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Quelques minutes avant un 200 mètres expédié en 19”30 par le sprinteur prodige Usain Bolt, Jacques Piasenta eut la chance d’assister à un spectacle hors du commun sur la piste d’échauffement à deux pas du stade olympique de Pékin. Jamais le technicien français n’avait vu un échauffe- ment comme celui du Jamaïcain. “C’était n’importe quoi”, commente-t-il. “Il a fait sept ou huit vagues accélérations sur 40, 50 mètres, tout dégingandé, sans forcer, en cycle arrière, l’archétype de tout ce qu’il ne faut pas faire.” (1) Derrière l’étonnement teinté d’admiration, Piasenta nous informe sur un canon technique, à ses yeux incontour- nable, de la course de vitesse. Visiblement, une foulée en cycle arrière est “persona non grata” pour qui veut courir vite. Les techniciens acquiesceront sans doute d’un air entendu. Mais qu’entend-on exactement par là? C’est ce que nous allons essayer de comprendre dans ce dossier en commençant par un petit saut dans le temps, en 1964 précisément, sur la cendrée humide de Tokyo. Finale du 100 mètres. Le taureau américain Bob Hayes vient de surpasser tous ses adversaires dans un style plutôt heurté. A l’époque, on pensait encore que le meilleur sprinteur était forcément celui qui serait capable de pousser le plus fort sur la piste. Dans cette optique, on plaçait évidemment le quadriceps au centre de toutes les attentions. Ce gros muscle était considéré comme le véri- table moteur du sprint. Pour gagner des centièmes, il fallait gagne de la puissance. Quatre ans plus tard, son compatriote Jim Hines est le premier à passer sous la barre des 10 secondes dans les conditions idéales des Jeux de Mexico. Des images d’archives, pas toujours d’ex- cellente qualité, montrent les deux sprinteurs en action. Elles laissent déjà percevoir une évolution dans le style. Ou alors c’est l’œil du spécialiste qui a changé... Toujours est-il qu’on insiste désormais sur la montée du genou vers l’avant et le griffé du pied sur le sol. On explique aussi qu’à chaque pas, le pied doit donner l’impression de reculer dans la chaussure. L’ère du moteur passe lentement de mode. L’attention technique cesse aussi de se porter exclusivement sur la poussée. On adopte bientôt un autre modèle: celui du ressort! Ce passage d’une vision à l’autre a été conditionné par la prise de conscience de quelques notions de base. On a compris ainsi une chose toute simple mais essentielle: la vitesse à laquelle un athlète se déplace dépend de la qualité de ses appuis au sol. La phase aérienne de la course ne compte pour rien! En l’air, l’athlète n’accélère pas. Il ne peut que ralentir. Imaginez un boulet envoyé par un canon. La distance parcourue par le boulet sera déterminée par la force d’impulsion qu’il reçoit au moment de l’explosion. Et donc par la quantité de poudre employée. La poudre de la course est l’appui au sol. Tout ce qui se produit en l’air ne doit dès lors pour- suivre qu’un unique but: permettre un appui de qualité. La “révolution technique” des années 1970-1980 nous apprend que cette qualité d’appui est directement reliée à la capacité de l’athlète d’adopter un style en cycle avant. Sport et Vie HS 29 62 La meilleure façon de courir… Tout le monde ne court pas de la même manière. C’est même étonnant de voir qu’il existe autant de façons de faire pour un geste qui, de prime abord, paraît plutôt simple. Au sein d’une infinie variété de styles, les techniciens s’accordent pourtant à reconnaître deux grandes catégories de foulée: la foulée en cycle avant et la foulée en cycle arrière. De quoi parlent-ils? Usain Bolt, l’homme le plus vite du monde SEV_HS29_62_Gindre:Mise en page 1 16/12/08 14:55 Page 62

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Page 1: SEV HS29 62 Gindre:Mise en page 1volodalen.com/wp-content/uploads/2018/04/2008-12-sport...Quelques minutes avant un 200 mètres expédié en 19”30 par le sprinteur prodige Usain

Quelques minutes avant un 200 mètres expédié en 19”30par le sprinteur prodige Usain Bolt, Jacques Piasenta eut lachance d’assister à un spectacle hors du commun sur lapiste d’échauffement à deux pas du stade olympique dePékin. Jamais le technicien français n’avait vu un échauffe-ment comme celui du Jamaïcain. “C’était n’importe quoi”,commente-t-il. “Il a fait sept ou huit vagues accélérationssur 40, 50 mètres, tout dégingandé, sans forcer, en cyclearrière, l’archétype de tout ce qu’il ne faut pas faire.” (1)Derrière l’étonnement teinté d’admiration, Piasenta nousinforme sur un canon technique, à ses yeux incontour-nable, de la course de vitesse. Visiblement, une foulée encycle arrière est “persona non grata” pour qui veut courirvite. Les techniciens acquiesceront sans doute d’un airentendu. Mais qu’entend-on exactement par là? C’est ceque nous allons essayer de comprendre dans ce dossieren commençant par un petit saut dans le temps, en 1964précisément, sur la cendrée humide de Tokyo. Finale du100 mètres. Le taureau américain Bob Hayes vient desurpasser tous ses adversaires dans un style plutôtheurté. A l’époque, on pensait encore que le meilleursprinteur était forcément celui qui serait capable depousser le plus fort sur la piste. Dans cette optique, onplaçait évidemment le quadriceps au centre de toutes lesattentions. Ce gros muscle était considéré comme le véri-table moteur du sprint. Pour gagner des centièmes, ilfallait gagne de la puissance. Quatre ans plus tard, soncompatriote Jim Hines est le premier à passer sous labarre des 10 secondes dans les conditions idéales desJeux de Mexico. Des images d’archives, pas toujours d’ex-cellente qualité, montrent les deux sprinteurs en action.Elles laissent déjà percevoir une évolution dans le style.Ou alors c’est l’œil du spécialiste qui a changé... Toujoursest-il qu’on insiste désormais sur la montée du genou versl’avant et le griffé du pied sur le sol. On explique aussi qu’àchaque pas, le pied doit donner l’impression de reculerdans la chaussure. L’ère du moteur passe lentement demode. L’attention technique cesse aussi de se porterexclusivement sur la poussée. On adopte bientôt un autremodèle: celui du ressort! Ce passage d’une vision à l’autrea été conditionné par la prise de conscience de quelquesnotions de base. On a compris ainsi une chose toutesimple mais essentielle: la vitesse à laquelle un athlète sedéplace dépend de la qualité de ses appuis au sol. Laphase aérienne de la course ne compte pour rien! En l’air,l’athlète n’accélère pas. Il ne peut que ralentir. Imaginezun boulet envoyé par un canon. La distance parcourue parle boulet sera déterminée par la force d’impulsion qu’ilreçoit au moment de l’explosion. Et donc par la quantitéde poudre employée. La poudre de la course est l’appui ausol. Tout ce qui se produit en l’air ne doit dès lors pour-suivre qu’un unique but: permettre un appui de qualité. La“révolution technique” des années 1970-1980 nousapprend que cette qualité d’appui est directement reliée àla capacité de l’athlète d’adopter un style en cycle avant.

