Therese et theologiens

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 Thérèse et ses Théologiens COLLOQUE SAINTE THÉRÈSE DE LISIEUX sous la direction du Père Joseph Baudry, o.c.d. 17 novembre – 19 novembre 1997 I NSTI TUT CATHOLIQUE DE TOULOUSE THÉRÈSE ET SES THÉOLOGIENS Éditions du Carmel Éditions S  AIN T -P  AUL 1998 Aux Éditions Saint-Paul

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Thrse et ses ThologiensCOLLOQUE SAINTE THRSE DE LISIEUX sous la direction du Pre Joseph Baudry, o.c.d.17 novembre 19 novembre 1997 I NSTITUT CATHOLIQUE DE TOULOUSE

THRSE ET SES THOLOGIENSditions du Carmel

ditions SAINT -PAUL 1998 Aux ditions Saint-Paul

La Date et lorigine des vangiles, Philippe ROLLAND, 1994, 176 p. Saint Thomas au XXe sicle, Actes du Colloque du Centenaire de la Revue Thomiste (25-28 mars 1993 Toulouse), sous la direction du Pre S.-T. BONINO, 1994, 480 p. Lglise est-elle ncessaire ? Paul NYAGA, 1995, 176 p. Jardin donn, Louis Massignon la recherche de labsolu, Jacques KERYELL , 1993, 304 p. Jean Cassaigne, la lpre et Dieu, L. et M. RAILLON , 1993, 280 p. Collection Enjeux : Loutil et lhomme au travail dans lindustrie, Jean DALANON , 1994, 350 p. Est-il possible de pardonner ?, Pascal IDE, 1994, 220 p. Le Corps cur ; Essai sur le corps humain, Pascal I DE, 1996, 380 p. Aimer en actes et en vrit, Alphonse DHEILLY , s.j., 1996, 245 p. Correspondance du Cardinal Journet et de Jacques Maritain : Tome 1 : 1920-1929 305 lettres 1997, 844 p. Tome 2 : 1930-1939 352 lettres 1998, 1002 p. Reliure skivertex vert et dor au fer sur le dos et le premier plat.

Aux ditions du CarmelTon amour a grandi avec moi. Un gnie spirituel pour notre temps, Thrse de Lisieux, P. Marie Eugne de lE.-J., o.c.d., 1987. Jeunes en route vers Jsus avec Petite Thrse, P. Luc-Marie PERRIER, o.c.d., 1997. Thrse de lE.-J. Docteur de lamour, colloque de Venasque, 1990. Une sainte pour le troisime millnaire, colloque international de Lisieux, 1997 Tous droits de reproduction, dadaptation et de traduction rservs pour tous les pays 1998, ditions SAINT -PAUL Carmel ditions du

3, rue Porte-de-Buc BP 652 78006 VERSAILLES CEDEX France ISBN 2 85049 740 1

Le Quinsan 84210 V ENASQUE France

Prsentation du thmeLe colloque thrsien de Toulouse sest donn pour thme : Thrse de Lisieux et ses thologiens . Quentendons-nous ici par thologiens ? Nous prenons ce mot au sens strict, qui est dailleurs le plus courant, celui de spcialistes des sciences sacres , comme on disait nagure. Le thme a t retenu pour deux raisons : Tout dabord parce quil prsente en lui-mme un rel intrt. Dj, dans les premires pages de son livre : Dynamique de la confiance, rcemment rdit1, le Pre Conrad De Meester faisait un tour dhorizon de la question thrsienne o il passait en revue les grandes tapes de la rflexion thologique sur le message de Thrse de Lisieux. Il parut intressant de prolonger, dillustrer et dapprofondir ce que le Pre Conrad avait dj si bien entrevu. Mais il est vident que depuis la proclamation par Jean-Paul II, le 19 octobre 1997, de la sainte comme Docteur de lglise, le thme revtait une actualit plus grande encore. Quelle est la porte thologique de son message ? Pourquoi de grands thologiens se sont-ils sentis pousss ltudier ? Peut-elle tre qualifie elle-mme de thologienne ? Autant de questions qui prsentent le plus haut intrt. Nous ne cherchons pas tre exhaustifs. Mais nous voudrions retenir quelques-uns des thologiens de ce sicle qui se sont particulirement illustrs dans ltude et linterprtation thologique du message de Thrse. Un certain nombre de critres nous ont guids dans notre choix : Tout dabord, nous navons retenu que ceux qui sont dcds.

De plus, nous avons donn la prfrence aux plus anciens dentre eux. Pour parler de manire plus prcise, ceux qui ont eu connaissance des crits thrsiens travers lHistoire dune me et dont la pense thologique sest labore principalement, sinon exclusivement, partir de ce document. Ce choix nous traait la marche suivre. Vu limportance de lHistoire dune me pour notre sujet, il convenait de commencer par elle, dautant que le centenaire de sa premire dition (30 septembre 1898) tombe prcisment cette anne. Dans la lettre circulaire que Mre Marie de Gonzague adressait ce jour-l aux Prieures des Carmels, elle exprimait le souhait de voir cette humble histoire rpandre sur lordre entier de la Vierge Marie un suave et doux parfum . Bientt, ce parfum allait se rpandre, en effet, sur lglise tout entire. La question laquelle nous avons voulu rpondre au cours de ce colloque est la suivante : partir de quand, dans quelle mesure et pour quelles raisons, des thologiens de mtier ont-ils, eux aussi, t rendus sensibles ce parfum ? Comment ont-ils interprt le message thrsien ? Nous avons suivi lordre chronologique en commenant par les plus anciens, mais en tant surtout attentifs la parution des livres importants o ils parlent de sainte Thrse. Voil pourquoi, par exemple, le Pre Petitot, plus jeune que le Pre Desbuquois, le prcde cependant, car son livre est paru plus tt (1925) que celui du Pre jsuite (1933). Mis part le Pre Przywara et von Balthasar qui reprsentent la pense thologique dexpression germanique, nous navons retenu que des thologiens franais. Nous sommes donc bien conscients des limites de louvrage que nous offrons aux lecteurs. Nous esprons toutefois que ces quelques pages donneront dautres le dsir de complter, comme il se doit, la liste des thologiens de ce sicle dont les travaux ont su mettre en valeur la pense de sainte Thrse de Lisieux.1. Dynamique de la confiance, Pre Conrad De MEESTER , ditions du Cerf, Paris, 2e d. revue et corrige, 1995, pp. 22-35.

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PRSENTATION DU THME

Ce colloque a t organis conjointement par lInsitut Catholique et les Carmes de Toulouse. Au nom de ces derniers, je voudrais remercier Monseigneur Dupleix, Recteur de lInstitut Catholique, non seulement de nous avoir permis de raliser ce colloque dans le cadre des activits universitaires, mais dy avoir apport une collabotation active, efficace et intelligente, sans laquelle il naurait pu avoir lieu. Pre Joseph BAUDRY, o.c.d.

Introduction

Il ne mest pas possible de prfacer un colloque sur sainte Thrse de Lisieux selon les normes habituelles, car linstant o jcris ces lignes, je sais quelles doivent rpondre une double exigence : celle de la simplicit et de lhumilit, celle de la disponibilit intrieure une Parole qui nous fait missionnaires de lAmour et au travers ou au-del des logiques rationnelles tmoins de la saintet et de la prsence lumineuse de Dieu. Thrse, la petite Thrse, limmense sainte, le Docteur paradoxal, Thrse dont la modernit bouscule notre rapport habituel au monde, Thrse qui relve aujourdhui le dfi dune extraordinaire pertinence de lintriorit et de la vie spirituelle en pleine mutation de nos repres culturels, Thrse qui dvoile le visage de Jsus, enfance et plnitude de Dieu, Thrse enfin dont le message ne se diffuse pas, mais sinfuse au plus profond de nos fibres humaines, cette Thrse-l, cette jeune femme qui a fait, sans limites, le choix daimer jusquau bout, est aujourdhui, pour nous, non point seul objet de recherche, mais source dune exprience cratrice et fondatrice, lexprience de ladhsion au Dieu vivant et de la rvlation de ce Dieu notre temps. Il fallait ce colloque et sa publication. Vous lavez fait. Au nom de ma double responsabilit universitaire et ecclsiale, je vous en remercie et je dis toute notre gratitude aux frres carmes et celui qui a su mener bien cette initiative, le Pre Joseph Baudry. Je savais, un peu mystrieusement ds le dpart, que nous irions jusquau bout, car lorsquil sagit davancer sur une voie qui correspond tellement aux besoins actuels de lglise et du monde, lEsprit Saint prend le relais de nos projets et de nos ralisations. Parler de Thrse et des thologiens pouvait sembler, vues humaines et en superficie, limiter notre champ de recherche et

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INTRODUCTION

dexpression, sauf si lon se rappelle que la thologie est avant tout la Parole de Dieu qui nous touche et nous transforme : Dieu qui parle et qui, seulement alors, nous permet de dire quoi que ce soit sur lui. Dieu qui parle et qui structure, qui dresse et qui redresse. Dieu qui fait vivre, natre et renatre. Si Thrse enseigne, si elle est Docteur, cest avant tout parce que sa vie indique dans la multiplicit des discours, propositions et dbats actuels un lment stable, ce que nos Pres de la Bible appelaient le Rocher, autre dfinition de la Vrit. Si Thrse enseigne, si elle est Docteur, cest la manire dont lEsprit de Dieu se manifeste au monde et laccompagne, cest--dire dans linattendu, limprvisible, mais aussi et ainsi, dans un constant et parfait accord entre le message transmis et les besoins les plus secrets ou les plus explicites de nos socits. Emmanuel Mounier disait que Thrse est une ruse de lEsprit Saint... . Ruse, certes, mme pour moi qui ai longtemps pens, tort srement, quune telle sainte navait point besoin du titre de Docteur. Je devais certainement alors, ce qui nest pourtant pas dans mes habitudes, trop cadrer la signification du Doctorat. Si Dieu, par le Christ, est le premier et le seul docteur, tout tmoignage de saintet aussi cohrent et aussi traduisible que celui de Thrse doit sintgrer sans hsitation dans le patrimoine fondateur du christianisme et sa mission thologique, krygmatique, pdagogique et catchtique. Vous permettrez quen pareille circonstance, jvoque un souvenir personnel. Javais une dizaine dannes lorsquune de mes tantes me fit voir sur son bureau une photo de Thrse, une croix et une lampe clairant les crits de la petite sainte. Beaucoup plus tard, sa mort et la veille de mon ordination, je reus de sa part, non point la photo, mais la croix et la lampe. Signe tonnant et puissant de ce qui tait, sans que ma tante le mesurt peut-tre, le testament de Thrse : le Christ lumire du monde et de notre vie. Jai toujours gard la croix et la lampe, indissociables du visage de Thrse. Ce colloque, par ses multiples interventions, est une faon de parler du rapport maintenu par la petite Thrse entre la croix et la lampe, lexistence et la lumire, lhistoire et laccomplissement. Thrse de lEnfant-Jsus et de la SainteFace, deux extrmes du mme Amour culminant en jaillissement dternit, que Pie X osera appeler la plus grande sainte des temps modernes et que Pie XI nommera patronne des missions. La dcision de Jean-Paul II de lintgrer

au rang des Docteurs, sinscrit dans une dynamique hors normes institutionnelles, mais aux normes de la volont divine de salut. Je te loue, Seigneur, Pre du ciel et de la terre, davoir cach cela aux sages et aux intelligents et de lavoir rvl aux tout-petits (Mt 11,25). Mais voici que devant nos yeux souvent blass, une toute petite devient modle pour les sages et les intelligents, parce quen sa saintet universelle, elle est sagesse et intelligence et nous ouvre un chemin de conversion et de paix. Que Dieu, par Thrse, nous claire... Mgr Andr DUPLEIX

De la cellule de Thrse de Lisieux latelier de limprimeurLe tout dbut de lHistoire dune me Pre Conrad DE M EESTER o.c.d.* Entre le jour o Mre Agns de Jsus entretint sa sur mourante sur la possibilit de publier aprs sa mort une circulaire ncrologique plus tendue et le jour o le livre est effectivement sorti de presse, beaucoup de choses se sont passes : gestation du projet, conversations avec Thrse, tudedes manuscrits thrsiens, travail rdactionnel, consultations, conseils reus, corrections apportes, transcription du manuscrit corrig et son achvement, recherche dun imprimeur, composition du livre, preuves

* Le Pre Conrad De Meester, o.c.d., thologien minent, rside Louvain en Belgique. Spcialiste de Thrse de Lisieux, ses ouvrages sont trs renomms. Ces titres les plus rcents sont : Aimer jusqu mourir damour, 2 t., Cerf, 1995 ; Dynamique de la confiance, Cerf, nouvelle dition 1995 ; Thrse de Lisieux , Mdiaspaul, 1997.

