Société 9 XLVIe ANNEE Maladies mentales dans la région du ...

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L’OBSERVATEUR PAALGA N° 9748 DU VENDREDI 7 AU DIMANCHE 9 DECEMBRE 2018 Société 9 XLVI e ANNEE C e ne sont plus des hommes, ce sont des ombres. Difficile de ne pas remarquer ces êtres errant comme des âmes en peine -ce qu'ils sont en réalité- couverts de guenilles alourdies par la crasse déambuler dans les rues de Yako. Dans le chef-lieu de la province du Passoré, ceux qu'on appelle communé- ment «fous» ou «malades mentaux» font partie du décor depuis belle lurette. Une petite colonie s'est même établie sous l'immeuble jamais achevé du richissime homme d'affaires Oumarou Kanazoé décédé en 2011, originaire de la ville. Sous les remparts de l'édifice en cet après-midi d'octobre, quelques-uns, recroquevillés, le regard vide, lèvent péniblement comme des mourants leur corps pour quémander auprès des pas- sants de quoi casser la croûte. A défaut de l'aumône, ces pauvres hères, qui pestent de loin, compteront sur la bienveillance des tenancières de gargotes du coin ou se contenteront de tout ce que la Providence mettra sur leur chemin ou encore se rabattront sur des poubelles. Ils sont à la fois «Les Misérables» et «Les Damnés de la terre». Nombreux dans la région du Nord, parfois privés de liberté, leur triste sort n'a longtemps préoccupé ni ému per- sonne. Mais depuis 2010 un groupe de natifs de la région, avec à leur tête Adama Ouédraogo, a fondé une associa- tion au nom suffisamment évocateur, «Sauvons le reste» (SAULER). Ces… fous de la charité s'investissent dans la prise en charge psycho sanitaire et la réinsertion des personnes ayant un han- dicap psychosocial. SAULER dispose aujourd'hui d'un centre d'accueil, une sorte d'arche de Noé où sont repêchés ces naufragés que la société laisse bien sou- vent sombrer sans lever le petit doigt. Rencontre improbable Ouahigouya, 8 octobre 2018. A la sortie de la ville, sur la route menant à Titao, ce panneau : «Centre d'accueil, de transit, de prise en charge et de réinsertion socio- économique des personnes handicapées psychosociales». Plus que quelques cen- taines de mètres à parcourir et l'immense bâtiment brun ayant jailli de nulle part. Nous traversons une pièce aux murs tapissés de photographies d'instants cap- tés de plusieurs années d'engagement en faveur des malades mentaux pour nous retrouver nez à nez dans son bureau avec Adama Ouédraogo. Il a 51 ans et est à la base de tout. C'est le Denis Mukwege (2) des fous, dira-t-on ! Son immersion dans cet autre monde débute en 2010 lorsqu'en voyage il croise la route d'une démente assise en plein milieu de la chaussée. Elle est en haillons, sale, et porte une tignasse. Elle n'inspire que dégoût et rejet. Tout le monde l'évite, mais Adama, après lui avoir donné à manger, reviendra quelques jours plus tard raser sa tête envahie par les poux et lui donner de quoi se faire un autre look vestimentaire. Ce jour-là, métamorpho- sée par la toilette, elle a quitté son toit improvisé sur la voie, et Adama ne l'a plus revue. Mais l'inconnue avait fait naî- tre quelque chose chez ce bon Samaritain: une flamme philanthropique venait de s'allumer. «J'ai pensé à l'exis- tence pénible de ces gens et je me suis dit : et si je faisais la même chose pour les autres ?», raconte-t-il. Ce fut alors le début d'un projet… fou, si on peut s'amu- ser à jouer avec ce mot ici. Avec des amis, ils sillonnent les rues de Ouahigouya et d'autres localités de la région à la recherche de déments errants. Les opérations se mènent la nuit, pour se protéger des regards inquisiteurs des populations, qui ont la conviction supers- titieuse que les cheveux des fous abritent des génies. Les coiffeurs amateurs débar- rassent ces hommes et ces femmes, qui ont perdu toute notion élémentaire d'hy- giène, de leur chevelure hirsute et leur fournissent de nouveaux vêtements. Quelques coups de ciseaux et de rasoir suffisent pour que les «monstres» que tout le monde fuit prennent des traits beaucoup plus humains et sympathiques. Après avoir été longtemps SDF à l'image de leurs protégés et avoir squatté des locaux de la Croix-Rouge, l'association, qui avait commencé à taper à toutes les portes, se trouve un refuge grâce au financement d'une ONG suisse : Christian Blind Mission (CBM). L'infrastructure est inaugurée le 10 octo- bre 2017, une date symbolique puisque le 10 octobre de chaque année est célé- brée la Journée mondiale de la santé mentale. Le geek a "perdu le réseau" Un an après sa création, la maison d'ac- cueil, installée sur une superficie de 1,5 ha, a déjà vu passer entre ses murs plus de 80 pensionnaires. Ils y ont gîte et cou- vert et sont aiguillonnés vers des structu- res sanitaires pour des soins appropriés que l'association assure entièrement. A notre passage le refuge hébergeait 22 personnes dont 6 femmes. A notre arri- vée à 8h 30, quelques-uns s'employaient avec des arrosoirs et des barriques d'eau à entretenir le jardin de l'établissement. Maladies mentales dans la région du Nord Le sacerdoce fou de “vagabons de la charité” (1) Traînant dans les villes et villages ou entravés dans des taudis et bosquets loin de toute vie, les personnes atteintes de maladie psychosociale essaiment dans la région du Nord. Comme partout ailleurs, elles sont en proie à toutes sortes de discriminations et de maltraitances. Une condition misérable qui a poussé des natifs de cette partie du Burkina à se lancer depuis 2010 dans une croisade pour redonner de la dignité et des chances de réintégration à ceux qu'on traite sans égard. Nous les avons suivis durant deux jours. Toute une aventure ! Des malades mentaux vautrés dans leur gîte à Yako Un marginal en train de faire son marché dans un dépotoir Après avoir longtemps vécu dans la rue, ils accueillent très bien leur nouvelle vie au centre Hugues Richard Sama Ph. Lambert O. Ph. Lambert O. Ph. Lambert O.

