Conan Laure - La Vaine Foi

60
BIBEBOOK LAURE CONAN LA VAINE FOI

description

d

Transcript of Conan Laure - La Vaine Foi

  • BIBEBOOK

    LAURE CONAN

    LA VAINE FOI

  • LAURE CONAN

    LA VAINE FOI

    1921

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1316-8

    BIBEBOOKwww.bibebook.com

  • A propos de Bibebook :Vous avez la certitude, en tlchargeant un livre sur Bibebook.com de

    lire un livre de qualit :Nous apportons un soin particulier la qualit des textes, la mise

    en page, la typographie, la navigation lintrieur du livre, et lacohrence travers toute la collection.

    Les ebooks distribus par Bibebook sont raliss par des bnvolesde lAssociation de Promotion de lEcriture et de la Lecture, qui a commeobjectif : la promotion de lcriture et de la lecture, la diusion, la protection,la conservation et la restauration de lcrit.

    Aidez nous :Vos pouvez nous rejoindre et nous aider, sur le site de Bibebook.

    hp ://www.bibebook.com/joinusVotre aide est la bienvenue.

    Erreurs :Si vous trouvez des erreurs dans cee dition, merci de les signaler :

    [email protected]

    Tlcharger cet ebook :

    hp ://www.bibebook.com/search/978-2-8247-1316-8

  • Credits

    Sources : Imprimerie Maisonneuve Bibliothque lectronique dubec

    Ont contribu cee dition : Gabriel Cabos

    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

  • LicenceLe texte suivant est une uvre du domaine public ditsous la licence Creatives Commons BY-SA

    Except where otherwise noted, this work is licensed under http://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/

    Lire la licence

    Cee uvre est publie sous la licence CC-BY-SA, ce quisignie que vous pouvez lgalement la copier, la redis-tribuer, lenvoyer vos amis. Vous tes dailleurs encou-rag le faire.

    Vous devez aribuer loeuvre aux dirents auteurs, ycompris Bibebook.

  • La vaine foi Chapitre

    Lettre de Mgr. Pquet lauteurMadame Laure Conan, Montral,Madame,Vous saviez que les thologiens aiment se reposer de leurs arides

    travaux par des lectures o lart ae le got, et o la noblesse des penseset la dlicatesse des sentiments passent sur les sommets de lme en briserafrachissante.

    Voil, sans doute, pourquoi vous avez voulu me mere sous les yeuxce charmant rcit qui a pour titre laVaine Foi, et qui nous montre unejeune mondaine touche un jour, au moment psychologique, par la grce,et se dbarrassant peu peu des liens de la vanit pour accorder davan-tage sa vie avec sa foi, et pour se donner nalement Dieu.

    Le nom de Laure Conan est depuis longtemps connu, et il a t trssouvent et trs justement applaudi dans le monde liraire canadien. Il amme franchi les mers et conquis les surages dun tribunal intellectueldont les jugements sont une conscration envie et glorieuse du talent.

    Cest dire, Madame, que vos ouvrages nont pas besoin dun introduc-teur qui les prsente au public, et quils se recommandent davance par lemrite reconnu de lauteur.

    Les lecteurs de la Vaine Foi apprcieront comme moi, jen suis sr,non seulement le motif trs pur et trs noble qui vous a dict ces pages,mais les ides saines dont elles sont faites, lexquise sensibilit qui y vibre,et le style souple, lgant, dont senveloppent vos rexions dune hauteporte morale et puises aux sources de la croyance et de la doctrine ca-tholique.

    Je vous remercie de mavoir fourni loccasion de vous fliciter de cebeau travail, et je souhaite quil se rpande le plus possible, surtout parmiles personnes auxquelles il est spcialement destin, et qui pourront ytrouver soit la vocation religieuse, soit du moins les raisons dun pro-table amendement de leur trop frivole existence.

    Veuillez agrer, Madame, avec mes congratulations bien sincres, l-hommage de mon respect et de mes dvous sentiments.

    Louis-Ad. PAQUET

    1

  • La vaine foi Chapitre

    Sminaire de bec,15 octobre 1921.

    2

  • La foi qui nagit point, est-ce une foi sincre ?Racine.

    3

  • CHAPITRE I

    20 mai 19. . .

    L et je reste profondment trouble.Malgr moi, je pense sans cesse aux tranges paroles de M. Os-borne. Cela tourne lobsession. Jai beau faire, dans les conver-sations les plus animes, au thtre, partout, je le vois, je lentends medire tout tonn : La dirence de religion. . . Cee dirence est-ellesi grande ?. . . Depuis que je vous connais, depuis que je veux vous avoirpour femme, je vous ai beaucoup observe et il me semble bien que voustes catholique comme je suis protestant de nom seulement.

    Ces mots me poursuivent. Jen ressens comme une trissure.Catholique de nom,voil comment me juge un homme intelligent, trs

    ml ma vie depuis deux ans et qui dit maimer.O met-on sa religion si on ne la met pas dans sa vie, si du moins, il

    est impossible ceux qui nous observent de ly reconnatre. Mais y a-t-ilun catholicisme de salon ?

    4

  • La vaine foi Chapitre I

    n

    5

  • CHAPITRE II

    24 mai.

    D M.Osborne bien exagr, bieninjuste. L-dessus il me faudrait lopinion de ceux quime connaissentle mieux de ceux qui me voient vivre. Mais dans ma famille si aimable pourtant a-t-on le vritable esprit chrtien ? Dailleurs, ni mon pre, ni ma mre je ne pourrais rien dire sans les blesser. ant Lydie et mon beau-frre, mes remords les feraient bien rire.

    n

    6

  • CHAPITRE III

    31 mai.

    N au jardin quand M. Osborne est survenu. Pau-lee courut sa rencontre. Elle lui t de grandes amitis etvoulut absolument lui montrer le nid de merle quelle a dcou-vert. Ctait gentil de voir cee petite le conduire.

    Comme M. Osborne ne se rapprochait point de notre groupe, jallai lui. Son visage sombre sclaira. Il me regarda longuement, gravement etmappelant pour la premire fois par mon nom de baptme. Marcelle,murmura-t-il, je voudrais vous parler librement.

    Nous prmes lalle des pins et avec la tranquille assurance des forts,il me dclara quil ne pouvait croire un refus dnitif. . . que je niraispar lui faire le sacrice dun prjug. Dans les religions, il ne voit gureque les traditions, que lhritage des anctres.

    Je suis n protestant, je mourrai protestant, dit-il, mais je suis loindtre un fanatique. vrai dire, je ne crois pas grandchose. Je ne suisplus sr dtre un chrtien. and je cherche ma foi denfant, je la re-

    7

  • La vaine foi Chapitre III

    trouve comme une morte aime quon retrouverait en poussire. La foi !qui la vraiment ?i est sr de lavoir toujours ?

