théâtre ŒDIPE ROI...acb, scène nationale bar-le-duc le théâtre - 20 rue Theuriet - 55000...

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acb, scène nationale bar-le-duc le théâtre - 20 rue Theuriet - 55000 Bar-le-Duc réservations : 03 29 79 73 47 jeudi 16 octobre - 20h30 (séance scolaire) 14h30 ŒDIPE ROI théâtre © HERVE BELLAMY de Sophocle Fiche découverte

Transcript of théâtre ŒDIPE ROI...acb, scène nationale bar-le-duc le théâtre - 20 rue Theuriet - 55000...

acb, scène nationale bar-le-ducle théâtre - 20 rue Theuriet - 55000 Bar-le-Duc

réservations : 03 29 79 73 47

jeudi 16 octobre - 20h30(séance scolaire) 14h30

ŒDIPE ROIthéâtre

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de Sophocle

Fiche découverte

avecPierre Baux OEdipeAntoine Caubet CréonCécile Cholet, Delphine Zucker Le choeur - Le coryphéeÉric Feldman Le prêtre, Tirésias, le messager de Corinthe, le messager du PalaisClotilde Ramondou JocasteJean Opfermann Le berger

texte français et mise en scène Antoine Caubetassistante mise en scène Aurélie Van Den Daelescénographie et costumes Isabelle Rousseaulumière Jean Opferman, Antoine Caubetson Valérie Bajcsa

durée 1h30 environ

ANALYSE CHORALE

Vendredi 17 octobre à 17h au théâtre

réservation conseillée au 03 29 79 73 47

Nathalie HAMENProfesseur de LettresProfesseur-relais auprès de l’acbBAR-LE-DUC

Œdipe-Roide Sophocle

mise en scène Antoine Caubet

I INTRODUCTION GÉNÉRALE

Œdipe-Roi raconte la légende la plus célèbre de l’Antiquité, celle d’Œdipe, roi aimé, puissant et généreux qui, convaincu d’un double crime, -un crime de violence, le parricide, et un crime de chair, l’inceste-, va devenir le paria le plus misérable et reconnu comme tel par le monde attique et inspirer à Sigmund Freud son concept du « complexe d’Œdipe » qui aura la postérité que l’on sait !Cette chute exemplaire et catastrophique, ce malheur absolu qu’il incarne vont rendre Œdipe immortel.La tragédie de Sophocle, Œdipe-Roi, centrale dans la production de l’auteur -on la situe autour des années 420 avant J-C- est un modèle parfait de ce phénomène de civilisation que fut la tragédie grecque au Vème siècle illustrant l’apogée de la réussite culturelle du siècle de Périclès. Elle a donné lieu depuis lors à d’innombrables réécritures (Sénèque, Corneille, Voltaire, Hölderlin, Gide, Cocteau, Bauchau, Pasolini et son célèbre film de 1967…) et à d’inépuisables commentaires philosophiques et littéraires (Voltaire, G. Steiner, R. Girard…) qui traduisent bien la puissance archétypale de ce mythe grec porté à la perfection sur la scène par Sophocle.

1) La tragédie grecque

Ce sont les Grecs qui inventèrent la tragédie. A l’origine, il s’agissait de fêtes religieuses chantées pour le culte de Dionysos. Le terme de « tragédie » signifie « chant du bouc », chant choral en l’honneur du dieu et à l’animal sacrifié (vertu cathartique du bouc émissaire). A ce culte de Dionysos se sont greffés des récits populaires, des mythes connus, notamment l’histoire des deux grandes familles royales, les Atrides et les Labdacides. Du culturel sur du cultuel.L’originalité des tragédies grecques ne réside pas dans les sujets de ses fables, archiconnues de tous, mais dans la manière de transcrire théâtralement l’épopée d’origine à travers des personnes (les acteurs), en posant des questions touchant à la liberté du citoyen devant les dieux, la religion, le pouvoir …Il s’agit, pour le public des tragédies grecques, de réfléchir et de juger, à travers les situations proposées, des questions qui se posent au citoyen. Questions d’ordre éthique et politique.

