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leCourrier © @ L’ économie de l’ immatériel Les idées , c’est Paix au Mozambique Paradis pour pollueurs? Les mutants du cyberespace Décembre 1998 a p i t l BELGIQUE: 160 FB. CANADA: 5,75 $. ESPAÑA: 550 PTAS. FRANCE: 22 FF NEDERLAND: 8 F L .P O RT U G A L : 700 ESC. SUISSE: 5,50 FS. UNITED KINGDOM: £2.30

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leC o u r rie r

© @L’é c o n o m ie

de l’i m m a t é r i e l

Les i d é e s, c ’ e s t

Paixau Mozambique

Paradispour pollueurs?

Les mutantsdu cyberespace

Décembre 1998

a p i t l

BE L G I Q U E: 160 FB. C A N A DA : 5,75 $. E S PA Ñ A : 550 PTA S. F R A N C E : 22 FF NEDERLAND: 8 F L .P O RT U G A L : 700 ESC. S U I S S E : 5,50 FS. UNITED KINGDOM: £ 2 . 3 0

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D’ICI ET D’AILLEURS3 Paix au Mozambique Sérgio Santimano, Luis Carlos Patraquim

ÉDITORIAL9 Guerre à la drogue Federico Mayor

NOTRE PLANÈTELes pollueurs vont-ils aux paradis?

10 Le dumping écologique est limité… Tom Jones11 …mais bien réel Richard McNally

APPRENDRE14 Égypte: le fil ténu de l’émancipation Ashraf Khalil

DOSSIER

17 L’économiede l’immatérielLes idées, c’est capital

18 L’ascension des produits de savoir Danny T. Quah21 À bas «l’optimisme millénariste» Sophie Boukhari22 L’explosion des secteurs de l’«immatériel»24 Inclusion ou exclusion? Carlos Alberto Primo Braga26 Le «modèle direct» de Michael Dell Joan Magretta28 Boom informatique à Maurice Jean-Marc Poché29 Le Sri Lanka doit jouer serré K.J.M. Varma30 Le Vietnam «par le haut» Philippe Martini31 Une philosophie à quatre roues René Lefort33 Pub:la voie de l’art Entretien avec Oliviero Toscani34 Du travail,mais tout autre Charles Goldfinger35 L’enjeu:toujours apprendre Entretien avec Bruno Trentin

ÉTHIQUES37 Prostitution:légaliser ou pas? Amy Otchet

SIGNES DES TEMPS40 Asie:trois petits tours et puis… reviennent Ratnamala Nori

CONNEXIONS43 Les mutants du cyberespace Sophie Boukhari

DIRES47 Gloria Cuartas: une Colombienne «Folle de paix»

COURRIER DES LECTEURS

51e annéeMensuel publié en 28 langues et en braille par l’Organisationdes Nations unies pour l’éducation,la science et la culture.31,rue François Bonvin,75732 PARIS Cedex 15, FranceTélécopie:01.45.68.57.45/01.45.68.57.47Courrier électronique:[email protected]:http://www.unesco.org/courier

Directeur:René LefortAnglais:Roy MalkinEspagnol:Araceli Ortiz de Urbina Français:Martine JacotSecrétariat de direction/éditions en braille:Annie Brachet (01.45.68.47.15)

R é d a c t i o nEthirajan AnbarasanSophie BoukhariLucía Iglesias KuntzJany LesseurAmy OtchetJasmina Sopova

Tra d u c t i o nMiguel Labarca

Unité artistique/fabrication:Georges ServatPhotogravure:Eric FrogéIllustration:Ariane Bailey (01.45.68.46.90)Documentation:José Banaag (01.45.68.46.85)Relations Editions hors Siège et presse:Solange Belin (01.45.68.46.87)Assistante administrative:Thérèsa Pinck (01.45.68.45.86)

Comité éditorialRené Lefort (animateur), Jérome Bindé, Milagros del Corral,Alcino Da Costa, Babacar Fa l l , Sue W i l l i a m s

Editions hors siègeRusse:Irina Outkina (Moscou)Allemand:Dominique Anderes (Berne)Arabe: Fawzi Abdel Zaher (Le Caire)Italien:Gianluca Formichi (Florence)Hindi:Shri Samay Singh (Delhi)Tamoul:M.Mohammed Mustapha (Madras)Persan: Jalil Shahi (Téhéran)Portugais:Alzira Alves de Abreu (Rio de Janeiro)Ourdou:Mirza Muhammad Mushir (Islamabad)Catalan:Joan Carreras i MartÍ (Barcelone)Malais:Sidin Ahmad Ishak (Kuala Lumpur)Kiswahili:Leonard J. Shuma (Dar es-Salaam)Slovène:Aleksandra Kornhauser (Ljubljana)Chinois: Feng Mingxia (Beijing)Bulgare:Luba Randjeva (Sofia)Grec:Sophie Costopoulos (Athènes)Cinghalais:Neville Piyadigama (Colombo)Finnois:Riitta Saarinen (Helsinki)Basque:Juxto Egaña (Donostia)Thaï:Duangtip Surintatip (Bangkok)Vietnamien : Ho Tien Nghi (Hanoi)Bengali:Kafil uddin Ahmad (Dhaka)Ukrainien: Volodymyr Vasiliuk (Kiev)Galicien:Xavier Senín Fernández (Saint-Jacques-de-Compostelle)Serbe:Boris Iljenko (Belgrade)

Diffusion et pro m o t i o nTélécopie:01.45.68.57.45

Abonnements et re n s e i g n e m e n t s :Michel Ravassard (01.45.68.45.91)Relations agents et prestataires:Mohamed Salah El Din (01.45.68.49.19)Gestion des stocks et expéditions:Pham Van Dung (01.45.68.45.94)

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IMPRIMÉ EN FRANCE (Printed in France)DÉPOT LÉGAL : C1 - DÉCEMBRE 1998COMMISSION PARITAIRE N° 71842 - Diffusé par les N.M.P.P.The UNESCO Courier (USPS 016686) is published monthly inParis by UNESCO. Printed in France. Periodicals postage paid atChamplain NY and additional mailing offices .Photocomposition et photogravure:Le Courrier de l’UNESCO.Impression:Maulde & RenouISSN 0304-3118 N°12-1998-OPI 98-577 F

S o m m a i reD é c e m b re 1998

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Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 3

D ’ I C I E T D ’ A I L L E U R S

Pa i x Photos de Sérgio Santimano

au Mozambique

*Poète mozambicain.

La question et le p e u p l eLuis Carlos Patraquim*

■Après les troubles et les guerres, qu’est-ce qui fait courir le peuple?

Le peuple court vers l’intérieur de lui-même,en traçant sur le sol le cercle de son

identité – dit le vieillard, assis à l’ombre du grand arbre. Il connaît énormément

d’histoires.

Le peuple ne s’arrête-t-il jamais, court-il toujours comme la gazelle gracile ou comme

le guépard rapide et vorace?

Non. Le peuple danse tout au long du temps – dit le vieillard, en toussant après avoir tiré

sur sa pipe. Il ne semble pas que les questions le dérangent…

Et pourquoi y a-t-il un peuple?

Le peuple est toujours seul (une école à Ibo, province de Cabo Delgado).

Dans le dialogue imaginaire du questionneur (l’étranger) et du vieillard (le peuple), qui répond à qui?

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4 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

D ’ I C I E T D ’ A I L L E U R S

Cette question,ce n’est pas au peuple qu’on la pose – répond le vieillard en riant.

Il se lève, s’étire avec indifférence. Il connaît énormément d’histoires. Lorsque les

femmes reviennent du fleuve, le seau rempli d’eau sur la tête, elles posent des feuilles

sur cette surface frémissante. Sinon, l’eau se déverse. Mais se déverse-t-elle vraiment?

L’eau tombe et coule sur leur visage , mouille leurs seins, distille des gouttes brillantes sur leurs bra s.

Ça ne se fait pas. Les femmes doivent porter leur corp s. Elles ne peuvent pas devenir de l’eau.

Le vieillard se rassoit. Il est plein de patience, ce vieillard, il se concentre sur les

questions, il tire des bouffées de sa pipe en bois de rose. Ses pieds sont crevassés dans

ses sandales, c’est pour ça qu’il connaît énormément d’histoires.

Mais pourquoi est-il seul, ce vieillard assis, avec sa fumée et tant de patience, sous le

grand arbre?

Le vieillard est toujours seul.Le peuple est toujours seul – répond-il, sans soupir profond,

sans voix grave, sans rien.

Le peuple doit-il rester mystérieux?

Le mystère du peuple, c’est qu’il existe.

Et qu’il reste assis sous le grand arbre?

Non!

Il est presque en colère, ce vieillard assis. Le peuple attend-il quelque chose?

Dieu du jour et de la nuit,Esprit qui habite le tronc de l’arbre et qui vole entre les racines et

la chevelure du feuillage,toi qui as vu le vent de sang comme un fleuve avec le peuple

dedans, et le lac s’incendier et le cri des femmes soudain desséchées, dis-moi,d’où viennent ces

questions? – demande le vieillard avec inquiétude.

Question, j’ai soif. Apporte-moi cette calebasse,celle avec une large ouverture,là-bas!

Il se penche sur l’eau, avidement, et joint les mains pour boire.

Tissu liquide, n ’ a rrête pas de danser, sinon je vais revenir de mon ave u g l e m e n t , or je ne veux plus

voir la mémoire. Elle est là où j’ai placé mon silence, et maintenant je prononce d’autres paroles.

Il soupire.

Cette question ressemble à une hyène qui part d’un éclat de rire.

Le vieillard se lève et se met à faire le tour de l’arbre. Il y a énormément d’histoires

autour du tronc: une peau de léopard, le ventre plein d’une femme, des masques et

des tambours, une lance tachée de sang, une sculpture brûlée, une croix, un fez, un

livre et une kalaschnikov, des linges effilochés, un drapeau.

Cette question est un esprit qui m’assiège avec mes propres choses – dit le vieillard, plus

calme. Il se rassoit.

Je suis ces choses. M a i n t e n a n t , je peux de nouveau les rega r d e r.Tout ce que j’ai senti sur le cercle

L’eau tombe et coule surleur visage, mouille leursseins, distille des gouttesbrillantes sur leurs bras.Ça ne se fait pas. Lesfemmes doivent porter leurcorps. Elles ne peuvent pasdevenir de l’eau

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Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 5

D ’ I C I E T D ’ A I L L E U R S

La biennale deBamakoLes œuvres du Mozambicain Sérgio Santimano sur la

province de Cabo Delgado constitueront l’un despoints forts de la biennale de Bamako,le grand rendez-vous de la photographie en A f r i q u e,organisé du 3 au 12d é c e m b r e.

Pour leur troisième édition, ces «Rencontres de lap r o t o g raphie africaine» présentent un panorama de lavie quotidienne sur le continent et de ses festivités,d e smatchs de boxe du Ghana aux rituels du ramadan enTu n i s i e. La sélection officielle a retenu les tra vaux deplusieurs photographes très en vue, tels que PhilipK wame A p a g ya (Ghana), Félix Diallo (Mali), Omar D.( A l g é r i e ) ,Nabil Mahdaoui (Maroc) et du jeune A n a n i a sDago (Côte-d’Ivoire). D’autres expositions évoquerontles mémoires de familles sud-africaines ou l’Afrique vuedepuis Paris (en collaboration avec la Maison euro-péenne de la photogra p h i e ) . ■

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6 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

D ’ I C I E T D ’ A I L L E U R S

et sur le tronc de l’arbre, tout le sang que j’ai pleuré, tout ce que j’ai fait dans le lac sombre, e n

ve rsant mon lait épais, le masque de mes rites et de mes peurs, le cri avec lequel j’ai éventré des

hommes en me donnant la mort , le cycle de la pluie et la parole ancienne, tout cela, c’est moi.

Q u e s t i o n , je t’ordonne de t’asseoir à côté de moi! Ne vois-tu pas la nuit qui s’approche, c o m m e

une femme agenouillée devant toi, ses fétiches au ve n t r e , son langa ge d’eau?

Comment puis-je me reposer la nuit, si hier encore je ramais sur le fleuve des morts,

si je mettais en fuite des animaux pour arriver jusqu’ici?

Comment savais-tu que j’étais assis sous cet arbre?

On m’a dit qu’au bout du plateau, il y avait un arbre, et que là où il y a un arbre, il y

a un homme assis en train d’attendre. On m’a dit que cet homme avait d’autres

questions pour moi.

Les éclats de rire du vieillard traversent l’obscurité.

C’est tout?

Je ne sais pas comment te répondre. Je te dis seulement que j’ai traversé les siècles et

que je me suis arrêtée à plusieurs endroits, avec leurs voix, leur temps qui naissait ou

mourait, ou qui s’ajoutait à ce que les voix disaient, et c’était toujours autre chose, et

la même chose, ça se terminait toujours par une question.

Cette question,c’était le peuple?

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Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 7

D ’ I C I E T D ’ A I L L E U R S

C’est moi qui te le demande. J’ai entendu des chœurs qui annonçaient le chaos, m a i s

qu’ensuite un ordre descendrait, un principe ori gi n e l . Une fois, j’ai été troublée par une

chanson d’enfa n t s. J’ai cherché dans les bibliothèques, dans les nombreuses histoires

des vieillards comme toi. Une autre fois, en croisant mon chemin, quelqu’un m’a parlé

de labyrinthe et d’un cercle. L o rsque je lui demandai de les dessiner par terre parce que

j ’ avais besoin de vo i r , ce visage ou cette voix dont je ne peux même plus préciser les

traits ou le timbre s’est éva n o u i , et je conserve seulement ce souve n i r: ne pas savoir ce

que j’ai vu ou entendu. L o rsque je désespérais, j’ai su que tu existais.

Au bout du plateau,un homme assis sous un arbre?

Oui.

C’est tout?

Oui… et qu’il connaissait énormément d’histoires.

Et quelles histoires voulais-tu savoir?

Cette question me plonge dans la perplexité.

Te souviens-tu que je t’ai dit de t’asseoir à côté de moi, et de cesser de te tenir en face de moi?

Accepte mon invitation.

Ainsi, tous les deux nous regardons la même chose! Le vieillard rit aux éclats une fois

encore.

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Un paysexsangueLe Mozambique est sorti voilà quatre ans seule-

ment d’une période de ra vages et de guerresqui a duré plus de quatre siècles.

La présence portugaise, initiée au début du X V Ie

s i è c l e, fut avant tout une succession d’opéra t i o n smilitaires qui ne se terminèrent qu’après la Pre-mière Guerre mondiale. La colonisation effective,commencée seulement il y a une centaine d’an-n é e s, fut particulièrement brutale.

L’empire portugais s’effondre en 1974. L eMozambique accède exsangue à l’indépendance àcause de 10 années de guerre de libération et dudépart de 100 000 colons portugais. Mais le répits e ra bref: une nouvelle guerre débute, d é c l e n c h é eet soutenue par les «pouvoirs pâles» d’Afrique duSud et de Rhodésie, déterminés à déstabiliser leursv o i s i n s. Ti rant aussi parti du mécontentementinterne né de l’orientation socialiste du nouveaur é g i m e, la Renamo (Résistance nationale mozam-bicaine) s’oppose au Fr e l i m o, le Front de libéra t i o ndu Mozambique, fondé en 1962 et appuyé par lebloc de l’Est.

Il faudra près d’un million de morts, trois mil-lions de personnes déplacées, 75% du paysd é vastés pour que la paix s’instaure enfin en1 9 9 4 , les urnes confirmant la prééminence duFrelimo.

D’une superficie de près de 800.000 km2, l eMozambique s’étire du nord au sud sur plus de 2000 km et compte environ 19 millions d’habitants.C’est l’un des pays les plus pauvres du monde: s o nPNB par habitant n’atteint pas les 100 dollars, l ’ e s-p é rance de vie est de 45 ans, le taux d’analphabé-tisme est de 60%. Ses chances de développementreposent sur l’agriculture et surtout l’exploitationde sa façade maritime au profit de ses voisinse n c l a v é s. ■

8 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

D ’ I C I E T D ’ A I L L E U R S

Pourquoi n’as-tu pas écrit «une autre fois»? C’est comme si tu prenais une sorte dephotographie.Tu serais complice…Je ne comprends pas ta question.Après les troubles et les guerres, qu’est-ce qui fait courir le peuple?Le peuple court vers l’intérieur de lui-même, en traçant le cercle de son identité.Le peuple ne s’arrête-t-il jamais, court-il toujours comme la gazelle gracile ou comme leguépard, rapide et vorace?Non. Le peuple danse tout au long du temps.Et pourquoi y a-t-il un peuple?Cette question, ce n’est pas au peuple qu’on la pose. Et pourquoi as-tu placé unevirgule en parlant du guépard?Rapide et vorace?Oui.Parce que nous sommes tous les deux assis et que nous nous regardons l’un l’autre. Et parcequ’à présent,cette virgule fait partie de mon savoir.Comme une respiration dans le temps. ■

Maputo

Beira

Ibo

TANZANIE

CaboDelgado

Niassa

Nampula

Zambezira

Sofala

Gaza

Maputo

Tete

MALAWI

ZAMBIE

AFRIQUEDUSUD

SWAZILAND

ZIMBABWE

Océan Indien

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É D I TO R I A L

Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 9

■La drogue détruit,corrompt,tue.On ne peut y répondre par des mesures dilatoiresou des palliatifs: c’est donc une guerre qui doit lui être livrée, l’une des très raresguerres dans lesquelles nous devons nous engager. Encore faut-il ne pas se tromper

d’adversaire. S’attaquer à l’offre,et par conséquent aux narcotraficants,est certes indis-p e n s a b l e . Il faut aussi et surtout s’attaquer à la demande mais à la condition, là encore, d ene pas manquer sa cible.

A l’aube du X X Ie s i è c l e , l’usage excessif des drogues, poussé par des intérêts économiquesconsidérables – et ô combien abominables! – ne peut se réduire à un problème pers o n n e l ,à une sorte de rencontre malencontreuse entre une personne et une substance tox i q u e .S a n snier l’aspect individuel, l’usage des drogues a atteint la dimension d’un phénomène socialqui en vient à déstabiliser les relations économiques, politiques et culturelles des sociétés.A i n s i , au-delà de la responsabilité personnelle et au-dessus de celle-ci, s ’ a f f i rme la respon-sabilité que la société doit assumer dans son ensemble en prenant part à l’émergence d’unmode de vie qui exclut l’usage abusif des drogues.

Les drogués ne sont pas les coupables. Nous leur devons accueil et aide, avant qu’ilsne déchirent leurs familles et finissent par détruire leur propre vie. L’ennemi pri n c i p a l ,c esont les moteurs qui alimentent leur demande, et ils s’appellent margi n a l i s at i o n ,e x c l u s i o n ,pauvreté extrême,goût du superflu.

Mais,en arrière-plan de tous ces phénomènes, sévit la crise morale engendrée par ladisparition des modèles traditionnels de référence, qui atteint même les sociétés les plusi s o l é e s. Ce vide donne à certains l’impression de vivre dans un monde privé de sens et poussed’autres à viser la réussite et l’accomplissement pers o n n e l s. Dès lors , s ’ attaquer ave csuccès à la demande de drogues exige d’aller au cœur du problème en développant un sensde la vie, en promouvant des formes de sociétés respectueuses du milieu environnant etdes valeurs de la tradition et de la culture,qu’elles soient religieuses,personnelles ou detout autre ordre. Il faut aussi proposer à la jeunesse non seulement des moyens de vivremais des raisons de vivre.

L’ é d u c ation préve n t i ve joue à cet égard une fonction essentielle, à condition qu’elle nese limite pas à informer sur les dangers de l’abus des drogues mais aussi à form e r. Elle peutêtre alors un instrument pri v i l é gié de construction et d’affirm ation de la pers o n n a l i t é ,n o t a m-ment des jeunes, de façon à les aider à élaborer des nouvelles formes de pensée et à adopterdes nouvelles lignes de conduite. Il s’agit, au fond, qu’elle leur ouvre des portes menantà de nouveaux hori z o n s , qu’ils soient idéologi q u e s ,c u l t u r e l s ,s p i ri t u e l s , ou sport i f s ,t e c h-niques et artistiques.

Ce premier volet d’une action locale et nationale va de pair avec des mesures politiquess p é c i fiques dont la mise en œuvre a un pri x : il doit être assumé en leur réservant une partdu produit national bru t . La charité peut pallier momentanément les difficultés mais ellen’offre pas de solutions durables. Il faut construire des centres de soins qui seront aussi descentres de form ation professionnelle, où la dépendance des drogués pourra être réduite pro-gr e s s i ve m e n t . Il faut y ajouter l’adoption de mesures légales permettant de lutter contre lest r a fiq u a n t s , de contrôler la production,d’interdire le blanchiment de l’argent sale mais aussifaire en sorte que les malades de la drogue puissent être soignés gr at u i t e m e n t .

Enfin, rien de ce qui aura été entrepris aux niveaux local et national ne sera vraimentefficace sans son corollaire au plan international et sans que, à tous ces échelons géogra-p h i q u e s , toutes les actions s’inscri vent dans une strat é gie cohérente et mondiale pour pou-voir s’attaquer simultanément à tous les rouages de ce fléau.Afin de l’élaborer et de l’ap-p l i q u e r , la coopération de tous sera requise: g o u ve rn e m e n t s , institutions intern at i o n a l e s ,ONG, experts,amis et proches des malades. Face à une menace croissante sur la sauve-garde et la dignité des nouvelles générat i o n s , l’action décidée et unanime de toute la sociétéest nécessaire.Elle passe par l’établissement d’un nouveau contrat moral planétaire. ■

G u e r r eà la d ro g u e

Federico Mayor

Au-delà de la responsabilitépersonnelle des drogués etau-dessus de celle-ci,s’affirme la responsabilitéque la société doit assumerdans son ensemble enprenant part à l’émergenced’un mode de vie qui exclutl’usage abusif des drogues

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10 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

N O T R E P L A N È T E

■En quête de nouvelles sources de capital,de main-d’œuvre et de matières pre-m i è r e s , les multinationales cherchent-

elles à s’implanter dans des «paradis» pour pol-l u e u rs , où la légi s l ation env i r o n n e m e n t a l eserait peu contraignante? La question, r é g u-lièrement posée,est d’actualité à un momentoù le volume de l’investissement direct à

Les p o l l u e u rs v o nt-ils

A l’échelle mondiale, les considérations environnementales comptent peudans la décision des entreprises d’investir à l’étranger.

l’étranger (IDE) augmente rapidement.D ’ u npoint de vue économique, tous les Etats ontà y gagner. Mais l’on peut craindre que lesp ays d’accueil soient tentés d’assouplir leursn o rmes environnementales pour mieux at t i r e rles inve s t i s s e u rs étrangers.Dans ce scénari o,les pays industrialisés joueraient le rôle dep r é d at e u rs prêts à dégrader l’env i r o n n e m e n t

pour augmenter leurs profits et leur compé-t i t i v i t é , et les pays en développement sacri-fieraient leur environnement sur l’autel dec o n s i d é r ations économiques. En réalité, c e scraintes sont largement infondées: selon la plu-p a rt des études dont nous disposons, l e se n t r e p rises investissent rarement à l’étrangerpour bénéficier d’une réduction des coûtse nv i r o n n e m e n t a u x .

Il est difficile de déterminer dans quellemesure les destinations de l’IDE sont choi-sies en fonction de la réglementation envi-ronnementale en vigueur. Le capital estinvesti dans un large éventail de pays et des e c t e u rs industri e l s , par des sociétés à la«conscience écologique» très va ri a b l e .D’autre part , une entreprise peut aussiinvestir dans un pays étranger afin de pro-fiter d’une main-d’œuvre très qualifiée oud ’ avantages dive rs , sans aucun lien avec lescoûts environnementaux.

Le respect des normes vertes:un argument de vente

De fait,ceux-ci constituent en généralune part modeste du total des coûts dep r o d u c t i o n , qui peuvent même diminuerl o rsque les normes «ve rtes» sont contrai-g n a n t e s. Prenons l’exemple d’un industri e lqui a besoin d’utiliser de l’eau «propre».Siles normes du pays où il investit sonts t ri c t e s , elle lui sera fourn i e .S i n o n , il devratraiter l’eau à ses frais avant de l’utiliser.

Les multinationales se soucient surt o u tde savoir si les régles édictées par un pays sonte f f e c t i vement imposées à tous: ces sociétésrefusent rarement d’investir dans la protec-tion de l’environnement si leurs pri n c i p a u xc o n c u rrents sont soumis aux mêmes obliga-tions qu’elles.Le plus souvent d’ailleurs ,e l l e sappliquent les mêmes normes env i r o n n e-mentales à leurs productions,quel que soit le

* Conseil d’administration de l’OCDE pour

l’environnement

Le dumping écologique est l i m i t é. . .Tom Jones*

A Dnepro p e t rovsk en Ukra i n e, des déchets de l’industrie sidérurgique directement enterrés dans le sol.

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Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 11

N O T R E P L A N È T E

aux para d i s ?

Dans le secteur minier notamment, les investisseurs étrangers s’implantent depréférence dans les pays laxistes en matière environnementale.

p ays où elles sont implantées, et indépen-damment des normes locales en vigueur.Pour trois grandes raisons. P r e m i è r e m e n t ,une multinationale ne peut pas se perm e t t r ede voir la réputation de ses produits ternie aun i veau mondial, parce qu’on l’accuse «d’ex-ploiter l’environnement» dans un pays duS u d . Ces accusations peuvent entraîner unb oycott ou d’autres formes de pression de lap a rt des consommat e u rs. Les producteursde bananes à Po rto Rico ont ainsi réclaméplus de règles environnementales pour

...mais bien réel Richard McNally *

■Dans certaines industries liées à l’ex-p l o i t ation des ressources nat u r e l l e s(les mines, la pêche, les plantat i o n s ,p a r

exemple), le choix de l’implantation géo-graphique est étroitement lié au coût envi-ronnemental et à l’accès aux ressourcesnaturelles. Et dans ces secteurs, de petitesréductions de coûts de production peuve n tfaire gagner beaucoup d’argent. * Fonds mondial pour la nature (WWF)

D’un bout à l’autre de la région A s i e -Pa c i fiq u e , dans le secteur minier, les exi-gences en matière environnementale ont étéassouplies pour attirer des inve s t i s s e m e n t sé t r a n g e rs très convo i t é s. En Indonésie, l ’ e x-traction du minerai est régie par des contrat sspéciaux qui, en règle générale, d i s p e n s e n tles sociétés d’appliquer la réglementat i o ne nv i r o n n e m e n t a l e . En Pa p o u a s i e - N o u ve l l e -

disposer d’un argument de vente. Deuxiè-m e m e n t , les sociétés calculent souvent qu’ilest moins cher d’appliquer la même norm ee nvironnementale part o u t , plutôt que ded é ve l o p p er des chaînes de production «surm e s u r e » . E n fin , les sociétés sont parfoise m p ê c h é e s , dans leur propre pay s , de réaliserdes investissements polluants à l’étranger.Aux Etats-Unis par exe m p l e , la Banque Ex-Im exige de toute société américaine quib é n é ficie de son assistance fin a ncière à l’ex-p o rt ation qu’elle réponde à un minimum dec ritères concernant l’env i r o n n e m e n t .

Les «paradis des pollueurs» existent néan-m o i n s , pour certains types de sociétés et cer-tains secteurs industri e l s , dans certains pay s.C’est le cas des industries minières ou de

t r a n s f o rm ation comme la chimie, la métal-l u r gi e ,l ’ a b attage des arbres et la fa b ri c at i o nde pâte à papier. Dans ces industri e s , le coûtde la protection de l’environnement peutreprésenter une part signific at i ve du coût dep r o d u c t i o n . Autrement dit, de petites diffé-rences de coût peuvent se traduire par d’im-p o rtants reculs en termes de parts de mar-ché et de bénéfic e s. Pour autant, les pay sd’accueil n’en assouplissent pas nécessaire-ment leurs normes env i r o n n e m e n t a l e s.R e s t eque la concurrence est ru d e , à la fois à l’inté-

Une éthique d’efficacité verte fait son chemin:on préfère prévenir les problèmes de pollution plutôt que de gérer des tonnes de déchets indésirables

rieur des pays et entre pay s , pour s’arr o g e rplus d’IDE. Elle est particulièrement serr é edans les pays en voie d’industri a l i s at i o nrapide et dans ceux qui dépendent des indus-t ries minières ou de transform at i o n ,s u s c e p-tibles de rapporter de précieuses devises.Dans ces cas-là, les inve s t i s s e u rs arri vent ànégocier des exe m p t i o n s , l o rsque les coûtse nvironnementaux sont élevés.

Mais le jeu de la concurrence peut aussise traduire par une volonté de réduire lesdéchets et d’augmenter la productivité.Une éthique d’efficacité verte fait son che-min: on préfère prévenir les problèmes depollution plutôt que de gérer des tonnes dedéchets indésirables. S o u ve n t , l’IDE va éga-lement de pair avec l’utilisation de techno-

logies modernes qui représentent un plusen terme de protection de l’env i r o n n e m e n t ,par rapport aux usages du pays d’accueil. I lest vrai cependant que certaines entrepri s e ssous-capitalisées (dans la Chine ru r a l e ,p a re xemple) rachètent à l’étranger de vieuxéquipements bon marché mais peu perfor-mants en matière environnementale.