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La meilleurefaçon de courir…Tout le monde ne court pas de la même manière. C’est mêmeétonnant de voir qu’il existe autant de façons de faire pourun geste qui, de prime abord, paraît plutôt simple. Au sein d’uneinfinie variété de styles, les techniciens s’accordent pourtant àreconnaître deux grandes catégories de foulée: la foulée en cycleavant et la foulée en cycle arrière. De quoi parlent-ils?

Usain Bolt, l’homme le plus vite

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La démonstration du tee-shirtQuelques repères visuels permettent ainsi de différencierun “coureur avant” d’un “coureur arrière”. Vous ne serezpas surpris d’apprendre que la principale caractéristiqued’une foulée en cycle arrière est qu’en l’air, les jambes (*)remontent loin derrière le coureur. Il peut sembler quel’athlète vient se “botter les fesses” à chaque pas. En finde poussée, le pied quitte l’appui et monte haut avant depiquer en flèche vers le sol (figure 1).En cycle avant, la trajectoire aérienne des jambes estrépartie entre l’avant et l’arrière du coureur. En fin depoussée, la jambe repliée progresse rapidement versl’avant. Le pied ne pique pas mais longe le sol. Le genou sefixe ensuite à l’avant du corps permettant une ouverturecomplète puis un retour de la jambe et donc du pied versl’arrière. Sur terrain humide, cette propension à monter lespieds haut derrière, laisse des marques facilement repé-

la longueur de la pointe de la poulaine était proportionnelleau rang social. Nous allons voir qu’au XXIe siècle, la pointeest synonyme de vitesse de course. (figure 2).Aiguisons encore un peu plus notre regard de spécialisteen identifiant les différences de positionnement deshanches dans les deux styles de course. La foulée secaractérise par un positionnement du bassin dit “en anté-version” qui conduit souvent à une projection du bustevers l’avant (figure 3) ; ou alors, l’athlète parvient à resterd’aplomb mais il est obligé pour cela de creuser le bas dudos et d’accentuer la lordose naturelle. Dans les deuxcas, cela entraîne une crispation des épaules et des bras.L’athlète crée un “point d’appui” haut qui remplit unefonction essentielle: ne pas tomber. On comprend facile-ment que devant un tel impératif, l’entraîneur nonconscient de ce qui se trame, puisse répéter mille fois“relâche tes bras”, sans que le coureur ne parvienne àappliquer la consigne. En course comme ailleurs, la“survie” précède l’obéissance. Regardez aussi sur cedessin la façon de ramener la jambe libre (celle qui est enl’air) dans l’un et l’autre des deux styles de course. Lesgenoux se croisent rapidement chez le coureur en fouléeavant, alors que cette jambe libre traîne encore loinderrière chez le coureur en foulée arrière. Enfin, vouspourrez aussi vous baser sur l’observation la plus clas-sique, entendue mille fois sur les bords des pistes.“Regardez comme ces sprinteurs montent les genoux”,

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1) L’Equipe, Août 2008.Jean-Christophe Collinrapporte les propos deJacques Piasenta.2) Piron A. Analysefonctionnelle dumouvement. Revue EPS204. 1987.

rables. Bandez-vous les yeux. Faites courir côte à côte uncoureur en foulée avant et un coureur en foulée arrière. Lacourse terminée, demandez-leur de se placer de dosdevant vous. Ouvrez les yeux et regardez les traces deboue ou d’eau à l’arrière des T-shirts. Résultat: l’athlète quiprésente le T-shirt le plus sale court en foulée arrière (**).Imaginons à présent que nous puissions soulever nos deuxcoureurs par les hanches de manière à les maintenir enl’air en train de courir sans avancer. La représentation de latrajectoire d’un pied est nommée poulaine en référenceaux chaussures médiévales qui –à l’instar de certainesbabouches– présentent une pointe relevée. Au XIVe siècle,

(*) Dans cet article nous utilisons le terme jambe pour désignerle membre inférieur dans son ensemble.(**) Cette observation ne signifie pas pour autant que le coureur dontle T-shirt est resté propre court en cycle avant. D’autres types defoulées comme la “foulée assise” ou la “foulée shootée” laisserontle T-shirt immaculé.

Figure 1En course en fouléearrière(sol orange), le piedremonte hautderrière les fessesalors qu’il vientrapidement se logersous les fessesen foulée avant(sol bleu).

Figure 2 Trajectoire du pied par rapport au bassin enfoulées arrière (orange) et avant (bleu). Classiquementnommées poulaines, ces représentations reçoivent parfoisles “surnoms” de haricots ou encore de gouttes d’eau.