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corriger, photos insrer, couverture, impression du volume, diffusion enfin... En tudiant avec prcision le droulement du projet initial et toutes les dmarches faites, on constate combien il est facile aprs un sicle, la lumire du rayonnement thrsien bouleversant et sous le poids de tout ce qui a t dit et rpt, de recouvrir ce lointain et modeste dbut dintentions alinantes, pour aboutir des lectures anachroniques et des jugements prcipits, exprims en des termes imprcis et biaiss. Sans prjugs et sans rien cacher, lhistorien devra se reporter au lointain pass, tudier soigneusement documents et indices, mesurer leur porte, les situer dans leur contexte. Ils constituent les jalons qui balisent le chemin, indiquent la direction suivre, permettent de revivre au maximum le pass. Voil ce qui a t mon ambition en ce qui concerne le tout dbut de la premire biographie de Thrse, appele communment Histoire dune me. Jai pu profiter de la recherche dj commence par Mgr Combes, puis intensifie par lquipe du Pre Franois de Sainte-Marie, plus encore jai tudi la Nouvelle dition du Centenaire, mine dor contenant mille prcieux dtails, mais jai voulu, avant tout, refaire lexamen grands frais personnels. Si je ne me trompe, on arrivera des constatations et des conclusions qui, sur certains points dtermins, librent lvnement pass dune chape paisse dont parfois, indment, on la couverte et dont on ne cesse de laffubler. Voici les documents principaux quil faudrait soigneusement peser :1. Publie dans le volume Sainte Thrse de lEnfant-Jsus et de la Sainte-Face, Correspondance gnrale, tome II, Nouvelle dition du Centenaire [que nous indiquerons ciaprs comme NEC], Cerf-DDB, 1992. Voici les sigles utiliss, suivis de la numrotation de la NEC : LT = Lettres de Thrse ; LC = Lettres des Correspondants ; PN = Posies ; RP = Rcrations pieuses ; Pri = Prires ; A = Manuscrit autobiographique A; B = Manuscrit autobiographique B; C = Manuscrit autobiographique C; DE = Derniers Entretiens, avec en particulier CJ = Carnet jaune, suivi de lindication du jour et du mois, celle-ci suivie de lindication de lordre de la parole attribue ce jour. Le sigle HA, suivi de la page, indiquera toujours (sauf en cas expressment mentionn) la toute premire biographie de Thrse, publie en 1898, et que nous dcrirons en cours de route. Les sigles PO et PA (suivis de la page) renvoient aux Procs de batification et canonisation de sainte Thrse de lEnfant-Jsus et de la Sainte-Face, en deux tomes : I. Procs informatif ordinaire, XXVII-729 p. ; II. Procs apostolique, XXX-612 p., Roma, Teresianum, 1973-1976. Mss I (ou II et III) renvoient aux trois volumes du P. Franois de Sainte-Marie, accompagnant ldition en fac-simil des Manuscrits autobiographiques de Thrse (Office central de Lisieux, 1956). 2. Aux Archives du Carmel de Lisieux. Je remercie vivement les Carmlites de Lisieux de mavoir permis tout temps de compulser les documents conservs dans leurs Archives.

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1. La correspondance intime entre Mre Agns et Thrse1. 2. Le Chapitre XIV, crit de la main de Mre Agns, seul chapitre conserv2 du premier manuscrit de la future biographie de Thrse. 3. Deux projets conservs de couverture, contenant le titre primitif du futur livre. 4. Les lettres du Pre Godefroy Madelaine, qui a corrig le manuscrit de lHistoire dune me3. 5. Les lettres du Pre Norbert Paisant, confrre du pre Madelaine. 6. Les lettres des tmoins (carmlites de Lisieux ou famille Gurin), partir de 1897 ; un bon nombre de ces Lettres ont t publies, soit dans le volume des Derniers Entretiens (NEC), soit dans la revue Vie thrsienne. 7. Le volume imprim de lHistoire dune me, de 1898 (HA). 8. Les tmoignages ultrieurs au cours du Procs de batification4. I. Lide dune publication plus tendue sur Thrse Lide dun imprim sur Thrse aprs sa mort nest de ni Mre Agns ni Thrse ni personne dautre. Ctait tout simplement la tradition des carmels de France denvoyer aux autres monastres, souvent aussi des amis et connaissances, une Circulaire ncrologique imprime relatant brivement la vie de la dfunte. La tradition tait l et chaque carmlite le savait : elle aurait sa circulaire. Rarement celle-ci tait refuse par la religieuse en question, qui, par contre, souvent, lentourait dun humour bienveillant ; on comptait sur le bon sens et laimable discrtion de celle qui rdigerait la Circulaire. La parole de Thrse telle quelle est rfre par Mre Agns : Je veux bien une circulaire (...) je ne comprends pas trop pourquoi il y en a qui ne veulent pas de circulaire ; cest si doux de se connatre (CJ 27.5.1) atteste la tradition vivante.

3. En plus, ses tmoignages et les articles de sa main, auxquels je renverrai au moment opportun. 4. Pour leur publication et les sigles, cf. note 1.

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La Circulaire tait rdige par la prieure ou par une autre sur sous la responsabilit finale de la prieure, qui signait. Ainsi, la Circulaire ncrologique de mre Genevive de SainteThrse, co-fondatrice du carmel de Lisieux, avait t rdige en 1891 par sur Agns et signe par la prieure Marie de Gonzague. Le 20 fvrier 1893, jour o la jeune sur Agns est lue prieure, Thrse y fait allusion : Oui, lesprit de Mre Genevive rside tout entier en vous, et sa parole prophtique sest ralise. trente ans vous avez commenc votre vie publique, nest-ce pas vous qui avez procur tous les Carmels et tant dmes pieuses la consolation davoir le dtail touchant et potique de la vie de notre sainte... (LT 140).

La Circulaire ncrologique de Mre Genevive tait assez tendue : vingt-et-une grandes pages. Sur Agns, au talent dcrivain reconnu par le groupe (et admir par Thrse5), nen sera donc pas son premier essai lorsquelle assumera la tche dcrire la Circulaire de Thrse. Le premier rcit autobiographique de Thrse Un fait, absolument hors srie, va jouer un rle capital, providentiel. Au dbut de 1895, Thrse avait voqu devant les surs Agns et Marie du Sacr-Cur, ses propres surs, carmlites comme elle, des souvenirs de son enfance illumine par la grce de Dieu. linstigation de Marie, Mre Agns, alors prieure, aprs quelque rticence, ordonne Thrse de mettre ses souvenirs par crit. On ne pensait alors qu un souvenir de famille. Lonie, sa sur dans le monde, Thrse demande de lui acheter un5. Cf. A 81r-v. 6. Ltude du manuscrit dmontre que le travail de Thrse a connu bien des petites aventures rdactionnelles... 7. coutons son tmoignage, rapport dans ses Notes prparatoires au Procs apostolique, au sujet du Manuscrit (Archives du Carmel de Lisieux) : Lorsquelle avait achev un cahier, elle me le passait, cest moi qui le lisais la premire. Ne sachant comment lui tmoigner mon admiration, je lui dis un jour avec enthousiasme et dun air bien convaincu : Cest imprimer ! Vous verrez que cela servira plus tard ! Elle se contenta de rire de bon cur de ma rflexion quelle trouvait ridicule . Sur Genevive a confirm les faits de vive voix devant Andr Combes, qui rapporte la confidence orale du tmoin: Au fur et mesure quelle crivait la premire partie de son autobiographie, Thrse communiquait ses pages sur Genevive qui, vite conquise et remplie dadmiration, disait et rptait lhumble auteur [Thrse] : Cest digne dtre imprim. Thrse se contentait de rire, mais sur Genevive a gard le sentiment quelle en pensait bien plus long quelle nen disait . (Cf. A. COMBES , Le problme de

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cahier, de 0,10 fr. ; chemin faisant, elle en aura besoin dun deuxime, puis dun troisime : cahiers quelle ddouble, obtenant alors six cahiers plus petits, de longueur ingale6, quenfin elle reliera en un seul. Travail rdactionnel accompli par obissance, mais aussi avec spontanit, abandon, grce naturelle et surnaturelle, dans lintimit dun long change quasi-pistolaire avec Agns, deux fois sa mre (A 2r), puisquelle lavait choisie comme sa seconde maman aprs la mort de leur mre et quelle tait sa mre prieure. Assise avec Agns la table de lintimit du cur, Thrse partage sans rserve tout ce qui vibre en elle au fil des vnements voqus. La premire lectrice des six petits cahiers na pourtant pas t la destinataire directe, Mre Agns. Ctait Cline, sur de Thrse et devenue au carmel sa novice, sur Genevive, qui Thrse tait lie par un intense amour fraternel et une mme histoire familiale. mesure que Thrse avait termin un cahier, elle le montrait Genevive. Sur Genevive a racont ses ractions, manifestes Thrse avec enthousiasme, jusqu laisser tomber dj ds ce moment ! le mot imprimer ...7 Thrse en riait. Elle lavait quand mme entendu. Ainsi est n le manuscrit le plus long de Thrse, lun des quelque quatre-vingts qui seront utiliss dans ce premier livre sur Thrse qui, partir de 1898, va conqurir le monde. Ce que Mre Agns va lire dans ce premier rcit biographique, lui suggrera bientt lide de demander sa sur un rcit complmentaire. Le Vendredi Saint 3 avril 1896, deux hmoptysies avertissent Thrse du srieux de son tat. SalHistoire dune me et des uvres compltes de sainte Thrse de Lisieux, Paris, SAINT-PAUL, 1950, p. 76). 8. Cf. Conrad DE MEESTER , Thrse de Lisieux et son dsir de faire du bien aprs sa mort, paratre dans Teresianum de 1998. 9. Voir la lettre du 28 avril 1897 (L 5 dans DE, p. 672) de madame Gurin sa fille Jeanne ; elle vient de visiter son autre fille Marie (sur Marie de lEucharistie, novice de Thrse). 10. Silence tout de tendresse ? Il faut y ajouter une attitude dobissance vis--vis de la prieure Marie de Gonzague, qui a d demander, ou du moins conseiller ce silence envers la communaut en gnral et Mre Agns, dont elle connaissait la sensibilit, en particulier, afin de ne pas lui donner plus de proccupations que le moment prsent nen demandait. Cest en lien avec cette obissance que Thrse et Agns se rjouiront toutes les deux que la vrit sur les hmoptysies nait pas t primitivement rvle par Thrse, mais devine (toutes les deux utilisent ce mot : LC 180 et LT 232) par Agns. Thrse savait garder un secret demand ou opportun, mme vis--vis des tres les plus chers. Ainsi pour ce qui concerne son lien de prire avec son deuxime frre spirituel , le Pre Roulland ; elle lui crit au sujet de sur Genevive: Cette chre sur ne connat pas les rapports intimes que jai avec vous (...) (LT 221, du 19 mars 1897). Mre Agns raconte que le 1er mai 1897 (cf. DE, p. 205), elle aussi ignorait toujours le secret de ce deuxime frre spirituel de Thrse. Au Procs