    Jeme rcriai vivement. Il me regarda. Ses yeux clairsminterrogeaient,semblaient vouloir sonder mon me jusquau fond.

    Il y a quelques annes, reprit-il, aprs un lger silence, je pensebien que jaurais parl peu prs comme vous le faites. On sabuse tant ;lillusion tient une place si large dans nos sentiments, dans notre vie. Maisje vous le demande, o sont les vrais croyants ?imdite lvangile, quile comprend, qui sen pntre ?. . . Dans notre monde, est-ce quil ny a pasun recul vers le paganisme ?

    Tout ce quil dit a de laccent. Il est nergique, il est sincre. Ce quil meraconta de lui-mme me surprit et mmut.e nous ignorons lme desautres. Mais peut-on comprendre les sourances quon na jamais prou-ves ? Les angoisses du doute me sont absolument inconnues et je ne suispas sans avoir remarqu que les vrits mal dites font un eet fcheux.Je nosais donc parler.

    quoi sert de scruter les problmes insolubles ? poursuivit-il. Lemeilleur de la vie, cest de travailler, cest daimer. Si vous vouliez donctre ma femme, je vous serais un mari loyal et dvou. Nous nous en-tendrions parfaitement, jen ai lintime, labsolue conviction. Ce qui vousreste de votre ducation religieuse sen irait bientt. . . tout naturellement.

    Voil ce que vous esprez, s-je indigne, et vous dites maimer. Je vous aime, je vous aimerai toujours, jamais je ne pourrai men

    empcher, dit-il humblement. Il parat que lamour passe tt ou tard. . . et jamais trs tard, lui

    rpondis-je.Il ne rpliqua rien, mais me regarda avec une expression si triste que

    jen fus touche et je lui dis : Soyez-en sr, une catholique et un protestant ne peuvent spouser

    sans prparer leur malheur. Puis, je vous lai dit, lglise catholique tolre peine les mariages mixtes. . . elle ne les bnit point.

    est-ce que cela vous ferait ?. . . e vous importerait cee b-ndiction si vous maimiez ? Lamour chasse tous les autres sentiments.Soyez franche, la dirence de religion nest quun prtexte. Vous refusezdtre ma femme parce que vous navez pour moi que de la rpulsion.

    8

  • La vaine foi Chapitre III

    Vous savez ce que vous tes, vous savez ce que vous valez, rpliquai-je. Je nai pas rpondre l-dessus. Mais dites-moi, monsieur, ce qui vousfait croire que je ne suis catholique que de nom. Je voudrais le savoir.

    Il luda dabord la question. Jinsistai et, sarrtant au milieu de lalle,il me dit avec calme :

    Mademoiselle, si vous et moi nous ne croyions qu la vie prsente,quy aurait-il changer dans notre manire de voir, de juger, de sentir etde vivre ?

    Je restai devant lui silencieuse et confuse. Une lumire inexorablemenvahissait, me forait voir la contradiction absolue entre ma foi etma vie de luxe, de plaisirs, dgosme et dorgueil.

    Il se pencha et murmura : Vous ai-je fait de la peine ? Vous mavez fait un grand bien, vous mavez claire, lui dis-je.

    Merci davoir t sincre. Merci de navoir pas craint de me dire la vrit.Mais je ne pus retenir quelques larmes. Pardon, pardon, dit-il, je regree mes paroles. Comment ai-je pu

    vous parler ainsi ? Se peut-il que je vous fasse pleurer ? Ne regreez rien. Encore une fois, vous mavez claire. Je suis ca-

    tholique, jai la grce de la vrit intgrale et vous, Benedict Osborne, siprvenu en ma faveur, vous me jugez moins chrtienne que vos protes-tantes. Vous me classez presque parmi les incroyants.

    Vous savez, dit-il, quil ny avait rien de blessant dans mes paroles.Vous tes vraiment la femme que je souhaite.

    Je lui s signe de ne pas insister et trop trouble, trop mue, pour mecontenir, je lui dis :

    Oui, je vis dans loubli de Dieu, dans linsouciance des choses ter-nelles. Jai la passion du bien-tre, du plaisir ; oui, jai le got ern duluxe, la fureur de briller, toutes les idoltries de la beaut, de la jeunesse,du succs. Ladulation menivre, mais sous tout cela la foi vit. . . Ah ! bieninerte, bien endormie. . . Mais vous lavez rveille.

    Nous reprmes en silence nos alles et venues. tait-il mu ? Je le croiset que la crainte de le laisser voir lempchait de parler.

    Au-dessus de nos ttes, les pins tendaient leurs branches. Les armesdu jeune feuillage nous arrivaient avec des bruits dailes.

    9

  • La vaine foi Chapitre III

    Les oiseaux font leurs nids, observa-t-il, et bien bas, il ajouta : Ah !un foyer, une petite maison close o lon serait aendu, o lon trouveraitla paix, lintimit, o lon reviendrait toujours comme un refuge.

    n

    10

  • CHAPITRE IV

    4 juin.

    J peu. Lentretien de lautre jour semble avoir chassle sommeil. Comment un protestant, un incroyant pour par-ler exactement a-t-il pu produire une impression religieuse siforte ? Ny a-t-il pas l une touche secrte venue dailleurs ?

    Je lai rencontr plusieurs fois et sans embarras. Il doit mavoir trou-ve bien impulsive. Mais le souvenir de mes aveux mest plutt apaisant,consolant. Dans ce cri de la conscience, je vois un commencement de r-paration. La grande masse des catholiques renie chaque jour la foi dansses actes, je le sais parfaitement. Mais cela ne mexcuse pas. On est tou-jours responsable de limpression quon produit.

    n

    11

  • CHAPITRE V

    8 juin.

    D la volont, il y a loin. On ne change pas du jour aulendemain ses habitudes, ses gots, ses inclinations. Je suis bientrop imbibe de lesprit du monde pour aller facilement aux aus-tres exigences de la vie chrtienne, mais il me semble que je ne pourraiplus tre la frivole crature que jtais.

    Cest une chose grande que de comprendre quon a une me immor-telle. Je lprouve et je songe souvent ces rgions ternelles o je doisvivre jamais. Je nai personne avec qui parler de ces graves sujets. Uneconversation l-dessus avec M. Osborne me tenterait sil ntait rong parle doute.

    Maime-t-il vraiment ? Jespre que non et quil ne sourira gure. Jelui conviens, je lui plais, mais une autre lui plaira autant. Et entre nous,il y a tant dides qui sparent. En fait de penses, de souvenirs, de vues,de craintes, desprances, quavons-nous en commun ?