Une demande de basesd’opérations saines

D’autres fa c t e u rs entrent en ligne dec o m p t e .Les taux de pollution ont augmentéplus rapidement dans toute l’Améri q u el atine entre 1970 et 1990, après le durcisse-ment de la réglementation env i r o n n e m e n-tale dans les pays de l’Organisation dec o o p é r ation et de dévelopement écono-mique (OCDE). O r , ce ne sont pas les pay sdont les normes environnementales étaientles moins dures qui ont attiré les inve s t i s s e-ments les plus polluants, mais ceux quiétaient les moins ouve rts à l’IDE. Il sembledonc que le dumping écologique aille parfoisde pair avec le protectionnisme économique.

A l’échelle globale, les Etats appliquantdes politiques de protection de l’environ-nement à la fois simples, transparentes etefficaces ne semblent pas être pénalisés parles investisseurs. Ils peuvent même attirerdes industriels à la recherche de basesd ’ o p é r ation saines. Les gouve rnements sonten somme en train de s’apercevoir qu’iln’est souvent pas forcément nécessaire debrader son environnement pour attirer descapitaux étrangers. ■

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N O T R E P L A N È T E

G u i n é e , presque toutes les opérat i o n sminières bénéficient de conditions spéciales,qui imposent peu ou pas d’obligations deprotection de l’env i r o n n e m e n t .R é c e m m e n t ,les Philippines ont radicalement changé leurl é gi s l ation sur les mines, suscitant un affluxde candidatures de la part d’investisseursétrangers à la recherche de baux miniers.Dans chacun de ces trois pay s , la dispensed ’ o b l i g ations légales a provoqué des désastresé c o l o giques parfaitement identifié s.

Pour la population comme pour l’env i-ronnement, l’impact direct de ces exemp-tions peut être considérable. En Indonésie,les activités minières de Freeport ontentraîné la destruction quasi intégrale desforêts et de l’écosystème fluvial de la régi o n .Aux Philippines,14 rivières sont tellementpolluées par les déchets des industri e sexploitant le cuivre qu’à leur embouchure,

le rendement de la pêche a baissé de moitié.Dans les pays en développement, ces pra-tiques destru c t rices sont malheureusementla règle plutôt que l’exception dans le sec-teur minier, où les problèmes sont part i c u-lièrement aigus.

Délocalisations massivesvers le Mexique

D’autres secteurs industriels ont égale-ment tablé sur des normes environnemen-tales peu contraignantes ou d’autres bonus(en particulier des royalties, des droits deconcession ou d’accès peu élevés) destinésà attirer l’investissement étranger. C e rt a i n saccords intern ationaux reflètent ce laxisme:c’est le cas, par exe m p l e , des ententesconcernant des plantations bananières enA m é rique centrale et de celles concluesdans le secteur forestier au Ghana.

B ras de fer au D a h a n uà l’application de la règlementation env i-ronnementale protégeant la zone.

Après le verdict de la cour, un respon-sable de P&O en Inde a déclaré qu’il pour-suivrait ses actions en justice pour le déclas-sement de la zone protégée. Ses propos ontdéclenché une avalanche de protestat i o n s.«Nous nous opposons fe rmement au fait que P&Oconteste la loi de notre Etat souve ra i n »,a déclaréShabnam Merchant, le porte-parole de l’Al-liance populaire pour l’application de la loi( PA I L ) ,qui fédère 14 groupes écologistes lut-tant contre le projet de port .Selon lui, «P&Ofait également pression sur le ministère indien del ’ E nvironnement pour obtenir le déclassement dela zo n e.L’ e n t r e p rise doit comprendre que les loisdu Dahanu ne sont pas modifiables par lesactionnaires de P&O » .

Dans un rapport sur cette affa i r e , l eFonds mondial pour la nature (WWF) estimeque «les activités de P&O au Dahanu sont enc o n t radiction fla grante avec les recommanda-tions de l’OCDE sur les entreprises multinat i o-n a l e s ». Il précise que P&O pourrait inve s t i rdans d’autres sites portuaires non protégés.Selon le W W F, « l ’ attitude de P&O est une ingé-rence claire et nette dans la vie politique locale».

En septembre, la Commission pour laprotection de l’environnement du Dahanu,créée par décision de la Cour suprême, at r a n c h é : «En l’état actuel des choses, la constru c-tion d’un méga - p o rt à Va d h avan sera considéréecomme illéga l e. »

F i n a l e m e n t , P&O vient d’annoncer queson projet n’était pas réalisable en cem o m e n t . Son principal argument est que laCommission avait considéré que la constru c-tion du port était «totalement interdite» . ■

■ Une épreuve de force oppose actuelle-ment plusieurs associations écologistes à

une multinationale au Dahanu, r é gion admi-n i s t r at i ve de l’Etat indien du Maharashtra.La Compagnie Peninsular and Oriental A u s-tralia Po rts Pri vat e , une filiale de P&O( R oya u m e - U n i ) , projette de construire unp o rt intern at i o n a l ,o p é r ationnel par tous lest e m p s , d’une capacité de huit quais pouva n têtre étendue à 30, à Va d h ava n , au Dahanu.

La population s’oppose radicalement àce projet de méga-port ,d’un coût de 2,4 mil-liards de dollars. Le Dahanu, situé à 120 kmau nord de Bombay, capitale économiquede l’Inde, est l’une des dernières ceinturesve rtes subsistant le long de la côte ouest dece pays qui s’industrialise rapidement.Lesa s s o c i ations écologistes affirment que cep o rt détruirait le fragile écosystème de larégion et menacerait les moyens de subsis-tance des 300 000 habitants du Dahanu,en majorité des communautés indigènes etde pêcheurs.

Les écologistes rappellent qu’en 1991,le Dahanu a été classé et intégré à une «zoneréglementée» par le ministère indien de l’En-vironnement et des Fo r ê t s. Cette légi s l at i o ninterdit toute nouvelle construction à moinsde 500 mètres de la côte.En 1996, les habi-tants du Dahanu ont poursuivi en justice leg o u ve rnement du Maharashtra, n é g o c i at e u rdu projet portuaire avec P&O, pour non res-pect de la réglementat i o n . A l’issue d’uneb ataille juridique sans merci, la Coursuprême de l’Inde a maintenu le statut duD a h a n u , qui interdit toute modific ation duplan d’occupation des sols; elle a ordonnéla création d’un comité d’experts pour ve i l l e r

Les firmes que les lois sur la protection del’environnement dissuadentd’investir peuvent fairepression sur legouvernement du paysd’accueil pour les assouplirou empêcher leurapplication

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N O T R E P L A N È T E

Une «île auxmerveilles» trèsdisputée

Existe-t-il encore au monde une île tropicale àla fois méconnue et inhabitée, où la faune et

la flore soient préservées? Près de 500 ans aprèsChristophe Colomb, une équipe scientifique amé-ricaine estime l’avoir trouvée, entre la Jamaïque etHaïti.

A leur retour, en août 1998,d’une expéditionsur l’île de la Navase – la première à cara c t è r es c i e n t i fique organisée à cet endroit depuis. . . 1 9 3 0–,les spécialistes du Centre pour la conservationmarine de Washington ont clamé leur « é m e r -v e i l l e m e n t » d e vant les «trésors biologiques»qu’ils ont découverts sur ce confetti de cinq kilo-mètres carrés.

Ils y ont répertorié 82 espèces animales ouvégétales inconnues (papillons, a ra i g n é e s, s c o r-pions, grillons et lichens). Ils y ont retrouvés 12espèces que l’on croyait éteintes, dont une va r i é t éde colombe et deux familles de lézards. Q u a n taux récifs de cora i l , «ils sont parmi les plus beauxqu’on puisse imaginer!», s’est exclamée NinaYoung,chef de la mission marine. «L’île est unevraie merveille, a-t-elle ajouté, avec les vues lesplus spectaculaires de toutes les eaux améri -caines.»

Américaines? Sûrement pas, disent les Haïtiens,qui revendiquent l’île de la Navase depuis la nais-sance de leur Etat. Ils se basent sur le traité deRyswick de 1697,qui départagea entre la Franceet l’Espagne l’île d’Hispaniola (aujourd’hui diviséeentre Haïti et la République dominicaine) et sesd é p e n d a n c e s. La France céda ensuite officielle-ment ses droits à Haïti,y compris la Navase, enreconnaissant l’indépendance de ce pays en1825.

Mais à Wa s h i n g t o n , le Congrès adopta en 1856le «Guano Act»,qui permettait de déclarer amé-ricaine toute île inhabitée qui soit riche en déjec-tions d’oiseaux marins, utilisées comme engrais etp o u r. . . la fabrication de poudre à fusil. Le capi-taine Peter Duncan a donc exploité le guano de laN a va s e, sur laquelle les Etats-Unis ont installé unphare, démantelé en 1996.

Washington vient de décider que sa garde-côtière empêchera les curieux d’approcher ce fra-gile «musée naturel». De leur côté, les autoritéshaïtiennes enverront leurs propres scientifiques surl ’ î l e, un «caillou» sans arbre ni eau douce, s o u d a i-nement promu au rang de trésor écologique. ■

Dans d’autres industri e s , où les pro-duits sont relat i vement indifférenciés et oùde petites différences de coût ont aussi uneincidence majeure en termes de parts demarché, le niveau des normes environne-mentales est un facteur important pour lechoix d’un lieu d’implantation. Et plus lesentreprises sont «mobiles», plus cette affir-m ation se véri fie . On l’a vu notamment lorsdes délocalisations massives des fabricantsde meubles, qui ont quitté la Californ i epour le Nord du Mexique.

Le jeu déterminantde la concurrence

L’existence de normes env i r o n n e m e n-tales peu contraignantes ne constitue pass y s t é m atiquement un facteur déterm i n a n tpour décider d’une implantat i o n ,m a i s , si lessociétés voient passer une occasion de dimi-nuer leurs coûts, elles la saisissent. Il n’estpas rare que plusieurs sites, dans différentsp ays ou à l’intérieur du même pay s , soient enc o n c u rrence pour attirer un inve s t i s s e u r.L e sresponsables de ces sites se lancent alorsgénéralement dans de coûteuses surenchèrespour l’emport e r , offrant toujours plus defacilités – fin a n c i è r e s , fis c a l e s , e nv i r o n n e-m e n t a l e s. Il s’agit souvent d’un engagement,tacite ou explicite, de diminuer les

contraintes environnementales ou de ne pasles appliquer avec toute la rigueur vo u l u e .

Les firmes que les lois sur la protection del ’ e nvironnement dissuadent d’investir peu-vent faire pression sur le gouve rnement dup ays d’accueil pour les assouplir ou empê-cher leur applicat i o n . Pa rmi les exe m p l e sn o t o i r e s ,citons le forage pétrolier de Shell auN i g e ria et les opérations minières de Free-p o rt en Indonésie. R é c e m m e n t , en Inde, l acompagnie maritime P&O a fait pression surles autorités pour obtenir le déclassementd’un des trois territoires protégés du pay s ,a fin de poursuivre le développement d’unezone portuaire (voir encadré). Les inve s t i s-s e u rs étrangers ont en général plus d’in-fluence que les industriels du pays concern é ,parce qu’ils peuvent user de la menace d’und é s i nvestissement de façon plus crédible.

I nve rs e m e n t , là où les inve s t i s s e u rsé t r a n g e rs sont en concurrence entre eux, l e sa u t o rités locales sont en position de forcepour imposer les règles du jeu. En Chine,un pays qui souffre d’une gr ave pénuri ed ’ é l e c t ri c i t é , les pouvo i rs publics ont vo u l urentabiliser au maximum la productiond ’ é l e c t ricité pour chaque dollar inve s t i , e tles sociétés se sont retrouvées dans l’obliga-tion de réduire leurs exigences env i r o n n e-mentales pour remporter les contrat s. ■

En Nouvelle-Guinée, les mines échappent aux règles de protection de l’environnement.

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A P P R E N D R E

Le fil ténu de Dans les «villages-décharges» de la capitale égyptienne,une association attire les adolescentes avec la promesse d’un revenu,puis les alphabétise et les émancipe.

■L’astuce consiste à leur faire passer lap o rte de l’Association pour la protec-tion de l’environnement (APE) du

C a i r e .A l o rs commence l’apprentissage et lechangement social. Depuis plus de 10 ans,l’APE œuvre pour l’amélioration des condi-tions de vie des adolescentes et des jeunesfemmes qui vivent du ramassage des orduresà la péri p h é rie de la capitale égyptiennne.

A l’ori gi n e , le projet de l’APE était clai-rement pédagogique:offrir des cours d’al -p h a b é t i s ation et permettre une relat i veautonomie sociale à des jeunes filles qui enétaient pri v é e s. Son ori ginalité – et, d ’ a p r è sses créateurs, la clé de son succès – résidedans la façon peu orthodoxe dont il atteintses objectifs.

L’APE propose aux adolescentesd’améliorer le quotidien de leur famille entissant de petits tapis et des tapisseries ave cdes chiffons. Les candidates apprennentdu même coup, presque malgré elles, l ’ a l-p h a b e t , l ’ hy gi è n e , la puériculture et l’au-t o s u f f i s a n c e .

«Elles viennent ici pour se faire de l’argentet elles apprennent sans s’en rendre compte,explique Samara A bu Seif, une bénévo l eattachée de longue date au projet. Ce pro-gramme fonctionne bien parce qu’il prendappui sur des activités qui sont familières auxadolescentes;il ne s’agit pas de cours imposéspar des étrangers bien intentionnés.»

La vie dans les bidonvilles de chiffon-niers (voir encadré) offre peu de perspec-t i ves sociales aux femmes. Ce sont leshommes (pères et fils) qui gèrent les tour-nées de ramassage. Les mères et leurs fil l e st rient manuellement les ordures. Les petitesfilles peuvent accompagner leurs pères entournée jusqu’à ce qu’elles soient pubères.A p r è s , la coutume leur impose de rester à lamaison pour protéger l’honneur fa m i l i a l .Les familles qui peuvent se permettre des c o l a riser leurs enfants envoient d’abord

les garçons à l’école. On marie les filles trèsjeunes (15 ans, voire moins), le plus sou-vent sans leur demander leur av i s , et onattend d’elles qu’elles mettent au mondedes enfants sans tarder.

«Il est très difficile d’aider les très jeunesfilles à s’autonomiser parce qu’elles ne sont pashabituées à dire “ n o n ” ou à agir selon leurpropre intérêt», déplore Shadia Iskander, u n ebénévole de l’APE.

Cet organisme avait déjà monté, dansles villages-décharges, un progr a m m evisant à utiliser le fumier des porcheri e spour le transformer en compost. En conce-vant leur projet «Tissage et éducation», lesresponsables de l’APE ont misé sur lacarotte et le bâton. «Quand une jeune fil l erapporte de l’argent à la maison,elle est valo-risée et gagne le droit d’avoir son mot à diresur sa propre vie», résume S.Abu Seif.

«Quand une jeune fille rapporte de l’argentà la maison, elle est valorisée et gagne le droit d’avoir sonmot à dire sur sa propre vie»

Les premières candidates ont été recru-tées parmi les diplômées (non mariées etsans enfants) d’une l’école d’alphabétisa-tion dépendant d’une église, ainsi que dansla ru e , p a rmi les adolescentes occupées àt rier les ordures, dans le bidonville deM o k at t a m . C e rtaines mères hésitaient àlaisser leurs filles participer à ce my s t é ri e u xp r o gr a m m e , mais les organisat e u rs ont fa i tvaloir qu’elles allaient rapporter à la maison40 livres égyptienne (12 dollars) par mois etque la souplesse de l’emploi du temps per-mettrait aux adolescentes de continuer àtrier les ordures chez elles. «Au début,nousavons eu beaucoup de mal à convaincre lesfamilles de laisser leurs fil l e s venir à nous, s esouvient S.A bu Seif. M a i n t e n a n t ,nous avo n sune liste d’at t e n t e.»

Dès leur inscri p t i o n , les jeunes fil l e sapprennent l’importance de l’hy giène per-sonnelle et découvrent la fie rté que l’oné p r o u ve à soigner son apparence. «D ’ e m b l é e ,

Les adolescentes manient les ciseaux,puis le crayon.

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A P P R E N D R E

l’é m a n c i p a t i o n

nous leur disons: “Venez propres tous les jours.Tisser un tapis propre signifie arri ver avec desvêtements propres et travailler dans un env i r o n-nement propre”» , explique S. A bu Seif.

Patienceet discipline

Le simple apprentissage du tissage deschiffons (des chutes données par les usinesde vêtements) exige de l’initiat i ve et de l’in-dépendance d’espri t .Tr availler sur le métierr e q u i e rt patience et discipline. Les per-sonnes chargées du contrôle de la qualitédéduisent de la paye des jeunes filles les tra-vaux mal fa i t s , ce qui les incite à acquérir lesouci de la précision et du détail.Le simplefait de choisir la couleur de leurs chiffonsstimule en elles, peut-être pour la premièrefois,une certaine forme de créativité.

L’une des conceptrices du projet,LeilaIskander Kamel, a noté que la manipula-tion des ciseaux pour couper les chiffonspréparait à la bonne tenue d’un crayo n ,pour l’apprentissage de l’écri t u r e . Les coursd ’ a l p h a b é t i s ation et d’arithmétique sontfacultatifs, mais les organisateurs du pro-gramme savent comment motiver les fillespour qu’elles y assistent. «On leur demandede mesurer 80 cm de tissu.Elles ignorent ce quereprésente cette mesure.A l o rs on leur dit:Vous lesaurez en assistant au cours», r a p p o rte S.A bu

Seif. Et pour toucher leur paye, elles doi-vent signer le regi s t r e . Si elles en sont inca-pables, on leur propose aussitôt de le leurapprendre.

Tous les prétextes sont bons pour trou-ver des motivations financières à l’appren-tissage de la lecture et de l’écri t u r e . L e sventes de tapis organisées dans les hôtels

chics ou les jardins privés sont des événe-ments à ne pas manquer aux yeux desjeunes fil l e s. Celles qui ne savent pas lireles listes de prix ne peuvent pas tenir lesstands. Elles ratent donc une sortie.Savoirlire et écri r e , ou du moins, s avoir lire lesc h i f f r e s , devient un but assorti d’unerécompense tangible. Et les tapis avec deslettres tissées se vendent plus cher que lesautres dans les hôtels et les bazars pour tou-ri s t e s. Les filles reçoivent un bonus pourchaque lettre tracée – deux livres égyp-tiennes par lettre anglaise, trois par lettrearabe (plus difficile).

Reculde l’excision

Pendant les cours d’hygiène, le délicatproblème de l’excision est abordé. On sou-ligne aussi l’importance d’attendre aumoins 17 ou 18 ans avant de songer à lamaternité.

En 10 ans, l’APE a formé plus de 700a d o l e s c e n t e s , dont environ un quart estcapable de lire et écrire couramment.Uneétude auprès des lauréates du programmer é v è l e , selon Leila Kamel,des changementsi m p o rtants dans leurs comport e m e n ts o c i a u x : 64% des femmes mariées disentp r atiquer le contrôle des naissances et 70%des adolescentes célibataires affirm e n tqu’elles n’exciseront pas leurs filles.

Suivre les cours n’empêche pas les adolescentes de continuer à trier les ordures.

Un g ros effort g o u v e r n e m e n t a ltemps).Aujourd’hui, le taux d’inscriptionest de 100% dans le primaire et de 74%dans le secondaire.

Pour des raisons culturelles et fin a n-cières (bien que l’école publique soit gra-tuite en Egypte), les familles préféraientscolariser leurs garçons. Afin de tenter derattraper le retard des filles,plus d’un mil-lier de classes ont été spécialement ouve rt e spour elles en milieu rural, où leur scolari-s ation était encore plus rare que dans lesvilles.

Beaucoup reste encore à fa i r e : selon lesdonnées de l’UNESCO, un tiers des adoles-cents âgés de 15 à 19 ans sont «sans scola-ri t é » , une proportion qui atteint 45% enmilieu ru r a l . Et la croissance démogr a-phique exige que l’effort reste soutenu. ■

■ En 1991, le gouve rnement du présidentégyptien Hosny Moubarak a fait de

l ’ é d u c ation sa grande pri o rité et a lancé unvaste projet dans le but de vaincre l’anal-p h a b é t i s m e . La situation l’exigeait: la moi-tié des adultes ne savaient ni lire ni écrire(36% des hommes et 61% des femmes en1995) et les écoles existantes, s o u ve n tv é t u s t e s , étaient surchargées (jusqu’à 70élèves par classe).

D e p u i s ,plus de 7 000 établissements sco-laires ont été construits et environ 120 000p r o f esseurs ou instituteurs ont été embau-chés et form é s. L’ e f f o rt va de la mat e rn e l l e ,où les effectifs scolaires ont augmenté de30% en cinq ans, jusqu’à l’université, avecun accent particulier sur le secondaire(hausse des effectifs de 45% dans le même

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P r o f e s s i o n : z a b a l e e n

Des courspour trouver dutravailL es chômeurs et les jeunes à la recherche d’un

premier emploi manquent souvent d’expé-rience pour trouver du tra va i l , sur un marché par-fois saturé.A partir de ce constat,plusieurs orga-nismes publics ou privés sont apparus cesdernières années. Leur mission: enseigner dess t ratégies destinées à faciliter l’intégration dans lavie active.

Le réseau EURES (Service européen de l’em-ploi) recueille ainsi, auprès de ses 17 Etatsm e m b r e s1, quantité d’informations sur le marchéde l’emploi au sein de l’espace économique euro-p é e n .Toute personne ayant un projet dans l’un deces pays peut le soumettre à un «euro-conseiller»,qui en étudie la faisabilité.

Dans chaque pays, les organismes reliés à ceréseau proposent aux chômeurs des cours pourtrouver du tra va i l .A vant de «vendre» ses compé-t e n c e s, tout candidat doit préalablement étudierles segments du marché de l’emploi qui l’intéres-s e n t . C’est ce qu’explique Denise Lossel, c o n s u l-tante auprès de l’association française privéeA P E C, spécialisée dans l’emploi des cadres.«N o u scommençons par inciter les participants à défin i rleurs aptitudes, puis nous les guidons dans la miseau point d’un projet professionnel adapté au mar -c h é .»

Ce processus est essentiel avant de passer àl ’ a c t i o n , souligne Martine Cantenys, qui organisedes ateliers destinés chômeurs, au sein de l’Asso-ciation nationale française pour l’emploi (ANPE).«Nous apprenons aux candidats à élaborer leurcurriculum vitae et à rédiger des lettres de candi -dature spontanée ou de réponse aux offres d’em -ploi. Nous simulons même des entretiens per -sonnels que nous enregistrons sur vidéo pour lesanalyser.»

En Espagne, l’INEM (Institut national de l’em-ploi) offre en outre un service spécial visant à aiderles candidats à surmonter les blocages psycholo-giques susceptibles de nuire à leur recherched ’ e m p l o i . Une initiative analogue existe à Santos,au Brésil, où une bourse du tra vail (centralisant lesoffres et les demandes d’emploi) propose égale-ment une assistance psychologique aux chô-m e u r s, a fin qu’ils retrouvent leur confiance eneux-mêmes et soient en mesure de vendre leurscapacités. ■

1.Les Quinze de l’Union européenne, auxquels s’ajou-tent l’Islande et la Norvège.

16 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

A P P R E N D R E

Le programme initial s’est enrichi. Autissage de tapis, s’ajoutent maintenant unp r o gramme de couve rtures piquées enp at c h work pour les femmes mariées et uneopération de recyclage du papier.

Changer les mentalitésSigne fla grant de succès: l’école de tis-

s a g e ,d e venue autonome, est dirigée presqueentièrement par une équipe de lauréates dup r o gr a m m e . Les bénévoles de l’APE y pas-sent deux fois par semaine mais la gestion auquotidien est le fait d’anciennes élève s.L’ u n ed’entre elles,Y vonne A z e r , mesure le che-min parcouru : «On est toutes nées dans leso r d u r e s.Aucune d’entre nous n’allait à l’école.S o u ve n t ,on n’était jamais sorties de notre quar-tier avant de s’inscrire au progra m m e.» S a m i aWa d i a , membre du personnel de l’APE ne

clage. Les déchets organiques et les reliefsdes repas servaient de pitance à leurscochons et leurs chèvres,qui nourrissaientà leur tour les fa m i l l e s. Presque tous leszabaleen du Caire sont chrétiens. La majo-rité musulmane d’Égypte répugne à man-ger du porc, un des rares animaux domes-tiques qui mange des ordures.

En 50 ans, ce système de recyclage apeu changé.Les zabaleen qui peuvent se lep e rmettre ont remplacé leur âne par unvéhicule et se sont équipés d’une machineà découper les plastiques. L’APE estimeque les zabaleen manipulent près de 3 000tonnes de déchets par jour – ceux d’env i r o nun tiers de la population du Caire, q u icompte 13 millions d’habitants. Plusieursvillages-décharges subsistent à la péri p h é ri ede la métropole. Le plus important estM o k attam (17 000 habitants), où les z a b a-leen manutentionnent 1 200 tonnes d’or-dures par jour. ■

■ L’histoire des «villages-décharges»remonte au début des années 40, avec

l ’ a rrivée massive dans les faubourgs duCaire de paysans sans terr e , pauvres et illet-trés, originaires pour la plupart de la pro-vince méridionale d’Assiout, à 400 kilo-mètres de la capitale.

Pour subsister, ces migrants se sont fa i t sé b o u e u rs ou chiffonniers (z a b a l e e n e narabe).Tous les matins,ils faisaient le tourde la ville sur une charette tirée par un âne,s ’ a rrêtant à chaque porte pour ramasser lesordures.

Chaque foyer payait une somme men-s u e l l e , qui allait presque intégralement dansla poche des intermédiaires contrôlant etassignant les tournées de ramassage. Pourles z a b a l e e n, le bénéfice était ailleurs. I l sramenaient les ordures chez eux et triaientavec leur famille tout ce qui était récupé-rable (papier, plastique,bois, métal, verre,tissu) pour le vendre aux centres de recy-

s avait ni lire ni écrire lorsqu’elle s’est ins-c ri t e . Elle envisage maintenant de faire desétudes de commerce.

L’APE est consciente que changer lamentalité des adolescentes de Mokat t a mne suffit pas. C e rtaines d’entre elles seh e u rtent à leurs parents lorsqu’elles sou-mettent leurs «nouvelles idées». L’ A P Eveille donc à ce que les familles soienti m p l i q u é e s. . . par le biais d’incitations fin a n-c i è r e s. Des fonds sont parfois collectés pour«permettre» à des adolescentes d’attendrejusqu’à 18 ans avant d’avoir un enfa n t .«Même si on ne change pas le sort de l’adoles-cente dans sa fa m i l l e , estime Y vonne A z e r ,on sait que,quand elle se mari e ra ,elle apport e rases idées nouvelles dans son foyer et qu’elle lestransmettra à la génération future». ■

Ashraf Khalil,au Caire

Un atelier de tissage devenu autogéré.

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Novembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 17

L’économie del ’immatériel

Il faut deux fois plus d’ingrédients pour cuisiner deux kilos de pot-au-feu que pour enmitonner un seul. On ne peut le manger que s’il est à portée de main et, une fois dégusté, iln’en reste plus rien.En revanche, la copie de l’original d’un logiciel n’a qu’un coût marginal, celui de son support

physique ou de son transfert. Des internautes séparés par des milliers de kilomètres peuvent le«consommer» simultanément. Et il ne s’use pas si l’on s’en sert, bien au contraire.

Cette métaphore schématise toute la différence entre l’économie industrielle et l’économiede «l’immatériel», dite aussi du «savoir», de «l’information», du «flou» – elle reste très difficileà cerner. Les idées, les images, les connaissances y prennent le pas sur les produits, les machines,les matières premières. La maîtrise de l’énergie avait accouché de la société industrielle, lamaîtrise du traitement et de la circulation de l’information a lancé l’économie de l’immatériel.Elle s’affirme dans quatre secteurs phares: les technologies de l’information et de lacommunication; la propriété intellectuelle: brevets, marques, publicité, services financiers (maisils mériteraient un dossier complet à eux seuls); les banques de données et les jeux; lesbiotechnologies.

Les règles traditionnelles de l’économie sont-elles désormais enterrées, comme l’affirment lesg o u rous de cette «nouvelle» économie? Sur le plan mondial, ces nouveaux outils technologiquesvont-ils creuser ou au contra i re combler les inégalités? Et un travail plus riche en savoirsd e v i e n d ra-t-il personnellement plus enrichissant? L’ampleur et les conséquences de la montée decette économie de l’immatériel, v o i re sa réalité même, restent âprement débattues. ■

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18 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

L’ a s c e n s i o n d e s Danny T. Quah*

p roduits de s a v o i r

■L’importance de l’économie de l’immatérielpeut être appréhendée à trois nive a u x : l e shommes, les entreprises,les pays.

Commençons par les hommes. En 1997, trois des20 personnes les plus riches du monde étaient desA m é ricains qui doivent à peu près tout à l’industri edu logi c i e l . Leur fortune totale était 10 fois supé-ri e u r e , ou presque, à celle des trois plus riches Bri-t a n n i q u e s , dont les productions (dans l’immobilier,la sidéru r gie et l’alimentaire) étaient autrement tan-gi b l e s. En octobre 1998, les avo i rs de l’individu le plusriche du monde – un homme du s o f t wa r e – repré-sentent plus du double de ceux de son concurrent lemieux placé, qui n’est pas dans le s o f t wa r e.

