20 Mai 2018 * PentecôtE © bernard.dumec471@orange restre et le monde céleste : elle est un lieu...

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1 Nous avons là, une allusion volontaire au Sabbat (fondé sur le 7° jour de Gn 2,2), ce qui donne une valeur particulière à la rencontre qui va avoir lieu entre Dieu et « son peuple ». Ainsi, dans la liturgie juive, ce jour clôture la « Fête des sept se- maines » ; il est devenu le jour où l’on célèbre la conclusion de l’Alliance. (7 X 7 = 49, + 1 = 50), cela se passait donc le cinquantième jour après la Pâque, qui, sous l’influence de la Bible grecque, prit le nom de « Pentecôte ». L’Eglise du 1° siècle a choisi de fixer ce jour-là, le don de l’Esprit Saint. Une manière de christianiser cette fête juive, que le Judaïsme avait lui-même empruntée au monde païen qui célébrait à cette date, 50 jours après la pleine lune de printemps, le don des Récoltes. Quoique superposées, ces fêtes ont un soubassement commun : célébrer la divinité (Dieu), pour un don (récoltes, Loi, Esprit). La description de la manifestation divine (théophanie) vient du vocabulaire et des images du « sacré » : l’orage a toujours été lu par les peuples antiques, comme une manifestation de la divinité. « La montagne », quant à elle, est le lieu par excellence de la jonction entre le monde ter- restre et le monde céleste : elle est un lieu symbo- lique fort de la rencontre avec « le divin ». du livre de l’Exode (Ex 19, 1-20 : extraits) Le troisième mois à partir de leur sortie d’Egypte, les Israélites arrivè- rent au désert du Sinaï et campèrent face à la montagne.] Moïse monta vers Dieu. Le Seigneur l’appe- la du haut de la montagne : « Tu diras à la maison de Jacob,… vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte…. Moïse revint et convoqua les anciens du peuple, il leur exposa tout ce que le Seigneur avait ordonné… Le troisième jour, dès le matin, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs, une lourde nuée sur la montagne, et une puissante sonnerie de cor ; dans le camp, tout le peuple trembla…. La montagne du Sinaï était toute fumante, car le Seigneur y était descendu dans le feu … et toute la montagne tremblait violemment. La sonnerie du cor était de plus en plus puis- sante…. Le Seigneur descendit sur le sommet du Sinaï, il appela Moïse sur le sommet de la montagne. 20 Mai 2018 * PentecôtE * © [email protected] 1° lecture (messe de la veille) Nous connaissons le texte de la messe du jour dans lequel, sous forme de récit merveilleux, Lc essaie de rendre compte de la venue de l’Es- prit. Certes, la prise de conscience de sa pré- sence et de son action, s’est faite petit à petit, mais il fallait « fixer » en un temps et en un lieu, cette venue de l’Esprit Saint qui, dans la tradi- tion adoptée par la Grande Eglise, est devenue le jour de sa fondation. La Grande Eglise… car la tradition johannique, suggère le don de l’Es- prit au moment de la mort de Jésus (Il remit l’Esprit, Jn 19,30) mais l’affirme au soir de Pâques (Recevez l’Esprit Saint, Jn 20,22). J’ai choisi comme lecture, une parmi celles que propose la liturgie pour la messe de la veille, car c’est ce texte de la descente de Dieu au Si- naï pour donner la Loi, qui a servi de référence à Lc pour composer son texte d’Ac 2,1-11. L’arrivée du Peuple dans le désert du Sinaï, son campement face à la montagne de Dieu sont ici volontairement datés, écrit Thomas Römer : il s’agit du 1° jour du troisième mois après la sor- tie d’Egypte, chaque mois commençant à la pleine Lune. Ce détail signifie que « le peuple de Dieu » arriva au pied du Sinaï, au début de la « septième semaine » !

Transcript of 20 Mai 2018 * PentecôtE © bernard.dumec471@orange restre et le monde céleste : elle est un lieu...

