Traumatismes oculaires et accouchement
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J Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 9, 987-993© Masson, Paris, 2004.
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ARTICLE ORIGINAL
Traumatismes oculaires et accouchement
A. Regis, P. Dureau, Y. Uteza, O. Roche, J.-L. Dufier
Service d’Ophtalmologie, Hôpital Necker-Enfants Malades, Paris.Correspondance : A. Regis, Service d’Ophtalmologie 2, Centre National d’Ophtalmologie des Quinze-Vingts, 28, rue de Charenton, 75571 Paris cedex 12.Reçu le 6 août 2002. Accepté le 9 mai 2004.
Ocular injuries and childbirth
A. Regis, P. Dureau, Y. Uteza, O. Roche, J.-L. Dufier
J. Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 9: 987-993
Introduction:
Severe ocular traumatisms related to childbirth are rare and often subordinateto maneuvers with instruments. The aim of this study was to report on the different severeocular injuries that might occur during childbirth and their possible consequences. There canbe several of these ocular injuries.
Patients and methods:
Since 1984, we have examined 11 cases of this type of traumatism.For each case, the childbirth circumstances, the affected side, the different injuries observedsuch as ocular, orbital, cranial and even cerebral lesions, and the results of the ophthalmologi-cal follow-up examinations were recorded.
Results:
In most cases, lesions resulted from forceps traumatisms, and the injuries were corneal(vertical tears in the Descemet’s membrane), retinal (hemorrhages), and orbital (e.g., the opticalnerve and oculomotor nerve).
Conclusion:
These injuries, sometimes severe, must benefit from early and complete exami-nation, possibly with general anesthesia, and long-term follow-up. Furthermore, a radiographicand clinical neurological examination is recommended to prevent any cerebral complication.
Key-words:
Ocular injuries, forceps, corneal tears, childbirth.
Traumatismes oculaires et accouchement
Introduction :
Les traumatismes oculaires graves, liés à l’accouchement, sont rares et souventdus à des manœuvres instrumentales. L’objectif de cette étude est d’exposer les différenteslésions oculaires graves pouvant survenir lors d’un accouchement et leurs éventuelles consé-quences.
Patients et méthodes :
Depuis 1984, nous avons examiné dans le service onze cas de telstraumatismes. Pour chaque cas, les circonstances de l’accouchement, le côté atteint, les dif-férentes lésions observées, oculaires, orbitaires, crâniennes, voire cérébrales, et les résultatsdes examens de suivi ophtalmologique ont été notés.
Résultats :
Dans la plupart des cas, les lésions étaient consécutives à des traumatismes parforceps. Elles étaient cornéennes (vergetures verticales de la membrane de Descemet), réti-niennes (hémorragies) voire orbitaires (nerf optique et nerf oculomoteur).
Conclusion :
Ces atteintes, parfois graves, nécessitent un examen précoce et exhaustif, éven-tuellement sous anesthésie générale, et une surveillance prolongée. Enfin, un examen neuro-logique (clinique et radiologique), pour dépister des complications cérébrales, nous semblerecommandé.
Mots-clés :
Traumatisme oculaire, forceps, vergetures cornéennes, accouchement.
INTRODUCTION
La possibilité de traumatismes duglobe oculaire lors d’un accouche-ment a été décrite dès la fin du
XIX
e
siècle [1]. La fréquence des lé-sions oculaires observées après unaccouchement est variable selon lesauteurs et le type de délivrance, de12 à 25 % après un accouchementsimple et de 17 à 40-50 % après laréalisation de manœuvres instru-mentales notamment par forceps[2, 3]. Néanmoins, ces séries concer-nent en majorité des lésions béni-gnes de type œdème palpébral ouhémorragie sous-conjonctivale. Leslésions peuvent intéresser tous leséléments du globe oculaire, des an-nexes et de l’orbite, et les atteintesles plus graves apparaissent le plussouvent après un accouchement parforceps [4, 5]. Nous avons recueilliles observations des traumatismesoculaires graves, examinés dans leservice depuis 1984, et comparé leslésions observées à celles décritesdans la littérature.
