Tourisme et territoires augmentés

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INTERVENTION LORS COLLOQUE « TOURISME URBAIN, PATRIMOINE ET QUALITE URBAINE EN EUROPE » RENNES / 26-27 MARS 2009 " VERS LA VILLE AUGMENTEE " Intervention de Monsieur Hugues AUBIN Membre du groupe national de prospective de la DIACT Cyberterritoires, Chargé de mission TIC à la Ville de Rennes. Je suis chargé de mission aux Technologies de l’Information et de la Communication à la Ville de Rennes. Je ne suis pas un spécialiste du tourisme, mais il y a actuellement une forte poussée du numérique dans les usages, les infrastructures, les réseaux et les contenus relatifs à la ville. Il ne faut plus opposer la dimension numérique et la dimension physique des territoires, pas plus qu’il ne faut opposer le pseudonyme de quelqu’un sur une page Internet et la vraie personne qui va dans une boutique ou dans la rue. Je vais essayer de vous montrer que nous vivons les prémices de l’évidence de cette dimension numérique dans notre quotidien, sous deux angles : le premier au travers de l’utilisation des téléphones mobiles géo-localisés et reliés à Internet (plus de 3 milliards de personnes sont équipées de téléphones portables) et le second à travers la capacité de ces personnes à créer des contenus, des services mais surtout à se réunir physiquement pour avoir un impact dans les vraies villes. L’Internet 1.0 Si l’on énumère la palette des supports et outils de représentation du territoire qui peut être utilisée aussi bien à destination des locaux que des touristes, il y a avant tout le territoire avec son patrimoine ; il y a également l’ancêtre du bouche à oreille distant : la carte postale ; les cartes figées sur lesquelles on place des points qui tracent des parcours ; les brochures qui promettent de devenir des discours de marketing promotionnel ou

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Transcription d'intervention à Rennes en mars 2009.

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INTERVENTION LORS COLLOQUE « TOURISME URBAIN, PATRIMOINE ET QUALITE URBAINE EN EUROPE »

RENNES / 26-27 MARS 2009

" VERS LA VILLE AUGMENTEE "

Intervention de Monsieur Hugues AUBINMembre du groupe national de prospective de la DIACT Cyberterritoires, Chargé de mission TIC à la Ville de Rennes.

Je suis chargé de mission aux Technologies de l’Information et de la Communication à la Ville de Rennes. Je ne suis pas un spécialiste du tourisme, mais il y a actuellement une forte poussée du numérique dans les usages, les infrastructures, les réseaux et les contenus relatifs à la ville. Il ne faut plus opposer la dimension numérique et la dimension physique des territoires, pas plus qu’il ne faut opposer le pseudonyme de quelqu’un sur une page Internet et la vraie personne qui va dans une boutique ou dans la rue.

Je vais essayer de vous montrer que nous vivons les prémices de l’évidence de cette dimension numérique dans notre quotidien, sous deux angles : le premier au travers de l’utilisation des téléphones mobiles géo-localisés et reliés à Internet (plus de 3 milliards de personnes sont équipées de téléphones portables) et le second à travers la capacité de ces personnes à créer des contenus, des services mais surtout à se réunir physiquement pour avoir un impact dans les vraies villes.

L’Internet 1.0

Si l’on énumère la palette des supports et outils de représentation du territoire qui peut être utilisée aussi bien à destination des locaux que des touristes, il y a avant tout le territoire avec son patrimoine ; il y a également l’ancêtre du bouche à oreille distant : la carte postale ; les cartes figées sur lesquelles on place des points qui tracent des parcours ; les brochures qui promettent de devenir des discours de marketing promotionnel ou d’informations utiles ; la signalétique sur place et l’accueil physique avec la médiation humaine qui est capable de s’adapter à la personne pour la guider.

Il y a aussi des logiques plutôt anciennes et dont certaines parties sont déjà impactées très fortement, par exemple le one to many, c'est-à-dire la réalisation d’une brochure pour 10 000, 20 000 personnes, déclinée en différentes langues : la même pour tout le monde. C’était un mode de relation asynchrone : on préparait une promotion, on réservait à l’avance ; il y avait une logique de package avec systèmes sur étagères et tiroirs d’assemblage, des packages par brique. Ce sont les agences réceptives, marquées par une utilisation assez forte du papier et une logique « avant/ pendant/ après ».

