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QU’EST-CE QU’UN INDIVIDU ? UNITÉ, INDIVIDUALITÉ ET CONSCIENCE DE SOI DANS LA MÉTAPHYSIQUE PLOTINIENNE DE L’ÂME

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QUEST-CE QUUN INDIVIDU ? UNIT, INDIVIDUALIT ET CONSCIENCE DE SOI DANS LA MTAPHYSIQUE PLOTINIENNE DE LME1

Introduction Plotin a une conception duelle de la nature de lhomme. la question : Mais nous qui sommes nous ? , Plotin rpond : Sommes-nous ce qui est l-bas ou ce qui sapproche et nat dans le temps ? Eh bien, avant mme que cette gnration ne se produise, nous tions l-bas ; nous tions dautres hommes certains dentre nous mme des dieux, des mes pures et un intellect uni la totalit de ltre. Nous tions des parties de lintelligible qui ntaient ni distinctes ni dtaches, mais qui appartenaient au tout ; et mme maintenant nous nen sommes pas dtachs (VI, 4 [22], 14, 16-22, trad. R. Dufour, modifie ; cf. Hadot 1980, p. 246 sq.).

cet homme que nous tions originairement poursuit Plotin sest ajout un deuxime homme qui senroule autour de lui et qui forme avec lui lessence de lhomme compose dme et de corps dont nous faisons lexprience dans notre vie sensible2. Plotin considre donc lhomme comme quelque chose de double : dun ct, il est fondamentalement persuad, avec lAlcibiade, que lhomme nest rien dautre que son me 3 ; dun autre, il reconnat totalement la pertinence philosophique de la thse qui considre lexistence de lhomme comme tant celle dun tre vivant psychophysique dont la conscience assure lunit des parties corporelles. Dans la mesure o elle rpond la question Qui sommes-nous ? , cette thorie est en mme temps une thorie du double nous , ou du double moi4 ;1. Je remercie Riccardo Chiaradonna pour sa relecture critique dune prcdente version de cette contribution et Alexandra Michalewski pour sa traduction. 2. VI, 4 [22], 14, 22-26 ( sest enroul lui-mme autour de nous ). 3. Pl., Alc., 130 c ; cf. aussi IV, 7 [2], 1, 1 ; 22-25 ; Drrie/Baltes, 2002 a, p. 58 sq. ; p. 251-253 (Baustein no 157). Concernant linterprtation plotinienne de lAlcibiade, cf. rcemment Aubry, 2004, p. 15-32 ; Aubry, 2007, p. 163-171. 4. I, 1 [53], 10, 5-9 : Le nous est donc double : ou bien on prend en compte la bte, ou bien on ne considre que ce qui est dj au-dessus delle ; la bte, cest le corps anim. Mais il est autre, lhomme vritable, lhomme pur de ces passions, possdant les vertus quiLes tudes philosophiques, no 3/2009, p. 333-360

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autrement dit : lanthropologie est en mme temps une thique. Ce que nous sommes nest pas donn ontologiquement, mais dpend dune dcision thique : soit nous restons, par notre activit et notre manire de vivre, au niveau de notre moi empirique et ainsi nous nous identifions avec le second homme psychophysique ; soit nous retournons au niveau suprieur et purement spirituel de notre humanit, en rejoignant notre moi originaire1. Le moi choisit donc le niveau ontologique qui est le sien et, par l, se dfinit lui-mme2. Le terminus technicus nous (TmebV) indique le ct intrieur et subjectif de ce processus. Plotin utilise ici essentiellement la premire personne du pluriel, parce quil sintresse moins au je , linvariable identit personnelle de lhomme en tant quindividu, qu la perspective intrieure de lexistence humaine en gnral3. Bien sr, cette thorie suscite un certain nombre de questions. Certes, Plotin appelle galement le moi suprieur et vritable , homme vritable . Mais peut-on encore parler dindividu humain au niveau de lintelligible pur, o le moi ne fait plus quun avec lIntellect total et le monde intelligible ? Et en quel sens une continuit entre les deux niveaux du nous peut-elle encore subsister ? Dune part, une telle continuit de la conscience du moi doit exister, si du moins limpratif thique de lascension de lme vers son origine veut dire quelque chose ascension qui est, selon Plotin, un retour vers le moi propre et originaire. Dune autre, il est difficile de comprendre comment le moi humain peut rester le mme si, lorsquil slve, il laisse derrire luisont de lordre de la pense pure, dont le sige est lme qui se spare... (trad. G. Aubry). Pour ce passage, cf. Aubry, 2004, p. 273-286. Cf. I, 1 [53], 7, 17-24 ; II, 3 [52], 9, 30 sq. ; V, 3 [49], 4, 7-13 (caractre double de lhomme, en relation avec la connaissance de soi ; cf. Corrigan, 2000, p. 165 sq.). Dans dautres passages, la mme ide est exprime en faisant rfrence lme (IV, 3 [27], 31, 15 : La dualit de nos mes nous chappe trad. . Brhier). Au lieu de TmebV il peut de temps en temps y avoir atpV (IV, 7 [2], 1, 22 ; 25) ou Dauto (VI, 4 [22], 15, 39). La philosophie plotinienne du moi a, paralllement lintrt que la philosophie moderne porte aux questions de la subjectivit et de la rflexivit, veill lattention des spcialistes. Cf. louvrage fondamental de ODaly, 1973 (avec le commentaire des passages importants). Cf. aussi Gerson, 1994, p. 139-151 (ideal self versus endowed self) ; Beierwaltes, 2001, p. 84-122 ; Perkams, 2008, p. 305-335 (classification du dveloppement de la philosophie du moi dans le noplatonisme jusqu Damascius). Remes (2007) aborde Plotin partir du point de vue de la philosophie daujourdhui et des questions qui laccompagnent elle applique ainsi Plotin des concepts tels que self-awareness, mental connectedness et self-knowledge of the thinking thing ; elle tudie principalement la continuit de conscience quil y a entre le moi infrieur et le moi suprieur, ainsi que lunit du nous (cf. par exemple p. 123 sq.). Sorabji (2006) dresse un panorama des interprtations antiques du moi ; pour ce qui concerne Plotin et la tradition platonicienne, cf. surtout p. 115-136. 1. Cf. VI, 4 [22], 14, 29-31 ; 15, 35-40. Pour VI, 4 [22], 14, cf. mon commentaire, Tornau, 1998 a, p. 266-276 ; Remes, 2007, p. 9 ; Aubry, 2008 a, p. 281-285. 2. Ce point est peut-tre exagr par Aubry, 2004, p. 22-32 et 41-59 ( Un sujet sans identit ), qui va jusqu parler du nous comme dun sujet non substantiel (p. 41) ou comme dune pure potentialit (Aubry, 2007, p. 170) ; pour une critique de ces affirmations, cf. Chiaradonna, 2008, p. 282-284. 3. De temps en temps, on trouve aussi la premire ou la deuxime personne du singulier (IV, 3 [27], 5, 1 ; IV, 9 [8], 1, 6 ; IV, 9 [8], 2, 7 ; IV, 7 [2], 6, 18 sq. daprs Arist., De an., 3, 2, 426 b 19).

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presque toutes les caractristiques qui, dans le monde sensible, en font un individu : corporit, sensibilit, motivit, et mme la mmoire1. La thorie du double moi correspond, dans la doctrine de lme, la fameuse thorie, propre Plotin, de la partie non descendue de lme. La partie suprieure de notre me individuelle, tombe dans le monde sensible, reste donc perptuellement dans le monde intelligible, si bien que chaque me est pour ainsi dire amphibie , vivant en mme temps dans ce monde et dans lautre2. Dans le systme de Plotin, cette thorie a de multiples fonctions3. Dun point de vue exgtique, elle offre une interprtation de la doctrine platonicienne de la rminiscence dgage du mythe4 ; dun point de vue pistmologique, elle garantit la capacit de lme connatre les ralits intelligibles prsentes dans lIntellect transcendant5. Mais, avant tout, la doctrine de la partie non descendue de lme constitue le fondement ontologique de lthique plotinienne du retour lorigine intelligible : l ascension de lme vers lIntellect est la restauration dun tat de bonheur qui existe toujours dj, quelle ne perd jamais vraiment, mais quelle doit actualiser et faire advenir sa conscience6. Mais, ici aussi, il y a des problmes. Tout comme prcdemment avec le moi suprieur, il sagit de savoir comment lme non descendue peut tre considre comme une me individuelle : puisque, selon Plotin, toutes les mes nen font quune et que jamais cette me en tant que telle nest lie un corps7, le principe dindividuation ne peut apparemment se trouver ni dans lme elle-mme (qui est unitaire), ni dans les corps (qui ne peuvent agir sur une me incorporelle). Se pose galement la question de savoir en quel sens lme non descendue est dans lintelligible (IV, 8 [6], 8, 3) : une interprtation forte en dduirait sa totale unit, et donc sa totale identit avec lIntellect ainsi quavec les Formes quil contient, tandis quune interprtation minimale insisterait sur la diffrence quil y a entre lme et lIntellect, et, par fidlit envers Platon, verrait plutt une parent ou une similarit

1. Pour le problme de la rminiscence, cf. IV, 3 [27], 25 - IV, 4 [28], 8 ; Brisson, 2006 ; Remes, 2007, p. 111-119. Pour ce qui est du privilge moderne de la rminiscence dans la constitution du moi, comme par exemple chez John Locke, privilge thmatis selon toute vraisemblance par picure et les stociens, cf. Sorabji, 2006, p. 94-111. 2. Cf., en particulier, IV, 8 [6], 8, 1-6, et Drrie/Baltes, 2002 b, p. 32-35 ; p. 202-204 (Baustein no 172. 3) ; DAncona, 2003, p. 47-65, p. 205-208. Cf. IV 8 [6], 4, 31-35 : Les mes deviennent donc pour ainsi dire des amphibies, puisquelles vivent ncessairement en partie la vie de l-bas, en partie la vie dici ; celles qui sont capables dtre plus unies lIntellect vivent plus la vie de l-bas, celles qui ont par nature ou par des vnements fortuits une capacit contraire vivent en revanche plus la vie dici (trad. Schniewind, 2005, p. 182). 3. Cf. le rsum quen donne Chiaradonna, 2005 a, p. 27-34. 4. Ce point a t tabli de nombreuses reprises ; cf. Beierwaltes, 1981, p. 73. Pour les aspects exgtiques, cf. aussi Szlezk, 1979, p. 167-205 ; Szlezk, 2000. 5. Cf. Chiaradonna, 2005 a, et surtout p. 38 sq. ; Chiaradonna, 2006, p. 75 sq. 6. Cf. Linguiti, 2000, p. 43-52 ; Linguiti, 2001. 7. Cf. IV, 3 [27], 2, 8-10 ; 5, 9-21. Pour la problmatique de lunit de toutes les mes, cf. IV, 9 [8], passim ; VI, 4 [22], 1 et 6 ; IV, 3 [27], 1-8.