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L’OBSERVATEUR PAALGA N° 9748 DU VENDREDI 7 AU DIMANCHE 9 DECEMBRE 2018

Société 9XLVIe ANNEE

Ce ne sont plus des hommes, ce sontdes ombres. Difficile de ne pas

remarquer ces êtres errant comme desâmes en peine -ce qu'ils sont en réalité-couverts de guenilles alourdies par lacrasse déambuler dans les rues de Yako.Dans le chef-lieu de la province duPassoré, ceux qu'on appelle communé-ment «fous» ou «malades mentaux» fontpartie du décor depuis belle lurette. Unepetite colonie s'est même établie sousl'immeuble jamais achevé du richissimehomme d'affaires Oumarou Kanazoédécédé en 2011, originaire de la ville.Sous les remparts de l'édifice en cetaprès-midi d'octobre, quelques-uns,recroquevillés, le regard vide, lèventpéniblement comme des mourants leurcorps pour quémander auprès des pas-sants de quoi casser la croûte. Adéfaut del'aumône, ces pauvres hères, qui pestentde loin, compteront sur la bienveillancedes tenancières de gargotes du coin ou secontenteront de tout ce que la Providencemettra sur leur chemin ou encore serabattront sur des poubelles. Ils sont à lafois «Les Misérables» et «Les Damnésde la terre». Nombreux dans la région duNord, parfois privés de liberté, leur tristesort n'a longtemps préoccupé ni ému per-sonne. Mais depuis 2010 un groupe denatifs de la région, avec à leur têteAdama Ouédraogo, a fondé une associa-tion au nom suffisamment évocateur,«Sauvons le reste» (SAULER). Ces…fous de la charité s'investissent dans laprise en charge psycho sanitaire et laréinsertion des personnes ayant un han-dicap psychosocial. SAULER dispose

aujourd'hui d'un centre d'accueil, unesorte d'arche de Noé où sont repêchés cesnaufragés que la société laisse bien sou-vent sombrer sans lever le petit doigt.

Rencontre improbable

Ouahigouya, 8 octobre 2018. A la sortiede la ville, sur la route menant à Titao, cepanneau : «Centre d'accueil, de transit,de prise en charge et de réinsertion socio-économique des personnes handicapéespsychosociales». Plus que quelques cen-taines de mètres à parcourir et l'immensebâtiment brun ayant jailli de nulle part.Nous traversons une pièce aux murstapissés de photographies d'instants cap-tés de plusieurs années d'engagement enfaveur des malades mentaux pour nousretrouver nez à nez dans son bureau avecAdama Ouédraogo. Il a 51 ans et est à labase de tout. C'est le Denis Mukwege (2)des fous, dira-t-on ! Son immersion danscet autre monde débute en 2010lorsqu'en voyage il croise la route d'une

démente assise en plein milieu de lachaussée. Elle est en haillons, sale, etporte une tignasse. Elle n'inspire quedégoût et rejet. Tout le monde l'évite,

mais Adama, après lui avoir donné àmanger, reviendra quelques jours plustard raser sa tête envahie par les poux etlui donner de quoi se faire un autre lookvestimentaire. Ce jour-là, métamorpho-sée par la toilette, elle a quitté son toitimprovisé sur la voie, et Adama ne l'aplus revue. Mais l'inconnue avait fait naî-tre quelque chose chez ce bonSamaritain: une flamme philanthropiquevenait de s'allumer. «J'ai pensé à l'exis-tence pénible de ces gens et je me suis dit: et si je faisais la même chose pour lesautres ?», raconte-t-il. Ce fut alors ledébut d'un projet… fou, si on peut s'amu-ser à jouer avec ce mot ici. Avec desamis, ils sillonnent les rues deOuahigouya et d'autres localités de larégion à la recherche de déments errants.Les opérations se mènent la nuit, pour se

protéger des regards inquisiteurs despopulations, qui ont la conviction supers-titieuse que les cheveux des fous abritentdes génies. Les coiffeurs amateurs débar-rassent ces hommes et ces femmes, quiont perdu toute notion élémentaire d'hy-giène, de leur chevelure hirsute et leurfournissent de nouveaux vêtements.Quelques coups de ciseaux et de rasoirsuffisent pour que les «monstres» quetout le monde fuit prennent des traitsbeaucoup plus humains et sympathiques. Après avoir été longtemps SDF à l'imagede leurs protégés et avoir squatté deslocaux de la Croix-Rouge, l'association,qui avait commencé à taper à toutes lesportes, se trouve un refuge grâce aufinancement d'une ONG suisse :Christian Blind Mission (CBM).

L'infrastructure est inaugurée le 10 octo-bre 2017, une date symbolique puisquele 10 octobre de chaque année est célé-brée la Journée mondiale de la santémentale.