Des concours tragiques sont organisés en l’honneur de Dionysos (Les Grandes Dionysies et les Lénéennes), dix jours par an, organisés et payés par un archonte (magistrat). Les dépenses pour le théâtre sont un moyen privilégié pour les citoyens riches de manifester leur dévouement à la collectivité (évergétisme).Les auteurs, les plus connus Eschyle, Sophocle et Euripide, s’affrontent et présentent chacun trois tragédies et un drame satyrique. Dix citoyens tirés au sort constituent le jury. Les citoyens libres ont accès au théâtre (accès gratuit pour les pauvres).

Les représentations théâtrales ont lieu en plein air dans d’immenses amphithéâtres. Le public prend place sur des gradins de bois démontables, contenant 15 000 places, disposés en hémicycle appelé le « théâtron » (lieu d’où l’on voit). Les théâtres en pierre datent du milieu du IVème siècle avant J.C et offraient de 30 000 à 80 000 places !

Le dispositif scénique du spectacle tragique est constitué de deux lieux bien distincts :- L’ « orchestra » (lieu où l’on danse), réservé au chœur, aire de 20 mètres de diamètre ;- Le « proskenion », réservé aux acteurs, bande de 50 mètres sur 3 de profondeur que nous appelons aujourd’hui la scène.La « skènè » (« baraque ») est un bâtiment en bois servant de coulisses supportant un décor peint (à partir de Sophocle).

La tragédie grecque se caractérise par une structure forte, composée de passages dialogués (pris en charge par les acteurs) et des passages chantés par le chœur. Les acteurs sont toujours des hommes (3 au maximum), qui incarnent tous les rôles. Ils sont masqués, portent des longues robes, sont juchés sur des cothurnes. Ils ne chantent pas mais psalmodient leurs textes (vers parlés) d’une voix surhumaine (à cause des masques porte-voix). Le public ne s’identifie pas à de telles créatures mais les écoute, réfléchit aux situations et les juge.Le chœur est composé de 15 garçons (choisis parmi l’élite des jeunes gens de la cité). Le chœur est un personnage collectif, trait d’union entre les spectateurs et les acteurs qu’il interroge par le truchement du coryphée (chef de chœur). Le chef de chœur représente la cité et exprime la voix et les réflexions des citoyens, du public.

La structure de la tragédie est très codifiée :Les interventions du chœur (les « stasima », « stasimon » au singulier), alternent avec les épisodes joués par les acteurs.- Le Prologue expose la situation et noue l’action ;- La Parados est l’entrée solennelle du chœur ;- Les Episodes (3) alternent avec les Stasima (3) ;- L’Exodus est la conclusion qui concerne le chœur et les acteurs.C’est le coryphée qui a toujours le dernier mot.Chaque tragédie contient plusieurs « scènes de débat » (« agôn ») entre deux personnages principaux qui exposent leurs griefs et défendent leurs thèses. Lorsque le débat devient passionnel, les répliques se succèdent vers à vers, c’est le procédé de la stichomythie.

Aristote désigne dans sa Poétique, trois moyens essentiels du tragique :-la « péripétie » (retournement de l’action en sens contraire) ;-la « reconnaissance » (anagnorisis) qui fait passer brusquement de l’ignorance au savoir) ;- l’ « événement pathétique » (action provoquant destruction ou douleur, agonie, blessure, deuil soudain) qui est raconté et jamais présenté sur scène.

2) L’auteur

Sophocle est né à Colone, aux portes d’Athènes en 496 avant J.C. et meurt, nonagénaire, à Athènes en 406 avant J.C. Sa famille est très aisée et il bénéficie des leçons des meilleurs maîtres. Il est très beau, élégant, raffiné. Il remporte sa première victoire d’auteur de théâtre à 28 ans, battant Eschyle. Il l’affrontera souvent et remporte 24 premiers prix aux compétitions théâtrales et restera fidèle à la scène sa vie durant.