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entre les deux termes1, parent dont la nature exacte resterait encore dterminer. Les difficults que nous avons esquisses jusquici se cristallisent dans la recherche plotinienne autour de la question, dbattue depuis longtemps, de savoir si Plotin admet des Formes dindividus2. Une telle hypothse semble aller directement lencontre des thses exposes dans les Dialogues sur la fonction des Formes platoniciennes3 et serait en contradiction avec presque toute la tradition du platonisme4 ; elle na de sens que si elle concerne des individus humains pensants et si lon se rappelle le prsuppos plotinien selon lequel chaque me individuelle a toujours un contact immdiat avec lIntellect : Y a-t-il une ide de chaque individu ? Eh bien, si moi-mme et chacun de nous pouvons remonter jusqu lintelligible, alors le principe de chacun est galement l-bas (V, 7 [18], 1, 1-3 ; trad. L. Brisson / J. Laurent / A. Petit, modifie)5.

Ce passage est souvent prsent comme une preuve explicite du fait que Plotin aurait admis des Ides dindividus6. Mais, dans cette perspective, elle nest pas si univoque que la recherche a jusquici bien voulu ladmettre7. Et mme si on peut lentendre comme une claire affirmation de lexistence dIdes dindividus, elle suscite plus de questions quelle ne donne de rponses : est-ce que le principe intelligible de chaque individu, dont Plotin parle ici, peut tre dcrit comme une Forme de cet individu ? Et quel rapport entretient la partie de lme qui reste dans lintelligible avec ce principe ? Lui est-elle identique et si tel nest pas le cas, comment les diffrencier ? Dans tous les cas, on aboutit cette fcheuse situation : ct des Formes1. Pl., Phd., 79 d-e. Plotin emploie les mtaphores de continuit (IV, 3 [27], 5, 11 sunafebV) et de ne pas tre dtach (mQ 3potetmRsqai : VI, 4 [22], 14, 21 ; VI, 9 [9], 9, 68, etc.). Cf. V, 3 [49], 12, 44 sq. : Car ce qui vient de lui nen est pas dtach, ni non plus identique lui (trad. B. Ham). 2. Pour les discussions de cette question ces dernires annes : Helleman-Elgersma, 1980, p. 338-345 (dans le Commentaire IV, 3 [27], 5) ; Gerson, 1994, p. 72-78 ; Blumenthal, 1996 ; Ferrari, 1997 ; Kalligas, 1997 a ; OMeara, 1999 ; Morel, 1999 ; Petit, 1999 ; DAncona, 2002 ; Remes, 2007, p. 59-91 ; Aubry, 2008 a, p. 277 sq. 3. Cf. en particulier Pl., R., 10, 596 a : Nous avons en effet lhabitude dadmettre une certaine ide, une seule, qui embrasse chaque groupe des objets multiples auxquels nous donnons le mme nom (trad. . Chambry). 4. Cf. OMeara, 1999 ; Alcin., Did., 9, p. 163, 23-28 : On dfinit lide comme le modle ternel de ce qui est conforme la nature. En effet, la plupart des Platoniciens ne pensent pas quil y ait des ides des objets fabriqus (...) ni des choses contre nature (...) ni des individus comme Socrate et Platon... (trad. P. Louis). Cf. Drrie/Baltes, 1998, p. 20-23 ; p. 240-246 (Baustein no 127. 4). 5. Cest A. H. Armstrong qui, le premier, dans un article encore dactualit, a mis en lumire le rle jou par le moi suprieur plotinien dans la question des Formes dindividus (Armstrong, 1977, p. 57-60). 6. Cf. Kalligas, 1997 a, p. 211 sq. 7. La plupart des traductions proposent, la place du eh bien que lon trouve ici pour la particule V, une tournure beaucoup plus affirmative : Oui (. Brhier), Oui, cest le cas (L. Brisson / J. Laurent / A. Petit), Yes (Armstrong). Une traduction plus heureuse est peut-tre Nun (Harder/Beutler/Theiler) ou Surely (C. DAncona). Cf. DAncona, 2002, p. 532 avec la note 37.

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platoniciennes classiques de lHomme ou de la Justice dont la fonction consiste expliquer la rcurrence des traits que lon observe dans le monde sensible , on trouve une Forme de Socrate (Atoswkr0thV) qui assure lindividualit et lunicit. En gros, la plupart des solutions rcemment proposes pour y rpondre se rsume ceci : Plotin a affirm lexistence de Formes individuelles, au sens o il comprend par l la partie non descendue de lme ; il faut toutefois distinguer ces Formes-mes des Formes platoniciennes contenues dans lIntellect1. La partie non descendue et tel est peu prs la teneur de largument dveloppe par Cristina DAncona dans un article important est ce que Plotin, dans dautres passages, appelle intellect en nous 2, cest--dire linstance de lme qui, en un certain sens, possde les Formes et rend ainsi lme capable dexercer une rflexion dianotique sur des objets non sensibles ainsi que davoir une connaissance notique des ralits intelligibles et de sunir avec lIntellect3. Ces intellects individuels ou mes-intellects peuplent, avec les Formes supra-individuelles, le monde intelligible, mais elles nen sont pas moins des parties des mes individuelles4. Comme DAncona lexplique ailleurs, Plotin met cette thorie en avant comme une alternative celle qui voudrait fonder les capacits intellectuelles de lme dans la prsence immdiate de lIntellect hypostatique total en chaque me et ainsi attribuer la partie suprieure de lme un caractre collectif et supra-individuel5.1. Kalligas, 1997 a, p. 217 ( soul-forms ) et p. 220 sq. Le tmoignage le plus important relev par Kalligas est I, 1 [53], 2, 6 : Si lme est identique ltre-me (trad. G. Aubry). Au contraire, Remes doute que lon puisse parler dmes-Formes (Remes, 2007, p. 76-85). Blumenthal, 1996, p. 100 sq., considre que la question de savoir si la plus haute partie de lme est un intellect ou une me est insoluble. Pour lidentit de lme non descendue avec les Formes dindividus, cf. Ferrari, 1997, p. 47-53. Ferrari voit le trait V, 7 [18] en son entier comme une discussion des difficults qui surgissent ds lors que lon considre la manence de la plus haute partie de lme dans lIntellect sous langle de la question des Formes dindividus ; sclaire ainsi le caractre aportique du trait et labsence de toute argumentation positive en faveur de lexistence des Formes dindividus (p. 46 sq. ; p. 52 et 61). Malheureusement, cette explication, qui rsout un grand nombre de problmes de ce trait, na pas t beaucoup prise en considration. 2. V, 1 [10], 11, 6 ; V, 8 [31], 3, 17. 3. DAncona, 2002, p. 542-552 en faisant rfrence V, 3 [49], 4, 15-19 (o il peut aussi sagir de lIntellect transcendant), V, 1 [10], 11, 1-6, III, 4 [15], 3, 21-27 et I, 1 [53], 8, 1-8 ( Mais quel rapport avons-nous avec lIntellect ? (Par Intellect, je nentends non pas cette disposition de lme qui nest que lune des choses qui viennent de lIntellect, mais bien lIntellect lui-mme.) Ne faut-il pas dire que nous possdons aussi cet Intellect qui nous excde ? Nous le possdons ou comme quelque chose de commun, ou comme quelque chose de propre, ou comme quelque chose qui est la fois commun tous et propre : commun, parce quil est indivisible et un et partout le mme ; propre parce que chacun, sans exception, la tout entier en son me premire trad. G. Aubry). 4. Cf. surtout DAncona, 2002, p. 560 : The solution to this problem lies in that (...) there are not only Forms in the intelligible realm, but Forms and souls, which are present Cn t noht through their intellectual part or aspect that part or aspect which will be called, later on, the apex mentis . 5. DAncona, 2003, p. 57-64 ; cf. DAncona, 2006, p. 22-28. Plotin rejetterait donc un monopsychisme ou une sorte daverrosme avant la lettre (principalement DAncona, 2003, p. 57 note 127 ; DAncona, 2006, p. 22 sq.). Dun point de vue historique, on peut penser Alexandre dAphrodise et son exgse de lintellect agent (De an., 3, 5) comme noV

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Il est cependant vrai que lon ne peut raisonnablement pas contester lidentit de lme non descendue avec les Formes dindividus. Les sparer trop nettement des Formes platoniciennes et donc de lIntellect total qui embrasse toutes choses me semble douteux pour de nombreuses raisons. Premirement, si la connaissance de lme parvenue jusqu lIntellect et unie lui peut tre qualifie de notique au sens rel du terme, en raison de lunit du connaissant et du connu1, on voit difficilement comment on pourrait encore diffrencier une telle me de lIntellect. LIntellect est la seule ralit laquelle Plotin reconnat une connaissance de soi de ce type ; ce qui a une connaissance de soi notique ne peut tre quun intellect2. Deuximement, si lascension de lme vers son origine intellectuelle nest autre que lactualisation, rendue consciente, de sa partie reste dans lintelligible et sil demeure entre cette dernire et lIntellect total une diffrence principielle, alors lascension ne peut aboutir jusqu lIntellect, mais reste un niveau infrieur. Troisimement, il y a, comme nous le verrons, de bonnes raisons placer le principe de lindividualit des mes au niveau de lIntellect. Mais il nest pas permis dinterprter la thorie de lme non descendue ou des mes-intellects individuelles comme une alternative la thorie de la prsence dun unique Intellect total supra-individuel dans les mes. Une telle interprtation ne tient pas compte de la structure ontologique de lIntellect plotinien comme unit-multiplicit : l o est prsent un intellect individuel, est toujours aussi prsent lIntellect total3.qAraqen. Cet intellect collectif peut certes expliquer la capacit de lme exercer une connaissance notique, mais il ne peut videmment pas tre le principe de lindividuation des mes. Comme nous allons le voir, la spcificit de lIntellect plotinien est de pouvoir exercer ces deux rles. 1. C. DAncona montre que tel est bien le cas en sappuyant sur des textes comme IV, 8 [6], 1, 1-11 (DAncona, 2002, p. 521-533 ; cf. aussi DAncona, 2003, p. 131-137). 2. Tel est le rsultat de largumentation de V, 3 [49], 1-5 ; cf. V, 3 [49], 2, 23-25 ; 3, 1518 ; 4, 29-31 ; 6, 1-5 ( Le raisonnement a donc montr quil y a une pense de soi-mme au sens propre. Cette pense, effectivement, existe en un sens driv pour lme, mais pour lIntellect, au sens propre. Lme en effet se pense elle-mme en tant quelle drive dun autre, lIntellect en tant quil se pense lui-mme, tel quil est et ce quil est, partant de sa propre nature et se retournant vers lui-mme trad. B. Ham) ; Ham, 2000, p. 128 sq. et p. 142 sq. ; Beierwaltes, 1991, p. 113. Concernant la question de la connaissance de soi, et concernant le trait V, 3 [49], cf. Gerson, 1997 ; Corrigan, 2000 ; Beierwaltes, 2001, p. 84-97 ; Crystal, 2002, p. 179-205 ; Sorabji, 2006, p. 201-211 ; Emilsson, 2007, p. 144-160 ; Remes, 2007, p. 156-175 ; Perkams, 2008, p. 305-320 ; Khn, 2009, et les contributions de Dixsaut, 2002. Beierwaltes, 1991, reste fondamental. 3. R. Chiaradonna critique linterprtation que DAncona propose du nous plotinien et de lme non descendue avec largument suivant : elle pose Plotin une question quil ne se pose pas lui-mme ; il sagit pour Plotin dassurer le contact immdiat de lme humaine avec la ralit intelligible, sa capacit exercer une connaissance notique, ainsi que le caractre intelligible de son essence ; il ne sagit pas de crer une base intelligible pour lindividualit humaine (Chiaradonna, 2008, p. 284-286). Il sagit l dune critique totalement fonde. Il faut dailleurs remarquer que Plotin, eu gard sa thorie de lunit des mes, doit justifier le fait que ce nest pas dabord dans le monde des corps, mais bien dj dans le domaine intelligible quexistent les mes individuelles. La question du fondement de notre individualit simpose donc en quelque sorte lui ; elle est explicitement discute en IV, 3 [27], 5 et la rponse qui est donne est la suivante : ce fondement rside dans lIntellect lui-mme (cf. infra).

