Retrouvailles chez les Fortune - Pour les yeux d'Amber

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Les nerfs tendus à se rompre, NicoleCastleton fit son entrée au Country Clubde la ville de Red Rock, au Texas, oùelle avait organisé les fiançailles de sameilleure amie Marnie McCafferty.

Marnie allait épouser prochainementAsher Fortune qui avait déjà un fils,Jace, dont elle deviendrait la belle-mère, et Nicole tenait à ce que laréception en l’honneur des fiançailles de

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son amie soit aussi parfaite quepossible.

Elle ne fut pas déçue car tout, depuisla décoration jusqu’au ballet stylé desserveurs, était exactement conforme àses vœux.

Hélas, en ce qui la concernait, le bilanétait nettement moins positif, car sesparents l’avaient récemment soumise àun odieux chantage qui la plaçait dansune position difficile.

Même le soleil qui, par chance, avaitsuccédé au temps gris et pluvieux de laveille, ne parvenait pas à la rasséréneret à part Marnie, sa meilleure amie, ellene voyait personne d’autre capable del’aider à résoudre son dilemme.

Balayant l’assemblée du regard, elle

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aperçut justement Marnie, en grandediscussion avec ses futurs beaux-frèreset belles-sœurs de la branche desFortune d’Atlanta et de celle des Fortunede Red Rock.

Alors que Nicole se demandaitcomment attirer l’attention de son amie,celle-ci prit congé du petit grouped’invités avec lesquels elle bavardait.

— Marnie, il faut que je te parle detoute urgence ! dit-elle en la rejoignantet en lui prenant le bras.

— Que se passe-t-il ?— J’ai un grave problème, répondit-

elle à voix basse.— Et tu souhaiterais que nous en

parlions dans un endroit tranquille ?— Oui, car ce que j’ai à te dire est

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confidentiel, précisa-t-elle.— Eh bien, je te suis, dit Marnie.Savoir qu’elle pouvait compter sur

son amie lui fit chaud au cœur.Qui sait ! Peut-être que celle-ci

trouverait une solution qui luipermettrait de garder l’entreprisefamiliale à laquelle elle tenait comme àla prunelle de ses yeux sans être, pourautant, obligée d’en passer par lesconditions que voulaient lui imposer sesparents.

Elle guida Marnie jusqu’au patio duCountry Club, désert à cette heure-ci, unendroit discret où toutes les deuxpourraient s’entretenir hors de portéedes oreilles indiscrètes.

— Qu’y a-t-il donc de si grave ?

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demanda Marnie une fois qu’elles furentseules.

— Figure-toi que je suis dansl’obligation de me marier dans les plusbrefs délais, révéla-t-elle à Marnie.

— Ne me dis pas que tu es enceinte !s’exclama son amie.

Elle l’aurait presque souhaité. Ce queses parents attendaient de sa part auraitau moins eu un sens au lieu de n’êtrequ’un pis-aller.

— Tu sais bien qu’il n’y a personnedans ma vie, répondit-elle.

— C’est vrai, approuva Marnie. Maissi tu n’es pas enceinte, pourquoi aurais-tu un besoin urgent de te marier ?

Mentalement, elle eut une pensée émuep o u r Castleton Boots, l’entreprise

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familiale de bottes de luxe gérée depuisdes années par son père.

— Parce que si je ne le fais pas, jerisque fort de perdre et ma place device-présidente et l’entreprise, dit-elle.

Marnie la fixa d’un air incrédule.— Castleton Boots est une entreprise

en pleine croissance et, si je ne m’abuse,tes parents n’ont pas d’autres enfants quetoi. Autrement dit, tu es la seulehéritière.

— Mon père ne l’entend pas de cetteoreille, dit-elle.

— Je connais tes parents et je saisqu’ils t’adorent. Jamais ils n’oseraient tedéshériter, objecta Marnie.

Née tardivement, elle avaiteffectivement été choyée par ses parents

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qui se montraient, avec sans doute lesmeilleures intentions du monde, trèsprotecteurs et même tyranniques enverselle.

— Castleton Boots devait me revenirau moment du départ en retraite de mesparents, mais ils s’étaient bien gardés deme préciser que cette donation n’allaitpas sans contrepartie, expliqua-t-elle àson amie.

Marnie haussa ses sourcils.— Une contrepartie ? Veux-tu parler

de cette obligation de te marier au plusvite ?

— Exactement. Et si je ne présente pastrès vite un fiancé digne de ce nom à mesparents, je perdrai l’entreprise au profitd’un tiers choisi par mon père.

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— Cette clause n’a aucun sens !s’exclama Marnie.

— C’est bien mon avis, mais mesparents ont été très clairs à ce sujet et, sije refuse leurs conditions, je peux direadieu à l’entreprise.

Or celle-ci était toute sa vie.Castleton Boots était une petite

entreprise locale spécialisée dans laconfection artisanale de bottes de stylewestern très prisées par les stars ducinéma et les champions de rodéo. Rienque le stock existant valait une petitefortune.

Après ses études universitaires, elleavait exprimé son désir de travaillerdans l’entreprise et son père avaitaccepté, tout en lui laissant très

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clairement entendre qu’elle nebénéficierait d’aucun passe-droit.

D’abord réceptionniste, elle avaitoccupé à peu près tous les emploisexistants jusqu’à devenir vice-présidente de l’entreprise.

— Tes parents ont-ils le droit d’agirainsi ? demanda Marnie.

— D’après l’avocat que j’ai consulté,il semble qu’ils agissent dans la légalitéla plus stricte, répondit-elle.

— Que comptes-tu faire ? demandaMarnie.

— Soit je me marie comme l’exigentmes parents, soit mon père vendl’entreprise à une personne extérieure.

— Mais c’est injuste ! s’exclamaMarnie.

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Nicole ne put s’empêcher de soupirer.— Oui, d’autant plus que j’ai sacrifié

ma vie privée afin de me consacrer àcette entreprise et que celle-ci estdevenue, grâce à mes efforts et, bien sûr,à ceux de mon père, l’une des plusperformantes du marché.

Marnie hocha la tête.— « Sacrifié » est bien le mot, en

effet. Depuis des années, tu te tues autravail et tu sors si peu que je ne voispas qui tu pourrais épouser, à moins quetu aies fait une rencontre récente dont tune m’aurais pas encore parlé ?

— Je n’ai rencontré personne et, siç’avait été le cas, tu en aurais été lapremière informée. Le pire, c’est quepapa est souffrant et qu’il veut régler sa

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succession au plus vite.— Tes parents usent de méthodes peu

orthodoxes pour t’amener à te marier,remarqua Marnie.

— Jusqu’à présent, papa ne semblaitguère presser de me voir convoler, maisil semble avoir changé d’avisrécemment, répondit-elle en soupirant.

Marnie haussa les épaules.— Tu ne peux quand même pas

épouser le premier venu.— Et pourquoi pas, puisque ce sont

mes parents qui m’y obligent ! répondit-elle, ses yeux flamboyant de colère.

Marnie lui tapota amicalement le bras.— Calme-toi et réfléchissons. Qui

pourrais-tu bien épouser ?Elle hocha pensivement la tête.

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— Aucun mari potentiel ne me vient àl’esprit sauf peut-être…

S’interrompant net, elle s’efforça decalmer les battements désordonnés deson cœur.

Dix ans auparavant, quand elle avaitdix-sept ans, elle avait été frappée par labeauté d’un certain Miguel Mendoza, unlycéen de son âge aux cheveux de jais etau charme irrésistible.

Etait-ce parce qu’elle avait ressentitout de suite une forte attirance envers cenouveau venu, inscrit tardivement danssa classe, qu’elle s’était obstinée, nonsans perfidie, à l’appeler Mendoza etnon Miguel ?

Paco Ramirez et Lena Hsu — deux desmeilleurs élèves de la classe — avaient

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suivi son exemple et l’habitude étaitrestée.

Par la suite, Mendoza s’était avéré fortsympathique et en dépit du fait que PacoRamirez et Lena Hsu déploraient sonmanque d’attention durant les cours,Nicole avait eu envie de mieux leconnaître et était devenue sa meilleureamie.

En classe, Mendoza multipliaitprovocations et plaisanteries, mais elleavait deviné que ses attitudesoutrancières cachaient une grandedétresse et non, comme certainsvoulaient le croire, un tempérament devoyou.

Elle avait proposé à Mendoza del’aider dans son travail scolaire ; il

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avait accepté et, avant la fin dutrimestre, tous deux étaient fousamoureux l’un de l’autre.

— Ne me dis pas que…, commençaMarnie.

— Que je pense à Miguel ? Eh bien,si, admit-elle.

Dix ans s’étaient écoulés depuisqu’elle l’avait vu pour la dernière fois,mais elle continuait de penser à lui etaux promesses d’amour éternel qu’ilséchangeaient alors en chuchotant.

Marnie afficha une moue dubitative.— A supposer que Miguel Mendoza

vive toujours à Red Rock et accepte taproposition, tes parents préféreraient tedéshériter plutôt que de te voir épouserun garçon qu’ils ont toujours ostracisé,

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objecta Marnie.— Je le sais bien ! rétorqua-t-elle

avec un grand soupir.Miguel appartenait à une famille

honorable de commerçants, d’hôtelierset de restaurateurs, mais ses parentsn’avaient jamais vu d’un bon œil sarelation avec lui.

Son père aurait voulu qu’elle épouseun médecin, un architecte, à la rigueur unpoliticien influent, mais sûrement pas ungarçon qu’il considérait comme étantindigne de sa « Princesse du Texas », etde la famille Castleton par la mêmeoccasion.

Au cas, bien improbable, où MiguelMendoza accepterait de l’épouser, elleimaginait par avance la stupeur navrée

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d’Andy et d’Elisabeth Castleton, sesparents.

Le seul avantage de cette solution —pour autant que Miguel accepte d’êtreson mari —, ce serait qu’ils nepourraient pas mettre en doute sessentiments pour Miguel, car sadouloureuse rupture avec lui, dix ansplus tôt, l’avait terriblement affectée.

Quand elle repensait aux circonstancesde ce drame, elle sentait renaître sonressentiment envers l’intransigeanced’un père borné, d’une mère soumiseaux décisions de son mari, et plusencore de son milieu social qui avait étél’obstacle principal entre Miguel et elle.

Si seulement elle n’avait pas autantmanqué de courage, à l’époque, peut-

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être s’appellerait-elle déjàMme Mendoza ?

— Il y a dix ans que Miguel est sortide ta vie, lui rappela Marnie d’une voixdouce. Ne crois-tu pas qu’il est un peutard pour espérer faire de lui ton mari ?

— Je sais ! répondit-elle un peu tropvivement.

D’après ce qu’elle avait appris,Miguel avait lui aussi beaucoup souffertde cette séparation dont elle étaitd’ailleurs responsable. Et, pour panserses plaies, il s’était exilé pendant tout unété chez un oncle, — son tió — hôtelierau Yucatan.

Deux mois après la rupture, elle avaittenté de rentrer en contact avec lui, maisil s’était installé à Mexico afin d’y

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terminer ses études, puis elle avaitappris par la suite qu’il travaillait àNew York.

Elle n’oublierait jamais le changementd’expression de Miguel quand, lors deleur dernière rencontre, elle lui avaitsignifié que tout était fini entre eux.

Alors qu’il la serrait entre ses bras,celui qu’elle appelait affectueusement« Mendoza » n’avait cessé de lui direqu’il l’aimerait toujours, qu’il seraittoujours là pour elle, quoi qu’iladvienne.

Elle l’avait cru et, aujourd’hui que sesparents menaçaient de la déshériter sielle ne se mariait pas très vite, quelleautre solution lui restait-il sinon de faireappel à Miguel, le seul homme qui ait

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compté pour elle ?Marnie posa une main sur son bras.— Ne me dis pas que tu penses

sérieusement à te marier avec MiguelMendoza ?

— Et pourquoi pas ? répondit-elled’un ton farouche. Plutôt que de conclureun mariage blanc avec le premier venu,autant choisir quelqu’un desentimentalement crédible aux yeux demes parents, si c’est pour moi la seulefaçon de garder l’entreprise.

Bien sûr, il lui faudrait d’abordrecontacter Miguel puis, si elle yparvenait, le convaincre que ce mariageétait pour elle une question vitale.

Miguel accepterait-il de l’épouseraprès le mal qu’elle lui avait fait,

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autrefois ? Rien n’était moins sûr.Elle n’avait cessé, durant toutes ces

années, de penser à lui, à tout le bonheurqu’ils avaient partagé, et elle continuaitd’éprouver pour lui des sentiments trèsforts, mais qu’en serait-il de son côté ?

Par des relations communes, ellesavait que Miguel ne s’était pas mariémais, selon toute probabilité, il nedevait plus vraiment la porter dans soncœur.

Contacter Miguel au plus vite était laseule solution qui lui venait pourl’instant à l’esprit, et tant pis si elles’exposait à une rebuffade de sa part.

Du reste, elle ne manquerait pasd’arguments : en échange de sonconsentement, elle lui proposerait une

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grosse somme d’argent, à charge pourlui d’être convaincant quand elle leprésenterait comme son futur mari à sesparents.

— Dis-moi que tu plaisantes !s’exclama Marnie.

— Je n’ai jamais été plus sérieuse,répondit-elle.

Marnie haussa ses jolies épaules.— A supposer que tu retrouves

Miguel, qui te dit qu’il n’est pas mariéou qu’il ne vit pas déjà avec une autre ?

— Miguel travaille pour une maisonde disques à New York et il n’est nimarié, ni impliqué dans une relationsentimentale, déclara-t-elle.

— Comment es-tu au courant ?s’étonna Marnie.

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— Par des relations, admit-elle sanspréciser que, depuis dix ans, elle pensaittoujours à Miguel avec ferveur et qu’ellecollectait le moindre renseignement surlui.

Miguel resterait-il fidèle à lapromesse qu’il lui avait faite de l’aider,autrefois ?

« Si un jour tu as besoin d’aide,appelle-moi et j’accourrai aussitôt », luiavait-il chuchoté au creux de l’oreille,pendant les derniers instants où il l’avaittenue dans ses bras, avant qu’elle ne lequitte.

— Je dois retourner auprès de mesinvités, déclara Marnie en s’efforçant desourire. Si tu veux, nous reparlerons detout ça plus tard.

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— Naturellement ! Va rejoindre tesinvités et excuse-moi encore d’avoirabusé de ton temps, marmonna-t-elleaussitôt.

Marnie plaqua sur sa joue un baiseraffectueux, puis regagna la salle deréception après lui avoir adressé unsigne de la main.

Une fois seule, Nicole s’attarda dansle patio car elle avait besoin deréfléchir, de faire le point sur unesituation embarrassante.

Avait-elle raison de miser surMiguel ? D’espérer qu’il accepterait del’aider en dépit de la peine qu’elle luiavait infligée, dix ans plus tôt, enrompant avec lui alors même que leuridylle était au beau fixe ?

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— Miguel me l’a dit, me l’a promis !se répéta-t-elle comme s’il s’agissaitd’une incantation. Le jour où j’auraibesoin de son aide, il sera là pour moi.

Il n’était certainement pas le genred’homme à trahir la parole donnée.

Savoir que tout n’était peut-être pasperdu et qu’elle avait encore une chancede conserver l’entreprise la rendit plusoptimiste.

Pour extravagant qu’il soit, son planpouvait réussir.

Dès le lendemain, elle prendrait lepremier avion pour New York. Une foislà-bas, elle se rendrait au siège de laHome Run Records, la maison dedisques où travaillait son ancienamoureux, et il ne tiendrait alors qu’à

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elle de se montrer convaincante.

* * *

Assis derrière son bureau, MiguelMendoza s’étira en bâillant.

Il avait passé la matinée à vérifier deslistings de ventes de la Home RunRecords et cette tâche fastidieuse l’avaitvidé de son énergie.

Tout à l’heure, en début d’après-midi,il devait présider une réunion avec leservice du marketing car les ventes dedisques avaient chuté au cours dudernier trimestre.

Certes, il n’y était pour rien. C’étaitd’ailleurs pourquoi le directeur générallui avait proposé une promotion,

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quelques jours avant, tout en lechargeant de trouver une solution à cettecrise.

Sa débrouillardise ainsi que son culotl’avaient classé dans la catégorie desjokers de la dernière chance et, chaquefois qu’un problème surgissait dansl’entreprise, c’était lui qu’on appelait àla rescousse.

Remédier à la chute des ventes dedisques, il ne demandait pas mieux quede s’y atteler au plus vite, mais changerde poste, troquer son emploi dedirecteur commercial, souvent entournée de promotion dans le paysauprès des franchisés, pour un postesédentaire, même mieux payé, nel’intéressait pas.

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— Peut-être ai-je eu tort de ne pasaccepter de monter en grade ? se dit-ilen se grattant l’oreille.

En refusant la promotion qui lui avaitété offerte sur un plateau, il se privait dumême coup d’une augmentation qui luiaurait permis d’obtenir un prêt et definancer l’ouverture d’un clubdiscothèque, comme il en rêvait depuisl’adolescence.

Alors qu’il s’était levé pour détendreses muscles ankylosés, un concert deklaxons retentit dans la rue, en contrebaset, après s’être penché à sa fenêtre, ilaperçut un taxi bloqué au beau milieu ducarrefour.

A Red Rock, la petite ville du Texasoù il était né et où vivait encore sa

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famille, les embouteillages étaientinexistants et ce genre d’incident nerisquait pas d’arriver. L’agitationperpétuelle qui régnait à New York luiconvenait parfaitement.

Une femme dont la silhouette lui parutvaguement familière — mais il était troploin pour discerner son visage — sortitdu taxi et se dirigea vers son immeuble.

Qui pouvait-elle être ?Avait-elle quelque chose à voir avec

la promotion de l’album du derniergroupe rock édité par son entreprise ?

Tout en continuant de s’interroger, iléprouva une soudaine sensation de faimet, après avoir regagné son bureau, ildécrocha son téléphone avec l’intentionde commander un sandwich au roast-

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beef dans le restaurant voisin.Mais avant qu’il ait pu composer le

numéro du restaurant en question,l’Interphone bourdonna.

— Oui, Margo ? lança-t-il en appuyantsur la touche de réception des appels.

— J’ai devant moi une jeune femmequi voudrait vous voir, expliqua sasecrétaire.

— Je n’attends personne, répondit-ilaprès avoir consulté son iPhone. Qui estcette femme ?

— L’une de vos anciennes amies, unecertaine Nicole Castleton, poursuivit sasecrétaire.

Lui qui avait la réputation de garderson sang-froid en toutes circonstancesconnut un début de panique.

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Nicole ! Nicole Castleton !Il n’avait jamais oublié son amour de

jeunesse, et savoir qu’elle se trouvait ence moment précis dans les locaux deHome Run Records le bouleversa au-delà de l’imaginable.

— Miguel ? Que dois-je faire ? insistasa secrétaire.

Une boule s’était formée dans sa gorgeet il lui fallut accomplir un prodigieuxeffort pour recouvrer en partie l’usagede la parole.

— Faites-la… entrer, dit-il d’une voixsourde.

— Très bien, Miguel, répondit sasecrétaire.

Il aurait pu se rasseoir et prétendreêtre en plein travail quand Nicole ferait

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son apparition, mais il choisit de resterdebout.

— Bonjour Miguel, déclara-t-elled’un ton ému. Il y a si longtemps…

Svelte comme dans son souvenir, avecde longs cheveux bruns, une robe noireet des talons aiguilles… L’adolescented’autrefois s’était métamorphosée en unefemme ravissante.

— Bonjour, dit-il en s’efforçant deparaître à son aise. Dis-moi, était-ce toidans le taxi, à l’instant ?

Nicole lui sourit.— Mon chauffeur s’est trompé de sens

et, quand j’ai aperçu ton immeuble, jelui ai dit de s’arrêter en plein carrefour,ce qu’il a fait en dépit des protestationsdes autres automobilistes.

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— New York n’est pas Red Rock. Tuaurais pu te faire écraser en traversantl’avenue !

— Je n’ai pas l’habitude des grandesvilles, répondit-elle avec un sourirecontrit.

Il s’attendait si peu à sa visite qu’ilaurait été incapable de décider s’il luien voulait ou non de venir ainsi le voir àl’improviste après dix ans de silence.

— Qu’est-ce qui t’amène à NewYork ? demanda-t-il.

— Oh ! j’avais rendez-vous avec desfournisseurs afin de renouveler notrestock de cuir, expliqua-t-elle tout enjetant alentour des regards curieux.

L’allusion aux peaux qui servaient àfabriquer les bottes Castleton lui remit à

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la mémoire le visage sévère d’AndyCastleton, l’homme qui dirigeaitl’entreprise familiale d’une main de ferdepuis des années déjà et qu’il tenaitpour responsable de sa rupture avecNicole.

— Comment vont tes parents ?demanda-t-il.

— Mon père envisage de prendreprochainement sa retraite, mais jesuppose que tu es déjà au courantpuisque tout Red Rock ne parle que deça.

Il avait en effet été informé par sonfrère Marcos qui vivait toujours à RedRock.

— Oui, répondit-il.Le silence se fit.

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Nicole le regarda avec ses yeux aussiincandescents qu’autrefois, lorsqu’ellelui parlait d’amour et qu’il aurait étéprêt à lui décrocher la lune.

— La vérité, c’est que je voulais tevoir, dit-elle, et son visage reprit sur-le-champ son expression juvénile d’antan.

Dix ans plus tôt, assis en classe à côtéde Nicole, sa main cherchant la siennesous la table, il avait su d’emblée quecette jolie brune était la femme de savie.

Combien de fois avait-il rusé pour luivoler un baiser dans un couloir désert dulycée !

Et cette nuit, la première d’une longuesérie, durant laquelle ils avaient faitl’amour avec passion sur la banquette

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arrière d’une vieille Buick !Passionnément amoureux de Nicole, il

avait souffert le martyre le jour où ellelui avait annoncé que tout était fini entreeux.

Ses parents l’obligeaient à rompre,avait-elle dit pour se justifier, car ilssouhaitaient la voir se consacrer à sesétudes.

Elle pleurait, elle se pressait contrelui, cherchant sa bouche, s’efforçant deglisser ses doigts entre les siens…

Il n’avait jamais été dupe del’explication de Nicole car, si sesparents la poussaient à rompre avec lui,c’était moins pour qu’elle puissepoursuivre ses études que parce qu’ils lejugeaient socialement indigne de leur

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fille.Dix ans après, et même s’il rechignait

à l’admettre, Nicole continuait del’attirer comme autrefois.

— Eh bien, assieds-toi, fit-il en luimontrant le fauteuil réservé auxvisiteurs.

Un silence gêné s’en suivit car si,depuis leur rupture, il avait connu biendes femmes, aucune n’avait pu lui faireoublier Nicole. Et se retrouver face àelle, après si longtemps, remuait en luides souvenirs brûlants.

— J’ai été désolée d’apprendre ledécès de ta mère, déclara Nicole, je saiscombien tu l’aimais.

Une mauvaise pneumonie avait en effetemporté Mme Mendoza trois ans

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auparavant et Miguel avait mis du tempsà se remettre de son deuil.

— Merci, dit-il. Et toi, comment vas-tu ? ajouta-t-il, autant par curiosité quepour changer de sujet.

— Oh ! très bien ! répondit Nicole.A son attitude embarrassée, il eut

l’intuition qu’elle voulait le consultersur une question importante.

— Tu n’es pas ici par hasard, n’est-cepas ? risqua-t-il.

— Non, admit-elle avec un soupir.Sa curiosité était d’autant plus vive

que, depuis dix ans, jamais Nicolen’avait tenté de rentrer en contact aveclui, pas même lorsqu’il se trouvait à RedRock pour les fêtes de Noël et qu’unpetit signe de sa part lui aurait fait

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plaisir, pas même au printemps dernier,quand l’ouragan qui s’était abattu surRed Rock avait failli causer la mort deJavier Mendoza, l’un de ses frères.

— Et qu’as-tu donc à me dire de siimportant ? s’enquit-il en s’efforçant derester impassible.

— Quelque chose de très délicat,répondit-elle en baissant la tête.

Un enfant !D’abord bouleversé à la pensée que

Nicole ait pu être enceinte de lui, dixans plus tôt, il ne tarda pas à se rendrecompte qu’il faisait fausse route.

Red Rock était une petite ville où ilétait difficile de garder un secret. Luis,son père, ses frères, Rafe, Marcos etJavier, ou sa demi-sœur Isabella

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n’auraient pas manqué de le tenir aucourant d’une éventuelle grossesse deson ex-petite amie.

— Je t’écoute, dit-il en fixant Nicolequi croisait nerveusement ses mains.

Elle poussa un soupir.— Mes parents ont décidé de vendre

Castleton Boots, alors que j’ai consacréle plus clair de mon temps à cetteentreprise et, à moins que je n’agissetrès vite, je risque de perdre monpatrimoine.

— Si je ne m’abuse, tu es l’uniquehéritière de tes parents, l’entreprisedevrait donc te revenir de droit, objecta-t-il.

Nicole eut un geste d’impuissance.— C’est ce que je croyais jusqu’à ce

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que mes parents ne m’imposent unultimatum. Si je ne satisfais pas à leursexigences, je perdrai le contrôle deCastleton Boots.

— Et quel est cet ultimatum ?demanda-t-il avec curiosité.

Nicole se mordit la lèvre.— J’ai besoin que tu m’aides,

Miguel ! Il serait trop injuste que mesparents aient une fois de plus le derniermot.

Lui, le champion des décisionsrapides, fut bien en peine d’interpréterles propos sibyllins de la jeune femme.

— Je ne demande pas mieux que det’aider, encore faudrait-il que je sachecomment ! répondit-il.

— En devenant mon mari, tout

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simplement. Epouse-moi, Mendoza !déclara Nicole avec véhémence.

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Miguel crut que Nicole plaisantaitmais l’intensité de son regard leconvainquit vite du contraire.

— As-tu perdu la tête ? lui demanda-t-il.

— Je suis sérieuse.Et, en effet, Nicole semblait être en

pleine possession de ses moyensDieu merci, il n’y avait pas de bébé

caché !

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— Pourquoi t’adresser à moi alorsqu’il y a sûrement, rien qu’à Red Rock,une vingtaine d’hommes disposés àt’épouser ? rétorqua-t-il.

Nicole haussa ses jolies épaules.— Mes prétendants déchanteraient

vite, une fois mis au courant de la naturede ce mariage, et puis mes parents necroiraient pas une seule seconde que jepuisse tomber amoureuse de quelqu’unen si peu de temps.

— Je comprends, dit-il en hochant latête.

— Tandis que toi, reprit Nicole, tu asvraiment été mon amoureux et mesparents seront moins enclins à douter dela réalité de mes sentiments.

— Tu penses décidément à tout,

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ironisa-t-il, désabusé par le cynismedont faisait preuve celle qu’il avait tantaimée autrefois.

— Comprends-moi, Miguel ! Si je neme marie pas très vite, mon père meretirera le contrôle de l’entreprise.

S’il était tenté de renvoyer l’héritièredes Castleton dans ses foyers, il ne puttoutefois s’y résoudre. Revoir Nicole luiprocurait un plaisir auquel il avait dumal à renoncer.

Après leur rupture, il avait espéré quela jeune femme finirait par revenir verslui, mais rien de tel ne s’était produit etil s’était résigné à vivre sans elle.

Pour une raison qui lui échappaitencore, les Castleton semblaient décidésà priver leur fille de son héritage si elle

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ne se mariait pas très vite.Peut-être considéraient-ils que Nicole

avait largement dépassé l’âge où laplupart des femmes sont non seulementmariées, mais aussi mères de familles ?

En épousant Nicole, il s’offrirait lasatisfaction de vivre avec celle quil’avait renié tout en montrant aux parentsde la jeune femme, comme à tous ceuxqui l’avaient jugé, à l’époque, indignede courtiser la « Petite Princesse » deRed Rock, qu’il n’était pas un simauvais parti que ça.

D’un autre côté, son cœur avait tropsaigné à cause de Nicole et il ne sesentait pas prêt à courir le moindrerisque avec elle.

— Si ma proposition te semble un peu

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abrupte, j’en suis désolée, déclarasoudain Nicole.

Abrupte, sa proposition l’était bel etbien, mais ce qui le choquait surtout, ouplutôt ce qui le blessait, était qu’ellefasse fi de leurs sentiments passés et nevoie dans ce mariage qu’un moyenpratique de conserver l’entreprisefamiliale.

— Ne crois-tu pas que tu aurais dûréfléchir davantage, il y a dix ans, avantde me rejeter comme tu l’as fait afin desatisfaire au désir de son père ?répliqua-t-il non sans perfidie.

— Je t’en supplie, Miguel ! Il n’y aque toi qui puisses m’aider aujourd’hui !

Il fut encore une fois tenté d’accepter,ne serait-ce que pour se venger du

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mépris que les Castleton lui avaienttémoigné à l’époque.

Quelle ne serait leur stupeur enapprenant que leur précieuse princesseallait devenir la femme d’un filsd’immigrés qui n’était ni médecin, niavocat ou trader, mais employé d’unefirme de disques new-yorkaise et que,pour couronner le tout, leur gendreambitionnait d’être patron d’un club ?

— A supposer que j’accepte, où seraitmon intérêt ? demanda-t-il sansconviction.

— Tu seras fort bien rémunéré,déclara Nicole en rejetant ses longscheveux en arrière.

Il éprouva l’envie furieuse de laprendre dans ses bras et de couvrir son

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cou gracile de doux baisers.— L’argent n’est pas tout dans la vie,

répondit-il.— Non, mais l’argent permet parfois

de concrétiser ses rêves. N’avais-tu pas,autrefois, le projet de devenir patrond’une boîte de nuit ?

S’il avait jusqu’à présent manqué demoyens financiers pour concrétiser sonrêve, il ne perdait pas espoir pourautant : un jour prochain, il serait à latête d’un établissement de premierordre.

— En effet, mais je m’étonne que tut’en souviennes, répondit-il.

— Tu m’en parlais si souvent, àl’époque, qu’il m’aurait été difficile del’oublier, répondit-elle. Et toi, j’espère

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que tu n’as pas oublié ta promesse dem’aider si un jour j’avais besoin de toi ?

Dix ans plus tôt, à l’issue de leurdernier rendez-vous, elle lui avaitannoncé qu’ils ne pourraient plus sevoir.

Pendant quelques secondes, sescertitudes avaient vacillé et, aujourd’huiencore, il en portait de douloureuxstigmates au fond du cœur.

A l’époque, il avait serré les dents ettout fait pour garder un visageinexpressif.

Nicole s’était précipitée dans sesbras, l’avait serré contre elle, avaitcherché sa bouche, ses lèvres, pour unultime baiser.

— Je t’aime, Miguel, je t’aimerai

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toujours ! lui avait-elle dit.Et lui, comme un imbécile, n’avait rien

trouvé de mieux que de l’assurer de sonamour et de son aide, le cas échéant.

— En effet, marmonna-t-il, je t’avaisassuré que tu pourrais toujours comptersur mon soutien.

— Eh bien, c’est maintenant que j’aibesoin de toi, Miguel, déclara Nicole enle fixant de son regard troublant, lemême que lorsqu’elle avait dix-sept anset que cette splendide brune le rendaitfou de passion.

— Quand je pense qu’il a suffi que tonpère te demande de rompre avec moipour que tu lui obéisses, fit-il observeravec amertume.

— S’il te plaît, Miguel ! implora

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Nicole.Elle l’avait quitté alors qu’ils avaient

tant à se donner l’un à l’autre et,aujourd’hui, elle revenait vers lui, nonpour lui déclarer qu’elle l’aimait etqu’elle regrettait d’avoir tout gâchéentre eux, mais par pure nécessitéfinancière, parce qu’elle craignait deperdre son entreprise adorée.

Sa décision fut prise instantanément.— Je ne veux pas d’un tel mariage,

pas dans ces conditions-là, répondit-il àNicole avec un soupçon de regret. Etpuis, as-tu pensé à la réaction de tonentourage si nous devenions mari etfemme ?

— Réfléchis quand même à maproposition, insista-t-elle, le regard

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suppliant.Il consulta brièvement sa montre.— J’ai une réunion mais, si tu veux,

nous pouvons nous revoir plus tard.Le visage de Nicole se détendit et, une

fois de plus, il fut subjugué par sa beautéet son charme.

— Veux-tu que nous dînionsensemble ?

Alors même qu’il s’était décidé à nepas accepter la proposition de Nicole, larevoir une dernière fois le tentait.

— D’accord, dit-il. A quel hôtel es-tudescendue ?

— Au Ritz Carlton, à Central ParkSouth, répondit-elle.

— Je passerai te prendre à 20 heures.Après lui avoir souri, Nicole

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s’éloigna et il la suivit des yeux jusqu’àce qu’elle ait franchi sa porte.

Une fois seul, il eut le sentimentd’avoir commis une erreur en acceptantde revoir la jeune femme.

Mais comment résister au sex-appealde Nicole Castleton ?

* * *

Délaissant les restaurants à la modequi pullulent à New York, Miguelchoisit, pour ses retrouvailles avecNicole, une petite trattoria près deCentral Park dont il appréciaitl’ambiance romantique.

En retrouvant Nicole à son hôtel, iln’avait tout d’abord pas su exactement

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comment se comporter avec elle mais,une fois qu’ils furent attablés dans uncoin tranquille du restaurant, leur gênese dissipa.

— Quel endroit merveilleux !s’exclama Nicole en savourantl’excellent repas arrosé de Chianti.

— N’est-ce pas ? répondit-il non sansfierté. Je l’ai connu par un ami.

— Ne serait-ce pas plutôt une amie ?reprit-elle en plissant malicieusementles yeux.

Rêvait-il ou bien était-ce du désirqu’il avait vu briller dans ce regard ?

Non, il devait se faire des illusions etsa méprise était sans doute due auxlumières tamisées du restaurant.

Lorsqu’on leur servit le café, ils en

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vinrent à égrener avec émotion leurssouvenirs de lycée.

— Te souviens-tu quand Bill Wigginsavait fait campagne pour être éludélégué de la classe ? demanda Nicole.

Comment aurait-il oublié ce grandgarçon, dégingandé et coiffé d’unStetson, qui s’était surnommé « CowboyBill » et avait placardé sur les murs dulycée des affiches appelant à voter pourlui ?

— Bien sûr, répondit-il avec unsourire. Bill avait même fait son entréeau lycée à cheval, en costume de shérifet pistolet au poing.

— Il avait fière allure, ce jour-là,renchérit Nicole, et j’aurais juré qu’ilremporterait les élections.

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— Et pourtant, il les a perdues, ce quiprouve qu’on ne peut jamais être sûr derien, constata-t-il en plongeant le regarddans celui de Nicole.

Que Bill Wiggins ait perdu lesélections lui importait peu, mais que sonhistoire d’amour avec Nicole se soitsoldée, au moment où il s’y attendait lemoins et par une rupture si cruelle,continuait de le tourmenter.

— Ne parlons plus du passé, déclara-t-elle en le regardant d’un air humble eten posant sa main près de la sienne.

— Tu as raison, répondit-il enremplissant leurs verres.

Etait-ce le vin qui le rendaitromantique ou bien le sourire de Nicole,ce merveilleux sourire, qui lui donnait

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envie de la prendre dans ses bras, de laserrer contre lui et de l’embrasser ?

A tout autre qu’elle, il aurait proposéde terminer la soirée chez lui mais,Nicole, c’était l’amour de sa jeunesse etsa présence à ses côtés suffisait à sonbonheur.

Bien sûr, il ne perdait pas non plus devue qu’elle était venue pour lui faire uneproposition qu’il ne devait ni ne pouvaitaccepter, au risque de mettre le doigtdans un engrenage fatal.

— Te souviens-tu du jour où le profde gym nous avait surpris en train denous enlacer à la mi-temps d’un matchde base-ball ? lui demanda Nicole enrougissant.

Il s’en souvenait si bien qu’il sentit

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son désir pour elle renaîtreinstantanément de ses cendres.

Ce matin-là, elle était venue leregarder disputer une partie de base-ballet, à la mi-temps, il l’avait rejointe dansla tribune et entraînée derrière lesgradins où ils avaient pu s’enlacer à leuraise.

Le prof les avait pris sur le fait, alorsque leurs lèvres étaient soudées l’une àl’autre et qu’ils s’embrassaient à perdrehaleine.

— J’ai eu une peur bleue que le profde gym nous dénonce ! se remémora-t-elle.

— Nous ne faisions pourtant rien demal…

— Tu veux rire ! Nous étions bel et

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bien sur le point de commettrel’irréparable !

Depuis leur rupture, jamais aucunefemme ne lui avait procuré dessensations aussi excitantes et sensuellesque ce qu’il avait éprouvé avec elle, cejour-là, derrière les gradins du stademais, autant par pudeur que par amour-propre, il préférait l’oublier.

— Désolé de vous interrompre,intervint le serveur en leur présentant lacarte des desserts.

— Autrefois, tu adorais les gâteaux auchocolat, fit-il remarquer à Nicole touten consultant la carte.

— Je n’ai pas changé, répondit-elleavec un sourire.

— Dans ce cas, nous prendrons du

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gâteau au chocolat, déclara-t-il auserveur.

Ce dernier s’inclina.— Il ne pourrait y avoir de meilleur

choix pour fêter un anniversaire demariage, constata le garçon en souriant.

Alors que Miguel allait protester,Nicole prit la parole.

— Nous avons été très liés, autrefois,répondit-elle au garçon, mais nous nesommes pas mariés.

Gêné, le garçon se confondit enexcuses et alla chercher leur dessert.

Nicole en profita pour regarderMiguel avec l’expression mutine qu’ilavait tant aimée autrefois.

— Même ce serveur nous prend pourun couple marié. Dans ces conditions, tu

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ne peux pas refuser de m’aider, vois-tu ?Tout à l’heure, avant de passer

prendre Nicole à son hôtel, il avait denouveau réfléchi à sa proposition, maiselle lui faisait bien trop d’effet pourqu’il accepte de se prêter à cettemascarade.

— Je veux bien t’aider mais je refusede devenir ton mari à des finsmercantiles.

— Il n’y a que toi sur qui je puissecompter, Miguel ! insista-t-elle.

Une profonde amertume l’envahit. Parsouci d’obéissance, Nicole avait mis finà leur histoire d’amour et bafoué leurspromesses de bonheur comme si celles-ci n’avaient rien signifié pour elle. Et,une fois la rupture consommée, elle

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avait repris sa vie rangée sans plus sepréoccuper de ce qu’il pouvait biendevenir.

— Si tu n’avais pas eu besoin de moi,aurais-tu pris la peine de me revoir ? luidemanda-t-il de but en blanc.

— Je ne t’ai jamais oublié et, quand jet’ai quitté, j’ai beaucoup souffert, figure-toi, répondit-elle.

— Alors pourquoi ces dix années desilence ? J’existais, tu savais où mejoindre, le cas échéant, mais je n’ai reçuni appel ni lettre de toi.

— J’avais honte de moi, bredouilla-t-elle, mais je n’ai cessé de penser à toidepuis lors, Miguel, je te le jure.

Il se hérissa.— Honte de toi ? De m’avoir

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abandonné du jour au lendemain ?— Ne remue pas le couteau dans la

plaie ! Si j’ai rompu, à l’époque, c’étaità cause de mes parents, protesta-t-elle.

— Rien ne t’obligeait à leur obéiraveuglément.

— J’avais dix-sept ans, Miguel !Qu’aurais-je pu faire d’autre ? Mesparents avaient eu du mal à m’avoir et, àleurs yeux, je représentais ce qu’ilsavaient de plus cher au monde. Quandils m’ont demandé de renoncer à toi, j’aihésité, mais j’avais si peur de leur fairede la peine en me rebellant contre euxque j’ai fini par obéir.

Nicole marqua une pause et le regardad’un air suppliant.

— Il faut que tu me croies, Miguel.

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J’aurais bien voulu rester avec toi mais,à l’époque, c’était impossible et c’estseulement plus tard que j’ai compris àquel point mon attitude envers toi avaitété cruelle.

— C’est le moins qu’on puisse dire,marmonna-t-il en hochant la tête.

— Mes parents contrôlaient mes faitset gestes, à l’époque, insista Nicole.

Il haussa les épaules, agacé par sonattitude.

— Et aujourd’hui ça n’est plus le cas ?Elle le fusilla du regard mais il prit le

parti de sourire et de remplir leursverres.

— Tu m’en veux, n’est-ce pas ?demanda-t-elle.

A l’époque, il avait espéré que cette

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rupture serait provisoire et que Nicolelui reviendrait un jour.

Pourtant elle n’était jamais revenue etcette trahison lui pesait encore sur lecœur.

Dévasté, il était allé passer sesvacances d’été dans l’hôtel du frère desa mère à Sueños del Sol, sur la côte duYucatan et, peu à peu, il en avait prisson parti. Il s’était même cru assez fortpour continuer à vivre sans elle — àcondition toutefois de ne pas retourner àRed Rock où il risquait de la croiser.

Ses parents avaient bien voulu lelaisser terminer ses études à Mexico,loin du Texas et de Red Rock, et cetéloignement lui avait permis de panserses plaies et de hâter sa guérison.

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Dix ans après, se retrouver assis faceà une Nicole encore plus bellequ’autrefois, dans l’ambiance feutrée decette trattoria, menaçait dangereusementde rouvrir ses blessures.

— Je te crois, dit-il moins parconviction profonde que parce qu’il étaitému, malgré tout, par la sincérité deNicole.

— J’ai besoin de toi, Miguel, répéta-t-elle en le fixant dans les yeux.

Il avait promis autrefois à Nicole del’aider quoi qu’il arrive, mais la penséede se prêter à une mascarade etd’affronter une fois de plus le méprisdes parents de Nicole avaient de quoi lerefroidir.

— Si tu acceptes de m’épouser, je suis

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prête à te verser cent mille dollars,insista-t-elle.

Avec cet argent, il serait en mesured’ouvrir son club mais était-il prêt àtrahir ses résolutions pour autant ?

— Ton offre est alléchante mais,désolé, je ne peux pas l’accepter,asséna-t-il.

Il s’attendait certes à une réaction dela part de Nicole, pourtant la voirsoudain si pâle l’emplit de remords.

— Je comprends, murmura-t-elle d’unton désabusé.

Le serveur apporta le gâteau auchocolat puis s’éloigna, sans que Nicoleait repris des couleurs.

— Je… Je crois que je me vais mepasser de dessert, ce soir, déclara-t-elle

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en posant sa serviette sur la nappe àcarreaux. Si tu veux bien m’excuser, jevais regagner mon hôtel.

Elle se leva, plus pâle que jamais, et ilremarqua que si, autrefois, Nicole avaitrompu avec lui sans chercher às’opposer à la décision de ses parents,elle ne se battait pas davantageaujourd’hui pour le convaincre del’épouser.

En un sens, il aurait dû s’en réjouirpuisqu’il avait décidé de ne pasaccepter son offre, mais il ressentitsoudain une sorte de pitié pour celle qui,une fois de plus, se contentait de subirles événements sans chercher à lesdominer.

Devrait-il pour autant revenir sur sa

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décision et, par nostalgie et fidélité à sapromesse d’autrefois, accepterd’épouser Nicole ?

Non.Même pour faire plaisir à celle qu’il

avait jadis aimée, qu’il aimait peut-êtremême toujours aujourd’hui au point dene pas avoir eu de relation sentimentalesérieuse avec une autre, il ne renonceraitpas à New York et à un métier qui luiapportait bien des satisfactions.

— Adieu, Miguel ! lui lança Nicole ense dirigeant vers la sortie.

La gorge trop serrée pour répondre, illa regarda partir et ce fut quand elle eutdisparu de son champ de vision qu’ilcomprit à quel point il tenait encore àelle.

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* * *

De retour dans sa luxueuse suite duRitz, Nicole ne parvint pas à trouver lesommeil.

Elle avait prévu de passer plusieursjours à New York, afin que ses parentscroient à sa romance avec Miguel mais,puisque ce dernier refusait de l’épouser,elle n’avait plus aucune raison des’attarder dans cette mégapole bruyante.

Le lendemain matin, elle appela lacompagnie aérienne et fit changer la datede son billet de retour.

Dans le vol qui la ramenait à RedRock, elle repensa une fois de plus àMiguel, l’homme providentiel sur quielle avait tant compté pour sortir d’une

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situation inextricable et qui lui avaitrefusé son concours.

Ces dix années n’avaient pas altéré saprestance ni sa beauté et, en le revoyant,elle avait eu tout simplement envie de seblottir dans ses bras et d’enfouir sesdoigts dans sa chevelure bouclée.

Qu’un homme aussi séduisant soitencore célibataire ne manquait pas del’étonner car, à première vue, Miguelvivait seul.

Du moins l’espérait-elle, carl’imaginer faisant la cour à d’autresfemmes la mettait dans tous ses états.

Miguel…Alors qu’il portait autrefois des jeans,

il s’habillait désormais avec rechercheet elle sourit en imaginant la réaction de

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ses parents s’ils découvraient quel’adolescent rebelle d’autrefois avaitdésormais l’allure d’un hommed’affaires.

Aurait-elle dû mieux s’expliquer hiersoir, insister sur l’urgence qu’il y avaitpour elle de se marier afin de conserverle contrôle de l’entreprise mais aussi surle plaisir qu’elle éprouvait à renoueravec lui qu’elle avait tant aimé jadis ?

Quoi qu’il en soit, les dés étaient jetéset, de toutes les façons, Miguel n’auraitsans doute pas supporté de revoir AndyCastleton.

* * *

Le lendemain, alors qu’elle s’habillait

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pour se rendre à son bureau, elle fut bienforcée d’admettre qu’elle n’était pasplus avancée qu’avant son voyage àNew York.

Si elle ne se mariait pas très vite, elleperdrait le contrôle de l’entreprisefamiliale pour la simple raison que sesparents ne toléraient pas que leur fille devingt-sept ans vive seule et manifestevis-à-vis d’eux des velléitésd’indépendance.

Sur le trajet, elle ne put s’empêcher deressasser des pensées moroses.

N’aurait-elle pas mieux fait de passeroutre les interdits familiaux et d’épouserMiguel, dix ans auparavant ?

Au moins aurait-elle eu une chanced’être heureuse tandis qu’aujourd’hui…

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L’ascenseur la déposa au cinquième etdernier étage de l’immeuble, où setrouvaient son bureau et celui de sonpère. Diana Solares, sa secrétaire, étaitdéjà à son poste, et elle ne manqua pasde la saluer chaleureusement.

— Nous ne vous attendions pas desitôt, déclara-t-elle en souriant.

Diana était une fille adorable aveclaquelle elle s’entendait fort bien et quisemblait sincèrement attachée à elle.

— J’ai été retenue moins longtempsque prévu à New York et, comme leTexas me manquait, je me suis décidée àrevenir, prétendit-elle.

— J’espère que tout s’est passé selonvos vœux ?

— On ne pourrait rêver mieux,

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répondit-elle avec ironie, tout enpoussant la porte de son bureau.

Elle avait opté pour des murs blancssur lesquels étaient exposées lesphotographies des plus jolis modèles debottes Castleton mais, pour une fois, ellene leur prêta qu’une attention distraite.

Pouvait-elle en vouloir à Migueld’avoir refusé de l’aider ?

Après la façon dont elle l’avait rejeté,dix ans auparavant, pourquoi aurait-ilsacrifié sa vie et sa carrière pour elle ?

Avec un soupir, elle entreprit decompulser la pile de messages classés àson intention par sa fidèle secrétaire,quand une voix masculine la fitsursauter.

— Hello ! Déjà de retour ? demanda

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son père en passant la tête dansl’entrebâillement de la porte decommunication entre leurs bureaux.

— Eh oui ! répondit-elle en levant latête.

— J’espérais que tu profiterais de tonséjour à New York pour aller auspectacle ou faire du shopping,poursuivit son père. Ce sont tout demême des distractions qui nous fontdéfaut, ici.

— J’avais hâte de me remettre autravail, répondit-elle.

Elle ne pouvait quand même pasdonner à son père les véritables raisonsde son voyage à New York, et de sonretour précipité !

— Tu devrais t’accorder davantage de

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loisirs, reprit son père. Profiter de lavie, de ta jeunesse ! Ta mère et moi,nous nous inquiétons de te voir passerautant de temps au bureau, et puispermets-moi de te dire que tu as les yeuxcernés ce matin.

— Papa, s’il te plaît ! protesta-t-elle.— Qu’ai-je donc dit de mal ?

demanda son père.— Je commence à en avoir assez de

me sentir surveillée en permanence. Aucas où tu ne l’aurais pas remarqué, jesuis une adulte, plus une enfant.

— Pour ta mère et pour moi, turesteras toujours notre petite fille chérie.C’est d’ailleurs pour cela que nous noussoucions de ton avenir, rétorqua sonpère.

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Son avenir !Connaissant Andy, il s’agissait à coup

sûr de ce fichu mariage.— Sache que j’épouserai qui bon me

semblera, et quand je l’aurai décidé,décréta-t-elle.

Son père poussa un long soupir.— Bien sûr, ma chérie mais, jusqu’à

présent, tu as évincé tous tesprétendants, alors même que la plupartd’entre eux étaient de beaux partis.

— Ah oui ? Alors cites-en un !— Eh bien, le Dr Peter Wellington,

par exemple. Vous vous êtes vus troisfois et j’ai appris que, par la suite, tuavais refusé de lui répondre quand ilt’appelait au bureau.

— Le Dr Wellington, ton copain de

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golf ? Mais il a vingt ans de plus quemoi !

— Peut-être, mais il est chirurgien.— Et aussi intéressant qu’une tranche

de poisson sans sel, rétorqua-t-elle nonsans humour.

— Bon, bon ! déclara son père avecirritation, et qu’en est-il de DavidVandergrift, ce charmant garçon diplôméde l’université de Stanford que noust’avons fait rencontrer, ta mère et moi, àla soirée des Johnson ?

— Il manque à ce point d’humour qu’ila tout de l’éteignoir, répondit-elle.

Son père poussa un nouveau soupir.— Dans ce cas, Gordon Boswell

aurait dû te plaire. Il adore les blagues.Cette fois-ci, c’en était décidément

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trop et elle regarda son père aveccolère.

— Ce type vulgaire qui s’habillecomme un clown de rodéo ? Non merci !Quand je pense que vous envisagez devendre Castleton Boots alors que j’aiconsacré toute ma vie à cette satanéeentreprise !

— N’oublie pas que c’est pour toi, mapetite fille, que j’ai développéCastleton Boots.

— Pour moi ? Alors que tu envisagesde me déshériter si jamais je n’épousepas le premier venu ? s’indigna-t-elle.

— Pas le premier venu, ma chérie,mais un bon parti, quelqu’un de notremilieu qui saura te rendre heureuse etnous donner enfin des petits petits-

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enfants, répondit son père.— Et si je décidais de ne pas me

marier ?— Alors je chercherai un repreneur

pour notre entreprise, mais rassure-toi turesteras actionnaire majoritaire et tun’auras aucun souci à te faire d’un pointde vue financier.

— Peu importe l’argent, papa ! Ce quiest grave, c’est que tu envisages de medéposséder de cette entreprise à laquellej’ai consacré mes meilleures années.

— Pas te déposséder, ma chérie, maist’inciter à te marier et à avoir desenfants avant d’être atteinte par la limited’âge, vitupéra son père de sa voixpuissante. Pense à ton horlogebiologique, ma chérie. Quand tu es née,

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ta mère et moi, nous avions déjà dépasséla quarantaine et…

— Je sais, papa, je sais ! le coupa-t-elle.

Avec leurs cheveux grisonnants, sesparents ressemblaient davantage à desgrands-parents et, plus d’une fois quandelle était jeune, elle avait été en butteaux moqueries de ses camaradesd’école.

Ces humiliations lui étaient restées entravers de la gorge.

— Tu sais combien nous t’aimons, tamère et moi, ma chérie.

Elle le savait si bien que c’était enpartie pour ne pas peiner ses parentsqu’elle avait rompu avec Miguel, dixans plus tôt.

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— Nous ne voulons pas que tusacrifies ta vie privée pour assurer laprospérité de l’entreprise, reprit sonpère de cette voix têtue qu’elleconnaissait bien. Pense à ce que nousressentirions si, par la suite, tu nousreprochais de ne pas t’avoir aidée àtrouver un mari ?

Alors qu’elle allait vertementrépondre à son père qu’à cause d’eux,justement, elle avait sans doute perdu àjamais l’occasion d’être heureuse, unevoix puissante retentit dans son dos.

— Ne vous inquiétez pour l’avenir devotre fille, monsieur Castleton. Dansquelques jours, nous serons mariés,Nicole et moi.

Le cœur battant à rompre, elle se

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retourna vers Miguel Mendoza.

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Lui ici… ?Nicole n’en menait pas large du tout.Et, pour couronner le tout, Miguel lui

souriait d’un air béat, un magnifiquebouquet de fleurs dans sa main droite.

Jamais il n’avait été plus beau et, enune fraction de seconde, elle eutl’impression de se retrouver pour lapremière fois face à celui qu’elle avaitd’abord appelé « Mendoza » tout court,

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comme pour mieux cacher le fait qu’illui plaisait et qu’elle s’en voulait desuccomber aussi vite à son charme.

— Hello, Nicole ! déclara Miguelsans cesser de sourire.

— Hello, répondit-elle d’une voixrauque.

A l’évidence, il avait réfléchi à saproposition de l’autre soir et, s’il étaitde retour à Red Rock, c’était qu’ilacceptait de l’épouser en échange descent mille dollars qu’elle lui avaitpromis.

Elle aurait dû se sentir soulagée etpourtant elle éprouva surtout unsentiment de tristesse en songeant queMiguel n’était pas revenu pour elle,mais parce qu’il avait, à l’évidence,

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besoin de ces cent mille dollars.Tant pis !L’essentiel, c’était que son père soit

persuadé du bien-fondé de leur mariageet, ne serait-ce que pour ça, elle sesentait déjà redevable envers son ancienamoureux.

Avant qu’elle ait eu la présenced’esprit de se lever, Miguels’approchait d’elle et déposait un baisersur sa joue.

— Désolé d’être en retard, dit-il en luitendant le bouquet, mais j’ai dû faire laqueue devant l’agence de location devoitures à l’aéroport.

— Voyons, Nicole, voudrais-tum’expliquer ce qui… ? commença sonpère.

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Encore sous le choc, elle ne puts’empêcher d’admirer les fleurs deMiguel, les premières qu’un homme luioffrait.

Et elle avait vingt-sept ans !— Elles… Je les trouve très belles,

murmura-t-elle enfin.Alors que mille questions fusaient

dans son esprit survolté, Miguels’avança résolument vers son père.

— Quel plaisir de vous revoir,monsieur Castleton ! déclara-t-il ensouriant.

Elle croisa les doigts en priant pourqu’une dispute n’éclate pas entre lesdeux hommes.

— Désolé, mais je ne parviens pas àme souvenir de vous, répondit son père

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en serrant la main que Miguel lui tendait.A soixante-quinze ans, Andy Castleton

était sujet à des défaillances demémoire. Qu’il ne se souvienne plus deMiguel n’avait en soi rien de choquant,d’autant que ce dernier avaitradicalement changé de stylevestimentaire.

— Je suis Miguel Mendoza, répondit-il sans cesser de sourire.

— Je ne vois toujours pas, répliquaAndy Castleton.

Nicole connaissait suffisamment sonpère pour sentir qu’il mentait et qu’enentendant le nom de Miguel Mendoza lamémoire lui était revenue, mais elle segarda bien du moindre commentaire.

Miguel se tourna vers elle avec une

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feinte surprise.— Comment, ma chérie, tu n’as pas

encore parlé de nos projets à ton père ?— Je… l’occasion ne s’était pas

encore présentée, répondit-elle,embarrassée.

Incapable de rester assise pluslongtemps tant sa nervosité était grande,elle se leva et vint se placer entreMiguel et son père.

— Papa, dit-elle après s’être éclaircila voix, je te présente Miguel, un amid’autrefois avec lequel j’ai renoué surFacebook, il y a quelque temps déjà.Pendant que j’étais à New York nousnous sommes revus et nous avons décidéque…

Trop émue pour poursuivre, elle quêta

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l’aide de Miguel du regard.— Nicole veut dire que nous avons eu

beaucoup de plaisir à nous retrouver.Vous savez comment vont les choses,monsieur Castleton.

Son père se raidit.— Dites-moi, Mendoza, à quoi rime

ce mariage avec ma fille ?— Mais à rien, monsieur Castleton,

répondit Miguel, sinon à nous rendreheureux, votre fille et moi-même.

Elle frémit : son avenir à la tête del’entreprise était en jeu.

— Vous teniez tant à me voir casée,maman et toi, que j’ai décidé d’épouserMiguel, renchérit-elle.

Miguel lui prit tendrement la main.— Nicole et moi, nous nous aimons,

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expliqua-t-il à son père, et la meilleurepreuve de nos sentiments, c’est que nousn’avons pas voulu attendre pluslongtemps pour nous marier.

Et il eut à ce moment-là une façoncharmante de la dévorer du regard,comme si elle était la septièmemerveille du monde.

— Au fait, chérie, j’ai réservé unetable chez Red, ce soir. J’espère que tues aussi affamée que je le suis.

Miguel interprétait si bien son rôle defutur mari que, lorsqu’elle scruta levisage de son père, Nicole vit qu’ilcommençait à admettre la possibilité dece mariage.

— Es-tu prête à partir ? insista-t-il.Andy Castleton se tourna vers elle et

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lui fit les gros yeux, comme quand elleétait petite fille.

— Voyons, Nicole, tu ne vas pas déjàquitter l’entreprise alors que tu viens àpeine d’arriver ?

Elle aurait été bien sotte de laisseréchapper une si belle occasion de réglerses comptes avec un père tyrannique.

— Voyons, papa, n’est-ce pas toi quiviens de me recommander de mieuxéquilibrer ma vie privée et ma vieprofessionnelle ? susurra-t-elle.

Devant l’expression incrédule de sonpère, elle lui adressa un sourireempreint d’ironie et sortit du bureauavec celui qui se proclamait déjà sonfutur mari.

Devant l’ascenseur, elle laissa libre

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cours à sa gaieté.— As-tu vu la tête que faisait mon

père ? Jamais je n’aurais pensé qu’ilperdrait ses moyens à ce point !

— Ce cher Andy était désarçonné, çane fait aucun doute, répondit Miguel ens’engouffrant à sa suite dans la cabine.

Quand les portes de l’ascenseur serefermèrent sur eux, elle lâcha son braspuisqu’ils étaient seuls et que jouer lacomédie était superflu.

— Cela dit, pour parler franchement,moi aussi je me sens désarçonnée, fit-elle remarquer.

— Et pourquoi donc ? N’ai-je pas étéun futur époux convaincant ? s’étonnaMiguel.

— A New York, tu m’avais clairement

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fait comprendre que ma proposition net’intéressait pas, et voilà que tudébarques à l’improviste dans monbureau…

— Il faut croire que j’ai changéd’avis, répondit-il.

— L’argent ? demanda-t-elle d’un tonà la fois résigné et attristé.

— Eh oui, l’argent.Elle aurait dû apprécier sa franchise

mais regrettait le Miguel qui faisaitpasser l’amour avant tout.

Elle avait beau se dire qu’avec lesannées il était normal qu’il soit devenuambitieux, elle admettait difficilementque le jeune homme romantique d’antanait pu se métamorphoser en loup auxdents longues.

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Une fois qu’ils furent au rez-de-chaussée, Miguel l’entraîna vers leparking et elle jeta un coup d’œil à samontre.

— Il est à peine 17 heures, dit-elle. Unpeu tôt pour aller dîner, tu ne crois pas ?

— Dans ce cas, faisons un tour enville avant de nous rendre au Red,suggéra-t-il. Plus les gens nous verrontensemble et plus vite ils serontconvaincus que nous avons réellementl’intention de nous marier.

— Très bien, dit-elle.Sans doute s’était-elle exprimée avec

une certaine tristesse car Miguel laregarda d’un air étonné.

— Qu’y a-t-il ? Te marier avec moiest bien ce que tu voulais, non ? lui

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demanda-t-il.— Oui, répondit-elle en cachant sa

déception.Si Miguel revenait vers elle, c’était

par intérêt et non parce qu’il éprouvaitla nostalgie de leurs amours d’antan et àpeine seraient-ils mariés qu’ilsentameraient la procédure du divorce.

Elle eut envie de se retrouver seuleafin de faire le point sur ses sentimentsconfus.

— Comme je me sens un peu fatiguée,plutôt que d’aller en ville, je préfèreretourner me reposer chez moi avant ledîner. Tu ne m’en veux pas ?

— Non, pourquoi je t’en voudrais ?répondit Miguel. Veux-tu que je passe teprendre à 18 h 30 ?

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— Ça serait parfait, répondit-elle.— J’aurais besoin de connaître ton

adresse, en revanche.Où avait-elle la tête ?— Appartement 22 à Fairway Estate,

une résidence proche du Country Club,expliqua-t-elle. J’avertirai le gardien deta venue afin qu’il te laisse entrer.

— Alors à tout à l’heure, conclut-ilavant de se diriger vers sa voiture.

Tout en suivant sa silhouette et sondéhanchement viril du regard, elle ne puts’empêcher de ruminer.

Dire qu’elle allait le payer pour qu’ildevienne son mari, alors que, dix ansauparavant, ils s’aimaient d’un amourtotalement désintéressé !

Et ce bonheur qui s’était trouvé alors à

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portée de main, elle l’avait stupidementgâché en se pliant au chantage de sesparents.

Tandis que Miguel s’éloignait auvolant de sa voiture de location, elle eutun subit accès de cafard et grimpa à sontour dans sa Lexus rouge.

Savoir exactement ce qui avait pousséMiguel vers elle ne l’avancerait à rien etle mieux à faire était de profiter aumieux de l’occasion qui lui était offertede renouer avec lui car, après leurdivorce, ils n’auraient sans doute plusjamais l’occasion de se revoir.

* * *

Miguel se gara à 18 h 30 précises

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devant le domicile de Nicole, unsplendide duplex avec vue sur le lac etle terrain de golf.

— Entre, dit Nicole en lui ouvrant laporte.

L’appartement était meublé avec goûtet la décoration avait dû coûter cher, cequi, compte tenu des moyens financiersdes Castleton, n’était pas pour l’étonner.

Quand Nicole avait rompu avec lui,dix ans plus tôt, il avait eu tant de mal àsurmonter son chagrin que, pour oublier,il avait décidé de prendre ses études enmain et, à force d’acharnement, il avaitobtenu un diplôme en gestion d’affairesà l’université de Mexico.

Ses parents — bien moins riches queles Castleton — l’avaient aidé au prix

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de gros sacrifices financiers, tandis queNicole n’avait jamais été confrontée àce genre de difficulté.

— Tu aimes ? lui demanda Nicole.— C’est vraiment bien, répondit-il

froidement.— Puis-je t’offrir quelque chose à

boire ?Moulée dans une robe fourreau, ses

cheveux tirés en arrière et ses oreillesornées de boucles en diamant, jamaiselle n’avait été plus belle.

— Non merci, dit-il, pressé de quittercet appartement qui lui semblait presquetrop luxueux mais qui, surtout, portaitl’empreinte de la femme qu’il n’avaitjamais oubliée.

Qu’il le veuille ou non, il lui faudrait

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du temps pour faire la part des choses etsavoir si ce qu’il ressentait de nouveaupour elle était du simple désir ou bienquelque chose qui s’apparentait auxprofonds sentiments d’autrefois.

— Veux-tu t’asseoir ? demandaNicole en lui désignant un grand canapéde cuir blanc.

— Non, je préfère que nous partionstout de suite, répondit-il. Montrons-nousen public afin que les gens de Red Rocks’habituent à nous voir en couple.

Nicole hocha la tête.— D’accord mais, cette fois-ci,

accordons nos violons. Tout à l’heure, sije n’avais pas eu la présence d’esprit deraconter à mon père que nous nousétions retrouvés sur Facebook, il aurait

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eu des soupçons.— Tu as raison, dit-il d’un air contrit.

Désormais, nous raconterons à tous ceuxqui pourraient nous poser des questionsque nos retrouvailles à New York sesont conclues par un nouveau coup defoudre entre nous.

— Oui, un coup de foudre, c’est bienle mot, dit-elle avec une certaineamertume qui faisait la part belle aupassé, quand tout était si simple entreMiguel et elle.

* * *

Après un court trajet en voiture,Miguel se gara devant le Red, uneancienne hacienda transformée en

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restaurant par son oncle et sa tante, Joséet Maria Mendoza.

— J’ai toujours adoré cet endroit,avoua Nicole, mais il y a une éternitéque je n’y étais pas allée.

Dix ans plus tôt, quand tous deuxfréquentaient encore le lycée, il l’y avaitemmenée un soir, autant pour la qualitédes mets que pour lui présenter certainsmembres de sa famille.

Nicole avait été ravie de dîner auxchandelles avec lui et, plus tard, sur lechemin du retour, ils avaient fait unehalte dans un sous-bois inondé par laclarté de la lune et elle s’était donnée àlui avec toute la fougue de sa jeunesse.

Jamais il n’avait oublié ses plaintesrauques quand elle était devenue sienne

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et l’assurait qu’il n’y aurait jamaisd’autre homme dans sa vie.

Nicole avait-elle, par la suite, évité leRed parce que le propriétaire était unMendoza et que ce nom lui rappelait sonfaux pas de jeunesse ? Il faudraitpourtant qu’elle s’y réhabitue puisquec’était le nom qu’elle porterait une foismariée avec lui.

— Le Red draine une clientèled’habitués et je crois que mes oncle ettante sont satisfaits.

— Le restaurant n’avait-il pas brûlé, ily a quelques années de ça ? demanda-t-elle après une légère hésitation.

Quatre ans auparavant, un incendieavait réduit le Red en cendres,heureusement sans faire de victimes, et

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l’enquête de police avait conclu àl’action d’un pyromane.

— En effet, répondit-il, mais grâce àla solidarité familiale, mon oncle et matante ont pu reconstruire les lieux àl’identique.

Devant l’entrée décorée de cornes detaureau, il s’effaça pour laisser passerNicole.

Lola Martinez, l’hôtesse d’accueil,s’approcha d’eux en souriant.

— Mijo ! Quel plaisir de te revoir !lui dit-elle. Ton frère Marcos m’a ditque tu venais dîner ce soir avec tafiancée et nous vous avons réservé unetable dans le jardin.

Tout à l’heure, au téléphone, son frèrel’avait félicité en apprenant la nouvelle

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de son prochain mariage avec Nicole,mais Miguel s’était bien gardé de luiconfier qu’il s’agissait en fait d’unetransaction financière.

Avec l’argent que lui verserait Nicole,il ouvrirait un club à Red Rock, puis uneautre à San Antonio, toujours au Texas,son intention étant de quitterdéfinitivement New York pour tentercette nouvelle aventure.

— Suivez-moi ! leur dit Lola en lesguidant à travers la salle principalejusqu’à un élégant patio donnant sur unjardin fleuri.

Ils s’assirent à une table éclairée parune bougie et, peu après, un orchestre demariachis vint jouer pour eux une valsemexicaine.

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— J’avais oublié à quel point le cadrede ce restaurant était romantique !s’exclama Nicole.

— Et, moi, je n’ai jamais oublié tabeauté, répondit-il.

Elle rougit et posa sa main sur lasienne.

— Merci d’être venu à Red Rock,Miguel, et merci surtout d’avoir suconvaincre mon père, tout à l’heure, quenos fiançailles étaient sérieuses.

— C’est la moindre des choses, dit-ilen taisant son désir de revanche surAndy Castleton, qu’il tenait pourresponsable de leur rupture.

— Bienvenue au Red ! déclara lecommis en déposant sur leur table unepanière de tortillas fraîchement cuites,

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un grand bol de salsa fresca, ainsi quedes verres d’eau minérale agrémentée defines tranches de citron.

Un serveur déférent prit la suite.— Mon nom est Tom. Puis-je vous

apporter des apéritifs ?Miguel faillit commander une bière

mais changea d’avis et se tourna versNicole.

— N’avons-nous pas quelque chosed’important à célébrer ce soir, machérie ?

— En effet, répondit-elle enrougissant.

— Alors, dit-il à l’intention duserveur, apportez-nous du champagne, etdu meilleur.

Nicole était visiblement émue et il en

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déduisit qu’elle pensait à l’enjeu quereprésentait pour elle le contrôle del’entreprise.

Leur serveur s’était déjà éclipsé pouraller chercher le champagne quand lefrère de Miguel, Marcos, s’approcha àson tour.

— Quel plaisir de vous revoir au Redaprès si longtemps, Nicole, déclara-t-ilen s’inclinant devant elle avecdéférence.

— Un plaisir partagé, répondit-elle enlui serrant la main.

Miguel se sentait très proche deMarcos qui avait deux ans de plus quelui et à qui il ressemblait beaucoup, tantmoralement que physiquement.

Dix ans plus tôt, alors qu’il avait le

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cœur en miettes d’avoir été quitté parNicole, son frère avait pris soin de lui,l’avait consolé, encouragé, et Miguel luiétait à jamais reconnaissant de l’avoirautant soutenu à un moment crucial deson existence.

A vingt-neuf ans, Marcos gérait le Redavec succès pour le compte de leursoncle et tante mais, tout comme Miguel,il ambitionnait d’ouvrir un jour sonpropre établissement.

— Toutes mes félicitations pour votreprochain mariage, ajouta Marcos, autantà son intention qu’à celle de Nicole.

Tout en remerciant son frère, Miguels’en voulait de tromper sa confiancemais qu’y pouvait-il ? N’était-ce pasNicole en personne qui était venue le

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trouver à New York pour lui proposerce simulacre de mariage ?

— J’espère que vous serez aussiheureux ensemble que nous le sommes,Wendy et moi, ajouta Marcos.

Un an auparavant, il avait épousé uneFortune d’Atlanta et tous deux avaienteu, depuis, une ravissante fillette,MaryAnne, qui faisait leur joie et leurfierté.

— Je l’espère aussi, répondit Nicole,visiblement embarrassée.

Impulsivement, Miguel prit sa maindans la sienne.

— Tout ira bien, lui dit-il.Son trouble et celui de Nicole

n’avaient pas échappé à Marcos, et sonfrère le scruta d’un regard pensif.

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— J’ai été surpris d’apprendre quevous aviez décidé de vous marier sivite, reprit Marcos, mais je me suissouvenu combien votre relation avait étépassionnée, à l’époque où vous alliezencore au lycée.

— C’est vrai, répondit-il.Tout comme le fait qu’il n’aurait

jamais envisagé une seconde être un jourtrahi par Nicole.

Depuis lors, il s’était juré qu’aucunefemme ne le ferait plus souffrir.

Marcos lui sourit.— Tu ne peux pas savoir comme je

suis heureux que vous soyez de nouveauensemble, Nicole et toi. Vous deviezvous languir l’un de l’autre.

— Oui, et c’est d’ailleurs ce qui

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explique que nous ayons décidé de nousmarier si vite, répondit-ilopportunément.

— Vous auriez pu attendre un peu, letemps de trouver vos marques et derefaire connaissance l’un avec l’autre,suggéra Marcos.

— Nicole tient à ce que ce mariage sefasse rapidement et moi aussi, je doisdire, répondit-il d’un ton sans réplique.

A sa grande surprise, Nicole pâlit.— Excusez-moi, fit-elle en détournant

les yeux et en s’essuyant les lèvres avecsa serviette.

Pourquoi réagissait-elle ainsi ?N’était-ce pas elle qui désirait se marierau plus tôt ?

Il reprit la main de Nicole dans la

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sienne et la serra avec force.— Tu ne sembles pas être dans ton

assiette. Que se passe-t-il donc ?— Rien de grave, répondit Nicole en

s’efforçant de sourire.Mais quand il chercha son regard, elle

détourna la tête.Pourquoi Nicole paraissait-elle aussi

mal à l’aise ? Le but de ce mariagen’était-il pas d’éviter que son père cèdel’entreprise à un tiers ?

— Et à quand est fixé le grand jour ?s’enquit Marcos.

— Il faut le demander à Nicole,répondit-il avec prudence.

— Nous ne le savons pas encore,déclara-t-elle. Très bientôt, sans doute.

Très bientôt ? L’imprécision de

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Nicole confirmait ses soupçons, mais ileut beau se creuser la cervelle, ildécouvrit pas ce qui pouvait l’inciter àtergiverser ainsi.

Deux jours auparavant, elle avait prisla peine de venir le voir à New Yorkpour le supplier de l’épouser et il avaitl’impression, à présent, qu’elle regrettaitl’imminence de leur mariage.

Etait-ce le fait de devenir légalementsa femme et de s’appeler Mendoza quila faisait hésiter ?

Alors qu’il continuait de s’interroger,Nicole reprit la parole.

— Obtenir notre licence demandera aumoins soixante-douze heures, fit-elle àl’adresse de Marcos, comme si elle sesentait tenue de justifier ses hésitations.

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Il restera ensuite de nombreux détails àrégler mais, si tout va bien, nouspourrions nous marier dans une semaine.

— Aussi vite ? Ma foi, il est vrai quevous vous connaissez depuis plus de dixans, admit Marcos.

Tandis que le serveur, enfin de retour,versait du champagne dans leurs coupes,Marcos s’inclina devant Nicole puis setourna vers Miguel :

— Vous voudrez bien m’excuser, maisje dois m’occuper des autres clients, luidit-il.

— Je vous en prie, répondit Nicole.— Bien sûr, fit Miguel en écho.Une fois seul avec Nicole, il leva son

verre et porta un toast.— A nos amours de jeunesse et au

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succès de nos ambitions respectives.— A nos amours de jeunesse, fit

Nicole en écho.Alors qu’il trinquait avec sa future

épouse, une voix juvénile retentitderrière lui :

— Miguel ! J’ignorais que tu étais àRed Rock !

Il se retourna et découvrit Isabella, sademi-sœur, accompagné de WilliamFortune Jr., J.R. en abrégé.

— Quel plaisir de te revoir ! lança-t-ilà sa sœur.

— Un plaisir partagé, renchéritIsabella, le sourire aux lèvres. Pourquoine pas m’avoir appelée ?

Brune et gracile, particulièrementélégante dans une robe aux couleurs

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vives, digne des traditions de la familleTejano — son nom de jeune fille —,Isabella rayonnait de bonheur.

— Je voulais te faire la surprise, dit-il. Au fait, te souviens-tu de Nicole ?

— Bien sûr, répondit Isabella. Qui, àRed Rock, n’a pas entendu parler desfameuses bottes Castleton ?