Le geek a "perdu le réseau"

Un an après sa création, la maison d'ac-cueil, installée sur une superficie de 1,5ha, a déjà vu passer entre ses murs plusde 80 pensionnaires. Ils y ont gîte et cou-vert et sont aiguillonnés vers des structu-res sanitaires pour des soins appropriésque l'association assure entièrement.A notre passage le refuge hébergeait 22personnes dont 6 femmes. A notre arri-vée à 8h 30, quelques-uns s'employaientavec des arrosoirs et des barriques d'eauà entretenir le jardin de l'établissement.

Maladies mentales dans la région du NordLe sacerdoce fou de “vagabons

de la charité”(1)Traînant dans les villes et villages ou entravés dans des taudis et bosquets loin de toute vie, les personnes atteintes demaladie psychosociale essaiment dans la région du Nord. Comme partout ailleurs, elles sont en proie à toutes sortesde discriminations et de maltraitances. Une condition misérable qui a poussé des natifs de cette partie du Burkina à selancer depuis 2010 dans une croisade pour redonner de la dignité et des chances de réintégration à ceux qu'on traitesans égard. Nous les avons suivis durant deux jours. Toute une aventure !

Des malades mentaux vautrés dans leur gîte à Yako

Un marginal en train de faire son marché dans un dépotoir

Après avoir longtemps vécu dans la rue, ils accueillent très bien leurnouvelle vie au centre

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D'autres, affalés sur des chaises en bois,se tournaient les pouces sous le hangaren tôle qui fait office de garage du parcauto et moto du centre. Sous l'apatam setrouve le gros lot des pensionnaires, lesyeux rivés sur la télévision câblée. Çachange de la rue. Pour tous, la journéeavait commencé à 7h par un footing.A la cuisine, Assétou Ouédraogo, unepensionnaire, prête main-forte à lapatronne des lieux. Elle a été «sauvée»des affres de la rue par SAULER il y aplus d'une année. Un échec en classe detroisième et un bébé prématuré qui décé-dera finalement ont été suffisants pour lafaire sombrer dans la dépression, puisdans le gouffre. « Je suis malade et je suislà pour me soigner », lâche-t-elle avec unlarge sourire qu'elle arbore en perma-nence. En l'absence de ses proches, elleretrouve ici une seconde famille, unedignité et une considération qu'elle avaitperdues dans la rue. Lui ne totalise que deux semaines dansce centre et passe des heures dans unmutisme effrayant. A 38 ans, HamidouDiallo,lui, avait une carrière rêvée : ilconcevait des logiciels pour une célèbresociété de distribution d'hydrocarbures.Signe que nul n'est à l'abri de la maladiementale, le geek a «perdu le réseau». Lesurmenage ? Lui-même, comme c'estsouvent le cas avec les handicapés psy-chosociaux, a du mal à expliquer sonmal. Mais la seule chose qu'il sait est quesa mère l'a trimbalé ici pour un «simplepalu». Dans ses bagages, un livre demodélisation et de génie logiciel, sondomaine de prédilection. SAULER aurait aimé recevoir plusd'aliénés dans cet écrin calme et paisibleoù même le volume de la télé est réduitau minimum, mais le gîte est limité danssa capacité d'accueil, plafonné à 24 inter-nes. Le reste du temps, on va donc sur leterrain.

L'habit fait le fou

9h 40. Le véhicule 4x4 est prêt à partir.Des bénévoles embarquent toute lalogistique nécessaire à l'opération : desgants, des ciseaux, des rasoirs, des vête-ments, des détergents et des vivres.

Adama Ouédraogo tient lui-même levolant. A bord, deux de ses compagnonsde la première heure : Issaka Ouédraogo,un solide gaillard taiseux dont le physi-que imposant se révèle d'un grand atout,et Saydou Ouédraogo, plus menu. Pourl'équipée, direction Gourcy, le chef-lieude la province du Zondoma, à 45 km dela cité de Naaba Kango. 35 minutes deroute sur la nationale no2, 5 autres kmdans les dédales de la cité centenaire oùs'est établi au XIVe siècle Naaba Yadega,le fondateur du royaume du Yatenga, etle véhicule s'immobilise devant une couren banco. A l'intérieur, un homme assissur un banc, la soixantaine bien sonnée.Il s'apprête à déguster son plat de benga.Il ne semble pas surpris par l'arrivée desvisiteurs. «Nous sommes venus voirnotre ami», l'informe aussitôt AdamaOuédraogo, le rituel d'accès à peineaccompli. Trop préoccupé par son repas,il lance un brin dédaigneux : «Il est là».«L'ami» en question, c'est son fils,Boureima Ouédraogo, qui ne pouvaitd'ailleurs pas se trouver ailleurs. Il a 40ans et depuis une dizaine d'années, il estmaintenu dans les fers 24h/24 dans untaudis dont les ouvertures ont été arra-chées. Derrière la fenêtre de sa prison àdomicile, qui donne sur l'enclos, ses che-veux et sa barbe sont épais et teintés depoussière. Son regard exprime le videquand il fixe l'équipe de SAULER. Lascène rappelle la pochette de l'albumPrisoner de Lucky Dube, sorti en 1989.Mais alors que le célèbre reggae mansud-africain a les mains liées, Boureima

