Sa vie - Numilogexcerpts.numilog.com/books/9781844843411.pdf · Amedeo Modigliani naît à Livourne...

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5. 1. Modigliani à son arrivée à Paris en 1906. Photographie, archives Billy Klüver. 2. La Juive, 1908. Huile sur toile, 55 x 46 cm. Collection privée, Paris. 3. Tête de jeune femme, 1908. Huile sur toile. Collection privée, Paris. Amedeo Modigliani naît à Livourne en Italie en 1884 et décède à l’âge de trente-cinq ans à Paris. De mère française et de père italien, il est élevé dans la foi judaïque et grandit ainsi au contact de trois cultures. Modigliani fut un homme charmant et passionné qui eut de nombreuses liaisons amoureuses au cours de sa vie. Trois sources alimentent l’inégalable puissance visionnaire de l’artiste : sans renier son héritage italien classique, il comprend également la sensibilité et le style français, ainsi que l’ambiance artistique dense qui règne dans le Paris de la fin du XIX e siècle. De plus, il est marqué par la lucidité intellectuelle propre à la tradition judaïque. Contrairement à d’autres avant-gardistes, Modigliani peint essentiellement des portraits aux formes étirées. Il leur donne un caractère étrange et ajoute une touche mélancolique qui lui est propre. Ses nus sont d’une beauté sublime et empreints d’un érotisme exotique. En 1906, il s’établit à Paris, centre de l’innovation artistique et du commerce international de l’art. Là, il fréquente régulièrement les cafés et les galeries de Montmartre et de Montparnasse, lieux de rencontre des groupes d’artistes les plus divers. Très tôt, il se lie d’amitié avec Maurice Utrillo (1883-1955), peintre néo-impressionniste et alcoolique, et avec le peintre allemand Ludwig Meidner (1844-1966) qui qualifie Modigliani de « dernier vrai bohémien » (in Doris Krystof, Modigliani). S’il est vrai que sa mère lui envoie tout l’argent dont elle peut disposer, il est néanmoins souvent contraint de changer de domicile. Parfois, il doit même abandonner sur place ses œuvres lorsque, incapable de payer son loyer, il quitte précipitamment les lieux. Voici la description d’un des logis de Modigliani, par Fernande Olivier (1881-1973), la première maîtresse de Pablo Picasso à Paris, dans son livre Souvenirs intimes – Ecrits pour Picasso : « Une estrade sur quatre pieds dans un coin de la pièce. Un petit fourneau rouillé avec une cuvette en terre cuite posée dessus ; à côté, sur une table en bois blanc, une serviette et un morceau de savon. Dans un autre coin, une caisse étroite et miséreuse, barbouillée de peinture noire, servait de divan. Une chaise en osier, des chevalets, des toiles de toutes les dimensions, des tubes de couleur éparpillés par terre, des pinceaux, des récipients pour l’essence de térébenthine, un pot contenant de l’acide nitrique (pour les gravures) et pas de rideaux. » Modigliani est un des personnages éminents du Bateau-Lavoir, cette fameuse maison où de nombreux artistes, comme Picasso, ont leurs ateliers. C’est probablement à l’écrivain Max Jacob (1876-1944), ami de Modigliani et de Picasso, que le Bateau-Lavoir doit son nom. A cette époque, Picasso y peint Les Demoiselles dAvignon, représentation radicale d’un groupe de prostituées qui marque le début du cubisme. Au Bateau-Lavoir, d’autres artistes travaillent eux aussi au développement du cubisme, parmi eux les peintres Georges Braque (1882-1963), Jean Metzinger (1883-1956), Marie Laurencin (1885-1956), Louis Marcoussis (1883-1941) et les sculpteurs Juan Gris (1887- 1927), Jacques Lipchitz (1891-1973) et Henri Laurens (1885-1954). Les couleurs vives et le style libre du fauvisme jouissent alors d’une grande popularité. Modigliani fait la connaissance des fauves du Bateau-Lavoir, parmi eux André Derain (1880-1954), Maurice de Vlaminck (1876-1958) et le sculpteur expressionniste Manolo (Manuel Martinez Hugué, 1876-1945) ainsi que Chaïm Soutine (1893-1943), Moïse Kisling (1891-1953) et Marc Chagall (1887-1985). Sa vie

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  • 5.

    1. Modigliani à son arrivée à Paris en

    1906. Photographie, archives

    Billy Klüver.

    2. La Juive, 1908.

    Huile sur toile, 55 x 46 cm.

    Collection privée, Paris.

    3. Tête de jeune femme, 1908.

    Huile sur toile.

    Collection privée, Paris.