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Nous avons là, une allusion volontaire au Sabbat

(fondé sur le 7° jour de Gn 2,2), ce qui donne une

valeur particulière à la rencontre qui va avoir lieu

entre Dieu et « son peuple ». Ainsi, dans la liturgie

juive, ce jour clôture la « Fête des sept se-

maines » ; il est devenu le jour où l’on célèbre la

conclusion de l’Alliance. (7 X 7 = 49, + 1 = 50),

cela se passait donc le cinquantième jour après la

Pâque, qui, sous l’influence de la Bible grecque,

prit le nom de « Pentecôte ».

L’Eglise du 1° siècle a choisi de fixer ce jour-là, le

don de l’Esprit Saint. Une manière de christianiser

cette fête juive, que le Judaïsme avait lui-même

empruntée au monde païen qui célébrait à cette

date, 50 jours après la pleine lune de printemps,

le don des Récoltes. Quoique superposées, ces

fêtes ont un soubassement commun : célébrer la

divinité (Dieu), pour un don (récoltes, Loi, Esprit).

La description de la manifestation divine

(théophanie) vient du vocabulaire et des images

du « sacré » : l’orage a toujours été lu par les

peuples antiques, comme une manifestation de la

divinité. « La montagne », quant à elle, est le lieu

par excellence de la jonction entre le monde ter-

restre et le monde céleste : elle est un lieu symbo-

lique fort de la rencontre avec « le divin ».

du livre de l’Exode (Ex 19, 1-20 : extraits)

Le troisième mois à partir de leur sortie d’Egypte, les Israélites arrivè-rent au désert du Sinaï et campèrent face à la montagne.] Moïse monta vers Dieu. Le Seigneur l’appe-la du haut de la montagne : « Tu diras à la maison de Jacob,… vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte…. Moïse revint et convoqua les anciens du peuple, il leur exposa tout ce que le Seigneur avait ordonné… Le troisième jour, dès le matin, il y eut des coups de tonnerre, des éclairs, une lourde nuée sur la montagne, et une puissante sonnerie de cor ; dans le camp, tout le peuple trembla…. La montagne du Sinaï était toute fumante, car le Seigneur y était descendu dans le feu … et toute la montagne tremblait violemment. La sonnerie du cor était de plus en plus puis-sante…. Le Seigneur descendit sur le sommet du Sinaï, il appela Moïse sur le sommet de la montagne.

20 Mai 2018 * PentecôtE * © [email protected]

1° lecture (messe de la veille)

Nous connaissons le texte de la messe du jour

dans lequel, sous forme de récit merveilleux, Lc

essaie de rendre compte de la venue de l’Es-

prit. Certes, la prise de conscience de sa pré-

sence et de son action, s’est faite petit à petit,

mais il fallait « fixer » en un temps et en un lieu,

cette venue de l’Esprit Saint qui, dans la tradi-

tion adoptée par la Grande Eglise, est devenue

le jour de sa fondation. La Grande Eglise… car

la tradition johannique, suggère le don de l’Es-

prit au moment de la mort de Jésus (Il remit

l’Esprit, Jn 19,30) mais l’affirme au soir de

Pâques (Recevez l’Esprit Saint, Jn 20,22).

J’ai choisi comme lecture, une parmi celles que

propose la liturgie pour la messe de la veille,

car c’est ce texte de la descente de Dieu au Si-

naï pour donner la Loi, qui a servi de référence

à Lc pour composer son texte d’Ac 2,1-11.

L’arrivée du Peuple dans le désert du Sinaï, son

campement face à la montagne de Dieu sont ici

volontairement datés, écrit Thomas Römer : il

s’agit du 1° jour du troisième mois après la sor-

tie d’Egypte, chaque mois commençant à la

pleine Lune. Ce détail signifie que « le peuple

de Dieu » arriva au pied du Sinaï, au début de la

« septième semaine » !