Ami de Périclès, il est un homme politique important : hellénotame (un des dix plus hauts fonctionnaires) à 53 ans, puis stratège, puis commissaire du peuple en 411.La vie de Sophocle couvre le siècle, celui de la grandeur et de la domination d’Athènes. Il meurt juste avant la chute d’Athènes, dévorée par Spartes.

Auteur fécond, il apporte de grands changements dans la technique théâtrale : il invente entre autres la toile de fond, support du décor. Il porte le nombre de choristes de 12 à 15 et donne ainsi davantage de majesté aux mouvements du chœur. Il crée un 3ème acteur c’est ainsi que dans Antigone on s’aperçoit qu’Antigone et Hémon, pourtant ensemble n’apparaissent jamais ensemble : c’est qu’un même acteur masqué jouant les deux rôles et introduit le dialogue à trois personnages. Il invente le dialogue stichomythique (répliques rapides vers à vers) qui installe l’action sur le proskenion.

Le chœur a moins d’importance que chez Eschyle, il devient témoin, commentateur de l’action. Enfin il introduit la trilogie libre où chaque drame forme un tout autonome.

Sur les 123 pièces qu’il a écrites, sept drames sont parvenus jusqu’à nous, dont les célèbres Antigone (- 440) et Œdipe-Roi (- 421).

La légende raconte que ses fils ont tenté de le mettre sous tutelle pour sénilité. Pour sa défense Sophocle, 86 ans, se serait contenté de lire aux juges un passage de la pièce qu’il était en train d’écrire (Œdipe à Colone). Les tragédies conservées de Sophocle ont pour titre, à une exception près (Les Trachiniennes), le nom d’un héros et pour sujet, un seul épisode de sa vie et ce sont généralement des héros qui ne cèdent pas et qui affrontent leurs destins. Dès l’Antiquité, Sophocle est apprécié pour sa peinture de caractères indomptables (Ajax, Electre, Antigone). Il s’intéresse avant tout à l’étude de héros isolés du reste du monde par leurs malheurs, leur courage et leur obstination. C’est évidemment le cas avec Œdipe-Roi.

II LA PIECE 1) Le titre et la fable

Œdipe est donc le héros éponyme de la tragédie de Sophocle concentrée sur une seule intrigue, celle du malheur abyssal de ce fils de Laïos, porteur de la malédiction des Labdacides.Le titre Œdipe-Roi est en soi porteur de la fable de la pièce car la légende d’Œdipe est une des plus célèbres de la mythologie antique et était parfaitement connue par tous les Grecs (racontée, avant Sophocle, par Homère, Hésiode, Pindare et Eschyle).Œdipe, c’est l’histoire d’un enfant condamné à mort à sa naissance par ses parents (« Quant à l’enfant, il n’avait pas trois jours que déjà son père lui avait lié les pieds et l’avait fait jeter sur un mont désert » Œdipe-Roi, Deuxième épisode) car Laïos, roi de Thèbes, a appris par un oracle qu’il serait tué par son fils. Sauvé par un berger, il est élevé par Polybe, roi de Corinthe et sa femme Mérope qui n’avaient pas d’enfants et qu’il croit ses parents. Devenu grand, à Delphes, Œdipe prend connaissance d’un oracle qui le terrifie : il tuera son père et épousera sa mère. Pour éviter ce double crime, il fuit Corinthe. Sur la route qui le mène à Thèbes, il tue un vieillard qui l’a fouetté de son attelage lors d’une bousculade de chariot. C’était Laïos mais un étranger pour Œdipe ! Il sauve Thèbes du tribut infâmant que lui réclamait la terrible Sphinge, monstre à tête de femme, corps de chien, griffes de lion, queue de dragon et ailes d’aigle, en répondant à la fameuse énigme : qui va à quatre pieds le matin, deux à midi et trois le soir ? C’est l’homme bien sûr, répliqua Œdipe avec intelligence et perspicacité. Accueilli en sauveur de la cité, il en devient le roi et épouse Jocaste, la veuve de Laïos ! L’oracle d’Apollon est donc pleinement réalisé mais Œdipe ne le sait pas.Epoux heureux, père comblé (Jocaste lui donne quatre enfants : Etéocle, Polynice, Ismène et Antigone), roi admiré et aimé, tel est Œdipe au début de la tragédie de Sophocle.Or un terrible fléau, la peste, s’est abattu sur Thèbes. Les Thébains supplient leur roi de les aider, il leur promet, plein de compassion, toute son assistance ; il attend d’ailleurs la venue de Créon, frère de Jocaste qu’il a envoyé recueillir l’oracle d’Apollon. La réponse est qu’il faut « expulser la souillure qui nourrit le sol de Thèbes », c’est-à-dire punir l’assassin de Laïos. Œdipe s’engage à enquêter et punir le meurtrier. Tirésias, le devin aveugle, se sait détenteur de la vérité qu’il répugne à dire pour épargner Œdipe mais le roi, orgueilleux et prompt à la colère, le menace et l’insulte. Tirésias l’accuse :« J’affirme que c’est toi le meurtrier recherché » (Premier épisode)Œdipe s’en prend alors violemment à Créon, l’accusant d’avoir instrumentalisé Tirésias afin de vouloir s’emparer du trône de Thèbes. De révélations en révélations, l’étau se resserre autour d’Œdipe qui s’obstine à rechercher le meurtrier puis à éclaircir le mystère de ses origines. Jocaste tente d’abord de le rassurer et de l’aider mais c’est elle qui comprend la première. Elle se pend. Œdipe, ayant enfin découvert ses crimes, se crève les yeux et part, paria et vagabond, sur les routes, comme le lui avait prédit Tirésias, à la fin du premier épisode :« En vérité, je te le dis, l’homme que tu recherches depuis longtemps, avec forces menaces et

