Roche vive - URDLA · rencontre avec l’œuvre de Paul Klee et la fréquentation du cercle...

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Fred Deux (1924-2015) est un immense dessinateur du XXe siècle, dont la

reconnaissance va croissant depuis plusieurs décennies. Si on a pu le rattacher à l’art

brut ou à l’abstraction lyrique, il est avant tout un électron libre dans la création du second

XXe siècle. Cécile Reims (1927), son épouse, est l’une des dernières et sans doute des

plus grandes représentantes de la gravure d’interprétation, et un maître incontestable en

la matière. Roche vive, l’exposition qui leur est consacrée, donne à voir ce que c’est que

de constituer un couple d’artistes : la création à quatre mains, les actes de tendresse

créative, les témoignages d’une vie à deux, à travers archives, outils, vidéos, et une

trentaine de dessins et d’estampes. « On dit bâtir sur un vif fonds, ou sur roche vive, quand

on bâtit sur un fondement solide et ferme, dont les terres n’ont point été remuées. » (Dictionnaire

de Furetière). Ainsi du Centre d’Art contemporain de Lacoux, fondé en 1971 par le couple

d’artistes et véritable bout du monde bâti sur de la roche.

Roche vivecommissariat Claire Mathieu

Cécile Reims est née en 1927 en Lituanie. Le catalogue raisonné de son œuvre gravé comporte plus de 1400 numéros : gravures d’interprétations et travaux personnels mêlés. En 1966, l’éditeur Georges Visat lui confie le soin de traduire les dessins de Hans Bellmer en gravures. Cécile Reims se fit ensuite l’interprète des œuvres de Leonor Fini, puis de Fred Deux, rencontré en 1951. La reconnaissance de son travail personnel intervient au milieu des années 1980. Elle a bénéficié depuis de nombreuses expositions personnelles : à la Bibliothèque nationale de France (2004), au musée d’art et d’histoire du judaïsme (2011), au musée Jenisch Vevey (2012)...

Figure artistique singulière de la seconde moitié du XXe siècle, Fred Deux est né en 1924. La rencontre avec l’œuvre de Paul Klee et la fréquentation du cercle surréaliste eurent une influence décisive sur son œuvre. Fred Deux publie en 1954, sous le pseudonyme de Jean Douassot, La Gana, son premier récit autobiographique. Les deux expositions au Centre d’art contemporain de Lacoux et à l’URDLA inaugurent une saison d’hommages à Fred Deux, décédé en 2015, qui se poursuivra au Musée des Beaux-Arts de Lyon (du 20 septembre au 31 décembre 2017) et à la galerie Michel Descours (Lyon) cet automne.

En commun avec le Centre d’art

contemporain de Lacoux, l’URDLA

présente une exposition consacrée aux

fondateurs du centre du plateau du Haut-

Bugey : Cécile Reims et Fred Deux. Des

liens forts unissent les deux structures

depuis de nombreuses années :

en témoignent les cinq expositions

présentées par l’URDLA à l’invitation du

CAC Lacoux – Carte noire (1988), Made

in URDLA estampes (1990), Collage

(1991), Sans titre (1992), Mises en boîtes

(1997) – et la présence croisée de Max

Schoendorff, président fondateur de

l’URDLA (1978-2012), et d’André Vucher,

président du CAC de Lacoux, dans les conseils d’administration des deux centres d’art.

Empruntant son titre à la signature conjointe de Cécile Reims et Fred Deux, symbole

de leur union artistique et amoureuse, cf. deux s’intéresse précisément à l’œuvre gravé

mis en relation avec leur texte. Pour la première fois, le public de l’URDLA découvrira toute

la valeur de l’estampe dite d’interprétation : Fred Deux dessine ; Cécile Reims grave. Leurs

pratiques se recouvrent à nouveau dans l’écriture. Les deux textes fondateurs de ces

œuvres singulières La Gana (Julliard, 1958) pour Fred Deux et L’Épure (Julliard, 1963) pour

Cécile Reims animent le désir de révéler par l’exposition ce qui unit cf. deux.

