Stratégies d’hybridation et Systèmes Urbains Cognitifs

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1 Besson Raphaël Economiste-Urbaniste (Agence INterland, Lyon, Paris, Bangalore). Doctorant (Université Joseph Fourier, Grenoble, UMR PACTE). Titre de la thèse : Les Systèmes Urbains Cognitifs. Supports privilégiés de production et de valorisation d’innovations ? (dir. Bernard Pecqueur). Les stratégies d’hybridation et leurs effets sur les processus de production et valorisation d’innovations. L’exemple des Systèmes Urbains Cognitifs de Barcelone, Buenos Aires et Grenoble. Colloque « Hybride, hybridation, hybridité : les territoires et les organisations à l’épreuve de l’hybridation ». 3èmes rencontres scientifiques internationales « Territoire, Territorialisation, territorialité (TTT) ». Mars 2012

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Les stratégies d’hybridation et leurs effets sur les processus de productionet valorisation d’innovations.

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Besson Raphaël

Economiste-Urbaniste (Agence INterland, Lyon, Paris, Bangalore).

Doctorant (Université Joseph Fourier, Grenoble, UMR PACTE).

Titre de la thèse : Les Systèmes Urbains Cognitifs. Supports privilégiés de production et de valorisation

d’innovations ? (dir. Bernard Pecqueur).

Les stratégies d’hybridation et leurs effets sur les processus de production

et valorisation d’innovations. L’exemple des Systèmes Urbains Cognitifs de Barcelone, Buenos Aires et

Grenoble.

Colloque « Hybride, hybridation, hybridité : les territoires et les organisations à l’épreuve de

l’hybridation ». 3èmes rencontres scientifiques internationales « Territoire, Territorialisation,

territorialité (TTT) ».

Mars 2012

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INTRODUCTION1

Les villes contemporaines adaptent leurs structures productives, spatiales et socio-organisationnelles aux

exigences de la nouvelle économie. L’une des manifestations les plus claires de ces mutations réside dans la

multiplication de projets de « districts technologiques », de « clusters créatifs », de « clusters culturels », de «

districts du design » ou encore de « cyberdistricts ». Ces projets se construisent selon nous sur le même type

de modèle, le modèle des « Systèmes Urbains Cognitifs » (SUC).

Les SUC émergent au cœur des villes, suite à des politiques publiques fortes de revitalisation

socioéconomique et urbaine, sur des sites d’environ 200 hectares et emblématiques de l’époque fordiste . Ils

ont vocation à créer des espaces propices à la production et la valorisation d’innovations, grâce à la

concentration d’institutions formelles et informelles de l’innovation, qui interagissent entre elles et avec le

tissu économique, spatial et socioculturel des villes, au travers de rapport de proximités intenses et variés,

dans le but de générer une dynamique systémique et ouverte d’innovation dans des secteurs technologiques

hybrides .

Six facteurs différenciants interagissent pour faire des SUC des supports privilégiés de production et de

valorisation d’innovations :

- Les SUC mettent en place un mode de « gouvernance urbaine » complexe et flexible, à même de s’adapter

en continue à la complexité et l’incertitude des projets.

- A la différence des espaces économiques de l’époque fordiste, conçus selon un modèle fonctionnaliste de

séparation des activités innovantes du reste de la ville, les SUC sont bâtis selon un modèle organiste de

développement progressif avec les ressources du territoire dans lequel ils s’inscrivent. Loin de constituer des

sortes de « ville dans la ville », de quasi « zones interdites » dédiées aux technologies, les SUC se

caractérisent par leur capacité à valoriser les ressources économiques (2), urbaines (3) et socioculturelles (4).

- Les SUC se caractérisent enfin par leur capacité à intensifier et diversifier les interactions entre acteurs

formels et informels de l’innovation (5). Cette spécificité permet de dépasser une conception hiérarchique et

linéaire du processus d’innovation, pour concevoir un écosystème d’innovation ouvert (6).

