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septentrion Rémi Tougas l’allemande la scandaleuse histoire d’une fille du roi 1657-1722 Extrait de la publication

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Avant-propos

L’histoire de la première Allemande à Montréal auxviie siècle commence par une énigme. Son patronyme

véritable demeure inconnu. Les archives religieuses, notarialeset judiciaires de Montréal en donnent une vingtaine devariantes françaises. Ce nom cause des tracas aux ministresdu culte et aux hommes de loi du temps. Le sulpicien GillesPérot, curé de Montréal, écrit PHANSEQUE dans l’acte demariage de l’Allemande. Le notaire Bénigne Basset hésiteentre FANNEXE, VANNEXE et FANEXE; le greffier PierreCabazié choisit VANDZAIGUE et le notaire Anthoine Adhé-mar, VANDEZZEGUE, VANDEZEGUE ou VANDEZEQUE.Au fil des ans, on retrouve toutes sortes de variantes de cenom de famille : ANCQUEZAINE, FANEZEQUE,FANSEQUE, FANSESQUE, FANTESEQUE, PHAN-SECQUE, VANNESY, FANNEZETTS, VANDZAIQUE,VANDSEQUE, etc. Les germanophones ou germanophiles necourent pas les rues à Montréal au xviie siècle. La seule foisoù l’Allemande signe son nom au bas d’un acte notarié, ellecouche sur papier une signature malhabile qui ressemble àFANQUZEQUE ou FANGUZEGUE. Les paléographessavent bien que la lettre «g » et la lettre «q » s’écrivent sou-vent d’une façon presque identique au xviie siècle.

Quel est le patronyme allemand correspondant à toutesces graphies ? VON ZEIG, VAN ZEIGT, VAN DIEK, VONGESECK, VON SECK, VAN DE SEEK ou autre ? Nul ne le

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sait vraiment. Mais il a fallu adopter un façon d’écrire le nomde famille de l’Allemande pour la rédaction de la présentehistoire. En faisant la synthèse ou la moyenne des graphiesconnues et en tenant compte de possibilités de noms alle-mands correspondants, on a choisi FANESÈQUE commepatronyme francisé de l’Allemande. Ses prénoms causentmoins de difficulté. Anne Marie en français correspond sansdoute à Anna Maria en allemand.

Dans le présent récit, Anne Marie Fanesèque revit dansson temps et dans son espace. À l’occasion, des extraits dedocuments d’archives sont reproduits afin de montrer lacandeur et la saveur des écrits de l’époque. Ces lignes defrançais brut des greffiers et notaires des xviie et xviiie sièclesne devraient pas causer de difficultés insurmontables aulecteur.

Voici l’histoire véritable d’Anne Marie Fanesèque racon-tée à partir des traces qu’elle a laissées dans les archives de laNouvelle-France.

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chapitre premier

Fille de Hambourg,fille du Roi

Àpartir de 1663, le roi de France Louis XIV intervientdirectement dans les affaires de la Nouvelle-France.

Insatisfait de l’état du peuplement de la colonie jusqu’alors, ilconçoit, avec son ministre et grand administrateur Colbert,un plan simple qui a des garanties de succès. Le trésor royals’engage, à partir de cette année-là, à payer le coût de latraversée de jeunes femmes qui partiront au Canada et à doterces émigrantes de quelques biens essentiels : un petit coffre,quelques vêtements et des accessoires pour la couture. À cepetit bagage, s’ajoutent un peu d’argent pour la longue tra-versée, et 50lt* à leur mariage qui sera béni le plus tôt pos-sible après leur arrivée en Nouvelle-France.

Le premier contingent de ces émigrantes, qu’on en vientbientôt à appeler les « filles du Roi», arrive à Québec le 22septembre 1663 et le dernier, en septembre 1673. Ces jeunesfemmes proviennent de plusieurs provinces de France, maison estime que la maison de charité parisienne de la Salpêtrière

* Dans le présent ouvrage, les deux lettres lt sont utilisées pourdesigner la « livre tournois », la livre de Tours, qui supplante la « livreparisis » (de Paris) au xvie siècle. 1 livre tournois (lt) = 20 sols (s) et 1 sol= 12 deniers (d). Le système monétaire en vigueur en Nouvelle-France apour monnaie de compte la livre tournois.