Voyons maintenant les entrepri s e s. Pour lest e c h n o l o gies de l’inform at i o n , les cinq plus gr a n d e sfirmes que tout observateur attentif va probablementnommer sont Microsoft, I n t e l , C o m p a q , Dell etCisco. A elles cinq,ces sociétés avaient une capita-l i s ation boursière de 12 milliards de dollars en

1 9 8 7 . En 1997, elle atteignait 600 milliards de dol-l a rs. Soit une multiplication par 50 en moins de 10ans,ou une croissance annuelle de 45%.Une pro-gression aussi rapide maintenue sur une durée aussilongue est absolument remarquable.

Considérons enfin les pay s.Aux Etat s - U n i s , le sec-teur des technologies de l’inform ation a considéra-blement accru sa part dans le produit intérieur bru ten dollars courants: de 4,9% en 1985 à 8,2% en1 9 9 7 .S i m u l t a n é m e n t , les prix de ses produits ont fa i tune chute spectaculaire: selon plusieurs sources, l ep rix réel du traitement inform atique de donnéesbaisse de 30% par an depuis 20 ans. Le prix réel desc o m m u n i c ations diminue aussi, de 8% par an depuis70 ans – il est divisé par deux tous les huit ou neuf ans.E t , depuis 1991, la mémoire des ordinat e u rs a aug-menté de 60% par an, tandis que son prix courant aété divisé par 100. D o n c, la contri bution directe dusecteur «technologies de l’inform ation» à la va l e u rréelle produite a été pour le moins substantielle aux

Les technologies de l’information lancent une révolution: les «produits de savoir»qu’elles font circuler bousculent les lois du marc h é . Il faudra s’y adapter.

*Département d’économie, LondonSchool of Economics

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Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 19

Les idées, c’est capital L’économie de l’immatériel

E t at s - U n i s , sans même prendre en compte ses retom-bées sur les autres activités économiques en term e sde gains de productivité.

Ces phénomènes concernent d’abord les paysi n d u s t ri a l i s é s. Mais les technologies de l’inform at i o napportent aussi beaucoup à la croissance de cer-taines des économies les moins développées de lap l a n è t e . En Inde, le revenu annuel par tête était de340 dollars en 1995: la majorité de ses 900 millionsd’habitants disposaient,pour vivre,de moins d’undollar par jour. Ce pays héberge cependant uncentre du logiciel en zone franche de premièrei m p o rtance pour le reste du monde. En 1997, la pro-duction indienne de logiciels pesait deux milliardsde dollars et employait 260 000 pers o n n e s. S e srevenus ont augmenté de 50% par an au cours descinq dernières années, avec plus de 60% des gainsgénérés à l’exportation.

I n t e rnet est un élément important de l’éco-nomie de l’immat é ri e l . Si l’on raisonne étroite-ment, on se contentera de dire que le «Net» est lerésultat d’un progrès technique rapide et specta-culaire. Mais la technologie d’Internet aurait trèsbien pu être mise au point sans trouver d’applica-tion précise. L’histoire regorge d’exemples où l’offrearrive en force, tandis que la demande traîne lesp i e d s , si bien qu’en fin de compte, il n’en sort ri e n .

Prodigieuse réductiondu coût des transactions

I n t e rn e t , j u s t e m e n t , é c h a p p e à ce schéma. L aradio – technologie relat i vement simple dont l’usagene demande guère d’effort intellectuel –,a mis 40ans à gagner 50 millions d’utilisat e u rs réguliers.Internet, quatre ans. En partie parce que le «Net»facilite des tâches que les agents économiques onttoujours eu besoin d’accomplir: il rend l’échangemoins coûteux et plus aisé, diffuse plus vite l’in-f o rm at i o n , réduit les stocks, p e rmet d’interve n i rplus loin, tant en amont dans la chaîne des four-n i s s e u rs qu’en aval dans les réseaux de distri bu t i o n .

Cette croissance extraordinaire vient aussi de toutce qu’Internet rend possible et qui ne l’était pas aupa-r ava n t .On peut vendre des biens mat é riels sur Inter-n e t ,mais leur livraison au consommateur restera lenteet occasionnera toujours des frais de transport . Po u rles biens et services de l’économie de l’immat é ri e l ,c’est différent: I n t e rnet peut les livrer directement.Les conseils médicaux et l’enseignement (on sait quela santé et l’éducation sont dans toutes les économiesavancées deux secteurs gigantesques et coûteux, o ù ,h i s t o ri q u e m e n t , la croissance de la productivité a éténotoirement fa i b l e ) , les inform at i o n s , les logi c i e l s ,l amusique, la publicité, les jeux vidéo, les titres, labanque et les autres activités fin a n c i è r e s , l’accès auxbanques de données, les analyses des consultants,tout cela peut être fourni sur Internet – à la différencedes services rendus par les coiffeurs et les concierges.C o n s é q u e n c e : une réduction prodigieuse du coût dest r a n s a c t i o n s.La productivité augmente dans les sec-t e u rs où, t r a d i t i o n n e l l e m e n t , elle le faisait fort peu.

Aux Etat s - U n i s , c’est précisément dans lesbranches liées à l’économie de l’immat é riel que

l’emploi progresse le plus vite. Selon les projec-tions effectuées pour la période 1996-2006, c’estdans les services inform atiques et de traitementdes données que la croissance de l’emploi sera laplus forte (108%), suivis par les services de santé(68%). Selon le Bureau américain des statistiquesdu trava i l , les professions qui augmenteront le plusrapidement leurs effectifs seront les gestionnaires debanques de données, les techniciens et les cher-c h e u rs en inform atique (118%), les ingénieursi n f o rm aticiens (109%), les ingénieurs système(103%) – nettement plus que la cat é g o rie suiva n t e ,les employés de maison et les aides à domicile( 8 5 % ) . Les rémunérations sont également élevées:en 1997, le salarié moyen de la branche «technologi e sde l’inform ation» gagnait le double du salaire moye nve rsé dans l’ensemble du secteur privé améri c a i n .

L’expansibilité infiniedes produits de savoir

Toutes les composantes de l’économie de l’im-m at é riel peuvent être représentées, sans aucunep e rt e , comme des chaînes binaires – des suites de 1et de 0.Comme les idées et le savoir peuvent aussiêtre représentés sous cette form e , il est facile de fran-chir le pas et de les assimiler aux éléments de l’éco-nomie de l’immat é ri e l . Pour éviter autant que pos-sible cette confusion, j’appellerai les chaînes binairesqui appartiennent à l’économie de l’immat é ri e l«produits de savoir»:cette expression souligne leurressemblance symbolique avec le savoir tout enmaintenant la distinction.Trois points me paraissentessentiels.

Qu’est-ce que l’économie del’immatériel?Cette économie a quatre grandes composantes. La première, ce sont les technologies de l’in-

formation et des communications, ainsi qu’Internet.La deuxième, c’est la propriété intellec-t u e l l e, qui ne comprend pas seulement les brevets et les copyrights, mais aussi, quand on laprend au sens large, les noms déposés, les marques, la publicité, les services fin a n c i e r s, le conseilaux entreprises, les marchés fin a n c i e r s, la santé (le savoir médical) et l’éducation.Troisième com-p o s a n t e : les bibliothèques et les banques de données électroniques, ainsi que l’audiovisuel et lesjeux vidéos. La quatrième, ce sont la biotechnologie, les bibliothèques et banques de données tra-ditionnelles, et l’industrie pharmaceutique.

Ces quatre secteurs sont ceux dont la croissance est la plus forte dans les économies modernes– que ce soit en termes de valeur ajoutée ou d’emploi.Toutes les activités citées sont par certainscôtés immatérielles et peuvent être considérées comme des savoirs.

N é a n m o i n s, il faut se garder de surestimer l’importance des idées et du savoir. Les économiesont toujours été fondées sur le savoir, depuis 5 000 ans au moins. Les Sumériens de Mésopota-mie ont commencé il y a cinq siècles à tenir des archives fin a n c i è r e s, qu’ils gra vaient en cara c t è r e scunéiformes sur des tablettes d’argile. À l’époque de la première révolution industrielle, l’intro-duction des machines pour filer le coton et des machines à vapeur a considérablement stimulé lacroissance économique. Ces équipements étaient l’incarnation matérielle d’un savoir nouveau.

M a i s, si les machines à vapeur et les tablettes d’argile ont un contenu de savoir, elles ne peu-vent être utilisées comme on se sert d’un savoir. Leur usage est soumis à des contraintes géo-graphiques et physiques. Ce n’est pas le cas des quatre grands secteurs dont nous parlons.Voilàpourquoi un superpétrolier n’appartient pas à l’économie de l’immatériel,mais un logiciel,si.■

La loi de lac o n n e c t i v i t é :l’économie en réseause nourrit du doubl ebig bang entre unu n i ve rs de connex i o n st é l é m atiques et unu n i ve rs de pucesé l e c t ro n i q u e sm i n i at u ri s é e s. L’ è re deso rd i n at e u rs est fin i e.Celle qui s’ouvre estcelle desc o m m u n i c at i o n s.D’après «Les nouvelles lois de

la nouvelle économie»,Kevin Kelly, Wired Magazine,Etats-Unis, septembre 1997.

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La valeur que crée la compagnie Nike, par exemple,n’est pas la matière première de ses chaussures maisla culture qui leur est associée

20 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

La loi du déplacement:les mat é riaux sontremplacés par del ’ i n fo rm at i o n , l e smasses par des bits,les dynamiques de lavieille économie parles comportementsp ro p res aux réseaux.D’après «Les nouvelles lois de

la nouvelle économie»,Kevin Kelly, Wired Magazine,Etats-Unis, septembre 1997.

L’impact d’une image ne se réduit pas lorsque davantage de gens la regardent.

P r e m i è r e m e n t , tout comme le savo i r , les produitsde savoir ont une expansibilité infinie (terme initia-lement dû à Thomas Jefferson). Physiquement,ilsne s’usent pas. L’utilité d’un logiciel informatiquene s’émousse pas quand le nombre de ses utilisat e u rsa u g m e n t e . L’impact d’une image publicitaire nese réduit pas lorsque davantage de gens la regardent.C’est exactement le contraire. Mais ça ne marchep a s , d i s o n s , pour un gâteau au chocolat . Q u a n dquelqu’un le mange, fini le gâteau!

La même notion s’applique à la façon qu’a unproduit de savoir – à la différence d’un bien durabletypique – d’ignorer souverainement la distance géo-gr a p h i q u e . C’est comme s’il se dilatait pour remplirl’ensemble de l’espace disponible. Je peux, àL o n d r e s , utiliser un logiciel d’un serveur installé surun satellite qui tourne autour de la Te rr e , au momentprécis où à Stanford, en Californ i e , q u e l q u ’ u nd’autre fait exactement la même chose avec lemême logiciel. C’est vrai de toute propriété intel-l e c t u e l l e , des bibliothèques, des banques de données.

D e u x i è m e m e n t , comme le savo i r , les produits desavoir relèvent du vedettariat, de la dynamique de

la «superstar». Pour mieux le comprendre,partonsde la roue. R é i nventer la roue est une entreprise quela société ne récompense pas, mais appliquer (l’idéede) la roue en la réalisant à de multiples exe m-plaires est correctement rétri bu é . Lesdits exe m-p l a i r e s , t o u t e f o i s , sont fa b riqués dans des mat é-riaux physiques,concrets,que l’acheteur paie.

Les produits de savo i r , au contraire, r é u n i s s e n tindissociablement l’idée et son application – onn’a besoin d’aucune matière physique pour l’ap-pliquer à de multiples repri s e s. La façon la plusrapide, par exemple, de juger une idée de logicieli n f o rm at i q u e , c’est de regarder ce logiciel fonc-tionner; le seul moyen d’évaluer le contenu d’unebanque de données informatisée,c’est d’accéder àcette banque de données; la seule manière de com-prendre une séquence génétique, c’est de la voire x p rimée dans une forme de vie. B r e f, impossible dedistinguer le produit et l’idée qui le sous-tend.

Dans ces conditions, sur un marché parfa i t ,l e sreproductions d’un produit de savoir ori gi n a ldevraient se vendre au prix zéro. La dynamique dela «supers t a r» traduit cette caractéri s t i q u e , c o m-mune au savoir et aux produits de savoir: «Le pre-mier (ou le gagnant) emporte tout.»

Cette propriété du «prix zéro» ne signifie pas,c e p e n d a n t , que les produits de savoir n’ont aucunevaleur. Si l’eau est essentielle au bien-être de l’hu-manité, son prix dans les sociétés modernes est, àtoutes fins prat i q u e s ,n u l . Mais lier l’eau à quelquechose d’autre – la gazéifie r , l’extraire de sourcesp r e s t i gi e u s e s , l’associer à une image publicitairef o rte – peut être une activité lucrat i ve . De même, l e se n t r e p rises peuvent ajouter de la valeur – et elles le

font – à beaucoup de produits de savoir dans l’éco-nomie de l’immatériel.La valeur que crée la com-pagnie Nike, par exe m p l e , n’est pas la matière pre-mière de ses chaussures mais la culture qui leur esta s s o c i é e . Pour beaucoup de sociétés productrices delogiciels, ce qui rapporte n’est pas le logiciel,c’estla fourniture de services et l’organisation d’unecommunauté d’utilisateurs.

De grands laboratoiresde la propriété intellectuelle

Tr o i s i è m e m e n t , comme le savo i r , les produits desavoir ont une chaîne de production irrémédiable-ment emmêlée et incert a i n e . Ajouter des fa c t e u rs àl’entrée en pensant accroître ainsi le rendement à lasortie peut se révéler désastreux.Faire donner desb ataillons supplémentaires de progr a m m e u rs sur unprojet de logiciel n’est généralement pas un moye nplus rapide, efficace ou fiable de parvenir à un logi-ciel achevé. Le conseil fin a n c i e r , la compositionm u s i c a l e , la conception de l’image-clef d’une cam-pagne publicitaire ne demandent pas beaucoup demains mais peu. La même dynamique est à l’œuvredans la recherche scientifique; beaucoup de cher-cheurs travaillent sur le même problème et font lamême découverte en même temps.

Ce qu’impliquent ces trois propriétés est clair: l e se n t r e p rises doivent changer leur manière de tra-vailler et des politiques publiques judicieuses doive n tprendre acte de ces changements.On pourrait conce-voir les économies entièrement composées de pro-duits de savoir – les économies de l’immat é riel –comme de grands laboratoires fa b riquant de la pro-p riété intellectuelle au sens large. Le problème, c ’ e s tque les systèmes de propriété intellectuelle régi s-sant les brevets et le copyright sont fondés sur desp rincipes et des conceptions qui ne sont plus réalistesdans l’économie de l’immat é ri e l .

La question n’est pas de savoir si un nouve lensemble de lois du marché est apparu . Elle est det r o u ver comment les individus, les Etats et les entre-p rises peuvent s’y adapter. ■

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Les idées, c’est capital L’économie de l’immatériel

Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 21

■La «nouvelle économie» est arrivée! L’ A m é-ri q u e , et donc le monde, sont entrés dans uneère de prospérité et de bien-être social, où la

croissance n’aura plus de limites,où les phases derécession ont toutes les chances de disparaître.Telest le message que relaie une partie de la presseaméricaine depuis deux ans.

«Tous les éléments sont réunis pour que s’ouvre une èrede croissance à long term e, a écrit Business We e k en août1 9 9 8 .Vous n’avez encore rien vu.Nous ne sommes qu’aud é but d’une fo rmidable défe rlante technologi q u e , qui vadoper les bénéfices au cours du prochain siècle.» W i r e d, l emensuel de référence sur la société «branchée», aconsacré une série de numéros à cette «nouvelle éco-n o m i e » . Elle y est présentée comme la fossoye u s edes vieilles règles de l’ère industri e l l e , parce qu’elles’appuie sur une logique totalement différente, c e l l edes réseaux et du cy b e r e s p a c e .

À bas «l ’ o p t i m i s m em i l l é n a r i s t e»Pour Paul Krugman, un économiste américain considéré comme «nobélisable»,la théorie de la «nouvelle économie» n’a aucun sens.Et la doctrine classique tient parfaitement le choc.

Pour les adeptes de ces théori e s , la santé del’économie américaine au cours des dern i è r e sannées (une croissance du PNB de 4% en 1997,quand le chômage est ramené à 4,6% – le quasi-plein emploi – et l’inflation à moins de 2%) n’auraitaucun caractère conjoncturel. Ces bons résultat sseraient les premiers fruits d’une mutation pro-fonde et durable,due à une productivité accrue desentreprises. De tels progrès,insistent-ils,sont toutà fait révolutionnaires. S’ils sont peu repérés, c’estqu’ils échappent aux appareils statistiques clas-siques,conçus pour l’économie de papa.

Les chantres de la «nouvelle économie» se heur-tent cependant à la contestation virulente d’expert sc h e v r o n n é s , Paul Krugman en tête. Cet économistedu Massachusetts Institute of Technology recon-naît volontiers que, «pour la première fois depuis l’in-vention de l’imprimerie,le traitement et la distributionde l’information sont devenus des secteurs dominants.»M a i s ,p r é v i e n t - i l , une hirondelle ne fait pas le pri n-t e m p s : les taux d’inflation très bas et les profits éle-vés récemment enregistrés aux Etats-Unis ne justi-

«La capacité de négociation des travailleurs a étélimitée, ce qui a permis une réduction du chômagesans hausse de salaires. Réelle, cette réussite n’en estpas moins modeste et ne justifie en aucun cas la rhétorique triomphaliste dont on nous abreuve»

fient pas l’«optimisme millénariste» de la presse éco-nomique et de quelques intellectuels. Surtout,cesbons résultats ne sont pas liés outre mesure auxextraordinaires gains de productivité dégagés gr â c eaux technologies de l’information. Pour P. Krug-man comme pour son collègue Robert J. Gordon,de la Northwestern University (près de Chicago),les secteurs de pointe ont systématiquement générédes gains de productivité depuis le début de la révo-lution industri e l l e . Cette loi s’est appliquée aumoment de l’invention de l’électri c i t é , de l’auto-mobile ou de l’avion; elle se vérifie encore avec leboom d’Internet et de l’électronique.

P. Krugman estime donc que les grands agré-g ats de l’économie américaine continuent d’obéir àdes mécanismes classiques.A ses ye u x , même si lesappareils statistiques étaient obsolètes, les chiffresde la productivité n’en seraient pas sous-estiméspour autant.

Les «fondamentaux» se sont améliorés au coursdes dernières années, a-t-il écrit dans la revueForeign Affairs en mai 1998, parce qu’ils ont «béné-ficié de la conjoncture favo rable du cycle économique enc o u rs (...) et sans doute aussi des changements interve-nus sur le marché du travail:la capacité de négociationdes travailleurs a été limitée,ce qui a permis une réduc-tion du chômage sans hausse de salaires. R é e l l e , c e t t eréussite n’en est pas moins modeste et ne justifie en aucuncas la rhétorique triomphaliste dont on nous abreuve.».

Les inconditionnels de la «nouvelle économie»soutiennent enfin que, si les Etats-Unis ont retrouvéune place de leader économique mondial, c’est àleur avance en matière de nouvelles technologi e squ’ils le doive n t . Fa u x , rétorque encore une fois P. K ru g m a n . Les puissances économiques concur-rentes ne sont pas à la traîne parce qu’elles tardentà entrer dans la nouvelle économie mais pourd’autres raisons: le Japon se débat dans ses crises– bancaires notamment – et l’Europe fait face auxcontraintes imposées par la construction de la nou-velle union monétaire. «Notre sentiment actuel dedominer le monde s’appuie sur une énorme exagérat i o ndes conséquences de quelques bonnes années chez nous,et de quelques mauvaises années ailleurs», estime-t-il.Lui qui aime tant les vieilles recettes en rappellel’une des plus éprouvées: ne jamais sous-estimer laconcurrence. Un précepte que même la «nouvelleéconomie» ne contredira pas. ■

Sophie Boukhari

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22 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

Répartition mondiale des ordinateurs connectés à Internet

Nombre d’heures passées quotidiennement devantla télévision (1996)

Répartition géographique du chiffre d’affaires cumulé des50 premières entreprises audiovisuelles mondiales (1996)

Evolution du nombre d’ordinateurs connectés dansle monde à Internet (1991-1997)

L’explosion des secteurs de l’

L’audiovisuelEvolution du chiffre d’affaires cumulé des 50 premièresentreprises audiovisuelles mondiales (1992-1996)

Etats-Unis

Etats-Unis 37%

Europe 35%

Japon 19%

Autres 9%

16

14

12

10

8

6

4

2

0

1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997

Source:Observatoire européen de l’audiovisuel

Source:Rapport mondial sur la communication, UNESCO, 1997

Source:Observatoire européen de l’audiovisuel

Source:Rapport mondial sur la communication, UNESCO, 1997

Source:Matrix Information and Directory Services, janvier 1998

110 860

1 9 9 2

Millions de dollars

122 468

1 9 9 3

134 617

1994

150 824

1995

157 412

1996

Les technologies del’informationRépartition du marché par type de produit (%)

1995 Taux de croissancemoyen (1985-1995)

Ordinateurs personnels et stations de travail 30,5 17,2

Systèmes multi-utilisateurs 13,0 4,0

Equipement de communication de données 4,3 17,0

Logiciels 18,4 16,3

Services 33,7 13,0

Répartition géographique du marché des technologies (%)

1995 Taux de croissancemoyen (1985-1995)

Amérique du Nord 43,5 9,4

Amérique latine 2,0 15,6

Europe de l’Ouest 28,3 15,6

Europe de l’Est,Moyen-Orient,Afrique 2,6 10,6

Autres,Asie et Pacifique 23,7 18,9Source:Rapport sur le développement dans le monde, 1998/99,Banque mondiale

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Evolution du nombre de brevets délivrés

1985 1996

URSS 74 745 Russie 19 678

Etats-Unis 71 661 109 646

Japon 50 100 215 100

Italie 47 924 37 935

France 37 530 49 245

Royaume-Uni 34 480 44 335

Allemagne 33 337 55 444

Canada 18 697 7 145

Suède 13 520 18 983

Suisse 15 440 17 304

Office européen des brevets0 40 069

Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 23

Les idées, c’est capital L’économie de l’immatériel

l’«immatériel»

La propriétéintellectuelleLe copyright dope les exportations américaines

Les industries du copyright sont devenues le premier poste d’exportation desE t a t s - U n i s, selon une dépêche diffusée en mai par Wired, le groupe de presse

spécialisé dans les nouvelles technologies.Après avoir occupé le second rang pendant sept ans, cette industrie, qui croît

d’environ 5% par an,aurait fini par gagner la première place. Elle a rapporté60,18 milliards de dollars à l’exportation en 1997,poursuit Wired, en citant unrapport publié le 7 mai 1998 par l’International Intellectual Property Alliance( I I PA ) . Cette coalition d’associations commerciales pour la propriété intellec-tuelle soulignait que les industries qui vivent du copyright — essentiellement lecinéma,l’édition,les maisons de disques et les logiciels — ont évincé les tradi-tionnels secteurs leaders à l’exportation: l ’ a g r i c u l t u r e, l’aérospatial et l’auto-mobile.

Le rapport de l’IIPA a été publié au moment où les lobbies du copyrightmenaient une offensive pour que les Etats-Unis renforcent leur législation enmatière de propriété intellectuelle. ■

La technologie dans lecommerce mondialEvolution de la répartition des produits, selon leur degréde technologie, dans le commerce mondial (1976-1996)

Produits à hauteintensitétechnologique11%

Produits à hauteintensitétechnologique22%

Produits àintensitétechnologiquemoyenne22%

Produits àintensitétechnologiquemoyenne32%

Produits à faibleintensité

technologique21%

Produits à faibleintensité

technologique18%

Autres1%

Autres4%

Autresmatières

premières34%

Autresmatières

premières13%

Produits à base de ressources naturelles11%

Produits à base de ressourcesnaturelles

11%

1976

1996

N.B.:Les produits à moyenne et forte intensité technologique sont ceux qui demandent de lourdsinvestissements en termes de recherche et développement.

Source:Rapport sur le développement dans le monde, 1998/99,Banque mondialeSource:Organisation mondiale de la propriété intellectuelle

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24 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

■Dans le débat sur les conséquences de la révo-lution de l’inform ation pour les pays en déve-l o p p e m e n t , des opinions diamétralement

opposées se sont expri m é e s. Selon cert a i n s , l e stechnologies de l’information peuvent offrir à cesp ays les moyens de «sauter» des étapes du déve-l o p p e m e n t . D’autres estiment, en reva n c h e , q u el ’ i n f r a s t ructure mondiale de l’inform at i o n , en vo i ede constitution, c o n t ri bue à creuser dava n t a g eencore l’écart économique entre monde en déve-loppement et monde industri a l i s é . La réalité estplus complexe.

L’entrée de nos sociétés dans l’ère de l’infor-m ation a plusieurs conséquences. P r e m i è r e m e n t ,l e sp r o grès technologiques en inform atique et dansles télécommunications devraient continuer à sti -muler la prolifération des réseaux de communica-t i o n , en réduisant leurs coûts de mise en place et enaméliorant la qualité de leurs services.

D e u x i è m e m e n t , dans ce monde de réseaux, l e sentreprises sont toujours plus incitées à se spécia-liser et à s’approvisionner à l’extéri e u r ,n o t a m m e n tà l’étranger. Comme les cycles de production desentreprises raccourcissent et que les interactionsentre producteurs et consommat e u rs se multiplient,il faudra se montrer de plus en plus flexible etréactif.

Tr o i s i è m e m e n t , le commerce électroniquedevrait poursuivre son expansion rapide et contri-buer plus encore à l’intern at i o n a l i s ation des serv i c e s.

Quatrièmement enfin, les flux d’informationssont au cœur même du processus de mondialisat i o n :c’est par la promotion de leur culture et de leurs

L’économie en réseaux peut accro î t re ou réduire l’écarte n t re pays en développement et industrialisés. Les deux scénarios possibles.

* Information for DevelopmentProgramme (InfoDev, programmede financement soutenu par denombreux bailleurs de fonds et par la Banque mondiale), Washington,D.C. Cet article n’engage que sonauteur.

valeurs à l’étranger que pays et entreprises s’affir-ment sur la scène mondiale. Ces grandes évo l u t i o n ssuggèrent que les pays en meilleure position pours’enrichir dans l’économie nouvelle sont ceux quidisposent de trois at o u t s : un accès très large del e u rs firmes et de leurs citoyens aux réseaux dec o m m u n i c at i o n ; une main-d’œuvre et des consom-mateurs instruits;des institutions qui stimulent lacréation et la diffusion du savoir.

Dès lors, les pays en développement semblentnettement désava n t a g é s. Selon la Banque mon-diale, les économies à faibles revenus avaient enm oyenne moins de 2,6 lignes de téléphone pour 100habitants en 1995 et moins de deux ordinateurspour 1 000 habitants. Dans les économies à reve n u sélevés,la «télédensité» était de 54,6% et le taux dep é n é t r ation inform atique de 199 ordinat e u rs pour1 000 habitants. Pour Internet, le déséquilibre estencore plus fort: les 10 premiers pays utilisateurs(tous industrialisés) regroupaient plus de 85% desserveurs existants dans le monde à la fin de 1997.

Une inaptitudeà «se connecter»

D’importants écarts existent également entrep ays industrialisés et en développement pour letaux de scolari s ation et la qualité du système scolaireà tous ses niveaux. Ils renforcent les inégalités derevenus non seulement internationales, mais aussin at i o n a l e s : plus le taux d’analphabétisme desfemmes est supérieur à celui des hommes, plus leniveau de développement économique est bas – etil est bien connu que l’instruction publique profit edavantage aux classes aisées. En termes d’«alpha-b é t i s ation inform at i q u e » , les différences sont encoreplus spectaculaires.

E n f i n , les pays en développement sont mala rmés pour mettre en application des systèmesréglementaires favorables à la compétitivité. Dansla même veine, la culture des «droits de propriétéintellectuelle» qu’il faut protéger et faire respectery est souvent un concept étranger. Même chosepour l’idée d’utiliser des réseaux de communicat i o nafin de promouvoir la transparence et fa c i l i t e rl’accès aux services de l’Etat.

Tous ces fa c t e u rs semblent donc annoncer unem u t ation sociale qui va aggr aver les disparités mon-diales. Les économies en développement seraientcondamnées à prendre encore plus de retard dansla course économique, par leur inaptitude à «seconnecter» et à transformer l’explosion de l’infor-m ation en révolution du savo i r. M a i s , si l’on analyse

Inclusion ou

La loi de l’ab o n d a n c e :dans l’ancienneé c o n o m i e, ce qui estra re est ch e r. Dans lan o u ve l l e, c’est lec o n t ra i re : plus unp roduit est coura n t ,plus sa valeur d’usagea u g m e n t e.D’après «Les nouvelles lois de

la nouvelle économie»,Kevin Kelly, Wired Magazine,Etats-Unis, septembre 1997.

Des enfants cubains s’initientau virtuel dans une garderiede La Havane.

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Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 25

Les idées, c’est capital L’économie de l’immatériel

La Chine met les bouchéesdoubles pour s’insérer dans lesréseaux.

exclusion? Carlos Alberto Primo Braga*

les forces motrices de cette révolution, un tableaudifférent commence à se dessiner.