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Nous allons ensuite essayer de montrer que Plotin dfend lidentit relle de lme non descendue avec lIntellect en tant que tel1, quil accorde aux Formes individuelles le mme statut ontologique que celui qui est traditionnellement confr aux Formes platoniciennes et quune telle position est ses yeux philosophiquement possible parce quil redfinit profondment le concept mme dindividualit2. La question principale de cette enqute nest donc pas la question traditionnelle de savoir sil existe chez Plotin des Formes dindividus, mais une question plus fondamentale : quest-ce qui, de manire gnrale, sert Plotin de critre dindividualit ? Il faut pour cela distinguer trois aspects de ce concept3 : 1 / Lme individuelle et le moi individuel dun homme nappartiennent qu celui-ci et on peut clairement le distinguer de lme et du moi des autres. Le critre dcisif de cette distinction est la subjectivit, la conscience individuelle du je qui nous permet de parler de mon me et de ton me et, de manire gnrale, de je et de tu 4. En revanche, le corps, pour ce qui concerne cet aspect de lindividualit, ne joue aucun rle. La conscience du je est en tant que telle incorporelle, mme si, factuellement, elle est la conscience dun sunamfpteron, de la liaison dune me et dun corps ; elle joue son rle de critre dindividualit mme l o il ny a plus aucun corps individuel, au niveau de lme spare du corps5. 2 / En un sens logico-ontologique, on parle dindividu (tq kaq@kasta) par opposition luniversel (tq kaqplou). Chez Aristote, lindividu est, en rgle gnrale, une singularit sensible, perceptible, et luniversel est le genre ou lespce auquel il appartient6. Plotin utilise la terminologie aristotlicienne7, mais en tant que platonicien il ne peut en accepter les implications ontologiques. Nous allons voir quil se pose la question de savoir comment1. Il sagit donc finalement de donner un sens plus fort des assertions comme celles de V, 3 [49], 4, 29-31 et de I, 1 [53], 8, 4-6. 2. Les termes les plus importants que Plotin emploie pour dire individu et individuel sont kaqB Gkasta / kaqB Gkaston (V, 7 [18], 1, 1, etc.) et GkastoV (IV, 7 [2], 1, 1 : GkastoV Tmn = chaque homme individuel ). Ces deux termes peuvent sappliquer aussi aux mes et intellects individuels (IV, 3, [27], 8, 13 : Dk0sth sc. yucP ; IV, 8 [6], 4, 1 : t1V dQ kaq@kasta yuc0V ; VI, 7 [38], 8, 28 : toV kaqB Gkasta noV ; V, 9 [5], 8, 4 : noV GkastoV). Plotin utilise ce vocabulaire parce que lindividualit existe aussi au-del du monde sensible. Dans le trait VI, 1-3 [42-44], on trouve en outre l5tomon aristotlicien au sens d individu , par opposition espce (eidoV) : VI, 2 [43], 2, 8 ; VI, 2 [43], 12, 11-13 ; VI, 3 [44], 1, 15 ; VI, 3 [44], 9, 37 ; cf. VI, 7 [38], 17, 22 ; Arist., Cat., 3 a 38 sq. En revanche, pour autant que je sache, 3merPV/3m@ristoV ne signifie pas individu/individuel au sens moderne du terme, en dpit de ltymologie qui se rapproche du latin individuus. 3. P. Remes distingue galement les aspects 1 et 3 Remes, 2007, p. 62 sq. 4. Cf. IV, 3 [27], 5, 1. 5. Cf. Morel, 1999, p. 54, pour la question de lindividuation des mes, qui consiste essentiellement en leur diffrenciation , parce que les mes individuelles, selon Plotin, nont aucune individualit radicale , cest--dire quelle nest pas une entit indivisible, distincte et ontologiquement spare des autres entits de mme genre . 6. Cf. par ex. Arist., Mtaph., Z, 13, 1038 b 34 - 1039 a 7 (cf. infra). Pour linterprtation aristotlicienne des Ides comme concepts universels, cf. Mtaph., M, 4, 1078 b 30-34. 7. IV, 4 [28], 1, 17 ; VI, 2 [43], 20, 6 et 11 ; I, 8 [51], 6, 29 et 31. lpoque, elle tait depuis longtemps passe dans la langue philosophique platonicienne ; cf. Alcin., Did., 5, p. 158, 2 sq.

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lopposition aristotlicienne entre lindividuel et luniversel peut sappliquer lindividualit de lme et du moi, en revtant un sens nouveau, non aristotlicien. 3 / Finalement, il peut subsister entre diffrents exemplaires dune seule et mme espce des diffrences individuelles de nature purement corporelle. Plotin met ce phnomne en relation avec la question des Formes dindividus, parce quil ne peut sexpliquer seulement laide de Formes spcifiques ou gnriques et parce quil ne peut non plus tre rduit un simple manque dont la matire serait responsable1. Dans le cadre de notre propos, cet aspect de lindividualit na pas tre pris en compte2. La reformulation plotinienne du concept dindividualit La question des Formes dindividus chez Plotin est trs difficile trancher parce que, dans le cadre de la pense de Plotin, elle est vraiment trs mal pose. Certes, Plotin demande explicitement : Y a-t-il une ide de chaque individu ? (V, 7 [18], 1, 1). Mais il emprunte cette formulation la tradition o la question des Formes dindividus est un aspect de la vieille question de savoir de quoi il existe des Ides3. Il ny rpond pas directe1. Les diffrences corporelles individuelles font aussi lobjet de discussions sur les Formes dindividus dans le passage le plus souvent comment V, 9 [5], 12 (cf. Kalligas, 1997 a, p. 210 sq. ; Ferrari, 1997, p. 31-37 ; Vorwerk, 2000, p. 157-163 ; DAncona, 2002, p. 552-560 ; Remes, 2007, p. 79-81 ; Schniewind, 2007, p. 197-200). Plotin naccorde ici quaux formes extrmes des qualits corporelles (par exemple, le caractre aquilin ou camus du nez), le rang de Formes et, pour ce qui concerne les diffrences plus fines, il renvoie une influence matrielle ou extrieure. Dans le trait V, 7 [18], il semble au contraire revenir des principes eidtiques, quil nomme lpgoi (cf. surtout V, 7 [18], 1, 18-23 ; 2, 13-18 ; 3, 7-13). Ces lpgoi ne sont pas des Formes platoniciennes et leur rapport aux Formes nest pas tout fait clair. Remes, 2007, p. 63-72, les comprend comme lexpression des diffrenciations internes entre les Formes et de leurs relations. Ferrari, 1997, p. 53-57, les comprend comme le contenu des mes qui faonnent les corps ; toutefois, il a tendance ngliger le fait que les contenus rationnels des mes ont leur fondement dans lIntellect et dans les Formes (cf. par exemple V, 9 [5], 3, 30 sq.). 2. Ousager, 2004, p. 15-119 (chap. Selfhood ), part dun concept dindividualit, au sens tymologique, strictement rduit lindivisibilit, et en vient naturellement la conclusion que lUn chez Plotin est le seul individu qui soit et en mme temps le moi vritable des mes singulires (cf. surtout p. 35 avec la note 31, p. 76 et 97). Ce faisant, il radicalise une thse de ODaly, 1973, p. 90-94. Il ny a toutefois aucun fondement solide dans les textes de Plotin pour tayer une telle hypothse. Il est tout fait possible, dun point de vue grammatical, de construire autrement le passage sur lequel sappuie ODaly (V, 1 [10], 11, 10 cf. HS, ad loc.) ; en VI, 8 [39], 14, 42 et VI, 8 [39], 21, 32, Plotin affirme labsolue identit soi de lUn, mais il ne dit pas quil soit an absolute Subject or Self (ODaly, 1973, 91). Les autres passages cits par Ousager sont soit des textes sur lIntellect ou lme, quil considre, de manire douteuse dun point de vue mthodologique, comme se rapportant lUn (cf. Ousager, 2004, p. 68-70 pour V, 8 [31], 11 ; ibid., p. 78 pour IV, 7 [2], 10, 42-45) ; ou alors, ils sont mal rfrencs (cf. ibid., p. 102 pour VI, 9 [9], 10, 21, o il nest pas question dune ascension vers lUn par laquelle on devienne One with oneself ). 3. Cf. Pl., Prm., 130 c ; Ferrari, 1997, p. 26-33 ; OMeara, 1999, p. 264 sq., qui renvoie une standard list de choses dont on se demande sil existe des Ides cf. V, 9 [5], 9-13. Drrie/Baltes, 1998, p. 70-78 ; p. 336-350 (Baustein no 132) proposent une prsentation dtaille de cette problmatique, avec un commentaire des passages les plus importants.

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ment, parce quen parlant d individu on fait dj de la singularit sensible, perceptible, un tre autonome dot dune ralit et dune substantialit propres. LIde ne peut donc tre vue que comme quelque chose de relatif cet tre ; elle est donc considre essentiellement dans la perspective dtre lIde de cet tre et, dune certaine manire, prsente en lui et les deux expressions tre quelque chose de et tre dans quelque chose indiquent une dpendance ontologique. En consquence de cela, la tentative qui consiste penser nanmoins les Ides comme des substances autonomes et les opposer aux substances sensibles aboutit ncessairement une contradiction et aux apories concernant la thorie des Ides que lon trouve dans le Parmnide et chez Aristote1. Plus important encore : en qualifiant dindividus les choses sensibles, les Ides deviennent des concepts gnraux, ce qui a pour consquence de remettre srieusement en cause leur substantialit. Le reprsentant de la thorie des Ides sexpose ici au reproche dAristote qui affirme que substantialit et universalit sont exclusives lune de lautre : Ces considrations font voir que rien de ce qui existe comme universel dans les tres nest une substance ; une autre raison encore, cest quaucun des prdicats communs ne signifie un tre dtermin (tpde ti), mais seulement telle qualit de la chose (toipnde) (Mtaph., Z, 13, 1038 b 34 - 1039 a 2 ; trad. J. Tricot).

