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    Immacula Dieudonné, Direction de la protection de la jeunesse

    Avec la collaboration de Lucie Brown,

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    n n e ^ V Action

    Immacula Dieudonné, Direction de la protection de la jeunesse

    Avec la collaboration de Lucie Brown,

    Direction de la protection de la jeunesse Isalasenza,

    Direction du développement de la qualité des services Les Centres jeunesse de Montréal

    Janvier 1996

    INSTITUT NATIONAL D E S A N T É P U B L I Q U E DU QUÉBEC CENTRE DE DOCUMENTATION

    MONTRÉAL

  • ISBN 2- 89218-101-1 Dépôt légal, 1er trimestre 1996 ® Les Centres jeunesse de Montréal

  • TABLE DES MATIÈRES

    PRÉAMBULE

    INTRODUCTION . 1

    LES PERCEPTIONS 3

    Perception des parents à l'égard de la loi de la protection de la jeunesse et des services

    Perception des parents à l'égard des intervenants sociaux

    Perception des intervenants sociaux à l'égard des parents et des jeunes haïtiens La résistance ou réticence

    LES RÉACTIONS POSSIBLES DES PARENTS À L'INTERVENTION 9

    Réactions des parents au signalement

    Réactions des parents face & la notion de dossier

    Réactions des parents à l'égard des intervenants d'origine haïtienne

    QUELQUES FACTEURS IMPORTANTS À CONSIDÉRER À L'ÉTAPE EVALUA-TION/ORIENTATION À L'ÉGARD DES ENFANTS D'ORIGINE HAÏTIENNE SIGNA-LÉS EN VERTU DE LA LOI SUR LA PROTECTION DE LA JEUNESSE 13

    LA FAMILLE D'ORIGINE HAÏTIENNE 15

    L'IMMIGRATION 17

    Impact de l'immigration sur la dynamique familiale haïtienne -

    Profil des situations courantes rencontrées à la DPJ

    Impact de la séparation sur les relations parents/enfants

    Quelques pistes d'Intervention

    LA SITUATION DES ENFANTS CONFIÉS À LA PARENTÉ AU CANADA (ET CON-NUS À LA DIRECTION DE LA PROTECTION DE LA JEUNESSE) 23

    Quelques pistes d'intervention Quand l'enfant doit rester ici avec un suivi social Pour les enfants placés

  • L'APPARTENANCE RELIGIEUSE DES FAMILLES D'ORIGINE HAÏTIENNE 27

    Les principaux courants religieux Le catholicisme Le protestantisme •

    Les pentecôtistes et les baptistes Les adventistes du 7e jour Les témoins de Jéhovah Place et importance de la religion protestante dans la famille haïtienne

    Le vaudou Définition 1

    Place et rôle du vaudou dans la vie haïtienne Vaudou - psychiatrie et signalement à la DPJ Mise en garde ;

    i Pratiques religieusesparentales et incidences sur la sécurité et le développement de l'enfant

    Quelques pistes d'intervention

    i

    L'AUTORITÉ PARENTALE 35

    Quelques pistes d'intervention

    LES ATTENTES SCOLAIRES DES PARENTS 39

    LES RELATIONS AFFECTIVES PARENTS/ENFANTS 41

    LES ABUS PHYSIQUES ET LES TROUBLES DE COMPORTEMENT 43 î

    La punition corporelle

    But et philosophie du parent qui frappe

    Corrections physiques et contexte social

    Quelques pistes d'intervention i

    Quelques mises en garde

    LE PLACEMENT D'ENFANTS» 47

    Une pratique connue dans le milieu d'accueil, une problématique dans la communauté haïtienne

    Impact du placement de l'enfant d'origine haïtienne dans une ressource d'accueil

    Motifs de résistance des parents au placement

    Quelques pistes d'intervention

    I

    il

  • L'IMPLICATION DU RÉSEAU-SUPPORT 51

    Quelques pistes d'intervention

    LES RÉACTIONS À LA JUDICIARISATION 53

    . Quelques pistes d'intervention

    LA COMMUNICATION 55

    Quelques pistes d'intervention

    CONCLUSION 59

    REMERCIEMENTS

    BIBLIOGRAPHIE

    iii

  • PRÉAMBULE

    Le présent document est un parmi plusieurs documents d'information (écrits et audios) préparés et recueillis dans une trousse d'outils à l'intention des intervenants des Centres jeunesse de Mont-réal et particulièrement ceux de la Direction de la protection de la jeunesse. La trousse est une composante importante de différentes actions réalisées et à poursuivre qui visent à améliorer les services, à informer le milieu et à développer un partenariat avec la communauté. Ces actions découlent d'un projet conçu à partir des préoccupations et des besoins exprimés par les interve-nants et aussi de la volonté de la Direction de la protection de la jeunesse de rendre des services pertinents pour la clientèle d'origine haïtienne. Les actions ont été menées sous le leadership de la Direction de la protection de la jeunesse et de la Direction du développement de la qualité des services des Centres jeunesse de Montréal.

    Ce document a comme objectif de supporter les intervenants dans leur travail auprès des jeunes et des familles d'origine haïtienne dans le contexte de la Loi sur la protection de la jeunesse. Il con-tient de l'information sur la réalité migratoire et sur certains éléments de la culture d'origine et immigrante. De plus, des pistes d'intervention sont suggérées pour accompagner l'intervenant dans son travail. Comprendre le contexte et savoir comment intervenir dans un milieu est essen-tiel au travail de l'intervenant. Le présent document vise à faciliter l'intervention auprès des familles et des jeunes en difficulté dans un contexte interculturel.

    Le document traduit l'expérience des intervenants des Centres jeunesse de Montréal auprès de la clientèle d'origine haïtienne - les situations les plus souvent rencontrées, la compréhension de ces situations, les stratégies développées pour obtenir la collaboration des familles et les moyens pour établir une relation de confiance. Il est donc un reflet du savoir-faire des intervenants. L'esprit qui a animé la présente démarche est celui de vouloir partager ce savoir-faire avec l'ensemble du personnel des Centres jeunesse de Montréal.

    Le savoir et le savoir-faire qui sont transmis dans le présent document ont été enrichis et validés par des écrits et des recherches sur le sujet, par des intervenants ayant une expérience auprès de cette clientèle, par des rencontres avec des personnes-ressources du milieu, par des experts dans le domaine et par des groupes de parents et des clients issus de la communauté haïtienne. Le conte-nu est celui de nos savoir et savoir-faire en ce moment; il ne prétend pas être la vérité absolue car, au fur et à mesure que l'expérience et les besoins évoluent, la pratique est appelée à en faire autant.

    Ce document ne répondra pas à toutes les questions qui sont soulevées par les diverses situations rencontrées dans l'intervention en contexte de protection de la jeunesse, car chaque enfant est unique et chaque famille a sa propre dynamique et son propre vécu. L'intervenant doit reconnaî-tre ses limites, chercher de l'aide s'il en a besoin, utiliser le client comme source d'information ethnoculturelle et questionner pour chercher à comprendre la réalité du client. Le présent docu-ment lui sera utile dans la mesure où il sera capable de compléter son savoir-faire par d'autres moyens mis à sa disposition.

  • INTRODUCTION

    Il n'est pas question ici de reprendre l'historique de la Loi sur la protection de la jeunesse, de ses objectifs. Elle s'applique à tous les enfants 0-18 ans vivant au Québec et qui à un moment donné de leur existence se trouvent en besoin de protection. Elle est là pour protéger et protégera à cha-que fois que ce sera nécessaire. En général, aucun parent ne souhaite l'intervention DPJ dans ses relations avec ses enfants et rares sont ceux qui vont la demander, même dans les cas de troubles de comportement sérieux. «La loi est bonne, l'approche est tout».

    Pour les parents d'origine haïtienne, l'intervention institutionnelle dans la gestion des rapports familiaux n'est pas souhaitée et paraît inacceptable dans leur perception de la famille, de l'éducation, de la place et du rôle des enfants, des aînés dans la fratrie, des grands-parents. Ils sont habitués à résoudre leurs problèmes à l'intérieur de leur réseau plus proche de leurs valeurs et traditions. L'aide reçue est alors perçue authentique puisqu'elle n'est pas une remise en ques-tion de l'autorité parentale, des capacités du parent, mais devient un complément de cette autorité.

    Exemple: un oncle de passage à la maison peut d'autorité décider d'amener chez lui pour l'éduquer un neveu jugé trop turbulent, sans que la mère (ou les deux pa-rents) se questionnent. Elle sait que l'enfant est bien et ce dernier sait où est sa mère, continue dé l'aimer et de la respecter.

    L'expérience de travail a permis de constater que souvent dans son discours en entrevue, le parent d'origine haïtienne espère toujours regagner son pays; consciemment ou inconsciemment, il se considère de passage au Canada quand bien même il y finira ses jours. Dans sa logique, il immi-gre pour permettre à ses enfants de réaliser ce que son pays n'a pu lui offrir personnellement: études, profession, réussite sociale et s'en aller. On dit que «après 15-17-20 ans, sa valise est toujours à moitié défaite». «On croit qu'un jour, la situation politique ou économique s'améliorera et qu'on pourra retourner dans son pays natal.» Il est venu ici adulte avec toutes ses connaissances, ses valeurs et tient à les transmettre telles quelles à ses enfants. Il oublie que son enfant n'a pas vécu aussi longtemps que lui en Haïti, que l'intégration de celui-ci se fait plus rapi-dement que lui et de façon plus tranchée et c'est là, la principale source de conflits, surtout avec les adolescents.

    Les intervenants ayant une longue expérience de pratique auprès de la clientèle constatent qu'un nombre important d'enfants d'origine haïtienne sont connus en LPJ, en LJC et certains le sont sous les deux lois.

    Des rencontres avec des groupes de parents, de jeunes, ont permis d'entendre leurs histoires, leurs expériences avec les services de la DPJ: racisme, préjugés, décision hâtive de compromission, placement, incompréhension, erreur de jugement, erreur d'analyse, abus de pouvoir, etc.; ils allè-guent que la Loi sur la protection de la jeunesse a été faite spécifiquement pour la communauté haïtienne. Certains parents déclaraient que c'est en fonction des expériences personnelles négati-

  • ves vécues avec la DPJ ou de celles de personnes connues, qu'ils refusent catégoriquement d'entendre parler de la Loi sur la protection de la jeunesse. Eustache, R. et Ouellet, F. ont mené en 1986 une recherche sur les relations parents-enfants dans les familles haïtiennes au Québec. Deux groupes de parents et grands-parents vivant à Montréal-Nord et St-Michel y ont participé. Les auteurs du rapport ont souligné les inquiétudes exprimées et la perception négative des parti-cipants à l'égard de la Direction de la protection de la jeunesse et de la Loi1. Cependant, en dépit des commentaires défavorables, la plupart des cas d'enfants haïtiens retenus en protection sont quand même justifiés.