Sens du déplacementFigure 3La foulée arrière(sol orange) estsouvent associée àun buste penché enavant ou à un creux(lordose) lombaire.La foulée avant(sol bleu) permet derester mieux aligné.

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3) Krantz N. M Johnson etMJ Pérec: analysecomparée de la foulée.Partie 1: Efficacité etéconomie: quel systèmeexpert retenir? RevueAEFA 144. 1996.4) Thys H, Faraggiana T,Margaria R. Utilization ofmuscle elasticity inexercise. J Appl Physiol.1972;32:491-494.5) Farley CT, Blickhan R,Saito J, Taylor CR. Hoppingfrequency in humans: atest of how springs setstride frequency inbouncing gaits. J ApplPhysiol. 1991;71(6):2127-32.6) Heise GD, Martin PE.“Leg spring”characteristics and theaerobic demand ofrunning. Med Sci SportsExerc. 1998;30(5):750-4.7) Muraoka T, MuramatsuT, Takeshita D, KawakamiY, Fukunaga T. Lengthchange of humangastrocnemiusaponeurosis and tendonduring passive jointmotion. Cells TissuesOrgans. 2002;171(4):260-8.8) Cavagna GA, SaibeneFP, Margaria R. Effect ofnegative work on theamount of positive workperformed by an isolatedmuscle. J Appl Physiol.1965;20:157–158.9) Cavagna GA, DusmanB, Margaria R. Positivework done by a previouslystretched muscle.J Appl Physiol.1968;24(1):21-32.

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s’enthousiasment les spectateurs. C’est exact! Ilsmontent les genoux. Même si là n’est pas leur intentionprofonde. Le genou fixé à l’avant sert en effet de pointd’appui permettant à la jambe de se tendre et par effet derenvoi, d’arriver alignée et selon un mouvement de reculà l’appui au sol (figure 4). Ce mouvement de fixation-ouverture permettant un retour de la jambe vers l’arrièreest communément appelé griffé. Il correspond à la pointede la poulaine; celle proportionnelle au rang social ou à lavitesse de course.En résumé, en course arrière la jambe libre monte loinderrière le coureur avant de plonger vers le sol dans unmouvement d’arrière vers l’avant. En course avant, lajambe libre revient vite vers l’avant du corps où elles’ouvre pour finalement venir se poser au sol dans unmouvement avant-arrière (le pied recule). (Figure 5)

Tout est affaire de ressortDans cette approche analytique de la foulée, les considé-rations techniques ne sont jamais très éloignées desdécouvertes en physiologie, notamment celles quipermettent de mieux comprendre les grandes règles dela production d’énergie. En l’occurrence, il importe debien différencier celle qui provient de la transformation del’énergie des aliments et permet la contraction dumuscle, de celle qui résulte d’un simple phénomène destockage-restitution lié au fait que le coureur est enmouvement. Cette seconde source d’énergie était large-ment ignorée jusqu’à la fin des années 1960 (4). Or ellereprésente la majeure partie de l’énergie du mouve-ment (jusqu’à 60%) Une telle connaissance intervient aumoment où en France, des techniciens comme FernandUrtebise, Jacques Piasenta ou Alain Piron perçoiventpuis élaborent une nouvelle approche de la techniquede course. Le “muscle moteur” devient “muscle ressortet élastique”. Le sol lui-même passe du statut dematière inerte sur laquelle le coureur s’appuie, à celuide surface dynamique permettant au coureur derebondir. Une perception renforcée encore parl’adoption de nouveaux matériaux (pistes entartan). De taureau labourant le sol, le coureurdevient balle bondissante. Dans ce nouveaumodèle, le coureur est représenté par uneboule (le centre de masse) montée sur unressort (la jambe). (figure 6). A chaqueappui sur le sol, le ressort du modèle se

trouve écrasé sous le poids du coureur. Il stocke alors unmaximum d’énergie qu’il utilise ensuite en phase derenvoi. Dans l’organisme humain, le ressort correspond àun système élastique complexe composé des muscles,des tendons, des ligaments et de tissus variés desmembres inférieurs; autant de structures capables, ens’étirant, d’emmagasiner l’énergie du mouvement (5,6). Ilest vrai qu’à l’inverse du ressort, les muscles s’étirent(contraction excentrique) au moment du stockaged’énergie, avant de se raccourcir (contraction concen-trique) durant la phase de restitution d’énergie (7). C’est laraison pour laquelle dans ce modèle, les muscles sontrégulièrement comparés à des élastiques. Dès 1965, lespremières études ont montré que le raccourcissement dumuscle était plus puissant lorsqu’il était précédé d’unallongement (8). L’élasticité des muscles procure de lapuissance mais aussi un meilleur rendement au mouve-ment. Toutefois, pour que les élastiques s‘étirent puisrenvoient, pour que le couple “stockage–restitution” fonc-tionne efficacement, quelques principes doivent êtrerespectés. Il faut d’abord que le muscle soit en tensiondès le début de la phase d’appui au sol. Qualifié autrefoisde phase d’amortissement (donc négative), le début del’appui au sol devient, dans le nouveau modèle, unélément incontournable du renvoi. On a découvert aussique le stockage de l’énergie est meilleur lorsque le

Sens du déplacement

Figure 6 Avec le modèle du ressort, le coureur devient balle bondissante.

Figure 4 En course avant, le genou “monte” et se fixe permet -tant l’ouverture de la jambe et son alignement avant l’appui.

Mise en tension(stockage)

Renvoi(restitution)

Figure 5 Secteurs balayés par un coureur en cycle arrière (orange) et avant (bleu).Exemples de Marie-José Pérec et de Mickael Johnson (adapté de Krantz 1996).