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sant se dgrade. En 1897, Thrse parle de plus en plus de sa mort prochaine et de son dsir de faire du bien du haut du ciel8. Fin avril, elle crache le sang le matin 9. En mai 1897, elle est dcharge progressivement de tout emploi et de lOffice au chur. Elle reste beaucoup en cellule ; ce nest que dans quarante jours, le 8 juillet, quelle descendra la chambre de linfirmerie. Pour la Pentecte (6 juin), la communaut est en retraite partir du 28 mai, lendemain de lAscension : retraite annuelle non prche, on travaille comme dhabitude, mais les rcrations communautaires sont supprimes. Pendant ce temps de plus grand silence, les changes crits sont plus nombreux que dhabitude : six billets dAgns (qui nest plus prieure) Thrse, six de Thrse Agns, ce qui nexclut pas les changes oraux avec la malade que Mre Agns visite souvent. Pendant cette retraite va natre le projet dune continuation (cest lexpression mme de Mre Agns dans LC 183) du premier rcit autobiographique. Le 30 mai, les deux hmoptysies du Vendredi Saint de lanne prcdente ce que sur Agns ignorait encore ont t dvoiles. Le choc est dur pour Agns, la sensible, et les deux surs sen expliqueront : par deux fois, ce soir-l, leursapostolique, elle explique que Thrse avait reu la dfense expresse de me le dire (PA 193). 11. Les mots vous refuse pourraient, de prime abord, suggrer que Thrse elle-mme demandera la prieure lautorisation de continuer ses souvenirs. Dans la ligne de ce quon sait sur Thrse, il me semble plus probable que les mots vous refuse , dans la lettre de Mre Agns, signifient : vous refuse de rdiger la suite de votre vie, lorsque je (Mre Agns) le lui en demanderai la permission. La lettre de Mre Agns du 2 juin parle dans ce sens : Est-ce la peine que je demande Notre Mre... (LC 183). Cest ce qui arrivera effectivement : Mre Agns ira solliciter la permission. 12. Raction attendrie de Thrse : Cest par trop touchant, par trop mlodieux !... Jaime mieux me taire que dessayer en vain chanter ce qui se passe dans ma petite me !... Merci petite Mre !... (LT 234). Dans son ouvrage Lumire de la nuit, Les dix-huit derniers mois de Thrse de Lisieux, Seuil, 1995, p. 152-166, en analysant cette correspondance entre les deux surs, JeanFranois SIX donne, mon avis, une image errone et caricaturale des actions et des ractions de Mre Agns. Jy rpondrai plus in extenso dans un ouvrage prochain : La vrit sur Thrse et Agns de Lisieux, Dbat avec Jean-Franois Six. Quant cette rponse de Thrse, Six interprte : Rponse de Thrse: elle ne veut pas poursuivre son autobiographie donc elle ne demandera rien mre Marie de Gonzague . Aucune hsitation pour lauteur : cette perspective [de continuer son autobiographie ] ne plat gure Thrse. Pour Mre Agns, la seule issue, dsormais, cest quelle aille demander elle-mme Mre Marie de Gonzague lautorisation, pour Thrse . Ce sera donc contre le gr de Thrse que Mre Agns agira : Thrse a-t-elle donn Mre Agns son accord ? Cest peu probable (Op. cit., p. 155-156). Le 2 juin, Mre Agns a arrach la prieure la continuation des souvenirs de Thrse (Op. cit., p. 159) et le 3 juin la prieure, contre son dsir, lui a enjoint dcrire (Op. cit., p. 165). Pour Thrse, ce cahier quil lui faut crire, cest vraiment, peut-on dire, la galre (Op. cit., p. 166). Dans son ouvrage postrieur, Thrse de Lisieux par elle-mme, Tous ses crits de Pques 1896 (5 avril) sa mort (30 septembre 1897), Lpreuve et la grce, Grasset-DDB, 1997, Six

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billets vont se croiser. Mre Agns finit vite par comprendre le pourquoi du silence de Thrse : Votre motif tait tout de tendresse10 (LC 180). Le double change mutuel rtablit la parfaite entente entre les deux surs, mais dsormais la perspective du Ciel sera plus que jamais prsente dans leurs contacts. Le deuxime rcit autobiographique La nuit a port conseil et Agns pense dj au temps o sa sainte petite sur ne sera plus de ce monde. Le lendemain, 31 mai, dans un change oral, elle avance devant Thrse la possibilit de continuer son premier rcit autobiographique, ce qui alors devra tre demand la prieure actuelle Marie de Gonzague, qui ignore le texte rdig autrefois pour Mre Agns, alors prieure. Un billet de Mre Agns, du soir du 31 mai, voque la situation du moment : Je ne veux mme pas maffliger si Notre Mre vous11 refuse, la Sainte Vierge ma fait comprendre que toutes les belles vies de Saints ne valent pas un acte dobissance et de renoncement. Quand mme Notre Mre aprs votre mort dchirerait votre petite vie, il me semble, si je suis comme ce soir, que je ne sentirai pas autre chose quune attraction plus puissante vers le Ciel (LC 182).

Le projet, dont lexcution dpendra de l obissance , est en lien avec la petite Vie de Thrse, ce premier rcit compos pour Mre Agns, et demble il se glisse dans la ligne dune biographie spirituelle, genre Vie des Saints . Quelle que soit la dcision prise par la prieure, Mre Agns se sentira toujours proche de Thrse, comme en tmoigne aussi une posie de sa plume12, sappuyant sur la lumire et la clart qui sont en Thrse. La question reste encore un peu en suspens, car le 2 juin Agns hsite encore faire crire sa sur, en raison de la maladie de celle-ci ; elle laisse tout de mme une nouvelle fois entrevoir son dsir :sembrouille. Dune part, lauteur rpte sa thse: La rponse de Thrse, dans son billet du 31 mai, est claire, elle na pas envie de poursuivre : Jaime mieux me taire. Ds lors, la seule issue pour Mre Agns, cest daller trouver elle-mme Mre Marie de Gonzague ( ibid., p. 175). Dautre part, lorsquil prsente le billet en question de Thrse (qui nest pas du 31 mai , mais du 1er juin, comme cette fois il le signale avec plus de prcision), lAuteur se contredit, et raison : (Mre Agns) a elle-mme compos une posie quelle lui envoie (...).

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Est-ce la peine que je demande Notre Mre pour la continuation de la petite V[ie] ? Jai peur que si elle veut bien, cela ne vous fatigue, mme quil vous soit impossible de le faire. Votre tat saggrave tellement ! Alors jaurais peut-tre fait une btise. Vous me direz cela demain. (...) Quand je pense que vous allez mourir. Ah ! jaurais pourtant t bien heureuse davoir13 quelque chose de vous cette anne. Je veux dire la continuation de la petite V[ ie] (LC 183).

Le projet est maintenant, et par deux fois, nonc plus clairement : la continuation de la petite V[ie] . La double abrviation V. rvle le secret et mme une certaine crainte dont Mre Agns entoure encore lexistence du premier cahier, ignore par Mre Marie de Gonzague. Enfin dcide, Mre Agns va demander (le soir du 2 juin, daprs son tmoignage) lautorisation la prieure et sort largument dune information plus complte sur la vie religieuse de Thrse, utile pour faire sa circulaire aprs sa mort . Le lendemain matin , Marie de Gonzague ordonne Thrse de continuer son rcit14. Il na pas d tre trop difficile pour Mre Marie de Gonzague daccder la demande de Mre Agns, car elle aime Thrse sincrement, apprcie ce quelle composait et la elle-mme stimule communiquer ses posies ses frres spirituels15. Thrse a pu commencer le 3 juin. ( Je lui avais dj choisi un cahier , ajoute Agns la zle16 !) Le 4 juin, Mre Agns lui crit un billet dont il faudra lire attentivement le passage suivant, qui exprime clairement son objectif fondamental : Mon pauvre petit ange, cela me fait grand piti de vous avoir fait entreprendre ce que vous savez, pourtant si vous saviez comme cela me fait plaisir !.. Vous savez bien que les Saints dans le Ciel peuvent encore recevoir de la gloire jusqu la fin du monde et quils favorisent ceux qui les honorent... Eh bien je serai votre petit hraut, je proclamerai vos faits darmes, je tcherai de faire aimer et servir le bon Dieu par toutes les lumires quil vous a donnes et qui ne steindront jamais. Alors vous me favoriserez de vos douces caresses, nest-ce pas, mon petit Ange ? (LC 185)

Un mot de rponse sur Thrse, le 1er juin, pour la remercier de la posie : Cest par trop touchant, par trop mlodieux !... Jaime mieux me taire que dessayer en vain de chanter ce qui se passe dans la [en fait Thrse a crit ma ] petite me !... Merci petite Mre !... (ibid.,

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Si Mre Agns toute attendrie de voir sa jeune petite sur aller bientt au ciel compte sur sa prsence posthume quelle espre pour ainsi dire tangible, le motif fondamental pour lequel elle fait entreprendre la rdaction du nouveau cahier est pourtant net : a) le but : faire aimer et servir le bon Dieu , b) le moyen : par toutes les lumires quil vous a donnes et qui ne steindront jamais . Au moment o lglise vient de proclamer Thrse Docteur, les mots dAgns revtent un aspect prophtique. Au dsert du Carmel, Thrse rvait dtre un grain de sable cach mais transform par lamour ; le grain de sable en devenait tincelant de lumire ; Dieu la montr au monde, mais il la montr avant tout par les doigts de Mre Agns, qui a voulu que la lumire qui tait en Thrse soit communique en dehors des murs de son monastre.

p. 174). Le silence de Thrse ne regarde donc pas la rdaction ventuelle dun deuxime rcit autobiographique, mais... la posie. Ce qui est la seule interprtation exacte ! 13. Ici, Mre Agns nexprime, directement, quun bonheur personnel : avoir un souvenir plus complet de la vie de Thrse. Cela nexclut pas quelle pense dj la Circulaire ncrologique rdiger sur Thrse ; cest en tout cas la carte quelle devra jouer, si elle en parle la prieure (ce quelle fera le mme soir du 2 juin). 14. Cf. le tmoignage de Mre Agns, dans PO 146-147. 15. Cf. LT 220 du 24 fvrier lAbb Bellire : Puisque le cantique sur lamour vous a fait plaisir, notre bonne Mre ma dit de vous en copier plusieurs autres. Et LT 221 du 19 mars 1897 au Pre Roulland : Jai compos quelques couplets qui me sont tout fait personnels, je

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Thrse accepte lide dune publication plus tendue Il parat tout normal que ce long et laborieux travail rdactionnel, ainsi que son avenir tel quil a t voqu par Mre Agns devant Mre Marie de Gonzague, de temps en temps soient mis sur le tapis, entre les deux surs qui saiment tant, et entre Thrse et la prieure Marie de Gonzague (je lexpliquerai bientt). Chaque carmlite dfunte avait sa circulaire ncrologique, imprime, variant, dune simple feuille une petite brochure, simplement agrafe, sans couverture. Mais pour Thrse, la pense dune circulaire cette fois bien plus tendue, ne peut dornavant plus tre entirement absente. Bientt lide dun vrai livre (broch, avec une couverture) a d se frayer un chemin dans lesprit de Mre Agns et, par l, dans lesprit de Thrse17. Sans se poser beaucoup de questions ce sujet, cette dernire sait que, dune faon ou dune lautre, ses annotations biographiques serviront une publication. Mais elle ne revendique rien. (On ncrit pas sa propre Circulaire ncrologique !) Ses deux rcits autobiographiques nont pas t voulus par elle-mme, mais ont t demands par dautres. Jamais auparavant une carmlite de Lisieux navait rdig, plus forte raison publi, son autobiographie ou ses mmoires. Avant tout, Thrse crit par obissance , comme elle le rpte (C 6r, 18v, 33r). Moi pauvre petite fleur jobis Jsus en essayant de faire plaisir ma Mre bien-aime , assure-t-elle Marie de Gonzague (C 2v). Elle travaille dans le dtachement le plus total : Je mamuse parler comme un enfant, ne croyez pas, ma Mre, que je recherche quelle utilit peut avoir mon pauvre travail, puisque je le fais par obissance cela me suffit et je nprouverais aucune peine si vous le brliez sous mes yeux avant de lavoir lu (C 33r).