                                                            1 Cet article s’insère dans le cadre d’une thèse que nous menons actuellement sur la question de la capacité des « Systèmes Urbains Cognitifs" (SUC) à se positionner comme des supports privilégiés de production et de valorisation d’innovations. Notre travail empirique porte sur une étude comparative de SUC mis en œuvre dans trois villes : Barcelone (22@Barcelona), Buenos Aires (Distrito Tecnológico ; Distrito de Diseño) et Grenoble (GIANT / Presqu’île).  

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Pour illustrer notre propos nous nous appuierons sur une analyse comparative que nous menons actuellement

dans quatre SUC mis en œuvre dans trois villes : Barcelone (22@Barcelona), Buenos Aires (Distrito

Tecnológico ; Distrito de Diseño) et Grenoble (GIANT / Projet Presqu’île).

I LES STRATEGIES D’HYBRIDATION OBSERVABLES AU SEIN DES SUC

L’hypothèse que nous souhaitons dans cette communication, est que les SUC se construisent autour de

différentes stratégies d’hybridation. Nous en identifions principalement quatre :

A Hybridations sectorielles et technologiques.

Chaque SUC valorise les avantages différenciatifs du territoire en organisant, sous la forme des clusters, la

concentration et la mise en synergie d’entreprises innovantes, d’universités et de centres de recherche, autour

d’un certain nombre de secteurs technologiques et scientifiques : TIC (thématique commune aux quatre SUC),

santé et biotechnologies (22@, GIANT), médias et audiovisuel (22@, Distrito tecnológico, distrito de diseño),

design (22@Barcelona, distrito tecnólogico, distrito de diseño) énergies et environnement (GIANT, 22@,

distrito de diseño) ou micro et nanotechnologies (GIANT).

Une stratégie d’hybridation entre filières d’activités.

En parallèle de cette organisation par clusters, les SUC organisent l’imbrication des technologies entre elles,

afin d’imaginer de nouveaux produits et services innovants dans les domaines de l’information, de la

communication, du transport, de l’habitat, de l’environnement ou de la santé. Ce processus de « convergence

technologique » (Ferguene, 2008, p.18), est rendu possible grâce à l’organisation pluridisciplinaire des SUC.

Le site GIANT par exemple en organisant les interfaces entre biologie-chimie-physique-santé-mathématiques

permet d’inventer des nouvelles applications dans des domaines scientifiques complexes : science des

matériaux et du génie des procédés, nouvelles technologies de l’énergie, sciences du vivant, recherche sur les

métaux en biologie etc. (GIANT, 2011).

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Une stratégie d’hybridation entre les activités innovantes et les activités des filières dites

traditionnelles

Les SUC favorisent également les processus d’hybridation entre les activités innovantes et les activités des

filières dites traditionnelles (logistique, mécanique, chimie, textile, papeterie, optique). Cette organisation

cherche à développer le tissu industriel des quartiers des SUC. Sur le distrito de diseño par exemple, le CMD

cherche à ce que « les activités du design interagissent avec les industries déjà présentes sur le quartier de

Barracas» . Le projet 22@Barcelona tente également de « favoriser au maximum les échanges entre les

activités urbaines traditionnelles et le monde de l’entreprise, de la recherche et de la formation, dans le but de

créer au final un tissu productif cohérent », innovant et compétitif (Broggi, 2007). Quant au projet GIANT, la

construction en 2010 du Bâtiment des Industries Intégratives (B2I), permet d’organiser la diffusion des

innovations technologiques auprès du tissu des PME-PMI régionales issues des filières dites « intégratives » .