    Il importe de se demander comment appliquer la loi de façon efficace de manière à rendre l'intervention profitable pour l'enfant et sa famille. La loi est là pour protéger et doit le faire quand c'est nécessaire.

    1 Eustache, R., Ouellet, F., «Recherche participative sur les relations parents-enfants dans les familles haïtiennes du Québec: Perceptions de parents et grands-parents», p. 33-34

    2

  • LES PERCEPTIONS

    Perception des parents à l'égard de la loi de la protection de la jeunesse et des services

    Selon les expériences et les observations des intervenants, et des écrits faits sur le sujet, la percep-tion de la loi sur la protection de la jeunesse est négative dans la communauté haïtienne. Il est vrai que l'intervention arrive dans la vie de la famille au moment où cela va mal. De l'avis des parents, l'aide offerte n'est pas inconditionnelle, elle les questionne, leur signale leurs manque-ments et vient pour les réhabiliter. Toujours selon ces derniers, la nature de l'aide vient les bous-culer parce que la loi définit, circonscrit elle-même les niveaux de danger, dispose de capacités d'action quand elle croit avoir matière à agir, peu importe leur position de parent. Les parents verbalisent alors sentir que leur collaboration est simplement souhaitée mais qu'en réalité elle devient accessoire.

    L'interprétation des intervenants chargés d'appliquer la loi dans ses premières années est un point fondamental à souligner. Ils croyaient être là seulement pour protéger l'enfant contre son parent alors que l'objectif de la loi consiste à aider le parent à protéger son enfant en situation de danger. Les parents expriment avoir alors ressenti du mépris pour eux-mêmes, pour leurs exigences et leur culture familiale, une tendance à vouloir leur imposer d'autorité des règles, à les substituer dans les affaires regardant la discipline familiale, surtout dans les cas d'adolescents (sorties, fréquenta-tions, contraception). Situation qui disqualifie le parent qui, à son tour, discrédite les services à la DPJ. Ducasse (1987) cite des propos de parents: «si le taux de délinquance est en hausse, c 'est à cause de la loi. Des enfants profitent de la DPJ pour faire du mal à leurs parents parce qu'ils sa-vent que la DPJ va les défendre. «L'autorité parentale est contrecarrée, brimée, freinée par la loi». «La Loi n'a pas de sens».2

    Il faut convenir avec les parents que bien des erreurs ont été commises au nom de la protection et de l'intérêt des enfants. Comme toute bonne chose, la LPJ a ses conséquences nuisibles qui ali-mentent la méfiance des parents, ex.: son effet de déligitimation de l'autorité naturelle; quand l'enfant apprend qu'il a droit à certains recours contre le parent, ce qui lui donne un certain pou-voir qu'il peut monnayer. L'adolescent pense qu'il peut manquer de respect à ses parents, décou-cher, mépriser les consignes et qu'en cas de réaction du parent, il a des recours. Ce parent qui en Haïti détenait l'autorité absolue, réalise n'avoir d'alternative que de négogier ou de démissionner.

    En entrevue et en rencontres de groupes, les parents d'origine haïtienne font l'éloge de l'éducation reçue en Haïti, de leurs rapports avec leurs parents et les aînés et de leur attachement indéfectible à ces derniers. Ils valident les méthodes éducatives d'alors. Pourquoi en Amérique du Nord, ces mêmes parents éprouvent-ils tant de problèmes avec leurs enfants? Certains éléments de réponse peuvent aider à comprendre:

    2 Ducasse, Mon ice, «L'abus physique des enfants et la famille haïtienne au Québec», pp. 74-75-76.

    iii

  • absence du réseau élargi incluant de façon prépondérante les voisins, où l'éducation des enfants est une affaire collective; conditions de fragilisation, de marginalisation; déligitimation de leurs valeurs intrinsèques; pratique en cachette du vaudou en raison du contexte social moins permissif ici; réduction de l'espace vital; pauvreté; isolement; chômage; racisme; déception dans ses attentes à l'égard du milieu d'accueil; et autres.

    11 va de soi qu'à l'occasion d'un signalement logé dans ce contexte, parent et intervenant risquent de ne pas avoir la même lecture de la situation. Aucun parent ne veut ou va s'auto-accuser. Bien souvent, le parent souligne que le problème n'est pas à l'intérieur de la famille et demande à l'intervenant d'aller chercher ailleurs que dans le vécu, le passé de la famille (valeurs véhiculées dans la société, racisme, rejet, ostracisation, contrôle des rapports parents/enfants avec la DPJ). Certains parents verbalisent qu'ils sont arrivés à croire que les problèmes de comportement de leurs enfants sont des réactions à la réalité sociale, un mode d'adaptation, d'intégration négative à une société qui leur est hostile. De plus, la loi les empêche de bien éduquer leurs enfants et les délégués ne cessent de les harceler. Selon Georges-Marie Craan, «/ 'expérience des familles haï-tienne avec la DPJ justifie cette perception de la loi, l'autorité du travailleur social supplante, disqualifie celle de la famille devant le refus des enfants à se soumettre à leur autorité».2

    D'un autre côté, les parents considèrent que certains moyens d'encadrement mis en place dans l'intérêt de leurs enfants sont considérés comme des facteurs de compromission, selon les valeurs de l'intervenant chargé de l'évaluation/orientation, ceci à leur grand désarroi: heures de rentrées, contrôle des fréquentations, des sorties, obéissance et respect des parents, respect des plus jeunes envers les plus vieux, contrôle de la télé, droit de correction des aînés, partage des tâches domes-tiques, des responsabilités, contrôle de l'usage du téléphone. Ducasse (1987) rapporte des exem-ples dont celui d'un père qui croit que «la loi devrait être plus souple en incluant des clauses en rapport avec la communauté haïtienne».4

    Souvent les parents ont de bons arguments mais la barrière de la langue et les difficultés d'expliquer des choses émotivement chargées les bloquent. Ils s'emportent facilement, gesticu-lent, haussent le ton, ou déclarent s'en laver les mains. Ces parents pris dans un double piège confirment aux yeux de l'intervenant l'image préconçue de tyrans, d'incapables, d'agressifs, alors qu'au fond il n'en est rien sinon que c'est leur grande vulnérabilité et désarroi qui se manifestent. C'est justement là que l'implication du tiers accompagnateur, capable de recadrer les informations et les échanges avec le parent, devient pertinent.

    3 Craan, Marie-Georges, «La santé mentale dans la communauté haïtienne, ouverture et partage», p. 49. 4 Ducasse, Monice, «L'abus physique des enfants et la famille haïtienne au Québec», p. 74.

    2948

  • Perception des parents à l'égard dès intervenants sociaux

    Les données rapportées ici proviennent des opinions émises lors des rencontres avec des groupes de parents, de l'expérience de travail et des opinions couramment véhiculées au sein de la com-munauté.

    Pour certains parents, l'intervenant social, couramment désigné le «travailleur social» est perçu de façon défavorable:

    un fonctionnaire payé pour faire une job mais qui n'a aucun intérêt pour nos enfants, au contraire, qui les détruit; quelqu'un qui vient créer des troubles ou les empirer; quelqu'un qui voit des problèmes là où il n'y en a pas; quelqu'un qui donne des mauvais conseils aux enfants, les incite à mentir, à la rébellion contre les parents, les encourage à la licence pour les abandonner après et un parent souli-gne: quelqu'un qu'on subit au nom de la loi et du Département de la Perdition de la jeu-nesse haïtienne:. une personne dont on veut se débarrasser le plus vite possible; une personne payée par «tête d'enfant placé».

    Voici quelques propos émis par des parents:

    un père: «/e travailleur social est un blanc, représentant de la loi, il est comme la police. Il ne peut comprendre nos soucis pour nos enfants, il vient faire la loi dans notre maison et nous con-trôler face à nos enfants, on n ose plus parler fort, donner des ordres, il donne sa carte en ca-chette à nos enfants, bref, on est tout à coup de mauvais parents»;

    un autre père: «on a travaillé dur, on a fait des efforts et des sacrifices pour amener nos enfants ici pour une vie meilleure et on doit les contrôler; notre réalité quotidienne nous a convaincus que le milieu social est dur, avec ses avantages et désavantages, donc notre façon à nous d'élever nos enfants est la seule efficace si nous voulons les «sauver5» donc, c 'est dur et on ne peut accep-ter qu 'une jeune personne blanche, qui ne connaît pas nos valeurst qui a déjà réussi sa vie, gagné sa place dans sa sociétét vienne dans nos maisons nous dire que nous ne sommes pas de bons parents; au lieu de nous aider, il enlève notre autorité et encourage nos enfants à la délinquance. On lui ferme la porte dès qu 'elle se dit de la protection de la jeunesse. Comme il a tout le pou-voir, il nous amène au tribunal.»

    Un nombre restreint considèrent que la loi a sa raison d'être et que les intervenants font du bon travail mais devraient intervenir seulement auprès des familles québécoises de souche où, selon eux, la discipline et le respect ne leur semblent pas toujours respectés.

    Pour quelques parents, que l'intervenant soit blanc, noir ou autre, cela leur est égal. La fermeture exprimée face à l'intervention de protection est totale.

    5 Dans le sens de les préserver du malheur et réussir leur éducation et leur avenir.

    2949

  • Perception des intervenants sociaux à l'égard des parents et des jeunes haïtiens

    De manière générale, la perception des intervenants sociaux à l'égard des parents et des jeunes d'origine haïtienne, est parfois défavorable. Les représentations qu'on se fait d'une personne ou d'un groupe de personnes déterminent le type de rapport établi avec lui. Il existe peu d'études sur ce sujet. Voici quelques propos relevés de deux mémoires de maîtrise en criminologie présentés à l'université de Montréal par Marie Beaulieu en 1987 et Michèle Faille en 1991.

    Marie Beaulieu, dans sa thèse, s'est intéressée «aux représentations sociales, soit les formes de pensées collectives qu'entretiennent les professionnels du système de justice et de contrôle social au sujet de leur travail auprès des groupes ethniques, en particulier l'image que se font les crimi-nologues de leur clientèle» (p. 37)6.

