SOPHIE-JULIE PAINCHAUD Racines de faubourg

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roman Le retour Tome 3 SOPHIE-JULIE PAINCHAUD Guy Saint-Jean ÉDITEUR Racines de faubourg Extrait de la publication

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roman

Le retourTome 3

SOPHIE-JULIE PAINCHAUD

G u y S a i n t - J e a nÉ D I T E U R

Racines de faubourg

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Annamarie Beckel :Les voix de l’îleChristine Benoit :

L’histoire de Léa : Une vie en miettesAndrée Casgrain, Claudette Frenette,Dominic Garneau, Claudine Paquet :

Fragile équilibre, nouvellesAlessandro Cassa :

Le chant des fées, tome 1 : La divaLe chant des fées, tome 2 : Un dernier opéra

Normand Cliche :Le diable par la crinière

L’ange tourmentéLuc Desilets :

Les quatre saisons : Maëva Les quatre saisons : LaurentLes quatre saisons : Didier

Les quatre saisons : RafaëlleSergine Desjardins :

Marie MajorFrançois Godue :

Ras le bolNadia Gosselin :

La gueule du LoupDanielle Goyette :

Caramel mouGeorges Lafontaine :

Des cendres sur la glaceDes cendres et du feu

L’OrphelineClaude Lamarche :

Le cœur oubliéJe ne me tuerai plus jamais

François Lavallée :Dieu, c’est par où ?, nouvelles

Michel Legault :Amour.com

Marais Miller :Je le jure, nouvelles

Marc-André Moutquin :No code

Sophie-Julie Painchaud :Racines de faubourg, tome 1, L’envol

Racines de faubourg, tome 2, Le désordreClaudine Paquet :Le temps d’après

Éclats de voix, nouvellesUne toute petite vague, nouvelles

Entends-tu ce que je tais ?, nouvelles

Éloi Paré :Sonate en fou mineurGeneviève Porter :

Les sens dessus dessous, nouvellesPatrick Straehl :

Ambiance full wabi sabi, chroniquesAnne Tremblay :

Le château à Noé, tome 1 : La colère du lac

Le château à Noé, tome 2 : La chapelle du Diable

Le château à Noé, tome 3 : Les porteuses d’espoir

Le château à Noé, tome 4 : Au pied de l’oubli

Louise Tremblay-D’Essiambre :Les années du silence, tome 1 :

La TourmenteLes années du silence, tome 2 :

La DélivranceLes années du silence, tome 3 :

La SérénitéLes années du silence, tome 4 :

La DestinéeLes années du silence, tome 5 :

Les BourrasquesLes années du silence, tome 6 :

L’OasisEntre l’eau douce et la mer

La fille de JosephL’infiltrateur

« Queen Size »Boomerang

Au-delà des motsDe l’autre côté du mur

Les demoiselles du quartier, nouvellesLes sœurs Deblois, tome 1 : Charlotte

Les sœurs Deblois, tome 2 : ÉmilieLes sœurs Deblois, tome 3 : Anne

Les sœurs Deblois, tome 4 : Le demi-frèreLa dernière saison, tome 1 : JeanneLa dernière saison, tome 2 : Thomas

Mémoires d’un quartier, tome 1 : LauraMémoires d’un quartier, tome 2 : Antoine

Mémoires d’un quartier, tome 3 : ÉvangélineMémoires d’un quartier, tome 4 : Bernadette

Mémoires d’un quartier, tome 5 : AdrienMémoires d’un quartier, tome 6 : FrancineMémoires d’un quartier, tome 7 : Marcel

Mémoires d’un quartier, tome 8 : Laura la suite

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SOPHIE-JULIE PAINCHAUD

Racines de faubourgTome 3

Le retour

G u y S a i n t - J e a nÉ D I T E U R

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Painchaud, Sophie-Julie, 1973-Racines de faubourgSommaire : t. 1. L’envol — t. 2. Le désordre — t. 3. Le retour.ISBN 978-2-89455-320-6 (v. 1)ISBN 978-2-89455-361-9 (v. 2)ISBN 978-2-89455-400-5 (v. 3)I. Titre. II. Titre : L’envol. III. Titre : Le désordre. IV. Titre : Le retour.PS8631.A36R32 2010 C843’.6 C2010-940707-5PS9631.A36R32 2010

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremisedu Fonds du livre du Canada (FLC) ainsi que celle de la SODEC pour nos activitésd’édition. Nous remercions le Conseil des Arts du Canada de l’aide accordée à notreprogramme de publication.

Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC

© Guy Saint-Jean Éditeur inc. 2011Conception graphique : Christiane SéguinRévision : Alexandra Soyeux

Dépôt légal — Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Bibliothèque et Archives Canada, 2011ISBN : 978-2-89455-400-5ISBN ePub : 978-2-89455-403-6ISBN PDF : 978-2-89455-438-8

Distribution et diffusionAmérique : PrologueFrance : De Borée/Distribution du Nouveau Monde (pour la littérature)Belgique : La Caravelle S.A.Suisse : Transat S.A.

Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extraitquelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopieou microfilm, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.

Guy Saint-Jean Éditeur inc.3440, boul. Industriel, Laval (Québec) Canada. H7L 4R9. 450 663-1777Courriel : [email protected] •Web : www.saint-jeanediteur.com

Guy Saint-Jean Éditeur France30-32, rue de Lappe, 75011, Paris, France. (1) 43.38.46.42Courriel: [email protected]

Imprimé et relié au Canada

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Remerciements

À Jean-René, encore et toujours. Quelqu’un a déjà dit — et ceux qui connaissent mes goûts en matière de sériestélé sauront de qui je parle : « Entourez-vous de gensbrillants qui vous poussent toujours à être meilleur ». Tu escertainement la personne la plus brillante — et la plusdrôle — que j’ai jamais connue. J’espère être en mesure dem’élever là où tu me vois déjà. Je t’aime.

À Guillaume et Dominic, mes deux merveilleux enfants.J’espère de tout mon cœur pouvoir vous donner envie devous élever là où vous êtes capables d’aller. Vous êtesexceptionnels. Ne l’oubliez jamais.

À mon père, Antoine. Un très gros merci pour les souve-nirs ayant donné vie à cette histoire et à ceux, encore plusimportants, que nous amassons en tant que père et fille.Puissions-nous continuer d’en amasser en faisant le tourdes stades de baseball d’Amérique du Nord.

À ma mère, Francine. Il n’y a pas de mots pour décrire lelien qui nous unit depuis toujours. Peu importe la prove-nance de mes souvenirs, tu en fais toujours partie. Mercipour les mots d’encouragement, les rires, les parties decartes et le divan lorsque je dois dormir à Montréal.Puisses-tu un jour te regarder avec mes yeux.

À Andrée et René Couture : avec les années, votre

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demeure est devenue pour moi un havre de paix, unrefuge nécessaire à mon bon fonctionnement. Merci dem’y faire sentir la bienvenue. Je vous aime beaucoup.

À ma famille, biologique et par alliance. Merci pour votreprésence, appréciée plus que j’arriverai jamais à l’ex-primer. Et plus particulièrement, un gros merci à DanielNoël, Doris Noël et Hélène Théroux. Lorsque je veuxsavoir qui être pour mes filleuls, c’est vers vous que jeregarde.

Tout le monde chez GolemLabs. Merci de m’avoir faitune petite place. Vous êtes mon illusion de normalité — dans la mesure où Golem peut être normal; il y aquand même un bébé chèvre dans le bureau au momentoù j’écris ces lignes —, en plus d’être ma source inépuisabled’inspiration comique. Je vous en suis très, très reconnais-sante.

Huge thanks to the Garritano family. This book waswritten, in part, in front of the ocean in South Carolinaand I will never forget that you made this possible for me.And Maria, thanks for sending me to Coconut Joe’s.

Salutations à mon amie Michelle. Presque vingt ansd’amitié ! Il y aura toujours un bol de poutine pour toichez nous.

Merci infiniment à toute l’équipe chez Guy Saint-JeanÉditeur. Je suis arrivée chez vous avec mon histoire et mavieille photo, et vous m’avez tous accueillie comme si nousnous connaissions depuis toujours. Et quiconque ayant le

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front de prétendre que plus personne ne prend la peine, de nos jours, d’éditer des manuscrits ne te connaît certai-nement pas, Sara. Merci pour ton temps et ton énergie.