A titre d’exemple, citons l’invention de la première canalisation plastique détectable et communicante, par la

société iséroise RYB. « Grâce à l’intégration d’une technologie de type RFID, développée en partenariat avec

les laboratoires du CEA-Leti, cette canalisation permet (…) un repérage plus sûr (…) et intègre des données

précises sur la puce (matériau, date de fabrication, application...) facilitant le suivi et l'entretien ». (Grenoble

Presquîle, Lettre d’information du projet Grenoble Presqu’île n°7, octobre 2011). Le B2I accueille également

un showroom de 800m2, permettant non seulement de valoriser les travaux des laboratoires de recherche

mais aussi de favoriser l’émergence d’idées, les partenariats industriels, avec l’objectif de diffuser l’innovation

dans l’ensemble du tissu économique (Grenoble Presqu’île, Lettre d’information du projet Presqu’île n°7,

octobre 2011).

B Hybridations entre les différentes étapes du processus d’innovation.

Le modèle des SUC rompt avec le modèle de l’innovation hiérarchique et linéaire, pour concevoir un

écosystème d’innovation dont toutes les phases sont étroitement imbriquées (R&D, expérimentation,

évaluation, commercialisation). Les SUC se caractérisent également par une étroite imbrication entre les

institutions formelles et informelles de l’innovation, dans le but de générer une dynamique continue et ouverte

d’innovations.

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Ouverture du système d’innovation aux acteurs formels et informels du processus d’innovation.

Dès lors, on observe au sein des SUC une ouverture du système d’innovation aux acteurs formels de

l’innovation. Ce modèle est fondé sur le modèle de la tripe hélice (ETZKOWITZ et LEYDESDORFF, 2000), qui

se fonde sur la stimulation des liens entre universités, entreprises et administration publique.

Les SUC développent par ailleurs les canaux d’échanges entre les innovations technologiques et les

innovations artistiques (NICOLAS-LE-STRAT, 1998, GREFFE, 2002 ; MENGER, 2002). Sur GIANT, citons

notamment la plateforme « Atelier Art Science » mise en place par l’Hexagone Scène Nationale de Meylan et

le CEA, laboratoire commun de recherche entre artistes et scientifiques. Évoquons également le projet EXEO

(Expériences Echanges Observations), qui organise des résidences artistiques au sein des Instituts de

recherche du CEA. L’objectif étant de porter un regard artistique et critique sur les différentes innovations

technologiques produites (GIANT, Lettre d’information n°5, février 2011).

L’ouverture du système d’innovation au sein des SUC s’objective enfin à travers l’idée de co-production des

innovations avec les utilisateurs. On observe ainsi une multiplication de Living Labs (« laboratoires vivants »)

comme le « MINATEC IDEAs Laboratory » , le Idea’s lab, le Human lab et le projet « d’Open Innovation

Center » (OIC) sur le site GIANT / Presqu’île ; le projet de showroom technologique sur les distrito tecnólogico

et distrito de diseño; et la plateforme « 22@living labs » sur 22@Barcelona.

Expérimentation et intégration des technologies dans l´aménagement des SUC.

L’intégration des innovations technologiques au sein des SUC ne porte plus seulement sur les processus

constructifs (comme le « béton armé » à l’époque de Le Corbusier), mais intéresse des questions liées à la

sociabilité (ex. le « 5ème écran »), la sécurité (nouveaux dispositifs de surveillance), l’environnement

(intégration des nouvelles technologies vertes) et les services urbains. Les SUC constituent en eux-mêmes

des espaces d’expérimentation des technologies innovantes produites par les centres de R&D et les

entreprises du territoire.

Le site GIANT par exemple intègre les technologies vertes produites par les pôles de compétence de

l’agglomération. Le site sert ainsi de support à des démonstrations de transports innovants, de terrain

d’expérimentation des «smart grids» (réseaux intelligents) et de techniques d’optimisation des sources

d’énergie dans les bâtiments tertiaires et résidentiels. Le projet 22@Urban Lab, met le quartier de Poblenou à

disposition des entreprises innovantes, pour tester en situation réelle la performance et les usages des

technologies de pointe.

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Effets de rétroaction et interactions entre les différentes étapes de l´innovation.

