Science mortelle - Laure Painchaud

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Alors que les Côté sont réunis pour fêter les fiançailles d’Éléonore et de Maxence, celle-ci fait une effroyable découverte : elle trouve son père sans vie dans son bureau après l’apéritif. Nathan Bibeau, le frère de la femme du défunt, prend en charge l’enquête qui s’annonce difficile. Les suspects sont nombreux alors que les indices se font rares. Pour trouver le coupable, Nathan devra non seulement faire preuve d’un sens de la déduction important, mais aussi faire face à une réalité à la quelle il n’avait encore jamais songé.

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Science mortelleI

Un homme frappa à la porte. Il arborait une barbe de quelques jours ainsi que d’épais cheveux châtains, assez courts, cependant. Il portait une chemise bleue et des pantalons noirs. Il se nommait Nathan Bibeau, agent de police. Sa sœur Axelle l’avait appelé dès que le décès de son mari, François Côté, 58 ans, avait été constaté par le docteur Vega, leur médecin de famille.

       Vite, entre, Nathan! lui dit précipitamment Axelle en ouvrant la porte.       J’ai fait du plus vite que j’ai pu, déclara-t-il en enlevant son manteau.

Il la suivit dans le salon, où tout le monde était installé. Avant de commencer à parler, il regarda attentivement les gens qu’il avait devant lui. Ils le fixaient tous, l’air un peu perdu, les yeux vides et écarquillés. Il se mit à les détailler, un à un, en commençant par la gauche. La première était Axelle, sa sœur. Elle ne lui semblait pas si différente qu’à l’habitude, vêtue d’une chemise satinée et d’une jupe noire, ses cheveux blonds lui arrivant aux épaules. Elle semblait triste et un peu déprimée.La seconde personne était Fabrice, le fils de François, né d’un premier mariage. Axelle lui en avait déjà parlé plusieurs fois. Il refaisait cette année son cégep pour la énième fois et envisageait d’arrêter l’école. Il semblait plutôt indifférent à ce qui se passait.Ensuite, il y avait une vieille femme dont Nathan ignorait le nom. Le regard pointé vers le bas, elle sanglotait en silence. «Sûrement la mère de François», déduisit-il. Elle était trop vieille et trop triste pour être qui que ce soit d’autre.La personne suivante était une autre vieille femme, moins triste. Elle semblait, comme Fabrice, plutôt indifférente à la mort de François Côté. Puis, il y avait une jeune adulte, début vingtaine, les yeux pleins d’eau. Elle enlaçait un garçon. Probablement Éléonore, la sœur de Fabrice, avec son fiancé, se dit le policier, plutôt au courant de la belle-famille de sa sœur. Ensuite, il y avait une femme dans la quarantaine avancée, le teint terne et les cheveux bruns bien coiffés. Elle devait être Geneviève, l’ex-femme de François, avec qui il avait eu ses deux premiers enfants. Ça se voyait qu’elle éprouvait un peu de joie dans la mort de son ex-mari.Finalement, le médecin de famille de sa sœur, se tenant un peu à l’écart, ne semblait pas trop savoir où se mettre. En silence, Nathan Bibeau se leva et se dirigea instinctivement vers le bureau, qui venait de se transformer en scène de crime. La famille le suivit, un peu surprise par les méthodes de ce policier. Il n’avait adressé la parole à personne, hormis sa sœur, se contentant d’observer longuement tout ce qu’il voyait. Le bureau de François Côté n’était pas des plus ordonnés. Des piles de papiers étaient empilées çà et là sur le chic bureau de bois vernis. Il y avait également un ou deux pots de pilules, un ordinateur presque neuf et des stylos. La victime était étendue sur le sol, un verre de vin renversé dans une main, le combiné dans l’autre.

       Eh bien, lança Nathan d’un ton enthousiaste. On va bien s’amuser!       J’espère, chuchota la mère de François à l’intention de l’autre vieille dame, qu’il est plus compétent qu’il n’en a l’air.

 

IIL’enquêteur Bibeau se pencha vers le verre de vin. Il restait quelques gouttes dans le verre, les autres ayant été absorbées par le tapis. Il prit une goutte sur son doigt, la sentit et remarqua une odeur plus âcre, plus définie que celle du vin rouge habituel. Il goûta le vin et perçut un goût désagréable mélangé à la saveur de l’alcool. Ses yeux se reportèrent ensuite sur le corps.

       Bon, envoyez-moi ça à la morgue pour une autopsie, lança l’inspecteur Bibeau à l’intention des techniciens.