    Je lui reconnais beaucoup de distinction, une relle valeur. Il a lme

    12

  • La vaine foi Chapitre V

    robuste et haute. Sa recherche aait ma vanit. Maintenant, jprouvepour lui un sentiment que je navais jamais ressenti. Mais lexpressionde cee sympathie tardive ne vaudrait rien, ne mest pas permise. Non,que je redoute une grande passion. Je ne la redoute pas plus que je nela dsire. Je nai pas le got des motions excessives. Jaime la gaiet,lanimation de la vie, le plaisir. Mais je ne suis pas sentimentale, je ne suispas romanesque.

    mon avis, les grandes passions, comme les grands feux, sontagrables voir de loin et, daprs ma connaissance du monde, la mdio-crit du sentiment y est encore plus gnrale que la mdiocrit de lesprit.

    i sait, sous ses froids dehors, Benedict Osborne cache peut-treune sensibilit profonde. oi quil en soit, si je me connais, jamais jene consentirai un mariage que ma vieille mre lglise catholique nebnirait pas.

    Si ce que je viens dcrire tait lu on me trouverait bien arrire, bientroite. Dans le monde que nabrite-t-on pas sous le mot largeur desprit ?

    n

    13

  • CHAPITRE VI

    10 juin.

    M. C de. . .. . .. . en tourne pour son hpital, nous a lon-guement entretenus de bien des sourances, de bien des mi-sres. Comme il allait partir mon pre lui demanda : Sil vous tait donn, monsieur labb, de dlivrer lhumanit dunesourance, que feriez-vous ? De quelle sourance, dbarrasseriez-vousla terre ?

    Il rchit un instant et rpondit avec un sourire : Des vaines et fausses douleurs.On se rcria, on protesta. Non, ce nest pas ce que vous feriez. Vous useriez mieux de votre

    puissance. Vous en savez trop long sur les sourances de toutes sortes. Oui, jen sais long sur les douleurs de la vie et de la mort, scria

    le vieux prtre, mais si jen avais la puissance, je dbarrasserais dabordla terre des sourances de la vanit, des sourances de lenvie et, croyez-moi, je serais le grand bienfaiteur des humains. Les vaines sourances

    14

  • La vaine foi Chapitre VI

    tiennent une si grande place dans notre valle de larmes. . . et elles sont silaides voir.

    On applaudit et aprs son dpart plusieurs dirent quil avait raison.

    n

    15

  • CHAPITRE VII

    13 juin.

    L prompte, si terriante de M. Durville, en visite cheznous, nous a tous consterns. La maison dordinaire si gaie enest encore toute triste.Depuis quelques annes il achait lincroyance, mais aux prises avec lamort, le pauvre garon na pas refus le prtre. Au contraire, il demandaitsil narrivait pas, et, avec des gmissements de bte qui rle, il priait, ilprotestait quil voulait croire et seorait de ranimer sa foi.

    Chose que je me reproche un peu, maintenant que lmotion est cal-me, quand je revis cee heure terrible, il mapparat comme un hommesurpris par la nuit qui sagiterait pour rallumer un ambeau teint.

    Oh, sa peur du noir ! Ce souvenir me poursuit, souvent encore jenfrmis toute.

    and le prtre arriva, M. Durville ne respirait plus. Mais depuis quilest reconnu que la vie persiste aprs la mort apparente, on donne les sa-crements ceux qui viennent dexpirer. Tant quil reste une parcelle de

    16

  • La vaine foi Chapitre VII

    vie, le prtre peut absoudre et purier. Pendant que M. le cur faisait ra-pidement les onctions sur ce pauvre corps o luvre de la mort tait siprs dtre consomme, le poids qui mcrasait le cur sallgea. Je respi-rai. Nous tions tous fortement mus. Moi plus que les autres peut-tre,car ctait la premire fois que je voyais mourir.

    Jaurais voulu rester auprs du corps jusqu ce quon lemportt. Monpre ne le permit point.

    Avant de quier la chambre, je levai le drap qui couvrait le visage dumort, je le regardai longuement et je le sentis si loin. . . si autre. . .est-ceque notre vie ?. . . Oh, linsondable mystre de tout !. . . Ces dures incalcu-lables. . . ces espaces innis. . . Me voil sur la terre comme sur un grainde sable qui ne tient rien.

    Cee parole me revient souvent, je la sens terriblement vraie.

    n

    17

  • CHAPITRE VIII

    17 juin.

    O en grande pompe au cimetire.Sa mort a caus de lmoi. On en parle encore, mais dansquelques jours, qui y songera ? M. Osborne, trs frapp de ceemort, est venu en causer. Je lui ai racont comme sa foi stait rveille,comme il protestait Dieu quil croyait. . . quil voulait croire.

    Il ma coute avec une aention profonde et ma dit simplement :and il faut senfoncer dans le noir on veut avoir une lumire.

    n

    18

  • CHAPITRE IX

    20 juin.

    S comme je suis accable de douleur, tu naurais pastard venir me voir, ma crit Vronique Dalmy. Jai besoin detout savoir. Nous nous aimions tant !Pauvre Vronique. Ce quelle voulait surtout savoir ctait si son ami avaitparl delle.

    Elle le regree, mais sans sen rendre compte peut-tre, elle a lincli-nation dexagrer beaucoup ce quelle ressent.

    Cet talage de larmes, ces phrases thtrales mont refroidie. Son cha-grin dans son humble vrit maurait bien plus touche.

    n

    19

  • CHAPITRE X

    26 juin.

    P garon, emport dune faon si terrible, ma pitireste intense, mais cest moins lui que je pense qu lau del.Ce monde invisible o, dun moment lautre, nous pouvonstre jets, quen savons-nous ?. . . De lunivers, o notre terre nest quunatome, quest-ce que les plus grands savants connaissent ?

    L-dessus je viens de lire des paroles de Pasteur que je veux garder. une sance de lAcadmie, parlant de laccord du principe fondamentalde la foi et des conceptions scientiques les plus hautes, Pasteur disait :

    Au del de cee vote toile, quy a-t-il ? De nouveaux cieux toi-ls. Soit. Et au del ?. . . Il ne sert de rien de rpondre : Au del sont desespaces, des temps et des grandeurs sans limites. . . Nul ne comprend cesparoles. Celui qui proclame lexistence de lInni, et nul ne peut y chap-per, accumule dans cee armation plus de surnaturel quil ny en a danstous les miracles de toutes les religions, car la notion de lInni a le doublecaractre de simposer et dtre incomprhensible.

    20

  • La vaine foi Chapitre X

    Jai fait lire ces lignes M. Osborne que jai rencontr. Il est rest unpeu songeur et ma dit :

    Il y a des moments o je donnerais tout ce que je possde pour unpetit grain de foi solide. Mais comment croire ?