Lerreur principale des platoniciens fut de vouloir considrer les Ides la fois comme des substances et comme des concepts universaux. Ne peut tre une substance que ce qui est un ceci , et donc, un individu, et, pour Aristote, cela ne concerne que la singularit sensible. Toutefois, pour Plotin, cette manire de penser est une illusion gnre par la pense discursive et son commerce quotidien avec les choses sensibles. En saccoutumant aux choses sensibles, la pense finit par les considrer comme des ralits autonomes et par poser les Ides comme tant en relation avec elles. Introduire un changement de perspective dans la pense est une partie essentielle du programme philosophique de Plotin. Le point de dpart partir duquel il faut penser les Ides ne doit plus tre les choses sensibles dont elles sont les Ides ; elles doivent tre conues comme des ralits intelligibles de plein droit, partir de leur tre propre et avec des principes appropris. Ce ne sont pas elles qui sont en relation avec les choses sensibles, mais ce sont les choses sensibles qui sont en relation avec elles2. Le concept d tre-dans 1. Cf. en particulier Pl., Prm., 131 a-b. 2. Cf. en particulier VI, 5 [23], 2, 6-9 : Or, en ce qui concerne la doctrine sur lunit et sur ce qui existe absolument, il nous faut adopter les principes qui, parce quils leur sont propres, entraneront la conviction. Il sagit des principes intelligibles des intelligibles, cest--dire des principes qui appartiennent la ralit vritable (trad. R. Dufour). Lallusion aux principes... propres est de manire ironique une citation dArist., APo, 1, 2, 71 b 23 - 72 a 6. Pour le chap. VI, 5 [23], 2 et pour la question de la connaissance du monde intelligible avec des principes appropris, cf. Tornau, 1998 a, p. 334-346 ; Chiaradonna, 2002, p. 109 sq. ; Chiaradonna, 2006, p. 75 sq. (il me semble toutefois douteux que, en VI, 5 [23], 2, il soit question de lme non descendue ; il sagit plutt dune mthode de la pense dianotique pour

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doit au contraire tre repens de telle sorte que ce nest plus lIde qui est dans la chose sensible, mais que ce sont les choses sensibles qui sont dans ltre intelligible et en reoivent leur tre ; cest ainsi quest rsolu le dilemme de la participation1. De mme, les concepts tels que ceci et individu que nous avons coutume dappliquer sans y rflchir, avec la signification qui est la leur dans le monde sensible, doivent tre repenss et redfinis selon les principes de ltre vrai et intelligible ; il faut galement se demander si lopposition entre individualit et universalit, qui constitue le cur de lobjection aristotlicienne, a encore un sens pour ltre intelligible2. On le voit bien dans le texte suivant qui peut tre compris comme une rponse directe Aristote : Par ailleurs, il faut que les tres soient stables, et que les intelligibles restent identiques et que chacun deux soit un numriquement. Cest ainsi en effet quil est un tre dtermin (tq tpde). Pour certaines choses, qui sont des corps, lindividualit (kaq@kaston) est quelque chose de fluctuant, parce que leur forme vient de lextrieur, mais il leur appartient dexister toujours par la forme (katBeidoV), grce limitation des tres [vritables]. Pour dautres choses, qui ne rsultent pas dune composition, ltre rside dans ce qui est numriquement un, qui est l depuis le dbut, qui ne devient pas ce quil ntait pas et ne cessera pas dtre ce quil est (IV, 3 [27], 8, 22-30 ; trad. L. Brisson, modifie)3.

Plotin reprend ici la diffrence aristotlicienne entre lunit numrique et lunit spcifique ou formelle ; il lintgre lontologie de Platon et la relie la distinction fondamentale tablie dans le Time entre ltre et le devenir4. Il concde nanmoins Aristote la condition suivante : pour que quelque chose soit un ceci , il doit tre numriquement un ; en dautres termes : il doit tre un individu5. En rattachant lunit numrique au Time, celle-ci estpenser ltre de manire adquate ; cf. VI, 5 [23], 2, 1, lpgoV). Leffort de Plotin pour reconnatre les Formes dans leur valeur propre et non dans leur rapport aux tres sensibles a dj t mis en lumire par Schroeder, 1992, p. 3-23. 1. Cf. en particulier lexgse littrale que Plotin fait de Pl., Prm., 131 a-b en VI, 4 [22], 2, 1725 ce sujet, Tornau, 1998 a, p. 48-52. Il est trs intressant de remarquer que Plotin examine certes la question de savoir de quoi il existe des Ides, mais vite dutiliser la formulation traditionnelle avec le gnitif ( Ides de quelque chose ; cf., par exemple, Alcin., Did., 9, p. 163, 25 sq.) ; il prfre demander ce quil y a l-bas (Ckeb) (V, 9 [5], 10, 2 sq. ; 13, 1 ; cf. 9, 1). 2. Morel, 1999, p. 60, souligne galement limportance de distinguer ncessit physique et ncessit intelligible. 3. Cf. pour ce texte, Wilberding, 2006, p. 45 sq. ; Remes, 2007, p. 35-40 (concernant le flux des singularits et la version plotinienne de lontologie de Platon). 4. Pl., Ti., 27 d - 28 a ; 37 e - 38 b (Brisson, ad loc. ; on retrouve le mme procd en VI, 5 [23], 2, o la thorie de la connaissance des Analytica posteriora est transcrite dans lontologie du Time). La rfrence au Time montre bien que ce qui est dit de ltre intelligible en tant que tel vaut aussi dans le contexte de la structure intelligible de lme. On ne peut pas dduire de IV, 3 [27], 8 que les contenus de lme sont davantage des individus que ceux de lIntellect (comme le pense Ferrari 1997, p. 59 sq.). 5. Cf. Arist. Mtaph., D, 6, 1016 b 31-33 (ici, comme en IV, 3 [27], 8, 26, lexpression katB eidoV sc. Gn). Pour la synonymie de lunit numrique et de lindividualit, cf. Mtaph., B, 4, 999 b 33 - 1000 a 1 : Quon dise, en effet, un numriquement ou individu, il ny a aucune diffrence, puisque nous appelons prcisement individu ce qui est un numriquement, et universel ce qui est affirm de tous les individus (trad. J. Tricot). Il est donc exagr de dire que Plotin respinge il criterio aristotelico di individualit come tpde ti (DAncona, 2003, p. 61).

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elle-mme relie une condition qui ne joue aucun rle chez Aristote : limmutabilit. Pour quune chose soit numriquement une il ne suffit pas, selon Plotin, quelle soit identique elle-mme un temps -t. Elle doit tre toujours identique elle-mme et donc selon la clbre formule de Platon demeurer toujours identique et dans le mme tat 1. Ce sont donc seulement les Formes platoniciennes qui sont des individus substantiels numriquement identiques. Lunit numrique est au contraire refuse aux individus sensibles, parce quils sont dans un flux perptuel et ne peuvent donc remplir la condition de la permanence ternelle ; ils ne peuvent ni valoir en tant que ceci au sens propre, ni en tant que substances, et proprement parler, mme pas comme individus . Ils atteignent leur degr relatif de ralit non par leur tre individuel, mais par le fait quils appartiennent une espce qui, en tant quespce, demeure toujours la mme et sapproche ainsi du moins de lternit des essences intelligibles. Dans les choses sensibles, il ny a donc pas dunit numrique, mais seulement spcifique2. Plotin utilise le terme aristotlicien kaq@kaston de manire traditionnelle pour dsigner la chose singulire sensible et ne va pas jusqu le transposer la Forme intelligible3. La stratgie du texte est nanmoins claire : Plotin inverse le classement aristotlicien des concepts gnral et individuel quil applique respectivement aux ralits sensibles et intelligibles ; il rserve lindividualit, tout comme ltre vritable, aux seules ralits intelligibles et ne confre dtre aux choses sensibles que dans une universalit qui dpasse leur tre individuel et leur caractre temporel4. Cette redfinition de la conception courante de lindividu et du gnral fait surgir un paradoxe qui dcoule logiquement de son programme philosophique. Le concept dindividualit est retir aux choses sensibles et rvalu la lumire des critres de ltre intelligible. Cette stratgie ne sapplique vrai dire quaux composs de matire et de forme, dans le texte que nous citions, cest--dire aux substances

1. Pl., Ti., 29 a ; 52 a ; Phd., 78 d, etc. 2. Cf. II 1 [40], 1, 4-12 ; 2, 1-4 ; Wilberding, 2006, p. 104-106. 3. Dans dautres passages, cela est pleinement le cas ; cf. VI, 6 [34], 15, 13-15. 4. Cela ne signifie pas que la Forme platonicienne chez Plotin ne remplisse plus la fonction de luniversel. Comme le montre le trait VI, 4-5 [22-23], son universalit doit toutefois tre pense la lumire du paradoxe de Pl., Prm., 131 a-b, cest--dire comme prsence indivise dans tous les tres sensibles, en tant quindividu. Cf. par exemple, VI, 5 [23], 11, 31-34 : Il est prsent en tant partout identique par le nombre, non pas comme le triangle dans la matire est prsent en se multipliant en plusieurs objets, mais comme est prsent le triangle immatriel lui-mme, partir duquel existent galement les triangles dans la matire (trad. R. Dufour, modifie). Cf. DAncona, 2002, p. 539 sq., dont je ne peux partager la conclusion : In order to be an intelligible something must be omnipresent in the set of things named after it, which implies that by no means it can be an individual (p. 540). Puisque selon VI, 4-5 [22-23] cest la totalit de la ralit intelligible qui est prsente dans le triangle immatriel, la question qui se pose est bien plutt de savoir comment on peut obtenir lindividuation du triangle immatriel ; cest ici quentre en scne le concept difficile de capacit rceptrice (CpithdeipthV) des corps (cf. Tornau, 1998 a, p. 61-65 ; Aubry, 2008 b).