Les pays en développement peuve n t , p a re xe m p l e , brûler des étapes en investissant dans desréseaux totalement numéri s é s.A rri ver «après» a sesavantages: on n’a pas à gérer l’obsolescence tech-nologique de vastes réseaux téléphoniques tradi-tionnels. En 1996,le pourcentage de lignes numé-risées dans le réseau téléphonique était plus élevédans les pays à faible revenu (94,7%) que dans lespays à haut revenu (85,5%).

Les technologies de l’information et des télé-c o m m u n i c ations peuvent également permettre auxpays en développement de s’attaquer à certains del e u rs handicaps. En développant une infrastru c-ture modern e , ils peuvent réduire leur isolement. I l ssont nombreux à constater qu’une expansion rapidede la téléphonie cellulaire constitue une altern at i veaux services peu efficaces des réseaux télépho-niques traditionnels. Grâce à la technologie sans fil ,les zones rurales sont reliées au reste du monde dansun délai sans rapport avec celui qu’exigeait autre-fois l’extension des anciens réseaux. Au Bangla-d e s h , par exe m p l e , les «femmes sans fil» ont reçu dela Grameen Bank un prêt de 350 dollars chacune

pour leurs frais d’équipement,de connexion et def o rm at i o n . Ainsi équipées, elles rendent aujour-d’hui quantité de services dans les zones ru r a l e s. D ep l u s , les centres d’inform ation municipaux équipésd ’ o r d i n at e u rs peuvent s’adapter aux besoins spéci-fiques des pauvres:en Afrique du Sud,ils permet-tent à chacun d’accéder à Internet et aident àt r o u ver les réponses à des problèmes de santé,d’emploi et de droits de la personne.

Ces pays peuvent d’autre part accélérer leurd é veloppement par l’éducation à distance. La baissedes coûts de ces programmes et l’amélioration deleur qualité sont spectaculaires. Les technologiesi n f o rm atiques servent également à la form at i o ncontinue,tout au long de la vie active.

Un retard d’abord,un rattrapage ensuite

E n fin , l ’ i n f o rm at i s ation améliore le fonctionne-ment de l’Etat , en fa c i l i t a n t , par exe m p l e , les tâchesde gestion, d’audit et de contrôle en matière de fis-c a l i t é .Le Maroc a considérablement accru ses rentréesfiscales en inform atisant son administration desi m p ô t s. Ces pays peuvent aussi inform atiser leurss e rvices en charge des droits de propriété intellectuelle,

+ …w w w. w o r l d b a n k .o rg / i n f o d e v.Union internationale des

télécommunications (UIT),Rapport mondial sur ledéveloppement destélécommunications, Genève, 1998.

Banque mondiale, WorldDevelopment Report: Knowledgefor Development, New York,OxfordUniversity Press, 1998.

World InformationTechnology and ServicesAlliance (WITSA), Digital Planet:The Global Information Economy,Arlington, Virginie, 1998.

M. Yunus, «Allievating PovertyThrough Technology», Science, vol.282,n° 5388,16 octobre 1998,p. 409-410.

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26 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

La loi des re n d e m e n t sc ro i s s a n t s :l are n t abilité d’un pro d u i texplose avec le nombrede ses utilisat e u rs, et ces u rc roît de valeur at t i reà son tour dava n t aged ’ u t i l i s at e u rs qui ena c c roissent encore lare n t ab i l i t é . On entredans un cercl eve r t u e u x .A i n s i ,u n epetite mise initiale peutc o n d u i re à uned o m i n ation irr é s i s t i bl e.D’après «Les nouvelles lois de

la nouvelle économie»,Kevin Kelly, Wired Magazine,Etats-Unis, septembre 1997.

■Comment créer en 14 ans une société pesant18 milliards de dollars? En arri vant sur le mar-ché avec l’idée suiva n t e : c o u rt-circuiter les

intermédiaires chargés de vendre des ordinateursp e rs o n n e l s. C’est ce que Michael Dell a fait en 1984aux Etats-Unis.

Il s’est adressé directement aux consomma-teurs, en leur proposant du sur mesure, à un prixmoindre: plus de marges des revendeurs, plus decoûts et de risques associés à la gestion des stocksde produits fin i s. Cette formule a été baptisée le«modèle direct» de Dell Computer. L’ e n t r e p ri s e ,basée à Round Rock (Te x a s ) , a dive rs i fié sa ligne deproduits au fil des ans. Outre les ordinateurs per-sonnels de bureau, la société propose aujourd’huitoute une gamme de mat é ri e l , des ordinat e u rs por-tables aux serve u rs et autres postes de trava i l .D e l l ,qui emploie 22 000 salariés à trave rs le monde,vend des produits manufacturés qu’il faut assem-bler,transporter,livrer et mettre en marche.

Dell est-elle une entreprise «normale»? Ou s’ins-crit-elle dans la logique de la «nouvelle économie»en créant des richesses par des «échanges intan-gibles de données, d’images et de symboles». E nréalité,elle fait les deux.

Des fournisseursvirtuellement intégrés

L’ e n t r e p rise offre une valeur ajoutée au client enlui donnant plus pour moins cher. Elle gagne dut e m p s , qu’elle consacre à la sat i s faction des besoinsde la clientèle.Les règles fondamentales de l’écono-mie d’entreprise n’ont pas changé. Mais Dell exploiteles instruments de l’économie du savoir – l’info-t e c h n o l o gie – pour accroître les taux de rentabilité etde productivité du vieux monde industri e l .

Le nombre d’activités et de ressources quientrent dans la fa b ri c ation et la vente d’un ordinat e u rest considérable. Avec un petit capital initial de lan-c e m e n t ,Michael Dell n’avait tout simplement pas lesm oyens de créer chacun des maillons de la chaîne. I la donc conçu des systèmes faisant appel à des com-posants fa b riqués par d’autres industri e l s.A chargepour eux d’investir dans leurs propres usines, a i n s ique dans la recherche et le déve l o p p e m e n t . D e l lprospecte et retient les meilleurs fourn i s s e u rs.E n s u i t e , une collaboration si étroite s’instaure ave cles fourn i s s e u rs sélectionnés qu’ils deviennent,comme dit Michael Dell, «v i rtuellement intégr é s» . . .tout en gardant leur indépendance. Chacun se

Le «modèle dire c t»Dell Computer a mis l’information au cœurde ses processus de conception, de fabricationet de distribution. Elle y gagnedu temps… et beaucoup d’argent.

donc les rendre plus aptes à faire respecter ces droits,à des coûts bien inféri e u rs à ceux d’autrefois.

B r e f, c’est une logique d’inclusion et non d’ex-clusion, qui anime l’économie en réseaux. Plus lep r o grès technologique réduit les coûts du traitementi n f o rm atique des données et ceux du téléphone, p l u sles possibilités d’application des technologies del ’ i n f o rm ation au service du développement vo n tse multiplier.

Ces considérations esquissent un scénario opti-miste sur la part i c i p ation des pays en déve l o p p e m e n tà l’«économie du savoir» en gestat i o n . Il ne fa i tguère de doute que,dans les premières phases, lesinégalités de revenus vont augmenter mais le rat-trapage pourrait aussi s’opérer à un rythme bien plussoutenu que par le passé. Au cours de la période1 9 9 2 - 1 9 9 7 , les dépenses consacrées aux technolo-gies de l’inform ation et des communications ont, p a rexemple, augmenté plus vite dans la plupart desr é gions en développement que dans les économiesà haut reve n u . Des pays comme l’Afrique du Sud etle Brésil se vantent déjà d’avoir plus de micro-ordi-nateurs (en termes relatifs) reliés à Internet que laplupart des pays industrialisées.

Déterminisme technologiqueet politique des Etats

On va opposer à ces deux scénarios une mêmec ri t i q u e : leur déterminisme technologi q u e .Po u rt a n t ,si leurs prédictions sont différentes, c’est bien parceque d’autres va riables jouent aussi, en particulier lapolitique des Etats.

Si les pays en développement maintiennent desobstacles réglementaires à l’expansion des réseaux– par exemple en favo ri s a n t ,pour les services de télé-c o m m u n i c at i o n s , des fourn i s s e u rs en position demonopole –, le premier scénario devient le plus pro-b a b l e . Dans ce cas de fig u r e , la dualité du monde vas’accentuer considérablement, non seulement sur latraditionnelle ligne de partage Nord-Sud mais aussien termes d’inégalités économiques au niveau nat i o n a l :au Sud, seule une petite élite d’individus connectésb é n é ficiera d’un accès à l’inform ation mondiale.

En reva n c h e , si l’on s’attaque comme il conv i e n taux entraves réglementaires et si un effort réel estconsenti pour promouvoir l’«alphabétisation infor-m atique» d’une part , et l’accès de tous aux réseauxd’autre part,les occasions de rattrapage vont pro-l i f é r e r. La part i c i p ation des pays en déve l o p p e m e n tà des actions multilatérales – comme les négociat i o n smenées dans le cadre de l’Organisation mondiale ducommerce ou de l’Organisation mondiale de lapropriété intellectuelle – pourra aussi contribuer àla modern i s ation de leurs institutions. A l o rs , l e sb é n é fices de la révolution se diffuseront largement.

L’avenir le plus probable, cependant, se situedans une combinaison des deux scénari o s : un sous-ensemble de pays en développement réussira àconverger plus vite qu’avant avec les économies àr e venu élevé, mais d’autres aggr averont leur retard.C’est pourquoi, à travers des projets-pilotes, desorganismes internationaux aident à grossir le pre-mier groupe. ■

*Cet article est basé sur l’interviewde Michael Dell,réalisée parl’auteur, Joan Magretta,et publiéedans le numéro de mars-avril 1998de The Harvard Business Review.

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Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 27

Les idées, c’est capital L’économie de l’immatériel

de Michael Dell

Les échanges commerciauxde Dell Computer sur Internetdépassent les six millions dedollars par jour.

concentre sur ce qu’il fait de mieux et tous échangentdes inform at i o n s , coordonnent leurs activités,comme dans une entreprise à intégr ation ve rt i c a l e .

L’échange d’inform ation en temps réel est laclé d’une organisation du type «juste à temps»,appelée aussi «flux tendus»: on achète ou produitseulement ce dont on a besoin, quand on en ab e s o i n . Au lieu de leur demander des livraisonsp é ri o d i q u e s , Dell indique aux fourn i s s e u rs lenombre exact de pièces requises,l’heure de livrai-son souhaitée et le numéro du quai de décharge-ment dans ses entrepôts.

Rotation très rapidedes stocks

L’ e n t r e p rise a pour règle d’avoir le moins de par-tenaires possibles et de les garder dans la mesure oùleur technologie et leur qualité sont irr é p r o c h a b l e s.«Ce n’est pas comme dans l’industrie automobile,c o n s t ate Michael Dell,où dès que vous avez trouvé unbon fo u rnisseur de pneus,vous le gardez à vie.» Dans cetype d’organisat i o n , Dell Computer conserve toutel atitude pour suivre l’évolution du marché.

Le part e n a ri at n’est pas une nouveauté dansl’économie du savo i r , pas plus que la production«juste à temps». Mais les technologies actuellesincitent les entreprises à collaborer plus et mieux.Elles échangent des méthodes de travail et desbanques de données sur un projet précis, c h o s eimpensable il y a encore cinq ou dix ans. D’où unn o u veau gain de temps très appréciable.

«Dans notre secteur, explique Michael Dell, il fa u tque les gens prennent conscience des ava n t a ges d’une rota-tion des stocks ra p i d e. Le défi consiste à faire en sort e

qu’ils se préoccupent moins du volume de leurs stocks –leur souci rituel – que de la vitesse à laquelle ils tournent.»

Cette rotation est primordiale pour deux rai-s o n s. Dans l’industrie inform at i q u e , le coût descomposants va parfois jusqu’à baisser de 50 % para n . Une entreprise avec deux ou trois mois de stockvendra donc à perte par rapport à celle qui en est à11 jours , comme Dell. D’autre part , sur un marchéoù les nouvelles générations de produits se succè-dent à vive allure, on peut facilement se retrouveravec un stock obsolète ou bien rater des affa i r e sfaute d’avoir en stock les dernières nouveautés.

L’économie du savoir implique une coordina-tion entre entreprises bien plus étroite qu’aupara-va n t . La gestion de la rapidité passe par celle del ’ i n f o rm ation en flux continu, a fin d’améliorer l’or-g a n i s ation de la production et la gestion des stocks.Au fond,l’information remplace les stocks.

Des clientsdevenus complices

Le résultat est là:Dell renouvelle son stock plus de30 fois par an, une cadence époustouflante étantdonné la complexité de sa ligne de produits. M a i spour fa i r e , il faut aussi disposer d’inform ations cré-dibles sur les besoins des consommat e u rs. « N o u ss e rions incapables de gérer un stock à 11 jours, a f f i rm eMichael Dell, si nos clients n’étaient pas,avant tout,n o sp a rt e n a i r e s.» Les relations établies avec les consom-m at e u rs constituent l’un des points-clés de la strat é-gie de Dell et l’un des pivot de son «modèle direct».

Dell Computer vend 70% de sa production à detrès gros clients (publics ou pri v é s ) , qui lui achètentchaque année des PC pour au moins un million ded o l l a rs. Dell leur affecte une équipe sur place, d o n tles membres fonctionnent moins comme des ven-deurs que comme des conseillers. L’équipe parti-cipe à la planific ation des besoins inform atiques duclient et à la configuration de son réseau.C’est parce biais que les directeurs des ventes de Dellobtiennent des informations de première main surles intentions de leurs clients.

Les clients plus modestes achètent directementpar téléphone.Dell compile des données en tempsréel sur ses ve n t e s. Ses commerciaux peuvent doncorienter les clients au téléphone vers les produitsdisponibles, tout en enregistrant des informationssur l’offre et la demande.

En supprimant les interm é d i a i r e s , Dell exploiteainsi les renseignements que lui donne sa clientèlepour faire baisser ses stocks, ses coûts et ses ri s q u e s.Et ces informations passent du fabricant au four-nisseur, ce qui améliore l’efficacité et la souplessedes opérations. En somme,le «modèle direct» per-met à Dell de concevoir des ordinat e u rs répondantà la demande réelle de clients réels.

«Nous sommes tous prêts à aller plus vite poursatisfaire les besoins de la clientèle. Je ne plaisantedonc qu’à moitié quand j’affirme que la seule chosequi serait mieux qu’Internet, ce serait la télépathie»

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28 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

Michael Dell

■Voilà six ans que l’entreprise de service infor-m atique De Chazal Du Mée Consultingb ataille pour se ménager une place de choix au

soleil de l’île Maurice. Pas question pour elle dejouer les petites mains dans son secteur. DCDMConsulting a fait le pari de développer ses propreslogiciels et de les exporter.

Avec une vingtaine d’autres, elle fait figure depionnière parmi les entreprises d’inform atique quiont récemment fleuri sur l’île. La majorité d’entreelles se sont lancées dans la saisie de données pourde grandes compagnies européennes. Selon leN ational Computer Board (NCB), une agenceg o u ve rnementale de promotion des nouvelles tech-n o l o gi e s , une cinquantaine d’entreprises se consa-crent aussi à la vente d’équipements.

DCMC Consulting a été créée en 1992, à un

moment où le secteur informatique commençait àprendre son essor. «L’entreprise est totalement privéeet n’a reçu aucune aide financière de l’Etat .Mais nousavons largement bénéficié de l’environnement qu’il a créépour encoura ger les nouvelles technologi e s» ,e x p l i q u e n tYolaine Yong et Pratik Ghosh,qui gèrent la sociétésous l’autorité d’un directeur général singapou-rien,Seow Liang Perng.

Experts étrangerset mesures incitatives

Dès 1989, date de création du NCB, le gou-vernement s’est attelé à promouvoir l’informatisa-tion des entreprises de l’île. Il a fait appel à dese x p e rts étrangers ,s i n g a p o u riens pour la plupart ,e ta adopté des mesures incitat i ve s : prêts à taux boni-fié s ,e xemptions de droits de douane sur le mat é ri e lpour les sociétés désireuses de s’équiper. P l u sr é c e m m e n t , un «parc inform atique» a été créé au sudde Po rt - L o u i s , la capitale. Les entreprises qui s’y ins-tallent bénéficient d’exemptions fiscales et de tari f spréférentiels pour l’utilisation de télécommunica-tions perform a n t e s. L’an dern i e r , le pays s’est dotéd’une loi sur le copyright et d’un ministère des

Boom informatique à M a u r i c eDécideurs audacieux, main-d’œuvre qualifiée, choix de la mondialisation: l’îleMaurice ne manque pas d’atouts pour intégrer l’économiede l’information. Portrait d’une entreprise pionnière.

Une petite île peut avoir de grandes ambitions. M a u r i c ene cache pas les siennes:devenir le champion des services informatiques de l’océan Indien

Dell combine aussi la technologie et l’inform a-tion pour abattre les frontières traditionnelles entrel ’ e n t r e p rise et ses clients. Elle leur offre un accès aumême programme d’assistance technique interne enligne que celui qu’elle utilise pour ses propreséquipes techniques. Ce service mis à la dispositiondes utilisat e u rs permet de gagner du temps et de l’ar-gent de part et d’autre.

Les cycles de vie raccourcisdes produits

Dell a conçu un système analogue pour ve n d r eses produits. Elle a créé des sites Intranet sur mesurepour 400 de ses plus gros clients à trave rs le monde,qui ont accès direct à une sorte de catalogue de toutesles config u r ations possibles et de toutes les donnéest e c h n i q u e s.L e u rs employés peuvent ainsi s’inform e rdes prix et commander le PC qui leur conv i e n t .Q u a n tà Dell Computer et au client, ils suppriment la pape-rasse et les opérations commerciales, qui relèvent entemps normal de la procédure d’achat .

Dell a aussi créé un certain nombre de forumsd’échange d’inform ations avec la clientèle. Les «P l a-tinum Councils» , par exe m p l e , réunissent les plusgros clients de Dell à l’échelon régional – en Asie,dans le Pacifique, au Japon, aux Etats-Unis et enE u r o p e . Ces réunions donnent l’occasion aux

i n g é n i e u rs en chef de chez Dell de faire le point surl’orientation de la technologie dans les deux ans àvenir et de sonder les clients sur leurs besoinsf u t u rs. En aidant ces dern i e rs à anticiper, Dell peutc o n c e voir de nouveaux produits et prévoir lademande.

Pour Dell, la plupart des enjeux au niveau de lagestion dépendent de l’accélération de la cadence àchaque phase du processus. Les cycles de vie desproduits se mesurent en mois et non plus ena n n é e s ; les entreprises doivent réagir vite pour res-ter dans la course. Dans un monde où les besoinsde la clientèle et les technologies sont en rapidem u t at i o n , les industriels doivent percevoir les chan-gements,traiter au plus vite les informations nou-velles et prendre des décisions en temps réel.

Dans ce contexte, les échanges commerciaux surI n t e rn e t , inaugurés en 1996 chez Dell, sont le pro-longement logique du «modèle direct».Au bout d’una n , leur chiffre d’affaires atteignait deux millions ded o l l a rs par jour et a largement dépassé les six millionsde dollars par jour en 1998. Et Michael Dell dec o n c l u r e : «Nous sommes tous prêts à aller plus vite pours at i s faire les besoins de la c l i e n t è l e. Je ne plaisante doncqu’à moitié quand j’affirme que la seule chose qui sera i tmieux qu’Intern e t , ce serait la télépat h i e. » ■

Joan Magretta

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Les idées, c’est capital L’économie de l’immatériel

La loi de l’inve rs i o n :dans l’économiecl a s s i q u e, u n ea m é l i o ration de laqualité entraîne unehausse du pri x .A u j o u rd ’ h u i , la qualitédes produits s’améliorechaque année et ilscoûtent chaque annéemoins ch e r.D’après «Les nouvelles lois de

la nouvelle économie»,Kevin Kelly, Wired Magazine,Etats-Unis, septembre 1997.

t é l é c o m m u n i c ations et des technologies de l’infor-m at i o n .P l u s i e u rs collèges de l’île ont introduit l’in-formatique dans leurs programmes scolaires. Enj u i n , le gouve rnement a annoncé son projet decréer le Mauritius Institute of Technologies pourf o rmer des spécialistes de haute vo l é e . Une petite îlepeut avoir de grandes ambitions. M a u rice ne cachepas les siennes: devenir le champion des servicesinformatiques de l’océan Indien, le «tigre numé-rique» de la région.

Mais au début des années 90,pour les sociétéslocales inexpéri m e n t é e s ,passer à l’ordinateur n’étaitpas si simple. Il fallait savoir quoi acheter et com-ment l’entretenir. Une demande de services étaitnée. Pour y répondre,le bureau d’expertise comp-table De Chazal Du Mée, p a rtenaire du gr a n dcabinet de consultants intern ational A n d e rs e nWorldwide, a fondé la filiale DCDM Consulting,dont l’ambition se limitait à conseiller les grossese n t r e p ri s e s , établissements sucri e rs et usines textilesen tête. La demande de logiciels est apparue dansla foulée.A u j o u r d ’ h u i ,Yolaine Yong et Pratik Ghoshse targuent de quelques belles réussites: un progi-ciel de comptabilité utilisé par une quarantained ’ e n t r e p ri s e s , des systèmes inform atiques destinésaux compagnies d’assurance, aux banques et à lacompagnie aérienne nationale, ou encore, un sys-tème intégré de gestion pour les établissementssucriers.

La «caste» etle «bogue»

Tous diplômés de l’université,les quelque 160salariés de DCDM Consulting – informaticiens,i n g é n i e u rs ,s t at i s t i c i e n s ,é c o n o m i s t e s ,e x p e rt s - c o m p-tables – ont été formés à Maurice ou en Europe. I l ssont généralement recrutés au bas de l’échelle, entant qu’analystes, à 8 000 roupies par mois (env i r o n320 dollars ) . Ils peuvent ensuite passer, selon leursp e r f o rm a n c e s , dans la «caste» supérieure des consul-tants, qu’ils accompagnent en attendant chez lesc l i e n t s. En plus de cette form ation perm a n e n t e ,i l ssuivent des stages d’initiation aux dernières inno-vations technologiques.

Mais il y a un «bogue»: la concurrence est ru d e .A Maurice,des structures plus petites, ayant doncmoins de frais de gestion, affichent des tarifs plusa l l é c h a n t s. Et au-delà des mers , en Inde parexemple, les concurrents bénéficient d’une main-d’œuvre encore meilleur marché.

Fo rte de son part e n a ri at avec A n d e rs e n ,D C D Ma bien l’intention de développer ses activités àl’étranger. Elle assure déjà la maintenance du parci n f o rm atique de l’administration du Botswa n a .E l l ea conçu pour la Banque mondiale un logiciel intégr éde gestion de projets de développement utilisé auK e nya , en Tanzanie et en Ouganda. «L’ A f rique repré-sente un marché potentiel considéra b l e» ,a f f i rme Yo l a i n eYo n g .R é c e m m e n t , DCDM a inauguré des antennesà Madagascar, au Kenya , en Ta n z a n i e , au Malawi eten Ouganda. Pendant ce temps,Microsoft ouvraitun bureau régional à Port-Louis... ■

Jean-Marc Poché,à Port-Louis

Le Sri Lankadoit jouer s e r r é

Le secteur du traitement des donnéesest en pleine croissance. Mais il est à la mercides donneurs d’ordre.

■«Il y a 10 ans, seule une poignée de sociétés osaits’aventurer sur le terrain des technologies de l’in-fo rm ation et du traitement des données au Sri

L a n k a . A u j o u r d ’ h u i , cette branche connaît un essorr e m a r q u a b l e.» Suresh Dominic, directeur généralde John Keels Computer Services (JKCS), est bienplacé pour faire ce constat. Basée à Colombo, lac a p i t a l e , son entreprise est la filiale d’une anciennecompagnie de thé. Fondée en 1987 avec quelque 85 000 dollars , JKCS devrait dégager un chiffre d’af-faires de 3,7 millions de dollars en 1998. En 10 ans,elle a réussi à capter un important volume d’affa i r e sdans le secteur du traitement des données. Ce tra-vail consiste essentiellement à véri fie r , valider etanalyser (en développant les logiciels adaptés auxbesoins) des séries d’inform ations et de stat i s t i q u e sproduites par des entreprises comme P&0 Ned-loyd,DHL et Mentor Computers.

En délocalisant le traitement de leurs donnéesve rs le Sri Lanka, par exe m p l e , ces multinat i o n a l e sréalisent des économies de 70% à 75%. Côté sril a n k a i s , les professionnels s’estiment égalementg a g n a n t s.Dans un pays en guerre civile où les inve s-t i s s e u rs étrangers ne se bousculent pas, t o u t eopportunité d’affaire est bienvenue.

Concurrence del’Inde et des Philippines

Et tant pis si la marge de négociation avec lesclients est inexistante, se résigne SomasundaramD h a rm ava s a n , directeur général de KingslakeE n gi n e e ring Systems Pri vate Ltd. Son entrepri s e

Un handicap majeur:le manque de spécialistes.

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30 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

La loi de la généro s i t é :une fois qu’un pro d u i test consacré, il dev i e n tgratuit ou pre s q u e. S are n t abilité repose alorssur les services ave clesquels il est ve n d u .D’après «Les nouvelles lois de

la nouvelle économie»,Kevin Kelly, Wired Magazine,Etats-Unis, septembre 1997.

■A deux pas du mausolée d’Ho Chi Minh, u nbâtiment administratif comme tant d’autres, àl’entrée vieillotte et au hall délabré: c’est le siège

du Comité directeur pour le programme national dest e c h n o l o gies de l’inform at i o n .Changement de décorà l’étage: de jeunes inform aticiens – la plupart n’ontpas 30 ans – s’activent derrière des PC dernier cri .

C’est ici,au cœur du «quartier des ambassades» deH a n o i , que les Vietnamiens concoctent leur strat é gi een matière d’industrie inform at i q u e . Ils tentent, p a re xe m p l e , d ’ i nventer une «solution vietnamienne» aubogue de l’an 2000.C’est dans ces locaux que se joueen partie l’avenir d’un secteur que le pays a choisid ’ i n t é grer «par le haut», en se lançant dans des activi-tés à forte valeur ajoutée. Pas question de se conten-ter d’usines de saisie. M a l gré les travaux d’approchede quelques inve s t i s s e u rs étrangers , ces saisies, a c t i-vités «bas de gamme», restent en général margi n a l e s.

Au moment où l’ouve rture économique procla-mée en 1986 commençait à devenir réalité, le gou-ve rnement communiste a adopté,en 1993,un ambi-tieux «Master Plan» pour le développement de cest e c h n o l o gi e s.Réellement lancé il y a trois ans, il courtjusqu’à l’an 2000.Ce document annonce la couleur:«La pri o rité sera donnée au développement d’une indus-t rie du softwa r e.» Pour Nguyen Kim A n h ,d i r e c t rice duCentre de form ation et de recherche du progr a m m en at i o n a l , le développement de logiciels est la seulevoie possible pour un pays aussi pauvre que le V i e t-n a m , où le PNB par habitant plafonne à 300 dollars :«Ni l’Etat , ni les entrepri s e s, ni les unive rsités n’ont lesm oyens d’investir sérieusement dans des travaux sur leh a r d wa r e» , reconnaît cette chercheuse.

Etudiants«bidouilleurs»

Le «Master Plan» couvre tous les secteurs d’acti-v i t é s : l ’ a d m i n i s t r at i o n , la banque et la fin a n c e , l adéfense et la sécurité et enfin ,l ’ i n d u s t rie proprementd i t e . L’ E t at s’engage à mettre en place des mesures«d ’ e n c o u ra gement et d’assistance» pour les entrepri s e spubliques et pri v é e s. «J u s q u ’ i c i , il fallait avant toutcréer un environnement favo rable aux technologies del ’ i n fo rm at i o n , explique Nguyen Kim A n h . A u j o u r-d ’ h u i ,l ’ i n fo rm at i s ation des administrations et des labo-ratoires unive rsitaires est bien ava n c é e.Pour le reste,n o u sn ’ avons encore que des études de fa i s a b i l i t é .»

Le pays compte d’abord sur sa matière gri s e :en Asie du Sud-Est, les Vietnamiens sont réputéspour leurs compétences en mat h é m atiques et en

Le Vietnam«par le haut»Le gouvernement a adopté un ambitieux plande développement des technologies del ’ i n f o r m a t i o n . Mais l’intendance peine à suivre.

t r availle pour 300 sociétés locales et 20 multina-tionales mais n’a aucun contact direct avec ces der-nières. Souvent, les conditions du marché sont eneffet fixées par des agences spécialisées basées enO c c i d e n t , qui tirent de substantiels bénéfices deleur rôle d’interm é d i a i r e . La société londonienneTechno Software enregistre par exemple lesdemandes de British Gas, Shell et British Pe t r o-leum et se charge de les sous-traiter à l’étranger.«Nous avons toujours été dépendants de ces interm é-d i a i r e s, r a p p o rte S. D h a rm ava s a n . Mais nous cher-chons à négocier directement avec nos clients de manièreà accroître nos bénéfic e s.» Il sait que c’est la seulemanière d’y parve n i r. «La concurrence est si rude que si nous augmentions nos pri x , les commandess e raient immédiatement réorientées ve rs l’Inde ou lesP h i l i p p i n e s. »

Des avantages comparatifscertains

Aujourd’hui,le Sri Lanka compte 60 petites etmoyennes entreprises qui se consacrent au traite-ment informatique des données. Leur chiffre d’af-faires atteindra les 25 millions de dollars en 1998.Elles ne sont plus entravées par les problèmes detransmission de leur travail (via Internet) depuisque l’Etat a investi dans la modernisation des télé-c o m m u n i c at i o n s. Elles bénéficent en outre d’ava n-tages comparatifs cert a i n s : des frais générauxr é d u i t s , des exemptions de droits de douane sur lesimportations d’ordinateurs et de logiciels et, sur-t o u t , une main-d’œuvre bon marché. Les inform a-ticiens du secteur touchent en moyenne 600 dollarspar mois, contre 3 500 dollars dans les pays déve-loppés.