    Michèle Faille, pour sa part, voulait «vérifier l'existence ou non d'une relation entre les sentences des juges du Tribunal de la jeunesse et l'origine ethnique du jeune, du comment se manifeste le traitement de la différence entre les jeunes québécois de souche et les jeunes des minorités ethni-ques (haïtiens et italiens)».7

    Trois groupes ethniques faisaient l'objet d'étude de ces thèses (québécois, haïtiens, italiens). Se-lon Beaulieu, les intervenants sociaux ont indiqué les personnes d'origine haïtienne comme le groupe:

    avec lequel ils ont le plus de difficulté à travailler; qui crée le plus de résistance; qui présente énormément d'attitudes défensives; que ces derniers (parents haïtiens) ont tendance à s'éloigner de l'autorité; les parents seraient violents envers leurs enfants; ils respecteraient peu et exprimeraient leur désaccord envers la loi de la protection de la jeunesse; ils modifient la vérité (les parents); les parents parlent créole en entrevue devant l'intervenant pour mieux mentir... se faufi-ler... cacher des vérités compromettantes si connues des autorités; eux autres, ils sont capables d'exprimer de l'agressivité, puis du rejet, des menaces, tout ce que tu veux, puis ils le faisaient bien ça; les haïtiens sont non-coopératifs... avec eux, les réactions sont amplifiées... ils sur-protègent parce qu'ils se sentent attaqués...; les criminologues se sentiraient eux-mêmes menacés par les haïtiens qui sont agressifs devant eux; l'intervention auprès des haïtiens serait perçue comme source possible de conflits sur des bases de racisme;

    6 Beaulieu, Marie, «Le criminologue québécois et l'intervention auprès des groupes ethniques», École de criminolo-gie, Université de Montréal, Centre de recherches Caraïbes, pp. 2-3.

    Faille, Michèle, «Les minorités ethniques et les décisions des juges du Tribunal de la jeunesse», École de crimino-logie, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal, juin 1991, p. 164.

    iii

  • les jeunes haïtiens manipulent en modifiant les versions; les parents, dépassés, ne donnent pas à leurs enfants l'encadrement dont ils ont besoin;

    et la liste pourrait s'allonger.

    Deux intervenants ont déclaré «avoir invité des parents haïtiens à retourner au pays d'origine s'ils ne peuvent pas accepter leurs façons d'intervenir».

    Toujours selon Beaulieu, les intervenants qui démontraient une certaine ouverture rapportaient que: «lorsqu 'ils ont un cas d'origine ethnique, ils se font taquiner ««ah! le chanceux», chanceux qui veut dire plutôt malchanceux. Le cas du jeune issu d'un groupe ethnique semble être perçu comme celui à ne pas avoir... les autres intervenants sont bien contents qu'il y en ait pour

    o s'occuper d'une clientèle qui n 'est pas forcément la bienvenue» .

    Faille relève deux situations où l'intervenant social dans les rapports prédécisionnels reliait direc-tement l'origine ethnique de deux jeunes haïtiens à la sentence proposée au tribunal.9

    La résistance ou réticence

    L'absence de collaboration spontanée de certains parents haïtiens avec la DPJ a donné lieu au cours des dernières années à une tendance à généraliser cette attitude à toute la communauté. «Parler fort en gesticulant, les voilà déclarés agressifs. Donnez-leur de l 'écoute, de l 'ouverture, axées sur le bien-être et l'intérêt de l'enfant, les voilà prêts à accepter conseils.» Certains inter-venants prétendent connaître la mentalité haïtienne de non-collaboration pour avoir travaillé au-près de quelques familles avec la même approche d'autorité, de normalisation. Question de men-talité, valeurs, le parent haïtien est très réticent à parler de sa vie personnelle à un étranger, à de-mander des services parce qu'il est habitué à résoudre ses problèmes selon un «modèle commu-nautaire» à l'intérieur de «son réseau intime». Ce qui paraît paradoxal dans le sens que le parent sélectionne lui-même dans son environnement, dans ses relations, ceux à qui il peut révéler son problème et exclut ainsi toute forme d'aide institutionnelle.

    Le premier contact avec la DPJ n'est jamais facile pour les familles. Avant de recourir à cet ex-trême qu'est la judiciarisation pour motif de non collaboration, il est dans l'intérêt de tous (enfant, parent, institution) que l'intervenant réfléchisse aux moyens alternatifs possibles pour entrer en communication avec le parent et lui expliquer la nécessité de collaborer, par exemple: une lettre accompagnée d'une brochure explicative sur les étapes et les objectifs de l'intervention à la Di-rection de la protection de la jeunesse, exploration de l'entourage immédiat de l'enfant et de la famille pour trouver un médiateur, un aidant naturel capable de faciliter la prise de contact tel que la parenté, l'école, l'église, un organisme communautaire.

    8 Beaulieu, Marie, op. cit. pp. 101-112-132-133-137-138-139-141. 9 Faille Michèle, op. cit., p. 151.

    iii

  • LES RÉACTIONS POSSIBLES DES PARENTS À L'INTERVENTION

    Réactions des parents au signalement

    Du fait de la rencontre de deux cultures, de la réaction de surprise et d'épouvante des parents, l'intervention interculturelle nécessite beaucoup plus de temps et de patience: tiemps pour sur-monter les problèmes linguistiques, pour demander des éclaircissements, pour comprendre et se faire comprendre, temps pour transmettre aux autres partenaires s'occupant d'immigrants, la manière de prendre en compte leurs identités, temps enfin pour réfléchir à sa propre approche».10

    En plus d'être ressenti comme une atteinte à leur dignité de parent, le signalement provoque de la panique chez un bon nombre de parents haïtiens. Pour eux, qui dit DPJ, dit enlèvement d'enfants. Envahis par cette panique et l'insécurité, l'expérience de travail a démontré, entre autres, les réactions suivantes:

    réaction de négation des faits; attitude de repli, de défense au premier contact téléphonique; refus des rendez-vous au bureau ou à domicile; non présentation aux rendez-vous convenus au bureau; refus de recevoir l'intervenant à la maison lors d'une visite surprise.

    Ils ont besoin de temps pour consulter un ami, un parent et se convaincre de devoir accepter l'intervention, pour dépasser la réaction agressive initiale aux signalements, passer à une autre étape et entamer le dialogue. Leur accorder ce temps, même devant l'évidence, peut aider à amé-liorer la situation et permettre au parent d'accepter cette réalité, exemple: «J'ai frappé mon en-fant».

    Il est intéressant de comprendre que même dans la négation, il y a une acceptation des faits. Le parent haïtien qui croit agir en vertu de son autorité parentale n'avouera pas facilement et immé-diatement avoir frappé son enfant, surtout de se sentir blâmé et jugé pour ce geste. Comme adulte, il ne veut pas perdre la face devant l'intervenant et devant son enfant, ni passer pour men-teur. Il a seulement besoin d'un scénario pour ouvrir sur ses difficultés personnelles et relation-nelles, en lui disant que c'est difficile aujourd'hui d'être parent d'un ado. Il est habitué à mar-chander ses relations, il faut lui tendre la perche.

    L'intervenant doit toujours se rappeler que dans l'esprit de la loi, les parents sont les premiers responsables de leurs enfants, qu'ils l'ont assumé de la naissance alors qu'il était encore plus vul-nérable, jusqu'au signalement où généralement il est capable de se rapporter, surtout dans les cas d'adolescents. Alors, il est important pour le professionnel de cerner certains paramètres afin d'éviter d'être l'otage d'autres enjeux qu'il ne peut contrôler:

    10 Cohen-Emerique, M., p. 112, «Choc de culture», cité dans Méthodologie de l'intervention sociale et interculturali-té, 1992, p. 29

    iii

  • qui a fait le signalement? dans quel intérêt, ce qu'il en retire? comment ce signalant aurait pu traiter la situation à l'intérieur de la famille ou par des services en volontaire sans recourir à la DPJ?

    Cela ne signifie nullement une volonté de voir les enfants d'origine haïtienne échapper à la loi, mais la nécessité pour l'intervention psychosociale de démontrer une certaine souplesse, une ou-verture, une volonté d'ajustement aux différences pour éviter des «maladresses» professionnelles, par exemple, utiliser le retrait intempestif d'un enfant de sa famille, généralement par le biais de l'école, dans l'unique objectif d'obtenir la collaboration des parents, sans considération de l'impact sur ce dernier et sa famille.

    Réactions des parents face à la notion de dossier

    Le mot «dossier» a une connotation péjorative pour les parents d'origine haïtienne. Avoir un dossier est difficilement acceptable d'autant plus que le parent sent n'avoir aucun pouvoir sur le contenu, n'ayant pas toujours reçu au départ tous les renseignements sur ses droits. Vouloir ob-tenir au premier contact toutes les informations sur leurs situations conjugales, familiales, finan-cières, les mettre immédiatement en cause dans le signalement alimentent leur impression de la volonté de l'intervenant de «monter un dossier contre eux» et sont, entre autres, autant de facteurs de fermeture. À la protection de la jeunesse, ils viennent contre leur gré, l'intervention étant amorcée autour d'une situation-problème et à partir d'une contrainte externe, «un signalement, dont ils contestent plus souvent qu'autrement la légitimité. L'expérience a souvent permis de constater une mobilisation du réseau des parents dès l'amorce du signalement: appels d'amis, de la parenté élargie, du Pasteur, tous veulent savoir «ce qu'il y a dans le dossier». On voit ces per-sonnes à l'occasion accompagner les parents au bureau, au tribunal de la jeunesse en terme de support. C'est à l'intervenant de chercher à savoir, avec le parent, comment s'allier ce réseau.

    Bien souvent, le parent insiste pour que l'un ou l'autre de ces accompagnateurs assiste à l'entrevue car cela le sécurise. L'intervenant habitué à travailler dans le cadre restreint de la fa-mille, c'est-à-dire avec les deux parents et ascendants impliqués, ont tendance à réagir par un re-fus, évoquant à juste titre la question de la confidentialité. L'approche privilégiée consisterait à garantir au parent une ouverture à sa demande, le rencontrer dans un premier temps pour l'informer des faits et lui laisser le choix d'introduire la personne accompagnatrice au moment qu'il jugera opportun. Tout ce monde réagit au fait que l'enfant a un dossier qui, à leur avis, le stigmatise et le suit toute sa vie de façon irréversible. Beaucoup de parents expriment une grande préoccupation quant au délai de destruction du dossier à la fin du suivi social.