Aux correctrices ayant travaillé sur Racines de faubourgqui, au-delà de corriger mes fautes parfois dignes d’uneélève de troisième année, me poussent à devenirmeilleure.

À madame Nicole Durand : où que vous soyez, merci pourtout.

Encore une fois, ce livre est dédié à mes merveilleusesgrands-mères, Marie-Louise Painchaud et Simonne Noël.Ma nostalgie n’est jamais nourrie par un passé disparu,mais plutôt par un profond besoin de vous savoir encoreavec nous. Je vous aime.

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Arbres généalogiques des personnages

FAMILLE MOUSSEAU

FAMILLE MARCHAND

Marie-Louise

Gérard Marchand Florence Beauregard

Simonne

Mireille Doucet Paul-Émile

Lisanne Marie-Pierre Louis-Philippe

Honoré Mousseau Justine Bissonnette

Adrien Denise Légaré

ClaireDaniel

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FAMILLE TAILLON

FAMILLE FLYNN

Margaret(Maggie)

Teresa

James Martin Flynn Marie-Yvette Chénier

Judith Léger

Mary Gavin Thomas

Patrick

Gisèle

Yoland Taillon Lucille Giroux

Pierrette Blanche Jean

Anne

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La vie est faite de misère, de solitude et de souffrance. Et elle se termine beaucoup trop tôt.

Woody Allen

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Prologue

Qui a déjà dit que vieillir, au fond, n’est pas autre choseque de n’avoir plus peur de son passé ? Les regardséchangés, alors que Patrick Flynn, Paul-Émile Marchand,Adrien Mousseau et Jean Taillon continuent de parler, deraconter, prouvent leur compréhension toute nouvelle decette maxime. Leurs sourires, presque intimidés, au début,devant la tâche considérable de raconter l’histoire pour cequ’elle fut vraiment, se détendent à mesure que les annéess’inclinent devant ce qu’ils sont devenus; devant un pré-sent qui n’appartient qu’à eux et qu’ils savent reconnaîtrepour ce qu’il est; pas un passé qu’ils auraient maquillé,modifié pour ne pas avoir à y faire face.

Rendus à mi-chemin de leur existence, tous les quatreréalisaient que celle-ci n’était pas plus facile qu’à l’époquede leurs jeunes années. Souvent par leur propre faute,qu’ils l’aient voulu ou non. Et ce constat était suivi, inévi-tablement, par des remises en question.

Pourquoi continuer un mariage empoisonné qui n’au-rait jamais dû être célébré au départ ?

Pourquoi s’entêter à changer un monde que l’on neconnaît pas, si ce n’est que pour lui donner des airs d’uneenfant disparue il y a longtemps et qui ne le connaissait pasdavantage ?

Pourquoi renier, encore et toujours, des racines quin’ont jamais su — ou voulu — mourir et qui continuentde grandir dans les yeux d’une femme que l’on n’a jamaispu oublier ?

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Pourquoi continuer de vouloir oublier un passé enbuvant au point de mettre en jeu sa propre vie ?

Sauront-ils, tous les quatre, répondre à ces questions ?Pourront-ils regarder derrière et voir autre chose que cequ’ils étaient et qu’ils ne sont plus ? Pourront-ils distinguerce qu’ils auraient voulu être de ce qu’ils ne sont jamaisdevenus ? Sauront-ils emprunter d’autres chemins queceux les ayant emportés loin de leurs racines ? Le temps estvenu, pour eux, d’accepter les faits et de prouver que lepassé, tout comme le présent, ne leur fait plus peur. Qu’ilssauront à leur tour s’incliner devant toute une vie bâtiepar eux-mêmes. Quelquefois ensemble. Souvent séparé-ment.

Quatre hommes au regard vieilli, au visage ridé et audos courbé continuent de raconter. Pour ne pas oublier.Pour ne pas être effacés par le temps. Pour prétendre, neserait-ce que quelques instants, qu’ils vivront éternelle-ment dans la mémoire de rues disparues depuis longtemps.