proclamations sur le meurtre de Laïos, il est ici même. Métèque à ce que l’on dit. Mais il se révélera Thébain d’origine et il n’aura pas à s’en réjouir. Car devenu aveugle et mendiant, lui dont les yeux sont ouverts, lui qui vit dans la richesse, c’est vers un sol étranger qu’il marchera en tâtant devant lui le chemin avec un bâton. »

Si le nom d’Œdipe convoque immédiatement toute son histoire malheureuse, il en évoquait aussi des bribes de par sa sémantique propre. Le nom « Œdipous », en grec, fait allusion aux pieds gonflés de l’enfant « exposé » sur le mont Cithéron, suspendu par les pieds (cf. l’œdème) ; par ailleurs, « dipous » signifie « l’être à deux pieds » et fait référence à l’énigme du Sphinx ; enfin, le nom d’ Œdipe renvoie aussi au verbe grec « oida » qui signifie « je sais » ; or Œdipe est celui qui croit tout savoir mais ne sait rien : l’ironie tragique est déjà inscrite dans son nom ! Le titre complet de la tragédie est Œdipe-Roi et non pas simplement Œdipe : en effet, la pièce est justement le récit d’une chute catastrophique, exceptionnelle. Au début, Œdipe est royal, puissant, au faîte du pouvoir ; à la fin, il est pitoyable, effondré, écrasé par le destin. Œdipe-Roi, c’est la chute du Capitole à la roche tarpéienne ou comment on fait et on défait les rois !