PATIENTS ET MÉTHODES
Nous avons étudié rétrospective-ment les traumatismes oculairesgraves observés dans le service de1984 à 2001. Pour chaque patient,ont été notés les circonstances desurvenue du traumatisme, le délai deprise en charge, le côté et la naturedes lésions (paupières, segmentantérieur, segment postérieur, or-bite). De plus, pour les patients quiont pu être suivis, la durée de suivi,
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les troubles de la réfraction et l’acuité visuelle finale ontété consignés.
RÉSULTATS
Onze traumatismes obstétricaux graves ont été obser-vés durant cette période. Dix étaient la conséquenced’accouchements assistés par des manœuvres instru-mentales (neuf par forceps, et un par spatules), et unétait dû à un travail particulièrement long (vingt heu-res). Ces observations concernaient sept yeux droits,trois yeux gauches et une atteinte bilatérale (seul casn’impliquant pas l’utilisation de forceps). Les lésions ob-servées sont détaillées dans le
tableau I
.
Atteintes annexielles
Les dix cas observés, résultant d’un accouchement parmanœuvres instrumentales, ont eu des hématomes pal-pébraux, homolatéraux au positionnement de la cuillerde forceps. Ils ont régressé spontanément sans séquelle.Il a été observé trois plaies palpébrales, dont l’une étaitassociée à une lésion du canalicule lacrymal inférieurayant nécessité un cathétérisme, et une associée à unarrachement du canthus externe avec fracture orbitaire
(fig. 1)
; ces dernières ont laissé des séquelles esthéti-ques et fonctionnelles. Enfin, trois cas de ptosis ont éténotés, deux cas par atteinte du nerf oculomoteur (III),et un cas isolé par atteinte du muscle releveur de la pau-pière.
Atteintes du segment antérieur
Nous avons observé deux cas d’hémorragie sous-conjonctivale dont un cas avec plaie conjonctivale. Parailleurs, il y a eu sept cas de traumatismes cornéens :un cas de plaie cornéenne, et six cas avec des vergeturesverticales de la membrane de Descemet apparues aprèsrésorption spontanée de l’œdème cornéen
(fig. 2
et
3)
.Ils furent à l’origine d’une myopie et d’un astigmatismedirect de plus de quatre dioptries dans trois cas. Enfin,nous n’avons observé qu’un seul cas d’hyphéma.
Atteintes du segment postérieur
Parmi les cinq cas d’hémorragies rétiniennes observées,deux cas étaient bilatéraux, (dont un était de plus asso-cié à un œdème rétinien maculaire), et un troisième casétait associé à une hémorragie intra-vitréenne
(fig. 4)
.Il est à noter que le cas d’atteinte bilatérale, exemptd’œdème rétinien, est lié à un accouchement de plusde vingt heures sans manœuvre instrumentale. L’enfanta été examiné à l’âge de trois ans, et l’examen du fondd’œil a objectivé des cicatrices séquellaires d’hémorragiesmaculaires rétiniennes et sous-rétiniennes bilatérales(sous forme de cicatrices fibro-gliales).
Atteintes orbitaires
Quatre cas de lésions orbitaires ont été observés. Deuxpatients avaient une atteinte du nerf oculomoteur (III)avec un ptôsis, une divergence par parésie du muscledroit interne et une mydriase aréflexique. Les deuxautres patients avaient, outre des fractures de l’orbiteosseuse, une section du nerf optique avec une évolutionvers une atrophie optique, l’un des deux était égale-ment associé à une dilacération avec impotence dumuscle droit interne
(fig. 5 et
6)
. De plus, il existaitd’autres lésions associées oculaires et extra-oculairesmultiples décrites dans le
tableau I
.
Atteintes associées
Nous avons dénombré trois fractures de la voûte crâ-nienne dont deux avec embarrure, une fracture du toitorbitaire et deux hémorragies méningées dont une as-sociée à un hématome sous-dural.
Examen final
Les enfants ont eu un suivi de 0 à 7 ans. À l’issue decelui-ci, nous avons observé les acuités visuelles décritesdans le
tableau I
. Deux cas de cécité monoculaire sansperception lumineuse, séquellaires à des lésions du nerfoptique, ont été observés. De plus, sur quatre cas d’am-blyopie observés, trois cas étaient dus à troubles réfrac-tifs. Ils étaient secondaires à une myopie et un astigma-tisme important unilatéral lié aux séquelles desvergetures de la membrane de Descemet. Ils furent trai-tés par correction optique optimale avec occlusion del’œil adelphe, mais seul un cas a récupéré une acuitéacceptable à 8/10
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et une isoacuité pour l’âge au Bébé-Vision pour le second. Le quatrième cas d’amblyopieétait la complication du ptosis par atteinte du musclereleveur de la paupière décrit précédemment, et sonacuité visuelle était de 10/10
e
après traitement.