lui, c'est par le pied qu'il est maintenu àun tronc d'arbre. En pénétrant dans soncachot, on est accueilli par une odeur àvous couper le souffle : un cocktaildétonnant d'urine et d'immondices quicollent aux vêtements. Le quadragénaireest planté sur une natte exécrable, le seul« meuble » de sa chambre-prison. Soncorps, couvert par une simple couver-ture, est mince comme un lacet, il souffrevisiblement de malnutrition. «Babayouré » (Ndlr : en mooré, sobriquetdonné à ceux qui portent le même pré-nom que leur père) n'a pas vu de l'eaudepuis des lustres et patauge littérale-ment dans ses propres excréments. Toutdans le logis du grand échalas heurte lessens. Adama Ouédraogo et son équipe,eux, ont perdu depuis longtemps le sensdu dégoût. La seule protection qu'ils dai-gnent prendre, ce sont les gants médi-caux. Une fois le latex enfilé, Issaka etSaydou font asseoir «le condamné» sursa natte, puis, avec une paire de ciseaux,le premier élague son imposante toison,digne des sixties si elle avait été entrete-nue, et le second le tient en respect parles… mains. Babayouré est pour l'instantimpassible. La tonne de cheveux qu'ilporte finit au sol aux côtés des coquesd'arachides et des épis égrenés de maïs.Sa barbe de mille jours passe aussi entreles lames des ciseaux. Devenue éparse,sa toison est aspergée de détergent enpoudre, puis lavée à coups de jets d'eau.Avec un rasoir, Issaka achève de fairedisparaître toute pilosité sur son crâne.Mais «le client» se montre hostile lors-

que son «coiffeur» veut s'attaquer à sonmenton, comme si on violait son bosquetsacré. Il se débat pour se retirer del'étreinte des mains. Son silence trancheavec la vigueur de ses gestes. Les suppli-cations pour le mettre en garde contre lesrisques de blessures par cette lame quitraîne n'y font rien. Finalement lamanière forte est employée, Issaka sortde la poche de son gilet estampillé SAU-LER son arme de dernier recours : unemenotte. Les trois visiteurs inattendusparviennent après une lutte âpre à empri-sonner les poignets du forcené et à le pla-quer au sol. Pieds et poings désormaisliés, Boureima ne s'avoue pas pourautant vaincu. Il essaie sans cesse de des-serrer l'étau, mais ce qui reste de sa barbefinira par être enlevé. Au dernier coup derasoir, sentant les mains de son «bour-reau» se desserrer, Babayouré commepour «se venger» envoi un crachat sepromener sur le visage d'Issaka qui, pourseule réaction, se contente de dégager dela main le postillon. De la salive, voilà leprix de l'engagement de ces héros ordi-naires.

«Regarde comme tu es beau»

Les menottes de Boureima lui sont reti-rées, il reprend sa position habituelle à lafenêtre, peinard. Son apparence n'estplus la même : l'ogre en case que nousavons vu à notre arrivée avait, mainte-nant qu'il est débarrassé de sa tignasse, laboule à zéro d'un conscrit. «Regardecomme tu es beau», lui lance son père

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L’OBSERVATEUR PAALGA N° 9748 DU VENDREDI 7 AU DIMANCHE 9 DECEMBRE 2018

Boureima Ouédraogo est constamment enchaîné dans cette piaulequi donne sur l'enclos

Les membres de SAULER ont apporté un sac de riz à la famille sousle regard du « dément »

Les coiffeurs de l'impossible se sont invités chez Amado Ouédraogo,malade depuis plus de trente ans

Le quadragénaire avait vraimentbesoin de passer chez le

coiffeur !

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qui avait observé de loin la toilette de sonfils. «C'était un jeune homme courageuxet travailleur avant», confie son frère.Comme beaucoup d'autres jeunes de larégion, Boureima était parti dans sesvertes années chercher fortune dans lesplantations en Côte d'Ivoire. Au lieu d'enrevenir riche comme Crésus, il estdevenu fou à lier. Son crime œdipien : unjour il tente de tuer son paternel. Ce der-nier s'en sort in extremis. Depuis,Boureima que son père décrit comme«un fou furieux» a été traîné chez bonnombre de tradipraticiens à la recherched'un remède mais ce fut sans succès. Ils'est résolu à confier son enfant à la«médecine du Blanc», qui diagnostiqueune schizophrénie. Pressée, désargentée,sa famille abandonne vite tout traitementet leur fils à son propre sort : entre quatremurs et au bout d'une entrave. Une vie dechien. «Tout mon vœu est qu'il ne tue pasquelqu'un, c'est pour ça que je l'aienchaîné », tente de justifier le paternel.Boureima Ouédraogo est apparu dans lesradars de SAULER en 2017.L'association aurait aimé l'accueillir dansle centre, où il pourra être traité digne-ment et confié aux bons soins des méde-cins. Mais sa mère s'est braquée: mêmefou, elle ne veut pas voir son fils loind'elle. Le fameux amour utérin des mères!Avant de quitter le quadragénaire, lesbénévoles passent un coup de balai danssa demeure. Sa natte, lavée, brille denouveau de ses couleurs originelles.Depuis sa fenêtre, Boureima laisse per-cevoir un rictus et s'il n'était pas muet il

aurait certainement formulé un «merci»de circonstance. Mais hélas…

Un amour pas fou

Le soleil, haut, couvre d'un manteau dechaleur la cité millénaire. 5 minutes à sefaufiler encore entre ses ruelles vides encet après-midi et nous voici devant uneautre concession. Au milieu de ce qu'onidentifie facilement comme étant les rui-nes d'une ancienne fondation, AmadoOuédraogo, la cinquantaine révolue, estassis à même le sol. Les murs n'existentque dans sa tête. Ses habits, colorés par lasueur, la suie et la poussière, sont en lam-beaux. Un sachet plastique en guise decouvre-chef, d'autres morceaux desachet comme bracelet. Depuis plus detrente ans, la tête de l'ancien boulanger,comme si elle était passée dans le pétrin,est toute retournée. Sa femme l'a depuis