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selon saint Jean (Jn 15, 26-27 ; 16, 12-15) En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Quand viendra le Défenseur, que je vous enverrai d’auprès du Père, lui, l’Esprit de vérité

qui procède du Père, il rendra témoignage en ma faveur. Et vous aussi, vous allez rendre témoignage, car vous êtes avec moi depuis le commencement. […] J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instant vous ne pouvez pas les porter. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous con-duira dans la vérité tout entière. En effet, ce qu’il dira ne viendra pas de lui-même : mais ce qu’il aura entendu, il le dira ; et ce qui va venir, il vous le fera connaître. Lui me glorifiera, car il recevra ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. Tout ce que possède le Père est à moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : L’Esprit reçoit ce qui vient de moi pour vous le faire connaître. »

Si les premiers chrétiens liaient le don de l’Esprit au départ du Christ (comme le montre l’évangile de Jn), ou s’ils plaçaient l’Esprit à l’origine de leur foi (1 Co 12,3 ; Ga 3,2 ; 1 Jn 3,24), Lc est le seul à ériger ce don en une venue extraordinaire, et à en faire l’acte fondateur de la 1° communauté, et, par de-là, de l’Eglise. Mais s’il a voulu faire naître cette dernière et sa mission du don de l’Esprit, c’est qu’il se base aussi sur ce que la tradition dit de Jé-sus : c’est le même scénario que celui du début de son activité publique où se succèdent la descente de l’Esprit (lors de son Baptême) et le démarrage de sa prédication. L’analogie est parlante, écrit Da-niel Marguerat. Comme le ministère du Christ, l’Eglise naît d’un don qui la fonde. Elle trouve son origine en dehors d’elle-même. Elle est aussi une communauté diverse où l’Esprit assure la commu-nication universelle !

N’oublions pas que ce texte fait partie d’un dis-cours, mis sur les lèvres de Jésus par le dernier rédacteur du IV° évangile, entre 85 et 95 ! L’auteur (et sa communauté) considère l’Esprit comme une personne qui est venue prendre la place du Christ après le départ de ce dernier, afin de continuer son œuvre de révélation. (le futur des verbes est un effet littéraire). De façon plus précise, écrivent les P. Boismard et Lamouille, le rédacteur veut montrer que l’Esprit accomplit le « retour » du Christ qu’at-tendait la tradition chrétienne primitive. On espérait un retour imminent de ce dernier, c’est l’Esprit qui est venu. Ce n’est donc plus Jésus qui viendra chercher ses disciples, comme le croyait les premiers chrétiens, c’est l’Esprit qui viendra (qui vient) demeurer en eux ! Cet Esprit, il est nommé d’abord Paraclet, Le mot grec correspond au latin ‘advocatus’ (> avocat). Dans la tradition juive, le Paraclet est opposé à l’Accusateur (Satan) : de là le mot Dé-fenseur de la traduction liturgique, car c’est lui qui défendra le pécheur devant le tribunal di-vin. Si Satan se situe dans l’ordre de la justice, le Paraclet se situe dans celui de la miséricorde.

Evangile

L’exégèse ancienne (celle des Pères de l’Eglise) a interprété ce miracle de communication qui se réalise à Pentecôte, comme l’antitype et la réparation de Babel (Gn 11,1-9). Si Babel était l’origine de la diversité des langues et de la di-vision des peuples, l’Esprit oppose une unité dans la diversité : l’Esprit Saint vole vers eux sous la figure de langues de feux, afin de ramener l’unité, sur la terre livrée à la division », commente Jean Chry-sostome. Mais les points d’appui d’une telle lecture sont reconnus comme faibles, aujour-d’hui, d’autant que Pentecôte ne restaure pas un langage unique, mais tient pour miraculeux le fait que l’Esprit, au sein de notre humanité, « parle » à travers toutes les langues. C’est la même Parole divine qui devient accessible à tous : Il n’y a plus de « langue sacrée » !