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fournit environ 50% d’entre elles. Par la suite, les dépensesmilitaires de Sa Majesté (pour sa guerre de Hollande) lecontraignent à mettre fin à ce programme visant un peuple-ment plus rapide de la Nouvelle-France. De 1663 à 1673,quelque 800 femmes traversent ainsi l’Atlantique pour venirfonder une famille et peupler la colonie.

Dans une lettre qu’il expédie au ministre Colbert le 10novembre 1670, l’intendant Talon décrit clairement les prin-cipales qualités que doivent posséder les filles du Roi émigréesen Nouvelle-France : « Il serait bon de recommander forte-ment que celles qui seront destinées pour ce pays ne soientaucunement disgraciées de la Nature, qu’elles n’aient rien derebutant à l’extérieur, qu’elles soient saines et fortes, pour letravail de campagne, ou du moins qu’elles aient quelquesindustries pour les ouvrages de main.»

Le dernier contingent de filles du Roi arrive à Québec le3 septembre 1673 sur le navire La Nouvelle-France com-mandé par le capitaine Laurent Poulet. Après une longue etéprouvante traversée dans une coquille de noix de peut-être25 à 30 mètres avec un pont à ciel ouvert où s’entassent dansl’entrepont, dans une exiguïté difficilement supportable, équi-page, passagers, cargaison, animaux et... vermine, les 60 fillesdu Roi débarquent enfin à Québec (figure 1). La jeune AnneMarie Fanesèque, les vêtements crassés mais heureuse d’êtreencore en vie, foule la terme ferme et, sur la plage de sable aubas de la falaise, entrevoit les premiers hommes venus obser-ver ces dernières arrivantes, avec une politesse empressée ! Lesjeunes femmes sont accueillies à leur arrivée par les religieuseset des bienfaiteurs de la ville. La plupart demeurent à Québecmais quelques-unes, dont Marie Anne Beaumont, DeniseColin, Denise Marié et Anne Marie Fanesèque, sontacheminées vers Ville-Marie où les Filles de la CongrégationNotre-Dame les accueillent avec joie.

Anne Marie Fanesèque est née probablement en 1657dans la ville libre et hanséatique de Hambourg (Freie undHansestadt Hamburg) en Allemagne ; ni rois ni princes n’ont

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jamais régi Hambourg, ce sont toujours les bourgeois qui ontgouverné leur ville. Anne Marie est la fille d’un capitaine decavalerie des Troupes impériales nommé Christian Vannexelle(suivant le notaire Bénigne Basset) ou Christin Phanseque(suivant le curé Gilles Pérot) et d’Anne Catherine Fannanque(au contrat de mariage) ou Anne Catherine Phananque (dansl’acte religieux de mariage), une Prussienne originaire deDorsten. On ne peut espérer trouver l’acte de baptêmed’Anne Marie car les enregistrements de baptêmes catho-liques de Hambourg ne commencent qu’en 1683 aux archivesde cette ville-État.

Figure 1 : Une flûte à La Rochelle dans les années 1670-1680.[planche 10 de Deux albums des bâtiments de l’Atlantique

et de la Méditerranée par Jean Jouve (1679), Éditions Neptuniades Amis des Musées de la Marine, Paris, 1971]

La flûte sert régulièrement « pour les voyages des Isles de l’Amérique, Canadaet pour la pesche de poisson sec» à la fin du xviie siècle. Elle est un navire decharge à fond plat, à poupe arrondie. Elle peut jauger de 150 à 300 tonneaux.

C’est probablement à bord d’un bâtiment semblable à celuiillustré ci-dessus qu’Anne Marie Fanesèque et les filles du Roi

font le voyage de La Rochelle à Québec en 1673.

