil, multiculturelle,
qui sintgrent les Mtropolitains ?
Ltude de lintgration dun groupe nous permet donc de nous interroger, de faon plus
large, sur la dynamique identitaire guyanaise. O se trouve lide de nation lorsque lon est
face une juxtaposition de communauts ? La relation lAutre est au cur de la notion
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dintgration. Nous allons en fait tudier les frontires symboliques que les hommes instituent
entre eux : les identits.
On peut se poser la question de savoir quelle est la manire dont sarticulent ces diffrents
groupes culturels. Quand on fait le point sur la composition sociale de la Guyane, on est
forcment amen se demander comment une socit hbergeant autant de cultures
diffrentes peut trouver un quilibre, question souleve par Bernard Cherubini,
anthropologue, quand il crit que la Guyane est place devant un vritable problme de
coexistence et il reste trouver un quilibre entre ces diverses communauts (1986 : 5). Une
socit multiculturelle pose le problme de son harmonie, de sa cohsion sociale, de
larticulation des diffrentes populations qui se dfinissent avec une identit particulire. Les
dcideurs guyanais, soucieux de faire lconomie de conflits identitaires, semblent tre
attentifs la dfinition dun espace commun (Etats gnraux de la Rgion Guyane 1998).
Les questions sur la coexistence des groupes culturels sont en France souvent lies aux
migrants, ce qui explique notre dmarche intellectuelle pluridisciplinaire mlant lhritage de
la sociologie de limmigration franaise et de lanthropologie culturelle qui traite
particulirement des identits des groupes ethniques, culturels ou communauts. Nous
empruntons aussi la psychologie sociale des outils danalyse pour cerner les mcanismes
complexes lis la construction de lidentit.
Nous adoptons une dmarche constructiviste. Dun ct, nous admettons, avec le holisme, que
la socit surplombe les individus : lhistoire, les donnes conomiques, institutionnelles
simposent eux. Dun autre ct, nous empruntons au paradigme individualiste sa vision de
lindividu crateur de la ralit sociale. Ainsi, nous privilgions une approche qualitative,
plaant au cur de lanalyse lapprhension que lindividu fait de sa vie.
Dans une premire partie nous allons dtailler les choix thoriques et leurs influences sur la
mthode employe. Dans une deuxime partie, nous commencerons entrevoir les
dterminismes sociaux qui faonnent lidentit dun groupe mtropolitain : lhistoire, le
regard des autres, les caractristiques socio-conomiques. Dans une troisime partie, nous
nous interrogerons sur les pratiques culturelles des Mtropolitains, part de la culture et
lments essentiels de ladaptation du migrant son espace social. La culture suppose aussi le
partage de mmes reprsentations, de mmes valeurs, ce que nous traiterons dans une
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quatrime partie. De ces reprsentations nous analyserons le sentiment dappartenance. Enfin,
dans une cinquime et dernire partie, nous mettrons en lumire les interactions relationnelles
des individus, nud de leur identit.
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PREMIERE PARTIE :
THEORIE ET METHODE
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Cette partie reflte la dmarche globale, thorique et mthodologique, que nous avons mene
du dbut la fin de ce travail. Si la partie thorique parat longue, cest que les outils
intellectuels ont t essentiels, mais aussi que nous avons tent dutiliser plusieurs visions du
monde afin de rester humble dans notre apprhension de la Guyane. Il est important de donner
aux lecteurs le background avec lequel nous abordons lobjet dtude. Cette partie dfinit
donc l il sociologique avec lequel nous regardons la ralit apprhende. Elle dfinit
galement la mthode employe, condition des conclusions tires.
Chapitre I. CONSTRUCTION DE LOBJET DE RECHERCHE
Ainsi que lcrivent les sociologues Alain Accardo et Philippe Corcuff, la construction de
l'objet est la phase essentielle de la recherche qui consiste dcouper un secteur de la ralit,
c'est--dire slectionner certains lments de cette ralit multiforme et dcouvrir derrire
les apparences un systme de relations propres au secteur tudi. Les objets scientifiques ne
sont donc pas donns tels quels au dpart mais construits (par les diffrents choix oprs, par
les mthodes utilises, par les concepts mis en oeuvre). (1986 : 228). Ce chapitre vise
dcrire les thories sur lesquelles notre recherche se structure et dfinir les concepts
fondamentaux utiliss. Premirement, nous allons tenter de mettre en lumire, les notions qui
entourent les concepts dintgration sociale et de groupe. Puis, nous prciserons le courant de
pense dans lequel nous nous engageons.
La question qui soude notre rflexion est celle de savoir si les Mtropolitains forment un
groupe dans cette socit guyanaise multiculturelle. A travers cette question nous pourrions
comprendre comment lindividu sintgre la socit : de faon individuelle, comme
lidologie de sa culture dorigine le formule ou de faon communautaire, voie qui semble
tre de rigueur en Guyane. Si le concept d intgration sociale nat en sociologie, celui de
groupe culturel vient de lanthropologie culturelle. Nous empruntons des concepts la
sociologie comme lanthropologie en pensant que la Guyane et le Mtropolitain se trouvent
dans un entre-deux : lune, entre une identit officielle franaise et une identit
multiculturelle ; lautre, entre tre franais et tre immigr.