L’exposition à caractère rétrospectif s’appuie sur des prêts consentis par le Musée

de l’Hospice Saint-Roch (Issoudun), qui possède le fonds le plus important d’œuvres du

couple en France, et par l’éditeur Pierre Chave. Autour d’Ombres portées, portfolio grand

format de Fred Deux, se déploie un ensemble représentatif de gravures des deux artistes,

Cécile Reims Fred Deux cf. deux

notamment constitué d’œuvres-clefs (Les Métamorphoses, La Chenille, Kaddisch...),

couvrant plus de cinquante ans de carrières respectives. Cécile Reims réserve à l’URDLA la

primeur de la présentation de son dernier recueil paru : D’un lointain passé. Signalons par ailleurs

la parution prochaine de L’embouchure du temps aux éditions Le temps qu’il fait.

« Cécile Reims est un graveur d’interprétation. Selon une conception traditionnelle des métiers de l’estampe, s’entend par là qu’elle grave, en tant que praticienne, d’après le dessin d’un autre artiste, par opposition au graveur dit original qui, lui, incise sa propre composition. »

Lauren Laz, « En quête de Cécile Reims » in Cécile Reims, l’œuvre gravé 1945-2011

« Cécile Reims se fait interprète. Comme on le dit de celle qui traduit une langue dans une autre, ou bien encore d’une chanteuse lyrique livrant sa propre version d’un rôle inscrit au répertoire. Car ici, c’est-à-dire quand elle grave à partir des dessins de Fred Deux, Cécile Reims se fait, selon la belle et juste expression ancienne, « graveur d’interprétation ». Belle et juste parce que le graveur, dans son intervention, à l’instar du traducteur ou du chanteur, se trouve dans une même tension entre contrainte et liberté, entre souci de l’œuvre à interpréter et choix à faire pour la transmettre à d’autres, à travers soi. Une seule partition mais autant de façons de l’interpréter que d’interprètes. Et des choix à faire, donc, des décisions à prendre, car dans ce travail dit d’interprétation, le chemin le plus juste n’est pas forcément celui qui fait rimer traduction et reproduction. »

Pierre Wat, « L’exercice de la liberté » in Cécile Reims, l’œuvre gravé 1945-2011

Fred Deux (texte) / illustration par Cécile Reims d’après Fred DeuxAutoportrait, 1983Burin et pointe sèche69 exemplaires sur vélin d’Arches 755 x 533 mm, emboîtage : 770 x 550 mmÉdition : Pierre Chave, VenceImpression : Alain Sabatier taille-doucier

Fred Deux (texte) / illustration par Cécile Reims d’après Fred DeuxOmbres portées, 1989Burin et pointe sèche34 exemplaires sur vélin d’Arches760 x 565 mm, emboîtage : 831 x 630 mmÉdition : Pierre Chave, VenceImpression : Atelier Moret, Paris (taille-douce) et Pierre Chave, Vence (typographie)

Cécile Reims (texte et illustration)D’un lointain passé, 2017Burin et pointe sèche17 exemplaires sur vélin de Rives285 x 175 mm, emboîtage : 298 x 184 mmÉdition : Cécile Reims, La Châtre Impression : Atelier Moret, Paris (taille-douce) et Mely-Melloni (typographie)

Celui qui voit vous invite à lire

« Ainsi, la représentation est abolie par la chose qu’elle transmet, et qui est du sens et de la qualité – un sens et une qualité

dont l’énergie passe comme un courant et non pas comme un message. » (Bernard Noël)

Les couvertures de L’Épure et de La Gana accueillent de leur regard mutique le visiteur lui indiquant les fils à suivre. Deux livres sans image ouvrent cette exposition qui, pourtant, se voue au tissage de l’écrit et de la gravure parce que, l’un et l’autre, malgré les différences radicales qui semblent les tenir à distance – la plus immédiate étant ce qu’on appelle le style –, révèlent une valeur équivalente pour l’un et l’autre auteur, que Cécile Reims saisit ainsi dans la préface à la réédition de son texte chez André Dimanche : « Un poids me tirait toujours en arrière. Il fallait arriver à le nommer pour pouvoir, enfin, le déposer ; avancer sans qu’il me rattrape ni qu’il me devance alors que je croyais l’avoir dépassé. » Qu’importe le succès ou l’échec de l’entreprise, seul, le travail compte. Dès lors, ces deux textes originent la marche de Cécile Reims et de Fred Deux sur les chemins de l’art. L’histoire est connue, celui de Cécile Reims croise celui de Hans Belmer, entre autres, et la conduit à la gravure d’interprétation. Ce passage par l’autre pour devenir soi s’éclaire de manière inédite dans l’histoire de l’art par cf. deux : Fred Deux dessine, Cécile Reims grave. cécile et fred deux perdent dans la signature les capitales dues au nom propre. L’œuvre vacille entre le un et le deux. Le je qui signe ne demeure pas figé dans un Moi. C’est ce vacillement qu’évoque déjà le regard qui attend le visiteur et que déplie l’exposition.