    Réactions des parents à l'égard des intervenants d'origine haïtienne

    Selon les parents rencontrés dans le cadre du projet et l'expérience d'intervention , les réactions sont partagées. Certains parents manifestent carrément de l'hostilité, de l'agressivité à leur égard

    iii

  • (insultes, menaces verbales). Quelques-uns expriment clairement leur préférence pour un interve-nant d'origine autre qu'haïtienne, par méfiance et par doute quant à la confidentialité.

    Un plus grand nombre aurait exprimé apprécier recevoir leurs services, contents d'avoir eu un intervenant qui connaît leur langue, leur culture, capable surtout de décoder leur langage et les rejoindre dans leur réalité sans se sentir menacés, bref, quelqu'un en qui ils peuvent se reconnaî-tre.

    11

  • QUELQUES FACTEURS IMPORTANTS À CONSIDÉRER À L'ÉTAPE EVALUATION/ORIENTATION À L'ÉGARD DES ENFANTS D'ORIGINE HAÏTIENNE SIGNALÉS EN VERTU DE LA LOI SUR LA PROTECTION DE LA JEUNESSE

  • La famille d'origine haïtienne

    La famille d'origine haïtienne est de type élargi. Elle inclut, outre les parents, les grands-parents, les oncles, les tantes, les cousins, les cousines, les voisins proches et les amis de longue date. Plusieurs de ces membres peuvent se retrouver sous le même toît. Les demi-frères et demi-soeurs sont considérés comme des membres à part entière. Les liens de solidarité et d'interdépendance sont très forts, les relations étroites. L'emprise du groupe familial s'exerce sur chacun des mem-bres. Les décisions importantes font souvent l'objet de consultation et de concertation, par exemple, acquisition d'immeubles, décision de parrainage, délégation d'un membre pour assister au pays natal aux funérailles d'un proche, et autres. Ce qui diffère de beaucoup de la notion d'intimité, de personne autonome et indépendante prônée par les valeurs du milieu d'accueil, va-leurs qui, selon madame Cohen-Emerique, «constituent un danger à l'identité, à la cohésion de la famille et nuisent à sa régulation. Pour les immigrants, la famille demeure la cellule d'ancrage où on se ressource».] 1

    La famille d'origine haïtienne est de structure patriarcale et matrifocale. Le père joue un rôle d'autorité et de pourvoyeur quand il est présent. Son implication affective auprès de ses enfants peut se révéler, selon le cas, très ou peu significative. Même quand il ne vit pas sous le même toit que certains de ses enfants, il continue d'exercer le contrôle et peut se présenter sur demande pour sanctionner des comportements jugés inacceptables chez ces derniers. C'est le cas de certains enfants confiés par le père à un autre membre de la famille (grand-mère, tante, amis, etc.) et que nous retrouvons quelques fois parmi la clientèle en protection à Montréal.

    La mère assume les enfants dans la routine quotidienne. Elle fait figure d'autorité de parent principal. C'est à la mère que revient essentiellement la responsabilité de subvenir aux besoins de la famille, de veiller à l'éducation des enfants avec le support de toutes les femmes présentes au-tour de ces derniers (grand-mère, tante, cousine, marraine, voisines, etc.).

    Beaucoup de femmes d'origine haïtienne ont trimé dur toute leur vie en Haïti pour élever seules et réussir l'éducation de leurs enfants. Les enfants ne se reconnaissent aucune différence en terme de demi-soeurs, demi-frères, même lorsqu'ils sont nés de pères différents et que chacun porte un nom de famille distinct. Les liens fraternels sont forts et très étroits. Le contact avec les pères peut se révéler, selon le cas, proche, distant ou inexistant. Les enfants vouent à la mère respect, vénération, reconnaissance. La mère s'attend de façon légitime qu'en retour ses enfants la pren-nent en charge dans sa vieillesse, ce qui va de soi dans la culture haïtienne. Les aînés ayant acquis une position économique assument la relève des parents (encadrement, instruction, éducation) auprès des plus jeunes de la fratrie. Il arrive parfois que des aînés abandonnent leurs propres étu-des pour remplir ce rôle. Il en est de même au décès de l'un ou des deux parents. Les enfants plus jeunes bénéficiant alors d'un plus large soutien ont généralement les possibilités de réaliser des études plus avancées que les aînés, avec un sentiment de redevance envers ces derniers.

    11 Notes de formation avec madame Cohen-Emerique, les 19-25-26 septembre 1995.

    iii

  • Ces personnes ont donc grandi et évolué jusqu'à un certain âge dans un cadre socio-culturel où ces attentes puisaient toute leur légitimité. Aujourd'hui, certains d'entre eux doivent non seule-ment confronter le choc migratoire mais ils sont aussi devenus, à leur tour, parents dans un con-texte nouveau avec une organisation socio-économique différente: fréquentation scolaire obliga-toire jusqu'à 16 ans, accès relativement facile aux études professionnelles, assistance financière de l'État aux étudiants et aux parents, service d'hébergement pour les personnes âgées, conditions de logement différentes offrant plus d'intimité à chacun, etc. Au Québec, les enfants d'origine haï-tienne ne voient pas leurs parents multiplier des démarches incessantes auprès de divers particu-liers pour leur obtenir l'accès à des études supérieures ou au marché du travail. Il n'en demeure pas moins que plusieurs parents continuent encore à se priver de beaucoup sur le plan personnel afin de pouvoir répondre de façon maximale aux différents besoins de leurs enfants et leur permet-tre de parvenir à des niveaux supérieurs. En retour, on constate dans le discours que certains d'entre eux entretiennent à l'égard des enfants des attentes familiales similaires à celles de leurs propres parents. Les adolescents qui évoluent loin du contexte de l'enfance des parents déclarent vivre ces attentes et discours comme des pressions qui deviennent parfois source de conflits rela-tionnels importants et même de rupture puisque les référents culturels et la compréhension des rôles parentaux sont différents.

    Les grands-parents sont des figures significatives qui continuent de faire partie intégrante de la famille. Leur engagement envers celle-ci est continuel, spécialement de la part des grands-mères activement impliquées dans le gardiennage, les soins et l'éducation des petits enfants. Ils parta-gent les tâches domestiques et apportent du support moral et affectif à la famille. Certaines grands-mères acceptent volontiers de jouer le rôle de mère et de remplacer auprès de leurs petits enfants les parents en difficulté.

    Une autre particularité rencontrée dans certaines familles d'origine haïtienne consiste dans le fait que dans une fratrie née des mêmes parents biologiques, chacun des enfants porte un nom de famille différent qui se révèle être pour l'un celui du grand-père maternel, pour l'autre celui de la grand-mère paternelle, d'un aïeul lointain, ou du père ou de la mère. Ce n'est qu'avec le phéno-mène de l'immigration et de la réunification des familles que les conséquences d'une telle prati-que se sont fait sentir.

    16

    V

  • L'Immigration

    Impact de l'immigration sur la dynamique familiale haïtienne

    Les étapes d'immigration de la famille haïtienne (immigration en escalier) avec les diverses éta-pes du processus d'adaptation qui se fait à des niveaux et des temps différents pour chacun des membres sont venues chambarder les assises de l'autorité parentale, les rapports dans le couple, entre la fratrie, entre les grands-parents et petits-enfants, tels que connus et vécus par les parents en Haïti. Il s'ensuit souvent des conflits importants au sein de la famille, aux causes diverses: difficultés à établir ou rétablir la relation avec le conjoint et/ou avec les enfants après une longue séparation; problème de communication; rejet des méthodes éducatives et de l'autorité du parent retrouvé; émancipation sociale et économique de la mère et des enfants; choc culturel; conflits intergénérationnels; réactions des parents et des grands-parents au comportement des adoles-cents: coiffure, habillement, langage, fréquentations, crise d'identité des adolescents dans un contexte de biculturalité. Il s'ensuit de l'exaspération chez les parents, perte de contrôle et pani-que et, finalement, signalement à la DPJ pour abus physiques et troubles de comportement.

    Profil des situations courantes rencontrées à la DPJ

    Selon notre expérience, voici le profil des situations rencontrées par les intervenants en évalua-tion/orientation:

    départ du père pour l'étranger, comme visiteur, laissant au pays la mère et les enfants en bas âge;

    départ de la mère monoparentale pour l'étranger comme touriste, confiant son ou ses en-fants à son réseau: grands-parents, oncle, tante, amis, marraine de l'enfant;

    voyage du parent préparé et réalisé dans le plus grand secret - rares sont les enfants infor-més du projet;

    l'enfant, peu ou pas du tout préparé à cette séparation, se retrouve du jour au lendemain avec des parents substituts;

    le parent transite pendant des mois et même des années dans des pays tiers, dans des conditions de grande précarité (Martinique, Guadeloupe, Venezuela, France, etc.) avant de pouvoir entrer au Canada, encore à titre de visiteur ou de revendicateur du statut de réfu-gié;

    absence de contacts avec parents et famille en Haïti pendant le séjour dans les pays tiers ou contacts occasionnels à cause de l'incapacité de les soutenir financièrement, ce que certains enfants interprétaient comme de l'abandon;

    iii

  • au Canada, le parent sans droit d'établissement occupe divers emplois précaires pour assu-rer sa survie et celle des siens restés en Haïti, payer les honoraires d'avocats pour la régu-larisation de son statut d'immigrant, démarche qui outrefois pouvait s'étaler sur une durée de trois ans selon Paul Dejean1 ;

    longues démarches subséquentes auprès des bureaux d'immigration pour la réunification familiale;

    mère qui rejoint le père à l'étranger avec les enfants plus vieux et les plus jeunes suivent plus tard. Difficultés à recréer des liens étroits dans la fratrie à cause du décalage dans le niveau d'acculturation;

    contacts parents/enfants maintenus à l'occasion par téléphone, courrier, cassette-audio;

    la durée moyenne de la séparation parents/enfants est de 3-4 V2 ans. Selon Dejean, dans certaines situations, la période de séparation pouvait dépasser 5 ans13;

    parents de situation très modeste qui sacrifiaient leurs propres besoins au Canada pour gâter leurs enfants laissés en Haïti; déception de ces enfants à leur arrivée face aux condi-tions financières réelles de leurs parents: rejet, honte, exprimés à l'égard de ces derniers;

    déception des parents devant l'attitude des enfants, leur incompréhension des sacrifices consentis et leurs besoins de consommer;

    enfants issus de plusieurs unions différentes, exemple: père qui arrive d'Haïti avec 2-3 enfants nés de mères différentes en Haïti, réunis chez l'épouse avec les enfants de celle-ci auxquels s'ajoutent ceux du couple;

    enfant qui rejoint le parent à l'étranger avec peu ou pas de préparation au voyage; l'enfant vit de nouvelles ruptures affectives et du déracinement avec le parent substitut et le pays natal;

    enfant ayant connu une absence totale de contact avec le milieu familial qui l'a accueilli au Québec;

    enfant retrouvant une famille déjà reconstituée à son arrivée: beau-père, belle-mère, demi-frères, et soeurs jusque là inconnus;

    parents confiant volontiers son enfant, pour son bien-être, à la grand-mère, soeur, frère, cousins vivant à l'étranger comme cela se fait en Haïti - tendance des intervenants à inter-préter cette pratique comme du rejet affectif parental alors qu'il n'en est rien;