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sensibles 1 aristotliciennes et non une essence immatrielle telle que lme. Dans ce dernier cas, il ne sagit pas dun rapport de participation ; les mes individuelles ne se rapportent pas l me en soi (lme hypostase) comme les tres singuliers une Forme2. Certes, Plotin dfend la doctrine de lunit de toutes les mes mais, pour de nombreuses raisons, il ne peut attribuer lindividualit uniquement lme totale et rduire lexistence des mes individuelles3 tout comme la ralit des choses sensibles une simple illusion4. Non seulement cela serait extrmement contre-intuitif, mais surtout Plotin se mettrait en contradiction avec la distinction du Time entre lme du monde et les mes individuelles et avec les mtaphores du Phdre de la chute et de la remonte de lme, cest--dire avec Platon lui-mme. Concrtement, cela mnerait une thique quasi gnostique, selon laquelle toute moralit et tout effort philosophique en direction du salut serait inutile parce que lme humaine serait toujours dj identique lme du tout et par consquent sauve par nature 5. Dans le trait VI, 4-5 [22-23], o il interprte allgoriquement6 le discours platonicien de lentre de lme dans les corps comme la conversion dune multitude de corps en direction dune me unique, Plotin dfend clairement la conception selon laquelle lme, par une attention excessive lgard dun corps, peut se particulariser, minimiser lunit quelle forme avec le Tout intelligible, et risque pour ainsi dire de semprisonner dans le corporel et le particulier7. Cela prsuppose qu ct de lunit absolue existe aussi une relle multiplicit des mes. La position du trait VI, 4-5 [22-23] ne peut alors, de toute vidence, tre cohrente que si les mes en tant que telles sont en mme temps unes et multiples ; et telle est prcisment la position de Plotin8. Il est vrai que, parfois, il nest pas loin de soutenir que la multiplicit des mes nest quapparente. Il interprte ainsi la formule nigmatique du Time selon laquelle les mes sont divisibles selon

1. Arist., Mtaph., Z, 11, 1037 a 15. Riccardo Chiaradonna a, dans de nombreuses tudes, montr de manire trs convaincante pour moi que Plotin remet radicalement en question le concept aristotlicien de substance sensible (cf. en particulier Chiaradonna, 2002, p. 55-146 ; de manire similaire, dj, Wurm, 1973). Mais il existe aussi dautres interprtations (Horn, 1995 ; de Haas, 2004 ; Thiel, 2004, p. 176-218). 2. V, 9 [5], 13, 1-7. 3. Plotin parle d me individuelle (IV, 8 [6], 4, 1), ce qui signifie peu prs me humaine (IV, 8 [6], 3, 1). 4. Pour le caractre illusoire des substances sensibles , cf. la mtaphore du miroir en III, 6 [26], 7. 5. Cest ce que Plotin reproche aux Gnostiques en II, 9 [33], 15. Pour lexpression sauv par nature pour les pneumatiques gnostiques, cf. Clem. Al., Exc. ex. Theod., 56, 3. 6. Cf. en particulier VI, 4 [22], 12, 34-37 : Car lme na pas t prpare en avance, pour quune partie delle, situe en tel endroit, vienne dans tel corps ; mais ce dont on dit quil est venu [dans le corps] tait en lui-mme dans le tout et reste en lui-mme, mme sil semble venir ici (trad. R. Dufour, modifie). 7. VI, 4 [22], 16, dans le cadre dune exgse des mythes platoniciens de la chute de lme et du jugement des morts. 8. Cf. V, 1 [10], 8, 26 avec la fameuse tournure de Pl., Prm., 155 e ( un et plusieurs ) pour parler de la troisime hypostase.

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les corps : cest une seule et mme me qui est visible dans de multiples corps, tout comme la lumire indivisible du soleil se montre divise dans la pluralit des corps quelle illumine1. Comme il lajoute lui-mme immdiatement, il ne faut toutefois pas en conclure que les corps sont le principe de la multiplicit et de lindividuation des mes : ... il ne faut pas croire que la pluralit des mes est engendre par la grandeur du corps, mais la multiplicit des mes et lme unique existaient avant les corps. Dans le tout, en effet, les multiples mes existaient dj, non pas en puissance, mais chacune en acte, car lme une et entire nempche pas les multiples mes dexister en elle, et les multiples mes nempchent pas lme unique dexister. Car elles se dissocient sans tre dissocies, et elles sont prsentes les unes aux autres, sans pour autant devenir autres quelles-mmes ; elles ne sont pas divises par des limites, pas plus que ne le sont les multiples sciences dans une me unique. Et lme unique est dune telle nature quelle possde en elle toutes les mes : cest ainsi que cette nature est illimite (VI, 4 [22], 4, 37-46 ; trad. R. Dufour, lgrement modifie)2.

Plotin redfinit ici les couples dopposs un-multiple et toutparties . Dans le monde des corps, ces caractres sexcluent lun lautre : deux hommes ne peuvent en former un seul en mme temps parce quils se trouvent plus prcisment, leurs corps se trouvent en des lieux diffrents. Pour la mme raison, deux parties dun corps ne peuvent former ensemble une unit ni lune avec lautre, ni avec la totalit, parce que, dans les corps, la partie est plus petite que le tout3. Ds lors que lon a affaire une nature incorporelle telle que lme, ces limitations spcifiquement corporelles disparaissent, unit et multiplicit cessent dtre des opposs contradictoires. Il ny a aucune raison pour que multiplicit et diffrence en tant que telles sans tre en relation avec un lieu soient considres comme des manques de nature spcifiquement corporelle ; il faut donc aussi les considrer comme les caractristiques de lme en tant que telle, sans que celle-ci soit lie un corps. Plotin cherche rendre le fait plausible avec lexemple des sciences : gomtrie et dialectique sont diffrentes lune de lautre et pourtant elles sont prsentes en mme temps dans la conscience dune seule et mme me. De la mme manire, lme incorporelle est en mme temps et actuellement une me totale et la pluralit des mes individuelles. La porte de lexpression non pas en puissance, mais chacune en acte (VI, 4 [22], 4, 40) prend tout son sens, si lon prend garde1. VI, 4 [22], 4, 27-32 avec une citation de Pl., Ti., 35 a ; la comparaison avec la lumire du soleil en IV, 3 [27], 4, 16-21. 2. Cf., pour ce texte, Drrie/Baltes, 2002 a, p. 82, 284 sq., 288-292 (Baustein no 160. 5), qui le rapportent lme non descendue et son identit avec le divin, cest--dire avec lIntellect. Cf. aussi Tornau, 1998 a, p. 108-114. 3. Cf. IV, 2 [4], 1, 11-17 : Disons en plus que certaines choses sont divisibles titre premier, et peuvent de par leur nature se disperser ; ce sont aussi celles dont aucune partie nest la mme, ni quune autre partie, ni que lensemble, et il faut que leur partie soit plus petite que le tout et lensemble. Ce sont les grandeurs sensibles et masses, dont chacune occupe un lieu propre et ne peut tre du mme coup la mme en plusieurs lieux (trad. M. Chappuis).

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au fait que Plotin la met en relation avec un raisonnement tir de la Mtaphysique dAristote : Notre conclusion est encore vidente en vertu de la considration suivante. Il est impossible quune substance provienne de substances quelle contiendrait comme en entlchie, car des tres qui sont ainsi deux en entlchie ne sont jamais un seul tre en entlchie. Ce nest que si ces tres sont deux en puissance quils peuvent tre un ; par exemple, la ligne double se compose de deux demi-lignes, mais seulement en puissance, car lentlchie spare (Mtaph., Z, 13, 1039 a 3-7 ; trad. J. Tricot).

Selon cet argument, les parties dun tout ne peuvent tre des substances actuelles en mme temps que le tout. Deux moitis ne sont que potentiellement le tout, et rciproquement ; miel et vin sont deux substances qui peuvent potentiellement se runir pour former de lhypocras et contenir potentiellement dans la seule substance hypocras les substances miel et vin, puisque le mlange peut nouveau se rsoudre en ses diffrents ingrdients. Plotin accepte cet argument pour autant quil concerne les corps1, mais il le rejette au niveau de lme : lme totale et les mes particulires peuvent tre actuelles en mme temps. Mais, surtout, ce texte dAristote est la suite et lapprofondissement de ce passage qui rfute la substantialit de la Forme platonicienne en tant quuniversel2. Plotin refuse dappliquer aux mes largument dAristote et pense donc les rapports entre individualit et totalit au niveau psychique avec une autre mthode que celle quil avait employe auparavant avec les singularits sensibles. Plotin est bien loin de refuser lindividualit aux mes particulires et de la rserver, comme ctait le cas pour la Forme, lme en tant que totalit, cest--dire en tant quhypostase. Au contraire, il dpasse lopposition entre individualit et universalit : les mes individuelles, tout comme lme universelle qui les contient et les runit en une totalit, sont chacune un ceci et, partant, un individu. La conception plotinienne de lindividualit des mes qui ne sont pas en lien avec le corps ne peut se comprendre que si lon prend en considration la manire dont il pense lunit (plus exactement, lunit-multiplicit) de toutes les mes3. Il est frappant de constater que Plotin nglige totalement une foule de traits que lon peut considrer comme tant constitutifs de notre individualit et personnalit empirique (comme la possession dun corps propre et le fait dtre situ dans lespace et le temps : en dautres termes, tout ce qui1. En IV, 7 [2], 82, 2-7, il soppose la thorie stocienne du mlange total de lme, pense comme corporelle, avec le corps. Cf. ce sujet Chiaradonna, 2005 b, p. 137-141, qui indique le parallle avec GC, 1, 10, 327 b 22-32 ; cette pense y est dveloppe plus en dtail que dans la Mtaphysique, mais il nous manque une transposition aux rapports de lindividu luniversel. Lexemple scolaire du vin ou de leau au miel (ocnom@li, melBkraton) se trouve chez Alex. Aphr., De an. mant., 116, 5-13, Bruns (Chiaradonna, 2005 b, p. 138 ; . Brhier dans la notice IV, 7 [2], vol. 4, 182). 2. Mtaph., Z, 13, 1038 b 34 - 1039 a 2, cf. supra. 3. Il est dailleurs quelque peu regrettable que DAncona, 2002, p. 530, note 32, laisse volontairement de ct cet aspect.

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relve de lhistoire individuelle). Au lieu de cela, il nous confre une individualit qui, loin de se dfinir par la limitation, est inclusion en soi de lAutre et du Tout. Quant savoir ce que peut bien tre une telle exprience, Plotin ne le dit pas. Le nouveau concept dindividualit, qui embrasse en lui luniversel, ce nest pas par lintrospection quil le trouve, mais par lontologie en examinant ltre propre de lme immatrielle. On pourrait objecter ici que Plotin, dans le passage qui vient dtre discut, ne parle que de la multiplicit et non de lindividualit des mes, et que les mes particulires dont il est question dans ce texte ne sont pas ncessairement identiques aux mes auxquelles nous avons affaire dans lexprience, par exemple celle de Socrate, Pythagore, etc.1. On pourrait aussi penser que lme individuelle, par sa prsence dans le sunamfpteron, dans le compos dme et de corps, est la cause de lexistence de lindividu humain fait dme et de corps, et que le reprsentant de lindividualit humaine nest pas lme mais le compos. Dans ce cas, la dissolution du compos entrane par la mort marquerait aussi la fin de lindividualit qui ne pourrait continuer exister dans lme pure. Cela signifierait que lme de Socrate, libre du corps, nest plus lme de Socrate en dautres termes, il nexisterait aucune continuit de la conscience de soi entre Socrate et son me immortelle. Il y a une grande quantit dlments, dans la pense de Plotin, qui permettent daller en ce sens2. Pourtant, tel nest pas son propos et cela se voit bien dans lexpression sans pour autant devenir autres quelles-mmes (ok 3llotriwqebsai : VI, 4 [22], 4, 43) ; dans un passage assez similaire, extrait du trait IV, 3 [27], il dveloppe au contraire largument suivant : Mais comment y aura-t-il encore une me qui est la tienne, une me qui est celle de cet individu-ci (tode), et une me qui est celle dun autre ? Est-ce donc par sa partie infrieure que cette me est lme de cet individu-ci, alors que, par sa partie suprieure, elle nest pas lme de cet individu-ci, mais appartient cette chose-l [cest--dire lme-hypostase dans laquelle toutes les mes nen font quune et qui nentre jamais dans un corps ; cf. IV, 3 [27], 4, 15]3 ? En fait, cela reviendrait 1. Comme y incline Aubry, 2008 a, p. 280 sq. 2. Un lment est lanalogie qui est tablie entre le rle de lme dans le compos mecorps et une source lumineuse (cf. en particulier, I, 1 [53], 7, 1-6 ; sur cette question, Aubry, 2004, p. 196-204 ; Marzolo, 2006, p. 128-134 ; cf. Tornau, 1998 a, p. 221 sq.). Un autre est la thorie de la rincarnation, que Plotin accepte en tant que platonicien ; il reconnat expressment quelle constitue un obstacle si lon admet des Ides dindividus (V, 7 [18], 1, 5-7). Mais si lon prsuppose le concept dindividualit redfini par Plotin, qui implique une inclusion de lautre en soi, qui abandonne les critres historiques et corporels, alors, il subsiste bien un paradoxe affirmer que Socrate et Pythagore sont le mme individu, mais ce paradoxe est acceptable. Il faut avouer que les individus historiques Socrate et Pythagore deviennent ainsi contigents. Plotin a peut-tre tent de trouver une solution ce problme en expliquant les diffrences corporelles laide des lpgoi en V, 7 [18], en posant une diffrence de rang des mes prexistantes en IV, 3 [27], 8, 5-17 et pour autant quil sagit en gnral du sens que lon peut donner lhistoire avec la thorie de la providence de III, 23 [47-48]. 3. La traduction de Brisson : Elle nest pas lme de cet individu-ci, mais de lIndividu , me semble intenable. Brisson ad loc. lexplique de la manire suivante : Le ekenou fait rfrence lindividu intelligible. Ce sens donn CkebnoV serait singulier ; en outre, cette