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Hambourg est la capitale d’un État libre et indépendantqui a souvent eu autant de sympathie pour la France que pourl’Allemagne. Au xviie siècle, Hambourg — fameuse pour sabière — est l’un des ports d’importation les plus importantspour la France. Transitent par cette ville de la mer du Nord,céréales, étoffes, fourrures, harengs, épices, bois et métaux.Hambourg est une métropole commerciale et des familles decette ville entretiennent des relations avec des familles homo-logues en France. Ces relations particulières entre Hambourget la France seraient peut-être à l’origine de l’arrivée d’AnneMarie Fanesèque en France après la mort de son père.

Quelques filles du Roi se marient très rapidement à leurarrivée en Nouvelle-France. Ainsi, par exemple, BarbeRotteau, qui passe son contrat de mariage à Québec, le9 septembre 1673 — six jours après son arrivée — devant lenotaire Pierre Duquette, avec Pierre Moisant, un pilote deLa Nouvelle-France. Cette idylle a dû se nouer au cours de latraversée ! Le 13 novembre suivant, le gouverneur Buade deFrontenac est heureux d’annoncer au ministre Colbert que lesnouvelles arrivantes sont toutes mariées « à la réserve dedeux ». De plus, en ce qui concerne les «demoiselles», legouverneur déclare : « Il ne faudrait jamais envoyer de cessortes de filles en ce pays qui n’est bon que pour ceux quipeuvent travailler de leurs mains.» On ne peut être plus clair.

À leur arrivée à Montréal sur la petite plage qui donne surla Commune, après sept ou huit jours de navigation difficileen remontant le courant, Anne Marie Fanesèque et ses com-pagnes sont recueillies par Marguerite Bourgeoys et ses sœursà la métairie de la Pointe-Saint-Charles. Ces bonnes reli-gieuses deviennent leurs confidentes et savent les initier à lavie rude qui les attend en Nouvelle-France, apaiser leursappréhensions et même les conseiller sur le choix de leur futurmari.

Marguerite Bourgeoys pense avoir trouvé un bon partipour la jeune et vigoureuse Allemande de 16 ans qui vientd’arriver. Hubert Le Roux, un Champenois, ne ferait-il pas un

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bon mari pour Anne Marie ? Homme d’âge mur, posé, com-merçant gérant bien ses affaires et scolarisé, il saurait sûre-ment donner de bonnes assises à cette jeune femmedébordante de vie. Avec l’accord d’Anne Marie — fille de laville et non de la campagne —, Marguerite Bourgeoysorganise une rencontre avec Hubert Le Roux. Anne Marietrouve cet homme intéressant... d’autant plus qu’il possèdedéjà une petite maison à Montréal. Tout se passe bien et onparle rapidement de mariage. N’est-ce pas là d’ailleursl’objectif ultime d’une fille du Roi, se marier le plus rapi-dement possible et ainsi contribuer au peuplement de laNouvelle-France?

Hubert Le Roux est baptisé « Humbert » Le Roux le2 juillet 1639 (figure 2) dans l’église Notre-Dame de Vitry-le-François, petite ville de la Champagne, située au nord-est dela France, dans le diocèse de Châlons (figure 3). Il reçoit sansdoute le baptême dans l’église en bois construite sur la placed’Armes en 1557. La construction de l’actuelle église en pierrecommence en 1629 mais progresse si lentement qu’il faut30 ans pour élever deux étages de la tour nord et 75 ans pourachever la nef. Dans les premières années du xviie siècle, laChampagne connaît une certaine prospérité avec son indus-trie du textile et celle de la métallurgie, sans oublier, bien sûr,ses vins qui sont connus dans tout le royaume. Vitry-le-François bénéficie de ces bonnes conditions économiquesmais, en 1631, se déclare une épidémie de peste et la ville perdune partie importante de sa population.