    12 Dejean, Paul, «Les haïtiens au Québec», p. 16. 11 Dejean, Paul, «Les haïtiens au Québec», p. 138.

    iii

  • situation de reconnaissance tardive de paternité où un enfant, généralement un adolescent, rejoint au Canada un père qu'il n'a jamais connu auparavant;

    absence d'une structure d'accueil, de support, pour diminuer le choc après l'euphorie des retrouvailles;

    contexte de monoparentalité où les femmes sont pauvres et démunies;

    contexte de pauvreté où les deux parents travaillent ici et sont chacun de leur côté soutien financier du reste de la famille restée en Haïti. Parents peu disponibles pour investir leur enfant (impact important de ces conditions d'existence sur la qualité de vie de la famille).

    Impact de la séparation sur les relations parents/enfants

    Beaucoup de parents ont préparé et réalisé leur départ dans des conditions psychologiques extrê-mement difficiles; voici quelques éléments rapportés par certains d'entre eux:

    tracasseries administratives pour l'obtention d'un passeport en Haïti; insécurité dans l'attente d'un visa de touristes; secret entourant les formalités du voyage par méfiance, crainte de dénonciation politique, de mauvais sorts du prochain et surtout de devoir vivre l'humiliation et la gêne face au voisinage en cas de refoulement par le pays hôte; destination immédiate selon les possibilités du moment, souvent un pays tiers, destination finale envisagée ultérieurement; départ du pays dans des conditions insécures avec un visa de visiteur, donc incapacité du parent à prévoir de façon précise la durée de la séparation avec la famille, le lieu et le mode de réunification familiale.

    La durée et les conditions du vécu de la séparation entre les parents et les enfants ont un impact négatif majeur sur leurs relations après leur réunification. L'étude de Messier14 en 1993 révèle en effet que 66% des enfants haïtiens placés sont nés en Haïti et 17% ont vécu de longues sépara-tions avec leurs parents au moment de l'immigration, soit en moyenne 4 ans 1/2. Bouchard15 souligne que 73% des enfants haïtiens en besoin de protection sont nés en Haïti et qu'ils avaient en moyenne 9 ans lorsqu'ils ont immigré au Canada. On peut citer parmi les cas connus:

    parents immigrés ici depuis longtemps, qui gardent la même vision de leur propre adoles-cence vécue dans le pays d'origine et enfants qui leur arrivent à 14-15-16 ans avec une culture différente; donc peu conscients de l'évolution de leur société d'origine depuis leur départ du pays natal;

    14 Messier, C., Toupin, J. «La clientèle multiethnique des centres de réadaptation pour les jeunes en difficulté», 1991, pp. 8 et 55. 13 Bouchard, C. «Étude comparative de mauvais traitements», PRISME 1990, vol. 1 no 2, p. 61.

    2960

  • parents ayant gardé l'image de l'enfant laissé en Haïti sans tenir compte de l'évolution de celui-ci, devenu adolescent, de ses expériences positives et négatives vécues pendant la séparation; problèmes relationnels importants parents/enfants; signalement pour troubles de comportement; décision de rapatriement en Haïti de la part des parents;

    enfant qui développe des liens affectifs avec le parent substitut. Le parent à l'étranger est perçu comme «pourvoyeur» qui peut être remplacé ici par les services d'État: héberge-ment, suivi social, bien-être social en cas de conflits ou de rupture après la réunification familiale;

    difficultés pour l'enfant de faire sa place dans la nouvelle configuration familiale; il se sent souvent en position d'infériorité par rapport à la fratrie plus jeune née ici et plus à l'aise dans le milieu; enfants étrangers entre eux;

    jeunes frappés pour avoir été incapables d'appeler leurs parents «papa-maman» après une longue séparation;

    difficultés relationnelles importantes avec le beau-parent; difficultés à recréer les liens affectifs avec le parent biologique.

    Quelques pistes d'intervention

    Pour mener à bien son travail d'évaluation, l'intervenant doit explorer, entre autres, les dimen-sions suivantes afin de pouvoir établir un plan d'intervention qui réponde adéquatement à la réali-té de la famille. L'intervenant doit:

    chercher à connaître l'histoire migratoire de la famille: motifs de départ, trajectoire mi-gratoire de chacun, attentes face au pays d'accueil, phase d'adaptation actuelle, contacts avec l'extérieur, existence ou absence de réseau primaire; bref, connaître les étapes du cheminement personnel des parties concernées;

    aider la famille à trouver le temps nécessaire pour se retrouver entre eux, créer les occa-sions propices pour renouer, s'apprivoiser, recréer des liens;

    sensibiliser les membres de la famille au vécu particulier de chacun;

    sensibiliser les parents à l'impact psychologique de la séparation sur l'enfant;

    aider le parent à réaliser la nécessité d'expliquer à l'enfant les motifs et circonstances de son départ;

    aider le parent à planifier un temps d'écoute et d'intimité pour cet enfant qui a besoin de comprendre les événements du départ du parent jusqu'aux retrouvailles, de lui verbaliser ses peines, ses expériences vécues avec le parent substitut. Les témoignages recueillis des

    iii

  • jeunes lors des rencontres permettent d'avancer cette démarche comme un pont important dans le processus de rétablissement de la relation affective parent/enfant;

    clarifier avec l'enfant les circonstances de son propre départ. L'aider à vivre sa nouvelle réalité, le deuil de ses nombreuses pertes affectives et environnementales; à trouver sa place dans la famille, s'il y a lieu;

    favoriser les contacts avec les organismes communautaires du milieu comme accompa-gnateur et soutien au processus d'intégration.

    iii

  • La situation des enfants confiés à la parenté au Canada (et connus à la Direction de la protection de la jeunesse)

    Le parent en Haïti qui confie volontiers son enfant à la parenté au Canada (ou tout autre pays étranger) agit dans une double perspective: l'intérêt et le bien-être de son enfant qui pourra étu-dier, réussir son avenir et l'espoir que celui-ci ne l'oubliera pas et le fera immigrer lui aussi plus tard. Ce raisonnement exclut totalement les notions de rejet affectif, d'abandon.

    L'expérience de travail a permis de constater que des adolescents et aussi de très jeunes enfants (3-4 ans) se retrouvent dans cette situation.

    Il est intéressant de comprendre que dans la mentalité haïtienne, l'attachement à la mère est un culte. L'amour filial et l'amour maternel sont perçus et vécus comme des sentiments automati-ques et indéfectibles. De son côté, l'enfant a une dette de reconnaissance quasi étemelle envers ses parents. Cet état de fait est entretenu par la culture et tout l'environnement, par exemple, pour une mère haïtienne, même au loin et après plusieurs années d'absence, son enfant ne saurait l'oublier et la figure maternelle qui investit ce dernier au pays d'accueil ne saurait la supplanter.

    Généralement, les parents d'accueil qui reçoivent ces enfants au Québec agissent de bonne foi, par solidarité familiale; le voyage est souvent négocié, arrangé d'adulte à adulte excluant l'enfant, peu conscients des répercussions sur ce dernier. De leur côté, les parents d'accueil sont souvent très peu préparés pour un travail d'accompagnement du jeune ou de l'adolescent dans le vécu de la transition et l'adaptation. Ils s'attendent plutôt à ce que ce dernier se conforme le plus rapidement possible aux règles de la vie familiale et à la société d'accueil.

    Certains de ces enfants sont signalés pour négligence grave, abus physiques, troubles de compor-tements. La préparation de l'enfant au voyage et le maintien des contacts avec le parent biologi-que semblent des facteurs négligés dans la majorité de ces cas. Ces enfants vivent-ils autant que les enfants placés «de choc et l'angoisse de séparation et du changement de milieu, des troubles de l'attachement primaire dont parle dr Myriam David»?16 Michelle St-Antoine, psychologue rap-porte que «lorsque l'enfant placé est séparé de sa mère, ce n'est pas seulement la perte de la mère réelle dont il souffre, mais également celle de la mère interne qu'il doit lutter, jour après jour, pour garder vivante malgré son absence dans la réalité... que pour continuer à élaborer l'objet interne, à pouvoir vivre son absence comme une présence, l'enfant doit avoir encore largement sa mère à sa disposition... L'échec à garder cette image vivante malgré son absence dans la réalité... amène l'enfant à se perdre lui-même.»17

    Des adolescents et enfants rencontrés en Évaluation-Orientation ont raconté:

    16 David, Myriam, psychiatre, «Le bébé en placement familial», dans Prisme, été 94, vol. 4, nos 2-3, p. 272 17 St-Antoine, Michelle, psychologue, «La souffrance de l'enfant placé: à la recherche de l'objet perdu», dans Prisme, été 9< vol. 4, nos 2-3, pp. 257-258

    23

  • être partis sans préparation au changement, sans une photo de leur mère ou de leurs pa-rents; n'avaient pas ou très peu de liens avec la parenté qui les a accueillis au Québec;

    leurs parents en Haiti ne leur écrivent pas, attendent plutôt que ce soit eux qui le fassent et souvent, ils ne connaissent pas l'adresse exacte de ces derniers;

    que lorsque la communication écrite est possible, elle doit passer par le parent d'accueil limitant ainsi la possibilité d'informer leurs parents d'origine de leurs conditions réelles;

    un certain nombre d'entre eux vivant chez leur belle-mère avec le père ont rapporté n'avoir même pas le droit de citer le nom de leur mère ou de parler ouvertement de celle-ci dans la maison et que c'est là l'un de leurs plus grands problèmes;

    ils expriment vivre une lourde dette de reconnaissance envers les parents d'accueil, subir les menaces de renvoi en Haïti pour constater la misère de leur mère et réfléchir, ce qui les humilie beaucoup d'une part et que, d'autre part, après quelques années ici, ils sont déjà loin de la réalité d'Haïti et de la mère devenue quelque peu étrangère;

    la parenté d'accueil de l'adolescent communique avec la mère pour lui rapporter seule-ment les mauvais coups de celui-ci et la mère croit l'adulte;

    lorsque la situation se dégrade et qu'un éloignement s'avère inévitable, le rapatriement est la solution généralement privilégiée. Cependant, les adolescents préfèrent choisir celle la plus facile à vivre, soit le placement dans une famille d'accueil qui les investit. Ils disent perdre tout lien avec les parents biologiques, démontrent peu d'intérêt à leur écrire sachant qu'ils ne seront pas crus. Ils disent vivre malgré eux le détachement à leur mère. Messier et Toupin rapportent cjue les mères de 16% des adolescents placés en centres d'accueil vi-vent toujours en Haïti .