2) Structure et art du suspens

Sophocle est célèbre pour sa maîtrise de l’intrigue et du temps tragique. L’action est tantôt concentrée, tantôt ralentie ; il tient le spectateur en haleine par une alternance d’espoir et de désespoir, de révélations positives pour Œdipe (par exemple lorsqu’il apprend la mort de celui qu’il croit être son père, Polybe, il exulte : il ne peut donc tuer son père, l’horrible oracle ne se réalisera pas !) sont suivies de découvertes tragiques pour lui : Polybe n’était pas son père !L’originalité de Sophocle a été de réduire l’action à une seule intrigue : la recherche du meurtrier de Laïos. La pièce débute donc avec la situation grave du fléau, la peste, qui endeuille Thèbes et nécessite le recours à l’oracle. Tous les événements de l’histoire d’Œdipe ( son exposition sur le mont Cithéron, la mort de Laïos, la victoire sur la Sphinge, l’accueil triomphal des Thébains et le mariage avec Jocaste) sont mentionnés au fur et à mesure des progrès de l’action mais se sont passés avant le début de la pièce dont l’action se déroule en quelques heures et est concentrée sur Œdipe qui est omniprésent ( il n’apparaît pas dans une seule scène, celle de l’Exodus, lorsque le Messager du palais fait le récit de la mort de Jocaste et de l’auto-mutilation d’ Œdipe).Œdipe-Roi s’apparente à une énigme policière et le déroulement de l’enquête est pris en charge par Œdipe lui-même qui met un point d’honneur à découvrir le coupable :« Eh bien moi, je m’en vais vous éclaircir l’affaire en reprenant tout du début […] on me verra réussir ou périr » (Prologue)Or il se trouve que celui qui décrète mener l’enquête avec tant de diligence, d’opiniâtreté et d’orgueil… va se révéler être l’assassin lui-même ! (On songe au procédé du roman policier d’Agatha Christie, Le Meurtre de Roger Ackroyd).Le suspens de cette enquête qui progresse de révélations successives en retournements de situations horribles est doublement haletant pour le spectateur parce que ce dernier a une longueur d’avance sur Œdipe. Le mythe d’Œdipe est archiconnu par le public qui voit donc, avec un voyeurisme effaré, compatissant et jouissif, le fier héros se débattre dans les rets du filet qui se resserre. Il s’agit là d’un suspens proprement hitchcockien ! (Hitchcock, dans ses Entretiens avec François Truffaut, explique le suspens par cet exemple : le héros entre dans une pièce et s’assoit à une table sous laquelle il y a une bombe qui va exploser ; il ne le sait pas mais le spectateur, lui, a vu auparavant quelqu’un placer la bombe et régler le détonateur !)Sophocle joue constamment de cette connivence avec le spectateur en usant du procédé de l’ironie tragique : chaque parole d’Œdipe, chacune de ses déclarations péremptoires est entendue autrement par le spectateur qui en sait plus qu’Œdipe ! La pièce est saturée de répliques à double sens pour le public. Par exemple, dès le Premier épisode, Œdipe déclare :« Je parle ici en homme étranger à toute cette histoire et étranger au crime […] Je voue solennellement le meurtrier à une misérable vie de pauvre hère sans joie.»Tout au long de la pièce, le spectateur est témoin des méprises et des erreurs de jugement du héros, bref, de son aveuglement.

3) La métaphore de l’aveuglement

Tout le mouvement du drame, c’est l’éclaircissement progressif d’Œdipe.Pour perdre Œdipe, le plus clairvoyant des hommes, celui qui a résolu l’énigme de la Sphinge, les dieux l’ont d’abord aveuglé, puis, peu à peu, ils l’éclaircissent. C’est pourquoi il y a un tel pathétique tout au long de cette tragédie, dans le thème continuellement évoqué de la cécité et de la clairvoyance autour des figures d’ Oedipe et de Tirésias, le devin aveugle.L’importance et le symbolisme de la métaphore de l’aveuglement sont traduits par un champs lexical de la lumière et des ténèbres extrêmement dense : « éclairer », « clairvoyant », « éclaircir », « aveugle », « cécité », « faire la lumière », « nuage de ténèbres », « détruire tes yeux »… La métaphore de la clairvoyance et de la cécité rappelle au spectateur qu’aucun destin humain n’est à l’abri des ténèbres. La lumière, c’est-à-dire la vérité, doit éclater. L’orgueilleux et le criminel doit être puni. La tragédie met à jour ce qui était caché ; Œdipe découvre son double crime et comprend qu’il doit payer : il apparaît vaincu et aveuglé, vaincu dans son orgueil et ses certitudes et aveugle, marque de son infamie et, paradoxalement, marque de sa clairvoyance : il sait enfin qui il est (un criminel), et d’où il vient (il est le fils de Laïos et de Jocaste, il a enfin éclairci le mystère de ses origines).La question de la cécité autour d’Œdipe et de Tirésias permet de poser ce chiasme paradoxal concernant le début de la pièce :Tirésias est aveugle mais voitŒdipe voit mais est aveugle !Le devin Tirésias, aveugle (la légende raconte qu’il aurait surpris la déesse Athéna nue dans son bain et qu’elle l’aura alors frappé de cécité), possède l’art divinatoire et est donc porteur de la vérité qu’il assène à Œdipe, sous le coup de la colère, au début de la pièce ; alors que Œdipe, croit savoir, croit voir mais ne voit ni ne comprend rien ! C’est bien ce que lui dit Tirésias lors de la terrible scène d’agôn du premier épisode :« Je te le dis, puisque tu m’as offensé en me traitant d’aveugle, toi tu as beau voir, tu ne perçois pas dans quelle horreur tu baignes, sous quel genre de toit tu demeures, pas plus que tu ne vois avec qui tu partages ton existence […] Aujourd’hui tu as des yeux pour voir mais bientôt tu ne verras plus que ténèbres. » Ce sera donc seulement à la fin de la pièce, lorsqu’il aura accompli son douloureux chemin initiatique sur la connaissance de ses origines et donc la connaissance de soi, quand il sera aveugle qu’il comprendra et acceptera son destin, l’oracle des dieux et leur suprématie.

