STRUCTURE ET FONCTION DU GÈNE

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6 2 DECOUVERTE DE LA FONCTION DU GENE Une relation assez précise entre les unités d’infor- mation et la fonction enzymatique a été établie par Beadle et Tatum vers 1941 à l’aide d’un cham- pignon ascomycète : Neurospora crassa dont le cycle est représenté ci-dessous. Cet organisme, bien que méiotique, est supposé plus simple que le pois et la drosophile : la phase de croissance est haploïde et évitera les complica- tions liées aux rapports alléliques, une phase de reproduction asexuée, par conidies (bourgeonne- ments cellulaires uni ou oligo-nucléés) permet une mutagénèse en masse (par irradiation par exem- ple) et l’obtention rapide de nombreux variants. Ces champignons se cultivent aisément sur un milieu défini très simple composé de sucre, de quelques sels et acides inorganiques, d’un com- posé ammoniacal source d’azote et d’une vita- mine : la biotine. Les souches sauvages capables de croître sur ce milieu minimal sont dites pro- totrophes, elles sont capables de réaliser la syn- thèse de toutes les autres molécules nécessaires à leur métabolisme (précurseurs des glucides, lipi- des, protéines, acides nucléiques et macromolé- cules elles mêmes). Une mutation peut très bien affecter l’une des multiples fonctions du métabo- lisme de telle sorte que la souche devient incapa- ble de synthétiser un composé essentiel et donc de pousser sur le milieu minimal défini ci-dessus : la mutation est létale car, la cellule étant haploïde, un locus homologue ne peut compenser ce défaut. Nous allons définir un outil de travail qui va s’avérer indispensable tout au long de cet exposé : la mutation létale conditionnelle, en effet, la muta tion n’est létale que par rapport au milieu minimal utilisé, si l’on ajoute à ce milieu le composé orga- nique que la souche ne sait plus réaliser, elle se développera comme une souche sauvage. Une souche auxotrophe est une souche ayant subi une telle mutation nutritionnelle, elle ne pourra se développer que sur un milieu capable de suppléer l’effet de la mutation. Le protocole expérimental qui permet d’ obtenir rapidement de grandes collections de mutants d’auxotrophie est résumé dans la figure dessous : * Remarque : au cours de la mutagenèse par irra- diation, celle-ci n’induit pas de mutations ciblées, elle augmente la fréquence des mutations mais elles affectent les gènes d’une façon aléatoire. De très nombreuses mutations létales passent ina- perçues. C’est l’expérimentateur qui, par le jeu des milieux, choisit la nature de l’auxotrophie et sélectionne les mutants correspondants. La réalité de la mutation, c’est à dire la preuve d’une altération héréditaire du matériel génétique est obtenue par croisement d’une souche auxo- trophe avec une souche sauvage de signe compati- ble. Chez Neurospora, les ascospores (produits de la méiose ayant valeur de gamètes chez les orga- STRUCTURE ET FONCTION DU GÈNE

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2 DECOUVERTE DE LA FONCTION DU GENE

Une relation assez précise entre les unités d’infor-mation et la fonction enzymatique a été établie par Beadle et Tatum vers 1941 à l’aide d’un cham-pignon ascomycète : Neurospora crassa dont le cycle est représenté ci-dessous.

Cet organisme, bien que méiotique, est supposé plus simple que le pois et la drosophile : la phase de croissance est haploïde et évitera les complica-tions liées aux rapports alléliques, une phase de reproduction asexuée, par conidies (bourgeonne-ments cellulaires uni ou oligo-nucléés) permet une mutagénèse en masse (par irradiation par exem-ple) et l’obtention rapide de nombreux variants.Ces champignons se cultivent aisément sur un milieu défini très simple composé de sucre, de quelques sels et acides inorganiques, d’un com-posé ammoniacal source d’azote et d’une vita-mine : la biotine. Les souches sauvages capables de croître sur ce milieu minimal sont dites pro-totrophes, elles sont capables de réaliser la syn-thèse de toutes les autres molécules nécessaires à leur métabolisme (précurseurs des glucides, lipi-des, protéines, acides nucléiques et macromolé-cules elles mêmes). Une mutation peut très bien affecter l’une des multiples fonctions du métabo-lisme de telle sorte que la souche devient incapa-ble de synthétiser un composé essentiel et donc de pousser sur le milieu minimal défini ci-dessus : la mutation est létale car, la cellule étant haploïde, un locus homologue ne peut compenser ce défaut. Nous allons définir un outil de travail qui va s’avérer indispensable tout au long de cet exposé : la mutation létale conditionnelle, en effet, la muta

tion n’est létale que par rapport au milieu minimal utilisé, si l’on ajoute à ce milieu le composé orga-nique que la souche ne sait plus réaliser, elle se développera comme une souche sauvage.Une souche auxotrophe est une souche ayant subi une telle mutation nutritionnelle, elle ne pourra se développer que sur un milieu capable de suppléer l’effet de la mutation. Le protocole expérimental qui permet d’obtenir rapidement de grandes collections de mutants d’auxotrophie est résumé dans la figure dessous :

* Remarque : au cours de la mutagenèse par irra-diation, celle-ci n’induit pas de mutations ciblées, elle augmente la fréquence des mutations mais elles affectent les gènes d’une façon aléatoire. De très nombreuses mutations létales passent ina-perçues. C’est l’expérimentateur qui, par le jeu des milieux, choisit la nature de l’auxotrophie et sélectionne les mutants correspondants.