Mais le verbe d’où vient le mot « paraclet », s’il exprime en premier un sens juridique, a aussi le sens d’encourager, de « consoler » ! Chez Jn, le mot ne se rattache pas au 1° sens du verbe, mais au 2nd ! (La traduction Défenseur, n’est donc pas juste.) Il semble que ce glissement de sens vienne de Lc qui utilise le mot paraclèse (consolation) plusieurs fois dans ses livres. (Ex. L’Eglise se multipliait par la « paraclèse », traduit par « aide » ou « grâce » du St Esprit . Ac 9,31). Quelle est donc cette action du Paraclet ? Elle est souvent traduite par encourager, affermir dans la foi, ou exhorter pour persévérer. Ce rôle de « paraclèse » est partout lié à la Parole. Or, la pa-raclèse (exhortation, encouragement, consola-tion, et non défense) est une des fonctions essen-tielles des prophètes chrétiens, elle comporte en elle aussi le sens d’enseignement. Cela rejoint bien le second titre donné à l’Esprit dans notre texte : celui d’enseigner la vérité. L’expression « Esprit de vérité », a été emprun-tée par le rédacteur à la pensée de Qoumrân. Ce-la ne peut être mis en doute, écrivent nos exé-gètes. Dans cette communauté, on opposait l’es-prit de vérité à l’esprit d’égarement.

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Si le Paraclet est traduit par Défenseur … C’est

aussi en fonction des synoptiques : cf. Mt 10,20

où sa mission est de défendre les croyants tra-

duits devant les tribunaux ; Mc 13,11 et Lc

12,12, où il a un rôle juridique. Or, ce n’est pas le

cas chez Jn qui ne parle jamais de tribunaux ou

de juges. La fonction du Paraclet n’est pas orien-

tée contre le monde pour le confondre, mais vers

les disciples, pour affermir leur foi, écrit le P? Xa-

vier Léon-Dufour. Plus loin, (dans la 2nde partie

du texte), il est dit que Jésus a encore des

choses à dire. Lesquelles ? Alors que le Jésus

terrestre est entré dans le silence, le Paraclet va

à présent transmettre au monde le « parler » du

Christ glorifié. Il va communiquer ce qui appar-

tient en propre au Ressuscité : guider vers la véri-

té qu’il a commencé à apporter pendant son mi-

nistère (Dieu est Père), transmettre ce qu’il aura

entendu (l’amour et la miséricorde pour tous) et

communiquer que Jésus est bien le Fils.

Le « parler » de l’Esprit ne touche pas les oreilles,

comme le faisait la parole de Jésus, mais il at-

teint le cœur de chaque croyant pour prolonger la

révélation, mais dans un mode « spirituel ».

Il va communiquer ce qui viendra, dit le texte,

c’est à dire qu’il révèlera le sens de l’Histoire et

aidera les croyants à réagir face aux évènements

qui adviendront tout au long de la suite des

siècles, du temps des hommes !

Pour les théologiens, écrit Charles l’Eplattenier, Jn dit ici que l’Esprit vient d’auprès du Père, il ne dit pas qu’il vient (qu’il procède) « du Père et du Fils ». Pris isolément, ce verset appuierait le refus des théologiens orientaux, dans la fameuse que-relle du « filioque » (et du Fils) où les occidentaux prétendent que l’Esprit « procède et du Père et du Fils (filio-que) ». (Ce fut un point stratégique du schisme entre l’Orient et l’Occident). Mais les subtilités de la théologie trinitaire ulté-rieure auraient sans doute étonné les auteurs du Nouveau Testament. La foi du IV° évangile est « trinitaire » certes, mais l’évangéliste ne l’a ni conceptualisée, ni fixée comme un dogme…. Il me paraît souhaitable, écrit encore C. L’Eplatte-nier, de garder l’image impliquée dans le verbe grec que nous traduisons souvent par « me-ner » : il vous mènera vers la vérité tout entière. En effet, le verbe grec devrait se traduire par « faire cheminer » suivi, dans plusieurs bons manuscrits, par « vers ». Il y a dans ce verbe l’idée d’un che-minement progressif vers la vérité. Mais il ne s’agit pas d’une vérité abstraite qu’on pourrait acquérir définitivement par un acte de l’intelli-gence. Si le Fils est la vérité, Jn tient à souligner qu’on ne peut l’approcher que par une démarche d’amour toujours à renouveler.