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muscle est pré-étiré au moment où il reçoit l’énergie (9).Cette première mise en tension du ressort intervientavant l’appui (10). A propos de ce pré-étirement, les tech-niciens évoquent parfois “une avance à l’allumage” ouparlent “d’athlète disposant d’un coup d’avance”. Il fautencore que le ressort soit suffisamment raide (11). Pour lecoureur cela signifie que la déformation de la jambed’appui au niveau des articulations (cheville, genou,

mouvement orienté de l’avant vers l’arrière. Comptetenu de ce mouvement de recul de la jambe, au contactavec le sol, le pied applique au sol une force orientéevers l’arrière. Respectant la troisième loi de Newton quiveut que toute action dans un sens induit une réponsede même nature dans le sens opposé, le sol renvoie lecorps vers l’avant. Enfin, à l’appui, la chaîne d’impulsionconstituée de la voûte plantaire, du tendon d’Achille,

10) Simonsen EB,Thomsen L, Klausen K.Activity of mono- andbiarticular leg musclesduring sprint running. EurJ Appl Physiol OccupPhysiol.1985;54(5):524-32.11) Dalleau G, Belli A,Bourdin M, Lacour JR.The spring-mass modeland the energy cost oftreadmill running. Eur JAppl Physiol OccupPhysiol.1998;77(3):257-63.12) McMahon TA, ValiantG, Frederick EC. Grouchorunning. J Appl Physiol.1987;62(6):2326-37.13) Asmussen E, Bonde-Petersen F. Apparentefficiency and storage ofelastic energy in humanmuscles during exercise.Acta Physiol Scand.1974;92(4):537-45.14) Bosco, C; Vittasalo, JT;Komi, PV; Luhtanen, P.Combined effect ofelastic energy andmyoelectricalpotentiation duringstretch-shortening cycleexercise. ActaPhysiologicaScandinavica.1982;114:557–565.15) Mann R, Herman J.Kinematic analysis ofOlympic sprintperformance: men’s 200meters. Int J SportBiomechanics, 1,151-162, 1985.16) Nummela AT,Paavolainen LM,Sharwood KA, LambertMI, Noakes TD, Rusko HK.Neuromuscular factorsdetermining 5 km runningperformance and runningeconomy in well-trainedathletes.Eur J ApplPhysiol. 2006;97(1):1-8.17) Nummela A, KeränenT, Mikkelsson LO. Factorsrelated to top runningspeed and economy.Int J Sports Med.2007;28(8):655-61.

hanche) doit être minimale (6, 12). Sanscela, les “muscles – élastiques” peu étirés,ne pourraient ni stocker convenablementl’énergie ni la renvoyer à travers tout l’or-ganisme. Notons que l’articulation de lacheville et plus généralement le pied dansson ensemble est souvent le maillon faiblede la chaîne d’impulsion. Enfin, le délaientre les phases d’étirement et deraccourcissement du muscle doit être leplus court possible. Sinon, l’énergienichée au cœur des élastiques se dissipeen chaleur (4, 13). Voilà que les mots deJesse Owens prennent sens. “Le sol mebrûle”, disait-il. Ce principe dit de“coupling time” semble valable à la fois pour les sprin-teurs et pour les coureurs sur grande distance (14). Chezles meilleurs spécialistes de vitesse, le temps d’appui estinférieur à 100 millisecondes (15). Il est d’autant plusfaible que le niveau du sprinteur est élevé. Chez lescoureurs de durée, à une vitesse donnée, les coureurs lesplus économes restent également moins longtemps ausol (16). Ce temps d’appui réduit est d’ailleurs le principalpoint commun permettant de relier les meilleurs sur 100et 10.000 m (17). Gardons en tête notre muscle pré-étiré,notre jambe raide et le passage rapide sur l’appui. Ils vontnous permettre de comprendre pourquoi la “fouléeavant” s’est imposée comme modèle d’efficacité encourse de vitesse.

La preuve par Newton et Gebrselassie Au cours d’une foulée en “cycle avant”, les ressortss’activent en différents lieux de l’organisme comme onpeut le déduire de l’image ci-dessus (Figures 7 et 8). Enfin de poussée, l’étirement du psoas permet un retourrapide de la jambe arrière vers l’avant. En fin d’envol,l’ouverture du genou étire les ischios-jambiers quipermettent à la jambe tendue de revenir au sol dans un

des mollets et du quadriceps est mise entension et permet en retour le rebond ducorps. En simplifiant, disons que, grâceaux élastiques, le mouvement de lajambe en l’air ne coûte rien. Ensuite, lepied revient rapidement sous le corpsassurant un appui rapide (donc une resti-tution d’énergie efficace) et orienté dansle sens de la course. Les étroites rela-tions entre la “course avant” et les méca-nismes de stockage-restitution d’énergie,expliquent pourquoi ce style de fouléetend à devenir le modèle dominant dansles courses de vitesse. Et en endurance?A quelques adaptations près (genou fixé

moins haut), le modèle pourrait théoriquement s’im-poser. Dans ce registre de la durée, l’Ethiopien HaileGebrselassie est souvent présenté comme le prototypedu coureur présentant une foulée équilibrée dotée d’uncycle avant et d’un pied dynamique lui permettant derebondir sur la piste. Pourtant, la majorité des coureursde durée est affublée d’une foulée arrière (ou rasante).Faut-il voir là une exception généralisée au principed’optimisation de la foulée? Pas si sûr! Car si la “fouléeavant” semble recueillir tous les suffrages de l’efficacitélorsque le coureur se déplace rapidement, quand lavitesse de course diminue, ses avantages pourraientfondre comme neige au soleil. Un des problèmes vientde la nécessité pour eux d’étirer le système élastiquequ’ils ont appris à si bien utiliser. Peut-être avez-vousdéjà remarqué ces coureurs au cours d’un footing engroupe. Quand ils courent à faible allure, on dirait qu’ilssautent. A chaque appui, ils s’enfoncent légèrementdans le sol puis rebondissent vers le haut comme unpiston se comprime avant de s’envoyer en l’air. De bonden bond, ils avancent, bien sûr. Mais à quel prix! Parcomparaison, les coureurs en cycle arrière se placentdans leur position caractéristique avec des jambes qui

Figure 8 La force appliquéepar le pied au sol (flècherouge), induit une force demême nature dans le sensopposé (flèche bleue).