Le projet GIANT / Presqu’île conçoit l’innovation comme un processus dynamique et interactif entre les phases

amont et aval. La culture de GIANT repose selon Jean-Charles Guibert (directeur de la valorisation du CEA et

directeur de MINATEC à Grenoble) sur la règle des quatre P : « une liaison très forte entre la recherche

fondamentale (publications), la recherche technologique (patents), le développement industriel (prototypes), et

enfin la production de masse (products)» (Guibert, 2011). Cette interaction continue entre les « producteurs de

connaissances et d’innovations» (les artistes, créatifs, entrepreneurs, enseignants-chercheurs), les «

transformateurs / valorisateurs des innovations » (sphère publique, financiers, promoteurs…) et les «

utilisateurs des innovations » (entreprises, consommateurs, citadins …), doit permettre d’imaginer de

nouvelles combinaisons productives.

Dès lors, on comprend en quoi le management de la technologie et de l'innovation devient un enjeu

fondamental. La stratégie de valorisation s’appuie sur une recherche d’excellence mais aussi sur une volonté

de transfert technologique collaboratif entre la recherche et l’industrie. Dans cette optique, les acteurs de

GIANT ont créé une douzaine de plates-formes technologiques dans les domaines des nanotechnologies, des

biotechnologies, des nouvelles technologies pour l'énergie. Ces plateformes permettent des collaborations

privilégiées avec les acteurs industriels et le développement de nombreux contrats avec l’industrie (GIANT,

dossier de presse, Janvier 2011). GIANT soutient également à la création de start-ups à travers la mise en

place d’un dispositif d’accompagnement qui intervient depuis l'idée qui germe en laboratoire (GRAVIT),

jusqu'au démarrage commercial et industriel des sociétés (GRAIN et PETALE). A ces structures s'ajoute GEM

Entreprendre, qui accompagne des projets innovants en apportant aux initiateurs technologiques les

compétences managériales et commerciales. Grenoble Ecole de Management a d’ailleurs créé un Living Lab,

permettant de tester les nouveaux concepts, au regard de la valeur intrinsèque de la technologie, de la

définition de son business model, de l’identification de nouveaux marchés et de l'évaluation des impacts

socioéconomiques potentiels (www.giant-grenoble.org).

C Hybridations entre la ville réelle et la ville virtuelle.

Les SUC tendent à brouiller la distinction entre ville réelle et ville virtuelle. La surproduction de slogans

marketing et d'images urbaines efface progressivement la représentation matérielle des villes au profit de leur

représentation immatérielle.

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Les nouvelles technologies liées à l’image sont omniprésentes dans la conception, la représentation et le

fonctionnement des Systèmes Urbains Cognitifs (SUC). L’image joue à notre sens un triple fonction :

• Attirer et produire les talents (1).

• Légitimer les projets de SUC (2).

• Produire des innovations (3).

L’attractivité et la production des talents.

Les images sont instrumentalisées dans une perspective de marketing et d’attractivité des talents. C’est le cas

notamment des images de représentation 3D produites par les architectes-urbanistes dans le cadre des

projets de SUC. En utilisant les nouvelles techniques de communication et de conception numérique, ces

derniers construisent une image partiellement fausse de la réalité, à travers une représentation quasi utopique

des villes innovantes. Ces images qui certes sont le fruit d’interprétations et de vérités partielles, contribuent

néanmoins à modifier "nos cartographies cognitives des réalités urbaines et les grilles d'interprétation à travers

lesquelles nous pensons les lieux et les communautés » (Soja, 2005, p. 323).

Cet effacement progressif des frontières entre ville réelle et ville virtuelle, s’observe également à travers la

production des films marketing de présentation des projets de SUC. Ces films à fort degré d’iconicité nous

projettent dans un monde où l’innovation technologique, apparaît comme une panacée aux défis

économiques, sociaux et environnementaux du 21ème siècle.