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Un des premiers objets de la sociologie a t de comprendre pourquoi et comment les
individus forment des socits. Emile Durkheim, Max Weber, Ferdinand Tnnies et tant
dautres sinterrogeaient sur la faon dont une collectivit dindividus peut se constituer en
socit. Marcel Mauss dcrit la place quil faudrait donner cette thmatique : Cette
question de l'harmonie normale des sexes, des ges et des gnrations et des divers sous-
groupes (clans, castes, classes confrries etc.), les uns par rapport aux autres, cette question de
l'harmonie intrieure chacun d'eux et du rapport de ces harmonies diverses l'harmonie
gnrale et la morale normale de la socit, cette question est disparue de l'horizon
sociologique. Or il faut la remettre au premier plan de l'tude et de la discussion . (1931 :
13). Le terme parfois utilis de cohsion sociale semble dsigner, de faon gnrale, un tat
dharmonie, dquilibre de la socit, dans lequel les parties, les individus se trouvent
assembls. Il sagit donc dune harmonie de la socit qui sous-entend un tat pacifique, sans
conflits qui la remettraient en question. Lusage de certains mots est indispensable dans la
conception de thories sans pour autant quils soient dfinis prcisment. Ces mots, comme le
dirait Claude Lvi-Strauss dans le cas du concept didentit, sont une sorte de foyer virtuel
auquel il nous est indispensable de nous rfrer pour expliquer un certain nombre de choses,
mais sans quil ait jamais dexistence relle (1977 : 332).
Pour Emile Durkheim, le processus dintgration concerne la faon dont un groupe social
attire lui lindividu. Lintgration de lindividu se traduit par lomnipotence de la socit sur
les individus, par sa conformit aux normes sociales de lindividu. Il crit que : quand la
socit est fortement intgre, elle tient les individus sous sa dpendance, considre quils
sont son service et, par consquent, ne leur permet pas de disposer deux-mmes leurs
fantaisies (1990 : 223). Cette contrainte se concrtise par les normes incorpores (et donc la
socialisation de lindividu, nous le verrons plus loin) et une conscience collective partage.
Au-del de la conscience individuelle, une entit collective, indpendante de ses membres,
renforce lexistence du groupe. La conscience collective peut tre dfinie comme lensemble
des croyances et des sentiments communs la moyenne des membres dune socit. La
socit mane des individus mais acquiert une vie propre, au-del des individualits, comme
lcrit E. Durkheim : Dans une socit cohrente et vivace, il y a de tous chacun et de
chacun tous un continuel change dides et de sentiments et comme une mutuelle
assistance morale, qui fait que lindividu, au lieu dtre rduit ses seules forces, participe
lnergie collective et vient y rconforter la sienne quand elle est bout (1990 : 224). Les
individus se sentent pris dans une collectivit par le partage dune conscience collective.
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Durkheim ne prend pas en considration lventualit de consciences collectives mulitples, de
groupes diffrents dans lesquels un individu pourrait voluer. Pour lui, il existe deux formes
de lien social, qui ne cohabitent pas dans un mme contexte. Des socits sont caractrises
par une solidarit mcanique qui rassemble des individus semblables, aux mmes fonctions,
partageant une conscience collective forte. Dautres socits fonctionnent sous le mode de la
solidarit organique, les hommes y sont complmentaires et dveloppent leurs consciences
individuelles. Ces concepts sinspirent largement de la typologie de Ferdinand Tnnies.
Daprs F. Tnnies, la Gemeinschaft ou communaut est une collection dhommes unis par un
mme tat desprit. Ce qui la constitue, c'est une unit absolue qui exclut la distinction des
parties. La communaut est avant tout le groupe familial, la communaut de sang, mais aussi
ce que lon pourrait appeler les ethnies, les socits traditionnelles. Un groupe qui mrite ce
nom, crit E. Durkheim, n'est pas une collection mme organise d'individus diffrents en
relation les uns avec les autres ; c'est une masse indistincte et compacte qui n'est capable que
de mouvements d'ensemble, que ceux-ci soient dirigs par la masse elle-mme ou par un de
ces lments charg de la reprsenter. C'est un agrgat de consciences si fortement
agglutines qu'aucune ne peut se mouvoir indpendamment des autres. C'est en un mot la
communaut ou, si l'on veut, le communisme port son plus haut point de perfection. Le
tout seul existe ; seul il a une sphre d'action qui lui est propre. Les parties n'en ont pas.
(1889 : 416). La notion de collectivit domine celle de lindividualisme dans la communaut.
Au contraire, la Gesellschaft est limage de la socit moderne, plus anonyme. Les individus
y sont loigns dans laffect et rapprochs dans la loi, le projet. Selon F. Tnnies, cest un
cercle d'hommes qui, comme dans la Gemeinschaft, vivent et habitent en paix les uns ct
des autres mais, au lieu d'tre essentiellement unis, sont au contraire, essentiellement spars
et tandis que dans la Gemeinschaft ils restent unis malgr toutes les distinctions, ici ils restent
distincts malgr tous les liens. Par consquent, il ne s'y trouve pas d'activits qui puissent tre
dduites d'une unit existant a priori et ncessairement et qui expriment la volont et l'esprit
de cette unit (...) Mais chacun est ici pour soi et dans un tat d'hostilit vis--vis des autres.
Les divers champs d'activit et de pouvoir sont fortement dtermins les uns par rapport aux
autres de sorte que chacun interdit aux autres tout contact et toute immixtion (...) Personne ne
fera rien pour autrui moins que ce ne soit en change d'un service similaire ou d'une
rtribution qu'il juge tre l'quivalent de ce qu'il donne (...) Seule la perspective d'un profit
peut l'amener se dfaire d'un bien qu'il possde (1944). En dautres termes la communaut
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reprsente un lien proche, une forte homognit des individus, une conscience collective,
alors que la socit dveloppe les individualits et la coopration fonde sur lintrt et le
contrat.
E. Durkheim et F. Tnnies dfinissent deux tats sociaux de lvolution dune socit. Ils
dcrivent, dans un schma volutionniste, le passage de la communaut vers la socit sans
penser que les communauts peuvent tre dans la socit (mise part la communaut de sang
dont parle Tnnies, la famille) et quelles peuvent renatre ou se renforcer. La communaut
tait donc linstar des socits traditionnelles, primitives , tandis que la socit se rvlait
dans le monde moderne occidental. Pour Durkheim, les changements sociaux sont des
consquences endmiques, il ny a pas dinterpntration de cultures.
La sociologie franaise a eu du mal penser la diversit au sein de la socit jusque dans les
annes 1990 o on commence travailler les concepts dinterculturalit et de pluriethnicit.