4) Le destin et le bouc émissaire

Œdipe appartient à la « race maudite de Labdacides » (Antigone) et l’on a souvent dit qu’Œdipe-Roi était la tragédie de l’hérédité.Œdipe est porteur de la faute de son père ; c’est l’égarement initial de Laïos que son fils paiera (en effet, Laïos, réfugié chez Pélops, avait séduit et enlevé le fils de son hôte ; pour le punir de son crime, Apollon avait interdit à Laïos d’avoir des enfants or celui-ci eut un fils, Œdipe d’où la malédiction des Labdacides). La supériorité des dieux est écrasante et les humains ne peuvent lutter ; les dieux veillent à la bonne exécution du destin et les châtiments des dieux visent à rétablir les équilibres cosmiques menacés par la faute des héros. L’écrasement d’Œdipe était donc inéluctable : à cause de la malédiction originelle des Labdacides mais aussi à cause de son orgueil. Comme ce fut déjà le cas pour Antigone. Les dieux ne supportent pas le défaut d’ « ubris », (orgueil démesuré), chez les humains.Le Chœur le proclame, dans ce vers célèbre du Deuxième stasimon :« La démesure enfante le tyran. »Œdipe, être hors du commun, tyran qui prend appui sur le peuple et que le peuple admire, inspire aux Athéniens le phthônos, sentiment de méfiance religieuse envers celui qui est monté trop haut. Il faut donc ostraciser cet homme gonflé de supériorité, coupable d’ubris contraire à l’idéal athénien de la démocratie. Son existence est une menace pour l’ordre que les dieux s’efforcent de préserver en manifestant, par leurs oracles, leurs volontés.

Œdipe devient alors un pharmacos, un bouc émissaire, c’est-à-dire cet être inférieur que l’on promenait à Athènes, à travers la ville,-pour la purifier- avant de l’expulser. La Fontaine dans sa fable, « Les animaux malades de la peste », connaît son histoire grecque : avant de sacrifier comme bouc émissaire un malheureux âne, le roi-lion proclame : « Que le plus coupable de nousSe sacrifie aux traits du céleste courroux ;Peut-être il obtiendra la guérison commune.L’histoire nous apprend qu’en de tels accidentsOn fait de pareils dévouements. » Fables, VII, 1, v. 18-22.