Il se doutait bien de ce que serait le verdict du médecin légiste quant à l’origine de la mort de l’homme d’affaires. Un verre de vin combiné à une absence manifeste de toute lésion corporelle, si ce n’était pas une mort naturelle, c’était à coup sûr un empoisonnement. S’arrêtant de réfléchir, il se dit qu’il ferait mieux de commencer les interrogatoires au plus vite pendant que la famille était réunie. Par égard pour sa sœur sanglotant seule avec le médecin dans son coin, il se dit qu’il la questionnerait plus tard. En se tournant, il vit Fabrice, le fils du défunt. Il lui posa quelques questions, mais remarqua assez vite que le garçon, s’il échouait sans cesse ses sessions au cégep, ce n’était pas pour rien. Il n’était vraiment pas

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loquace, c’était à peine s’il savait pourquoi ils fêtaient. Nathan savait qu’il perdait son temps avec lui et se tourna vers les deux fiancés.

       Je suis désolé de vous déranger et d’abord, toutes mes condoléances. Je dois malheureusement vous poser quelques questions au sujet des allées et venues de votre famille. Premièrement, j’aimerais savoir si vous-même ou quelqu’un d’autre s’est aventuré à l’étage au moment où François y était.       Non, je n’ai rien remarqué, j’étais beaucoup trop obnubilée par mes fiançailles, peut-être, dit la fiancée.       Et vous, Maxence?       Je suis sûr que personne n’est monté à l’étage après monsieur Côté, puisqu’il fallait constamment que je déplace ma chaise placée devant l’escalier pour laisser quelqu’un passer.

Donc, si ses soupçons d’empoisonnement s’avéraient fondés, il savait que le poison avait été déposé dans le vin avant que la victime ne soit montée à l’étage.

       Bon, merci. Peut-être pourriez-vous m’indiquer de qui provenaient les bouteilles de vin?       Oh, elles étaient toutes les siennes, des bouteilles de grande valeur. Personne n’apportait jamais sa propre bouteille, répondit Éléonore.       Sauriez-vous par hasard quel était le vin que votre père buvait au moment de sa mort? Était-il le seul à en boire?       J’en ignore le nom, personne sauf lui n’aimait ce vin-là, mais la bouteille est là-bas. Vous pouvez la prendre si vous en avez besoin.       Une dernière question, mademoiselle. Tous les invités auraient-ils pu savoir que votre père serait le seul à boire le vin de cette bouteille ? fit l’inspecteur en la pointant.       J’imagine que oui, c’était assez connu que mon père, avare comme il l’était, ne partageait jamais ses meilleurs vins avec les autres.       Merci pour ces réponses. Voici ma carte, dit Nathan en tendant la main. Si vous voulez me dire quoi que ce soit d’autre, surtout, n’hésitez pas.

Il n’y avait donc plus qu’à trouver celui qui en voulait assez à Côté pour le tuer. Des quelques personnes qu’il lui restait à interroger, il y en aurait sûrement au moins une ou deux. Il s’approcha des deux femmes impassibles attendant sur le perron. Geneviève, l’ex-épouse et sa mère, Marie-Jeanne, l’attendaient de pied ferme.

       Alors, c’est vous, le frère d’Axelle? demanda la dame âgée.       Oui, c’est moi, fit l’inspecteur Bibeau.        Alors nous ne souhaitons pas répondre à vos questions. Il est clair que vous protégez votre sœur et son amant de médecin! répondit rageusement Geneviève.

Le détective fut assez déstabilisé par cette réponse. Il ignorait que sa sœur trompait son mari, si ce que disait l’ex-femme était vrai, bien sûr. Il se reprit :

       Expliquez-vous, s’il vous plaît.       C’est apparent que votre sœur et son beau médecin sont beaucoup trop proches l’un de l’autre, dit-elle en appuyant sur ses derniers mots. Pourquoi croyez-vous qu’Axelle l’ait appelé avant même d’avoir alerté l’ambulance?       Un instant, madame, je me dois de répliquer, interrompit Nathan. Nous ne savons pas encore la cause de la mort de François, rien ne prouve qu’il ait été assassiné.       Très bien, alors pourquoi êtes-vous là?

Et sur ce, la mère et la fille s’en allèrent. Pas vraiment commode, l’ex-madame Côté, jugea Bibeau. Il retourna à l’intérieur pour y trouver le médecin, enragé, qui l’attendait.