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admettre que Socrate, cest--dire lme de Socrate1, nexistera quaussi longtemps quelle se trouvera dans un corps, et quelle prira ds linstant o elle arrivera dans ltat le meilleur. Non, car aucun des tres vritables ne prira. En effet, il ne faut pas dire que l-bas, les intellects, parce quils ne sont pas diviss comme les corps, se perdent dans lunit ; mais chacun reste distinct dans laltrit parce quil lui appartient dtre ce quil est2. Et cest bien ainsi quil en va aussi pour les mes qui dpendent immdiatement de chaque intellect parce quelles sont les raisons de ces intellects et quelles sont plus dployes que ne le sont ces derniers (...), et chacune delles reste une et elles ne sont toutes ensemble quune seule chose (IV, 3 [27], 5, 1-14 ; trad. L. Brisson, modifie)3.

Le paralllisme qui existe entre ce passage et celui de VI, 4 [22], 4, dont nous venons de parler, ne fait aucun doute. Plotin dcrit dans la dernire phrase la mme structure, qui mle unit et multiplicit, en vertu de laquelle chaque me individuelle ne fait quun avec le Tout, tout en restant une seule et mme me. Or Plotin transfre explicitement cette structure de lme spare du corps lunit-multiplicit qui caractrise lhypostase suprieure, lIntellect : pour parler des mes, il a recours lexpression anaxagorenne toutes ensemble quil utilise trs souvent et, dans la plupart des cas, pour caractriser lIntellect4. Mais, sagissant de lIntellect, il met laccent sur ceci : ce ne sont pas les corps qui distinguent les intellects singuliers les uns des autres, et pourtant cela ne remet absolument pas en cause les diffrences qui existent entre eux. Sexprime ici clairement la conviction de Plotin selon laquelle, pour une pense discursive marque par la sensibilit, la pluralit incorporelle des intellects est plus facile penser que celle des mes, dont la multiplicit ne se manifeste dans le monde de lexprience que dans la relation quelles ont avec les corps5. Le vritable fondement de la multiplicit de lme est sa dpendance vis--vis de lIntellect. Elle en est une version plus dploye qui en conserve la caractristique principale : elle ralise lunit de lidentit et de la diffrence6. La manire dont seffectue ce dploiement nest pas clairement indique. Plotin dcrit les mes comme les raisons (lpgoi) des intellects dont elles dpendent, cest--dire quil tablit, comme son habitude, un rapport danalogie entre, dune part, lIntellect et lme, et,interprtation dtruit le raisonnement, parce que prcisment lexistence dun individu intelligible est problmatique pour celui qui pose la question. Il sagit bien plutt dune rfrence Cx CkeBnou en IV, 3 [27], 4, 15 (cf. Armstrong : that higher unity ). 1. La mme formulation se trouve au dbut du trait sur les Formes dindividus (V, 7 [18], 1, 3). 2. Je construirais ici autrement que Brisson : il faut relier tq avec einai, atq w Cstin est le terme technique platonicien pour les Ides (Pl., R., 7, 532 a-b, etc.). Cf. Harder-BeutlerTheiler : behlt sein eigentmliches Sein . Brisson relie tq atq et comprend w Cstin comme cest--dire : tout en ayant la mme caractristique, celle dtre . Dans ce cas, Plotin parlerait des m@gista g@nh du Sophiste (ainsi Brisson, ad loc.). 3. Ce texte est traditionnellement tudi en relation avec la question des Formes dindividus. Cf. Kalligas, 1997 a, p. 222 sq. ; Ferrari, 1997, p. 50 sq. ; Remes, 2007, p. 87 sq. 4. IV, 3 [27], 5, 14 selon Anaxagore, fr. B 1 DK ; cf. VI, 4 [22], 14, 4 et 6 et au moins 15 autres rfrences. 5. Cf. IV, 3 [27], 4, 9-14. 6. IV, 3 [27], 5, 13 sq.

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dautre part, le logos intrieur et le logos exprim qui implique une division et une multiplication1 ; et, conformment au Time (35 a), il attribue lme dune part lindivisibilit et dautre part une tendance se diviser. Cela ne veut videmment pas dire que lentre dans le corps divise rellement lme, puisquil est question des mes non lies un corps ; le sens est plutt que les contenus qui, dans lIntellect, sont unis les uns aux autres, sont dj bien plus diffrencis dans lme, de telle sorte que leur ordre prpare lordonnancement spatio-temporel que lme fait advenir dans le monde des corps2. En revanche, il ne faut certainement pas comprendre le dploiement dont parle Plotin comme une multiplication du nombre des mes par rapport au nombre dintellects, qui signifierait quun seul intellect engendre plusieurs mes3. Il faudrait alors choisir de manire purement arbitraire le taux de multiplication des mes partir dun intellect donn (sur quoi peut-on sappuyer pour dcider quun intellect engendre plutt deux que trois mes ?). Il importe bien davantage Plotin de dire que les mes individuelles se rapportent aux intellects singuliers de la mme manire que lme totale se rapporte lIntellect total4. mon avis, cette interprtation est dautant plus ncessaire que le problme que veut rsoudre Plotin avec toute cette argumentation est celui de lindividualit de lme incorporelle. Le texte commence par se demander sil est encore possible de parler de lme dun individu humain, par exemple Socrate, ou si lme de Socrate, dlie du corps, remonte dans lme hypostase et cesse dtre lme de Socrate, ds lors que lon prsuppose lunit de toutes les mes dans lme hypostase. Il sagit l, dune part, dune objection qui va lencontre de lintuition naturelle qui pense lindividu humain travers lincarnation et lhistoire personnelle, et a donc du mal se reprsenter que lindividualit puisse subsister en dehors de la vie incarne. Il est important de remarquer que Plotin prsuppose que son lecteur possde un tel concept de lindividualit et, dire1. Cf. I, 2 [19], 3, 28-30 ; V, 1 [10], 3, 7-9 ; SVF, 2, fr. 135, etc. ; Brisson, 1999 ; Tornau, 1998 b. Dans le contexte actuel, il peut sagir du passage de la connaissance notique la pense discursive, si cette dernire se produit dans lme spare du corps (cf. IV, 3 [27], 18, 10-13 ; pour lassociation de la pense discursive lpgoV et de la division, cf. VI, 5 [23], 2, 1-5). 2. Comme cest lavis de Kalligas, 1997 a, p. 222, note 62 ; Kalligas, 1997 b. Pour la question de la division de lme, cf. Emilsson, 2005 (avec, plus particulirement, un regard sur le trait IV, 2 [4]). 3. On a dit quon ne pouvait ncessairement conclure de la formule les mes qui dpendent immdiatement de chaque intellect (IV, 3 [27], 5, 9) quexiste un intellect individuel pour chaque me (Kalligas, 1997 a, p. 222, note 61 ; Blumenthal, 1971, p. 120 ; de manire diffrente et, mon avis, juste, Rist, 1970, p. 301). Un passage du chapitre suivant se rapproche encore plus de cette interprtation (IV, 3 [27], 6, 15-17 : Il est possible aussi quil y ait une me qui contemple lIntellect dans sa totalit, tandis que les autres contemplent surtout les intellects partiels qui sont les leurs trad. L. Brisson, modifie). Lexpression ojon pol Cx slBgou genpmenai (IV, 3 [27], 10 sq. : Comme un grand nombre nat dun petit ; trad. . Brhier) ne plaide pas pour une multiplication numrique des mes dans ce cas, il faudrait un pluriel (poll1 Cx slBgwn). 4. Une description claire de cette analogie, y compris de la dduction causale de lunitmultiplicit de lme depuis celle de lIntellect, se trouve en IV, 8 [6], 3, 6-13. Cf. DAncona, 2003, p. 39 sq.

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vrai, de manire intuitive et non thorique et en mme temps table sur la rsistance que celui-ci peut opposer sa thorie de lunit de toutes les mes1. La raison de cette opposition rside, selon lui, dans linfluence que la pense discursive reoit des choses sensibles laquelle son argumentation philosophique ici, comme toujours, soppose. Dautre part, il y a aussi lobjection du platonicien qui se demande si lidal du Phdon la philosophie comme moyen de sparer lme du corps a encore un sens si lme individuelle, lorsquelle parvient se dgager du corps, se perd dans une me totale indiffrencie. Le moi philosophant serait alors annihil ; limmortalit platonicienne de lme serait donc seulement une immortalit universelle et ne serait en aucun cas personnelle2. Si largumentation mene par Plotin en IV, 3 [27], 5 peut donner une rponse convaincante cette question, elle ne doit pas se limiter, comme dans le texte prcdant de VI, 4 [22], 4, la multiplicit objective, mais doit aussi se rapporter la subjectivit de lme individuelle incorporelle. La conscience de soi des mes doit rester dans la continuit de la conscience de soi de lhomme quelles animent, si bien que lexpression ton me ou lme de Socrate conserve un sens dans lincorporit. Quand donc Plotin en IV, 3 [27], 5 affirme que chaque me est subordonne un intellect qui lui correspond, il ancre par l lindividualit humaine, au sens de conscience de soi individuelle, dans le monde intelligible. Il faut toutefois remarquer quil sagit ici de lindividualit qui concerne le domaine intelligible, lunit avec le Tout, comme le montre la formule anaxagorenne toutes ensemble . Pour Plotin, lIntellect nest donc pas seulement le principe de la pluralisation, mais aussi de lindividuation des mes3. Cela nimplique pourtant pas