    Truth is a gem which loves the deep. Pauvre protestant perdu sur la mer sans rivages du libre examen,

    lui ai-je dit avec compassion.Nous avons parl de notre situation de passant, de cet ocan de mys-

    tre qui nous entoure. Vous autres, catholiques, vous croyez votre planche plus solide que

    celle des autres, ma-t-il dit.Et craignant probablement de mavoir blesse, il a ajout : Comme vous avez lesprit srieux. Il nest pas ordinaire, il nest pas

    naturel la jeunesse de creuser ces graves penses. Heureusement, ceeforte impression va se dissiper.

    n

    1. La vrit est une perle qui aime labme.

    21

  • CHAPITRE XI

    4 juillet.

    Ne seras-tu plus jamais gaie ? ma dit mon pre en me rencontrantce matin. Ton sourire et ton rire memanquent areusement. . . Ta tristessesongeuse minquite.

    Je pris le cigare allum quil tenait entre ses doigts, jen s tomber lacendre et lui dis :

    Les choses de ce monde ont-elles plus dimportance que la fumeet la cendre de votre cigare ?

    Pourquoi tarrter ces dsolantes exagrations ? me dit-il. Il fautragir contre les impressions funbres. Parce que tu as vu mourir, la terrena pas pris le deuil. Il ne faut pas croire quil ny a plus desprances, plusde joies. Cest une ingratitude. Et me montrant le jardin ensoleill : Voiscomme tout est beau.

    Daprs lui, il faut regarder la terre sous ses aspects aimables et ne pasassombrir ses belles annes. La grande tristesse, conclut-il, cest davoireu vingt-cinq ans et de ne les avoir plus.

    22

  • La vaine foi Chapitre XI

    Ce soir, il ma surprise ma fentre, la tte leve vers les toiles, et maplaisante gaiement sur ce quil appelle le got de lastre, le vagabondagedans les espaces.

    On assure quil faut des milliers dannes pour que disparaisse lalumire dun astre teint ? lui demandai-je.

    Ce que je sais, rpondit-il, cest quil faut te ramener en ce monde. . .il faut te distraire.

    Et avec cee virile autorit du geste, qui me plat chez lui, il ajouta : Tu iras au bal de Mme V. . . Je veux te revoir avec ces lueurs de ftes

    qui te seyaient si bien.Pauvre pre, toujours si aimable, encore si brillant. Ce nest pas lui

    qui se prtera aux conversations sur lau-del. Il veut rveiller ma vanit, ce qui nest pas bien dicile. De mes pauvres triomphes mondains, ilmest revenu tantt une saveur horriblement douce.

    n

    23

  • CHAPITRE XII

    6 juillet.

    M reproche de me ngliger, de navoir plus de got rien, cest un peu bien vrai.e jaille parfois la messe en semaine, linquite. Elle mas-sure quil me faut beaucoup de repos, beaucoup de distractions. Commeles autres ici, elle croit que la terrible mort de M. Durville ma dangereu-sement impressionne.

    Cee mort ma fait voircombien fragile est la vie. Mais la crise int-rieure lavait prcde. On na pas aperu le travail secret dans mon me.Cest bien Benedict Osborne qui ma port le grand coup. Cest lui quia rveill ma conscience. Le changement quon remarque en moi vientsurtout de cee sourance intime qui savive au lieu de sapaiser.

    Je nai pas me reprocher ce que le monde appelle de grandes fautes,mais jai vcu pour moi-mme, pour paratre, pour faire de leet au lieude faire du bien. Je suis un tre de luxe, dgosme et dorgueil.

    Ah ! ce culte du moi.Si lon pouvait faire lanalyse de mes penses, de

    24

  • La vaine foi Chapitre XII

    mes sentiments, quel rsidu aurait-on ?Dans le dsir criminel de plaire trop, dans la secrte complaisance

    quon y prend, quest-ce que Dieu voit ?Humbles travailleuses, aux visages tris, pauvres jeunes lles qui

    peinez tout le jour pour nourrir votre vieille mre, pour donner du pain vos petits frres et vos petites surs, vous reposez les regards du Dieude saintet. Aux yeux de Celui qui a fait la lumire si belle, vous tes lesnobles eurs, la parure de ce monde.

    n

    25

  • CHAPITRE XIII

    9 juillet.

    L rien, si elle ne pntre la vie entire. La religion doittre lme de lexistence. est-ce que les habitudinaires, lespratiquants de la routine et du respect humain ?. . . Jai lhorreurde la petite cour intresse quon fait Dieu. Mais le plus vif de mes sen-timents religieux, cest la crainte. Souvent je lis quelques lignes de Pascal.Jaime la force opprimante de sa parole. Il a des penses qui semparentpour jamais de lesprit, le petit cachot o lhomme se trouve log, jen-tends lunivers. . .

    n

    26

  • CHAPITRE XIV

    17 juillet.

    J pas aller au bal, je me suis laiss coier et ha-biller sans me regarder. Y avait-il de laectation en cela ? Il mesemble que non. Mais la vanit a la vie dure. Me sentir admirema t dlicieux et le plaisir de la danse ma encore un peu grise. Maisje ne sais comment tout le srieux de la vie a soudain pes sur moi. Je naiplus voulu danser.

    Je voudrais lire dans votre me, ma dit M. Osborne, dont javaissurpris plusieurs fois le regard aentif.

    Vous y verriez dtranges contradictions, lui ai-je rpondu, maiscroyez-moi, je nai plus lme lgre quil faut porter au bal. Je ne lauraijamais plus.

    En tes-vous bien sre ? a-t-il rpliqu avec un sourire.Il est trop homme du monde pour laisser voir ses impressions, rien

    chez lui ne trahissait une arrire-pense. Mais je sentais linvisible. Unje ne sais quoi impossible exprimer mavertissait quintrieurement il

    27

  • La vaine foi Chapitre XIV

    revivait lheure de notre promenade dans lalle des pins et jen prouvaisdu malaise. Le rveil de ma foi na gure servi qu me faire sentir lamorsure continuelle de la conscience.

    Comme jallais partir, M. Osborne me rejoignit et pendant que jar-rangeais ma sortie de bal il me dit bien bas :

    Sachez-le, je ne renonce pas mon espoir le plus cher. Jai foi enma volont ; elle est plus forte que la vtre.

    n

    28

  • CHAPITRE XV

    20 juillet.

    L , matin, avec mon pre. Comme il tchaiten vain de mgayer je lui avouai que je soure parce que je nevis pas comme je crois, que je ne suis pas ce que je devrais tre.Il rit doucement et rpondit :

    Tu es la grce, la joie de la famille. Cela me sut. Chasse bien loinces scrupules toutes tes ides de lautre monde. La vie nest douce quceux qui leeurent.

    Pardon, lui dis-je, la vie nest douce qu ceux qui ont la paix delme et si javais plus de courage, je vous demanderais la permission defaire une retraite.

    Je te dfends mme dy songer, dit-il avec autorit. Je ne veux pasdune nonne laque. Faire une retraite. . . Ce quil te faudrait, ma lle, cestlamour. Ton cur dort. Aucun de tes amoureux na su encore se faireaimer. Mais jespre que tu ne manqueras pas ta vie.