Figure 7 A chaque étape de la “foulée avant”, les élastiques du corps stockent puis restituent l’énergie sous forme demouvement (flèches rouges), à la jambe libre (1 et 2) et à tout le corps (3).

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montent haut derrière et un buste penché en avant.Mais au moins leur centre de masse ne bouge pas. Dumoins pas plus de quelques centimètres. Leur corps n’apas la moindre velléité d’aller au ciel. Vous savez bienque dans ce monde soumis à la pesanteur, tout mouve-ment vers le haut se traduit inexorablement par unretour fracassant au sol. Vous savez aussi que sauterdemande beaucoup d’énergie. Alors, oui, le cycle arrièreimplique de courir penché. Mais cela permet de biens’économiser. Perspicace, vous venez d’identifier un desprincipaux désavantages possible de la foulée avantpour le coureur de longue durée. Nous avons dit en effet

réponse est simple. Parce qu’il ne sait pas faire autre-ment! Ces élastiques doivent être étirés pour stockerl’énergie. Or, la force nécessaire à cet étirement resteconstante à toutes les vitesses de course (18). Donc s’ilcourt lentement, il doit sauter haut. Beaucoup d’ani-maux coureurs, trotteurs ou sauteurs sont confrontés àcette même problématique (19). Cet impératif deconservation de la tension est tel que lorsque leshommes courent sur des surfaces plus ou moins molles(sable, herbe, bitume…), ils ajustent leur raideur demanière à toujours disposer de la même pression sur lesmuscles. Sur le sable, ils se rendent “durs” et devien-nent “mous” sur le bitume. Au passage, la même adap-tation se réalise selon les chaussures que nous portons.Les chaussures très amorties nous rendent durs alorsque les semelles dures nous “incitent” à amortir… Quelrapport avec notre coureur bondissant en footing?Quand la vitesse de course est élevée, la pression surl’appui provient en grande partie de l’énergie cinétiqueassociée au déplacement horizontal. Le coureuraugmente l’amplitude des foulées. Le pied se pose plusen avant du corps permettant la compression duressort. Mais lorsque la vitesse de course baisse, lesfoulées sont moins grandes, l’énergie cinétique associéeau déplacement horizontal moins disponible. Or, leressort doit être autant compressé, les élastiques autantétirés. Dans cette condition, le coureur va chercher à laverticale ce qu’il ne peut trouver à l’horizontale. Il sautepour tendre ses élastiques (figure 9). Quiconque s’est déjà égaré dans le désert rouge d’Aus-tralie ou plus modestement dans la Citadelle de Besançonpas loin du parc des kangourous, a pu constater combienles marsupiaux rebondissent vers le haut quand ils sedéplacent lentement et vers l’avant quand ils accélèrent.Mais kangourou ou athlète, courir très vite sur une longuedurée n’est pas chose aisée. Avec la durée et la perte devitesse qu’elle impose, les “coureurs élastiques” peuventperdre leur efficience (altération du cycle stockage-resti-tution d’énergie) ou/et se transformer en yoyos, tantôt enbas, tantôt en haut. Les organisateurs de courses surroute ne réservant pas de récompense spéciale pour lescoureurs ayant cumulé le plus fort dénivelé durantl’épreuve, les coureurs qui rebondissent en courseperdent de l’énergie inutilement. Les athlètes en “fouléearrière” seraient à l’abri du risque de rebond inutile. Eneffet, la part d’impulsion représentée par la poussée étantsupérieure dans ce type de foulée, et la poussée orien-tant nettement l’impulsion vers l’avant, le déplacementvertical du coureur serait moindre. Or, une foulée plusrasante est plus économique (20, 21).

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18) He JP, Kram R,McMahon TA. Mechanicsof running undersimulated low gravity.J Appl Physiol.1991;71(3):863-70.19) Farley CT, Glasheen J,McMahon TA. Runningsprings: speed andanimal size. J Exp Biol.1993;185:71-86.Morgan et al 1989,Williams et Cavanagh1987a, Mero et coll. (199220) Morgan DW, MartinPE, Krahenbuhl GS.Factors affecting runningeconomy. Sports Med.1989;7(5):310-30. Review. 21) Williams KR,Cavanagh PR.Relationship betweendistance runningmechanics, runningeconomy, andperformance. J ApplPhysiol.1987a;63(3):1236-45.

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que le “coureur avant” utilisait ses muscles comme desélastiques. Nous pourrions à ce titre l’appeler “coureurélastique”. Grâce à son fonctionnement élastique, unepart importante de l’énergie nécessaire à la course nelui coûte rien. Ni sueur, ni chaleur, ni sucres, ni larmes.L’énergie élastique est gratuite. A chaque saut qu’ilréalise, il économise 22% d’énergie comparativement àun sportif utilisant peu ou pas l’énergie élastique (4).Mais à quoi cela sert-il d’économiser l’énergie à chaquesaut, si en contrepartie le coureur accumule les sautstotalement inutiles? Et d’ailleurs, pourquoi ce “coureuravant élastique” passe-t-il son temps à rebondir? La

Figure 9 Réactions du modèle du ressort aux vitesses de course lentes et élevées. La raideur du ressort et sa compressionsont identiques aux deux vitesses. La seule différence est que l’angle de balayage est plus important à grande vitesse. Il enrésulte un déplacement vertical du centre de masse (Δ rapide) plus faible (adapté de Farley et Ferris, 1998).

Vitesse réduite Vitesse élevée

Δ rapideΔ lent

haut

eur

Haile Gebrselassie joue à l’élastique.