Toute prtention voir ces rcits publis tels quels lui est trangre. Elle crit pour servir, par obissance, pour faire plaisir. Du reste, son got personnel, ce quelle rdige est loin dtre parfait. Mme si elle sefforce parfois damliorer le texte crit (les manuscrits en rvlent les traces), ses deux cahiersvous les envoie cependant, notre bonne Mre ma dit quelle pensait que ces vers seraient agrables mon frre du Sutchuen. 16. PO 147. 17. Sur Genevive tmoigne : Dans la composition de la deuxime partie [elle veut dire lactuel Manuscrit C], (...) elle prvoyait, je crois, non quon diterait ces notes telles quelles,

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restent somme toute ltat dune premire rdaction, dun... brouillon, pour gnial que soit ce brouillon, et Thrse sen excuse avec un humour qui rajoute au charme de ses crits spontans. Ainsi dira-t-elle pour le premier rcit : Je ne rflchis pas avant dcrire, et je le fais en tant de fois diffrentes, cause de mon peu de temps libre, que mon rcit vous paratra peut-tre ennuyeux (A 56v). Pour son deuxime rcit, la malade avoue parfois : Je ne sais pas si jai pu crire dix lignes sans tre drange (C 17v) et elle trouve quelle sest extrmement mal exprime (C 17r) ; elle peut avoirmais quon les utiliserait (...) pour publier un livre qui ferait connatre par quelle voie elle tait aller au bon Dieu et engagerait les mes suivre la mme direction (PA 314). 18. Cf. CJ 11.7.5, au sujet de la pcheresse publique convertie et morte damour. Ce rcit est en effet retranscrit dans HA 199. 19. Sur le manuscrit mme de PN 51 (La rose effeuille) et PN 54 ( ourquoi je taime, P Marie), Thrse a crit : Les mots souligns doivent scrire en italique . (Cf. NEC, Posies 269 et PF I, 16-17). crire en italique se rfre manifestement au texte imprim, car pour une simple copie la plume Thrse naurait rien dit, ou, au maximum, insist pour quon noublie pas de souligner ce qui est soulign chez elle. 20. Comme elle appelle Mre Agns (CJ 29.7.7). Et lorsquon voque devant elle la possibilit que le livre pourrait aller jusquau Saint-Pre , elle rpond en riant : Et nunc et semper (CJ 10.7.2). 21. Il y en aura pour tous les gots, except pour les voies extraordinaires (CJ 9.8.2). 22. Voir Conrad DE MEESTER , Thrse de Lisieux et son dsir de faire du bien aprs sa mort, paratre en 1998 dans la revue Teresianum. 23. La lettre est publie dans D.C.L. [Sur Ccile o.c.d.], Maurice Bellire, premier Frre de Thrse (1874-1907), Lettre 25, dans Vie thrsienne, 17 (1977), n 66 (avril 1967), p. 154155. 24. Cf. D.C.L, Maurice Bellire, premier Frre de Thrse (1874-1907), II. Lettres dAfrique (1897-1902), Lettre 33, dans Vie thrsienne, 17 (1977), n 67 (juillet 1967), p. 217. 25. Cest elle qui connat le mieux ses propres lettres, comme ses propres posies ! Dans ce contexte, sachant elle-mme aussi bien que la prieure que lon pourrait demander communication des lettres envoyes ses frres missionnaires, Thrse a trs bien pu parler d une lettre au Pre Roulland o (elle sest) bien explique au sujet de la justice de Dieu, comme laffirme Mre Agns dans les Novissima verba, du 16 juillet. Ou que, la mme poque, elle parle de sa lettre au Pre Pichon o elle avait expos tout ce quelle pensait de lAmour et de la Misricorde de Dieu (cf. NEC, Correspondance gnrale, p. 1056). 26. Voici comment, en fvrier 1909, Mre Agns rapporte dans ses Cahiers verts , p. 43, ce que Thrse lui a dit : Tout ce que vous trouverez bon de retrancher ou dajouter au cahier de ma vie, cest moi qui le retranche et qui lajoute . Cest ce quelle rpte en 1910 au Procs de lordinaire (PO 147) et en 1915 au Procs apostolique (PA 201-202). Quant sur Genevive, dans ses Notes prparatoires au Procs apostolique, elle crit au sujet du Manuscrit : A cette poque de sa vie la Servante de Dieu tait si claire quelle prvoyait sa mission et elle donna ses instructions Mre Agns de Jsus pour retrancher, ajouter ce qui lui semblerait utile pour la gloire de Dieu : Ce que vous ferez, ma petite Mre, dit-elle devant moi [cest nous qui soulignons], cest moi qui le ferai. Voir aussi, dans Gabriele di Santa Maria Maddalena, Manoscritti e ritratti di S. Teresa del Bambino Ges, in Rivista di vita spirituale, 3 (1949), p. 435-436, lintressant tmoignage de sur Genevive au sujet de ce que Thrse disait par rapport ces rcits autobiographiques (nous traduisons) : Je compte sur vous pour mettre tout cela en ordre , disait-elle Mre Agns, tout ce que vous ferez, cest moi qui le fais. A la demande du pre Gabriel : Savezvous avec certitude si ces paroles ont t rellement prononces ?, elle rpond : Pendant cette priode, je servais ma sur malade et je me suis pleinement rendue compte de cela. Dans notre petit groupe (des surs de la Sainte) cette chose tait manifeste. A la question du pre Gabriel : Il ny a donc pas le moindre doute ce propos ? , elle rpond : Mon Pre, vous pouvez en tre vraiment sr. Sur ce point je pourrais aussi prter serment. Quant Andr COMBES , dans Le problme..., (livre crit aprs dinnombrables contacts avec Mre Agns et sur Genevive), il considre les deux surs comme deux tmoins privilgis (p. 145) et affirme : Il suffit de rappeler que Thrse a toujours considr Pauline

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limpression que son expos na pas de suite (C 6r), est un cheveau (C 18r) de penses confuses et mal exprimes (C 6r). Lorsquon connat le milieu historique de Thrse, carmlite, et ses deux rcits autobiographiques, on saisit facilement que tout ce matriel fourni ne pouvait pas tre imprim tel quel. Thrse ntait pas ce quelle est aujourdhui, une personnalit mondialement connue, dont on connat le moindre dtail de lexistence et du style. Dans son premier rcit, nombre de dtails intimes concernaient les membres de sa famille encore en vie. Le deuxime rcit ne manquait pas dvoquer des situations concrtes de religieuses vivant en communaut. Dans ce contexte, il parat normal et, preuve de bon sens que Thrse ait exprim sa confiance et son abandon quant la faon dont la rdactrice finale donnerait forme la biographie. Encore une fois, la circulaire ncrologique dune carmlite tait toujours luvre dune autre sur, que lon ne pouvait plus soi-mme contrler. En plus, le deuxime rcit de Thrse tait rest incomplet. Il est normal que Thrse ait pu donner quelques indications pour le complter18. Sachant que ses posies au moins quelques-unes seront galement assumes dans la future publication, la voil qui donne ellemme des indications pour le texte imprim19 ! Si Thrse sait plaisanter au sujet du livre et de son historien 20, elle estime quil sagit dune uvre importante (CJ 1.8.1) et que le rcit de son exprience spirituelle contient un message pour bien des lecteurs21. Dsireuse de faire du bien sur la terre et au[Mre Agns] comme sa confidente de prdilection, et (...) quelle a toujours trait Cline [sur Genevive] comme sa sur dme ; (...) il y aurait extravagance pure, vritable crime contre les requtes du vrai, vouloir construire une telle histoire [de Thrse] contre le tmoignage de pareils tmoins, et inexplicable tmrit ne tenir compte ni de leurs souvenirs ni de leurs certitudes (p. 146). 27. Ce qui a t expliqu ci-dessus, suffit rfuter les nombreuses affirmations gratuites et accusations graves formules par Jean-Franois SIX au sujet du travail de Mre Agns dans la publication de lHistoire dune me, par exemple dans son ouvrage Thrse de Lisieux par ellemme..., p. 343-345, sous la rubrique Mre Agns sest donn le droit , ou dans Lumire de la nuit..., p. 160-161 : Tout cela nest quune lgende soigneusement entretenue par Mre Agns jusqu sa mort elle. Lorsque, au-del de sa continuelle prvention contre Mre Agns, on cherche chez lauteur un argument srieux pour tayer sa thse, on semble devoir se rapporter son interprtation dune lettre de Thrse (LT 242 du 6 juin 1897), sur Marie de la Trinit. Cette novice a vu crire Thrse et a d y faire une allusion ; Thrse riposte : Je nai pas pu mempcher de rire en lisant la fin de votre lettre, ah ! cest comme cela que vous vous moquez de moi ? et qui donc vous a parl de mes critures, quels in-folio faites-vous allusion ? Je vois bien que vous plaidez le faux pour savoir le vrai, eh bien ! vous le saurez un jour, si ce nest pas sur la terre ce sera au Ciel, mais bien sr que cela ne vous inquitera gure, nous aurons autre chose penser alors...

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Ciel aprs sa mort, elle a certainement pressenti que la future publication jouerait un rle important22. Le projet de la publication en train de mrir Dun commun accord avec les carmlites, le projet de la publication mrit activement. Nous avons un indice trs convaincant ! Cest que Mre Marie de Gonzague elle-mme, ds la mi-aot 1897, du vivant de Thrse donc, a demand lAbb Bellire de lui faire plaisir plus tard . la lumire de ce que nous dcouvrirons travers trois rponses de lAbb Bellire Marie de Gonzague, le plaisir pour plus tard concerne la prochaine publication dont la prieure, ds la miaot 1897, a entretenu le jeune sminariste, laissant encore dans le vague sa contribution spcifique, mais qui nest autre que de pouvoir ventuellement disposer des lettres de Thrse son frre spirituel. La demande de la prieure est dj reflte par la rponse de lAbb Bellire du 17 aot 1897 : Que voulez-vous de moi, chre Mre vous demandez que je vous fasse plaisir plus tard ds maintenant je souscris tout ce que vous me demanderez trop heureux de vous faire ce plaisir 23.

Le 14 octobre la veille il a appris la mort de Thrse, par une lettre de Mre Agns il sexprime bien plus clairement ! Il crit Marie de Gonzague : Jadis vous maviez parl dun projet que vous aviez form pour lavenir, aprs la mort de ma sur, avec la Mre Agns et auquel vous aviez pens massocier. Chre et vnre Mre, je souscris des deux mains ce que vous voudrez bien demander de moi et ce que vous dsirez faire 24.