Mais la croissance de cette industrie pourr a i têtre bien plus rapide sans la relat i ve pénurie de pro-fessionnels.

Ce déficit de main-d’œuvre qualifiée constituele handicap majeur du pays par rapport à l’Inde. «S u rce plan,notre voisin a 10 ans d’avance sur nous» ,e s t i m eD h a n a n j ava Chandrasekera, cadre supérieur chezJ K C S . «Notre entreprise emploie 95 info rm at i c i e n s,ajoute S. D o m i n i c. Il nous en fa u d rait 50 de plus, e ttout de suite.Mais on en trouve difficilement.» Les uni-ve rsités forment chaque année environ 200 infor-m aticiens quand l’industrie en réclame plus de 1 000. Du coup, les entreprises se tournent ve rs lesdiplômés d’instituts pri v é s ,qui se sont multipliés auc o u rs des dernières années. Pour s’assurer de leursc o m p é t e n c e s , JKCS a passé un accord avec un gr a n dcentre indien de form ation en inform at i q u e : le trèsréputé National Institute of Inform ation Te c h n o l o g y(NIIT) a récemment ouve rt des établissements àColombo et à Kandy (dans le Sud de l’île).

L’ i n f o rm atique est le seul débouché qui per-mette à un jeune de commencer sa carrière à 600d o l l a rs par mois et de doubler, voire tripler sonsalaire en quelques années, explique S. Dominic.«Les jeunes Sri Lankais sont donc de plus en plus nom-breux à se tourner vers l’ordinateur, ce qui augure plu-tôt bien de l’avenir.» ■

K.J.M.Varma,à Colombo

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Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 31

Les idées, c’est capital L’économie de l’immatériel

i n f o rm at i q u e . «Nos étudiants ont des aptitudes cer-t a i n e s, estime Michel Mouyssinat , directeur del’Institut de la francophonie pour l’inform at i q u e( I F I ) , mais il sont plus “ b i d o u i l l e u rs ” qu’à l’aise surdes architectures complexe s, qui nécessitent un trava i len équipe.» Nguyen Kim Anh confirm e : «N o u savons d’assez bons déve l o p p e u rs, nous sommes moinsbien outillés en concepteurs de systèmes complexe s.»C’est pourquoi les pouvo i rs publics battent lerappel des inform aticiens vietnamiens expat ri é sen Occident. Ils redoublent aussi d’efforts pourp e rmettre aux chercheurs de se former à l’étran-ger ou sur place grâce à des cursus spécialisés àl ’ U n i ve rsité nat i o n a l e , à l’Unive rsité de Ho ChiMinh Ville et à l’Ecole polytechnique de Hanoi.

Autre atout du V i e t n a m : le faible coût d’unemain-d’œuvre plutôt qualifié e . «Un déve l o p p e u rdébutant est recruté à 250 dollars par mois», rapporteM . M o u y s s i n at . Mais le marché pousse les bons

La «tour» d’exposition des centres de vente reflètel’architecture des villesd’aujourd’hui.

■Regardez les messages publicitaires de n’im-p o rte quel constructeur de vo i t u r e s : l’auto qu’ilveut vous vendre saute aux ye u x . Elle est pré-

sentée sous tous les angles mais toujours de façon àexciter les convoitises qu’on vous prête: rutilante sivous aimez éblouir, sûre si vous roulez en père pei-n a r d , grande pour les familles nombreuses, s o b r epour les conducteurs à la fibre écolo, ru gissante pourles fous du vo l a n t . . . Le vecteur de la communica-t i o n , donc le moteur de l’achat , c’est le produit.

Les publicitaires de la smart – toujours avec un «s»m i n u s c u l e ,et c’est délibéré – font le contraire.La cou-ve rture de leur catalogue est absolument vide,h o rm i sune courte phrase en plein centre, dans une typogr a-phie minimaliste: «Réduite au max» .L o gique pour un«c o n fig u rateur automobile» – il refuse la qualific ation de« c o n s t ructeur» – qui met sur le marché, d e p u i squelques semaines, une voiture de deux mètres cin-quante de long,pare-chocs compri s.Mais le site Inter-net est un peu plus explicite, ave c, sur la page d’ac-c u e i l , deux phrases sous deux grands P majuscules:«Un produit avec une philosophie» et «Une philosophieavec un produit» . «Deux tiers de produit et un tiers de phi-l o s o p h i e» , précise Hans Jürg Schär,directeur des ve n t e set du marketing.

Au départ de ce qui pourrait annoncer une révo-lution dans un secteur symbole du monde industri e l ,un constat, un inventeur et un mastodonte. Lec o n s t at :l o rs des trajets professionnels urbains, le siègedu passager n’est occupé qu’une fois sur cinq et labanquette arrière une fois sur 10. «G é n é r e u s e m e n t» ,

Une philosophie à q u a t re ro u e sMême dans un secteur aussi traditionnel que l’automobile,l’idée de vendre un service (la mobilité), plutôt que le moyen de l’assurer (la voiture), commence à faire son chemin.

éléments ve rs des salaires plus élevés, donc peuc o n c u rrentiels par rapport à d’autres pays en déve-l o p p e m e n t . Comme les entreprises étrangères s’ar-rachent les meilleurs inform at i c i e n s , ils peuvent trèsvite négocier un salaire mensuel de 800 dollars.

Par rapport à la concurrence étrangère, l e se n t r e p rises locales souffrent des restrictions enmatière de lignes à haut débit, imposées pour desraisons à la fois politiques et économiques. D’unepart,l’Etat veille à garder le contrôle des flux d’in-f o rm at i o n . D’autre part , le fournisseur d’accès viet-namien est une entreprise publique en situation dem o n o p o l e .R é s u l t at : «Une ligne de 64 kilobites coûte 3500 dollars par mois, a f f i rme Michel Dauguet, u néditeur multimédia qui dirige la société Pa c i fic Rim.Et même à ce prix,nous n’avons pas accès à tous nosp a rtenaires étra n ge rs, ce qui nuit au bon fo n c t i o n n e-ment d’une activité de réexportation de logiciels.» ■

Philippe Martini,à Hanoi

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32 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

é c ri vent les concepteurs de la smart , ils ont conçuune voiture qui comporte deux places avant et, «a p r è savoir étudié le problème» , ils ont purement et simple-ment supprimé la banquette arri è r e . Du coup, c e t t em i n i - voiture a besoin de deux fois moins d’espacepour se garer. L’ i nventeur est le Suisse Nicolas G.H aye k , le père de la montre Swatch qui a mis tout lesecteur de l’horlogerie sens dessus dessous. Il aa p p o rté «ses idées et sa vo l o n t é» sans lesquelles le projetserait resté dans les cart o n s , selon Hans Jürg Schär.Rien d’étonnant à ce que la smart ressemble tant à unj o u e t , une boule ludique, colorée et transform a b l e :son propriétaire peut, par exe m p l e , à tout momentchanger la couleur des panneaux qui habillent sac o q u e - c h a s s i s. Et c’est Hayek qui,en mettant dans lacorbeille son «u n i ve rs émotionnel» , a convaincu le mas-todonte Mercedes de créer en part e n a ri at la nouve l l ee n t r e p rise MCC,Micro Compact Car.

Utilisation partagéed’un véhicule

L’alliance de l’inventivité et d’un savoir-fairereconnu aurait pu déboucher sur un produit ori gi n a let techniquement éprouvé. MCC prétend ve n d r ebeaucoup plus: cette «p h i l o s o p h i e» , déclinée sous laf o rme d’un serv i c e ,celui de la «mobilité pers o n n a l i s é e» .C e rt e s , l’acheteur acquiert un engin à quatre roues.C e rt e s , le prix d’achat inclut un ensemble de presta-tions – garanties,m a i n t e n a n c e ,d é p a n n a g e ,a s s u r a n c e ,facilité de paiement, e t c. – mais les autres constru c-t e u rs font de même. La nouve a u t é , c’est que le pro-p riétaire d’une smart se voit aussi offrir un accès àtout un ensemble de moyens de transports publics et

Brésil: le tiers état■

Pour que la smart reste d’un prix comparable àcelui de ses concurrentes malgré ses perfection-nements technologi q u e s , ses «config u r at e u rs »

o n t , entre autres, m o d i fié le processus classique deconception et de fa b ri c at i o n .Les sous-traitants,a u t r e-fois confinés au rôle d’exécutants de petites piècesconçues par le donneur d’ordre, sont devenus desp a rtenaires dans l’élaboration et la production duv é h i c u l e ,au point que les plus importants d’entre euxfa b riquent des ensembles d’éléments sur le site mêmede l’usine d’assemblage.

Cette osmose est exceptionnelle car en géné-ral,dans ce secteur,la division des tâches et la hié-rarchie qu’elle induit persistent même si elles s’at-t é n u e n t . Au Brésil par exe m p l e , qui produira trois millions de véhicules par an en 2003 au prixd’un investissement de 20 milliards de dollars, lesgrands constru c t e u rs intern ationaux présents sur cemarché se contentent d’assembler localement desvoitures dont les éléments viennent de sous-trai-t a n t s. Mais leurs activités se situent à deux nive a u xs u c c e s s i f s , selon qu’elles portent sur les pièces déta-chées ou sur les composants de ces pièces.

privés. Ils viendront compléter l’usage limité auxdéplacements courts et à un ou deux que permet savo i t u r e : le train, l ’ avion et des véhicules pour rouleroccasionnellement loin et nombreux.

Le concept ne devait pas s’arrêter là: H ayek rêva i td’une voiture encore moins chère (elle coûte autourde 10 000 dollars ) , encore moins polluante, e n c o r eplus novat ri c e , dans sa motori s ation par exe m p l e .I le n t r e voyait surtout un mode d’utilisation encore plusr é volutionnaire puisqu’il voulait lancer une sorte desystème de copropri é t é , voire d’utilisation part a g é edu véhicule: l’acquéreur n’en aurait disposé que pourles très courtes périodes où il en a effective m e n tb e s o i n . Il s’agissait de demander au futur client, d i x i tla publicité, de «renoncer à ses habitudes» , qui pèsentencore si lourd. Il aurait mis une croix sur la pro-p riété d’une vo i t u r e ,m a l gré toute la charge socialedont elle est inve s t i e , pour n’acquérir qu’un serv i c e .M e r c e d e s , le mastodonte, n’a pas voulu suivrejusque-là Haye k ,l ’ i nve n t e u r: leur divorce vient d’êtrep r o n o n c é . ■

René Lefort

Une société comme T RW A u t o m o t i ve (une m u l-t i n ationale améri c a i n e , 360 millions de dollars dechiffre d’affa i r e s , 2 900 salariés répartis sur huit sitesbrésiliens) se situe au premier nive a u . «Nos pièces déta-chées sont élaborées en association avec le fa b ricant auto-m o b i l e, souligne Helder Boccaletti, gérant du marke-t i n g . Nous participons donc au développement du projet,nous dessinons la pièce et nous donnons nos consignes aufo u rnisseur de composants du deuxième nive a u .»

C’est donc en bout de chaîne, et par suite desactivités de conception, q u ’ i n t e rvient une entrepri s ede taille moyenne comme Metalpó, l’une des raresqui aient survécu à l’ouve rture intern ationale du mar-ché brésilien de l’automobile au début des années9 0 . Installée à São Pa u l o, elle compte 200 salari é squi réalisent un chiffre d’affaires de 18 millions ded o l l a rs par an, dont seulement 10% à l’export at i o n .Voilà 15 ans, 70% de sa clientèle était constituée d’as-s e m b l e u rs , 30% de fa b ricants de pièces détachées.A u j o u r d ’ h u i , les pourcentages sont exactement inve r-s é s : le poids des clients-donneurs d’ordre est deve n uplus lourd que celui des clients-part e n a i r e s. ■

Avec Lilian Satomi à São Paulo

Dans le monded ’ abondance qui estcelui de la nouve l l eé c o n o m i e, le seulechose devenue ra re etprécieuse estl ’ attention humaine.D’après «Les nouvelles lois de

la nouvelle économie»,Kevin Kelly, Wired Magazine,Etats-Unis, septembre 1997.

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Les idées, c’est capital L’économie de l’immatériel

■Comment la publicité a-t-elle évoluéface à l’émergence de l’économie del’immatériel?

Au début du siècle, la publicité portait sur les bâti-ments et les machines de l’entrepri s e .Ensuite sont ve n u sles produits.P u i s ,comme ils ont fini par tous se ressembler,ils ne pouvaient plus être au cœur du message.A l o rs ,l e spublicitaires ont commencé,à partir des années 60,à mon-trer des mannequins avec de longues jambes pour ve n d r edes vo i t u r e s.Les longues jambes offrent une valeur ajoutée.On met le produit de côté et on vend du symbole.Le pro-b l è m e ,dans cette première technique,est que le messages’appuie toujours sur les handicaps des consommat e u rs etles culpabilise:si vous n’avez pas ce produit,leur dit-il,vo u s

n’êtes pas dans le coup. En reva n c h e , en achetant deschaussures de telle marque, vous qui n’êtes pas fichu detaper dans un ballon,vous jouerez comme Ronaldo.

La deuxième technique est la répétition.A forcede voir le même spot, pensent les professionnels, l e sgens s’en souviendront. D’où une inflation desdépenses. Mais tous les spots finissent par se res-sembler au point qu’on ne sait même plus quellemarque ils va n t e n t . Qui gagne? Ceux qui ont la plusgrosse artillerie – c’est-à-dire le plus d’argent.Quip aye? Le consommat e u r , puisque les dépensespublicitaires représentent en moyenne 15% du pri xde vente d’un produit. Le monde riche y engouffredes centaines de milliards de dollars par an. Le sys-tème est si malade qu’il n’en a plus pour longtemps.

Pourquoi changerait-il?Parce que les consommateurs sont moins stu-

pides que les publicitaires. Ce système a fonctionnétant que les gens s’intéressaient vraiment aux pro-d u i t s , parce qu’ils avaient besoin de s’équiper. M a i sa u j o u r d ’ h u i , dans les pays ri c h e s , ils possèdent assezde chemises, de pull-over ou de téléviseurs pourtrois vies entières.Du coup, ils consomment moinset mieux: plus de voyage, de culture.Ils sont aussitrès bien informés et beaucoup plus exigeants: ilsachètent avec leur tête. Et celle-ci dit à beaucoup degens, à commencer par les jeunes, qu’ils peuvents ’ i n t é grer en consommant: ils achètent certains pro-duits pour ne pas être rejetés par la société ou parleur communauté. Ils se réfugient dans le rêve ,a l o rsque leur vécu est fait de peurs et de malheurs.

Comment les publicitaires devraient-ils réagir?Il faut être plus créat i f, mais le monde de la

publicité s’en fout: il veut perpétuer le système pourcontinuer à en vivre.La publicité doit expliquer laphilosophie de l’entrepri s e . Si elle y parv i e n t , l ec o n s o m m ateur en déduira que ses produits sontb o n s. Pour capter son at t e n t i o n , la publicité doitd e venir un produit artistique en soi, comme unepièce de théâtre ou un film.Elle n’y est jamais par-venue parce qu’elle n’est conditionnée que par l’ar-gent et les directeurs marketing, des imbéciles quine savent que répéter ce qui a déjà été fait.

Pour avoir du succès, il faut déconnecter le mes-sage du produit, tourner le dos au marketing quiuniformise tout.Moi,je ne fais pas la même choseque les autres: je mets le produit au service desgrands problèmes de l’humanité. J’ai prouvé quec’était rentable. Depuis que je travaille pour Benet-t o n , l ’ e n t r e p rise est devenue dix fois plus impor-tante. Les publicitaires me détestent mais ils sontbien obligés de reconnaître que j’ai gagné. ■

Propos recueillis par Sophie Boukhari

Pub: la voie de l’art

Des messages sur mesureLe Français Christian Blanchasse,producteur de l’émission Culture Pub de la chaîne de télévision

M6 et directeur de l’hebdomadaire CB News Communication, est d’accord: la publicité estconfrontée à l’émergence d’une économie de l’abondance et à un niveau d’exigence plus gra n dde consommateurs mieux informés. Mais il met aussi en avant le passage à une société indivi-d u a l i s t e, allant de pair avec un morcellement de l’audience et une segmentation de plus en plusg rande des médias. «Il y a 20 ans, tout le monde regardait les deux ou trois mêmes chaînes de télé -vision. Il était facile de fédérer l’ensemble de la population autour d’un message. Aujourd’hui, lasociété, les familles sont éclatées.» D’où une prééminence croissante de la technique du marke-ting direct sur les campagnes de masse. «La publicité s’adapte en essayant de mieux comprendreles gens pour leur envoyer des messages sur mesure. De plus en plus de sociétés spécialisées ontpour métier d’enquêter sur les individus et leur personnalité, en recoupant tous les fichiers qu’ilspeuvent se procurer.» Les nouvelles technologies, prédit C. B l a n c h a s s e, vont renforcer cet émiet-tement de la société. H i e r, l’achat était l’affaire du couple ou de la famille. «Sur Internet, c’est l’in -dividu qui choisit et fait le geste d’acheter. On est en train de changer d’univers.» ■

1985

956

27 18731 625

64 528

124 470

193 565

242 731

282 474

330 634

86 92799 468

112 583

131 167

55 388

69 47978 701

92 223

45 735

56 19767 226

5 09815 961

21 67029 815

73 996

1990 1995 1997 Prévision 2000

Total mondial

Amérique du Nord

Europe

Asie/Pacifique

Amérique Latine

Les dépenses publicitaires (en millions de dollars)

Un entretien avec Oliviero Toscani, l’iconoclaste qui fait gagner Benetton.

Page 34: The UNESCO courier; Vol.:51, 12; 1998unesdoc.unesco.org/images/0011/001142/114252F.pdf · Luis Carlos Patraquim* Après les troubles et les guerres,qu’est-ce qui fait courir le

34 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

■La grande mutation de l’économie suscite desi n q u i é t u d e s. Va-t-on ve rs «la fin du trava i l » ,annoncée par l’économiste américain Jeremy

Rifkin? Pour lui et ses part i s a n s , nous sommes arri-vés au bout d’une évolution:on ne crée plus d’em-plois dans l’industrie et l’automat i s ation ne peutque les réduire dans les serv i c e s. La quantité de tra-vail est donc amenée à décroître inexorablement.

Quelle que soit sa populari t é , cette thèse este rronée et pern i c i e u s e . L’histoire montre que l’in-n ovation technologique a toujours créé des emploisà grande échelle. L’ é volution actuelle ne mène nul-lement ve rs la fin du trava i l . Bien au contraire, l an o u velle économie recèle des gisements substantielsd’emplois nouve a u x , qui peuvent plus que compen-ser les inévitables pertes d’emplois traditionnels.

La dynamique de l’immatériel bouleverse tousles aspects du travail: sa nature, son organisation,ses relations avec les autres activités. Son essencen’est plus la fabrication d’objets physiques mais lam a n i p u l ation de données, d’images ou de sym-b o l e s. Le contenu de chaque métier devient plusa b s t r a i t . Un ouvrier qualifié doit connaître bienplus de mat h é m atiques que son père ou son gr a n d -père.Même dans la traite des vaches ou la fabrica-tion de pièces usinées, la part des tâches de mesure,d’évaluation et de contrôle ne cesse de monter.

La montéedu télétravail

De plus en plus désincarné dans son objet, let r avail le devient aussi dans sa conduite. L’unité dut e m p s , de l’espace et de l’action, qui marquait let r avail de l’économie industri e l l e , vole en éclat s. L emonde du travail n’avance plus à la cadence régu-lière de huit heures par jour, cinq jours par semaine.De nouveaux rythmes apparaissent: c e l u i , t r é p i-dant, des marchés financiers en perpétuel mouve-ment;celui,inégal,des métiers du spectacle;celui,s a c c a d é , de la production à flux tendu où lesintrants ne sont livrés que quelques instants avantl’assemblage des produits finaux.

Le nouveau travail quitte les lieux qui lui sontd é d i é s :u s i n e s , bu r e a u x ,d é p ô t s. C’est la montée dut é l é t r ava i l : en l’an 2000, les télétrava i l l e u rs euro-péens pourrait être 10 millions, contre un million en1994.

Cet éclatement temporel et spatial est accom-pagné par une explosion fonctionnelle. L’éventail

L’avènement d’une économie de l’immatériel ne sonne pas le glas du travailmais en change radicalement la nature, les lieux, les rythmes, la sécurité,la hiérarchie… Et, sans formation permanente, les divisions vont s’accentuer.

Du travail, mais tout Charles Goldfinger*

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Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 35

Les idées, c’est capital L’économie de l’immatériel

des métiers et des modes de travail ne cesse des’élargir. Aux États-Unis, le nombre de catégoriesd’emplois est passé de 80 dans les années 40 à prèsde 800 aujourd’hui. En même temps, l ’ o b s o l e s-cence des métiers s’accélère, s u rtout dans l’info-t e c h n o l o gie où de nombreux emplois ont une duréede vie limitée à quelques années seulement. Le tra-vail devient simultanément plus désincarné et plusimmédiat, plus dissocié et plus intégré: d’un côté,l’émiettement dans le temps et dans l’espace appa-raît encore plus poussé qu’il ne l’était dans l’éco-nomie industri e l l e ; de l’autre, l ’ i n f o t e c h n o l o gie ren-force les liens entre les différentes étapes du travailet crée une fluidité d’ensemble.

Des productivitéstrès inégales

Le nouveau travail est non-linéaire: dans lemaniement de l’inform at i o n , du savoir ou de l’émo-tion,il n’y a pas de relation directe entre le niveaud ’ e f f o rt consenti et le résultat fin a l . Il en résulte unegrande dispersion de la productivité.A l o rs que dansle travail industriel, la différence entre un ouvrierp e r f o rmant et un ouvrier médiocre est de l’ordre deun à cinq au maximum,dans le travail immatériel,un excellent programmeur est 100 fois plus pro-ductif qu’un programmeur moyen.

La non-linéarité du travail entraîne celledes structures. La notion de hiérarchie formelle etri gi d e , imposée en fonction de critères immuables,n’a plus beaucoup de sens. Seules comptent désor-mais la compétence technique, s c i e n t i fique ou art i s-tique ainsi que la capacité d’établir une relat i o ndurable avec le client. La hiérarchie fonctionnelleest remplacée par ce que Thomas Stewa rt , un journaliste du mensuel américain Fortune, appelle«le cerve a u - p o u vo i r » , l ’ a u t o rité allant à ceux qui créent et contrôlent le nouveau pat rimoine des actifs intangibles (l’inform at i o n , l’image dem a r q u e , le savo i r - faire technologi q u e , le capitalhumain).

Les nouvelles techniques de gestion des res-sources humaines personnalisent le suivi de la per-f o rm a n c e . Deux personnes pratiquant le mêmemétier peuvent avoir un salaire et un statut diffé-r e n t . Les augmentations automatiques et uniform e ssont abandonnées au profit des primes liées auxr é s u l t at s. Dans la nouvelle entrepri s e , il n’y a plus desinécures, que ce soit pour les travailleurs de base,les cadres ou les techniciens, b é n é ficiaires supposésde la nouvelle économie du savoir. Même les diri-geants ne sont plus à l’abri : le Pdg d’une gr a n d ee n t r e p rise américaine a 10 fois plus de chancesd’être licencié pour une mauvaise perform a n c eaujourd’hui qu’il y a 20 ans. Les notions de loya u t é

et de liens indéfectibles entre l’entreprise et sesemployés se vident de sens.

La nouvelle dynamique du travail suscite unef o rte poussée des emplois que l’on qualifie d’at y-p i q u e s : temps part i e l , t r avail temporaire, h o r a i r e sd é c a l é s ,c o n t r ats à durée déterm i n é e . La quasi-tota-lité des créations d’emplois entre 1992 et 1996 enEurope concernait le temps part i e l . Cette évo l u t i o ninquiète de nombreux observat e u rs pour qui eller e flète un sous-emploi lat e n t , voire un chômaged é g u i s é . Mais leur pessimisme est excessif. La pous-sée des emplois atypiques résulte d’une conve r g e n c ede plusieurs tendances durables. Du côté de l’offrede trava i l , l’essor des emplois atypiques s’inscri tdans les strat é gies d’adaptation à une économie

* Consultant international,auteurde Travail et hors-travail: vers unesociété fluide (Editions Odile Jacob,1998) et de L’utile et le futile –l’économie de l’immatériel (OdileJacob, 1994).

autre L’enjeu: toujoursapprendreBruno Tr e n t i n , ancien secrétaire général de la CGIL

(Confédération générale italienne du travail) et actuelprésident de sa commission du progra m m e, ne cède pas, l u inon plus, à une «culture catastrophiste»:il prévoit égale-ment un accroissement de l’emploi.Mais c’est le qualitatifqui l’inquiète: «Rien ne prouve que la nouvelle vague d’in -novations entraînera en général un travail moins aliénant.»

Certes, le fordisme (une production de masse standar-disée grâce à un monopole technologique),«e s tm o u r a n t» .Par contre, le taylorisme (l’organisation correspondante dutravail), «où tout le savoir est entre les mains du décideur,l’exécutant ne devant ni savoir ni penser, se porte trèsbien».Alors que, par définition,les nouvelles technologiesdemandent initiatives et capacités relationnelles, «le vieuxsystème de direction résiste derrière beaucoup de rhéto -rique, derrière des opérations cosmétiques. Il peut attribuernombre de responsabilités aux exécutants, mais sans leurreconnaître en particulier le droit fondamental à la forma -tion et à la requalification: il devient une question de vie etde mort du contrat de travail. Il y a là un retard énorme... Legrand risque est donc que de nouvelles formes techniquesde division du travail s’instaurent». Elle séparera i t , d ’ u nc ô t é , «ceux qui peuvent accéder aux connaissances et gou -verner les processus du savoir»,et,de l’autre, «les exclus,atomisés, qui subiraient une subordination accentuée dansleurs tâches d’exécution, morcelées, parcellisées, y com -pris dans les activités qui paraissent les plus qualifiées».

«L’intérêt à long terme de l’entreprise est de valoriserle facteur humain» pour qu’elle tire meilleur parti des poten-tialités technologiques. «Mais, à court terme, pourquoiinvestirait-elle sur un salarié qui restera six mois à cause dela flexibilité du travail?» Par conséquent, «pour mener unepolitique de l’emploi qui exige un niveau de culture et deconnaissance toujours renouvelées, il ne faut se fier ni à ladynamique des marchés ni aux réactions vertueuses desentreprises». ■

La loi de la ch u t e :puisque tout pro d u i test condamné àd i s p a ra î t re ra p i d e m e n t ,s ’ at t a cher à défe n d re las t ab i l i t é ,l ap ro d u c t i v i t é , le succès,est contre - p ro d u c t i f.Tout organisme doitre ch e rcher und é s é q u i l i b re auto-e n t re t e n u , accepter dechuter avant dere b o n d i r.D’après «Les nouvelles lois de

la nouvelle économie»,Kevin Kelly, Wired Magazine,Etats-Unis, septembre 1997.

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36 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

Les nouveaux gisementsd’emploisLe déclin des emplois dans les secteurs traditionnels paraît général et irréversible.Dans l’ensemble

des pays industrialisés, la part de l’emploi industriel est passée de 28% en 1970 à 18% en 1994.En revanche, la part des services ne cesse de progresser. Plus précisemment,on peut iden-

tifier quatre grands gisements d’emplois nouveaux.La gestion de l’information et de la connaissance: les services informatiques, l a

recherche et le développement,l’enseignement et la formation emploient 40% des travailleursde la connaissance. Ces activités à haute intensité de savoir ont contribué à hauteur de 43% auxcréations nettes d’emplois aux Etats-Unis entre 1990 et 1995 alors qu’elles ne représentent que28% de l’emploi total.

L’infotechnologie: dans ce domaine, il y a pénurie. A tel point que les associations pro-fessionnelles lancent des cris d’alarme et appellent les pouvoirs publics à la rescousse. Au seinde l’Union européenne, le déséquilibre entre l’offre et la demande atteint 500 000 postes.

La santé: le développement de ces services à forte intensité de savoir est lié à l’allongementde la durée de la vie et au vieillissement de la population, alors que la demande de bien-être phy-sique et psychologique ne cesse de croître. La croissance des dépenses de santé est durable et uni-v e r s e l l e. Pour l’ensemble des pays de l’OCDE, elles sont passées de 3,9% du PIB en 1960 à 7,2%en 1980 et 8,4% en 1992.