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Au départ d’Internet, nous avons eu cette logique de « one to many » (un site Internet avec un contenu unifié en direction de tous les publics, avec des déclinaisons linguistiques), l’intégration de la logique transactionnelle de ces packages déjà déployés par le biais du téléphone et du papier. Des outils de promotion patrimoniale vont utiliser le potentiel du numérique pour valoriser la dimension esthétique, historique avec la vidéo, le son, le mp3, le 3D : logique mono-utilisatrice. Aujourd’hui nous allons entrer dans une phase massive d’usage multi-utilisateur des plateformes. Les services de comparaison existaient. Ils sont aujourd’hui très importants. Dans le domaine du tourisme, la transaction s'opère entre la prise d’information, la comparaison et l’achat.

Le web 2.0

De nouvelles cartes émergent   : «   la néo-géographie participative   »   :

Aujourd’hui, nous sommes dans une démarche d’évangélisation de ce qu’on appelle le web 2.0. Dans ce phénomène, notons l’importance de la cartographie participative ou de la néo-géographie : cela nous concerne car le plus grand système de cartes consulté sur Internet, Google map, provoque un changement de paradigme dans la mesure où les cartes ne sont plus pour les spécialistes, mais pour tout le monde, et où les gens posent les points sur les cartes. Les cartes participatives ont un certain nombre de fonctions très importantes : notamment, elles redessinent l’image des territoires.

Par exemple, le site Internet gratuit Flickr, la plus grosse base photographique partagée, permet de se constituer en groupes. En indiquant une adresse, la photo postée y est géo-localisée. Un autre exemple est le city guide de Marseille, fait par des city breakers, à destination de tout le monde. L’outil cartographique Google y est utilisé pour poster des articles et photos insolites. Il y a également les cartographies de services dans lesquels on trouve notamment le « couch surfing » (hébergement des internautes les uns par les autres).

Cette néo-géographie participative va exploser dans la mesure où l’on peut dorénavant alimenter, en série et gratuitement, des contenus multimédia sur le net (Wikipedia, dans le top 10 mondial des sites Internet, encyclopédie collaborative des internautes…).

Le «   many to many   »

On entre dans le « many to many », ce qui ne veut pas dire que tout le monde crée. Très peu d’internautes créent, mais beaucoup vont modifier, remixer, commenter… Ce qui est nouveau, c’est que sur ces plateformes, beaucoup de gens s’adressent à d’autres, et peuvent s’écrire sans connaître leur e-mail.

C’est ce qu’on appelle la socialisation d’objets. L’objet est une vidéo, un son, un texte, une fiche descriptive d’un bâtiment patrimonial. Les gens peuvent donner leur avis, laisser une trace, recommander l’objet, voir qui l’a aimé, lui donner une nouvelle valeur, à savoir sa capacité à relier les gens entre eux.

Par exemple, le site Internet « Dismoioù », guide de restaurants alimenté par des éditeurs. La manière dont les restaurants sont répertoriés dépend de l’opinion des personnes qui peuvent apporter leurs avis et commentaires.

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La stratégie de marketing viral   : être «   repris   »   :

Il est possible, pour des questions de stratégie, que l’on veuille que le contenu proposé puisse être repris par d’autres sites. Aujourd’hui, une personne qui crée gratuitement un blog, par exemple sur une plateforme de Google, peut automatiquement voir les informations qu’il émet reprises par d’autres blogueurs ou sites d’information.

Hélas nous, acteurs publics, ne l’avons pas forcément intégré. Ce sont des choix tactiques : le site du muséum de Toulouse a un fil contributeur mobile : quand il envoie une information sur son site Internet, celle-ci alimente son compte Facebook, une série d’onglets avec des informations locales, et elle est accessible à tous ceux qui le suivent dans la communauté mobile Twitter (orientée sur des petits messages échangés par des personnes sur des mobiles). Le muséum envoie toutes ses informations en même temps dans tous ses canaux, et est capable de répondre aux personnes qui lui parlent.