Lidologie universaliste de la France a orient les recherches. Tandis que les tudes sur les
questions de races, dethnies taient discutes aux Etats-Unis ds les annes 1910, les
recherches franaises ne traitent de lAutre qu travers limage de limmigr. Il est courant de
distinguer deux modles dintgration la nation : le modle intgrationniste la franaise et
le modle multiculturaliste des pays anglo-saxons. Le modle anglo-saxon met en valeur et
respecte les diffrences des individus en les associant des groupes culturels ethniques ; le
modle franais considre lindividu comme un citoyen de la nation et a toujours mis en avant
lhomognit culturelle de la nation, bien quelle ait toujours t marque par des migrations
diverses.
La nation, principal rfrent identitaire, a ainsi gomm les diversits culturelles. Des auteurs
continuent de penser quil ne peut y avoir de place pour les communauts dans lespace public
franais. Sinscrivant dans la ligne de Durkheim, Dominique Schnapper, sociologue, insiste
sur la fonction intgratrice de la socit. Pour elle, la spcificit de la nation moderne
consiste intgrer toutes les populations en communauts de citoyens et lgitimer laction
de lEtat, qui est son instrument, par cette communaut (1994 : 49). Comme lcrivent
Andrea Rea et Maryse Tripier, cette auteure labore lidal-type de lintgration
rpublicaine la franaise qui repose sur les principes de la sparation de la sphre publique
et de la sphre prive et de la primaut des droits individuels sur les droits collectifs (2003 :
99).
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Selon Ernest Renan, lessence dune nation est que tous les individus aient beaucoup de
choses en commun et aussi que tous aient oubli bien des choses (1992 : 42). Cette
dfinition met en valeur lide que ladhsion des membres dune socit cre la socit. Elle
soppose une dfinition organiciste, dorigine allemande, faisant rfrence lethnie,
lagrgation dindividus issus dun mme anctre, partageant les mmes coutumes, religions,
croyances. J.G. Fichte dmontre que ce sont les traits caractristiques dun peuple qui le
fonde. Il fait donc ainsi le lien avec une origine biologique. Cette opposition de point de vue
explique la diffrence dacquisition de la nationalit entre la France et lAllemagne : entre le
droit du sol et le droit du sang. Donc pour E. Renan, au-del des facteurs de langue, de
religion, cest la volont dappartenir un ensemble qui fonde le lien social : Une nation est
donc une grande solidarit, constitue par le sentiment des sacrifices qu'on a fait et de ce
qu'on est dispos faire encore. Elle suppose un pass ; elle se rsume pourtant dans le
prsent par un fait intangible : le consentement, le dsir clairement exprim de continuer la
vie commune. L'existence d'une nation est un plbiscite de tous les jours, comme l'existence
de l'individu est une affirmation perptuelle de vie (1992 : 54-55).
Les philosophes du contrat social, Thomas Hobbes, John Locke, Jean-Jacques Rousseau,
mettent aussi en valeur, non luniformit des individus ncessaire pour former une socit,
mais leur volont consciente de se trouver dans cette socit. Comme E. Renan, M. Weber
constate que cette reprsentation de lappartenance est plus forte que certains traits objectifs :
De mme que peuple au sens ethnique courant, le terme de nationalit suggre normalement
l'ide vague que ce qui est ressenti en tant que commun devrait avoir pour base la
communaut d'origine, bien que dans la ralit des faits, des hommes se considrent comme
des compatriotes, tout en tant (...) plus loigns par leur origine qu'ils ne le sont d'autres
hommes de nationalits diffrentes, voire ennemies (1971 : 424). Les individus dune nation
sont alors senss ressentir ce sentiment dappartenance commun. Les Mtropolitains ont-ils le
sentiment dappartenir un groupe ? la population guyanaise ? la socit franaise ?
Les politiques franaises tentent de faire entrer les immigrs dans cette citoyennet
nationale afin de crer une communaut de citoyens .
Aprs 1945, limmigr doit sassimiler, devenir citoyen franais, par la nationalit, par la
participation politique, par le travail. Mais Mohand Khellil, sociologue spcialis dans les
questions de lintgration, rappelle que les problmatiques dintgration taient prsentes,
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avant quon sintersse aux immigrs, dans les socits coloniales (1997 : 82-83). La figure
du travailleur hante les tudes. La ralit sociale franaise est limmigration de populations
dorigines maghrbines, africaines, venues des anciennes colonies ou de pays plus pauvres. Il
sagit le plus souvent dune immigration de travail. Le contexte est donc bien diffrent de la
migration des Mtropolitains, franais et de condition conomique privilgie, en Guyane
franaise. Dans les annes 1980-1990, limmigration change de visage avec la loi sur le
regroupement familial. De nouveaux problmes sont poss, de nouvelles tudes commencent :
sur lhabitat (sociologie urbaine), la citoyennet, la vie associative, la vie familiale, laccs
lducation, la transformation des pratiques culturelles. La conviction que limmigration est
durablement inscrite dans le paysage social franais va progressivement sinstaller. Selon
Patrick Simon, il sagit de prendre acte de lirresistible visibilit de limmigration dans tous
les domaines de la vie sociale (2005 : 37). La figure de limmigr simpose dans le
voisinage, lcole, dans les lieux publics... Les enfants des familles immigres sont
dnomms les secondes gnrations .
Les recherches sociologiques tudient alors comment les particularismes sont absorbs par la
socit, dans un creuset franais (Noiriel 1988). Lide de nation a fait natre le concept
dassimilation. Lassimilation peut tre dfinie comme le processus qui amne un individu
absorber les traits dune autre culture de telle faon quil soit assimil aux membres de cette
culture. Dans lassimilation une culture est abandonne lavantage de lautre. Cet angle de
vue utilis pour analyser la socit a longtemps bloqu les dveloppements des questions lies
aux appartenances culturelles. Pour Dominique Schnapper, lassimilation culturelle relle est
un mythe : Cest llaboration de la nation qui a t qualifie de politique dassimilation ,
mais dans les faits, cette politique na jamais russi liminer les diversits. Lhomognit
des individus et des groupes lintrieur de la nation na t quun idal, jamais concrtement
ralis (1991 : 78). Lassimilation ici, ne prend pas exactement le mme sens que dans les
Dpartements et Territoires doutre-mer. Si dans les Dom-Tom ce terme signifie
exclusivement lincorporation du modle occidental, lassimilation en sciences humaines
signifie lincorporation par le migrant de la culture du pays daccueil au dtriment de sa
culture dorigine.