Hubert Le Roux est le fils de Hubert (Humbert) Le Roux,« notaire royal héréditaire» au bailliage de Vitry-le-Françoiset de Magdeleine Varnier. Le minutier de ce notaire couvre lapériode de 1620 à 1652, année présumée de son décès. Lesminutes du notaire Hubert Le Roux sont malheureusementperdues durant la Deuxième Guerre mondiale alors que lesincendies et les bombes détruisent plus de 90 % de Vitry-le-François. Hubert Le Roux père et Magdeleine Varnier semarient à Vitry-le-François en octobre 1626, après avoir

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passé leur contrat de mariage le 8 octobre 1626 devant lenotaire Champagne. Hubert Le Roux père est le fils d’An-thoine Le Roux, marchand à Vitry-le-François, et deMargueritte Nollet. Magdeleine Varnier, de son côté, est lafille de Jacob Varnier, notaire royal à Vitry-le-François.

La famille du notaire Hubert Le Roux fait partie de lapetite bourgeoisie vitryate. Hubert Le Roux fils passe sajeunesse dans une famille autour de laquelle gravitentmarchands, bourgeois, chirurgiens, notaires et un prêtre,messire Jacques Varnier, «bachelier en théologie». Hubertapprend les bonnes manières, fréquente l’école et signeélégamment son nom. Après plusieurs années d’apprentissageet de compagnonnage dans des ateliers de pelletier et defourreur à Vitry-le-François, Hubert fils devient pelletier etmaître fourreur. Avec les orfèvres, les merciers, les épiciers, lesbonnetiers et les drapiers, les pelletiers font partie d’une dessix corporations les plus importantes et influentes del’époque. Avec le temps, les pelletiers de Paris ont réussi às’approcher du pouvoir et de la cour où se trouve princi-palement leur clientèle, et les artisans de la Champagne béné-ficient de ce statut privilégié.

Hubert Le Roux passe en Nouvelle-France vraisem-blablement vers la fin des années 1660, moins de 30 ans aprèsla fondation de Montréal, s’établit dans cette petite ville fron-tière et ouvre aussitôt son atelier de pelletier et de fourreur.Hubert y travaille comme un artisan et un marchand quiprépare des peaux et vend des articles fourrés. Cette occu-pation est certainement vouée au succès dans une ville commeVille-Marie, plaque tournante du commerce de la fourrure enNouvelle-France. Pourquoi émigre-t-il au Canada? Nul ne lesait exactement, mais il est permis de penser que sa décisiona pu être inspirée par le fait que trois Champenois bienconnus dans sa province travaillent avec enthousiasme et con-viction dans cette belle et folle aventure qu’est Ville-Marie :Paul Chomedey de Maisonneuve, natif de Neuville-sur-Vanne, qui fonde Montréal en 1642, Marguerite Bourgeoys,

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originaire de Troyes, éducatrice hors de l’ordinaire et fonda-trice de la Congrégation Notre-Dame de Montréal, et JeanneMance, née à Langres en novembre 1606, fondatrice del’Hôtel-Dieu de Montréal.

Le 4 mars 1672, Hubert Le Roux achète du Breton JulienTalua de Boucherville une «habitation» dans cette seigneurie,soit une terre de 2 arpents sur 25 donnant sur le fleuve Saint-Laurent et une petite maison qui y est bâtie. Trop occupé àMontréal par ses travaux de pelletier et de fourreur, il n’a pasle temps de mettre cette terre en valeur et encore moins de

Figure 2 : Acte de baptême d’Hubert Le Roux, le 2 juillet 1639.(Registre de la paroisse Notre-Dame de Vitry-le-François, en Champagne.)

Figure 3 : Aspect de la ville et des fortifications de Vitry-le-Françoisà la fin du xvie siècle. [Site Web officiel de la ville de Vitry-le-François

(novembre 2002) : http ://vitrynet.free.fr/histoire.htm]

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l’habiter. Il la vend le 4 octobre 1673 à Mathurin Martin deMontréal.