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Ma jambe s’appelle revientEn plus d’un déplacement vertical plus important, la“foulée avant” appliquée à la course de durée pourraitprésenter un second désavantage. Il n’est pas impen-sable que le retour de la jambe libre et la fixation dugenou à l’avant du corps soient plus coûteux que prévu.Nous avons suggéré qu’en course de vitesse, le coûténergétique de ce retour rapide de la jambe vers l’avantpourrait être réduit par la “mise en tension–renvoi” desmuscles situés à l’avant de la cuisse (notamment lemuscle psoas-iliaque). Il n’est pas impensable que cefonctionnement élastique des muscles antérieurs de lacuisse devienne moins efficace quand la vitesse -doncquand la mise en tension de ces muscles- diminue. Bienque cela reste une supposition à démontrer, l’hypothèsepermettrait de comprendre le ressenti des coureurs d’en-durance en phase d’apprentissage d’une “foulée avant”.Dans cette situation, l’effort volontaire nécessaire pour“ramener rapidement le genou vers l’avant” est souventvécu comme épuisant. Or, en “foulée arrière”, l’effortserait nul. Le retour de la jambe libre vers l’avant et le bas,serait assuré par la pesanteur. La descente à pic de lapoulaine caractéristique de la foulée arrière (figure 2),présentée comme désavantageuse pour l’appui au sol,pourrait ainsi s’avérer avantageuse lors du mouvementaérien de cette jambe. Cela expliquerait du même coupdes constatations faites sur le terrain. Grâce à sa longueexpérience de l’athlétisme à tous les niveaux de pratique,Jacques Piasenta rapporte ainsi que 70% des enfantsréalisent des foulées bondissantes en cycle arrière (23).

Des coureurs aguerris sont également adeptes de la“foulée arrière”. En course de vitesse, Marie-José Pérecest un exemple caractéristique de coureuse rapide aucycle arrière prononcé. L’exception qui confirme la règle?Peut-être. Mais quand la distance augmente, l’exceptionpourrait devenir la “foulée avant”. Les “foulées Gebrse-lassie” sont rares chez les coureurs de durée. Il suffit deregarder tourner des spécialistes de demi-fond sur unepiste ou passer le peloton de tête lors du semi-marathonle plus proche de chez vous, pour constater que lescoureurs en “foulée arrière” sont majoritaires. Nousavons signalé qu’avec cette “foulée arrière”, la moindrecapacité à récupérer l’énergie élastique sur l’appuipouvait être compensée par l’évitement de rebondsinutiles (orientation des forces vers l’avant compte tenude la poussée dominante). Nous avons également notéque lors du retour de la jambe libre vers l’avant, le quadri-ceps pourrait être plus relâché. Or, un meilleur relâche-ment est synonyme d’économie d’énergie mais aussi etsurtout de meilleure circulation sanguine. Il faut en effetsavoir que toute contraction musculaire compresse lescapillaires sanguins rendant la circulation plus difficile(24). Cette compression est proportionnelle à l’intensitéde la contraction, laquelle serait moindre en coursearrière, au niveau du quadriceps de la jambe libre. Plusrelâchés en l’air, les muscles pourraient être plus irriguéset la consommation d’oxygène améliorée. Bien que celareste à démontrer, en théorie la “foulée arrière” pourraitdonc s’avérer plus efficace en l’air et moins performanteà l’appui (voir ci-dessous).

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22) Farley CT, Ferris DP.Biomechanics of walkingand running : center ofmass movements tomuscle action. Exerciceand sport sciencesreviews. 1998;26:253-285.23) Piasenta J.L’éducation athlétique.INSEP, CollectionEntraînement, 1988.24) Astrand P.O, RodhalK. Précis de physiologiede l’exercice musculaire1994 3e édition Masson.

LES TROIS TARES DE L’ARRIÈREAu regard des connaissances et des modélisationstechniques actuelles, la “foulée arrière” semblecumuler plusieurs désavantages au moment de l’appui au sol. On peut résumer en trois points.

• Une mauvaise orientation des forces. En fouléearrière, la jambe traîne longtemps à l’arrière ducorps. Le retour de la jambe libre vers l’avant et lesol est relativement tardif. Une anticipation del’appui est impossible. Le pied touche le sol dansun mouvement “arrière-avant” qui s’oppose aumouvement de course orienté vers l’avant.

• Un premier poids supplémentaire. A l’appui, lorsque la pression est la plus forte, la jambe libre arrière, continue son mouvement de descente. Par simple transfert d’inertie, le mouvement de cette jambe augmenterait encore la pression sur l’autre jambe. Le travail fourni par cette jambe pour soutenir le corps serait donc accru (figure 10).

• Un second poids supplémentaire.En foulée arrière, le travail duquadriceps serait égalementaugmenté par le buste penché enavant. En effet, dans cette posture, la projection au sol du centre degravité du coureur tombe en avantdu point d’appui, ce qui engendreraitdes contractions musculaires supplémentaires (quadriceps,dorsaux), pour maintenir l’équilibredu corps (figure 11).

Figure 10 Alourdi par “l’arrière”, allégé par “l’avant”

Figure 11 Penché enavant, la projectionau sol du centre degravité (CdG) setrouverait en avantde l’appui (PdA)