Depuis la dcolonisation, la notion dassimilation est peu peu abandonne. Elle nest
presque plus utilise (la dmographe Michle Tribalat justifie encore son utilisation
scientifique) car devenue pjorative. En effet, dans un contexte de combat pour
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lindpendance, lassimilation apparat pour les anciens coloniss comme un processus
dvastateur pour la construction de son identit. Il sagit de se dfaire de lemprise du
colonialisme en affirmant une culture, une histoire, des valeurs propres (Boucher 2000 : 26).
Nous nutiliserons pas cette notion dans nos travaux et prfererons parler dacculturation ou
de re-socialisation comme nous le dvelopperons plus loin.
Le terme dintgration est petit petit prfr celui dassimilation. Il ouvre une possibilit
pour lindividu de conserver sa culture dorigine, dans la mesure o elle reste dans lespace
priv et que les valeurs fondamentales quelle avance ne soient pas contraires celles des
Droits de lhomme, base thique de la socit franaise. Selon D. Schnapper, le terme
dintgration permet le mariage de la culture dorigine du candidat la naturalisation avec
celle du pays daccueil (1991 : 83). Dans le mme sens, Le Haut Conseil lintgration
estime : quil faut concevoir lintgration non comme une sorte de voie moyenne entre
lassimilation et linsertion mais comme un processus spcifique : il sagit de susciter la
participation active la socit nationale dlments varis et diffrents, tout en acceptant la
subsistance de spcificits culturelles, sociales et morales et en tenant pour vrai que
lensemble senrichit, de cette complexit. Sans nier les diffrences, en sachant les prendre en
compte sans les exalter, cest sur les ressemblances et les convergences quune politique
dintgration met laccent afin, dans lgalit des droits et des obligations, de rendre solidaires
les diffrentes composantes ethniques et culturelles de notre socit et de donner chacun,
quelle que soit son origine, la possibilit de vivre dans cette socit dont il a accept les rgles
et dont il devient un lment constituant (cit dans Lapeyronnie 1993 : 18).
La question de la dfinition de ce concept apparat depuis le dbat sur le projet de la rforme
du Code de la nationalit de 1987 (Khellil 1991). Pourtant il est difficile de trouver une
dfinition qui le cerne de faon exhaustive. De faon simpliste, Le Petit Larousse de 1999
dfinit le verbe intgrer comme faire entrer dans un ensemble plus vaste : incorporer,
inclure . Lintgration est aussi lopration qui consiste assembler les diffrentes parties
dun systme et assurer leur compatibilit ainsi que le bon fonctionnement du systme
complet . Enfin, daprs lEncyclopedia Universalis, l intgration est le processus par
lequel un groupe social, quelles que soient ses dimensions (de la famille la nation)
sapproprie lindividu pour assurer la cohsion sociale du groupe . Ce sont finalement les
questions du vivre ensemble qui se trouvent poses. Le terme dintgration renvoie deux
sens principaux selon Dominique Schnapper : Il peut caractriser lensemble dun systme
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ou de la socit, ce quon peut appeler lintgration de la socit8 ou intgration systmique.
Cest alors la proprit du groupe dans son ensemble. Mais il peut aussi caractriser la
relation des individus ou dun sous-systme un systme plus large, ce quon peut appeler
lintgration la socit ou intgration tropique. Cest alors la proprit dun individu ou
dun groupe particulier lintrieur dun ensemble plus large (1994 : 39). Lintgration de
la socit suppose son harmonie, sa cohsion sociale et on a vu que cest en assimilant les
immigrs que la France a voulu trouver cet tat. Lintgration des individus, elle, ne se
comprend que par rapport la socit large, la nation. Il nest en aucun cas question de
lintgration des individus dans un groupe intermdiaire qui lui-mme ferait partie de la
nation.
M. Khellil donne une dfinition de ce concept dans son ouvrage Lintgration des maghrbins
en France (1991) : nous pouvons dfinir lintgration comme un processus plus ou moins
long grce auquel un ou plusieurs individus vivant dans une socit, trangre par dfinition,
manifestent leur volont de participer ldification de lidentit nationale de celle-ci qui, sur
le plan conomique et social, prend leur gard toute une srie de dispositions propres
atteindre cet objectif lintgration suppose le partage dun certain nombre de valeurs
fondamentales et le dsir de participer ldification dun ensemble national (1991 : 52).
Lintgration est donc un processus et non un tat, qui suppose des efforts dune part de la
population immigre, dautre part de la socit daccueil dans le but de construire un
ensemble national. La consquence de cette intgration citoyenne, de ses actions rciproques
se trouvera dans le partage dun socle culturel commun.