Les images sont également présentes dans le cadre de slogans marketing des projets («

22@Barcelona», « Grenoble Université de l’innovation »), qui produisent des discours narratifs et des mythes

(SALMON, 2007), autour de la figure du « travailleur créatif » et des notions de talent, d’innovation, de

créativité, d’entrepreneuriat ou d’excellence. La classe créative est ainsi présentée comme « l’horizon d’une

socialité rêvée faite de flexibilité, de mobilité, d’imagination, de singularité, d’implication personnelle,

d’anticonformisme» (SAEZ, 2009). Les caractéristiques supposées des sociétés locales, leur esprit créatif et

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innovant, sont systématiquement instrumentalisées pour construire une image de marque susceptible de

rendre les SUC attractifs. La production de sens passe aussi par le marquage du territoire par des symboles

architecturaux : Tour Agbar à Barcelone et Minatec à Grenoble.

Les politiques de marketing des villes cherchent non seulement à attirer les nouveaux talents, mais aussi à

devenir actives dans la production d’un capital humain créatif. Plutôt que d’être descriptives, les nouvelles

politiques de marketing urbain incitent les citadins à faire preuve de créativité au quotidien pour imaginer les

liens qui les unissent symboliquement à leur ville. Tout l’intérêt de politiques de marketing comme « Do It

Barcelona » ou « Play Grenoble », consistent à laisser aux citadins la possibilité de produire au quotidien le

sens et l’identité de Barcelone ou de Grenoble.

La légitimation des projets de SUC.

Les villes qui développent des grands projets de SUC, doivent légitimer l’hyper concentration des ressources

sur une catégorie particulièrement qualifiée de la population et un espace strictement délimité de la métropole.

Dans ce cadre, la reconstruction des identités urbaines à travers une représentation utopique des SUC,

apparaît comme l’un des mécanismes privilégiés de légitimation. Il s’agit d’attirer l’attention vers les stratégies

culturelles, « déviant le regard de cette autre facette plus épineuse : l’économie » (PREVOT SCHAPIRA,

2008).

La production d’innovations.

Enfin, les technologies liées à l’image jouent dans les processus d’innovations eux-mêmes. On observe en

effet une intégration croissante des techniques numériques dans la conception et le fonctionnement des SUC.

Les SUC expérimentent des formes de « proximités virtuelles » (Bourdeau-Lepage et Huriot, 2009). Le

dispositif du « 5ème écran » et les plateformes web 2.0 permettent de connecter les « créatifs » des SUC à

un espace public virtuel, un environnement permanent de relations et d’informations. Sur « 22@Barcelona »,

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le « media TIC Building » apparaît comme l’incarnation de cette idée. Ce bâtiment a été conçu en intégrant les

Technologies de l’information et de la communication (TIC) les plus innovantes. L’objectif étant de stimuler les

interactions et les formes de proximités virtuelles entre les « créatifs » de 22@. Selon Enric Ruiz-Geli,

architecte du Media TIC Building, « l’architecture doit se concevoir comme une plateforme technologique (…)

La question des réseaux et des connexions est désormais plus importante que la question des matériaux de

construction eux-mêmes » .

On assiste ainsi à l’émergence d’environnements urbains favorables à l’innovation ouverte (Kaplan, 2008), à

partir desquels les différents acteurs de la ville, collaborent aux tests et à l’invention de nouveaux produits et

services. Ces livings labs , à l’instar du « MINATEC IDEAs Laboratory » de Grenoble, orientent d’ailleurs

souvent leurs investigations vers les technologies les de l’image. Ils expérimentent par exemple les concepts

de « réalité augmentée », qui permettent de superposer un monde virtuel à notre perception de la réalité.

D Hybridations entre les ressources économiques, spatiales et socioculturelles des villes.

Les SUC engagent une vision intégrée et transdisciplinaire de l´urbanisme. Le développement urbain ne se

conçoit pas sans un développement économique et social. Le projet de distrito tecnológico par exemple est

fondé sur « le pari d’un développement multidimensionnel basé sur l’économie, l’urbain, l’environnement et la

culture » .