Il connaissait assez Isabella poursavoir que la présence de Nicole à satable excitait déjà sa curiosité et, s’il enjugeait par le regard curieux que luilança J.R., ex-homme d’affaires devenurancher à Red Rock, sa demi-sœurn’était pas la seule à être intriguée par lecouple qu’il formait avec NicoleCastleton.

— Heureux de vous rencontrer,

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Miguel, dit J.R. en lui tendant une mainlarge comme un battoir. Venez dîner unde ces soirs à notre ranch, Molly’sPride, comme ça nous aurons l’occasionde discuter ensemble.

J.R. avait baptisé son ranch d’après leprénom de sa mère, Molly et, avecl’aide d’Isabella, il l’avait transformé enune résidence confortable.

— Oh oui, venez nous voir tous lesdeux ! renchérit Isabella.

— Je suis sûre que Nicole serait trèsheureuse de m’accompagner chez vous,répondit-il.

Une suite de péripéties avait conduitIsabella à Red Rock où elle avaitretrouvé un père et renoué avec lesTejano, et c’était à cette occasion qu’il

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s’était rapproché de cette demi-sœurprovidentielle.

Plus tard, quand Nicole l’avait quittéet qu’il broyait du noir, puis ensuite à lamort de sa mère, Isabella l’avait aidé àsurmonter ces moments de détresse et illui en était à jamais reconnaissant.

— C’est si bon de te revoir, déclarasa sœur en lui tapotant la joue.

De nouveau, il s’en voulut de tromperceux qui l’aimaient — etparticulièrement Isabella — en leurfaisant croire que Nicole et lui avaientun avenir ensemble, alors que cemariage n’était qu’un simulacre.

— Comptes-tu rester longtemps à RedRock ? reprit sa sœur.

En dix ans, il n’avait effectué que de

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brefs séjours au Texas, soit pour Noëlou Thanksgiving, soit pour des raisonsfamiliales comme au printemps dernier,quand son frère Javier avait étéhospitalisé.

— J’ai pris un congé sabbatique car,autant que tu le saches, Nicole et moi,nous comptons nous marier.

Isabella échangea un regard surprisavec J.R.

— C’est merveilleux ! s’exclama-t-elle. Et à quand est fixé le grand jour ?

— C’est à Nicole d’en décider,répondit-il de nouveau, avec prudence.

* * *

Interpellée par les propos de Miguel,

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Nicole, qui pensait non pas au mariagemais aux quelques mois de bonheurqu’elle avait connus avec lui, dix ansplus tôt, fut prise de panique.

Qu’avaient-ils donc tous à vouloirhâter un mariage qui, par bien desaspects, ne lui convenait guère !

On attendait qu’elle prenne les devantset fixe une date précise pour cetteembarrassante cérémonie, mais ellevoulait se donner le temps de laréflexion.

— Il reste tant de choses à faire et tantde gens à prévenir, déclara-t-elle d’unton d’excuse. Je crois que nous neserons pas prêts avant deux semaines aumoins, peut-être même plus.

— Je serais ravie si je pouvais vous

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aider, répondit Isabella en lui adressantun sourire compréhensif. Pourquoi neviendriez-vous pas déjeuner samediprochain au ranch, afin que nousdécidions de la meilleure façon depréparer ce mariage ?

Tant de sollicitude la toucha.— C’est très gentil à vous, mais…Alors qu’elle cherchait l’excuse la

plus plausible pour décliner l’offred’Isabella, Miguel pressa sa main dansla sienne.

— Puisque ma sœur te propose sonaide, accepte-la, tu n’auras pas à leregretter, dit-il.

* * *

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Miguel avait bien perçu les réticencesde Nicole et, une fois de plus, il sedemanda à quoi rimait le revirement desa future épouse.

Avait-elle décidé de ne plus se marieravec lui ? En un sens, il l’aurait presquesouhaité, car la pensée d’épouser Nicolepar intérêt lui faisait horreur. Cela necorrespondait en rien aux sentimentsqu’il sentait renaître pour elle.

— Tu tiens tant que ça à ce que noussoyons rapidement mariés ? insistaNicole en le regardant avec uneexpression qui le mit mal à l’aise.

— Je te laisse libre d’en décider,s’empressa-t-il de répondre.

Nicole cherchait-elle à lui fairecomprendre qu’il s’était mal conduit en

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acceptant de l’épouser en échange decent mille dollars ? Lui en voulait-ellede feindre d’être amoureux d’elle ?Dans ce cas, il devrait peut-être sedécider à jouer cartes sur tables et à luiavouer qu’elle était la seule femme quiait jamais fait battre son cœur ?

— Dans tous les cas, tous mes vœuxde bonheur vous accompagnent, déclaraIsabella

— Les miens aussi, renchérit J.R. Et jemets Molly’s Pride à votre dispositionpour y organiser votre mariage à la datequi vous conviendra.

Cette généreuse proposition tranchaitavec le comportement mesquin d’AndyCastleton et il éprouva une bouffée dereconnaissance envers Isabella et J.R.

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Fortune.— Il se pourrait bien que nous vous

prenions au mot, Nicole et moi,répondit-il au mari de sa sœur.

Puis, tourné vers sa future femme, il lasonda du regard.

* * *

En voyant Miguel le scruter avec tantd’intensité, Nicole se rendit comptequ’elle était au pied du mur et qu’elle nepouvait pas tergiverser indéfiniment.

Dans son esprit, ce mariage aurait dûêtre le plus discret possible et la penséed’épouser Miguel à Molly’s Pride, unranch luxueux, en présence sans douted’une foule d’invités dont certains lui

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seraient inconnus, ne manquait pas del’effrayer.

Comment réagirait-elle si ses parentsrefusaient d’assister à la cérémonie ou,pis encore, lui faisaient des réflexionsdéplacées en public ?

Le mieux peut-être serait de ne pas lesinviter du tout !

— Je serais ravie d’épouser Miguel àMolly’s Pride, mais alors en petitcomité, répondit-elle.

— C’est à vous d’en décider, déclaraIsabella. Et si vous le permettez, Nicole,j’aimerais avoir votre numéro detéléphone. Nous pourrions déjeunerensemble et en profiter pour mettre aupoint une liste d’invités qui vousconvienne ?

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Penser aux formalités à accomplir, àtous ceux qu’il faudrait prévenir, auxinvitations à lancer lui donna le tourniset lui fit regretter de ne pas avoirproposé à Miguel de se marier à LasVegas, là où personne ne les connaissait.

Elle se serait perdue dans cette foulede touristes au lieu de s’exposer auxregards des gens de Red Rock, ce qui,elle s’en rendait compte de plus en plus,lui déplaisait souverainement.

J.R. se tourna en souriant vers elle.— Nous allons vous laisser célébrer

vos fiançailles en paix, et encore toutesnos félicitations.

— Oui, et tous nos vœux de bonheur !renchérit Isabella.

— Merci et à bientôt.

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Tandis que J.R. et Isabella allaients’asseoir à leur table, un peu plus loin,elle les envia de s’être mariés par amouret non pour des motifs bassementmatériels.

— Que se passe-t-il ? Tu es triste ? luidemanda Miguel une fois qu’ils furentseuls.

— Mais non ! répondit-elle.— Aurais-tu des regrets ? insista-t-il.Elle poussa un soupir.— Je pense à la cérémonie, aux

cadeaux que nous feront les invités quis’imaginent que nous nous aimons et quenous nous marions par amour, dit-elle.Une fois divorcés, nous devrons rendreces cadeaux, ce qui n’est pas de ladernière élégance…

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— Il aurait fallu y penser avant de mefaire ta proposition, répliqua Miguel àvoix basse.

Il avait raison et pourtant, tout enressentant un lancinant sentiment deculpabilité, elle savait aussi que cemariage était sa seule chance de ne pasperdre l’entreprise.

— C’est tout réfléchi, mais je m’enveux de mentir à ta famille et à ta demi-sœur, ajouta-t-elle en jetant un regardfurtif dans la direction d’Isabella et deson mari.

— Moi non plus, je n’aime pas mentirà ma famille, répondit Miguel, maiscomment faire autrement ?

Elle ne trouva malheureusement rien àrépondre.

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* * *

Alors que le serveur apportait leshors-d’œuvre, elle répondit à un appelsur son téléphone portable.

— C’est ma mère, dit-elle à Miguel enprenant la communication.

— Nicole ? lui déclara sa mèred’emblée d’un ton offusqué. Ton pèrem’a expliqué que tu revoyais ce garçonconnu au lycée.

Le lycée ? Il lui semblait qu’ellevenait à peine de le quitter tant sesparents l’avaient infantilisée etcontinuaient, hélas, de le faire !

— Ce garçon, comme tu dis, a vingt-huit ans et il se prénomme Miguel. Enoutre, il occupe un poste important dans

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une maison de disques new-yorkaise,rétorqua-t-elle sèchement.

— Je ne te comprends pas, ma petitefille, se lamenta sa mère.

— Que veux-tu dire ? demanda-t-elle.— Ce ne sont pourtant pas les bons

partis qui te manquent !— Miguel est l’homme de ma vie,

maman, l’homme que j’aime et que jevais épouser, que ça te plaise ou non,s’emporta-t-elle, surprise par sa proprevéhémence.

— Je sais que tu avais eu autrefois dessentiments pour ce Mendoza, mais vousne vous êtes pas vus depuis dix ans,objecta sa mère.

Parce qu’elle était jolie et riche, elleavait toujours été entourée de

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prétendants, mais aucun d’eux n’avait sufaire battre son cœur.

— C’est lui que je veux épouser,répondit-elle d’une voix qui frémissait.

Pour exagérés qu’ils fussent, sespropos contenaient une grande part devérité et elle en fut troublée.

— Ce jeune homme a sûrementbeaucoup changé en dix ans, reprit samère, et nous espérons, ton père et moi,que tu mesures les risques d’un telmariage.

— Au moins, je ne resterai pas vieillefille, comme tu semblais le craindre,répondit-elle.

— Ne te fâche pas, ma chérie ! glapitsa mère à l’autre bout de la ligne.

— Miguel et moi, nous nous marierons

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dans deux semaines et peut-être mêmeplus tôt. La cérémonie aura lieu en petitcomité et, si j’espère votre présence cejour-là, libre à vous de ne pas venir sivous désapprouvez mon choix, conclut-elle.

On ne pouvait être plus clair et,désormais, son mariage avec Miguelétait lancé.

— Tu ne peux pas nous reprocher denous faire du souci pour toi ! reprit samère en soupirant. Laisse-noussimplement le temps de nous habituer àl’idée de ce mariage.

— Attendre n’est pas dans mesintentions, déclara-t-elle.

— Et si nous en reparlions autour d’unbon dîner ? suggéra sa mère.

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— D’accord, mais à condition queMiguel m’accompagne, répondit-elle.

— Très bien. Ton père et moi, nousvous attendrons demain à 18 heures auCountry Club, conclut sa mère avant decouper la communication.

* * *

Après avoir rangé son portable,Nicole se tourna vers Miguel.

— Je ne pouvais pas faire autrementque d’accepter l’invitation à dîner demes parents.

Ce dernier hocha la tête.— Je comprends. Et puis, n’est-il pas

naturel que je refasse connaissance demes futurs beaux-parents ?

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— C’est vrai, répondit Nicole,visiblement troublée.

Pendant que Nicole parlait avec samère, il avait saisi le sens général deleur conversation et, s’il était toujoursautant indigné par la façon dont lesCastleton le considéraient, il s’étaitgardé d’intervenir.

Mais, plus encore que le mépris desCastleton à son égard, c’était lanervosité croissante de Nicole quil’intriguait.

Pourquoi semblait-elle soudain siréticente à l’idée de l’épouser alors quec’était elle qui le lui avait proposé enpremier lieu ?

— Tranquillise-toi, lui conseilla-t-ilalors que Tom, leur serveur, apportait

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des fajitas au bœuf pour lui et desgalettes mexicaines fourrées au pouletpour Nicole.

Comme toujours au Red, la nourritureétait délicieuse mais, alors qu’ilsavourait sa seconde bouchée de fajitas,il se rendit compte que Nicole secontentait de picorer dans son assiette.

— Et si tu me disais une fois pourtoutes ce qui te tracasse ? lui demanda-t-il.

— Rien d’important, répondit-elle endétournant la tête.

— Regretterais-tu notre prochainmariage ?

* * *

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Nicole soupira.Les questions de Miguel la plaçaient

au pied du mur et il lui devenait difficilede ne pas fournir à son futur mari lesexplications auxquelles il avait droit.

— Je ne regrette pas de t’épouser sic’est ce que tu veux savoir, dit-elle.

Et c’était la pure vérité.En revanche, elle s’en voulait d’avoir

à duper ses proches, sa famille, les gensqui l’aimaient et qui lui faisaientconfiance.

Alors qu’elle s’attendait à tout sauf àcela, Miguel se leva, contourna leurtable puis vint s’agenouiller devant elle,au vu et au su de tous les convivesattablés dans le patio.

— Nicole Castleton, je dois te faire un

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aveu, déclara-t-il d’une voix vibrante.Les regards des autres convives et, en

particulier ceux d’Isabella et de J.R.,furent bientôt braqués vers eux.

— Il y a longtemps que je t’aime etj’ai l’honneur de t’offrir ce petit cadeauen gage de mon amour, poursuivit-il enlui tendant un écrin violet.

L’écrin contenait une bague en diamantde toute beauté mais, bien plus que lavaleur du bijou, c’était le geste deMiguel qui la touchait.

— Cette bague est magnifique !s’exclama-t-elle.

— Il y a dix ans, reprit-il assez fortpour être entendu de tous, je t’ai laisséepartir, mais je ne commettrai jamais plusune erreur pareille.

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Elle eut du mal à maîtriser sa surprise.C’était tout de même elle, et non Miguel,qui avait pris la décision de rompre.

— Veux-tu m’épouser, Nicole ?poursuivit-il d’un ton ému. Veux-tu êtrema femme, la mère de mes enfants, mameilleure amie, et ce, pour toujours ?

Ses yeux s’emplirent de larmes. Lesparoles de Miguel étaient celles qu’elleavait toujours voulu entendre. S’il jouaitun rôle, alors il le jouait bien et mêmetrès bien.

— C’est que…, bafouilla-t-elle.Elle aurait dû manifester son

enthousiasme, mais elle fut tout justecapable de hocher la tête en signed’assentiment.

Comme s’il la devinait, Miguel lui

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adressa un sourire empreint decompréhension puis, après s’être misdebout, il passa la bague de diamant àson annulaire.

Au comble de l’émotion, elle se levaet se jeta impulsivement dans les bras deson fiancé, sous les acclamations desautres convives.

Alors qu’elle appuyait sa joue contrele torse viril de Miguel, ses penséess’enchevêtrèrent et, quand il posa seslèvres sur les siennes, elle ferma lesyeux, bien décidée à se laisser emporterpar la magie de leur étreinte.

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Pendant que Miguel l’embrassait au vude tous, Nicole se remémora non sansémotion leurs étreintes d’antan.

Miguel la déshabillait fébrilement etelle faisait de même avec lui, puis, unefois nus, ils se serraient l’un contrel’autre en se caressant avidement.

Plus rien ne comptait pour elle qued’appartenir à cet homme jeune, beau,viril, qu’elle avait aimé au premier

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regard et qui savait si bien susciter enelle la passion, l’amour, le désir, l’envied’être à lui et de toutes les façonspossibles.

Sous les caresses de Miguel, elleperdait la tête et quand il la pénétraitenfin, elle poussait un grand cri ets’acheminait vers la jouissance.

Un peu plus tard, quand tous deux,tendrement enlacés, reprenaient enfinleur souffle, l’aube pointait déjà àtravers les vitres embuées de la voiturequi abritait leurs amours et Miguel, aussiébloui qu’elle, regardait les nuages rosirau-dessus de la cime des arbres.

Ces moments de passion, elle ne lesavait jamais oubliés, elle ne lesoublierait jamais, et aujourd’hui sentir

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sur ses lèvres celles, toujours aussidouces et chaudes, de Miguel, lui fitregretter une fois de plus que leurmariage n’en soit pas vraiment un.

Tout en humant l’odeur masculine deson fiancé, elle savoura le frémissementde son corps viril contre le sien.

Miguel !Une flambée de désir incendia ses

veines et elle dut se raccrocher à luipour garder son équilibre, tant sontrouble était grand.

Quand, à bout de souffle, ils cessèrentenfin de s’embrasser, un concertd’acclamations s’éleva des tablesalentour.

Encore émue, elle se demandacomment il était possible, après si

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longtemps, qu’elle soit toujours à cepoint sensible à son magnétisme, à laforce virile qui émanait de lui, à soncharme…

Et tout ça après un seul baiser.— Tout va bien ? lui demanda Miguel

à l’oreille.— Oui, je crois, répondit-elle en

s’efforçant de sourire.— Dans ce cas, ajouta-t-il en élevant

la voix, je te propose de rentrer à lamaison sans attendre.

Il s’efforçait d’être entendu des autresconvives, et c’était tant mieux puisque,après tout, c’était bien le but de cetintermède délicieux. Mais, en ce qui laconcernait, elle avait hâte de retrouverson intimité.

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Une fois à l’extérieur du Red, lalumière d’un lampadaire fit briller à sondoigt le diamant de la bague que Miguelvenait de lui offrir.

D’où venait ce bijou ? L’avait-ilacheté ? Emprunté à une amie ?

— Tout Red Rock saura bientôt quenous sommes réellement fiancés, toi etmoi, déclara Miguel d’un ton satisfait enlui ouvrant la portière de sa voiture.

— Et c’est très bien, dit-elle sansconviction.

Cette comédie qu’ils jouaient luiportait désormais sur les nerfs, etfeindre ainsi des sentiments qu’ilsn’éprouvaient pas lui apparaissait deplus en plus sacrilège.

Durant le trajet, Miguel, d’ordinaire si

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prolixe, resta étrangement silencieux etelle n’osa pas entamer une discussiondont elle redoutait l’issue.

Peut-être était-il en train de penser aufinancement de son futur club, autriomphe qui serait le sien lorsqu’ilserait devenu un roi de la nuit ?

Et elle, que deviendrait-elle une fois àla tête de l’entreprise ? Rien de plus,sans doute, que ce qu’elle était déjàaujourd’hui : une femme seule et sansamour.

— Comment te sens-tu ? demandaMiguel en glissant un regard furtif danssa direction.

— Bien, répondit-elle, sur ses gardes.— Tout à l’heure, j’ai eu du mal à

comprendre ce qui te faisait hésiter à

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fixer une date pour notre mariage,insista-t-il.

— Oh ! c’est un peu compliqué àexpliquer, prétendit-elle.

Elle n’allait tout de même pas luiavouer qu’elle continuait de ressentircertains sentiments pour lui et que cemariage imposé s’avérait être unesource de souffrances pour elle.

D’un autre côté, elle n’ignorait pasque si ses parents avaient le moindredoute sur la sincérité de leur union, ouencore si ce mariage ne se faisait plus,alors elle perdrait l’entreprise.

Avoir la satisfaction de dirigerCastleton Boots ne méritait-il pasquelques sacrifices ?

Mais d’ici là, la route serait longue et

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semée d’embûches, ce qui ne manquaitpas de l’inquiéter.

* * *

Après s’être garé devantl’appartement de Nicole, Miguel fixa lajeune femme au fond des yeux.

— J’ai passé un moment inoubliableavec toi, lui dit-il.

— Moi aussi, répondit-elle, et mercid’avoir si bien joué ton rôle devant lesautres convives.

Un peu blessé par le ton à la fois ameret ironique de Nicole, il ne sut quoirépondre.

Peut-être, en effet, avait-il poussé lebouchon un peu loin en s’agenouillant

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devant elle et en lui faisant unedéclaration d’amour à la limite del’outrance, mais le but n’était-il pas deconvaincre les plus sceptiques queNicole et lui s’aimaient et qu’ilsvoulaient se marier pour de bon ?

Quant à la bague, il l’avait achetée enville, après avoir quitté Nicole, dans lamatinée, et il ne regrettait pas son geste.

Si seulement il lui avait offert ce bijoudix ans plus tôt, quand ils s’aimaient !

* * *

En voyant une expression de désarroise peindre sur le beau visage de Miguel,Nicole prit peur.

— Tout va bien ? lui demanda-t-elle.

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— Un peu de fatigue. Je me suis levétôt, ce matin, pour attraper mon avion,répondit-il.

Elle cacha sa déception de son mieux,car elle aurait voulu l’inviter à entrerchez elle pour boire un dernier verre ensa compagnie.

— Dans ce cas, je vais te laisserrentrer à ton hôtel, lui dit-elle en sortantde voiture.

La pensée d’affronter une nuit solitairedans son vaste duplex ne l’enchantaitguère.

— Bonne nuit, lança Miguel.— Bonne nuit, répondit-elle d’une

voix rauque.La lune s’était levée. L’air tiède

embaumait le jasmin comme autrefois,

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quand ils s’aimaient jusqu’à l’aube.Un bruit de gravier l’obligea à se

retourner.— Puisque nous avons annoncé

publiquement notre prochain mariage, lemieux serait que j’emménage chez toi auplus vite, déclara Miguel en larejoignant en quelques enjambées.

— Je… En effet, oui, tu as sans douteraison, les gens trouveront normal que tut’installes ici, compte tenu descirconstances, bafouilla-t-elle, fascinéepar l’éclat de ses yeux.

Son imagination s’emballait déjà, maisMiguel doucha bien vite sonenthousiasme.

— J’aurais besoin d’un double de tesclés et du laissez-passer électronique

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qui commande l’ouverture de la barrièreà l’entrée de la résidence, dit-il d’unevoix égale. Le gardien ne manquerait pasde trouver notre couple mal assorti si jerestais un étranger pour toi.

— Tu penses à tout, répondit-elle.D’abord cette bague, puis ta brûlantedéclaration d’amour en public etmaintenant l’opinion du gardien…

Elle se tut, de crainte de se montrertrop ironique si elle insistait.

— Les responsables de ma maison dedisques prétendent que j’ai mille idées àl’heure, répondit-il, impassible.

— Eh bien, je… Justement, j’ai undouble des clés ici, dans l’appartement,répondit-elle, les joues en feu. Pourquoin’entrerais-tu pas un moment ?

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— Non, je préfère passer demain à tonbureau, dit-il. Chacun saura ainsi que jesuis le nouvel homme de ta vie et quej’habite chez toi.

— Oui, c’est sans doute mieux ainsi,bredouilla-t-elle en s’efforçant decacher sa déception.

Qu’avait-elle donc espéré ? QueMiguel entrerait chez elle pour laprendre dans ses bras, l’embrasser à luien couper le souffle, puis lui faire…

Non, pas l’amour quand même.Elle se revit nue dans ses bras, dix ans

plus tôt, gémissant sous sa force virile,sous ses caresses suaves, mais à quoibon rêver puisque leur mariage était unsimulacre et se conclurait par undivorce ?

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— Bon, à demain ! fit Miguel.Elle faillit le supplier de ne pas la

laisser seule mais, sans doute parce queson orgueil était plus fort que tout, ellese contenta d’un petit sourire.

— A demain et merci pour tout,répondit-elle.

— Tout le plaisir était pour moi,répliqua Miguel avec son souriredésarmant.

Elle faillit lui tendre ses lèvres, maisrenonça in extremis.

— A bientôt.— A bientôt, fit Miguel en écho.Elle le regarda s’éloigner vers sa

voiture et, quand il eut démarré, elle sesentit plus seule que jamais.

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* * *

Le lendemain matin, Miguel prit lechemin de Castleton Boots afin d’allerrécupérer sa clé auprès de Nicole.

La veille, il avait regretté de la laisserseule alors que, visiblement, elle luitendait une perche pour qu’il la suivechez elle.

L’occasion était si belle qu’end’autres circonstances il n’aurait pashésité une seule seconde, mais ilcraignait de tomber une fois de plusamoureux de cette femme qui n’étaitrevenue le voir que par intérêt, parcequ’elle avait besoin de lui comme mariafin de ne pas perdre le contrôle del’entreprise à laquelle elle avait

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consacré sa vie.De retour chez lui, il n’avait pas réussi

à fermer l’œil et, une fois de plus, ilavait tenté, sans grand succès, de faire lepoint sur ses sentiments pour Nicole.

Tout en foulant la moquette du couloirconduisant à son bureau, il se demandace qu’il adviendrait de sa relation avecelle une fois qu’ils seraient mariés etqu’ils cohabiteraient sous le même toit.

Puisque Nicole tenait tant à ce qu’ilsoit un mari crédible aux yeux d’Andy etd’Elisabeth Castleton, reprendre desrelations sexuelles avec elle luiparaissait la meilleure façon d’atteindrecet objectif. Et ce serait aussi une façonde prendre une revanche sur le destincar, dix ans plus tôt, il avait été

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cruellement rejeté.La secrétaire de Nicole, une

charmante blonde avec qui il avait déjàéchangé quelques mots lors de sapremière visite, lui adressa un sourire.

— Mlle Castleton vous attend, lui dit-elle.

— Merci, répondit-il.Nicole n’avait pas fermé la porte de

son bureau et en l’apercevant de dos, seslongs cheveux répandus sur ses épaules,il ne put s’empêcher d’être troublé parle charme qui se dégageait d’elle.

Comme la vie pourrait être belle si,après leur mariage, Nicole décidait dene plus divorcer ! Il pourrait s’occuperde son club, elle de son entreprise, etrien ne les empêcherait alors d’être

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enfin heureux.Quelle autre revanche sur le destin !Mais, pour l’heure, il lui fallait se

conformer au plan prévu et ce fut d’unpas décidé qu’il alla rejoindre sa futureépouse.

— Tu sais ce qu’on dit sur les dangersdu travail intensif ? lui lança-t-il d’unton jovial.

— Tu m’as fait peur ! s’exclama-t-elleen se retournant.

— Telle n’était pas mon intention.Comme convenu, je suis venu prendre ledouble de la clé de ton appartement afind’emménager avec toi au plus vite.

Assise à son bureau, la secrétaire deNicole ne perdait rien de leurconversation et c’était bien ce qu’il

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voulait.

* * *

Avec un signe d’approbation, Nicolesortit de son sac à main Louis Vuittonune clé chromée et une carte magnétique.

— Voici ta clé ainsi que le passecontrôlant l’accès à la résidence, dit-elle. J’ai préparé la chambre d’amis etdisposé des serviettes propres dans lasalle de bains. S’il te manque quoi quece soit, appelle-moi et je te l’apporteraià mon retour.

S’il comprenait que Nicole respecteles règles de la décence tant qu’ilsn’étaient pas officiellement mariés,coucher dans la chambre d’amis ne lui

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souriait guère. Il allait y remédier auplus vite.

Alors qu’il prenait la clé et le passe,la secrétaire de Nicole fit son entrée, luijetant au passage un regard lumineux.

— Vous désirez quelque chose,Diana ? demanda Nicole.

— Rodney m’a remis à votre intentionles documents dont vous vous pourriezavoir besoin pour votre réunion de tout àl’heure, expliqua la secrétaire.

— Très bien. Merci beaucoup,répondit Nicole en s’emparant dudossier que lui tendait sa secrétaire.

Il en profita pour enfoncer le clou.— Je ne veux pas te déranger plus

longtemps, ma chérie, dit-il enempochant la clé et le passe qu’elle

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venait de lui remettre. Ce soir, quand turentreras, une bouteille de champagnet’attendra bien au frais pour célébrerdignement nos retrouvailles.

— Quelle charmante attention !déclara Nicole en entrant dans son jeu,mais n’oublie pas qu’ensuite nousretrouvons mes parents pour dîner auCountry Club.

— Comment pourrais-je l’oublier ?dit-il en adressant un sourire deconnivence à Diana.

Cette soirée n’aurait rien d’une partiede plaisir, mais il était payé pour jouerles amoureux dociles et il s’acquitteraitde sa mission du mieux possible, mêmesi la pensée de côtoyer les parents deNicole lui donnait déjà de l’urticaire.

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Diana brûlait à l’évidenced’impatience d’en savoir plus sur lesrelations qu’il entretenait avec sapatronne, aussi se tourna-t-il versNicole, bien décidée à impressionner sasecrétaire.

— Au fait, as-tu posé tes congés pournotre lune de miel ?

— Mais quelle question ! réponditNicole.

Après lui avoir adressé un sourire deconnivence, elle se tourna vers sasecrétaire.

— Au fait, Diana, je vous présenteMiguel Mendoza, mon fiancé. Nousallons nous marier dans deux semaines.

L’interpellée le dévisagea avec unestupeur teintée d’envie, puis son regard

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se focalisa de nouveau sur Nicole.— Toutes mes félicitations, déclara-t-

elle.— Miguel et moi, nous sommes de

vieilles connaissances et, après nousêtre perdus de vue, nous nous sommesretrouvés récemment à New York et, unechose en amenant une autre, nous avonsdécidé de franchir le pas, précisaNicole.

— J’en suis heureuse pour vous deux,déclara Diana en lorgnant sur la bagueen diamant qui scintillait au doigt de sapatronne.

— Merci, répondit Nicole avec unsourire.

La nouvelle de leur futur mariage étantdésormais chose publique, ou sur le

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point de l’être, mieux valait laisserNicole et Diana papoter entre elles et enprofiter pour s’éclipser.

— Eh bien, je vais te laisser, lança-t-il à Nicole.

— Je rentre à 17 h 30, chéri, luirépondit-elle. Mes parents nousattendent au Club à 18 heures.

— C’est noté, répondit-il en effleurantles lèvres de sa future épouse d’unbaiser. Et bonne chance pour ta réunion.

* * *

Grâce à son laissez-passermagnétique, Miguel n’eut aucun mal àfranchir la grille de la résidencesécurisée où vivait Nicole.

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Une fois dans le duplex de la jeunefemme, il trouva sans difficulté lachambre d’amis et commença à rangerses affaires. La perspective d’affronterles parents Castleton lui nouaitl’estomac.

Andy et Elisabeth Castleton vivaienttout près de chez leur fille. Le dîneraurait pu avoir lieu chez eux et non auCountry Club, que fréquentaient tous lessnobs de Red Rock et qui lui donnait paravance la chair de poule.

Heureusement, il n’avait plus rien decommun avec l’adolescent timoréd’autrefois et, si les Castletoncherchaient à l’humilier ce soir, il sedéfendrait d’arrache-pied.

S’il s’interrogeait toujours sur le bien-

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fondé de son mariage avec Nicole, il seréjouissait de prendre une revanche surce vieux briscard d’Andy Castleton.

Le père de Nicole aurait à l’évidencepréféré un autre mari pour sa fille mais,qu’il le veuille ou non, le fondateur deCastleton Boots serait contraint de faire,cette fois-ci, contre mauvaise fortunebon cœur.

Après avoir rangé ses affaires, il jetaun coup d’œil critique au lit immensequi occupait le centre de sa chambre.Puisque Nicole serait bientôt sa femme,ne serait-il pas logique qu’elle lepartage avec lui ?

Il l’accueillit avec joie quand ellerentra du travail.

Il n’avait cessé de penser à elle durant

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la journée, au point de se demander sison impatience à la revoir n’était pas lesigne qu’il était en train de retomberamoureux d’elle.

Elle lui avait manqué bien plus qu’ill’aurait cru et il ne put se retenir del’embrasser sur les deux joues.

— Comment s’est passée ta réunion ?demanda-t-il.

— Bien, répondit-elle en souriant. Tut’es déjà habillé pour le dîner ?

Il portait le plus beau de ses costumes,une chemise blanche et une cravatesombre, le Country Club imposant uncode vestimentaire strict.

— Comme tu le vois, dit-il.Nicole hocha la tête.— Tu es très élégant, et il n’y a pas de

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raison que ce dîner ne soit pas uneréussite, murmura-t-elle d’un ton quimanquait de conviction.

Tout comme Nicole, il était inquiet àla perspective de cette rencontre avecles Castleton et l’idée l’avait mêmeeffleuré que ceux-ci avaient manigancécette invitation au Country Club dansl’espoir de le ridiculiser.

Nicole consulta sa montre.— Le temps de me rafraîchir le visage

et de me changer, et je suis à toi, dit-elleen se hâtant vers sa salle de bains.

Le double sens de ces propos le fitsourire et, tandis qu’il patientait, il sedemanda si elle avait connu d’autreshommes que lui depuis dix ans.

A l’évidence, oui, car elle était jeune,

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belle, adorablement sexy, et il ne voyaitaucune raison pour qu’elle ait mené unevie de nonne.

Pourtant, tout à l’heure, Diana, lasecrétaire de Nicole, avait paru étonnéed’apprendre le prochain mariage de sapatronne, comme si celle-ci ne l’avaitpas habituée à avoir une vie privée.

Il n’eut pas le temps de réfléchirdavantage car Nicole vint le rejoindre,vêtue d’une robe rouge, ses longscheveux soyeux flottant librement sur sesépaules graciles.

Avait-elle jamais été plus belle etdésirable qu’en ce moment précis ?

— Tu sais quoi ? dit-elle en luisouriant. Je préférerais passer cettesoirée ici, avec toi, à boire du

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champagne et à parler du bon vieuxtemps.

— Confidence pour confidence, moiaussi, j’aurais préféré passer la soiréeseul avec toi.

Elle lui glissa un regard complice, lemême qu’autrefois, quand ils se voyaienten cachette des parents Castleton et, cinqminutes plus tard, ils firent leur entrée auCountry Club.

La réceptionniste adressa un souriredéférent à Nicole.

— M. et Mme Castleton vous attendentdans le salon privé Sportsman, au fonddu couloir, troisième porte sur votredroite, déclara-t-elle avec un grandsourire.

— Dépêchons-nous ! dit Nicole en

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pressant le pas.Furieux d’avoir dû courir derrière elle

pour la rattraper, Miguel lui prit la mainet l’obligea à s’arrêter.

— Tes parents peuvent quand mêmepatienter un peu, protesta-t-il.

Comme une petite fille prise en faute,elle s’arrêta et leva sur lui un regardsuppliant.

— Papa aime la ponctualité. Je nevoudrais pas le contrarier au risque dele voir changer d’avis concernant notremariage.

— Tu es majeure et tu as le droitd’épouser qui bon te semble, luirappela-t-il. Tranquillise-toi. Jeveillerai au grain.

Sans lâcher sa main, Nicole pencha la

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tête de côté avec cette mouecaractéristique qui avait toujours eu ledon de l’émouvoir.

— Aurais-je par hasard déniché lemari idéal ? demanda-t-elle sur le ton dela plaisanterie.

— Ne suis-je pas l’hommeprovidentiel aux mille idées ? rétorqua-t-il.

— J’espère alors que tu sauras allégerl’atmosphère de ce dîner, murmura-t-elle, les yeux brillants.

— Fais-moi confiance, répondit-il enl’entraînant vers le salon où lesCastleton les attendaient.

Alors qu’ils atteignaient le bout ducouloir, il prit Nicole dans ses bras et laregarda dans les yeux.

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— J’ai le remède à tes inquiétudes,dit-il en se penchant sur son visage.

Sans dire un mot, Nicole lui tendit seslèvres, les yeux mi-clos.

Alors qu’il goûtait avec délice la tièdesaveur de sa bouche, une des portess’ouvrit et Andy Castleton apparut.

Sourcils froncés, le père de Nicole lesregarda d’un air sévère, puis il fitclaquer sa langue.

— Faut-il vraiment que vous vousdonniez en spectacle, tous les deux ?demanda-t-il avec humeur.

Nicole repoussa Miguel et il perçut àquel point elle était paniquée.

— Nous arrivons, papa, fit-elle d’unevoix humble.

Il aurait bien rétorqué à Andy

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Castleton que ce que sa fille et luifaisaient ne regardaient qu’eux, mais laprudence le retint d’entamer un bras defer avec son futur beau-père.

* * *

Une fois les salutations échangéesavec les Castleton, Miguel s’assit à laplace qui lui avait été assignée et jetades regards curieux sur les fresques dechasse à cour et les paysages champêtresqui décoraient les murs du salon.

En dépit de ses résolutions de tenirtête aux parents de Nicole, il n’en menaitpas large : Andy Castleton avait en effetune façon de le scruter qui le mettait trèsmal à l’aise.

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Pour un peu, il serait parti sansdemander son reste, mais la crainte deperdre Nicole, de se priver de cesretrouvailles avec une femme qu’iltrouvait encore plus belle qu’autrefois,l’incita à prendre son mal en patience.

— Nicole m’a dit que vous comptiezouvrir un club, attaqua Andy Castletondès qu’il eut goûté et accepté le vinapporté par le sommelier.

— En effet, répondit-il de son ton leplus poli.

Grâce à l’argent que ce mariage allaitlui rapporter, il allait démarrer unenouvelle existence, plus conforme à sesvœux et, qui sait, devenir un jour l’égald’un Andy Castleton ?

— Je ne peux que louer votre esprit

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d’entreprise, fit Andy Castleton, maiscomment concilierez-vous, une foismarié avec ma fille, la vie de famille etle travail de nuit ?

La perfidie de cette remarque lehérissa et il s’apprêtait à répliquervertement à son futur beau-père, lorsqueNicole prit les devants.

— Nous avons déjà discuté de cettequestion, Miguel et moi, et tout estarrangé.

Avec une moue sceptique, AndyCastleton but une gorgée de vin et,comme le silence menaçait de devenirpesant, Elisabeth Castleton se tournavers sa fille.

— Au fait, chérie, où en es-tu avecl’achat de ta future maison ?

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— Je compte signer bientôt, réponditNicole.

Mme Castleton fronça les sourcils.— Quel dommage de quitter ce duplex

si proche du Country Club et de notremaison pour aller vivre à l’extérieur dela ville ! Si tu nous en avais parlé avant,ton père et moi, nous t’aurionsvolontiers acheté le terrain vacant à côtédu nôtre pour que tu t’y installes.

— Je préfère décider seule de monavenir, répondit Nicole à sa mère.

Miguel fut le premier surprisd’apprendre que Nicole comptait quitterson duplex. Alors que c’était le genred’information qu’un futur mari étaitcensé connaître, elle ne lui en avait riendit.

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— Non seulement ton appartementactuel est ravissant, renchérit la mère deNicole, mais il a l’avantage de setrouver dans une résidence sécurisée.Que feras-tu quand il te faudra rentrerseule, le soir ?

— Je ne serai pas seule, puisqueMiguel sera là. Il a d’ailleurs emménagéce matin chez moi, expliqua Nicole à samère.

Elle faisait comme si leur mariageétait destiné à durer ! Si seulement sesparents savaient que, peu après avoirconvolé, ils demanderaient le divorce…

— Tu connais mes convictions etcelles de ta mère ! intervint AndyCastleton. Vous ne devriez pas vivreensemble avant le mariage, pour autant

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que celui-ci ait lieu un jour, bien sûr.Ce vieux rabat-joie de Castleton

dépassait décidément les bornes et il futpresque tenté de le secouer par sacravate de soie à deux cents dollars.

— Que vous soyez ou non d’accord,monsieur Castleton, je peux vous assurerque ce mariage se fera, intervint-il. Jepeux même vous préciser que nouspartirons en lune de miel, le soir mêmede notre mariage.

— Vraiment ? persifla Andy Castletonen le toisant avec morgue.

— Vraiment, monsieur, répondit-il ensoutenant le regard du fondateur deCastleton Boots.

Et, peut-être pour faire taire sesremords de commettre un acte somme

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toute vénal, il se promit de tout fairepour que leur lune de miel soit uneréussite.

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Nicole avait craint le pire d’uneconfrontation entre ses parents et Miguelmais, à son grand soulagement, le dîners’était déroulé mieux qu’elle l’auraitpensé, et ce, en dépit de l’hostilitémanifeste de son père envers son futurépoux.

— Je te suis reconnaissante d’avoir sugarder ton calme face à un hommecomme mon père, dit-elle à Miguel, sur

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la route du retour.— C’était le moins que je puisse faire,

répondit-il. Au fait, j’ignorais que tuavais acheté une maison.

— Un cottage pour lequel j’ai eu lecoup de foudre, expliqua-t-elle. Jecompte emménager dès que les travauxseront terminés.

— Cette idée ne semble pas plaire àtes parents.

Elle poussa un soupir.— C’est précisément pour échapper à

leur influence que j’ai choisi dem’installer assez loin de chez eux.

Miguel lui lança un regard pensif.— Tu préfères changer de domicile

plutôt que de dire franchement à tesparents d’arrêter de contrôler ta vie ?

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Il marquait un point et elle chercha àse justifier.

— Il ne s’agit pas seulement dem’éloigner de mes parents, dit-elle. Cecottage me correspond davantage que leduplex que j’occupe actuellement.

— La vice-présidente de CastletonBoots préfère la campagne à un duplexhuppé en ville, qui l’eût cru, constataMiguel non sans ironie.

— J’ai des goûts simples et je ne joueni au golf ni au tennis, lui rappela-t-elle.Et toi, as-tu quitté Red Rock par soucid’indépendance vis-à-vis de ta famille ?

— Non, car ma famille n’a jamais osém’infantiliser comme l’ont fait tesparents avec toi.

Elle releva la tête.

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— Insinuerais-tu que mes parents sontdes tyrans ?

— Je n’apprécie pas la façoncondescendante avec laquelle ton pèrese conduit avec moi, ou même avec toi,répondit Miguel.

— Papa a des défauts, mais je peuxt’assurer qu’il m’aime, répondit-elle.

— Je n’en doute pas, reprit-il, maiston père devrait montrer plus deconsidération à la vice-présidente deCastleton Boots que tu es devenue.

Elle ne le savait que trop hélas et, sielle avait eu suffisamment de courage,elle aurait démissionné de son posteplutôt que de céder au chantage de sesparents.

— Je suis touchée de voir que mon

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sort te préoccupe, dit-elle avec unepointe de mélancolie, tandis que Miguelse garait devant son duplex.

— Je ne t’ai jamais oubliée, murmura-t-il en coupant le contact.

Elle éprouva un pincement au cœur.A l’université, elle avait rencontré

quelques garçons mais aucun n’avait puremplacer son ex-amoureux. Et par lasuite, ses responsabilités croissantes àla tête de Castleton Boots l’avaientabsorbée au point qu’elle n’avait plussongé à sa vie privée.

— Moi non plus je ne t’ai pas oublié,avoua-t-elle enfin.

Miguel la regarda avec tendresse.— Qu’une aussi jolie fille que toi ne

soit toujours pas mariée à vingt-sept ans

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continue de me surprendre, reconnut-il àson tour. J’espère au moins quel’élitisme de tes parents n’a pas fait fuird’éventuels prétendants ?

— Il ne s’agit pas de ça, répondit-elle,gênée.

Ses flirts à l’université s’étaienttoujours soldés par des échecs, pour lasimple et bonne raison que les autresgarçons soutenaient difficilement lacomparaison avec lui et il en avait étéde même par la suite, ce qui faisait direà Marnie, non sans justesse, que Miguelétait sa référence absolue.

Mais l’aimait-elle comme elle avaitpu l’aimer autrefois, quand tous deuxallaient encore lycée ?

— Alors de quoi s’agit-il ? demanda

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Miguel. Du fait qu’aucun homme nesaurait convaincre ton père qu’il estdigne d’épouser sa Princesse ?

Sa Princesse !Bien plus qu’agacée, elle était peinée

par l’ironie de Miguel car le mot étaitune marque d’affection de son pèreenvers elle.

— Tu exagères ! Mon père a desdéfauts, mais je ne lui reprocheraijamais de m’aimer, répondit-elle, sur ladéfensive.

— Il n’empêche que je lui trouve uncaractère de cochon, rétorqua Miguel.

— J’admets que papa se conduitdurement avec toi, dit-elle. Mais mesparents t’accepteront davantage dès lorsqu’ils te connaîtront mieux.

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— Si nous avions une véritablerelation amoureuse et que ton père metraitait comme il vient de le faire durantce dîner, je te jure que je le prendraismal, rétorqua-t-il.

Mieux que quiconque, elle savait quece mariage n’était qu’un arrangementfinancier, mais les propos désabusés deMiguel lui serrèrent le cœur.

Ne venait-il pas d’admettreimplicitement qu’il n’éprouvait plus rienpour elle ?

Plus d’une fois depuis qu’ils étaientséparés, elle avait eu envie de renoueravec lui et c’était la crainte d’affrontersa colère qui l’en avait dissuadée.

Quand, pressée par le temps et lescirconstances, elle avait dû chercher une

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solution pour ne pas perdre l’entreprise,ce mariage arrangé lui avait semblé êtrela moins mauvaise de toutes, maismélanger argent et nostalgie du passén’était visiblement pas un choix aussiheureux qu’elle se l’était imaginé.

— Tu viens ? demanda Miguel endescendant de voiture.

— J’arrive, dit-elle d’un ton résigné.Elle avait trop attendu de leurs

retrouvailles et elle se félicita d’avoireu la sagesse d’attribuer à Miguel lachambre d’amis et non de l’avoir invité,comme elle en avait eu l’intention, àpartager son lit.

* * *

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Les jours suivants, Nicole s’arrangeapour rentrer tard du bureau et ses raisonsn’avaient pas grand-chose à voir avecses obligations professionnelles de vice-présidente.

Plus longtemps elle s’absentait dechez elle, moins elle avait l’occasion decroiser son fiancé trop sexy auquel ellene pouvait s’empêcher de penser matin,midi et soir.

Comment aurait-il pu en êtreautrement, du reste, avec un hommeaussi séduisant que l’était Miguel ?

Il s’était occupé de formalités à lamairie et avait obtenu qu’un juge lesmarie officiellement dans le ranchMolly’s Pride, samedi en huit.

Il s’était aussi chargé de son futur

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déménagement et avait pris rendez-vousavec les services des eaux et lacompagnie d’électricité.

Décidément, Miguel ferait un mariidéal… Non pour elle, bien sûr,puisqu’il ne l’aimait pas et qu’une foisleur mariage prononcé le divorce ne seferait guère attendre, mais pour cellequ’il rencontrerait un jour.

Si elle était jalouse à l’avance de lafuture Mme Mendoza, elle se réjouissaitaussi de savoir que son amour dejeunesse, cet homme qui comptait tantpour elle, allait bientôt et en partie grâceà elle, concrétiser son rêve d’êtrepropriétaire d’une boîte de nuit.

Avec l’aide de Roberto Mendoza, l’unde ses cousins entrepreneur de travaux

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publics, Miguel s’était mis en quête d’unlocal qui fasse l’affaire et chaque matin,avant qu’elle ne parte pour le bureau,quand ils prenaient leur petit déjeunerdans la cuisine, il la tenait au courant del’avancement de son projet.

Ce samedi-là, après s’être douchée ethabillée d’une robe légère, elle retrouvaMiguel dans la cuisine.

Torse nu, il s’affairait autour de lamachine à café et lui décocha un sourirequi la fit craquer.

— En veux-tu une tasse ? lui demanda-t-il.

Bien plus que du café, c’était de sepresser contre son torse viril qui l’auraittentée.

— Volontiers, lui répondit-elle sans

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parvenir à détacher son regard de ceslarges épaules et de cette taille aussimince que musclée.

Dieu qu’il était beau !Tout en sirotant son café, elle observa

Miguel et il lui sembla voir briller dudésir dans son regard.

— Ta robe te va à merveille, lui dit-il.— Merci, répondit-elle en rougissant.Comme s’il s’en voulait de son

audace, Miguel fourragea dans satignasse et elle vit s’éloigner sa chancede pouvoir flirter avec lui.

— C’est aujourd’hui que tu vasdéjeuner chez Isabelle, n’est-ce pas ?

— En effet, répondit-elle, résignée.J’ai toujours apprécié ta sœur et elle aété charmante avec moi, l’autre soir au

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Red, sans compter que je vais enfin voirà quoi ressemble ce fameux ranch.

— Isabella est une excellentedécoratrice d’intérieur, déclara Miguelen beurrant un toast. Elle a fait de ceranch un lieu convivial et chaleureux,mais le plus étonnant est qu’elle aitréussi à persuader un dur à cuir commeJ.R. de changer de vie.

Dans la revue Southwestern Ranchersand Estates, un article consacré àIsabella présentait sous forme de petitsreportages des intérieurs qu’elle avaitrénovés ou décorés, ainsi que sescréations artisanales, de ravissantescouvertures et tapisseries de stylemexicain.

A l’époque, cette jolie brune, qui

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n’était pas encore la femme de J.R.,l’avait fascinée par sa détermination etson talent. Si elle avait eu à changer devie, peut-être aurait-elle d’ailleurs optéà son tour pour ce genre de métier.

— Quel genre d’homme était J.R.avant de rencontrer Isabella ? demanda-t-elle.

— Bien que né à Red Rock, c’est unvrai citadin qui a grandi à Los Angeleset a longtemps dirigé une sociétéspécialisée dans la recherche denouveaux marchés porteurs, expliqua-t-il.

— Ta sœur serait-elle pour quelquechose dans sa métamorphose ?

— Isabella est une Tejano et elle n’ajamais renié ses racines mexicaines,

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répondit Miguel. Si elle a acceptéd’épouser J.R., c’est parce que cedernier était d’accord pour mener, à sescôtés, une vie de rancher.

Contrairement à son mariage quin’était, hélas, qu’un vulgairearrangement financier, celui d’Isabellaet de J.R. était basé sur l’amour et ellene put s’empêcher d’envier la jeunefemme.

— Crois-tu que je pourrais demanderà Isabella de décorer mon cottage ?demanda-t-elle.

— Je suis sûr qu’elle aurad’excellentes idées à te proposer, dit-il.Puisque tu dois la voir tout à l’heure,pour le déjeuner, profites-en pour lui enparler.

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La pensée d’affronter la curiosité —fort légitime — d’Isabelle et de devoirrépondre à ses questions sur sesrelations avec Miguel ne manquait pasde la tracasser.

Il la regardait avec une attentionaccrue et sa moue à la James Dean lerendait encore plus craquant.

— Que se passe-t-il ? demanda-t-il.Tu sembles soucieuse.

— Je le suis, en effet. Plus la date denotre mariage approche, plus j’ai le trac,répondit-elle. Et je ne veux surtout pasd’une réception sophistiquée.

— Ne pas faire la fête un jour commecelui-ci éveillerait à coup sûr lessoupçons, fit-il remarquer.

— C’est vrai, convint-elle.

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— Et, pour prouver que nous formonsun couple heureux, nous pourrions par lasuite nous marier à l’église, suggéraMiguel.

Elle se raidit.— Se marier à l’église ? Pas

question ! Pour moi, ça serait commettreun sacrilège ou, en tout cas, unetromperie.

— Mais, de A à Z, toute cette affaireest une tromperie, objecta Miguel avecun soupir. Au fait, quelle robe comptes-tu porter lors de la cérémonie ?

Faisait-il diversion pour ne pas avoirà approfondir la question si délicate dela légitimité de leur prochain mariage ?En tout cas, elle ne put retenir unmouvement d’humeur.

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— Je ne sais pas et je m’en moque !— Tu as tort. Si tu portes la première

robe venue, tes parents auront la puce àl’oreille et, d’après ce que j’ai compris,ça n’est pas souhaitable, n’est-ce pas ?

— Je ne suis pas du tout sûre devouloir les inviter, rétorqua-t-elle.Quant à ma robe, j’en ai une de soieblanche qui conviendra fort bien.

— Il me semble difficile de ne pasinviter tes parents à notre mariage,protesta Miguel.

— Après la façon dont ils t’ont traité,lors de ce dîner au Country Club, je nepeux pas m’empêcher de leur garderrancune.

— Mais enfin, tu sais bien que notremariage n’est qu’un pis-aller pour

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empêcher l’entreprise de t’échapper.— Peut-être mais, pour moi, un

mariage reste un moment de partage, dejoie et de bonheur.

— Raison de plus pour inviter tesparents et leur montrer que nous sommesheureux de nous marier, déclara-t-il.

— Heureux ? Mais tu sais très bienque nous ne sommes pas vraimentamoureux l’un de l’autre et que cemariage n’est qu’un simulacre. C’estbien pourquoi je suis gênée à la penséede m’exhiber et de feindre dessentiments que ni toi ni moi n’éprouvonsvraiment.

Miguel la regarda d’un air pensif.— Des sentiments, nous en avons l’un

pour l’autre, il me semble, dit-il.

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— Ah oui ? Et lesquels ?— Eh bien, de la tendresse, de

l’amitié…, énuméra-t-il. Mais, dis-moi,n’y a-t-il pas une autre raison quit’inciterait à ne pas vouloir inviter tesparents à ce mariage ?

De la tendresse… De l’amitié… Elleen aurait pleuré. Si Miguel ne l’aimaitdécidément plus comme avant, elle luiouvrait en revanche encore son cœur.

— Et pourquoi ne voudrais-je pas quemes parents assistent à notre mariage ?demanda-t-elle en ravalant sa tristesse.

Miguel la fixa dans les yeux.— Peut-être redoutes-tu un scandale si

jamais ton père disait tout haut le malqu’il pense de notre union ?

— Quoi qu’il puisse dire, ça ne

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changera pas mon intention de t’épouser,mentit-elle.

Pourtant, plus la date de son mariageavec Miguel approchait et plus elle étaitpaniquée à l’idée de devenirMme Mendoza.

Si seulement ses parents ne l’avaientpas soumise à cet odieux chantage, ellen’en aurait pas été réduite à supplierMiguel de l’épouser par intérêt. Aprésent, le procédé lui faisait horreurmais elle savait, hélas, qu’il étaitnécessaire à la réussite de son plan.

Castleton Boots était son bien le plusprécieux et elle était plus décidée quejamais à tout tenter pour conserver sonentreprise chérie.

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* * *

Grâce aux indications de Miguel,Nicole trouva facilement le ranchd’Isabella et de J.R.

Quatre voitures et pick-upstationnaient déjà devant la propriété, cequi ne manqua pas de la surprendre. Elles’attendait en effet à déjeuner en tête àtête avec la sœur de Miguel.

— Bonjour, Nicole. Soyez labienvenue chez nous, déclara Isabella enla faisant entrer dans le ranch.

Elle en aima d’emblée le stylemexicain et, en particulier, la magnifiquetapisserie de laine qui ornait l’un desmurs de l’antichambre.

— C’est magnifique ! Est-ce votre

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œuvre ? demanda-t-elle à Isabella.— Oui, je l’ai tissée moi-même,

répondit cette dernière en lui faisanttraverser un salon décoré dans le mêmestyle. J’espère que vous ne m’envoudrez pas, mais j’ai invité mes belles-sœurs et la femme de mon cousin, quibrûlent de vous connaître.

— Au contraire. C’est une excellenteidée, répondit-elle.

Isabella la conduisit devant lapremière de ses invitées, une jolie brunequi lui sourit.

— Voici Wendy, une Fortuned’Atlanta, qui a épousé mon cousinMarcos, déclara son hôtesse.

— Enchantée, déclara-t-elle ensouriant à son tour. L’autre soir, nous

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avons rencontré Marcos, Miguel et moi,alors que nous dînions au Red.

— Je sais, répondit Wendy, et il m’aannoncé votre prochain mariage ce quime donne l’occasion de vous féliciter àmon tour. J’espère que vous serez aussiheureux ensemble que nous le sommes,Marcos et moi, depuis que nous nousconnaissons.

— Wendy et Marcos ont une adorablefillette prénommée MaryAnne, précisaIsabella.

Comme elle regrettait de ne pas avoirépousé Miguel autrefois. A l’heure qu’ilétait, elle serait elle aussi mère defamille et heureuse en ménage…

— Je n’en peux plus d’attendre que lenôtre soit né ! déclara Isabella en

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touchant son ventre.Elle regarda avec étonnement la

femme de J.R. dont la sveltesse et laminceur ne trahissaient aucunegrossesse.

— Vous êtes enceinte ? s’étonna-t-elle. Dans ce cas, Miguel a oublié de mele dire…

— Miguel l’ignore encore, réponditIsabella, car il s’agit-là d’une nouvelletoute récente. Nous avions perdu mêmel’espoir d’avoir un enfant, J.R. et moi,au point que nous envisagions uneadoption et puis, récemment… Enfin,nous en sommes sûrs depuis hier.

— Alors, permettez-moi de vousprésenter mes félicitations et tous mesvœux, dit-elle avec sincérité à Isabella.

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Après l’avoir remerciée, cettedernière lui présenta une femme grandeet mince aux cheveux roux, dont labeauté naturelle compensait l’absencede maquillage.

— Voici Leah, la femme de mon frèreJavier.

Elle n’ignorait pas que Javier, l’autrefrère de Miguel, avait failli perdre la vielorsqu’une tornade s’était abattue surRed Rock, au nouvel an dernier, et qu’ilavait par la suite épousé son infirmière,la fameuse Leah.

— Très heureuse de vous rencontrer,lui dit Leah en lui tendantchaleureusement sa main. Avec Javier,nous sommes également ravis queMiguel vous épouse bientôt.

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— Merci, dit-elle, touchée parl’enthousiasme et la sincère gentillesseque lui témoignaient Isabella et sesinvitées.

Isabella lui présenta ensuite une jolieblonde aux yeux bleus, Melina, uneergothérapeute qui avait épousé Rafe,puis Frannie, une Fortune ayant épouséson cousin Roberto, qui était aussi celuide Miguel.

Sachant que Roberto aidait Miguel àtrouver un local pour son futur club, ellefut particulièrement contente de faire laconnaissance de sa femme.

— C’est un plaisir pour moid’apprendre que vous ferez bientôtpartie de notre famille, lui dit Frannied’un ton chaleureux.

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Tout en souriant à Frannie, elle s’envoulut de tromper ainsi ces femmes quil’accueillaient si gentiment, alors mêmeque son mariage avec Miguel était uneimposture.

— Puisque notre invitée d’honneur estarrivée, inutile d’attendre pluslongtemps, allons déjeuner dans le patio,suggéra Isabella.

Alors qu’elle emboîtait le pas à sonhôtesse et aux autres invités, Frannie laprit à part.

— Nous nous étions aussi connus aulycée, Roberto et moi, et c’est seulementaprès quinze années de séparation quenous avons su saisir notre chance, luidit-elle.

— Comment dois-je le prendre ?

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demanda-t-elle non sans tressaillir.— Oh ! mais comme un encouragement

à croire en l’amour, répondit Frannie enlui lançant un regard explicite.

— J’en déduis qu’on vous a parlé deMiguel et moi, de notre histoire passée ?

Frannie la regarda dans les yeux.— Oui, en effet, et je sais combien

vous avez souffert tous les deux : vousavez dû renoncer à lui, et Miguel s’estretrouvé esseulé, abandonné… C’estpourquoi je me réjouis sincèrement devous savoir enfin réunis, conclutFrannie.

— Si vous saviez…— Oui ? demanda Frannie en fronçant

les sourcils.Un peu plus, et elle aurait ouvert son

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cœur à Frannie. Même si elle venait àpeine de la rencontrer et qu’elle ignoraittout, cette femme la touchait plus quequiconque par sa sincérité.

— Non, rien, dit-elle en se reprochantson imprudence.

Ses retrouvailles avec Miguel sesolderaient par un divorce puisqu’iln’éprouvait plus le moindre sentimentpour elle, ou du moins c’était ce qu’il luiavait déclaré récemment. Qu’y pouvait-elle, malheureusement ?

Elle s’efforça de faire bonne figure.— Moi aussi, je me réjouis que vous

soyez heureuse avec l’homme que vousaimez, déclara-t-elle.

Frannie soupira.— Ma mère désapprouvait mon amour

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pour Roberto. Elle a osé falsifier un testde paternité, et ensuite arranger monmariage avec un autre, dans le but de meséparer de l’homme que j’aimais.

Si ses parents ne s’étaient jamaismontrés très cordiaux avec Miguel, aumoins ne les croyait-elle pas capablesde procédés aussi indignes.

— C’est terrible ! ne put-elles’empêcher de s’exclamer.

— Eh oui, mais je sais aujourd’hui lavérité, déclara Frannie. Il m’aura falluattendre dix-huit ans pour apprendre queJosh, mon fils, est aussi celui deRoberto, et que ce dernier n’a jamaiscessé de m’aimer durant notreséparation.

Les paroles de Frannie attisèrent un

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peu plus encore sa mélancolie. Dieuqu’elle regrettait d’avoir laissééchapper sa chance de bonheur avecMiguel, dix ans plus tôt !

— La vie nous réserve souvent desmauvaises surprises, ne put-elles’empêcher de répondre.

Frannie la regarda d’un air songeur.— En tout cas, vos retrouvailles avec

Miguel n’ont pas été aussi dramatiquesque les nôtres. D’après ce que j’aicompris, vous vous être revus parhasard ?

— Oui, alors que je me trouvais àNew York, expliqua-t-elle.

Qu’aurait pensé Frannie en apprenantque, si Miguel acceptait de l’épouser,c’était en échange de cent mille dollars ?

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— Aimer quelqu’un contre la volontéde nos proches, c’est toujours uneaffaire risquée, reprit Frannie, etj’espère que votre famille se montreracette fois-ci moins hostile envers Miguelque par le passé.

— Mes parents n’apprécient pasdavantage Miguel aujourd’hui qu’hier,avoua-t-elle.

— Comme c’est triste ! réponditFrannie. Mais peut-être finiront-ils paradmettre leur erreur ?

Leur erreur, alors qu’elle comptaitdivorcer de Miguel à peine mariée aveclui ? Elle en doutait fortement.

— Puissiez-vous dire vrai, répondit-elle tout en s’efforçant de sourire.

— En tout cas, reprit son

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interlocutrice, sachez que les Mendoza,eux, vous ouvrent grand leurs bras.

Les encouragements de Frannieauraient dû la réconforter mais ils nefirent qu’accentuer sa détresse car elles’en voulait de mentir à l’intéressée, àIsabella, mais aussi à Roberto, àMarcos, à Leah.

Décider dans l’urgence qu’il lui fallaità tout prix trouver un époux afin quel’entreprise paternelle n’échoue pasdans des mains étrangères lui avait paru,au début, la seule solution envisageable,mais la perspective d’épouser un hommequi n’éprouvait apparemment plus rienpour elle, alors qu’elle continuait deressentir des sentiments pour lui,compliquait ses plans et changeait la

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donne.Tout en s’asseyant autour de la table

habillée d’une nappe aux couleurs vives,elle se méprisa de mentir à tous et peut-être d’abord à elle-même. Dans laconfusion grandissante qui était la siennedésormais, elle avait en effet bien dumal à faire la part des choses.

Que n’aurait-elle donné pour garderl’entreprise sans avoir à épouser le seulhomme qu’elle ait jamais aimé et qui, àl’évidence, ne tenait plus vraiment àelle.

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- 6 -

Pendant que Nicole déjeunait avecIsabella, Miguel se mit en route pourRed Rock car il avait rendez-vous avecRoberto, son cousin, devant le Winslow,un immeuble décrépi mais qui nemanquait pas de potentiel.

Ouvrir son club au plus vite étaitdésormais une nécessité : pour épouserNicole, il avait en effet renoncé à unemploi qui lui assurait jusqu’à présent

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un revenu confortable.Dès que son cousin lui aurait fourni

une estimation chiffrée du coût destravaux à effectuer, et aussi dès queNicole lui aurait versé les cent milledollars promis, il entendait mettre sonprojet à exécution.

— Miguel, comment vas-tu ?Toujours aussi cordial et souriant,

Roberto lui tapota l’épaule.— Très bien, répondit-il, heureux de

revoir son cousin. Et toi ?— Mal, car l’un de mes chantiers a

pris du retard, ce qui fait que je n’ai paseu le temps de calculer ton estimationcomme promis, expliqua Roberto.

— Je comprends, dit-il en s’efforçantde dissimuler sa déception.

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— Tu auras cette estimation dans unjour ou deux, ajouta Roberto.

Deux jours ? Il n’aurait jamais lapatience d’attendre aussi longtemps !

— Donne-moi au moins une idéeapproximative du coût del’investissement, insista-t-il.

— Environ cinquante mille dollars,peut-être un peu plus, et je te ferai unprix comme pour tous les membres de lafamille Mendoza, répondit Robert aprèsun instant de réflexion.

Les autres emplacements qu’il avaitvisités nécessitaient moins de travauxque le Winslow mais celui-ci étaitmieux situé et, compte tenu de l’état dubâtiment, il espérait obtenir un rabais duvendeur.

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Avec ce qu’il avait déjà économisé etl’argent que lui verserait Nicole aprèsleur mariage, il devrait être en mesured’ouvrir sa discothèque dans quelquessemaines.

— Tu m’excuseras, mais je dois yaller, déclara Roberto en lui serrant lamain.

— Bien sûr, à bientôt alors ! dit-il àson cousin.

Une fois seul, comme il était trop tôtpour regagner le duplex de Nicole, ildécida d’aller déjeuner au Red.

L’hôtesse d’accueil voulut lui attribuerl’une des meilleures tables du restaurant,mais il choisit de rester au bar afin deregarder un match de base-ballretransmis sur le téléviseur mural.

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Il entamait son assiette de tacos quandMarcos vint se jucher sur un tabouretvoisin du sien.

— On m’a dit que tu étais ici.— Oui, j’avais faim et pas très envie

de me retrouver seul.Marcos lui sourit.— C’est vrai que Nicole déjeune avec

Isabella et les autres aujourd’hui.— Les autres ? s’étonna-t-il.— Isabella n’a pas pu s’empêcher de

convier Wendy, Melina, Leah et Frannie,expliqua Marcos avec un petit rire.

Il imagina sans peine les millequestions qu’Isabella et les autresinvités poseraient à Nicole. Or celle-cilui avait paru à la fois soucieuse etnerveuse, ce matin, sans qu’il en devine

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précisément la raison.— Je comprends que les femmes du

clan aient eu envie de connaître leurfuture belle-sœur, dit-il.

— Elles ne sont pas les seules às’intéresser à Nicole, en fait. Il faut direque votre romance d’adolescents estencore dans toutes les mémoires,déclara Marcos en lui tapotantaffectueusement le bras. Ces dernierstemps, je me suis fait du souci pour toi etce mariage me rassure.

Marcos avait été un témoin privilégiéde son histoire d’amour avec Nicole et,mieux que quiconque, il savait combienil avait souffert quand la jeune femmeavait rompu avec lui.

— Pourquoi t’inquiètes-tu autant pour

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moi ? demanda-t-il enfin.— Parce que tu es mon frère et que ta

vie de célibataire insouciant ressemblaità une fuite en avant, répondit Marcos.

Il le regarda droit dans les yeux.— Eh bien, oui, j’ai beaucoup souffert

au point de ne plus vouloir faireconfiance à une femme. Quant à Nicole,n’aie pas peur, j’ai définitivement tiré untrait sur elle.

A peine eut-il prononcé ses parolesqu’il comprit sa bévue, mais il était déjàtrop tard.

— Comment pourrais-tu avoir tiré untrait sur Nicole puisque vous allez vousmarier dans quelques jours ? demandaMarcos en fronçant les sourcils.

Il estimait trop Marcos pour lui mentir

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plus longtemps.— Eh bien, écoute…En quelques mots, il narra à Marcos sa

rencontre avec Nicole à New York et lemit au courant du marché conclu avecelle.

— Parles-tu sérieusement ? demandace dernier, incrédule.

— Grâce à l’argent de Nicole, jepourrai ouvrir ma boîte de nuit plus tôtque prévu. J’ai même trouvél’emplacement idéal.

Marcos lui adressa un regard chargéde reproches.

— Qui aurait deviné que tadéclaration d’amour de l’autre soirn’était qu’une mise en scène…

— Serais-tu en train de me faire la

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morale ?— Quelle idée de vouloir organiser un

faux mariage ! Si Nicole avait dit à sesparents d’aller au diable, je suis sûrqu’Andy et Elisabeth Castleton seraientrevenus sur leur décision et qu’ils luiauraient légué l’entreprise, déclaraMarcos.

— Nicole en a décidé autrement et cen’est pas à moi ni à toi de la juger, fit-ilobserver, sur la défensive.

— D’accord, mais tu t’es quand mêmebien moqué de nous, lui fit remarquerMarcos, et tout ça pour de l’argent.

— C’est faux ! Je peux t’assurer quel’argent n’est pour rien dans ma décisiond’épouser Nicole, répliqua-t-il d’un tonvéhément.

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Marcos le regarda avec stupeur.— Dois-je en conclure que,

contrairement à ce que tu m’as affirméune minute plus tôt, tu ressens encorequelque chose pour elle ?

Il aurait menti en prétendant éprouverencore de l’amour pour Nicole, maiscomment nier qu’il la désirait comme iln’avait jamais désiré aucune autrefemme ?

Ce mariage lui donnerait peut-êtrel’occasion rêvée de la séduire denouveau et, qui sait, peut-être même dela reconquérir.

— Je ne l’ai jamais oubliée, si c’estce que tu veux savoir, répondit-il.

Marcos lui tapota le bras.— Même si tu prétends avoir la

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situation sous contrôle, je crains que tune t’attaches de nouveau à Nicole etqu’une nouvelle séparation ne te blesseencore plus qu’il y a dix ans.

— A l’époque où Nicole m’avaitquitté, j’étais encore un gamin, ironisa-t-il. Aujourd’hui, je suis un homme.

— Toute cette histoire me déplaîtquand même, insista Marcos.

— Il s’agit d’un contrat entre Nicole etmoi, rien de plus. Un moyen d’arriver ànos fins en quelque sorte.

Marcos secoua tristement la tête.— Je crois que tu éprouves encore des

sentiments pour elle et je ne peuxm’empêcher de me faire du souci pourtoi. Tu as quand même dû t’exiler auMexique pour y terminer tes études, je te

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rappelle.— C’est du passé, frérot ! Nous

divorcerons en douceur, cette fois-ci, etsans états d’âme superflus.

— Juste comme ça ? insista Marcos enle regardant droit dans les yeux.

— Juste comme ça ! répondit-il enclaquant dans ses doigts et en s’efforçantde ne pas ciller.

S’il avait passionnément aimé Nicole,il était aujourd’hui presque sûr de neplus éprouver pour elle des sentimentsaussi brûlants qu’autrefois.

— Nicole est une très belle femme, luirappela Marcos.

— Ai-je dit le contraire ?— Non, reconnut Marcos. Il paraît

aussi que tu habites chez elle ?

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— Si je ne l’avais pas fait, les parentsde Nicole auraient pu s’étonner de notremanque d’intimité. Rassure-toi, j’occupeencore la chambre d’amis.

Marcos ne put s’empêcher de rire.— Après la façon dont tu t’es jeté aux

pieds de Nicole, l’autre soir, et le baiserque vous avez échangé ensuite, il neviendrait à l’esprit de personne dedouter de votre intimité. Tiendras-tulongtemps dans cette chambre d’amisavant de t’y sentir à l’étroit ?

— Un jour ou deux tout au plus, dit-ilen riant à son tour, tant son frère avait lechic pour détendre l’atmosphère.

* * *

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Quand les invitées d’Isabella prirentcongé, Nicole voulut les imiter mais sonhôtesse l’en empêcha.

— Reste encore un peu, il faut tout demême que nous parlions del’organisation de ton mariage, lui dit-elle.

Son mariage ? Elle aurait préféré neplus en entendre parler, mais il lui étaitdifficile de manquer de courtoisieenvers la sœur de Miguel.

— Si tu veux, dit-elle en adoptant àson tour le tutoiement, car elle se sentaiten confiance avec son hôtesse.

— La cérémonie pourrait très bien sedérouler à ciel ouvert, suggéra Isabellaen l’emmenant dans une ravissante courintérieure fleurie et ornée d’une fontaine.

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Le lieu était charmant, mais la penséede se prêter à un mariage en trompe-l’œil, à ce qui n’était rien d’autre qu’unemascarade sentimentale, suscitait en elleun trouble croissant.

Quel serait son état d’esprit, le jourdit, quand elle se présenterait au bras deMiguel devant le juge ?

Et le pire sans doute, c’était qu’ensuiteils repasseraient devant un juge, maiscette fois-ci pour divorcer !

— L’idée me paraît excellente,s’obligea-t-elle à répondre, non sans unpincement au cœur.

— Parfait ! répondit Isabella avec ungrand sourire. Il ne me reste plus qu’àrecruter une bonne organisatrice demariage.

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Elle frémit à la pensée des épreuvesqui l’attendaient mais, bien sûr, il nepouvait être question de tourner le dos àIsabella, à J.R. et aux autres.

— Miguel ne tient pas plus que moi àun grand mariage, rappela-t-elle à safuture belle-sœur.

— Nous ferons comme vous lesouhaitez, répondit celle-ci. L’essentiel,c’est que tu saches que, J.R. et moi, noussommes heureux de vous accueillir cheznous.

— Je n’en doute pas, répondit-elle.— Tu comptes quand même inviter tes

parents et tes proches ? s’enquitIsabella.

— Mes parents, s’ils le veulent, et àcoup sûr Marnie, ma meilleure amie,

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répondit-elle.Et aussi Asher Fortune, le fiancé de

Marnie…Il lui faudrait bien inviter ses proches,

les gens qui comptaient pour elle et pourMiguel, et ils devraient jouer leshypocrites en simulant un bonheur qu’ilsseraient loin de ressentir. La perspectivela mit d’autant plus mal à l’aise.

Son plan qui lui avait semblé si simpleen apparence prenait décidément unetournure compliquée.

Isabella l’étudia du regard.— Tu as des mensurations de

mannequin, lui dit-elle. As-tu pensé à larobe que tu porteras le jour de lacérémonie ?

Ce détail lui était tout bonnement sorti

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de l’esprit et lui fit regretter un peu plusde ne pas avoir choisi d’épouser Migueldans l’anonymat.

— Oh ! j’irai faire le tour desboutiques demain, dit-elle tout ensachant déjà qu’elle se contenterait deporter, le jour de la cérémonie, safameuse robe d’été de soie blanche.

— Demain ? s’étonna Isabella. Maisc’est dimanche et les magasins serontfermés. Du reste, ne m’as-tu pas dit queMiguel voulait te montrer l’emplacementde son futur club ?

— J’avais oublié ! dit-elle.Bien que Miguel et elle se soient peu

vus, ces derniers jours, il avait quandmême pris le temps, un matin, de luiparler en détail de l’avancement de son

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projet et elle avait accepté de l’yaccompagner dimanche.

Elle redoutait le moment où Miguelserait en mesure de financer le projet deses rêves car, alors, il n’aurait plusbesoin d’elle et sortirait à jamais de savie.

Quand il lui parlait de son futur club,son regard étincelait comme à l’époqueoù ils se rencontraient furtivement, audétour d’un couloir du lycée, et que,dans un chuchotis, ils se fixaient rendez-vous dans la soirée.