Cette trouvaille – cf. deux –, au-delà de l’union de deux vies et du compagnonnage artistique, révèle la tenue dans le monde de Cécile Reims dont elle est une lectrice attentive et minutieuse. « Je les ai vu / sortir du papier et attendre. / Des falaises près desquelles nous vivions, / je les guettais. / Une main les saisissait / de la pointe d’un crayon / et les traçait. / L’espace semblait renversé. / Plus tard, / reportant sur le cuivre / ce que j’avais suivi dans son cheminement, / tout pris un sens. / Leur présence gravée dans le cuivre / les rendit vivants. / Ce qui les entourait / les portait, / les situait, / fut là, / dans les ongles de la vie / qui se déroulait / subitement / loin de nous, / silencieusement. »

Il ne s’agit pas de soumettre le réel à la fiction du regard mais que de l’union au monde, que de l’abandon au monde, surgisse un sens nouveau. Cette ascèse des parallèles et des croisements creusés par le burin et la pointe sèche évanouit le Moi dans le motif pour qu’émerge le sens d’une texture autre.

Cette expérience fondatrice, que Cécile Reims fait dans la langue (faut-il rappeler qu’enfant elle quitte la Lituanie pour Paris, plongée dès lors dans une autre langue, une autre culture), guide l’œuvre à venir : « […] Mais surtout était-il possible que par des recoupements je puisse comprendre le sens inconnu d’un mot ; et le mot ce n’était rien, car si cela était, c’est le sens inconnu de la vie que je pourrais ainsi entrevoir. Et seule, sans l’aide de quiconque ! » Interprète du monde qui s’offre aux regards, la voie est ouverte à la rencontre de grands textes mythiques qui tentent de donner un sens (Psaumes, Les Métamorphoses). Les mots incisent le cuivre. Interprète des images d’autres, la structure est équivalente : il convient de lire avec la plus grande acuité et la plus fine précision ce qui est là et d’en proposer une traduction. C’est dans cet écart entre les mots et les images que l’exposition se loge : entre les mots et les images de Cécile Reims ; entre les mots, les images de Fred Deux et les gravures de Cécile Reims. Invite est faite au visiteur de mouler ses pas dans ceux de Cécile Reims et de s’essayer à cette pratique singulière de la lecture.

Cyrille Noirjean1er juin 2017

page de gauche : Cécile Reims, Lointains (ou Bestiaire de la mort), 1992page de droite : Cécile Reims, Les Métamorphoses, 1959

Cécile Reims Fred Deux cf. deuxdu 3. VI. au 22. VII. 2017

• samedi 3 juin à 12 h vernissage à l’URDLA

18 h vernissage au Centre d’Art Contemporain de Lacoux

exposition Roche vive jusqu’au 10 septembre 2017

• samedi 10 juin à 15 h visite complète de l’URDLA et de l’exposition

5.– € / personne, réservation indispensable :

[email protected] / 04 72 65 33 34

• samedi 17 juin à 15 h commentaires de l’exposition

entrée libre, réservation conseillée :

[email protected] / 04 72 65 33 34

• samedi 1er juillet visite en car des expositions cf. deux et Roche vive

organisée par le réseau ADELE

informations et réservations : [email protected]

207, rue Francis-de-Pressensé69100 Villeurbanneurdla.com

Ouvert du mardi au vendredi, de 10 h à 18 h,le samedi de 14 h à 18hentrée libre, renseignements / réservations :[email protected] / 04 72 65 33 34

L’URDLA tient à remercier de leur soutien et de leur générosité : Cécile Reims ;Pierre et Madeleine Chave, galerie Chave, Vence ;Patrice Moreau, directeur du Musée de l’Hospice Saint-Roch, Issoudun ;Michel Descours et l’équipe de la Galerie Michel Descours ; Sylvie Ramond, directrice du Musée des Beaux-Arts de Lyon ;et les membres du CACL de Lacoux & Claire Mathieu pour ces expositions communes.