Cette dfinition correspond lutilisation du concept dans un contexte particulier. Il sagit de
rpondre la problmatique pose dans le contexte de la venue dune minorit de migrants
trangers dans un ensemble national homogne dominant. Or ltude que nous proposons
rpond aussi un contexte particulier. Tout dabord, la Guyane, bien que franaise, ne
constitue pas un ensemble socialement homogne, comme nous lavons dcrit en
introduction : cest une socit pluriculturelle o se ctoient diffrents groupes culturels dont
le plus important reste compos des Croles guyanais. Bien que toute socit soit
multiculturelle, la Guyane renvoie limage dune mosaque tandis que la France ne parat pas
autant marque par les communauts. Ensuite, la dfinition de M. Khellil ninsinue pas que
8 Cest nous qui soulignons
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les immigrs doivent renoncer leur culture dorigine, mais ils sont invits adopter des traits
culturels de la socit daccueil. La population dont nous voulons tudier lintgration, tout en
tant une population minoritaire de migrants, dimmigrs en Guyane, nest pas trangre,
puisque de nationalit franaise. Cette population nest donc pas place officiellement dans la
position de changer de culture pour adopter la culture dominante du pays. De plus, Les
Mtropolitains sont la population majoritaire du territoire national franais, bien quils soient
une minorit culturelle, rellement, sur le territoire guyanais. Les Mtropolitains porteurs de
la culture officielle franaise (mais qui nest pas homogne videmment) et citoyens franais
en France ne doivent pas justifier de leur intgration par leur participation ldification dun
ensemble national. Rien ne les pousse donc dvelopper un sentiment dappartenance la
Guyane comme ils pourraient le faire pour la socit franaise. Paralllement, ladministration
nationale na pas de raison de favoriser lintgration de cette population en son sein
puisquelle est sa population majoritaire. Bref, le contexte de limmigration des
Mtropolitains en Guyane mrite que lon prenne la notion dintgration avec soin, comme
elle est dfinie en France.
On voit se poser la question rcurrente de savoir si la Guyane est un territoire franais ou si
elle est un territoire particulier, un pays : alors soit les Mtropolitains sont des migrants
franais dans un ensemble franais, soit ils sont des immigrs sur le territoire guyanais. Nous
nous plaons videmment du ct de lanthropologie, du ct des significations humaines.
Les Mtropolitains sont des immigrs dans une socit multiculturelle. Notre point de vue se
propose de traiter des questions dinterculturalit et donc de mettre jour les processus
dinteraction entre des individus porteurs de cultures diffrentes.
Voyons ce que M. Khellil ajoute plus loin ce propos, toujours dans la dfinition du concept
dintgration : cette volont partage nexclut pas un change qui se ralisera par une
interaction culturelle o chacun puisera dans lautre culture des lments propres rapprocher
les tres et les cultures () cet change devrait aboutir au partage dun certain nombre de
valeurs sans que chacun renonce aux lments fondamentaux de sa propre culture () cest
dire quil revient ici limmigr, ce nouveau partenaire, de sadapter aux normes et valeurs
propres de la socit civile franaise sans pour autant aliner ses valeurs propres (1991 : 52-
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53). La notion dintgration se distingue donc de la notion dassimilation9 qui stipulait le
gommage des diffrences, dans une fusion, par la rupture totale avec la culture dorigine au
profit de la culture daccueil. Lintgration serait un processus qui engage un individu
recomposer son identit, sa culture en fonction des nouvelles normes sociales qui
lenvironnent. Lintgration comme tat serait la manire dont cet individu ngocie sa culture
dorigine et la culture en prsence ; sa culture de groupe et sa culture nationale. Cette
problmatique est donc aussi envisageable dans notre tude.
Comment un individu gre-t-il sa double appartenance un groupe et une entit nationale ?
Dans leur article Lintgration en question , Marie-Antoinette Hily et Christian Rinaudo
crivent : les formules dintgration proposes dans un cadre national ou tatique sont de
plus en plus inadquates aux multiples situations des individus quelles visent unifier
(2002 : 227). Ainsi, le concept dintgration ne suffit pas rpondre de nouvelles
proccupations. Effectivement, la monte des particularismes pose de nouvelles
problmatiques.
Lintgration suppose une adaptation du migrant la socit daccueil. Cette adaptation
renvoie au concept de socialisation. Ce concept nous intresse particulirement. Le
Mtropolitain a t socialis, comme tout immigr, dans une socit dans laquelle il ne vit
plus, mais dont il porte les traits. Lindividu narrive jamais dans un pays sans une identit, un
pass, la marque dune autre culture. Pour M. Khellil, cette socialisation est le concept
sociologique qui rend le mieux compte de lintgration, au point de sidentifier elle (1997 :
24). Pour Claude Javeau, devenir homme, shominiser, cest donc avant toutes choses se
socialiser. Cest la raison pour laquelle les apprentissages sont groups sous le vocable de
socialisation. Il ne sagit pas, au demeurant, dapprendre simplement reproduire des
comportements, par imitation (), mais bien dintrioriser le social, c'est--dire ce quil a
dobjectif pour lindividu : ses rgles, ses lois, ses us et coutumes, ses normes, ses valeurs
(1986 : 219). La dfinition de la socialisation ne pose pas vraiment de problme. Lindividu se
dveloppant intriorise les normes, valeurs, comportements de la socit qui lenvironne.
Selon une dfinition de Y. Grafmeyer, la socialisation est lensemble des mcanismes
9 Lassimilation doit sanalyser non plus comme un processus mais le rsultat dune srie dactions ayant conduit un ou plusieurs individus renoncer leur culture dorigine pour adopter conscutivement les murs et les coutumes du pays daccueil, par dfinition diffrentes des leurs (Khellil 1991 : 45)
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dapprentissage qui font que les individus intriorisent les valeurs et les normes dune socit
ou dun groupe social particulier (1995 : 88).
Mais la socialisation nest pas un processus unilatral qui ferait de lindividu le rceptacle
passif des informations que lui enverrait la socit. Nous privilgions une approche
interactionniste de ce concept. Cette approche dveloppe par Georg Herbert Mead, par Peter
Berger et Luckman, par Pierre Bourdieu, par exemple, soppose lapproche du
conditionnement (Boudon et Bourricaud 1982 : 529-530). Ainsi, C. Javeau crit : le
procs de socialisation est lui-mme de nature interactive. La mise en place des schmes de
comportements, des attitudes essentielles, des ides principales, des affects, rsulte en
quelques sorte de la collaboration entre lindividu concern et son entourage (1986 : 220).