    L'expérience de travail a aussi permis de constater que certains de ces enfants connaissaient des conditions matérielles supérieures à celles connues ici, en plus d'avoir été choyés affectivement, alors qu'ici ils sont privés à bien des niveaux en raison des conditions financières restreintes du milieu d'accueil. Pour cette catégorie, les parents contactés expliquaient avoir consenti le départ des enfants croyant qu'à l'étranger c'est toujours mieux et que c'était impensable qu'il y ait des pauvres au Canada. La mission du projet migratoire de certains jeunes provenant de milieux plus défavorisés est de réussir personnellement et d'assurer ultérieurement la venue au Canada du reste de la famille.

    18 Messier, C., Toupin, J. «La clientèle multiethnique des centres de réadaptation pour les jeunes en difficulté», 1991, p. 55.

    24

  • Quelques pistes d'intervention

    Compte tenu des situations présentées plus haut, les interventions de la DPJ devront viser avant tout l'intérêt des enfants, minimiser le choc migratoire et s'assurer que le développement de l'enfant se fait sans heurts.

    Dans ces situations spécifiques, l'intervention peut viser deux objectifs différents, selon que:

    l'enfant reste dans son milieu naturel; ou que le placement s'avère nécessaire.

    Dans le cas des très jeunes enfants, le retour à la mère pour être investis, quand c'est possible, devrait être privilégié, si on se réfère aux divers auteurs connus pour leurs travaux sur les effets de la séparation mère/enfant (Bowlby, Winnicott, Spitz, Klein, David et autres).

    Il peut arriver aussi que des mères refusent de recevoir l'enfant à cause de leur situation person-nelle difficile et surtout de l'image d'abondance et de bien-être généralisé qu'elles se sont faite du Canada. Certaines ont déjà demandé à des intervenants en protection de placer leur enfant en famille d'accueil lorsque la parenté au Québec se révélait incapable de l'assumer. Le substitut maternel doit alors être vraiment sensibilisé aux perturbations vécues par l'enfant pour compren-dre sa recherche de sécurité affective, identitaire, l'investir adéquatement et compenser l'absence maternelle.

    Le parent devra être également informé des risques que comporte son refus de reprendre charge de son enfant.

    Quand l'enfant doit rester ici avec un suivi social

    Citons d'abord Michelle St-Antoine, psychologue: «77 est nécessaire que les intervenants puis-sent trouver un lieu où nommer et élaborer les angoisses et reconnaître la souffrance de l'enfant (et des parents) face au placement Souvent pour toutes sortes de motifs, la souffrance de 7 'enfant face à la perte des figures parentales est minimisée»}9 Tenant compte de cet impératif, l'intervenant aura soin de:

    travailler avec le parent d'accueil le contexte dans lequel l'enfant est arrivé chez lui, les raisons pour lesquelles on l'a fait venir d'Haïti, les démarches faites, ceci en présence de l'enfant pour le rassurer. Il faut que l'enfant arrive à comprendre que des adultes avaient agi dans son intérêt et le lui expliquer. L'intervenant devra aussi comprendre ce que re-présente pour cet enfant de devoir répondre aux attentes de ses parents en Haïti et à celles des parents d'accueil;

    sensibiliser le parent d'accueil au choc de la séparation vécu par l'enfant pour qu'il puisse écouter celui-ci dans tout ce qu'il vit par rapport à son déracinement;

    19 St-Antoine, Michèle, op. cit., p. 264

    25

  • permettre et faciliter à l'enfant de s'exprimer sur son vécu, sa compréhension de sa situa-tion. Cette ouverture réalisée dès le départ pourrait éliminer d'emblée plusieurs problè-mes ultérieurs liés à l'incompréhension mutuelle, tels la délinquance, la violence, l'appartenance à des gangs qui exercent un grand attrait sur ces enfants à la recherche d'une famille, d'identification et de valorisation;

    clarifier les attentes de part et d'autre, c'est-à-dire entre les adultes responsables et l'enfant ou l'adolescent;

    rétablir le contact entre l'enfant et sa famille en Haïti, faciliter et encourager la communi-cation par les moyens disponibles. Ex.: cassette audio, courrier, téléphone;

    aider l'enfant à construire son identité, à retrouver ses références, ses racines;

    permettre à l'enfant d'aller visiter ses parents, sa famille quand cela s'avère nécessaire et tout mettre en oeuvre pour rendre cette démarche possible, de concert avec les parents d'accueil et l'enfant;

    sensibiliser la mère ou les parents en Haïti au vécu de l'enfant au Québec, au futur de ce-lui-ci, c'est-à-dire aux aspects tant positifs que négatifs de sa situation.

    Pour les enfants placés

    travailler au rétablissement, au maintien des liens avec la parenté en Haïti;

    informer les parents en Haïti des événements importants de la vie de l'enfant et de sa si-tuation réelle;

    maintenir les liens avec la parenté responsable de son immigration au Québec;

    sensibiliser la famille d'accueil au vécu de l'enfant afin qu'il puisse verbaliser sur son déracinement, sur le «comment» il entrevoit son avenir ici;

    travailler à la réinsertion dans la famille ici autant de fois que cela se révèle possible;

    en cas de non-possibilité de réinsertion, jeunes adultes de 17-17 14 ans, l'aider à se faire un plan de vie et les accompagner dans le cheminement vers leur autonomie;

    dans certains cas, les parents substituts refusent de communiquer à l'enfant et à la DPJ l'adresse du parent en Haïti. Dans les cas judiciarisés, demander au tribunal d'exiger que ceux-ci transmettent les coordonnées requises.

    26

  • L'Appartenance religieuse des familles d'origine haïtienne

    Les principaux courants religieux

    Il y a au sein de la communauté haïtienne trois courants religieux principaux:

    le catholicisme le protestantisme:

    pentecôtisme baptiste adventistes du 7e jour témoins de Jéhovah.

    le vaudou

    Le catholicisme

    La majorité des personnes d'origine haïtienne se déclarent de religion catholique. Considérant que le catholicisme est la religion de la majorité au Québec, il n'est pas jugé pertinent de donner des explications à ce sujet.

    Le protestantisme

    Quelques informations particulières sur les chrétiens non-catholiques:

    Les pentecôtistes et les baptistes

    service d'adoration le dimanche et autres activités spirituelles la semaine (jeûne, études bibliques, réunions de prières); certaines assemblées proscrivent le port des bijoux, le maquillage, le port des pantalons par les femmes, d'autres laissent ces aspects à la discrétion des membres; aucune restriction alimentaire; commémoration de Noel, Vendredi Saint, Pâques (souligne la fête des Mères, des Pères); pas de baptême de bébé, mais présentation au Temple; pas de 1ère Communion mais participation à la Ste-Cène après le baptême sur engagement personnel devant Dieu; sexualité à l'intérieur du mariage.

    Les adventistes du 7e jour

    observent le Sabbat du vendredi soir au samedi soir; ne portent pas de bijoux;

    iii

  • se marient généralement le dimanche; ne consomment pas de porc, ses produits dérivés et les fruits de mer sans écaille, le sang et ses dérivés; ne célèbrent pas les fêtes religieuses traditionnelles: Noël, Vendredi-Saint, Pâques et les fêtes païennes, ex. l'Halloween; pas de baptême des enfants, présentation des bébés au Temple; pas de 1ère Communion, participation à la Ste-Cène après le baptême sur engagement personnel devant Dieu; sexualité à 1 ' intérieur du mariage.

    Les témoins de Jéhovah

    doctrine qui dénonce ce qu'ils appellent «le mauvais système de choses»; beaucoup d'accent sur l'étude de la Bible et l'évangélisation porte-à-porte; pas de célébration des fêtes religieuses traditionnelles, ni d'anniversaires personnels, ni d'Halloween et autres; l'autorité du père est absolue; tous les comportements sont codés par des versets bibliques; sanction à toute les infractions de la doctrine.

    Sur le plan des interactions sociales, les enfants ont une appartenance à l'école et qui s'arrête là, car dans le discours doctrinal et familial tout ce qui est en dehors du cadre des Témoins est mau-vais. Contrairement aux autres dénominations protestantes, les haïtiens appartenant à cette reli-gion ne constituent pas des assemblées homogènes avec des dirigeants haïtiens mais sont dissé-minés à travers les diverses salles des Témoins du Royaume de Jéhovah de leur milieu.

    Place et importance de la religion protestante dans la famille haïtienne

    Dans ces dénominations appelées couramment «protestants», la morale est stricte, la vie familiale et l'éducation des enfants basées avant tout sur des principes religieux. Les versets de la Bible, seule référence, sont souvent cités pour justifier certaines pratiques éducatives. La différence chrétiens/mondains, la crainte de Dieu et la foi en Jésus-Christ, le Salut de l'âme versus le péché, le respect de soi et d'autrui, la prière, la discipline, le respect de l'autorité sont des valeurs essen-tielles à transmettre. En dehors de la famille, de l'école, la vie est articulée principalement autour des activités de l'Eglise, véritable milieu de vie où tous se connaissent, se supportent (mariage, naissance, maladie, deuil, etc.). Ces congrégations sont généralement homogènes avec des diri-geants haïtiens. Un nombre restreint d'haïtiens appartiennent à des assemblées religieuses con-duites par des pasteurs d'origine ethnique autre que la leur.