1. Plotin lui-mme nous fait savoir que ce nest pas seulement the contemporary reader qui est gn par sa description de lme libre du corps (Remes, 2007, p. 246). 2. C. DAncona (2002, p. 542 sq. ; cf. DAncona, 2003, p. 61) propose de comprendre le Socrate qui est dans ce texte comme le Socrate du Phdon qui, explicitement, ne sidentifie pas son corps, mais son me immortelle (115 c - 116 a) ; Chiaradonna, 2008, p. 286, note 29, dveloppe un argument contraire ; pour lui, Socrate nest quun exemple standard de lhomme individuel. Naturellement, il ny a aucune citation explicite du Phdon, pas plus quil ny a dallusion prcise ; IV, 3 [27], 5 nest pas un texte exgtique. La proposition de DAncona est toutefois intressante, parce que les connaisseurs des dialogues platoniciens, comme Plotin et ses lecteurs, pouvaient sans aucun doute faire une telle association. Socrate identifie son moi (115 c 7 : Cg) la personne qui a tenu la conversation du Phdon (115 c 7 sq.) avec son me, qui survit au corps. Cela correspond au dualisme me-corps du Phdon et, dans le contexte de ce dialogue, cela pose relativement peu de problmes. Mais si on lit le passage dans le contexte de la doctrine plotinicienne de lunit de toutes les mes se pose invitablement la question celle de IV, 3 [27], 5 de savoir comment une me incorporelle peut encore tre lme de Socrate et Socrate lui-mme. 3. Cf. Ferrari, 1997, p. 51. De manire diffrente, Aubry, 2008 a, p. 280 sq. ; p. 284, qui reconnat la multiplicit de lIntellect comme tant un principe de distinction , ne pose nanmoins le principe dindividuation que dans le domaine corporel, parce que la conscience de l individu incarn ne peut subsister au niveau de lIntellect. Nikulin, 2005, p. 302-304, veut voir tort, dans la logical difference de V, 7 [18], 3, 7-13, le principium individuationis des mes : dans ce passage, il nest pas question des mes individuelles, mais des diffrences corporelles individuelles (cf. Ferrari, 1997, p. 44 sq.).

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encore quil y ait dj un nous au niveau de lIntellect, une conscience de soi individuelle, qui peut scrire la premire personne. Nous allons voir prsent quil y a toutefois des textes qui montrent abondamment que tel est bien le cas et que lIntellect est non seulement le principe, mais galement la plus haute forme de ce nous individuel.

Lunit de lme non descendue avec lIntellect Il ny a aucune raison de douter quil sagisse bien, lorsque lon parle de lme incorporelle dont il a t jusquici question dans les textes que nous avons comments, de la partie non descendue de lme. Plus prcisment : il sagit de la partie suprieure de lme, celle que le Time qualifie d indivisible (35 a) et qui, en elle-mme, nest jamais lie un corps au contraire de la partie infrieure de lme qui est par nature divisible dans les corps , mme sil nest pas ncessaire quelle soit lie un corps1. En revanche, le rapport des mes non descendues avec lIntellect est beaucoup moins clair. Sont-elles, malgr le fait quelles demeurent dans lintelligible, clairement distinctes de lIntellect ou bien sagit-il dintellects individuels qui, en raison du type dindividualit propre aux essences immatrielles, sont en mme temps lIntellect total ? Auquel cas, il sagirait de Formes dindividus dans le sens que Plotin donne cette expression en V, 7 [18]. Les passages dont il a t question jusquici ne contiennent aucune assertion qui puisse aller dans ce sens ; lexpression de IV, 3 [27], 5, selon laquelle les mes restent attaches lIntellect par ce quelles ont de moins divis (IV, 3 [27], 5, 11 sq. ; trad. L. Brisson), semble plutt plaider pour une diffrence entre lIntellect et la partie indivisible de lme. Il sagit prsent de montrer que Plotin tablit une quivalence entre lme non descendue et lIntellect, et que cette quivalence doit tre prise au srieux, parce quelle est solidement taye dans le cadre de la pense de Plotin. Le trait VI, 4-5 [22-23] interprte la participation platonicienne aux Formes comme une prsence indivise de la totalit de ltre, cest--dire de lIntellect, auprs de chaque individualit sensible. En ralit, on ne peut penser autrement la participation, si on lanalyse avec des principes appropris ltre intelligible et donc en bannissant les concepts de distance spatiale ou de division corporelle. Dans ce trait, il ne sagit pas seulement de fonder lexistence danimaux ou de minraux, comme cela se faisait traditionnellement, dans la participation aux Formes intelligibles correspondantes et de la prsenter comme tant le rsultat de lomniprsence de ltre1. VI, 4 [22], 1, 2 sq. ; IV, 1 [21], 8-12 ; IV, 3 [27], 5, 11-13. Lincarnation est, pour chaque me, quelque chose de contingent (IV, 3 [27], 2, 8-10) ; cela est aussi valable pour lme sensitive et vgtative, dont Plotin montre limmortalit en IV, 7 [2], 85 (cf. Tornau, 2005). Jai dress un panorama de lexgse plotinienne de Pl., Ti., 35 a dans Tornau, 1998 a, p. 18-21.

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intelligible. Le mme principe vaut aussi et surtout pour les tres les plus importants du monde de lexprience : les hommes, vivants rationnels , composs dme et de corps1. Il ne suffit pas de renvoyer lindivisibilit et lomniprsence de lme dans le corps, que Plotin prend souvent comme exemple concret de lindivisibilit et de lomniprsence de lintelligible dans le trait VI, 4-5 [22-23]2. Nous , cest--dire la rationalit humaine et lintellect humain, nous rejoignons directement lIntellect suprme et ltre intelligible dans sa totalit : Nous-mmes et ce qui est ntre3 remontons en effet4 vers ltre, et nous nous levons vers lui5 et son premier rejeton6, et nous intelligeons les intelligibles sans le secours dimages ni dempreintes deux ; si tel nest pas le cas, cest que nous sommes les intelligibles. Si donc nous avons part la connaissance vritable, nous sommes les intelligibles ; nous ne les recevons pas en nous, mais cest nous qui sommes en eux. Et parce que les autres aussi, et pas seulement nous, sommes les intelligibles, nous sommes les intelligibles tous autant que nous sommes. Par consquent, cest en sunissant tous que nous sommes les intelligibles. Nous sommes donc la fois toutes choses et une seule (VI, 5 [23], 7, 1-8 ; trad. R. Dufour, modifie)7.

Ce texte na pas pour objet premier comme ctait le cas en IV, 8 [6], 1, 1-11 lascension de lme ou du moi vers lIntellect et le monde intelligible. Cet aspect apparat aussi, mais lattention est plutt mise sur le fait que, dans la mesure o nous pouvons effectuer cette ascension, nous sommes toujours dj enracins dans le monde intelligible et quen dernire instance, nous ne devons faire quun avec lui. La rappropriation de notre vrai moi nest rien dautre pour Plotin que le retour lorigine qui est la ntre8. Plotin1. zon logikpn. Plotin voque cette dfinition traditionnelle, par exemple en VI, 7 [38], 4, 11. 2. Cf. VI, 5 [23], 6, 13-15 : Ce nest pas de la mme manire en effet que le blanc est partout et que lme dun individu est la mme en chaque partie du corps ; cest de cette dernire manire que ltre se trouve lui aussi partout (trad. R. Dufour). Toute largumentation de VI, 45 [22-23] montre quil ne sagit pas seulement dune comparaison ou dune analogie. 3. Ntre renvoie lintellect individuel, en opposition au nous qui est situ au niveau de lme rationnelle (cf. V, 3 [49], 3, 23-29 ; I, 1 [53], 7, 16-18). La terminologie sinspire de celle de lAlcibiade (133 d), mais il y a chez Plotin une liaison plus forte encore entre lme et lIntellect que celle qui existe dans lAlcibiade entre lme et le corps. Cf. I, 6 [1], 6, 1618 ; IV, 4 [28], 2, 20-22 : Ou plutt, il faut dire que ce nest vraiment pas un changement pour lme que de passer de ce qui est sien pour aller vers soi-mme, et de passer de soimme pour aller vers les autres choses (trad. L. Brisson, lgrement modifie). 4. Le g0r explicatif se rattache immdiatement au texte cit supra (n. 2). 5. Il est difficile de comprendre comment R. Dufour en vient ici traduire lUn ; Ckebno correspond sans quivoque Ckebna qui suit, les intelligibles , et peut seulement se rapporter lIntellect. 6. Il faut comprendre par l lme hypostase. 7. Cf. Tornau, 1998 a, p. 390-394 ; Ferrari, 1997, p. 51 sq., qui, ma connaissance, est le seul, jusqu prsent, avoir relev la pertinence de ce texte pour la question des Ides individuelles. Je ne peux partager linterprtation de Aubry, 2008 a, p. 280, qui voit en VI, 5 [23], 7 une preuve du fait que la conscience du je se perd dans lascension du moi vers lIntellect. 8. Cf. VI, 9 [9], 7, 33 sq. : Mais celui qui sest reconnu lui-mme saura aussi do il vient (trad. P. Hadot).

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distingue terminologiquement cette rduction logico-ontologique de lme lIntellect ( nous... remontons ) de lascension thique et actuelle ( nous nous levons ). La raison pour laquelle Plotin met laccent sur ce point est claire : un cas exemplaire de lomniprsence de ltre intelligible est lunit du moi avec lIntellect mais elle ne vaut que dans la mesure o elle existe toujours et non parce quelle pourrait tre conquise et perdue nouveau au cours du temps. Dans ce passage, Plotin ne met pas laccent sur le fait que nous pouvons devenir Intellect, mais que nous le sommes toujours dj1. Pour notre propos, il importe de relever trois points, dans le texte que nous venons de citer. Premirement : le nous connat les ralits intelligibles parce quil en est une lui-mme. Il fonde ainsi le fait quen ce qui concerne le type de connaissance exerce par le nous il sagit bien dune connaissance vraie, qui ne peut tre indirecte (qui sappuierait sur des images et des empreintes ), donc dune connaissance immdiate il sagit donc ncessairement dune connaissance de soi, au sens de lidentit du sujet connaissant et de lobjet connu. Cette forme de connaissance est exactement ce qui constitue lessence de lIntellect divin, selon la clbre argumentation dveloppe en V 5 [32], 1, parce quelle est totalement infaillible2. Si le nous , dans le monde intelligible, a une connaissance totalement dpourvue derreurs des objets intelligibles, qui est en mme temps une connaissance de soi, alors il est un intellect. Plotin nindique aucune diffrence entre nous et lIntellect, et, dire vrai, ce ne serait pas sans ratiocination artificielle quon pourrait en dceler la trace, si lon suit le raisonnement de VI, 5 [23], 7. Deuximement, Plotin note expressment que lunit originaire avec lIntellect ne concerne pas spcialement des hommes privilgis (par exemple, les philosophes), mais tous les hommes. Au niveau de lIntellect, tous les nous forment une unit. Cette structure dunit multiple est la mme que celle qui est dcrite en VI, 4 [22], 4 laide de termes aristotliciens et en IV, 3 [27], 5 avec la formule anaxagorenne toutes ensemble . Quand Plotin la dcrit depuis la perspective subjective du nous , il montre nouveau que lunit de toutes les mes dans lintelligible ne signifie pas la perte du moi individuel qui existait dans le monde de lexprience. Cela manifeste bien plutt une intgration de lautre dans le moi lui-mme, dans une transparence totale et rciproque tel est le sens du concept dindividualit qui, selon Plotin, sapplique aux ralits immatrielles3.1. Dufour obscurcit cela de manire bizarre, lorsquil traduit les prsents unteV (4) et untwn (6) par devenons . Cf. VI, 5 [23], 12, 18 sq. : Lorsque tu rejettes cette grandeur dtermine, tu deviens tout ; en vrit, tu tais tout mme auparavant (trad. R. Dufour ; cest nous qui soulignons). 2. Cf. en particulier V, 5 [32], 1, 1-6 ; 50-68 ; Emilsson, 1996 ; Chiaradonna, 2008, p. 279-281. 3. Sur la transparence rciproque des ralits intelligibles, cf. en particulier V, 8 [31], 4, 3 sq. : Ils voient tout, non pas les choses sujettes gnration, mais les choses qui possdent ltre, et ils se voient eux-mmes dans les autres ; tout est transparent... (trad. . Brhier, modifie).