La différence fondamentale d’avec Qoumrän, c’est que dans le IV° évangile, « l’esprit de vérité » est une Personne. Son rôle est d’enseigner (14,26), de conduire les hommes dans toute la véri-té (16,13), de réfuter les arguments du monde (16,8-11), de rendre témoignage à la résurrec-tion de Jésus (15,26). Tout cela correspond à l’action du Paraclet, concluent nos exégètes. (Dans la 1° de Jn, le même auteur dira même que l’Esprit est vérité.)

La conception johannique du rôle de l’Esprit Saint qui trouve ici son apogée, est de grande im-portance, continue Charles L’Eplattenier. D’une part, il exclut tout illuminisme spirituel. Le présupposé de certains mouvements chré-tiens à travers les âges (qui a mené parfois à la dissidence), a souvent été que la Pentecôte a fait entrer les croyants dans une « troisième ère » de la Révélation, l’ère de l’Esprit, leur permet-tant ainsi de légitimer de nouvelles vérités, inconnues de l’évangile. Or, pour Jn, l’Esprit n’invente rien, c’est l’unique révélation, incarnée historiquement, qu’il est chargé de faire com-prendre dans toutes ses dimensions et d’en faire découvrir les conséquences dans « l’aujourd’hui » de chaque génération de croyants. D’autre part, cette conception permet de réfuter une certaine forme de fondamentalisme qui consiste à croire que les évangiles ont été écrits de façon quasi immédiate, après la mort de Jé-sus par les témoins oculaires. On nie alors que les textes soient l’aboutissement d’un long temps de maturation : ce qu’a démontré l’exégèse historique. C’est sous l’action de l’Esprit que des paroles de Jésus ont été transmises oralement, puis par écrit. Mais les rédacteurs n’avaient pas le souci d’une fidélité littérale, sinon celle d’interpréter le message du Christ à la lumière de Pâques et dans un approfondissement de la foi, que l’Esprit opérait dans leur communauté. Ceux qui ont clôturé le canon (liste officielle) du Nouveau Testament, ont implicitement confir-mé que les relectures, les commentaires, les compositions de récits en fonction de la pensée du Maître, étaient aussi inspirés que les « authentiques paroles » du Jésus historique. D’ailleurs, pour eux comme pour les évangélistes, cette question ne se posait pas : l’Esprit était à l’œuvre dans tous les écrits reconnus, par leur(s) communauté(s) …. et cela leur suffisait !

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Homélie Pentecôte (le 20, 9h30 ; Luc-sur-Orbieu)