       Pour quelle raison vous permettez-vous d’interroger les membres d’une famille qui viennent de perdre un être cher d’une maladie foudroyante? Quel peu de considération!       Une maladie foudroyante? répéta avec ironie Nathan. Pourtant, aucun diagnostic n’a été fait.       Je suis médecin, inspecteur, je sais de quoi je parle.       C’est ce qu’on verra, ricana l’inspecteur.

«Il n’est pas très net, celui-là», pensa-t-il alors.

IIIDepuis plusieurs heures, Nathan Bibeau faisait les cent pas devant le bureau d’autopsie, l’impatience lui brûlant l’esprit. Il avait bien essayé d’avancer dans l’enquête, mais le rapport du médecin légiste était primordial.

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Soudainement, les portes s’ouvrirent sur un homme aux cheveux gris en bataille qui se précipita vers Nathan.

       Vous êtes monsieur Bibeau? demanda-t-il.       Oui, c’est bien moi.       Parfait! Je viens de finir le rapport d’autopsie. Allez, suivez-moi!

Les deux hommes se faufilèrent entre les lourdes portes du laboratoire. Sur une table, reposait morbidement le corps de François Côté, maladroitement recouvert d’un drap gris terne. Sa peau était blanche et, sans avoir eu besoin d’y toucher, Nathan savait qu’il dégageait un froid effrayant. Bien que cela fasse partie de son travail, Nathan ne pouvait s’habituer à voir un corps inerte et sans vie.

       Le vin n’était pas empoisonné, dit l’homme qui, jusqu’à maintenant, n’avait pas révélé son identité. Aucune trace de poison ne se trouvait dans le liquide. J’ai relevé, en revanche, une quantité considérable de vinaigre dans la bouteille.

C’était donc cela le goût âcre du vin qu’avait découvert Nathan…       Si le vin n’est pas empoisonné, quelle est la cause de la mort? questionna-t-il.       Empoisonnement, bien sûr.       Je suis confus, monsieur.       Il a bel et bien été empoisonné, mais pas en buvant du vin. Lisez ceci, c’est le rapport de toxicologie.

« […] hypothèse d’un empoisonnement justifiée, taux chlorhydrate de benfluorex dans le sang douze fois plus élevé que la limite létale […] ».

       Chlorhydrate de benfluorex? Qu’est-ce? demanda Nathan.       J’y arrive. Le chlorhydrate de benfluorex est rare, cependant, il entre dans la composition d’un médicament pour diabétiques appelé «Médiator». Le Médiator ne se vend que sur prescription. Par contre, je n’ai rien reçu venant de la scène de crime en ce qui concerne des pilules… Peut-être y avez-vous laissé des indices?

Nathan réfléchit. Le bureau devait rester intact jusqu’à la fin de l’enquête. Donc, si certaines traces y étaient restées, elles seraient toujours là.Le jeune homme sortit de l’immeuble à toute vitesse, puis se mit en direction de la maison des Côté.

Lorsqu’il sonna à la porte, Axelle ouvrit, les yeux cernés et rouges. Elle pleurait.        Désolé, Axelle, il faut que je monte au bureau, ça te dérange? demanda Nathan tout en enlaçant sa sœur.       Non, bien sûr, vas-y.

Il s’élança vers la pièce d’un pas rapide. Une fois entré, il s’arrêta. Il se rappelait avoir vu des pots de pilules en arrivant sur la scène de crime la veille. Il les repéra rapidement et en prit un dans ses mains pour l’observer.

       Axelle? s’exclama Nathan à sa sœur.La jeune femme se précipita dans la pièce. Le jeune homme poursuivit :

       François prenait bien du Médiator? Oui, deux comprimés par jour. Laisse-moi deviner… sa dose a augmenté, récemment, n’est-ce pas? Oui, fit Axelle en palissant.

Soudain, tout devint clair. Qui aurait pu lui faire avaler toutes ces pilules? Un pharmacien, ou bien peut-être un médecin de famille…

IVÀ peine sorti de l’immense demeure de sa soeur, Nathan Bibeau fila à toute vitesse vers la maison de Manuel Vega, le médecin de famille. Il ne mit pas plus de cinq minutes pour arriver devant chez lui. Il sortit prestement de sa voiture et se dirigea d’un pas rapide vers la porte. Il sonna à trois reprises, sans résultat.

       Police! Ouvrez! cria-t-il.Il attendit quelques instants, puis défonça la porte d’un coup de pied solide. Il entra prudemment, son arme à la main.

       Allez, sortez de votre cachette! Je sais que c’est vous! Votre peine ne fera que s’alourdir si vous refusez de coopérer.

