Toute vie humaine est inviolable · (Mt 10, 7-8; cf. Mc 6, 13; 16, 18). Certes, la vie du corps...

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14 • Questions actuelles La vie dans la vieillesse et dans la souffrance 46. En ce qui concerne les derniers ins- tants de l’existence, il serait anachronique d’attendre de la Révélation biblique une men- tion explicite de la problématique actuelle du respect des personnes âgées ou malades, ni une condamnation explicite des tentatives visant à anticiper par la violence la fin de la vie ; nous sommes là, en effet, dans un contexte culturel et religieux qui, loin d’être exposé à de semblables tentations, reconnaît dans la personne âgée, avec sa sagesse et son expérience, une richesse irremplaçable pour la famille et pour la société. La vieillesse jouit de prestige et elle est entourée de vénération (cf. 2 M 6, 23). Et le juste ne demande pas d’être privé de la vieillesse ni de son fardeau ; au contraire, il prie ainsi : « Seigneur mon Dieu, tu es mon espérance, mon appui dès ma jeunesse… Aux jours de la vieillesse et des cheveux blancs, ne m’abandonne pas, ô mon Dieu ; et je dirai aux hommes de ce temps ta puissance, à tous ceux qui viendront, tes exploits » (Ps 71/70, 5. 18). L’idéal du temps messianique est proposé comme celui où il n’y aura plus « d’homme qui ne parvienne pas au bout de sa vieillesse » (Is 65, 20). Mais, dans la vieillesse, comment faire face au déclin inévitable de la vie ? Comment se comporter devant la mort ? Le croyant sait que sa vie est dans les mains de Dieu : « Seigneur, de toi dépend mon sort » (cf. Ps 16/15, 5), et il accepte aussi de lui la mort : « C’est la loi que le Seigneur a portée sur toute chair, pourquoi se révolter contre le bon plaisir du Très- Haut ? » (Si 41, 4). Pas plus que de la vie, l’homme n’est le maître de la mort ; dans sa vie comme dans sa mort, il doit s’en remettre to- talement au « bon plaisir du Très-Haut », à son dessein d’amour. En mars 1995, le Pape Jean-Paul II a publié son encyclique Evangelium vitae. Ainsi a-t-il répondu aux cardinaux qui, par un vote unanime lors du Consistoire extraordinaire d’avril 1991, lui avait demandé de « réaffirmer avec l’autorité du Successeur de Pierre la valeur de la vie humaine et son inviolabilité, eu égard aux circonstances actuelles et aux attentats qui la menace aujourd’hui » (EV 5). Nous proposons ici les extraits de ce texte qui traitent spécifiquement de la question de l’euthanasie. Aujourd’hui, dès qu’il y a souffrance intolérable, certains revendiquent un droit à la mort, en oubliant que la vie est un don de Dieu. Ils décident alors d’avoir recours à l’euthanasie ou au « suicide assisté », acte que nous ne devons pas confondre avec le renoncement à l’acharnement thérapeutique. Dans les centres de soins palliatifs, les mourants sont accompagnés, dans la dignité et l’amour, jusqu’à la mort. Les médecins peuvent utiliser des analgésiques dans la lutte contre la douleur, dans le mesure où ces analgésiques visent à soulager et non à hâter la mort. S’approprier le pouvoir de faire mourir quelqu’un, c’est risquer de déséquilibrer nos sociétés en terme de justice : le fort disposant de la vie du faible. Au fond de lui, l’homme, quel que soit son état, attend de l’autre un soutien pour continuer d’espérer, en s’appuyant sur la promesse de résurrection que Jésus nous laisse. Dans son encyclique, le Pape cite souvent la déclaration Iura et bona (voir plus haut, p. 7-13), surtout pour souligner les distinctions qu’il faut faire quand on définit ce qu’est l’euthanasie. Le langage qu’il emploie montre aussi l’autorité exceptionnelle de l’enseignement sur cette question : « Je confirme que l’euthanasie est une grave violation de la Loi de Dieu… Cette doctrine est fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu écrite ; elle est transmise par la Tradition de l’Église et enseignée par le Magistère ordinaire et universel » (EV 65). Pour le texte intégral de l’encyclique, voir DC 1995, n° 2114, p. 351-405. Titre de Questions actuelles. RÉSUMÉ PERSPECTIVES FICHE DE LECTURE Toute vie humaine est inviolable

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14 • Questions actuelles

La vie dans la vieillesse et dans la souffrance

46. En ce qui concerne les derniers ins-tants de l’existence, il serait anachroniqued’attendre de la Révélation biblique une men-tion explicite de la problématique actuelle du respect des personnes âgées ou malades,ni une condamnation explicite des tentativesvisant à anticiper par la violence la fin de la vie ; nous sommes là, en effet, dans uncontexte culturel et religieux qui, loin d’êtreexposé à de semblables tentations, reconnaîtdans la personne âgée, avec sa sagesse et sonexpérience, une richesse irremplaçable pourla famille et pour la société.