Lindividu prend une part active dans le processus de socialisation. Cet auteur reprend :
lindividu nest pas gav de social la manire des oies du Prigord. Il se socialise tout en
tant socialis. Il se construit lui-mme, dans la mesure o il est construit par les autres (op.
cit. : 220). Cette approche interactionniste ouvre la voie la considration de la socit dans
sa pluralit culturelle. Il ny a pas une culture fige et unique, lindividu qui incorpore le
social, peut aussi remettre en question le rle quil entend jouer. Selon A. Percheron, dans
toute socialisation, il y a une part de crativit (1993 : 33). Ainsi, limmigr arrive avec un
bagage culturel, il est amen adopter de nouveaux lments de la culture locale, mais il est
aussi un facteur du changement social de la socit daccueil. Les Mtropolitains ont t
socialiss, pour la plupart, en mtropole, qui on la dit conoit lintgration dans la socit sur
le mode individuel. Dun autre ct, la Guyane est porteuse dune vision diffrentialiste,
chaque individu semble faire partie dun groupe intermdiaire. Aussi posons-nous la question
de savoir si lindividu adopte la vision dintgration locale communautaire ou sil reste sur
une vision individualiste. Cette reprsentation de lintgration serait, dans notre ide, motrice
de leur intgration relle.
Dans une logique interactionniste, P. Bourdieu articule structure sociale et individus. Les
conditions sociales d'existence sont intriorises par les individus, sous la forme de principes
inconscients d'action et de rflexion, de schmes de la sensibilit et de l'entendement, donc
sous forme de structure de la subjectivit, que P. Bourdieu nomme habitus. Une fois structur,
l'habitus ne va cesser de produire des perceptions, des reprsentations, des opinions, des
croyances, des gots, des dsirs et des rpugnances, bref toute une subjectivit relativement
indpendante de l'extrieur ; mais qui ne cesse de s'extrioriser dans l'action des individus et
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des groupes et de contribuer par l mme la reproduction des structures sociales, qui a leur
tour s'imposeront demain aux individus et aux groupes comme des conditions d'existence
objectives. Ainsi, la ralit sociale ne cesse de se construire travers l'action des individus
et des groupes. Elle-mme conditionne par la ralit sociale prexistante (Accardo et
Corcuff 1986 : 14).
Peter Berger et Thomas Luckmann (1986) distinguent la socialisation primaire, qui est la
premire socialisation que l'individu subit dans son enfance et grce laquelle il devient
membre de la socit, de la socialisation secondaire, qui est un processus postrieur qui
permet d'incorporer un individu dj socialis dans des nouveaux secteurs du monde objectif
de la socit. La socialisation est un processus en uvre pour tout individu mais il lest encore
plus pour des individus trangers qui arrivent dans une nouvelle socit. M. Khellil, pour sa
part, considre : la socialisation en tant que processus dinteractions sociales qui implique
que la culture n'est pas fige dans une sorte d'unicit mais suppose la coexistence de cultures
diffrentes, voire de sub-culture, dans une mme socit : la culture va ainsi voluer au gr
des relations entre les individus vivant dans une mme entit sociale (1997 : 25). On parle
alors de resocialisation. Cet auteur poursuit : pour limmigr, il sagit dans un premier
temps dune resocialisation, de tout un apprentissage devant lui permettre de se mouvoir avec
aisance dans la socit franaise (1991 : 53). Le concept de resocialisation se rapproche
intimement de celui dacculturation que nous verrons plus loin.
Lintgration en partant de la socialisation pose la question de lidentit des individus. Il nous
semble essentiel demprunter des concepts de lanthropologie culturelle pour cerner ltude de
la socit guyanaise. Lanthropologie culturelle prend pour objet principal dtude les
rapports que les groupes entretiennent lintrieur dun mme ensemble et en relation avec
dautres ensembles (Laplantine 1987 : 116). La culture est alors compose des caractres
distinctifs que prsentent les comportements individuels des membres de ce groupe, ainsi que
ces productions originales. Il est difficile de donner une dfinition tout fait satisfaisante de la
culture. On se rfre immanquablement Edward Burnett Tylor pour dfinir la culture dans
un sens large, elle est un ensemble complexe incluant les savoirs, les croyances, lart, les
murs, le droit, les coutumes, ainsi que toutes dispositions ou usages acquis par lhomme
vivant en socit (1895). Selon F. Laplantine, la culture est lensemble des comportements,
savoirs et savoir-faire caractristiques dun groupe humain ou dune socit donne, ensemble
acquis par un processus dapprentissage et transmis ses membres. Lcole de pense
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culturaliste a tent de rpertorier tous les traits culturels (cultural patterns) dune culture :
elle a fini par abandonner ce projet avec plus de 7 000 traits diffrents. La culture est donc le
caractre propre dun groupement humain. Selon Alex Mucchieli (1986), une culture, au sens
anthropologique, comprend les croyances, les normes, les valeurs et les reprsentations
communes mais galement les coutumes, les murs, lensemble des objets quotidiens et des
expriences artistiques. Il y a donc cette ide de similitude, de partage de mmes valeurs,
reprsentations, croyances, pratiques. Ce sont ces facteurs similaires qui forment le groupe
social. La culture des individus est ce qui les lie dans un mme quotidien, une mme socit,
un mme groupe social ou groupe culturel. La dfinition donne par Denys Cuche, est la
suivante : la culture est la somme des savoirs accumuls et transmis par lhumanit,
considrs comme totalit, au cours de son histoire (1996). La culture est donc la base de la
pratique sociale des individus. Ceux-ci sappuient sur leurs croyances, leurs reprsentations,
leurs normes afin de fonder leurs actions dans la socit.