DISCUSSION
Les publications concernant des traumatismes oculairesliés à l’accouchement sont plus nombreuses dans la lit-térature du début du
XX
e
siècle. Ceci peut s’expliquerpar le fait que l’utilisation des forceps est mieuxcomprise et moins traumatisante ou que leur utilisationest délaissée au profit des épisiotomies quasi-systéma-tiques ou des césariennes [6]. La fréquence des trauma-tismes oculaires observés après un accouchement estvariable, selon les auteurs et le type de délivrance, de12 à 25 % après un accouchement simple et de 17 à40/50 % après la réalisation de manœuvres instrumen-tales notamment par forceps. Cependant, les atteintesoculaires graves sont peu fréquentes et sont estimées à0,25 % des accouchements [2, 3]. Du fait de cette
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Figure 1 : Hématome périorbitaire avec plaie palpébrale supérieure et arrachement du canthus externe de l’œil gauche.Figure 2 : Plaie du canalicule inférieur, hémorragie sous-conjonctivale et œdème cornéen diffus initial apparu quelques heures après un accouchementassisté par forceps.Figure 3 : Vergeture verticale de la membrane de Descemet de l’œil droit séquellaire d’un accouchement assisté par forceps (patient n° 1).Figure 4 : Hémorragies rétiniennes multiples bilatérales superficielles et profondes, enfant examiné à J1 après un accouchement assisté par forceps(patient n° 10).Figure 5 : Tomodensitométrie orbitaire montrant la section du nerf optique gauche (patient n° 11).Figure 6 : Arrachement du muscle droit medial de l’œil gauche après un accouchement assisté par forceps (patient n° 11).
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faible incidence, les obstétriciens considèrent générale-ment qu’elles ne justifient pas d’examen ophtalmologi-que systématique, après une naissance assistée par for-ceps puisque, en majorité, les lésions sont mineures [7].
Dans cette série, la majorité des cas est due à destraumatismes par manœuvres instrumentales (neuf caspar forceps et un cas par spatule), résultat concordantavec les cas décrits dans la littérature, et confirmant queles lésions les plus graves apparaissent après l’utilisationde forceps, essentiellement lors des manœuvres de ro-tation [7, 8]. Cependant, l’accouchement assisté parforceps n’est pas la seule cause de traumatisme oculairedu nouveau-né. En effet, il semble qu’un accouchementnormal, mais long et difficile, avec une mauvaise pré-sentation fœtale, puisse également être la cause de telleslésions [9].
De plus, il est à noter que nous avons observé unemajorité de lésions oculaires droites contrairementaux résultats classiquement décrits dans la littérature[10, 11]. En effet, il semble admis par de nombreuxauteurs que, la présentation fœtale la plus fréquenteétant la position occipito iliaque antérieure gauche(OIAG), l’œil gauche est le plus fréquemment atteint.Toutefois, certains auteurs avancent une autre hypo-thèse pour expliquer l’existence de lésions oculaires pré-dominant à droite : l’utilisation des forceps étant le plussouvent nécessaire dans les présentations fœtales « vi-cieuses » de type occipito-iliaque antérieure droite(OIAD), les lésions droites devraient être les plus fré-quentes.
Par ailleurs, les traumatismes du segment antérieurpar les forceps entraînent le plus souvent des rupturesverticales de la membrane de Descemet. En effet, lacompression du globe oculaire par la cuiller du forceps,contre le toit de l’orbite, induit un étirement horizontaldu globe oculaire dont résultent des ruptures verticales,ou arciformes de direction verticale, de la membrane deDescemet [12-16]. La direction observée des vergeturesdescémétiques a un intérêt médico-légal puisquequ’elle permet d’effectuer le diagnostic différentiel en-tre un glaucome congénital (vergetures horizontales) etun traumatisme cornéen direct lors de l’accouchement.