La vieillesse jouit de prestige et elle est entourée de vénération (cf. 2 M 6, 23). Et lejuste ne demande pas d’être privé de lavieillesse ni de son fardeau ; au contraire, il prie ainsi : « Seigneur mon Dieu, tu es monespérance, mon appui dès ma jeunesse… Auxjours de la vieillesse et des cheveux blancs, nem’abandonne pas, ô mon Dieu ; et je dirai auxhommes de ce temps ta puissance, à tous ceuxqui viendront, tes exploits » (Ps 71/70, 5. 18).L’idéal du temps messianique est proposécomme celui où il n’y aura plus « d’homme quine parvienne pas au bout de sa vieillesse » (Is 65, 20).

Mais, dans la vieillesse, comment faire faceau déclin inévitable de la vie ? Comment secomporter devant la mort? Le croyant sait quesa vie est dans les mains de Dieu : « Seigneur,de toi dépend mon sort » (cf. Ps 16/15, 5), et ilaccepte aussi de lui la mort : « C’est la loi quele Seigneur a portée sur toute chair, pourquoise révolter contre le bon plaisir du Très-Haut ? » (Si 41, 4). Pas plus que de la vie,l’homme n’est le maître de la mort; dans sa viecomme dans sa mort, il doit s’en remettre to-talement au « bon plaisir du Très-Haut », à sondessein d’amour.

En mars 1995, le Pape Jean-Paul II a publiéson encyclique Evangelium vitae. Ainsi a-t-ilrépondu aux cardinaux qui, par un voteunanime lors du Consistoire extraordinaired’avril 1991, lui avait demandé de « réaffirmeravec l’autorité du Successeur de Pierre la valeurde la vie humaine et son inviolabilité, eu égardaux circonstances actuelles et aux attentats qui la menace aujourd’hui » (EV 5). Nousproposons ici les extraits de ce texte qui traitentspécifiquement de la question de l’euthanasie.

Aujourd’hui, dès qu’il y a souffrance intolérable,certains revendiquent un droit à la mort, en oubliant que la vie est un don de Dieu. Ils décident alors d’avoirrecours à l’euthanasie ou au « suicide assisté », acte que nous ne devons pas confondre avec le renoncement à l’acharnement thérapeutique.Dans les centres de soins palliatifs, les mourants sontaccompagnés, dans la dignité et l’amour, jusqu’à lamort. Les médecins peuvent utiliser des analgésiquesdans la lutte contre la douleur, dans le mesure où cesanalgésiques visent à soulager et non à hâter la mort.S’approprier le pouvoir de faire mourir quelqu’un, c’estrisquer de déséquilibrer nos sociétés en terme dejustice : le fort disposant de la vie du faible. Au fond delui, l’homme, quel que soit son état, attend de l’autreun soutien pour continuer d’espérer, en s’appuyant surla promesse de résurrection que Jésus nous laisse.

Dans son encyclique, le Pape cite souvent ladéclaration Iura et bona (voir plus haut, p. 7-13), surtoutpour souligner les distinctions qu’il faut faire quand ondéfinit ce qu’est l’euthanasie. Le langage qu’il emploiemontre aussi l’autorité exceptionnelle de l’enseignementsur cette question : « Je confirme que l’euthanasie est unegrave violation de la Loi de Dieu… Cette doctrine estfondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu écrite ;elle est transmise par la Tradition de l’Église et enseignéepar le Magistère ordinaire et universel » (EV 65).

Pour le texte intégral de l’encyclique, voir DC 1995, n° 2114,p. 351-405. Titre de Questions actuelles.