En arrière En avant

PdA CdG

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Comment une foulée s’impose-t-elle?Chacune des deux foulées semble donc présenter son lotd’avantages et d’inconvénients. Bien entendu, l’idéalserait de pouvoir cumuler les avantages de l’une et del’autre foulée. Bénéficier d’un retour rapide de la jambearrière sans contraction du quadriceps, d’une ouverturede cette jambe libre assurant un renvoi rapide vers l’ar-rière garant d’une orientation des forces d’appui limitantles oscillations verticales du coureur, d’un passage rapidesur l’appui associé à une avancée prononcée du bassin.Peut-être direz-vous que l’idéal n’est pas de ce monde.Pourtant, l’entraînement régulier semble pouvoir l’appro-cher. Après trois séances spécifiques réalisées à l’allurecible de la compétition, des coureuses de 400 m de haut-niveau, améliorent une bonne partie des points évoqués(25). Ce constat rappelle qu’une foulée régulièrementsollicitée voit son efficacité augmenter. Plus générale-ment, il suffirait de courir pour que le “système foulée”sélectionne et améliore les paramètres de la fouléepermettant de réduire le coût énergétique. Par exemple,de nombreuses études (26, 27, 28) ont montré que lesadultes et les enfants tendent à courir spontanément àdes fréquences qui minimisent la quantité d’oxygèneconsommée (26,27,28). (Figure 12).L’efficacité de la foulée ne découlerait donc pas d’un choixconscient mais d’une “découverte” –ou d’une création–par l’organisme du meilleur compromis entre des para-mètres intriqués et parfois difficilement conciliables. L’ob-jectif affiché est un moindre coût énergétique. Et encore!Le coût énergétique pourrait ne pas être le seul critère àoptimiser. Sinon comment comprendre que les chevauxpassent naturellement du trot au galop à une vitesse pourlaquelle le trot est plus économique? Farley et Taylorrapportent que ce passage du trot au galop augmente lecoût métabolique pour le cheval mais réduit le pic de forcesur les muscles, les tendons et les os, ce qui pourraitréduire les risques de blessure (29). Ainsi la réduction durisque de blessures ou plus généralement le confort decourse pourrait entrer en concurrence avec l’optimisationdu coût énergétique. L’observation selon laquelle dessujets souffrant de douleurs aux membres inférieurstendent à réduire la force appliquée au sol pendant lamarche comparativement à des sujets sains, renforcecette hypothèse (30). La complexité du système fouléeauto-optimisé pourrait être telle, que des critères commele maintien de la pression sur les muscles ou la fréquencedes appuis pourraient eux-aussi entrer en concurrence

avec la réduction du coût éner-gétique et le risque de bles-sure. Cela explique la diversitédes résultats lors d’études surles avantages et désavantagesde chaque type de foulée entermes de rendement. Alorsque certains chercheursobservent un meilleur rende-ment du geste chez le sportifde haut niveau, d’autresconstatent que le coureurd’élite n’est pas plus économeque le jogger du dimanche(31). Comment l’expliquer? Desdéterminants anatomiquespourraient s’imposer. Parexemple, les sportifs qui natu-rellement présentent un bassin

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25) Riviere D, Slawinski J,Gajer B, Quievre J. Effetsde l’entraînement sur lesparamètres mécaniquesde la foulée chez descoureurs de 400 mètresexpertes. Journéesinternationales du sport.INSEP. 2007.26) Hogberg P. How dostride length and stridefrequency influence theenergy-output duringrunning?Arbeitsphysiologie.1952;14(6):437-41.27) Cavanagh PR,Williams KR. The effectof stride length variationon oxygen uptake duringdistance running.Medicine and Sciencein Sports and Exercise.1982;14, 30-35.28) Hamill J, Derrick TR,Holt KG. Shockattenuation and stridefrequency during running.Human MovementScience.1995;14:45-60.29) Farley CT, Taylor CR.A mechanical trigger forthe trot-gallop transitionin horses. Science.1991;253(5017):306-8.30) Lee CE, SimmondsMJ, Etnyre BR, Morris GS.Influence of paindistribution on gaitcharacteristics in patientswith low back pain: part1: vertical groundreaction force. Spine.2007;32(12):1329-36

antéversé, développeraient de manière spontanée, unefoulée en cycle arrière. Dès lors, l’organisation énergé-tique permise par la répétition du geste ne pourrait seréaliser qu’à l’intérieur d’une gestuelle imposée par lescontraintes anatomiques. Dans cette complexité, notreanalyse rationnelle ne serait-elle pas dépassée? Puisquela foulée s’optimise toute seule, un apprentissageconscient est-il possible? Est-il souhaitable? Ne court-onpas le risque de tout perdre dans cette tentative délibéréede modifier la gestuelle spontanée. En clair, peut-onapprendre à courir? La question est lancinante. Et, de fait, l’amélioration ducoût énergétique de la foulée est rarement observée suiteà une procédure d’apprentissage technique (32). Quandbien même une modification technique intervient suite àun apprentissage, elle semble ne pas se traduire parl’amélioration de l’efficacité du geste (33). Pire encore, lesrares études qui ont cherché à remplacer une foulée exis-tante par une nouvelle gestuelle a priori plus économique(foulée rasante), se traduisent généralement par uneaugmentation de la sensation de pénibilité de l’effort (34).Tout nous incite au statu quo. Pourtant, en dépit de résul-tats contradictoires, il semblerait que les interventionsréalisées dans la durée et prenant en compte lesréponses individuelles des coureurs, pourraient favoriserl’émergence d’une nouvelle foulée plus économique (35,36). Concernant la notion d’individualisation, un coureuren cycle arrière qui commence un apprentissage en cycleavant, ressentira certainement dans un premier temps,des douleurs au niveau des mollets et peut-être de lavoûte plantaire. Des muscles jusque-là peu sollicités sontà présent en première ligne. Si ce ressenti individuel n’estpas pris en compte (sol plus mou, réduction du nombrede séances…), le coureur risque de développer des stra-tégies inconscientes de fuite de la douleur. Il pourra parexemple, augmenter la flexion du genou de manière àdiminuer la tension au niveau des mollets. Ce faisant, iln’est pas impossible qu’il transforme sa “foulée arrière”en “foulée assise”, soit une nouvelle gestuelle bien peufavorable à une amélioration du coût énergétique. Unregard avisé saura donner les consignes (par exemple:appui en plante, haut sur l’appui…) et organiser l’environ-nement (lattes, haies…) permettant d’éviter un nouveléquilibre moins favorable. Apprendre c’est toujoursrisquer de se perdre pour espérer se trouver. Concernantla durée d’apprentissage dont le rôle est rarement pris encompte dans les études, elle est pourtant primordiale. En

Figure 12 Variation dela consommationd’oxygène enfonctionde la longueur dela foulée. Le cerclerapporte la longueurspontanémentadoptée par lescoureurs (adaptéde Hägberg 1952).Pour toutes lesautres longueursimposées parl’expérimentateur,le coût énergétiqueest plus élevé.