Comme il est crit justement dans l Encyclopedia universalis, la culture est aussi
lorganisation symbolique dun groupe, de la transmission de cette organisation et de
lensemble des valeurs tayant la reprsentation que le groupe se fait de lui-mme, de ses
rapports avec les autres groupes et de ses rapports avec lunivers. . Une part de la culture
dun individu se trouve dans la nature de ses reprsentations sociales. Et nous drivons de
lanthropologie culturelle vers la psychosociologie pour tayer ce concept de reprsentations
sociales. Selon Denise Jodelet, les reprsentations nous guident dans la faon de nommer et
de dfinir ensemble les diffrents aspects de notre ralit de tous les jours, dans la faon de les
interprter, statuer sur eux et, le cas chant, prendre une position leur gard et la dfendre
(1989 : 31). Les reprsentations sont donc un systme dinterprtation du monde, de
significations de la ralit, qui orientent les actions des individus et concourent la
construction dune ralit commune. Les images symboliques sont des facteurs de ralliement
des hommes. Selon Gilbert Durand, la raison et la science ne relient les hommes quaux
choses, mais ce qui relie les hommes entre eux, lhumble niveau des bonheurs et des peines
quotidiennes de lespce humaine, cest cette reprsentation affective parce que vcue et que
constitue lempire des images (1960 : 124). La culture est aussi et surtout cette partie
invisible qui marque les individus dun mme groupe.
Les reprsentations, les croyances, les valeurs sont lorigine des comportements sociaux, des
pratiques sociales, de toute action que lhomme a en socit. M. Weber dfinit laction sociale
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comme tout comportement humain auquel lhomme donne un sens. Talcott Parsons dveloppe
une thorie gnrale de laction quil dfinit comme toute conduite humaine qui est motive et
guide par les significations que lacteur dcouvre dans le monde extrieur. Selon lui, tous
ces rapports avec le milieu physique supposent un jeu d'interprtation travers lequel l'acteur
aperoit la ralit et lui donne un sens en fonction duquel il agit (1973 : 45).
Lenvironnement est ici lensemble des objets matriels, des conditions climatiques, de la
gographie, de la gologie des lieux, de lorganisme de lindividu. Les individus dun mme
groupe social ou culturel ont, par l mme, des pratiques sociales proches ou similaires. Les
pratiques sociales se basent sur linterprtation du systme par lacteur et sur le jeu
dinteraction avec les autres individus ou collectivits.
A ce niveau, est-il possible de dire que les Mtropolitains partagent une culture commune
avec les autres populations de Guyane ? Ou le seul partage de culture se fait-il entre les
individus mtropolitains, dont nous pourront alors qualifier lagrgat de groupe culturel ?
Prcisons lapproche que nous allons privilgier pour cette tude. Deux types de pense
sopposent face la culture : une vision statique et culturaliste tend penser que le groupe
culturel est lassociation dindividus possdant une mme culture. Cette approche que lon
nomme aussi essentialiste, fait des cultures des entits fixes, durables, hrites du pass. Un
deuxime courant interactionniste pense les contacts culturels et dfinit les groupes par
dautres concepts notamment celui de lethnicit. Nous prenons parti pour ce second courant
tout en tenant compte de la culture comme lment dunification du groupe.
Les groupes culturels sont rarement isols, sans contacts avec dautres groupes culturels. Si
limmigration na pas t traite comme des contacts de cultures pendant longtemps, la
question de limmigration se pose diffremment aux Etats-Unis dAmrique. La sociologie
amricaine, a depuis les annes 1910, dvelopp, dans un travail sur lintgration, des thmes
sur les diffrences culturelles, les races, les ethnies. Lcole de Chicago (1910-1940) tudie en
particularit les relations que les hommes nouent dans un monde en transformation sous les
effets de lindustrialisation, de lurbanisation et de la migration. Lexpansion rapide de
Chicago, la venue dimmigrants et de Noirs des Etats du sud transforment la ville. La question
ethnique est alors une ralit dans laquelle la prsence des Indiens tient un rle majeur. Si les
auteurs pensent en terme dassimilation, ils ne conoivent pas moins lappartenance au groupe
dorigine comme une tape ncessaire de lintgration. Pour Thomas Znaniecki, lassimilation
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est un processus inluctable, qui arrive au terme dune suite de dsorganisations
rorganisations de la culture du migrant. Robert Ezra Park (1967) dcrit quatre tapes de
lintgration du groupe avec la socit daccueil : la comptition, le conflit, la ngociation,
lassimilation. Il dfinit lintgration comme le processus au cours duquel des groupes
dindividus participent activement au fonctionnement de la socit tout en conservant leurs
particularits. Pourtant il considre aussi que lassimilation est lintgration invitable des
migrants.
Lcole de Chicago dveloppe les premiers travaux sur linteraction des acteurs. Cest dans ce
cadre que Cooley a t le premier dvelopper la notion de groupe primaire pour dsigner les
groupes qui se caractrisent par une association et une coopration intime de face face.
Primaires en plusieurs sens, ils le sont principalement parce quils sont la base de la
formation de la nature sociale et des idaux de lindividu (cit dans Mattelart et Mattelart
1996). Les individus faisant partie dun groupe social sont dans des relations sociales plus
intenses, plus frquentes, quavec des individus extrieurs au groupe. La relation sociale est,
pour M. Weber (1922), la catgorie fondamentale de la socit, car les individus orientent
rciproquement leur comportement les uns daprs les autres. La rciprocit des actions
sociales fonde le lien social. Chez Georg Simmel, lassociation est lensemble des
interactions entre individus qui ont conscience de former une unit et qui forment le creuset
de la socit. Il y a socit, au sens large, partout o il y a action rciproque des individus.
Ces groupes primaires sont donc gnralement de petite taille, lidentification des individus au
collectif y est forte et les rapports de sympathie, de coopration et daide mutuelle dominent
au sein du groupe. Des exemples de ces groupes primaires sont la famille, le groupe de
camarades, le voisinage. Les groupes secondaires, quant eux, sont loppos des groupes de
plus grande taille o les relations sont plus superficielles et reposent sur une base utilitaire. La
diffrence entre groupe primaire et groupe secondaire nest pas sans rappeler la typologie de
F. Tnnies entre communaut et socit. La diffrence majeure est que groupe primaire et
groupe secondaire peuvent cohabiter dans une mme socit. Cette typologie permet donc de
penser les multiples appartenances dun individu.