La réalité de la mutation, c’est à dire la preuve d’une altération héréditaire du matériel génétique est obtenue par croisement d’une souche auxo-trophe avec une souche sauvage de signe compati-ble. Chez Neurospora, les ascospores (produits de la méiose ayant valeur de gamètes chez les orga-

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nismes diploïdes) restent ordonnées, dans l’asque, selon l’orientation des fuseaux des deux divisions méiotiques et de la mitose surnuméraire. Il est facile de déterminer individuellement leur génotype et de montrer une réparti-tion mendélienne de l’auxotrophie dans la descendance.

De très nombreux mutants auxotrophes, incapables de croître sans arginine furent isolés. La richesse des collections de mutants devint rapidement telle que l’on s’aperçut que des muta-tions entraînant le même phénotype pouvaient se produire dans des gènes différents et il fallut clas-ser ces mutations.Seul un test de complémentation permet de classer des mutants, un tel test peut être réalisé chez Neu-rospora du fait que, lorsque deux thalles de sou-ches différentes se rencontrent, ils peuvent entrer en coalescence et former des dicaryons (cellules binuclées).*Remarque : les deux lots d’informations généti-ques sont contenues dans deux noyaux, il n’y a pas de recombinaison possible.

Comme on le voit sur le schéma, deux types de

résultats sont obtenus après ce test, selon les sou-ches mutées confrontées : soit la présence de deux noyaux (de génotype muté) permet une crois-sance (assure un phénotype sauvage) soit elle ne le permet pas (aucune croissance).

L’explication a déjà été fournie dans les pages précédentes relatives aux travaux de Benzer.

La figure ci-dessus représente deux dicaryons obtenus à partir de la confrontation de mutants «m» et «n» d’une part et «m» et «p» d’autre part.Deux unités de fonction, A et B (barres violettes) sont schématisées sur des chromosomes symboli-ques. Les deux protéines (A et B) sont nécessai-res pour assurer un phénotype sauvage c’est à dire être capable de synthétiser de l’arginine. Dans le premier cas, dans l’un des noyaux, la muta-tion «m» porte sur l’unité de fonction A, dans ce noyau, l’unité de fonction B est intacte. Dans l’autre noyau, l’unité de fonction B n’est pas fonc-tionnelle à cause de la mutation n mais l’unité A est intacte. Dans le cytoplasme, les deux protéines sont présentes, il y a complémentation.Dans le second cas, les deux mutations affectent l’unité de fonction A seule l’information pour la protéine B est correcte, ce qui ne suffit pas à assu-rer le phénotype sauvage.Ceci suppose qu’au moins deux unités de fonction sont nécessaires à la synthèse de l’arginine.

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On a donc une correspondance entre une mutation génétique donnée et la dispari-tion d’une fonction enzymatique néces-saire à l’accomplissement d’une voie métabolique.

En effectuant ce test avec tous les éléments de la collection pris deux à deux, il apparait que plu-sieurs groupes de complémentation y sont pré-sents.Les résultats des tests peuvent être rapidement analysés sous forme de tableaux mentionnant simplement si la confrontation de deux souches conduit à une croissance (+) ou non (0).

On peut ainsi grouper les mutants selon les unités de fonction affectées (argA, argB, argC ...).Une autre constatation fondamentale est que, selon le groupe, les diverses mutations conduisent toutes à une exigence en arginine (mutants arg) mais elles ne sont pas identiques. Par exemple, les sou-ches argH ne peuvent croître que sur un milieu contenant de l’arginine (ce qui est normal puis-qu’elle a été sélectionnée en raison de cette défi-cience), par contre, la souche argG peut croître en présence d’arginine mais pousse tout aussi bien si le milieu contient de l’arginosuccinate.La souche argF peut être complémentée par de l’arginine, de l’arginosuccinate mais aussi de la citrulline et la souche argE par l’un des trois com-posés précédents ou de l’ornithine.

Ces observations ont conduit à l’hypothèse célèbre dite «un gène, une enzyme» qui, sous la forme «un gène une protéine», sera pleinement confir-mée par l’analyse ultérieure et indique la relation entre le génotype et le phénotype : une protéine est un caractère phénotypique.

Les travaux de Beadle et Tatum confortent le gène eucaryotique en tant qu’unité de fonction comme l’avait établi Benzer pour les Procaryo-tes.

La première expression phénotypique de chaque gène est une protéine. C’est parce qu’ils gouvernent la production d’enzymes spécifiques de façon régulée que les gènes sont res-ponsables de l’élaboration de l’ensem-ble du phénotype.