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Racines de faubourg

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Chapitre I

1980

1Jean… à propos de Patrick

Avec le temps, je me suis mis à voir l’année 1980 commeun gros son de cloche. Un dring ! de cour d’école faisantsavoir à tout le monde que la récréation était finie. Mêmesi ce n’était pas forcément le cas à l’époque — en tout cas,pas pour moi —, les années soixante-dix sont devenues,avec assez de recul pour que l’on s’en ennuie, une carica-ture de gens soit sur le party, soit occupés à manifester. Etlorsque 1980 est arrivée, c’est comme si tout le monde,tout d’un coup, avait été pris de fatigue. Je sais que c’eststupide et complètement illogique, mais lorsque j’enten-dais, à la radio, les premières notes de la chanson Do ThatTo Me One More Time1, je me sentais comme si c’étaitl’heure d’aller me coucher. Après dix ans d’un quotidienressemblant un peu trop à une toune des Sex Pistols — oui,je connais les Sex Pistols; je les aimais bien, comme j’aimebien tous les fauteurs de merde en général —, les gensavaient envie de s’arrêter un peu et de souffler. D’oublier.De passer à autre chose.

Pour être honnête, Paul-Émile, Patrick, Adrien et moi,dans ce récit, aurions très bien pu passer outre 1980, etnous rendre directement à la fin de l’histoire. Mais, bienfranchement, il aurait manqué un petit quelque chose. Ilaurait manqué ce moment charnière souvent inconnu des

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________________1 Chanson popularisée par le duo Captain and Tennille en février

1980.

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autres et insignifiant en apparence, mais qui vient toutfaire basculer. Qui nous fait tourner à droite plutôt qu’àgauche, comme l’a déjà dit Patrick en racontant unepartie de ma vie dont je n’aime pas trop me souvenir2.Pour nous, 1980 fut effectivement chargée de banalités.Le genre de banalités dont on arrive à saisir l’importanceseulement après que les années nous ont permis deprendre du recul.

Le reste des années soixante-dix, vous vous en doutezbien, fut extrêmement difficile pour Patrick. En fait, sonévénement insignifiant mais déterminant n’eut pas seule-ment lieu en 1980. Il fut 1980. Le 1er janvier, à minuittapant, Patrick, étendu dans un lit de la Mission OldBrewery3, décida qu’il était temps, enfin, d’abandonner.

En fait, je ne crois pas que abandonner soit le termeexact. Malgré toutes ses difficultés, jamais Patrick ne putse résoudre à laisser tomber le souvenir d’Agnès4, pasplus qu’il ne voulait oublier sa volonté de rendre sonmonde à lui digne de l’amour qu’il lui portait. Mais aprèsdouze ans d’échecs et d’humiliations, de culs-de-sac etd’arrestations, Patrick n’avait pas le choix de reconnaîtrequ’il était, peut-être, aux prises avec un léger problèmeavec son département de communications. Vers la fin desannées soixante-dix, non seulement son message ne pas-sait toujours pas, mais les gens en étaient rendus à ne plusêtre capables de le voir en peinture. Au Québec, Patrickétait marqué au fer rouge, mis à l’index à une époque où

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Racines de faubourg

________________2 Jean fait référence à la tentative de meurtre dont il fut victime à la

fin du premier tome.3 Centre d’hébergement pour sans-abris.4 L’enfant que Patrick rencontra lors de son arrivée au Cameroun, et

qui mourut dans ses bras (voir Racines de faubourg, tome 1).

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tout était toléré. Je me rappelle qu’Adrien avait dit, unjour, qu’il était devenu un has been. En fait, c’était pireque ça. Un has been est agréable à revoir, une fois detemps en temps, que ce soit pour le plaisir de la nostalgie— allô, Mimi Hétu5! — ou pour rire des travers d’uneépoque révolue. À ce stade-ci de l’histoire, les gens vou-laient surtout oublier le party des dernières années ayantmal tourné, et Patrick, de par sa seule présence, ne savaitque le leur rappeler. Alors, comment s’ouvrir la bouchepour chanter la révolution lorsque le vœu de toute unepopulation était de fermer les yeux et d’avoir la saintepaix ? Et soyons logiques, voulez-vous ? Si le messagen’était pas passé en 68, ses chances de réussite, en 1980,étaient d’une risible utopie.