Jean-Franois SIX voit dans ce rire un signe que Thrse est loin de penser une publication : Thrse a ri, et franchement, face sur Marie de la Trinit qui parlait, mimot, de publication ; et ce ntait pas un rire de fausse humilit : elle tait cent lieues de penser une telle publication (Lumire de la nuit..., p. 160). A cela on peut rpondre que la curiosit de Marie de la Trinit concernait le fait quelle voyait Thrse faire rgulirement ses critures (Thrse raconte dans C 17r-v que dautres surs encore taient un peu intrigues par ce travail !), mais rien ne prouve que Marie de la Trinit ait pu supposer que Thrse travaille une... publication , chose tellement inhabituelle dans son carmel ! Cest ici, du reste, que lauteur va se contredire en acceptant quand mme la carte blanche donne Mre Agns, du moins pour la circulaire : Thrse, dit-il, tait cent

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Cest maintenant clair : ce projet , aprs la mort de sa sur spirituelle, avec la Mre Agns , ce ne peut tre que la publication sur Thrse ! Ce que lon envisageait de lui demander, ce sont les lettres quil a reues de Thrse. Nous verrons bientt que le 16 janvier 1898 lAbb Bellire en parle encore une troisime fois. Donc, dj pendant lt de 1897, Mre Marie de Gonzague et Mre Agns se concertent fraternellement au sujet de la publication, formulent des ides pour son laboration. Il semble tout normal, dans ce climat, que Thrse elle-mme soit mle aux conversations. Ainsi on situe bien des paroles comme celles-ci : Aprs ma mort, il ne faudra parler personne de mon manuscrit avant quil soit publi, il ne faudra en parler qu notre mre. Si vous faites autrement, le dmon vous tendra plus dun pige pour gter luvre du bon Dieu..., une uvre bien importante (PO 200-201, du 1 er aot ; cf. CJ 1.8.2). [ propos de son manuscrit inachev :] Il y en a bien assez, il y en aura pour tout le monde, except pour les voies extraordinaires (PO 147 ; cf. PO 176 et CJ 9.8.2). Et lon saisit mieux que, spontanment ou non, elle fasse des suggestions concrtes25. Toutefois, la finition du livre paratre est renvoye aprs le dcs de Thrse, dont ltat est devenu, depuis le 6 juillet, de plus en plus alarmant. Voici que Thrse a fait ce qui lui a t demand, elle la fait avec talent et non sans le plaisir cratif de lcrivain vritable : maintenant elle laisse le souci ultime de la publication celles qui lont voulue et qui elle se joint. Quelles sarrangent pour le mieux... Cette raction de bon sens est du reste explicitement atteste (un demi-sicle durant) par ses surs Agns et Genevive : Thrse a explicitement permis Mre Agns de retoucher, dajouter ou denlever ce que bon lui semblerait26. Il nest pas raisonnable de le mettre en doute27. Du reste, Thrse admirait le talent littraire de Mre Agns (les ravissantes posies de sa sur ! cf. A 80r), qui en plus avait rdig avec succs la longue circulaire ncrologique de Mre Genevive de Sainte-Thrse. Et on ne peut pas oublier que Thrse elle-mme, qui ne sy connat pas trs bien pour les rgles de la versification, apporte

lieues de penser une telle publication. Elle en tait ce point loigne quelle a pu, en effet, rpondre Mre Agns, qui lui disait quelle arrangerait ses crits, quelle lui laissait carte

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spontanment ses posies Mre Agns et ce jusque pour sa toute dernire posie de mai 1897 pour que celle-ci les relise et corrige, et surtout tranche entre plusieurs variantes possibles 28. II. La rdaction du livre publier Jeudi 30 septembre 1897, Thrse meurt. Lundi 4 octobre, elle est inhume au cimetire de Lisieux. En accord avec la prieure et sous la supervision finale de celleci nous verrons plus loin comment Marie de Gonzague suit le projet de prs , Mre Agns, cheville ouvrire de la future publication, se met au travail pour le livre. La voici devant les autographes de Thrse : le premier cahier rdig en 1895, le deuxime cahier rdig pour Marie de Gonzague, quelque cinquante posies de Thrse, les livrets de ses rcrations pieuses , quelques prires, les lettres ses surs carmlites (Agns elle-mme, Marie, Genevive, ses novices)... Elle dispose en plus de ses propres notes prises au chevet de la malade et des conseils annots par les novices de Thrse. Et son propre esprit est encore si plein de souvenirs... Tout dabord, en prparant le manuscrit elle doit tenir compte dune volont expresse de la prieure Mre Marie de Gonzague : par souci dunit, toutes les notes autobiographiques de Thrse devront paratre comme adresses elle seule 29. Cette volont prsidera bien des remaniements et omissions dans le rcit original de Thrse lorsquelle parlait de Pauline et de la famille Martin. La petite biographie corriger Trois tmoignages concernant le travail rdactionnel primitif ont t conservs et ils sont significatifs de la vritable intention qui anime les carmlites face la vie et aux crits de leur sur dfunte.blanche, parce quelle ne pensait qu sa seule circulaire et quelle nimaginait aucunement tre publie . 28. Cf. NEC, Posies, p. 271, 476-477, 535-537, au sujet des nombreux choix et propositions que Thrse offre Mre Agns, pour quelle tranche. 29. Voir surtout, dans ldition fac-simil, la note manuscrite de Mre Agns et son conseil sur la premire page du manuscrit A. Aussi Mre Agns dans PO 202 : ... condition quon les modifierait, pour laisser entendre quils lui avaient t adresss elle-mme . Cest ce

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1. Le premier, cest le passage dune lettre du 29 octobre 1897 de la prieure Marie de Gonzague au Pre Godefroy Madelaine. Le Pre Madelaine (1842-1932) tait Prieur des Pres prmontrs de labbaye de Mondaye (Calvados). Ami intime de M. Delatrotte, le suprieur ecclsiastique du carmel de Lisieux, il venait rgulirement Lisieux, prchait plusieurs triduums au carmel ainsi que la retraite annuelle de 1882, 1890 et 1896. Il connaissait M. Martin et avait assist aux prises dhabit de Marie et de Thrse Martin 30. Homme cultiv et spirituel, bon religieux et bon prdicateur, il semblait tout fait indiqu pour conseiller les carmlites de Lisieux. Auteur dune impressionnante Histoire de saint Norbert 31, o il avait fait preuve de beaucoup de sens critique et dune plume agile, Mre Marie de Gonzague lui demandera de corriger le manuscrit de la future publication sur Thrse. coutons la prieure : Par obissance, elle [Thrse] ma laiss des pages dlicieuses que je suis en train de relever avec Mre Agns de Jsus, et je crois que nous pourrons les faire connatre. Ceci est un secret pour vous... Vous voudrez bien nous le corriger [le manuscrit] ou le faire corriger si vos occupations ne vous le permettent pas. Personne ne le sait, mme pas dans la communaut ; il ny a que monsieur le suprieur32 qui ma permis 33.

Signalons quatre points saillants. a) Lusage des pronoms personnels me et je : Marie de Gonzague tient les rnes en mains ; aussi dans un proche avenir, cest elle avant tout qui correspondra avec les Pres Prmontrs, b) Marie de Gonzague prsente lensemble des pages dlicieuses comme adress elle seule ( ma laiss ), c) Ce quelle dsire du Pre Madelaine au sujet du relev des pages

quon constate aussi dans les passages cits ici de ses lettres. Aussi bien dans la prface que dans l introduction et le chapitre XII (sur la maladie et la mort de Thrse) de HA, le nous nindique pas les surs Martin, mais la prieure Marie de Gonzague et parfois toute la communaut. 30. Voir Thrse de lEnfant-Jsus et de la Sainte-Face, Oeuvres compltes, Cerf-DDB, 1992, p. 1510 et PO 515-516. 31. Histoire de saint Norbert, fondateur de lordre de Prmontr et archevque de Magdebourg, daprs les manuscrits et les documents originaux, Lille, Socit de SaintAugustin, Descle, De Brouwer et Cie, 1886, XII-562 pages. 32. A ce moment, lAbb Alexandre Maupas. 33. Lautographe de cette lettre, tout comme les autographes des autres lettres des carmlites, crites en cette priode aux Pres Prmontrs, ne semblent plus exister aujourdhui. Ce passage est cit par le Pre Madelaine ( voici un passage de sa lettre ) au

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dlicieuses de Thrse quelle va lui soumettre, ce nest pas directement une approbation ecclsiastique, mais la correction du texte (deux fois le mot corriger ), soit par lui-mme, soit par quelquun dautre sil nen a pas le temps. Libert lui est donne de plonger crayon et ciseaux dans le texte, d) La prparation du manuscrit est en cours ( je suis en train de relever avec Mre Agns de Jsus ). 2. La deuxime trace du travail rdactionnel primitif se trouve dans une lettre du 11 novembre 1897, de Mre Marie de Gonzague au Pre Roulland. La prieure loue Thrse, ce cher trsor disparu, notre ange envol , mon ange , la chre victime , notre sraphin , et annonce la future publication : Sa vie ntait quamour et sacrifice, vous le verrez dans un recueil que nous allons faire de plusieurs pages quelle nous a laisses, crites par obissance, pour nous seules, mais si Monseigneur le permet, nous en ferons une petite biographie la place dune circulaire ordinaire (usage de lordre) en retranchant, bien entendu, certains dtails intimes pour sa vieille mre 34.

Ds maintenant, les perspectives du livre semblent dfinitivement acquises. a) Il ne sagit pas dune dition des pages de Thrse telles quelles, mais dun recueil , que lon va faire de ces pages, recueil incomplet retranchant, bien entendu, certains dtails intimes , b) Ce travail est toujours en cours : nous allons faire , c) Lintention directe nest donc pas de faire une dition complte des crits de Thrse, mais une petite biographie , la place et dans la ligne de la circulaire ordinaire (usage de lordre) ; lattention centrale ira donc au rcit de sa vie, d) Notons de nouveau lattribution de dtails intimes sa vieille mre Marie de Gonzague, dont certains seront retranchs . 3. Le troisime tmoignage du travail rdactionnel primitif nest connu que par voie indirecte. En effet, nous lavons vu le dessein de la publication avait t communiqu par Mre Marie de Gonzague, qui mne lentreprise , lAbb Bellire, lequel rpond la prieure, le 16 janvier 1898 depuis lAlgrie 35 :

Procs de lordinaire (PO 516 ; pour lui en 1911). On lit le texte aussi dans Archives de famille, dans Vie thrsienne, n 133, janvier-mars 1994, p. 60.

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Ma chre Mre, japplaudis de tout mon cur au dessein que vous avez entrepris de runir les mmoires de notre chre Sainte je ne doute pas que ce soit pour le grand bien de plusieurs et peut-tre un apostolat. Que de choses dlicieuses vous avez trouves dans ce manuscrit [les rcits autobiographiques de Thrse ; ou serait-ce le manuscrit de la future publication, dont Marie de Gonzague vient dcrire la prface , signe du 25 dcembre 1897 ?]. Celui de ses lettres que je conserve toutes comme un trsor mest une douce joie et je les relis quand je me sens moins bon leffet est prompt, je me lve plus gnreux. Je demande donc vivement Notre Seigneur quelle aima tant, de bnir votre entreprise et de la mener bonne fin.