GIANT en s’appuyant sur les ressources urbains existantes (accessibilité, tissu socioéconomique intense et

valorisable), cherche à créer un modèle urbain, conjuguant qualité de vie, innovation technologique, densité et

mixité sociale. Il correspond à une conception globale du développement, liant de manière étroite le

développement économique au développement urbain. Le projet crée ainsi des espaces qui sont tout à la fois

:

- Centraux, avec la création d’une nouvelle centralité d’agglomération.

- Denses. GIANT utilise la densité comme un outil de recherche d’urbanité , de durabilité et de

synergies liées à la concentration en un même lieu d’activités à fort contenu de connaissance. La densité et la

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qualité des espaces publics doivent permettre de renforcer la convivialité mais aussi la créativité, les synergies

entre habitants, chercheurs, salariés et étudiants, au service de l’innovation.

- Mixtes, avec l’implantation de l’ensemble des fonctions et services urbains : bureaux, universités,

habitat mixte (logements sociaux et en accession à la propriété, logements étudiants et familiaux),

équipements commerciaux et de loisirs… et la possibilité de travailler, étudier, se loger, vivre.

- Récréatifs. GIANT favorise l’émergence de « centralités récréatives » (Ambrosino, 2009), ou de «

pôles de vie » pour reprendre les termes du projet, dans lesquels les chercheurs, industriels, étudiants et

habitants travaillent, flânent, se restaurent, se cultivent et se distraient en profitant des aménités urbaines

mises à disposition : activités commerciales, hôtel, restaurants, équipements sportifs et de loisirs de plein air,

espaces publics de promenade le long des Berges de l’Isère réaménagées etc.

II LES MECANISMES PERMETTANT DE TELLES HYBRIDATIONS

A L’intensification des proximités

Pour répondre à de telles stratégies d’hybridations, les SUC créent les conditions d’une plus grande capacité

relationnelle entre acteurs et thématiques hétérogènes. Les SUC se caractérisent par une diversification et

une intensification des formes de proximité. Aux formes traditionnelles de proximité spatiale, organisationnelle

et institutionnelle (Torre et Rallet, 2008 ; Pecqueur, Zimmerman, 2004), les SUC expérimentent des formes de

proximité relationnelles (Suire, 2002, 2007 ; Vicente, Suire, 2006 ; Boshma, 2005) et virtuelles (Bourdeau-

Lepage et Huriot, 2009).

L’intensification des proximités spatiales

La proximité spatiale renvoie à la distance physique concrète qui existe entre les acteurs. Elle se fonde sur

l’idée que la concentration spatiale crée des liens, à travers des relations de « face à face ». Dans cette

optique, les SUC favorisent les proximités physiques entre acteurs, rendant ainsi possible la formation d’un

réseau de fournisseurs, de distributeurs et de clients, ainsi que l’échange de connaissances.

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L’intensification des proximités organisationnelles et institutionnelles

Les SUC se dotent d’une structure organisationnelle commune , d’un ensemble de règles, de normes et de

projets partagés, qui favorisent les échanges d’informations stratégiques entre acteurs hétérogènes, aux

intérêts souvent divergents. Plus encore, les SUC mettent en place « un système commun de représentations,

voire de valeurs » (GILLY et LUNG, 2004), autour de règles explicites ou implicites, stimulant le sentiment

d’appartenance des acteurs à un espace commun de représentations, d’actions et de modèles de pensée

(BOSCHMA, 2005). C’est là tout l’enjeu de la construction sociale de l’identité créative des SUC.