— Pour ta robe, je connais quelquesboutiques à San Antonio où tu trouveraiston bonheur, suggéra Isabella. Si tu veux,nous pourrions nous y rendre ensemble,la semaine prochaine ?

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En d’autres circonstances, elle auraitvolontiers accepté de passer une journéeavec quelqu’un d’aussi sympathiquequ’Isabella mais la perspective dedevoir mentir sur ses véritablesintentions, de feindre l’enthousiasmealors que ce mariage n’était qu’unsimulacre, la mettait au comble dumalaise.

— Je te remercie, répondit-elle, maisje possède déjà une robe qui feral’affaire.

— C’est toi qui décides, réponditIsabella sans cacher sa déception.

Si tout s’était déroulé normalement,elle aurait été ravie d’organiser avecIsabella une cérémonie de mariage dignede ce nom, autant que de courir les

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boutiques en sa compagnie, à larecherche de la plus belle robe possiblemais, dans l’état des choses, que luiimportaient le faste de la cérémonie oula couleur de sa robe ?

Elle voulut se persuader que, le jourde la cérémonie, elle aurait la force deprononcer ses vœux sans quetransparaisse sa gêne et sa honte, maisrien n’était moins sûr.

— J’espère que rien de grave ne tetracasse ? demanda Isabelle enl’examinant plus attentivement. Parfois,tu donnes l’impression d’être ailleurs,d’avoir des soucis.

— C’est très gentil à toi de prendremon mariage autant à cœur, répondit-elle à Isabella, mais je peux t’assurer

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que tout va bien.— Et Miguel va bien, lui aussi, tu en

es sûr ? insista Isabella.Après la façon brutale dont elle avait

rompu avec Miguel, dix ans auparavant,les Mendoza auraient pu lui en tenirrigueur, or ils se montraient charmantsenvers elle, comme si elle faisait déjàpartie de leur famille.

— Miguel va bien, confirma-t-elle, etje trouve qu’il a de la chance d’avoirune sœur comme toi et une famillecomme la vôtre.

Le visage d’Isabella s’illumina.— C’est vrai ? Tu penses ce que tu

dis ?— Oui, dit-elle, trop heureuse de

pouvoir enfin exprimer le fond de sa

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pensée sans avoir à mentir, et je tetrouve extrêmement sympathique.

— Alors, si tu veux bien, nouspourrions devenir de vraies amies ?suggéra Isabelle.

— Mais il me semble que nous lesommes déjà, répondit-elle.

Et, parce qu’elle s’en voulait delaisser croire à Isabella et aux Mendozaqu’elle se mariait avec Miguel paramour, il lui vint soudain une idée.

Après avoir remercié Isabella pourson accueil charmant, elle prit congé desa future belle-sœur, grimpa dans saLexus et prit la direction du plus grandsupermarché de Red Rock.

* * *

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Nicole revint chez elle, les braschargés de provisions car elle avaitdécidé de préparer, comme l’aurait faitn’importe quelle fiancée digne de cenom, un bon dîner pour son futur époux.

Même si elle rechignait encore àl’admettre, plus le temps passait et pluselle avait envie de renouer avec cethomme.

Quand elle ouvrit la porte de sonduplex, Miguel n’était pas encore rentréce qui, en un sens, l’arrangeait, tant ellecraignait de laisser paraître sessentiments.

Combien de fois, depuis leursretrouvailles, ne s’était-elle pas surpriseà rêver qu’elle caressait son corps viril,sa peau satinée, qu’elle posait ses lèvres

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sur sa bouche sensuelle alors mêmequ’en se rendant à New York pour lerencontrer elle ignorait encore que sapassion pour cet homme renaîtrait de sescendres.

Le recul aidant, elle admettait enfinque c’était elle, et elle seule, qui étaitresponsable de leur rupture passée, etnon son père.

Quitte à encourir les foudresparentales, il n’aurait tenu qu’à elle derester avec Miguel, dix ans plus tôt, etde tout faire pour vivre heureuse aveclui.

Depuis lors, elle avait vécu dans ladépendance de ses parents : elle avait eupeur d’affronter son père quand celui-cil’avait menacée de la déposséder de

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l’entreprise si elle ne se mariait pas auplus vite.

En épousant Miguel, elle avait toutesles chances de garder le contrôle deCastleton Boots, mais à quel prix ?

Miguel !Quoi que lui réserve l’avenir, les dés

étaient désormais jetés et il ne lui étaitplus possible de reculer la date dumariage ou de nier qu’elle se sentait denouveau amoureuse de cet homme.

* * *

Le dîner en train et la table mise,Nicole alla se rafraîchir le visage, puiselle choisit en fond sonore un disque queMiguel lui avait offert, avant leur

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rupture, et qu’elle avait dû écouter desmilliers de fois depuis lors.

— Pourvu qu’il rentre bientôt !s’exclama-t-elle pour la centième fois aumoins.

Miguel lui manquait bien plus qu’ellene l’aurait cru, et ce soir, à l’occasiondu dîner aux chandelles qu’elle avaitpréparé, elle espérait bien avoir lecourage de parler sincèrement avec lui.

Alors qu’elle arpentait le salon, laporte de l’entrée s’ouvrit sur un Miguelsouriant, qui se dirigea aussitôt verselle.

— Tiens, un cadeau pour toi, dit-il enlui remettant un grand paquet plat.

— Un cadeau ? Merci ! dit-elle,touchée.

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— Il s’agit d’une robe et je crois avoirdonné les bonnes mensurations à lavendeuse, précisa Miguel.

Tout en ouvrant fébrilement le paquet,elle songea une fois de plus que, dansmoins d’une semaine, ils seraientofficiellement mariés.

— Elle est magnifique ! dit-elle endéployant à bout de bras la robe courteet sexy choisie par Miguel.

— Au cas où elle ne t’irait pas ouencore si la coupe et le coloris ne teplaisaient pas, tu pourras facilementl’échanger, déclara-t-il.

Non seulement la robe lui plaisait,mais elle la trouvait élégante. En fait, sielle l’avait vue en vitrine, elle l’auraitprobablement achetée.

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— Je crois qu’elle t’ira à merveille,renchérit Miguel.

De sa paume, elle effleura le tissudiaphane de la robe et une idée excitantelui vint à l’esprit.

— Pour le savoir, il me faudraitl’essayer, dit-elle.

— Eh bien, va donc la passer et nousverrons alors si j’ai été bien inspiré,suggéra Miguel.

Une larme roula sur sa joue bientôtsuivie par d’autres.

— Voyons, il ne faut pas pleurer ! luisouffla--t-il à l’oreille tout en essuyantses larmes d’un doigt tendre.

Payer cet homme qu’elle aimait encoreafin qu’il l’épouse n’était-il pas la piredes choses à faire ? D’un autre côté,

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avait-elle seulement le choix ?— Je… Je ne sais pas ce qui me

prend, répondit-elle.— Peut-être un peu de fatigue ? Le

stress ?Oui, bien sûr, la fatigue et le stress

liés à l’approche de ce mariage mais,plus encore, la redécouverte de sessentiments profonds pour cet hommequ’elle avait tant aimé, autrefois, etqu’elle n’avait jamais pu oublier.

Elle se garda bien de lui dire qu’ellemourait d’envie de l’embrasser : tellequ’elle se connaissait, elle ne pourraitpas s’empêcher de vouloir refairel’amour avec lui et, ça, il ne pouvait pasen être question.

— Et si tu allais essayer ta robe ?

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suggéra-t-il en souriant.— Oui, tu as raison, dit-elle d’un ton

qu’elle voulut dégagé alors qu’elle n’enmenait pas large.

La gorge serrée par l’émotion, elle sedirigea vers sa chambre.

Samedi prochain, lors de lacérémonie, les vœux qu’ilsprononceraient auraient une valeurlégale mais tout le décorum, sa robe sibelle, la pièce montée, l’échanged’alliances et leurs baisers ne seraientque les signes manifestes d’unetromperie dont elle avait honte.

Et, peut-être parce qu’elle n’avait plusgrand-chose à perdre, elle eut envie desurprendre Miguel en allant au bout del’idée farfelue qui avait germée un peu

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plus tôt dans son esprit.

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- 7 -

Une fois seul, Miguel se demanda cequi avait bien pu provoquer les larmesde Nicole.

Depuis quelques jours, elle luiparaissait nerveuse et semblait vouloirle fuir.

Que Nicole soit émue à l’idée de leurprochain mariage, il pouvait lecomprendre, mais qu’elle se mette àpleurer sans raison le laissait perplexe.

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Dès le début, cette idée de mariagearrangé lui avait déplu et, s’il avaitfinalement accepté la proposition deNicole, c’était bien moins par intérêtfinancier que pour avoir une chance derenouer avec elle.

Or, plus le temps passait et moins ilavait le sentiment que Nicoles’intéressait à lui, ce qui rendait d’autantplus inexplicable la soudaine crise delarmes de sa future femme.

— Comment me trouves-tu ?Elle fit son entrée dans le salon. Mon

Dieu, elle était nue sous sa robe ! Il dutreprendre son souffle tant il était surpris.

— Eh bien, qu’y a-t-il ? demanda-t-elle avec un sourire innocent.

— Je… Cette robe te va à ravir,

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parvint-il enfin à articuler.— Tu ne dis pas ça pour me faire

plaisir ? demanda-t-elle avec une lueurmalicieuse dans le regard.

— Absolument pas, répondit-il.Nicole désirait-elle le choquer ? Dans

ce cas, c’était réussi.Tout en admirant les formes pulpeuses

qui se laissaient aisément deviner sousla minceur du tissu de la robe, il repensaà leur première nuit d’amour, sur labanquette arrière de la guimbarde quelui avait prêtée son frère.

Nicole n’en menait pas plus large quelui, cette nuit-là.

Un incroyable désir les avait jetésdans les bras l’un de l’autre et ilss’étaient aimés avec volupté, jusqu’aux

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premières lueurs de l’aube.Quand le ciel avait rosi, Nicole s’était

lentement étirée et il avait pu admirer àloisir la perfection de son corps offert àson regard.

Jamais il n’avait été aussi heureux quece matin-là et, naïvement, il s’étaitimaginé qu’une vie de bonheur partagéles attendait désormais.

Il aurait dû être plus prudent, mais seméfie-t-on assez de l’amour quand on adix-sept ans ?

— Eh bien, tu rêves ? lui demandaNicole avec un sourire.

— Non, je pensais à…— A quoi ? insista Nicole avec sa

moue adorable qui avait le don de lefaire craquer.

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— A toi, dit-il. Tu es belle, encoreplus belle qu’autrefois.

La vice-présidence de CastletonBoots rougit comme une collégienne.

— Tu exagères !— Non, je suis sincère. Tourne un peu

sur toi-même, veux-tu ?Après une hésitation, Nicole s’exécuta

et il devina sa chute de reins sous letissu diaphane de la robe.

— J’ai dû prendre un peu de poids,marmonna-t-elle avec une anxiété qui lefit sourire.

— Tu es idéalement mince, répondit-ilavec sincérité.

— Vraiment ? insista-t-elle.— Tu as le plus ravissant derrière du

monde, lâcha-t-il d’une voix rauque.

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Comme si le temps était aboli, iléprouva exactement la même sensationtroublante que lors de leur premièrerencontre au lycée. Et, s’il en jugeait parle trouble qu’il lisait dans les yeux deNicole, elle était, elle aussi, sur la mêmelongueur d’onde que lui.

Sans plus réfléchir, il s’approchad’elle et effleura sa hanche ronde d’unemain mal assurée.

La chair tiède à peine voilée frémitsous sa caresse et il dut faire appel àtoute sa volonté pour ne pas saisirNicole à bras-le-corps et l’emporterdans sa chambre.

— Tu es vraiment très belle ! lui dit-ilsans cesser de caresser sa hanchepulpeuse.

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— Miguel…, murmura Nicole enhaletant.

Il scruta ses yeux lumineux eténigmatiques comme pour décrypter cequ’ils recelaient de non-dit, de mystère,de pensées inavouées.

Plus son mariage avec Nicole serapprochait, plus il regrettait de s’êtreprêté à cette mascarade. Quels étaientses sentiments pour elle ? Il n’arrivaitplus à y voir clair.

A regret, il cessa de caresser lahanche de la jeune femme qui lui adressaun regard déçu.

— As-tu un passeport ? demanda-t-il àNicole.

— Oui, bien sûr, répondit-elle.— Ne l’oublie pas le jour de la

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cérémonie car, tout de suite après notremariage, nous partirons en lune de miel.

— Pourquoi si vite ? demanda-t-elle.— Tout le monde pense que nous nous

marions par amour et qu’il est donc dansnotre intérêt d’agir comme le ferait unvrai couple impatient de se retrouverdans l’intimité.

— Tu as raison, convint-elle avec unpetit sourire.

— Autant te le dire : même si notremariage est un simulacre, tu me plaisautant et peut-être même plus encorequ’il y a dix ans, déclara-t-il.

— Tais-toi ! fit Nicole en cachant sonvisage entre ses mains.

Il l’obligea à écarter ses mains et à leregarder dans les yeux.

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— Mes propos te choqueraient-ils ?Est-ce donc un péché de désirer unefemme aussi belle que tu l’es ?

— C’est plutôt flatteur pour moi,répondit-elle en mordillant sa lèvre,mais aussi prématuré.

— Une telle occasion ne sereprésentera peut-être jamais, objecta-t-il. Autant saisir le plaisir quand il passeà portée de main.

Nicole sembla le jauger du regard puisil la vit se détendre.

— Moi aussi, il m’arrive de… de tedésirer, fit-elle d’une voix frémissante,mais ne crains-tu pas qu’en refaisantl’amour ensemble nous allions au-devantdes difficultés ?

Savoir qu’il plaisait toujours à Nicole

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lui indiquait qu’il ne faisait pas fausseroute, comme il aurait pu le craindre.Après tout, il ne savait pas grand-chosede sa vie privée et Nicole aurait trèsbien pu avoir un petit ami.

— Que veux-tu dire ? Quel genre dedifficultés ? demanda-t-il.

— Tu le sais très bien. A peinemariés, il sera temps pour nous dedivorcer et je ne voudrais ni te fairesouffrir, ni souffrir à mon tour à cause decette séparation, lui répondit Nicole.

Il ne pouvait que lui donner raison,mais l’envie de connaître de nouveau,entre ses bras, le même plaisirqu’autrefois l’incitait à passer outre lerisque potentiel.

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* * *

Le lendemain matin, tandis que Miguell’emmenait en ville afin de lui montrerl’emplacement de son futur club, Nicolerepensa, non sans une certaine gêne, auxévénements de la veille.

Elle avait reçu une douche froidequand elle ne s’y attendait pas !

Vêtue de sa nouvelle robe souslaquelle elle était nue, émoustillée par lafaçon dont Miguel la déshabillait desyeux, elle avait été sur le point de luicéder.

L’ambiance était feutrée, le désirbouillonnait dans ses veines, Miguelsemblait la trouver à son goût et lanostalgie de ses amours avec lui prenait

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peu à peu le pas sur ses remords et sagêne.

Il n’aurait eu qu’un mot à dire, qu’ungeste à accomplir pour qu’elle se donneà lui.

Or ce mot, ce geste, Miguel ne lesavait pas eus et elle s’était résignée àservir le dîner avec le sentimentlancinant de ne plus être aussi désirableque par le passé.

Après le café, pendant qu’ilséchangeaient des propos banals, elleavait insisté pour réécouter le disquequ’il lui avait offert autrefois, et quiévoquait pour elle tant de souvenirsprécieux, mais Miguel avait choisi derester sur la réserve et ils s’étaientsouhaité une bonne nuit vers 22 heures,

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chacun allant se coucher dans sachambre respective.

— Tu ne dis rien ? s’étonna Miguel.— J’ai mal dormi, répondit-elle

sèchement.— Ah !Comme s’il avait voulu se faire

pardonner sa tiédeur de la veille, il luiavait préparé, à son réveil, un délicieuxpetit déjeuner avec toast et œufs commeelle les aimait, mais la collation, pourexcellente qu’elle fût, n’avait pas suffi àpanser la blessure de son amour-propre.

— Je suis de mauvaise humeur, maisça passera, ajouta-t-elle.

Après être allée se coucher, ellen’avait cessé de penser à Miguel, à leurpassé, à tout ce qu’ils avaient partagé de

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passion et de volupté, au temps heureuxde leur insouciance.

Sa mémoire lui rappelait sans cesse àquel point il était bon amant, combienentre ses bras elle avait pris du plaisir etpoussé des cris d’extase quand ilsfaisaient l’amour.

Miguel s’était-il lui aussi, tout commeelle, tourné et retourné dans son lit oubien était-il trop obsédé par son fameuxclub pour penser à elle et à ce qu’ilsavaient pu vivre ensemble ?

Il se gara bientôt à proximité d’unimmeuble orange et l’aida à sortir de lavoiture.

— Le bâtiment ne paie pas de mine,mais je vais remodeler les lieux de fonden comble avec l’aide de Roberto, dit-il

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en accompagnant ces propos d’un gestede la main.

Oubliant momentanément ses griefscontre Miguel, elle jeta un regardintéressé au bâtiment dont une vitre étaitcassée et qui, s’il n’avait rien desomptueux, jouissait d’un emplacementidéal en ville.

— As-tu déjà un style de décorationen tête ? demanda-t-elle non sanscuriosité.

— Je veux en faire un clubtypiquement texan, répondit-il avec unsourire. Red Rock compte de nombreuxéleveurs et cow-boys qui seront heureuxd’écouter de la musique country tout enbuvant leur bière favorite.

Elle trouva sa décision judicieuse.

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— Cet immeuble aurait besoin d’unebonne couche de peinture fraîche, dit-elle en contemplant la façade décrépie.

— C’est sûr, répondit Miguel. Jeregrette que le propriétaire soit absent,sinon je t’aurais fait visiter l’intérieur.Tout est à refaire, mais la situation estidéale et, quand mon nom brillera enlettres d’or sur la façade refaite à neuf,je serai le plus heureux des hommes.

L’enthousiasme de Miguel la fitsourire autant que la façon dont il avaitdit « mon nom », un nom qu’elle netarderait pas à porter, une fois devenuesa femme.

Si quelqu’un lui avait dit qu’un jourelle s’appellerait Mme Mendoza, elleaurait cru à une plaisanterie, mais c’était

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bel et bien ce qui était en train de seproduire.

Une fois mariées, viendrait le momentoù ils auraient à remplir les papiers dudivorce, et l’épisode s’annonçait déjàpeu glorieux et même franchementpénible.

Que diraient ses parents en apprenantque son mariage avec un homme qu’elleleur avait décrit et présenté comme étantson prince charmant était un échec ?

Tels qu’elle les connaissait, ilspousseraient des soupirs de soulagementet s’empresseraient de lui faire lamorale en insistant pour lui présenterdes prétendants dignes d’elle.

Un cauchemar !— Eh bien, tu rêves ? lui demanda

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Miguel.— Je… Excuse-moi, je pensais à autre

chose, dit-elle en rougissant.Miguel lui lança un regard perçant

avant de poursuivre.— Le bar sera classique et la salle de

danse ultramoderne. J’offrirai à maclientèle, une fois par semaine, unorchestre live et, les autres soirs, desvidéos de chanteurs country sur deuxécrans géants.

Tout en écoutant les explications deMiguel, elle s’approcha d’une fenêtre etjeta un coup d’œil à l’intérieur del’immeuble qui, en dépit du manque delumière, lui parut avoir des proportionsrespectables.

— Eh bien, qu’en dis-tu ? interrogea

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Miguel.— Je crois que ton projet aura du

succès, déclara-t-elle, oubliant sarancune contre lui.

— Tu ne dis pas ça pour me faireplaisir ? demanda-t-il.

— Non, je suis sincère, répondit-elleen coulant vers lui un regard ému.

Touchée qu’il tienne autant à luimontrer le lieu où il voulait édifier sonfutur club, elle était fière de partageravec lui ce moment privilégié.

— D’après toi, je fais le bon choix ?insista-t-il.

Une question de pure forme, car ellese doutait que sa décision était prise etque, s’il lui restait encore des doutes,c’était vers Roberto qu’il se serait

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tourné, mais sa sollicitude lui fitnéanmoins plaisir.

— L’emplacement vaut de l’or,répondit-elle.

Miguel afficha un sourire radieux.— C’est aussi mon avis, dit-il. J’ai

rendez-vous avec Roberto cet après-midi, afin de régler les derniers détails.

— Je suis sûre que ton club vamarcher, renchérit-elle non sans unpincement de dépit car, une fois devenupropriétaire d’une boîte de nuit, Miguelcesserait sans doute de s’intéresser àelle.

— Merci, répondit-il en la regardantd’une façon qui la fit frissonner. Je nesais pas si je devrais ou non te le diremais, depuis nos retrouvailles, je suis un

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autre homme.Au fond des prunelles de Miguel, il lui

semblait à présent discerner cette mêmeflamme de désir qu’autrefois, quand ill’attendait autrefois, près de la rivière,et qu’elle se jetait hors d’haleine entreses bras.

— Parce que, grâce à moi, tu vaspouvoir ouvrir enfin le club de tesrêves ?

— Pas seulement, répondit Miguel enla regardant avec insistance.

Pendant un instant, elle crut qu’iléprouvait toujours des sentiments pourelle, mais elle devait faire erreur caraprès la façon cruelle dont elle avaitrompu avec lui, dix ans plus tôt, il étaitpeu probable qu’il lui ait pardonné.

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Samedi prochain, alors même queMiguel ne l’aimait pas, elle seraitofficiellement devenue Mme Mendoza etcette perspective ne manqua pas de latroubler : en ce qui la concernait, ellepensait toujours à lui avec amour.

Elle ne voulait cependant pas perdreespoir : peut-être qu’avec de la patienceelle saurait reconquérir le cœur de cethomme qu’elle avait tant blesséautrefois ?

— Quoi qu’il en soit, dit-elle, je suisheureuse moi aussi de te revoir,s’entendit-elle répondre.

Comme s’il était déçu, ce dernierhocha plusieurs fois la tête.

— Bon, et si nous allions déjeuner auRed ? suggéra Miguel sans la quitter des

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yeux.Elle en mourait d’envie, mais plus elle

passait du temps avec lui, plus ellecourait le risque de se donner à lui sanscontrepartie. En ce qui la concernait,elle était toujours amoureuse de Miguel,elle devait bien se rendre à l’évidence,mais rien ne l’assurait que la réciproquesoit vraie.

— Une autre fois peut-être, dit-elled’un ton d’excuse. Mais, aujourd’hui, jedois étudier un important dossier aubureau en prévision de la réunion dedemain.

— Tu vas travailler un dimanche ?s’étonna-t-il.

— Eh oui ! dit-elle non sans rougir.On ne devient pas vice-présidente d’une

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entreprise comme Castleton Boots sanspayer de sa personne.

Et, à son grand soulagement, Miguelne souleva plus d’objections.

* * *

Le lundi matin, Nicole se leva debonne heure afin de ne pas risquer decroiser Miguel dans la cuisine ou dansla salle de bains.

La veille, elle lui avait dit qu’elledevait retourner au bureau afin depréparer une réunion qui aurait lieuaujourd’hui même et, bien sûr, elle avaitmenti.

Miguel l’avait déposée devant chezelle afin qu’elle récupère sa voiture,

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puis il était reparti en ville pourexaminer sa future acquisition de plusprès.

Une fois à l’entreprise, elle avait saluéle gardien et était montée dans sonbureau pour y réfléchir à loisir.

Qu’y pouvait-elle si Miguel continuaitde faire battre son cœur et d’incendierses sens ?

Qu’y pouvait-elle si, d’un regard, d’unsourire, il avait le don de lui faireremonter le temps et de la rendrenostalgique de leur bonheur passé ?

Chaque fois qu’elle le croisait enpyjama ou torse nu, il lui était encoreplus difficile de résister à son charmeviril.

Pourtant, si la réunion était une

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invention, il n’en demeurait pas moinsqu’ils étaient sur le point de lancer unnouveau modèle de bottes et que cetteperspective l’excitait beaucoup.

* * *

Deux heures après être arrivée àl’entreprise, elle déposa sur le bureaude son père les croquis corrigés par sessoins du fameux modèle.

Tout en pensant à Miguel, elle seplongea dans l’étude d’un bilanpublicitaire qui lui paraissaitcontestable et qu’elle décida decorriger : une vice-présidente devaitveiller au grain dans tous les domaines !

Soudain, alors qu’elle additionnait des

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chiffres, son père fit une entréefracassante.

— Je dois te parler ! dit-il.— A propos du nouveau modèle de

bottes ? demanda-t-elle, surprise. J’aiapporté quelques corrections au projetinitial, mais nous pouvons en discuter, situ veux.

— Il s’agit bien de bottes ! s’égosillason père, plus rouge que jamais. Depuiston retour de New York, ta mère et moiavons le sentiment que tu fais tout pournous éviter.

En temps normal, elle se seraitcontentée d’une réponse diplomatique,mais l’envie de régler ses comptes aveclui fut plus forte que la crainte qu’il luiinspirait.

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— Quand nous avons dîné avec vousau Country Club, Miguel et moi, vousl’avez traité avec condescendance, alorsne t’étonne pas si nous avonseffectivement tendance à vous fuir,répliqua-t-elle d’un ton ferme.

— Ta mère et moi, nousdésapprouvons ce mariage avec unhomme que tu connais si peu.

— Je connais Miguel depuis plus dedix ans, objecta-t-elle.

— Vous étiez des gosses, à l’époque,répondit son père avec un haussementd’épaule.

— Miguel et moi, nous avons grandidepuis, rétorqua-t-elle d’une voixvibrante, et nous n’avons pas à vousrendre de comptes sur notre vie privée.

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Et puis, je suis diplômée de l’université,vice-présidente et directrice adjointe deCastleton Boots, ce qui me permet derevendiquer le titre d’adulte.

— Personne ne conteste tes capacitéset l’importance de tes fonctions à la têtede notre entreprise, répondit son père,mais je voudrais tout de même que tuévites de te marier pour de mauvaisesraisons.

Elle aurait pu se fâcher net, se lever etpartir, mais elle décida de privilégier ledialogue avec son père.

— Continue, l’encouragea-t-elle.— Si tu épousais Miguel uniquement

dans le but de prendre le contrôle deCastleton Boots, tu ferais une graveerreur car rien ne m’empêchera, si je le

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souhaite, de prendre d’autresdispositions.

— Lesquelles ? demanda-t-elleanxieusement.

— Je pourrais léguer l’entreprise à laRed Rock Human Society, une façonpour moi de faire acte charitable et decourt-circuiter tes plans.

En touchant un point sensible, son pèrel’aida aussi à y voir clair dans sesintentions, ce qu’elle n’avait pas su fairejusqu’à présent.

— Ainsi, tu me crois capabled’épouser Miguel uniquement parintérêt ? Comme tu te trompes !

Son père ignorait qu’elle avait promisà Miguel cent mille dollars en échangede son consentement, mais il ne savait

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pas davantage qu’après ces quelquesjours passés avec son futur mari elleétait encore et toujours amoureuse delui.

Elle le brava du regard.— Si, toi et maman, vous n’aviez pas

tout fait, il y a dix ans, pour me séparerde Miguel, je l’aurais déjà épousé etvous auriez aujourd’hui la joie d’avoirune ribambelle de petits-enfants. Tantpis pour vous !

Son père hocha tristement la tête.— Tu ne m’ôteras pas de l’esprit que

tu joues un jeu dangereux, ma petite fille,dit-il.

— J’épouserai bientôt Miguel,affirma-t-elle, plus déterminée quejamais.

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La date de leur mariage était fixée àsamedi prochain, 13 heures, dans leranch de J.R. Fortune, mais elle n’avaitpas encore trouvé le temps — ou l’envie— d’en informer ses parents.

— Eh bien, fais-en à ta tête ! répliquason père avant de tourner les talons.

Une fois seule, elle fut en proie à despensées contradictoires. Elle aimait sesparents plus que tout au monde, et lapeine qu’elle n’allait pas manquer deleur infliger la tourmentait au plus hautpoint.

Mais n’était-il pas temps pour elle deprendre son envol, d’affirmer sonindépendance et d’oser enfin vivre defaçon plus autonome ?

Dix ans auparavant, le fait qu’elle ait

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couché avec Miguel avait atterré sesparents, et elle avait du mal aujourd’huià pardonner leur attitude bornée d’alors.

A l’époque, elle aimait sincèrementMiguel et eux, au lieu d’entendre sesraisons et de respecter ses sentiments,n’avaient rien trouvé de mieux à direque de la menacer de l’envoyer enpension si elle ne rompait pas au plusvite avec son petit ami.

Elle s’était pliée à la volonté de sesparents, ce qui ne les avait pasdissuadés, à l’époque, de la soumettre àune véritable surveillance policière.

Après les cours du lycée, elle étaittenue de rentrer à heure fixe et, chaqueweek-end, elle devait tenir ses parentsinformés de ses déplacements, de ses

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moindres faits et gestes, tant ilsredoutaient de la voir renouer avecMiguel qui, pourtant, ne vivait plus àRed Rock.

Ce régime s’était prolongé jusqu’à sondépart pour l’université.

Aujourd’hui encore, ses parentscontinuaient de se méfier d’elle, de lasurveiller et, plus grave encore, devouloir se mêler de sa vie intime. Voilàpourquoi elle hésitait tant à les inviter àson mariage.

* * *

Ce matin-là, Nicole eut du mal àcontenir son émotion à la pensée qu’elleserait mariée à Miguel dans quelques

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heures à peine.Partagée entre ses doutes, ses envies

et son travail à l’entreprise, elle n’avaitpas vu les jours passer ou, du moins,elle avait choisi de ne plus penser à cetévénement qui lui apparaissait de plusen plus comme une négation de tout ceen quoi elle croyait.

Quitte à perdre l’entreprise, n’aurait-elle pas mieux fait de démissionner deson poste, ce qui lui aurait enfin donnél’autonomie dont elle rêvait et lui auraitaussi permis de revoir Miguel sansprécipiter les choses entre eux et,surtout, sans y mêler une questiond’argent ?

Elle avait failli proposer à Migueld’annuler leur mariage sous le premier

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prétexte venu, mais quand, voici troisjours, il lui avait annoncé qu’il venait designer l’acte d’achat de l’immeuble qu’ilconvoitait, elle n’avait pas eu le cœur deruiner ses plans et ses espoirs.

Dès le début, Miguel avait été trèsclair avec elle : il ne l’aimait plus etelle le payait en échange de son « oui ».Une fois passé un délai raisonnable, ilsdivorceraient et chacun reprendrait saroute.

Peut-être, après tout, avait-elle encoreune chance de se faire aimer de lui ?Dans ce cas, il ne tenait qu’à elle de semontrer avenante et sexy pour qu’il aitenvie de rester avec elle et, qui sait, dene plus avoir envie de divorcer.

Pourtant, elle savait bien qu’il ne

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faudrait pas moins d’un miracle, et cettepensée lui serra le cœur.

Son père n’avait sans doute pas eutort, l’autre soir, de lui énumérer lesdangers qu’il y aurait à épouser un futurdirigeant de boîte de nuit : en attendantleur divorce officiel, elle risquait fort eneffet d’être abonnée aux soirées et auxweek-ends en solitaire. Miguel auraitsûrement plus envie de se consacrer aulancement de son club qu’à elle.

Après s’être étirée et avoir émis unultime bâillement, elle se leva et sedirigea d’un pas traînant vers la fenêtre,qu’elle ouvrit sans entrain aucun.

De lourds nuages constellaient le cielet elle y vit un mauvais présage, commela confirmation que ce simulacre de

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mariage ne lui apporterait que desdéconvenues. En épousant Miguel nonpar amour mais par simple intérêtfinancier, elle avait de plus en plus lesentiment de se rendre coupable d’unsacrilège.

La mort dans l’âme, elle se doucha enutilisant un gel parfumé au santal, puismania le séchoir durant un bon quartd’heure.

Satisfaite du résultat, elle enfila unjean et un chemisier turquoise puiss’assura qu’elle n’oubliait ni sonpasseport, ni sa robe de mariage etencore moins les ravissants Bikinis etles sous-vêtements sexy qu’elle avaitpris soin d’acheter, la veille, dans laboutique la plus chic de Red Rock.

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Si les circonstances de son mariageavec Miguel ne pouvaient que la laisserinsatisfaite, la perspective de passer salune de miel en compagnie du plus beaugarçon qu’elle ait jamais rencontré de savie lui fournissait une certainecompensation.

* * *

Nicole retrouva Miguel dans lacuisine où ce dernier s’affairait autourde la machine à café.

— Alors, prêt pour le grand jour ? luidemanda-t-elle.

— Oui, prêt, répondit Miguel en ladétaillant du regard. Et permets-moi dete dire que tu feras une ravissante

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mariée.Sans attendre sa réaction, il lui servit

une tasse de café avec plusieurs toastsbeurrés.

— Merci, fit-elle.— Tes bagages sont prêts ? demanda

Miguel en portant sa tasse à ses lèvres.— Oui, et je n’ai pas oublié mon

passeport, mais es-tu sûr de vouloirpartir ?

Miguel se rembrunit.— Et pourquoi aurais-je changé

d’avis, si ce n’est pas indiscret ?— L’achat de cet immeuble et

l’aménagement de ta future boîte de nuitdoivent t’accaparer, fit-elle en reposantsa tasse.

— Pas au point de me faire renoncer à

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une lune de miel avec une femme aussijolie que toi, répondit-il.

Il l’enveloppa ce faisant d’un regard àla fois chaleureux et incisif.

Pour qu’il lui consacre une semaine deson temps, c’était la preuve qu’elle avaitquand même une certaine importance àses yeux, et ce constat lui fit chaud aucœur.

— Où comptes-tu m’emmener ?demanda-t-elle sans parvenir à refrénerplus longtemps sa curiosité.

Tout à l’heure, sous sa douche, elles’était lancée dans une série desuppositions, éliminant la montagne,bien sûr, puisque Miguel lui avaitrecommandé d’emporter des maillots debain, mais elle avait été incapable de

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décider si, parmi les pays étrangerspossédant un littoral, il aurait choisi lesBahamas, les îles Vierges, ou leMexique.

— C’est une surprise, dit-il, mais jepeux d’ores et déjà te dire que tuapprécieras le paysage. A propos, j’aiinvité un de mes amis à notre mariage, etj’espère que ça ne te dérangera pas ?

— De qui s’agit-il ? demanda-t-elle,vaguement inquiète à l’idée qu’il puisses’agir d’un ancien lycéen témoin de leuridylle passée.

— Sawyer Fortune, répondit Miguel.J’ai fait sa connaissance il y a un an etdemi.

Les Fortune et les Castletonfréquentaient les mêmes ventes de

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charité, mais elle n’avait pas souvenird’y avoir croisé Sawyer, dont laréputation de célibataire endurci n’étaitplus à faire, en ville.

— Comment vous -êtes-vous connus ?demanda-t-elle.

— Au mariage de Marcos et deWendy, expliqua Miguel. Nous avonsparlé base-ball, Sawyer et moi, et, de filen aiguille, nous avons sympathisé.

Son cœur battant plus vite, elleregarda Miguel avec méfiance.

— Et à part le base-ball, de quoid’autre avez-vous parlé, ce jour-là ?

— Mais de ce qui était susceptibled’intéresser deux célibataires commenous, répondit-il non sans ironie.

Elle lui lança un regard accusateur.

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— Je m’en serais doutée ! Sawyer estle type même du parfait séducteur etvous avez dû vous régaler à comparervos conquêtes respectives.

Miguel éclata de rire.— Bon, j’admets que nous ayons

évoqué la bagatelle, Sawyer et moi,mais depuis quand est-ce un crime ?Nous sommes du même âge, nous aimonsles voitures, le sport, la danse…

— Et vous êtes restés en contact ?— Oui, car Sawyer m’apprécie autant

que je l’apprécie. Je savais qu’il était deretour à Red Rock et en le croisant hier,en ville, j’en ai profité pour lui annoncermon mariage.

— Ta décision a dû surprendre lecélibataire endurci qu’il est resté,

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supposa-t-elle.— Evidemment, rétorqua Miguel avec

une grimace comique, et c’est pourm’assister dans mes derniers instants deliberté qu’il souhaite être des nôtres toutà l’heure.

Sans doute Miguel comprit-il qu’ellene souhaitait pas vraiment la présencede Sawyer à leur mariage, car il eut ungeste d’excuse.

— J’aurais d’abord dû t’en parleravant de l’inviter mais, crois-moi,Sawyer est quelqu’un de bien.

Elle rangeait Sawyer dans la catégoriedes coureurs impénitents, des séducteursécumant les bars chic de Red Rock, maisn’était-ce pas aussi le cas de Miguel,après tout ?

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— Voyons, Nicole, ça n’a rien degrave, rétorqua Miguel.

— Non, bien sûr.Miguel fronça les sourcils.— Et si tu me disais plutôt ce qui te

tracasse ?— Toi, répondit-elle avec une petite

grimace comique.Elle n’aurait pas dû, en toute logique,

s’inquiéter de savoir si Miguelcontinuerait de voir des femmes pendant,et bien sûr après, leur mariage etpourtant, qu’elle le veuille ou non, ellene pensait plus qu’à ça.

— Moi ? Comment ça, moi ? s’étonna-t-il.

Elle poussa un long soupir.— J’ai une faveur à te demander, dit-

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elle d’un ton grave.— Laquelle ?Elle baissa les yeux, car sa requête

n’était pas des plus faciles à formuler.— Si j’ai bien compris, tu ressembles

à Sawyer sur plus d’un point. Commelui, tu aimes sortir dans les bars,rencontrer des femmes, les séduire…

— Tu exagères, répliqua Miguel enfronçant les sourcils.

C’était absurde mais, si elle avait pu,elle aurait fait graver une clause defidélité en lettres d’or dans le contrat demariage.

— Tant que nous serons mariés, je…je voudrais que tu t’abstiennes de metromper, bredouilla-t-elle.

Miguel garda le silence, puis son

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visage se détendit.— Je ne suis ni irresponsable, ni

cruel, dit-il enfin. Crois-tu que jet’infligerais ce genre d’humiliation,alors que nous sommes devenus le pointde mire de tout Red Rock ?

— Non, bien sûr, marmonna-t-elle, lesyeux brouillés par les larmes.

— Nicole, voyons ! s’exclama Miguelen la prenant dans ses bras.

Elle se laissa aller contre lui puis,gênée, échappa à son étreinte et sortit unmouchoir afin d’essuyer ses joueshumides.

— Excuse-moi. Je me conduis commeune idiote.

— Non, tu te conduis comme la Nicolesensible et généreuse que j’ai tant aimée

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autrefois, déclara-t-il.Elle aurait préféré l’entendre dire

qu’il continuait de l’aimer aujourd’hui,mais n’était-ce pas absurde puisquec’était elle qui, dix ans auparavant, luiavait signifié la fin de leur relation ?

— Bois encore du café, dit Miguel enremplissant sa tasse.

Trop émue pour parler, elle leremercia d’un hochement de tête.

— Au fait, as-tu pensé à inviter tesparents ? lui demanda Miguel.

Elle lui fut reconnaissante de changerde sujet. Dans l’état où elle se trouvaitactuellement, évoquer les sentiments, lafidélité ou, plutôt, l’infidélité, était unetâche au-dessus de ses forces.

— Non, pas encore, répondit-elle.

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Alors que les Mendoza s’étaientmontrés si sympathiques, si chaleureuxavec elle, se réjouissant de la voirmariée à Miguel et prêts à l’accueillir enleur sein comme l’une des leurs, sesparents n’avaient cessé d’afficher leurscepticisme et leur désaccordconcernant ce mariage.

— Je redoute que leur attitude butéene vienne gâcher la cérémonie, ajouta-t-elle comme pour se justifier.

— Je ne tiens pas moi non plus à leurprésence, mais ce sont tes parents,répondit gravement Miguel.

— Si nous avions décidé de nousmarier à Reno ou à Las Vegas, ilsn’auraient pas été là, n’est-ce pas ?objecta-t-elle.

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— Oui, mais nous nous marions à RedRock, fit observer Miguel. Savent-ils aumoins que la cérémonie aura lieuaujourd’hui, chez J.R. et Isabella ?

— Non.— Tu ne leur laisses donc aucun

choix, pas même celui de refuser devenir si telle était leur volonté ? conclutMiguel.

— Puisque notre mariage est avanttout un contrat financier entre nous, enquoi la présence ou l’absence de mesparents t’importe-t-elle autant ?demanda-t-elle.

— Peut-être parce que ce mariagecompte davantage pour moi quel’accomplissement d’un contrat,répondit-il.

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— Je croyais que tu ne m’aimaisplus ? dit-elle sèchement.

Il y eut un long silence qu’elle segarda bien de rompre tant elle regrettaitdéjà d’avoir dit tout haut ce qu’elle necessait de penser tout bas depuis qu’ilss’étaient retrouvés.

— Autrefois, si tes parents net’avaient pas poussée à rompre avecmoi, j’aurais été heureux de devenir tonmari, lui dit-il d’une voix sourde.

Autrefois, oui, mais aujourd’hui ?N’était-ce pas par appât du gain que

Miguel avait finalement accepté del’épouser ? Mais alors, dans ce cas,pourquoi sa première réaction, quandelle lui avait rendu visite à New York,avait-elle été de refuser sa proposition ?

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Elle scruta son expression, sans y lireles réponses à ses questions.

Miguel mettrait-il à profit leur lune demiel pour la séduire ? Si elle en jugeaitpar son sourire las, rien n’était moinssûr.

— Alors, à ton avis, je devrais invitermes parents ? lui demanda-t-elle enfin.

— La décision t’appartient, réponditMiguel.

— Ce mariage ne compte guère pourtoi, je veux dire sentimentalement ? luidemanda-t-elle non sans amertume.

— Et pour toi, ce mariage compte-t-ilsentimentalement ? rétorqua Miguel enla regardant dans les yeux.

Ne se sentant ni la force, ni le courage,de lui répondre, elle garda le silence.

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- 8 -

Nicole découvrit avec plaisir le patiode Molly’s Pride décoré de fleurs et deguirlandes.

— C’est magnifique ! dit-elle àIsabella qui, visiblement, guettait saréaction.

— Je suis heureuse que le résultat teconvienne, déclara celle-ci d’un tonsatisfait, mais le mérite revient en partieà ma conseillère en mariage.

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— Alors tu la féliciteras de ma part.— Je n’y manquerai pas, répondit

Isabella en l’examinant de la tête auxpieds. A mon tour de te féliciter pour tarobe, car elle te va à ravir.

— Merci, murmura-t-elle enrougissant. Tu ne trouves pas qu’elle estun peu courte ?

— Non, elle est parfaite, répondit sonamie, et je crois que ma conseillère enmariage te dirait la même chose si elleétait ici.

Décidément, cette conseillère semblaitêtre la perle rare.

Elle était d’autant mieux placée pourapprécier la qualité de sa prestation que,quelques semaines auparavant, c’étaitelle qui s’était chargée du bon

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déroulement des fiançailles de son amieMarnie.

A ce propos, où était donc Marnie,parmi tous ces invités qui lui donnaientdéjà le tournis ?

— Je te quitte car il faut que j’aillem’occuper de mes hôtes, l’avertitIsabella.

— Entendu.Elle aperçut bientôt Marnie dans

l’angle du patio et échangea un regardcomplice avec elle.

Un peu plus loin, Miguel, en queue-de-pie et en chapeau de cérémonie,discutait avec son frère Marcos etquelques membres de sa nombreusefamille.

Elle lui adressa un signe de

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connivence, auquel il répondit, puis elletourna ses regards vers ses parentsarrivés quelques minutes auparavant.

Ce matin, avant de partir, elle avaitcédé à l’insistance de Miguel et appeléson père pour lui annoncer qu’elle semariait aujourd’hui.

Son père était tombé des nues et elleavait dû lui répéter deux fois que, dansdeux heures à peine, Miguel seraitofficiellement son mari.

— Tu aurais pu nous prévenir plus tôt,avait ronchonné son père.

Elle s’était excusée et lui avait précisél’heure de la cérémonie ainsi quel’itinéraire à suivre pour se rendre àMolly’s Pride.

Appeler ses parents n’avait pas été

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chose facile, mais Miguel avait tantinsisté qu’elle avait fini par céder.

Elle le soupçonnait de vouloir sevenger du mépris que son père lui avaittémoigné, dix ans auparavant, en luimontrant qu’aujourd’hui il épousait enfinsa fille chérie, mais elle savait aussique, dans la culture de Miguel, l’espritde famille comptait pour beaucoup etelle refusait de passer à ses yeux pour uncœur sec et dénaturé.

A voir l’expression navréequ’affichaient son père et sa mère, iln’était pas difficile d’en déduire qu’ilsdésapprouvaient son mariage et qu’ilsauraient sans doute préféré être ailleursqu’au milieu de gens qu’ils neconnaissaient pas. Mais qu’y pouvait-

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elle ?Pendant que sa mère tamponnait ses

yeux rougis avec un mouchoir dedentelle, son père, jetait autour de luides regards impatients et elle en futpeinée pour Isabella et J.R.

— Nicole ! s’exclama sa mère en luilançant un regard implorant.

Elle soupira. Outre que la présence deses parents lui compliquait la vie, ellese sentait de moins en moins encline àépouser Miguel pour les mauvaisesraisons.

Si seulement ses parents ne s’étaientpas montrés aussi obtus, dix ansauparavant, ils vivraient déjà ensembleet seraient sans doute mariés, sansqu’elle ait eu à recourir à ce stratagème

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indigne.Désemparée et anxieuse, elle chercha

son futur mari des yeux et, quand elleaccrocha enfin son regard, elle futsoulagée de constater qu’il semblaitcompatir à sa détresse, lui quiconnaissait son secret.

* * *

En voyant à quel point Nicole semblaitperdue, Miguel aurait voulu aller laconsoler sur-le-champ et ce futseulement par respect pour les invitésqu’il se contenta de lui adresser unsourire ému qui disait, mieux que desmots, à quel point il pensait à elle.

Depuis ce matin, Nicole n’avait cessé

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de donner les plus grands signes denervosité sans qu’il ose lui en demanderles raisons.

A l’épreuve qu’était pour elle commepour lui ce simulacre de mariage, venaits’ajouter l’attitude renfrognée d’Andy etElisabeth Castleton, qui contrastait avecla gaieté affichée des Mendoza.

Que le tout-puissant Andy Castleton nepuisse plus s’opposer à son union avecNicole aurait dû lui mettre du baume aucœur, mais il n’en tirait en fin de compteaucune satisfaction.

Il aurait de loin préféré que Nicole aiteu le courage d’affronter son père, derefuser son chantage, quitte à perdrel’entreprise.

Peut-être alors, tous deux auraient-ils

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pu reprendre leur histoire d’amour là oùcelle-ci s’était interrompue, dix ansauparavant et, qui sait, se marier pour debon ?

Nicole avait préféré biaiser et luioffrir cent mille dollars en échange de sapromesse de l’épouser, et il se demandaune fois de plus s’il avait eu raison, endéfinitive, d’accepter sa proposition.

Voyant que son expression morosedéstabilisait Nicole, il s’empressa desourire, car il ne servait à riend’instiller chez elle encore plus de doutequ’elle n’en avait déjà.

Avec l’argent qu’elle lui verserait unefois qu’ils seraient mariés, il ouvriraitson club, ferait fortune et deviendraitsans nul doute le prince des nuits

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texanes. Ce qui n’était déjà pas si mal,au fond.

Et, pour le reste, il ne doutait pas quesa lune de miel avec Nicole dans uncadre choisi à dessein, leur réserveraitd’heureuses surprises, ce qui n’était passi mal non plus.

* * *

Une allée aménagée entre les chaisesconduisait à l’estrade sur laquelle setenait le juge.

Du regard, Miguel chercha son père,Luis Mendoza.

Il l’aperçut sur sa droite, en grandeconversation avec Isabella et J.R. Voircet homme aux cheveux argentés qui

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l’avait accompagné de son mieux, quandil était jeune, ne manqua pas de susciteren lui une brusque émotion.

Derrière son père, Wendy, la femmede Marcos, bavardait discrètement avecAsher Fortune, le fiancé de Marnie,tandis qu’un peu plus loin Leah, Javier,Rafe et Melina affichaient des minesradieuses.

La pensée de devoir divorcer deNicole, juste après s’être mariée avecelle, lui serra le cœur : ces gens qui leurfaisaient confiance, son père enparticulier, mais aussi Isabella, J.R. et leclan Fortune, ne manqueraient pas de seposer des questions sur ce qui motivaitleur rupture.

Certains d’entre eux iraient même

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peut-être jusqu’à dire que ce mariageavait été un moyen pour Nicole deconserver son entreprise.

Et pour lui de s’offrir une boîte denuit.

Sawyer Fortune, assis à côté de sonfrère Asher, le regarda avec une petitelueur ironique dans les yeux, quisemblait dire : « Plutôt toi que moi ».Cela ne fit qu’aviver son malaise carSawyer pensait sincèrement qu’il étaittombé fou amoureux de Nicole, en toutcas assez fou pour vouloir l’épouser, lui,le célibataire endurci.

Si Sawyer avait su que, pour le prixde son « oui », l’ex célibataire endurcitoucherait cent mille dollars, peut-êtrealors l’aurait-il regardé non avec pitié

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mais avec mépris ?Pourtant, en dépit des dix ans qui

venaient de s’écouler, sa flamme pourNicole restait encore vivace et il laregarda, irradiant de beauté, marchervers l’estrade où se tenait le juge, suiviede Marnie McCafferty, sa demoiselled’honneur.

Comme hypnotisé, il admira sa grâce,le scintillement de ses bouclesd’oreilles et le brillant de sa cheveluretorsadée.

S’il n’y prenait garde, il risquait fortde retomber fou amoureux de Nicole,avec toutes les conséquences que celasupposerait.

Tandis que celle qui allait bientôt êtresa femme continuait de remonter l’allée

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aux accents de la Marche nuptiale, il neput s’empêcher d’admirer sa démarchealtière et une bouffée d’amour lesubmergea.

— Courage, Nicole, murmura-t-ilentre ses dents, plus que quelquesminutes de patience et nous seronsmariés.

Ils tireraient alors leur révérence ets’envoleraient pour le petit paradis qu’ilavait hâte de lui faire découvrir.

Là-bas, entre la mer et le soleil, ilspourraient prendre enfin le temps devivre, loin du regard des autres.

Comme si Nicole l’avait entendu, elletourna la tête dans sa direction et luiadressa un sourire radieux.

Rasséréné, il se dirigea à son tour vers

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le juge et, quand il fut enfin aux côtés desa future épouse, il ne put s’empêcher defrissonner.

Ce mariage était peut-être unsimulacre, mais cela ne faisait pas de luiun tricheur pour autant.

* * *

Tout en suivant d’une oreille attentiveles propos du juge, Nicole réfléchissaitaux vœux qu’elle allait prononcer trèsbientôt et à la réaction qu’auraient sesparents en l’entendant dire « oui » àMiguel Mendoza.

Elle coula un regard discret dans leurdirection.

Son père semblait de marbre et sa

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mère, elle, tenait toujours à la main sonpetit mouchoir de dentelle, comme pourprévenir une prochaine crise de larmes.

Alors que le grand moment approchait,son cœur se mit à battre plus vite et plusfort.

— Nicole Castleton, voulez-vousprendre cet homme pour époux ? luidemanda le juge.

Elle regarda Miguel avec une émotionà laquelle se mêlait aussi du désir.

— Oui ! répondit-elle.Le juge posa alors la même question à

Miguel et elle frémit quand ce dernierrépondit à son tour par l’affirmative.

D’une même voix, ils récitèrent enchœur qu’ils se promettaient assistance,amour et fidélité, ce qui acheva de la

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troubler.— Par les pouvoirs que l’Etat du

Texas m’a conférés, je vous déclaremari et femme, conclut le juge.

Miguel la prit dans ses bras etl’embrassa avec un manque deconviction qui la peina mais, après tout,qu’avait-elle à espérer d’un homme quin’avait d’époux que le nom ?

Alors que les invités applaudissaientet qu’elle s’efforçait de sourire àl’unisson de leurs encouragements, ellesentit son cœur gonfler de regrets.Comme elle aurait souhaité être épouséepour elle-même !

— Mesdames et messieurs, poursuivitle juge à l’attention des invités,permettez-moi de vous présenter les

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nouveaux mariés, Miguel et NicoleMendoza.

L’assistance applaudit à tout rompre,excepté son père et sa mère quiobservèrent, comme elle s’y attendait,une prudente réserve.

Miguel lui prit la main avant de setourner vers les invités :

— Nicole et moi sommes ravis quevous soyez ici pour partager notrebonheur en cette journée si particulière.Nous voudrions aussi adresser tous nosremerciements à J.R. et à Isabella pouravoir permis que la cérémonie sedéroule à Molly’s Pride.

Tandis que J.R. se levait, le sourireaux lèvres, et conviait les invités à lesuivre à l’intérieur où un buffet était

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dressé, ses parents s’approchèrent et,après avoir salué Miguel, son père laserra contre lui.

— Tu es radieuse, lui dit-il. Queldommage que tu nous aies prévenus sitard ! Je n’ai pas eu le temps de vousacheter un cadeau.

Avant qu’elle ait trouvé quelque choseà répondre, sa mère prit la parole.

— Tu es superbe dans cette robecrème, ma chérie, mais je regrettequ’aucun photographe n’ait été présent,dit-elle d’un ton navré.

En proie à des remords tardifs, Nicolesentit ses yeux se mouiller de larmes.Par chance, Miguel vola à son secours.

— Mon frère a pris des photos tout àl’heure, pendant la cérémonie, déclara-t-

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il à sa mère, et je vous promets que nousposerons, Nicole et moi, en compagniedu juge, avant que celui-ci ne reparte.

Sa mère parut réconfortée et ce fut àce moment-là que son père sortit uneenveloppe de sa poche pour la tendre àMiguel.

— Comme nous manquions de tempspour choisir un cadeau, voici pour vousdeux, dit-il d’une voix qui se voulaitaffectueuse.

Elle eut peur que Miguel refusel’argent de son père mais, à son grandsoulagement, il finit par sourire.

— Merci beaucoup, monsieurCastleton, dit-il. Je suis sûr que Nicoleen aura l’usage pour meubler la nouvellemaison.

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Cette maison qui ne serait jamais à lui,mais qu’importait puisque lesapparences étaient sauves.

— Quand comptez-vous déménager ?demanda sa mère en regardant Miguel.

Nicole formula des vœux pour qu’ilvende pas la mèche.

— Dès que nous serons revenus denotre lune de miel, répondit son mariavant de se tourner vers elle et del’embrasser.

Il y mettait tant de fougue qu’elleaurait juré qu’il était vraiment amoureuxd’elle.

— Et où donc comptez-vous passervotre lune de miel ? demanda sa mère.

Cette fois, ce fut elle qui répondit.— Miguel veut me faire la surprise.

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Tout ce que je sais, c’est que je doisemporter mon passeport ainsi que desmaillots de bain.

Comme chaque fois qu’il étaitcontrarié, son père fit claquer sa langueet la fixa d’un air mécontent.

— J’ai dû décaler des rendez-vousimportants pour venir à ton mariage, sibien qu’à présent, ta mère et moi, nousdevons partir.

Elle se serait bien passée de cettepiqûre de rappel. Déjà tout à l’heure, autéléphone, quand elle s’était décidée àappeler ses parents pour leur annoncerson mariage avec Miguel, son père luiavait adressé des reproches bien sentis.

— J’aurais dû t’avertir plus tôt, dit-elle, mais tout est arrivé si vite que j’ai

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été prise de court.— Tu ne m’empêcheras pas de penser

que le procédé est cavalier, dit son pèreen fronçant les sourcils. Combien detemps seras-tu absente ?

— Pas plus d’une semaine, répondit-elle. Ne t’en fais pas, j’ai tout prévu etmon adjoint assurera l’intérim.

Pressant nerveusement son mouchoirentre ses doigts, sa mère s’approchad’elle et l’embrassa sur la joue.

— J’espère que tu nous téléphonerassouvent, dit-elle.

— Bien sûr ! répondit Nicole en luirendant son baiser.

Alors qu’elle brûlait d’échangerquelques mots en privé avec sa mère,son père intervint.

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— Viens, Elisabeth, dit-il en prenantsa femme par le bras. Allons remercierles Fortune pour avoir organisé lemariage de notre fille dans leur ranch.

Quand ses parents furent hors de vue,Miguel se pencha à son oreille.

— L’essentiel est que nous soyonsdésormais mari et femme comme tu lesouhaitais, dit-il avec une tendresse quila ramenait dix ans en arrière.

— Oui, mais à quel prix ? murmura-t-elle.

En dépit des propos du juge lesenjoignant à rester fidèles l’un à l’autre« jusqu’à ce que la mort les sépare »,leur divorce était déjà programmé etcette pensée ne manquait pas del’attrister. Pour un peu, elle aurait confié

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à Miguel qu’elle regrettait de ne pasl’avoir épousé par amour.

— Que veux-tu dire ? s’étonna-t-il.— Tu le sais très bien ! dit-elle.— Chut ! fit Miguel en jetant des

regards prudents alentour. Même si notremariage sort de l’ordinaire, rien ne nousempêche d’en profiter, tu ne crois pas ?

C’était la sagesse même, mais elle neput retenir un soupir.

— Je ne sais pas, je ne sais plus ! Jeme demande même si j’aurai la force defaire bonne figure durant notre lune demiel, tant mes pensées sont confuses.

— Tes parents sont à l’affût de nosmoindres faits et gestes, objecta Miguel.Un mariage sans lune de miel leursemblerait éminemment suspect et je ne

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veux pas qu’ils aient le moindre douteconcernant le bien-fondé de notre union,ne serait-ce que dans ton intérêt.

— Et si cette lune de miel tourne aucauchemar ? Après tout, il y a dix ansque nous avons perdu l’habitude l’un del’autre, objecta-t-elle.

— Tout se passera bien, répliqua-t-ilavec un sourire aguicheur.

Même s’il ne pensait pas sérieusementce qu’il disait, elle se sentit soudain plusoptimiste.

— Et ta future boîte de nuit ? objecta-t-elle.

— Je verrai ça à mon retour.Elle s’illusionnait sans doute mais

savoir qu’il restait peut-être un légerespoir de retrouver ce qu’ils avaient

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connu par le passé lui mit du baume surle cœur et l’incita à ne plus redouter leurvoyage de noces.

— A quelle heure nous envolons-nous ? demanda-t-elle.

— A 15 heures, et j’ai loué un avionprivé pour les circonstances.

Un avion privé ? Elle n’en demandaitpas tant !

— Et qui va piloter notre avion ?demanda-t-elle, curieuse.

— Tanner Redmond, répondit Miguel.Il dirige une école de pilotage et unservice d’avions charters.

Tanner était le mari de Jordana, lasœur de Wendy Fortune, et laperspective d’échapper à la meute detouristes qui se pressaient en été dans

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les aéroports acheva de lui rendre sonoptimisme.

— Bonne idée, dit-elle. Tu ne veuxtoujours pas me dire où nous allons ?

Vu les recommandations de Miguel, ceserait sans doute le Mexique ou encoreune île des Caraïbes !

Quel dommage que ce mariage ne soitqu’une façade, et leur lune de miel, unestratégie pour sauver les apparences.

— Fais-moi confiance, réponditMiguel en lui caressant le menton.

— D’accord, dit-elle, profondémenttroublée par cette caresse inattendue.

— Allons rejoindre nos invités quidoivent commencer à s’impatienter et,dès que possible, nous prendrons congé,déclara Miguel.

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— Comment irons-nous à l’aéroport ?En taxi ? demanda-t-elle.

— Sawyer s’est proposé pour nous yemmener, répondit-il.

— Encore lui ! ne put-elle s’empêcherde s’exclamer.

— Sawyer est un ami. Ne le dénigrepas sans le connaître, répondit Miguel.

Comme il sied à de nouveaux époux,Miguel lui prit la main et, tout enmarchant à ses côtés, elle voulut croirequ’il l’avait épousée par amour et queleur lune de miel serait l’occasion poureux d’un nouveau départ.

* * *

— Tanner nous attend à l’aéroport, dit

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Miguel.— Je suis prête, lui répondit-elle.Il abrégea les adieux avec Isabella,

J.R. et les autres invités puis ilssuivirent Sawyer jusqu’à sa Jaguar.

— Vous voilà mari et femme !claironna son ami en les regardant d’unair moqueur.

— J’en suis heureuse, réponditNicole. N’est-ce pas, Miguel ?

— Totalement ! répondit-il.Nicole lui remettrait bientôt la somme

qui lui servirait à financer l’ouverture deson club mais, curieusement, ce projetlui importait moins qu’au début et c’étaitvers sa nouvelle femme queconvergeaient toutes ses pensées et,aussi, ses espoirs.

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Il se sentait bien avec Nicole. Siseulement leur lune de miel pouvait sedérouler au mieux, pour elle commepour lui…

Sawyer les déposa bientôt devantl’aéroport de Red Rock.

— Merci, vieux frère ! lui dit-il touten aidant Nicole à descendre de laJaguar.

— Je viendrai vous chercher vendrediaprès-midi, lui déclara Sawyer avec songrand sourire. En cas de contretemps, tusais où me joindre.

En apprenant qu’il voulait emmenerNicole au Yucatan, Sawyer avait, sansl’en avertir, pris en charge les fraisd’avion, ce qui représentait une sommerondelette.

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« Considère qu’il s’agit de moncadeau de mariage et n’oublie pas dem’inviter à l’inauguration du Mendoza’s,le moment venu », lui avait-il déclaré.

Une fois son ami reparti, Miguel sedirigea avec Nicole vers le halld’embarquement où Tanner était censéles attendre.

Une ravissante jeune femme blonde enuniforme de pilote s’avança vers eux.

— Je suis Laurel Redmond, la sœur deTanner, dit-elle en souriant.

— Appelez-moi Miguel, répondit-il enlui tendant sa main. Et voici ma femme,Nicole.

— Enchantée, déclara Laurel. Il y a euun contretemps. Mon frère doit rester àRed Rock pour régler un problème

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urgent et il m’a chargée de le remplacer.— Ah… C’est ennuyeux, murmura

Nicole.— Désolée, renchérit Laurel, mais les

conditions de vol sont idéales. La météoprévoit du beau temps jusqu’à ce soir etle vol sera agréable. Si vous voulez bienme suivre ?

La jeune femme les conduisit dans unesalle d’embarquement privée et de là,une fois passés les contrôles, jusqu’à unBeechcraft King Air 350 stationné sur letarmac.

L’avion semblait minuscule parcomparaison avec les Boeing et autresAirbus stationnés un peu plus loin.

— J’ai encore quelques détails àrégler avec le contrôleur technique mais,

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en attendant, vous pouvez embarquer,leur apprit Laurel avant de s’éloigner.

— C’est dans cet appareil que nousallons voler ? lui chuchota Nicole àl’oreille.

— Oui, mais tu n’as rien à craindre,répondit-il d’un ton assuré.

Nicole le regarda avec méfiance.— Je ne doute pas des capacités de

pilote de Laurel, mais avoue que c’estcurieux. Tu m’annonces que Tanner vaêtre notre pilote particulier et,maintenant, j’apprends qu’il cède laplace à sa sœur. Tu la connais, en fait ?

— Non, mais pourquoi cettequestion ?

— Tu m’as très bien comprise !rétorqua-t-elle.

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— Serais-tu jalouse, par hasard ?— Avec la réputation que tu t’es

acquise dans certains bars de Red Rock,ça n’aurait rien de surprenant, insista safemme avant d’entamer l’ascension del’escalier conduisant à la carlingue.

Mais, en haut des marches, elle setourna et lui sourit.

— Excuse-moi de t’avoir fait cettescène ridicule.

— Je n’y pense déjà plus, répondit-ilen montant à son tour l’escalier avant derejoindre Nicole.

Après avoir pris sa main dans lasienne, il l’entraîna dans la carlingue.

Une fois assise à ses côtés, Nicole luisourit.

— Bon, tu peux bien me dire à présent

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quelle est notre destination ?— Nous allons à Sueños del Sol, dans

la péninsule du Yucatan, répondit-il,trop heureux de clore ce qui avait eul’allure d’un début de dispute conjugale.

Le visage de Nicole s’éclaira.— Sueños del Sol ? N’est-ce pas là

que se trouve l’hôtel de ton oncle ?— En effet, mais ne t’attend pas à

trouver un hôtel cinq étoiles, répondit-il.S’il avait tant tardé à mettre Nicole

dans la confidence, c’était à cause de lacharge émotionnelle et affective qui setrouvait attachée à ce lieu pas comme lesautres.

Dix ans plus tôt, après que Nicolel’avait quitté, il avait éprouvé le besoinde changer d’air et son oncle lui avait

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permis de séjourner chez lui pour letemps qu’il désirait.

La beauté du site, le soleil et la meravaient contribué à hâter sa guérison et,en y emmenant Nicole aujourd’hui, ilavait le sentiment de prendre sarevanche sur le destin.

— Quand nous étions au lycée, tu meparlais souvent de cet hôtel où, tafamille et toi, vous aviez l’habituded’aller passer des vacances, renchéritNicole.

Comme ce temps lui paraissaitlointain !

— En effet, répondit-il.A l’époque, Nicole aurait voulu qu’ils

se marient et il aurait été d’accord pourle faire. Il avait même envisagé de

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l’emmener au Yucatan, chez son oncle,pour leur lune de miel, et c’était aussil’une des raisons qui le poussaient,aujourd’hui, à choisir cette destinationpour leur voyage de noces.

Alors que les réacteurs de l’appareilchauffaient avant le décollage, unehôtesse leur servit du champagne frappéaccompagné d’un plateau de fraisesnappées de chocolat.

— De la part de Sawyer Fortune, leurdit-elle avant de s’éloigner.

Aussi surpris que Nicole de cetteattention délicate, il nota mentalement deremercier son ami dès qu’il en auraitl’occasion.

Sawyer feignait d’être un célibataireendurci, un coureur de jupons impénitent

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mais, en fait, il avait un fond sentimentalet romantique qui l’incitait à considérerle bonheur d’autrui d’un œil favorable.

Grâce à Sawyer, sa lune de miel avecNicole s’annonçait sous les meilleursauspices.

— Je boirais bien une coupe dechampagne, déclara-t-elle avec unsourire.

Il s’empressa de remplir deux coupeset lui en tendit une.

— A nous, dit-il en regardant Nicoledans les yeux.

— A notre bonheur, répondit Nicoleen le fixant d’un air grave.

— Oui, à notre bonheur, convint-il enentrechoquant leurs coupes.

Alors que l’avion s’apprêtait à

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décoller, il eut une pensée pour Marcos,qui savait, lui, à quoi s’en tenir sur lescirconstances de leur mariage.

« Tu n’as pas le droit d’agir ainsi »,lui avait déclaré Marcos au Red.

Si son frère avait raison de condamnerle procédé, c’était oublier un peu viteque la responsable de cette situationn’était autre que Nicole. Il aurait été siheureux, dix ans plus tôt, de l’épouserpar amour.

En voyant rapetisser le paysage texanà travers le hublot, ce fut un peu commes’il tirait un trait sur un passé encoredouloureux.

Aujourd’hui, avec dix ans de retard,ils étaient finalement mariés ets’apprêtaient à passer leur lune de miel

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à Sueños del Sol.Nicole ne l’aimait sans doute plus et

lui, de son côté, n’était pas sûr devouloir renouer avec une femme quil’avait trahi autrefois, mais celajustifiait-il qu’il l’entraîne dans untraquenard sentimental à Sueños delSol ? Car, s’il était honnête avec lui-même, son intention était bel et bien dela séduire durant leur lune de miel.

Une fois le divorce prononcé et lescent mille dollars empochés, il quitteraitNicole pour s’occuper à plein temps desa boîte de nuit et elle, de son côté,assumerait à ses responsabilités dedirectrice de Castleton Boots, cequ’elle souhaitait par-dessus tout.

« Tu n’as pas le droit d’agir ainsi »,

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lui avait répété Marcos, mais avait-ilseulement le choix ?

C’était Nicole qui était partie, pas lui,et elle qui était revenue en le suppliantde devenir son mari afin de garder lecontrôle de l’entreprise.

Aujourd’hui, c’était à elle, en quelquesorte, de payer les conséquences de sonaction passée et tant pis si, à l’occasionde leur lune de miel, il en profitait pourla séduire.

Il avait bien mérité une compensationaprès le mal qu’elle lui avait faitautrefois.

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- 9 -

Le nez pressé contre le hublot, Miguelreconnut avec émotion l’aéroport quidesservait Sueños del Sol, la stationbalnéaire nichée dans la péninsule duYucatan où se trouvait l’hôtel de son tióPepe.

Chaque fois qu’il voulait se ressourcerou passer quelques jours agréables avecune fille, il se rendait à Sueños del Solet y retrouvait, avec un plaisir non

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dissimulé, le calme de l’hôtel, la beautéde la plage et du paysage encore ignoréedes hordes de vacanciers.

— Pourrais-tu m’aider à sortir monsac de voyage du compartiment ? luidemanda Nicole.

Il s’exécuta, frôlant au passage et nonsans frissonner le corps souple de safemme.

A la pensée de voir bientôt Nicole sedorer au soleil en Bikini, il sentit unesourde excitation monter en lui.

Quand l’hôtesse eut déverrouillé laporte de l’avion, il aida Nicole àdescendre sur le tarmac de l’aéroport etil respira avec délice l’air moite quiembaumait l’eucalyptus.

— Je vous souhaite une heureuse lune

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de miel, déclara Laurel en venantprendre congé, et je vous attendrai ici lasemaine prochaine pour le vol de retour.

Après avoir salué leur pilote non sanslui demander de transmettre ses amitiésà Tanner, il guida Nicole à travers lescontrôles de police et de douane et, peuaprès, tous deux émergèrent avec leursbagages à l’extérieur du terminal.

— Le carrosse de mon oncle nousattend ! s’exclama-t-il en montrant àNicole une ancienne camionnette Fordrepeinte en bleu turquoise et surmontéed’une planche de surf rose.

Elle inspecta ce drôle de véhicule enfaisant la grimace.

— Nous allons voyager là-dedans ?— Cette camionnette date de 1949 et

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non seulement elle fonctionne, mais mononcle y tient comme à la prunelle de sesyeux. Je serais ravi de la ramener auxEtats-Unis s’il consentait à me lavendre, répondit-il.

Un chauffeur moustachu, prénomméRamón et qui travaillait depuis trenteans pour son oncle, vint en souriant àleur rencontre.

— Miguel ! Quel plaisir de te voir encompagnie d’une aussi jolie femme.

Bien qu’elle ait troqué avant leurdépart sa robe de mariée pour un jean etun chemisier, Nicole était toutsimplement magnifique.

— C’est mon épouse depuis cinqheures, expliqua-t-il à Ramón, une foisles présentations faites, et j’ai hâte de

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me montrer avec elle à Sueños del Sol.— Mucho gusto, déclara le chauffeur

en s’emparant de leurs bagages qu’ilglissa à l’arrière de la camionnette.

Quelques instants plus tard, ilstressautaient au gré des cahots sur laroute poussiéreuse qui menait à l’hôtelde son oncle.

Seul, il aurait guetté impatiemment lemoment où, après un certain virage, onapercevrait la mer et la longue plage desable blanc, mais aujourd’hui c’étaitNicole et elle seule qui lui importait.

Aimerait-elle le décor magique qu’ilavait choisi pour leur lune de miel ? Ill’espérait vraiment. Depuis leur départde Red Rock, elle ne lui avait presquepas adressé la parole et il se demandait

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si elle ne regrettait pas, avec le recul,d’être allée le chercher à New York.

* * *

Tout en découvrant avec ravissementle paysage, Nicole s’interrogea sur ceque serait sa lune de miel avec Migueldans cet endroit du bout du monde.

Compte tenu du fait qu’ils étaientjeunes mariés, l’oncle de Miguelmettrait un point d’honneur à leurattribuer une chambre avec un lit doubleet non deux lits séparés, ou même deuxchambres séparées, et c’était bien ce quil’embarrassait le plus.

Certes, Miguel lui plaisait, mais elleavait besoin de l’apprivoiser avant de se

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donner de nouveau à lui, et elle sedoutait qu’il en allait de même en ce quile concernait.

Peut-être aurait-elle dû évoquer laquestion durant ce vol qui lui avait parutrès long, mais elle l’avait trouvépréoccupé et elle s’était résignée àattendre un moment plus propice.

A présent, dans cette camionnette àbout de souffle, Miguel semblait denouveau soucieux sans qu’elle encomprenne exactement la raison.

— Quand arriverons-nous ? demanda-t-elle, moins par curiosité que pourrompre le silence qui devenait pesant.

Miguel pointa du doigt un bosquet depalmiers marquant l’endroit où la routefaisait un coude.

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— Juste après ce virage, répondit-il.Tu apercevras alors la mer, la plage etl’hôtel avec son toit typique en palapa.

Miguel lui avait expliqué que lepalapa était un revêtement en chaume ouen feuilles de palmiers qui couvrait laplupart des maisons de la péninsule.

Après le virage, elle découvrit unspectacle impressionnant : une merturquoise scintillant au soleil et bordéepar une longue plage de sable blanc.

— Que c’est beau ! s’exclama-t-elle.Et cette vue !

— Le panorama est grandiose, mais net’attends pas à trouver un hôtel cinqétoiles, déclara Miguel.

C’était la seconde fois que Miguels’excusait par avance du modeste

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standing de l’hôtel de son oncle et, aulieu d’être agacée par son insistance,elle ressentit une bouffée decompassion.

— Tranquillise-toi, dit-elle d’une voixdouce. Je me plairai sûrement et dansl’hôtel de ton oncle, et dans ce cadreféerique.

— Dans ce cas, tant mieux ! se réjouitMiguel en se détendant.

Si seulement il était encore un peuamoureux d’elle ! En ce qui laconcernait, elle avait de plus en plusenvie de retrouver leur intimitéd’autrefois.

Cette pensée échauffa ses sens et fitbattre son cœur en même temps qu’elleimaginait ce que serait leur lune de miel

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dans ce lieu enchanteur.— Nous sommes arrivés, déclara

Ramón en se garant devant la modesteentrée en stuc de l’hôtel qui semblaitavoir été construit avant-guerre.

Le soleil se couchait à l’horizon, jetantun halo orangé sur la plage bordée depalmiers et, une fois de plus, elles’extasia sur ce décor de rêve.

Miguel l’entraînait vers l’hôtel quandun homme de haute taille, aux cheveuxargentés et vêtu d’une chemisehawaïenne, vint à leur rencontre.