La dimension numérique «   Territoires augmentés   »

On entre dans des logiques qui sont actuellement analysées dans les stratégies de marques. Nous n’avons plus uniquement un discours institutionnel en « one to many », mais une logique dans laquelle on pourra avoir une identité en ligne qui nous rendra capable de converser, de disséminer et de partager des contenus.Par exemple, si l’on a de belles photos de notre patrimoine et qu'elles sont libres de droit (en creative commons par exemple), le fait de les verser sur la toile fera signaler notre initiative par les blogueurs ravis.

En permettant aux habitants ou aux touristes de contribuer à l’agrégation des contenus pour valoriser le territoire, on obtient un effet communautaire d’image.

Les réseaux sociaux

Ils ne sont pas nouveaux : on a toujours eu et cultivé des liaisons avec des personnes, la famille, des amis.

En revanche, l’extension, qui en a été faite sur Internet, découle d’une théorie un peu schématique sur laquelle se sont basés les réseaux sociaux : je suis à 6 relations de distance en moyenne de n’importe quel humain sur la planète (je connais quelqu’un qui connaît quelqu’un, etc., 6 fois). L’idée est qu’en permettant aux personnes de savoir qui connaît qui, on réduit la taille du monde et des liens entre les personnes.

Cela veut dire qu’elles peuvent se rencontrer en échangeant des profils, en étant présentes. Cela repose sur des valeurs qui ont été aujourd’hui identifiées et recoupées par un certain nombre d’études : la réputation en est la principale.

Dans les réseaux sociaux en ligne sur Internet, dans le monde des blogueurs, la première valeur n’est pas un titre institutionnel, mais la réputation. Elle se bâtit par les exploits que l’on accomplit, la qualité de ce que l’on partage, la contribution à la communauté, la confiance que l’on inspire. Or lles officies du tourisme ont un important crédit de confiance. Face à une offre disparate, avoir

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une image de qualité qui nous positionne favorablement constitue un atout très fort.

Une dimension territoriale forte   :

Le taux d’équipement des ménages atteint 50-60% en France, ce qui confère une dimension territoriale très forte aux réseaux sociaux qui comptent de nombreux utilisateurs parmi les internautes.

Prenons l’exemple d’un petit réseau social rennais, où les gens se posent sur une carte avec un profil, sur une rue (on peut voir telle personne, ses centres d’intérêt, son attente de bénévolat, il est possible d’entrer en lien avec elle). Nokia met en place ce système sur Facebook grâce aux mobiles. Il me permet de repérer mes amis. Ces dispositifs sont intéressants en termes d’utilisation du temps libre, de mobilité, de projet.

Attention, l’Internet n’est pas a-territorial, les réseaux sociaux ne sont pas a-territoriaux. La dimension locale forte existe, les réseaux sociaux d’immeubles le prouvent (ex. : maresidence.fr ; voisineo).

Les pseudos = vrais gens   :

Il est vrai que les gens surfent sur Internet, se créent des profils, commandent des voyages, échangent des messages instantanés, différés… Ces gens sous pseudonyme se synchronisent et agissent à présent dans l’espace public : ce phénomène, appelé les flashmob présente à mon avis un grand intérêt pour le secteur du tourisme.

Voici 3 exemples rennais : le 28 septembre 2008, 17h : 1200 personnes se figent dans la rue dans le centre-ville durant 5 minutes, certains les filment pour le mettre sur un blog. Le 8 Janvier 2009 : constitution d’un groupe sur Facebook pour une « méga party » à Rennes. L’objectif étant de faire un pique-nique géant ou de louer une discothèque pour faire la fête ; au 16 janvier, 4900 personnes sont inscrites à ce groupe. En mars 2009 : manifestation étudiante avec synchronisation par mobile ; la semaine d’avant : formule « câlins gratuits » sur la place de l’Hôtel de Ville (formule utilisée dans toutes les villes du monde au travers d’Internet)…

Mais attention nous sommes sur des vrais gens qui réagissent dans un véritable espace urbain. Il ne faut donc pas opposer les pseudos et les gens. Derrière les pseudonymes il y a donc capacité d'échange, de communication, d'action, de mobilité, d'achat.