La distra c t i o n: elle est à l’origine de la croissance des services culturels, sportifs et de loisir.Très hétérogène, elle comprend aussi bien les parcs de loisirs et les concerts de rock que la cul-ture haut de gamme de l’opéra et des grandes expositions de peinture. Les produits des indus-tries culturelles sont devenus de biens de consommation de masse. Jamais on n’a autant lu, é c o u t éde musique classique, visité de musées. Les infotechnologies vont encore amplifier cette offre. E nCalifornie du Sud ou à New Yo r k , les métiers de la distraction et du multimédia représentent l’unedes principales sources de nouveaux emplois.A Los Angeles, les activités liées au cinéma et à latélévision en ont généré 40 000 entre 1992 et 1997, et Hollywood est devenu le principalemployeur de cette métropole. C. G. ■

g l o b a l e , qui fonctionne sept jours sur sept,24 heuressur 24, et de réponse à la pression concurr e n t i e l l e .Pour y faire fa c e , les entreprises doivent rechercherune utilisation plus efficiente et plus flexible de laforce de trava i l .

La montée des emplois non traditionnels est aussidue à l’évolution de la demande. Les consommat e u rssouhaitent pouvoir acheter instantanément les pro-duits et les services les plus va ri é s , ou se distraire àn ’ i m p o rte quel moment, dans n’importe quel endroit.Pour y répondre, il faut des magasins ou des lieux despectacle ouverts tard la nuit ou le dimanche. Lad é m at é ri a l i s ation renforce cette tendance: l ’ é c o n o-mie virtuelle d’Internet est insomniaque.

L’ouverture de l’éventail des modes de travailr e flète enfin des fa c t e u rs démographiques durables,notamment la plus grande part i c i p ation desfemmes et l’allongement de la durée de la vie. Si,pour cert a i n s , l’emploi atypique représente un maln é c e s s a i r e , pour d’autres, notamment pour cer-taines femmes,il est un choix délibéré.

Entre les modes de travail traditionnels et nou-ve a u x , les barrières ne sont plus étanches: les allers -r e t o u rs sont de plus en plus fréquents. Au cours desa vie, une même personne peut passer du tempscomplet au temps partiel,du bureau au télétravail,de la sécurité d’une grande entreprise à l’aventurede l’entrepreneuri at . Les transform ations du tra-vail entraînent aussi l’effacement des frontièresrigides qui délimitaient son champ. Les domainestraditionnellement distincts du travail,de l’éduca-tion et des loisirs, forment désormais des espacese n t r e l a c é s , et coexistent de manière flexible dansune espèce de triple hélice de la vie sociale.

La mutationet ses freins

L’économie moderne,relationnelle et immaté-rielle,contient un énorme potentiel de croissance,puisqu’elle n’est pas limitée par les contraintes de larareté physique.Toutefois, la transition vers l’éco-nomie de l’immat é riel est un processus ouve rt .L e spouvoirs publics ont un rôle déterminant dans sac o n d u i t e . Ils peuvent retarder la mutat i o n , en larendant plus douloureuse et plus coûteuse. D e ss c é n a rios pessimistes restent plausibles: une éco-nomie qui crée peu d’emplois nouveaux et se pola-rise entre une petite élite et le reste de la populat i o n ,condamnée à la marginalité et à la précari t é . C erisque est d’autant plus grand que le cadre régle-mentaire et législatif actuel, ainsi que les concep-tions largement répandues et pessimistes du tra-vail,constituent des freins puissants à la mutationet à la réalisation des scénarios optimistes. C e u x - c iexigent un bouleversement des structures institu-tionnelles et plus encore un changement profonddes comportements et des mentalités. Or, de telsb o u l e ve rsements sont difficiles et politiquementrisqués. Ils se heurtent à de fortes résistances desc o rps constitués et à la pesanteur psychologique ets o c i a l e . N é a n m o i n s , le pari d’une nouve l l eapproche de l’emploi doit être engagé si l’on veutréussir le défi de la mutation. ■

Partout monte la part des tâches de mesure, de contrôle et d’évaluation.

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Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 37

É T H I Q U E S

Pour certains groupes de femmes, les prostituées sont surtout des victimes;pour d’autre s, elles sont des «travailleuses sexuelles» avec des dro i t s.

■Le «Guide intern ational du sexe » ,vendu 30 dollars aux Etat s - U n i s ,f o u r-nit à ses lecteurs les «bons plans» du

sexe dans le monde entier. On y lit:«Depuisque les Chinois ont déclaré la richesse,c’est lagloire,des femmes sans le sou,sans relations etsans capacités intellectuelles ont exploité le seulatout dont elles disposent pour s’enrichir rapi-d e m e n t . Il leur suffit d’une chambre,d’un lit etd’une lampe rouge pour faire un bordel. C e s

femmes gagnent ainsi beaucoup plus d’argent,à raison de 30 dollars par client, qu’en tra-vaillant à l’usine pour quatre dollars par jour.Telle est la réalité dans presque tous les pay ss o u s - d é ve l o p p é s » . Le même guide pours u i tque chacun doit tirer le meilleur bénéficepossible de cette activité commerciale: «Siune personne préfère utiliser son corps de cettefaçon plutôt que de trimer pour un patron escla-vagiste,et si les hommes veulent bien les payer

plus que des tarifs de misère,pourquoi pas? Sice n’est ni votre corp s, ni votre arge n t , ça nevous regarde pas.Tant que les problèmes écono-miques de la planète et ceux de la surp o p u l at i o nne sont pas résolus, il faut bien que quelqu’unpaye».

Q u e l q u ’ u n , mais qui? Les plus pauvres,les plus vulnérables? L’ i n d u s t rie du sexe ap ris une dimension intern at i o n a l e ; e l l econstitue une source importante de reve n u spour de nombreux pay s , en particulier enA s i e . Le problème est que la prostitutionn’est pas tout à fait légale. Est-ce que sa léga-l i s ation réduirait les inégalités et les abu ssubis par les femmes prostituées? Ou bienaurait-elle pour effet d’anéantir des décen-nies d’efforts en faveur de la promotion desdroits humains et du statut des femmes?

Vifs échangesentre camps

A première vue, il s’agit du énième épi-sode d’un éternel débat .A première vue seu-lement. Car le débat ne porte plus sur lamoralité – la prostitution est-elle un vice, e tles clients sont-ils hommes fautifs? – mais surdes notions éthiques – la prostitution est-elleune forme d’exploitation qui doit être abolieou une activité qu’il faut réglementer?

Ces questions divisent les mouve m e n t sde femmes dans le monde. En gros, deuxcamps s’affrontent. L’un milite pour l’éra-d i c ation de la prostitution: c’est le cas de laCoalition contre le trafic des femmes, parexemple. L’autre camp considère les pros-tituées comme des «travailleuses sexuelles»,à qui il faut donner des droits: c’est la posi-tion de groupes basés surtout aux Pay s - B a s ,aux Etats-Unis et en Angleterre. Entre lesdeux camps, les échanges sont vifs. La Coa-lition affirme que l’autre camp défend lesintérêts des «maquereaux et des trafiquants».Ce dernier répond que les abolitionnistes,e n f e rmées dans la tour d’ivoire du fémi-nisme universitaire, sont coupées du vécuquotidien des femmes prostituées.

P r o s t i t u t i o n :légaliser ou pas?

Aux Pays-Bas, la prostitution est légale pour les Européens.

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38 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

É T H I Q U E S

La ligne de partage repose sur la distinc-tion entre la prostitution «libre», r e ve n d i q u é epar les «travailleuses sexuelles», et la prosti-tution «forcée», qui serait le lot de la majori t édes femmes, selon les abolitionnistes. L e sdeux camps reconnaissent que cette dis-tinction est simpliste, mais pour des raisonsd i f f é r e n t e s. Il est évident que la petite Népa-laise de 12 ans, vendue à un bordel d’Inde oùsévit le sida, n’a jamais été consentante. Pa splus que ne dispose de son libre arbitre lat oxicomane new-yorkaise qui doit remplirson quota de passes pour que son prox é n è t elui donne sa dose de drogue. Mais qu’en est-il de l’Ukrainienne qui, c h ô m e u s e , va tra-vailler en Allemagne comme serveuse et ser e t r o u ve dans un bordel ?

«La distinction entre la prostitution libre etforcée occulte l’impact considérable des conditionssociales et économiques, que sont la pauvreté, l am a r gi n a l i s at i o n ,l’absence de pers p e c t i ves et l’an-t é ri o rité d’abus sexuels», estime Aurora Javat ede Dios, de la branche A s i e - Pa c i fique de laC o a l i t i o n . «La crise économique, les désastresn at u r e l s, les troubles politiques et les conflits ren-dent femmes et enfants plus vulnérables et en fo n t

des proies faciles pour les recru t e u rs du sexe ,e tcela part o u t ,mais surtout dans les pays en déve-l o p p e m e n t », a j o u t e - t - e l l e . A ses ye u x , les loisvisant à distinguer les deux types de prostitu-tion légitimeront implicitement les relat i o n sp at riarcales et serv i r o n t , au mieux,à identifie rles formes extrêmes de coercition, sans tenircompte du facteur pauvreté.

Dans l’autre camp, la frontière entre laprostitution libre et forcée paraît tout aussia l é at o i r e . «Quand les gens ont-ils la liberté dec h o i x , en particulier sur le marché du trava i l ?L’ o u v rier dans une usine chimique à qui sonsalaire permet à peine de survivre? La fe m m eq u i , à cause de son ori gine sociale, ne pourrajamais développer ses compétences? Pourquoi cettequestion du choix ne devrait-elle s’appliquer qu’àla prostitution?»,demande Lin Chew,a n c i e n n ep o rte-parole de la Fo n d ation contre le traficdes femmes, une ONG des Pay s - B a s.

Les deux parties se rejoignent toutefoissur la nécessité de la dépénalisation et del ’ a b r o g ation des lois qui répriment les pros-tituées au nom de la moralité et de l’ordrep u b l i c.A u - d e l à , les points de vue dive r g e n tà nouve a u . Pour les abolitionnistes, l e s

femmes sont des victimes, mais quiconquetire profit de leur exploitation doit êtrec o n d a m n é . Pour les groupes de défense desp r o s t i t u é e s , on n’aidera pas les trava i l l e u s e ssexuelles si on condamne leurs employe u rsà la clandestinité. On peut cependantessayer de garantir un minimum, à savoir,

A Manille, des prostituées vont au-devant des bateaux.

Les lois de la prostitution■ La convention de 1949 des Nat i o n s

unies «pour la répression de la traite desêtres humains et de l’exploitation de la prosti-tution d’autru i» a été rat i fiée par 72 pay s.Elle dit en substance: «La prostitution et lemal qui l’accompagne (...) sont incompat i b l e savec la dignité et la valeur de la pers o n n eh u m a i n e» . Les signataires ont convenu de«punir toute personne qui:

e m b a u c h e ,e n t raîne ou détourne en vue de laprostitution une autre personne,même consen-tante;

exploite la prostitution d’une autre personnemême consentante;

tient,dirige, finance ou contribue à financerune maison de prostitution;

donne un immeuble ou prend sciemment enlocation (...) aux fins de la prostitution d’au-trui.»

Dans les fa i t s , les gouve rnements ontadopté trois grands types de politique:

I n t e r d i c t i o n . Accepter un paiement oumême parfois payer pour l’acte sexuel est illé-gal et répri m é .C’est le cas des Etats du Golfeet de la plupart des Etats des Etat s - U n i s.

P é n a l i s at i o n . Plutôt que la prostitutione l l e - m ê m e , la loi interdit certaines activi-tés liées à la prostitution, comme le raco-l a g e , la publicité, le fait de vivre des reve n u sde la prostitution, de recruter des prosti-tuées ou de les export e r. C’est le cas le pluscourant en Europe de l’Ouest, en Inde,enAsie du Sud-Est,au Canada,en Australie,dans le Pa c i fique et la plupart des pay sd’Amérique latine.

R é g l e m e n t at i o n . La loi prévoit desexceptions pour des activités liées à la pros-titution et soumises à certaines conditions(visites médicales obligatoires notamment).

Quelques exemplesAu Brésil , la prostitution est légale,

mais il est illégal de diriger un bordel, delouer des chambres à des prostituées, d ’ e x-ploiter les enfants ou de vivre des revenusd’une prostituée.

Au Canada , la loi n’interdit pas laprostitution mais pénalise un grand éve n t a i ld’activités comme racoler,vivre des reve n u sde la prostitution,louer des chambres,etc.

Au Danemark , il n’est pas illégal def o u rnir des services sexuels tant que la pros-titution n’est pas la principale source der e venu (auquel cas l’accusation est celle deva g a b o n d a g e ) . Le recrutement est illégal.

La Grèce et la Turquie ont légalisé lap r o s t i t u t i o n . Les femmes doivent s’inscri r eet subir des contrôles médicaux réguliers,jusqu’à deux fois par semaine.

En Inde , m a l gré les nombreuses loiscontre la prostitution, elle est très répan-due,de même que le trafic. Les conditionsde vie des prostituées sont exécrables.

Au Sénégal , il est illégal d’aider et derecruter des prostituées, de vivre de leursrevenus ou de tenir un bordel.Les femmesprostituées doivent être déclarées,avoir unec a rte et subir des examens médicaux. L ap l u p a rt des femmes travaillent aussi dans lesecteur inform e l . La loi n’est prat i q u e m e n tpas appliquée.

En Thaïlande , il est illégal de se pros-tituer ou de vivre de la prostitution mais leslois sont loin d’être appliquées. ■

Source: Prostitution Education Network. (Réseaud’éducation sur la prostitution).

Si la question du choix doit être posée, posons-la auxclients. Pourquoi des hommes choisissent-ils d’acheter lescorps de millions de femmes et d’enfants, d’appeller ça dusexe, et d’en tirer, apparemment, un grand plaisir?

Page 39: The UNESCO courier; Vol.:51, 12; 1998unesdoc.unesco.org/images/0011/001142/114252F.pdf · Luis Carlos Patraquim* Après les troubles et les guerres,qu’est-ce qui fait courir le

Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 39

É T H I Q U E S

que ces travailleuses soient protégées desrisques du métier et traitées correctement.On en arrive alors au rôle de l’Etat.

Sur cette question, les groupes pour lesdroits des prostituées se divisent à leur tour.C e rtains sont pour une dépénalisation com-p l è t e , c’est-à-dire la suppression de touter é g l e m e n t at i o n . D’autres militent pour lal é g a l i s ation de la prostitution, avec descontrôles règlementaires. E xe m p l e s : d e slicences peuvent être accordées, a s s o rt i e sd’une obligation de contrôles sanitaires; l e splans d’urbanisme peuvent prévoir d’im-planter les «éros centres» à l’écart des zonesr é s i d e n t i e l l e s ; les lieux de travail peuvent êtresoumis à une réglementat i o n , p o rtant pare xemple sur l’éclairage, la ve n t i l at i o n , la qua-lité des matelas ou les précautions contrel ’ i n c e n d i e ; il peut être illégal d’obliger unefemme à boire de l’alcool avec un client; d e sconditions spéciales peuvent s’appliquer aucalcul des impôts sur le reve n u ;e n fin , la cou-ve rture sociale peut être garantie.

En théorie,ce type de règles vise à pro-téger les prostituées. Mais certains textesont un effet inve rs e , soulignent plusieursgroupes de travailleuses sexuelles. A pro-pos des maisons closes gérées par l’Etat,le

groupe américain Coyote(en faveur d’unetotale dépénalisation de la prostitution)estime ainsi qu’il n’y a pas «de pire cauche-mar que de devoir travailler comme fonction-naire dans le commerce du sexe,où il existe unlong passif d’abus commis par la police. . .D’autre part , les clients préfèrent certes les bor-dels – un homme arri ve dans un endroit oùtoutes les femmes attendent en rang en d’êtrechoisies – mais pour les femmes c’est une situa-tion extrêmement inconfo rtable et dégra d a n t e.»

Des coursde prostitution…

Quant aux licences accordées aux bor-dels «légaux» ou aux prostituées, qui obli-gent à des contrôles médicaux fréquents,«elles ne ga rantissent en rien la sécurité du clientet de la prostituée»,estime les porte-parole dugroupe Coyo t e .A leurs ye u x , les prostituéesn’ont pas besoin qu’on les oblige à cesc o nt r ô l e s , dans des services publics sous-équipés où elles sont souvent traitées commedu bétail.Elles se soumettront d’elles-mêmesà des visites médicales, en ve rtu des seulesrègles de la libre concurr e n c e . Et Coyo t ed’ajouter crûment:«Un restaurant perd sa répu-t ation si la nourriture n’est pas fraîche et si sesclients tombent malades; les mêmes auto-régula-tions s’appliqueront à la prostitution.»

Pour la Coalition contre le trafic desf e m m e s , le débat sur le rôle de l’Etat camoufleles vrais enjeux. Ce groupe est opposé à l’ap-p e l l ation «travailleuses du sexe» pour les pros-t i t u é e s : il est mépri s ant pour ces dern i è r e s ,a l o rs qu’il légitimise les rôles du prox é n è t e ,d ur a b atteur ou du trafiq u a n t . «Ce que les fe m m e sprostituées subissent dans leur “ e m p l o i ”é q u i va u tà ce qui,dans d’autres contextes,est la défin i t i o ndu harcèlement sexuel et de l’abus sexuel au tra-va i l » , estime Janice Ray m o n d , de la Coali-t i o n . A ses ye u x , ce n’est pas parce que lesprostituées sont payées que l’abus qu’ellessubissent n’existe plus.

J. R aymond signale qu’aux Pay s - B a s , i lexiste des cours payants auxquels peuve n ts ’ i n s c rire des candidates à la prostitution oudes prostituées qui désirent mieux se form e r.On y propose des jeux de rôles dans les barset même des cours sur la fiscalité de la pros-t i t u t i o n . «Quelle personne censée encoura ge ra i tune quelconque adolescente à suivre ces cours ?Pourquoi laisser faire la promotion de ce “ c o m-m e r c e ” , a l o rs que rien n’est fait pour aider lesprostituées à en sort i r ? » , demande J.R ay m o n d .Elle donne cette réponse : « Parce qu’il est plussimple de croire que la prostitution est un choixpour les fe m m e s. . . Si la question du choix doitêtre posée, posons-la aux clients. Pourquoi deshommes choisissent-ils d’acheter les corps de mil-lions de femmes et d’enfa n t s,d’appeller ça du sexe ,et d’en tirer,a p p a r e m m e n t , un grand plaisir?»■

Amy Otchet

Déminer aumoindre risqueLes mines antipersonnel ont déjà tué ou mutilé

plus de 26 000 personnes sur terre. Au Cam-bodge, une personne sur 200 vit amputée d’unmembre à cause de ces mines.

Le 1e r mars 1999 entrera en vigueur le tra i t ésigné par 130 pays et ra t i fié par une quara n t a i n ed’entre eux à ce jour, qui interdit l’utilisation, l es t o c k a g e, la production et le commerce des minesa n t i p e r s o n n e l1. Le texte invite aussi les Etats àdétruire les quelque 100 millions de mines exis-tant au monde. Mais comment le faire au moindrerisque humain?

L’entreprise espagnole GTD a été chargée deconduire un projet de 25 millions de dollars, b a p-tisé A n g e l2 («ange» en anglais et en espagnol) etfinancé par le programme européen Eureka.«N o u sne proposons pas une panacée universelle: lesremèdes magiques n’existent pas en la matière.Cependant, l’intérêt de notre projet est qu’il allieplusieurs technologies», souligne le responsablede GTD,chargé du projet. Il cite notamment la télé-r o b o t i q u e, l ’ o b s e r vation par satellite et les systèmesles plus avancés de mesure électromagnétique.

Selon la méthode expérimentée par GTD, d e szones suspectes sont défin i e s,principalement à par-tir de données recueillies par satellite. E n s u i t e, u npetit hélicoptère télécommandé et doté de senseursspéciaux inspecte la zone, a fin de déterminer lessecteurs qui sont, en toute certitude, dépourvus demines – et donc sûrs pour la population – et ceuxpotentiellement minés. L’étape suivante est réaliséeau sol, au moyen d’un petit véhicule tout terra i n ,capable de localiser chaque mine de façon très pré-c i s e. E n fin , un autre véhicule, manœuvré cette foispar un technicien-démineur, est dépêché pour neu-t raliser ou détruire la mine,à l’intérieur de son engin,à une distance de 50 à 100 mètres de l’explosif.L e sméthodes utilisées aupara vant faisaient courir unénorme risque au démineur, en l’obligeant à tra-vailler très près de la mine.

Le système Angel ne sera pas complètemento p é rationnel avant 2004. Les premiers essais ontété effectués à Tuzla (Bosnie-Herzégovine), d o n tl’université est l’une des 15 institutions associéesau projet, aux côtés des principales entreprisesaérospatiales européennes (comme la fra n ç a i s eM a t ra ou l’allemande Dornier) et du MIT, l ’ I n s t i t u tde technologie du Massachusetts, aux Etats-Unis.■

1. Voir le numéro d’octobre 1998 du Courrier del’UNESCO, page 35.2.Advanced Global System to EliminateAntipersonnel Landmines (système global avancépour l’élimination des mines antipersonnel.

Casse-têteeuropéenDans des pays européens comme l’Allemagne et

les Pays-Bas, la prostitution est légale mais seu-

lement pour les ressortissants des pays de l’Union

e u r o p é e n n e. Cette restriction vise à combattre le tra-

fic des femmes en général mais parfois, elle aggrave

indirectement leur sort.

Selon l’Organisation internationale des migra-

tions, 80% des quelque 10 000 femmes victimes de

trafic en Allemagne viennent des pays d’Europe cen-

t rale ou de l’Est (et non pas d’Asie, comme on pouva i t

le croire).Un certain nombre de ces femmes étaient

certes conscientes de devoir se prostituer en s’expa-

triant mais elles ne s’attendaient pas à vivre dans des

conditions aussi dures. S o u v e n t , on leur confis q u e

leur passeport ainsi que l’argent qui leur permettrait

de rentrer dans leur pays. Elles sont parfois violées,

vendues à des clubs ou à d’autres proxénètes. Et si

elles se rebellent, leur famille dans leur pays d’ori-

gine sont menacées.

Les lois allemandes sont censées les protéger

mais comme elles ne peuvent pas tra vailler légale-

ment, elles sont confinées dans leur statut d’immi-

g rantes illégales, sans aucun droit. En 1997, les auto-

rités allemandes ont interpellé plus de 1 500 femmes

victimes de trafic dont 95% ont été expulsées. ■

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40 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

L’art traditionnel de la marionnette en Inde était menacé de disparition.Il renaît en abordant des thèmes comme le sida et l’alcoolisme. . .

Tr o is p e t i ts t o u r s et re v i e n n e n t Ratnamala Nori*

■C h a l a p athi Rao a appris l’art de lam a rionnette avant même de connaîtrel’alphabet.Au cours des 50 dernières

a n n é e s , il a donné avec sa troupe d’innom-brables spectacles de marionnettes en Indeet à l’étranger, dont 23 représentations enAllemagne et deux à New Yo r k . A u j o u r-d ’ h u i , à 58 ans, cet artiste ori ginaire del ’ E t at d’Andhra Pradesh, dans le sud del ’ I n d e , gagne sa vie non pas en exerçant sonart mais en vendant des abat-jour.

«Du temps de mon père,on donnait jusqu’à15 représentations par mois. Maintenant, onjoue seulement quatre mois par an,dans les vil-lages alentour. Le reste du temps, on survit envendant des objets art i s a n a u x» , explique C.R a o. Il perp é t u a i t , avec des milliers d’autresmarionnettistes, cette grande tradition dusous-continent indien, dont le cinéma et latélévision ont presque eu raison ces der-nières années.

La marionnette est une forme d’expres-sion artistique très populaire, a p p a rue enInde dès le I Ie siècle avant J. - C . , à la faveur del’épopée tamile du S i l a p p a d i k a ra m. En toutt e m p s , elle a été un outil efficace pour fa i r epasser des messages religi e u x , politiques ouà caractère social. Les mari o n n e t t i s t e s ,t o u-j o u rs itinérants, i m p r ovisaient essentielle-ment sur le thème des grands poèmesépiques indiens du R a m aya n a ou du M a h a b-h a rat h a . Les festivités locales, les cérémo-nies religi e u s e s , les mariages et autresréunions sociales fournissaient régulière-ment matière à spectacle. Le style et la pré-s e n t ation des montreurs de mari o n n e t t e sva riaient d’une région à l’autre. L’ a rt de lam a rionnette a étendu sa notoriété au-delàdes mers , et un grand nombre de pays dusud-est asiatique l’ont adapté à leurs cultureset traditions (voir encadré).

Connus sous les noms de thollu bom-m a l at a (la danse des marionnettes en cuir),de b o m m a l at t a m (la danse des poupées)dans le sud de l’Inde, et de k at p u t h l i ( l e s

marionnettes à fils) dans le nord de l’Inde,les objets inanimés du théâtre de marion-nettes captivent leur auditoire dès l’instantoù ils prennent vie sous le récit, sur fondde chants et de musique. Le mari o n n e t t i s t eraconte une histoire, manipule toutes lesfig u ri n e s ,i n t e rprète les pers o n n a g e s , les fa i tparler à tour de rôle et produit des effetssonores en accord avec le mouve m e n t . Po u rêtre un bon mari o n n e t t i s t e , il faut connaîtreparfaitement la poésie, l’histoire, la philo-s o p h i e , la religion et la musique. Il fa u taussi savoir chanter, suivre un accompa-gnement musical, parler plusieurs langues,bénir la représentation et le voisinage encitant les saintes écri t u r e s. A u t r e f o i s , l espectacle commençait après le coucher dusoleil et durait des heures d’affilée, parfoisla nuit entière.

La force de ces représentations résidedans sa qualité interactive .C’est un moyen dec o m m u n i c ation direct avec une approchep e rs o n n a l i s é e . L’ a n i m ateur invente parfois

des histoires, dont le nœud s’enrichit d’unequantité d’intri g u e s ,de romances,de guerr e s ,de magie et de fa r c e s.La communication estfacilitée par l’usage de dialectes et d’histoiresl o c a l e s. Il y a un rapport immédiat et directavec le public auquel s’adresse le mari o n n e t-tiste par le biais de ses pers o n n a g e s.

Paiementen nature

A c t u e l l e m e n t , la mari o n n e t t e , c o n s i d é-rée comme un art mineur, occupe dans lep aysage culturel indien une place bien moinsi m p o rtante que par le passé. Aucune écoleou unive rsité n’enseigne cette discipline. L emétier s’apprend de père en fils ou parcequ’on s’y intéresse. Il n’est donc pas éton-nant de voir décliner les marionnettes parr a p p o rt aux arts classiques de la danse oude la musique. L’ i n d u s t ri a l i s at i o n ,l ’ u r b a n i-s ation et l’avènement des mass médias ontinévitablement porté préjudice aux arts tra-ditionnels et populaires à trave rs le monde.Le cinéma et la danse moderne ont rem-placé les marionnettes dans les fêtes villa-g e o i s e s.En l’espace de 20 ans, le form i d a b l eessor de la télévision par satellite a littérale-ment «scotché» les enfants et les adultesd e vant le petit écran.(De source officielle,o ne s t i m a i t , en 1995, à près de 40 millions lenombre de téléviseurs en Inde, en augmen-t ation de 10% par an).

Dadi Pudumjee, président de l’Unioni n t e rn ationale de la marionnette (UNIMA)en Inde, raconte que les mari o n n e t t i s t e srecevaient jadis,en plus de leur cachet,unpaiement en espèces ou en nature (du riz,des légumes ou des vêtements) ve rsé parles vill a g e o i s. «La coutume ayant disparu ,l e sm a rionnettistes n’arri vaient plus à vivre ave cleur seule rétri bution (5 à 20 dollars par spec-t a c l e ) .Avec l’arrivée des nouveaux moyens de

*Vice-président de l’UNIMA en Inde et directeur du Nori

Art and Puppetry Theatre d’Hyderabad.

Marionnettes traditionnelles à fils (Rajasthan).

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S I G N E S D E S T E M P S

Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 41

puis…

c o m m u n i c at i o n ,il fallait absolument améliorer laqualité et le contenu des spectacles. I n c a p a b l e sd ’ é voluer avec leur temps,bon nombre de mari o n-nettistes traditionnels ont disparu de la scène.»

Quelques formes traditionnelles demarionnettes,transmises de génération engénération, ont néanmoins subsisté. Cha-lapathi Rao, qui dirige la troupe Nimmala-kunta du district d’Ananthpur dansl’Andhra Pradesh,est l’un des rares survi-vants. Il a su adapter une technique et desthèmes actuels à son art . «En 1980,a l o rs que

Un théâtre d’ombres inspiré des poèmes épiques indiens.

Les l a n g u e srégionales s edélient en EuropeUne nouvelle étape vient d’être franchie vers le

respect des identités culturelles et linguis-tiques en Europe. L’ A l l e m a g n e, qui reconnaît sixidiomes minoritaires dans ses frontières (dont led a n o i s, le sorabe et le frison septentrional) a ra t i fié ,en septembre 1998, la «Charte européenne deslangues régionales ou minoritaires», et la Fra n c evient d’annoncer son intention de le faire.

Adoptée en 1992 par le Conseil de l’Europe1,cette charte vise à «protéger et promouvoir leslangues régionales européennes (une quara n t a i n eau total), facettes du patrimoine culturel commun».Elle a été signée,à ce jour,par 18 pays et ra t i fiée parhuit d’entre eux2.