    Le pasteur est généralement une personne de confiance souvent appelé à jouer un rôle de média-teur, de négociateur, d'accompagnateur dans les conflits et autres situations (scolaire, familiale, judiciaire, médicale, immigration). La question du contrôle des naissances pose un sérieux pro-blème de conscience non résolu à l'intérieur de ces communautés. Aux activités spirituelles

    iii

  • (prières, jeûne, études bibliques, culte) s'ajoutent d'autres d'ordre récréatif (journées récréatives, sorties, croisières, concert) et éducatif (retraite de couples, conférences, camp pour les jeunes, rattrapage scolaire, cours de musique, etc.). Les enfants peuvent se retrouver, se reconnaître, dé-velopper une appartenance culturelle à l'école et aussi à l'intérieur des activités de groupe, s'identifier aux dirigeants qui sont d'origine haïtienne.

    La pratique religieuse revêt aux yeux des parents une forme de protection et de sécurité pour leurs enfants contre les déboires de l'environnement extérieur, ce que ces derniers ne saisissent pas toujours. Certains enfants fonctionnent généralement bien dans ce cadre jusqu'à la remise en question générale à l'adolescence accentuée par les interdictions et restrictions religieuses et pa-rentales versus le besoin de s'affirmer dans ses propres choix.

    Il ressort de nos rencontres que les jeunes n'appréhendent pas toujours au même degré que des parents les dangers réels de l'environnement, ils se perçoivent simplement comme des jeunes et désirent vivre comme tels. Les pressions de l'environnement, les notions de droit, de liberté de la personne, font vite leur chemin dans la tête des jeunes en même temps qu'un désir de loyauté envers leurs parents. Certains avouent avoir développé des stratégies qui se révèlent à leur tour source de conflits avec les parents (cacher sa trousse de maquillage, porter pantalons et bijoux à l'extérieur, mentir sur l'emploi du temps pour aller à la danse de l'école ou au cinéma avec des amis, etc.).

    Pour un parent haïtien protestant, une fille qui se maquille à 13 ans, qui a un ami de coeur à 13 ans, le relâchement des enfants à l'égard de la dévotion, le désinvestissement face aux activités de son Eglise, constituent des attitudes inquiétantes. C'est dans leur tentative de reprendre le con-trôle de la situation que certains parents sont amenés à poser des gestes parfois maladroits pour des faits banals à nos yeux mais qui revêtent une grande importance pour ces derniers.

    Parlant du jeune immigrant d'origine haïtienne, reprenons ici la pensée de Marc-Léo Laroche:

  • problèmes de comportement chez les jeunes, viennent de la contradiction chez les parents de ces deux contraintes, de ces deux exigences.

    Le parent croyant ainsi agir dans le plus strict intérêt de son enfant peut renforcer la rigidité suite à un signalement et démontrer une fermeture totale face à l'intervention DPJ.

    Le vaudou

    Définition

    Le vaudou est un «ensemble de croyances et de rites d'origine africaine, constituant la religion de la plus grande partie de la paysannerie haïtienne, de la plupart des citadins d'Haïti»21. Elle régit les conduites de toutes les couches sociales, à des degrés divers... même parmi celles qui se disent non-vaudouisantes... les dieux vaudou ou «lao» se manifestent, entre autres, par le phéno-mène de possession de leurs sujets. Le christianisme l'associe à Satan, au mal, au diable.... Selon A Métraux cité par G.M. Craan, «ses adeptes lui demandent ce que les hommes ont toujours at-tendu de la religion: des remèdes à leurs maux, la satisfaction de leurs besoins et l'espoir de survivre»12. Le vaudou constitue une réalité culturelle complexe qui continue de faire partie de la définition collective du peuple haïtien.

    Place et rôle du vaudou dans la vie haïtienne

    L'imaginaire haïtien est donc façonné par le vaudou tant par sa participation que par son refus. Il y a une distinction entre le vaudou en tant que cadre religieux et l'usage abusif de la magie à l'intérieur de celui-ci. Tous ceux qui s'adonnent à la magie, la sorcellerie ne sont pas forcément vaudouisants et vice versa. Habituellement, le recours aux pratiques vaudou vise la guérison, la protection, la conjuration des mauvais sorts, de l'adversité, d'échecs imputés à des causes surna-turelles.

    Vaudou - psychiatrie et signalement à la DPJ

    Le vaudou est présent dans certains signalements dans des situations à caractère psychiatrique sous forme de délire persécutoire, de magie, de méfiance envers l'environnement ou encore comme moyen utilisé par un parent pour signifier son refus de l'intervention DPJ en proférant des menaces. Il peut arriver que certains jeunes et certains parents s'en servent pour manipuler les intervenants, sachant qu'il s'agit là d'un domaine tout à fait inconnu pour ce dernier, par exemple, jeune qui se déresponsabilise face à ses agirs, genre «J'ai été obligé de voler, d'agresser, poussé par un esprit»; père qui met des abus sexuels sur le compte «des loas ou des esprits»; père ou

    21 Nerec, Achille, «Les implications psychiatriques du vaudou haïtien», page 1.

    22 Craan, Marie-George, «La santé mentale dans la communauté haïtienne, ouverture et partage«, p. 10.

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  • mère qui menace de jeter des mauvais sorts aux intervenants ou de faire mourir les enfants s'ils révèlent certains secrets.

    Selon Emerson Douyon,

  • et à vouloir protéger à tout prix l'enfant contre le parent étiquetté «fou». Dans ce genre de situation, l'intervenant placé devant cet «inconnu» se doit de faire appel à des experts ou interprètes culturels pour lui permettre de décoder les discours et comportements du pa-rent, d'accéder, en quelque sorte, à cet univers étranger et étrange, comprendre la situa-tion, respecter et mieux servir l'enfant et sa famille. Cette démarche n'est pas nécessaire-ment facile mais demeure un préalable à une bonne évaluation-orientation.

    être conscient de l'opinion personnelle de l'intervenant d'origine haïtienne à l'égard du vaudou, compte tenu de son niveau d'acculturation et de ses pratiques religieuses person-nelles;

    l'incompréhension du parent du bien-fondé d'un signalement et du caractère incontour-nable de l'étape Évaluation-Orientation;

    la méconnaissance de la culture d'origine et du système de référence du parent par l'intervenant, sont entre autres, autant de facteurs majeurs susceptibles de conduire à une fermeture du parent qui croit faire face à tout un système allié contre lui et son enfant et plonger l'intervention dans une impasse.

    Pratiques religieuses parentales et incidences sur la sécurité et le développement de l'enfant

    Quelles que soient la foi ou les croyances religieuses du parent, l'intervention se doit de les res-pecter. C'est plutôt l'impact des conduites et comportements générés par ces croyances sur la sécurité et le développement de l'enfant signalé qui doit retenir toute l'attention de l'intervenant par la matérialité des faits, le degré de préjudice causé:

    isolement d'un enfant par méfiance outrancière du parent à l'égard de l'environnement, discours supertitieux, interdiction de jouer avec le petit voisin, de prêter ou d'emprunter un jouet ou son matériel scolaire, de se mettre à l'abri par temps froid en l'absence du pa-rent; corrections physiques sévères pour refus de participer aux services religieux ou au vau-dou; interprétation équivoque référant au surnaturel par le parent; de toute marque d'attention, parole ou de compliments venant d'une personne étrangère à la famille ou d'un voisin: tu es beau, tu es gentil, etc.

    L'enfant est souvent pris dans un dilemme et a du mal à se situer dans les contradictions de ce parent qui l'oblige à saluer, respecter ce voisin au sujet duquel il reçoit les messages négatifs. Ce genre de situation se vit de façon cruciale au primaire. Le parent s'isole et est d'une grande dis-ponibilité pour investir son enfant à la maison. Ce dernier peut performer à l'école et présenter un bon comportement. Les seuls signalements possibles sont en abus physiques quand l'enfant contrevient aux consignes. C'est au secondaire que la situation se retourne contre le parent. L'adolescent conscient des contradictions du parent, se révolte contre lui avec perte de confiance dans le discours de celui-ci. Il se produit une baisse du rendement scolaire, des problèmes de

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  • comportement (fugue, décrochage, absentéisme, manque de respect aux parents, etc.). A certai-nes occasions, l'adolescent exprime le désir de couper le pont avec le parent pour quelque temps. C'est dans la tentative de reprise du contrôle de la situation que les parents sont amenés à poser des gestes tels que frapper et nous retrouvons ces adolescents signalés pour abus physique et troubles de comportement ou encore que les parents décident de retourner les jeunes en Haïti de gré ou de force.

    Quelques pistes d'intervention

    Le grand défi consiste à susciter une ouverture et un peu de tolérance du parent face à l'intervention P.J. en le rejoignant sur son propre terrain, tout en tenant compte de la variable «urgence» de la situation. L'intervention devra:

    valoriser le parent dans les sphères de réussite auprès de son enfant; par exemple, alimen-tation, hygiène, tenue vestimentaire, suivi médical, scolaire et autres;

    rejoindre le parent dans sa méfiance, de sorte qu'il se sente écouté et compris;

    faciliter l'expression des expériences à la base de cette attitude;

    recourir quand nécessaire à l'expert interculturel ou l'interprète culturel afin de permettre à l'intervenant d'accéder à la réalité de cette famille et de décoder les messages et compor-tements relatifs au vaudou;

    amener le parent à identifier dans son réseau une personne de confiance susceptible d'être associée à l'intervention;

    éviter les blâmes, jugement «c'est dans votre tête» qui provoque l'agressivité du parent et sa fermeture.