Œdipe n’est pas coupable, il ne savait pas que Laïos et Jocaste étaient ses parents, il a été le jouet des dieux, mais il affronte son destin et se dévoue tout autant que les autres le dévouent.C’est ainsi que l’on peut comprendre la surprenante réconciliation de la fin de la pièce : Œdipe a été une bonne victime, il a reconnu et endossé ses fautes ; grâce à lui, Thèbes est sauvée. Et elle n’a même pas à lever la main sur ce pourfendeur de monstre (la Sphinge) devenu monstre lui-même car Œdipe se punit lui-même en s’auto-mutilant et en s’exilant. La bonne conscience collective reste sauve, le Chœur peut avoir le dernier mot en constatant la chute extraordinaire et inéluctable D’Œdipe, roi puissant à présent déchu et paria.

5) Œdipe-Roi, réflexion sur l’humaine condition

Les derniers vers de la tragédie, prononcés comme il se doit par le Coryphée qui représente le Chœur donnent une leçon sur la fragilité de la condition humaine :« Aussi pour un mortel c’est son dernier jour qu’il faut toujours considérer. Gardez-vous de proclamer un homme heureux avant qu’il ait franchi le terme de sa vie sans avoir subi aucun mal. »Œdipe-Roi nous effraie et nous touche parce que l’homme, à travers la figure d’Œdipe, est au centre de cette tragédie, dans ses contradictions impossibles à dépasser, dans sa complexité trop humaine, clairvoyant et aveugle, bon et orgueilleux, arrogant et généreux, coupable et innocent. Alors qu’il est, par le mythe, voué à l’échec et à la catastrophe, en dépit des oracles et à cause d’eux, il affronte les dangers dont il se sait, se sent menacé avec un courage et une détermination qui le grandissent. Lorsque, dans le Quatrième épisode, le vieux berger hésite à annoncer à Œdipe le dernier dévoilement de ses origines, il dit :« Hélas, voici pour moi le moment de dire l’abomination ! »Œdipe lui répond :« Et pour moi de l’entendre. Pourtant, je l’entendrai. »Certes il a été le jouet des dieux et il a accompli ses crimes sans les savoir mais il retrouve une grandeur dans le fait d’assumer entièrement la totalité de ses actes. Sa volonté d’aller jusqu’au bout des révélations concernant le mystère de sa naissance et de savoir qui il est, parle évidemment à quiconque assiste ou lit cette tragédie qui dit les limites et la grandeur de l’homme, cette « merveille » (Antigone) et, à la fois, cette créature si fragile et si vulnérable. En découvrant la complexité de la figure d’Œdipe, on rencontre son semblable et c’est certainement ce qui fait la force et le pathétique d’Œdipe-Roi.

III LE SPECTACLE

Le texte français et la mise en scène sont d’Antoine Caubet, artiste associé au théâtre de l’Aquarium et en résidence, depuis janvier 2012, au théâtre de L’apostrophe (Scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise).

Extrait des notes de travail d’Antoine Caubet :« L’ESPACE DE LA PAROLEDes gens viennent écouter Œdipe. Il y a les gradins de la salle, et sur la scène, d’autres gradins du même genre, et puis quelques chaises (comme si on avait voulu être au plus près), sur chaque côté : cela dessine globalement un espace rectangulaire au centre, entouré de spectateurs. L’un des côtés est trou’ d’une sortie vers un palais invisible. Dans l’espace central, à même le sol du plateau, se dresse un grand olivier, mort. La lumière suivra le cours du jour du matin au soir, uniment