R É S U M É

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EToute vie humaine est inviolable

Quand il est atteint par la maladie égale-ment, l’homme est appelé à s’en remettre dela même manière au Seigneur et à renouve-ler sa confiance fondamentale en lui, qui « guérit de toute maladie » (cf. Ps 103/102, 3).Lorsque toute perspective de santé semblese fermer devant l’homme – au point del’amener à s’écrier : « Mes jours sont commel’ombre qui décline, et moi, comme l’herbe, jesèche » (Ps 102/101, 12) –, même alors, lecroyant est animé par une foi inébranlable enla puissance vivifiante de Dieu. La maladie nel’incite pas au désespoir ni à la recherche dela mort, mais à l’invocation pleine d’espé-rance : « Je crois, lors même que je dis : “Jesuis trop malheureux” » (Ps 116/115, 10) ; « Quand j’ai crié vers toi, Seigneur, monDieu, tu m’as guéri ; Seigneur, tu m’as faitremonter de l’abîme et revivre quand je des-cendais à la fosse » (Ps 30/29, 3-4).

47. La mission de Jésus, avec les nom-breuses guérisons opérées, montre que Dieua aussi à cœur la vie corporelle de l’homme. « Médecin du corps et de l’esprit » (37), Jésusest envoyé par le Père pour porter la bonnenouvelle aux pauvres et panser les cœursmeurtris (cf. Lc 4, 18 ; Is 61, 1). Envoyant àson tour ses disciples à travers le monde, illeur confie une mission dans laquelle la gué-rison des malades s’accompagne de l’annoncede l’Évangile : « Chemin faisant, proclamezque le Royaume des Cieux est tout proche.Guérissez les malades, ressuscitez les morts,purifiez les lépreux, expulsez les démons »(Mt 10, 7-8 ; cf. Mc 6, 13 ; 16, 18).

Certes, la vie du corps dans sa condition ter-restre n’est pas un absolu pour le croyant : ilpeut lui être demandé de l’abandonner pour unbien supérieur; comme le dit Jésus, « qui veutsauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera »(Mc 8, 35). Il y a à ce sujet un certain nombrede témoignages dans le Nouveau Testament.Jésus n’hésite pas à se sacrifier lui-même et ilfait librement de sa vie une offrande à son Père(cf. Jn 10, 17) et à ses amis (cf. Jn 10, 15). Lamort de Jean Baptiste, précurseur du Sauveur,atteste aussi que l’existence terrestre n’estpas le bien absolu : la fidélité à la parole du

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(37) Saint Ignace d’Antioche, Lettre aux Éphésiens, 7, 2 : SC 10, p. 65. [NDLR : Nous avons gardé la numérotationdes notes du texte original.] (…)

Le 1er octobre 1999, le Pape Jean-Paul II apublié une lettre à l’attention des personnesâgées. Voici sa réflexion sur le danger quereprésente la dévalorisation de la vieillesse dansune société où le concept de l’euthanasie estbanalisé.9. (…) Si l’on s’arrête un instant pour analyser lasituation actuelle, on constate que chez quelquespeuples la vieillesse est estimée et valorisée ; chezd’autres, au contraire, elle l’est beaucoup moins àcause d’une mentalité qui prône l’utilité immédiate etla productivité de l’homme. Une telle attitude amènesouvent à déprécier ce qu’on appelle le troisième oule quatrième âge, et les personnes âgées elles-mêmes en viennent à se demander si leur existenceest encore utile.Avec une insistance croissante, on va jusqu’àproposer l’euthanasie pour résoudre les situationsdifficiles. Malheureusement, ces derniers temps, leconcept d’euthanasie a perdu peu à peu, pourbeaucoup de gens, la connotation d’horreur qu’ellesuscite naturellement lorsqu’on est sensible aurespect de la vie. Il peut arriver, il est vrai, que, dansles cas de maladies graves accompagnées desouffrances insupportables, les personnes éprouvéessoient poussées à l’exaspération, et leurs proches ouceux qui sont chargés de les soigner peuvent sesentir enclins, par une compassion mal comprise, àtenir pour raisonnable la solution de la « mortdouce ». À ce propos, il faut rappeler que la loimorale permet de renoncer à ce qu’on appelle« acharnement thérapeutique » et qu’elle réclameseulement les soins qui entrent dans les exigencesnormales de l’assistance médicale, laquelle estsurtout destinée, dans les maladies incurables, àalléger la douleur. Mais toute autre est l’euthanasie,entendue comme provocation directe de la mort !Malgré les intentions et les circonstances, elledemeure un acte intrinsèquement mauvais, uneviolation de la loi divine, une offense à la dignité dela personne humaine.10. Il est urgent de se replacer dans la perspectivejuste qui consiste à considérer la vie dans sonensemble. Et cette perspective juste, c’est l’éternité,dont la vie, dans chacune de ses étapes, est unepréparation significative. Le temps de la vieillesse, luiaussi, a son rôle à jouer dans ce processus dematuration progressive de l’être humain en marchevers l’éternité. De cette maturation, tout le groupesocial auquel appartient la personne âgée ne pourraque tirer profit.