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effet, en début d’apprentissage, l’athlète peut solliciterd’autres muscles ou utiliser les mêmes groupes muscu-laires mais de manière différente. L’efficacité musculaireétant spécifique à une gestuelle donnée et la posture étantmodifiée, la réponse musculaire risque d’être moins effi-cace. Par ailleurs, une dépense énergétique supplémen-taire pourrait être associée à un moindre relâchement etun plus grand contrôle du geste. Chaque entraîneurconnaît cette phase de doute durant laquelle un athlètepeut régresser pendant plusieurs semaines ou plusieursmois avant de retrouver un geste efficace. Ce n’est qu’avecles répétitions qu’une nouvelle optimisation pourra seréaliser et que, conformément à certaines conceptions del’apprentissage, la perte initiale sera remplacée par unnouveau comportement plus efficient que le geste initial(37). Alors peut-être le coureur pourra-t-il décrocher lepompon. Devenir plus efficace ou, mieux encore,apprendre plusieurs styles de foulée lui permettant d’êtreefficace dans des environnements différents. Car nous nel’avons pas encore précisé. Il semble bien ne pas y avoir defoulée universellement efficace pour tous et partout.

Sol dur contre sol mou Comment expliquer par exemple que, sur piste, l’Ethio-pien Haile Gebrselassie battait systématiquement leKényan Paul Tergat alors qu’en cross, la domination s’in-versait? Sans doute faut-il en déduire que l’élasticité de lapiste favorisait la “foulée élastique” de Gebrselassie alorsque le sol plus mou permettait à la puissance musculairede Tergat de mieux s’exprimer. Le même constat s’im-pose en montée, de telle manière que si vous vousrendez compte que vous êtes moins bon que les autrescoureurs sur sol mou et/ou en montée et meilleur sur soldur et plat, vous pouvez raisonnablement supposer quevous utilisez vos muscles davantage comme des élas-tiques. D’autres critères comme la taille favorisentcertains coureurs dans certains environnements etd’autres coureurs dans d’autres milieux. Les grandesguiboles stockent plus facilement l’énergie en descente.La durée de course joue également un rôle capital. En

moyenne, les “coureurs avant” spécialistes d’endurancesont sans doute plus efficaces sur les courtes distances(5 km, 10 km) alors qu’avec la durée (marathon et plus), lasollicitation notable et répétée de leurs “muscles élas-tiques” associée à l’augmentation des oscillations verti-cales, risque de leur poser quelques soucis de rendementvoire même de santé (risque de blessures plus impor-tant). Un modèle sert à comprendre plutôt qu’à dicter. Cetavis est d’autant plus important qu’il n‘existe pas unmodèle mais des compromis efficaces individuellementet pour certains environnements. Cependant, si l’indivi-duel et le contextuel sont très respectables, devant tantde complexité, votre perplexité peut grandir et s’imposer.Si tel est le cas, si vous ne savez toujours pas s’il estpréférable de faire évoluer votre foulée, voilà la démarcheque nous vous proposons. En premier lieu, écoutez voscompagnons de route pour savoir si votre foulée paraitparticulièrement intrigante et atypique. Si c‘est le cas,demandez son avis à un entraîneur baigné de techniquede course. Suppliez-le de vous regarder courir. Ensembledécidez des points techniques qui peuvent éventuelle-ment faire l’objet d’un apprentissage (pose plante, genouglisse vers l’avant, jambe allongée avec le contact ausol…). Apprenez, répétez, demandez à des amis de vousobserver. Entraînez-vous dans des endroits favorables àla nouvelle foulée recherchée (n’allez pas de suitetravailler votre “foulée avant” en montée). Si possible, detemps à autre, retrouvez votre entraîneur préféré.Apprenez, devenez. Enfin, si vous pouvez, n’oubliez pasce que vous étiez. On ne sait jamais, cela peut toujoursservir de se rappeler que l’on sait aussi “pousser” et pas seulement “griffer”. Sur le plat, en montée, sur sol mou, sur la piste ou en forêt: il existe probablement autant de parcours que de bonnes façons de courir!Cyrille Gindrewww.volodalen.comIllustrations Olivier Paget© Volodalen 2008.

31) Slawinski JS, Billat VL.Difference in mechanicaland energy cost betweenhighly, well andnontrained runners. MedSci Sports Exerc. 2004;365(8): 1440-632)Bailey SP, Pate RR.Feasibility of improvingrunning economy. SportsMed. 1991;12(4):228-36.Review. 33) Messier SP; Cirillo KJ.Effects of a verbal andvisual feedback systemon running technique,perceived exertion andrunning economy infemale novice runners.Journal of SportsSciences.1989;7(2):113-126.34) Messier SP, FrankeWD, Rejeski WJ. Effects ofaltered stride lengths onratings of perceivedexertion during running.Res Q Exerc Sport.1986;57:273-279.35) D. Morgan, P. Martin,M. Craib, C. Caruso, R.Clifton and R. Hopewell.Effect of step lengthoptimization on theaerobic demand ofrunning. J Appl Physiol.1994;77: 245-251.36) Brisswalter J, LegrosP, Durey A. Variabilitédu coût énergétiquede la course à pied :effets de la spécificité dela vitesse d’entraînementsur l ’évolutiondes paramètres

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25:3-11.37) Berstein NA. Thecoordination andregulation of movements.London, Pergamon press,1967.

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BIOMÉCANIQUE

Le skieur suédoisAnders Södergren:

un dur des dunes!

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