Ceci étant dit, comment accepter un échec lorsqu’ilsignifie la défaite d’un grand pan de sa vie ? Patrick ne lesavait pas et il l’ignorerait encore longtemps. Mais aumoins, il pouvait considérer l’étape de la prise de con - science comme étant franchie. Avec amertume. Aveccolère, aussi, comme vous pourrez le constater par lasuite. Mais au moins, c’était déjà ça de gagné.

Alors que faire, maintenant ? Où aller ? Et comments’y rendre, surtout ? À quarante-cinq ans, il sentait,comme nous tous, le temps lui échapper, l’incitant à luicourir après pour rattraper les années perdues, tout ensachant très bien qu’il ne réussira jamais. Et donc, pour lapremière fois de sa vie, en ce début d’année 1980, Patrickse sentit vieux et fatigué.

Peu après minuit, Patrick prit la décision de me téléphoner. Occupé à célébrer la nouvelle année avec

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Le retour

________________5 Chanteuse québécoise populaire dans les années soixante-dix.

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maman Muriel, Lili et Yves, j’avais l’esprit un peu tropem brouil lé par le brandy et la dinde pour encaisser lechoc de ce premier contact en neuf ans avec mon amid’enfance; pour bien comprendre, surtout, la cause pre-mière de ce coup de téléphone. J’avais aussi le cerveau unpeu trop en compote pour me souvenir qu’Adrien et moiavions fait la promesse, en 1971, de laisser notre vieuxchum sécher lorsqu’il allait se souvenir de notre existenceparce qu’il avait besoin d’aide. Bref, j’avais des airs defond de tonneau lorsque Yves me déposa, une heure plustard, à la porte de la Mission pour que je passe y chercherPatrick.

Lorsqu’il me vit arriver, le corps amaigri, le teint blêmeet le brandy nose bien en évidence, Patrick ne put camou-fler le choc que mon apparence physique, à des années-lumière de ce à quoi je ressemblais la dernière fois oùnous nous étions vus, lui causa. Et si je ne tiens pas forcé-ment à décrire en détail le laideron que j’étais à l’époque,disons seulement, en terminant, que si Patrick en étaitrendu, à cette période de sa vie, à vouloir arrêter le temps,j’avais, pour ma part, réussi à le devancer de façon specta-culaire.

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Racines de faubourg

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2Patrick… à propos de Jean

Contrairement à ce qu’il peut affirmer, Jean, à cetteépoque, n’avait pas l’air vieux. Pas dans le sens de vieil -lard, du moins. Il semblait usé, d’accord. Et il l’était trèscertainement. Mais il ressemblait surtout à un hommeépuisé et brisé par la vie, justement; à quelqu’un qui enavait trop vu. Pas à un homme ayant dix ans de plus quece qu’il avait, en réalité. Mais Jean, pour sa part, ne sem -blait pas se formaliser de cette nuance. En fait, il ne semblait plus se formaliser de quoi que ce soit. Toutl’indif férait, à commencer par son état de santé de plus enplus alarmant, qui venait donner de sérieux maux de têteà madame Bouchard, Adrien et Lili. Celle-ci, d’ailleurs,réussit le tour de force, rien de moins que miraculeux, detraîner Jean au cabinet de son époux médecin.

« Tu me fais chier, Lili, lui avait d’ailleurs dit Jean, alorsque tous les deux se trouvaient dans la salle d’attente.

— Ben au moins, on sait maintenant que c’est pas auxintestins que t’as un problème. Je suis contente. Unebonne chose de faite. »

Pendant des années, Jean avait tout mis en œuvre, toutorchestré pour se rendre, intact, jusqu’à ses trente-quatreans. Malheureusement pour lui, il ne songea jamais à sepla nifier une vie après que cette étape eut été franchie, cequi vint aussi contribuer au vide de son existence, aumême titre que sa famille, que ses choix douteux qu’iln’ar ri vait pas à assumer et, surtout, au même titre que latentative de meurtre survenue en 1968 dont il ne s’étaitpas encore remis.