La décision française a réjoui les locuteurs bre-t o n s, b a s q u e s, c a t a l a n s, o c c i t a n s, fla m a n d s, a l s a-c i e n s, c o r s e s, créoles (des départements fra n ç a i sd ’ o u t r e - m e r ) , tahitiens et kanaks (des territoires duPa c i fiq u e ) , soit plus de cinq millions de personnes.La Fra n c e,profondément centralisatrice depuis q u eles idéaux des Jacobins se sont imposés à la Révo-l u t i o n , fait presque figure de dernier bastion del’unilinguisme officiel et exclusif. L’article 2 de saConstitution proclame que «la langue de la Répu -blique est le français», à savoir le patois de l’Ile-de-France autrefois imposé de force à tout le pays, a udétriment des autres langues.

«La guerre est fin i e, a commenté, pour s’enréjouir, le quotidien français Libération. La signa -ture de la charte européenne décrispe des anta -gonismes obsolètes».

Po u r ra-t-on être jugé en France dans unelangue régionale ou exiger des formulaires admi-nistratifs dans son idiome? Rien n’est moins sûr.Les Etats européens qui ra t i fient la charte peu-vent choisir de n’appliquer qu’environ la moitié dela centaine des dispositions qu’elle prévoit. L egouvernement français n’a pas encore annoncéses choix. Seule la Finlande, jusqu’à présent, adécidé d’appliquer la charte dans son intégra l i t é .Autre récalcitrant européen, le Royaume-Uni pour-rait suivre l’exemple de l’Allemagne et de la Fra n c eet décider de donner un statut digne de ce nom augallois et au gaélique, pour les Ecossais et les Irlan-dais du Nord. ■

1.Organisation née en 1949 et visant le renforcement lela démocratie, des droits humains et de l’Etat de droitdans l’espace constitué par ses 40 Etats membres. Sonsiège est à Strasbourg (France).2.Allemagne, Croatie, Finlande, Hongrie, Liechtenstein,Norvège, Pays-Bas et Suisse.

nous étions sur le point de renoncer à ce métier,le gouvernement de l’Andhra Pradesh nous aaccordé une aide financière et nous a conseilléde renouveler notre répertoire, dit C.Rao. Onnous a aussi demandé de sensibiliser le publicaux questions d’actualité comme le planningfamilial ou les campagnes d’alphabétisat i o n ,au lieu de nous en tenir à des thèmes religieuxdépassés.»

En 1977, la Bharat h i ya Nat ya Sangh(Association indienne de la danse) a menéune étude approfondie sur les formes tra-ditionnelles du théâtre de mari o n n e t t e s.

Incapables d’évoluer avec leur temps, bonnombre de marionnettistestraditionnels ont disparu dela scène

Elle a révélé que des milliers d’art i s t e sv i vant dans des régions isolées de l’Inde,étaient désespérés par leur manque dem oye n s. L’ a rt des marionnettes ri s q u a i t ,lui-même, de disparaître. Les intellectuelsse sont joints aux artistes pour réhabilitercet art comme un moyen d’expression etun vecteur d’éducat i o n . Des spécialistes end i ve rses disciplines se sont associés au pro-jet pour donner une nouvelle dimension àce jeu théâtral.

La Sangeet Natak A c a d e my (SNA- A s s o-c i ation pour la musique et la danse), à NewD e l h i , a organisé ces dernières années desf e s t i vals et des conférences dans plusieursr é gions de l’Inde, sur l’art de la mari o n n e t t e .Les échanges de vues entre artistes tradition-nels et non traditionnels ont ainsi contri bué àl ’ a s s i m i l ation des styles et à l’apparition den o u velles tendances. Les ombres se sontajoutées aux masques,au mime et à la dansec l a s s i q u e . Des marionnettistes ont intégr éles arts martiaux et de nouvelles techniquesd ’ é c l a i rage. Certains ont imaginé un spec-tacle musical sans dialogue. «Je préfère avo i run théâtre total où je me sers des comédiens,des masques, du mouvement et des objets pourraconter une histoire»,affirme Dadi Pudum-j e e , directeur du Théâtre Ishara à NewD e l h i . En donnant plus d’importance aum o u ve m e n t , il présente des mari o n n e t t e shautes en couleur, qui allient la grâce dessilhouettes traditionnelles à la vivacité desmarionnettes d’aujourd’hui.

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Des marionnettes et des hommes

S I G N E S D E S T E M P S

42 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

Passion chinoisepour le f o o tJ usqu’à ces dernières années, un match de foot-

ball de première division en Chine attirait péni-blement 35 spectateurs et le montant de la recettetournait autour de six dollars. Les choses ontchangé radicalement depuis la création,en 1994,de la ligue de football professionnel, composéeactuellement de douze équipes, où jouent 48joueurs étrangers.

De semaine en semaine, les stades se remplis-sent et les chaînes de télévision retra n s m e t t e n tmaintenant en direct les compétitions nationales,ainsi que les temps forts des championnats italien,e s p a g n o l , anglais et allemand. Le meilleur joueurde la saison 1997 en Chine est un Paraguayen,Jorge Luis Campos,qui a participé au Mondial 98dans l’équipe de son pays. Et — incroyable maisv rai — la Chine a commencé à exporter des foot-balleurs vers des clubs européens.

Comme au Japon,dont la sélection a participéau premier Mondial de son histoire en 1998 enFrance, la passion chinoise toute récente pour lefootball «est très liée à l’ouverture du pays versl’extérieur», estime Yong Qun Li, correspondantdu Journal de la Jeunesse de Chine à Paris. Lesc o n s i d é rations économiques ne sont pas étra n-gères à ce phénomène. Les clubs les plus en vueont des budgets atteignant cinq millions de dollarset la compétition, qui attire les fonds de nom-breuses entreprises, porte le nom révélateur deMarlboro League. La multinationale du tabac Phi-lip Morris a saisi l’occasion de s’introduire dans unmarché sévèrement réglementé qui, avec ses 350millions de fumeurs, est l’un des plus importantsdu monde.

Il manque cependant à la sélection nationalede nombreuses heures d’entraînement pour aspi-rer à la consécration.Elle y parviendra peut-êtrelors de la première Coupe du Monde qui se dérou-l e ra en terre asiatique et qu’accueilleront conjoin-t e m e n t , en 2002, la Corée du Sud et le Ja p o n .C a r,comme le résumait récemment Casiano del Va l l e,l ’ a vant para g uayen du club Beijing Gouan de lacapitale chinoise: «Il y a de très bons joueurs dansce pays, tant au niveau physique que technique.Mais leur tactique est à améliorer.»

Après le fast-food, le téléphone mobile et leC o c a - C o l a , la Chine est peut-être en train dedécouvrir, à travers le sport,d’autres facettes dumonde occidental. ■

■ On distingue quatre sortes de mari o n-nettes en Inde: la marionnette à gaine,

actionnée à la main, la marionnette à tiges,la marionnette à fils et enfin les ombres.La marionnette à gaine est animée par lamain passée dans la gaine et ses mouve-ments suivent les inflexions de la vo i x .La marionnette à tiges est contrôlée parun manipulateur dissimulé derrière uné c r a n . La marionnette à fils donne plus del atitude à l’animat e u r , placé au-dessus del ’ é c r a n .

Les ombres traditionnelles du sud del’Inde sont des silhouettes découpées dansune peau de chèvre ou de buffle par desartisans chevronnés. L’ombre des poupéesp l at e s , généralement en cuir, est projetée

par une source lumineuse sur un écrantranslucide.

Placé sous la protection des rois et dess e i g n e u rs ,l ’ a rt de la marionnette a dépasséles frontières de l’Inde dès le V Ie siècle aprèsJ. - C . Le théâtre d’ombres indonésien ouwayang kulit est un spectacle de dive rt i s s e-ment qui remplit une fonction rituelle etd i d a c t i q u e , à trave rs des marionnettes styli-sées faites de cuir. Il prend ses argumentsdans les grandes épopées indiennes.A Bali età Java , le wayang kulit s’appuie sur des récitsinspirés de l’hindouisme, du bouddhisme etde l’islam, avec des épisodes du folklorel o c a l . Le théâtre d’ombres thaïlandais ounang ya i a quant à lui sa propre ve rsion desépopées indiennes. ■

Des marionnettistes passionnés font dese x p é riences intéressantes sur la form e , l ac o l o r at i o n , le dessin et le texte.Tous les styleset les techniques de base se reconnaissentdans le travail de ces artistes contemporains,qui ont osé dépasser les limites surannéesde la religion et du langage.

Pour survivre et retrouver un cert a i nr ayo n n e m e n t ,l ’ a rt des marionnettes en Indedoit évoquer davantage de thèmes sociaux eti n n over dans la mise en scène. C e rt a i n sm a rionnettistes d’avant-garde en ont fait unv é ritable outil de communicat i o n .

La santéà un fil

C’est ainsi que le Projet de lutte contre lamisère en Asie du Sud, lancé par le Pro-gramme des Nations unies pour le déve l o p-pement (PN U D) , a financé en 1997 une for-m ation à l’art des marionnettes pour dest r ava i l l e u rs sociaux de l’Andhra Pradesh.Dans le cadre de ce projet,deux stages d’une

semaine se sont déroulés au Centre Nori dela mari o n n e t t e , dans la capitale de l’Etat ,H y d e r a b a d . Une cinquantaine de tra-va i l l e u rs sociaux du sud de l’Inde ont ainsipu s’initier à la technique des mari o n n e t t e spour faire passer des messages à caractèresocial sur l’autonomisation des femmes, l asanté ou encore le planning fa m i l i a l .

Des projets analogues, p a rrainés pard i ve rs organismes dans d’autres régions del’Inde,utilisent les marionnettes pour sen-sibiliser l’opinion publique aux problèmesdu sida ou aux méfaits de l’alcoolisme.

Le théâtre de marionnettes est de nou-veau accueilli avec enthousiasme en villecomme à la campagne.C e rtains ont d’ailleurssuggéré d’en introduire l’enseignement dansles écoles indiennes. Jadis considéré commeun art mori b o n d , la marionnette a entaméune lente renaissance, mais il lui reste un longchemin à parcourir avant de retrouver sagloire d’antan. ■

Avec Ethirajan Anbarasan

De nouvelles marionnettes moins coûteuses, confectionnées dans le cadre d’un programme social.

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Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 43

C O N N E X I O N S

■Les informations abondent. L’Homointernetus est sans doute aujourd’huil’un des spécimens humains les plus

o b s e rvés de la planète. Consultants ete x p e rts en marketing scrutent son profil ,guettent ses désirs , anticipent ses réactions.Ils savent qu’il tient l’avenir de l’économienumérique entre ses mains.

L’espèce des internautes est en train dese ramifier et de muter. A l’âge de pierr edu virtuel, dans les années 70, Internet nec o n c e rnait qu’une minuscule communautétrès homogène de chercheurs spécialisés.P u i s , le réseau a progr e s s i vement touchéun cercle un peu plus large d’unive rs i t a i r e set d’inform at i c i e n s. Durant cet âge dub r o n z e , qui s’est achevé avec la création duWeb1 en 1992, le portrait-robot du netizen

était facile à dresser: un homme d’une tren-taine d’années, b l a n c, très éduqué, a i s é ,anglophone et citadin.

C’est encore largement le cas aujour-d ’ h u i . Le cy b é rien type reste un jeuneadulte anglo-saxon ayant au moins entamédes études de troisième cycle et disposantd’un revenu annuel d’environ 50 000 dol-l a rs. «Mais ce cliché est déjà dépassé, a f f i rme leFrançais Christian Huitéma, qui trava i l l epour Bellcore, l’entreprise de télécommu-n i c ations améri c a i n e.Plus le temps passe,p l u sle profil de l’internaute tend à devenir celuid’un citoyen moyen.»

P l u s i e u rs évolutions récentes confir-ment son diagnostic. D’abord, l’irruptionfulgurante des femmes dans le cy b e r e s p a c e .Elles représentent en 1998 plus de 38% des

branchés, contre environ 5% début 1994,selon les sondages. Leur faible présence ini-tiale s’explique aisément. «I n t e rnet s’estd’abord répandu dans un milieu d’ingénieurs etde techniciens,où les femmes sont encore ra r e s» ,résume C. H u i t é m a . «Etant donné les métiersqu’elles prat i q u e n t , les femmes ont moins dechances d’accéder au réseau depuis leur lieu det rava i l .Mais elles se connectent de plus en plusà leur domicile,au fur et à mesure que les prixde l’équipement personnel baissent» , a j o u t eChristine Maxwell,de l’Internet Society.

Pour la première fois cette année, s e l o np l u s i e u rs sources, les femmes sont plus nom-breuses que les hommes parmi les nouve a u xu s a g e rs du Net: elles représentent 52% desp e rsonnes en ligne depuis moins d’un an.La situation est cependant très contrastée

Les mutantsdu cyberespace

Les habitants de la planète cyber se diversifient et changent de profil. Portraitde l’Homo internetus d’aujourd’hui.

+ de 100de 10 à 100de 1 à 10de 0,1 à 1de 0 à 0,1Pas de données

Nombre d’ordinateursconnectés à Internetpour 10 000 habitantsen juillet 1997

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44 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

C O N N E X I O N S

seulement de sa population sera branchée,contre 40% aux Etat s - U n i s. Il at t ri bue cetted i s p a rité importante aux coûts des télécom-m u n i c at i o n s ,cinq fois plus élevés en Europe.En reva n c h e , les grands pays du Sud sem-blent mettre les bouchées doubles. L egroupe de communication Saatchi & Saat c h iWorldwide rapporte qu’Internet gr a n d i tdeux fois plus vite en A m é rique latine quedans n’importe quelle autre régi o n :+ 7 8 8 %entre 1995 et 1997 – alors que le Net croîtd ’ e nviron 100% par an à l’échelle mondiale.Fin octobre, le bureau d’études marketinga m é ricain IDC avouait sa «s u rp ri s e» devant lacroissance exemplaire du réseau en Chine.Ce pays devrait devenir le deuxième pay sbranché d’Asie après le Japon dès 2001.

Le Webse «babélise»

L’entrée en cy b é rie des citoyens du Sudse traduit par une «babélisation» du We b ,q u i ,à son tour, encourage la connexion des nona n g l o - s a x o n s.Toutes les études prouvent eneffet qu’ils préfèrent consulter des sites dansleur langue mat e rn e l l e , même s’ils maîtri s e n tbien l’anglais.A l o rs qu’au début des années9 0 , l’anglais occupait la quasi-totalité de l’es-pace web, il n’en prend plus que 75% en1998, selon une enquête présentée parl’Agence de la francophonie. L’ e s p a g n o l , l e

p o rt u g a i s ,l ’ a l l e m a n d , le japonais, le chinoiset les langues scandinaves gagnent de plusen plus de terr a i n . Deux progrès technolo-giques majeurs ont permis la création de cete nvironnement multilingue,explique le Ja p o-nais To ru Nishigaki,de l’Unive rsité de To k yo :d’une part , la mise au point d’un systèmei n t e rn ational de codage des caractères, q u idonne droit de cité aux alphabets non lat i n s ;d’autre part , le développement de logi c i e l sde traduction dans les moteurs de recherche.

Le site du moishttp://www.biodiv.org/rioconv/

Saviez-vous que deux à huit pour cent des espèces vivant sur la terre disparaîtront dans les 25 ans à venir?Ou que les 10 années les plus chaudes enregistrées jusqu’à présent l’ont été au cours des 15 dernières

années? Et qu’environ 130 millions d’hectares – l’équivalent de la Fra n c e, l’Italie et l’Espagne réunies – nesont plus cultivables pour des raisons de dégradation?

Les trois conventions des Nations unies en vigueur sur la diversité biologique, les changements climatiqueset la désertification,adoptées au sommet de la Terre de Rio, en 1992,attirent notre attention sur ces faitsalarmants. Chacune a son propre secrétariat et a fixé ses propres objectifs, mais le souci est le même:pré-server les écosystèmes, assurer un développement durable.

Les trois secrétariats indépendants ont décidé de conjuguer leurs efforts pour aboutir à de meilleurs résul-t a t s. Leurs activités sont trés liées. Par exemple, la lutte contre la désertification réduit considérablement lesémissions de gaz carbonique, la dégradation des sols et l’appauvrissement de la biodiversité.

Un site commun est désormais ouvert. Il comporte notamment une rubrique, ONG Trialogue, qui sert deplate-forme pour comparer, coordonner et renforcer les activités des ONG dans le domaine des troisconventions. Des liens sont proposés avec d’autres ONG et sites du système des Nations unies. ■

selon les zones géogr a p h i q u e s. En Europe,comme en A f rique du Sud, 20% des cy b é-riens sont des cy b é ri e n n e s , contre 25% auBrésil ou en Nouvelle-Zélande et près de40% aux Etat s - U n i s. Au Moye n - O ri e n t , l ap r o p o rtion tombe à 4%.En matière d’égalitéentre les sexe s , la planète virtuelle est unfidèle reflet du monde réel. Po u rt a n t , C .M a x well est convaincue qu’elle ne le resterap a s. «En A rabie saoudite,un pays qui commenceà peine à se connecter, se réjouit-elle, les fe m m e sn’ont pas le droit de se mettre au volant d’unevo i t u r e.Mais elles conduiront sur les info r o u t e s.Et ça va changer beaucoup de choses. . . »

Le réseau est aussi de plus en pluspopulaire auprès des jeunes. Selon le Stu-dent Monitor, magazine qui publie un son-dage annuel sur les activités favo rites desétudiants américains, près des trois quartsdes personnes interrogées considèrent quesurfer est l’activité «i n» par excellence. U n epremière puisque jusque-là, leur plaisirfavo ri avait toujours été de... boire de lab i è r e . A i l l e u rs , dans les pays du Sud, l e sinternautes novices sont plus jeunes que lam oye n n e . Au Moye n - O rient et en A s i e ,l’utilisateur type a moins de 30 ans.

Les internautes américainsen minorité

Ce rajeunissement va de pair,en parti-culier aux Etat s - U n i s , avec une légèrebaisse du niveau d’études. Les nouve a u xvenus sur Internet sont moins nombreux àdétenir des M a s t e rs et des P h . D. que les« e x p e rt s » , ceux qui naviguent depuis plusde quatre ans. Ils exercent aussi des métiersplus dive rs i fié s : moins d’un sur 10 trava i l l edans l’informatique, contre plus d’un surtrois en 1994. Les novices d’aujourd’huisont enfin un peu moins ri c h e s : 3 0 %d’entre eux gagnent plus de 50 000 dollarspar an, contre près de 50% il y a quatre ans.

Ces évolutions socio-économiques s’ac-compagnent de changements dans la géo-graphie du réseau. Selon le bureau d’étudesa m é ricain Emarketer, 1998 restera dans lesannales de la cy b e r h i s t o i r e .Pour la premièref o i s , les internautes américains sont deve-nus minori t a i r e s ,a l o rs qu’ils représentaientencore les deux tiers des utilisat e u rs duréseau en 1995.

Les Européens restent néanmoins à lat r a î n e . Et le vieux continent n’est pas prêtde combler son retard, a f f i rme le cabinetFo rrester Research.En 2001, p r é vo i t - i l ,1 3 %

Dans un cybercafé russe.

«En Arabie saoudite, un pays qui commence à peine à seconnecter, les femmes n’ont pas le droit de se mettre auvolant d’une voiture. Mais elles conduiront sur lesinforoutes. Et ça va changer beaucoup de choses...»

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Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 45

C O N N E X I O N S

Autre mutation en cours : l’Homo inter-netus se transforme en cy b e r c o n s o m m at e u r.A l o rs qu’il était jusqu’ici essentiellementmotivé par la recherche d’inform ations et lasoif de communication – d’où l’immensesuccès des forums de discussion et des c h at s– il commence à utiliser le réseau pour fa i r eson shopping.Aux Etat s - U n i s , plus du tiersdes internautes en ont déjà fait l’expéri e n c e ,selon Nielsen Media Research. D é j à , l eq u a rt des A m é ricains désirant acheter unevoiture consultent les sites des constru c t e u rset des associations de consommat e u rs.A i l l e u rs , le téléachat commence aussi à ren-trer dans les mœurs.Des sondages effectuésen France, en Nouvelle-Zélande et enA f rique du Sud montrent qu’entre 60% et80% des internautes y sont ouve rt s , m ê m es’ils sont encore peu à se lancer. Pour troisr a i s o n s : un manque de confiance dans las é c u rité des paiements,des réticences à rem-plir des formulaires d’achat sans savoir oùfiniront les données livrées et une méfia n c evis-à-vis d’articles impalpables.

Inégalitésdevant l’écran

Pas de doute, le profil de l’intern a u t ese banalise, au fur et à mesure que le réseaudevient un média grand public. Po u rt a n t ,l atendance à l’universalisation de l’accès auNet coexiste avec un accroissement de cer-taines inégalités.Y compris aux Etat s - U n i s ,où les coûts sont bas. En août, le départe-ment américain du commerce rapport a i tque malgré le nombre croissant de per-sonnes équipées d’un ordinateur et d’unaccès Intern e t , les ruraux à bas reve n u s ,l e sf oye rs monoparentaux et les pers o n n e sayant fréquenté l’école pendant moins dehuit années ont peu de chances d’accéder àce nouveau gr a a l . Selon la même source,

les différences entre les Blancs (40,8% desf oye rs branchés), les A f r o - A m é ri c a i n s(19,3%) et les Latinos (19,4%) sontaujourd’hui plus marquées qu’il y a troisans.

Au niveau intern at i o n a l , l ’ A f rique estde plus en plus marginalisée.Sa part (horsA f rique du Sud) pour les serve u rs Intern e test passée de 0,025% en 1997 à 0,022%en 1998, r a p p o rte la Banque mondiale. S u rce continent, le profil de l’internaute moye na toutes les chances d’être celui d’un Sud-A f ricain ou d’un homme riche très éduqué.Selon Tom Butterly, directeur de Informa-tion Management Consultants au Zim-b a b we , sur le petit million d’intern a u t e sa f ri c a i n s , 700 000 vivent en A f rique duSud. Et le coût de la connexion reste pro-h i b i t i f : e nviron 65 dollars par mois – soit la moitié du salaire d’un enseignant...quand il le touche –, contre 20 dans les pay sindustrialisés.

Pourtant, C.Huitéma ne croit pas quele réseau restera longtemps le ghetto deriches qu’il est encore. «I n t e rnet va serépandre,à terme,comme la télévision. Je mesouviens de l’arrivée de la télé dans mon villagede Bretagne (Ouest de la France).C’était unobjet de luxe! Or,m a i n t e n a n t , on en trouve par-tout,même dans les bidonvilles.» ■

Sophie Boukhari

1. Système d’interface graphique qui permet de passer d’une page ou d’un site à un autre encliquant sur un lien «hypertexte»,rendant lanavigation très facile.

La g u e r redes étoiles et dut é l é p h o n eLa pollution électromagnétique va-t-elle obs-

curcir le paysage céleste? Les ondes ra d i o-électriques d’un nouveau réseau de télécommu-nications par satellite vont en effet peut-êtrecouvrir les émissions provenant d’étoiles en finde vie, qui mettent des éternités à nous parvenir.

La sonnette d’alarme a été tirée en novembre1998,quand la société américaine Iridium,filialede Motorola, a commencé à relayer des appelstéléphoniques grâce à son armada de 66 satel-lites, en place depuis quelques mois.

Les appels internationaux passent depuis long-temps par des satellites placés en orbite, à environ35 000 km de la terre, qui relaient les communi-cations vers de puissants émetteurs. Les satellitesd’Iridium tournent quant à eux à 800 km de laTerre : de l’Antartique à To m b o u c t o u , les clients dela société Motorola peuvent maintenant commu-niquer grâce à des appareils de la taille d’un por-table.

«Les émetteurs des satellites produisent desinterférences et d’autres phénomènes indésirablessur les bandes de fréquences utilisées en radio -astronomie pour observer les étoiles naissantes ouen fin de vie», constate Tom Kuiper, radioastro-nome à la NASA. Il explique qu’aux heures degrande affluence téléphonique, ces interférencesatteignent un niveau que l’Union internationaledes télécommunications considère comme nui-sible pour l’observation radioastronomique. S’ilsveulent suivre de près l’approche d’une comète,par exemple, les chercheurs devront négocier avecIridium une interruption du fonctionnement duréseau lorsqu’il fonctionne à plein régime...

«Quand nous aurons mesuré l’ampleur du pro -blème, nous verrons comment améliorer nos satel -lites d’ici à l’an 2006» , dit Jack We n g r y n i u k , d uservice des licences chez Iridium. Il estime cepen-dant que les satellites de sa société ne représententqu’un élément du problème. Avec le développe-ment en flèche des télécommunications, l ’ u t i l i s a t i o ncommerciale de l’environnement électromagné-tique est vouée à croître.

«Le spectre radioélectrique constitue peut-êtrel’une des ressources les plus précieuses que nousp o s s é d i o n s» , r e c o n n a î tJ. We n g r y n i u k . De fait, plusieurs pays élaborentaujourd’hui des propositions visant à protégernotre environnement électromagnétique. ■

+ …● h t t p : / / w w w. g v u . g a t e c h . e d u● h t t p : / / w w w. n u a . i e● h t t p : / / w w w. i n t e r n e t w o r l d . c o m● h t t p : / / w w w. m i d s. o rg

Internautes, comptez-vous■ Combien y a-t-il d’internautes dans le

monde? Mystère. A u j o u r d ’ h u i , les esti-m ations va rient entre 100 et... 200 millions.Elles dépendent d’abord de la définition rete-nue. «Qu’est qu’un utilisateur d’Internet?remarque Christian Huitéma. Quelqu’un quia un compte chez un ISP (fo u rnisseur d’accès)?Qui part a ge un compte avec sa famille? Qui aaccès au réseau via son unive rsité ou son entre-p rise? Qui visite un cybercafé de temps en temps?»

Par ailleurs , p l u s i e u rs méthodes sontutilisées pour dénombrer les intern a u t e s.La plus vieille consiste à compter lesadresses allouées (environ 40 millionsa u j o u r d ’ h u i ) . On multiplie ensuite cechiffre par un coefficient «pifométri q u e »

(trois à cinq) censé représenter le nombred’utilisateurs par ordinateur.

Les instituts de sondage utilisent uneautre méthode. Ils choisissent un échan-tillon représentatif de la population etdemandent à chacun s’il a utilisé Internetce jour-là, au cours de la semaine, d umois... «Ces sondages sont souvent locaux etespacés dans le temps, explique C.Huitéma.On en arri ve à estimer le total mondial en ajou-tant les chiffres recueillis au Canada en juin,aux Etats-Unis en septembre,au Japon en jan-vier, et en complétant le tout par des approxi-m ations pour d’autres pay s. Il n’est pas sur-prenant que les estimations dive r gent à cepoint...» ■

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Gloria Cuartas:

46 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

D I R E S

L’ancienne maire s s ede la ville d’Apartado a résisté aux pire smenaces pour «r e s t e rd e b o u t» . C o n t re lav i o l e n c e, elle mise sur la société civile et sur la communautéi n t e r n a t i o n a l e.

Comment expliquez-vous qu’Apartado soitdevenue la ville colombienne de toutes lesviolences au début des années 90?

La Colombie est en guerre civile depuis50 ans. Pour dive rs motifs historiques eté c o n o m i q u e s , la région de l’Uraba estextrêmement vulnérable (voir encadré).L’ a p p a rition de groupes de guérilleros etde paramilitaires a inauguré un processusd ’ e x t o rsions et de massacres, qui a rendu larégion ingouvernable. Un événement trèsi m p o rtant s’est produit en 1991: la guéri l l ade l’Armée populaire de libération (EPL) adéposé les armes – auparavant le M-19avait fait de même –, à l’issue de négocia-tions menées uniquement au niveau poli-t i q u e . R é s u l t at : il n’y a pas eu d’amnisties o c i a l e , ni aux yeux des propriétaires ter-riens,ni à ceux de la communauté.

Dans quelles conditions avez-vous accédé àla mairie d’Apartado?

La violence a atteint un niveau critiqueen 1994. Cette année-là, la guérilla adécrété que personne ne pourrait se pré-senter aux élections municipales. D e u xj o u rs avant le scrutin prévu pour le 24 août1 9 9 4 , l’Eglise catholique a rassemblé lesorganisations politiques pour les inciter àparticiper au processus démocratique;elleles a invité à ne pas abdiquer sous lamenace des armes. Un débat s’est ouvert

pour savoir qui allait se présenter. Il y avaitune longue liste, mais les gens avaient peur.S o u d a i n , on a proposé mon nom. J ’ ava i squelques atouts:je connaissais la région etsa population,je n’étais membre d’aucuneorganisation politique traditionnelle,je nemilitais pas dans un groupe arm é , j ’ ava i sune conception du travail plus technicienneque politicienne ou part i s a n e . Les 14 orga-n i s ations politiques se sont alors mises d’ac-cord et je suis devenue la candidate uniquede consensus.

Vous aviez 34 ans à l’époque. Pourquoi ces14 dirigeants ont-ils désigné une femme, etune femme si jeune, pour une fonctionaussi exposée?

Je ne crois pas qu’on m’ait désignéeavec en tête l’idée qu’une femme pouvaita p p o rter quelque chose de plus. Il s’agi s s a i tplutôt d’esquiver une responsabilité poli-t i q u e . En A m é rique lat i n e , on considèreencore qu’une femme au pouvoir est inof-f e n s i ve , on ne s’attend pas à ce qu’elle pro-voque des changements fondamentaux.Une femme à un poste de responsabilitéest plutôt là pour faire de la fig u r at i o n .M o nélection fut donc davantage le résultatd’une conjoncture qu’un geste planifié .Quand j’ai commencé à prendre certainesp o s i t i o n s , au bout d’un mois, ces 14hommes m’ont laissée seule.