L’expérimentation des proximités relationnelles et virtuelles

L’ouverture du système d’innovation des SUC aux acteurs formels et informels de l’innovation, les incite à

expérimenter des formes de proximités relationnelles (SUIRE, 2008). Les SUC cherchent à stimuler les «

interactions inter-personnelles » afin de briser les distances entre des mondes sociaux et culturels différents,

dépositaires d’habitudes de travail et de logiques cognitives distinctes. Si les acteurs de l’innovation ne sont

pas capables de se faire confiance, de partager, de travailler ensemble, de confronter leurs différentes

cultures et spécialités, l’innovation ne pourra se développer (FOREST, 2010). La relation est plus qu’un

échange froid d´informations. Elle est aussi échange de connaissances tacites, de goûts, d’affects voir

d’émotions, essentiels aux processus d’innovations (CORTINA, BRUSTENGA et GONGORA, 2011 ;

MUNDET et GIROTTO, 2011 ; GRANADOS, 2011).

Dans cette optique, un ensemble d’actions permettent le développement de « liens forts » au sein des SUC.

Des programmes comme « 22@Espacio de relación personal », « 22@Update Breakfast », « IN22@ »,

«22@network », « HiT Barcelona », « 22@SinergyS », « Red de amigos », « Desayunos de diseño » ou les

conférences du CMD et de MINATEC, organisent les rencontres régulières et personnelles entre les

professionnels de l’innovation.

L’expérimentation des proximités virtuelles (BOURDEAU-LEPAGE, HURIOT, 2009) est quant à elle

essentielle pour éviter les risques d’enfermement des SUC sur eux-mêmes (BOSCHMA, 2005) et inciter aux «

comportements de rupture » (SUIRE, 2006). Dans ce cadre, les SUC facilitent les interactions à distance, à

travers le développement d’un espace public virtuel. Les 5ème écrans , les plateformes web 2.0, les pages

facebook et twitters, ou les programmes comme Porta22, 22@Network ou Infonomia sur 22@, permettent de

connecter les créatifs en temps réel et de diffuser de manière ouverte et collaborative les idées émergentes.

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B Mise en place d’une structure organisationnelle complexe et adaptable

Les SUC mettent également en place une structure organisationnelle complexe et adaptable, en mesure de

porter et de mettre en synergie la multiplicité des thématiques à traiter. Dès lors, les équipes projet sont non

seulement composées d’architectes et d’urbanistes, mais aussi d’économistes, de juristes et de spécialistes

des questions scientifiques, technologiques ou financières

CONCLUSION. De la capacité des stratégies d’hybridation à stimuler les processus de production et

de valorisation d’innovations

Nous nous interrogerons dans un troisième temps sur la capacité des stratégies d’hybridation à stimuler les

processus de production et de valorisation d’innovations (III).

Face aux différents arguments avancés concernant la plus ou moins grande capacité du projet GIANT /

Presqu’île à impacter la socio-économie métropolitaine, il nous a semblé fondamental de construire notre

propre grille d’analyse méthodologique. Bien évidemment, l’ensemble des problématiques économiques,

sociales, institutionnelles, écologiques ou urbaines ne peuvent être traitées dans le cadre d’une seule et

même étude.

Pour répondre en partie à une telle question, il nous a semblé fondamental d’interroger la capacité du projet

GIANT / Presqu’île à se positionner comme un support privilégié de production et de valorisation

d’innovations. Dans quelle mesure le site de Giant permet d’intensifier et de maximiser les processus de

production et de valorisation des innovations ? Quels sont les mécanismes à l’œuvre ? Comment se

traduisent-ils d’un point de vue socioéconomique et spatial ?

De telles problématiques supposent de construire un cadre méthodologique rigoureux et nécessairement

nouveau. Notre méthode de travail repose sur une enquête essentiellement qualitative. Le matériau empirique

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de notre analyse est constitué à partir d’entretiens semi-directifs conduits auprès d’une cinquantaine de

personnes, sélectionnées parmi les deux catégories suivantes :

- Les « producteurs de connaissance et les utilisateurs du site GIANT / Presqu’île» : responsables de grandes

entreprises et de PME, représentants des organismes de recherche et de formation (universités, laboratoires

de recherche, clusters technologiques et clusters de recherche), responsables de cellule de transfert, salariés

des PME innovantes et étudiants intégrés aux programmes de recherche. Les producteurs de connaissance

ont été sélectionnés parmi les trois sites d’interface des sphères de la recherche, de l’industrie, de la formation

et de la société civile : le « MINATEC IDEAs Laboratory », le « Bâtiment de Hautes Technologies » de la

plateforme MINATEC et le « Bâtiment des Industries Intégratives (B2I) ».