Au moindre petit conflit entre deux personnes, lesFrançais de Montréal à la fin du xviie siècle ont tendance àprésenter leur différend devant le bailli. Dans bien des cas, ils’agit de vétilles et le bailli met alors sommairement les parties« hors de cour et de proces ». C’est le cas, par exemple,d’Étienne Campot et d’Hubert Le Roux qui se chicanent àpropos d’un manchon et d’un bonnet le 17 octobre 1673. Ilssont tout simplement renvoyés... « sans despens».

Le mariage d’Hubert Le Roux et d’Anne Marie Fanesèqueaura lieu avant la fin de l’année 1673.

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chapitre 2

Le mariage d ’Anne MarieFanesèque et Hubert Le Roux

Comme en France à l’époque, la plupart des futursmariés de la Nouvelle-France passent devant le notaire

avant d’aller faire bénir leur union par le curé de la paroisse.Cet acte juridique revêt une importance particulière dans unpays neuf comme le Canada pour régler les rapports pécu-niaires entre les futurs époux en leur procurant une premièresécurité.

Le temps fort de la nuptialité à Montréal arrive ennovembre : les soldats démobilisés prennent épouse après leurengagement, les gros travaux d’automne sont terminés, lesrevenus d’appoint tirés de la traite des fourrures se maté-rialisent. Hubert Le Roux et Anne Marie Fanesèque entrentdans le courant et décident de passer leur contrat de mariagele 7 novembre 1673 (un mardi), ce qui donnera assez detemps pour publier les trois bans avant le temps de l’Avent.

Au tout début du contrat, il y a d’abord la présentationdu tabellion (notaire seigneurial qui ne peut instrumenterqu’à l’intérieur de la seigneurie), des futurs époux et de leurs« amis» présents :

Pardevant Benigne Basset Greffier Tabellion de la Ville etSeigneurie de L’Isle de montreal en la Nouvelle france et tes-

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moins soubsignes furent presens hubert Le Roux, pelletier, filsde deffunt Hubert Le Roux vivant no[tai]re royal a Vitry lefrançois et Mag[delei]ne Varnier, ses pere et Mere, demeurantaud Montreal en son nom, d’une part, Et Anne Marie Van-nexelle, fille de deffunt noble homme Christian Vannexelle,vivant Cap[itai]ne de Cavallerie dans les Troupes Imperiallesdemeurant a hambourg et d’anne Catherine fannanque, sespere et mere, demeurant a present en la Maison des filles dela Congrégation de ce lieu aussy en son nom, d’autre part.Lesquelles parties en la presence et du Consentement de leursamis pour ce assembles de part et d’autre, Sçavoir de la partdud[it] hubert Le Roux, M[essi]re Gilles Perot, prestre Curé dela par[ois]se dud[it] montreal, Zachary Dupuy escuyer Majorde lad[ite] Isle et le sieur Pierre Caillé M[aîtr]e tailleur d’habity demeurant, et de la part de lad[ite] Anne Marie fannexelle,M[essi]re Gabriel Souart aussy prestre et ancien Curé delad[ite] par[ois]se Jean Vincent Philippe escuyer sieur dehautmesnyl damoiselle Catherine de Bausin son espousedamoiselle Elisabeth Soüart Le sieur Jean Martinet de fonds-blanche Chirurgien Margueritte prudhomme sa femme,damoiselle Anne Angélique harteur de Sailly et Denise Maryétous demeurant aud[it] Montreal [...]

Quand un homme est qualifié de «noble homme» dansun acte officiel, cela ne signifie pas qu’il soit de la noblesse.Dans le cas présent, le notaire utilise ce qualificatif comme unsimple terme de politesse et de respect envers le père d’AnneMarie Fanesèque.