Quelles prises de position, par exemple?J’ai dit: si j’accepte la mairi e , je l’accepte

sans arm e s , sans escort e s , et je dialogueavec tous les groupes arm é s ,g u é ri l l a ,p a r a-militaires, armée, police. Cela a provoquéune réaction nat i o n a l e : les maires n’étaientpas censés dialoguer avec les gr o u p e sa rm é s. Je pars du principe qu’on ne choisitpas le peuple que l’on doit gouve rn e r , i lfaut l’accepter tel qu’il est, y compris avecceux qui vivent en dehors des normes dela société. Il n’y a pas de cité idéale.Toutecité est traversée par des conflits.

En tant que maire, vous avez pris la tête dumouvement «Femme contre la violence».Avez-vous décidé de vous entourer defemmes, ou n’avez-vous pas trouvéd’hommes disposés à assumer cetteresponsabilité?

Ce n’est pas moi qui ai embauché desfemmes, elles étaient déjà là mais ne pou-vaient s’exprimer en raison du confli t . Il nesuffit pas qu’il y ait des femmes aux postesclé.Tout dépend de notre attitude dans lesrôles que la société nous confie . D a n sl ’ U r a b a , les femmes se taisaient. Durant cestrois ans,nous avons,en tant que femmes,commencé à nous organiser, à récupérernotre dignité, notre vo i x , et à proclamernotre amour pour notre pay s. Mais il y ava i tun tel cortège de morts et de violences que

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une Colombienne«Folle de paix»

Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 47

D I R E S

nous avons eu du mal à élaborer une pro-position politique. Nous nous sommesr é u n i e s , et face à une guerre conçue par leshommes,pour le pouvoir,pour le contrôledu territoire et de l’économie, nous avonsdécidé qu’il était temps que nos hommescessent de mouri r. En disant «nosh o m m e s » , je me réfère aux trava i l l e u rs ,a u xp ay s a n s , à ceux de l’arm é e , de la police,mais également aux hommes des groupesa rmés en marge de la loi, qui sont aussi desfil s , des époux, des amants, des hommesdu peuple.

Durant votre mandat, 1 200 personnes ontété assassinées à Apartado. Vous avez vous-même vécu constamment sous la menace.Avez-vous eu parfois la tentation de toutabandonner ?

Quand ils ont tué 17 camarades de tra-va i l ;q u a n d , sous mes ye u x , ils ont égorgé une n fant dans une école; quand j’ai senti lam o rt rôder la nuit et que j’ai reçu desmenaces téléphoniques; quand j’ai compri sque tout le monde était prisonnier de lap e u r , a l o rs je me suis demandée: vaut-il lapeine que je risque ma vie tous les jours ?J ’ avais deux possibilités: soit me sauver encourant et laisser le peuple tout entier se sou-mettre à la terr e u r , soit dire à ce peuple: l aseule issue est de nous unir. L o rsqu’on metéléphonait pour me dire: «A neuf heures,on va vous tuer», je répondais: «Eh bien, i lreste encore sept heures». Ce n’était pas del ’ h é r o ï s m e . J’ai préféré vivre avec ma peurplutôt que de la transmettre au peuple, de lelaisser continuer à subir la violence desa rmes dans la tristesse et la résignat i o n .

Je crois en Dieu. Je crois aussi qu’il fa u tavoir suffisamment de force pour s’enga-g e r , et pas uniquement en paroles. Rester àApartado n’a pas été un acte messianique,mais un acte de conv i c t i o n , pour faire coïn-cider mes paroles et mes actes.

Quelle a été votre principale frustrationdurant ces trois ans?

Nous avons poussé ce cri d’alarm e :ce quia rri ve dans les 600 km2 de l’Uraba va

s’étendre à toute la Colombie si le gouve rn e-ment ne réagit pas politiquement et si nousn ’ a rri vons pas à obtenir l’appui de la com-munauté intern at i o n a l e . Mais dénoncer n’apas suffi.

Ma plus grande frustration,c’est de nepas avoir donné un plus grand contenu ànotre trava i l , à tous les projets que nousavons lancés, notamment éducat i f s ; c ’ e s tde ne pas avoir obtenu l’appui de la com-munauté intern ationale dans les activitéscommunautaires auprès des enfa n t s , d e sfemmes,des artistes.

Quelle est aujourd’hui la situation àApartado?

La région de l’Uraba est passée de l’em-p rise de la guérilla à une forte présencep a r a m i l i t a i r e . Mais tant qu’une quelconqueforce illégale prétendra faire régner l’ordrep u b l i c, nous ne pourrons consolider le pro-cessus démocrat i q u e . L’ E t at doit retrouve rsa légitimité Et je le dis ici clairement: si onne l’obtient pas,l’Uraba va s’effondrer.

Dans les négociations de paix actuelles, legouvernement et les mouvements de laguérilla veulent-ils vraiment aboutir?

Nous vivons une phase où règne unem é fiance mutuelle. La guérilla doute dugouvernement, le gouvernement doute dela guéri l l a , et la société civile doute desdeux.Ce qui est en jeu,c’est la défense duterritoire.Les groupes paramilitaires exer-cent leur contrôle sur une vaste région et laguérilla garde sa mainmise sur plus de 600m u n i c i p a l i t é s. Nous sommes donc entrésdans une guerre de position. La négocia-tion passera par une nouvelle distributionde la terre et un changement dans les poli-tiques économiques du pays.

Que peut-on attendre de ces négociations?Ni les FARC (Forces armées révo l u t i o n-

naires de Colombie), ni l’ELN (Armée del i b é r ation nationale) ne parlent de déposerles arm e s. Les événements récents démon-trent la fragilité du processus.En octobre,u nat t e n t at de l’ELN contre un oléoduc entre

S e g ovia et Antioquia a fait 70 mort s , d e se n fants pour la plupart . Quelques jours plust a r d , les paramilitaires ont ri p o s t é : ils sonta rrivés dans deux villages censés abriter desg u é ri l l e r o s , ont assassiné 30 personnes et enont pris 40 autres en otage. Il s’agit de clairesv i o l ations des droits humanitaires intern at i o-n a u x . Et les groupes armés nous annoncentainsi que les négociations en Colombie sedérouleront dans la confrontat i o n .

Si la communauté internationale n’ac-compagne pas ce processus d’une façon oud’une autre, le conflit colombien va se radi-c a l i s e r. La paix ne dépendra ni du prési-dent Pa s t r a n a , ni de la bonne volonté degroupes isolés.

Le prix «Villespour la paix»

L’UNESCO a créé en 1996 le prix «Maires pourla paix», devenu le prix «Villes pour la paix»,

a fin d’honorer tous les deux ans cinq équipesmunicipales (dans des villes de cinq régions dum o n d e ) , dont les actions ont contribué à renforcerla cohésion sociale, à améliorer les conditions devie dans les quartiers fragilisés et à promouvoirune véritable convivialité urbaine. Les municipali-tés distinguées reçoivent un certificat ainsi qu’unesomme de 25 000 dollars pour aider leurs actions.

En lançant ce prix, Federico Mayor, d i r e c t eu rg é n é ral de l’UN E S C O, a souhaité que se constituentdes réseaux régionaux de coopération entre muni-c i p a l i t é s, ainsi que des banques de données surdes initiatives nova t r i c e s, a fin de mieux les fairec o n n a î t r e.

Sur Internet,la première liste de ces initiativesest consultable à l’adresse suiva n t e :www.unesco.org/clt

Pour plus d’informations:Division du pluralisme culturel de l’UNESCO

1,rue Miollis, 75732 Paris Cedex 15,[email protected]

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48 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

D I R E S

L’amie du genre humain■ «La pasionaria d’Apartado», «a mère-cou-

rage de l’Uraba», «la mairesse de la paix»:tels sont quelques-uns des «titres» que lapresse a décernés à Gloria Cuartas Mon-toya en 1997,lorsqu’a pris fin son mandatde trois ans (non renouvelable) de maired ’ A p a rt a d o. L’intéressée préfère se présen-ter comme une simple travailleuse sociale.Elle a commencé à s’impliquer dans le tra-vail communautaire au collège des Carm é-lites qu’elle a fréquenté dans la prov i n c ed ’ A n t i o q u i a , puis à l’unive rsité où elle aétudié la sociologi e . Avec ce seul souci:«s avoir ce que la mort et le sang cachaient,c o m-prendre les raisons sociales et humaines de laguerre civile».

Avec sa foi inébranlable en Dieu et sac o n fiance en l’être humain, G l o ria Cuar-tas a veillé aux destinées d’une ville quipasse pour être l’une des plus violentes dumonde. Elle a déçu ceux qui s’attendaientà ce qu’elle se contente d’inaugurer les jar-dins publiques et les nouvelles routespavées. Son jardin est celui de la toléranceet sa route est celle de la solidarité. Dans

une région où une parole de trop vaut uneballe de pistolet, elle a dialogué avec tous lesgroupes armés et revendiqué «le droit auri s q u e» . Elle a exposé sa vie en refusant touteprotection spéciale pour démontrer que «l e sa rmes ne pouvaient continuer d’être un symbolede pouvoir et d’autorité».

C o nvaincue que la politique s’entendd’abord comme une «mission sociale», elle amobilisé des unive rs i t a i r e s , des professeurset des artistes colombiens,pour mettre surpied des activités éducatives et culturelles(le «corridor éducatif»,ou le «village des arts»par exemple), afin que les enfants d’Apar-tado grandissent dans un climat de tolé-rance et que leurs parents réapprennent lac o nvivialité dans la cité. Au coeur d’uneville peuplée d’immigrants récents, elle acherché à promouvoir une identité collec-tive et le sens de la responsabilité civique.

Gloria Cuartas a aussi fait entendre savoix à l’étr a n g e r , où elle a cherché desa p p u i s. Elle a participé à de nombreuxf o rums pour faire connaître le travail desfemmes dans les zones de confli t , elle a

dénoncé les violations des droits humainsd e vant le parlement européen, elle a orga-nisé à A p a rtado une rencontre de femmesvenues de plusieurs pays en guerr e . Elle afini par obtenir le soutien de l’UN E S C O, a i n s ique la collaboration de quantité d’ONG oude simples citoyens de bonne volonté

Le tout lui a valu à la fois davantage demenaces de tous les groupes armés del’Uraba (l’armée a aussi cherché à entrave rson action à plusieurs reprises) mais aussiune reconnaissance en Colombie (Femmede l’année en 1995, médaille Simon Boliva rdu ministère de l’Education) et à l’étranger,avec le prix «Maires pour la paix» que Fe d e-rico Mayo r , Directeur général de l’UN E S C O,lui a décerné en 1996.Elle dirige actuelle-ment à Caracas (Vénézuela) le «Réseau desvilles pour la paix» (voir encadré). S o nambition est de contri buer au succès desn é g o c i ations de paix actuellement en coursen Colombie, par un «dialogue constructif».«La liberté, dit-elle, se nourrit de générosité etdu don de soi». ■

Quelle est l’influence du trafic de drogue?Dans un contexte de chômage stru c t u-

r e l , de pauvreté et de déséquilibres sociaux,le trafic de drogue occupe une place trèsi m p o rt a n t e . Il touche profondément autantles milieux politiques que la guérilla et lesgroupes paramilitaires. De nombreux pay-sans vivent principalement de la produc-tion de coca. Et il me semble très difficiled’y substituer une quelconque autre culturede manière rentable pour les intéressés. L e sFARC prétendent pouvoir contri buer àfreiner les cultures illégales, mais cela ne vapas plus loin, car de puissants groupes éco-nomiques ont fait de la drogue leur mar-ché essentiel.Les Etats-Unis proposent augouvernement colombien la création d’un«fonds de la paix» par l’intermédiaire de laBID (Banque interaméricaine de dévelop-p e m e n t ) , et l’une de leurs pri o rités estd’éradiquer les cultures illégales. Mais toutemesure radicale peut entraîner la multipli-cation des conflits.

En Colombie, il y a déjà de nombreusesinitiatives en faveur de la paix.

Oui, mais elles sont dispersées. Il fautles coordonner, a fin que la voix de la société

civile se fasse entendre, dans le cadre d’uneissue négociée du conflit,une issue socialeet politique.

Nous devons créer une conscience, c a rce sera en A m é rique latine la seule façon dechanger notre manière d’envisager la poli-t i q u e .Pour éduquer et ouvrir à la pensée cri-t i q u e , je fais plus confiance aux mouve m e n t ssociaux qu’aux mouvements politiques.L e spoliticiens ne sont pas des magi c i e n s. S a n sm o u vements sociaux pour les épauler, ils nep e u vent transformer les choses du jour aul e n d e m a i n . En Colombie, nous n’ensommes qu’au débu t , et le processus de paixactuel peut durer cinq ou dix ans.Notre pré-sident est trop optimiste s’il croit que toutsera résolu durant son mandat .

Lorsque vous évoquez l’appui de lacommunauté internationale, à quoi faites-vous allusion concrètement?

Il y a plusieurs fronts. Il y a la solidari t éi n d i v i d u e l l e , où chacun fait don de son savo i rpour accompagner la lutte anony m ed’hommes et de femmes en différents lieuxdu monde, sans parler à leur place. Il y a aussila présence de la communauté intern at i o n a l eà trave rs les Nations unies, qu’elles se nom-

ment UN I C E F, UN E S C O,PN U D, dont l’actionest fondamentale. J’en ai fait moi-même l’ex-p é rience à A p a rt a d o, à trave rs l’appui quenous a fourni l’UN E S C O et son conseillerr é gional pour l’Amérique lat i n e .

Une simple visite à Apartado ou danstoute autre région de Colombie d’un desa m b a s s a d e u rs de la Communauté euro-péenne accrédités à Bogota conforte lap a i x : même si le conflit perdure, les gensp e u vent lui raconter ce qu’ils vivent et cher-cher une coopérat i o n . Ce sont autant demanières de dire aux gens qu’ils ne sontpas seuls. Pour une région en crise,la soli-tude est parfois plus grave que les armes.

Quelle opinion avez-vous de la solidaritéplus individuelle dispensée par desvolontaires?

Pour moi, c’est fondamental. C’est lameilleure manière de rompre avec cettedouble morale qui fait que dans les col-l o q u e s , conférences ou rencontres diplo-matiques, tout le monde se plaint: «Dites,comme c’est triste,ce qui se passe dans cep ays!» Mais quand il est question d’aller surp l a c e , bien peu le font. Et puis, d e rri è r echaque volontaire,il y a une foule d’ONG.Ce fut le cas pour le réseau de solidari t éavec la Colombie, né aux Etats-Unis, quinous a fourni un appui inestimable.

A peine un an et demi après le début devotre mandat, vous avez reçu le Prix UNESCO

Les politiciens ne sont pas des magiciens. Sansmouvements sociaux pour les épauler, ils ne peuventtransformer les choses du jour au lendemain

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Décembre 1998 - Le Courrier de l’UNESCO 49

D I R E S

L’Uraba de tous les dangersRégion très fertile mais peu peuplée, l ’ U raba est

située à l’extrême nord-ouest de la Colombie,près de frontière avec le Pa n a m a , au bord de la merdes Cara ï b e s. Depuis les années 60, l ’ U raba vit quasiexclusivement de ses grandes exploitations bana-n i è r e s, qui appartiennent à quelques grands pro-priétaires terriens vivant en majorité à l’étranger.

L’ U ra b a , qui chevauche trois départementscolombiens (Choco, Antioquia et Cordoba), e s tdepuis toujours le royaume des contrebandiers.C’est aussi l’un des berceaux de plusieurs mouve-ments de la guérilla,qui s’est souvent substituée àl’Etat dans les zones où celui-ci était peu repré-senté. L’Uraba est surtout la région la plus violented’un pays qui bat déjà des records de criminalité. E nColombie (38 millions d’habitants), le taux de mortsviolentes, qui avoisine les 80 pour 100 000 habi-t a n t s, est trois fois plus élevé qu’au Brésil et 10 foisplus qu’aux Etats-Unis.

Centre économique de l’Ura b a ,Apartado compteenviron 90 000 habitants, dont un millier de veuveset plus de 4 500 orphelins. Durant les trois annéesdu mandat de maire de Gloria Cuartas, entre 1995et 1997,la ville a été le théâtre de 1 200 assassi-nats;17 d’entre eux ont visé des fonctionnaires de

sa municipalité.Comment expliquer un tel niveaude violences?

Kidnappés et rançonnés par la guérilla qui pré-l e vait son «impôt révolutionnaire» (appelé l avacuna, le «vaccin»),les gros propriétaires terriensont organisé des groupes d’autodéfense, vite deve-nus de véritables milices bénéficiant de la bien-veillante neutralité de l’armée. Et pour compliquerle tout,les trafiquants de drogue, de plus en plusnombreux,se sont alliés parfois avec les paramili-t a i r e s, parfois avec les guérilleros, pour faire fuir lespaysans et racheter leurs terres à bas prix.

Depuis une dizaine d’années, la population civilefait tragiquement les frais de ces luttes de pouvoir.Parce qu’ils sont systématiquement soupçonnésd’avoir aidé soit l’armée, soit la guérilla, soit lesgroupes para m i l i t a i r e s, les paysans, les ouvriers agri-coles et leur famille sont massacrés par l’un ou l’autrede ces groupes. Le cycle des embuscades et des actesde représailles est devenu infernal.

Le nouveau président élu,Andrès Pa s t ra n a , qui apris ses fonctions le 7 août 1998, a lancé en octobreun processus de négociations avec les FARC (Fo r c e sarmées révolutionnaires de Colombie) et l’ELN(Armée de libération nationale), les deux principauxmouvements de guérilla encore actifs en Colombie.

Dans l’Uraba comme ailleurs, ce sont les femmesqui se sont levées pour tenter de faire cesser les tue-r i e s. En novembre 1996, dans le cadre d’une mani-festation baptisée «La route pour la paix», d e sColombiennes de tous les coins du pays, ra s s e m b l é e sdans le village de Mutata (Ura b a ) , ont lancé une ter-rible consigne: ne plus faire d’enfants. «Nous nousrefuserons à enfanter des fils et des filles pour lam o r t », ont-elles annoncé. ■

Cali

Bogota

OcéanPacifique

Mer des Caraïbes

Golfe del’Uraba

E Q UAT E U R

PA N A M A

P É R O U

B R É S I L

C H O C O

A N T I O Q U I A

C O R D O B AV E N E Z U E L A

Medellin

Monteria

Apartado

CartagenaBarranquilla

Santa Maria

Je reste en contact avec mon pay s.J ’ é c ris chaque semaine un article d’opinionpour le quotidien El Espectador de Bogota.Je participe aussi, avec des unive rs i t a i r e s ,des cadres, des paysans, des représentantsde communautés indigènes, à un gr o u p ede réflexion baptisé «Umbrales» (Seuils),qui se réunit une fois par mois pour analy-ser la situation dans mon pays.

Quel message pourriez-vous adresser auxfemmes en cette fin de millénaire ?

En tant que femmes, nous avons obtenudes avancées dans nos droits civiques,p o l i-tiques et économiques. Nous sommes

entrées dans la sphère publique. Mais il y aencore de par le monde de nombreusesfemmes qui marchent pieds-nus, au sensl i t t é r a l , mais aussi intellectuel et émotionneldu terme. Nous devons nous organiser etrécupérer notre voix et notre dignité, pourne plus être cantonnées à un rôle imposépar les hommes, pour assumer de nouve l l e sresponsabilités sociales. Nous devons aussiavoir confiance en nous-mêmes pour créeret transformer la société avec intelligence eta m o u r. Je crois sincèrement que noussommes sur la bonne voie. ■

Entretien réalisé par A. Ortiz de Urbina et L. Iglesias Kuntz

des maires pour la paix. Quelle a été lasignification de cette distinction?

Elle m’a tout simplement sauvé la vie!Et elle a aussi sauvé celles des enfants,dest r ava i l l e u rs , des artistes d’Apart a d o. Ce pri xnous a permis de rester debout et de nousassocier pour démontrer aux gr o u p e sa rmés qu’à A p a rt a d o, il y avait une forcevivante qu’ils devaient respecter.

L’expérience d’Apartado peut-elle s’exporterdans d’autres régions en confli t ?

Cette expérience n’est pas à imposer,e l l eest à partager avec d’autres régi o n s , qui ontpeut-être des problèmes distincts – bandesde jeunes délinquants, d r o g u e , a l c o o l i s m e ,chômage – mais qui, à l’instar d’Apart a d o,ont besoin de réinvestir l’espace public, d er e t r o u ver la dignité et la confiance dans leprocessus démocrat i q u e . Nous fa i s o n sconnaître cette expérience et d’autres simi-laires à trave rs le réseau des villes pour la paixde l’UN E S C O, pour démontrer que lesgrandes crises en A m é rique latine peuve n têtre résolues avec humilité et intelligence,sans recours à la violence et aux arm e s.

Est-ce qu’il existe des mécanismesuniversels capables d’expliquer l’apparitionde situations de violence?

L o rs des rencontres avec des femmes duR wa n d a , de Bosnie,de Pa l e s t i n e , et d’autresp ays d’Amérique lat i n e , organisées à A p a r-t a d o, nous avons constaté que la douleur dela guerre est la même part o u t .Les situat i o n sde conflits sont différentes, mais leur déno-m i n ateur commun est l’absence d’inve s t i s-sements adéquats dans les domaines del ’ é d u c at i o n , de la santé, des infrastru c t u r e set des serv i c e s. Et surtout une politiqueinjuste de distri bution des reve n u s , qui per-met à ceux qui détiennent déjà la richesse del ’ a c c r o î t r e , quand de larges pans de la sociétérestent dans la misère.

Actuellement, vous résidez au Venezuela.Avez-vous l’intention de revenir dans votrepays?

Je ne suis pas en exil et ne veux pasl ’ ê t r e . Je vis au Venezuela parce que je diri g eun projet que m’a confié l’UN E S C O, l e«Réseau des villes pour la paix». Mais dèsque je pourrai retourner défin i t i ve m e n tdans mon pays pour participer au processusde paix,je le ferai.

Mon séjour au Venezuela me donne lapossibilité de me reposer mentalement, etde «digérer» la douleur de la guerr e . Je gardeencore en moi les visages de nombreux dis-parus et le souvenir de tout le sang versé.

Continuez-vous à participer à la viepublique colombienne?

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C O U R R I E R D E S L E C T E U R S

50 Le Courrier de l’UNESCO - Décembre 1998

Langue choisie: anglais espagnol français

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1 an: 211FF au lieu de 264FF* (11 numéros dont un double) 1 an:132FF (11 numéros dont un double)2 ans: 396 FF au lieu de 528FF* (22 numéros dont deux doubles) 2 ans:211FF (22 numéros dont deux doubles)Reliure: 72FF (pour 11 numéros dont un double)

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✒Croire et espérerUn large groupe d’amis et moi-même appré-cions votre nouvelle formule.

Aussi intéressante, elle a l’avantage sur laprécédente d’être plus «dynamique» car plusc o m b at i ve . . . En effet, l o rsqu’un organismei n t e rn ational fait profession de défendre et pro-m o u voir le progrès humain dans ses va l e u rs dej u s t i c e ,é q u i t é , dignité et solidarité pour tous –et surtout pour les plus démunis –, le tout dansun système économique qui tend à les annihi-ler toutes, la totale neutralité inform at i o n n e l l eaffichée sous couvert d’«objectivité» journalis-tique n’est plus de bon aloi...

Il est donc urgent d’avoir le couraged ’ i d e n t i fier et de désigner clairement les res-ponsabilités plutôt que de rester dans le vaguedes simples constat s. O r , cette mise au clair,vous la faites dans vos articles depuis juillet-août...

A l o rs que le C o u rri e r continue de nousdonner des raisons de croire et d’espérer enl’être humain, c ’ e s t , d é s o rm a i s , plus quejamais,vital!

Virginie LegreleLa Flèche, France

✒CorrespondanceDe notre point de vue,la nouvelle formule duCourrier perpétue la tradition humaniste qui atoujours caractérisé ce périodique. Cette for-mule est agréable à l’œil, d’une lecture facile etd’un contenu va ri é . I n c o n t e s t a b l e m e n t , c e s

changements correspondent à l’évolution descirconstances et des problèmes spécifiques auxthèmes qu’aborde ce périodique.

Carlos Alé, Revue SignosSanta Clara, Cuba

✒La santé, parlons-enLa nouvelle form u l e , ou la nouvelle innovat i o ncomme j’aimerais l’appeler, montre que leC o u rrier de l’UN E S C O va main dans la main ave cles avancées de notre planète.C’est pourquoicette nouvelle formule est tout à fait bienve-nue...

Mais je veux que l’UNESCO porte une plusgrande attention aux questions de santé, nonseulement parce que c’est mon domaine, m a i sparce qu’ici, en A f ri q u e , nous manquonsd’idées pour innover dans ce secteur.

Mohammed Hassan JibrinUniversité de BayeroKano, Nigeria

✒Avec des mots usuelsMa réponse, après avoir lu la nouvelle présenta-tion du C o u rri e r, est que tous les articles sont detrès bonnes lectures, c o u rts mais complets. O nse plaît à les lire avec des mots usuels surt o u tpour moi et les «manuels». Donc continuez dansle même espri t , de nombreux lecteurs viendrontnous rejoindre; c’est le vœu que je form e , m o iqui suis lecteur depuis 1967 déjà.

Michel JuignetPrésident des cordonniers de France

✒Trop d’InternetAbonnée au Courrier de l’UNESCO depuis plu-sieurs décades, je suis très satisfaite que vousayez changé la formule de votre revue dont jene lisais plus que quelques rares articles chaquem o i s. Je ne la trouvais plus adaptée aux pro-blèmes actuels, elle ne répondait plus à mesbesoins d’information...

Po u rtant je déplore que vos références ren-voient trop à Internet,oubliant que trop nom-breux sont ceux encore qui ne possèdent pasd’ordinateurs,en Europe comme en Afrique!

Antoinette Schmal-WolfWassenaar, Pays-Bas

✒Le sport SVPLa nouvelle formule du Courrier est parti-culièrement at t r aya n t e : l’encadrement dudossier principal par des ru b riques va ri é e s ,la présentation générale, la qualité desr e p o rt a g e s , des réfle x i o n s , des photogr a-phies et autres documents en font un maga-zine exceptionnel, une ouve rture uniquesur le monde...

Abonné depuis de nombreuses années,je tiens à vous exprimer...mes vives félici-tations et ma gratitude pour ce moyen deconnaissance et de réflexion que vous nousprocurez tous les mois.

P S : Je souhaiterais que soit présenté undossier sur le sport.

Jean Claude LaussacCahors, France

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NOUVELLE ZELANDE : GP Legislation Services,PO Box 12418,Thorndon, Wellington. Fax:496 56 98.PAY S-BAS : Swets & Zeitlinger BV, PO Box 830,2160 SZLisse. Fax:2524 15888.Tijdschriftcentrale Wijck B V, Int.Subs. Service,W Grachtstraat 1C, 6221 CT Maastricht.Fax:32 50 103.PORTUGAL : Livraria Portugal (Dias & Andrade Lda),Rua do Carmo 70 74,1200 Lisbonne. Fax:34 70 264.REPUBLIQUE TCHEQUE : Artia, Ve Smeckach 30,11127 Prague 1.ROYA UME-UNI :The Stationery Office PublicationsCtre.,51 Nine Elms Lane,Londres SW8 5DR.Fax:873 84 63.RUSSIE : Mezhdunarodnaja Kniga,Ul Dimitrova 39,Moscou 113095.SRI LANKA : Lake House Bookshop, 100 Chittampalam,Gardiner Mawatha, Colombo 2. Fax:44 78 48.SUEDE :Wennergren Williams AB,PO Box 1305,S-171 25 Solna. Fax:27 00 71.SUISSE : Dynapresse Marketing SA,(ex-Naville SA),38av Vibert,CH-1227 Carouge. Fax:308 08 59.EdigroupSA,Case Postale 393,CH-1225 Chêne-Bourg. Fax:(022)348 44 82.Europa Verlag, Ramistrasse 5,CH-8024 Zürich.Fax:251 60 81 Karger Libri AG,Wissenschaftl.Buchhandlung, Petersgraben 31,CH-4009 Bâle.Fax:306 12 34. Van Diermen Editions Techniques-ADECO, Chemin du Lacuez,CH-1807 Blonay.Fax:943 36 05.THAILANDE : Suksapan Panit,Mansion 9,RajadamnernAvenue,Bangkok 2. Fax:28 11 639.T U N I S I E : Commission Nationale Tunisienne auprès del ’UN E S C O, 2 2 , rue de l’Angleterr e ,1 0 0 0 R P Tu n i s.Fa x : 33 10 14.URUGUAY: Ediciones Trecho SA,Cuento Periódicos,Maldonado 1090,Montevideo. Fax:90 59 83.VENEZUELA : UN E S C O/CRESALC,Edif. Asovincar, AvLos Chorros,Cruce C/C Acueducto, Altos de Sebucan,Caracas. Fax:286 03 26.

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Le dossier du mois:La place et le rôle des «seniors»Le «papi»… et surtout le «mamie boom» ■ Les réponses au Nord et au Sud ■ La vieillesse dans le miroir des sociétés ■ Les nouveaux temps d’une vie decentenaire

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27-31janvier 1999

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