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Troisimement, Plotin caractrise clairement ce moi intelligible comme une Forme. Lexpression Nous sommes donc la fois toutes choses et une seule paraphrase bien plus quelle ne traduit la phrase grecque p0nta 5ra CsmAn Gn qui condense, avec une grande audace rhtorique, trois noncs : 1 / nous sommes tous un qui, dans la suite de la phrase prcdente, affirme lunit de tous les nous ; 2 / Nous sommes toutes choses (i.e. toutes les Formes platoniciennes) ; 3 / Toutes choses (i.e. toutes les Formes platoniciennes) sont unes , lunit de toutes les Formes dans lIntellect. Ces trois penses, Plotin les runit en une seule phrase qui, si on la traduit littralement, donne ceci : Nous, toutes les choses (= toutes les Formes), sommes un. Ici ce sont en quelque sorte les Formes platoniciennes qui prennent la parole et tablissent leur unit fondamentale ; mais comme tout le texte autour est la premire personne du pluriel, ce sont en mme temps les nous individuels des hommes, auxquels de cette manire est reconnu le statut de Formes. Il faut alors comprendre ainsi lidentit sujet-objet dont Plotin parlait au dbut du chapitre, qui caractrise la connaissance possde par le nous : le nous est un objet intelligible au sens plein du terme, et non pas seulement un sujet qui concide avec son objet dans lacte de connaissance. En dautres termes, le nous est autant une Forme individuelle que la Forme dun individu humain. Le problme qui a beaucoup occup la recherche rcente la distinction entre ces individus intelligibles ou mes-Formes et les Formes platoniciennes vritables ne semble pas ici se poser pour Plotin. Il ne semble pas non plus que cette question soit ncessaire. De manire gnrale, les Formes platoniciennes sont bien pour Plotin des intellects qui se connaissent eux-mmes comme tant des tres dtermins (homme, cheval) et connaissent en mme temps toutes les autres Formes ; plus exactement, elles sont lIntellect total qui se connat lui-mme, qui se pense toujours en chacune comme tant un tre dtermin1. Comme nous venons de le voir, tout cela vaut galement pour le nous intelligible qui est une Forme dindividu. Et, comme on le voit tout spcialement en VI, 4-5 [22-23], il y a dans lme de Socrate et dans la Forme de larbre exactement le mme tre intelligible, totalement prsent ; la diffrence est que Socrate la reoit presque en totalit, alors que le corps de larbre na la capacit de recevoir quune seule Forme. Cette conception pose sans nul doute un certain1. Cf. V, 9 [5], 8, 1-4 : Si donc lacte de pense est pense dun objet intrieur, celui-ci, lobjet qui est intrieur, est la forme, savoir lide elle-mme. Quest-ce donc que cela ? LIntellect et ltre intellectuel, chaque ide ntant pas diffrente de lIntellect, mais chacune un intellect. Et lIntellect en entier est toutes les formes, alors que chaque forme est un intellect particulier... (trad. A. Schniewind). Il faut le comprendre la lettre, comme le montre un passage tel que VI, 7 [38], 9, 25-38, o lobjet de pense (donc la Forme) est clairement dcrit comme un intellect particularis et comme un acte de pense (cf. Hadot, 1988, p. 238 sq.). Gerson, 1994, p. 55 (suivi par Remes, 2007, p. 168 sq.), prfre une interprtation minimaliste de V, 9 [5], 8, pour viter la subjectivation de lobjet de pense (cf. aussi Gerson, 1997, p. 168). Que les Formes vivantes soient des essences pensantes, nest pas du tout absurde pour un platonicien, au regard de Pl., Sph., 248 e.

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nombre de problmes, ds lors que lon recherche la cause de la diffrence qui existe entre les capacits rceptrices des corps. Pourtant, cela na rien voir avec la diffrence quil peut y avoir entre les Formes individuelles et supra-individuelles ; la Forme platonicienne de larbre et la Forme individuelle Socrate dploient le mme type de causalit. Plotin utilise le terme subjectif de nous pour la partie non descendue de lme, dont il thmatise lidentit avec lIntellect. Il ny a l aucune contradiction avec dautres passages dans lesquels le nous est situ au niveau de la pense discursive1 ou mme ceux dans lesquels il affirme explicitement que nous ne sommes pas lIntellect2. Dans ces passages, Plotin parle de la conscience de soi de lhomme empirique, marqu essentiellement par la rationalit : en tant quhommes, nous sommes par dfinition des tres rationnels et nous pensons toujours de manire discursive, tandis que nous ne faisons lexprience de la connaissance notique que de manire intermittente3. En VI 5 [23], 7, comme dans le passage que nous citions au dbut, celui de VI, 4 [22], 14, il est question du nous , qui est notre moi, avant quil ne soit transform par cet ajout quest lhomme corporel. Plotin dit une fois que lhomme empirique, pour parvenir une connaissance de soi vraie, qui nest possible quau niveau de lIntellect, doit devenir un autre 4. Aprs tout ce que nous avons tabli concernant la persistance de lindividualit humaine au niveau de lIntellect, on ne peut pas penser que la connaissance de soi notique reprsente pour le sujet connaissant une perte du nous . Plotin veut assurment proposer une dfinition nouvelle et radicale du nous , dont ne fait pas partie lhomme corporel, ajout lhomme intelligible. Pourtant, cela ne signifie pas que le nous empirique, la conscience subjective de lhomme psychophysique, soit supprim et que le nouveau nous , purement intelligible, soit une autre personne, un autre je ; cest mme tout le contraire, si ce qui est dit en IV, 3 [27], 5 concernant la persistance de la personne de Socrate en dehors de la corporit est toujours valide. vrai dire, le nous intelligible, la diffrence du nous empirique, connat une modification dcisive, dont le caractre spcifique est en lien troit avec le concept dindividualit qui est celui des ralits immatrielles. Lutilisation de la premire personne permet Plotin de dcrire cette1. I, 1 [53], 7, 16 sq. : ... les raisonnements, les opinions, et les actes intellectuels ; et cest l prcisment que nous sommes surtout (trad. G. Aubry). Cf. V, 3 [49], 3, 35 sq. 2. V, 3 [49], 3, 31 : Car nous ne sommes pas lIntellect (trad. B. Ham). Cf. Beierwaltes, 1991, p. 105 sq. 3. V, 3 [49], 3, 27-29 : Cest pourquoi, tantt nous lutilisons en plus [sc. lIntellect], tantt nous ne lutilisons pas en plus tandis que la raison discursive, nous lutilisons toujours et il est ntre quand nous lutilisons, et, quand nous ne lutilisons pas en plus, il nest pas ntre (trad. B. Ham). Pour le chap. V, 3 [49], 3, cf. Ham, 2000, p. 116-122 ; Beierwaltes, 1991, p. 103-106. 4. V, 3 [49], 4, 10-12 : Et pour celui-l, se connatre soi-mme, cest se connatre non plus comme un homme, mais en tant devenu totalement autre... (trad. B. Ham). Ham, 2000, p. 54, note 36, remarque juste tire que homme renvoie ici la raison discursive, et non au nous . W. Beierwaltes souligne laspect de la transformation (1991, p. 107 sq.).

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modification de manire subjective, comme lexprience de llargissement de la conscience du moi : Dans un premier temps, on ne se voit pas comme lunivers ; mais par la suite, parce quon ne trouve pas de point o, en sarrtant, on puisse se fixer une limite et dire jusque-l cest moi, et parce quon cesse de sexclure de la totalit de ltre, on ira soi-mme vers lunivers tout entier, navanant vers aucun point, mais en demeurant l mme o lunivers se dresse (VI, 5 [23], 7, 13-17, trad. R. Dufour, modifie)1.

Plotin ne parle pas ici dune augmentation quantitative ou dun mouvement spatial du moi (mme pas mtaphorique) ; cette dernire hypothse est mme explicitement exclue. Pour devenir lIntellect, toutes les Formes et tous les autres nous , il faut seulement renoncer attribuer des limites son propre je , ce que lon fait habituellement dans le monde sensible, mais qui nest quune manire de limiter arbitrairement la vritable nature de notre je ds lors que lon prend appui sur les critres de ltre vrai et intelligible.

Remarques conclusives Il est trs tentant dassocier lidal plotinien dune existence totalement spare du corps, purement intelligible avec la perte de lindividualit personnelle. Nous admettons comme critres de lindividualit, outre les critres purement intelligibles, la sparation matrielle, la corporit, lhistoire personnelle et la mmoire, et, de manire intuitive, nous considrons que la disparition de ces paramtres au niveau intelligible est une perte qui remet en cause la notion mme dindividualit et, de manire gnrale, de moi. Pour Plotin, la situation se prsente en des termes exactement inverses. ses yeux, la gense de lindividualit empirique partir de lintelligible renvoie au mme cas de figure que celui quil dcrit lorsquil dit : Tu tamoindris par cette addition. 2 La corporit et lhistoire, ces prtendus lments constitutifs de notre individualit, sont seulement des amoindrissements de notre moi vritable ; ce sont des effets secondaires de la chute platonicienne de lme, cest--dire de laddition de lhomme corporel au nous . Cette addition est le synonyme de la perte dune individualit bien plus riche qui suppose des conditions incorporelles et dont la forme rduite, celle qui est soumise aux conditions de lespace et du temps, est notre individualit empirique. Les critres de cette individualit transcendante sont dune part la conscience individuelle du je et le fait dtre diffrent des autres dans cette1. Cf., pour ce texte, Tornau, 1998 a, p. 398-400. Des descriptions similaires se trouvent en VI, 5 [23], 12, 7-29 (o est utilise la deuxime personne du singulier) ; V, 8 [31], 11, 1-13. 2. VI, 5 [23], 12, 20 sq. : Cl0ttwn CgBnou t prosqPk (trad. R. Dufour).

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perspective, lindividualit empirique en est bien limage ; dautre part, ce sont, outre la diffrence, lidentit de lindividu avec tous les autres et avec la totalit de ltre. Cette identit ne peut tre conserve dans le monde empirique o lidentit et la diffrence sexcluent lune lautre parce qualors elle signifierait la perte de lindividualit. Christian TORNAU. (Traduction Alexandra Michalewski.)

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