Marie de Gonzague apparat donc, une fois de plus, engage part entire dans le projet de la prochaine publication ( votre entreprise , le dessein que vous avez entrepris ). Elle d insister, dans sa lettre lAbb Bellire, sur lapport des propres crits de Thrse. Le titre primitif Ds maintenant, il faut sarrter au premier titre prvu pour le livre. On garde deux projets de couverture, faits par Mre Agns. La premire couverture ne comporte que le titre calligraphi Un cantique dAmour ou le Passage dun Ange. En bas, le blason du Carmel, une lyre et une palme, un texte de saint Jean de la Croix 36. Mais Mre Agns a d comprendre trs vite que ce titre ntait pas assez clair, parce quil nindique pas qui est cet ange . Le premier essai sera donc barr et remplac par un deuxime, qui porte maintenant le titre plus complet Sur Thrse de lEnfant-Jsus et de la Sainte Face, Religieuse carmlite 1873-1897, Un cantique damour ou le passage dun ange. La lyre et la palme ont disparu. Le titre primitif, devenu sous-titre sur la deuxime couverture de Mre Agns, rvle bien la perspective biographique, et non

34. Cf. Archives de famille, dans Vie thrsienne, n 133, janvier-mars 1994, p. 62. 35. D.C.L., Maurice Bellire, premier Frre de Thrse (1874-1907), II. Lettres dAfrique (1897-1902), Lettre 36, dans Vie thrsienne, 17 (1977), n 67 (juillet 1967), p. 220-221. 36. Le plus petit mouvement de pur Amour est plus utile lglise que toutes les autres uvres runies... Il est donc de la plus haute importance que lme sexerce beaucoup

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dabord autobiographique (je reviendrai souvent sur cette distinction), de la future publication. On ne voit pas bien Thrse se prsenter elle-mme comme Un Cantique damour et le Passage dun ange ... Plus tard, le sous-titre sera chang par le Pre Madelaine en Histoire dune me, Lettres Posies (je lexpliquerai plus loin), mais le manuscrit prsent aux pres Prmontrs parle encore de Cantique damour37. Plus tard encore, pour le livre imprim, le titre principal restera (seulement, le sous-titre sera chang selon le dsir du Pre Madelaine) : Sur Thrse de lEnfant-Jsus et de la Sainte Face, Religieuse carmlite 1873-1897, Histoire dune me crite par elle-mme, Lettres posies. Le nom de Thrse continuera donc de figurer, non pas en tant que nom dauteur aujourdhui on est tellement habitu le voir figurer comme auteur quautomatiquement on pense que cela a toujours t le cas ! , mais en tant que sujet du livre, comme nom de la personne dont parle louvrage. Interrogeons le tmoin majeur : la toute premire dition du livre imprim lui-mme. la page 1 (avant la page intrieure de titre), chaque imprimeur qui connaissait le mtier ne mettait que le titre, sans faire mention cet endroit de lauteur (cest aujourdhui encore trs gnralement le cas). Or, nous y lisons : Sur Thrse de lEnfant-Jsus et de la Sainte Face. Histoire dune me crite par elle-mme 38. Cest donc bien le titre du livre. Le deuxime tmoin, cest Mre Agns. Au cours du Procs de lordinaire, en aot 1910, alors que, dans lusage courant, tout le monde, et souvent les carmlites elles-mmes, appelaient dj le livre daprs le nom du sous-titre Histoire dune me39, Mre Agns, interroge, dclare : On a publi pour la premire fois au cours de lanne 1898 (octobre) un livre intitul : Sur Thrse de lEnfant Jsus et de la Sainte Face : Histoire dune me, crite par elle-mme 40.

lAmour, afin que, se consommant rapidement, elle ne sarrte gure ici-bas et arrive promptement voir son Dieu face face. 37. Du reste, le sonnet du Pre Norbert Paisant (le confrre qui assiste le Pre Madelaine) qui ornera lHistoire dune me (HA VII) ne sera compos quaprs le 17 mars (dans sa lettre du 17 mars le Pre Madelaine annonait encore quil ne fallait pas compter sur un pome du Pre Norbert). Ce sonnet est encore entirement centr sur ce titre. 38. Si Thrse avait t considre comme auteur, on aurait d dire Histoire de mon me ; aussi naurait-on pas d ajouter, la troisime personne, crite par elle-mme . 39. Par exemple Mre Agns elle-mme dans la note quelle crit, le 22 novembre 1907, la premire page du manuscrit autobiographique de Thrse : publication du manuscrit sous le titre : Histoire dune me (...) . Lusage dappeler le livre Histoire dune me a t tout de suite adopt au carmel de Lisieux. Tmoin la Circulaire ncrologique de Mre Hermancen date du 4 novembre 1898 , quinze jours aprs la parution du livre. On y lit en post-scriptum :

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Il existe un autre indice trs clairant qui prouve la perspective gnrale biographique du livre. Le Chapitre XIV , avec les corrections du Pre Madelaine Du premier manuscrit communiqu aux pres Prmontrs ne subsiste plus aujourdhui quun seul cahier 41, portant le titre : Chapitre XIV et comme sous-titre Une pluie de roses... Il contient vingt-cinq posies de Thrse. Ce chapitre nous amne des constatations bien rvlatrices. Il sannonce comme le Chapitre XIV , indication qui ne sera pas retenue dans le livre imprim o lon nindiquera la section des posies de Thrse que par les mots Sur Thrse de lEnfant-Jsus. Posies (HA 299). Lindication Chapitre XIV rvle donc que, pour Mre Agns, louvrage devait tre bien plus que les deux rcits autobiographiques de Thrse (nos actuels manuscrits A et C). Les posies, tout comme les lettres Cline (qui logiquement ont d constituer le Chapitre XIII disparu) sont pour elle une partie intgrante du livre. Si Mre Agns avait conu la publication tout simplement comme ldition des rcits autobiographiques de Thrse, elle aurait d, aprs les Chapitres I-XI, ne plus considrer la description de la dernire maladie et la mort de Thrse comme le Chapitre XII, ni les fragments de lettres Cline comme le Chapitre XIII, ni enfin les posies comme le Chapitre XIV, mais les mettre tout de suite en appendice... En outre, le manuscrit de ce Chapitre XIV contient une petite introduction fort intressante. Plus tard supprime et non retenue dans le livre imprim, elle nous claire beaucoup sur lesprit dans lequel Mre Agns travaillait au dpart : Dans les derniers jours de son exil, notre enfant bien-aime [Mre Agns crit donc au nom de la mre prieure, Marie de Gonzague] nous avait dit : Vous verrez, ma Mre, aprs ma mort, ce sera comme une pluie de roses... En effet, nous avons reu cette pluie de grces spirituelles [au carmel de Lisieux mme, ce qui a t expliqu au Chapitre XII ] qui continue de tomber sur nous, et se rpandra aussi, nous lesprons, sur tous Nous prions ceux de nos chers carmels qui nauraient pas reu lHistoire dune me ou Vie de sur Thrse de lEnfant-Jsus de bien vouloir nous en faire la demande. 40. PO 149. Cest ce titre complet qui avait dj t indiqu par Mre Agns en mai 1910 dans le Petit procs pour les crits (cf. PA 586). Rponses identiques, dans ce Petit

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ceux qui liront ces pages. Sous le titre : Une pluie de roses nous allons publier dans ce chapitre la plupart des cantiques composs par notre chre petite sur Thrse de lEnfant Jsus ; nous ne les donnons pas comme des chefs-duvre de posie, nous les jetons comme de simples ptales de roses tout parfums de son ardent amour.

Mais voici que, sur neuf lignes, crites lencre noire, le Pre Godefroy Madelaine 42 ninterviendra pas moins de quatre fois, apportant lencre violette corrections et ajouts. Il est intressant de nous attarder quelques instants ces corrections, les seules dont nous ayons les preuves directes, autographes. La principale correction regarde les mots de sur Agns nous ne les donnons pas comme des chefs-duvre de posie , ce quoi le Pre Madelaine ajoute : dans quelques-unes, les rgles de la versification sont violes, mais... (puis, il reprend le texte de Mre Agns). Aux derniers mots de Mre Agns sur l ardent amour de Thrse, il ajoute pour son Dieu . En plus de ces deux ajouts, une suppression : il biffe les mots superflus dans ce chapitre ; et une correction stylistique : nous allons publier est chang en nous publierons . Si le pre est rest fidle lui-mme et a trait les autres pages du manuscrit avec la mme sollicitude, on imagine le nombre de petites corrections apportes par lui aux mots dAgns, et de Thrse... Si maintenant on regarde de plus prs la copie que Mre Agns a faite des vingt-cinq posies de Thrse, cest la grande surprise ! On constate quelle reprend le texte original de Thrse pour ainsi dire tel quel. Ses retouches sont rares et minimes : trente-deux pour mille six cents vingtdeux vers. Encore sagit-il parfois de lapsus ou de simples inversions. Et quelques variantes pourraient provenir dautographes aujourdhui disparus ou dindications orales de Thrse. On peroit la volont de lauteur de rester fidle ses sources 43.

procs pour les crits , de sur Marie du Sacr-Cur (cf. PA 589) et de sur Genevive (cf. PA 588). Cest galement de cette faon que lquipe du Pre Franois de Sainte-Marie la compris (cf. Mss I, p. 25 et 79). 41. Il contient vingt-cinq posies de Thrse, crites sur deux ou mme trois colonnes, sur de grandes feuilles de 30,5 x 20 cm, relies entre elles et pagines de 159 200 (quarantedeux feuilles donc au total). 42. Cest son criture lui, et non pas celle de son confrre le Pre Norbert Paisant, comme affirme NEC, Posies, p. 258.

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Il sagit donc dune seule lgre retouche sur cinquante vers et demi, cest--dire en moyenne une seule retouche sur presque deux pages imprimes. Cest trs peu. Mre Agns a donc t extrmement sobre, en retouchant le texte des posies de Thrse. Serait-il illgitime de supposer chez elle initialement la mme mentalit de respect et de sobrit en recopiant les autres textes de Thrse, avant quelle ne soit approuve par les Pres Prmontrs nous le verrons bientt qu effectuer des corrections plus amples dans les posies de Thrse la suite de ce que le Pre Madelaine faisait luimme ? Mre Agns nest pas une correctrice-ne En tout cas, ce que nous avons vu suffit amplement pour ne pas considrer Mre Agns comme une correctrice-ne et relativiser ce que le Pre Franois de Sainte-Marie a affirm : Penche sur les cahiers de sa petite fille , elle sest retrouve dans la situation humaine quelle occupait jadis son gard. Les enfants ne grandissent gure aux yeux de leurs parents ou de leurs prcepteurs44 . Mre Agns de Jsus a corrig ces pages comme elle corrigeait aux Buissonnets les compositions hsitantes de la petite Thrse, avec sa double autorit de Petite Mre et de professeur. Son priorat au carmel avait affermi chez elle le sens de lautorit (que temprait, du reste, une grce charmante). Sa propre psychologie, son temprament jaillissant linclinaient mettre un cachet personnel sur les crits qui lui taient soumis, les retoucher presque spontanment 45.

Lorsque le Pre Franois de Sainte-Marie dira que, en fait, Mre Agns de Jsus a rcrit lautobiographie de Thrse 46, il ne tient compte ni du travail du Pre Madelaine (que jexpliquerai davantage) ni surtout de la vraie perspective qui domine la premire publication et qui nest pas autobiographique mais biographique. Faute de quoi, il dressera une longue liste des passages des manuscrits autobiographiques omis dans lHistoire dune me 47, comme si tout le texte de Thrse avait d tre donn doffice dans le

43. Je reprends ici le prcieux travail critique effectu par sur Ccile, o.c.d., dans la NEC, Posies, p. 257-259.

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livre des carmlites. Au moins, le Pre Franois aurait pu nous donner, en parallle, une liste de tous les passages ajouts aux deux rcits autobiographiques de Thrse et ils sont nombreux, comme je le montrerai bientt ce qui nous aurait davantage clairs sur la vritable perspective biographique de HA. Le Pre Franois a pu crire que sur une synopse o les deux textes figurent en regard et o leurs divergences sont notes, des plus lgres48 aux plus importantes, nous relevons plus de sept mille variantes 49. Et pourquoi pas ? Il sagit de deux genres et de deux livres diffrents ! Il y a un temps pour tout : le temps dune premire publication sur Thrse, le temps de ldition critique et complte de tous ses crits. La gratitude pour limmense bienfait de ldition en fac-simil des rcits autobiographiques, faite sous la direction du Pre Franois, et pour toute linformation fournie, qui reste trs souvent de grande valeur, ne doit pas nous rendre aveugles sur son interprtation imparfaite des vritables intentions des diteurs de lHistoire dune me50. Reste la proximit entre lintention biographique des carmlites et lapparence autobiographique du livre. Au lieu dcrire un texte tout fait personnel sur sa sur dfunte, Mre Agns la laisse parler elle-mme, assumant autant que possible les textes et les mots mmes de Thrse. Et cette apparence sera encore augmente par le sous-titre introduit par le Pre Madelaine : une histoire crite par elle-mme. Biographie ? Ou autobiographie ? Ou les deux ? Ces questions sont typiques dune poque bien postrieure. Ce qui intressait Mre Agns et la premire quipe ditrice, ctait de faire connatre lexprience spirituelle de Thrse. Ou, pour le dire avec les mots de Mre Agns, faire aimer et servir le bon Dieu par toutes les lumires quil vous a donnes et qui ne steindront jamais (LC 185). Selon une loi connue qui est dappeler le tout daprs une partie, on peut appeler le livre imprim la fois biographique et autobiographique. Les onze premiers chapitres, qui sont prsents comme autobiographiques (mme sils ne44. Cela est loin dtre une loi gnrale ! Et nous avons vu combien Mre Agns apprciait ce moment en Thrse toutes les lumires quil [Dieu] vous a donnes et qui ne steindront jamais (LC 185). Cest Mre Agns qui se fait suppliante de la lumire qui est en Thrse, mappuyant sur votre clart (LC 182). 45. Mss I, 78.