Faisons un apart en renvoyant cette approche celle dveloppe par Max Weber, en Europe,
dans un contexte diffrent. Dans Economie et socit, M. Weber consacre dailleurs un
chapitre au groupe ethnique. M. Weber revisite les concepts de communaut et de socit
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travers la communalisation et la sociation : deux types de relations sociales. Il ne considre
pas la communaut comme une forme sociale mais comme un lien social. La relation de
communalisation se base sur laffectif, le sentiment de partager des valeurs communes, la
tradition, alors que la sociation est une relation base sur lintrt, le contrat. Un individu peut
tre pris dans des relations de sociation et/ou de communalisation. Cette vision du lien social
nous parat bien plus intressante puisquelle dpasse le ct statique de deux socits et
conoit la complmentarit des types de liens pour un individu. Un individu peut se trouver
dans des liens de communalisation avec sa famille et de sociation avec les membres dune
association.
Les Mtropolitains ont-ils des liens de communalisation avec les autres Mtropolitains,
forment-ils un groupe primaire ? Ont-ils des liens de sociation avec les autres populations, ce
qui voudrait dire quils forment une communaut mtropolitaine dans une socit guyanaise ?
Mais ny a-t-il que des relations de communalisation entre Mtropolitains ou peut-on
considrer aussi ce type de relation avec des individus dautres populations ? La nature des
relations entre les individus joue sur la nature des groupes sociaux.
Carmel Camilleri (1989), psychosociologue, dfinit linterculturalit comme un processus
dynamique engendr par les interactions entre cultures et les interpntrations de cultures.
Linterculturalit est lensemble des processus psychiques, relationnels, groupaux,
institutionnels engendrs par ces interactions, dans un rapport dchanges rciproques et dans
une perspective de sauvegarde dune relative identit culturelle des partenaires en relation.
Lacculturation dsigne alors le changement culturel qui rsulte du contact entre personnes de
cultures diffrentes, la fois dominante et non dominante. Lacculturation est le processus de
re-socialisation : elle dfinit la fois un contact culturel et un changement culturel qui sopre
de faon plus ou moins profonde. On en doit la dfinition premire Robert Redfield, Ralph
Linton et Melville Herskovits. Ainsi lacculturation est lensemble des phnomnes qui
rsultent de ce que des groupes dindividus de cultures diffrentes entrent en contact continu
et direct et des changements qui se produisent dans les patrons (patterns) culturels originaux
de lun ou des deux groupes (1936). R. Bastide prcise que ce sont les individus qui sont
porteurs des cultures qui se rencontrent : ce ne sont jamais des cultures qui sont en contact
mais des individus. Si nous prenons des individus donneurs , il est vident que, quels quils
soient, colons, missionnaires, aventuriers, ils ne prsentent jamais la totalit de leurs cultures
mais seulement la part que R. Linton appellerait statutaire , c'est--dire le secteur de leurs
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cultures qui touche leurs statuts et leurs rles distinctifs dans la socit globale. Ce qui fait
que, de la part des rcepteurs , des lments entiers de la culture native ne sont pas
touchs (Bastide 1971 : 49).
Lacculturation ressemble fortement la notion de resocialisation utilise en sociologie mais
elle met fortement laccent sur le contact et le changement. Nous parlerons plus volontiers
dacculturation puisque la notion semble taye dune typologie intressante pour lanalyse
des situations concrtes. R. Bastide sest interrog, travers ses tudes sur les civilisations
africaines en Amrique, aux problmes du mlange des cultures, de lacculturation, de
lassimilation, de lintgration, des rsistances culturelles, des survivances, des
recompositions identitaires (ou rinterprtations) et du syncrtisme religieux. Il distingue
quatre processus dacculturation : lassimilation (processus par lequel un individu issu dune
culture minoritaire dlaisse sa culture dorigine pour la culture dominante), la raction (qui
consiste en un rejet du contact culturel), la contre-acculturation (qui survient quand
lacculturation a dj eu lieu et prend alors des formes de rejet, apparent ou non-apparent) et
le syncrtisme (processus qui donne naissance un nouveau produit culturel qui nest pas la
simple addition des deux cultures, mais plutt une combinaison unique).
M. Herskovits en tudiant le peuple noir amricain dveloppe la thorie des survivances
culturelles, cest--dire le processus par lequel danciennes significations sont attribues des
lments nouveaux. Ce processus de rinterprtation est aussi tudi par R. Bastide mais cette
fois comme le processus par lequel de nouvelles valeurs changent la signification culturelle de
formes anciennes. Si M. Herskovits pense que la culture est un patrimoine, quil faut se
tourner vers le pass pour comprendre le prsent ; R. Bastide pense que la culture est une
construction permanente, une cration en devenir. M. Herskovits parle donc des survivances
identitaires dans son ouvrage The Myth of the Negro Past . R. Bastide, de son ct, dcrit
les recompositions culturelles, les crations identitaires qui se droulent lors de rencontres de
cultures diffrentes, les phnomnes de syncrtisme.
Lacculturation nous entrane considrer les consquences plus individuelles de la rencontre
des cultures. Il existe un lien essentiel entre lquilibre dune socit et lquilibre individuel.
Les rsultats de lacculturation peuvent tre positifs ou ngatifs pour lindividu, comme lcrit
Slim Abou (1981). Lacculturation est ngative, lorsquelle se traduit par une dculturation
de la personnalit, le dchirement entre deux cultures et quelle entrane un sentiment
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dinfriorit, de mpris de soi, langoisse, lagressivit, allant jusquau dsir de suicide.
Lacculturation est dite positive quand celle-ci permet de rorganiser culturellement la
personnalit, avec la certitude dtre compris et affectivement accept. Enfin, lacculturation
est incertaine quand la dculturation est vite sans pour autant quon puisse parler de
rorganisation culturelle.
Lacculturation suppose un contact et les groupes se modifient au gr des contacts. Le courant
de lethnicit rintroduit en France par Philippe Poutignat et Jocelyne Streiff-Feinart en 1995