    Chez les protestants particulièrement, pour aider les familles, il faut:

    respecter la foi des gens et travailler au rapprochement;

    attitude d'ouverture, de dépassement des préjugés, de la perception automatique de «secte», «lavage de cerveau» dès que les gens parlent de leur Eglise, de leur religion, de la Bible;

    vérifier auprès du parent sa connaissance du support qu'il peut recevoir de sa communau-té, de son assemblée religieuse, les personnes de référence, les activités existantes et dans quelle mesure il y croit et y participe;

    vérifier avec lui la possibilité d'entrer en contact avec ces personnes-clé et d'investir avec eux pour travailler à la résolution de la situation-problème.

    iii

  • L'autorité parentale

    L'autorité parentale est une valeur fondamentale dans l'éducation des enfants, une donnée de base incontestable dans la culture haïtienne. Elle est exercée par les parents (le père ou la mère, ou les deux) mais s'étend aussi aux adultes responsables du voisinage, aux aînés de la fratrie qui ont droit de correction sur les plus jeunes. Ces derniers acceptent ce fait selon la hiérarchie des rap-ports familiaux. Les membres influents de la famille peuvent jouer aussi un rôle de soutien et de régulateur. «Tous ces adultes se sentent concernés par les enfants et interagissent avec eux, aussi bien pour les stimuler, les gâter, que pour les discipliner. Ils procurent aux enfants des modèles d'adultes et exercent un contrôle social face aux pratiques éducatives des parents.»25

    Selon Hubert de Ronceray, en vertu d'un «droit usuel»26, les parents haïtiens disposent de tous les droits au sujet de leurs enfants et déterminent de façon discrétionnaire la qualité des rapports pa-rents/enfants, décident de leur avenir sans ingérence de l'État L'enfant, c'est leur possession. L'autorité du père est indiscutable quand il est présent dans la vie familiale. La marraine et le parrain sont également investis de cette autorité étant appelés à remplacer éventuellement les pa-rents en cas de décès, d'absence ou d'incapacité27 surtout en milieu rural. La famille assure le rôle primordial et déterminant dans le devenir de ses membres et constitue le lieu de transmission des normes exclusives de conduite et de solidarité. L'interdépendance est valorisée contrairement aux notions d'émancipation, d'autonomie individuelle, d'affirmation de soi véhiculées dans le milieu d'accueil. La distance marque les rapports parents/enfants à partir de l'âge scolaire. Cer-tains sujets demeurent tabous, tels que la sexualité, l'avortement, la contraception...

    En vertu de cette autorité parentaleet des responsabilités qui en découlent, le parent haïtien, entre autres choses:

    s'attend au respect absolu de la part de son enfant: il ne réplique pas, baisse les yeux pour lui parler, ne répond pas à des inconnus en son absence, l'adolescent ne fume pas en sa présence, etc.; corrige son enfant par les punitions physiques; fait son éducation religieuse; répond à sa place en entrevue; contrôle ses fréquentations: sorties, tenues vestimentaires, émission de télévision, usage du téléphone; impose des règles, une discipline familiale et les attentes scolaires; s'attend à obéissance et soumission de la part de son enfant; guide le choix de carrière de son enfant; accepte ou rejette une demande en mariage.

    25 Sabatier, C., Tourigny, M. «Écologie sociale de la famille haïtienne immigrante», PRISME vol. 1 no 2, 1990, p. 31. 26 De Ronceray, Hubert, «Sociologie du fiait haïtien», Les Presses de l'université du Québec, 1979, p. 10 27 Idem, p. 12

    iii

  • L'enfant à son tour connaît les règles familiales et ne remet pas toujours en question cette autori-té.

    Quelques pistes d'intervention

    L'intervention vise à rétablir une communication adéquate, à favoriser des modifications de com-portement favorisant de meilleures relations entre les parents et leur enfant. La collaboration des parents étant la pierre angulaire de la réussite de l'intervention, il est primordial de resituer ces derniers dans leur autorité parentale afin d'établir les objectifs. L'intervenant doit:

    prendre pour acquis et le refléter aux parents que la loi les reconnaît comme premiers res-ponsables de leurs enfants, les premiers à les protéger, les seuls à détenir l'autorité paren-tale; la lecture de l'article 2.2 de la loi de la protection de la jeunesse est fortement suggé-rée;

    rassurer les parents qu'en tant que délégué du DPJ, sa présence n'implique pas forcément un retrait de leur enfant: «il n'est pas là pour leur enlever leur enfant», pour reprendre le langage habituel de ces derniers, mais pour aider;

    expliquer que certaines situations peuvent nécessiter une intervention de la DPJ mais seu-lement pour une durée bien déterminée;

    établir avec le parent une relation d'adulte à adulte, car un parent qui se sent disqualifié, invalidé de façon totale dès le départ, n'est pas disposé à se faire enseigner par d'autres, totalement étrangers à ses valeurs, comment aimer et éduquer son enfant;

    reconnaître au parent le droit d'être épuisé, exaspéré et de l'exprimer;

    renforcer, valoriser le parent dans ses compétences, les sphères de réussite, tout ce qu'il a déjà fait de bon pour son enfant afin de faciliter une ouverture sur l'objet du signalement;

    aider le parent à reconnaître, nommer et capitaliser les qualités de son enfant;

    reconfirmer en tout temps l'autorité parentale auprès des adolescents;

    montrer à l'adolescent que son parent désapprouve son comportement et non-lui-même en personne;

    amener l'adolescent à comprendre et à saisir le statut d'adulte de l'intervenant et exiger du respect dans ses rapports avec lui: langage, posture, etc. Par exemple, adolescent en en-trevue à demi-couché sur la chaise, les deux pieds sur la table, la casquette sur la tête, etc. L'adolescent haïtien sait très bien que ses parents n'accepteront jamais de tels comporte-ments et il doit retrouver une cohérence dans l'attitude de l'intervenant en tant qu'adulte en autorité à son égard;

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  • informer l'adolescent que l'intervenant n'est pas placé au-dessus de ses parents pour les blâmer, les juger, les diriger;

    faire comprendre à l'adolescent ou à l'enfant que la DPJ représente l'autorité autant que son parent; que cette autorité s'exerce sur lui et non sur son parent. Lui préciser que le rôle de protection de l'intervenant consiste aussi à lui donner du support pour accepter l'autorité parentale;

    donner du support émotionnel au parent qui se voit accusé. Le parent doit pouvoir sentir la sincérité, l'empathie de l'intervenant à son égard afin de verbaliser ses forces et ses faiblesses et les difficultés rencontrées avec son enfant afin d'accepter plus facilement l'intervention;

    il arrive que, dans certains cas, les parents décident derechef de retourner l'enfant ou l'adolescent en Haïti.. Bien souvent le refus de l'enfant de cette décision trouve écho dans la réaction d'opposition de l'intervenant face aux parents. L'intervenant ne doit pas ex-clure, écarter cette possibilité mais plutôt évaluer et considérer avec le parent ce projet qui, dans certaines situations, peut se révéler la meilleure solution pour l'enfant et la famille. L'objectif des parents est que l'enfant soit repris en charge et encadré par la communauté, qu'il acquiert de la maturité, développe son sens des responsabilités et le ramener au Ca-nada ultérieurement si cela se révèle dans son intérêt. Il ne s'agit nullement de rejet et de désir d'abandon puisque le parent ici continue d'assumer financièrement l'enfant, main-tient les contacts avec lui et que généralement, cette décision semble bien répondre aux besoins de celui-ci.

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  • Les attentes scolaires des parents

    Les parents haïtiens espèrent pour leurs enfants un avenir socio-économique supérieur au leur. Ils veulent tous des études avancées pour ces derniers et projettent sur eux leurs aspirations person-nelles non réalisées. Chauffeurs de taxi, ouvriers en usine, ils se sacrifient pour leur payer des écoles privées, des cours de musique, de danse et autres. En retour, ils ont des exigences et des attentes. Dans certains cas, les attentes élevées des parents en regard des capacités intellectuelles réelles des enfants placent ceux-ci, au départ, en situation d'échec. Il y a dans le milieu haïtien une valorisation des professions libérales au détriment des techniques et métiers.

    Des parents ayant payé une école privée pendant des années pour leur enfant en Haïti n'acceptent pas le cheminement particulier ou ne comprennent pas que celui-ci ne puisse intégrer le régulier à leur arrivée ici. Ils ont tendance à comparer l'école privée d'Haïti à celle d'ici et blâment leurs enfants sévèrement pour leurs retards et échecs; souvent les parents oublient de tenir compte du milieu de provenance de l'enfant (rural ou zones défavorisées de la capitale) et de l'écart impor-tant dans les standards d'enseignement entre les deux système scolaires. Les remarques des en-seignants vont souvent exaspérer la déception de ces parents qui agissent leur colère, leur décep-tion en frappant parfois les enfants.

    Il ne faudra pas non plus passer sous silence les instruments d'évaluation scolaires conçus selon les normes et standards de la société d'accueil, donc peu adaptés aux connaissances et habiletés réelles que l'enfant d'immigration récente peut avoir acquises de son nouveau milieu.

    Les conséquences de la déclassification sur l'enfant et la famille sont sérieuses: problèmes d'apprentissage, décrochage, troubles de comportement, réactions de la famille, retrait du milieu familial, délinquance, etc.

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  • Les relations affectives parents/enfants

    Il arrive à quelques reprises que des intervenants sociaux rapportent avoir noté une impression de froid, de rejet, de distance de la part des parents d'origine haïtienne à l'égard de leurs enfants.

    Que certains parents ne disent pas, en présence d'autrui, des mots tendres pour exprimer leur amour à leur enfant ne signifie pas l'absence de ce sentiment. Habituellement, le bébé est choyé, gâté, cajolé par les adultes et les enfants plus vieux. Vers 3-4 ans commence son éducation qui est empreinte d'une certaine sévérité et d'une distance qui va de pair avec la progression en âge, ce qui n'exclut pas les marques d'affection à l'occasion. Pour les parents, aimer son enfant, c'est d'abord répondre à tous ses besoins matériels, lui imposer des limites et des interdits. Les parents sont conscients que c'est là leur responsabilité. Ils embrassaient leurs enfants en bas âge; plus vieux, c'est l'enfant qui doit maintenant embrasser ses parents et tout adulte présent, après l'école, au retour de l'Eglise ou d'une sortie et se retirer ensuite. Un enfant n'interfère pas dans une conversation d'adulte et ne se présentera que sur demande quand les parents reçoivent des visiteurs. La distance est de mise dans les rapports adulte-enfant.

    Au Québec, avec la vulgarisation des notions de psychologie, des phases de développement de l'enfant, les visites régulières chez le pédiatre et les conseils de celui-ci, l'éducation populaire par les médias, beaucoup de parents ont appris à développer une toute autre attitude avec les jeunes enfants, c'est-à-dire accepter qu'ils s'affirment, qu'ils s'expriment.

    Cependant, tout en ayant cette ouverture, le parent sent qu'il a l'obligation de mettre des limites, car l'impolitesse doit être punie. Le parent le fait avec les moyens qu'il connaît, à savoir la cor-rection physique, interprétée comme étant de la «maltraitance» par le milieu d'accueil. L'enfant qui a intégre les codes familiaux sait très bien faire le lien entre la dérogation et la punition et rest