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reprsentent que deux cents douze pages sur les cinq cents pages du livre, les pages numrotes avec des chiffres romains y comprises), ont toujours attir plus dattention, de sorte que la biographie pourrait passer pour une autobiographie. Cest le mot qui gagnera du terrain, surtout lorsque les deux rcits seront publis par le Pre Franois de Sainte-Marie en 1956, sous le titre de Manuscrits Autobiographiques. Lide dune dition exacte et critique des deux rcits manuscrits de Thrse ne venait mme pas lesprit des carmlites cette poque-l et il ne faut point aborder leur livre dans cette perspective. Du reste, cela aurait t impossible alors. Le Pre Franois la bien soulign : Il net, certes, pas t possible de publier textuellement les cahiers de Thrse. Quiconque aura feuillet les fac-simils en sera convaincu. En une poque o lon attachait une telle importance la parfaite correction du style et au respect scrupuleux des conventions littraires, comment aurait-on pu imprimer les brouillons dune jeune religieuse inconnue sans se couvrir de ridicule et la trahir elle-mme ? 51

Et que faire de lexigence de Mre Marie de Gonzague qui voulait que lensemble des rcits autobiographiques paraisse comme adress une seule personne, la sienne ? Ce nest que dans les annes 1907-1910, au moment o lon prparait le Procs de batification, que la question de la version exacte et complte se posera dans les esprits des carmlites et quelle fut alors rsolue, en prparant pour le Procs une transcription des manuscrits aussi fidle et littrale que possible. III. Le travail des Pres Prmontrs Mais il nous faut retourner au dbut de 1898. Thrse est morte depuis trois mois. Le manuscrit pour le livre imprim est 46. Ibid. 47. Mss I, 97-129. 48. Comme une virgule, un point... 49. Mss I, 78. Malheureusement, cette synopse nexiste plus... Dans mon ouvrage La vrit..., paratre prochainement, je donnerai une synopse de quelques textes les plus importants. On constatera que HA reste fondamentalement fidle la pense de Thrse. 50. Jen dirai plus dans mon ouvrage La vrit..., ainsi que dans mon article Comment une Lettre sur Marie du Sacr-Cur a pu devenir un manuscrit autobiographique... , paratre en 1998 dans Studies on Spirituality. 51. Mss I, p. 78. 52. Cf. supra, la lettre de Marie de Gonzague au Pre Madelaine, du 29 octobre 1897.

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tellement prt quil peut tre enfin envoy au Pre Madelaine pour tre corrig 52. Le Pre a d signifier au carmel de Lisieux quil acceptait la tche, mais beaucoup de pices de la correspondance entre Lisieux et Mondaye, apparemment dense durant cette priode, nont pas t conserves pour la postrit 53. Aussi faut-il tenir compte des visites probables du Pre au parloir du carmel. Le fameux manuscrit est enfin arriv Mondaye ! Le Pre Godefroy Madelaine se fera aider par son confrre, le Pre Norbert Paisant (1828-1905), assez expert en posie. Voici, le 11 janvier 1898, le Pre Norbert Paisant occup lire le prcieux manuscrit que vous nous avez confi (...), rcits admirables ; ils ont fait un bien immense mon me ; Thrse est dj appele votre petite Sainte . Quant au Pre Godefroy Madelaine, il a certainement rpondu lui aussi, mais on ne garde quun passage recopi par le carmel dans un cahier et provenant dune lettre du 30 janvier, o nous le voyons en train ( je continue ) de lire le manuscrit : Je continue de lire le dlicieux manuscrit. Que tout cela est frais, naf, difiant ! Jespre vous le remettre pour la fin de fvrier avec les observations que je croirai pouvoir me permettre de faire. Si je me sers de ce terme, cest que je regarde cette autobiographie comme une relique.

Apprciation trs positive donc, aprs une lecture partielle, mais qui dj annonce... des observations faire. La question des posies et des fautes de prosodie Envoyes ensemble avec les rcits ou par courrier spar54, voici les posies de Thrse elles aussi Mondaye en janvier 1898. On croit deviner dans une lettre du Pre Norbert, du 30 janvier, que la question de leur parution dans la

53. En analysant les allusions dans les lettres conserves et en considrant les accuss de rception normaux, je conclus un minimum de dix-huit pices de cette correspondance qui nont pas t gardes. Les Archives du carmel de Lisieux gardent, de cette priode avant la publication de HA, quatre autographes du Pre Madelaine (1, 8 et 17 mars, la lettre de prsentation de HA du Vendredi Saint 8 avril 1898) et deux du Pre Norbert (11 et 30 janvier 1898). Toutes ces lettres sont adresses Marie de Gonzague. Le Pre Madelaine a tmoign aux procs et voqu plusieurs fois ces souvenirs; je my rfrerai plus loin. 54. On peut se poser cette question, peu importante, car dans sa lettre du 11 janvier, le Pre Norbert, pote, ne fait pas encore allusion aux posies.

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future publication avait t souleve par les carmlites et soumise au jugement des pres ; Mre Agns, nous lavons vu, navait-elle pas crit elle-mme dans la note introductive du Chapitre XIV quil ne sagissait pas de chefs duvre de posie ? Le Pre Norbert a dj dit son prieur que les posies devaient tre quand mme publies, malgr leurs fautes de prosodie . Est-ce le Pre Madelaine qui a rapport, par crit ou oralement, les remarques du Pre Norbert aux carmlites ? Toujours est-il que, dans lintervalle, Mre Agns a retravaill trois petits pomes , que Mre Marie de Gonzague a envoys le 29 janvier aux Pres Prmontrs. Mais coutons le Pre Norbert, le 30 janvier, en rponse la bonne lettre de Marie de Gonzague. Dabord, il signale que le Pre Madelaine lui-mme est absent du jeudi matin [27 janvier] jusqu mercredi soir [2 fvrier] . Je ne puis donc que vous communiquer mes impressions personnelles. En lisant les posies de votre petit ange envol, ma premire pense fut quil fallait se bien garder de vouloir les retoucher, malgr les fautes de prosodie qui sy trouvent, dans la crainte den enlever le charme, la simplicit, la fracheur ; et jen fis la rflexion notre Pre Prieur [donc avant le 27 janvier], tout en lui disant quil fallait les livrer limpression comme la prose (donc le tout). (...) Ma premire pense de ne pas retoucher ces posies a t modifie par les trois petits 55 pomes que vous me mettez sous les yeux : il me semble que les vers nont rien perdu de leur simplicit charmante, tandis quils ont gagn en rgularit. Je nai remarqu quune seule faute56 : elle est dans ce vers du pome : Pourquoi je taime, Marie : Je taime, Notre-Dame te disant servante. Il faudrait que le mot dame ft suivi dun mot commenant par une voyelle : alors le muet du mot dame sliderait et le premier hmistiche naurait plus que les six pieds rglementaires. Voici le vers que je proposerais : Je taime te disant la petite servante. Bien bonne Mre, ne privez pas Mre Agns (que je crois tre une sur de Thrse) de la douceur de mettre une dernire main luvre de sa sur : ce quelle a fait est bien, et il nest quune main fminine et carmlitaine pour toucher des travaux si dlicats. 55. Pas si petits , car lun des pomes est PN 54 qui compte deux cents vers (on ne connat pas les deux autres). A moins que Mre Agns ne se soit pour le moment limite quelques strophes, titre dexemple... 56. Cest prcisment la correction de cette faute, trs frquente chez Thrse, qui par la suite va obliger Mre Agns de trs nombreuses interventions !

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Dans lexemple mme donn par le Pre Norbert, on voit que les corrections devront ncessairement amener changer certains mots de Thrse, si lon veut arriver aux pieds rguliers. Encourage par le Pre Norbert, et sans doute dans une rponse disparue du Pre Godefroy, Mre Agns se mettra de nouveau au travail pour un nouveau texte du Chapitre XIV , contenant cette fois la rvision de toutes les posies. Logiquement, lancien Chapitre XIV a t renvoy au carmel de Lisieux : ce qui explique quil est toujours inchang, sauf pour les quatre corrections lencre violette apportes par le Pre Madelaine la note introductive.

57. Question ! Puisque le manuscrit conserv du Chapitre XIV (posies) ne porte aucune indication ou correction de la main du Pre Norbert, il faut conclure que, peu aprs la lettre du 30 janvier du Pre Norbert, ce Chapitre XIV a t renvoy au carmel, lequel a procur une version amliore du Chapitre XIV et cest sur cette nouvelle version que le Pre Norbert aurait indiqu les corrections faire . Ou bien est-ce que le Pre Norbert les a indiques sur des feuilles part ? On ne peut pas trancher. En tout cas le temps disponible (le mois de fvrier) semble court ; dautre part, lardeur de Mre Agns est grande !

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Le Pre Madelaine, correcteur Voici une lettre trs rvlatrice, date du 1er mars. Le Pre Madelaine, momentanment trs pris par des travaux de construction dans son abbaye, a enfin termin, le 1er mars, sa premire lecture du manuscrit , mais veut le relire une deuxime fois avant de marquer ce qui devra tre omis pour limpression . On constate sur le vif linfluence que vont avoir les deux Pres Prmontrs sur la forme dfinitive du manuscrit : le Pre Madelaine a dj ses ides bien arrtes sur ce qui devra tre chang encore au manuscrit; le Pre Norbert, de son ct, a dj indiqu les corrections faire pour les posies. Lisons la lettre du Pre Madelaine : Ma Rvrende Mre [Marie de Gonzague], Enfin, jai lu tout le manuscrit, ainsi que les posies. De son ct, le bon Pre Norbert a repass les posies, et indiqu les corrections faire57. Vraisemblablement, vous dsirez avoir le manuscrit le plus tt possible. Nanmoins je le garde encore ; car je tiens le relire ; et cest alors que je marquerai au crayon bleu ce que je croirai devoir tre omis pour limpression. Tout, absolument tout est prcieux pour vous dans ce manuscrit, mais pour le public il y a [1] des dtails si intimes, si levs audessus du niveau commun quil vaut mieux, je crois, ne pas les faire imprimer. Il y a [2] aussi des fautes lgres de franais ou [3] de style ; ce ne sont que de petites taches quil est facile de faire disparatre.