— Mijo ! Quel plaisir de te recevoiravec ta charmante épouse ! déclaral’homme en serrant Miguel entre sesbras.

— Nicole, je te présente mon oncle,

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tió Pepe, lui dit Miguel avec un sourire.L’homme aux tempes argentées se

tourna vers elle.— Je suis heureux de vous accueillir à

Sueños del Sol, dans mon modeste hôtel,tout autant que dans la famille Mendoza.

Et l’oncle de Miguel fit signe à l’undes grooms.

— Emporte les bagages de mon neveuet de son épouse dans le bungalownuptial numéro 12, dit-il à son employéqui hocha la tête.

— Merci, tió, approuva Miguel ensouriant. Et, quand nous serons installés,j’aimerais t’offrir quelque chose à boire.

— Volontiers, répondit son oncle.Ainsi, j’aurai l’occasion de faire plusample connaissance avec ta charmante

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épouse.Et tió Pepe coula dans sa direction un

regard à la fois envieux et admiratif quilui fit chaud au cœur et flatta son amour-propre.

Dans quel monde se trouvait-elle ? Aquelle époque ? Sûrement pas à l’ère dumarketing tel qu’elle s’efforçait de lepratiquer à Red Rock pour vendre lesbottes de son père !

Cette ambiance surannée n’était passans lui évoquer les vieux films en noiret blanc qu’elle regardait parfois, tard lesoir, sur une chaîne spécialisée et qui luipermettaient de s’évader d’un quotidienmonotone.

— Mon mari m’a si souvent ditcombien il vous appréciait que je serai

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moi aussi ravie de faire votreconnaissance, dit-elle à l’oncle deMiguel.

— Le plaisir sera partagé, répondit tióPepe en s’inclinant cérémonieusementdevant elle.

* * *

Miguel dans son sillage, Nicole suivitdocilement le groom le long d’une alléedallée bordée de lumignonsmulticolores.

Des lauriers roses, des eucalyptus etdes palmiers nains poussaient ici et là etajoutaient encore à l’exotisme de cethôtel hors du temps.

Après avoir dépassé la piscine autour

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de laquelle quelques couples flirtaienten buvant des cocktails, ils arrivèrentdevant un bungalow au toit de palapa.

— C’est ici, dit le groom endéverrouillant la porte et en s’effaçantpour les laisser entrer.

Après avoir traversé le salon meubléen rotin, Nicole découvrit une bellechambre, sûrement la fameuse « suitenuptiale ».

Elle se réjouit de constater que cettesuite disposait d’une terrasse donnantsur la mer.

Au beau milieu de la chambre trônaitun grand lit à baldaquin qu’ellecontempla d’un œil inquiet. Sans troposer y croire, elle avait tout de mêmeespéré disposer de son espace vital dans

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le bungalow.Comment feraient-ils pour cohabiter

sans gêne s’il n’y avait qu’un seul lit ?Quand le groom, pourboire en poche,

eut quitté les lieux, elle prit son courageà deux mains.

— As-tu remarqué, Miguel, qu’il n’y aqu’un grand lit dans cette chambre ?

— Bien sûr, répondit son mari ensouriant, puisque nous sommes censésêtre des mariés de fraîche date et quenous occupons le « bungalow nuptial ».

— Je le sais, mais c’est gênant…, fit-elle avec une moue.

— Gênant pour toi ou pour moi ? lataquina-t-il.

— Pour nous deux. Oh ! essaie de mecomprendre ! Nous n’avons pas eu de

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relations intimes depuis…— Depuis dix ans, la coupa Miguel. Et

alors ? Est-ce que ça m’empêche de tedésirer, ce soir ?

— J’ai besoin de temps, répondit-elle,les jambes tremblantes.

Miguel lui caressa la joue.— Rassure-toi, ton mari est un parfait

gentleman et tu n’auras rien à craindrede lui, pas même durant ta nuit de noces.

— Je ne veux pas t’obliger à coucherpar terre ou sur des coussins, dit-elle àla fois soulagée et tenaillée par leremords.

— Tu oublies le canapé du salon !répondit Miguel. Il fera très bien monaffaire et, ainsi, ta vertu sera sauve.

Alors que cette solution aurait dû la

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réjouir, elle se sentit frustrée et déçue,mais sans pouvoir s’expliquerprécisément pourquoi.

La fatigue du voyage se faisant sentir,elle ne put retenir un bâillement.

— Pourquoi n’irais-tu pas prendre unedouche pour te détendre ? lui suggéraMiguel.

— Et toi ? demanda-t-elle en posantune main sur son bras.

— J’en profiterai pour déballer mesaffaires, répondit Miguel.

Elle le remercia d’un sourire et fila sechanger dans la salle de bains.

Une fois rafraîchie, elle enfila unerobe, ouvrit la porte-fenêtre de lachambre pour sortir sur la terrasse afind’admirer l’océan strié d’or et d’argent.

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Sueños del Sol n’était pas le derniercri en matière d’hôtellerie mais quelcadre enchanteur que cette région,l’idéal en fait pour oublier ses soucis device-présidente.

— Nicole ?Elle se retourna non sans avoir

sursauté.Miguel se tenait dans l’encadrement

de la porte et la scrutait avec attention.Douché et habillé de propre, ilparaissait en pleine forme.

Elle se demanda s’il l’observait ainsidepuis longtemps.

— J’admirais cette vue exceptionnellesur la plage et l’océan, dit-elle, un peugênée.

Une brise soudaine souleva soudain sa

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robe légère et dévoila ses cuisses nues.— Tu as de jolies jambes, constata

Miguel tandis qu’elle rabattaitprécipitamment la robe sur ses genoux.

En toute logique, elle aurait dû semettre à rougir, mais les propos deMiguel n’étaient-ils pas flatteurs ?

— Dommage que les hommes neportent pas de robe, eux ! dit-elle enriant.

Et elle ne se priva pas de ledéshabiller des yeux, puisqu’il étaitofficiellement son mari depuis déjà sixheures.

— Mon oncle doit déjà être en train denous attendre, déclara Miguel avec unsourire en coin.

— Je comprends, répondit-elle en se

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retenant d’ajouter qu’elle aurait préférérester ici avec lui.

Elle brûlait de refaire l’amour aveccet homme. En fait, il fallait juste que lemoment soit plus propice.

Afin de ménager ses scrupules et sapudeur, Miguel dormirait sur le canapéet c’était peut-être aussi bien ainsi car,après leur lune de miel, ils regagneraientRed Rock et lanceraient la procédure dudivorce.

— Il est temps de partir si nous nevoulons pas faire attendre ton oncle,lança-t-elle d’un ton sec.

Miguel lui lança un regard surpris.— Très bien, allons-y, dit-il.Elle aurait dû se féliciter de s’éloigner

de cette chambre où trônait un lit à deux

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places fait pour l’amour et, pourtant, elleaurait mille fois préféré rester en tête àtête avec Miguel, plutôt que d’allersaluer son oncle.

Hélas, tout en rêvant de cesretrouvailles intimes, elle n’en était pasmoins effrayée par les conséquencesd’une telle action.

Tout ce qu’il lui restait à faire, c’étaitde prier pour que sa volonté, déjà mise àrude épreuve, résiste aux tentationsmultiples qui se succéderaient durantcette semaine de farniente.

* * *

Ce fut avec plaisir que Miguelretrouva son tió Pepe dans le bar de

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l’hôtel Sueños del Sol, où la beauté deNicole ne passa pas inaperçue.

Alors même que leur mariage n’enétait pas vraiment un, il ne puts’empêcher d’éprouver de la fierté à semontrer au bras d’une aussi jolie femmequ’elle.

L’autre soir, quand Nicole s’étaitprésentée nue sous sa nouvelle robe, ilavait dû faire appel à toute sa volontépour résister à l’envie de la prendredans ses bras, et tout à l’heure, dans lachambre, il avait ressenti une poussée dedésir si vive pour elle qu’il sedemandait encore comment il avait purésister à l’appel des sens.

Sans doute avait-il eu peur non pas dese faire éconduire — à l’évidence,

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Nicole le désirait comme il la désirait—, mais plutôt de retomber dans lessouffrances passées : une fois qu’elleserait assurée que l’entreprise familialene lui échapperait pas, elle n’aurait plusbesoin de lui et demanderait sans nuldoute le divorce.

Il avait choisi cet hôtel pour sonambiance romantique mais, soudain, ilmanquait de courage pour aller au boutde ses envies tant il craignait deretomber dans un piège sentimental quiraviverait ses souffrances passées.

Il en irait autrement si c’était Nicolequi faisait le premier pas : alors, ilpourrait sans remords prendre du plaisiravec elle et repousser à plus tard lesexplications psychologiques.

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— A quoi penses-tu ? demanda-t-elleen lui tapotant le bras.

— Oh ! je… Je te le dirai tout àl’heure, répondit-il, évasif.

Après lui avoir lancé un regardscrutateur, Nicole goûta à l’une destortillas que son oncle venait d’apporter.

— C’est délicieux, déclara-t-elle.— Ma recette personnelle, répondit

tió Pepe avec fierté.Son oncle eut la gentillesse de ne pas

s’étonner que des nouveaux mariéscomme eux préfèrent s’éterniser au barde l’hôtel avec lui et non dans leur suitenuptiale, comme l’auraient sans doutefait la plupart des couples.

Après avoir admiré discrètement lesseins de sa femme et la rondeur de ses

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hanches, Miguel se tourna vers tió Pepe.— Dis-moi, lui demanda-t-il,

s’amuse-t-on encore comme autrefois auLas Palmas, ce club de Sueños del Sol ?

— Moins que par le passé, réponditson oncle, car ma clientèle se composeaujourd’hui principalement de jeunescouples qui passent leur temps dans leurbungalow ou sur la plage.

— Quel est ce club ? demanda Nicoleavec curiosité.

Il se tourna vers elle.— Un endroit que j’ai souvent

fréquenté, plus jeune. Avec mes frères etsœurs, nous passions nos vacances ici etnous n’avions rien de plus pressé, lesoir, que de fausser compagnie à nosparents pour aller écouter de la musique

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et danser au Las Palmas.Pepe se mit à sourire.— Ton père m’a dit que tu allais

ouvrir un club à Red Rock ?— C’est exact, répondit-il avec

orgueil. Mon établissement s’appellerale Mendoza’s et tu y seras le bienvenu.

— J’en serai honoré, mijo, réponditPepe, mais pour l’heure je vais vouslaisser car ma compagne m’attend.

Depuis le décès de son épouse, cinqans auparavant, de nombreuses femmesavaient tenté de mettre le grappin sur sononcle et, si la plupart avaient échouédans leur tentative, il semblait qu’une aumoins ait réussi.

Son père lui avait souvent parlé dePepe, de sa soif de vivre, de ses

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malheurs aussi, et il était heureux desavoir que la chance avait enfin frappé àsa porte d’un homme qu’il estimait etqu’il aimait.

— Peut-être aurons-nous l’occasionde rencontrer l’heureuse élue ?demanda-t-il à son oncle.

— Nous verrons, répondit Pepe avecun geste évasif de la main. Ce quicompte, c’est que, ta femme et toi, vouspassiez du bon temps chez moi.

— Bien sûr, répondit-il en sedemandant ce qui retenait son oncle deleur présenter sa nouvelle compagne.

Pepe se leva et s’inclina devantNicole.

— Je vous souhaite beaucoup debonheur à tous les deux. A demain donc,

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et passez une bonne soirée ensemble,déclara-t-il avant de s’éclipser.

Une fois son oncle parti, Miguelregarda Nicole avec convoitise et futtenté de lui proposer de rentrer aubungalow mais rien ne l’assurait qu’elleserait d’accord et, surtout, que leursretrouvailles se passeraient comme ill’imaginait.

La crainte d’être déçu l’incita àchanger ses plans.

— Et si nous allions dîner aurestaurant de l’hôtel ? suggéra-t-il d’unton résigné.

— Bonne idée, répondit-elle.Mais, au regret qu’il perçut dans son

ton de voix, il se demanda si ellen’aurait tout de même pas préféré passer

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son temps avec lui d’une façon plusromantique.

* * *

Deux heures plus tard, après unsavoureux repas de fruits de mer, Miguelproposa à Nicole de regagner leurbungalow et elle acquiesça.

Tout à l’heure, pour se rendre du barau restaurant, il avait tenu Nicole par lamain, et elle n’avait pas protesté, ce quiétait plutôt bon signe.

— Quelle nuit magnifique ! dit-elle enregardant le ciel étoilé.

— En effet, répondit-il, et si tu veux,le soir, nous pourrons faire unepromenade sur la plage. Surtout s’il y a

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clair de lune.Nicole le regarda avec des yeux qui

brillaient.— Pourquoi pas ! Cet endroit me

charme et j’aime beaucoup l’hôtel de tononcle. Je comprends à présent pourquoitu en as fait ta villégiature favorite.

Il la prit par la taille et approcha seslèvres des siennes mais, quand il voulutl’embrasser comme l’autre soir, au Red,elle se déroba.

— Que fais-tu, voyons ? demanda-t-elle d’un ton mécontent.

Il avait tant de choses à lui dire, tantd’envies à partager avec elle, mais ilsentait bien qu’au moindre faux pas desa part Nicole se recroquevillerait surelle-même et il ne voulait pas courir le

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risque de gâcher cette lune de miel.— Excuse-moi, j’en ai eu envie, voilà

tout.Elle lui lança un regard attristé.— Moi aussi, j’en ai envie, tu sais,

mais je crois qu’il serait sage d’attendreencore un peu…

— Très bien, concéda-t-il.Que Nicole élude la question de

l’amour et du sexe, alors qu’àl’évidence elle le désirait autant qu’il ladésirait, ne manqua pas de le contrarier,mais, après tout, le lieu étaitparadisiaque et il disposait de huit jourspour parvenir à ses fins.

Une fois devant leur bungalow, ilouvrit et s’effaça pour laisser Nicoleentrer la première.

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— Je crois que je vais aller mecoucher sans tarder, fit-elle en étouffantun bâillement. La journée a été longue etje suis fatiguée.

Pour sa part, il débordait d’énergie etil aurait préféré faire l’amour avecNicole, mais mieux valait ne pasinsister.

— Je vais préparer le divan pour lanuit et, si ça te chante, tu peux utiliser lasalle de bains, répondit-il.

Nicole lui adressa un sourirereconnaissant.

— C’est gentil de ta part. Demain,pour changer, tu prendras le lit et moi ledivan.

— Inutile, dit-il en s’efforçant decacher sa déception.

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Nicole aurait pu saisir l’occasion delui demander de passer la nuit avec luimais, visiblement, elle n’était pasdécidée à franchir le pas.

Pendant qu’elle faisait sa toilette, ilsortit deux draps, deux coussins et destaies du placard, puis entreprit dedresser son lit.

Ayant décidé de laisser à Nicolel’initiative d’un rapprochement entreeux, il n’y avait plus rien qu’il puissefaire sinon prendre patience et laisserlibre cours à ses fantasmes.

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- 10 -

Cette première nuit et les suivantess’avérèrent pénibles pour Miguel.

Chaque matin, il était perclus decourbatures et en proie à un torticolistenace. Il avait même failli demanderune chambre à la réception, mais lacrainte d’éveiller les soupçons de sononcle l’en avait dissuadé.

Tout n’était pourtant pas négatif danssa relation avec Nicole : en six jours, ils

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avaient au moins eu l’occasiond’évoquer des souvenirs communs.

Ces discussions lui avaient permis deconstater que Nicole et lui partageaientbien plus qu’une attirance réciproque etqu’ils étaient peut-être faits pour vivreensemble.

Le hic, c’était cette attirance physiquequ’ils ressentaient l’un pour l’autre etqui mettait leurs nerfs à vif en leurimposant de jouer sans cesse à cache-cache avec leurs envies et, sans douteaussi, leurs sentiments. Plus le tempspassait et plus ce qu’il ressentait pourNicole avait la couleur et la saveur del’amour, même si cette idée ne manquaitpas de l’effrayer.

A l’aube du dernier jour de leur lune

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de miel — leur départ était fixé aulendemain —, il se demanda si lameilleure des solutions ne serait paspour lui d’aller retrouver Nicole dansson lit.

Il était presque décidé à franchir lepas quand elle sortit de sa chambre, lescheveux ébouriffés et le visageensommeillé.

— Bonjour, déclara-t-elle en étouffantun bâillement.

— Bonjour ! répondit-il d’un ton qu’ilvoulait allègre. J’ai préparé du café, enveux-tu ?

— Volontiers, répondit-elle enétouffant un nouveau bâillement mais,avant, je vais aller prendre ma douche.

En entendant l’eau couler dans la salle

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de bains, il imagina aussitôt Nicole nuesous la douche et quand, plus tard, elles’approcha de lui, vêtue d’une courterobe de cotonnade, il lui fallut faireappel à toute sa volonté pour ne pas laprendre dans ses bras.

— Qu’allons-nous faire aujourd’hui ?lui demanda-t-elle en buvant son café àpetites gorgées.

Les jours précédents, ils s’étaientpromenés à cheval le long de l’océan, enJeep dans l’arrière-pays et, à forced’insistance, il était même parvenu àconvaincre Nicole de s’initier auparachutisme ascensionnel.

Le farniente n’avait pas été négligépour autant et ils avaient passé desheures à lézarder au soleil, près de la

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piscine, non sans qu’elle réponde àd’innombrables messages ou appelsémanant de sa secrétaire ou de sonadjoint — un dénommé Bradley dontelle disait le plus grand bien, ce quiavait le don de l’agacer.

— Et si j’empruntais la voiture demon oncle pour t’emmener visiterCancún ? dit-il.

Pour leur dernière journée à Sueñosdel Sol, il voulait offrir à Nicole ce quela région avait de plus beau, afin qu’ellegarde de leur lune de miel, sinon lesouvenir d’étreintes torrides, au moinsla sensation d’un dépaysement réussi.

— C’est une idée, répondit Nicole,mais je préférerais que nousempruntions des vélos et que nous

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allions visiter le marché de Santa Inezoù les artistes locaux exposent leursœuvres. J’ai lu dans mon guide quecertaines de leurs créations sont unepure merveille.

Il aurait préféré se retrouver avec elledans un lieu plus propice à la romancemais, une fois de plus, il fit contremauvaise fortune bon cœur.

— Très bien, dit-il. Va pour SantaInez.

* * *

Contrairement à ce qu’avait craintMiguel, cette excursion ne manqua pasd’agrément.

Nicole s’intéressa à un étal de bijoux

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artisanaux mais, quand il voulut lui enoffrir un, elle refusa net et il préféra nepas insister.

Ils admirèrent ensuite des sculpturesmobiles faites de verre et de bambouqu’un simple souffle de vent suffisait àanimer.

Cette fois encore, quand il voulut luioffrir l’un de ces mobiles, Nicole luiopposa une fin de non-recevoir.

— Pourquoi ne veux-tu pas que jet’offre quelque chose ? finit-il par luidemander.

— A quoi bon, puisque nous allonsdivorcer d’ici à quelques semaines ?répondit-elle d’un ton désabusé.

Si seulement ils avaient pu se marierdix ans plus tôt, comme ils en avaient

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envie, alors rien de tout ça ne seraitarrivé. Il l’aurait aimée autant qu’ellel’aurait aimé et jamais elle n’auraitrefusé ses cadeaux.

Après avoir admiré plusieurscouvertures de laine faites au crochet,Nicole s’intéressa à des gouaches, despeintures à l’huile et des aquarellesayant pour sujet Sueños del Sol et sesenvirons.

— Que penses-tu de cette huile ?demanda-t-elle en examinant un tableauaux teintes vives. On reconnaît les toitsen palapa des bungalows de ton oncle,la mer et la plage.

— Un instantané de lune de miel, dit-il.

Il avait failli dire « de notre lune de

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miel » mais, Nicole et lui ayant observéla plus rigoureuse chasteté depuis sixjours, il s’était retenu à temps.

— J’ai bien envie d’acheter ce tableaupour ma future maison. Je sais déjà oùl’accrocher, déclara alors ,Nicole avecenthousiasme.

Savoir qu’elle vivrait bientôt sans luidans une nouvelle maison aviva satristesse mais il s’efforça de n’en rienlaisser paraître.

— Combien pour cette huile ?demanda-t-il au vendeur.

— No hablo ingles, señor, répondit cedernier.

— Esta bien !Alors qu’il négociait en espagnol avec

le vendeur, la sonnerie du portable de

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Nicole retentit.— Excuse-moi, fit-elle en prenant la

communication.Et elle se lança dans une longue

discussion avec Bradley, son adjoint, cequi le remplit d’amertume : elle semblaitattacher bien davantage d’importance àses responsabilités de vice-présidentequ’à leur lune de miel.

— Oui, Bradley, l’entendit-il dire,c’est tout à fait ce que je souhaite. Peux-tu t’en occuper pour moi, car je nereviens que lundi matin ?

Il avait toujours autant de mal à croirequ’une femme aussi jolie que Nicolefasse passer sa carrière avant sa viesentimentale mais, après tout, pourquoiaurait-il été surpris puisque, à l’époque

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où tous deux allaient encore au lycée,elle ne lui avait jamais caché qu’elleétait ambitieuse et qu’elle espérait biensuccéder un jour à son père à la tête deCastleton Boots.

— Je suis désolée ! lui dit Nicole enrangeant son portable, une fois saconversation terminée.

— Rien de grave, j’espère ?interrogea-t-il.

— Non, la routine, répondit-elle ensoupirant. Bradley est plein de bonnevolonté, mais il manque un peu d’espritd’initiative. Si je n’étais pas toujoursderrière lui, si je ne le poussais pas àagir, il laisserait les dossiers urgents enplan jusqu’à mon retour.

— Je croyais que Bradley était un

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collaborateur d’envergure et qu’il tedonnait toute satisfaction, dit-il, étonnédu revirement de Nicole envers sonadjoint.

Il en vint même à soupçonner uneliaison entre sa femme et ce Bradleyqu’il avait aperçu deux ou trois fois etdont l’allure et les manières lui avaientdéplu.

— Bradley fait parfaitement sontravail quand je suis là, mais il n’est pasde taille à assumer mes fonctions en monabsence, expliqua-t-elle. Et puis c’est lapremière fois que je prends desvacances depuis, voyons, au moins sixans, ce qui explique que je n’aie pas eul’occasion de m’en rendre compte plustôt.

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Nicole disait-elle la vérité ou biencherchait-elle à dissimuler une liaisonavec son collaborateur ? Il aurait donnécher pour le savoir.

— En attendant, lui dit-il en luimontrant la peinture qu’il venaitd’acheter, tu es l’heureuse propriétaired’un tableau qui égaiera ta nouvellemaison.

— Je suis très touchée ! dit-elle avecce sourire ému qui lui rappelait l’époquedu lycée.

Comme il aurait voulu revivre, neserait-ce que pour quelques heures, cesétreintes fougueuses, ces baiserséchangés pour un oui ou pour un non,dans l’insouciance de leur jeunesse et lacertitude qu’ils étaient faits l’un pour

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l’autre.Mais, au final, cette lune de miel

s’était avérée fort décevante et leurprochain divorce mettrait bientôt unpoint final à ce qui aurait pu être unenouvelle chance de bonheur pour eux.

— Je n’arriverai pas à caser letableau sur le porte-bagages de mabicyclette, annonça Nicole.

— Tout est arrangé, fit-il ens’efforçant d’oublier ses nostalgiesstériles. Le vendeur nous le livrera àl’hôtel.

— Tu penses à tout, déclara Nicole enlui souriant. Et, maintenant, que dirais-tude rentrer et de profiter de la plage pournotre dernière journée de vacances ?

Avait-il rêvé ou bien était-ce une

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flamme de désir, un éclat sensuel quibrillait comme autrefois dans le regardde Nicole ?

— Bonne idée ! s’enthousiasma-t-il,soudain ragaillardi.

— Alors ne perdons plus de temps etpartons, déclara-t-elle en se juchant sursa bicyclette.

* * *

Le corps enduit de crème solaire,Nicole paressait sur son matelas deplage en regardant la mer et lesmouettes.

Elle éprouvait une sensation de bien-être mêlée d’inquiétude car, demainmatin, ils s’envoleraient pour Red Rock

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en même temps que ses espoirs derenouer avec lui.

Savoir qu’après leur divorce Miguelreprendrait le cours de sa vie, mais sanselle, titilla sa jalousie.

Avait-il l’intention de vivre avec uneautre femme et, dans l’affirmative,laquelle ? Peut-être même laconnaissait-elle de vue ?

Les dés étaient jetés et elle ne voyaitpas comment inverser le cours deschoses, sinon, peut-être…

L’idée lui était venue tout à l’heure, aumarché artisanal, alors qu’elle observaitun couple de jeunes amoureux, destouristes américains sans doute, quidéambulaient main dans la main etavaient fait halte sous un palmier pour

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s’embrasser à leur aise.Miguel n’aurait sans doute pas

demandé mieux que de refaire l’amouravec elle mais, par crainte de ledécevoir, elle ne l’avait pas encouragé àvenir la rejoindre dans son lit.

Tout n’était pas perdu pour autant et cefut d’ailleurs pourquoi, relevant seslunettes de soleil, elle lança à Miguel unregard plein de désir.

— Je me sens bien avec toi, dit-elle.Surpris, Miguel la fixa comme s’il

venait de découvrir une facette d’ellequ’il ignorait, ce qui était exactement lebut recherché.

— Moi aussi, je me sens bien avec toi,répondit-il. Dommage que notre lune demiel s’achève demain…

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Elle lui adressa un sourire charmeur— Et si tu allais nous chercher des

cocktails ?Une expression d’espoir illumina

aussitôt le visage de Miguel.— Des cocktails ? Quelle bonne idée !

Que dirais-tu d’un mai tai puisque noussommes sur la plage ? suggéra-t-il.

Elle adorait ce cocktail hawaïen forten alcool qui se buvait comme du petitlait.

— D’accord, répondit-elle enaffichant un sourire aguicheur.

Miguel se leva avec empressement etrevint, quelques minutes plus tard, avecles cocktails.

— Tiens ! dit-il en lui tendant sonverre qui avait la forme d’un ananas.

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— Merci, dit-elle en sirotant saboisson.

Bientôt, la tête lui tourna et, oubliantses inhibitions, elle abaissa les bretellesde son Bikini puis dénuda le haut de sesseins.

— Mais… que fais-tu ? s’étonnaMiguel.

— Tu vois, je me mets à l’aise,répondit-elle en souriant.

— Tu es belle ! fit-il d’une voixrauque.

— Je suis heureuse de te plaire.Après un échange de regards

éloquents, elle posa la nuque sur lacuisse de Miguel et regarda le ciel où depâles étoiles apparaissaient déjà.

— Nous avons été séparés pendant si

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longtemps, poursuivit-elle. Il faut dutemps pour se retrouver, tu ne croispas ?

— Oui, sans doute, répondit Migueld’une voix qui trahissait une émotioncertaine.

Elle leva les yeux vers lui, accrochason regard fébrile, ses prunelles oùbrillait une flamme de désir qui lui fitchaud au cœur.

Ainsi, elle ne s’était pas trompée etMiguel la convoitait comme autrefois,quand ils se retrouvaient en catiminiderrière le lycée pour s’étreindrefougueusement.

— As-tu vu ce couple là-bas ?murmura-t-il à son oreille.

A leur droite, un homme et une femme

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s’enlaçaient sans pudeur sur leursmatelas de plage, et elle envia leuraudace.

— Oui, et je trouve qu’ils ont bienraison de profiter de leur séjour dans cecadre enchanteur.

Miguel se pencha vers elle et effleurasa poitrine.

— Te souviens-tu quand nous nepouvions pas rester plus de cinq minutessans avoir envie de nous embrasser et denous caresser ?

Comment aurait-elle pu oublier !Avec ses cheveux au vent, son corps

d’athlète et sa fossette, Miguel n’était-ilpas le type même du séducteur à quiaucune femme n’aurait pu résister ?

Après avoir caressé du regard ses

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larges épaules, son torse musclé et sesabdominaux saillants, elle finit son verreet le reposa sur le sable, à côté de sontransat.

La tête lui tournait de plus en plus,mais quelle sensation agréable après lestensions des jours passés !

Comment avait-elle pu cohabiter sixjours et six nuits avec Miguel, dans cenid d’amour qu’était Sueños del Sol,sans lui sauter au cou ? Mystère.

— Tu ne dis rien ? demanda Miguel.— Je suis bien, répondit-elle.Miguel l’observa avec attention.— As-tu un autre homme dans ta vie,

en ce moment ? S’il s’agit de ton adjoint,tu peux me le dire, tu sais, je ne t’envoudrais pas.

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Après leur séparation, elle était sortiequelque temps avec Steven, un brillantétudiant rencontré sur les bancs del’université.

Ses parents appréciaient ce garçonstudieux et ambitieux, et ils n’auraientpas vu d’un mauvais œil qu’elle sefiance avec lui, mais Steven ne luiconvenait pas vraiment, elle trouvaitqu’il manquait de charme.

Elle avait néanmoins accepté plusieursfois de dîner avec lui ou d’aller aucinéma en sa compagnie et un soir, alorsqu’il l’avait emmenée chez lui, Stevenavait commencé à l’embrasser en luisusurrant des « mon bébé » à l’oreille.Soudain, elle avait compris que rien nipersonne ne remplacerait jamais Miguel

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dans son cœur.Elle avait repoussé Steven qui,

déconcerté par son attitude, avait mis unterme à leur brève liaison.

Ses autres rencontres avec deshommes n’avaient pas été davantagecouronnées de succès et, aujourd’hui,elle n’arrivait toujours pas àcomprendre ce qui avait pu motiver sonrejet de prétendants qui ne lui voulaientque du bien.

Marnie, sa meilleure amie, lui avaitsuggéré qu’elle se sentait moralementmariée à Miguel, son premier amour,mais elle avait choisi de croire que sesdifficultés venaient de l’entreprise quilui prenait tout son temps.

Etait-elle condamnée à la solitude

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parce que, dans sa jeunesse, elle avaitpensé qu’ils s’aimaient d’un amourabsolu, avec Miguel ?

Euphorisée par le mai tai, l’œilpétillant, elle admira le coucher dusoleil sur la mer empourprée, puis setourna vers lui.

— Viens ! dit-elle en lui ouvrant lesbras et en enfouissant les doigts dans sesboucles brunes.

Quand Miguel la regarda, elleressentit de plein fouet toute la force dudésir qu’il éprouvait pour elle.

A la seconde précise où elle étaitentrée dans son bureau, à New York,elle avait eu l’intuition que leur histoireétait loin d’être achevée et qu’un soufflesuffirait à ranimer les braises de leur

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amour.Elle ne s’était pas trompée.Approchant les lèvres de celles de

Miguel, elle l’embrassa puis ilsroulèrent, enlacés, sur le sable chaud,dans la senteur troublante de leursépidermes brûlants.

Etait-ce l’atmosphère romantique dece paradis tropical qui lui montait à latête ou le cocktail qui fouettait ses sens ?Elle l’ignorait et, dans le fond, s’enmoquait bien. L’essentiel était deprofiter au mieux de ses dernièresheures de farniente avec lui.

Comme s’il lisait dans ses pensées, cedernier entreprit d’effleurer ses reins etses hanches avec la même ferveurqu’autrefois.

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— Que dirais-tu si nous allionsétendre nos serviettes derrières cespalmiers, là-bas ? lui chuchota--t-il àl’oreille.

Elle en mourait d’envie, mais unepetite voix intérieure la mit en garde.

N’avait-elle pas expliqué à Miguelque ce mariage était un simplearrangement financier et que, dès qu’elleserait assurée d’être propriétaire en titrede l’entreprise familiale, il serait tempspour eux de divorcer ?

Sous prétexte que son désir renaissaitet qu’elle avait envie de lui à en mourir,elle n’allait tout de même paschambouler ses plans.

Une fois leurs vacances finies, ilsdivorceraient. Mais, s’il renouait avec

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ses habitudes de célibataire, ellerisquait fort, un jour ou l’autre, de lecroiser en compagnie d’une autrefemme.

Quelle souffrance serait alors lasienne !

— Non, arrête ! dit-elle en repoussantMiguel.

— Tu as raison, nous serons plustranquilles dans le bungalow, répondit-ilen se levant et en lui tendant la main.

— Ni ici, ni au bungalow, déclara-t-elle d’un ton résigné mais ferme.

Miguel fronça les sourcils.— Pourquoi ? Que se passe-t-il ?— As-tu oublié que nous allons

divorcer bientôt ? fit-elle, le cœur serréde chagrin.

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— Et alors ? En quoi est-ce que çanous empêche de faire l’amour puisquetu sembles le désirer au moins autant quemoi ? rétorqua Miguel.

— Je ne sais pas. J’ai peur, voilàtout ! dit-elle d’une toute petite voix.

— Dis-moi que tu plaisantes !s’exclama Miguel.

— Je rentre au bungalow, j’ai enviede me reposer, répliqua-t-elle enramassant sa serviette, ce qui luiépargna d’avoir à le regarder en face.

En voyant scintiller les lumignons del’allée allumés, elle prit consciencequ’il faisait nuit.

— Donne-moi au moins uneexplication, implora Miguel en luiemboîtant le pas.

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Toute autre qu’elle aurait saisil’occasion de faire l’amour avec unhomme aussi beau et aussi sexy queMiguel Mendoza ! Elle se mauditd’avoir autant de scrupules.

— Il n’y a rien à expliquer, répondit-elle, butée.

Une fois au bungalow, elle allaprendre une douche pour débarrasser sapeau de la crème solaire, des grains desable et de sel et, plus encore, del’odeur entêtante de Miguel.

Renonçant à se parfumer, elle enfilaune robe légère, des mules, et retournadans le salon où Miguel, assis sur ledivan, affichait sa perplexité.

— Je… Je suis désolée, bredouilla-t-elle.

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Dix ans auparavant, elle avaitbeaucoup souffert de ne plus voirMiguel et l’expérience serait aussidéchirante aujourd’hui.

— Désolée ? Pas autant que moi !persifla Miguel en se mettant debout. Jevais prendre une douche à mon tour.Après la façon dont tu m’as échauffé lessens sur la plage, j’en ai bien besoin.

Sa virilité exacerbée lui sauta auxyeux et lui fit regretter un peu plus delaisser passer une si belle occasion.

— Il faut me pardonner…, ajouta-t-elle en ressentant un sentiment deculpabilité qu’elle n’avait jamaiséprouvé avec Steven quand elle s’étaitdérobée à ses caresses.

— Une fois de plus, c’est toi qui

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casses le lien existant entre nous, fitobserver Miguel d’un ton amer.

— Un jour, je t’expliquerai, promit-elle. Et en attendant, que dirais-tu depasser ta dernière nuit dans un litconfortable ?

— Tu veux dire que…— Tu dormiras dans la chambre et

moi, sur le divan, s’empressa-t-elle depréciser.

Après l’avoir foudroyée du regard,Miguel disparut dans la salle de bains enclaquant la porte derrière lui.

Elle crut l’entendre jurer et, avec unlong soupir, elle alla faire son lit sur ledivan.

* * *

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Plus tard, dans la pénombre du salon,allongée sur le canapé inconfortable quiavait été le lit de Miguel pendant les sixnuits précédents, Nicole fit le point surcette journée fertile en péripéties.

Le souvenir brûlant de son étreinteavortée avec Miguel sur la plage lui mitles larmes aux yeux.

Quel manque de courage de sa part,quelle négation aussi de son désir pourlui et quel camouflet envers son ex-amoureux qui ne pensait pas à mal envoulant lui faire l’amour, bien aucontraire !

Depuis que, poussée par ses parents,elle avait rompu autrefois avec Miguel,quelque chose en elle s’était brisé. Entout cas, elle ne parvenait plus à se

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sentir femme dans tous les sens duterme.

Marnie la comparait à Pénélopeguettant le retour d’Ulysse et repoussantses prétendants.

Mais puisque, aujourd’hui, ils étaientréunis et, qui plus était, mariés, pourquoirechignait-elle tant à se donner à lui ?

Elle finit par accoucher de plusieursexplications.

D’une part, elle n’osait pas espérerque, dix ans après avoir fait pour ladernière fois l’amour, ils retrouveraientl’ivresse d’autrefois mais, plus encore,elle redoutait le jugement d’un hommehabitué à conquérir des femmes qu’elleimaginait sexy, brillantissimes etexpertes en érotisme.

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Mettre des mots sur ses souffrances luifit tant de bien qu’elle s’endormitrapidement.

* * *

Le lendemain matin, Nicole évita defaire allusion aux événements de laveille.

Après avoir bouclé ses valises, ellesuivit Miguel jusqu’à la réception del’hôtel où ils prirent congé de tió Pepe.

— J’espère que votre lune de mielvous aura apporté tout le bonheur voulu,déclara Pepe avant de leur souhaiter bonvoyage.

L’ironie involontaire de l’oncle deMiguel lui arracha un sourire résigné et

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lui fit mesurer un peu plus encore à quelpoint elle avait gâché, peut-être àjamais, l’occasion d’être heureuse avecle seul homme qui ait jamais comptépour elle.

La camionnette Ford les déposa àl’aéroport international de Santa Inez et,à son grand soulagement, ce ne fut pas laravissante Laurel Redmond qui lesaccueillit, mais Tanner, le frère de lajeune femme.

— Ma sœur a dû remplacer un pilotemalade et, moi, je la remplace à montour, déclara Tanner avec humour.

Il échangea avec Miguel desplaisanteries émaillées de grands rires,ce qui accentua encore un peu plus sadétresse et son sentiment de solitude.

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— Allez, viens boire un verre au baravec nous ! lui dit Miguel en souriant.

Elle accepta avec empressement, tropcontente de constater qu’il ne semblaitplus lui tenir rigueur de son attitudebutée de la veille.

Tanner, qui n’avait pas ses yeux danssa poche, lui lança à deux ou troisreprises des regards appréciateurs qui laflattèrent, puis ils embarquèrent dansl’appareil privé qui devait les ramener àRed Rock.

Après une courte escale administrativeà San Antonio pour satisfaire auxformalités de la douane et des servicesde l’immigration, leur avion se posa àl’aéroport de Red Rock et Tanner tint àles accompagner jusqu’au terminal où

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une jeune femme souriante qui tenait unbébé joufflu dans ses bras semblait lesattendre.

Elle fut aussitôt sur ses gardes.— Qui est-ce ? demanda-t-elle à

l’oreille de Miguel.— Jordana, la sœur de Wendy et la

femme de Tanner, répondit-il.— Je vois ! Et le bébé serait donc…— Leur fils Jack, expliqua Miguel.

Quant à la femme que tu aperçoisderrière Jordana, il s’agit de VictoriaScarlet Fortune, la sœur de Sawyer, quiest mariée à Garrett Stone.

Elle ne put s’empêcher d’être émuequand, quelques instants plus tard, ellevit Tanner serrer avec effusion sa femmeet son fils dans ses bras.

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Sourire aux lèvres, Victoria ScarletFortune s’avança vers Miguel.

— Toutes mes félicitations, déclara-t-elle non sans la jauger du regard. Wendym’a expliqué que votre mariage avait étécélébré dans l’intimité, la semainedernière, et qu’ensuite vous vous étiezenvolés pour un paradis tropical.

— En effet, répondit poliment Miguel.Permettez-moi de vous présenter NicoleCastleton, ou plutôt Nicole Mendoza,mon épouse.

Victoria la regarda avec sympathie.— Je me réjouis de voir tant de

nouveaux couples à Red Rock, dit-elle.Deux de mes frères viennent de sefiancer et mon cousin Michael, lui, s’estmarié récemment.

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Miguel ramassa leurs bagages, puis setourna vers Victoria.

— Nous aurions été heureux deprolonger cette conversation, Nicole etmoi, mais il est temps pour nous derentrer après ce long voyage.

Il se tourna aussitôt vers elle et, à lafaçon dont il lui sourit, elle eut lesentiment qu’il avait totalement cessé delui en vouloir, ou tout au moins qu’unepage était tournée.

Or rien ne la troublait davantage quela pensée de se retrouver bientôt seuleen sa compagnie : non seulement ellecraignait de succomber à l’envie defaire l’amour avec lui, mais elle luidevait en plus des explications, et elles’efforça de chasser de son esprit les

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images audacieuses de leur brûlanteétreinte de la veille, sur la plage deSueños del Sol.

— Je suis heureuse de vous avoirrencontrées et j’espère vous revoirbientôt, déclara-t-elle en souriant auxdeux jeunes femmes.

— Nous aussi, l’assura Jordana.

* * *

Quelques minutes plus tard, Nicole etMiguel se retrouvèrent avec leursbagages devant l’aéroport.

Elle avait hâte de rentrer chez elleavec Miguel et, qui sait, d’avoir peut-être une explication avec lui ?

Pendant le vol, elle n’avait cessé de

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réfléchir aux sentiments qu’elleéprouvait pour lui et, à présent, lapensée qu’elle pouvait le perdre lui étaitinsupportable.

Pour reconquérir Miguel, elle étaitdésormais prête à aller très loin.

— Voilà Sawyer, déclara Miguel enpointant du doigt une Jaguar garée lelong du trottoir. Que dirais-tu si nousdînions tous les trois ensemble ?

Elle tombait des nues ! Dire qu’elleavait espéré passer la soirée en tête àtête avec Miguel !

— Pourquoi pas une autre fois ?suggéra-t-elle.

Miguel la regarda en plissant des yeux— J’ai l’impression que tu n’aimes

guère Sawyer, dit-il.

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— En effet. Je le trouve bravache et jen’aime pas ses manières de séducteur,répondit-elle.

— Et moi, j’aime bien Sawyer et je leconsidère comme mon ami, rétorqua-t-il.

Elle sentit qu’elle avait perdu lapartie.

— Invite Sawyer à dîner si tu veux et,moi, dès que j’aurai récupéré mavoiture, je file à l’entreprise.

— Aujourd’hui, après ce longvoyage ? s’étonna Miguel.

— Pourquoi pas ? D’ailleurs, j’aimoins de remords à faire du zèlepuisque tu ne seras pas seul, ce soir…

Miguel lui lança un regard courroucé.— Puisque tu le prends ainsi, nous

irons boire quelques bières en ville,

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avec Sawyer.Elle imagina sans peine les deux

hommes les plus séduisants de Red Rockadmirant les jolies filles accoudées aucomptoir d’un bar à la mode.

Du reste, pouvait-elle donner tort àMiguel de chercher ailleurs ce qu’ellelui avait refusé pendant leur lune demiel ?

Une blonde, une brune ou une rousseserait sans doute ravie de partager unmoment d’intimité avec lui et, si elle encroyait sa fougue virile d’hier soir sur laplage, Miguel se montrerait à la hauteurde sa réputation.

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- 11 -

Après avoir garé sa Lexus sur leparking de l’entreprise, Nicole, en robelégère et sandalettes, fit une apparitionremarquée dans les bureaux.

Depuis la réceptionniste jusqu’à sonadjoint Bradley, chacun s’ingénia à nepas lui montrer avec trop d’ostentation àquel point sa tenue tranchait sur seshabituels tailleurs stricts.

Mais le plus difficile pour elle fut de

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supporter ces regards curieux qui luirappelaient que, désormais, elle n’étaitplus Nicole Castleton mais NicoleMendoza.

Elle aurait pu effectuer une mise aupoint mais ç’aurait été reconnaître queses goûts et ses décisions ne luiappartenaient pas vraiment et qu’ellerestait soumise au bon vouloir d’un pèreautoritaire.

Bradley vint déposer une pile dedossiers sur son bureau puis il s’assitdans le fauteuil réservé aux visiteurs.

— Alors, cette lune de miel ? luidemanda-t-il.

— Un enchantement, répondit-elleavec un petit sourire au moment où il luirevenait à la mémoire la jalousie sans

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objet de Miguel envers Bradley.— Où êtes-vous allés, finalement ?

insista Bradley avec curiosité.— A Sueños del Sol, au Yucatan,

répondit-elle en décrivant à son adjointla beauté de ce paysage.

Bradley la questionna sur le confortdes chambres et la taille de la piscine,ce qui eut le don de l’agacer.

— Serais-tu en train de préparer tesprochaines vacances ? finit-elle pardemander.

— Non, plutôt ma lune de miel,répondit Bradley.

Et, devant son étonnement, il sourit deplus belle.

— C’est vrai, tu n’es pas encore aucourant mais je compte me marier

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bientôt, expliqua-t-il.A la pensée que Bradley et sa future

femme pourraient passer leur lune demiel à Sueños del Sol et que,contrairement à eux, ils ne manqueraientpas de consommer le mariage comme ilse doit, elle en eut le cœur déchiré.D’autant que, si ça se trouvait, Miguelétait peut-être déjà en train de faire lacour à une autre qu’elle.

A peine Bradley fut-il parti qu’ellesubit le défilé de ses autrescollaborateurs, chacun venant laféliciter, sans se douter qu’elle étaitimpatiente de changer de sujet.

Une fois seule, elle tenta de seconcentrer sur ses dossiers urgents maisforce lui fut d’admettre que toutes ses

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pensées la ramenaient vers Miguel.Alors qu’elle s’efforçait de

s’intéresser au nouveau modèle debottes que Castleton Boots allait bientôtlancer sur le marché, l’envie la tenaillad’aller sans plus attendre à la recherchede Miguel, dans l’un ou l’autre bar de laville.

Depuis qu’ils avaient quitté Sueñosdel Sol, ils n’avaient pu avoir de vraiediscussion et c’était bien dommage carelle avait beaucoup de choses à lui dire.

Durant le vol, elle avait failli luiouvrir son cœur, mais la présence deTanner l’en avait dissuadée ainsi que,plus tard, celle de Sawyer.

— Et puis tant pis ! Il faut à tout prixque j’essaie de lui parler avant qu’il ne

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soit trop tard ! décréta-t-elle enrepoussant son dossier.

Elle s’était déjà levée et s’apprêtait àpartir quand son père entra sanss’annoncer, comme à son habitude.

— Je vois que tu es de retour, dit-il enfronçant les sourcils.

— Nous avons atterri il y a un peuplus d’une heure, à l’aéroport de RedRock, répondit-elle, et je n’ai pas vouluattendre demain pour étudier le projet decampagne publicitaire concernant notredernier modèle de bottes.

Son père la scruta avec méfiance.— Et cette lune de miel ? lui

demanda-t-il.— Formidable ! répondit-elle en

s’efforçant de soutenir le regard de son

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père.Tout était sa faute !Elle aurait dû démissionner plutôt que

de céder au chantage de ses parents.Par crainte de s’opposer à son père,

elle avait préféré proposer un mariage àMiguel et, aujourd’hui, elle s’en mordaitles doigts.

— Jolie tenue, déclara son père aprèsavoir examiné sa robe d’été et sessandalettes de plus près.

— Oui, n’est-ce pas ? répondit-elleavec une pointe d’ironie.

— Très seyant, mais je te préfère entailleur et escarpins, ajouta son père enfronçant les sourcils.

Licencie-moi alors si ce que je portene te convient pas !

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Elle se contenta de défier son père duregard et, à sa grande satisfaction, ellele vit hausser les épaules, tourner lestalons et regagner son bureau.

Une fois de plus, le courage lui avaitmanqué de lui dire ce qu’elle avait surle cœur, mais elle se promit de ne plusêtre aussi timorée à l’avenir.

* * *

Nicole se surprit à chantonner sur lechemin du retour. Alors qu’elle s’étaitattendue à trouver Miguel et Sawyerdans l’un des nombreux bars du centre-ville, elle avait fait chou blanc.

Aucun des barmen qu’elle avaitinterrogés n’avait vu son mari, pas plus

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du reste que Sawyer, et c’était ce quijustifiait son allégresse.

Quand elle entra dans sonappartement, une délicieuse odeurd’épices lui chatouilla les narines.

Elle trouva Miguel dans la cuisine oùil faisait revenir, dans un fait-tout, unmélange de tomates, d’origan et debasilic.

L’ayant imaginé en train de faire lacour à une fille de rencontre, elle ne puts’empêcher d’éprouver du remords pourl’avoir aussi mal jugé.

— Tu prépares le dîner ? demanda-t-elle en s’efforçant de ne pas laisserparaître sa joie.

— Chez les Mendoza, les hommesaiment cuisiner, répondit Miguel avec un

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grand sourire.Et aussi faire l’amour, se dit-elle en

sentant son taux d’hormones grimper enflèche tandis qu’affluaient les souvenirsde ses étreintes passées avec Miguel.

— Je suis désolée pour hier soir. Jecrois que le rhum m’avait tourné la tête,dit-elle.

Reposant sa cuillère de bois, Miguella regarda dans les yeux.

— Je sais que tu avais autant envieque moi de faire l’amour, mais jerespecte ta décision, dit-il avant demélanger de nouveau les différentsingrédients dans le fait-tout.

— Nous en reparlerons bientôt, dit-elle. L’essentiel, c’est que tu sois ici, cesoir, avec moi.

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Miguel lui lança un regard surpris.— Tu t’attendais donc à me voir

parti ?— Oui, murmura-t-elle.— Un contrat tacite nous lie et,

jusqu’au jour du divorce, je resteraiavec toi, quoi qu’il arrive, déclara-t-ild’un ton grave.

Savoir qu’il ne l’abandonnerait pas dujour au lendemain fut un véritablesoulagement.

— Au fait, reprit Miguel, l’agentimmobilier a appelé tout à l’heure et tupeux emménager dans ta nouvellemaison quand tu le voudras.

La pensée de pouvoir vivreprochainement loin de ses parents, dansune maison qu’elle avait choisie, aurait

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dû la combler mais ce qui lui importait,désormais, c’était de profiter de Miguelpendant qu’il en était encore temps.

— Eh bien, la nouvelle ne semble paste faire plaisir ? s’étonna-t-il.

— Mais si !Pourquoi, alors que ses projets étaient

sur le point de se réaliser, avait-ellel’impression d’être dépossédée del’essentiel ?

Peut-être parce qu’il y avait un mondeentre imaginer un mariage avec son ex-amoureux et le vivre au quotidien, avectoutes les tentations qu’impliquait unetelle situation.

— J’ai une faim de loup, dit-elle aprèsavoir jugé plus sage de repousser sadiscussion avec Miguel.

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— Veux-tu dîner tout de suite ?proposa-t-il.

— Accorde-moi une minute pour merafraîchir, répondit-elle.

Et quand elle fut dans la salle debains, elle dut se passer de l’eau froidesur le visage tant le désir qu’elleressentait pour Miguel lui empourpraitles joues.

* * *

Après le dîner, Miguel proposa àNicole de regarder la télévision sur ledivan du salon.

La soirée avait débuté sous lesmeilleurs auspices et, entre sourires etregards appuyés, Nicole lui avait donné

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le sentiment qu’il ne lui était pasindifférent.

Sans oser se l’avouer, il espéraitparvenir, enfin, à la séduire et à renoueravec elle comme il en brûlait d’enviedepuis leurs retrouvailles à New York.

Au début, Nicole accepta ses caressesmais soudain, comme prise de panique,elle se leva et se déclara fatiguée, prêteà aller se coucher.

— Comme tu voudras, déclara-t-il ens’efforçant de cacher sa déception.

Une fois de plus, il s’était trompé surles intentions de celle qu’il désirait tantmais qui avait l’art de compliquer leschoses à loisir.

Les sens en feu, il alla prendre unedouche froide et quand, une fois calmé,

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il sortit de la salle de bains, Nicoleavait déjà refermé la porte de sachambre.

S’il en voulait à quelqu’un, ce n’étaitpas à elle, mais bien à lui.

Il avait accepté le principe de cemariage non pour ouvrir un club grâce àl’argent de Nicole, comme celle-ci lecroyait à tort, mais bien parce qu’iléprouvait encore des sentiments pourelle.

Aujourd’hui, il redoutait de la perdreet il aurait tout donné, y compris lesfameux cent mille dollars, pour vivreune nouvelle idylle avec elle.

Hélas, les parents de Nicoles’ingéniaient depuis le début à leurmettre des bâtons dans les roues et la

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seule solution pour sortir de cetimbroglio aurait été qu’elle ose enfin sedresser contre son père, qu’elle lui diseson fait et accepte de vivre sa vie sansplus se soucier de son avenirprofessionnel.

Réfrénant ses ardeurs, il alla secoucher à son tour, mais il eut beauarranger ses oreillers, se tourner et seretourner dans son lit, il ne parvint pas àtrouver le sommeil tant l’avenir luisemblait confus.

Ce fut alors qu’il entendit frapper à saporte.

Il crut d’abord avoir été victime deson imagination mais on frappa denouveau.

— Miguel ?

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— Entre, répondit-il.La porte s’ouvrit doucement et Nicole,

vêtue d’une chemise de nuit transparentequ’il ne lui connaissait pas, s’avançavers lui avec une expression gênée.

— Quelque chose me tracasse et lemieux est que je t’en parle tout de suite,sans attendre demain, commença-t-elle.

Venait-elle lui dire qu’elle consentaitenfin à faire l’amour avec lui ?

— Je t’écoute, répondit-il .Elle vint s’asseoir sur le lit, et lui

lança un regard timide.— Je te délie de ton engagement. Tu

toucheras l’argent promis mais, en cequi me concerne, je veux divorcer auplus vite.

— Et l’avenir de l’entreprise ?

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demanda-t-il.— Tant pis pour l’entreprise !

déclara-t-elle avec force.— Ma présence te serait-elle donc à

ce point insupportable ?Nicole poussa un soupir à fendre

l’âme.— Tu sais bien que ça n’est pas le

cas. La vérité, Miguel, c’est que tu meplais et que je n’en peux plus de jouercette comédie avec toi.

— Quelle comédie ? s’étonna-t-il.— Celle de notre mariage arrangé. On

n’épouse pas quelqu’un par jeu ou parintérêt.

— Très bien, j’admets que ce mariagen’était pas la meilleure idée au mondemais, en attendant, nous sommes à

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présent mari et femme, lui fit-ilobserver.

— Sur le papier peut-être mais, dansla réalité, nous nous comportons commedeux étrangers, répliqua-t-elle.

Sur ce point, elle avait raison, biensûr.

— Soit, alors que proposes-tu ?demanda-t-il.

— Mettons un terme à cettecohabitation forcée dont je suis la seuleresponsable et qui doit te peser autantqu’à moi, déclara-t-elle d’un ton triste.

Soudain, alors qu’il s’y attendait lemoins, elle se jeta dans ses bras et semit à pleurer.

— Comment fais-tu pour ne pas medétester ? Dis-moi que tu ne me détestes

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pas tout à fait, l’implora-t-elle.— Je suis bien avec toi, répondit-il,

ravi de sentir le corps souple et tiède deNicole contre le sien.

S’il y avait une personne au mondequ’il n’avait jamais détestée, c’était bienNicole.

Elle le regarda avec reconnaissance etvint se blottir un peu plus contre lui.

— Si tu savais comme je m’en veux det’avoir embarqué sur cette galère. Déjà,par le passé, j’ai commis tant d’erreurs,la plus grave étant de t’avoir laissépartir.

— Alors pourquoi recommenceraujourd’hui ? objecta-t-il.

En voyant Nicole se mordillerfiévreusement la lèvre, il s’en voulut de

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la pousser dans ses retranchements. Sonbut n’était pourtant pas de l’effaroucherdavantage.

— Ne pensons plus au passé, dit-il encaressant cette main fine et douce oùbrillait la bague qu’il lui avait offerte auRed.

N’était-ce pas lui qui avait insistépour partir avec elle à Sueños del Sol ?Si leur lune de miel avait tourné aufiasco, il en était responsable tout autantqu’elle.

Quand leurs regards se croisèrent, ileut l’intuition qu’elle éprouvait pour lui,en ce moment précis, des sentiments aumoins aussi forts que les siens.

— Ne me laisse pas sortir de ta vie,ma chérie, ou du moins pas encore, dit-il

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en posant ses lèvres sur les siennes.Comme pour mieux rattraper le temps

perdu, il embrassa Nicole à pleinebouche et elle répondit à son baiser avecfougue,

D’une main fébrile, il retroussa sachemise de nuit et entreprit de caresserses cuisses et ses hanches et, enfin, sesseins qui se mirent à frémir sous sespaumes.

— Oh oui ! gémit Nicole en creusantles reins pour mieux s’offrir à lui.

Alors qu’il la caressait avec uneferveur redoublée, elle lui échappa letemps de retirer sa chemise de nuit.

— Tu es encore plus bellequ’autrefois, dit-il, la bouche sèche.

— Et toi, toujours aussi séduisant,

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répondit-elle d’une voix rauque.Ondulant des hanches, elle s’approcha

de lui et, d’une poussée, le fit basculersur le lit où ils s’enlacèrent fébrilement.

Son sexe durcit encore au contact decette peau soyeuse, de cette chair tièdeet laiteuse, et il l’embrassa sur la bouchepuis sur les seins, le ventre et, enfin, lescuisses.

— Oh oui ! s’écria Nicole en ledévorant des yeux.

— Il y a si longtemps que j’en rêve !lui souffla-t-il à l’oreille entre deuxbaisers.

Juchée sur lui, elle le frôla du bout desseins en de savantes caresses qui luiarrachèrent un cri de plaisir.

— J’ai envie de te sentir en moi, dit-

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elle.— Patience ! chuchota-t-il en la

dévorant du regard puis en faisant lemeilleur usage de ses mains et de seslèvres.

— Prends-moi ! gémit-elle de sa voixrauque qui avait le don de le mettre entranses.

La faisant rouler sur le côté du lit, illui écarta les cuisses et la caressa avecferveur.

— Si tu savais combien je te désire,lui dit-il.

— Et moi donc ! répondit-elle.— Ma chérie !D’un coup de reins, il la pénétra tandis

qu’elle ondulait des hanches et arquaitson corps pour mieux l’accueillir.

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Instinctivement, ils retrouvaient, dixans plus tard, les mouvements et lesgestes qui les avaient si souvent unis,autrefois, quand ils faisaient l’amour.

Avec aucune autre femme, il n’avaitressenti cet accord parfait, cettecommunion entre son désir et celui de sapartenaire.

— Miguel ! s’écria Nicole en haletantet en s’ouvrant toujours plus à lui.

— Oui, chuchota-t-il à son oreille enredoublant d’efforts.

Une vague de plaisir les emporta tousdeux tandis que retentissaient dans soncœur en liesse les mots « amour » et« toujours ».

* * *

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Tendrement blottie contre Miguel,Nicole regarda l’aube se lever en seremémorant les plus merveilleuxmoments de cette nuit voluptueuse.

Si elle ne lui avait pas encoreclairement dit qu’elle l’aimait, c’étaitpar crainte de le faire fuir, ce qu’elle nesouhaitait désormais pour rien aumonde.

Elle profita de ce que Miguel dormaittoujours pour lui caresser la joue et luimurmurer un « je t’aime » qui venait dufond de son cœur.

Dix minutes s’écoulèrent ainsi, lesplus belles de sa vie sans doute, et ellerêva d’un avenir de bonheur encompagnie du seul homme qui ait jamaisvraiment fait battre son cœur.

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— Mmm…, soupira Miguel enémergeant de son sommeil.

— Bonjour, lui dit-elle avec douceur.— Est-ce que j’ai dormi longtemps ?

demanda Miguel en l’attirant à lui.— Juste ce qu’il fallait pour reprendre

des forces, lui dit-elle avec une mouecoquine.

Quand Miguel l’embrassa dans le cou,elle ne put s’empêcher de frissonner etelle serait bien restée ainsi encore dixminutes de plus, à se laisser câliner, siun coup d’œil à la pendulette ne l’enavait dissuadée.

— Que dirais-tu d’un bon café ?proposa-t-elle à Miguel.

— Le café peut attendre, répliqua-t-ilen l’attirant à lui.

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Se sentir autant désirée qu’autrefois,quand il ne pouvait s’empêcher de lacaresser furtivement lors de leursrencontres dans un couloir du lycée, luifit chaud au cœur.

— Moi aussi, je préférerais resteravec toi mais il faut quand même que jem’habille, dit-elle en l’embrassant sur lajoue puis en se levant à regret.

Sous la douche, elle se caressasensuellement en repensant à Miguel et àcette fabuleuse nuit d’amour qu’ilsavaient partagée, puis elle revêtit unerobe légère et alla préparer le petitdéjeuner.

Dix minutes plus tard, Miguel, en jeanet T-shirt, la rejoignit et elle eut,l’espace d’un instant, le sentiment qu’ils

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formaient enfin un vrai couple.Tout en admirant sa carrure

impressionnante, elle le regarda avec lemême désir qu’autrefois, quand elleavait envie qu’il lui fasse l’amour.

— A quoi penses-tu ? demandaMiguel.

Sa pudeur prit le dessus.— Mais à ton club, mentit-elle.

Comptes-tu voir Roberto aujourd’hui,pour discuter des travaux à effectuer ?

— J’ai bien le temps de m’occuper demon club, répondit-il en lui prenant lamain. Ne crois-tu pas qu’il y a deschoses plus urgentes à régler ?

— Lesquelles ? demanda-t-elle, lecœur remplit d’espoir.

Allait-il lui proposer de faire repartir

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leur mariage sur de vraies bases ? Si telétait le cas, alors elle accepterait dufond du cœur.

— Quand comptes-tu révéler la véritésur notre mariage à tes parents ?l’interrogea Miguel.

Elle eut l’impression de recevoir unedouche froide.

— Tu n’y penses pas ?— Si, insista Miguel.— Au risque de perdre l’entreprise ?

objecta-t-elle.— Rien ne permet de dire que tu

perdras l’entreprise en t’expliquantsincèrement avec tes parents, réponditMiguel, mais si tel est le prix à payerpour que nous ayons la consciencetranquille, alors fais-le.

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Loin de paniquer comme elle l’auraitcru, elle ressentit un grand calme etcaressa la joue de Miguel.

— Peut-être as-tu raison, dit-elle,d’autant que j’y vois plus clairaujourd’hui dans mes sentiments enverstoi.

Miguel la regarda d’un air sceptique.— Autrefois aussi, tu disais m’aimer

et pourtant tu as fini par rompre avecmoi faute d’oser affronter tes parents,répliqua-t-il.

Des nuits entières, elle avait ruminéses erreurs passées, la peur que luiinspirait son père et songé au meilleurmoyen d’affirmer son indépendancemais force lui était d’admettre que, cemoyen, elle ne l’avait pas encore trouvé.

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— Tu ne dis rien ? demanda Miguel.— Je réfléchis, répondit-elle pour

gagner du temps.L’aimait-elle assez pour risquer une

brouille avec ses parents et sacrifier sacarrière ?

— Eh bien ? insista Miguel en lafixant dans les yeux.

La moutarde lui monta au nez.— La relation que j’entretiens avec

mes parents ne te regarde pas, répondit-elle enfin.

Miguel tressaillit.— Ta répugnance à affronter tes

parents quand ils ont tort ou quand ilss’immiscent dans ta vie privée est unsigne d’immaturité, dit-il en la défiant duregard. Tu as beau être vice-présidente

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d e Castleton Boots, pour moi, tu esrestée une petite fille craintive quitremble devant son papa.

Une gifle ne l’aurait pas atteintedavantage.

— Pourrais-tu répéter ta dernièrephrase ? demanda-t-elle en se campant,bras croisés, devant Miguel.

— Tu n’es qu’une petite fille craintivequi tremble devant son papa, répéta-t-il.

Elle le foudroya du regard.— J’aurais aimé poursuivre plus

longtemps cette intéressante discussion,dit-elle en attrapant son sac sur lecomptoir, mais je dois aller étudier undossier urgent au bureau.

Miguel la dévisagea avec ironie.— Un samedi ? Dis plutôt que tu

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préfères fuir une fois de plus au lieu defaire face à tes responsabilités.

Touchée au vif, elle se cambramentalement.

— Disons que j’ai envie d’être seulepour réfléchir à ce qui nous arrive,rétorqua-t-elle en se dirigeant vers laporte d’entrée.

— Non, c’est moi qui pars, déclaraMiguel.

Et, prenant sa veste au passage, ilsortit en claquant la porte.

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Nicole arpenta nerveusement sacuisine.

Elle aimait Miguel, mais il était plusfacile de se résigner à le perdre plutôtque de se résoudre à le lui dire, sanscompter qu’elle se trompait peut-être surles sentiments qu’il pouvait éprouverpour elle.

Et, pourtant, n’était-ce pas de l’amourqu’elle avait lu dans son regard, la nuit

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dernière, quand une même fougue lesunissait ?

Ta répugnance à affronter tesparents quand ils ont tort ou quand ilss’immiscent dans ta vie privée est unsigne d’immaturité. Tu as beau êtrevice-présidente de Castleton Boots,pour moi, tu es restée une petite fillecraintive qui tremble devant son papa.

Les propos de Miguel étaient cinglantset appuyaient là où ça faisait mal.

Par manque de courage, elle avaitperdu Miguel une première fois, dix ansplus tôt. Allait-elle le perdre uneseconde fois aujourd’hui et pour lesmêmes raisons ?

Parfois, elle se demandait si larelation difficile qui la liait à son père

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n’était pas due au fait que ce dernierregrettait peut-être d’avoir eu une fille.

Andy Castleton se serait-il senti plus àl’aise avec un garçon à qui il auraitappris à monter à cheval et à tirer aupistolet, comme le Texan authentiquequ’il était dans l’âme, alors que pour sapart elle détestait les armes à feu etn’avait pas de passion particulière pourl’équitation ?

Depuis qu’elle travaillait pour sonpère, ce dernier ne l’avait jamaisménagée et n’avait pas non plus étéavare de reproches, l’obligeant às’habiller de façon stricte alors qu’elleaurait aimé se rendre au bureau en jeansans encourir les foudres paternelles.

Une fois à la tête de Castleton Boots,

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elle s’habillerait à son goût mais, aprèssa dispute avec Miguel, le pire était àcraindre et elle ne serait peut-êtrejamais directrice générale de cetteentreprise à laquelle elle avait, pourtant,consacré le plus clair de son existence.

En effet, si Miguel la quittait, il y avaitde grandes chances pour que son pèreconsidère ce mariage comme nul et nonavenu, et qu’il cède l’entreprise à unconcurrent.

Et si elle révélait sans attendre à sesparents la supercherie qu’avait été sonmariage, le résultat serait évidemment lemême…

A cause de son ambition mal placée,elle avait compromis non seulement sacarrière et ses espoirs de diriger un jour

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l’entreprise, mais aussi, sans doute, tuédans l’œuf tout espoir de vivre heureuseavec Miguel.

Elle en voulait à son père de lui avoirimposé un mariage à tout prix, mais sacolère visait aussi sa propre personne :à vingt-sept ans, elle avait honte s’enlaisser imposer par les deux hommes desa vie qu’étaient Andy Castleton etMiguel Mendoza.

Quoi qu’il arrive, elle ne laisseraitplus jamais quiconque lui dire quoi faireet quoi penser, elle s’en faisait leserment.

Elle allait leur montrer, à tous, qui elleétait vraiment.

* * *

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Nicole se gara devant la propriété deses parents.

Cette conversation avec son père allaitsans doute lui coûter sa place àl’entreprise, mais elle était résolue à neplus tergiverser.

Quelques instants plus tard, elle sonnaà la porte des Castleton.

— Bonjour, ma chérie ! Quelle bonnesurprise, déclara sa mère en lui ouvrant.

— J’ai à vous parler, déclara-t-elled’un ton précipité. Papa est-il là ?

— Tu as de la chance, il n’est pasencore parti pour le bureau, répondit samère.

— Qu’y a-t-il ? répondit AndyCastleton en se penchant au-dessus de labalustrade, du haut de l’escalier.

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Sa détermination ne faiblit pas.— J’ai un aveu à vous faire, mais il

vaudrait mieux que vous soyez assispour l’entendre, maman et toi.

— Tu attends un bébé ! s’exclama samère. C’est bien pourquoi tu t’es mariéesi vite, n’est-ce pas ?

— Au moins tu ne seras pas fille mèreet c’est déjà ça de gagné, lança AndyCastleton en dévalant les marches.

Mieux valait ne pas détromper sesparents tout de suite.

— Je vous croyais impatients d’avoirdes petits-enfants, dit-elle. N’est-ce paspourquoi vous m’avez obligée à memarier ?

— Je préférerais que tu parlesd’incitation, protesta sa mère.

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Elle défia ses parents du regard.— En fait d’incitation, vous ne m’avez

guère laissé le choix.— Bon, laissons ça, déclara son père.

Depuis quand es-tu enceinte ?Elle ne put s’empêcher de rire.— Je ne le suis pas, mais si je l’avais

été, mariage ou non, le bébé aurait eudroit à tout mon amour. Et, maintenant,vous ne voulez vraiment pas vousasseoir ?

— Alors c’est vrai, ma petite fille, tun’es pas enceinte ? insista sa mère avecun soulagement visible.

— Mais enfin, vous allez m’écouter ?s’écria-t-elle.

— Dis ce que tu as à dire et finissons-en ! répliqua son père d’un ton sec.

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Elle rassembla son courage.— J’ai payé Miguel pour qu’il accepte

de m’épouser.Sa mère eut un haut-le-cœur.— Je… Je n’arrive pas à croire que tu

aies pu t’abaisser à faire une chosepareille ! dit-elle.

— Et moi, je n’arrive pas à croire quevous m’ayez imposé ce chantage aumariage, rétorqua-t-elle.

— Combien as-tu donné à Miguel ?s’inquiéta son père.

Elle le foudroya du regard.— Peu importe ! L’important, c’est

que par votre faute, par votre hâte àvouloir me marier à tout prix, j’ai dûrecourir à un stratagèmeparticulièrement odieux.

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— Bon, où veux-tu en venir ? luidemanda son père d’une voix dure.

Elle le regarda dans les yeux.— Sur un point au moins, tu avais

raison, papa, reprit-elle, c’était quand tuprétendais que Miguel et moi, nous nenous connaissions pas vraiment. En dixans, il a changé autant que j’ai changé.

— Ah, tu vois bien ! triompha sonpère.

— Je vois surtout que, dix ans après,je l’aime autant qu’avant.

— Et Miguel, crois-tu qu’il t’aimevraiment ? l’interrogea sa mère.

Elle aurait bien voulu répondre parl’affirmative mais elle craignait le pireaprès leur récente dispute.

— Je n’en sais rien, répondit-elle en

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ravalant son orgueil.— Que veux-tu dire par « je n’en sais

rien » ? lança son père.Elle poussa un long soupir.— Je crois que Miguel m’aime, ou du

moins je l’espère, et dans tous les cas jesuis prête à courir le risque de restermariée avec lui. Sa famille m’a reçuecomme l’une des leurs et si je suis venueici, ce matin, c’est dans l’espoir qu’àl’avenir vous traitiez mon mari aussibien que j’ai été traitée par lesMendoza. Accueillez-le à bras ouvertsou, sinon, je vous garantis que vous neme reverrez plus.

— Nicole, ma petite fille ! s’exclamasa mère.

— Calme-toi, maman, et réfléchis

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avec papa à ma proposition, répondit-elle avec sang-froid.

— Il est inutile que tu nous menaces,déclara son père. Quant à ce Mendoza,je continue de croire qu’il ne t’aime pas,sinon il n’aurait jamais accepté det’épouser contre de l’argent.

— Miguel est un gentleman, papa.Autrefois, il avait promis de m’aiderquoi qu’il arrive et c’est justement pourm’aider qu’il a consenti à ce mariage.

— A supposer que vous soyez heureuxl’un avec l’autre, ce dont je doute,Miguel sera-t-il en mesure de t’offrir untrain de vie digne de toi ? objecta sonpère.

Hier encore, la remarque l’auraitblessée, mais aujourd’hui, elle ne

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suscita en elle qu’un regain de colère.— Si vous n’accueillez pas Miguel à

bras ouverts, je démissionne dès demaind e Castleton Boots et vous ne mereverrez jamais.

Elle regarda son père dans les yeux.— Tu avais raison, papa, de me dire

qu’il faut prendre le temps de vivre etnon vivre pour travailler. Si je doisrepartir de zéro, au moins je le ferai encompagnie de celui que j’aime.

Son père eut un geste d’apaisement.— Ne monte pas sur tes grands

chevaux, Nicole. Dès lundi matin, jedemanderai à mon avocat de supprimerla clause « Mariage » du contrat que tuas signé, et d’en rédiger un autre qui telaissera libre de tes choix. Après quoi,

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je te confierai les rênes de l’entreprise.— Tu ferais ça ? demanda-t-elle,

pleine d’espoir.Son père lui sourit.— Miguel sera le bienvenu ici. Tout

ce que je te demande, c’est de me laisserun peu de temps pour me faire à l’idéequ’un autre homme va définitivementprendre ma place dans ton cœur.

Elle fut frappée par la fausse logiquedu propos.

— Si, comme tu le prétends, tu as peurde me perdre au bénéfice d’un autre,alors pourquoi avoir tant insisté pourque je marie ?

Son père haussa les épaules.— C’est ta mère, et non moi, qui

insistait sur ce point, maugréa-t-il avec

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fatalisme.— Je voulais profiter de mes petits-

enfants avant d’être trop âgée, ajouta samère d’un ton penaud.

— Ne crois-tu pas qu’il aurait été plussimple d’avoir une conversation avecmoi ? demanda-t-elle, touchée par ladétresse de sa mère et par la résignationapparente de son père.

— Je sais et je te demande de mepardonner, ma petite fille, répondit samère d’un ton ému. Et, tu sais, j’aimeraisorganiser une petite réception en tonhonneur et en celui de Miguel.

— Je te promets de lui en parler,répondit-elle, sans préciser qu’aprèsleur dispute il y avait de fortes chancespour que Miguel soit décidé à la quitter

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pour de bon.— Si ton mari veut travailler avec

nous dans l’entreprise, il sera lebienvenu, déclara son père.

La proposition ne manquait pas degénérosité, surtout de la part d’AndyCastleton.

— Miguel sera bien trop absorbé parle lancement de son club pour travaillerchez nous, répondit-elle prudemment.

— Tu crois ? insista son père commesi, entre un emploi à Castleton Boots etla direction d’un club, n’importe quelêtre sensé aurait choisi le premier.

— Devenir patron d’une boîte de nuita toujours été le grand rêve de Miguel,insista-t-elle.

— Je vois, dit son père en hochant la

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tête. Eh bien, il en sera comme tu ledésires.

— Merci, dit-elle avecreconnaissance.

Les choses semblaient réglées du côtéde ses parents, mais qu’en serait-il avecMiguel ?

* * *

Après avoir quitté avec fracas leduplex de Nicole, Miguel alla boire unebière dans le bar le plus proche.