Pour le texte intégral de cette lettre, voir DC 1999, n° 2214, p. 967-974.

RESPECTER L’HOMME DANS SA VIEILLESSE

Seigneur est plus importante encore, même sielle peut mettre la vie en jeu (cf. Mc 6, 17-29).Et Étienne, alors qu’on lui enlève la vie tem-porelle parce qu’il était un témoin fidèle de laRésurrection du Seigneur, suit les traces duMaître et répond par des mots de pardon àceux qui le lapident (cf. Ac 7, 59-60), ouvrantainsi la voie à l’innombrable cohorte des mar-tyrs vénérés par l’Église dès ses origines.

Toutefois, personne ne peut choisir arbi-trairement de vivre ou de mourir ; ce choix,en effet, seul le Créateur en est le maître ab-solu, lui en qui « nous avons la vie, le mouve-ment et l’être » (Ac 17, 28). (…)

Le drame de l’euthanasie

64. Au terme de l’existence, l’homme setrouve placé en face du mystère de la mort. Enraison des progrès de la médecine et dans uncontexte culturel souvent fermé à la transcen-dance, l’expérience de la mort présente actuel-lement certains aspects nouveaux. En effet,lorsque prévaut la tendance à n’apprécier la vieque dans la mesure où elle apporte du plaisir etdu bien-être, la souffrance apparaît comme unéchec insupportable dont il faut se libérer à toutprix. La mort, tenue pour « absurde » si elle in-terrompt soudainement une vie encore ouverteà un avenir riche d’expériences intéressantes àfaire, devient au contraire une « libération re-vendiquée » quand l’existence est considéréecomme dépourvue de sens dès lors qu’elle estplongée dans la douleur et inexorablementvouée à des souffrances de plus en plus aiguës.

En outre, en refusant ou en oubliant sonrapport fondamental avec Dieu, l’hommepense être pour lui-même critère et norme, etil estime aussi avoir le droit de demander à lasociété de lui garantir la possibilité et lesmoyens de décider de sa vie dans une pleineet totale autonomie. C’est en particulierl’homme des pays développés qui se comporteainsi ; il se sent porté à cette attitude par lesprogrès constants de la médecine et de sestechniques toujours plus avancées. Par desprocédés et des machines extrêmement so-phistiqués, la science et la pratique médicalessont maintenant en mesure non seulement derésoudre des cas auparavant insolubles et d’al-léger ou d’éliminer la douleur, mais encore demaintenir et de prolonger la vie jusque dansdes cas d’extrême faiblesse, de réanimer arti-ficiellement des personnes dont les fonctionsbiologiques élémentaires ont été atteintes parsuite de traumatismes soudains et d’interve-nir pour rendre disponibles des organes envue de leur transplantation.

Dans ce contexte, la tentation de l’euthana-sie se fait toujours plus forte, c’est-à-dire latentation de se rendre maître de la mort en laprovoquant par anticipation et en mettant finainsi « en douceur » à sa propre vie ou à la vied’autrui. Cette attitude, qui pourrait paraître lo-gique et humaine, se révèle en réalité absurdeet inhumaine, si on la considère dans toute saprofondeur. Nous sommes là devant l’un des

L’hommepossède desmoyens deplus en plussophistiquésqui lui permettentde déciderde sa viedans uneautonomietoujours plus grande.

Dans un contexte culturelsouvent fermé à latranscendance, l’expériencede la mort présente certains aspects nouveaux.