quitté et s'est remariée. L'homme à labarbe poivre et sel n'est pas de bonnehumeur aujourd'hui et oppose une résis-tance. Le gabarit d'Issaka est appelé enrenfort, Amado est menotté. Couper,laver, raser, les membres de l'associationrépètent ces gestes qu'ils ont exécutés descentaines de fois. Les fers du vieuxAmado lui sont ensuite retirés.Désormais coopératif, il est conduit par"le papa des fous" dans un coin isolé dela maison où on lui fait la toilette commeon laverait un gamin. Il ressort de ce baincomplet blanchi et revêtu de nouvelles

fringues apportées par les bonsSamaritains. Débarrassé de ses oripeaux,il se laisse choir sur une chaise et lève lepouce gauche, comme pour liker, satis-fait de son nouveau look. Cerise sur lemake-up, il a en plus droit à une séancede pédicure-manucure pour soigner sesongles qui avaient poussé à l'excès. C'estun homme nouveau que nous aperce-vons maintenant, du moins en appa-rence. Mais sans doute que la chargepileuse en moins, il doit être plus légerdans la tête.

Le prieur du neemier

De la mosquée attenante s'élève la voixdu muezzin qui appelle au zuhr, la prièredu début de l'après-midi. Missionaccomplie pour la brigade de propretéqui prend congé de son pote. Si les deuxmalades liftés du jour se sont montrés

quelquefois réticents à la manière desgarnements que leurs mères doiventpourchasser dans tout le quartier pourqu'ils prennent leur bain, AdamaOuédraogo nous assure que la plupart dutemps, tout se passe bien. Depuis ledébut de l'aventure SAULER, aucunbénévole n'a subi de violence. Enmatière de violence, soutient-il, les mala-des mentaux sont plus victimes que cou-pables. Le philanthrope, amer, ne cachepas ses états d'âme : « Ce que nous fai-sons, apporter de l'hygiène aux malades,les parents eux-mêmes pouvant le faire,mais ils attendent que quelqu'un de l'ex-

térieur s'en charge». Alors qu'il s'épanchesur la marginalisation des personnesatteintes de handicap psychosocial ausein de leur entourage, le véhicule s'ar-rête aux abords d'une voie latéritique. Acoup de klaxon, le chauffeur alerte unhomme qui fait des génuflexions à l'om-bre d'un neemier. C'est Seydou Soré, unmalade connu du centre. Il a peut-êtreperdu le nord mais pas l'est. Bonnetblanc vissé sur la tête, immense chapeletbleu au cou, il achève sa prière en direc-tion de la Kaaba et rejoint la voiture àgrandes enjambées. Il tend aux occu-pants du 4x4 une main ornée de bagueset hérissée d'effrayants ongles. AdamaOuédraogo décide sur le coup que luiaussi mérite de subir l'épreuve desciseaux et du coupe-ongles. Pendant queSeydou s'apprête à se faire beau, les fidè-les sortent d'une mosquée de l'autre côtéde la rue. Pourquoi prier seul alors qu'iln'avait qu'à faire quelques pas pourrejoindre la oumah ? Tête baissée, il mar-monne une réponse : «J'y vais souvent».Il ne dit pas tout. Les enfants d'Allahsont-ils vraiment tous égaux ?14h. Retour dans la capitale du Nord. Laville s'apprête à accompagner à leur der-nière demeure des soldats tombés à laguerre contre des fous d'un autre genre.Pour nous, le temps d'un repos terrestreet les membres de SAULER nous propo-sent de les accompagner dans une autreescapade. Ils ne se reposent donc jamais,eux ! La sortie en question est une mis-sion d' «évacuation sanitaire» : en effet,tous les mardis et jeudis, le service psy-chiatrique du Centre hospitalier régional(CHR) de Ouahigouya reçoit des

Nouveau visage, nouveau lookaprès la toilette

Seydou Soré prie dans la ruealors qu'il se trouve en face

d'une mosquée

Rencontre entre Issaka et Hamado : un bel exemple deconsidération En route pour la ville

Seydou Sawadogo qui tentait de s'échapper est maîtrisé par sixhommes

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patients que lui réfère l'association, géné-ralement les pensionnaires du centre,auxquels s'ajoutent des malades dont lesfamilles ne peuvent supporter les frais desoins. La prochaine consultation a juste-ment lieu le lendemain. Deux frères deNamissiguima, à une trentaine de kilo-mètres de Ouahigouya, doivent être aurendez-vous avec le docteur. Une pre-mière pour eux.