sur l’ensemble du dispositif. Lorsque tous les spectateurs sont assis, Œdipe, parmi eux, se lève, et leur parle, roi de Thèbes…Sur le plateau on voit alors venir vers lui une femme (une mère ?), portant, traînant un corps d’homme (d’enfant ?) à l’agonie, le montrant à Œdipe. C’est la peste qu’on voit. Cette femme racontera à Œdipe que la ville ne peut plus vivre ainsi, qu’il doit comme il l’a fait jadis la sauver encore une fois.Derrière Œdipe, à cour, on voit une femme se maquiller de dos à une table devant une glace. Jusqu’à son entrée en Jocaste plus tard, elle rejoindra les autres acteurs pour participer au Chœur puis reprendra sa place pour se maquiller. Nous verrons successivement Tirésias le devin, puis le messager, puis le berger arriver avec des nouvelles pour Œdipe : à chaque fois se sera le même acteur (Eric Feldman) qui sera porteur des éléments qui vont accélérer et précipiter la tragédie. Cette vieille histoire, nous la rapprocherons de nous en la racontant directement au public, en lui disant qu’il s’agit de théâtre, en lui montrant à chaque pas, en mettant en avant l’acteur et son jeu qui raconte la fiction. Tout se passe au présent, la représentation se construit pas à pas avec le spectateur.Le pire ennemi de la tragédie grecque en particulier, est la solennité, la fausse reconstitution (et son pendant, la contemporanéité à tout crin), la pseudo ritualisation. C’est pourquoi ce projet propose d’afficher clairement la théâtralité immédiate, brute, de cette œuvre en la centrant de façon directe et unique sur le jeu et la parole. »Antoine Caubet joue, dans sa mise en scène, sur un sentiment étrange de proximité avec le public.Au cours du prologue historique, il convie les spectateurs à une sorte de séance de travail avec les comédiens ; puis ils font même partie de la fable grâce à la disposition des gradins face à ceux qui se trouvent sur scène. L’adresse directe des deux comédiennes qui jouent le chœur invite les spectateurs à s’identifier aux citoyens de Thèbes et à statuer sur le sort d’Œdipe.

IV PISTES PÉDAGOGIQUES

Autour de la pièce :Recherches et exposés généraux sur le théâtre grec dans l’antiquité, l’histoire des Labdacides, la légende d’Œdipe .Travaux préparatoires sur Œdipe Roi : - éléments du tragique, éléments du pathétique- étude de l’argumentation (théâtre de la délibération : tirades polémiques, stichomythie)- étude des personnages et rôle du choeur- métaphore de la cécité

Autour du spectacle :Noter cinq mots à propos du spectacle vu. A noter au tableau et à discuter.Décrire l’espace scénique (rectangulaire, circulaire ? encombré, minimaliste ? Figuratif ou non ? Evolutif ou unique ?Décrire précisément ce qu’on a vu et entendu sur le plateau :- décor, lumières, costumes, objets, accessoires..- musique, bruitageChoisir un personnage et décrire le jeu du comédien (mobilité, rythme, diction, silences, type de jeu…)Quelle est la première image de la pièce ? La dernière ?Quel est le parti-pris esthétique du metteur en scène ? (Réaliste, théâtralisé, symbolique, épique, stylisé, expressionniste ?)Quels sont ses choix dramaturgiques ?Quel est son discours sur l’homme et sur le monde ?Qu’est ce qui vous a étonné, ému, séduit ou gêné dans cette mise en scène ?Quelles ont été les réactions du public pendant le spectacle ?

V BIBLIOGRAPHIE ET FILMOGRAPHIE

Sur la tragédie grecque :Jacqueline de Romilly, La Tragédie grecque, P.U.F, 1970H.C.Baldry, Le Théâtre tragique des Grecs, Maspéro, 1975Nicole Loraux, La Voix endeuillée, Hachette, 1999

Études sur Œdipe-roi et Antigone :Georges Steiner, Les Antigones, 1984, Gallimard, « Folio Essais » 182, 1986William Marx, Le tombeau d’ Œdipe. Pour une tragédie sans tragique, Editions de Minuit, 2012Réécriture romanesque :Henri Bauchau, Œdipe sur la route, Actes Sud, collection « Babel » n°54, 1990Films :Pier Paolo Pasolini, Œdipe roi, 1967Philip Saville, Oedipus the King, 1968

VI ANNEXES

Histoire du théâtre dessiné d’André Degaine, pages 26 et 29Œdipe Roi par Aristophane le grammairien (Traduction de Jacqueline de Romilly)Généalogie des LabdacidesLes hauts lieux de la légendePlan de la tragédiePersonnages (selon l’ordre d’entrée en scène)Extrait de la scène d’ agôn entre Œdipe et Tirésias (Premier épisode)Fin de la pièce : la parole finale du Coryphée