« Écoute, Jean…, dit le docteur Lajoie, lors de son

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entretien avec notre ami. J’ai eu le résultat de tes tests… »Ne manifestant pas le moindre intérêt pour lesdits

résultats, ses yeux fixant du haut du huitième étage desvoitures en marche sur le boulevard Saint-Joseph, pastrop loin de la rue Boyer où j’avais autrefois habité, Jeanrefusait obstinément de se sortir de ce brouillard, de cetétat de confusion quasi permanent où il s’enfermait pourne pas avoir à affronter le désespoir qui le hantaitconstamment, sans relâche, depuis des années.

Mais le docteur Lajoie, fort des résultats d’examenqu’il avait sous les yeux, décida brusquement que Jeann’avait plus le loisir de s’enfermer dans sa bulle. Il tira lesrideaux accrochés à la fenêtre et se mit à fixer Jean dans lesyeux, à deux pouces très exactement de son visage.

« Aïe ! Je te parle ! T’as le cœur malade ! Tes artèressont bouchées à quatre-vingt-dix pour cent ! Va falloirt’opérer. Le plus tôt possible. »

Jean, encore une fois, se terra dans le silence, attendantle moment où il pourrait s’enfuir du cabinet du docteurLajoie pour aller se réfugier à son bureau, y faire sem-blant de travailler et avaler, au passage, quelques verres debrandy.

« Écoute, Jean… Ton foie, non plus, est pas en bonétat. Je le sais que c’est pas facile, mais il va falloir que tute décides à slaquer sur la bouteille. Ça t’aide pas, ça. »

Le regard lointain, sentant l’impatience le gagner parcequ’il n’était même plus en mesure de fuir en se barrica-dant dans ses pensées, Jean ne disait toujours rien. Alors,le docteur Lajoie poursuivit son monologue.

« Si j’étais toi, je considérerais sérieusement un séjouren centre de désintoxication. »

À ces mots, Jean sortit enfin de sa torpeur, regardant le

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Après le chaos des années 1970, le temps est venu pourPaul-Émile, Jean, Adrien et Patrick d’accepter les faits et de prouver que le passé, tout comme le présent, ne leur fait plus peur. Ils entrent donc dans la décennie suivanteavec calme et sérénité. Malgré des chemins les ayant menés très loin de leurs racines, à l’aube de la cinquantaine, les quatre amis découvrent que l’âme du faubourg à mélasse ne les a jamais quittés; les années n’ont en rien atténué ce qui, malgré les joies et les peines, les définitfoncièrement depuis toujours : leur amitié.

C’est avec Le retour, ce troisième tome de la série Racines de faubourg, que s’achève le récit de la vie dequatre hommes ayant grandi dans le quartier montréalaisdu faubourg à mélasse. Narrateurs à tour de rôle, chacunracontant les péripéties de l’autre, ils sont témoins desévénements marquants de l’histoire du Québec tout en fabriquant leur propre histoire personnelle.

Quatre hommes au regard vieilli, au visage ridé et au doscourbé continuent de raconter. Pour ne pas oublier. Pour nepas être effacés par le temps. Pour prétendre, ne serait-ceque quelques instants, qu’ils vivront éternellement dans la mémoire de rues disparues depuis longtemps.

Racines de faubourgTome 3

Le retour

Sophie-Julie Painchaud

est née à Montréal en

1973. Elle est passionnée

par l’histoire, la politique

et la littérature. À l’âge

de vingt ans, elle étudie

l’histoire à l’Université de

Sherbrooke. Le premier

tome de la série Racines

de faubourg, intitulé

L’envol, a été accueilli

avec enthousiasme et

intérêt au printemps

2010. Après Le désordre,

cette série historique

et politique originale

se termine ici, avec

Le retour.

Page couverture: Photos tirées des archives personnelles de l’auteure. Imprimé au Canada

24,95 $

9 7 8 2 8 9 4 5 5 4 0 0 5

ISBN: 978-2-89455-400-5

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