    Rien faire pour le moment. Et je crois que jen suis contente. Il est

    29

  • La vaine foi Chapitre XV

    terrible dentrer dans les tnbres de sa conscience. Je redoute la lumire.iconque se regarde, parat-il, est pouvant de ce quil voit. Et quandjy pense une srieuse vie chrtienne meraye. Cest un peu comme silsagissait de menterrer vive.

    travers ces lches penses, voici que surgit un souvenir de ma visiteaux catacombes de sainte Agns.

    Jy tais alle en bien frivole compagnie. Ma bougie allume la main,javanais dans les troites alles bordes de tombeaux, sans autre senti-ment que la curiosit, quand soudain une religieuse motion menvahit etmes larmes coulrent irrsistibles, douces, presses. . . Les sicles avaientrecul ; dans le pass profond je voyais les premiers chrtiens, les martyrs.

    Ces jeunes lles qui sarrachaient aux splendeurs de la terre, toutesles dlices de la vie pour aller avec joie aux tourments, une mort af-freuse croyaient ce que je crois. Rien de plus. Cratures de chair et desang, elles avaient besoin comme moi de libert, de vie, de jouissances,de plaisirs. peine sorties du paganisme, comment avaient-elles la forcede tout sacrier linvisible ?

    nobles vierges qui braviez les proconsuls et renversiez les idoles,vous qui ne redoutiez ni le poids des chanes, ni le noir des cachots, nila savante cruaut des bourreaux, que penseriez-vous de moi qui reculedevant les eorts et les ennuis de la vie simplement chrtienne ?

    n

    30

  • CHAPITRE XVI

    23 juillet.

    J au-dehors. Lair et la marche, quelle jouissance. Labeaut du soleil, des eaux, de la verdure na point de prix. Maisintrieurement jentends souvent le conseil de la mort dans ceechanson allemande que ce pauvre M. Durville chantait si bien : Naimepas trop le soleil et les toiles, car il te faudra me suivre dans ma demeuresombre.

    n

    31

  • CHAPITRE XVII

    24 juillet.

    L claire, le ciel trs pur. Tantt jai tch dy situer lAl-pha du Centaure. Cest ltoile la plus rapproche de nous etpour y arriver, un train qui partirait de la terre et marcherait la vitesse de vingt-cinq lieues lheure, il faudrait quarante-six millionsdannes. Lesprit dfaille quand on rchit aux dimensions du monde.

    Jaime ces penses. Jy prends conscience de la grandeur, de la puis-sance de Dieu. Crateur de lunivers, merveille et mystre !

    n

    32

  • CHAPITRE XVIII

    26 juillet.

    T, dans le jardin, aprs lorage, jai aperuentre des arbres bien haut, en plein soleil, de merveilleux lsde la Vierge qui ny taient pas ce matin et ce gracieux travailde laraigne ma frappe dtonnement, ma fait faire des rexions sansn.

    Depuis Jsus-Christ, si tous les chrtiens avaient vcu leur foi, fournileur maximum deorts pour perfectionner, pour ennoblir, pour embellirla vie, que serait la terre ?. . .

    Une lumire devrait maner de nous. Il est triste, il est areux dtouf-fer en soi le divin. Je vois venir le jour o je ne pourrai plus supporter desaspirations, des sentiments que je ne traduirai pas en actes. Mais le cou-rage me manque absolument et je reste avec une conscience douloureuse.Dans la srieuse vie chrtienne, jentrevois des gnes insupportables, desennuis innis, des renoncements impossibles.

    Chose trange, nous ne pouvons nous mesurer et nous aimons les

    33

  • La vaine foi Chapitre XVIII

    riens.

    n

    34

  • CHAPITRE XIX

    30 juillet.

    L la vie pse parfois sur moi jusqu moppresser.elque chose sest empar de moi et ne me lche point, maisla pit na pas daraits pour moi.Un prtre qui je men plaignais ma dit :

    Cest leet de la vie mondaine. . . Puis vous navez jamais souert.Je protestai faiblement mais il poursuivit : Vous tes une heureuse de la terre. Dieu vous a comble. Tout vous

    sourit. Le monde vous encense, vous adule. Ne soyez pas surprise que lapit vous semble insipide. Entre les dlices de ce monde et le got deschoses divines, il y a incompatibilit absolue.

    Je ne suis pas si heureuse que vous le croyez, lui dis-je. Je nai pasla paix de lme et je pense la mort beaucoup plus que je ne le voudrais.

    Il me regarda tonn et reprit : oi ! la mort nest pas pour vous un fantme qui ne viendra ja-

    mais ?. . . La grce vous travaille, cest vident. Naendez pas larait

    35

  • La vaine foi Chapitre XIX

    pour vous mere la pratique exacte. La pratique exacte, aride et sche, mcriai-je, je ne saurais my

    assujeir. a me ferait leet dun mouvement mcanique. Il me faudraitun renouvellement entier, profond.

    Avez-vous cru quil ne vous en coterait rien ? La conversion dunejeune me qui sest livre aumonde, sans commere ce que nous appelonsde grandes fautes est entre toutes dicile et aride.

    Pourquoi ? lui demandai-je. Pour vous rpondre il faudrait bien comprendre ce que cest que

    lesprit du monde. Jsus-Christ la maudit dans sa prire pour les lus ; aumoment daller mourir pour les pcheurs, il a dclar quil ne priait paspour le monde. . . Lui connat le fond des choses.

    Paroles terribles ! Je le regardai avec un sentiment de dtresse et, trsdoucement, il ajouta :

    Ayez conance. La grce fera sonuvre dans votre cur. Mais cestsurtout par la sourance que Dieu opre.

    Et maintenant dans le calme profond de la nuit qui mentoure, je mereprsente la dernire Cne. Si javais vu Notre-Seigneur quand il a dit : Je ne prie point pour le monde.

    Sauveur, juge de lhumanit, pourquoi le monde vous est-il siodieux ? Est-ce parce quil est le temple de la vanit, du mensonge, delenvie ?

    n

    36

  • CHAPITRE XX

    15 aot.

    J Montral pour la profession religieuse de Marie (Odile)Rmur. Ce matin mon arrive, en aendant la voiture, la pen-se mest venue daller entendre la messe Bon-Secours.Je trouvai lglise remplie. Les Sminaristes de Saint-Sulpice taient l enplerinage. Le chant puissant et beau me retint. Debout prs de la porte,je regardais ces jeunes gens tout la prire, et un respect trs doux me p-ntrait. Je me disais : Ils ont entendu lappel den Haut, ils seront prtres ;ils auront la mission dapprendre aux pauvres humains se surmonter, aimer lInvisible Beaut.