Frères dingues, froc baissé

Le trajet se fait à moto sur une voie laté-ritique qui colore en rouge tous ceux quis'y aventurent. Les champs se succèdent,les épis de maïs, de mil et de sorgho pen-dent fièrement sur la chaussée. Un siteminier, puis le marché de Namissiguimaoù nous a devancés une équipe du centrearrivée plus tôt en tricycle. A l'arrière del'engin, deux ex-malades, aujourd'hui«stabilisés» et qui, pour l'occasion, vontjouer aux gros bras. Notre guide, la sœurdes frères Sawadogo qui ont tous deuxsombré dans la folie, nous accueille auxabords du marché de cette commune quia vu naître l'ancien DG de la douane bur-kinabè, Ousmane Guiro. L'équipe d'ex-filtration ne tarde pas à repérer l'aîné,Hamado, 52 ans, dans les environs duyaar. Dans sa main droite une pièce de100 francs qu'il tient comme s'il s'apprê-tait à la lancer à la manière des arbitres defoot au début de chaque rencontre, à sagauche, des morceaux d'emballage encartons. Ses deux bras sont reliés par unechaîne cadenassée dont la clé a été jetéeaux oubliettes. Par un geste banal, unemain tendue, mais qui doit être rare pourcelui à qui tout le monde tourne le dos,Issaka noue le contact, quelques motssuffisent à le convaincre de prendre placeà l'arrière du tricycle qui s'élance aussitôten direction du domicile familial. Là,dans une pièce étroite et sombre, sonpetit frère, Seydou, les cheveux et labarbe hirsutes, le menton chargé de res-tes de repas, est étalé sur son lit jonchéd'immondices de toutes sortes. Onremarque facilement le désordre. Le murde son refuge est gratté, dans la pénom-bre des versets bibliques apparaissent. Ilest extirpé de sa couchette par les "vaga-bonds de la charité". Conduit au grandjour, et alors qu'on s'apprête à lui passerles menottes, il hurle d'effroi dans sa lan-gue maternelle, le mooré : «Des bandits! Des bandits ! Des voleurs ! Venez !Venez ! Jésus !». Ses cris alertent le voi-sinage, des hommes viennent en renfortalors qu'il tente d'échapper à ses «ravis-seurs». C'est à six que les membres du«commando» parviennent à le maîtriseret à le calmer. Mais dans la débandade,son froc est malencontreusement baissé,laissant balancer au grand air ses bijouxde famille. Des femmes, qui avaient ellesaussi accouru, observent la scène. Issaka,le chef de l'opération, sort de ses gonds:« Qu'est-ce que vous regardez ? Partez !

». Les curieuses, bébé au dos, s'exécu-tent. Des gamins accoudés à une meule àgrains ne sont pas, eux, inquiétés.Remettre le pantalon s'avère un exercicepérilleux. En fait, le fou en porte plu-sieurs, comme un oignon, et l'un d'euxs'est entremêlé. Après maints efforts pourdésobstruer le passage, l'obstacle estfinalement arraché avec une machette.Menotté, Seydou est embarqué dans l'ar-rière du tricycle où il retrouve son aînéqui, lui, se tient tranquille. Il tire de gros-ses bouffées d'une cigarette que lui aofferte son "geôlier occasionnel", un desex-pensionnaires du centre, lequel tientaussi son «bâton». La fameuse solidaritédes fumeurs s'exprime apparemment entoutes circonstances ! Le petit frère,rassuré sans doute par la présence deson « koro », retrouve ses esprits. «J'ai eu peur ; J'ai cru que c'était desvoleurs », confie-t-il. Dans un fran-çais impec et avec une mémoire quiferait des envieux, il livre une courtebiographie : « Je suis né en 1985. J'aieu mon BEPC en 2004 et mon CEPen 1998 ». L'aîné, dans sa languematernelle, dit : « Moi j'ai faitmedersa ». Leur mère vient les voiravant leur départ pour la ville. Elleest gagnée par la fatalité, persuadéeque la médecine moderne ne peutplus ramener ses fils à la raison, d'au-tant plus que leur oncle, atteint par cemal mystérieux, ne s'en était jamaisremis.Le triporteur s'ébranle avec les deuxfrères très calmes et silencieux. Ilsn'ont apparemment rien à se dire. Enroute, le convoi s'attire des regardsinterrogateurs. Sur l'ambulance defortune cet appel : «Un regard soli-daire envers les malades mentaux».Mais impossible de savoir si cesregards-là partagent ce message decompassion. Le soleil disparaît auloin. Les dernières lueurs du jourdorent le ciel qui finit par ressemblerà un feu d'artifice. Comme si lesgénies qui habiteraient les deux frèresavaient choisi ce moment de cartepostale pour jouer un mauvais tour à

l'équipée, la moto d'Issaka tombe enpanne au bord d'un marécage. «D'habitude, elle ne fait pas des sien-nes », assure-t-il. Malgré les multi-ples tentatives, l'engin, tel un baudetrétif, refuse de redémarrer. Bloqué, legroupe improvise: c'est en équilibreprécaire sur sa moto attelée par unecorde en caoutchouc au tricycle quele solide gaillard fera le reste du tra-jet. La nuit tombe et le convoi entretous phares allumés à Ouahigouya.