Toutes les personnes mentionnées se retrouvent dans leparloir de la maison des Filles de la Congrégation, située rueSaint-Paul (figure 4) pour la passation du contrat de mariage.Dans la société de Montréal où tout le monde connaît tout lemonde, la signature d’un contrat de mariage constitue unévénement. Comme en France, parents, amis et protecteursviennent entourer les futurs époux. La qualité des person-nages présents témoigne sûrement aussi de la considérationdont jouit Marguerite Bourgeoys auprès de la population etdes autorités civiles et religieuses de Montréal ; c’est une façon

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de la remercier pour sa charitable contribution au dévelop-pement de la colonie. On note aussi la présence de DeniseMarié, l’amie et compagne de voyage d’Anne Marie Fane-sèque sur le navire La Nouvelle-France au cours de l’étéprécédent.

Figure 4 : L’emplacement de la maison d’Hubert Le Rouxet d’Anne Marie Fanesèque, rue Saint-Jacques, en 1674.

En 1672, les habitants de Ville-Marie sont dispersés ici et là et n’ont accès lesuns avec les autres que par des pistes et des sentiers. Cette année-là, le sulpicienDollier de Casson, supérieur du Séminaire, accompagné du notaire et arpenteurBénigne Basset, commence à fixer le tracé des premières rues, pour qu’à l’avenir

les habitants suivent leur alignement lors de la construction des maisons.On représente ici schématiquement le centre de Montréal montrant

la position relative de la maison des Le Roux, de l’église paroissiale,de l’Hôtel-Dieu et de la Maison de la Congrégation.

La population civile de Montréal en 1674 (n’incluant pasles Amérindiens) est d’environ 300 personnes.

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Vient ensuite l’engagement de mariage des fiancés :

[...] Reconnaissant & Confessant avoir fait et accordé lestraittés et promesses de mariage qui ensuivent : C’est a scavoirLed[it] hubert Le Roux auroit promis prendre lad[i]te AnneMarie Fannexelle, en sa femme et legitime Espouse, Commeaussy, lad[i]te Anne Marie fannexelle auroit promis prendreled[it] le Roux a son Mary et legitime Espoux et le Mariagefait et Sollemnise en face de Sainte Eglise Catholique, apos-tolique et Romaine le plus tost que faire se pourra, et quil seraadvisé et deliberé entre eux et leurs amis Si Dieu et N[ot]reMere sainte Eglise sy consentent [...]

Et le notaire enchaîne avec la description de la commu-nauté de biens suivant la Coutume de Paris, officiellement envigueur depuis 1664 :

[...] et accordent pour estre uns et communs en tous biensmeubles acquests et consquests Immeubles suivant la cous-tume de paris suivie et gardées en ce pays en laquelle Commu-nauté la future espouse a promis apporter, en habit et linge,la somme de cinq cent livres pais Ne seront tenus des debteshypotheques lun de lautre, faits et créés avant la sollennité deleur mariage, mais sy Aucun il y a, seront payés et acquité parCeluy qui les aura faite et Créé sur son bien, prendra le futurEspoux Lad[it]e future espouse avec tous ses droicts Noms,raisons et actions, en quelques lieux et endroits quils puissentestre scis, scitués et assis ; sera douée Laditte future espouse dela somme de Cinq Cent Livres de doüaire préfix pour une foispaye ou du doüaire Coustumier suivant Ladite Coustume ason choix, et en faveur et Contempla[ti]on du futur mariageLe futur espoux a fait par ces presentes, don entre vifs ausurvivant d’un deux, de tous et chacun les biens de leur Com-munauté, en quelque lieux et endroit quils seront assis deubset trouvés pour en Joüir par Le survivant Comme de ses etfaits et propres choses pourvu qu’au jour de la dissolution deled[i]t mariage il n’y ait aucun enfan vivant d’un deux, et pourfaire Insinuer et advenant la dissolu[ti]on de lad[ite] Commu-nauté ; sera loisible a la future espouse de renoncer et en ce

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composé en sabon corps 11selon une maquette réalisée par josée lalancette

et achevé d’imprimer en juin 2003sur les presses de l’imprimerie gauvin

à hull, québecpour le compte de denis vaugeois

éditeur à l’enseigne du septentron

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