    Amedeo Modigliani naît à Livourne en Italie en 1884 et décède à l’âge de trente-cinq ans à

    Paris. De mère française et de père italien, il est élevé dans la foi judaïque et grandit ainsi

    au contact de trois cultures. Modigliani fut un homme charmant et passionné qui eut de

    nombreuses liaisons amoureuses au cours de sa vie. Trois sources alimentent l’inégalable

    puissance visionnaire de l’artiste : sans renier son héritage italien classique, il comprend

    également la sensibilité et le style français, ainsi que l’ambiance artistique dense qui règne

    dans le Paris de la fin du XIXe siècle. De plus, il est marqué par la lucidité intellectuelle

    propre à la tradition judaïque.

    Contrairement à d’autres avant-gardistes, Modigliani peint essentiellement des

    portraits aux formes étirées. Il leur donne un caractère étrange et ajoute une touche

    mélancolique qui lui est propre. Ses nus sont d’une beauté sublime et empreints d’un

    érotisme exotique.

    En 1906, il s’établit à Paris, centre de l’innovation artistique et du commerce

    international de l’art. Là, il fréquente régulièrement les cafés et les galeries de Montmartre

    et de Montparnasse, lieux de rencontre des groupes d’artistes les plus divers. Très tôt, il se

    lie d’amitié avec Maurice Utrillo (1883-1955), peintre néo-impressionniste et alcoolique, et

    avec le peintre allemand Ludwig Meidner (1844-1966) qui qualifie Modigliani de « dernier

    vrai bohémien » (in Doris Krystof, Modigliani).

    S’il est vrai que sa mère lui envoie tout l’argent dont elle peut disposer, il est néanmoins

    souvent contraint de changer de domicile. Parfois, il doit même abandonner sur place ses

    œuvres lorsque, incapable de payer son loyer, il quitte précipitamment les lieux. Voici la

    description d’un des logis de Modigliani, par Fernande Olivier (1881-1973), la première

    maîtresse de Pablo Picasso à Paris, dans son livre Souvenirs intimes – Ecrits pour Picasso :

    « Une estrade sur quatre pieds dans un coin de la pièce. Un petit fourneau rouillé avec

    une cuvette en terre cuite posée dessus ; à côté, sur une table en bois blanc, une serviette et

    un morceau de savon. Dans un autre coin, une caisse étroite et miséreuse, barbouillée de

    peinture noire, servait de divan. Une chaise en osier, des chevalets, des toiles de toutes les

    dimensions, des tubes de couleur éparpillés par terre, des pinceaux, des récipients pour

    l’essence de térébenthine, un pot contenant de l’acide nitrique (pour les gravures) et pas de

    rideaux. »

    Modigliani est un des personnages éminents du Bateau-Lavoir, cette fameuse maison où

    de nombreux artistes, comme Picasso, ont leurs ateliers. C’est probablement à l’écrivain Max

    Jacob (1876-1944), ami de Modigliani et de Picasso, que le Bateau-Lavoir doit son nom.

    A cette époque, Picasso y peint Les Demoiselles d’Avignon, représentation radicale d’un

    groupe de prostituées qui marque le début du cubisme.

    Au Bateau-Lavoir, d’autres artistes travaillent eux aussi au développement du cubisme,

    parmi eux les peintres Georges Braque (1882-1963), Jean Metzinger (1883-1956), Marie

    Laurencin (1885-1956), Louis Marcoussis (1883-1941) et les sculpteurs Juan Gris (1887-

    1927), Jacques Lipchitz (1891-1973) et Henri Laurens (1885-1954). Les couleurs vives et le

    style libre du fauvisme jouissent alors d’une grande popularité. Modigliani fait la

    connaissance des fauves du Bateau-Lavoir, parmi eux André Derain (1880-1954), Maurice

    de Vlaminck (1876-1958) et le sculpteur expressionniste Manolo (Manuel Martinez Hugué,

    1876-1945) ainsi que Chaïm Soutine (1893-1943), Moïse Kisling (1891-1953) et Marc

    Chagall (1887-1985).

    Sa vie

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  • 9.

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    4. Etude pour une caryatide, vers

    1913.

    Encre et crayon.

    Collection privée.

    5. Sculpture af ricaine et caryatide,

    vers 1912-13.

    Crayon, 26,5 x 20,5 cm.

    M. et Mme. James W. Alsdorf,

    Chicago.

    6. Madame Pompadour, 1905. Détail.

    Huile sur toile, 61,1 x 50,2 cm.

    Art Institute of Chicago.