Il se reprochait d’avoir provoqué cettestupide dispute, surtout après lafabuleuse nuit d’amour qu’ils venaientde vivre ensemble.

Tout aurait été si simple s’il avait

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prononcé les mots que Nicole attendaitde lui, évoqué une future vie communequi les rendrait heureux l’un et l’autremais, au lieu de ça, il s’était lancé dansun réquisitoire alimenté par sesfrustrations passées.

Il n’avait pas agi par cruauté, parhaine ou par vengeance, et ce qu’il avaitdit à Nicole, il le pensait depuis qu’elleavait rompu avec lui dix ans plus tôt.

Avait-elle jamais mesuré tout ce qu’ilsauraient pu partager si seulement elleavait refusé de se plier au diktat de sonpère ?

Sa colère à l’encontre d’AndyCastleton n’avait fait que croître au fildes ans et il n’avait pu résister à l’enviede déballer à Nicole ce qu’il avait sur le

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cœur.Quand, vexée par sa franchise, elle

avait coupé court à la discussion,quelque chose s’était brisé en lui et ilavait fui. Désormais, il s’en mordait lesdoigts.

Des heures durant, ils s’étaient donnésl’un à l’autre avec la fougue d’autrefoiset, quand l’aube s’était levée, il n’avaitpas eu à lui demander si elle étaitheureuse, tant son regard était éloquent.

Jamais ils n’avaient si bien faitl’amour et jamais, même dans ses rêvesles plus fous, il n’avait espéré éprouverun tel bonheur entre les bras de la seulefemme qui ait jamais compté pour lui.

Rongé de remords, il décida d’allerrejoindre Nicole au plus vite, mais il

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trouva l’appartement vide.Nicole était partie, mais tout n’était

peut-être pas perdu.S’il parvenait à la retrouver, il lui

expliquerait sa position, se justifierait etlui demanderait pardon. Pour lareconquérir, il se sentait désormais prêtà tout, quitte à souffrir le martyre si ellelui brisait une fois de plus le cœur en luisignifiant qu’elle ne voulait plus le voir.

Il aimait Nicole, il pouvait bien sel’avouer à présent, et rien et ni personnene le ferait renoncer à elle, du moins passans avoir livré bataille.

Alors qu’il ruminait sa déconvenue, ilentendit le cliquetis de la serrure de laporte d’entrée.

Nicole s’avança vers lui, la mine

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ombrageuse.— Toi ! dit-il en sentant son cœur

battre la chamade.— Ne me donne plus jamais

d’ultimatum comme tout à l’heure,répondit-elle avec véhémence. Taconduite ne vaut pas mieux que celle demon père et vous commencez, tous lesdeux, à m’échauffer les oreilles.

Une sensation de soulagementl’envahit et, sans plus réfléchir, ilavança vers elle, bien décidé à laprendre dans ses bras.

— Reste où tu es ! ordonna-t-elle.Il obéit aussitôt.— Si j’avais su que mes propos te

fâcheraient autant, tu penses bien quej’aurais pris soin de les nuancer,

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s’excusa-t-il.— Tu m’as carrément menacée !— Je suis désolé mais…L’expression de Nicole se radoucit.— J’admets que tu n’as pas eu tort de

me secouer un peu. J’ai fait comme tume le suggérais, je suis allée dire à mesparents toute la vérité sur notre mariage.

Que Nicole ait eu cette détermination-là le stupéfia.

— Au risque de perdre l’entreprise ?demanda-t-il, incrédule.

— Avais-je le choix puisque c’est toique je perdais en me taisant ? Du reste,j’ai dit à mon père que je me moquais deson entreprise et que, si jamais ma mèreet lui osaient me soumettre une fois deplus à un chantage, je ne les reverrais

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jamais.Il apprécia comme il se devait le

courage de Nicole.— Sans notre discussion, je n’aurais

jamais eu la force de dire à mes parentsce que j’avais depuis si longtemps sur lecœur et c’est à toi que je le dois.

Il crut rêver.Non seulement Nicole était revenue

vers lui, mais elle semblait prête àpasser l’éponge sur les proposmaladroits qu’il lui avait tenus.

— Comment a réagi ton père quand tului as mis les points sur les i ? demanda-t-il.

— Il a promis que son avocat allaitrédiger un nouveau contrat de cession del’entreprise à mon bénéfice sans la

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moindre clause « Mariage ». A compterde lundi prochain, je suis officiellementla nouvelle directrice générale deCastleton Boots.

— Aucune nouvelle n’aurait pu mefaire davantage plaisir, lui dit-il. Tuméritais autant cette promotion que lerespect de ton père.

Après l’avoir remercié d’un sourire,Nicole prit une profonde inspiration.

— Veux-tu toujours divorcer ?— Et toi, que désires-tu ? demanda-t-

il.— Tu m’avais laissé entendre que, si

je disais enfin à mes parents la vérité surnotre mariage, j’aurais une chance de tegarder, dit-elle.

Il se sentit honteux d’avoir pu laisser

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croire à Nicole qu’il la quitterait si ellen’agissait pas comme il le voulait.

— Je suis désolé d’avoir été simaladroit, lui dit-il d’un ton penaud.

Nicole le menaça de l’index.— Mendoza, ne va pas t’imaginer

pour autant que je ne pourrais pas vivresans toi.

Il prit un air faussement contrit.— J’aurais dû te dire tout à l’heure

combien j’étais heureux d’avoir refaitl’amour avec toi, combien nosretrouvailles ont été extraordinaires,mais quelque chose m’en a empêché.

— Et quoi donc ? demanda Nicole.— La pudeur.Nicole se précipita dans ses bras et il

l’enlaça avec effusion.

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— Oh ! Miguel, si tu savais combientu m’as manqué ! dit-elle.

— Toi aussi tu m’as manqué,répondit-il en l’aidant à sécher seslarmes.

— Te sens-tu prêt pour une vie àdeux ?

— Oui, répondit-il avant del’embrasser sur la bouche, en mettantdans ce baiser toute la passion qu’ellelui inspirait.

Tous deux reprenaient leur soufflequand le téléphone sonna.

Nicole décrocha.— Bonjour, maman, fit-elle d’un ton

joyeux. Oui, tout va bien. Un instant, ilfaut que je demande d’abord à Miguel.

Il la vit lui sourire.

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— Mes parents nous invitent à dînerce soir, chez eux. Qu’en penses-tu ?

Pour la première fois depuis qu’ilavait fait la connaissance de Nicole, lesCastleton semblaient enfin disposés à neplus le traiter en paria : ils l’invitaientchez eux !

— Eh bien, qu’en dis-tu ? insistaNicole.

D’autorité, il prit le combiné desmains de Nicole.

— Bonjour, madame Castleton, iciMiguel Mendoza. Nous serions heureuxde dîner avec votre époux et vous, cesoir. Et, si vous êtes d’accord, nousaimerions nous remarier à l’église envotre présence.

— Oh ! mais nous en serions ravis,

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répondit la mère de Nicole. Et puis, moncher Miguel, appelez-nous désormaisAndy et Elisabeth.

— Très bien, alors à ce soir,Elisabeth, conclut-il avant de repasser lecombiné à Nicole qui salua sa mère etraccrocha.

— Merci ! lui dit-elle avec uneémotion visible. Pour maman, unmariage sans prêtre n’a pas de vraievaleur. Pas plus du reste qu’un mariagesans enfants.

— Eh bien dans ce cas, nous luidonnerons ce plaisir très bientôt, promit-il.

* * *

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Tandis que Nicole passait un brasautour de sa taille, il eut le sentiment quela vie leur souriait enfin.

— Depuis nos retrouvailles, je n’aicessé de penser à toi et, en t’épousant,j’espérais effacer le passé pour êtreenfin heureux avec toi, avoua-t-il àNicole.

— Dès la minute où je t’ai revu, j’aicompris que tu comptais toujours autantpour moi. Et, tu sais, si je n’ai jamais puavoir une relation sérieuse avec un autreque toi, c’est parce que personne nepouvait te remplacer dans mon cœur, fit-elle en écho.

— Que dirais-tu si, au lieu d’habiterdans ta maison, nous dénichions unappartement proche de mon futur club ?

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proposa-t-il.Elle se serra contre lui.— Etre ta femme me remplit de joie

et, du moment que je suis avec toi, jevivrai n’importe où, déclara-t-elle en leregardant au fond des yeux.

Il remercia le destin d’avoir fait ensorte qu’ils se retrouvent, après tantd’années.

— Je suis fier d’être ton mari, dit-il enl’enlaçant plus fort, mais j’aimerais quetu me fasses une promesse.

— Tout ce que tu voudras, mon chéri,répondit-elle en le dévorant du regard.

Il lui caressa la joue, la nuque, puisembrassa son front.

— Après tant d’épreuves, promettons-nous fidélité, amour et sincérité quoi

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qu’il arrive.— Je serai tienne, toujours, quoi qu’il

arrive, déclara-t-elle d’un ton solennel.— Pour le meilleur et le pire ? insista-

t-il.— Pour le meilleur, Mendoza mon

amour car, le pire, nous l’avons déjàvécu, conclut Nicole.

* * *

Retrouvez la famille Fortune, dès lemois prochain dans votre

collection Passions !

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TITRE ORIGINAL : MARRY ME, MENDOZATraduction française : YVES CRAPEZ

HARLEQUIN®

est une marque déposée par le Groupe Harlequin

PASSIONS®

est une marque déposée par Harlequin S.A.© 2013, Harlequin Books S.A.

© 2014, Harlequin S.A.Le visuel de couverture est reproduit avec l’autorisation de :

Mariés : © PETE STEC/DESIGN PICS/CORIS/ROYALTY FREERéalisation graphique couverture : E. COURTECUISSE

(Harlequin SA)Tous droits réservés.

ISBN 978-2-2803-2352-9

Tous droits réservés, y compris le droit dereproduction de tout ou partie de l’ouvrage, sousquelque forme que ce soit. Ce livre est publié avecl’autorisation de HARLEQUIN BOOKS S.A. Cetteœuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres,les personnages, les lieux, les intrigues, sont soit lefruit de l’imagination de l’auteur, soit utilisés dans lecadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance

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avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, desentreprises, des événements ou des lieux, serait unepure coïncidence. HARLEQUIN, ainsi que H et lelogo en forme de losange, appartiennent à HarlequinEnterprises Limited ou à ses filiales, et sont utiliséspar d’autres sous licence.

ÉDITIONS HARLEQUIN83-85, boulevard Vincent Auriol, 75646 PARIS CEDEX 13.

Service Lectrices — Tél. : 01 45 82 47 47www.harlequin.fr

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Prologue

Huit années plus tôt

Brady Ward ne bougea pas quand lematelas s’enfonça et que les pieds nusde Maggie claquèrent doucement sur leparquet. Le bruit qu’elle fit enrassemblant ses vêtements sur le sol dela chambre sembla résonner dans lesilence de l’aube. Même le vieux coq dela maison n’avait pas encore chanté pour

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saluer la journée qui s’annonçait.Il avait été tiré du sommeil quelques

instants plus tôt par les voitures desderniers invités qui quittaient la fête defin d’études de Luke. De toute évidence,le bruit des moteurs avait aussi réveilléMaggie. Il sentit le froid envahir soncorps à l’endroit où elle s’était tenue.

Il resta immobile afin qu’elle puissesortir de sa vie aussi facilement qu’elleétait entrée dans son lit. Entre eux,l’entente avait été si parfaite que dansd’autres circonstances leur relationaurait pu se prolonger au-delà d’uneaventure d’une nuit.

Il entendit cliqueter la poignée de laporte, puis le bruit s’interrompit et il eutl’impression de sentir son regard sur son

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dos. Comme si elle voulait lui laisserune chance de la rappeler, del’accueillir de nouveau dans ses bras etde lui offrir davantage. Mais ce n’étaitpas possible.

Son parfum floral lui parvint auxnarines, ensorcelant ses sens comme lechant d’une sirène. Sa voix doucerésonnait encore dans sa tête. Je n’aipas l’habitude de faire ce genre dechoses. Elle avait des cheveux d’unblond tirant sur le roux et des yeuxnoisette pailletés de vert qui leregardaient comme s’il était le seulhomme sur la terre.

Puis la porte s’ouvrit en grinçant etelle disparut.

Il se retourna et fixa le plafond. La

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peinture blanche devenue grise s’étaitcraquelée par endroits et une araignée àlongues pattes avait élu domicile dans uncoin. Le chagrin envahit sa poitrine et illutta pour le chasser.

L’été dernier avait été plutôt pénible.Il était rentré à la maison à la fin del’année universitaire pour aider Sam auxtravaux de la ferme et essayer d’éviter àLuke de s’attirer davantage d’ennuis.Malheureusement, depuis que leursparents n’étaient plus là, les liensfamiliaux qui les liaient se dégradaientpeu à peu.

Sachant qu’il ne parviendrait pas à serendormir, il se leva, enfila un jean, puisse dirigea en traînant les pieds vers lasalle de bains et prit une douche froide.

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Comme s’il n’avait pas passé uneannée entière sur les bancs de la faculté,il reprit le rythme des travaux agricolesqu’il pratiquait depuis toujours, parceque c’était ce qu’on attendait de lui etqu’il n’était pas censé passer sesvacances d’été à traîner.

Lorsque les vaches furent nourries ettraites, les moutons conduits dans unnouveau pâturage et les cochonsalimentés en bouillie, il avait lesmuscles douloureux. Il n’était pas dansson élément à la ferme. Il ne l’avaitjamais été.

Laissant ses bottes boueuses sous leporche, il se dirigea vers la cuisine enchaussettes.

— Bonjour, grommela Sam.

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Il se tenait près de la gazinière etretournait avec une spatule des saucissescarbonisées dans une poêle en fonte.

— Bonjour, répondit Brady sur lemême ton.

Il mit la cafetière en marche et cherchades céréales dans les placards. Lessaucisses de Sam ne lui donnaientaucune envie.

— Ravi de voir que tu as réussi àsortir du lit.

Le ton de Sam était sarcastique, maisBrady préféra ne pas relever

— Je n’ai pas envie de me disputeravec toi, dit-il.

— L’arpent quarante doit être labouré,répondit Sam sans cesser de remuer lessaucisses. J’ai promis à John de lui

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livrer au minimum deux chargements depaille aujourd’hui. Et la grange a besoind’être réparée et repeinte.

— Où est Luke ? demanda Brady dansl’espoir d’interrompre la litanie deréclamations de son frère.

Il vit la nuque de Sam s’empourprer,exactement comme quand maman lesurprenait quand il rentrait en retard.

— Il est parti.— Comment as-tu réagi ?— Je n’ai rien dit, répondit Sam,

éteignant le feu et lançant la spatule dansl’évier.

— J’en doute, grommela Brady eninspectant les étagères.

Il trouva tout au fond des céréales qui,même périmées, seraient toujours plus

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digestes que la cuisine de son frère.— Arrête, Brady, dit Sam, coupant

court à la conversation.Typique de Sam. Il s’était produit

quelque chose, mais il préférait ne pasen parler. Il gardait tout pour lui,ruminait ses rancœurs, puis finissait parexploser. Dialoguer n’avait jamais étéfacile dans la famille Ward.

Papa était mort lorsque Luke avaitquatorze ans et maman quand il en avaitseize. Pour ne rien arranger, il vivaitdepuis deux ans sous la coupe de Sam,nommé son tuteur légal, ce qui n’avaitpas dû être facile. Brady avait obtenu delui la promesse de se tenir tranquillependant sa dernière année de lycée etLuke, incroyablement, l’avait honorée. Il

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avait obtenu son diplôme avec leshonneurs et une bourse intégrale àl’université de l’Illinois. Par miracle, ilavait réussi à sortir du lycée de TawneeValley avec un casier judiciaire viergeet sans avoir mis aucune fille enceinte.

Brady s’assit en face de son frère etposa son bol de céréales sur la table.Sam engloutissait le contenu de sonassiette, sans doute la seule façon pourlui de ne pas sentir de goût de brûlé desaliments. Brady s’adossa ensuite contresa chaise et se mit à l’étudier en sirotantson café.

Sans se laisser démonter, Bradymangea ses céréales tranquillement,ralentissant même un peu le rythme pourénerver son frère. Mais, malgré les

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apparences, il avait du mal à avaler et lanourriture lui pesait sur l’estomac. Ilaurait dû partir en lui laissant un mot.Mais, s’il voulait un jour devenir unhomme, il devait agir en tant que tel.

— Maggie Brown est une gentillegosse, commença Sam.

Le commentaire ne surprit pas Brady.Depuis que leur mère était tombéemalade, Sam avait pris l’habitude defourrer son nez partout.

— Ce n’est pas une gosse.Il la côtoyait depuis des années, mais

ne l’avait jamais fréquentée. Elle étaitdeux classes en dessous de lui à l’écoleet avait terminé le lycée en même tempsque Luke.

— Bien sûr, fit Sam en croisant les

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mains sur son ventre. En tout cas, ellesemble avoir la tête sur les épaules. Jene comprends pas bien pourquoi elle acouché avec toi.

Sentant une rage brûlante l’envahir,Brady laissa tomber bruyamment sacuillère dans le bol.

— Et alors ?— Ce n’est pas le genre de fille pour

une aventure.Le ton protecteur de son frère le

poussa à se taire.De toute façon, Sam n’avait pas besoin

de savoir qu’ils ne s’étaient fait aucunepromesse hier soir, sauf celle que leurrelation n’irait pas au-delà d’une nuit.Ils ne passeraient pas des heures à setenir la main sur les bancs de Parson’s

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Park, pas plus qu’ils n’iraient au cinémaou au restaurant à Owen, la villevoisine. Même si elle lui plaisait, ilsétaient à des stades différents de leur vieet ses projets à lui le destinaient à partirtrès loin.

— Maggie est le genre de fille avecqui on reste, reprit Sam.

— Est-ce que tu vas me forcer àl’épouser ?

— Je pense que tu devrais au moinslui donner une chance. Dans deux ans, tuauras fini tes études et tu reviendras ici.Maggie ferait une bonne épouse et ellecuisine certainement mieux que moi.

— Si tu veux une femme dans lamaison, pourquoi ne t’en trouves-tu pasune ? demanda Brady, chassant bien vite

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la proposition de Sam de son esprit.— Parce que je ne suis pas vraiment

le meilleur le parti la région.Sam eut le sourire narquois qui l’avait

toujours démonté, celui qu’il luiadressait lorsqu’ils étaient petits et queBrady ramenait à la maison demeilleures notes que lui.

Brady passa une main dans sescheveux avant de fixer le plafondgrisâtre.

— Moi non plus, rappela-t-il. Nevois-tu pas que tout le monde nousregarde avec pitié ? Les pauvres frèresWard qui ont perdu leurs parents. Jeparie qu’à leurs yeux tu es le saint quis’est occupé de Luke et moi. Et moi lelâche qui a pris la fuite.

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— Tu n’as pas pris la fuite.— Ah non ? répondit Brady en sondant

les yeux bleus de son frère, les mêmesque les siens et que ceux de leur père.La vérité c’est qu’après la mort demaman j’avais besoin d’air.

— Et je n’ai rien fait pour te retenir.Tu es parti faire tes études, moi je suisresté ici avec Luke et je me suis occupéde la ferme. Quand tu auras terminél’université, tu pourras revenir à lamaison et m’aider.

— Revenir à la maison ?C’était bien la dernière chose dont il

avait envie.— Comme papa le voulait et maman

aussi. Nous trois, ensemble, réunis.Une bouffée de désespoir envahit

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Brady.— Cette maison n’est pas la nôtre.Les traits de Sam se durcirent. Il se

mit debout et le toisa. Mais, si lesquelques centimètres qu’il avait de plusque lui avaient toujours intimidé Brady,ce ne fut pas le cas aujourd’hui.

— Bon sang, Sam, tu te voiles la face.Ici, ce n’est pas chez nous, c’est chezpapa et maman. Maintenant, tout a voléen éclats.

— Tais-toi ! ordonna Sam d’un tonmenaçant.

Mais il était bien décidé à poursuivre.Il en avait trop sur le cœur.

— Luke ne sait plus où il en est, toinon plus et moi je ne vaux guère mieux.Rien ne nous oblige à rester ici et tu ne

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peux pas nous y forcer. Nous ne sommespas faits pour vivre ensemble.

— Tais-toi, je te dis ! répétarageusement Sam.

— Je pars, Sam, annonça-t-il, sentantle poids qui pesait sur ses épauless’alléger. J’ai reçu une bourse quicouvre tous mes frais d’études. Je vaism’installer à Londres.

— En Angleterre ? dit Sam en reculantbrusquement comme s’il l’avait frappé.

— C’est la chance de ma vie, Sam. Ceque j’ai toujours désiré, ajouta-t-il d’unevoix plus douce. Ce n’est pas à tout lemonde qu’on offre une telle opportunité.Je ne peux pas la refuser. La plupart deceux qui suivent cette formation trouventdu travail après leurs études. Mon avion

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part dans deux jours.— C’est donc ça que tu veux ? Tu

veux t’éloigner le plus possible d’ici ?— Mon intention n’a jamais été de

revenir à Tawnee Valley après mesétudes, ni de fonder une famille avecquelqu’un comme Maggie Brown. Cetteferme est ton rêve, Sam, pas le mien.

— Et Luke ?— Quoi, Luke ?Brady tourna la tête vers la fenêtre,

fixant la vieille grange des yeux.— Qui va s’occuper de lui ? Qui le

protégera le temps qu’il devienne unhomme ? demanda Sam d’une voixrageuse.

— Tu étais censé…Sam le poussa brutalement, manquant

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de le faire tomber sur une chaise. Larivalité fraternelle qui les opposaitdepuis toujours remontait à la surface enmême temps que toute la rage refoulée.Mais, malgré son envie de flanquer sonpoing dans la figure de son frère, il semaîtrisa.

— Toujours moi. C’est moi qui ai dûrenoncer à mes études et rentrer à lamaison quand papa est mort et quemaman est tombée malade. Moi qui suiscoincé ici à regarder tout le mondequitter cette ville qui se vide de jour enjour. Et c’est encore moi qui ai dûréparer les bêtises de Luke, moi quiserai obligé de résoudre les problèmesque vous laisserez derrière vous, tousles deux.

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— Je ne t’ai jamais demandé de…— Maman l’a fait.Pourtant prononcés calmement, ces

mots touchèrent Brady en plein cœur,sapant sa colère.

— Tu n’étais pas obligé, répondit-il, àcourt d’arguments.

Leur mère était toute leur vie. Elleavait eu Sam tardivement, après avoiressayé pendant des années d’avoir desenfants. Puis leur père était mort àcinquante-trois ans d’une crisecardiaque et elle avait découvert lamême année qu’elle avait un cancergénéralisé.

— Je ne supporte plus cette maison,reprit-il. La présence de maman estpartout. Je m’attends à la voir apparaître

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à tout moment, à l’entendre nous appelerdepuis sa chambre. Chaque fois qu’uneporte claque, je pense que c’est papa quirentre de sa journée de travail. La fermete retient ici, pas moi.

Lui tournant le dos, Sam posa lesmains sur le bord de l’évier et fixa lafenêtre des yeux.

— Ne me demande pas de rester ici,s’il te plaît, Sam, dit-il d’une voix quitremblait malgré lui.

Son frère resta si longtemps à regarderpar la fenêtre que Brady en perdit lanotion du temps. Le dos voûté, ilsemblait écrasé par le poids qu’ilportait, un poids dont Brady était enpartie responsable. Loin de TawneeValley, il pourrait peut-être prétendre

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que tout allait bien, mais ici… mêmerespirer était douloureux.

Sam s’écarta finalement de l’évier etse tourna vers lui. Brady se prépara àdéfendre sa cause. Sam n’imaginait sansdoute pas à quel point partir lui pesait.Mais l’opportunité était trop belle pourla laisser échapper.

— Je ne te demande pas de rester,répondit Sam en le regardant droit dansles yeux. Et je ne te demanderai pas nonplus de revenir. Ni maintenant ni jamais.

Il s’agissait visiblement d’un adieu. Ilaurait préféré qu’ils se séparent enmeilleurs termes mais, connaissant Sam,comment aurait-il pu en être autrement ?

— J’annoncerai la nouvelle à Luke, ditSam en rassemblant les assiettes avant

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de se diriger vers l’évier.La conversation était terminée, tout

comme leur relation.— Je t’enverrai de l’argent dès que

possible.La vaisselle s’écrasa dans l’évier

avec un grand bruit.— Je n’ai pas besoin de ton argent.Le ton de Sam était glacial.Brady hocha la tête, bien décidé à lui

en envoyer quand même.— Au revoir, Sam.

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- 1 -

Aujourd’hui

Maggie Brown fixa les papiers sur sonbureau : que des factures, il y en avaitdes piles !

Avec un soupir, elle s’arracha à sarêverie.

— Amber ! C’est l’heure de l’école.— J’arrive !Amber entra en courant dans la salle à

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manger, son sac à dos sur les épaules,ses yeux bleus pétillant et ses cheveuxnoirs volant autour de son visage. Elles’immobilisa un instant à côté d’elle, laserra rapidement dans ses bras, puisfonça en direction de la porte d’entrée.

— Tu n’as pas besoin dem’accompagner à l’arrêt de bus,maman ! Je peux y aller seule.

Elle se leva et la suivit.— J’aime bien attendre le bus avec

toi.Alors qu’Amber s’élançait dehors en

tourbillonnant, elle pensa à sa mère,terrassée par un cancer quelques moisplus tôt. Heureusement qu’elle avaitAmber ! Sa présence l’avait beaucoupaidée pendant ces moments difficiles, lui

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permettant de se focaliser sur la vie aulieu de penser à la mort.

Amber arrêta de tournoyer pours’approcher d’elle et lui prendre lamain. Elles s’étaient toujours soutenuesmutuellement.

— Ça va, maman ?— Oui, ma chérie, tout va bien.Le bus s’immobilisa dans un

crissement de freins.— Il faut y aller, dit Maggie en serrant

rapidement la main d’Amber dans lessiennes.

— Je t’aime, maman.Amber l’enlaça, puis se précipita vers

le bus avant que Maggie ait eu le tempsde lui rendre son étreinte.

— Je t’aime, cria Maggie au moment

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où les portes se refermaient.Sentant le froid la pénétrer, elle serra

les bras contre sa poitrine et regarda levent de ce début d’automne pousser lespremières feuilles mortes vers la maisonde son voisin. Le poids qu’elle avait surl’estomac ne voulait pas disparaître.

Elle regarda le bus s’éloigner, etremarqua alors un vieux pick-up arrêtédevant chez les voisins d’en face. Celan’avait rien d’anormal car les enfantsdes Anderson étaient adolescents et il yavait chaque jour un véhicule différentgaré devant chez eux. Chassant cettepensée, elle se dirigea vers la maison.

La vieille bâtisse de style victorien desa mère avait connu des jours meilleurs.Des réparations étaient nécessaires, le

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porche en particulier avait besoin d’unecouche de peinture. Mais les travauxdevraient attendre, il y avait desdépenses plus urgentes ce mois-ci.

— Maggie !Cette voix ! Elle l’aurait reconnue

entre mille.Sam Ward était devant le pick-up et

s’avançait vers elle. Comme les autresWard, il avait des cheveux noirs, desyeux bleus et une carrure athlétique,mais il avait toujours été moinsaccessible que son frère Brady.

Sam s’arrêta devant elle, le visagegrave et fermé.

— Je suis content de te trouver,Maggie.

— Je suis sur le point de partir,

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répondit-elle froidement.— Je t’ai aperçue au magasin avec

Amber l’autre jour. Elle a beaucoupgrandi.

Il eut un sourire, mais son regard étaitinquiet.

Elle détourna les yeux. Si tout lemonde en ville jouait aux devinettespour savoir lequel des trois frères Wardétait l’auteur du forfait, elle n’avait ditla vérité à personne, sauf à sa mère et àsa meilleure amie.

Luke avait toujours été le coupablefavori, parce qu’ils avaient le même âgeet étaient dans la même classe au lycée.D’autres pensaient que c’était Sam.Pourtant, mis à part un bref salut quandils se croisaient quelque part, Sam

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n’avait jamais eu de rapport ni avecAmber ni avec elle. Personne enrevanche n’avait jamais soupçonnéBrady. Star du football local et garçon leplus populaire de la ville, il était auxyeux de tous celui qui réussirait. Et ilsne s’étaient pas trompés. Il était parti enAngleterre sans dire au revoir àpersonne. De toute façon, elle nes’attendait pas à des adieux déchirants.Quelques semaines après, elle lui avaitécrit pour lui dire qu’elle était enceinte,et, à partir de ce moment-là, Sam avaitcommencé à lui donner de l’argent. Sanspresque lui adresser la parole, secontentant de lui tendre l’enveloppe oude la laisser à sa mère. Brady, lui,n’avait jamais répondu à ses lettres.

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Si elle avait été gênée d’accepterl’argent, elle s’était sentiereconnaissante de l’aide financière.Mais le fait que les Ward refusentd’accueillir Amber dans leur famille luilaissait un goût amer dans la bouche.

Sam n’avait jamais eu le moindrecontact avec Amber, du moins pas à saconnaissance. D’ailleurs, quand ilpassait, il ne restait jamais assezlongtemps pour entamer uneconversation. Sans doute Brady luiavait-il montré les photos qu’elleenvoyait une fois par an par e-mail à laferme des Ward, avec les autresinformations qu’elle estimait devoir luicommuniquer. Toujours est-il que Bradyn’avait jamais tenté de la contacter, ni

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même manifesté la moindre volonté deconnaître son enfant. Pourtant, l’argentarrivait régulièrement. Juste de l’argent,comme si c’était tout ce dont Amberavait besoin !

— Et alors ? Nous fréquentons lesmêmes magasins, fit-elle remarquer d’unton légèrement méprisant. Qu’est-ce quetu veux, Sam ? Je dois partir travailler.

— Je suis au courant pour ta mère. Jete présente toutes mes condoléances, dit-il en se frottant nerveusement la nuque.

Son agitation commençait àl’inquiéter. Et si quelque chose étaitarrivé à Brady ?

— Merci, répondit-ellemachinalement.

Elle se souvenait que la mère de Sam

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avait aussi été emportée par un cancer.Un silence gêné s’installa. Pourquoi

Sam semblait-il si inquiet ? Pourquoi ceregard affolé, comme s’il avait envie departir en courant ? En tout cas, lesentiment était mutuel…

— Je dois vraiment y aller, insista-t-elle.

Elle s’apprêtait à lui tourner le dos,mais il posa avec hésitation un pied surla première marche. Très bien, lemessage était clair : il ne partirait pasavant d’avoir dit ce qu’il avait à dire.

— Pourrais-tu me faire entrer ? Jedois te parler.

Avait-elle vraiment envie d’avoir uneconversation avec un Ward ? Mais sonregard était sincère, alors elle haussa les

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épaules et lui fit signe d’entrer.— Est-ce que tout le monde va bien ?— Oui, que je sache.Elle le précéda jusque dans le salon et

lui indiqua un fauteuil. Si le mobilierétait ancien, la pièce était décorée avecamour, et elle en était fière.

Pourquoi voulait-il soudain lui parleraprès huit ans de silence ? C’était peut-être pour lui annoncer que Brady ne luienverrait plus d’argent. Dans ce cas, elleserait obligée d’augmenter ses heures desecrétariat au magasin de meubles pourlequel elle travaillait. Elle le regardapendant qu’il s’installait au bord dufauteuil, coudes sur les genoux et mainsserrées. Décidément, il avait l’air biennerveux, ce qui ne laissait présager rien

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de bon.L’estomac noué, elle s’approcha d’une

chaise, puis décida finalement de resterdebout.

— J’ai commis des erreurs autrefois,Maggie.

Sam semblait penser qu’elle étaitd’humeur à écouter ses confessions.

— Je veux bien le croire, mais…— Assieds-toi, Maggie, s’il te plaît.Son expression sévère la poussa à

s’exécuter.— Tu ne manques pas de culot.— C’est vrai, dit-il en passant une

main tremblante dans ses cheveux. Tun’as pas idée à quel point.

Elle croisa les bras et attendit la suite.— Oui, j’ai commis de graves

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erreurs…— Tu l’as déjà dit, coupa-t-elle

sèchement.Il fixa un instant le plafond avant de

reporter les yeux sur elle. Elle vit sonregard s’adoucir.

— Je sais que Brady est le pèred’Amber.

La surprise la rendit muette.— Mais Brady, lui, ne le sait pas,

acheva-t-il.Elle eut l’impression de recevoir un

coup de poing dans le ventre.Heureusement qu’elle s’était assise, carsinon, elle le sentait, elle se seraitaffalée sur le sol.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Je… jele lui ai écrit. Il m’envoie de l’argent.

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Abasourdie, elle avait du mal àcomprendre. Etait-ce bien de la tristessequ’elle voyait dans ses yeux ? Puis soncœur fit un bond : Sam avait mis la maindans sa poche, et en sortait maintenantdes enveloppes qui avaient déjà étéouvertes.

— Je suis désolé, Maggie. J’ai vouluprotéger mon frère.

Elle prit la pile de lettres et lafeuilleta. Il s’agissait des lettres qu’elleavait envoyées à Brady.

Le passé refit surface avec la violenced’une gifle. Elle avait découvert sagrossesse au moment où sa mèrecommençait la chimiothérapie etnécessitait des soins constants. Sur lemoment, elle n’avait pas su quoi faire.

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Brady était parti à l’étranger et ellen’avait aucun moyen de le joindre.Choisissant la solution de facilité, ellelui avait écrit et envoyé la lettre à laferme des Ward. Lorsque Sam avaitcommencé à lui donner de l’argent, elleen avait conclu que Brady préféraitpayer que s’occuper de sa fille. Elleavait été déçue et aussi quelque peusoulagée.

— J’ai tout gâché. Je veux meracheter, dit Sam, la tête baissée, lesmains nouées devant lui.

— Et comment comptes-tu t’yprendre ?

Elle s’efforçait de ne pas perdrecontenance, même si elle avait envie dehurler de rage et de déception. Elle en

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avait voulu à Brady pendant tout cetemps et il ne savait rien !

La honte lui fit monter le rouge auxjoues. Oh ! pourquoi avait-elle fait aussipeu d’efforts pour le joindre ? Elleaurait pu le chercher sur le Net, parexemple, mais elle avait eu trop peurd’être rejetée.

— Je t’ai pris un billet d’avion. J’aiaussi demandé à Penny de garder Amberce week-end. Je n’ai pas ouvert tadernière lettre, Maggie. Tu devrais la luidonner en personne.

Il lui tendit l’enveloppe scellée, maiselle ne la prit pas. Avait-il perdu latête ?

— Je n’en reviens pas que tu nous aiesmenti à ton frère et à moi pendant huit

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ans. Sais-tu à quel point il est difficiled’élever un enfant seule ? As-tu lamoindre idée de ce que j’ai vécu quandma mère était malade et je devaism’occuper en même temps de ma filletoute petite ?

Elle se leva d’un bond et se mit àarpenter la pièce. C’était Sam qui étaitresponsable de cette situation, pas elle.Elle fit un effort surhumain pourmaîtriser ses émotions.

— Tu n’avais pas le droit.— Je sais.Il se tenait immobile sur son siège, le

visage grave.— Pourquoi ?Ses épaules étaient secouées par la

rage et les larmes lui brûlaient les yeux.

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Des milliers de questions sebousculaient dans sa tête. Aurait-elle puéchapper à cette épreuve, avoir Brady àson côté quand son monde s’étaitécroulé ? L’aurait-il soutenue ou lui enaurait-il voulu de l’avoir empêché deréaliser son rêve ? Ou bien encorel’aurait-il tout simplement rejetéecomme son frère le lui avait laisséentendre ?

— Je ne comprends pas pourquoi tu asagi ainsi. Qu’est-ce ton frère t’avaitfait ? Et qu’est-ce que je t’ai fait ?

Sam se mit debout, inspira puis expirapesamment.

— Rien. Ce n’était pas à toi que jepensais. J’avais mes raisons. Il esttemps de redresser la situation. Va à

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New York et dis la vérité à Brady.— Il est à New York ?— Je sais par Luke qu’il a été muté là-

bas il y a un mois. Je me suis dit qu’ilétait temps de le mettre au courant.

— Pourquoi ne le lui dis-tu pas toi-même ? demanda-t-elle en repoussantles enveloppes.

Sa bouche se serra et, l’espace d’uninstant, elle crut qu’il ne répondrait pas.Il semblait envahi par le découragement,un sentiment qu’elle connaissait bien.Mais elle n’allait pas en plus leplaindre.

— Il y a huit ans que Brady ne m’a pasadressé la parole, avoua-t-il d’une voixrauque. Je ne sais rien de lui, sauf ce queLuke veut bien me dire et lui non plus ne

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me parle presque jamais. Il faut que tu yailles, c’est le seul moyen.

— Ce n’est pas possible. Je ne peuxpas abandonner Amber et mon travail dujour au lendemain. J’ai besoin de monsalaire. J’ai des obligations, ajouta-t-elle en posant les yeux sur la pile defactures.

— Je m’en occuperai.— Comme tu t’es occupé de ça ?Elle agita les lettres dans sa direction.

Elle ne pouvait pas laisser les choses enl’état. Brady devait savoir.

— Que tu sois maudit, Sam Ward,déclara-t-elle en mettant toute sa rage etsa frustration dans ses paroles.

— On ne peut pas changer le passé,Maggie.

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Elle ignora son regard douloureux.— Tout ce qu’on peut essayer de faire,

c’est modifier l’avenir. Brady doitsavoir pour Amber.

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- 2 -

— Ce projet rapportera vingt pourcent de bénéfices à l’entreprise, conclutBrady, sentant la sueur couler le long deson échine.

La salle de réunion était pleine et lesmembres du comité de directionl’écoutaient avec attention.

— Le projet semble tenir la route,remarqua Kyle Bradford.

Kyle, le P.-D.G. de Matin Enterprises,

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avait une bonne cinquantaine d’années.Il s’était montré amical avec lui depuisson arrivée, l’invitant plusieurs fois àdes matchs de football et à des dîners aurestaurant.

Julie s’éclaircit la voix et se leva. Elleportait un tailleur rouge foncé qui mettaiten valeur son corps parfait. Pour ne riengâcher, elle était brillante.

— Ce projet assurera l’avenir de notresociété, dit-elle.

Il soupira. Il leur avait fallu plusieurssemaines de travail intensif pourpréparer leur exposé. Il avait conçu leprojet et établi les budgets préliminairesavant d’être muté à New York. C’étaitmaintenant l’occasion ou jamais delancer son idée, il le savait, et Julie était

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la personne idéale pour l’aider.— Je suis tout à fait d’accord avec

vous, Kyle, intervint Dave Peterson.J’aimerais pourtant que vous mepermettiez de superviser les opérations.Si bien sûr Brady et Julie n’y voient pasd’inconvénient, ajouta-t-il en adressantun clin d’œil à Julie.

Pourquoi Peterson s’obstinait-il àvouloir séduire Julie, alors qu’elle ledétestait ? L’attitude condescendantequ’il avait avec elle lui donnait envie dele frapper. Et il trouvait insupportableque personne d’autre dans la salle nesemble s’apercevoir de son manège !

Peterson souleva les sourcils, ledéfiant de refuser.

— Pas du tout, répondit-il. Vos

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compétences nous seront très utiles.Il pourrait ainsi le garder à l’œil et

peut-être de l’empêcher de nuire.— Parfait. Tenez-nous au courant de

l’évolution du projet, conclut Kyle en selevant, imité par le reste de l’assemblée.

Brady rassembla ses papiers etdébrancha le projecteur. Et dire qu’il luiavait fallu trois mois de préparationpour aboutir à une décision qui avaitpris à peine une minute.

— Bien joué, Brady, dit Julie enl’aidant à ranger.

Peterson était resté et il les rejoignit.Brady lui jeta un regard à la dérobade.Peterson n’était guère plus âgé que lui,mais paraissait beaucoup plus vieux.Son ventre était trop gros pour sa

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chemise et ses cheveux poivre et selcommençaient à se dégarnir.

— Bravo pour la présentation, Brady.Je n’aurais pas fait mieux.

— Merci, répondit Brady.Il s’abstint d’ajouter : « Parce que tu

en aurais été incapable. » Tous lesemployés de la société savaient quePeterson était un arriviste qui n’hésitaitdevant rien pour arriver à ses fins.

— Julie ? Je vous prie de m’envoyerune copie de vos courriers. Je voudraiségalement participer à vos réunions,même si vous n’êtes que tous les deux,dit Peterson.

Julie toisa Peterson d’un regard glacé,puis dit laconiquement :

— Participez aux réunions si vous

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voulez, mais c’est nous qui prenons lesdécisions.

— Bien sûr, répondit Peterson avec unsourire suffisant avant de quitter la sallede réunion.

Brady avait envie de l’étrangler. Queltype arrogant ! Il n’aimait pas du tout safaçon de traiter de Julie.

Il la regarda : Julie et lui avaient lemême but, réussir. Mais, malgré cetteressemblance, leur histoire n’avait pasduré plus d’une semaine. Ils avaientrompu d’un commun accord. Commentauraient-ils pu envisager une relationamoureuse en milieu professionnel ?Mais tout ceci était du passé, la seulechose qui comptait à présent était leprojet.

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— Je vais essayer d’intervenir auprèsde Peterson. Il ne peut pas continuer à teharceler ainsi.

Elle lui sourit.— Je sais me défendre, Brady. Ne

t’inquiète pas pour moi.— Comme tu veux, dit-il en lui

ouvrant la porte.Il faudrait qu’il se montre vigilant. S’il

n’y prenait pas garde, Peterson luivolerait la paternité du projet.

Son BlackBerry annonça l’arrivéed’un e-mail. Peterson avait déjàcommencé ses intrigues. Il avait envoyéun message à tous leurs collaborateurs,laissant entendre qu’il avait conçu leprojet et permis à Julie et Brady d’yparticiper.

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Peterson était habile et dangereux. Illui serait difficile de le contrôler.

* * *

— C’est ridicule ! s’écria Maggie envidant sa valise pour remettre le contenudans les tiroirs de la commode. Oh !Penny, je regrette tellement d’avoiraccepté les billets de Sam. Qu’enpenses-tu ? Elle lança à sa meilleureamie un regard désemparé.

— Ce qui est ridicule, ma chérie, c’estle temps qu’il faut pour préparer ton sac.

Penny prit une chemise de nuit endentelle dans le tiroir et la branditdevant elle.

— Tu devrais la prendre.

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Elle la lui arracha des mains et laremit à sa place, avant de se laissertomber sur lit. Quel découragement !

— C’est de la folie. Que vais-je luidire ? Que je n’y suis pour rien s’ilignorait qu’il avait une fille ?

— Mais tu n’y es pour rien, ma chérie,assura Penny en lui tapotant le dos.Maintenant, calme-toi et fais ton sac.

— J’aurais dû faire plus d’efforts pourle contacter.

— Les efforts, tu devrais les fairepour te préparer à rencontrer l’hommequi t’a fait un enfant et que tu n’as jamaiscessé d’aimer.

— Ne dis pas de bêtises, Penny. Il n’ya rien entre nous, à part la nuit que nousavons passée ensemble.

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— Ben voyons.— Bref, peu importe. Je devrais au

moins le prévenir de mon arrivée, tu necrois pas ?

— Non, répliqua Penny en prenant lesvêtements pour les remettre dans lavalise, y ajoutant ostensiblement lachemise de nuit.

— Et s’il n’avait pas le temps de merecevoir ? Je devrais peut-être luitéléphoner et prendre un rendez-vous,non ?

Elle sortit la chemise de nuit de lavalise et la lança dans le tiroir. Pennys’assit à côté d’elle et lui prit la main.

— Pourquoi te mets-tu dans un tel état,franchement ?

— Et s’il ne voulait rien savoir

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d’Amber ?Elle sentit les larmes lui monter aux

yeux.Huit ans plus tôt, quand elle avait

compris que Brady ne se manifesteraitpas, elle avait été anéantie. Quelquepart, elle avait espéré qu’il finirait parapparaître et la prendre dans ses bras.Mais cela ne s’était pas produit.

Penny serra sa main dans les siennes.— Il n’y a pas de raison qu’il refuse

de la voir.— Peut-être ne s’intéresse-t-il à rien

d’autre que son travail.— Dans ce cas, autant qu’il ne

s’approche jamais d’elle. Bon, et lachemise de nuit, tu la prends ?

— Non, pas question.

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— Crains-tu d’être tentée de leséduire ? demanda Penny en riant.

En vérité, elle ignorait la réactionqu’elle aurait en le voyant. Lui plairait-il toujours autant ou bien le ressentimentprendrait-il le dessus ?

— Je n’en aurai pas l’occasion. Jeserai à l’hôtel, seule. Je crois que jevais quand même l’appeler.

— Ce n’est pas une histoire qu’onraconte au téléphone. Et puis il n’aurapeut-être pas le temps de t’écouter.

— D’accord, je capitule. Je supposeque je n’ai pas le choix.

Elle se leva et commença à remplir savalise sous l’œil amusé de Penny.

— Sache que je fais ça pour Amber,pas pour moi.

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— J’ai compris. Si tu changes d’avis,j’irai vite t’acheter une boîte depréservatifs à la pharmacie.

— Arrête de dire n’importe quoi,Penny, ordonna-t-elle en rougissant,tandis qu’une sensation oubliée luiréchauffait le ventre. Je suis trèsheureuse comme je suis. Je n’ai quefaire d’un homme dans ma vie.

— Ce que tu peux être têtue, grommelaPenny.

* * *

— Où vas-tu, maman ?Amber serrait son ours brun dans ses

bras. Elle avait l’air d’un ange avec sescheveux sombres auréolant son visage

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sur l’oreiller. Maggie la bordasoigneusement.

— A New York, mon cœur. Pennyrestera avec toi pendant ces quelquesjours.

— Chouette. Je l’aime bien. Ellecommande souvent des pizzas pour ledîner, remarqua Amber avec un sourire.

Elle regarda sa fille et une vagued’amour la submergea. Décidément,Amber était craquante ! Ses incisivesétaient tombées quelques jours plus tôtet la fée des dents lui avait rendu visite.Encore un passage important de sa vieque Brady avait raté. Serait-il présentpour ceux qui suivraient ? Rien n’étaitmoins sûr. Elle devait se préparer à unrefus. Maintenant qu’il vivait à New

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York, il n’avait sans doute pas lamoindre envie d’entretenir des relationsavec une petite famille provinciale.

— Tu vas visiter la statue de laLiberté, maman ?

— Si j’ai le temps.— Tu me rapporteras quelque chose ?— Evidemment.Elle avait une petite idée du cadeau

qu’elle aurait aimé lui rapporter, maiselle refusait de la bercer d’illusions. Lessiennes suffisaient. Après ce qu’elleavait traversé, elle n’aurait plus dû enavoir aucune. Pourtant, une faible lueurd’espoir semblait avoir survécu malgrétout.

— Endors-toi, mon cœur.— Tu me manqueras, maman, dit

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Amber en l’enlaçant.— Toi aussi. Bonne nuit, ma chérie.— Bonne nuit, maman.Amber ferma les yeux et noua ses

petites mains. Elle faisait toujours uneprière silencieuse avant de s’endormir.Maggie ignorait pour qui elle priait.Peut-être était-ce pour retrouver sonpère ?

La seule chose qu’Amber savait de luiétait qu’il vivait très loin d’ici. Decrainte de lui briser le cœur, elle n’avaitpas voulu qu’elle sache qu’il nes’intéressait pas elle. En fin de compte,heureusement qu’elle s’en était abstenue.

La semaine qui venait de s’écoulern’avait pas suffi à l’éclairer surl’attitude à adopter avec Brady. Elle

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n’en revenait toujours pas : il n’avaitjamais eu ses lettres, il n’était au courantde rien. Le temps aidant, elle avait finipar accepter qu’il ne veuille ni d’elle nide sa fille. A présent, elle espérait qu’ilaccepterait au moins d’assumer son rôlede père.

Alors qu’elle pensait s’être libéréedes fantômes du passé, toutrecommençait. Et cette pensée intensifiason angoisse.

Comment s’y prendrait-elle pour luiannoncer la nouvelle ?

Elle n’en avait aucune idée.

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- 3 -

Maggie s’arrêta devant l’immeuble deBrady.

Tout ceci est ridicule. J’aurais dûl’appeler.

Suivant les conseils de Sam, elle étaitvenue tôt le matin, afin de le trouveravant qu’il parte travailler. Elle sentit levent traverser son jean et serra les brasautour d’elle pour se protéger du froid.Elle s’efforça de rassembler son

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courage. Dans un instant, elle iraitdemander au portier de l’appeler parl’Interphone. Juste un petit instant.

Brady vivait dans une luxueuserésidence à deux pas de Central Park.Vu le prix des loyers à New York, sonappartement devait lui coûter unefortune. Depuis le taxi qui l’avaitamenée, le parc lui avait semblé ne pasavoir de fin, alors qu’il était entouré detoutes parts par l’énorme métropole.

Elle se sentait perdue au milieu de toutce monde. Des gens défilaient sur letrottoir. Certains marchaient, d’autrescouraient et tous semblaient pressés. Ilne semblait pas exister un seul endroittranquille dans cette ville pour seressourcer. Cette agitation incessante

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l’angoissait.Comment Brady pouvait-il supporter

de vivre ici après avoir grandi àTawnee Valley ?

Une joggeuse en short rose au ras desfesses se faufilait en courant au milieudes passants. Elle la suivit des yeux.Dans sa situation, aurait-elle le couragede le faire ? Sans doute pas.

— Maggie, c’est toi ? demanda unevoix grave, l’arrachant à ses pensées.

Elle l’aurait reconnue entre mille.Debout devant l’entrée de l’immeuble,Brady Ward la fixait avec stupéfaction.Le soleil choisit ce moment pour sortirdes nuages et éclairer son beau visage.S’il avait coupé ses cheveux et si depetites rides étaient apparues autour de

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ses yeux, il n’avait rien perdu de soncharme.

Il se dirigea vers elle en souriant. Ellelui rendit son sourire, mais ne parvintpas à articuler le moindre mot. MonDieu, ces yeux bleus qui ressemblaienttellement à ceux d’Amber !

L’émotion lui serrait la gorge.— Maggie Brown ! Mais c’est bien

toi ! Que fais-tu ici ?— Euh, je… je viens te voir, bégaya-

t-elle. Je veux dire, je suis dans le coin,alors j’en profite pour te rendre visite.

Il l’étudiait intensément, comme s’ilvoulait lire en elle. Il la troublaitbeaucoup trop. Devait-elle lui tendre lamain ou l’embrasser ?

Sentant ses jambes vaciller, elle

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s’efforça de paraître détendue.— Je suis content de te revoir, dit-il.

Habites-tu dans le quartier ?Son sourire était toujours aussi

radieux, mais sa voix avait changé. Plusfroide, plus sophistiquée, aussi.

— Pas du tout. Je n’ai jamais quittéTawnee Valley.

Il fallait qu’elle lui parle, maiscomment lui annoncer la nouvelle endouceur ? Même s’ils se connaissaientdepuis l’enfance, même après leurétreinte passionnée, ils n’avaient jamaisété proches et elle ne savait pascomment le prendre.

— Il faut que je te dise quelque chose,commença-t-elle.

Il fronça les sourcils et lui prit le bras.

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— Rien de grave, j’espère. S’agit-ilde Sam ?

Elle secoua la tête, subjuguée. Lesimple contact de sa main avait réveilléses sens. Elle voulut se détourner, maisson regard la retenait prisonnière. Rien àfaire, ce qu’elle avait à dire ne voulaitpas sortir.

Avec son costume impeccable, ilaurait aussi bien pu faire la une d’unmagazine de mode masculine. Elle avaitdu mal à faire le lien entre cet homme etcelui qu’elle avait connu autrefois. Maispouvait-elle prétendre l’avoir connu ?Elle ne connaissait que la façade qu’ilaffichait devant les autres. Pourtant, ilavait laissé tomber le masque avec elle,le temps de leur nuit d’amour.

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Il sortit son téléphone de sa poche etétudia l’écran.

— Ecoute, je suis désolé, mais il fautque j’y aille. J’ai une réunion que je nepeux pas rater.

Sa chaleur lui manqua quand ils’écarta. Son attitude lui rappela qu’ellene devait rien attendre de lui.

Ils se tenaient sur le trottoir, entourésde gens qui défilaient dans tous les sens.L’endroit n’était pas vraiment appropriépour ce qu’elle avait à lui dire.

Il détourna les yeux de son téléphoneet les posa sur elle. Elle fut parcourued’un frisson.

— Auras-tu une minute à m’accorderplus tard dans la journée ? parvint-elle àdemander.

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— Ecoute, je te jure que je ne cherchepas me débarrasser de toi, assura-t-il.

Son téléphone bipa et il pianotarapidement sur l’écran.

Peut-être devrait-elle le lui diremaintenant. Peut-être ne le reverrait-elleplus jamais.

— On pourrait déjeuner ensemble, situ es libre. 13 heures, ça te va ?

— Très bien.Il lui décocha un sourire si radieux

qu’il lui coupa le souffle et la parole enmême temps.

— Donne-moi l’adresse de ton hôtel.Je viendrai te prendre.

Il l’enregistra, puis jeta un coup d’œilà sa montre. Son esprit était déjà à saréunion et faisait à peine attention à elle.

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Ce qu’elle avait dire devrait attendre.— Il faut que j’y aille, dit-il en

commençant à s’éloigner. A tout àl’heure. Content de t’avoir vue.

Quel genre d’homme Brady Wardétait-il devenu ?

* * *

Quand ils furent installés au restaurant,Brady fixa son attention sur Maggie.Pourquoi était-elle nerveuse, tendue ? Lafille qu’il avait connue autrefois étaitgaie et spontanée.

L’admiration qu’elle avait pour lui aulycée ne lui avait pas échappé. S’iln’avait pas saisi la perche au début,deux ans plus tard, pendant la fête de

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Luke, il n’avait pas pu lui résister. Elleétait ravissante, et embrassaitdivinement bien.

Il la trouvait toujours aussi belle qu’ily a huit ans. Ses cheveux avaient lacouleur du miel et ses yeux noisetteétaient pailletés de vert. Elle portait unpull bleu un peu large et un jean qui luimoulait les hanches. Contrairement àJulie, elle ne mettait pas ses attributs enavant. Elle était simplement Maggie.Sincère. Naturelle. Rien à voir avec lesfemmes qu’il fréquentait d’habitude.Etait-ce pour cela qu’elle le troublaitautant ?

Il posa son BlackBerry sur la table,s’efforçant d’ignorer les signauxd’arrivée d’e-mails qui ne cessaient

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d’affluer.Maintenant que le projet avait été

accepté, il fallait mettre en place saréalisation, une phase délicate quiexigeait beaucoup d’attention. Pour nerien arranger, Peterson planait au-dessusd’eux comme un vautour, épiant leursmoindres gestes.

Mais il devait se concentrer sur ce queMaggie avait à lui dire. Il se racla lagorge, et finit par lui demander pourquoielle était venue à New York. Unemanière comme une autre d’entamer ledialogue. Elle mit du temps à répondre,se contentant de le scruter avec une telleintensité qu’il perdit le fil de sespensées. Elle semblait transmettre auxautres une vibration chaleureuse, une

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générosité qui n’attendait rien en retour.Oui, elle était si différente des femmessophistiquées et ambitieuses qu’il avaitl’habitude de fréquenter. Et cechangement était pour lui comme unebouffée d’oxygène.

Elle baissa la tête et lui demanda enretour :

— Tu te souviens de la soirée deLuke ?

Drôle de question à un moment pareil !Et voilà que son téléphone s’était mis àvibrer furieusement sur la nappe. Lenuméro du responsable de laconstruction des locaux s’affichait surl’écran. Encore un problème à résoudre.

— Désolé, je dois répondre.— Je t’en prie.

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— Merci. Excuse-moi un instant, dit-ilen s’éloignant pour prendre l’appel.

Il lui fallut cinq bonnes minutes pourrégler le problème. Il parcourutrapidement les e-mails qu’il avait reçus,puis retourna s’asseoir en priant pourqu’on les laisse enfin tranquilles.

Leurs entrées étaient déjà sur la tableet Maggie picorait sa salade. Elle leregarda dans l’expectative. Il auraittellement voulu pouvoir se consacrerentièrement à elle, mais c’étaitimpossible, il avait des obligations.Pourvu qu’elle le comprenne…

— Désolé pour l’interruption, maisc’était important. Je suis tout à toi,maintenant, promis. Que disais-tu ?

— La soirée de Luke, tu t’en

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souviens ? répéta-t-elle en devenanttoute rouge.

— Bien sûr.Comment aurait-il pu l’oublier ?Elle ouvrit la bouche, mais aucun son

n’en sortit. Alors elle secoua la tête etreplongea le nez dans son assiette. Ellen’était plus la même. Où étaient l’audaceet la fougue de la jeune fille qu’il avaitconnue autrefois ?

— C’est la dernière soirée que j’aipassée à Tawnee Valley avant de partirà Londres, ajouta-t-il dans l’espoir dedétendre l’atmosphère.

Elle posa sa fourchette à côté de sonassiette.

— Je ne sais pas par quel boutcommencer. Je…

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Le téléphone vibra de nouveau sur latable. Il n’avait pas envie de répondre.L’attitude de Maggie commençait àl’inquiéter. Il jeta pourtant un coup d’œilà l’écran. Un e-mail de Peterson et unappel de Julie.

— Quels casse-pieds ! Excuse-moiencore un instant.

Il n’aurait pas su dire si sonexpression était agacée ou soulagéequand elle le regarda s’éloigner. Quandil revint, dix minutes plus tard, les platschauds venaient d’être servis. Encoreune fois, il avait réussi à résoudre lesproblèmes, en tout cas momentanément.

— Oh ! j’arrive juste au bon moment,dit-il d’un ton joyeux.

— Je vois que tu es un homme très

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occupé, constata-t-elle.Sa voix était calme, mais il y avait une

note de tristesse dans ses yeux.— C’est vrai. Le projet dont je suis

chargé m’absorbe beaucoup. Mais jesuis tout à toi, promit-il en mettant letéléphone dans sa poche. Maintenant,parle-moi de toi. Qu’as-tu fait pendanttoutes ces années ?

Elle mordilla sa lèvre inférieure,comme si elle cherchait ses mots.

— Pas grand-chose, avoua-t-elle. Lavie ne nous a pas épargnés, mais nousavons survécu.

— Nous ?Peut-être était-elle mariée, après tout ?

Etrangement, il ressentait une pointe dedéception. Elle ne portait pas d’alliance,

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mais cela ne signifiait rien. C’était legenre de fille qu’on épousait, avait ditSam autrefois.

Elle inspira à fond, comme si ellerassemblait son courage.

— Je me suis retrouvée enceinte,après la soirée de Luke.

La nouvelle lui fit un choc.— Enceinte ? Mais je…— Ton préservatif n’a pas été

efficace.— Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

demanda-t-il calmement, trop abasourdipour se mettre en colère.

Il avait un enfant. Comment avait-il pul’ignorer ? D’accord, il avait coupé lesponts avec son passé, mais quelqu’unaurait dû se donner la peine de lui

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annoncer la nouvelle. Pourquoi avoirgardé le secret pendant toutes sesannées ?

Maggie semblait de plus en plus mal àl’aise.

— Je t’ai envoyé une lettre, puisd’autres, répondit-elle d’une voixhésitante. J’aurais dû t’appeler, mais jen’ai pas osé. On se connaissait à peine.

— Tu aurais mieux fait. J’ai l’habituded’assumer mes responsabilités. Mais dequelle lettre parles-tu ? demanda-t-il,soudain déconcerté. Je n’ai jamais reçude lettre de toi.

— Je sais.Sa perplexité s’intensifia.— Alors pourquoi n’as-tu pas essayé

de me retrouver ?

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— Quelque temps après t’avoir écritcette lettre, j’ai commencé à recevoir del’argent pour m’aider à élever Amber.J’en ai déduit que c’était le seul lien quetu voulais avoir avec nous.

— Mais je ne t’ai jamais envoyéd’argent !

— Sam me l’apportait tous les mois etj’ai toujours cru que c’était toi quil’envoyais. Mais il est venu me voir il ya une semaine et m’a avoué qu’il net’avait pas donné les lettres.

— Quoi ?Il eut l’impression que le monde

s’écroulait autour de lui. Son frère luiavait caché la vérité pendant toutes cesannées. Pourquoi ? Sam savait pourtantcomment le joindre. Avec l’argent qu’il

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envoyait pour la ferme, il indiquaittoujours son adresse ainsi que sonnuméro de téléphone. Sam avait toujourseu tendance à se mêler des affaires desautres mais, là, il avait dépassé lesbornes.

— Attends, qui est Amber ? reprit-ill’esprit confus.

Elle sortit une photo de son sac et lalui tendit.

— Notre fille, annonça-t-elle.Il n’osa pas la prendre, alors elle la

posa devant lui.— Elle a sept ans. Elle est en

deuxième année d’école primaire, ellefait du softball et de la gymnastique.C’est une petite fille adorable etintelligente.

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Il regarda la photo. Pendant un instant,la terre entière arrêta de tourner. Le petitvisage ressemblait tant à celui de samère disparue !

Le cœur serré, il prit enfin la photodans sa main, réprimant son envie depleurer. Il y avait dix ans que sa mèreétait morte, abandonnant derrière elletrois adolescents révoltés, confus et biendécidés à n’en faire qu’à leur tête.Maman ne saurait jamais que le ciel luiavait envoyé une petite-fille.

Maggie ébaucha un petit souriretremblant.

— Elle te ressemble. Quand je laregarde, je pense à toi.

Son téléphone vibra au fond de sapoche, mais il n’y prêta pas attention.

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Trop d’émotions se bousculaient dans satête. Il était furieux d’avoir été tenu àl’écart, irrité d’être sans cesse dérangéet terriblement troublé par ce qu’ilvenait d’apprendre. Maggie, elle, setenait tranquillement assise en face delui, son visage habituellement expressifalors impénétrable.

Incroyable ! Il avait eu une fille aveccette femme qu’il connaissait à peine.Une fille qui ne connaissait pas sonpère.

Le BlackBerry se mit de nouveau àvibrer et il le sortit de sa poche. Troismessages étaient arrivés. L’un, urgent,était de Peterson.

— Excuse-moi un instant, dit-il,reposant la photo.

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Il lut le message, et dut s’efforcer pourretenir un juron. Peterson avaitcommencé ses manœuvres pour lui volerle projet. Mais il ne pouvait pas s’enoccuper maintenant. Maggie attendaitpatiemment qu’il lui accorde sonattention.

— Pardonne-moi, Maggie. Je suis là.Donc, ma fille a sept ans, si j’ai biencompris.

Elle hocha la tête en silence. Il remitle téléphone dans sa poche avant d’avoirfini de lire son message et lui prit lamain.

— Si je l’avais su avant, je t’auraisaidée. Dire que tu as dû tout faire touteseule…

Elle rougit et détourna les yeux.

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— Ma mère nous a aidées quand elleétait encore en forme.

— Que veux-tu dire ?Quand elle le regarda de nouveau, elle

avait les larmes aux yeux.— On lui a diagnostiqué un cancer du

sein au début de ma grossesse, mais ellea encore pu vivre quelques années avantque la maladie l’emporte.

— Oh ! je suis désolé.Il prit sa serviette et essuya la larme

qui coulait sur sa joue. Elle sursauta,visiblement étonnée par ce geste. Ilretira vivement sa main, tout aussisurpris qu’elle.

— Elle a lutté jusqu’au bout, précisa-t-elle, le regard perdu dans le vague.

Il comprenait ce qu’elle ressentait. A

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la mort de ses parents, dix ans plus tôt, ilavait été dévasté au point d’être obligéde quitter sa ville natale. Serait-ilrevenu s’il avait su qu’elle étaitenceinte ?

Il contempla la photo, le cœur serrépar l’émotion. Ce visage parsemé detaches de rousseur était celui de sa fille.

— Si tu le permets, je voudrais fairesa connaissance. Et faire partie de savie.

C’était ce que ses parents auraientvoulu. C’était ce qu’il voulait aussi.

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- 4 -

Le cœur de Maggie bondit de joie,mais elle tempéra ses ardeurs. Ce n’étaitpas parce que Brady voulait faire partiede la vie d’Amber qu’il s’intéressait àelle. Rien n’avait changé.

— Je suis contente, dit-elle. Et Amberle sera aussi. Je n’osais pas trop luiparler de toi. J’étais sûre que tu nevoulais pas entendre parler d’elle.

— C’est la faute de Sam. Je ne lui

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pardonnerai jamais, dit Brady une lueurmeurtrière dans ses yeux bleus.

— Non ! Je ne dis pas qu’il a euraison, mais…

Elle s’interrompit en rougissant. Ellenon plus n’avait pas essayé de lui parler.Sam n’était pas le seul coupable.

— Il a toujours aimé fourrer son nezdans les affaires des autres.

Elle préféra ne pas relever et enprofita pour l’observer. Sa tenued’homme d’affaires le rendait plusinaccessible que du temps où il séduisaitles filles du lycée avec son jean râpé etson T-shirt trop large. Ses traits aussis’étaient durcis.

— Je donnerais n’importe quoi pourrevenir en arrière, reprit-il d’une voix

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plus douce. J’aurais dû être là pour tesoutenir.

— Je me débrouille parfaitementseule, répliqua-t-elle non sans irritation.

— Toujours aussi fière, commenta-t-ild’un ton amusé.

La remarque la troubla. Peut-être était-ce la familiarité de son ton ? Elle prit safourchette et joua avec la nourriture quirefroidissait dans son assiette.

Brady en profita pour sortir sontéléphone et appuyer sur des touches.

— Je pourrais peut-être prendre undimanche. Disons, dans un mois.

— Un mois ? répéta-t-elle bêtement.— Oui, si tout va bien.— C’est long. Que vais-je dire à

Amber en attendant ? Que son père est

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un homme très occupé et il viendra lavoir dès qu’il aura le temps ?

— Amber est prioritaire, tu as raison.Mais ma carrière dépend ce projet. Nepourrais-tu pas me l’amener ici ? Jepayerai les billets d’avion.

— Amber va à l’école et, moi, jetravaille. N’y a-t-il pas quelqu’un quipuisse te remplacer pendant quelquesjours ? Ne prends-tu jamais devacances ?

— Si, d’ailleurs j’ai des jours devacances qui s’accumulent.

— Je vois, tu n’as pas le temps de lesprendre, dit-elle en se levantbrusquement. Moi, je n’en ai pas, maisj’ai pris un week-end pour venir ici.

Les gens qui occupaient les tables

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autour d’eux avaient cessé de parlerpour les regarder avec curiosité. Bradysemblait gêné.

— Assieds-toi, s’il te plaît, demanda-t-il à voix basse.

Elle l’aurait bien planté là, mais elleavait une mission à remplir. Pour safille. Elle reprit sa place et lui lança unregard furieux.

— Je ne veux pas décevoir Amber.Elle n’a que sept ans, elle a perdu sagrand-mère il y a à peine quelques moiset n’a jamais rencontré ni son père ni sesoncles.

— Je ne cherche pas à me défiler,Maggie.

C’était probablement ce qu’il disait àtoutes les femmes.

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— Je désire sincèrement connaître mafille. Mais ce projet est important et…

— Et Amber ne l’est pas, peut-être ?Elle était déçue, impossible de le

cacher. Cet homme qui ne pensait qu’àlui n’avait plus rien à voir avec celuidont elle tombée amoureuse au lycée.Mais elle ne pouvait pas baisser lesbras. Pour Amber.

— Je sais que ce n’est pas facile,reprit-elle d’une voix plus calme. Tuviens d’apprendre que tu as une fille ettu te sens désemparé. Je comprends queta carrière soit importante pour toi, maisest-ce vraiment la seule chose quicompte ?

Il soupira avec lassitude.— Mais non. Qu’attends-tu de moi,

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Maggie ?Tout, pensa-t-elle. Mais pas question

de le lui dire. Elle chassa cette pensée.Dans sa vie, il n’y avait pas de placepour les rêves impossibles.

— Si tu ne peux pas t’engager, j’aimeautant ne pas lui parler de toi.

Il prit la photo d’Amber et son regards’adoucit.

— Laisse-moi le temps dem’organiser. Je désire bien faire, tu sais,mais je ne sais pas comment m’yprendre. Aide-moi.

Elle posa la main sur la sienne,trouvant du courage dans sa chaleur.Elle pouvait très bien imaginer lesbesoins de sa fille car, si elle sesouvenait à peine de son père, elle

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n’avait jamais pu oublier ce qu’elleattendait de lui.

— Accorde-lui deux semaines,répondit-elle. Quinze jours pours’habituer à toi et réciproquement.Ensuite, si tu choisis de ne past’impliquer, on trouvera une autresolution.

Il sembla réfléchir, comme s’ilcherchait des arguments.

— D’accord, dit-il finalement. Mais jedevrais travailler pendant mon séjour.

La joie qui l’envahit était teintée depréoccupation. Et s’il n’aimait pas safille comme elle le méritait ?

— On s’arrangera, assura-t-elle, seforçant à rester optimiste.

— Laisse-moi juste quelques jours

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pour m’organiser avant notre départ.— Notre départ ? répéta-t-elle avec

incrédulité.— Tu ne crois pas que je vais te

laisser partir sans moi, si ?Il lui adressa le sourire charmeur qui

l’avait fait craquer au lycée.— Tu es fou. Je dois travailler et

Amber m’attend. En plus, j’ai réservé unvol pour demain.

— Je demanderai à Sam de s’occuperd’Amber. Il nous doit bien un service. Etmon assistante se chargera de changerton billet d’avion.

— Je n’ai pas les moyens de payerl’hôtel.

— Viens chez moi, alors.Si elle avait eu l’insouciance de ses

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dix-huit ans, elle aurait accepté sanshésiter. La perspective de passer la nuitavec lui était alléchante. Elle n’avaitguère eu l’occasion de s’amuser pendanttoutes ces années.

— Non, je ferais mieux de rentrer, dit-elle à la place.

— Il y a une chambre d’amis, tu sais.Et puis, ce serait mieux qu’on parte enmême temps. Tu seras sûre que je neresterai pas coincé ici et puis tu pourrasme parler un peu de ce qui s’est passépendant ces huit ans.

L’idée de se retrouver en tête à têteavec lui l’excitait, mais il fallait qu’ellese maîtrise. Elle avait passé l’âge despremiers émois.

— Je ne vois pas l’intérêt, répondit-

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elle nerveusement.— J’ignore tout d’Amber, Maggie. Je

ne connais même pas sa date denaissance. Je ne sais rien de ce qu’unpère devrait savoir.

Elle détourna les yeux, sentant lerouge lui monter aux joues. Elle avait sapart de responsabilité dans l’histoire.

Il dut croire qu’elle hésitait car ilajouta :

— Ces quelques jours te permettrontaussi de savoir si tu peux me faireconfiance et m’inviter chez toi.

Maintenant qu’il avait tout organisé, ils’efforçait de lui faire accepter son idée,tout en tentant de la convaincre quec’était pour son bien. Mais elle n’étaitplus aussi naïve qu’à dix-huit ans.

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— Et si je n’ai pas envie de t’inviterchez moi, respecteras-tu ma décision ?

Il l’étudia en plissant les yeux, avantde sourire. Il ne semblait pas douter deson pouvoir de conviction.

— Bien sûr. Mais à une condition. Ilfaut que tu me fasses une promesse.

Sa méfiance fut aussitôt éveillée, maiselle décida de jouer le jeu.

— Te rappelles-tu qu’on s’était misd’accord pour ne pas s’en faire ?

Il sembla interloqué, mais retrouvavite son sourire.

— C’est loin, tout ça. La règle nes’applique plus.

— Alors, ma promesse contre latienne.

Il l’étudia un instant en se caressant le

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menton.— Dure en affaires, je vois. O.K., toi

d’abord.— Promets-moi de ne pas faire à

Amber des promesses que tu ne tiendraspas, que ce soit des cadeaux ou taprésence auprès d’elle.

Il approuva de la tête.— J’accepte.— Et son éducation fait partie du lot,

ajouta-t-elle.— Que veux-tu dire ?— Je suis seule avec elle depuis sept

ans. Tu peux lui rendre visite, mais c’estma fille et c’est moi qui décide de lafaçon dont je l’élève.

— Très bien. Pas de promesses que jene pourrai tenir et pas d’interventions

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dans son éducation. Il y a là deuxpromesses, me semble-t-il, le visagesérieux, mais les yeux malicieux.

Elle haussa les épaules.— C’est à prendre ou à laisser.Il la contempla un long moment.

L’admiration qu’elle devina dans sesyeux lui réchauffa le cœur.

Puis il se pencha en avant et elle sentitson souffle chaud sur sa peau.

— Je prends, approuva-t-il. A moi,maintenant.

Elle remua nerveusement sur sachaise. Dans le pire des cas, ellepourrait toujours se lever et partir. Cettepensée lui donna des forces et elle lui fitsigne de continuer.

— Promets-moi de me donner une

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chance.Elle fronça les sourcils sans

comprendre.— Je ne serais pas ici si je ne voulais

pas t’en donner une.— Je n’en sais rien. Je ne te connais

pas.— Nous avons pourtant grandi

ensemble.— Ou plutôt, côte à côte. On ne s’était

jamais parlé avant de passer la nuitensemble. Tout le monde change en huitans.

Surtout lui, songea-t-elle. Sesvêtements, sa coupe de cheveux, sonattitude, tout en lui était différent. Elleavait autrefois décelé chez lui un côtéfragile et tourmenté qu’il dissimulait

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derrière une arrogante confiance en soi.Pendant un court espace de temps,croyant rencontrer l’âme sœur, elles’était laissé emporter par son désirpour lui.

De sa première nuit d’amour était néeune fille et les responsabilités quiallaient avec l’avaient forcée à deveniradulte. Elle avait à présent les piedsaussi fermement ancrés dans la terre queles racines du chêne de son jardin.

— Laisse-moi apprendre à connaîtreAmber, reprit-il. Donne-lui le temps des’habituer à moi. Je te jure de faire monpossible pour ne pas la blesser.Permets-moi de faire quelques erreurssans pour autant m’exclure de sa vie.

Non. Il était le père d’Amber et elle

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n’avait pas le droit de l’empêcher de lavoir.

— Réponds-moi, Maggie, s’il te plaît.Acceptes-tu de me donner une chance ?

— Je vais essayer, répondit-elle avecun petit sourire.

— Et tu m’attendras le temps que jepuisse me libérer ?