    Mission auguste, mais si souvent ingrate, si souvent strile. En nousil y a tant doppositions notre propre bien. Nous naissons si contraires lamour de Dieu.

    Et pourtant si nous tions moins aveugles, moins dchus, si nous nousaimions nous-mmes, en quelle horreur, en quelle excration, nous au-rions tout ce qui nous loigne de Dieu.

    37

  • La vaine foi Chapitre XX

    Je me disais cela et comme jallais sortir, en regardant toutes ces ttes,noires, brunes, blondes o la tonsure tait encore frache, o il ny avaitpeut-tre pas un cheveu blanc, la pense me vint : Il est peut-tre l celuiqui viendra mapporter la force de mourir, celui qui bnira ma fosse.

    n

    38

  • CHAPITRE XXI

    17 aot.

    O R maintenant Sur Dominique.Le chant laissait fort dsirer ; le long sermon solennel ne marien dit. Mais la sereine simplicit dOdile ma charme. Avecquel calme cleste elle a prononc ses vux. On sentait quil ne lui encotait rien de senchaner, de sacrier sa libert.

    Plus tard, quand je crus que les parents et les amis devaient tre par-tis, jallai la demander au parloir. Elle parut touche que je fusse venuede si loin pour sa profession. Je ne lavais pas vue depuis son entre, jela regardais avec une curiosit un peu mue. Elle tait gaie, pas du toutsolennelle.

    Si vous saviez, ma-t-elle dit, comme je me trouve bien de navoirplus quune robe, de ne plus penser ma toilee, de ne plus passer desheures et des heures devant mon miroir, me bichonner.

    Je lui demandai ce qui lavait dtermine quier le monde.Elle rit un peu et me rpondit avec son ancienne espiglerie :

    39

  • La vaine foi Chapitre XXI

    Le sens esthtique.Je la regardais sans rien dire, elle poursuivit : Javais le got, le dsir, la passion dtre belle. Ctait un tourment.

    Et comme jy perdais mes peines, un bon jour aprs un violent accs dedpit qui mhumiliait, je me dis : Si je cultivais la beaut de mon me, labeaut immortelle. . . Cee pense ne me quia plus. Je me voyais vieillir enlaidissant dheure en heure. . . sans cesse occupe me rcrpir. Ceque je sourais !

    Et ensuite ? lui demandai-je. Ensuite. . . tout se t naturellement. Je rsolus de me dsoccuper de

    mon corps pour embellir mon me.Marcelle, Notre-Seigneur est un grandartiste, je me suis remise entre ses mains. Je tche de me laisser faire etjespre avoir le bonheur dtre bien belle ternellement.

    Un aigre son de cloche lui apprit que lheure du parloir tait passe.Sur Dominique se leva vivement. Je ne la retins pas. Et pourtant

    jaurais dsir prolonger lentretien. Entre nous, il ny a jamais eu dinti-mit, mais jaurais voulu lui parler de mes sourances intrieures, luidire que je ne sentais plus la joie dtre belle.

    n

    40

  • CHAPITRE XXII

    19 aot.

    C , P nira pas au bal. Ce nest passans peine que je lai obtenu de maman. Ces ftes denfants lacharment. Cest si beau voir la joie des enfants, disait-elle. Elle me rappelaitmon premier bal travesti, mon costume de fe, le plaisir quelle avait euen mhabillant.

    Je me souviens de ce costume merveilleusement joli, je me souviensde leet que je produisis et de lveil de la vanit. Puis, la griserie de lamusique, de la danse. Jen gardais un dsir, un besoin dtre emporte,berce, ravie. . . i sait si je ne dois pas ces impressions si vives le mal-heur de navoir jamais ressenti une joie religieuse dans mon enfance ?

    n

    41

  • CHAPITRE XXIII

    20 aot.

    R M K. Jai longuement caus avec M. Osborne.Je ne le rencontre pas sans une secrte confusion. Depuis quila rveill ma conscience, quy a-t-il de vraiment chang dansma vie ? Je sens le poids de mes obligations de catholique et jen soure.Voil.

    Je ne sais pas vouloir et la pit me rpugne tant ; elle mapparat siennuyeuse.

    Ide fausse ! Je le veux bien, mais le sentiment qui men dlivrera, cestcomme si ma jeunesse allait nir soudain, comme si je me condamnais ne plus revoir le printemps.

    On doit aller Dieu avec une ardeur profonde, et mon cur est siaride, si froid.

    Ma religion a toujours t une religion de surface. Jamais je ne laiprofondment sentie, profondment vcue. Le somptueux bien-tre, lesvifs plaisirs mont dessch lme.

    42

  • La vaine foi Chapitre XXIII

    Je suis une heureuse de ce monde.Mais cee vie qui mtait dlicieuse,qui me le serait encore, je nen sais plus jouir. jour de lensevelissement, premire nuit du sommeil de la terre !

    La foule des humains sen va la tombe sans y songer. Je le sais. Maisla pense de la mort est entre en moi. Je ne puis lter.

    n

    43

  • CHAPITRE XXIV

    22 aot.

    L chez nous. On soctroie une me dar-tiste spare de son me de chrtienne : Si tu savais commecest triste de ne pouvoir sadmirer, de ne pas briller, de passer peu prs inaperue , ma dit tantt une jeune lle. Elle ma avou tretente de blasphmer parce que Dieu ne lui a pas donn la beaut. Celama rappel ce que nous disait le cur qui qutait pour son hpital.

    Ah ! les douleurs articielles.

    n

    44

  • CHAPITRE XXV

    30 aot.

    G la famille. Naissance de ma premire nice.Cest moi qui ai choisi son nom de Marie-Claire. Jaurais prfrntre pas sa marraine, men sentant peu digne. Mais jai tchdagir en vraie catholique et le baptme ma laiss au cur une douceurinaendue.

    Je songe beaucoup aumystre de notre rgnration, ce caractre in-eaable que le baptme imprime : sceau sacr de ladoption divine quonemporte dans lternit et qu travers les sicles sans n les feux mmesde lenfer laisseront intact.

    Pour me prparer mes fonctions de marraine, javais lu avec unegrande aention le rituel du sacrement.

    Je navais pas lide de la force, de la solennit des exorcismes prli-minaires du baptme :

    Sors, esprit impur, je texorcise au nom du Pre et du Fils et duSaint-Esprit, an que tu tloignes de cet enfant de Dieu. Celui-l te le

    45

  • La vaine foi Chapitre XXV

    commande qui a march sur les ots de la mer et tendu la main saintPierre prs dtre submerg. Donc damnmaudit, rends gloire au Dieu vi-vant et vritable et retire-toi de cee crature parce que Dieu la rclameet que Notre-Seigneur a daign lappeler au saint baptme.

    . . . Et ce signe de la croix que nous traons sur son front, toi damnmaudit nose jamais le profaner.