L’homme de la Bible est un oriental, plus précisément un sémite. C’est un poète qui sait qu’il ne peut rendre compte de quelque chose de profond, qu’en utilisant un langage autre que ce-lui de chaque jour et que nous appelons le langage merveilleux. Il sait que par l’émotion que va susciter son récit, il pourra nous faire entrevoir quelque chose de ce qui échappe à nos sens. C’est pourquoi, quand il veut nous parler de sa relation à Dieu, il n’hésite pas à employer ce langage spécifique (pour ne pas dire spécial) qu’utilisaient les religions antiques, et qu’il ne faut donc surtout pas prendre à la lettre. Ainsi, chaque fois que l’homme de la Bible discerne quelque part la présence de Dieu dans un évènement, il va le signifier à grands mots. Prenons l’exemple de l’Exode : Parce que le peuple a pu traverser la Mer des Joncs grâce à un fort vent d’est qui a fait baisser le niveau des eaux, pour lui, c’est Dieu qui a envoyé ce vent. Du coup, même si le peuple est passé avec de l’eau jusqu’aux genoux, la traversée salvatrice sera décrite comme faite à pieds secs, la mer formant une muraille à droite et à gauche. Autre exemple : Pour les Israélites, la Loi de Moïse est inspirée par Dieu. Dès lors, elle ne peut être donnée que sur La Montagne, car c’est le lieu où Dieu rencontre les hommes. On va donc y faire descendre Yahvé et manifester sa présence par un terrible orage : voix du bruit du ton-nerre et feu des éclairs ! On y mêle aussi les images d’une terrible éruption : nuée comparable à la fumée s’échappant de la fournaise du cratère et couvrant le sommet du volcan, flamboie-ments évoquant les jets de lave et tremblements de terre… Tout ce scénario grandiose est ba-sé sur le langage sacré de l’inconscient collectif de l’humanité, pour dire simplement que la Loi édictée par Moïse est à accueillir comme venant de Dieu. Quoique de culture grecque, St Luc connaît les Écritures. Il a appris à lire, à comprendre, à manipuler ce langage du merveilleux et, fidèle à la tradition biblique, il va nous en servir chaque fois qu’aux yeux de la foi chrétienne, Dieu est intervenu pour son Fils. De là, ce magni-fique récit de l’Annonciation, de la Nativité, etc, etc... Dans le livre des Actes, il va ainsi nous décrire la lente prise de conscience de la venue de l’Esprit Saint avec ce langage spécifique. Il va même s’inspirer du récit du don de la Loi au Sinaï pour tenter de nous faire comprendre la valeur insoupçonnée de ce que les premiers chrétiens ont appelé « le don de l’Esprit ». L’évangéliste décrit sa venue « à grands bruits ». Mais si nous enlevons le prisme du langage merveilleux, il nous dit que la naissance du Christianisme a fait du bruit dans le monde de l’époque, depuis Jérusalem jusqu’à Rome. Aujourd’hui, nous ajouterions : et jusque dans tous les continents. Nous pouvons dire aussi que le don de l’Esprit qui a embrasé le cœur des pre-miers disciples, a mis depuis le feu à des milliards d’êtres humains sur notre terre. Nous pou-vons affirmer enfin que la Parole de Dieu est aujourd’hui lue et entendue dans presque toutes les langues… et que la Liturgie est célébrée partout dans la langue du peuple. Pentecôte est toujours d’actualité : L’Esprit est sans cesse donné ! Mais où est l’Esprit aujourd’hui ? Serions-nous si habitués à lui pour que nous ne discernions plus sa présence ? Ou bien, l’aurions-nous rendu sans voix ? Effacerions-nous son action, parce que trop dérangeante ? Préférerions-nous qu’il soit tiède et non plus feu brûlant ? … Pourtant L’Esprit souffle encore aujourd’hui où il veut et quand il veut. Sans cesse, il vient ha-biter nos faiblesses qui, sans lui, rendraient notre existence insupportable. Sans cesse, il ap-porte douceur aux plaies de notre cœur, incurables ici-bas. Sans lui, dans quel abîme mortel nous feraient plonger nos amours humaines déçues, bafouées, anéanties ? Et où sont les merveilles de Dieu ? Dans cette étincelle de confiance lorsque tout semble chavirer. Dans ce pardon donné quand la plaie coule encore. Dans cet amour profond qui se cache derrière nos effusions superfi-cielles. Dans ce murmure de paix qui nous effleure au creux des épreuves. Dans cet embryon de joie qui émerge au-dessus des nuages de nos jours de tristesse. Comment agit-il ? Il attire sans aucune menace. Il pardonne sans jamais accuser. Il séduit mais ne contraint ja-mais. Il apprivoise, mais ne force pas. Il est désir et prière qui se cachent au fond de nos cœurs, désir le plus audacieux, prière la plus discrète. Mettons-nous donc à l’écoute de ce désir qui nous habite depuis notre conception, cherchons en nous la prière de l’Esprit et fai-sons-la nôtre ! Alors nous goûterons à la joie et à la paix, et nous ne pourrons que rendre grâce pour ses merveilles !

Prochaine Lanterne pour le 3 juin : un peu de repos !