Comment aurait-elle pu refuser ? Ilfallait qu’elle en sache un peu plus à sonsujet avant de le présenter à Amber. Etaussi qu’elle lui parle un peu de sa fille.Elle lui devait bien ça.

— Oui, mais je préfère t’attendre àl’hôtel.

— Ecoute, j’ai un grand appartementoù je ne suis jamais. On a juste le tempsde passer à ton hôtel pour prendre tes

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affaires avant ma prochaine réunion.— Tu ne renonces jamais, n’est-ce

pas ?— En effet, répondit-il avec un clin

d’œil.

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- 5 -

Les réunions s’enchaînèrent et Bradyn’eut pas le temps de réfléchir à ce quivenait de lui arriver. Pourtant, iln’arrivait pas à se concentrer et, tandisqu’il examinait les comptes avec sonéquipe, l’image d’Amber ne cessait delui revenir à l’esprit. Tout commed’ailleurs celle de Maggie.

Il était 16 h 45 quand il put enfinretrouver son bureau. Après le déjeuner,

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il avait demandé à son assistante defaire livrer des courses chez lui, histoirede remplir les placards et leréfrigérateur. L’heure tournait et il fallaitqu’il se dépêche. Il voulait attraper Kyleavant qu’il se rende à son match.

Au moment où il se levait pour sortir,Julie entra dans la pièce, une liasse depapiers à la main.

— Voilà les chiffres que tu m’asdemandés. Oh ! tu partais ?

— Oui, je dois voir Kyle. On separlera en chemin.

— Y a-t-il une réunion ?— Non, pas du tout. Il s’agit d’une

question personnelle.Il sentit sa méfiance. Elle avait

souvent été mise à l’écart des choses

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importantes dans le passé.— Tout va bien, ajouta-t-il pour la

rassurer.Une fois dans le couloir, elle lui tendit

la feuille qui était sur la pile.— Peterson a modifié les budgets

préliminaires sans avertir personne,annonça-t-elle.

Il étudia le document, découvrant queles fonds destinés à la constructionavaient été alloués à un autre compte.

— Bon sang !— Je pourrais aller le voir pour

l’obliger à revoir sa version, mais il esttard et…, tu sais bien.

Il lui faudrait des heures pour négocieravec Peterson, ce que ce sale type avaitprobablement prévu. Il retiendrait Julie

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dans son bureau et en profiterait pourmultiplier les allusions suggestives, touten prenant garde qu’elle ne puisse pasl’accuser de harcèlement sexuel.

— Laisse, je m’en occupe.Le visage de Julie se détendit aussitôt.— Merci. Je te revaudrai ça. Bonne

nuit, Brady.Quand il entra dans le bureau de Kyle,

celui-ci rangeait son ordinateur portabledans sa sacoche, tout en parlant autéléphone, l’appareil coincé avec lementon.

— Vous avez de la chance de metrouver, dit-il après avoir raccroché.J’étais sur le point de partir.

— Désolé de vous retarder.— Que puis-je faire pour vous ?

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Brady respira à fond pour se donnerdu courage.

— Je sais que le moment est malchoisi, mais j’ai besoin de m’absenter.C’est à cause d’une urgence familiale.

Kyle posa les coudes sur le bureau.— Est-ce que tout va bien ?— Franchement, je n’en sais rien. Je

viens juste d’apprendre que j’ai une fillede sept ans.

— Félicitations, dit Kyle assezéquivoquement. De combien de joursavez-vous besoin ?

Il s’éclaircit la voix.— J’ai pas mal de vacances à prendre.

Si vous voulez, je peux continuer àsuperviser le projet pendant que je serailà-bas, répondit-il en évitant la question.

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— Combien de jours ? répéta Kyle.— Deux semaines.— Quand comptez-vous partir ?— Demain ou après-demain, si

possible.Kyle posa le menton sur ses mains et

l’étudia pendant un instant, avec uneexpression impénétrable. Brady sesentait aussi mal à l’aise qu’un élève surle point d’être interrogé sur un sujetqu’il ne connaît pas.

— Vous venez tout juste d’intégrernotre équipe, finit-il par déclarer. Engénéral, nous conseillons à noscollaborateurs de poser leurs vacances àl’avance, mais puisque votre cas relèved’une urgence familiale, c’est différent.

— Parfait. Dans ce cas, je

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communiquerai avec mes collaborateurspar téléphone ou e-mail.

Il commença à se lever.— Non, répliqua Kyle. Il y a trop

d’argent en jeu. Peterson et Julie vousremplaceront. Ils sont au courant.

Il retomba lourdement sur son siège.S’il laissait les rênes à Peterson, c’étaitla fin de son projet. En plus, Julie seraitobligée de le supporter toute la journée.

— Je n’ai rien contre Peterson, Kyle.C’est un excellent manager, mais nosfournisseurs sont habitués à ce que cesoit moi qui dirige les opérations.

— Dans ce cas, briefez-les bien avantvotre départ, dit Kyle en se levant,mettant fin à l’entretien.

— Detrex est mon projet. Je ne peux

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pas l’abandonner, protesta-t-il en selevant à son tour. Je préfère ne paspartir.

— Personne n’est indispensable.Detrex continuera sans vous, dit Kyle,tentant de nouveau de minimiser sonrôle.

Mais Brady connaissait les ficelles dumétier. Il les avait longuement étudiées.Ce projet était le coup de pouce dont sacarrière avait besoin et il ne pouvait pasle laisser échapper. D’un autre côté, s’ilfaisait faux bond à Maggie, il neconnaîtrait peut-être jamais sa fille.

— Alors, que Julie me remplace,proposa-t-il, risquant le tout pour le tout.Si elle a besoin de conseils, elle pourrasoit voir avec moi, soit s’adresser à

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Peterson. Je ne serai absent que deuxsemaines.

Il pria intérieurement pour que l’idéesoit approuvée. Cela lui permettrait desuperviser le projet à distance. Petersonne s’en formaliserait pas car, si unproblème survenait, la faute retomberaitsur Julie et lui. Il se contenteraitd’attendre qu’ils aient réussi pour leurvoler la vedette.

— Bonne idée, approuva Kyle. Il esttemps de lui donner de nouvellesresponsabilités. Mais Detrex est tropimportant pour échouer. Si je vois queJulie n’est pas à la hauteur, Peterson laremplacera.

— Entendu. Bon match, Kyle, conclut-il en prenant de chemin du bureau de

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Peterson, bien décidé à lui reprendreson projet.

* * *

Une demi-heure après le départ deBrady, Maggie avait rangé ses affairesdans la chambre d’amis. Pour tromperson ennui, elle décida d’appeler Penny.Elle voulait lui parler avant le retourd’Amber.

— Alors, tu lui as dit ? s’enquitaussitôt son amie.

Elle se laissa tomber sur le lit.— Oui. J’appelle de chez lui.

Comment va Amber ?— Très bien. Pourquoi es-tu au

téléphone au lieu d’être avec lui ?

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— Il n’est pas là. Il est parti travailler.Elle se leva et regarda la masse verte

de Central Park par la fenêtre.— Raconte. Que s’est-il passé ?Elle lui fit le récit de leur rencontre ce

matin, du déjeuner au restaurant et de lafaçon dont elle s’était retrouvée dans cetappartement aussi impersonnel qu’unechambre d’hôtel.

Entre-temps, elle s’était rendue dansla cuisine pour chercher quelque chose àmanger, mais n’avait rien trouvé decomestible. Les placards et leréfrigérateur étaient vides.

— On dirait que cet appartement estinhabité.

— As-tu été dans sa chambre ?— Non. Je n’ai pas envie d’être

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indiscrète.— Je parie que tu y trouveras des sex

toys.— Oh ! Penny !— Ou bien des magazines cochons.— Tu n’es pas sérieuse, si ?— Tu ferais bien de vérifier. On ne

sait jamais. Imagine que tu en trouves.Tu ne voudrais pas que ce genre de types’approche de ta fille, n’est-ce pas ?

— Il souhaite que je lui fasseconfiance avant de l’inviter chez moi,reconnut-elle.

— Tu vois ! s’écria triomphalementPenny. Il t’a suggéré de fouiner. Sinon, ilne t’aurait pas laissée seule chez lui.

— Il n’avait pas le choix. Il avait uneréunion.

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— Mais non. C’est une excuse. Entredans sa chambre, je te suis en pensée,insista Penny. Je suis sûre que tu ytrouveras des choses très intéressantes.

— O.K., dit-elle, finissant par céder.Mais je crois que tu te fais des idées.

— On a le droit de se tromper.Elle ouvrit la porte et pénétra dans la

chambre de Brady. La pièce était aussifroide et sans âme que le reste del’appartement.

— Alors ? dit Penny d’un tonimpatient.

Il n’y avait aucun tableau sur les murs,aucune photo, pas la moindre touchepersonnelle.

— La pièce est plus grande que lachambre d’amis. Un grand lit double

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recouvert d’un couvre-lit marron clairassorti aux rideaux. Une commode noire.Deux portes.

— L’une d’elles donne sûrement dansune chambre des plaisirs, affirma Pennyavec excitation.

— La première porte donne sur unesalle de bains. Belle, propre. Froide.

— Et la deuxième ? Une piècesecrète ?

— Non, dit-elle. C’est un dressing dela taille de ma cuisine.

Elle respira avec délices l’odeur desantal qui flottait dans l’air. Lesvêtements étaient parfaitement rangés,les costumes posés sur des cintres, àcôté des pantalons, les chemisessoigneusement empilées, les chaussures

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bien alignées.— C’est comme s’il ne vivait pas ici,

remarqua-t-elle, en inspectant denouveau la chambre. Il doit passer sa vieà travailler. Sinon, son appartement neserait pas aussi propre.

— Peut-être est-il souvent chez sapetite amie.

L’idée ne l’avait pas effleurée.— Bon sang, je n’ai même pas pensé à

lui demander s’il avait quelqu’un.— Evidemment. Tu étais venue lui

dire qu’il avait une fille, rappelle-toi.— Et s’il avait une relation ?

demanda-t-elle, paniquée. Mon arrivéedans sa vie risque de lui causer desproblèmes.

— Calme-toi, Maggie. Ce n’est qu’une

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possibilité. Comme tu l’as dit toi-même,il ne t’intéresse pas. Tu es là pour tafille.

Penny avait raison. Elle n’avait doncrien à faire dans sa chambre. Elle ensortit rapidement et referma la portederrière elle.

— C’est toi qui cherches à me pousserdans ses bras.

Penny soupira.— Seulement parce que je veux te voir

heureuse. Comme tu l’étais avant que lesépreuves te transforment en la saintefemme que tu es aujourd’hui. Je t’aimecomme tu es, Maggie, mais permets-moide te dire qu’il serait temps que turencontres un homme, que tu t’amuses unpeu.

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— Pas du tout. Je suis là pourm’assurer que le père de ma fille est untype bien qui ne la fera pas souffrir.

— Tu pourrais joindre l’utile àl’agréable, suggéra Penny.

Elle l’incitait depuis toujours à sortirde chez elle. Elle disait que ce n’étaitpas sain de vivre en recluse à son âge.Mais, entre la maladie de sa mère et lanaissance de sa fille, elle n’avait eu ni letemps ni l’envie de s’amuser. Jamaispourtant elle ne regretterait d’avoir aidésa mère ou d’avoir eu Amber. Si c’étaità refaire, elle referait exactement lamême chose.

— Je ne peux pas coucher avec Brady.— Pourquoi pas ?Elle contempla la pièce sans âme et

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son mobilier flambant neuf, la comparantà son salon avec les vieux meubles de samère qu’elle adorait. Des effluves desantal lui chatouillèrent de nouveau lessens. Le parfum de Brady, une odeurriche et chaleureuse, en contraste totalavec la froideur de son appartement.

Les regrets lui serrèrent le cœur et ellesoupira.

— Parce que, répondit-ellefinalement, si Amber perd son père àcause de moi, je m’en voudrais toute mavie.

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Brady se frotta le visage pour chassersa fatigue pendant que l’ascenseurmontait jusqu’à son appartement. Cesoir, quelqu’un l’attendait, ce qui étaittotalement inhabituel. Il n’avait euaucune relation durable depuis qu’ilavait quitté Tawnee Valley.

Il posa ses clés et son BlackBerry surla table de l’entrée et pénétra dans lesalon. Le son du téléviseur était réglé au

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plus bas, la lumière éteinte et les rideauxtirés. Grâce à la lumière de l’écran, ilvit que la table était mise pour deux.Allongée sur le canapé, Maggie dormaitprofondément.

Elle s’était probablement lassée del’attendre. Il aurait dû l’appeler pour laprévenir qu’il rentrerait tard, mais l’idéene l’avait pas effleuré. Il rentrait à cetteheure-là tous les soirs. Il inspectarapidement la cuisine. Les coursesavaient été livrées et il y avait deuxassiettes recouvertes d’une pelliculetransparente dans le réfrigérateur.

Ces petits changements dans sonquotidien solitaire le touchèrent aucœur, réveillant en lui des besoinsrefoulés. Après tout, certains hommes

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parvenaient à concilier une vieprofessionnelle intense et leur viefamiliale. Brady n’avait jamais envisagéde fonder une famille. Trop d’attaches,pas assez de liberté de mouvement.

Il rejoignit le salon et contemplaMaggie. Elle avait posé son visage surses mains. Ses traits étaient sereins,toute trace de tension disparue.

Elle était si belle ! Ses senss’enflammèrent. Le désir mutuel qui lesavait réunis autrefois pouvait-il renaîtrede ses cendres ?

— Maggie, chuchota-t-il, gêné de laréveiller.

Elle plissa le front, mais ne bougeapas.

Il se sentait coupable de l’avoir fait

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attendre, son travail l’avait retenu. Ilavait passé cinq heures à discuter avecPeterson avant de parvenir à un accord,puis il avait rédigé un compte rendu del’entretien et l’avait envoyé à Julie etaux membres de l’équipe. Il ferait lepoint demain avec elle et lui donnerait lereste des informations.

Il s’était attardé au bureau ce soir-làcomme les autres, même s’il savait queMaggie l’attendait chez lui. Quel genrede père ferait-il s’il adoptait la mêmeattitude avec sa fille ? Il craignit soudainde ne pas être à la hauteur.

Il appela de nouveau. Aucune réaction.Il décida d’aller chercher quelque

chose pour la couvrir et se rendit dans ledressing pour y prendre sa vieille

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couverture en patchwork. Le tissu étaitdoux sous ses doigts. Il n’avait jamaisosé le sortir auparavant, il lui semblaitsi incongru dans ce décor moderne.

Puis il retourna dans le salon et étenditla couverture sur Maggie. Il pensait à safille. Il n’avait jamais désiré avoird’enfants. Peut-être une épouse, occupéecomme lui par sa propre carrière, maispas un enfant. Il travaillait beaucouptrop pour lui accorder l’attention qu’ilméritait.

Il alla chercher une bière, s’installadans un fauteuil et chercha unprogramme avec la télécommande. Ilaurait dû aller se coucher, mais il nebougea pas. C’était agréable d’avoirquelqu’un chez lui. Surtout Maggie.

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Certaines femmes auraient attendu depied ferme qu’il arrive pour lui faire desreproches. Mais pas elle. En tout cas,pas encore.

Elle remua sous la couverture, puisroula sur le dos et ouvrit les yeux.

— Bonsoir, dit-elle en s’asseyant.Quelle heure est-il ?

— Minuit. Désolé, j’aurais dût’appeler pour te dire que je rentreraistard.

Elle eut un ravissant sourireensommeillé.

— Je ne m’attendais pas à ce que tu lefasses.

— As-tu dîné ? demanda-t-il.— Non. D’où sors-tu cette

couverture ? Elle est magnifique. C’est

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bizarre, je ne l’avais pas vue.Elle rougit soudain, comme si elle

avait dit quelque chose qu’il ne fallaitpas.

— Je… je suis désolée, reprit-elled’un air gêné. J’ai visité tonappartement. Je n’aurais pas dû. C’estPenny qui…

— Ce n’est pas grave, Maggie, assura-t-il. Je n’ai rien à cacher.

Il l’aida à se mettre debout, puis gardasa main dans la sienne, sentant la chaleurde son corps envahir le sien.

— Excuse-moi d’avoir été indiscrète.Elle plongea les yeux dans les siens.

La force qui les avait attirés l’un versl’autre autrefois n’avait pas faibli. Il eutenvie de la prendre dans ses bras et de

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l’embrasser. Histoire de voir sil’étincelle pouvait se transformer en feu.Mais il n’osa pas. Il n’était pas du genreà hésiter quand une femme lui plaisait,mais Maggie n’était pas comme lesautres.

Elle retira sa main et recula.— J’ai préparé le dîner, dit-elle en

s’occupant à plier la couverture. Je l’aigardé au frais en t’attendant.

Il en resta muet. Comment osait-ilenvisager de l’attirer dans son lit ? Celareviendrait à profiter de sa vulnérabilité.Il était tard et elle n’avait nulle part oùaller. Il ne pouvait pas se comporteravec elle comme avec n’importe quelleautre femme, compagne d’un soir oucollègue de travail. C’était Maggie

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Brown, habitante de Tawnee Valley,camarade de classe de son frère et mèrede son enfant. Le genre de fille avec quion reste.

Mais ses priorités étaient autres.Après avoir posé la couverture

soigneusement pliée sur le dossier ducanapé, elle se rendit dans la cuisine. Iln’aimait pas voir exposé ce petitmorceau de Tawnee Valley qu’il avaitgardé en souvenir du bon temps. Ildécida de la remettre à sa place et tenditle bras pour la prendre.

— J’ai appelé chez moi. Penny aaccepté de s’occuper d’Amber quelquesjours de plus, dit Maggie dans lacuisine. Quant à Amber, elle a justeinsisté pour que je lui ramène un petit

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cadeau.— J’espère être à la hauteur, répondit-

il, oubliant la couverture quand Maggierevint avec le repas.

— En fait, elle pensait plutôt à unsouvenir, genre boule à neige, rectifia-t-elle en posant les assiettes sur la table.Je ne sais pas trop comment m’y prendrepour lui parler de toi.

Ils s’installèrent face à face.— Que lui as-tu déjà dit ?L’odeur du poulet lui mit l’eau à la

bouche. Le tout était accompagné depommes de terre et de légumes.

— Il y a longtemps que je n’ai pasmangé de poulet frit.

— J’ai aussi fait des cookies. J’espèreque tu les aimes. Je n’aime pas rester

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sans rien faire, ajouta-t-elle d’un airgêné.

— J’aurais dû te dire que je rentreraistard, dit-il en goûtant le poulet, qui avaitun goût divin. Miam, c’est délicieux.

Elle sourit, visiblement ravie ducompliment.

— Merci. Amber ne m’a jamais posébeaucoup de questions sur son père, tusais.

— Que lui disais-tu dans ce cas ?— En général, qu’il vivait à

l’étranger.— Ce qui était vrai.Il maudit une nouvelle fois Sam de lui

avoir caché la vérité. Mais cela aurait-ilchangé quoi que ce soit qu’il sache ? Iltravaillait en Angleterre et n’avait pas

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de temps à consacrer à une famille. Ildoutait d’ailleurs encore de parvenir àinclure un enfant dans sa vie. Il fallaitpourtant qu’il s’y efforce.

— Je ne t’en ai jamais voulu, assura-t-elle. Je me suis adaptée à la situation.Ce n’était pas parce que tu n’étais pas làque je devais dire du mal de toi à tafille. De toute façon, elle t’aimera quoique tu fasses.

— Tu crois ? demanda-t-il,déconcerté.

Ayant toujours vécu au sein d’unefamille traditionnelle et unie, il n’avaitjamais eu l’occasion de se poser cegenre de questions.

— Te l’a-t-elle dit ?— Ce n’était pas nécessaire.

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Elle jouait nerveusement avec sesmains. Ce moment n’était pas facile pourelle.

— Pourquoi donc ?Elle mit si longtemps à répondre qu’il

crut qu’elle ne le ferait pas. Finalement,elle leva les yeux et le regarda.

— Parce que, quelles que soient lescirconstances, une petite fille croiratoujours que son père l’aime et que cequi le retient loin d’elle est important.

La façon dont elle avait formulé saphrase lui donna envie de l’interrogersur sa relation avec son père.Mme Brown avait vécu seule, il nel’ignorait pas, mais il ne savait pasgrand-chose d’autre sur les parents deMaggie. Il fut soudain envahi par le

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besoin de la protéger. Son père luiavait-il fait du mal ?

Il eut envie de lui poser des questionset d’essayer de la consoler, mais seretint. Elle ne lui avait rien demandé.

— J’espère qu’elle ne sera pas déçue,dit-il en détournant les yeux pour seremettre à manger.

— Je suis sûre que tu t’en sortiras.A ces mots, elle se leva et disparut

dans la cuisine.Il se sentait perdu. Que pouvait-il faire

pour se racheter ? Il se leva à son tour,pénétrant dans la cuisine au moment oùMaggie en sortait avec une assiette decookies. Ils se heurtèrent et il lui saisitles épaules.

— Je…, commença-t-elle avant de

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s’interrompre pour plonger ses yeuxnoisette dans les siens.

Une odeur d’herbe et de fleurssauvages envahit ses sens, comme la nuitoù elle l’avait embrassé, lui donnant unavant-goût de sa douceur. L’ensorcelant.

Ce qui l’attirait maintenant ce n’étaitpas la nostalgie du passé, mais bien lafemme sexy qu’elle était devenue.Etrangement, elle ne semblait pas avoirconscience du désir qu’elle éveillait enlui. Si seulement elle se donnait à luicomme autrefois !

Elle posa les mains à plat sur sontorse, mais ne le repoussa pas. Son cœurse mit à battre la chamade. Pouvait-ellele sentir sous ses doigts ?

En voyant ses lèvres s’entrouvrir, la

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tentation fut trop forte. Il se pencha verselle, lentement, afin de lui donner letemps de le gifler et de s’enfuir enhurlant dans sa chambre ou bien, aumoins, de lui demander où il avait latête. Mais elle se mit sur la pointe despieds et le rencontra à mi-chemin.

Ses lèvres avaient la douceur de lasoie. Elle noua les bras sur sa nuque etl’attira contre elle. Le contact avec soncorps décupla son désir et il eut le plusgrand mal à garder les mains sesépaules.

Quand elle poussa un petitgémissement, ses sens s’embrasèrent.Ses mains descendirent d’elles-mêmesle long de son dos.

Elle haleta légèrement lorsque ses

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doigts effleurèrent sa peau. Il s’écarta etrencontra son regard, puis il remonta samain le long de son dos, lentement, pourlui laisser une dernière chance del’arrêter. Il pria pour qu’elle ne le fassepas.

* * *

Maggie soutint son regard, même sison cœur battait à tout rompre et que sessens étaient en feu. Quelque part, unesonnette d’alarme résonnait dans sa tête,l’incitant à couper court. Mais il l’avaithypnotisée aussi sûrement qu’une bicheprise dans les phares d’une voiture.

Ses caresses laissaient sur sa peau destraces frémissantes. Elle n’avait pas

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connu d’homme depuis longtemps. Samère malade et sa fille ne lui avaient paslaissé le temps de nouer des relations et,depuis sa grossesse, elle craignait lesaventures d’un soir.

Pourtant, elle avait toujours un faiblepour Brady Ward. Il était sans doutel’exception qui confirmait la règle. Ellemanqua de défaillir quand il lui caressales seins. Vaincue, elle l’embrassa denouveau.

Sans lâcher sa bouche, il lui saisit leshanches et commença à avancer endirection de la chambre. Quand il glissaune main sous la ceinture de son jean,elle noua les doigts dans ses cheveux.

Penser était désormais interdit. Detoute façon, elle était totalement sous

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l’emprise du feu qui la consumait. Ils’arrêta devant la porte de sa chambre.

— Ce n’est pas raisonnable, dit-ilcontre sa bouche.

— C’est vrai.Elle colla son corps au sien.— On ne se connaît pas.Il ouvrit la porte et la poussa dans la

chambre.— Ce n’est pas ce qui nous a

empêchés de le faire avant, fit-elleremarquer en riant.

Elle se sentait bien. C’était si bond’être avec lui. La vraie vie était à desmilliers de kilomètres et lesconséquences lui importaient peu.

— Les années auraient dû nous mettredu plomb dans la tête, répondit-il en lui

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enlevant son pull et en la parcourant desyeux.

Consciente qu’elle n’avait plus dix-huit ans, elle eut envie de se couvrir,mais n’en fit rien et le laissa la regarder.

— Tu es encore plus belle que dansmon souvenir.

Il posa un baiser sur chacun de sesseins.

— Plus sexy, aussi, ajouta-t-il à songrand plaisir.

Elle sentit ses mains s’affairer sur laceinture de son jean et tentamaladroitement de lui déboutonner sachemise.

— J’ai plus d’expérience, mais jemanque cruellement de pratique.

Il se remit à l’embrasser et elle oublia

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tout. Un instant plus tard, il sedébarrassait de sa chemise. En sentantsa peau sur la sienne, son désir monta enflèche.

— Ce n’est pas ce à quoi je pensaisquand je t’ai suggéré de venir chez moi,dit-il en posant des petits baisers le longde son cou.

Un frisson la parcourut et elles’agrippa plus étroitement à lui. Ellevoulait s’abandonner, lui laisser lescommandes, jouir pleinement de cemoment.

— Il n’y a pas de meilleur moyen pourjuger quelqu’un, répondit-elle en luicaressant le dos, sentant des musclesfrémir sous ses doigts.

Ce qui restait de sa raison titillait sa

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conscience. Etait-elle vraiment prête àcoucher avec Brady Ward ? Pourquoi nes’amuserait-elle pas un peu, commePenny le lui avait toujours conseillé ?Elle était à New York, après tout.

Tawnee Valley s’effaça de sespensées sous l’effet des baisersmagiques de Brady. Plus que tout aumonde, elle désirait s’immerger dans cemoment, tout oublier, échapper à laréalité.

Il l’embrassa de nouveau et sespensées s’envolèrent comme desballons. Ses genoux heurtèrent le borddu lit. Un éclair de bon sens traversa sonesprit brumeux et les ballonsretombèrent un par un autour d’elle.

Confuse, elle mit les mains sur son

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torse et le poussa légèrement.Il posa le front sur le sien et expira

longuement.— Ai-je été trop vite ?En voyant la préoccupation dans ses

yeux, elle faillit crier « non ! », maisapprouva de la tête.

— Désolé, Maggie. Je me suis laisséemporter.

— Moi aussi, avoua-t-elle, alorsmême que ses doigts fourmillaient aucontact de son torse musclé.

Il mit une main sous son menton etchercha son regard.

— On arrête ?— Oui. On ne se connaît… pas bien.— Je comprends.Il l’enlaça et la serra fort dans ses

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bras, et elle sentit la force de son désircontre son ventre, attisant le feu quibrûlait en elle. Il fallait qu’elle seressaisisse. Et vite.

— Je ferais mieux d’aller dans machambre, dit-elle.

« Demande-moi de rester », cria unepetite voix à l’intérieur d’elle-même. Illa lâcha et s’écarta.

— Oui, tu as raison, approuva-t-il.D’un geste qui se voulait décontracté,

elle prit son pull, prétendant ne pasremarquer le petit grognement dedéception qui s’échappa de ses lèvresquand elle l’enfila. C’était si agréablede se sentir désirée ! Même s’il n’yavait pas de suite…

— Demain, on est samedi…

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— Oui. Malheureusement, je doistravailler toute la journée.

Leurs regards se croisèrent,s’accrochèrent. L’espace d’un instant,elle eut envie d’arrêter d’êtreraisonnable. Après tout, ils avaient déjàfait l’amour, non ? Mais beaucoup detemps s’était écoulé depuis. Sanscompter que, avant, il n’était pas encorele père de sa fille. Leur fille. Commentne pas l’oublier ?

Elle poussa un soupir et le vit enfouirses mains dans ses poches, hésiter,détourner le visage.

— Si tout va bien, on pourra partirdimanche, reprit-il.

— Très bien. Je vais me coucher. Jesuis fatiguée.

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— Maggie ?Il traversa la pièce pour la rejoindre,

mais s’arrêta à quelques pas.— Reste ici. On parlera. On n’est pas

obligé de…Rester près de lui, cette nuit ?

Impossible. Comment pourrait-elle luirésister ? Elle détourna le visage.

— Ce n’est pas une bonne idée.— Bonne nuit, Maggie. Merci.— Pour quoi ?— Pour avoir élevé seule notre fille.

Pour être venue ici me le dire. Pour êtrerestée. Pour le dîner. Pour être telle quetu es.

— Bonne nuit, Brady.Avant de changer d’avis, elle sortit en

refermant rapidement la porte derrière

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elle.

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- 7 -

Le dimanche matin, Brady buvait soncafé à la table de la salle à manger enconsultant ses e-mails sur son téléphone.Maggie ne s’était pas encore montrée ;sans doute dormait-elle toujours. Aprèssa dure journée d’hier, il avait emportédu bureau tout ce dont il aurait besoinpour travailler à disance : ordinateurportable, téléphone et routeur sans fil.Ce n’était sans doute pas le meilleur

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moment de s’absenter, mais rencontrersa fille était devenu essentiel. Il neparvenait plus à penser à rien d’autrequ’à Amber.

En rentrant chez lui la nuit dernière, ilavait presque cru s’être trompéd’appartement. La couverture était restéesur le dossier du canapé. Au centre de latable où il travaillait, il y avait desfleurs dans un vase qu’il n’avait jamaisvu. Deux photos de sa fille étaientposées à côté. Il reconnut les cadres. Illes avait reçus en cadeaux de Noël aprèsla fête de l’entreprise. Mais le petitvisage souriant était pour lui encore unmystère. Une vague de tendressemélangée à de l’appréhension l’avaitalors envahi, le laissant complètement

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désemparé. Ces changements apportaientde la chaleur à la pièce qui ressemblaitmoins à une chambre d’hôtel. Mais, aulieu de se sentir bien, il avaitl’impression de ne plus être chez lui.

Même sa chambre était différente.L’écharpe de soie rouge étendue au pieddu lit donnait une touche de couleur à lapièce sombre et, en la voyant, il avaitimaginé Maggie endormie sur son lit. Ilavait même senti une vague légère deson parfum floral s’échapper du tissu.Hier soir, il était passé devant sa portesans frapper, certain qu’elle dormait.Mais ses fantasmes l’avaient gardééveillé jusqu’au petit matin.

— Bonjour, dit-elle, l’arrachant à sarêverie.

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Elle était encore plus belle que dansson imagination. Ses cheveux blondsétaient mouillés et elle portait un T-shirt« J’aime N.Y. » qui moulait ses formes.Il émanait d’elle une fragrance deshampoing à la fraise qui n’avait rien àvoir avec les parfums capiteux desfemmes d’affaires qu’il fréquentaitd’habitude. C’était pourtant cettesimplicité qui l’attirait plus que deraison.

Il répondit à son bonjour engrommelant. La côtoyer pendant deuxsemaines sans pouvoir la toucherrisquait d’être une torture.Heureusement, si elle avait reconnuqu’il était allé trop vite, elle n’avaitjamais dit qu’il ne lui plaisait pas.

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Laisserait-elle une porte ouverte ?Elle prit le bas de son T-shirt et le

regarda.— J’ai seulement pris des vêtements

pour un week-end, dit-elle. Je nepouvais tout de même pas me baladernue, alors je me suis acheté trois T-shirts pour dix dollars dans un magasinpour touristes.

Son esprit n’enregistra que l’allusion àsa nudité. Chassant cette pensée de sonesprit, il la regarda se diriger vers lacuisine.

— J’espère que tu n’as pas étécontrarié par les photos d’Amber. Je lesavais prises avec moi pour te lesmontrer. J’ai trouvé les cadres dans leplacard de la chambre d’amis.

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— Non, pas du tout. C’est bien.Il l’entendit se déplacer avec aisance

dans la cuisine, puis elle revint avec unetasse à la main.

— Je n’ai pas pu m’empêcher de faireun peu décoration, dit-elle en parcourantla pièce du regard. Ma mère disait qu’unpeu de couleur rendait la vie plusagréable. C’est elle qui m’a offertl’écharpe que j’ai mise dans ta chambre.Je ne l’ai jamais portée. Penny a dû lamettre dans ma valise sans que je lavoie. Il détourna les yeux de la bande depeau qui apparaissait sous son T-shirt.

— Mon assistante nous a trouvé deuxplaces dans un avion qui décolle en find’après-midi, annonça-t-il en changeantde sujet. Quand on aura fait nos bagages,

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on ira déjeuner et se promener un peuavant d’aller à l’aéroport.

Elle rejoignit la table et s’assit à côtéde lui.

— Ce dont nous n’avons pas encoreparlé, dit-elle en fixant sa tasse, c’est deton hébergement à Tawnee Valley.

— C’est le moment ou jamais.— Il y a une chambre d’amis à la

maison, mais je ne suis pas sûre d’êtreprête à t’avoir chez nous.

— Je comprends.Elle n’avait pas tort. Il avait été

incapable de garder ses mains dans sespoches pendant les seuls moments où ilavait été seul avec elle. Et il avait passédeux nuits blanches quand il avait dormidans une chambre voisine de la sienne.

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Mais sans doute pensait-elle à Amber,non à lui.

— L’hôtel le plus proche se trouve àOwen.

Il n’y avait qu’une quinzaine dekilomètres entre Owen et TawneeValley, mais les dix minutes de trajetpouvaient s’allonger si la circulationétait ralentie par un tracteur.

— Je perdrais trop de temps.— Si c’est la seule option, je…, dit

Maggie en rougissant.— Je peux habiter chez Sam, proposa-

t-il à contrecœur. C’est le moins qu’ilpuisse faire après tout.

Elle sembla se détendre et son sourireréapparut.

— C’est une bonne idée, approuva-t-

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elle.Il prit sa tasse et se leva.— Je suis sûr qu’on a beaucoup de

choses à se dire, Sam et moi. Bon, il fautque je fasse mon sac et réponde à desmessages. J’en profiterai pour enenvoyer un à Sam pour lui dire dem’attendre. Ensuite, on ira faire un touren ville avant le vol.

S’il restait un instant de plus à côtéd’elle, il ne répondait plus de rien. Sondésir pour elle allait augmentant etbientôt il n’y résisterait plus.

* * *

Maggie voyagea plus confortablementpour rentrer à Tawnee Valley que pour

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venir à New York. Quand elle avaitprotesté à cause du prix du billet enpremière classe, Brady avait argué qu’iln’y avait pas d’autres placesdisponibles.

Et à présent elle était bien installéedans une BMW, sur l’autoroute laramenant à sa petite vie provinciale.New York l’avait intimidée, mais elleavait survécu. Maintenant, elle seréjouissait à l’idée de rentrer chez elleet de retrouver Amber.

Ils avaient passé le reste de la matinéeà se promener dans Central Park. Ensécurité avec Brady à côté d’elle, elles’était détendue et amusée. Ils n’avaientpas cessé de bavarder. Il l’avaitinterrogée au sujet d’Amber et elle avait

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répondu à ses questions. Et, si elle avaitréagi au quart de tour chaque fois qu’illa touchait, elle s’était facilementmaîtrisée.

Le voyage en avion avait ravivé sonattirance. Rester assise à côté de luipendant deux heures avait été unetorture. Son corps avait vibré chaquefois que son bras l’avait frôlée surl’accoudoir et elle avait eu beaucoup demal à maintenir la conversation. Unechance que le siège n’ait pas pris feu.

Sa voix la ramena dans le présent.— La région n’a pas guère changé,

remarqua-t-il.— C’est vrai.Au cours de la journée, ils avaient

évité autant que possible de se regarder.

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Lorsque leurs yeux se rencontraient, illes détournait, et elle aussi. Ils avaientbeau être des adultes, parents d’unepetite fille, ils étaient incapables de secomporter naturellement l’un enversl’autre.

Ils venaient de traverser Owen etarriveraient bientôt à Tawnee Valley.Devait-elle présenter Amber à Bradymaintenant, ou bien attendre qu’elle aiteu le temps de la préparer ? Elle sentitl’appréhension l’envahir à l’idée decette rencontre. Et puis soudain, ilsfurent devant chez elle.

— Alors, que fait-on ?Elle le regarda, perdue. Ses yeux

étaient si bleus.Comment avait-elle pu dire à Penny

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qu’il ne l’attirait pas ? C’était faux. Elles’était tenue à l’abri des relationsamoureuses pendant trop longtemps etses baisers avaient réveillé en elle desbesoins dont elle avait oubliél’existence.

— Maggie ?Que n’aurait-elle pas donné pour un

autre baiser… Non, le prix à payerserait trop élevé. Pour elle, et surtoutpour Amber. Elle prit son courage àdeux mains et plongea les yeux dans lessiens.

— Entre un moment. Autant en finirtout de suite.

— Si tu penses que c’est bien.— Allons-y.N’y tenant plus, elle ouvrit la portière,

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rejoignit le coffre et attendit qu’ill’ouvre. Elle tendit le bras pour prendresa valise, mais il fut plus rapide.

Elle le laissa faire et se dirigea vers lamaison.

Qu’allait-elle bien pouvoir dire àAmber ?

* * *

La perspective de rencontrer sonenfant rendait Brady si nerveux qu’il enoublia son attirance pour Maggie. Cen’était pas un bébé qu’il s’apprêtait àtrouver, mais une petite fille de sept ansqui avait eu tout le temps de se forgerune image de son père.

Et s’il n’arrivait pas à affronter

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Amber ? Il valait peut-être mieuxreporter la rencontre à demain. Il auraitainsi la nuit pour se préparer et penser àla façon dont il s’y prendrait.

Il était sur le point de prendre le brasde Maggie pour le lui dire quand laporte moustiquaire claqua. Une tornadeen violet et noir traversa la véranda encourant et se rua sur Maggie, qui lasouleva du sol et tourna sur elle-même.

— Tu m’as manqué, maman.Sa voix ressemblait au doux murmure

d’un vent d’été.— Toi aussi, ma chérie, répondit

Maggie en la serrant dans ses bras.Si Brady se sentait comme un intrus, il

ne put s’empêcher d’admirer l’ensemblequ’elles formaient. Amber avait ses

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cheveux sombres, presque noirs, et lesourire de sa grand-mère paternelle.

Maggie reposa Amber sur le sol, puiss’agenouilla devant elle. Amber sepencha sur le côté et jeta un coup d’œilvers lui. Ses yeux étaient du même bleuque les siens. Il sentit sa gorge se serrer.

— Laisse-moi te présenter la personnequi m’accompagne, Amber, dit Maggie.

Le regard d’Amber alla de sa mère àlui, puis elle se colla contre Maggie etlui prit la main. Sa gorge se serra un peuplus. Sa propre fille le prenait pour unétranger. Et il en était un. Cette penséelui fit tellement mal qu’il en eut lesouffle coupé.

Maggie se redressa et se tourna verslui. Elle prit une inspiration profonde et

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il l’imita en se rendant compte qu’ilavait oublié de respirer.

— Amber, je te présente…— Brady, dit-il en l’interrompant.

Brady Ward, un ami de ta mère.Maggie le regarda, visiblement

surprise. Il haussa les épaules. Il ne sesentait pas encore prêt à jouer son rôlede père. Pas de cette façon, en tout cas.Il voulait que tout se passe bien, ilvoulait qu’Amber lui fasse confiance,qu’elle comprenne… Qu’elle décide sielle l’aimait ou pas sans savoir qu’ilétait le père qu’elle n’avait jamais vu desa vie.

— Vous avez un drôle de nom,monsieur Ward.

Ses beaux yeux étaient si pleins de

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douceur, de sensibilité. Sa fille ! Et direqu’il avait vécu sept ans ignorant sonexistence…

Un vertige… Il lui tendit la main et aucontact de ses petits doigts il eut enviede la serrer fort, de ne plus la quitter.

— Appelle-moi Brady.Elle la secoua vigoureusement.— Enchantée de vous connaître,

répondit-elle poliment avant de setourner vers mère. Tu m’as rapporté uncadeau, maman ?

— Entrons d’abord. On pourraitcommander une pizza et la mangerensemble.

— Bonne idée, approuva-t-il.Tout en le précédant jusqu’à la

maison, Maggie se retourna plusieurs

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fois pour le regarder d’un air confus. Ilaurait aimé pouvoir la rassurer, luidonner une explication, mais il n’enavait pas. Pour la première fois depuisdes années, il avait perdu le contrôle deses émotions. La réaction d’Amberquand elle apprendrait qui il étaitl’inquiétait. Eprouverait-elle pour lui unamour instantané ou bien le haïrait-elle ?Il n’avait jamais été là pour elle. Ni àNoël, ni pour son anniversaire, nipendant les jours qui avaient comptépour elle, ou ceux où il ne s’était rienpassé. Comment allait-il procéder pourla convaincre qu’il était là maintenant ?Et si elle ne le croyait pas ? Et si desproblèmes professionnels l’obligeaient àécourter son séjour ? C’était un risque

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qu’il préférait ne pas prendre.Les marches du porche étaient

grinçantes et le sol jonché de particulesde peinture, mais l’intérieur chaleureuxde la petite maison victorienne révélaitl’amour que Maggie et Amber luiportaient. Des photos de générations demembres de la famille étaientaccrochées sur les murs de l’entrée et dusalon. Des meubles dépareillés semêlaient à des touches de couleursvives, formant un ensemble insolite etpourtant harmonieux. Curieusement, il sesentait chez lui.

Au moment où il demandait à Maggieoù il devait mettre sa valise, une voixféminine s’exclama derrière lui :

— Brady Ward !

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Pendant son séjour à Tawnee Valley,il allait falloir qu’il s’habitue à cesintrusions venues du passé. Il se retournaet vit une femme aux cheveux cuivrésdescendre l’étroit escalier. Il la reconnutimmédiatement. Vêtue de vêtementsajustés qui la moulaient, elle n’avait paschangé de style.

Il soupira.— Bonjour, Penny.— Contente de te voir, même s’il a

fallu que Maggie aille te chercher à NewYork pour que tu te décides à nousrendre visite.

Elle s’avança vers lui et l’étreignit,avant de lui chuchoter à l’oreille :

— Tu leur as fait du mal et je suis biendécidée à t’empêcher de recommencer.

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Puis elle s’écarta, et son souriredédaigneux lui révéla qu’elle pensait cequ’elle disait et prendrait plaisir à luimettre les bâtons dans les roues. Sonséjour dans la ville de son enfancerisquait d’être jalonné de rencontres dece genre, un détail dont il n’avait pastenu compte avant.

Penny se désintéressa de lui pourserrer Maggie dans ses bras.

— Toi aussi tu connais Brady ? luidemanda Amber.

— Nous étions tous les trois dans lamême l’école.

Penny lâcha Maggie, s’agenouilladevant Amber et lui glissa quelquechose à l’oreille. La petite fille mit lamain devant sa bouche et gloussa de

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rire, un son doux qui apaisa sonressentiment. Si Brady leur avait fait dumal comme le disait Penny, cela n’avaitpas été intentionnel. Et, maintenant, ilavait toute l’intention de récupérer letemps perdu.

— Assez de chuchotements, ditMaggie en posant sa valise sur la table.Penny, s’il te plaît, est-ce que tu peuxnous commander des pizzas pour cesoir ?

Penny approuva de la tête, puis quittala pièce après avoir lancé à Brady unregard qui signifiait qu’elle l’avait àl’œil.

Il n’avait pas besoin qu’elle enrajoute. Son retour au pays et le faitqu’il fréquente Maggie et Amber allaient

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forcément attirer l’attention. Et, à unmoment ou à un autre, quelqu’un de bienintentionné révélerait la vérité à Amber.Il se moquait des commérages, mais iln’était pas question que sa fille ensubisse les conséquences.

Amber s’agenouilla sur une chaise àcôté de sa mère et lui demanda de luiparler de New York. Ses bouclesd’oreilles violettes scintillaient dans lalumière du lustre. Elle se pencha au-dessus de la valise, impatiente dedécouvrir son cadeau.

Il aurait peut-être dû lui en apporterun. En tant qu’ami de sa mère, le gesteaurait sans doute semblé incongru. Maispas en tant que père. Il regretta soudaind’avoir empêché Maggie de lui parler

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ouvertement. Avait-il tout gâché encroyant bien faire ?

— Brady habite New York, racontaMaggie. Avant, il a vécu à Londres, enAngleterre.

Elle le regardait tout en parlant et il lutdans ses yeux le soutien il avait besoin.Contrairement à Penny, elle semblaitdécidée à lui donner sa chance.

— C’est vrai ? demanda Amber en luiaccordant toute son attention.

— Oui. J’y suis resté huit ans.— C’est presque mon âge. Avez-vous

rencontré la reine ou le prince ?Avant qu’il ait eu le temps de

répondre, Maggie sortit un paquet de savalise et le donna à Amber. Celle-cil’ouvrit rapidement, visiblement ravie

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de découvrir une boule à neige avec lastatue de la Liberté et les gratte-ciel entoile de fond.

— Oh ! maman, merci !Elle secoua le globe, puis contempla

d’un air émerveillé les flocons retomberen tourbillonnant à l’intérieur. Aprèsavoir répété deux fois l’opération, ellereporta son attention sur lui. L’intérêtqu’elle lui portait lui réchauffa le cœur,et, de nouveau, il eut envie de la prendredans ses bras.

— Tu me raconteras des choses surl’Angleterre ? demanda-t-elletimidement.

— Oui, bien sûr.Pendant qu’ils attendaient la livraison

des pizzas, Brady lui parla de

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l’Angleterre, répondant du mieux qu’ilput à ses questions, parfois sérieuses,parfois ingénues. Maggie les observaitde loin, une expression indéchiffrablesur son visage. Sa fille était curieuse,intelligente et tout ce dont il aurait purêver. Si toutefois il avait rêvé d’avoirun enfant.

Sa carrière était sa vie, c’était grâce àelle qu’il avait surmonté son chagrin,grâce à elle qu’il avait pu se réaliser.Une partie de lui-même aurait aiméincarner le père qui grillait la viande ledimanche, jouait à cache-cache avec sesenfants et essuyait leurs larmes. Mais cen’était pas possible.

Et, tandis qu’il plongeait le regarddans les yeux innocents de sa fille, il se

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dit qu’il ferait bien de ne pas l’oublier.

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Maggie n’en revenait pas. Elle avaitpassé une très belle soirée avec Brady etAmber. Ils avaient dîné comme unevraie famille, et maintenant, tout ens’affairant dans la cuisine, elle sentaitles larmes lui monter aux yeux.

Elle avait tant attendu ce moment !Bien sûr, Brady n’avait toujours pas dità Amber qu’il était son père. Mais cesheures ensemble étaient tout de même un

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énorme pas en avant.Emue, elle leur jeta un coup d’œil

avant de retourner à la vaisselle pourdissimuler son trouble. Brady était entrain de raconter à Amber une histoireanglaise avec des princes et desprincesses. Il se comportait avec Ambercomme elle aurait aimé que son proprepère le fasse avec elle. Sauf que lasituation était différente. Son pèrel’avait abandonnée. Il avait su qu’elleexistait depuis le début et s’était soudainlassé de sa famille. Brady ferait peut-être un jour la même chose avec Amberet elle se retrouverait avec une petitefille en souffrance sur les bras. Il étaitdonc mieux, pour le moment, qu’ellecontinue à penser qu’il était un ami

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qu’elle avait connu au lycée.— Comment vas-tu ? s’enquit Penny

en la rejoignant.— Ça va. C’est juste un peu

perturbant. Je veux dire, le fait queBrady soit ici. Avec elle.

Elle ne parvenait pas à maîtriser sonanxiété et ne savait pas si elle devait sesentir heureuse, triste ou inquiète de cerapprochement entre Amber et son père.

Penny prit un torchon et se mit àessuyer les assiettes.

— Tu ne m’as pas raconté ce qui s’estpassé à New York.

— Il ne s’est rien passé. Il est partitravailler et j’ai attendu, répondit-elle,omettant de lui parler de la nuit où ilss’étaient embrassés.

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Un léger vertige l’étourdit au souvenirde ses baisers.

— Je n’en crois pas un mot, mais bon.Va-t-il habiter ici ?

Elle jeta un coup d’œil dans le salond’où leur parvenait le rire d’Amber.

— Non, chez Sam. C’est mieux.— Certainement. Veux-tu que je reste

avec toi ?Elle s’occupait d’Amber depuis

plusieurs jours et Maggie savait qu’elleavait envie de rentrer chez elle.

— Non, vas-y. Amber ne va pas tarderà aller au lit et Brady doit se rendre à laferme.

— Tant mieux, parce que j’ai quelquechose de passionnant à faire, réponditPenny en enfilant sa veste.

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— Je ne vois pas bien ce qu’une sérietélévisée peut avoir de passionnant.

— Parce que tu n’as pas regardéSupernatural. Appelle-moi plus tard et,si Brady se comporte mal, dis-le-moi. Jeme ferai un plaisir de le corriger.

— Je n’en doute pas.Elle embrassa son amie et lui dit au

revoir, s’efforçant de se convaincrequ’il lui serait plus facile de gérer sonattirance pour Brady ici qu’à New York.

Quand la cuisine fut rangée, ellerejoignit le salon, s’arrêtant sur le seuilpour observer la scène.

— Les dragons avaient envahi la ville,mais Lady Jane ne les craignait pas,racontait Brady avec un accentbritannique.

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Amber et lui étaient assis l’un en facede l’autre, en étroite communication. Ilsavaient les mêmes cheveux sombres, lesmêmes yeux bleus et le même nez. Seulun aveugle n’aurait pas remarqué leurressemblance. Hypnotisée, Amberbuvait chacune de ses paroles.

Elle se mettait facilement à sa place.Elle-même avait été fascinée par lui aulycée, même s’il lui adressait à peine laparole. Elle avait passé des heures àdessiner son nom entrelacé avec le siensur ses classeurs d’école.

Par la suite, quand il était entré àl’université, elle avait fini par se rendrecompte qu’elle ne serait jamais pour luiautre chose qu’une copine de son frère.Alors elle était sortie avec Josh.

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Davantage amis qu’amants, ils avaientrompu à la fin du lycée. Et puis, il yavait eu cette fameuse nuit d’été dans lelit de Brady, lovée dans ses bras. Uneaventure sans lendemain, sans attentes niregrets.

— Il n’y a plus de dragons enAngleterre aujourd’hui, mais dans lesvilles les rues sont toujours aussi peusûres.

Il leva la tête et la vit. Son visagerayonnait. Que n’aurait-elle pas donnéautrefois pour qu’il la regarde de cettefaçon.

— Maman, Brady m’a raconté unehistoire géniale, annonça Amber, lesyeux pétillant d’émerveillement.

En les voyant ensemble, elle ne

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regretta pas de les avoir rassemblés.Mais peut-être s’en repentirait-elle dansdeux semaines, car Brady ne s’était pasencore clairement engagé envers Amber.

— C’est l’heure d’aller au lit, Amber,dit-elle. Remercie Brady pour sonhistoire et va prendre ta douche.

— Merci, Brady. Est-ce que tureviendras ?

— Bien sûr. Je viendrai souvent. Jesuis là deux semaines.

Maggie poussa un soupir desoulagement. Elle craignait qu’il passeson temps à travailler et se contente derares visites.

— Pourquoi ne restes-tu pas cheznous ? demanda Amber. La chambre deMamie est libre. Maman l’a repeinte et

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en a fait jolie chambre d’amis. MaMamie est au ciel, tu sais, alors ellen’en a pas besoin.

Son visage reflétait ses émotions aufur et à mesure qu’elle parlait. Aprèstout ce qu’elle avait traversé, c’étaitpresque un miracle qu’elle n’ait pasperdu sa spontanéité.

Brady ouvrit la bouche, puis lareferma.

— Je suis invité chez mon frère, dit-ilfinalement.

— Ah, d’accord.Amber se rua sur Brady et lui enserra

la taille. Il resta les bras ballants,visiblement désemparé. Puis elle fit lamême chose avec Maggie, avant demonter l’escalier en courant.

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— Bonne nuit, Brady, cria-t-elle par-dessus son épaule. A demain.

Il retomba lourdement sur son siège etse frotta le visage.

— Comment te sens-tu ? lui demanda-t-elle, prudente.

Inutile de prendre des risques.— Fatigué. Ce n’est pas facile.Elle fit un pas en avant.— Elle n’est pas toujours aussi

énervée.— Ce n’est pas à cause d’Amber.— Non ?— C’est cette ville qui m’épuise.Brady se leva et regarda par la

fenêtre.— Tu sais, je ne suis pas seulement

parti pour me remettre de la mort de mes

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parents, mais parce que je ne supportaisplus que des gens comme Penny secroient obligés de mettre leur nez dansmes affaires.

— Cette ville est une petitecommunauté où chacun se soucie desautres, répliqua-t-elle sèchement. Pennya une attitude protectrice vis-à-visd’Amber parce qu’elle l’a vue naître.Elle a toujours été là pour nous.

— C’est tout à son honneur.N’empêche que les nouvelles vont viteet que bientôt mon nom sera sur toutesles lèvres.

Il se retourna pour la regarder. De lacolère brillait dans ses yeux.

— Une chance que tu ne vives pas ici,dit-elle non sans agacement. A quelle

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heure comptes-tu venir demain ?— Ce n’est pas ta faute, ni celle

d’Amber. C’est juste que…— Tu te sens mal à l’aise, ce que je

peux comprendre. Tu as passé beaucoupde temps au loin.

Il traversa la pièce et se mit devantelle, assez près pour pouvoir la toucher.

— Dans une grande ville, chacun faitsa vie sans s’occuper de celle desautres. Personne n’a le droit de me direce que je dois faire ou non avec Amber.Sauf toi, Maggie.

Elle sentit sa colère s’apaiserlégèrement. Il était si près qu’elle eutenvie de saisir sa chemise et del’embrasser, afin de finir ce qu’ilsavaient commencé à New York. Elle

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inspira pour se maîtriser, avec pour seulrésultat de respirer son odeur où semêlaient le santal et celle de son corps.

Il s’approcha encore un peu, presqueavec hésitation, comme s’il voulait luilaisser une chance de le repousser.Oubliant sa colère, elle se replongeahuit ans en arrière. Elle avait dix-huitans et se trouvait à une croisée dechemins qui ne menaient à rien, quelleque soit la direction dans laquelle elleallait. Vu sa maladie, sa mère ne pouvaitque rester chez elle avec quelqu’un quis’occupe d’elle. Elle n’avait pas lesmoyens de payer une infirmière, ni defamille en dehors de Maggie. C’étaitdonc elle qui l’avait soignée.

L’espace d’une nuit, elle avait voulu

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oublier ses soucis. Brady lui plaisait, etelle l’avait suivi dans sa chambre sanshésiter. Leur rencontre avait été unmélange éphémère de plaisir et detorture, chacun d’eux conscient qu’il n’yaurait pas de suite à leur histoire.

— Maggie ? appela-t-il ens’approchant un peu plus.

Elle sentit son corps basculer versavant, irrésistiblement attiré par le sien.

— Maman ! cria Amber depuis lasalle de bains. J’ai oublié ma serviette.

Brady fit un pas en arrière, rompant lecharme.

— J’arrive, Amber, répondit-elle.Ils n’étaient plus des adolescents

impulsifs. Ils avaient chacun sa vie etleurs chemins ne se seraient jamais

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croisés si Amber n’avait pas été là.Brady s’éclaircit la voix.— A quelle heure sort-elle de

l’école ?— 15 heures, répondit-elle, maîtrisant

à grand-peine son trouble.— Dis bonne nuit à Amber de ma part.Il rejoignit la porte d’entrée,

l’effleurant au passage. Elle eut un petitfrisson, puis se dirigea vers l’escalier.

— Bonne nuit, Maggie, dit-il avant derefermer la porte.

* * *

Quand Brady mit les pieds sous leporche de la ferme, une foule desouvenirs remontèrent à la surface.

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Depuis sa petite enfance jusqu’à sonadolescence, il s’y était souvent assis,rêvant d’un avenir loin d’ici. Il avaitbeaucoup d’amour pour ses parents etaurait voulu qu’ils soient fiers de lui,mais il savait déjà qu’il n’était pas faitpour le travail à la ferme.

Il s’était efforcé de réussir tout cequ’il entreprenait et ses résultats àl’école et en sport avaient toujours étémeilleurs que ceux de ses frères. Maismalgré tous ses efforts, Sam était resté lechouchou de leur père et Luke celui deleur mère. Ses parents l’aimaient, sansl ’ombre d’un doute, mais il s’étaittoujours senti différent et n’avait jamaisvraiment trouvé sa place dans la famille.

La porte s’ouvrit avant qu’il ait eu le

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temps de frapper.— Salut Brady, dit Sam en s’écartant

pour le laisser entrer.Il fut envahi par un flot d’émotions

confuses. Dans sa tête bouillonnait unmélange de culpabilité, de chagrin et derancœur. Mais ce qui dominait le tout,c’était la colère. Il en voulait à mort àSam de lui avoir caché l’existence de safille.

— Bonsoir, Sam.Il porta ses bagages dans la salle à

manger. Tout était exactement commeavant, sauf que l’endroit avait vieilli. Lapeinture autrefois crème était devenuejaune et le sol en lino était usé par tousles pas qui l’avaient foulé. La maisonétait rangée, mais loin de reluire de

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propreté.Après l’avoir informé que son lit était

fait, Sam se réfugia dans la cuisine.Brady ferma les yeux. Les huit ans qu’ilavait passés au loin s’effacèrent et il eutl’impression qu’il était de retour chezlui pour les vacances d’été. Il aurait sansdoute dû attaquer Sam dès qu’il avaitouvert la porte, mais se disputer n’auraitservi à rien. Sam ne changerait jamais.

Il savait que Sam lisait le journal dansla cuisine. Il aurait pu aller lui dire cequ’il pensait de lui, mais ce qu’il venaitde vivre l’avait épuisé. Il prit donc sesbagages et monta l’escalier qui menait àson ancienne chambre. La poignéebranlante cliqueta quand il l’actionna.

Là non plus rien n’avait changé. Seule

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manquait la couverture cousue par samère. Malgré son désir de tout laisserderrière lui pour commencer unenouvelle vie, il n’avait pu s’empêcherde l’emporter avec lui en souvenir.

L’énorme lit tenait à peine dans lapetite pièce, laissant peu de place à lacommode. Sa mère avait acheté le cadreaux enchères quand il avait quatorze ans.

Comme toujours quand leur mèrevoulait quelque chose, ses frères et luiremuaient ciel et terre pour la satisfaire.Après beaucoup de jurons et quelquesbleus, ils avaient réussi à faire passer lemeuble dans l’escalier étroit. Il passa lamain sur le bois lisse du pied de lit. Ilparlait à peine à ses frères, maintenant.Seul Luke l’appelait de temps en temps.

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Il avait toujours été le médiateur desquerelles entre Sam et lui. A présent,leurs parents n’étaient plus là pour lesréunir et chacun d’eux avait pris unchemin différent.

Ecartant ces pensées nostalgiques, ilvida sa valise puis la glissa sous le lit. Iln’avait pas travaillé aujourd’hui maispouvait bien s’accorder un dimanche derépit.

Sa prochaine tâche serait de trouver unendroit pour installer son ordinateur.Sam devait bien avoir un bureau dans lamaison.

Il prit la sacoche et descenditl’escalier, assailli par les souvenirs. Ilfaudrait qu’il s’y habitue. Partout où ilirait désormais, il tomberait sur des gens

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surgis de son passé ou de celui de sesparents, des interruptions qui risquaientde lui faire perdre beaucoup de temps.

Il parcourut le rez-de-chaussée,s’efforçant d’ignorer les souvenirs qui letorturaient. Le téléviseur cathodique dusalon avait été remplacé par un homecinéma dernier cri. Leur père n’aimaitpas les voir assis devant la télévision. Ildisait toujours que si on avait du tempspour ne rien faire on en avait pourtravailler. Les corvées ne manquaientjamais dans une ferme et Brady lesdétestait.

Mais Sam ne voyait probablement pasles choses ainsi.

Il trouva le bureau de Sam dans lapetite pièce du bas. Il y avait un

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ordinateur relativement récent branché àun modem analogique. La ferme étantsituée au fond de la vallée, il n’était passûr de pouvoir se connecter avec lerouteur sans fil qu’il avait apporté.

Le mobilier était constitué d’unechaise pliante en métal et d’un panneaud’aggloméré posé sur des tréteaux.Jugeant l’endroit peu confortable, Bradyinstalla son ordinateur portable sur latable du salon. Sam lisait toujours sonjournal dans la cuisine.

A quoi bon lui reprocher de lui avoirmenti ? En dehors de leur père, Samn’avait jamais écouté personne. Et puis,il s’était sans doute déjà trouvé des tasde bonnes raisons d’avoir agi ainsi.

Il n’était décidément pas prêt à

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affronter son frère. Et, à en juger par sonattitude, Sam ne l’était pas non plus. Leschoses ne s’arrangeraient peut-êtrejamais entre eux. Quoi qu’il en soit, dansdeux semaines, il serait parti. Rien nipersonne ne pourrait l’en empêcher.

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Maggie faisait de la comptabilité pourle magasin de meubles dans le salon etAmber ses devoirs dans la cuisine quandBrady était arrivé. Il s’était installé àcôté d’Amber, puis son portable avaitsonné et il était sorti sous le porche pourprendre l’appel.

— Alex Conrad a vomi dans le hallaujourd’hui, raconta Amber en sepenchant en arrière pour la regarder.

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C’était dégoûtant.— Je veux bien le croire. Arrête de te

balancer, s’il te plaît.Elle jeta un autre coup d’œil à sa

montre. Il y avait trente minutes queBrady était dehors.

La veille, elle avait apprécié sonattitude. Il s’était montré serviable etattentionné pendant le voyage et avaitrépondu patiemment aux questionsincessantes d’Amber. Mais, alorsqu’elle croyait qu’il avait oublié sontravail à New York, il avait sonné chezelle en la suppliant de pouvoir utilisersa connexion internet. Elle aurait voulului demander comment s’était dérouléesa rencontre avec Sam, mais il lui avaità peine adressé la parole depuis son

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arrivée.— Il y en avait partout et…— Ça suffit, Amber. Fais tes devoirs

maintenant.Elle mit un chèque dans une enveloppe

et rangea ses affaires.— Si tu te dépêches, on ira peut-être

manger une glace après le dîner.— Youpi ! s’écria Amber en se

replongeant dans ses devoirs demathématiques.

Maggie prit la pile d’enveloppes etsortit de la maison. Brady se tenait toutau bout du porche et gesticulait tout enparlant au téléphone.

Elle marcha jusqu’à la boîte auxlettres et y déposa le courrier. Elleaurait aimé qu’il soit aussi passionné

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par sa fille que par son travail. Dans cecas, il se serait peut-être abstenu deprendre cet appel. Aurait-elle mieux faitde ne pas lui dire qu’Amber existait ? Ilne l’aurait jamais appris. Il était brouilléavec Sam et personne en ville ne sedoutait qu’il était le père d’Amber, lamoitié des gens croyant que c’était Sam,l’autre Luke.

En la voyant revenir, il se tourna verselle et elle perçut sa contrariété.

— Ne permets pas à Peterson de temanipuler, Julie, dit-il. On a troptravaillé pour le laisser nous ravir lavedette.

Elle s’assit sur la balustrade enattendant qu’il ait fini sa conversation.Elle avait une ou deux choses à lui dire.

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— Dis-lui non, reprit-il en laregardant.

Elle le désirait. Malgré sa colère.Cette maudite attirance survenait aumoment même où elle voulait lui direses quatre vérités. Il leva la main pourlui signifier de patienter. Elle résista àl’envie de lui répondre par un geste peuféminin.

— Très bien. Alors dis-lui qu’on estensemble et que tu ne peux donc passortir avec lui.

Ensemble ? Le mot lui fit l’effet d’uncoup de poignard en plein cœur. Il n’yavait pourtant rien d’étonnant à ce qu’ilne soit pas seul. Au lycée, il se baladaittoujours avec une fille à son bras. Si ellen’avait jamais imaginé à l’époque qu’il

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puisse être un tricheur, il semblait avoirbeaucoup changé. Si elle ne l’avait pasarrêté, ils auraient couché ensemble àNew York. Grâce au ciel, elle s’étaitressaisie à temps.

Une nouvelle vague de ressentimentmonta en elle, jusqu’à ce qu’elle sesouvienne que Brady n’était pas là pourelle mais pour Amber. Sauf qu’en cetinstant il n’était plus là pour personne.

— D’accord. Passe en revue leschiffres préliminaires, recoupe-les avecles nouveaux et envoie-moi la feuille decalcul. Je verrai ce que je peux faire.

Elle se prépara à l’attaque. PourAmber, se rappela-t-elle.

Il coupa la communication et larejoignit.

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— Quelque chose ne va pas ?demanda-t-il en s’arrêtant devant elle.

— Oui.Elle maîtrisa sa déception. Brady

avait quelqu’un dans sa vie. Pire, sonattirance pour lui était toujours aussiforte.

— Amber a besoin de ton attention,reprit-elle. Tu pourrais au moins couperton téléphone pendant que tu es avecelle.

— Ce n’est pas facile pour moi,répondit-il d’une voix légèrementirritée. Je n’avais pas prévu de venir etce n’est pas le meilleur moment pourm’absenter. Mes collaborateurs ontbesoin de moi.

Elle faillit lui demander si ce n’était

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pas plutôt Julie qui avait besoin de luimais préféra s’abstenir. Pour le moment.

— J’ai promis de consacrer du tempsà Amber et je tiendrai ma promesse,ajouta-t-il nerveusement.

— Je comprends, mais coupe tonportable quand tu es avec elle. Tu astoute la journée pour parler autéléphone, argua-t-elle d’un ton ferme.

— Je ne peux pas prévoir à quelmoment les gens auront besoin de meconsulter. On a conclu un marché. Tu asaccepté que je travaille pendant que jeserai ici.

— D’accord, mais pas quand tu eschez moi avec ma fille.

Elle devait se forcer à resterdéterminée dans ses résolutions. Elle ne

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s’était pas battue courageusementpendant toutes ces années pour se laisserintimider maintenant. Elle redressa lesépaules et demeura inflexible.

Huit ans plus tôt, elle aurait capitulé.Elle aimait tellement l’idée qu’elle sefaisait de Brady Ward qu’elle auraitcédé à tous ses désirs. Mais elle avaitmûri et était à présent capabled’affronter n’importe quoi. Etre mèrecélibataire était devenu banal de nosjours mais, dans la petite ville où ellehabitait, cela n’avait pas été si simple.

L’animosité entre eux grésillait dansl’air. Volonté contre volonté. Elle avaitl’avantage, du fait qu’elle pouvaitl’empêcher de voir sa fille. Les traits deBrady étaient tendus et il semblait sur le

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point de prononcer des paroles qu’ilrisquait de regretter.

Elle releva fièrement le menton.— Marché ou pas marché, Amber est

ma fille, ajouta-t-elle.— Notre fille, rectifia-t-il.Il s’avança un peu plus, la dominant de

toute sa hauteur. Si elle se sentaitintimidée, elle se devait de ne rienmontrer.

— Si je dois m’adresser à la justicepour obtenir un test ADN, je le ferai.Mais, comme je ne nie pas ma paternité,nous ne devrions pas en arriver là. Si tun’exiges rien de déraisonnable de mapart, j’agirai de même avec toi.

Elle se hérissa.— Je n’étais pas obligée de t’en

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parler.— Mais tu l’as fait.Ils étaient assez près l’un de l’autre

pour se toucher, mais chacun restait sursa position.

— Si tu veux travailler, reste à laferme.

— Très bien, dit-il d’une voix doucequi la désarma.

— Alors tu acceptes ? demanda-t-elle,stupéfaite.

Il s’avança et lui prit la main,l’étudiant tendrement. Il semblait êtresorti de sa peau de businessmaninflexible pour redevenir le cow-boycharmeur qu’elle avait aimé autrefois.

— Je ne veux pas me disputer avectoi, dit-il. Si je ne peux pas être à cent

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pour cent disponible pour Amber, jeresterai à la ferme. Mais, je t’en prie,continue à me faire confiance.

Maîtrisant le trouble provoqué par lecontact de sa main, elle savoura savictoire. Elle n’avait pas gagné laguerre, mais au moins avait-elleremporté une bataille. Ses yeux, dursquelques instants plus tôt, étaientdevenus chaleureux. Elle sentit sonsouffle s’accélérer et sa tête se mettre àtourner.

Sur le point de s’abandonner, elle sesouvint. Il avait une petite amie. Uneautre raison de garder ses distances. Uneraison qui l’aiderait à se rappeler queBrady était seulement venu voir Amber.

Incapable d’articuler le moindre mot,

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elle enleva sa main et hocha la tête.Heureusement, Amber sortit de lamaison à cet instant, coupant court àl’entretien et les empêchant de jouerdavantage avec sa vie.

* * *

Pendant qu’ils faisaient la queue chezle glacier, Brady se demandait pourquoiMaggie continuait à lui faire la tête. Elleavait gardé le silence pendant tout ledîner, laissant à Amber le soind’entretenir la conversation. Et, quandAmber lui avait demandé pourquoi ellene parlait pas, elle avait prétexté un malde tête, non sans lui avoir lancé unregard sous-entendant que c’était à cause

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de lui.Il ne pouvait pas se permettre de s’en

aller pendant deux semaines en oubliantses responsabilités. Son patron risquaitde ne pas apprécier. Et avec laconnexion internet hyperlente de laferme, son efficacité était limitée.

Amber n’avait pas besoin de sonattention pendant qu’elle faisait sesdevoirs. Elle se débrouillaitparfaitement sans lui.

— Je veux un cornet de glace à lamenthe avec des chips de chocolat, de lasauce au chocolat et des granulés auchocolat par-dessus, dit Amber d’unevoix excitée en mettant le doigt sur lavitrine réfrigérée.

— Ne mets pas ta main sur le verre,

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s’il te plaît, ordonna Maggie.Elle évitait soigneusement de croiser

son regard, ce qui ne l’inquiétait pasvraiment. Elle finirait bien par secalmer. Quand il avait cédé à sonexigence, son regard s’était adouci etelle avait entrouvert la bouche. Puis elleavait soudain pris une attitude froide etdistante. Elle le désirait, c’était évident,mais semblait résister à son attirance.Peut-être se trompait-il, après tout,même si elle avait failli lui tomber dansles bras de son plein gré à New York. Ilsortit de ses méditations pour tendre unbillet de vingt dollars au caissier,devançant Maggie qui sortait son porte-monnaie.

Elle lui lança un regard agacé auquel

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il répondit par un sourire. Il était venupour voir Amber et c’était la seule chosequi comptait. De toute façon, Maggieavait besoin de quelqu’un qui soit làpour elle, ce qui n’était pas possibleavec lui. Il n’était pas prêt à s’engager àplein temps.

Un homme âgé vêtu d’une chemise àcarreaux en flanelle et d’un pantalon detravail déchiré se glissa à côté de lui.

— Sais-tu que c’est malpoli de ne passaluer les anciens ?

Il tourna la tête et reconnut PaulMorgan, un ami de son père.

— Bonjour, Paul, répondit-il en luitendant la main.

Le vieil homme la prit et la secoua,puis il indiqua du bras Maggie et Amber

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qui attendaient leurs glaces.— Une jolie famille que tu as là.Il hésita à nier, car il y avait une part

de vérité dans l’affirmation de Paul.Amber était bien sa fille, même siMaggie n’était pas sa femme. Pire, à enjuger par la tension qui régnait entre eux,ils étaient mal partis pour devenir amis.

Il se contenta de répondre par unhochement de tête.

— As-tu vu ton frère ? demanda Paul.Brady regarda ses pieds en se

demandant ce qu’il savait de leurdésaccord.

— Oui, je loge chez lui.— Je suis content que vous vous soyez

raccommodés. Sam a fait du bon travailà la ferme et il a le plus beau bétail de la

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région. Et il a été très courageux. Cen’était pas facile d’élever ses deuxpetits frères tout seul. Finalement, vousavez tous les trois bien tourné.Dommage que vos parents ne soient pluslà pour vous voir.

Il ressentit un peu de jalousie àentendre Paul faire l’éloge de Sam, puispensa à ses parents. Ils auraient ététristes que leurs fils qui s’entendaient sibien ne se voient plus. Sa mère avaittoujours recollé les morceaux quand ilse disputait avec Sam. Maintenantqu’elle n’était plus là, ils avaient cesséde se parler. Et il n’était pas sûr que leschoses s’arrangent un jour après ce qu’ilavait fait à Maggie.

— Excuse-moi, Paul, on m’attend.

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Content de t’avoir vu.— Viens nous rendre visite pendant

ton séjour.— Oui, promis, assura-t-il en lui

serrant la main, avant de rejoindreMaggie et Amber à leur table.

Paul était un voisin des Ward. Il leconnaissait bien, mais n’avait même paspensé à lui demander comment se portaitsa femme. Si sa mère avait été là, ellelui aurait reproché son manque decourtoisie.

— Tu ne veux pas de glace ? demandaAmber.

Elle s’était mis de la crème glacée surle nez et le regardait avec des yeuxpleins d’adoration qui lui réchauffèrentle cœur. Il avait désormais quelque

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chose que Sam n’avait pas.Il la regarda, sentant son cœur fondre.— Comment s’est déroulée ta journée

d’école ? lui demanda-t-il.— Alex a vomi de nouveau dans le

hall. C’était dégoûtant, raconta-t-elle enfaisant la grimace.

— Est-ce vraiment le seul événementqui t’ait marqué ?

Elle prit une bouchée de son cornet deglace.

— Oui, c’est tout ce qui vaut la peined’être raconté. Jessica et Maddy étaientà côté de lui et elles ont dû s’écarterpour ne pas être éclaboussées. On a tousfait un grand cercle autour de lui pendantque le concierge allait chercher de lalitière pour chat pour nettoyer.

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— C’est en effet très intéressant,commenta-t-il en souriant.

Amber continua à déguster sa glacecomme si de rien n’était. Le sujet ne luiavait visiblement pas coupé l’appétit.

Il se tourna alors vers Maggie.— Comment s’est passée ta journée ?— Bien, répondit-elle, le regard fixé

derrière lui.— Personne n’a vomi ? demanda-t-il

avec un clin d’œil à Amber qui se mit àrire.

— Non.Aucune réaction. Il regarda autour de

lui. Les gens lui semblaient familiers,mais il était loin depuis si longtempsqu’il aurait été incapable de mettre unnom sur leurs visages.

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Il avait oublié ce qu’était la vie dansune petite ville. On vous jugeait d’aprèsvotre famille, l’école que vous aviezfréquentée et même les bêtises que vousaviez faites dans votre enfance, maisrarement sur ce que vous aviez réalisédepuis.