La folie, parent pauvre de la santé

9 octobre 2018. Nous retrouvons lesdeux frères au CHR. Ils avaient étéastiqués et revêtus de nouvellestenues au petit matin. Hamado a tou-jours sa chaîne aux mains. Il est 8h.Les patients et leurs accompagna-teurs attendent dans une pièce étroitel'arrivée des attachés de santé, lemédecin étant en congé. De l'entréede l'hôpital, il a fallu marcher jusqu'àl'autre bout de la cour pour trouver leservice psychiatrique. La santé men-tale est le parent pauvre de la santé.Un fait badin mais qui a du sens :dans la plupart des centres de santédu monde, le service psychiatriqueest installé loin des autres services, àcôté de la morgue. L'autre entrave,beaucoup plus sérieuse à l'essor de lasanté mentale, c'est le désintérêt destoubibs qui sont peu à s'orienter enpsychiatrie. Selon l'Organisationmondiale de la santé (OMS), qui s'estdotée d'un plan d'action pour la santémentale 2013-2020, «près de la moi-tié de la population mondiale vit dansdes pays où l'on compte en moyenneun seul psychiatre pour 200 000 habi-tants ou plus ». Au Burkina Faso, lasituation est beaucoup plus alarmante: selon le professeur ArounaOuédraogo, chef du service psychia-trie de l'hôpital Yalgado Ouédraogo,le pays comptait, en fin 2017, 9 psy-chiatres. Pour une population estiméeà 20 millions d'habitants, inutile defaire le rapport : c'est le désert médi-cal. Encore que, sur les 9 spécialistes,6 soient dans la capitale administra-tive et les 3 autres à l'intérieur dupays. Après avoir longtemps raté le coche,la recherche sur la maladie mentale alargement évolué ces dernièresannées. Il est aujourd'hui établi queles troubles mentaux sont liés à undéséquilibre chimique dans le cer-veau et sont causés par des facteursd'ordre biologique, psychologique etsocio-économique : parmi ces trou-bles, qui se comptent par centaines,les psychoses (dont la schizophréniequi est le mal de la plupart des fouserrants), les névroses et la dépression.

Le traitement de ces pathologiescombine médication et appui psycho-social. Ce sont généralement desmédicaments dits antipsychotiquesou neuroleptiques, qui calment l'agi-tation et l'hyperactivité neuromuscu-laire, qui sont prescrits. Le traitementest à long terme : très souvent lepatient prendra les médicamentstoute sa vie. Le hic est que ces pro-duits sont hors de portée de la plupartdes familles, ce qui les détourne del'hôpital. Même pour SAULER, quiveut bien souvent apporter son aide,les frais de soins font de grandes sai-gnées dans le budget modeste - 3 mil-lions par semestre - de l'association.Adama Ouédraogo plaide d'ailleurspour une subvention des médica-ments pour donner une réelle chanceaux malades mentaux de s'en sortir.Mais ces produits ne feront réelle-ment leurs effets que si le maladeévolue dans un environnement sainoù il se sent considéré. Même si laguérison complète n'est pas exclue, laplupart des spécialistes préfèrent par-ler de «stabilisation». Selon le direc-teur provincial de l'Action sociale duYatenga, Konsi Léonard Savadogo,être «stabilisé» signifie que «lemalade n'est plus agressif ; il arrive àse réintégrer, se reconstruire et estcapable de respecter les règles élé-mentaires d'hygiène». Mais à l'enten-dre, c'est difficile de revenir à lasituation initiale, certains dommagesdu cerveau étant irréversibles.Le parcours du centre est jalonné debelles réussites qui poussent son pre-mier responsable et ses collabora-teurs à ne jamais abandonner le com-bat. Hamadé Ouédraogo et BoukaréOuédraogo sont les bénéficiaires lesplus heureux de leur lutte : ces deuxont, en effet, retrouvé une vie nor-male et arrivent à subvenir à leurbesoin après avoir longtemps vécu demendicité.Mais l'histoire ne se termine pas tou-jours très bien : certaines familles,dont il est d'ailleurs parfois difficilede retrouver les traces, refusent leretour de malades dont elles étaientbien contentes de s'être débarrassées.Le « stabilisé » risque alors, selon le

directeur provincial de l'Actionsociale du Passoré, Gaston Nassouri,de rechutern

(1) «Le vagabond de la charité»,c'est le surnom qu'on avait donné àRaoul Follereau quand il a engagé sacroisade contre la lèpre

(2) Gynécologue congolais, «celuiqui répare les femmes», comme onl’appelle est co-lauréat du PrixNobel de la paix 2018 avec la yézi-die Nadia Murad

Société XLVIe ANNEE12

L’OBSERVATEUR PAALGA N° 9748 DU VENDREDI 7 AU DIMANCHE 9 DECEMBRE 2018

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Le président de SAULER,Adama Ouédraogo, une pile

d'ordonnances en main,demande l'appui des bonnes

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L’OBSERVATEUR PAALGA N° 9748 DU VENDREDI 7 AU DIMANCHE 9 DECEMBRE 2018

Beaucoup de familles préfèrent confier leurs malades aux guérisseurs traditionnels comme ici à Bougnam

Un déséquilibré dans la cham-bre du haut-commissaire

L'histoire est digne d'un bon gag etpourtant tout est réel. Les faits se sontproduits courant 2017. Un hommes'est introduit subrepticement dans lachambre du haut-commissaire duPassoré à son absence. Très vite l'in-dividu, aux intentions inconnues, estrepéré et l'alerte donnée. Par cestemps qui courent, une équipe de gen-darmes débarque sur place avec toutel'armada nécessaire et lance « l'assaut». Et fausse alerte : l'intrus qui a créédes sueurs froides était en réalité unmalade mental qui s'est échappé d'uncentre de prise en charge. Et il n'étaitpas violent.

Vivant dans la rue, elle tomberégulièrement enceinte

Certains détraqués sexuels, parfoispour des raisons mystiques, ont pourcibles privilégiées des malades men-tales : conséquence, plusieurs cas degrossesses sont enregistrés chaque

année. Les « fruits » de ces viols sontgénéralement retirés par les servicessociaux et placés en orphelinat. ATitao, une malade mentale tombaitmême régulièrement enceinte.Exaspéré, le premier responsable del'Action sociale a souhaité qu'elle soitsoumise à une méthode contraceptivedurable, en l'occurrence le Norplan.Mais les médecins s'y sont opposés,arguant notamment la complexitéd'une telle opération vu que cetteméthode nécessite un suivi régulier.