    . . . Je texorcise, qui que tu sois, esprit immonde, au nom du Pre tout-puissant, au nom de Jsus-Christ son Fils et notre juge et par la puissancedu Saint-Esprit, an que tu quies cee crature de Dieu que Notre-Seigneur a daign appeler son temple, an quelle-mme devienne letemple du Dieu vivant et que lEsprit-Saint habite en elle par le mmeJsus-Christ Notre-Seigneur qui doit venir juger les vivants et les mortset ce monde par le feu.

    Ces exorcismes ritrs sont une terrible preuve qu notre naissancele maudit nous tient bien, que nous sommes vraiment sa chose. Et direque nous vivons comme si nous navions rien redouter, comme si cecruel et ignoble ennemi nexistait point.

    Renoncez-vous Satan ? Renoncez-vous sesuvres ? Renoncez-vous ses pompes ?

    Petite Marie-Claire, en ton nom jai rpondu trois fois : Jy renonce.Et les pompes de Satan, ce sont les vanits du monde. Puisses-tu ne

    pas ty laisser prendre.Petite Marie-Claire, en ton nom jai demand la foi lglise de Dieu

    et aux interrogations sur la foi catholique, jai rpondu pour toi : Je crois.Puisse cee foi pntrer toute ta vie.

    Aprs le baptme, on sacre lenfant sur la tte, avec le saint chrme,comme les rois. Mais parmi nous, qui songe la glorieuse noblesse duchrtien ? Il y a vingt-deux ans que jai t baptise et jai vcu peu prscomme si je nen avais jamais entendu parler.

    Au sortir de lglise Monsieur V. ma dit, rieur : Mademoiselle Ro-chefeuille, vous mavez fort di. Jai beaucoup admir votre gravit,votre recueillement. Je me sentais vraiment indigne de mere avec vousla main sur lenfant.

    Sa lgret me heurta, mais nest-ce pas le respect humain qui me trougir ? Je le crains. Il est parfois dicile de savoir ce quon prouve.

    46

  • La vaine foi Chapitre XXV

    la maison, jenlevai lenfant la porteuse et le mis entre les bras dePaulee qui, triomphalement, mais avec de grandes prcautions, le remit sa mre.

    Si je lavais choisie entre tous les bbs serait-elle plus jolie, dit Lydie,en dcouvrant son visage. Doux moment !e cest beau voir un curde jeune mre.

    n

    47

  • CHAPITRE XXVI

    10 septembre.

    J ma lleule, je ne me lasse point de la tenir, de lad-mirer, ce qui ravit sa mre. Hier, comme je la prenais dans sonberceau, elle ma dit avec une expression charmante : Si tu pouvais lui faire un don comme dans les contes quest-ce quetu lui donnerais ?

    Je regardai lenfant endormie sur mon bras et, aprs un instant derexion, je rpondis :

    Je lui donnerais de se rapporter toute Dieu, sans jamais un retoursur elle-mme. Cest te dire quelle serait la plus noble, la plus sainte, laplus heureuse crature de la terre.

    Comme tu deviens srieuse, comme tu deviens austre, me rponditLydie. Sais-tu que je ne te reconnais plus ? Cest incroyable comme voirmourir ta change, ta mrie.

    La mort de M. Durville ma fait une impression terrible. Cest sr.Mais me croiras-tu ? Cest une parole de M. Osborne qui ma claire, qui

    48

  • La vaine foi Chapitre XXVI

    ma remue dans les profondeurs de la conscience.Elle me regarda de lair dune personne qui croit rver, et je lui racon-

    tai tout. Catholique de nom ! rpta-t-elle. Comment as-tu pu tant tmou-

    voir pour si peu ?. . . Cest un propos damoureux du, bless. Non, lui dis-je, cest la parole trs juste dun homme srieux, dun

    homme sincre. Voyons, nextravague pas. Tu es catholique comme nous le sommes

    tous, comme les autres le sont. La socit nous faonne, nous forme prendre la vie par les cts faciles et brillants.

    Oui et que devient lesprit chrtien ? Songe un peu. Est-ce quenous ne tenons pas les richesses, les honneurs, les plaisirs pour les v-ritables biens ?. . . elle est notre vie intrieure, surnaturelle ? il sa-gisse de devoirs dtat, de socit, de religion, quel signe discerne-t-on lacatholique de la protestante ?. . . Aimons-nous moins le confort, la toilee,le luxe, le faste, les plaisirs, le thtre, toutes les jouissances ?. . . Passons-nous moins de temps parler de choses vaines ?. . . Lisons-nous moins deromans ?. . . Oublions-nous plus vite les oenses, les blessures damour-propre ?. . .

    Je pense bien que non, rpondit Lydie, mais tre une sainte, ce doittre si ennuyeux.

    Et, hlas ! Cest bien aussi ma pense. Est-ce que je nincline pas voir en Dieu un ennemi mortel parce quil ma cre pour Lui ? De quellequalit est ma croyance ?. . . Ce nest pas la premire fois que je me le de-mande. Ah ! Je sens toute la faiblesse, toute la misre de lme humaine. . .Cee inertie intrieure, comment en triompher ?. . . quoi sert de vouloirtemprer la religion au gr de ses dsirs ? Nul ne peut servir deux matres.Voil une parole de lvangile que je comprends. Je vois si bien loppo-sition entre lesprit de Jsus-Christ et lesprit du monde. Mais en quoicela mavance-t-il ?ai-je retir de mes mditations et de mes austrespenses ?. . .

    Jai lhorreur de lindirence religieuse. . . la honte profonde de cedemi-christianisme que Lematre appelle lune des bonnes farces de notretemps, mais entrer tout droit, tout fait dans la vraie vie chrtienne, jene my dcide point.

    49

  • La vaine foi Chapitre XXVI

    La lue contre soi-mme est si dure. La seule pense de ce combatcontinuel me dprime et je reste partage entre des dsirs contraires.

    Depuis que la douleur est entre dans ma vie je navais pas ouvertmon cahier, quand je lai pris hier ctait pour le dtruire avec mes leres.Avant de les jeter au feu, jai voulu le relire et il men reste une impres-sion dune profondeur trange.e ce pass encore si proche me sembleloin. . . dtach de moi

    Les dernires lignes sont du 20 septembre. Cest la nuit suivante quemon pre fut pris dumal qui nous la enlev. Chose trange, ds le premierinstant jeus lintuition que la maladie serait mortelle. Il tchait de medissimuler ses sourances, il restait aimable, il tait souvent gai, mais rienne me rassurait.

    Avec quelle anxit, jpiais chez lui quelque signe de foi. els re-proches je me faisais pour navoir pas su larracher son indirence !

    Cest pendant ces jours si douloureux que jai appris prier. Sans ceeprire intense, incessante, je naurais pu supporter mon angoisse. Dieusemblait ne pas mentendre. Mais quil ma magniquement exauce.. .