Actuellement, les gens pratiquent une multi-consommation des médias. Par exemple aux Etats-Unis, les gens naviguent sur Facebook en regardant la télé. On ne compte plus en pages vues mais en temps ou en nombre de visites. On va désormais vouloir quantifier l’attention, qui devient le bien conditionnant l’économie du marché publicitaire du net.

Les territoires augmentés

Une dimension numérique qui devient visible et intelligible   :

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Je voudrais mettre l’accent sur deux axes de la dimension numérique du territoire. Les gens laissent des traces numériques explicites et implicites sur les territoires.

Les traces implicites : par exemple, si j’allume mon téléphone portable, l’antenne relais qui se trouve à proximité va détecter qu’un portable est allumé. Si je me connecte à un point wifi dans un café, un ordinateur sait que je me connecte. Cette dimension a été rendue tangible au cours d’expérimentations dans le domaine du tourisme (ex. : fête de la musique cartographiée sur Paris).

Les traces explicites : on édite du contenu dans l’espace physique qui sera perceptible pour les gens qui naviguent avec les outils adaptés: les téléphones mobiles en sont un premier exemple (aujourd’hui ils ont davantage de fonctions que le simple téléphone : ils ont aussi des émetteurs d'informations multimédia via l'internet mobile).

On s'achemine vers l'accès direct et in Situ à la lecture de l’environnement : les téléphones GPS se multiplient. Le service gratuit de Google map sur l’I-phone WIKITUDE (la caméra pointée sur l’environnement fait des recherches via Wikipedia), est un exemple de réalité augmentée mobile, qui ouvre beaucoup d’horizons pour les territoires : c’est l’hybridation du réel et du virtuel.

Ce qui est sur la carte virtuelle devient visible dans la vie réelle et vice-versa : c’est l’hybridation des représentations.

Quelques exemples :

dans un parapluie il y a un GPS, et en dessous il y a une projection de photos prises par les internautes au même endroit.

Google latitude permet de vous localiser entre proches sur mobiles (service gratuit)

Kapsys est un lecteur mp3 avec GPS et guide audio, qui nous propose de localiser les services proches et de faire les cartes « vocales » des villes. Les personnes qui utilisent ces outils échangent sur des territoires dans un continuum relationnel, et agissent de manière multi-modale et multi-temporelle.

Conclusion

Tout cela ne doit pas vous donner l’image d’une ville lisse avec une offre pratique homogène, qui n’est pas forcément très intéressante. En effet, on constate que ce qui rassemble les internautes, c’est le contraire du « lisse » : le hasard heureux dans les rencontres, les outils qui provoquent des liens permettant aux gens de se rencontrer autour de choses qu’ils aiment. Ce que l’on appelle la serendipité, c’est l’hétérogénéité, la surprise. Aspérités et serendipité sont des atouts : la ville « lisse » a-t-elle un intérêt ?

La granularité (les petites vidéos, les photos…), le web 2.0 (l’aspect participatif), les territoires communicants permettent de partager des émotions, des histoires.

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C’est en effet une chose que l’on constate dans les flashmob. Je pense qu’il y a des pistes d’explorations extrêmement intéressantes, à condition de partager un imaginaire, et de pouvoir se rassembler à l’aide de ces outils. Pour cela, il faut développer une offre ludique, in situ, impacter la mobilité des personnes dans la ville, inclure la participation dans la donne, notamment à l'aide des "jeux urbains massifs" utilisant ces espaces augmentés.

Pour les acteurs du tourisme, il semble intéressant d’utiliser ces atouts :

ils savent raconter la ville, ils ne la résument pas à une succession de points sur une carte.

ils disposent d’une palette multimodale d’outils de communication, du physique à Internet, en passant par le téléphone

ils ont une prise dans l’espace physique : or il est possible de relier la signalétique à des contenus numériques

ils disposent de bases de données locales puissantes en termes de patrimoine, d’offres…

ils peuvent mesurer le succès ou l’échec en termes de contacts captés par des opérations qui pourraient être des jeux urbains massifs, et corriger leurs tentatives.

Il ne leur reste plus qu'à essayer…