- Les « producteurs du cadre spatial et les observateurs du projet GIANT / Presqu’île » : responsables publics

d’aménagement et de développement (ville de Grenoble, Grenoble Alpes Métropole, agence d’Urbanisme de

Grenoble, SEM Innovia), les maîtres d’œuvre des projets (architectes, consultants, promoteurs etc.), élus

locaux, mais aussi journalistes, universitaires et responsable d’associations d’habitants, d’associations

culturelles ou de représentation d’intérêts économiques.

Des grilles de questionnement différenciées sont utilisées en fonction de nos interlocuteurs. Pour chaque

catégorie d’analyse, une liste de données qualitatives est développée.

.

A travers l’enquête auprès des producteurs de connaissance nous cherchons à déconstruire le travail

quotidien de production d’innovation des « travailleurs cognitifs », des raisons qui les ont incités à s’installer

sur le site GIANT, et de leur perception des effets du site sur leur capacité à innover (production,

expérimentation et valorisation des innovations). Nous discutons des spécificités socio-économiques,

spatiales, organisationnelles et socioculturelles propres au site GIANT qui selon les enquêtés jouent dans un

tel processus. En quoi GIANT se différencie-t-il de ce point de vue des autres modèles territoriaux de

l’innovation, comme les technopôles, les systèmes productifs locaux, les clusters ou pôles de compétitivité ?

Inversement, nous évoquons les principaux freins qui selon les enquêtés nuisent à la production d’innovations.

In fine, nous les interrogeons sur leur vision du futur : comment voient-ils leur avenir au sein de GIANT dans

les quinze prochaines années ? Imaginent ils développer leur activité ou au contraire se délocaliser sur

d’autres sites à moyen / long terme ?

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L’enquête auprès des producteurs du cadre spatial et des observateurs du projet GIANT cherche quant à elle

à décrypter l’origine, les objectifs, le fonctionnement et les résultats attendus par le projet. La perception des

spécificités socio-économiques, spatiales, organisationnelles et socioculturelles du projet dans sa capacité à

attirer et à impacter le processus de production d’innovations des travailleurs cognitifs est également abordée.

Dans un troisième temps, nous cherchons à mieux comprendre les mécanismes par lesquels le tissu

socioéconomique métropolitain peut bénéficier des externalités de connaissance produites par GIANT. Nous

concluons enfin l’enquête par la vision de l’avenir des enquêtés : comment voient-ils GIANT dans 15 ans ?

Quelles sont selon eux les conditions de pérennité et de développement d’un tel projet ? Quels sont les

principaux freins ou écueils à éviter ?

Ces éléments nous permettront d’établir un « faisceau de présomptions » de la perception globale par les

enquêtés de l’influence du site GIANT / Presqu’île sur leur capacité à innover. Nous pourrons conclure sur la

plus ou moins grande capacité de GIANT à produire (production quantitative et qualitative des innovations ;

capacité des SUC à attirer les talents et les activités innovantes) et valoriser les innovations (valorisation des

productions innovantes ; valorisation pour le tissu socioéconomique des villes).

In fine, ces analyses nous permettront d’identifier les principaux facteurs favorables à la constitution de milieux

urbains innovants. En fonction des résultats obtenus, une lecture critique de notre modèle de SUC sera

réalisée, pour devenir la base de propositions d’un modèle reconfiguré, plus performant du point de vue de sa

capacité à stimuler la production et la valorisation d’innovations et à impacter le tissu socio-économique des

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