    Et comme la douleur nous change, nous claire, nous fortie. Je na-vais pas le courage de la vraie vie chrtienne. Jy voyais des rigueurs, desennuis, des contraintes insupportables, et voici que je me prpare aveccalme la vie religieuse.

    Pour mon pre qui maimait dun amour si grand, je veux satisfaire,je veux expier. . . Tous les assujeissements, tous les renoncements, tousles sacrices me seront possibles, car jai la bienheureuse certitude de sonsalut. En douter un instant, je ne le pourrais jamais.

    Rien ne me devrait coter. Cest avec une joyeuse allgresse que jedevrais aller o Jsus-Christ me veut.

    and le service des pauvres me sera trop rebutant, je me rappelleraisa misricorde envers mon pre mourant. Je revivrai lheure dchiranteet bnie. Oh ! cee divine assurance de son salut dans mon me qui d-faillait dangoisses. . . le mystre sacr, la grce cleste de ce contact direct,personnel avec Lui, le juge redoutable et lamour incarn. . .

    Maintenant que ma mre y consent enn, il faut tenir ma promesse.Seigneur Jsus, pour reconnatre votre bont, aussi vrai que je suis la fai-blesse mme, je veux consumer ma vie au service de vos pauvres.

    50

  • La vaine foi Chapitre XXVI

    Ces pages o jai not lveil de ma conscience, le travail divin en monme, seront peut-tre une consolation ma pauvre maman. Je vais les luiremere au lieu de les dtruire et jy joins ma rponse la dernire lerede Benedict Osborne.

    Ce quon vous a racont vous bouleverse, vous rvolte. Vous nenpouvez, dites-vous, supporter la pense, vous refusez dy croire.

    Il est pourtant trs vrai que je me crois appele au renoncement com-plet, absolu, et prochainement jentrerai au noviciat des Petites Surs desPauvres.

    Je sais quelle vie my aend. On a exig que jen sse lessai et, commeon vous la dit, je vais souvent aider les Surs au mnage du matin, et mafuture matresse nempargne rien du dgotant labeur, des plus pniblessoins.

    Moi qui ai tant aim lindpendance, le plaisir, le ranement et labeaut des choses, comment en suis-je l ?. . . Comment ai-je pu amenerma mre ce sanglant sacrice ?. . . Comment puis-je soutenir la vue desa douleur, de ses larmes qui ne tarissent point ? Nest-ce pas parce queje rponds lappel de Celui qui a voulu, pour nous, mourir sur la croix ?

    Vous croyez un excs de tristesse, vous croyez que jai trop creusla pense de la mort.

    Si je me connais, la reconnaissance envers Notre-Seigneur dominetous mes sentiments.

    Monsieur, vous tes vraiment un ami, et il y a des choses intimes,sacres, que je voudrais vous dire ; mais, vous qui navez pas le bonheurde croire, pourrez-vous me comprendre ?

    Vous avez bien connu mon pre, vous savez ce quil valait, le charmequil exerait. Vous savez aussi quil ne pratiquait point. Il stait laissprendre aux caresses de la vie, aux enchantements du succs et semblaitavoir perdu la foi. Ce que jai souert, quand je vis la mort sapprocher.Aucune parole humaine ne vous en pourrait donner lide. Une craintehorrible, formidable sajoutait ma poignante douleur.

    Mais langoisse qui aurait dvor mes jours et mes nuits, lheuresuprme, Notre-Seigneur la change en paix cleste, en douceur innie.La mort de mon pre ma laiss une consolation parfaite. e me se-raient tous les biens apparents, toutes les joies, toutes les ivresses de la

    51

  • La vaine foi Chapitre XXVI

    terre auprs du sentiment inexprimable de sa misricorde, de la divine as-surance que Jsus-Christ a daign mere au plus profond de mon me ?Cest pour reconnatre sa bont que je veux le servir jusqu la mort, dansses pauvres.

    Dans le monde on assure quema rsolution faiblira vite et vous-mmene me cachez pas que vous lesprez. Vous me dites : Le jour o il ne merestera plus aucun espoir de vous avoir pour compagne de vie, il ny aurapas sur terre dinfortun plus plaindre que moi.

    Cee parole me revient souvent, jen ai parfois le cur lourd et, touten faisant la part de lexagration je pleurerais volontiers. Aux heurescruelles, jai si bien senti la force, la sincrit de votre aachement.

    Mais nous, pauvres cratures, que pouvons-nous pour ceux que nousaimons ? Vous savez ce quemon premtait. Dans lpouvante de linni,devant locan sans bornes des sicles sans n, que pouvais-je pour lui ?Mais on nimplore pas en vain lamour tout-puissant. Jusque-l, quest-ce que Jsus-Christ avait t pour moi ? Une ombre lointaine, un faibleet fugitif souvenir, un tre vague, irrel. . . Maintenant il mest prsent, ilmest intime. Rien ne me sera dicile. Pour lamour de Lui je soigneraigaiement mes vieux chenus et branlants.

    Faut-il vous assurer que je ne vous oublierai jamais ? Je songe parfois notre entretien dans lalle des pins, ce que vous mavez dit de votretat dme, et je vous plains tant.

    Le vrai malheur cest de ne pas savoir pourquoi on nat, pourquoi onsoure, pourquoi on passe.

    Partout et toujours je prierai pour vous. Enme disant que jtais catho-lique de nom,vous avez rveill ma conscience. Jai reconnu que je vivais peu prs comme si je ne croyais pas lvangile. Soyez bni. Je vousdois davoir compris quil faut mere sa vie daccord avec sa foi.

    n

    52

  • Table des matires

    I 20 mai 19. . . 4II 24 mai. 6III 31 mai. 7IV 4 juin. 11V 8 juin. 12VI 10 juin. 14VII 13 juin. 16VIII 17 juin. 18IX 20 juin. 19X 26 juin. 20

    53

  • La vaine foi Chapitre XXVI

    XI 4 juillet. 22XII 6 juillet. 24XIII 9 juillet. 26XIV 17 juillet. 27XV 20 juillet. 29XVI 23 juillet. 31XVII 24 juillet. 32XVIII 26 juillet. 33XIX 30 juillet. 35XX 15 aot. 37XXI 17 aot. 39XXII 19 aot. 41XXIII 20 aot. 42XXIV 22 aot. 44XXV 30 aot. 45XXVI 10 septembre. 48

    54

  • Une dition

    BIBEBOOKwww.bibebook.com

    20 mai 1924 mai.31 mai. 4 juin.8 juin.10 juin.13 juin.17 juin.20 juin.26 juin.4 juillet.6 juillet.9 juillet.17 juillet.20 juillet.23 juillet.24 juillet.26 juillet.30 juillet.15 aot.17 aot.19 aot.20 aot.22 aot.30 aot.10 septembre.