Personne ne répondit. Bibeau s’aventura dans le salon, puis dans la cuisine. Tout semblait en désordre, comme si quelqu’un avait fouillé la maison… ou pris la fuite. Le détective poursuivit sa tournée, s’assurant que le médecin n’était pas caché quelque part. Soudain, une idée lui traversa l’esprit. Il n’était pas certain

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qu’elle était bonne, mais il se risqua quand même, au cas où. Il courut jusqu’à sa voiture et démarra en vitesse. Il se rendit au plus vite chez Axelle. Si son hypothèse s’avérait exacte, les deux amoureux seraient chez elle, en train de ramasser leurs affaires pour s’enfuir très loin d’ici. À moins, bien sûr, qu’ils ne se soient rejoints ailleurs… Nathan préféra quand même passer chez sa soeur avant tout. Comme il l’avait fait chez Vega, il sonna, puis cria :

       Police! Ouvrez!Comme il s’y attendait, personne ne vint répondre. Il défonça la porte d’un coup de pied aussi puissant que le premier. Il entendit du bruit à l’étage et s’y dirigea en courant. Deux voix venant de la chambre à coucher, celles de sa soeur et d’un homme, chuchotaient.

       Vite Manuel! Il arrive! disait Axelle.       Je fais ce que je peux! lui répondit l’homme.

Nathan Bibeau s’élança vers la chambre et pointa son arme sur les deux fugitifs.       Ne bougez pas! Manuel Vega, je vous arrête pour le meurtre de François Côté.       Nathan, tu ne peux pas me faire ça, balbutia Axelle avant de se mettre à pleurer. Il n’a pas vraiment voulu le tuer!       Vous avez le droit de garder le silence, dit Nathan en mettant les menottes au médecin, impassible.

Manuel Vega affichait une mine fière et arrogante, tandis qu’Axelle semblait dévastée. Nathan soupira avant de continuer :

       Et vous, Axelle Côté, je vous arrête pour complicité de meurtre.       Non! hurla la femme. Je ne le savais pas! Je ne l’ai appris que lorsque tu as parlé de diabète, tout à l’heure.       Alors, pourquoi ne m’as-tu pas tout raconté? demanda le détective.

Elle ne répondit pas. Au poste de police, Nathan Bibeau emmena les deux accusés dans la salle d’interrogatoire.

       Si j’obtiens des aveux de votre part maintenant, votre peine sera peut-être moins lourde, certifia-t-il. C’est à vous de choisir.

Les deux intéressés se regardèrent quelques secondes, puis Manuel soupira.       C’est bon. Je suis le médecin de famille de monsieur Côté depuis plusieurs années. J’ai eu l’occasion de rencontrer Axelle lors d’une soirée organisée par lui à laquelle j’ai été convié. Dès que nous nous sommes vus, ce fut le coup de foudre.

Axelle lui fit les yeux doux en minaudant. Il poursuivit.       Nous avons tout de suite commencé à nous voir en secret. François ne se doutait de rien.

Il se racla la gorge et continua.       Un jour, Axelle m’a dit qu’elle avait l’intention de me quitter. Son mari commençait à avoir des doutes au sujet de sa fidélité. Jamais je n’aurais pu laisser passer une chose pareille! J’ai immédiatement réagi en augmentant la dose de médicaments de monsieur Côté à son insu. Axelle n’était au courant de rien!       Jusqu’à ce que tu parles de médicament empoisonné, ajouta la soeur du détective. J’ai alors deviné toute l’histoire. Je l’ai appelé dès que tu as passé la porte pour l’avertir de ta venue. Il s’est dépêché et nous aurions pu réussir si tu n’étais pas aussi perspicace, cher frère.

Elle avait dit cette dernière phrase avec un regard empli de haine destiné à Nathan. En se levant, il se dit qu’il avait certes réussi à boucler cette enquête, mais qu’il avait tout de même perdu l’amour de sa soeur. « Je ne fais que mon métier… », se dit-il en se levant.

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Alors que les Côté sont réunis pour fêter les fiançailles d’Éléonore et de Maxence, celle-ci fait une effroyable découverte : elle trouve son père sans vie dans son bureau après l’apéritif.

Nathan Bibeau, le frère de la femme du défunt, prend en charge l’enquête qui s’annonce difficile. Les suspects sont nombreux alors que les indices se font rares. Pour trouver le coupable, Nathan devra non seulement faire preuve d’un sens de la déduction important, mais aussi faire face à une réalité à la quelle il n’avait encore jamais songé.