    Dans ses portraits, Modigliani représente nombre de ces artistes. Outre Max Jacob,

    d’autres écrivains sont eux aussi attirés par cette communauté, parmi eux Guillaume

    Apollinaire (1880-1918), poète et critique d’art (et amant de Marie Laurencin), le surréaliste

    Alfred Jarry (1873-1907), Jean Cocteau (1889-1963), écrivain, philosophe et photographe,

    dont la relation avec Modigliani est ambiguë, et André Salmon (1881-1969) qui écrira plus

    tard un roman, adapté pour la scène, sur la vie peu conventionnelle de Modigliani (La Vie

    passionnée de Modigliani). L’écrivain américain et collectionneur d’œuvres d’art, Gertrude Stein

    (1874-1946) et son frère Léo comptent également parmi les habitués du Bateau-Lavoir.

    Appelé « Modi » par ses amis (jeu de mot basé sur l’expression « peintre maudit »), il est

    convaincu que les besoins et les désirs de l’artiste sont différents de ceux des hommes

    ordinaires. Il en déduit qu’il faut que sa vie soit jugée de manière différente ; théorie que lui

    inspire la lecture d’auteurs tels que Friedrich Nietzsche, Charles Baudelaire et Gabriele

    d´Annunzio. Modigliani a des liaisons innombrables, boit copieusement et se drogue. De

    temps à autre pourtant, il retourne en Italie afin de voir sa famille et se reposer.

    Dans son enfance, Modigliani a souffert d’une pleurésie et de la typhoïde, maladies dont

    il ne guérira jamais complètement. Le manque constant d’argent et sa vie instable et dissolue

    aggravent son état de santé déjà inquiétant. Lorsque la tuberculose l’emporte, Jeanne

    Hébuterne, sa jeune fiancée, est enceinte de leur second enfant. Sans lui, la vie lui semble

    alors insupportable et elle se suicide le lendemain de sa mort.

    De l’art traditionnel à l’art moderne

    Une nouvelle interprétation des œuvres classiques Guglielmo Micheli, le premier maître de Modigliani, est un adepte de l’école des

    Macchiaioli, impressionnistes italiens. Auprès de lui, Modigliani apprend tant à observer la

    nature qu’à concevoir l’observation en tant que pur sentiment. Il suit des cours où il dessine

    les objets de l’environnement d’une manière traditionnelle et se plonge dans l’histoire de

    l’art italien. Très tôt, il s’intéresse aux études de nus et au concept classique de beauté idéale.

    Dans les années 1900-1901, il visite Naples, Capri, Amalfi, revient par Florence et Venise : il

    étudie au cours de ce voyage les originaux de nombreux chefs-d’œuvre de la Renaissance.

    Les artistes du XIVe siècle (Trecento) l’impressionnent tout particulièrement, notamment les

    compositions et les couleurs délicates de Simone Martini : ses figures allongées et

    serpentines, d’une tendre tristesse, préfigurent les formes torsadées et l’intensité lumineuse

    qui caractérisent l’œuvre de Sandro Botticelli. Modigliani est fortement influencé par ces

    deux artistes : dans ses tableaux Nu debout (Vénus) (1918) et Jeune Femme rousse en chemise (n°76,

    1918), il reprend la pose de la Vénus dans La Naissance de Vénus de Botticelli. Pour le Nu assis

    au collier (n 64, 1917), il inverse cette même pose.

    Les sculptures de Tino di Camaino (début XIVe), caractérisées par un mélange de

    lourdeur et d’incorporéité, un port de tête incliné et des yeux en amandes sans expression,

    stimulent aussi l’imagination de Modigliani. On a comparé ses compositions torsadées et

    ses figures étirées à celles des maniéristes de la Renaissance, en particulier à Parmigianino et

    au Greco. En outre, Modigliani emploie la couleur et l’espace d’une façon non naturaliste

    qui révèle des parallèles évidents avec l’œuvre de Jacopo da Pontormo.

    Pour ses séries de nus, Modigliani reprend la structure de nombreux nus célèbres de la

    Renaissance tardive, entre autres ceux de Giorgione, Titien, mais aussi de Velázquez et Ingres.

    Il évite pourtant leur romantisme idéalisé et leur caractère décoratif. Modigliani connaît

    également très bien les tableaux de Goya et de Manet, artistes qui ont, eux aussi, suscité des

    controverses en peignant des nus féminins réalistes, rompant ainsi avec la convention

    artistique qui obligeait les artistes à intégrer les nus dans des scènes mythologiques,

    allégoriques ou historiques.

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  • 12.

    7. Tête, 1911-1912.

    Pierre calcaire, 50 x 19 x 19 cm.

    Collection privée.

    8. Tête, 1911-1912.

    Pierre calcaire,

    71,1 x 16,5 x 23,5 cm.

    Philadelphia Museum of Art,

    Philadelphia.

    9. Tête, 1912.

    Pierre, 58 x 12 x 16 cm.

    Musée National d’Art Moderne,

    Centre Georges Pompidou, Paris.

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