58. Une fois imprim le livre, les papiers prparatoires semblent avoir t jets au panier, sauf le Chapitre XIV conserv. Quant au manuscrit de cette deuxime rdaction, il a d tre du mme grand format que le Chapitre XIV , puisque le Pre Godefroy voquera plus tard la surprise, discrtement dissimule, de mes religieux, en me voyant lire et relire assidment, pendant tout un Carme, le grand cahier o les Mres du Carmel avaient copi le manuscrit. Cf. Godefroy MADELAINE , Mes souvenirs, dans Les Annales de Sainte Thrse de Lisieux, 1926, p. 27. 59. Lautographe de la Lettre de prsentation, du Pre Madelaine, et qui figurera en tte de HA, est date du Vendredi Saint, 8 avril 1898 . 60. Le 28 dcembre 1909, Marie du Sacr-Cur crira Lonie, dont on veut publier dans une nouvelle dition de HA les lettres quelle a reues de sa sur Thrse : Seulement nous ne pouvons les mettre entirement parce quil ne faut pas rpter les mmes penses qui se trouvent dans les ntres par exemple. Cela nous a t bien recommand par le R.P. Godefroy lorsquil sest occup du manuscrit de Thrse. 61. Lettre autographe aux Archives du Carmel de Lisieux. En 1926 ( f. Mes Souvenirs..., c p. 27), il a voqu pareillement les rticences dautrefois devant certains aperus de spiritualit si nouveaux et si oss quil lisait dans le manuscrit. Mais lorsque le Pre, g (83 ans) et aprs une vie bien mouvemente, assure que son crayon bleu na pas eu le courage

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Enfin nous avons aussi, de place en place, remarqu [4] des longueurs ; pour les lecteurs, il vaudra mieux supprimer [5] certaines redites que je signalerai. Voil la part de la critique ; mais, ma bonne Mre, je ne saurais vous dire avec quel plaisir, avec quel got spirituel jai lu ces pages tout embaumes des parfums de lamour divin... Avant Pques [10 avril], jespre pouvoir vous remettre le cher manuscrit avec nos observations. Et alors, vous pouvez recommencer faire recopier pour limpression.

Recopier : cela est dit avec une telle vidence... Le manuscrit sera tel point couvert de corrections (ce que les carmlites avaient demand en octobre 1897) quil ne sera plus prsentable pour limpression. Je conclus donc que, avant le livre imprim, il y eut trois rdactions prparatoires : a) Un brouillon o Mre Agns a d rdiger, au moins, les premires pages dintroduction sur les parents de Thrse, le chapitre XII sur sa maladie et sa mort, le chapitre XIII qui contient des fragments de lettres de Thrse sa sur Cline, ainsi que ses explications et souvenirs personnels qui ctoieront les passages emprunts aux manuscrits de Thrse. b) Une deuxime rdaction, qui a t soumise aux corrections des Pres Prmontrs et qui contient maintenant un texte complet. Accompagn des corrections du Pre Madelaine, ce manuscrit58 a t renvoy vers Pques 59 pour tre recopi pour limpression . c) La troisime rdaction, o tout est effectivement recopi pour limpression. Mre Agns dfend les passages oss de Thrse

de biffer , il a oubli ce quil crit dans sa lettre du 8 mars 1896 : le crayon bleu fonctionne, mais moins que prvu, et cela grce aux rsistances de Mre Agns. 62. Il existe aux Archives du Carmel de Lisieux un petit bout de papier mentionnant : Imprimatur. Bayeux, 7 mars 1898. + Flavien . Mais cet autographe est crit de la main du Pre Madelaine lui-mme (voir sa majuscule F trs caractristique, dans le nom de Flavien et le mot Fondateur dans sa lettre du 8 mars!) qui, peut-tre loccasion dune rencontre au parloir du carmel, a indiqu ce quil faudra imprimer dans le livre. 63. Rapport verbal , prcise-t-il au Procs de lordinaire (PO 517 ; en 1911 pour lui). 64. Voir Guy GAUCHER , Le Pre Godefroy Madelaine et sainte Thrse de Lisieux, dans Vie thrsienne, n 142, avril-juin 1996, p. 32.

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Le crayon bleu : lexpression va revenir ! Tout ce qui sera marqu de cette couleur dangereuse devra tre omis . Mais, en plus, il y a ce qui ne doit pas tre omis mais simplement corrig du point de vue grammatical et stylistique et qui sera apport sur le manuscrit (comme dans la note introductive du Chapitre XIV !), pour tre ensuite recopi Corrections de franais ou de style , longueurs ou redites60 , soit ! Pour le bien de la cause ! Mais lorsquil sagit de ne pas faire imprimer les dtails si intimes, si levs au-dessus du niveau commun , ici Mre Agns va aimablement protester et dfendre sa Thrse et sa spiritualit leve , parfois ose ! Nous avons ce sujet une dclaration explicite du Pre Godefroy. Le 20 janvier 1930, dans une lettre Mre Agns, il voque les divergences de vue qui, trente-deux ans plus tt, ont pu exister entre le Prmontr, estimant hasardes certaines expressions de Thrse, et Mre Agns sautant au plafond : Mon Dieu ! que de grands vnements se sont raliss depuis le 30 septembre 1897 ! Et aujourdhui, que de merveilles nous devons admirer dans lpanouissement de son culte ! Vous vous rappelez comment vous maviez fait lhonneur de me confier le manuscrit de sa Vie. Vous souvenez-vous comment javais laudace de souligner au crayon bleu certaines expressions qui me semblaient hasardes. Et mon crayon bleu vous faisait sauter au plafond ! Et puis finalement jai t empoign par le charme du rcit de notre chre Sainte 61.

Cest au vu de la spiritualit de Thrse et de ce qui est le plus typiquement thrsien, que Mre Agns a pris la dfense de sa sur. Une rponse du Pre Madelaine, du 8 mars 1897, en tmoigne. Dans une prire adresse saint Norbert, et non sans lintelligence et lesprance de lhumour, Mre Agns a d marquer une petite liste de passages quelle veut dfendre contre le crayon bleu du Pre. Le Pre Godefroy,65. Pour le texte imprim, les carmlites ont chang la majuscule Sainte de lautographe, en minuscule sainte . 66. Le laminoir de la critique , avait-il menac dans sa lettre du 8 mars 1897... 67. Est-ce que les posies retravailles par Mre Agns daprs les corrections indiques par le Pre Norbert (cf. la lettre du Pre Madelaine, du 1er mars) ont fait un nouveau voyage aller et retour Mondaye ? Cest possible, mais on ne peut pas laffirmer avec certitude. 68. En 1969, sans penser du tout la problmatique qui nous occupe en ce moment, jcrivais au sujet du petit oiseau : La parabole du petit oiseau dont elle [Thrse] se sert, belle et expressive dans son opposition initiale laigle , semble alourdir quelque peu le dveloppement ultrieur de sa pense ; cette mtaphore nest pas capable de bien traduire

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lui, na pas encore termin sa relecture du manuscrit (promise le 1er mars), mais dj il promet que son crayon bleu sera mis la raison . Sera : au futur. Mais nous verrons dans une lettre suivante (du 17 mars) que le crayon bleu svit quand mme. Relisons dabord la lettre du 8 mars : Ma bonne Mre [Marie de Gonzague], Vous pouvez tre tranquille au sujet de lImprimatur ; nous lavons62. Hier, je vis Monseigneur ; et, sur mon rapport63, il voulut bien nous le donner. Que Dieu soit bni ! Mre Agns de Jsus a d toucher le cur de saint Norbert ; car les passages marqus dans sa charmante prire sont sortis intacts du laminoir de la critique... Elle va rire, de bon cur, de son triomphe ! Le crayon bleu, sil veut se montrer trop exigeant, sera mis la raison par mon bien-aim Pre et Fondateur ! Prenez donc patience, ma bonne Mre ; vers Pques, le cher manuscrit retournera tout joyeux vers vous (...)

Nouvelle lettre neuf jours plus tard, le Pre est toujours en train de relire le manuscrit... Et le crayon bleu ne marque presque rien , annonce-t-il. Presque rien ! Mais il marque... Puis, le pre est toujours en train de relire et les passages les plus oss et donc menacs, se trouvent prcisment dans la deuxime moiti de la vie ! Il crit donc, ce 17 mars : Ma Rvrende Mre [Marie de Gonzague], Je relis en ce moment le cher manuscrit ; et, chose tonnante ! le crayon bleu ne marque presque rien ! Est-ce toujours le rsultat des prires de Mre Agns de Jsus Saint Norbert ? Je le crois volontiers.

Mauvaises nouvelles cependant en ce qui concerne les trois souhaits formuls par Mre Agns : Quant aux nouvelles demandes de la bonne mre, jusquici mon Bienheureux Pre semble tre sourd . Mre Agns a voulu obtenir : 1) une lettre dapprobation de Monseigneur : mais lvque, malade,

lattitude personnelle et rflchie quelle devrait symboliser, et on constate que Thrse la dpasse continuellement en attribuant au petit oiseau un comportement bien humain ! Cf. Dynamique de la confiance, Cerf, 1969, p. 247-248 (rd. 1995, p. 337). 69. On notera en plus que, dans ce passage, nombre de vocables et de symboles sont pareillement prsents dans la lettre de prsentation du Pre : virginal, parfum, atmosphre, terre(stre), lever (lvation), fleur, charme, suave, chant(er), mlodie(use), charme(r), simplicit... 70. Par exemple dans sa lettre du 1er mars : ...le bon Pre Norbert a repass les posies, et indiqu les corrections faire. (...) Nanmoins je le garde encore ; car je tiens le relire ; et cest alors , etc.

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THRSE ET SES THOLOGIENS

ncrit plus... du reste il me dit formellement : LImprimatur est suffisant ; 2) une lettre du Pre Madelaine lui-mme, mais le Pre Godefroy sestime trop petit personnage : une lettre de lui najouterait rien absolument la valeur relle de ce manuscrit ; 3) une posie du Pre Norbert , mais lui non plus ne croit pas sa minerve [sa tte] capable de rien produire qui puisse faire bonne figure ct des posies si pieuses de votre cher ange . Mais ce que femme veut, Dieu le veut, et nous retrouverons quand mme dans lHistoire dune me la lettre du Pre Godefroy et le produit de la minerve du Pre Norbert ! Dans sa Lettre de prsentation, le Pre Madelaine ne cachera pas tout le bien quil pense de cette thologie que les plus beaux livres spirituels natteignent que rarement un degr aussi lev, et o une rare maturit de jugement ctoie une merveilleuse connaissance du vaste champ des critures inspires et le souffle dune lvation extraordinaire 64. Et la lettre du Pre Godefroy sera le tout premier texte imprim o lon parlera de chre sainte 65. Une lettre du 3 dcembre 1898, envoye cette fois sur Agns, un mois et demi aprs la parution de lHistoire dune me, refltera une nouvelle fois le sens critique66, srieux et bienveillant, qui avait conduit la main du Pre neuf mois plus tt. On prpare alors dj la deuxime dition de HA et de nouveau le carmel de Lisieux recourt lautorit du Pre et la sagesse de son crayon bleu . Le Pre demeure fidle ses principes svres : condenser ; ne rien ajouter de mdiocre ! Sinon, le crayon bleu ! coutons-le : Je trouve votre projet trs bon. Retouchez le chapitre XII : Derniers jours et derniers instants de Sur Thrse. Condensez bien le rcit. lappendice, vous ajouterez, en guise de Paillettes dOr, les traits glans dans les Souvenirs des petites novices. Ce devra tre excellent. Ny mettez rien de mdiocre : il y a assez de choses trs belles, ou bien, gare vous : le crayon bleu marchera...

Omissions...

Ou dans sa lettre du 8 mars : Vous pouvez tre tranquille au sujet de lImprimatur ; nous lavons. Hier, je vis Monseigneur ; et, sur mon rapport, il , etc.

DE LA CELLULE DE THRSE DE LISIEUX