Les gens feignaient de ne pass’intéresser à eux, mais Brady n’étaitpas dupe. Tout le monde savait qui ilétait et qui l’accompagnait. Ils n’auraientà présent aucun mal à tirer lesconclusions qui s’imposaient. En outre,ils remarqueraient que Maggie ne luiparlait pas.

— Maggie ?Elle tourna vers lui des yeux éteints.

Elle n’avait plus rien à voir avec la fille

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pleine de vie qu’il avait connueautrefois.

Que pouvait-il faire pour lui redonnerle sourire ?

— Demain, je serai peut-être enretard, dit-il.

Son regard devint froid et elle hochala tête.

Bon sang, il ne savait vraiment pas s’yprendre. Il est vrai qu’il n’avait pasl’habitude de côtoyer des femmes dansun contexte non professionnel. Et aucuned’elle n’avait jamais autant exigé de luique Maggie.

Elle ordonna ensuite à Amber d’allerse laver les mains et recommença àl’ignorer.

Il finirait peut-être par se laisser

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absorber par son travail au point de s’yfondre totalement. Il ne faisait aucuneséparation entre sa vie professionnelleet sa vie personnelle. C’était ainsi qu’ilse protégeait. Il était incapable de restersans travailler pendant deux semaines.C’était un besoin. Le travail lui avaitpermis de survivre au désespoir et à larévolte qui l’avaient terrassé après lesdécès successifs de ses parents, lepoussant à partir à l’autre bout dumonde.

De l’autre côté de l’Atlantique, onl’avait laissé tranquille parce quepersonne ne le connaissait. Ce n’étaitpas comme ici, où il devinait de la pitiédans les yeux des gens même quand ilsne disaient rien.

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Le jour tombait quand ils reprirent lechemin de chez Maggie. Amber parlaitde choses et d’autres tout en marchant etMaggie continuait à se taire. Les ruesbordées d’arbres lui étaient sifamilières ! Et pourtant il n’avait pasfréquenté ce quartier dans son enfance.Depuis son retour, le passé surgissaitdans sa vie à chaque instant, le forçant àaffronter le présent. Il n’avait rien àoffrir. Pourquoi Amber voudrait-elle delui ?

Il avait abandonné sa famille et fui sesresponsabilités, tournant le dos à sespropres frères. Malgré son mauvaiscaractère, Sam aurait peut-être appréciéqu’il lui apporte un peu de soutien.

En arrivant devant les marches du

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porche, Amber pivota sur elle-même.— Tu veux voir l’album que j’ai fait

avec Mamie ?— Euh, oui, répondit-il avec

hésitation.Il ne savait pas si Maggie désirait

qu’il s’attarde, mais il n’avait pas enviede partir. Il voulait faire partie de cettefamille, s’intégrer à sa vie.

Amber traversa le porche en courant etse rua à l’intérieur, la portemoustiquaire claquant derrière elle.Après avoir monté deux marches,Maggie s’arrêta net et il faillit lui rentrerdedans.

— J’ai besoin de savoir si tu es prêt àt’investir, dit-elle sans se retourner.

La lumière de la maison éclairait son

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profil, mais son expression étaitindéchiffrable.

— Bien sûr. Sinon, je ne serais pasvenu jusqu’ici.

— Soit tu dis à Amber que tu es sonpère, soit tu ne lui dis pas. Décide-toi.Je ne peux pas continuer à lui mentir,conclut-elle en se retournant pour luifaire face.

Sur sa marche, elle était aussi grandeque lui et leurs regards étaient à la mêmehauteur. Le sien était déterminé, celuid’une mère bien décidée à protéger sonenfant.

Il s’éclaircit la voix.— Je suis fier de ce que j’ai fait

pendant toutes ces années. J’ai conçudes projets qui ont généré des milliers

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d’emplois, mais…Maggie croisa les bras sur sa poitrine

et le regarda de haut, pas du toutimpressionnée. Comment devait-il s’yprendre pour la convaincre ? Avec elle,son expérience des affaires ne lui étaitd’aucun secours.

— Mais quoi, Brady ?Il la fixa, s’efforçant de trouver

l’argument persuasif. Mais il n’était pasen train de négocier un contrat. Ils’agissait d’une petite fille. La sienne,qui plus est.

Alors il décida d’être franc.— Ce que je veux dire, Maggie, c’est

que je suis bon dans mon domaine, maisnul dans mes relations personnelles.

Tous ses muscles étaient tendus. Il

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n’avait jamais eu à faire un discours sidélicat, si difficile. Si… essentiel.

Il prit une profonde inspiration avantde déclarer :

— Je n’ai aucune idée de la façon dontun père se comporte.

— Il faut juste que tu t’intéresses àelle. Personne ne te demande d’être sonpère.

— Mais je le suis.Son regard se fit sceptique.— Vraiment ?Il monta sur la première marche.— Je veux faire partie de sa vie.

Amber est une petite fille géniale. Mafille. Notre fille.

— Je n’ai pas encore pris de décisionà ton sujet.

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Il commençait à gagner du terrain,même s’il ne s’était jamais senti aussivulnérable de sa vie.

— Et si elle ne m’aimait pas ? Si elleavait déjà forgé dans sa tête l’imaged’un père idéal que seul Supermanpourrait égaler ?

Les yeux de Maggie se remplirent delarmes.

— Tout ce qu’une petite fille attend deson père, c’est qu’il soit là pour elle.

— Est-ce que ton père l’a été ?demanda-t-il, sautant sur l’occasion d’enapprendre plus sur ce sujet sensible.

Une larme coula sur sa joue quand ellesecoua la tête. Il l’effaça du pouce.

— Je ferai tout mon possible pour nepas vous décevoir.

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Le petit sourire qui se dessina sur seslèvres lui procura un sentiment detriomphe. Il s’attarda sur sa joue, lecontact avec sa peau douce réveillant lefeu qui couvait en lui.

— Je te crois, dit-elle en lui prenant lamain.

Maggie Brown ne cesserait de lesurprendre. Il l’avait vue évoluer de lapetite fille rêveuse à l’adolescentesensuelle, pour devenir la superbefemme qu’il avait devant lui.

Il était tellement ému qu’il l’embrassa.Ce n’était pas censé durer. Juste un petitbaiser pour la remercier de saconfiance. Mais ses lèvres parfumées àla vanille étaient si douces qu’il n’eutplus envie de s’arrêter.

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- 10 -

Quand Brady l’embrassa, Maggies’abandonna au plaisir. Jusqu’à cequ’elle se souvienne qu’il appartenait àune autre.

Si elle l’avait ignoré à New York, àprésent elle le savait.

Elle posa les mains sur son torse et lerepoussa.

— Parle-moi de Julie.— Hein ?

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Elle sentit les muscles de son torsefrémir sous ses doigts, ravivant lesouvenir de sa peau contre la sienne.Retirant vivement ses mains, elle croisales bras sur sa poitrine, s’efforçant derassembler son indignation.

— Ta petite amie, tu sais ?— Julie ?Incroyable, il avait l’audace de faire

mine de ne rien comprendre !— Je ne suis pas idiote. Je t’ai

entendu parler au téléphone aujourd’hui.Tu as dit que vous étiez ensemble.

— Ah !Il semblait sincèrement soulagé.

S’était-elle méprise ? Et pourtant…— Est-ce dans tes habitudes

d’embrasser d’autres femmes que la

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tienne ? Si c’est le cas, je n’appréciepas du tout, déclara-t-elle fermement,ignorant sa bouche qui frémissait encorede son baiser.

— Je ne suis pas avec Julie, rétorqua-t-il en se rapprochant.

Elle monta d’une marche pour luiéchapper.

— Ne me prends pas pour une idiote.Je ne suis pas à ta disponibilité.

— As-tu déjà quelqu’un dans ta vie ?demanda-t-il en grimpant à son tour unemarche, l’enveloppant de sa chaleur.

— Je ne suis pas une tricheuse,répondit-elle avec toute l’indignationqu’elle parvint à rassembler.

Il eut un sourire carnassier et ladéshabilla du regard. Elle chancela et

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faillit trébucher en montant la dernièremarche. Mais il l’imita, se retrouvant denouveau juste devant elle.

— Julie n’est pas ma petite amie.— Mais tu as dit…— Je lui ai dit de dire à Peterson, un

de nos collègues, qu’on était ensembleafin qu’il cesse de l’importuner.

Il écarta une mèche de cheveux de sonvisage, sa main se glissant ensuite dansson cou, faisant naître en elle unemyriade de sensations divines.

— Je ne ferais jamais une chosepareille, Maggie, chuchota-t-il en lascrutant intensément. Ni à toi ni à elle.

Le corps tremblant de plaisir anticipé,elle resta là, attendant qu’il reprenne leschoses où il les avait laissées.

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— Viens voir les photos, Brady, criaAmber de l’intérieur de la maison.

— On continuera plus tard, dit-il enposant son front sur le sien avant des’écarter.

Son cœur battait la chamade.

* * *

Brady était assis à la table de lacuisine à côté d’Amber qui feuilletaitl’album de photos. Maggie s’étaitréfugiée quelque part dans la maison.

— Comme je n’avais pas le droitd’avoir un chien, Mamie m’a laissé encoller sur cette page, dit Amber enpointant du doigt les autocollants quientouraient une photo d’elle avec sa

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grand-mère.— Nous avons un chien à la ferme. Il

s’appelle Barnabus.Il s’efforçait de ne pas penser à

Maggie et à son attirance pour elle. Ledésirait-elle aussi fort que lui ?

— Je ne suis jamais allée dans uneferme. Est-ce que c’est comme un zoo ?demanda Amber en tournant quelquespages. Regarde, sur cette photo on étaitdans un zoo. C’était très loin et on avoyagé longtemps pour y arriver.

— C’est incroyable que tu n’aiesjamais visité de ferme, dit-il, se forçantà se concentrer sur ce qu’elle disait.

Amber glissa ses cheveux derrière sonoreille, un geste qu’il avait souvent vuMaggie faire.

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— Billy, un garçon de ma classe,habite une ferme, mais nous ne sommespas amis.

— Je t’y emmènerai. C’est toi qui l’asprise ? s’enquit-il en montrant une photode Maggie avec un singe.

— Oui. Maman la trouve ridicule,mais moi je l’aime bien.

Elle referma l’album et plongea lesyeux dans les siens.

— Tu me montreras ta ferme ?— Ce n’est pas la mienne. C’était

celle de mes parents et maintenant c’estmon frère qui l’exploite. Mais je seraisravi de t’y emmener.

— Ce week-end ? plaida-t-elle enjoignant les mains. Y a-t-il deschevaux ?

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— Peut-être à ta première question etnon à ta deuxième.

Elle le scruta intensément.— Nos yeux sont exactement de la

même couleur.Il retint son souffle. Bon sang, avait-

elle fait le rapprochement ?— C’est l’heure de dormir, ma chérie,

appela Maggie depuis la pièce voisine.— Tu viendras demain ? Je t’en prie,

dis-moi oui.— Je vais essayer. J’ai beaucoup de

travail, mais je ferai un saut dans lasoirée. Surtout si c’est ta mère quicuisine.

Elle se leva d’un bond, l’enlaçarapidement par-derrière, puis monta àl’étage en courant.

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Il fut envahi par une soudaine fatigue.Ce moment lui rappelait les soiréesfamiliales à la ferme, où l’ambianceétait chaleureuse et détendue. Depuisson départ de Tawnee Valley, il n’yavait plus de place pour la détente danssa vie.

Quelque temps plus tard, Maggieréapparut. Elle rejoignit l’évier et se mità faire la vaisselle.

— Tu passeras demain ? demanda-t-elle.

— Oui, normalement. Je peux t’aider ?— Si tu veux, répondit-elle

froidement.Il prit un torchon et se mit à essuyer

les assiettes. Il se revit petit garçon,aidant sa mère à faire la vaisselle. Il

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profita du silence pour se remémorer lebaiser qu’ils avaient échangé sur lesmarches, se demandant s’il y aurait unesuite et si sa fatigue le lui permettrait.

Quand ils eurent terminé, elle éteignitla lumière.

— Tu penseras à ce que je t’ai dit toutà l’heure ? demanda-t-elle en sortant dela cuisine.

— Oui.Elle le précéda dans l’entrée et ouvrit

la porte. Elle n’avait pas l’intention dedonner suite. Sans doute se sentait-elleaussi épuisée que lui.

Finalement, elle se tourna vers lui.Elle semblait harassée et il aurait donnén’importe quoi pour pouvoir alléger sonfardeau.

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— Elle a besoin de savoir.— Je sais. Je lui parlerai, je te le

promets.Une ombre de sourire passa sur ses

lèvres.— Encore des promesses.— Fais-moi confiance, supplia-t-il en

s’approchant.Elle s’écarta vivement.— Laisse-moi. Ce n’est pas une bonne

idée.Son visage était fermé, mais sa voix

légèrement haletante.— Une autre fois, alors ?Elle s’adossa contre le mur.— Non. Ce petit jeu m’épuise, Brady.

Je n’ai pas envie de jouer à cache-cacheavec toi. Tu me plais beaucoup trop.

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— Toi aussi.Elle rougit et sa lèvre inférieure se mit

à trembler.— Je ne veux pas être celle qui te fera

partir.— Que veux-tu dire ? demanda-t-il

sans comprendre.— J’avais six ans quand mon père

nous a quittées, raconta-t-elle d’une voixatone, dénuée d’émotion. J’ai d’abordcru que c’était la faute de ma mère et jelui en ai voulu. Puis j’ai pensé qu’il étaitparti à cause de moi et c’est moi que j’aihaï.

— Je n’abandonnerai jamais Amber.Ni toi.

Il voulut la toucher, mais elle s’écarta.— Personne n’en sait rien. Restons

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amis, c’est plus simple. De toute façon,nous n’avons pas d’avenir ensemble.Nous n’en avons jamais eu.

Il devina de la tristesse dans sonsourire et aurait aimé la détromper.Mais comment aurait-il pu le faire alorsqu’il ne savait pas lui-même jusqu’àquel point il était prêt à s’engager ?Lorsqu’il s’était senti acculé autrefois, ilavait pris ses jambes à son cou. Qu’est-ce qui garantissait qu’il ne le referaitpas ? Elle n’avait donc sans doute pastort.

— Tu as raison, approuva-t-il à regret.Son sourire s’évanouit. Elle semblait

aussi déçue que lui.— A demain, Brady.Il lui souhaita bonne nuit et sortit dans

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la nuit, bien décidé à se réfugier dans letravail. Mais, au moment où ils’apprêtait à démarrer, il vit la lumièredu porche s’éteindre et aperçut Maggiequi le regardait depuis le seuil.

Non, cette fois, il serait courageux. Ilbâtirait une relation solide avec sa filleet serait là quand elle aurait besoin delui. Amber ne vivrait pas ce que Maggieavait vécu.

Brady avait promis de passer chezMaggie aujourd’hui, mais la journées’avérait plus chargée que prévu. Leplanning des travaux avait été modifié etil fallait que tous les sous-traitants ensoient informés. Julie avait du mal àsuivre.

Parce que c’était le seul endroit où la

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connexion était correcte, il s’étaitinstallé à l’entrée de la ferme, près de laboîte aux lettres. Les écouteurs dans lesoreilles, il assistait à unevidéoconférence organisée par Peterson.Le soleil tapait sur sa tête et il mit lamain au-dessus de l’écran pour tenter demasquer ses reflets.

— Il faudrait augmenter le budget auminimum de cinq cent mille dollars pouréquilibrer les comptes, disait Peterson.

— Ce ne sera pas nécessaire, rétorquaJulie. Nous avons largement de quoiboucler les comptes. En considéranttoutes les dépenses, il nous resteramême du crédit pour pallier d’éventuelsfuturs changements.

Il entendit le moteur d’un véhicule qui

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s’approchait. La route de campagne étaitprincipalement empruntée par des enginsagricoles et il craignit que le conducteurs’arrête pour lui parler. Mais ce fut lacamionnette de la poste qui apparut auvirage.

— Ta mère ne t’a-t-elle pas appris àmettre un chapeau, Brady ? demandaBetsy Griffin en soulevant sa casquette.Tu vas devenir tout moche si tut’exposes ainsi.

Il coupa la liaison vocale avec laconférence.

— Ne t’inquiète pas pour ma beauté.Betsy rit, puis rangea ses cheveux gris

sous sa casquette.— Dis à ton frère que son chien a

encore fait des siennes. La chienne de la

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ferme a donné naissance à cinq chiotsqui lui ressemblent comme deux gouttesd’eau.

— Je lui dirai, Betsy. Promis.— Merci. Fais attention à toi, ajouta-t-

elle en soulevant sa casquette avant dedémarrer dans un nuage de poussière.

Sam et lui faisaient en sorte de se voirle moins possible, Sam s’arrangeanttoujours pour avoir quitté la maisonavant son réveil.

Il reporta les yeux sur l’écran et remitle son.

— Brady ? dit la voix inquiète deJulie.

— Je suis là.— Avons-nous été coupés ?— Quelqu’un s’est arrêté pour me

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parler. La réunion est-elle finie ?Il désirait abréger. Il était déjà tard et

il était pressé de voir à Amber.— Oui.— Qu’est-ce que j’ai raté ?Julie lui raconta d’une voix

triomphante comment elle avait réussi àmaintenir le budget et à rabattre lecaquet de Peterson.

— Bravo. Si tu as besoin de quoi quece soit, envoie-moi un texto et je terappellerai aussitôt.

— Ne t’inquiète pas. Occupe-toi de tafille. On se voit à ton retour, dit Julie enraccrochant.

Il se leva et s’étira, apercevant au loinla vieille maison de son enfance. Sesfrères et lui avaient beaucoup travaillé

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sur ces terres, aidant leur père à en tirerle meilleur parti. Plusieurs générationsde Ward les avaient exploitées avant euxet maintenant Sam qui avait pris larelève.

Si la peinture de la maison s’écaillait,la grange était en bon état. Contrairementà leur père qui s’était toujours contentéde tout rafistoler avec des vieillesplanches, Sam l’avait entièrementrénovée.

Mais, si Sam s’était toujours épanoui àla ferme, ce n’était pas le cas de Brady.Même à l’époque des jours heureux desa jeunesse, il avait toujours eul’impression que quelque chose luimanquait. Il prit le courrier et remontal’allée.

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Il avait cherché à combler ce vide enpartant à l’étranger, puis en se réfugiantdans le travail et le désir de réussirsocialement, mais n’avait pas trouvé lapièce manquante.

La porte moustiquaire grinça sur sesgonds quand il l’ouvrit. La maison étaitfraîche, les fenêtres ouvertes permettantà l’air de circuler. Il lança le courriersur la table de la cuisine et posa sasacoche sur une chaise, puis son regardfut attiré par une inscription en lettresrouges sur une lettre : « Dernier avisavant poursuites », lut-il avant dedéchirer l’enveloppe. Il s’agissait d’unimpayé d’un montant était assez élevé. Ilen découvrit d’autres parmi le courrier.

Il appela Sam, mais celui-ci ne

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répondit pas. Sans doute était-il dans lagrange ou quelque part sur les terres.

Il sortit de la cuisine et traversa lacour à grands pas. De l’atelier situé àl’arrière de la grange s’échappait unmorceau de hard-rock, le volume régléau maximum. En y pénétrant, il retrouval’odeur familière de graisse etd’essence, ce qui lui rappela son père,penché sur le moteur de leur vieuxtracteur, lui demandant les outils dont ilavait besoin. Il avait environ l’âged’Amber à l’époque et gardait unsouvenir ému de ces rares moments oùson père lui accordait son attention.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?demanda-t-il coupant le son.

Sam surgit de sous le tracteur sur le

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chariot de garagiste de leur père. Il étaiten nage et avait des taches de graisse surle visage. Il jeta à peine un coup d’œilaux factures.

— Occupe-toi de tes affaires.Il retourna sous le tracteur. Brady le

contourna, se baissant pour lui parler.— Je t’ai toujours envoyé de l’argent.

Comment t’es-tu débrouillé pour enarriver là ?

Sam s’essuya la figure avec un vieuxchiffon graisseux, avant de troquer la cléà molette pour un tournevis. Sa salopetteusée jusqu’à la corde avait besoin d’unbon lavage.

— Bon sang, Sam, les factures ne fontque s’accumuler si tu ne les règles pasau fur et à mesure.

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Entre la facture de deux mille dollarset quelques, celles qui étaient dans lecourrier et celles qui avaient déjà dûs’entasser, Sam devait mal d’argent.

— La ferme pourrait se retrouver enfaillite.

— Je sais ce que je fais.— Si tu as besoin d’argent, je…Sam jaillit de sous le tracteur, s’assit

sur le chariot et le regarda avec un aircondescendant.

— L’argent résout tout, peut-être ?— Dans ce cas, répondit-il en

montrant les factures, oui.Sal se leva et laissa tomber le

tournevis dans le tiroir du coffre àoutils, puis referma d’un geste rageur.

— Sais-tu encore travailler, Brady ?

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— Je ne fais que ça.— Oui, assis derrière ton ordinateur,

siffla-t-il en pianotant avec ses doigts.En appuyant sur des boutons.

— J’utilise mon cerveau, pas mesmuscles. Je gagne de l’argent et jecontribue à créer des emplois.

Sam prit une clé à douille dans lecoffre, puis le fusilla du regard. Il nebaissa pas les yeux, bien décidé à ne passe laisser intimider.

— Parce que moi, je n’utilise pas moncerveau ?

Il s’était mis à donner de petits coupsavec la clé à douille dans la paume desa main.

— Ce n’est pas pareil et cela nechange rien au fait que tu aies des dettes

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et que le travail que tu fournis ne tepermette pas de payer tes factures.

— Qu’est-ce que tu en sais ? réponditSam en s’asseyant lourdement sur lechariot. Tu n’y connais rien.

Ce n’était pas faux. Il ne s’était pasintéressé aux finances de la ferme depuishuit ans et il lui était difficile de juger.

— Avant, poursuivit Sam, nous étionsquatre à travailler pendant l’été. Onarrivait à peu près à s’en sortir si lamétéo était bonne et si les coyotes nedécimaient pas le bétail. Maintenant, laferme manque de bras. Quant à l’argentque tu m’as envoyé, ajouta-t-il enbrandissant la clé à douille, il a servi àfinancer une partie des réparations de lagrange.

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— Seulement ?— Et surtout à payer la pension de ta

fille.— Je l’aurais fait moi-même si tu

m’en avais parlé.— Je n’avais pas besoin de ton aide,

continua Sam, ignorant sa remarque.Luke était là pour me donner un coup demain pendant les vacances. Mais, quandil a été pris par ses études de médecine,j’ai dû payer quelqu’un pour travaillersur notre ferme. Excuse-moi si j’ai prisdu retard dans mes paiements. Poursuis-moi en justice, si tu veux.

Sam disparut de nouveau sous letracteur. Brady sentit que le momentn’était guère approprié de lui parlerd’Amber. La priorité pour l’instant était

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de ne pas perdre la ferme de leursparents. Ils en auraient été dévastés.

S’il ne pouvait pas modifier le passé,il avait quelque pouvoir sur l’avenir.

— Laisse-moi jeter un coup d’œil à tacomptabilité, dit-il.

— Pourquoi ? Pour pouvoir mecritiquer ?

— Que crois-tu que j’ai fait depuisque je suis parti ?

— Aucune idée.— J’ai établi des budgets, cherché à

minimiser les coûts et maximiser lesprofits. Même si tu ne veux pas de monargent, je pourrais t’établir unéchéancier qui te permettra de sortir durouge sans perdre la ferme.

— Je ne la perdrai pas.

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Il n’y avait pas une once de peur danssa voix, mais Brady y décela unecertaine tension.

— Tu n’étais pas le seul à avoir desprojets. J’étais étudiant quand maman esttombée malade, mais je suis rentré à lamaison car ma famille avait besoin demoi. A sa mort, je me suis occupé deLuke. Je me suis arrangé pour que tupuisses aller à l’université car c’étaitton rêve. J’ai cru que tu reviendraisaprès tes études. Je me suis trompé.

— Si tu crois que je suis parti le cœurléger…

La culpabilité lui avait collé à la peaupendant des années, mais il n’avait paseu le choix. Il fallait qu’il suive sa voie.

Sam frappa quelque chose avec la clé

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à douille, le bruit se répercutant dansl’immense espace.

— Cette ferme est dans notre familledepuis plus d’un siècle et personne neme la prendra.

— Laisse-moi juste regarder tescomptes, insista Brady.

Sam ressortit, s’essuyant les mains surle chiffon.

— A condition que tu participes auxtravaux de la ferme.

Il sentit la colère l’envahir. Entre lesexigences de Maggie et celles de Sam, ilaurait du mal à suivre son projet àdistance.

— Impossible. J’ai desresponsabilités à assumer.

— Je suis sûr que la personne qui te

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remplace se débrouille très bien sanstoi, rétorqua Sam en se levant pour luiprendre la pile de factures.

Tout comme avec Maggie, discuteravec Sam était vain. Il s’était malcomporté avec eux et le seul moyen dese racheter était de leur accorder un peude temps. Il avait abandonné son frèrequand celui-ci avait le plus besoin delui. Au lieu de choisir d’étudier dans uneuniversité des environs afin de pouvoirl’aider, il était parti le plus loinpossible. Aveuglé par le chagrin, il avaitcoupé les ponts avec tous ceux de sonpassé, excepté Luke parce qu’ill’appelait de temps en temps.

— Très bien, finit-il par concéder.Dis-moi ce que je dois faire.

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- 11 -

— Il ne viendra pas ce soir ? demandaPenny en prenant un bout de carotte dansl’assiette que Maggie venait de posersur la table.

— Il a appelé il y a une heure pourdire que Sam avait besoin de lui,répondit Maggie, évitant de regarder sonamie de crainte de révéler sa déception.

Penny enfourcha une chaise et battitl’air avec ses poings.

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— Tu veux que je frappe ? Je peuxviser exactement là où ça fait mal.

— Ce n’est pas nécessaire. Pourl’instant.

— Qu’est-ce qu’on mange ? demandaAmber en s’asseyant à côté de Penny.

— Du poulet, répondit Maggie en seprécipitant dans la cuisine.

Elle avait envie de hurler mais devraitse contenir jusqu’à ce que Penny soitpartie et Amber endormie.

— Est-ce que Brady vient ce soir ?Encore Amber.Elle força un sourire sur ses lèvres et

retourna dans la salle à manger avec lepoulet.

— Non, ma chérie. Il a du travail.— Ne peut-il pas le faire ici ?

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Amber était très déçue, elle le voyaitbien.

— Non.— Je suis là, moi, dit Penny en la

chatouillant jusqu’à ce qu’elle se mette àrire nerveusement et écarte sa main.

Puis Amber se pencha vers Penny.— Je crois que maman aime bien

Brady, chuchota-t-elle.— Je crois que Brady aussi aime bien

ta maman, répondit Penny en regardantMaggie.

Elle sentit le rouge lui monter auxjoues.

— Ce n’est pas vrai, protesta-t-elle.— On aurait dit qu’ils allaient

s’embrasser hier soir sous le porche,précisa Amber.

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— Mange ton dîner, ordonna-t-elle.Pendant que Maggie faisait tourner les

plats pour que chacune se serve, Pennyne cessa de chercher son regard, maiselle l’évita soigneusement. Elle nedésirait pas lui parler de Brady avant desavoir ce qu’elle éprouvait pour lui.

Amber parlait de son école et Maggiese forçait à participer à la conversation.Depuis hier soir, elle ne pensait qu’àleur baiser. Celui qu’ils avaient échangéà New York avait été moins perturbant,plus facile à oublier. Mais celui-cisemblait l’avoir marquée au fer rouge.

Elle attendait l’arrivée de Bradydepuis son retour du travail. Elledésirait ardemment qu’il finisse ce qu’ilavait commencé, bien qu’elle ait

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prétendu le contraire. Elle se souvenaitencore de ses caresses, de sa peaucontre la sienne, de sa bouche sur seslèvres, dans son cou… Seigneur, commeelle le désirait, que ne donnerait-ellepas pour recommencer.

Ce qui serait une erreur. Une grosseerreur.

— Allô la terre, fit Penny en agitant lamain devant ses yeux. Amber t’a poséune question.

— Excuse-moi, ma chérie, dit-elle enrevenant sur terre. Que m’as-tudemandé ?

— Pourquoi ne sors-tu pas un soiravec Brady ? Penny pourrait me garder,n’est-ce pas Penny ?

Elle scruta Penny. Etait-ce elle qui

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avait suggéré cette idée à sa fille ? Sonamie leva les mains en l’air, luisignifiant en silence qu’elle n’y étaitpour rien.

Elle reporta alors les yeux sur sa filleen soupirant.

— Ce n’est pas si simple.Elle chercha dans sa tête les raisons et

les excuses qu’elle pourrait évoquer,mais n’en trouva aucune.

— Pourquoi, maman ?— Oui, Maggie, pourquoi ? renchérit

Penny.— Parce que…Elle s’interrompit, l’esprit confus. Si

elle répondait qu’elle ne l’aimait pas,alors la question serait : « Pourquoivient-il si souvent ? » Tant qu’il n’aurait

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pas mis les choses au clair avec Amber,elle serait dans l’impossibilité defournir une réponse claire.

— On est tout ouïe, insista Penny quisemblait se divertir.

— Parce que, reprit-elle, il vit à NewYork et que c’est très loin d’ici. Et puis,il n’y a rien entre nous. Nous sommesjuste amis.

Elle prit son assiette et la porta dansla cuisine. C’était la stricte vérité. Bradyn’avait pas l’intention de revenir àTawnee Valley de sitôt. En fait, ilsemblait plutôt pressé de quitter cetendroit.

Elle entendit du bruit derrière elle etse retourna. Amber et Pennyl’observaient depuis la porte.

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— Quoi encore ? demanda-t-ellesèchement.

— Moi, j’aime bien Brady, déclaraAmber.

Cette annonce éveilla sa méfiance etelle hésita sur la réponse.

— Moi aussi, répondit-ellefinalement.

Penny se couvrit la bouche et gloussade rire. Maggie lui lança un regardfurieux, puis attendit que sa fille dise cequ’elle avait à dire.

— Alors vous devriez sortirensemble, conclut-elle se ruant hors dela pièce.

Le bruit des assiettes qu’on empilaitleur parvint depuis la salle à manger.

— C’est toi qui lui as soufflé cette

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idée ? chuchota Maggie.— Non, ce n’était pas la peine. Il

suffit de te regarder pour comprendre ceque tu veux.

Le sourire entendu de Penny la mit enrage, mais elle n’eut pas le temps derépliquer. Amber réapparut avec lavaisselle du dîner et la posa dans l’évieravant de demander :

— Qu’est-ce que tu attends, que monpère revienne ?

Muette de surprise, elle ne sut pasquoi répondre. Elle aurait pourtant pu luidire que, si elle n’avait pas de petit ami,c’était parce que les hommesdisponibles à Tawnee Valley étaient demoins en moins nombreux et que ceuxqui restaient ne l’intéressaient pas.

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— Oui, Maggie. Qu’est-ce que tuattends ? insista Penny.

Elle la regarda de nouveau de travers,puis vint se planter devant Amber et laregarda dans les yeux.

— Pourquoi me poses-tu toutes cesquestions ?

Amber baissa la tête et fronça lessourcils avant d’avouer :

— La mère de Jessica pense que tudevrais te remettre avec Brady.

Maggie ferma les yeux, sous le choc.Encore une fois, elle ne trouva rien àrépondre. Impossible de soutenir qu’iln’y avait jamais rien eu entre eux.Amber ne tarderait pas à découvrir qu’ilétait son père et elle devrait lui direqu’il arrivait parfois que des gens aient

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un enfant ensemble sans s’aimer.— Est-ce que tu aimes Brady,

maman ?Ce fut le coup grâce.— Tu sais quoi, ma puce, intervint

Penny. Si on laissait ta maman un peutranquille ? Allons finir de lire le livreque nous avons commencé l’autre jour.

Elle lui prit la main et l’entraîna dansle salon.

Maggie remercia Penny du regard,puis se laissa glisser par terre et appuyale dos contre la porte de bois duplacard.

La question était cruciale. Aimait-elleBrady ? Elle avait cru l’aimer au lycée,mais pouvait-on avoir des sentimentspour un garçon qui ne vous accordait

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aucune attention ? Pourtant, elle avait étéfollement amoureuse de lui.

Mais maintenant ? Brady n’était plusle même homme, pourtant son charmeopérait toujours. Mais ce n’était pas laseule chose qui l’attirait chez lui. Elleavait apprécié son attitude attentionnéependant qu’ils parcouraient les rues deNew York et se faufilaient dans la fouleà l’aéroport. Et aussi la façon dont ilavait caressé sa joue pour effacer seslarmes quand elle lui avait parlé de sonpère.

Dire qu’elle était amoureuse de Bradyserait au-dessous de la vérité. Sonattitude avec Amber pendant lesmoments qu’il lui consacrait était digned’un père. Et, même s’il avait préféré

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rester chez elle pour travailler, il s’étaitplié à ses exigences sans rechigner.

Penny se glissa dans la cuisine ets’assit à son côté.

— Ça va ? demanda-t-elle.— Plus ou moins.— Tu sais que j’adore te taquiner,

n’est-ce pas ?Elle hocha la tête, puis regarda son

amie.— Qu’est-ce que je vais faire ?— Tout d’abord, tu vas me remercier

pour avoir détourné l’attention de tafille.

— Merci, dit-elle en lui prenant lamain. Merci pour ton aide. Je ne sais pasce que je ferais sans toi.

Penny serra sa main dans les siennes.

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— Les amis sont là pour ça. Quant àBrady…

— Ouais, Brady, dit-elle en soupirant.— Ecoute, Maggie, tout n’est pas si

terrible. Tu as petite fille adorable et ilsemble que Brady sera moins mauvaispère que je le pensais. Il faut juste que tuaies une vue d’ensemble de la situation.

— Et quelle est la situation ?Penny posa les mains sur ses bras et

les serra.— Amber a compris de quoi il

retournait plus vite que prévu.Maintenant, Brady doit lui dire la vérité,ce qui vous obligera à définir lesrapports que vous aurez l’un avec l’autreet votre attitude envers Amber.

— Je lui ai dit que je ne voulais pas

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m’impliquer avec lui à cause d’Amber.— Et pourquoi donc ?— Parce que…, commença-t-elle,

cherchant désespérément des arguments.— Brady n’est pas ton père, coupa

Penny. Il n’abandonnera pas Amber. Sonpire défaut est d’être drogué au travail.Sinon, il gagne bien sa vie et est enbonne forme physique, contrairement àla plupart des hommes de cette ville. Aufond, Brady Ward n’est pas un simauvais choix.

— Mais…— Je ne veux pas t’entendre répéter le

discours que tu m’as servi avant departir à New York. Qu’est-ce qui teretient ?

— J’ai peur qu’il ne veuille de moi

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que parce qu’il aime ma fille, avoua-t-elle d’une voix tremblante.

* * *

Avant de sortir de voiture, Bradyremit son téléphone dans sa poche aprèsl’avoir réglé en mode vibreur pour queJulie puisse le joindre en cas de besoin.Ils avaient travaillé toute la journée avecun sous-traitant qui ne voulait parlerqu’avec Brady, ce qui avait été pénibleaussi bien pour Julie que pour lui. Ilregrettait parfois que Peterson n’ait paspris la relève.

Pendant les moments où il n’avait éténi au téléphone ni devant l’ordinateur,Sam l’avait alimenté en travail agricole.

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Mais, malgré sa fatigue physique etmorale, il avait eu envie de voir Amber.

Un aboiement strident l’accueillitquand il ouvrit la portière arrière.

— Tu es prêt ? dit-il au chiot dans lecarton.

Le petit chien remua la queue et aboyaen réponse. Il attacha la laisse au collierqu’il avait acheté et posa le chiot sur lesol. Barnabus était un gros chien et ilétait évident que celui-ci était destiné àressembler à son père.

Il aurait sans doute dû en parler avecMaggie avant, mais Amber lui avaitconfié qu’elle avait toujours rêvé d’unchien et il avait voulu lui faire cecadeau. Le chiot prit la direction de lamaison et Brady le suivit. Il frappa sur

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le montant de bois de la portemoustiquaire.

— Une minute, cria la voix de Maggie,le troublant aussitôt.

Il s’efforçait de couper court à despensées inappropriées quand Maggieapparut, ruinant ses efforts. Ses cheveuxétaient mouillés et elle portait un jeancoupé en short et un T-shirt émeraudequi faisait ressortir les paillettes vertesde ses iris noisette. Son cerveau cessade fonctionner.

— Salut Brady, dit-elle en souriant. Lebus d’Amber arrive dans dix minutes.

Son sourire s’effaça en voyant laboule de poils blanche.

— Tu as apporté un animal ?— C’est un bébé chien, répondit-il

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distraitement, l’esprit occupé à ladéshabiller du regard en imaginant cequ’ils pourraient faire en dix minutes.

— Il est gros pour un bébé.Le regard de Brady s’attarda encore

un instant sur ses seins, puis se posa surson visage mécontent, et il regretta de nepas lui avoir parlé avant d’apporterl’animal.

— Oui. Le chien de Sam s’est échappéau printemps et ce petit bonhomme en estle résultat.

— Il n’y a rien de petit chez lui,constata-t-elle en le regardant d’un airhorrifié. J’espère qu’il n’est pas pourAmber.

— Si. L’autre jour, elle m’a ditqu’elle avait toujours rêvé d’en avoir

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un… Mais toi, tu n’en veux pas, n’est-cepas ?

— Sais-tu le travail que donne unchien, sans parler d’un chiot ?

Il s’en voulut à mort de l’avoircontrariée.

— Ne puis-je pas dire qu’il est justeen visite ?

— Tu sais parfaitement qu’elle vatomber amoureuse de lui dès qu’elle leverra.

— Je vois qu’il n’a pas le même effetsur toi.

— Qui à ton avis va le nourrir, lelaver, le sortir en pleine nuit dans laneige et lui apprendre à être propre ?

— Comme je te l’ai dit…— Tu m’as apporté un chien ! s’écria

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Amber, provoquant les jappementsexcités du chiot.

Aux anges, la petite fille enleva sonsac à dos et s’agenouilla devant le chiotqui se mit aussitôt à la lécher.

— Tu es un lécheur. Je t’appelleraiFlèche, décréta Amber. Lèche serait tropbizarre.

Brady se racla la gorge pour attirerson attention.

— Il est juste venu en visite, informa-t-il.

Elle s’agrippa à l’animal, son visagereflétant sa déception. Le cœur de Bradyse serra et il faillit lui dire de le garder.Mais Maggie avait dit clairement qu’ellen’en voulait pas.

— Je vais voir si Sam veut bien le

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garder, comme ça, tu pourras rendrevisite à Flèche à la ferme.

C’était des paroles en l’air. Il savaitque son frère n’en voulait pas non plus,mais celui-ci lui devait bien cettefaveur.

— As-tu des devoirs, Amber ?s’enquit Maggie en ouvrant la portemoustiquaire.

Flèche s’engouffra aussitôt dans lamaison et Maggie lui lança un regardmécontent.

— Je vais l’attraper, assura-t-il.Il l’effleura en passant à côté d’elle,

ce qui fit s’accélérer son pouls.Amber sur ses talons, il parvint à

attraper la laisse avant que Flècheatteigne la poubelle.

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— On peut l’emmener se promener ?supplia Amber en regardant sa mère.S’il te plaît, j’en rêve depuis toujours.

— Le chien peut rester pour le dîner,mais il repartira avec Brady. Tu esresponsable de toutes les bêtises qu’ilpourrait faire, ajouta-t-elle à sonadresse.

De toute évidence, il n’était pas leseul à céder aux caprices d’Amber.

— Très bien, approuva-t-il.— On peut y aller, maman ?— Oui, mais tu te mets à tes devoirs

dès que tu rentres. Et Brady doitt’accompagner.

Amber partit en courant vers la sortie,le chiot la suivit et lui sauta dessusquand elle s’arrêta.

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Maggie prit le bras de Brady aumoment où il passait devant elle, puisretira la main comme si elle s’étaitbrûlée. C’était peut-être le cas car cesimple contact avait mis le feu à sa peau.

— Il est trop gros pour qu’elle letienne, dit-elle.

— Tout ira bien, Maggie.Il résista à envie de l’embrasser pour

effacer son inquiétude, prit la laisse etsortit de la maison.

Amber et Flèche se précipitèrent enbas des marches, le chiot essayant demordre le bas de la jupe d’Amber. Elles’esquivait en poussant des cris de joie.Il tira sur la laisse et le chiot revint verslui.

— Si nous marchons côte-à-côte, ce

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chien apprendra les bonnes manières.— D’accord.La chaleur de la journée s’était

apaisée et un petit vent rafraîchissaitl’atmosphère. Le chiot allait d’arbre enarbre en sautant au bout de la laisse.

— Est-ce que tu sors avec quelqu’un ?demanda soudain Amber.

— Non.— As-tu eu beaucoup de petites

amies ?Il n’avait pas l’habitude qu’on lui pose

des questions aussi directes, et le faitque sa fille de sept ans l’interroge ledéstabilisa. Mais il avait envie derépondre car il aimait sa compagnie. Etil voulait être sincère avec elle. Il avaitdéjà un mensonge à son actif, inutile

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d’en rajouter.— Pas mal, répondit-il franchement.— Avais-tu des petites amies à

Londres ? poursuivit-elle en regardant lechiot s’enfouir sous un tas de feuillesmortes.

— J’ai fait quelques rencontres, maisrien de sérieux.

Flèche tenta d’entrer dans le jardind’une maison et il tira sur sa laisse.

— Pourquoi ? Tu n’aimes pas lesfilles ? demanda Amber en s’arrêtant eten inclinant la tête sur le côté.

Il faillit se retrouver à court de mots.— Si, mais je n’avais pas le temps à

cause de mon travail.Elle approuva de la tête comme si elle

comprenait. Etait-ce le cas ? Il n’avait

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aucune idée de ce qu’il y avait dans latête d’une enfant de sept ans.Apparemment, beaucoup plus qu’il nel’avait imaginé.

— Est-ce que New York est unegrande ville ?

— Très. Presque un milliard depersonnes y vivent.

Il sentit son portable vibrer dans sapoche, annonçant l’arrivée d’un texto.

— Comment maman a-t-elle réussi à tetrouver parmi tous ces gens ?

Il enroula la laisse autour de sonpoignet et sortit son téléphone.Maintenant qu’ils avaient ralenti lerythme, Flèche marchait calmement,comme s’il avait toujours été tenu enlaisse.

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— De la même façon qu’on trouven’importe qui. Avec une adresse et unnuméro de téléphone.

Il effleura l’écran, découvrant unmessage de Julie. Urgent.

— Amber, appela-t-il en s’arrêtant.Flèche se mit à sauter autour de lui,

sans comprendre pourquoi on s’arrêtait.— Oui ?Elle s’était accroupie à côté du chiot

et tentait de le calmer.— Tu crois que tu peux t’en occuper

quelques instants le temps que je passeun coup de fil ?

— Tu me laisses tenir Flèche ?Le chiot était en train de se mordiller

la patte. Il n’avait pas tiré sur la laissedepuis un moment et semblait plutôt

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calme. Amber devait pouvoir le tenir. Illui tendit la laisse.

— Enroule-la autour de ton poignet etfais attention de ne pas le lâcher. Sinon,il faudra qu’on lui coure après.

— D’accord, promit-elle ens’exécutant. Viens, Flèche.

Ils partirent tous les deux devantpendant qu’il appelait Julie.

— Je ne peux pas te parler longtemps.Que se passe-t-il ?

— Un des sous-traitants a décidé denous faire payer le double du prix àcause d’un nouveau changement dans leplanning. J’ai essayé de le raisonner,mais il ne veut rien entendre. Il dit quetoi et lui avez passé un marché, racontaJulie, sa voix trahissant son épuisement.

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Brady s’arrêta, mais Amber continua àavancer.

— Dis-lui que c’est toi qui te chargesde tout maintenant et que tu es au courantde tous les marchés que j’ai pu passer.Et que, s’il ne veut pas travailler avectoi, nous en trouverons un autre pour leremplacer.

— Flèche, non !Il se figea en voyant la scène. Amber

avait la laisse enroulée autour de sesjambes. Avant qu’il ait eu le temps deréagir, le chiot tira dessus et elle tombacomme une masse sur le trottoir, le chiotsautant autour d’elle en gémissant. Il seprécipita à son secours, le pouls à milleà l’heure.

Elle pleurait à fendre l’âme pendant

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que Flèche lui léchait l’arrière de latête.

— Je suis là, Amber !Il s’agenouilla sur le sol et enleva la

laisse de ses jambes, puis repoussaFlèche et l’aida à s’asseoir. Son visageétait sale, mais ne semblait pas blessé.Ses pleurs lui déchiraient le cœur. Ilaurait dû l’empêcher de tomber. Commeun père l’aurait fait.

Elle lui tendit ses mains en sang. Elleavait dû s’en servir pour amortir sachute.

— Regarde ! Ça me fait mal !Il baissa les yeux : le genou d’Amber

était sérieusement égratigné.Peu à peu, ses pleurs se transformèrent

en sanglots.

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— Je ne savais pas qu’il allait tirer.Ne le dis pas à maman. Elle accuseraFlèche.

— J’en doute.Il la souleva du sol et la prit dans ses

bras, puis s’empara de la laisse. Non, cen’était pas Flèche que Maggie blâmeraitpour la blessure d’Amber. C’était lui.

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Maggie finissait de couper lespommes de terre en essayant de ravalersa colère. Il préférait son travail àAmber, mais croyait pouvoir se racheteren lui offrant un chiot.

Des pas retentirent sur le sol de lavéranda et la porte moustiquaire claqua.

— Maggie ? appela Brady d’un ton oùperçait l’inquiétude.

— Maman ! cria Amber.

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La voix d’Amber était pleine delarmes. Elle sut immédiatement qu’elles’était fait mal. Elle s’essuya rapidementles mains sur un torchon et se précipitadans l’entrée.

Brady serrait Amber sur sa poitrine, lalaisse dans une main et son maudittéléphone dans l’autre. Elle le fusilla duregard : Amber avait les genoux et lesmains écorchés. Forcément, il avait dûpasser des coups de fil et oublier de lasurveiller ! Pourquoi lui avait-elle faitconfiance ?

— Allons examiner tes bobos dans lasalle de bains, dit-elle en s’efforçant degarder son sang-froid.

Tout d’abord, il fallait qu’elles’assure que sa fille n’avait rien de

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cassé. Elle s’occuperait de Brady après.Tandis qu’elle sortait le désinfectant,

la crème antibactérienne et lespansements de l’armoire à pharmacie,elle ne put s’empêcher de ressentir unmélange d’inquiétude et d’impatience.La salle de bains lui parut soudainminuscule, avec Brady qui tenait Amberdans les bras et le chien qui sautaitpartout.

— Ce n’est pas grave, Maggie. Moiaussi je me suis souvent blessé quandj’étais petit.

On aurait dit qu’il cherchait à serassurer lui-même.

Elle lui tendit des serviettes en papier.— Mouille-les et nettoie la plaie afin

qu’on puisse évaluer les dégâts.

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Il les prit et rejoignit le lavabo.Semblant surpris de trouver le téléphonedans sa main, il le posa sur le bord etouvrit l’eau.

Elle s’accroupit devant Amber, dontles larmes commençaient à sécher maisqui reniflait toujours bruyamment.

— Où as-tu mal ?— A la main et au genou, dit-elle en

jetant un regard à Brady avant dereporter les yeux sur elle. Ce n’est pasla faute de Flèche, maman. C’est moi quin’ai pas fait attention.

Bien sûr, pensa-t-elle ironiquement.— Allons, il faut nettoyer tes bobos.La faute, elle en était sûre, revenait à

ce maudit portable. Mais elle n’en auraitla certitude qu’après avoir interrogé

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Brady.Elle s’écarta quand il revint avec les

mouchoirs mouillés. Il s’agenouilladevant Amber et passa le mouchoir surson genou. Amber tressaillit et se morditla lèvre.

— Quand j’avais six ans, je tenaissouvent compagnie à mon père dans lagrange, dit Brady en s’attaquant à samain. Il y avait un vieux tabouret surlequel j’aimais me tenir debout.

Maggie se leva et prit le téléphone.Brady était tellement absorbé par satâche qu’il ne s’en aperçut pas. Elle vitsur l’écran qu’il était toujours encommunication avec Julie, coupa l’appelet mit l’appareil dans sa poche.

— Une fois, mon père m’a demandé

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de lui passer une clé qui se trouvait surson établi, poursuivit Brady. Je suismonté sur le tabouret puis sur l’établipour la prendre.

Elle lui tendit un morceau de cotonimprégné de désinfectant, et son cœur demère se serra à la vue d’Amber, sipetite, si fragile… si captivée parl’histoire.

— Mais quand j’ai voulu redescendre,un des pieds du tabouret s’est cassé et jeme suis cogné la tête sur le bord del’établi en métal.

— Tu as eu mal ? demanda Amber.— Très, répondit-il en collant

rapidement les pansements. J’ai dû allerà l’hôpital où on m’a fait des piqûres etdes points de suture. J’ai toujours la

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cicatrice.Il toucha un endroit au-dessus de son

sourcil.— On t’a fait des piqûres ? dit Amber

avec un mélange d’horreur etd’admiration dans la voix.

Maggie se mit à l’écart pour regarderla scène. Un père aimant soignait leségratignures de sa fille, tout en laconsolant avec des mots tendres…

Serait-elle folle d’espérer qu’Amberait ce qu’il lui avait tellement manqué, àelle ? L’amour d’un père ?

— Oui, mais toi tu n’en auras pasbesoin. Tu t’es éraflé le genou et lesmains, mais ce n’est pas grave.

Brady tendit un mouchoir en papier àAmber et elle se moucha.

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— Tu m’aideras à faire mes devoirs ?Si on se dépêche, on pourra peut-êtrefinir notre promenade avec Flèche.

— Si ta mère est d’accord, répondit-il, se décidant enfin à la regarder.

Elle se perdit alors dans son regardbleu. Des rides de préoccupations’étaient formées sur son front et autourde ses yeux. Même si son travail l’avaitdistrait, il se souciait sincèrementd’Amber, elle le savait.

— Oui, bien sûr, approuva-t-elle.Et elle vit leurs visages s’éclairer en

même temps.Ils s’aimaient déjà ! Elle ressentit du

soulagement, mais elle savait qu’il seraitde courte durée. Car il ne serait peut-être pas toujours là pour sa fille, ou il

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finirait par se lasser d’elle.Mais il n’était pas comme son père, il

fallait qu’elle s’en souvienne. Seulementvoilà, il vivait à New York et pouvait unjour ou l’autre décider de ne plusrevenir. Elle espérait seulement qu’ilaurait la décence de rester en contactavec sa fille…

Elle avait besoin de recouvrer sesesprits.

— Je vais finir de préparer le dîner,annonça-t-elle.

Elle les entendait discuter avecanimation depuis la cuisine et eut enviede croire qu’ils pouvaient former unefamille. Ce qui était ridicule. Ce n’étaitpas parce qu’il semblait avoir del’affection pour Amber qu’il en avait

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pour elle. Et, même s’il en avait, ilvivait à New York et elle ici. Jamais ilne quitterait cet endroit.

Pour lui, le travail était plus importantque tout. Il était sans doute au téléphonequand Amber était tombée. Elle entenditle rire d’Amber et Brady qui parlait àvoix basse. Amber n’avait rien dit quipuisse accuser Brady. Le protégerait-elle ?

Il restait un peu plus d’une semaineavant qu’il rentre à New York. Aprèsson départ, elles reprendraient leur vied’avant, sauf qu’Amber saurait que sonpère était là-bas. Et s’il invitait Amber àvenir chez lui pendant les vacances ?Serait-elle prête à la laisser partir ?

Si elle désirait maintenir le contact

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avec lui, elle ignorait ce que son arrivéedans leur vie impliquait. Apparaîtrait-ilquand bon lui semblerait ou bien serait-il là pour les fêtes et les anniversaires ?

— Je suis vraiment désolé, Maggie.Elle posa le couteau et se tourna vers

lui. Il s’était arrêté sur le seuil, uneépaule appuyée contre l’encadrement dela porte.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-elled’une voix calme.

— Elle s’est pris les pieds dans lalaisse, répondit-il en baissantpiteusement la tête.

Il ressemblait à un petit garçonavouant une bêtise et essayant d’en direle moins possible. Il alla même jusqu’àla gratifier du petit sourire penaud qui

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l’avait fait fondre au lycée.Malheureusement pour lui, ce temps-làétait révolu.

— Et ?Il soupira.— J’ai laissé Amber tenir le chien.— Seule ?— Flèche se comportait très bien, dit-

il, visiblement mal à l’aise.— Tu la laisses tenir un animal qui est

aussi lourd qu’elle ? Que se serait-ilpassé s’il avait traversé la rue ?

— Il ne l’a pas fait, répondit-il,légèrement sur la défensive.

Elle s’approcha et enfonça l’indexdans son torse.

— Et toi, où étais-tu ? Si tu avais eules mains libres, tu aurais pu la rattraper

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avant qu’elle tombe.— J’avais un coup de fil important à

passer, dit-il en s’écartant de la porte.Du temps du lycée, elle aurait reculé.

Maintenant, elle ne se sentait pas lemoins du monde intimidée.

La peur qu’elle avait ressentie envoyant Amber blessée se mêla à sacolère contre Brady pour avoir apportéle chien.

— Plus important que surveiller tafille ? Tu crois que tes excuses effacenttout ? Nous en avons parlé. Tu n’étaispas censé travailler quand tu étais avecAmber. Est-ce que ton cerveau n’a pasbien enregistré l’information ?

Les yeux de Brady lancèrent deséclairs.

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— Ce que je vois, c’est que je doistout sacrifier à cause de la stupideattitude de mon frère. Pour moi,travailler n’est pas seulement unemanière de gagner de l’argent. C’est mavie. C’est tout ce que j’ai.

— Plus maintenant, répliqua-t-elle enenfonçant le doigt dans son torse àchaque syllabe.

— Tu crois que je ne le sais pas ? Jene dors plus la nuit à force de chercherune solution qui soit acceptable pourtout le monde. Je ne suis pas Superman,tu sais.

— Personne ne t’oblige à l’être. Jesuis allée à New York pour te dire quetu avais une fille, mais je ne t’ai pasobligé à venir. C’est toi qui t’es porté

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volontaire. Toi qui as voulu la connaître.Il saisit sa main au vol avant qu’elle

enfonce de nouveau son doigt.— Non, tu ne m’y as pas obligé, mais

tu m’as dit que c’était maintenant oujamais. Espérais-tu que je ne viennejamais ?

— Euh, non, évidemment.— Ne t’es-tu pas sentie un seul instant

menacée par le fait qu’Amber soit autantà moi qu’à toi ?

Il avait parlé d’un ton doux, mais sesmots la touchèrent en plein cœur.

Il l’attira vers lui. La tension quis’était installée entre eux étaitperceptible. Qu’était-elle censéerépondre ? Oui, elle s’était habituée àavoir Amber entièrement pour elle. Mais

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pouvait-elle lui interdire d’avoir un pèrepour la seule raison qu’elle ne voulaitpas que les choses changent, parce quec’était beaucoup plus confortable que lasituation présente, avec Brady si prèsd’elle.

Elle aurait dû céder, mais l’enjeu étaittrop important.

— Pourquoi ne vas-tu pas la voirmaintenant ? Dis-lui la vérité une bonnefois pour toutes. Cesse de te comportercomme un lâche.

— Alors dis-moi comment je doisprocéder. J’y vais et je lui dis tout oubien j’utilise la même méthode que toi etj’attends le bon moment pour frapper ?

— Je ne savais pas que tu n’étais pasau courant. Sam…

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— M’envoyer une lettre n’était pas leseul moyen de me joindre et tu le saistrès bien. Tu n’as pas fait beaucoupd’efforts, reprocha-t-il, avec des yeuxaccusateurs.

Elle redressa la tête, refusant de luilivrer ses pensées, de le laisser remettreen question les décisions qu’elle avaitprises si longtemps auparavant. Plus letemps passait, plus il devenait difficilepour elle d’admettre qu’elle avait peut-être eu tort de faire confiance à Sam.

— Reconnais-le, Maggie. Tu avaispeur que je veuille me rapprocherd’Amber, que j’assume mon rôle depère.

Elle trouva miraculeusement au fondd’elle la force de s’écarter pour

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reprendre son souffle.— Pourquoi aurais-je eu peur ?— Peu importe. Je suis le père

d’Amber et le serai pour toujours.— Tu es mon père ? dit la voix

stupéfaite d’Amber.Maggie sentit son sang se glacer dans

ses veines.Ils se tournèrent vers elle. Ses yeux

révélaient son désarroi. Puis elle pivotasur elle-même et se précipita dehors.

* * *

Brady lâcha un juron. Ce n’était pasainsi qu’il aurait souhaité que les chosesse passent. Maggie s’était déjà ruéedehors et il la rattrapa devant la porte

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d’entrée.— Laisse, j’y vais, dit-il.— Tu ne sais même pas où la

chercher.Flèche sautait autour d’eux avec

excitation, content d’aller se promener.Il prit la laisse et la lui mit.

— Alors, allons-y ensemble. Oùpourrait-elle être ?

Il ouvrit la porte et la laissa passerdevant.

— Je l’ai vue aller tout droit, puisdisparaître derrière les buissons. Danscette direction, il y a le parc, le terrainde jeu de l’école, la maison de Mary, sameilleure amie, et celle de Penny. Ellepourrait être n’importe où.

Il perçut l’inquiétude dans sa voix et

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lui prit la main.— Nous la trouverons, assura-t-il.Il vit sa poitrine se soulever et

s’abaisser tandis qu’elle inspiraitprofondément, mais elle ne lâcha pas samain.

Juste au moment où ils allaients’élancer dans la rue, le téléphonesonna. Amber venait d’arriver chezPenny. Il fut envahi pas un soulagementimmense et remercia le ciel que TawneeValley soit une petite ville.

Penny leur ouvrit la porte et leur fitsigne d’entrer.

— Elle est dans le salon.Elle prit la laisse de Flèche et

l’emmena dans une autre pièce. Bradysuivit Maggie dans le salon. Des photos

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encadrées étaient suspendues sur lesmurs peints en jaune. Certaines dataientdu lycée, d’autres représentaient Amberquand elle était bébé et d’autres encoreétaient récentes. Amber était assise surle canapé bleu, une tasse de lait dans lesmains et une assiette de cookies devantelle.

— Amber, qui t’a permis de partircomme ça ?

Voyant que Maggie était résolue à lagronder, il lui prit la main. Elle setourna pour le regarder. Dans ses yeuxnoisette, le soulagement d’avoir retrouvésa fille se mêlait à la peur de l’avoirperdue.

— Je m’en occupe.Il serra sa main, puis s’installa dans le

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fauteuil à fleurs qui faisait face aucanapé.

Amber ne les avait pas regardés. Ellecontinuait à boire son lait et à mangerses cookies comme s’ils n’étaient pas là.

Il chercha désespérément dans sa têtedes mots appropriés.

— Nous regrettons que tu l’aies apprisainsi, commença-t-il.

Maggie vint se placer derrière lui, luiapportant le soutien dont il avait besoinpour continuer.

— J’aurais dû laisser ta mère te ledire dès le début, mais j’avais peur.

Il attendit longtemps un signe prouvantqu’elle l’avait entendu. Finalement, elleposa le cookie dans l’assiette et leva sesyeux bleus sur lui.

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— De quoi avais-tu peur ?— De tout.— C’est bête, dit-elle en prenant une

serviette pour s’essuyer la bouche.Comment peux-tu avoir peur de tout ?

— Ce n’est pas aussi simple. Je nesavais pas que tu existais avant que tamère me vienne me voir à New York.J’étais très content de te rencontrer, maisje pensais que tu ne m’aimerais pas.

— Pourquoi est-ce que je net’aimerais pas ?

Sa logique le déconcerta.— Je ne sais pas.— Tu es mon père ? demanda-t-elle,

son visage sans expression.Maggie posa une main sur son épaule

et la serra. Ce geste le réconforta et lui

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donna la force de continuer.— Oui.Il y eut un autre silence, pendant lequel

Amber sembla digérer la nouvelle.— Tu es marié avec maman ?— Non.Le terrain devenait glissant, être franc

lui avait toujours réussi. Sa seuleinquiétude était qu’Amber soit assezmûre pour comprendre ce qui s’étaitpassé entre Maggie et lui dans leurjeunesse.

Amber s’assit au fond du canapé etreplia les jambes sous elle.

— Mais alors vous êtes sortisensemble. Maman, ne m’avais-tu pas ditque tu n’étais pas avec Brady ?

Les doigts de Maggie se resserrèrent

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sur son épaule.— On s’est connus au lycée. On était

des amis.Des amis ? Ils adressaient à peine la

parole. Tout ce qu’il y avait eu entre euxavait été cette nuit passionnée dontAmber avait été le résultat.

— Je suis désolée de ne pas te l’avoirdit tout de suite. J’ai eu tort. Peux-tu mele pardonner ?

Il se pencha en avant, la main deMaggie glissant de son épaule, et laregarda au fond des yeux.

Le regard d’Amber alla de lui àMaggie, avant de revenir sur lui.

— Tu vas rentrer à New York ?— Oui, dans une semaine.Il attendait sa décision avec une

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angoisse grandissante.— Tu reviendras ?— Si tu en as envie.Elle revint se placer au bord du siège.— Est-ce que j’irai te voir à New

York ?— Bien sûr, assura-t-il, sentant la

tension se relâcher.— Maman pourra venir aussi ?

s’enquit-elle en regardant sa mère pourla première fois.

— Nous n’avons pas encore abordé cesujet, intervint Maggie.

En effet. Et il était sans doute temps des’y mettre. Mais pas ce soir.

— Puis-je garder Flèche ? demandaensuite Amber.

Petite maline ! Il eut un sourire qu’il

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réprima aussitôt. Il fallait faire preuvede sérieux pendant des négociations.

— Est-ce la seule façon de me fairepardonner ?

— Tu connais les règles, Amber,intervint Maggie.

Il n’avait pas l’habitude de l’entendres’exprimer comme une mère et futstupéfait de voir à quel point elle avaitchangé au cours de ces années.

Amber plissa le front et fit la moue.— Pas d’animaux tant que j’aurais du

désordre dans ma chambre et que je neserais pas sage, énonça-t-elle d’un airmaussade.

— Je suis désolé, dit-il, impatientd’obtenir son pardon.

— Dois-je t’appeler Brady ou père ou

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papa ?Elle l’étudia en soulevant un sourcil,

imitant sa mère à la perfection.— Appelle-moi comme tu veux.Son cœur battait si fort qu’il craignit

qu’il explose dans sa poitrine. Flècheaboya quelque part dans la maison.

— Papa. Père. Brady, prononça-t-elleavant de se lever.

Elle contourna la table basse et vint semettre devant lui. Ils étaient maintenantface à face, yeux dans les yeux. Il retintson souffle.

— Je te pardonne et je t’aime bien,papa, déclara-t-elle en nouant les brasautour de son cou.

Il l’enlaça à son tour. En cet instant, ilétait l’homme le plus heureux du monde.

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- 13 -

Brady sortit dans la nuit après avoiraidé Maggie à mettre Amber au lit. Il sesentait harassé. Par chance, Penny avaitaccepté de garder Flèche.

Il avait besoin de réfléchir à sonavenir avec Amber. La verrait-il deuxsemaines par an pendant l’été, devrait-ils’organiser pour l’accueillir pendantl’année scolaire ou bien encore serait-celui qui irait à Tawnee Valley pendant les

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vacances ?Et puis, il avait Maggie.Après s’être installé dans la voiture, il

contempla la maison de Maggie.Combien de fois n’était-il pas passédevant dans sa jeunesse sans y prêterattention. Maintenant, elle abritait l’êtrequi lui était le plus cher au monde : safille.

Sa carrière était toujours passée enpremier, mais il pouvait faire un peu deplace pour Amber dans sa vie.

Par association d’idées, il chercha sontéléphone dans sa poche, mais ne letrouva pas. Il parlait avec Julie aumoment où Amber était tombée. Bonsang, Julie ! Il l’avait complètementoubliée.

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Où avait-il laissé son portable ? Sansdoute chez Maggie. Il sortit du véhiculeet rebroussa chemin. Arrivé devant laporte d’entrée, il frappa, puis jeta uncoup d’œil par la fenêtre. Il vit Maggietraverser la cuisine. Elle ne l’avaitprobablement pas entendu frapper.

La porte s’ouvrit quand il tourna lapoignée. Il pénétra à l’intérieur et appelaà voix basse. Il ne voulait surtout pasréveiller Amber. Elle avait mis un tempsfou à s’endormir et il avait dû promettreà plusieurs reprises qu’il reviendraitdemain pour qu’elle y consente. Quandil était parti, Maggie était aussi épuiséeque lui.

En arrivant dans la cuisine, il la trouvaassise à la table, la tête dans les mains.

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Son visage était caché sous ses cheveux,ses yeux étaient fermés et elle se massaitles tempes du bout des doigts. Son poulss’accéléra et sa fatigue disparut.

Cette femme était la mère de sonenfant, une petite fille aussi intelligenteque jolie qu’elle avait été obligéed’élever seule à cause de Sam. Il auraitdû être là. Amber aurait dû savoirpendant toutes ces années qu’elle avaitun père.

Il l’appela doucement. Elle seredressa brusquement et le fixa des yeux.

— Brady ? Je croyais que tu étaisparti.

Elle prit un chiffon sur l’évier et semit à essuyer le plan de travail.

— Je crois que j’ai oublié mon

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portable ici.Elle détourna aussitôt les yeux. Peut-

être était-elle toujours en colère contrelui à cause de la chute d’Amber. Il larejoignit et lui prit la main. Elle sedégagea d’un geste brusque.

— Je pense vraiment ce que je t’ai dittout à l’heure. Je sais que tu es furieusecontre moi, mais je me sens un peuperdu.

Quand finalement elle se décida à leregarder, il devina de la méfiance dansses yeux. Aurait-elle peur de lui ?

Elle s’éclaircit la gorge.— Il est tard, Brady, dit-elle

froidement, lui cachant de nouveau sessentiments.

— Tu sais que je ne ferais jamais

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intentionnellement du mal à Amber.— Bien sûr.Il décela un certain scepticisme

derrière son approbation. Elle traversala cuisine et s’empara du balai. Il larejoignit rapidement.

— Je ferais n’importe quoi pour luiéviter de traverser les mêmes épreuvesque toi à son âge.

Elle serra les lèvres, visiblementdécidée à rester sur ses positions. Ilavait envie de l’embrasser, mais n’en fitrien, hésitant entre s’approcher ou battreen retraite. Les émotions de cesdernières heures l’avaient perturbé aupoint qu’il se sentait perdu. Il avait beausavoir qu’elle voulait qu’ils soient amis,il ne pouvait pas s’empêcher de la

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désirer.Il était resté sur sa faim. Il voulait

l’embrasser et la caresser jusqu’à cequ’elle perde sa froideur et se liquéfiede plaisir dans ses bras.

Il fit un pas en avant et passa le poucesur sa joue. Elle entrouvrit les lèvres. Ilne lui restait plus qu’à l’embrasser. Ilsentait qu’elle en avait envie.

Un portable se mit à vibrer, traversantle brouillard de ses pensées. Maggiesursauta comme si une guêpe l’avaitpiquée. Le balai tomba bruyamment surle sol et elle se cogna la tête contre sonmenton.

Ses yeux explorèrent la pièce à larecherche d’un téléphone. Maggie avaitbaissé la tête en rougissant.

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— C’est ton portable ? demanda-t-il.Elle secoua la tête et le défia du

regard. Sa rougeur s’intensifia, mais ellene baissa pas les yeux.

— Est-ce que c’est le mien ?— Oui.Il attendit qu’elle s’explique ou le lui

rende, mais elle continua à le fixer ensilence.

— Peux-tu me le donner ?— Je te le rendrai quand tu seras

capable de séparer ta vieprofessionnelle de ta vie familiale.

— Je n’ai pas de vie familiale.— Maintenant tu en as une.Elle s’écarta de lui pour traverser la

cuisine, l’effleurant au passage. Ilaperçut la forme de son téléphone dans

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sa poche arrière, admirant au passage legalbe de ses hanches.

Elle pivota brusquement sur elle-même.

— Que faudra-t-il qu’il arrive pourque tu comprennes que le travail n’estpas le seul but dans la vie ? Amberdevra-t-elle se faire renverser par unevoiture parce que tu étais au téléphone ?Et que se passera-t-il quand elle viendrate voir à New York, qui restera avecelle pendant que tu seras à ton travail ?Pourquoi te rendrait-elle visite si tu n’esjamais là ?

— Très bien, je te promets d’arrêterde tout mélanger.

Elle sortit le téléphone de sa poche etle lui tendit.

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— Comment puis-je te croire si tu asdéjà manqué à ta promesse une fois ?

Il prit l’appareil, mais garda sa maindans la sienne.

— Demain, je laisserai mon portable àla ferme. N’as-tu jamais commisd’erreurs, Maggie ?

— Si, bien sûr. Mais j’en ai tiré desleçons.

Elle fixa des yeux sa mainemprisonnée dans la sienne. Il la lâchaet fourra le téléphone dans sa poche.

— Je vois. J’ai été une erreur.Elle serra les lèvres, comme si elle

retenait ses paroles. Il avait réussi àdécevoir tout le monde. Surtout Amber.

— A demain, Maggie, dit-il en serapprochant de nouveau. Tu m’as promis

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de me laisser faire quelques erreurs. Ehbien, en voilà une. Je ne suis pas parfaitet je ne l’ai jamais été, quelle que soitl’image que les habitants de cette villeont de moi.

Elle ne répondit pas, mais ne retirapas non plus sa main.

L’attirance ne faiblissait pas, ni ledésir de l’embrasser et de lui fairel’amour. Etait-ce uniquement physiqueou bien y avait-il autre chose ?Reportant ces réflexions à plus tard, ilpassa les doigts sur sa joue.

— Je viendrai demain. Promis.

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- 14 -

— Je cherche un BlackBerry, annonçaBrady en étudiant les appareils enexposition dans la petite boutiqued’Owen.

Pourquoi n’avait-il pas laissé sontéléphone chez Maggie hier soir ? Cematin, il était tombé de sa poche et avaitété écrasé sous le sabot d’une vache.

— Nous pouvons vous commandertout ce que vous voulez, assura l’homme

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aux cheveux blancs derrière le comptoir.— Le problème, c’est que j’en ai

besoin maintenant.— J’ai quelques modèles dans la

réserve…Le vendeur s’interrompit, comme

perdu dans ses pensées, ou peut-être entrain de s’endormir.

Brady attendit en vain qu’il termine saphrase.

— Pouvez-vous regarder si vous avezun BlackBerry ?

— O.K, répondit l’homme en se levantavec lenteur. Je vais voir ce que j’ai enstock.

Il se dirigea vers la réserve sans sepresser, le laissant seul dans le magasin.Brady jeta un coup d’œil à la pièce. Les

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étagères étaient pleines de toutes sortesd’appareils électroniques. Ceux quin’avaient pas trouvé leur place étaientposés sur le sol sur les côtés.

La sonnette de la porte retentit etquelqu’un entra.

— Harry, tu es là ? demanda une voixmasculine.

Un homme brun d’environ son âgeavec un gros carton dans les bras. Il seprécipita vers lui pour l’aider quand lecarton lui échappa des mains.

— Merci, dit-il.— Qu’est-ce qu’il y a à l’intérieur ?

demanda Brady après l’avoir aidé à leposer sur le comptoir.

— Des pièces détachées inutilisablesque j’ai récupérées chez un réparateur

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d’appareils électroniques.Brady avait l’impression de le

connaître, mais il ne savait plus où ill’avait vu. Il lui tendit la main.

— Josh Michaels, dit l’hommel en luitendant la main. Tu es Brady, le frère deLuke, si je ne me trompe.

— Oui. Je suis de passage dans lecoin. Tu étais dans la même classe queLuke, n’est-ce pas ?

Josh hocha la tête en parcourant leslieux du regard. Sans doute cherchait-ilHarry.

— Le vendeur est dans la réserve,informa Brady. Il devrait revenir dans uninstant.

Du moins l’espérait-il. Sam l’attendaitet Maggie aussi.

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— Il a des cheveux blancs etressemble à Rip Van Winkle ?

— En effet.— Alors c’est Harry. Tu risques

d’attendre longtemps avant qu’il trouvece que tu cherches. Depuis combien detemps n’étais-tu pas venu dans le coin ?

— Des années. La région a beaucoupchangé.

— C’est vrai. Les choses ontcommencé à se dégrader quand l’usine afermé. Beaucoup d’entre nous ont dûpartir pour trouver du travail. Les autrestentent de se débrouiller comme ilspeuvent, ajouta-t-il en montrant lecarton. Malheureusement, la plupart desgens choisissent de racheter au lieu deréparer de nos jours.

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— Je suis surpris que l’usine aitfermé.

Il n’avait pas suivi les nouvelleslocales mais, avec la réduction desmarges dans la plupart des entreprises,le dégraissage était souvent la seulesolution.

— Par la suite, le taux d’activité a étépratiquement ramené à zéro. Lesfinances des habitants se sont réduites aupoint que plus personne ne dépensaitrien. Jusqu’à ce vieux Harry qui amenacé de fermer boutique. Mais je l’aiconvaincu de vendre des portables, cequi a un peu relancé ses affaires.

— Bonne idée.— Une de mes meilleures, répondit

Josh avec un sourire. Si seulement,

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ajouta-t-il en reprenant son sérieux, jepouvais faire bouger les choses danscette ville. J’aimerais aider tous cesgens à se relever, leur donner desraisons d’être de nouveau fiers d’eux.

Ils pouvaient entendre Harry quiremuait des objets dans la réserve.Brady le soupçonna d’avoir oublié sonexistence.

— Si tu veux me parler de quelques-unes de tes idées, ne te gêne pas. J’ai dutemps à tuer.

Quatre heures plus tard, tandis qu’il serendait chez Maggie, il se sentaitsurexcité. Harry s’était débrouillé pourqu’il ait son nouveau téléphone demainmatin, mais ce n’était pas ce qui l’avaitmis dans cet état. Josh lui avait permis

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de découvrir des perspectives d’avenirprometteuses à Tawnee Valley et la villevoisine, Owen. Il avait en effetbeaucoup d’idées et si certaines étaientdouteuses, d’autres étaient intéressantes.Il ne lui manquait qu’un appui financier.