Tous mabouls !

Serions-nous tous fous ? Les résultatsd'une étude épidémiologique réaliséeen 2015 au Burkina indiquent qu'en-viron 41% de la population généraleâgée d'au moins 18 ans souffrent d'aumoins un trouble mental. De mêmeselon l'OMS, les troubles mentaux ouneurologiques affecteront une per-sonne sur quatre dans le monde à unmoment ou l'autre de leur vie.

H.R.S.

Par ailleurs

Y a-t-il vraiment plus de « fous » dansla région du Nord qu'ailleurs auBurkina ? Même si aucune enquête,pour l'heure, ne corrobore cetteimpression, plusieurs caractéristiquessocio-économiques et géographiquesde la région pourraient expliquerqu'elle tienne « la palme » de la folie: selon les dernières statistiques endate, c'est la partie du pays la plus tou-chée par la pauvreté, or des condi-tions de vie difficiles sont des facteursà risque ; la région, en particulier lePassoré, est aussi frappée par ungrand taux d'exclusions sociales pourdes motifs allant de la sorcellerie àl'inceste. En mai 2016, une centainede personnes de tous âges et de toussexes ont par exemple été chasséespour des allégations de sorcellerie dePilimpikou, bourgade située à unevingtaine de kilomètres de Yako etcélèbre dans les contrées mossé pour

être le lieu de passage des âmes desdisparus vers l'au-delà. Pour les pré-tendus mangeurs d'âmes où ceux quise sont rendus coupables d'une rela-tion incestueuse, l'épreuve des sévicesphysiques et moraux peut conduire àune « sortie de route ». Autre explica-tion : la position géographique de larégion, qui la place non loin deOuagadougou et de la frontièremalienne, fait d'elle un lieu de transitdes fous errants. Le directeur provin-cial de l'Action sociale du Yatenga,Konsi Léonard Savadogo, est mêmecatégorique : «La plupart des maladesmentaux ne sont pas issus de la région». Selon ses dires, certains racontentnotamment avoir été transportés nui-tamment de Ouagadougou vers lesvilles du Nord. « C'est comme si onvoulait assainir certains milieux »,déplore-t-il.

H.R.S.

Fous locaux et fous étrangers

Le premier réflexe des parentslorsque apparaissent les premierssignes d'un trouble mental, c'estde conduire le malade chez untradipraticien. Rencontre avec unguérisseur qui « ne dort jamais ».

On est comme transporté dans unépisode de « the walking dead », lacélèbre série américaine de zom-bies. Entre les allées formées parles champs, surgissent des hommeset des femmes en guenilles, à ladémarche traînante, les pieds enfer-més dans des fers dont les crisse-ments brisent le silence. Enchaîné àun tronc, un garçonnet, torse nu,rampe et repousse un agresseur ima-ginaire. Sous un bosquet où unedizaine d'hommes sont attachés auxarbres, l'ambiance est bon enfant.Dans leurs malheurs, ils trouventmoyen de faire une causette. Noussommes à Bougnam, à quelqueskilomètres de Gourcy, dans ledomaine du guérisseur WaliouCheick Ismaël Sawadogo.« L'homme de Dieu » nous reçoit,assis sur un tapis de cuir, au milieude ses nombreux disciples. Quand ilparle, ses mains s'envolent vers leciel. Il est charismatique, c'est sûr,mais aussi mystique. Mi-maraboutmi-tradipraticien, il explique avoirreçu un don divin pour soigner lesmalades. Des versets coraniquesseraient apparus sur son corps il y aplus de 40 ans alors qu'il faisait depetits boulots en Côte d'Ivoire ; il nese nourrirait que de feuilles et, sur-tout, ne dormirait jamais, ni le journi la nuit, passant, à l'en croire, sesnuits à égrener son immense chape-let de prière. Quel crédit accorder àses propos ? De nombreuses person-nes y croient en tout cas et affluentde partout, même de l'extérieur duBurkina, en quête de guérison. Lesméthodes thérapeutiques du mara-bout consistent à faire boire desinfusions de plantes aux malades età les toucher en récitant la chahada,la profession de foi en islam. Sonintervention, se vante le guérisseur,

a déjà permis à des milliers depatients de recouvrer la santé et àdes couples stériles de procréer.Du côté des services sociaux et sani-taires de la région, personne, toutesconfessions confondues, ne veutcroire aux prétendus pouvoirs du «gourou ». Le marabout insomniaqueserait même, à entendre certainessources, un vendeur de sommeil, «un escroc ».Il nous aurait doncraconté des histoires… à dormirdebout ! Les malades seraient eneffet soumis au payement d'un droitde séjour chaque semaine, et chaquepatient payerait lui-même sa

menotte de pieds qui coûtent envi-ron 6000 francs, ces fers faisant par-tie, selon le marabout, du processusde guérison. De plus, les canarisdans lesquels sont préparées les tisa-nes ne peuvent être achetés que chezl'épouse du « religieux ». D'autrestémoignages font état de somnifèresmis dans la bouillie servie aux mala-des, de l'usage de fouets sur les «dérangés » pour « chasser les génies» et de la présence d'un cimetièresur le site, où sont enterrés à la hâteles malades abandonnés par leursaccompagnateurs. Les autoritéslocales seraient informées de cespratiques mais se garderaient d'agir.La difficulté, note un de nos interlo-cuteurs, est que cela reviendrait às'attaquer aux croyances des gens.

H.R.S.

Le marabout insomniaque est-il un vendeur de sommeil ?

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