16 • Questions actuelles

tue, entre autres, le problème de la licéité durecours aux divers types d’analgésiques et desédatifs pour soulager la douleur du malade,lorsque leur usage comporte le risque d’abré-ger sa vie. De fait, si l’on peut juger digned’éloge la personne qui accepte volontaire-ment de souffrir en renonçant à des inter-ventions antidouleur pour garder toute sa luci-dité et, si elle est croyante, pour participer demanière consciente à la Passion du Seigneur,un tel comportement « héroïque » ne peut êtreconsidéré comme un devoir pour tous. Pie XIIavait déjà déclaré qu’il est licite de supprimerla douleur au moyen de narcotiques, mêmeavec pour effet d’amoindrir la conscience etd’abréger la vie, « s’il n’existe pas d’autresmoyens, et si, dans les circonstances données,cela n’empêche pas l’accomplissement d’autresdevoirs religieux et moraux » (79). (•) Dans ce

symptômes les plus alarmants de la « culturede mort », laquelle progresse surtout dans lessociétés du bien-être, caractérisées par unementalité utilitariste qui fait apparaître troplourd et insupportable le nombre croissant despersonnes âgées et diminuées. Celles-ci sonttrès souvent séparées de leur famille et de lasociété, qui s’organisent presque exclusive-ment en fonction de critères d’efficacité pro-ductive, selon lesquels une incapacité irréver-sible prive une vie de toute valeur.

65. Pour porter un jugement moral correctsur l’euthanasie, il faut avant tout la définirclairement. Par euthanasie au sens strict, ondoit entendre une action ou une omission qui,de soi et dans l’intention, donne la mort afinde supprimer ainsi toute douleur. « L’eutha-nasie se situe donc au niveau des intentionset à celui des procédés employés » (76).

Il faut distinguer de l’euthanasie la décision derenoncer à ce qu’on appelle l’« acharnementthérapeutique », c’est-à-dire à certaines in-terventions médicales qui ne conviennentplus à la situation réelle du malade, parcequ’elles sont désormais disproportionnéespar rapport aux résultats que l’on pourrait es-pérer ou encore parce qu’elles sont troplourdes pour lui et pour sa famille. Dans cessituations, lorsque la mort s’annonce immi-nente et inévitable, on peut en conscience « renoncer à des traitements qui ne procure-raient qu’un sursis précaire et pénible de lavie, sans interrompre pourtant les soins nor-maux dus au malade en pareil cas » (77). Il estcertain que l’obligation morale de se soigneret de se faire soigner existe, mais cette obli-gation doit être confrontée aux situationsconcrètes ; c’est-à-dire qu’il faut déterminersi les moyens thérapeutiques dont on disposesont objectivement en proportion avec lesperspectives d’amélioration. Le renoncementà des moyens extraordinaires ou dispropor-tionnés n’est pas équivalent au suicide ou àl’euthanasie; il traduit plutôt l’acceptation de lacondition humaine devant la mort (78).

Dans la médecine moderne, ce qu’on appelleles « soins palliatifs » prend une particulièreimportance ; ces soins sont destinés à rendrela souffrance plus supportable dans la phase fi-nale de la maladie et à rendre possible enmême temps pour le patient un accompagne-ment humain approprié. Dans ce cadre se si-

(•) Voir aussiencadré p. 11.

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(76) Congrégation pour la Doctrine de la foi, Déclaration surl’euthanasie Iura et bona (5 mai 1980), II : AAS 72 (1980), p. 546.(77) Ibid., IV, l. c., p. 551.(78) Cf. ibid.(79) Discours à un groupe international de médecins (24 fé-vrier 1957), III : AAS 49 (1957), p. 147 ; cf. Congrégationpour la Doctrine de la foi, Déclaration sur l’euthanasie Iuraet bona (5 mai 1980), III : AAS 72 (1980), p. 547-548.

Le rapport « Quelques questions d’éthiquerelatives aux grands malades et aux mourants »,publié en 1981 par le Conseil pontifical « CorUnum » (voir « Pour aller plus loin », p. 13), fait écho à la manière dont des personnes du Tiers Monde envisage la fin de la vie :Les membres du groupe en provenance du TiersMonde ont désiré qu’on mette en évidencel’importance pour l’homme de terminer ses jours, autant que possible, dans l’intégrité de sapersonnalité et des relations qu’entretient celle-ci avec son milieu, avant tout avec sa famille. Dans des nations moins développées techniquement, mais aussi moins sophistiquées, la famille entoure le mourant et celui-ci éprouve comme un besoin et un droit essentiel d’être ainsi entouré. Devant les conditions d’exécution de certaines thérapeutiqueset l’isolement total qu’elles imposent au malade,il n’est pas hors de propos de mentionner que le droit de mourir en homme et avec dignitécomporte cette dimension sociale.