Dans cette série, trois patients ont développé une am-blyopie séquellaire de l’astigmatisme et de la myopiepost-traumatiques. Ces vergetures entraînent souventun œdème cornéen régressant spontanément, maissont responsables de séquelles fonctionnelles graves àlong terme [11, 12]. En effet, il se développe un astig-matisme de forte puissance, le plus souvent dans l’axedes vergetures, qui, associé à l’œdème cornéen initial(dont la durée est variable), induit une myopie axile dueà la déprivation visuelle [12]. Aussi apparaît-il, à terme,une amblyopie par myopisation et astigmatisme, dontles traitements et la rééducation sont difficiles avec desrésultats souvent médiocres. Nous avons également re-levé des hémorragies rétiniennes au fond d’œil dansquatre cas suite à un accouchement par forceps et uncas après un accouchement simple avec un travail long
[17-19]. Ces hémorragies, le plus souvent rétinienneset/ou pré-rétiniennes, voire sous-rétiniennes, peuventêtre observées sur toute la surface rétinienne et princi-palement au pôle postérieur. Elles peuvent prendre tousles aspects, de l’hémorragie en flammèche à l’héma-tome sous rétinien. Vaughn Emerson
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[17], dansune étude prospective, ont montré que la fréquencedes hémorragies rétiniennes à la naissance est de l’ordrede 33 % après un accouchement simple et 75 % aprèsun accouchement par forceps. Par ailleurs, les mécanis-mes responsables de ces hémorragies ne sont pas en-tièrement élucidés et semblent être multifactoriels. Ce-pendant, le fait que lors des accouchements par forcepsces hémorragies soient plus fréquentes et plus souventunilatérales, implique dans une certaine mesure un mé-canisme de compression du globe oculaire. De même,ces auteurs ont montré que les hémorragies rétiniennesdu nouveau-né n’étaient pas corrélées à la longueur dutravail et doivent avoir régressé en totalité en moins desix semaines. Néanmoins, un enfant de cette série pré-sentait des séquelles d’hémorragies rétiniennes et sous-rétiniennes bilatérales, sans autre antécédent notablequ’un accouchement ayant duré plus de vingt heures[19-24].
Nous avons également observé deux lésions du nerfoptique avec atrophie secondaire et cécité monoculaire.Ces deux enfants présentaient, outre des lésions ocu-laires graves, des atteintes cérébrales témoignant del’importance du traumatisme et de la mauvaise applica-tion des forceps. Des traumatismes de cette gravitésemblent rares car nous n’avons retrouvé dans la litté-rature que peu de description de telles lésions : un casd’énucléation [25], quelques cas de luxation oculaire[26-28], un cas d’atrophie choriorétinienne [29] et uncas de rupture de la choroïde [30].
Enfin, sur les cas relativement nombreux de lésionscrâniennes, voire cérébrales (trois fractures du crâne,dont deux avec embarrures, et un hématome sous-du-ral), témoins de l’importance des traumatismes subis,nous avons pu observer, pour deux cas, que ces lésionsextra-oculaires se trouvaient à 180
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par rapport à la lé-sion oculaire. Cette particularité spatiale des lésions estun élément non négligeable puisqu’elle permet d’orien-ter, rétrospectivement, le diagnostic étiologique de ver-getures verticales descémétiques, voire de séquellesd’hémorragies rétiniennes lorsque l’examinateur re-trouve une dépression crânienne (occipitale le plus sou-vent) associée [10, 18].
CONCLUSION
Les traumatismes oculaires par forceps, même rares,sont souvent graves et associent de nombreuses lésionstant oculaires que cranio-cérébrales. Il convient doncd’effectuer un bilan complet des lésions oculaires etextra-oculaires, sans hésiter à répéter les examens, voire
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à les réaliser sous anesthésie générale. En effet, un bilanlésionnel initial exhaustif avec une description précisedes lésions revêt une importance tant médico-légaleque diagnostique et thérapeutique. De plus, un examenneurologique clinique et radiologique est recommandépour dépister des complications cérébrales associées.
Enfin, seul un suivi long et rigoureux de ces enfantspeut permettre de limiter les séquelles et traiter lescomplications comme l’amblyopie et les décompensa-tions endothéliales, même si leur traitement est souventdécevant.
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