Voir Biologie, médecine et éthique, p. 425-426.

LA DIMENSION SOCIALE DE LA MORT

cas, en effet, la mort n’est pas voulue ou re-cherchée, bien que pour des motifs raisonnableson en courre le risque : on veut simplementatténuer la douleur de manière efficace en re-courant aux analgésiques dont la médecinepermet de disposer. Toutefois, « il ne faut pas,sans raisons graves, priver le mourant de laconscience de soi » (80) : à l’approche de lamort, les hommes doivent être en mesure depouvoir satisfaire à leurs obligations moraleset familiales, et ils doivent surtout pouvoir sepréparer en pleine conscience à leur rencontredéfinitive avec Dieu.

Ces distinctions étant faites, en conformitéavec le Magistère de mes Prédécesseurs (81)et en communion avec les évêques de l’Églisecatholique, je confirme que l’euthanasie estune grave violation de la Loi de Dieu, en tantque meurtre délibéré moralement inaccep-table d’une personne humaine. Cette doctrineest fondée sur la loi naturelle et sur la Parolede Dieu écrite ; elle est transmise par laTradition de l’Église et enseignée par leMagistère ordinaire et universel (82).

Une telle pratique comporte, suivant lescirconstances, la malice propre au suicide ouà l’homicide.

66. Or, le suicide est toujours morale-ment inacceptable, au même titre que l’ho-micide. La tradition de l’Église l’a toujoursrefusé, le considérant comme un choix gra-vement mauvais (83). Bien que certainsconditionnements psychologiques, culturelset sociaux puissent porter à accomplir ungeste qui contredit aussi radicalement l’in-clination innée de chacun à la vie, atténuantou supprimant la responsabilité personnelle,le suicide, du point de vue objectif, est un acte gravement immoral, parce qu’ilcomporte le refus de l’amour envers soi-même et le renoncement aux devoirs dejustice et de charité envers le prochain, en-vers les différentes communautés dont onfait partie et envers la société dans son en-semble (84). En son principe le plus pro-fond, il constitue un refus de la souverainetéabsolue de Dieu sur la vie et sur la mort,telle que la proclamait la prière de l’antiquesage d’Israël : « C’est toi qui as pouvoir sur la vie et sur la mort, qui fais descendreaux portes de l’Hadès et en fais remonter »(Sg 16, 13 ; cf. Tb 13, 2).

Partager l’intention suicidaire d’une autrepersonne et l’aider à la réaliser, par ce qu’onappelle le « suicide assisté », signifie que l’onse fait collaborateur, et parfois soi-même ac-teur, d’une injustice qui ne peut jamais êtrejustifiée, même si cela répond à une demande.« Il n’est jamais licite – écrit saint Augustin (•)avec une surprenante actualité – de tuer unautre, même s’il le voulait, et plus encore s’ille demandait parce que, suspendu entre la vie

(•) SaintAugustin (354-430), Pèreet Docteur del’Église, s’estconverti en 387.Les Confessionset La Cité deDieu figurentparmi les grandsclassiques de la littératureuniverselle.

En 1983, suite à plusieurs publications en faveurde l’euthanasie et du suicide (et notamment lelivre Suicide, mode d’emploi), les communautésissues de la Bible ont publié la Déclarationsuivante :La vie humaine est un don de Dieu. Le reconnaître,c’est fonder la dignité et la responsabilité del’homme. Tout être porte en lui l’image de sonCréateur. Au sein de l’ensemble de la création,chaque personne est dotée d’un prix inestimable.Mais tout homme a besoin de solidarité ; constatantque notre société conduit certains de ses membres à la désespérance, nous appelons à l’écoute et à la compréhension de tous ceux qui perdent l’espoir dans leur lutte contre la solitude.Nous éprouvons fortement le besoin d’affirmer que la vie a un sens, une valeur et un but, qui nourrissentnos convictions et nos espérances. Selon l’Écriture : «Vois, je te propose aujourd’hui la vie et lebonheur… Tu choisiras la vie ! » (Dt 30, 15-20).

Voir DC 1983, n° 1856, p. 763. Cette Délaration a été signée par Mgr Meletios, président du Comité interépiscopal orthodoxe de France,René-Samuel Sirat, grand rabbin de France, Pasteur Jacques Maury, président de la Fédération protestante de France, et Mgr Jean Vilnet, président de la Conférence épiscopale de France.

À L’ÉCOUTE DE CEUX QUI PERDENT L’ESPOIR

18 • Questions actuelles

(80) Pie XII, Discours à un groupe international de méde-cins (24 février 1957), III : AAS 49 (1957), p. 145.(81) Cf. Pie XII, Discours à un groupe international de mé-decins (24 février 1957) : AAS 49 (1957), p. 129-147 ;Congrégation du Saint-Office, Decretum de directa inson-tium occisione (2 décembre 1940): AAS 32 (1940), p. 553-554; Paul VI, Message à la télévision française : « Toute vieest sacrée » (27 janvier 1971) : Insegnamenti IX (1971), p. 57-58 [DC, 1971, p. 156] ; Discours à l’InternationalCollege of Surgeons (1er juin 1972): AAS 64 (1972), p. 432-436; Gaudium et spes, 27.(82) Lumen gentium, 25.(83) Cf. St. Augustin, La Cité de Dieu I, 20 : CCL 47, 22 ; St. Thomas d’Aquin, Somme théologique, II-II, q. 6, a. 5.(84) Cf. Congrégation pour la Doctrine de la foi, Déclar. surl’euthanasie Iura et bona (5 mai 1980), I : AAS 72 (1980), p. 545; Catéchisme de l’Église catholique, n. 2281-2283.

mande qui monte du cœur de l’homme danssa suprême confrontation avec la souffranceet la mort, spécialement quand il est tenté dese renfermer dans le désespoir et presque des’y anéantir, est surtout une demande d’ac-compagnement, de solidarité et de soutiendans l’épreuve. C’est un appel à l’aide pourcontinuer d’espérer, lorsque tous les espoirshumains disparaissent. Ainsi que nous l’arappelé le Concile Vatican II, « c’est en facede la mort que l’énigme de la condition hu-maine atteint son sommet » pour l’homme ;et pourtant « c’est par une inspiration justede son cœur qu’il rejette et refuse cetteruine totale et ce définitif échec de sa per-sonne. Le germe d’éternité qu’il porte en lui,irréductible à la seule matière, s’insurgecontre la mort » (86).

et la mort, il supplie d’être aidé à libérer sonâme qui lutte contre les liens du corps et dé-sire s’en détacher ; même si le malade n’étaitplus en état de vivre cela n’est pas licite » (85). Alors même que le motif n’estpas le refus égoïste de porter la charge del’existence de celui qui souffre, on doit direde l’euthanasie qu’elle est une fausse pitié, etplus encore une inquiétante « perversion »de la pitié : en effet, la vraie « compassion »rend solidaire de la souffrance d’autrui, maiselle ne supprime pas celui dont on ne peutsupporter la souffrance. Le geste de l’eutha-nasie paraît d’autant plus une perversion qu’ilest accompli par ceux qui – comme la famille– devraient assister leur proche avec pa-tience et avec amour, ou par ceux qui, en rai-son de leur profession, comme les médecins,devraient précisément soigner le malademême dans les conditions de fin de vie lesplus pénibles. (•)

Le choix de l’euthanasie devient plusgrave lorsqu’il se définit comme un homi-cide que des tiers pratiquent sur une per-sonne qui ne l’a aucunement demandé et quin’y a jamais donné aucun consentement. Onatteint ensuite le sommet de l’arbitraire etde l’injustice lorsque certaines personnes,médecins ou législateurs, s’arrogent le pou-voir de décider qui doit vivre et qui doitmourir. Cela reproduit la tentation del’Eden : devenir comme Dieu, « connaître lebien et le mal » (cf. Gn 3, 5). Mais Dieu seula le pouvoir de faire mourir et de fairevivre : « C’est moi qui fais mourir et qui faisvivre » (Dt 32, 39 ; cf. 2 R 5, 7 ; 1 S 2, 6). Ilfait toujours usage de ce pouvoir selon undessein de sagesse et d’amour, et seule-ment ainsi. Quand l’homme usurpe ce pou-voir, dominé par une logique insensée etégoïste, l’usage qu’il en fait le conduit inévi-tablement à l’injustice et à la mort. La vie duplus faible est alors mise entre les mains duplus fort ; dans la société, on perd le sens dela justice et l’on mine à sa racine laconfiance mutuelle, fondement de tout rap-port vrai entre les personnes.

67. Tout autre est au contraire la voie del’amour et de la vraie pitié, que notre com-mune humanité requiert et que la foi auChrist Rédempteur, mort et ressuscité,éclaire de nouvelles motivations. La de-

(•) À ce propos,voir le Sermentd’Hippocrate,encadré p. 34.(••) Dans leurdéclaration « Respecterl’homme prochede la mort », les évêques deFrance parlent,eux aussi, de cette fausse pitié, critiquée par le pape (voir p. 23).

La vraie « compassion » rendsolidaire de la souffranced’autrui, mais elle nesupprime pas celui dont on nepeut supporter la souffrance.

Au Centre de documentation en éthiquebiomédicale, on peut consulter 2 000 ouvrages et 5 000 articles, répertoriés par auteur et matière.L’objectif du Centre est de rendre accessible lesouvrages et documents de base « qui permettentd’entreprendre ou d’approfondir une rechercheéthique en en respectant les dimensions médicale,culturelle, philosophique, voire théologique ». Parmi les rubriques spécialement développées setrouvent le soin des malades en fin de vie et les étatsvégétatifs. Le Centre rassemble les textes officiels,les rapports de commissions gouvernementales, les recommandations d’autorités morales etreligieuses, et ainsi de suite, sur ces questions.

Adresse : 12, rue d’Assas, 75006 Paris (tél. 01 45 44 18 99). Le Centre est ouvert aux enseignants, chercheurs, étudiants et professionnels de la santé.

POUR SE DOCUMENTER

Juillet-Août 2001 • 19

(85) Lettre 204, 5 : CSEL 57, 320.(86) Gaudium et spes, 18.

20 • Questions actuelles

Cette répulsion naturelle devant la mort estéclairée et ce germe d’espérance en l’immor-talité est accompli par la foi chrétienne, quipromet et permet de participer à la victoire duChrist ressuscité, la victoire de Celui qui, parsa mort rédemptrice, a libéré l’homme de lamort, rétribution du péché (cf. Rm 6, 23), et luia donné l’Esprit, gage de résurrection et de vie(cf. Rm 8, 11). La certitude de l’immortalité fu-ture et l’espérance de la résurrection promiseprojettent une lumière nouvelle sur le mystèrede la souffrance et de la mort; elles mettent aucœur du croyant une force extraordinaire pours’en remettre au dessein de Dieu.

L’apôtre Paul a traduit cette conceptionnouvelle sous la forme de l’appartenance radi-cale au Seigneur, qui concerne l’homme danstoutes les situations : « Nul d’entre nous nevit pour soi-même, comme nul ne meurt poursoi-même; si nous vivons, nous vivons pour leSeigneur, et si nous mourons, nous mouronspour le Seigneur. Donc, dans la vie commedans la mort, nous appartenons au Seigneur »(Rm 14, 7-8). Mourir pour le Seigneur signifievivre sa mort comme un acte suprême

d’obéissance au Père (cf. Ph 2, 8), en accep-tant de l’accueillir à l’« heure » voulue et choi-sie par lui (cf. Jn 13, 1), qui seul peut direquand est achevé notre chemin terrestre.Vivre pour le Seigneur signifie aussi recon-naître que la souffrance, demeurant en elle-même un mal et une épreuve, peut toujoursdevenir une source de bien. Elle le devient sielle est vécue par amour et avec amour,comme participation à la souffrance même duChrist crucifié, par don gratuit de Dieu et parchoix personnel libre. Ainsi, celui qui vit sasouffrance dans le Seigneur lui est plus plei-nement conformé (cf. Ph 3, 10 ; 1 P 2, 21) etest intimement associé à son œuvre rédemp-trice pour l’Église et pour l’humanité (87).C’est là l’expérience de l’Apôtre que toutepersonne qui souffre est appelée à revivre : « Je trouve ma joie dans les souffrances quej’endure pour vous, et je complète en ma chairce qui manque aux épreuves du Christ pourson Corps, qui est l’Église » (Col 1, 24). ■

(87) Cf. le Pape Jean-Paul II, Lettre apost. Salvifici doloris(11 février 1984), n. 14-24 : AAS 76 (1984), p. 214-234.

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