Elaborer de nouveaux projets était sonpoint fort et Brady avait déjà commencéà imaginer la façon dont il s’y prendraitpour convaincre Kyle de soutenir celui-ci. Il pourrait ainsi insuffler un peud’activité dans la région tout en faisantgagner beaucoup d’argent à sonentreprise.

Il sautillait presque en se dirigeantvers la maison de Maggie. Il se sentaitinvincible, capable d’affronter tout ceque le sort lui préparait. Il avait envie

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de soulever Maggie dans ses bras et des’abandonner à sa joie.

Il appuya sur la sonnette, maispersonne ne vint répondre. Etrange. Lebus scolaire devait arriver d’un instant àl’autre et Maggie n’était pas du genre àêtre en retard.

Il sonna de nouveau et attendit. Lafierté qu’il avait éprouvée pour son sensdes affaires se transformait peu à peu enappréhension. Peut-être était-il arrivéquelque chose à Maggie ou encore àAmber. Il n’avait pas de clé et nepouvait même pas entrer dans la maisonpour s’assurer que tout allait bien.

Après avoir jeté un coup d’œil par lafenêtre, il contourna le bâtiment etconstata que la voiture de Maggie était

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garée dans l’allée. Il sentit la tension luinouer les muscles de la nuque.

Quand tout semblait aller bien dans savie, il lui arrivait toujours quelquechose. L’enterrement de sa mère avait eulieu deux jours avant qu’il entre àl’université, son père était mort justeavant ses seize ans et il avait misMaggie enceinte peu de temps avant departir pour l’Angleterre. Avec lui, lesbons moments avaient toujours un côtétragique.

Il avait déjà subi de nombreusespertes et ne pouvait pas les perdre ellesaussi. Il frappa à la porte du fond.

— J’arrive !Il soupira de soulagement en entendant

la voix de Maggie. Puis la porte s’ouvrit

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et elle apparut dans l’encadrement. Elleportait un pantalon de pyjama jaune, unT-shirt trop large et une robe dechambre posée sur les épaules. Sescheveux emmêlés étaient maladroitementattachés derrière sa tête par une barretteet ses yeux étaient cernés.

— Salut Brady, dit-elle d’une voixdénuée d’émotion.

Elle ressemblait à quelqu’un quin’avait pas dormi depuis plusieurs jours.Elle lui jeta un bref regard, puis sedirigea en traînant les pieds vers leplacard. Il pénétra dans la cuisine etreferma la porte derrière lui.

— Qu’est-ce qui se passe ? Ça va,Maggie ?

— Oh ! très bien, répondit-elle en

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bâillant, une tasse de café à la main. Lesmamans peuvent survivre sans dormir.

— Où est Amber ?— Devant la télévision.— Elle n’est pas allée à l’école

aujourd’hui ? Est-elle malade ?demanda-t-il, pris de panique.

— Ce n’est rien. Une petiteindisposition. Normalement, d’icidemain matin ce sera fini.

— Maman ! cria Amber depuis lesalon.

Toute fatigue envolée, Maggie seprécipita pour la rejoindre. Il la suivitsans comprendre. Elles étaient toutes lesdeux en bonne santé quand il les avaitquittées hier soir.

— Je suis là, ma chérie.

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En passant devant lui, elle le regardad’un air surpris, comme si elle avaitoublié qu’il était là.

— Rentre chez toi, Brady. Tu ne veuxpas tomber malade, si ?

Amber tenta de lui sourire. Son visagepâle luisait de sueur. Maggie l’entraînadans la salle de bains et ferma la porte.

Il resta quelques instants planté là, sedemandant ce qu’il devait faire. Maggielui avait conseillé de partir, mais ellessemblaient toutes les deux mal en pointet il ne pouvait pas les laisser seulesdans cet état.

Il posa sa veste sur une chaise etretourna dans la cuisine. Il lavarapidement la vaisselle qui était dansl’évier et mit de l’eau à bouillir. Il

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entendit la porte de la salle de bainss’ouvrir et Maggie murmurer à Amberles paroles de réconfort que seule unemère savait dire à son enfant malade.

A dix-sept ans, il avait lui aussi tentéde réconforter sa mère. Mais la situationétait différente. Les enfants souffraientsouvent de ces petites indispositions etelle se remettrait rapidement.

— Tu es encore là ? dit Maggie enarrivant dan la cuisine.

Elle s’assit lourdement sur une chaiseet posa la tête sur ses bras croisés.

— J’ai préféré rester, répondit-il enessuyant la dernière assiette. Où estAmber ?

— Elle s’est endormie sur le canapé.Tu devrais vraiment…

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Un nouveau bâillement l’obligea às’interrompre.

— Non, je reste. De quoi as-tubesoin ?

— De sommeil, répondit-elle enfermant les yeux.

Il s’approcha et la souleva dans sesbras. Elle ouvrit des yeux surpris, puisles referma aussitôt et s’accrocha à soncou pendant qu’il portait dans l’escalier.

Elle se pelotonna contre lui quand ils’arrêta un instant par la porte ouvertede la chambre d’Amber. Des murscouleur lilas, un lit à une place recouvertd’un couvre-lit à fleurs dans les tonsviolets, une bibliothèque pleine delivres pour enfants. Des peintures allantde simples traits de couleur à des

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représentations d’animaux et de maisonsétaient punaisées sur les murs.

Des milliers de questions sebousculaient dans sa tête. Des chosesauxquelles il n’avait jamais penséauparavant. Quel était le premier motqu’Amber avait prononcé ? A quel âgeavait-elle marché ? Quel métier voulait-elle faire plus tard ? Est-ce que Samavait passé du temps avec elle ? Qui laconsolerait quand elle aurait sa premièrepeine de cœur et qui s’assurerait que lesgarçons qu’elle fréquentait laméritaient ?

— Tu peux me mettre par terre.Il desserra son étreinte, mais la garda

dans ses bras. Ses yeux noisette étaient àmoitié fermés. Qui serait là pour elle ?

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— Tu es épuisée.— Pas du tout, répondit-elle en

bâillant.Il la porta jusqu’à la prochaine porte

et l’ouvrit. Un léger parfum floral luiparvint aux narines. Une odeur qui luirappellerait toujours Maggie, mêmequand il serait vieux. Une odeur qui luititillait les sens. Dommage qu’elle soitfatiguée et que leur fille soit malade.

Un grand lit à deux places recouvertd’un dessus-de-lit multicolore occupaitpresque tout l’espace de la petite piècepeinte en bleu ciel. Tout étaitimpeccablement rangé et les couleursharmonieusement réparties. Parfait.Comme Maggie.

Il la mit délicatement au lit et s’assit à

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côté d’elle. Les yeux fermés, elles’éloigna de lui et se pelotonna sous lesdraps. Le froid remplaça la chaleur àl’endroit où elle avait été.

— Dors, Maggie. Laisse-moi teremplacer pendant quelques heures.

Elle grommela dans son sommeil. Ilposa un baiser sur sa tempe et retournaau rez-de-chaussée.

Amber était allongée sur le canapé, unvieux cochon en peluche serré dans sesbras.

— Comment va ma maman ? demanda-t-elle.

— Elle est seulement très fatiguée.Il s’assit au bord du canapé et elle

replia les jambes pour lui laisser laplace.

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— Je suis contente de ne pas avoir étéà l’école quand j’ai vomi, dit-elle enposant les pieds sur ses genoux.

— Au moins, personne n’a eu besoinde courir pour ne pas être éclaboussé,fit-il remarquer.

Un petit sourire apparut sur ses lèvres.— Tu veux regarder un film avec

moi ?— Avec plaisir.Il était tellement content de s’occuper

d’Amber pendant que Maggie sereposait. Son travail le préoccupait unpeu, mais il évita d’y penser. Amberavait besoin de lui et, c’était ce quicomptait le plus.

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- 15 -

Maggie s’étira dans son lit avantd’ouvrir les yeux, surprise de découvrirque la pièce était plongée dansl’obscurité. Se levant d’un bond, elle seprécipita dans la chambre d’Amber. Sonlit était vide et le réveil indiquait22 heures.

Prise de panique, elle descenditl’escalier quatre à quatre. Remarquant àpeine la vaisselle qui séchait dans

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l’égouttoir, elle traversa la cuisine ets’arrêta sur le seuil du salon.

Brady dormait à poings fermés sur lecanapé. Dans le même état, Amber étaitétendue à côté de lui, la tête sur sontorse.

Elle s’appuya contre l’encadrement dela porte, s’efforçant de maîtriser lesbattements de son cœur. Le son dutéléviseur était à peine audible et l’écranaffichait le menu principal de Raiponce,le DVD préféré d’Amber.

Il n’y avait ni ordinateur ni téléphoneen vue. Elle ne le reconnaissait plus. Ilavait regardé un film pour enfants avecAmber sans appeler ni envoyer demessages. Plus incroyable encore, ilavait dû la porter jusqu’à sa chambre et

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la mettre au lit. Elle eut soudain hontequ’il l’ait vue sans maquillage et avecles cheveux en désordre.

Lui avait-il réellement donné un petitbaiser sur la tempe ou bien avait-ellerêvé ? Dieu sait qu’elle rêvait souventde lui, mais ce n’était pas sur la tempequ’il l’embrassait.

Un léger bruit la tira de sa rêverie.Amber avait bougé dans son sommeil.Les ronflements de Brady cessèrentl’espace d’un instant, puis reprirent deplus belle. La scène était si étonnantequ’elle méritait d’être gravée. Elle alladonc chercher son appareil et prit unephoto. Puis se rendit dans la cuisine,mangea un morceau et retourna au lit.

Le lendemain matin, au petit déjeuner,

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Maggie se sentait un peu mieux.— Brady propose qu’on aille se

promener dans le parc et aussi qu’onpasse chez Penny pour dire bonjour àFlèche, dit Amber en trépidant sur sachaise.

Maggie lui ordonna de manger sespancakes, évitant de regarder Bradyquand elle fit glisser une tournée decrêpes dans son assiette. Tout à l’heure,pendant qu’elle préparait la pâte, il avaitfait rire Amber en lui racontant l’histoirede son portable et de la vache. Amberavait retrouvé son appétit.

— Comment te sens-tu ? demanda-t-ilavec un mélange de tendresse etd’inquiétude dans la voix.

— Encore un peu faible, mais ça va.

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— Si tu veux te reposer, on peut allerse promener sans toi, même si onadorerait que tu te joignes à nous.

Elle devina son sourire sans avoirbesoin de le regarder. Par quel miracleparvenait-il à passer la nuit sur uncanapé et être toujours aussi beau à sonréveil ? La voix d’Amber l’arracha à sarêverie.

— Qu’en penses-tu, maman ?— De quoi, ma chérie ?— De venir avec nous, voyons.— Oui, Maggie, viens avec nous, s’il

te plaît, dit Brady en l’imitant.Leurs yeux bleus étaient braqués sur

elle, ceux d’Amber suppliants, ceux deBrady amusés, comme s’il avait devinéla nature de ses pensées.

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— O.K. Est-ce qu’on emporte unpique-nique ? demanda-t-elle ens’adressant à Amber.

Regarder Brady était devenu uneépreuve. Il la troublait beaucoup trop etelle aurait du mal à tenir le coup jusqu’àla fin de la journée.

— Oui ! J’adore les pique-niques,s’exclama Amber.

— Moi aussi, renchérit Brady.Sans le vouloir, elle le regarda. Il eut

un sourire satisfait Son visage reflétaitsa satisfaction. Ce serait sans l’ombred’un doute difficile de lui résister.

* * *

Quatre heures plus tard, Maggie

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cherchait un endroit pour y installer lepique-nique pendant que Brady poussaitAmber sur la balançoire. Amber savaitse balancer seule depuis deux ans, maiselle s’était bien gardé de le lui dire.Après avoir trouvé un coin ombragésous un vieux chêne, elle posa le paniersur l’herbe et déplia la couverture.

C’était une belle journée d’automne. Ilsoufflait un petit vent frais, mais latempérature restait douce pour la saison.Des feuilles jonchaient le sol, la plupartétaient encore sur les arbres. Dansquelques semaines, ils seraientcomplètement dénudés. Elle ne regrettaitpas d’être venue.

— Laisse-moi t’aider, proposa Brady.Amber était restée sur la balançoire.

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— Est-ce qu’elle t’a fait croire qu’ellene savait pas se balancer toute seule ?

— Oui, mais je ne l’ai pas crue. J’aipoussé tout doucement pour qu’elle selasse rapidement de ma présence.

Elle lui passa l’extrémité de lacouverture en prenant soin de ne pas letoucher, puis ils l’étendirent sur le sol.

Elle risquait de s’habituer auxprévenances et aux attentions dont ill’entourait depuis le début de la matinée.Et, si elle s’efforçait de ne pas oublierce qu’il était devenu, il lui rappelait lejeune homme dont elle était tombéeamoureuse au lycée.

Comme à l’époque, le rythme de soncœur s’accélérait dès qu’il était dans lesparages, sa peau frémissant dans

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l’attente d’un contact accidentel ou nonavec la sienne. C’était grotesque. Elleavait pourtant passé l’âge des premiersémois.

D’un geste un peu trop vif, elle étenditla couverture sur le sol. Il fallait qu’ellese maîtrise. Il ne méritait pas qu’elle semette dans cet état.

Lui tournant le dos, elle s’assit sur lacouverture et commença à vider lepanier de pique-nique.

— Comment ton équipe se débrouille-t-elle en ton absence ? demanda-t-elle.

— Pas trop mal.Elle vit du coin de l’œil qu’il s’était

allongé. Ce corps splendide étendudevant elle était une véritable tentation.Mais la personne qui était à côté d’elle

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n’était pas le vrai Brady. L’homme qu’ilétait devenu était pressé, egocentrique etavait toujours raison.

— J’ai découvert que tu étais autéléphone avec Julie quand Amber esttombée.

Elle pria mentalement pour qu’ilsaisisse la perche. En général, il adoraitparler de son travail.

— Oui, elle avait des problèmes avecun des sous-traitants.

Elle disposa les assiettes autour desplats de nourriture.

— Ne crains-tu pas qu’elle n’ait pasréussi à les résoudre ?

— Julie est une professionnellecompétente. Je suis sûr qu’elle s’en estbien tirée. Pourquoi t’intéresses-tu

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soudain à mon travail ?Sentant qu’elle rougissait, elle garda

la tête baissée.— Tu n’as plus de téléphone depuis

presque deux jours et tu n’es pas encoredevenu fou.

Il eut un rire de gorge qui la fitfrissonner.

— Je t’ai dit que mon équipe étaitcompétente.

— Mais qu’est-ce qui t’a amené à leurfaire confiance ?

— Je préfère être avec Amber,répondit-il en jetant un coup d’œil à labalançoire. Et avec toi.

Tous les souhaits qu’elle avait formésau fil des ans défilèrent dans sa tête.Pourvu que Brady se manifeste et que

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leur vie s’améliore. Si seulement samère avait guéri et était là aujourd’hui.Si seulement Brady l’aimait. Elle leschassa.

— Je parie que tu as hâte de rentrer àNew York pour retrouver ta vie.

— New York est une belle ville.Il y avait de l’hésitation dans sa voix.— Et tes amis.Il hocha la tête.— Et aussi tes petites amies.Un ange passa. Seuls le grincement de

la balançoire et le bruissement desfeuilles étaient audibles. Elle se força àcontinuer à mettre calmement la tablemalgré son anxiété.

— J’ai l’impression que je me suisfait piéger.

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— Pardon ?La surprise le poussa à la regarder. Il

y avait de la colère dans ses yeux. Mais,si elle perdait le contrôle d’elle-mêmequand il sortait son charme, elle n’avaitpas peur de sa colère.

— Je t’ai déjà dit que je n’étais pasavec Julie, dit-il d’un ton prudent,l’esprit sans doute occupé à trouver lemoyen de se sortir du piège qu’elle luiavait tendu.

— Je le sais.Elle se tourna pour regarder Amber,

redoutant qu’il lui dise qu’il avaitquelqu’un et que tout ce qu’ils avaientvécu jusque-là était une illusion.

— Je n’ai pas de petite amie et je n’enveux pas. J’ai maintenant dans ma vie

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toutes les femmes dont j’ai besoin.Elle sentit qu’il s’approchait. Le

courant qui passait entre eux était si fortqu’elle n’avait pas besoin de le voirpour le savoir.

— Je suis sûre que de nombreusesfemmes sont prêtes à tomber dans tesbras dès que tu rentreras.

— Et toi, Maggie, es-tu prête ?Elle sentit son souffle chaud sur sa

nuque.— Moi ?Croyait-il qu’elle lui tomberait dans

les bras juste parce qu’il voulait bienassumer sa fille ? Elle n’était pas legenre de femme qui se donnait à unhomme sans amour. D’accord, elles’était quelque peu laissé emporter à

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New York. Mais ce n’était pas facile derésister aux tentations de la chair.

— Y a-t-il dans la région quelqu’unqui te branche ?

— Qui me branche ? répéta-t-elle, laquestion la prenant par surprise.

Quand elle eut la mauvaise idée de seretourner, elle se retrouva à deux doigtsde son visage. Ses yeux avaient un éclatà la fois sensuel et taquin.

— N’est-ce pas ce que les jeunesdisent de nos jours ?

Son sourire révélait que ses tentativespour le décourager n’avaient guère étéefficaces. Malgré tout, elle rassembla savolonté. Pas question de le laisserprendre le dessus.

— Tes belles paroles doivent avoir

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beaucoup de succès avec les filles.— Je ne me débrouille pas trop mal.Il inclina la tête sur le côté, semblant

l’inviter à prendre sa bouche. Mais ellen’avait pas encore perdu la tête.

Il baissa les yeux et elle suivit sonregard. Son T-shirt bâillait légèrement àcause de sa position tournée et onpouvait voir la naissance de ses seins etle soutien-gorge rouge qu’elle avait misce matin. Quand il la regarda denouveau, son regard était ardent,tentateur.

— Maggie, je…— Papa, regarde comme je me

balance !L’espace d’un instant, elle crut voir

dans ses yeux quelque chose qu’elle

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n’avait jamais vu et qu’elle n’était passûre de savoir interpréter. Puis il se levaet se dirigea vers Amber en la félicitant.Elle le regarda s’éloigner en s’efforçantde déchiffrer ce regard et ce qui l’avaitprécédé.

Il avait été charmant pendant toute lamatinée, jusqu’à ce qu’elle tente de leprovoquer, puis s’était débrouillé pourretourner la situation à son avantage. Ledésir qu’ils avaient l’un pour l’autre nefaisait que couver pour se rallumer à lamoindre étincelle. Elle avait eu l’espoirque le feu finisse par s’éteindre. Laroutine du quotidien avait généralementcet effet sur les relations. Mais c’étaittout le contraire. Leur attirance semblaits’intensifier à chaque jour qui passait.

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Il jeta un coup d’œil dans sa directionet elle se demanda ce qu’il avait été surle point de lui dire. Puis il lui sourit etson cœur s’emballa. Il était temps quecette journée se termine car elle avait deplus en plus de mal à se dominer.

— Venez manger, cria-t-elle.Brady aida Amber à ralentir la

balançoire, puis lui prit la main. Iln’était pas venu pour elle, se souvint-elle, mais pour se consacrer à Amber. Etil s’en tirait parfaitement. Cette penséeapaisa sa tension. Amber avait un pèrequi l’aimait et c’était la seule chose quicomptait.

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- 16 -

Debout devant la fenêtre de la cuisine,Maggie songeait à sa journée. Amberavait absolument voulu que ce soitBrady qui la mette au lit et l’avaitprobablement obligé à lui lire des tasd’histoires avant de s’endormir.

Le pique-nique s’était bien déroulé. Ilsavaient passé un moment chez Pennyavec Flèche, puis étaient allés faire lescourses.

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Amber aimait déjà son pèrepassionnément, ce que Maggie pouvaitcomprendre. Elle avait pu constateraujourd’hui que, s’il avait gardé destraces du jeune homme d’autrefois, ils’était bonifié avec le temps, acquérantune expérience de la vie que ni l’un nil’autre n’avait eue huit ans plutôt. A songrand désespoir, ce béguind’adolescente semblait se transformer endes sentiments beaucoup plus troublants.

— On est en pleine réflexion ?Elle savait qu’il ne pouvait pas lire

dans ses pensées mais se sentit exposée.— Amber s’est-elle endormie vite ?Elle chercha quelque chose à faire

pour s’occuper, mais la cuisine étaitdéjà propre et rangée.

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— Après cinq histoires, répondit-ilavec indulgence. Elle dormait presquequand j’ai commencé la cinquième. J’aifait exprès de la lui lire très lentement.

Et, maintenant, quel était leprogramme ? Elle pourrait peut-être luidire qu’elle était fatiguée et luidemander de partir. Elle regarderait unprogramme à la télévision ou bientravaillerait un peu. Mais il n’était que20 h 30.

— Tu veux boire quelque chose ?proposa-t-elle à la place.

— Oui, merci.Il ne la quitta pas des yeux tandis

qu’elle ouvrait le réfrigérateur etregardait ce qu’elle avait.

— Il y a du lait, des boîtes de jus de

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fruit, du Coca light et de l’eau. Désolée,je n’ai pas de boissons alcoolisées. Jene reçois jamais.

Un verre d’alcool lui aurait pourtantfait du bien.

— De l’eau, s’il te plaît.Elle ouvrit le robinet pour permettre à

l’eau de se rafraîchir et ouvrit le placardpour prendre un verre.

— Laisse-moi t’aider, chuchota-t-il àson oreille en posant sa main chaude surla sienne.

Elle eut un long frisson et sentit lafièvre de l’excitation monter en elle. Aumême instant, il passa un bras autourd’elle et l’attira contre lui. Son sexe durcontre son dos ne laissait aucun doutequant à la nature de ses pensées. Sans lui

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lâcher la main, il amena le verre sous lerobinet et lui embrassa la nuque pendantqu’il se remplissait. Elle oublia deréfléchir et succomba à son désir.

Il lui prit le verre des mains et le posasur le comptoir, avant de fermer lerobinet. Elle se tourna dans ses braspour lui faire face. Ses pupilles étaientdilatées et son souffle court.

— On ne joue plus, Maggie, dit-il enl’embrassant.

Elle ouvrit la bouche quand leurslèvres se touchèrent et s’abandonna dansses bras. La passion à laquelle ellerésistait depuis une semaine explosa enelle et le baiser s’intensifia. Ivre dedésir, elle était désormais incapable deformuler la moindre pensée rationnelle.

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Elle tira sur son T-shirt pour le sortirde son pantalon et glissa ses doigtsavides sous la ceinture. Tant qu’ellel’embrassait, elle n’aurait pas besoin depenser. Juste sentir.

Entre-temps, Brady la prit par leshanches. Pendant tout ce temps, leursbouches étaient restées scellées, commes’ils craignaient qu’en interrompant leurbaiser la réalité les rattrape.

Ses doigts qui caressaient sa peaulaissaient des traînées de feu sur leurpassage, la faisant trembler de plaisir.Elle voulait s’immerger dans ce moment,oublier la sonnette d’alarme quirésonnait dans son esprit embrumé.

Il lâcha sa bouche et descendit,passant les dents sur son cou. Surtout ne

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pas penser.Le bouton de son jean s’ouvrit et il

commença à descendre la fermetureEclair.

— Brady…, gémit-elle, tentantdésespérément de reprendre ses esprits.

Elle le sentit sourire dans son cou. Ilsavait qu’elle était faible, ensorceléepar ses baisers, incapable de réunirassez de bon sens pour se rendre comptequ’Amber pouvait les surprendre à toutmoment.

Cette pensée la fit descendre de sonnuage et elle le repoussa légèrement.Leurs poitrines se soulevèrent en mêmetemps pour prendre une bouffée d’airprovidentielle.

— On ne peut pas faire ça ici, parvint-

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elle finalement à articuler.— Maggie, tu veux ma mort, dit-il en

posant la tête sur son épaule, sescheveux lui chatouillant la peau.

— Regarde-moi, Brady.Il se redressa pour lui obéir, mais ses

yeux se reportèrent aussitôt sur sabouche, attisant le feu qui brûlait en elle.Ce soir, pas question de le repousser.Elle irait jusqu’au bout.

— Pas ici, Brady, dit-elle en luiprenant le menton pour le forcer à laregarder. Pas dans la cuisine. Amberpourrait nous surprendre.

Une expression de bonheur se peignitsur ses traits.

— Pourquoi ne l’as-tu pas dit plustôt ?

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Il la souleva du sol et la portajusqu’en haut de l’escalier. Une fois aupremier étage, il la posa sur le sol. Ellelui prit la main et le conduisit dans sachambre.

Là, il la poussa vers le lit jusqu’à ceque ses mollets heurtent le bois ducadre. Elle saisit sa chemise etl’entraîna avec elle tandis qu’elles’allongeait sur le matelas. Quand ill’embrassa de nouveau, elles’abandonna corps et âme.

— As-tu un préservatif ? murmura-t-elle contre sa bouche.

Il en sortit un de son portefeuille et leposa sur la table de nuit.

— La porte est fermée ? s’enquit-elleencore pendant que ses idées étaient

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encore cohérentes.— Fermée et verrouillée. Tout va

bien, Maggie.Enfiévrée, elle lui arracha son T-shirt.

Ses baisers divins étouffèrent le son dela sonnette d’alarme qui résonnait auxconfins de son esprit. Ce n’était pasgrave qu’ils n’aient pas évoqué l’avenirun seul instant.

Ils ne l’avaient pas fait à l’époque,pourquoi le feraient-ils maintenant ? SonT-shirt suivit le sien sur le sol. Lasensation de sa peau nue sur la sienneétait à couper le souffle. Elle s’enfonçadans le matelas tandis qu’il luiembrassait les épaules. Puis il descenditlentement plus bas, vers ses seins tendussous le tissu de son soutien-gorge.

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Elle pouvait bien se permettre cettepetite folie, même s’il partait dans unesemaine. Ne devait-elle profiter de lavie, comme Penny le lui avaitconseillé ?

Il glissa les mains derrière son dos etdéfit l’attache de son soutien-gorge,prenant son sein dans sa bouche pendantqu’une de ses mains se glissait sous laceinture de son jean. Enfin ! Un flot desensations délicieuses déferla en elle etson être tout entier s’abandonna à sescaresses.

Elle faillit défaillir quand il passa àl’autre sein.

Un petit bruit sourd traversa lebrouillard de ses pensées. Sûrement lamaison qui craquait. Brady glissa un

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doigt sous l’élastique de sa culotte.Entendant de nouveau le bruit, puis

une petite voix disant « maman », ellerepoussa Brady et enfila un T-shirt à lahâte.

— Un instant ! cria-t-elle,s’apercevant soudain qu’elle avait priscelui de Brady.

Elle fut enveloppée par son odeurmasculine et la chaleur que son corpsavait laissée.

Dans un étant second, elle mit un doigtsur ses lèvres pour lui intimer de se taireet ouvrit la porte.

Amber avait le visage couvert delarmes. Maggie tomba à genoux etAmber se jeta dans ses bras.

— J’ai fait un mauvais rêve, dit-elle

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en sanglotant.Maggie lui frotta le dos. Décidément,

c’était un signe. Pas d’aventure avecBrady Ward.

— Ça va passer. Je vaist’accompagner dans ta chambre et teremettre au lit.

— Non ! Je veux dormir avec toi,maman. Dans ton lit.

Catastrophe. Elle tourna la tête etchercha Brady, mais ne le vit pas. Peut-être s’était-il caché dans le placard. Ilpourrait toujours en sortir quand Amberse serait endormie.

— Je peux appeler mon papa ?Elle ouvrit la bouche et la referma,

cherchant une réponse adéquate à luidonner.

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— Inutile de m’appeler, je suis là, dit-il en ouvrant la porte en grand et ens’agenouillant à son tour devant Amber.

Maggie n’était pas sûre que ce soit unebonne idée. Comment Amberinterpréterait-elle sa présence dans sachambre ?

Le visage d’Amber s’éclaira en levoyant et elle se jeta dans ses bras.Maggie en éprouva de la jalousie. Elleavait toujours été la seule à consolerAmber, la seule à la protéger. Etmaintenant, elle demandait Brady !

— Pourquoi as-tu enlevé ton T-shirt ?demanda Amber en se blottissant contrelui.

— Ta mère avait froid. Je le lui aiprêté.

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Elle jeta un coup d’œil dans sadirection. Il semblait si heureux qu’ellecessa de lui en vouloir.

— C’est très gentil à toi, papa. Est-ceque tu veux bien dormir avec maman etmoi ?

— Bien sûr, Amber.Le monde semblait marcher sur la tête.

Quelques instants plus tôt, elle avaitfailli coucher avec Brady et maintenantelle s’apprêtait à dormir avec lui, et safille.

Amber les prit par la main et lesramena dans la chambre. Puis ellegrimpa dans le lit et se mit sous lesdraps.

— Maman d’un côté et papa del’autre, décréta-t-elle.

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Brady l’interrogea du regard. Commesi elle avait le choix. Si elle le mettaitdehors, Amber lui en voudrait à mort.

Résignée, elle enfila un bas de pyjamaet rejoignit Amber.

— Et mon T-Shirt ? Tu ne me le rendspas ?

— Non. Je suis gelée, répondit-elle enmettant la tête sous les couvertures pourrespirer son odeur. Tu peux toujoursrentrer chez toi si tu n’es pas content.

— Certainement pas.Elle le vit sourire. Une douce chaleur

se répandit dans son cœur quand ils’allongea à côté d’elles, les mainsderrière la tête.

— Je suis contente que tu sois monpapa, dit Amber.

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— Moi aussi, répondit Brady.Mais la sensation d’apaisement ne

dura pas. Après avoir éteint la lumière,elle resta allongée dans le noir,complètement réveillée, écoutant lesbruissements de Brady et d’Amber. Lespensées qu’elle avait refoulées pendantqu’ils s’embrassaient refluèrent enmasse. Mais une seule questions’imposait. Cherchait-il à la séduiredans le seul but de se rapprocher de safille ? Après tout, si Amber n’avait pasété là, elle n’aurait plus jamais entenduparler de lui.

Eh bien, il risquait d’être déçu, alors.Son charme et ses baisers nemarcheraient pas avec elle. Elle n’avaitbesoin de personne, encore moins de

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Brady Ward. L’homme de sa vie devraitl’aimer pour ce qu’elle était.

Il était le père de sa fille, mais ilsn’étaient pas du même monde. Il vivait àNew York et elle ici. Il était riche, ellese maintenait tant bien que mal à flot. Ilétait champagne et caviar et elle plutôtbière et barbecue. Bref, ils n’avaientrien en commun.

Alors, même si l’attirance étaitexplosive, cela ne durerait pas. Tôt outard, il lui en voudrait de le retenirprisonnier. Son cœur se serra et ellesentit les larmes lui monter aux yeux. Ilne l’aimait pas et ne l’aimerait jamais.Etant donné la situation, il essayaitsimplement de se convaincre que secaser avec la mère de sa fille était la

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meilleure solution.Elle serra les dents pour ne pas

pleurer tandis que la vérité s’imposait àelle. Si l’amour qu’elle avait eu pour luiau lycée avait été une illusion, celuiqu’elle éprouvait pour lui aujourd’huiétait bien réel. Et elle ne s’en délivreraitpas facilement.

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Brady ouvrit les yeux et vit Maggiedormant de l’autre côté du lit, séparéede lui par Amber. Leurs ébats d’hiersoir n’étaient pas censés se terminerainsi.

Ses cheveux blonds étalés surl’oreiller entouraient son visage àprésent détendu dans le sommeil. Hiersoir, il avait cru qu’ils pourraient enfinassouvir le désir qui couvait entre eux

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depuis New York. Faire l’amourensemble était la suite naturelle deschoses.

Si seulement elle ne l’avait pasattendu à chaque tournant, critiquant sonmode de vie, lui confisquant sonportable, l’obligeant à se comportercomme un père.

Au lieu de s’abandonner enfin à leurattirance, ils s’étaient retrouvés dans lemême lit, mais avec Amber entre eux.Jamais il n’avait subi un échec aussicuisant, une constatation qui le fitsourire.

Le soleil matinal qui filtrait à traversles rideaux illuminait les visagesd’Amber et de Maggie. Hier soir,Amber avait cherché du réconfort dans

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ses bras et il avait senti son petit cœurbattre à tout rompre contre le sien. Iln’avait même pas pensé à lui demanderde quoi elle avait rêvé et n’était mêmepas sûr de devoir le faire.

Maintenant, elle dormait aussipaisiblement que sa mère. Leurs visagesétaient similaires, même si Amber avaithérité de ses cheveux sombres et de sesyeux bleus. Il était heureux en leurcompagnie, presque comme s’ilsformaient une famille.

Comment serait-ce de vivre enpermanence avec elles ? Même si l’idéel’effrayait, il y avait pensé pendant toutela journée d’hier. Sa vie et son travail setrouvaient à New York. Pourquoi nes’installeraient-elles pas là-bas avec

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lui ?Ce serait beaucoup plus simple qu’ils

vivent ensemble, afin que Maggie puisses’occuper d’Amber pendant qu’iltravaillerait. Maggie serait certainementde son avis sur ce point. Rien ne lesobligeait à rester à Tawnee Valley,même si Maggie y avait sa maison et queson frère Sam y vivait. Après tout, lamère de Maggie était morte et Samn’était pas d’une compagnie trèsagréable.

Maggie s’étira avant d’ouvrir les yeux.— Bonjour, chuchota-t-il.Elle eut un sourire endormi, puis

s’étira de nouveau, son T-shirt setendant contre sa poitrine. Si elleremarqua son regard, elle n’en montra

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rien. Elle se leva et sortit aussitôt de lapièce.

— Est-ce que tu aimes bien mamaman ? demanda soudain Amber.

— Oui, bien sûr— Alors pourquoi l’as-tu quittée ?Il en resta sans voix. Il était parti pour

échapper à son passé, pour oublier cetendroit où il avait grandi et où sesparents étaient morts, les laissant seulsau monde, ses frères et lui. Quant àMaggie, elle n’avait pas fait partie dutableau.

— Je suppose que tu ne te satisferaspas si je te réponds que tu comprendrasquand tu seras plus grande.

— Jessica dit que, quand un homme etune femme ne s’entendent plus, ils se

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séparent. Mais vu que toi et maman vousvous aimez, pourquoi ne vivez-vous pasensemble ?

— Parce que Brady vit à New York etnous ici, répondit Maggie en pénétrantdans la pièce vêtue d’un T-shirt à elle.

Elle lui lança le sien et s’assit à côtéd’Amber. Elle semblait tendue, distante.

Il soupira et se leva. Le devoirl’appelait ; sans compter qu’il avaitbesoin de quelques heures de calmepour penser à la situation, et à l’avenir.

— Il faut que je rentre à la ferme,annonça-t-il, enveloppé dans l’odeur deMaggie.

— Bonne idée, dit Maggie.Elle n’avait visiblement pas

l’intention de l’accompagner jusqu’à la

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porte.— Est-ce que je peux venir aussi ?

demanda Amber en sautant sur le lit puisen se tournant vers sa mère. Je peux,maman ? S’il te plaît. Je me comporteraibien, je te promets.

— Moi, je veux bien, dit-il. Si vousn’avez rien de prévu.

— Non, répondit Maggie avec unsourire crispé. Vas-y, Amber, dépêche-toi de te préparer.

Amber bondit du lit et se rua hors dela pièce. On entendit des bruits de porteset de tiroirs s’ouvrant et se refermant,puis celui de la douche. Assise sur lebord du lit, ses pieds nus remontés,Maggie se taisait.

— On devrait parler, dit-il.

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Il ne savait pas trop de quoi, car ildevait tout d’abord réfléchirtranquillement à ce qu’il voulaitréellement. Mais ils n’en avaient pasmoins beaucoup de choses à se dire.

— Parler de quoi ? demanda-t-elled’un ton froid.

Elle le savait très bien. La façon dontils s’organiseraient après son retourchez lui. Le désir inassouvi qu’ilsavaient l’un pour l’autre.

— De beaucoup de choses. Tu veuxbien dîner avec moi ce soir ?

— On dîne ensemble tous les soirs,répondit-elle en jouant avec une mèchede ses cheveux. Quand tu n’es pasoccupé à travailler.

— Je veux dire, à l’extérieur. Seuls

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tous les deux.Elle finit par se retourner.— Où ?Il sentait qu’un territoire neutre était

nécessaire pour lui parler de son idée etvoir comment la mettre en place.

— Que penses-tu du restaurant de lagrand-rue à Owen ?

L’établissement avait si souventchangé de propriétaire et de nom au fildes ans que tout le monde avait fini parl’appeler ainsi. En dehors du petit caféde Tawnee Valley, il n’y en avait pasd’autres à dans les environs.

Elle continua à jouer avec ses cheveuxet il crut qu’elle s’apprêtait à refuser.

— D’accord, finit-elle par approuveren fixant sa mèche.

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Soulagé, il proposa de passer lachercher vers 18 heures.

— Qui s’occupera d’Amber pendantce temps ?

Il se rendit compte qu’il avait négligéce détail.

Elle se décida enfin à le regarder. Lesoleil illuminait son visage et faisaitscintiller les paillettes vertes de sesyeux.

Le bruit de la douche cessa, annonçantle retour imminent d’Amber. Il devaittrouver une solution rapidement.

— Pourquoi pas Penny ? suggéra-t-il.— Penny n’est jamais libre le samedi

soir.— Nous trouverons une autre solution.Dans le pire des cas, il y avait

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quelqu’un dans cette ville qui lui devaitbien au moins huit ans de baby-sitting.

* * *

Après un court passage à Owen pourrécupérer le nouveau téléphone, Bradyet Amber empruntèrent les routes decampagne pour rejoindre la ferme.

Dès que la voiture s’engagea dansl’allée, Barnabus se mit à aboyer, imitépar le chiot.

— C’est le frère de Flèche ou sasœur ? demanda Amber.

Elle posa le front sur la vitre pourregarder les chiens qui couraient autourde la voiture.

— Sa sœur, répondit-il en se garant à

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côté du vieux moulin.— Tu crois que je peux sortir ?— Bien sûr. Marche avec assurance

comme si tu étais chez toi et, s’ilsviennent t’embêter, repousse-lesgentiment et ordonne-leur de s’asseoird’une voix ferme.

Après avoir approuvé de la tête, elleouvrit la portière. Les deux chiens seprécipitèrent aussitôt pour la renifler, lafaisant rire aux éclats. Il se pencha au-dessus d’elle pour les repousser. Envain. Les chiens continuaient à setortiller et à la pousser du museau.

Un sifflement aigu les fit battre enretraite. Ils coururent vers Sam qui setenait à l’entrée de la grange. Amberbondit hors de la voiture et les suivit.

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— Bonjour, monsieur Ward.— Tu le connais ? demanda Brady en

la rattrapant.— Il vient à l’école à la fin de chaque

année et nous apporte des bébésanimaux, répondit-elle distraitement, sonattention entièrement tournée vers leschiens.

— C’est la maîtresse qui me l’ademandé, intervint Sam en rougissant. Jen’ai pas beaucoup de travail à cetteépoque-là.

— Amber ? appela Brady. Sam estmon frère et donc ton oncle.

Elle abandonna les chiens et se plantadevant Sam.

— C’est la première fois que j’ai unoncle.

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— Maintenant, tu en as deux, informaBrady. Luke, notre petit frère, est àl’université.

Sam et Amber semblaient se mesurerdu regard, même si Amber était troppetite pour le regarder en face et devaitlever la tête.

— L’oncle de Sarah Beth l’emmènemanger une glace au Dairy Queen tousles dimanches, dit Amber en croisant lesbras sur la poitrine.

— Dans ma ferme, les petites fillesdoivent travailler, répondit Sam enimitant sa posture.

— Si je travaille, tu m’y emmèneras ?demanda-t-elle sans se démonter.

— Si tu es efficace et que tu ne teplains pas, je verrai ce que je peux faire.

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Brady sentit l’inquiétude le gagner.Elle était beaucoup trop fragile pour ledur travail agricole que ses frères et luidevaient faire quand ils étaient petits.

— Sam, elle n’a que sept ans,protesta-t-il.

— Je ne fais pas les carreaux, annonçaAmber en l’interrompant avecl’assurance d’un négociateur aguerri.

— Moi non plus, répliqua Sam en luitendant la main. Alors, marché conclu ?

— Marché conclu, approuva-t-elle enla serrant.

— Tu n’as pas le droit d’exploiter mafille, Sam, intervint-il. Elle n’est pasvenue pour travailler mais pour jouer.

— Une promesse est une promesse,papa, répondit-elle en lui souriant avant

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de se tourner vers son frère. Que veux-tuque je fasse, oncle Sam ?

— Il faut nourrir les bébés agneaux.Nous commencerons par réchauffer lelait et le mettre en bouteilles, dit Sam ense dirigeant vers la maison, Amber surses talons. Puis nous irons le leur donnerdans la grange. Crois-tu en êtrecapable ?

— Bien sûr.Brady resta planté au milieu de l’allée

avec les deux chiens, n’en croyant passes yeux. Depuis quand son frère savait-il s’y prendre avec les enfants ?

* * *

Maggie et Penny partageaient un bol

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de chips sur le canapé. La télévisionfonctionnait en fond sonore,retransmettant une émission sur larecherche de maisons et d’appartementsque ni l’une ni l’autre ne regardait.

— Je n’en reviens pas que tu aieslaissé Brady emmener ta fille à la ferme,commenta Penny.

— Je ne peux pas passer mon tempsavec lui. On a presque couché ensemble,la nuit dernière, annonça Maggie.

— Quoi ? s’écria Penny en se mettantà genoux sur le canapé. Comment ça,presque ?

— Amber a fait un mauvais rêve et ons’est retrouvé dans mon lit tous les trois.On aurait dit une petite famille. C’étaittrès bizarre.

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Elle avait pourtant apprécié qu’il aitété là pour l’aider à réconforter sa fille.

Penny éteignit la télévision avec latélécommande.

— On verra ça plus tard. Que s’est-ilpassé avant ?

— Pas grand-chose.Elle commençait à regretter de lui en

avoir parlé. Mais bon, Penny pourraitpeut-être l’aider à y voir plus clair.

— Il est nul ? s’enquit Penny en luitapotant le genoux d’un air compatissant.

— Non. Ce serait tellement plus facilesi on couchait ensemble une bonne foispour toutes. L’attirance est là, enpermanence. C’est bizarre. Maintenantque je sais qu’il est prêt à assumer sapaternité malgré mes erreurs passées,

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j’ai l’impression de vouloir davantage.— Tu veux dire davantage qu’une

simple relation sexuelle ?Si Penny avait un avis sur la question,

elle le garda pour elle.— Oui. Et cela me terrorise.— Tu es terrorisée en permanence.— Que veux-tu dire ?— Pense à toutes les épreuves que tu

as traversées. Le départ de ton père, lamaladie et la mort de ta mère, tagrossesse non désirée, énuméra Penny encomptant sur ses doigts. Et, quand Sam acommencé à te donner de l’argent, tu astrouvé son attitude bizarre, mais tu n’asrien fait. En vérité, tu avais déjà peur deBrady à l’époque et cela n’a pas changé.Tu veux savoir pourquoi ? Parce que tu

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l’aimes.— Mes sentiments ne comptent pas,

répondit-elle, la gorge nouée.— Pourquoi, Maggie ? demanda Penny

en se levant à son tour. Est-ce parce queles femmes de ta famille n’obtiennentjamais ce qu’elles désirent ? Parce queta mère n’a pas su retenir ton bon à riende père ou bien parce que tu as peurd’aimer quelqu’un qui n’est pas obligéde t’aimer en retour ?

De la colère se mêla à la pitié qu’elleéprouvait pour elle-même.

— Je t’aime bien, Penny, pourtant tun’es pas obligée de m’aimer.

— Moi, j’ai toujours été là et tu n’asaucune raison de croire que je vais m’enaller. Mais Brady n’a d’obligation

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qu’envers Amber.Elle sentit les larmes lui monter aux

yeux.— Et s’il ne voulait être avec moi que

parce qu’il se sent une obligation enversAmber ? Il ne m’aime pas, j’en suissûre.

Penny prit une boîte de mouchoirs surla table basse et la lui tendit.

— Qu’en sais-tu ? Tu es si aveugleque tu ne t’es même pas rendu compteque tu te gardes pour lui depuis huit ans.

— Ce n’est pas vrai.— Ah bon ? Aucun homme n’a été

assez bien pour toi depuis que tu estombée enceinte. D’abord, tu as alléguéla maladie de ta mère, ensuite ta fille. Ilest temps que tu cesses de te voiler la

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face, Maggie.Elle avait la gorge nouée. Les paroles

de Penny touchaient le cœur duproblème.

Son amie lui prit la main avant depoursuivre :

— Que se passera-t-il si vous couchezensemble et que votre histoire s’arrêtelà ? Il y aura un malaise entre vouspendant quelque temps, puis tu t’enremettras et lui aussi. Mais qu’arrivera-t-il s’il t’aime vraiment ?

L’impression de sombrer s’emparad’elle, une sensation qu’elle avait déjàéprouvée en apprenant que sa mère avaitun cancer. Elle s’était sentie dépassée,confuse, ses idées s’éclaircissant un brefinstant, un instant qui lui avait coûté

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cher. Sa nuit avec Brady Ward. Elles’était montrée impulsive et en avaitpayé le prix. Pourtant, elle n’avaitjamais regretté d’avoir une fille. Amberétait sa vie.

— Je n’arrête pas de te poser cettequestion, mais tu ne me réponds jamais,conclut Penny en se rasseyant.

— Donne-moi la réponse, si tu laconnais, répondit-elle pressée d’en finir.

— La pire chose qui puisse t’arriver ?Que tu laisses partir l’homme que tuaimes depuis le lycée parce que tu astrop peur de découvrir qu’il pourrait trèsbien t’aimer, lui aussi.

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— Quoi, tu l’as laissée chez Sam ?demanda Maggie sur un ton accusateur.

Brady ne s’en formalisa pas. Il étaittrop absorbé par la vision qu’il avaitdevant ses yeux. Elle portait une roberouge qui la moulait aux bons endroits,faisant naître en lui des pensées rienmoins que pures.

— Sam lui a promis de l’emmener auDairy Queen et au cinéma ce soir. Il

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nous doit bien ça, non ? Bon, tu esprête ?

Il la vit hésiter. Et si elle lui annonçaitqu’elle n’avait plus envie de sortir ?Finalement, elle s’avança vers lui, sarobe virevoltant autour de ses jambes.

Il prit son bras et l’entraîna vers lavoiture. Il avait passé l’après-midi àtrouver les arguments qui laconvaincraient de venir s’installer àNew York. Il avait même rédigé un pland’action, de la même façon dont ilprocédait avec ses projets.

Quand ils furent installés, il alluma laradio et baissa le son. Soudain, iln’avait plus envie de parler. Qu’en était-il de son argumentation soigneusementpréparée ? La robe rouge de Maggie

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l’avait balayée ! Son parfum flottantdans l’habitacle n’arrangeait rien et ilaurait de la chance s’il survivait audîner et à la conversation sérieuse quidevait avoir lieu après.

Il effectua un rapide calcul mental.Quinze minutes de route jusqu’aurestaurant, environ une heure de repas,puis encore un quart d’heure pourrentrer. Plus de quatre-vingt-dix minutesd’attente. Ensuite, il l’embrasserait et,ce soir, rien ne l’arrêterait. Sauf si ellele repoussait.

— Amber a-t-elle aimé la ferme ?Sa question l’arracha à ces pensées

mal à propos.— Elle a nourri les agneaux et Sam lui

a montré comment traire une vache.

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Pendant le trajet, il lui raconta ensuitedans les détails leur journée à la ferme.Quand ils arrivèrent au restaurant, ilavait retrouvé le contrôle de lui-même.

La serveuse les installa dans un box aufond de la salle. L’établissement étaitquasiment vide.

— La dernière fois que je suis venueici, c’était un grill, commenta Maggie enregardant la carte.

— Le poulet frit a probablementdavantage de succès.

— Jusqu’à la semaine prochaine, fit-elle en lui adressant un regard amusépar-dessus le menu.

La serveuse revint prendre lacommande, puis récupéra la carte,empêchant Maggie de se cacher

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derrière. Elle semblait pour une foisdétendue. Le trait de crayon sur sespaupières faisait ressortir ses yeux. Sonregard était plus brillant que d’habitudeet ses joues aussi roses qu’après leursbaisers.

— Tu voulais qu’on parle, il mesemble, dit-elle en croisant les mainsdevant elle.

— Oui. Au sujet de l’avenir. Commentva-t-on s’organiser ? Quelle est lameilleure solution pour Amber ?

Malgré sa longue habitude desnégociations, il avait l’estomac noué parl’appréhension.

— Je ne vois pas où est le problème,Brady. Nous finirons bien par trouver unarrangement qui se tienne. Je suis

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contente que tu passes du temps avecAmber, ajouta-t-elle en se penchant verslui.

— Comment vois-tu les choses ?— On pourra passer quelques week-

ends avec toi pendant l’été. Et tuviendras peut-être ici quand tu auras descongés, puisque tu peux habiter chezSam. En général, nous partons envacances avec Penny.

— J’espérais davantage.Visiblement décontenancée, elle se mit

à jouer avec le médaillon suspendu àson cou.

— Ah bon ? Tu veux qu’on viennepasser un mois avec toi en été ?

— Non, Maggie, je…— Voilà vos plats, dit la serveuse en

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posant les assiettes sur la table, sanss’excuser pour les avoir interrompus.Avez-vous besoin d’autre chose ?

— Non merci.Maggie commença à manger, puis leva

vers lui des yeux brillants de larmes.— Je ne supporterais pas de te la

laisser la moitié du temps. Amber esttoute ma vie. Je sais que ce n’est pasjuste, mais je ne peux pas.

Il tendit le bras et lui prit la main.— Ce n’est pas ce que je te demande,

Maggie. Je n’obligerai jamais Amber àvivre loin de toi.

— Ouf, dit-elle en se détendant.Désolée de l’avoir cru.

— Je comprends ce que tu ressens. Jene supporterais pas non plus de la

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perdre de vue.Il réfléchit au meilleur moyen de lui

exposer son idée. Et si les argumentsqu’il avait préparés ne suffisaient pas àla convaincre ? Il ne pouvait plusconcevoir sa vie sans Amber. SansMaggie.

— Tu te souviens de la fête de Luke ?Je ne savais pas comment annoncer àLuke que j’avais l’intention d’accepterla bourse qu’on m’avait proposée àLondres.

— Quel est le rapport ?— Attends un peu. Tu as été la seule à

m’adresser la parole alors que tout lemonde m’ignorait.

— Personne ne t’ignorait, Brady.— Bon, disons qu’ils m’évitaient.

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Quoi qu’il en soit, tu es venue t’asseoirà côté de moi. Toi, à qui j’avais à peineprêté attention au lycée, tu m’as écoutésans me juger. Je t’ai parlé mes projetset tu m’as encouragé à les réaliser.

— Tu avais déjà décidé de partir,Brady. Tu n’avais pas besoin de mesencouragements.

— Si. J’avais besoin d’être rassuré,besoin qu’on ne me regarde pas commeun monstre parce que je partais enlaissant mes frères derrière moi. Grâce àtoi, j’ai eu l’impression de prendre labonne décision, même si mes intentionsne l’étaient pas.

Maggie avait cessé de faire semblantde manger et l’écoutait avec attention.

— Quel mal y a-t-il à vouloir

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poursuivre ses études ?— Ce n’était pas mon seul but,

Maggie. Il n’y a que Sam qui sache lavérité.

Elle fronça les sourcils, puis tendit lamain vers lui. Il la prit et noua les doigtsdans les siens. Sa chaleur lui donna laforce de continuer :

— Je me suis enfui, Maggie, voilà lavérité. Je ne supportais plus de vivre àTawnee Valley après la mort de mesparents. J’avais l’impression de les voirpartout où j’allais, ce qui a failli merendre fou. J’étais faible, Maggie,incapable d’apporter le moindre soutienà mes frères.

— Ils ne s’en sont pas trop mal sortis,fit-elle remarquer en lui serrant la main.

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— Oui, plus ou moins. Peu importe.Ce que je voulais que tu saches, Maggie,c’est que, si je me suis enfui dans lepassé, je n’ai pas l’intention derecommencer.

— Qu’est-ce que tu racontes, Brady ?— Venez vous installer à New York,

toi et Amber. Je lui trouverai une bonneécole.

Elle voulut retirer sa main.— On n’est pas obligé de dormir

ensemble. Je peux trouver unappartement plus grand, si tu veux. Maisje ne te cache pas que j’ai envie d’êtreavec toi, de voir jusqu’où notre histoirepeut aller. N’as-tu pas, toi aussi, enviede savoir ?

A peine eut-il terminé sa phrase qu’il

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vit son visage se fermer.Et son cœur s’arrêta de battre.

* * *

— Savoir quoi ? demanda-t-elle enretirant sa main.

Le moindre contact avec luil’étourdissait, lui faisant entendre deschoses qu’il n’avait sûrement pas dites.

— Amber serait beaucoup plusheureuse si elle nous avait tous les deuxprès d’elle, n’est-ce pas ?

Les yeux de Brady étaient à présentcalculateurs.

— Je ne le nie pas, mais de là àdéménager aussi loin…

Que se passerait-il si elle acceptait, si

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elle cessait de se voiler la face commele lui avait conseillé Penny ?

— On sera ensemble. Je vous aideraià vous adapter, argua-t-il en voulantreprendre sa main.

Elle la posa sur ses genoux. Quelquechose la dérangeait dans sa proposition.Et, si elle sentait sa peau sur la sienne,elle serait trop troublée pour pouvoirréfléchir.

— Que se passera-t-il si nousdécouvrons que nous n’avons rien encommun en dehors de cette attirance etde l’enfant que nous avons conçuensemble autrefois ?

Et si ce n’était pas suffisant ? Si ellevoulait aussi de l’amour ?

— C’est déjà un bon début, non ?

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Ecoute, on n’a pas besoin de se déciderce soir. Tu peux prendre quelques jourspour réfléchir, mais sache que ce seraitmon désir le plus cher de vous avoirprès de moi, Amber et toi.

— Je n’ai pas envie de toutabandonner pour m’installer à NewYork. Qu’arrivera-t-il si nous neparvenons pas à nous entendre ? Mêmesi je trouve un travail, je ne gagneraisjamais assez d’argent pour pouvoirvivre dans une ville aussi chère.

— Tu n’as pas besoin de t’inquiéter.Je ne te laisserai plus jamais tomber.Réfléchis à ma proposition, Maggie, s’ilte plaît. Allons ailleurs terminer cettediscussion, d’accord ? dit-il en faisantsigne à la serveuse.

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Elle hocha la tête en silence. Il ne luiavait proposé ni l’amour ni le mariage.Mais elle voulait les deux. Un hommequi l’aime et un mariage qui dure toutela vie.

Tout ce qu’il lui offrait était un essai !Leur histoire pourrait peut-être lesmener quelque part. Et si ce n’était pasle cas, s’il n’avait jamais pour elle dessentiments aussi forts que ceux qu’elleéprouvait pour lui ?

Ils roulèrent en silence jusque chezelle, puis s’attardèrent quelques instantsdans la voiture.

— Me raconterais-tu ce qui s’estpassé pendant toutes ces années ?demanda-t-il en regardant droit devantlui, l’arrière du crâne sur l’appuie-tête.

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Elle défit sa ceinture et repoussa lesiège pour étendre ses jambes.

— Tu veux toute l’histoire ou bien unrésumé ?

Il se tourna vers elle.— Comme tu veux. Tu es une très

bonne mère, n’importe quel idiot s’enapercevrait. Mais ce n’est pas la seulebataille que tu as livrée. Je veux toutsavoir de toi, Maggie, pas seulement lafaçade courageuse que tu montres aumonde.

Elle prit quelques instants pourréfléchir. Devait-elle tout lui raconter ?Qu’est-ce qui l’intéressait vraiment ?

— J’ai appris que ma mère avait uncancer un mois avant de finir le lycée.Alors j’ai annulé mon inscription à

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l’université et perdu la bourse quej’avais eu tant de mal à obtenir. J’ai vutous mes amis partir et je suis restéepour m’occuper d’elle, priant pour quele traitement fonctionne.

— La vie est parfois cruelle, dit-il enprenant sa main. C’est dur de vivre ensachant que quelqu’un qu’on aime vamourir.

— En me rendant à cette fête, jecherchais quelque chose qui nem’échappe pas. Je voulais savoir si jepourrais éventuellement plaire à celui dequi j’étais amoureuse depuis toujours.

Elle sourit dans le noir au souvenir del’état d’esprit fantasque et romantiquedans lequel elle était ce soir-là.

— Alors, tu m’as trouvé ?

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— C’est toi que je cherchais,répondit-elle en lui serrant la main. Jeme disais que c’était peut-être ladernière fois que je faisais quelquechose pour moi. Quelque chose que jedésirais depuis longtemps.

Il passa le pouce sur le dos de samain.

— Je savais que tu partais et que notrehistoire n’aurait pas de lendemain. Jen’attendais rien de toi.

— Je sais, dit-il, sa voix grave lafaisant frissonner.

— J’ai découvert que j’étais enceintequand j’ai commencé à être aussimalade que ma mère après sachimiothérapie. Je ne savais pas quoifaire. Je ne voulais pas que tu croies que

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je l’avais fait exprès, ni que tu pensesque j’avais besoin de toi. Alors je t’aiécrit cette stupide lettre en espérantsecrètement que tu ne la recevraisjamais. Et quand Sam est venu medonner de l’argent, je ne me suis pasposé de questions.

Il resserra les doigts sur sa main, maisne dit rien.

— Nous en avions besoin et j’aipréféré croire que tu étais le genre ded’homme qui payait pour avoir la paix.C’était plus facile. J’avais été témoin dece que ma mère avait vécu avec monpère et j’avais peur. Quand Amber estnée, le cancer de ma mère est entré enrémission et les choses ont semblés’améliorer pendant un temps. Puis elle

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a rechuté. L’année qui a suivi a ététerrible et s’est terminée par sa mort.

Elle essuya une larme qui avait coulésur sa joue. Il tendit la main et caressatendrement son visage.

— Ensuite, la vie a continué. Fin del’histoire.

Rien pourtant n’avait été aussi simpleet la lutte avait été permanente.

— Tu es une personne merveilleuse,Maggie, constata-t-il d’une voix douce.

— Je t’ai caché que tu avais une fillependant huit ans et tu me trouvesmerveilleuse ?

— Tu voulais juste te protéger etprotéger Amber. Chacun à sa manière,on éprouve tous le besoin de fuir à unmoment ou à un autre.

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Il avait vu juste. Elle ne s’était pasenfuie physiquement maisémotionnellement, de peur de découvrirque ses craintes étaient justifiées et qu’ilne voulait ni d’elle ni de sa fille.

Et maintenant qu’il leur demandait des’installer à New York avec lui, ellen’en revenait pas.

Pourrait-il apprendre à l’aimer ? Elleposa sa bouche sur la sienne et son désirse réveilla. Si elle avait été amoureusede lui à dix-huit ans, maintenant elleaimait l’homme qu’il était devenu, celuiqu’elle avait appris à connaître cesderniers temps. Il l’aidait à réfléchir, lafaisait rire et gémir de plaisir. Il luidonnait l’impression que touts’arrangerait tant qu’il serait à son côté.

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— Allons chez moi, proposa-t-elle.Les grandes décisions attendraient

demain. Continuer à nier leur attirancefinirait par les rendre fous.

— Tu es sûre ? demanda-t-il en lascrutant dans la pénombre, son pouce luicaressant la joue.

— Pas toi ?Elle posa le visage dans sa main. Tous

les deux avaient des blessures malcicatrisées, alors pourquoi ne pass’entraider, ne serait-ce que le tempsd’une nuit ?

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- 19 -

Ils rejoignirent sa chambre main dansla main. Ce soir, il n’y aurait pasd’interruption. Elle se donnerait à lui dela seule façon qu’elle connaissait : detoute son âme.

Il plongea les yeux dans les siens.— Je t’ai toujours trouvée belle,

Maggie.Le désirer était facile. Dès qu’il

s’approchait d’elle son pouls

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s’accélérait et elle attendait qu’il latouche, le souffle court. Il passa le poucesur sa lèvre inférieure, y laissant unetraînée de feu.

Elle se mit à lui déboutonner sachemise avec des gestes lents, sans sepresser. Elle voulait savourer chaqueseconde de ces instants et se lesrappeler pour toujours. Ses yeux bleusbrillaient dans la pénombre de sachambre, tandis que ses mainsrejoignaient son dos, baissant lafermeture Eclair de sa robe avant des’immobiliser sur ses hanches.

Elle l’aida à enlever sa chemise sansrompre le contact visuel. Elle avaitbesoin de le regarder pour se rassurer,se convaincre que se donner à lui tout

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entière lui ferait du bien, qu’elle pouvaitsupporter de l’aimer sans que ce soitréciproque.

Il l’attira vers lui et lui embrassa lefront, posant ensuite des baisers sur sonvisage pour finir sur sa bouche. Elleferma les yeux et gémit de plaisir.

La passion frénétique d’hier soir avaitdisparu, remplacée par de lentescaresses. Pendant qu’il explorait sabouche comme s’il la découvrait pour lapremière fois, ses mains se glissèrentsous sa robe, faisant frémir sa peau.

Si elle ne voulait pas se presser, soncorps, lui, était pressé de passer àl’étape suivante. Elle noua les doigtsdans ses cheveux et intensifia le baiser.Il suivit le rythme et lui enleva sa robe.

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Sans lâcher sa bouche, elle ôta sessouliers.

Cette fois, il ne s’agissait passeulement de satisfaire un désir, nimême de succomber à une attirance queni l’un ni l’autre ne pouvait nier. Cesoir, elle voulait qu’il l’aimeentièrement, qu’il lui fasse l’amourcomme si c’était la dernière fois ou lapremière.

Leurs vêtements tombèrent les unsaprès les autres sur le sol, jusqu’à ceque rien d’autre que l’air ne les sépare.Elle plaqua les seins sur son torse, sonventre frémissant au contact de sachaleur.

Comme ses mains restaient immobilessur ses hanches, elle devina qu’il lui

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laissait l’initiative. Quand elle s’écartalégèrement pour reprendre son souffle,le bas de son corps effleura le sien.

— Tu es si belle, chuchota-t-il en laserrant contre lui.

Un flot de lave lui traversa les veines,l’enfièvrant. Elle s’écarta légèrement etlui caressa la joue. Elle avait envie delui dire qu’elle l’aimait, mais les motsne parvinrent pas à franchir ses lèvres.

— Il y a longtemps que j’attends cemoment, dit-elle à la place en ouvrant lelit et en lui tendant les bras. Tesouviens-tu de ce que tu m’as dit lors denotre première nuit ?

Il s’avança et la prit dans ses bras.Elle posa la tête sur son torse, l’oreillesur son cœur, se demandant si le sien

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battait aussi vite.— Oui, que je regrettais de ne pas

t’avoir remarquée au lycée, répondit-ilen posant un baiser sur son crâne. Qu’onaurait eu plus de temps à passerensemble.

— Nous en avons, maintenant, dit-elleen cherchant ses yeux, désirant de toutesses forces qu’il lise dans les siens à quelpoint elle voulait qu’il l’aime.

Elle savait que ce besoin la rendaitvulnérable, mais s’en moquaitcomplètement.

— Oui, nous avons le reste de nosvies, approuva-t-il en l’embrassant.

Rassurée, elle se laissa entraînerjusqu’au lit, leurs lèvres ne se séparantqu’une fois qu’ils furent allongés côte-à-

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côte.Elle oublia de respirer tandis que sa

main s’aventurait vers seins, jouant avecl’un d’eux pendant que sa bouches’occupait de l’autre. Puis ses doigtsdessinèrent de petits cercles sur sonventre avant de se glisser entre sesjambes.

Galvanisée par ses caresses, ellevoulut lui rendre la pareille. Elleparcourut ses abdominaux tendus et luicaressa la hanche. Il poussa ungémissement qui la fit sourire, maischangea de position pour prendre sonautre sein dans sa bouche, l’empêchantde mettre son idée à exécution. Pendantce temps, ses doigts poursuivaient leurmanège entre ses jambes. Désormais

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incapable de penser, elle se laissatransporter par le plaisir qu’il luidonnait. La tension qui montait en ellefrisait à présent la douleur et ellecraignit d’exploser sur-le-champ.

* * *

Il s’immobilisa quand ses doigts serefermèrent sur lui.

Elle l’explora par petites touches, secontentant de l’effleurer. Il se remit à lacaresser, cette fois plus lentement,jusqu’à ce que ses hanches se soulèventet qu’elle soit de nouveau au bord del’orgasme.

Alors il la souleva, reprit sa bouche etlui caressa les seins. Elle le serra dans

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ses bras, submergée par le plaisir qu’illui donnait.

Il l’abandonna un court moment pourmettre un préservatif, puis la regardaintensément. Ses yeux brillaient dansl’obscurité. Son cœur se gonfla d’amourquand il passa le pouce sur sa joue.

Il la pénétra lentement, réunissantleurs corps en un seul, son regardtoujours dans le sien. Elle s’efforça d’ylire l’avenir, afin de savoir s’il existaitune petite chance qu’il puisse l’aimer,un petit espoir auquel se raccrocher.

Lorsqu’il se mit à se mouvoir en elle,son esprit se vida de toute pensée. Puis,étroitement enlacés, ils se laissèrentemporter par le flux voluptueux duplaisir. En cet instant, ils ne faisaient

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qu’un. Jamais elle n’aurait imaginétrouver un accord aussi parfait avec unhomme. Tandis qu’ils montaientensemble vers les sommets, il la serraplus fort dans ses bras, et elle voulutcroire qu’il avait peur qu’elle s’en aille.

Incapable de se retenir pluslongtemps, elle atteignit le septième cielen même temps que lui, et ils plongèrentensemble dans un océan de plaisir.

* * *

Quelque peu désorienté, Brady seréveilla dans la chambre de Maggie.Elle dormait sur son épaule, son corpschaud collé au sien, ses cheveux luichatouillant le nez. Ils avaient dû

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s’endormir à l’envers, car le lit était endésordre et les couvertures à moitié surle sol.

Il la serra contre lui, envahi par unsentiment de plénitude. Pour une fois, ilse sentait comblé. La nuit avait étéfantastique. A aucun moment il n’y avaiteu entre eux la gêne habituelle entredeux personnes qui faisaient l’amourpour la première fois. D’accord, ilsl’avaient déjà fait. Mais c’était il y alongtemps.

Si tout se déroulait selon ses plans,Maggie et Amber s’installeraient chezlui dans une semaine. Hier, il avaitrédigé un e-mail à son assistante, luidemandant d’ouvrir un dossier contenantles projets de Josh et les notes qu’il

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avait rédigées l’autre jour. Il l’avaitégalement chargée de transformer lachambre d’amis en chambre de petitefille, lui joignant des photos de ce qu’ilavait en tête, de remplir le réfrigérateuret de mettre des fleurs dans toutes lespièces de l’appartement.

Quinze jours plus tôt, à l’époque où ilpréparait la présentation de Detrex avecJulie, il aurait éclaté de rire si on luiavait dit qu’il aurait une famille dansune semaine. Il se rendit compte qu’iln’avait pas pensé à son projet depuisplusieurs jours. Maggie et Amberl’avaient absorbé au point que sontravail avait perdu de son importance.Vivant seul depuis l’âge de dix-huit ans,il avait eu tendance à combler l’absence

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de famille en travaillant. Maintenant,c’était différent. Il avait Maggie etAmber.

S’il avait pu crier son bonheur sur lestoits, il l’aurait fait. A la place, ilcontempla la femme qui dormait dansses bras, se souvenant de ce que Sam luiavait dit autrefois. Il ne s’était pastrompé. Maggie était le genre de femmequ’on gardait. Il l’avait déjà laissééchapper une fois et ne referait pas deuxfois la même erreur.

Elle s’étira et le regarda d’un airensommeillé.

— Bonjour, dit-elle.Oui, c’était ainsi qu’il voulait se

réveiller tous les jours.— Bonjour, répondit-il.

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Elle releva la tête, remarquant qu’ilsavaient les pieds à la place desoreillers, puis haussa les épaules et lareposa sur son torse.

— On pourrait prendre notre petitdéjeuner dehors avant d’aller chercherAmber. Qu’en penses-tu ?

— Tu as de la chance qu’elle n’ait pasd’école aujourd’hui.

— Je suis l’homme le plus chanceuxdu monde. Allez, viens, on ne peut pasrester au lit toute la journée.

Il aurait bien aimé qu’elle proteste,mais elle soupira et se leva. La lumièredu soleil sur sa peau lui donnait un refletdoré. Il eut à peine le temps de l’admirerqu’elle enfila son peignoir et sortit de lapièce.

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Une demi-heure plus tard, ils étaientinstallés dans le seul café de TawneeValley. Quelques vieux fermiersbuvaient leur café au bar. Il commençaità mettre un nom sur le visage des gens.Bob Spanner avait vendu quelques têtesde bétail à son père. Russ Andrewss’était associé à Sam pour cultiver leschamps de l’ouest. La propriété de GuyWilson jouxtait celle des Ward au nord.Depuis une semaine qu’il était là, ilavait probablement déjà rencontré lamoitié de la population. Rien nesemblait changer à Tawnee Valley.C’était à la fois réconfortant etexaspérant.

Il faudrait qu’il pense à laisser desvêtements de rechange chez Maggie ou

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peut-être même, qui sait, apporter sonsac et passer le reste de ses vacances là-bas.

Il lui adressa un sourire radieux qui lafit rougir. Rien ne pouvait l’atteindreaujourd’hui. Pas même l’e-mail queJulie lui avait envoyé pour l’informerqu’il y avait des problèmes dans ledéroulement du projet. Il ne s’était passenti obligé de la rappeler sur-le-champ.Il s’en occuperait cet après-midi.

— Bonjour Maggie, bonjour, Brady.Que puis-je vous servir ? demanda laserveuse.

Elle s’appelait Rachel Thompson etavait été leur baby-sitter, à Luke et à lui,quand ils étaient petits.

— Deux spéciaux, s’il te plaît,

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répondit Maggie en lui rendant le menu.Avec des œufs au plat et du bacon.

— C’est noté. Vous serez servis dansun instant.

Elle adressa un clin d’œil à Brady,avant de se diriger d’un pas nonchalantvers la cuisine.

— Parlons de New York, dit Maggieen évitant son regard.

— Comme je te l’ai dit, on peutdormir dans la même pièce ou non, c’està toi de choisir. Et si tu n’aimes pasl’appartement, nous en trouverons unautre. Il y a plusieurs écoles à proximité,mais il faudra les contacter pour savoirlaquelle acceptera de prendre Ambertout de suite. Mon assistante s’occuperade tout.

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— Hé, Maggie. C’est rare de te voirici.

Il avait reconnu la voix de Josh avantde se retourner. Il se leva pour le saluer.

— Hé, Josh. J’avais justementl’intention de t’appeler, dit-il en luitendant la main.

Josh la prit, puis la lâcha brusquement,son regard se tournant vers Maggie avantde revenir sur lui. Son sourire avaitdisparu.

— C’était donc toi, le coupable ?— Coupable ? répéta-t-il sans

comprendre.L’autre jour, ils avaient eu une

discussion animée. Josh avait mêmeparu content de le voir. S’était-il passéquelque chose entre lui et Maggie ?

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— Et moi qui croyais que c’était Luke,dit-il en s’adressant à Maggie par-dessus son épaule.

Brady n’aimait pas son ton. Les autresclients avaient cessé de parler pour lesregarder. De quoi Josh accusait-ilLuke ?

— Pas ici, Josh, avertit Maggie entreses dents.

— Et pourquoi pas ? demanda-t-il endevenant tout rouge. Oh ! pendant untemps, j’ai même pensé que c’était Sam.Mais je n’aurais jamais imaginé que cesoit lui.

— Mêle-toi de tes affaires, Josh,répliqua Maggie en se levant pour semettre à côté de Brady.

Il détestait voir tous ces gens le

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regarder avec curiosité. Ce n’était pascomme à New York. Ici, tout le mondesavait qui il était.

— Quelque chose m’échappe. Qu’est-ce que mes frères ont à voir là-dedans ?

Personne ne lui répondit. Maggie etJosh continuaient à se mesurer du regardsans lui accorder la moindre attention.

Au bout d’un moment, la lumière se fitdans son esprit. Josh faisait allusion àcelui qui était le père d’Amber.

— Arrêtons de nous disputer,intervint-il en montrant leur box. Allonsnous asseoir pour en discutercalmement.

Josh détourna son attention de Maggieet le fixa d’un air furieux.

— As-tu la moindre idée de l’enfer

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qu’a été sa vie à cause de toi ?— Josh, arrête, supplia en vain

Maggie.— Réponds ! ordonna Josh.— J’en ai une petite idée, répondit-il

en se redressant, prêt à toute éventualité.Mais je ne savais pas.

— Il ne savait pas, ben voyons,rétorqua Josh en s’adressant à la salle.

Rachel sortit de la cuisine et vint seplacer à côté de Maggie.

— Tu te calmes, Josh, s’il te plaît,ordonna-t-elle.

— Comment pouvez-vous rester assisainsi sans rien dire ? Vous avez pourtanttous été témoins des épreuves que cettefemme a traversées, non ?

Josh se tourna de nouveau vers lui et

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repoussa brutalement Brady. Il absorbale choc sans broncher.

— Si tu t’étais donné la peine del’appeler une seule fois au cours de ceshuit ans, tu l’aurais su. Mais tu étaisbeaucoup trop occupé par ta carrièrepour penser à la fille que tu avaisengrossée.

— Maggie t’a dit de te mêler de tesaffaires, répliqua-t-il, se sentant tout demême un peu honteux.

— Si elle avait voulu de moi, jel’aurais épousée, poursuivit Josh. C’estce qu’un homme digne de ce nom auraitfait.

Brady ne savait pas quoi répondre,alors il endura la semonce. Joshsemblait décidé à déverser tout ce qu’il

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avait sur le cœur. Tous ces regardsbraqués sur lui le mettaient mal à l’aise.Il devinait leur déception. A leurs yeux,il avait toujours été un champion, celuiqui avait réussi.

— Mais toi, tu as préféré lui envoyerde l’argent pour acheter son silence,conclut Josh d’un ton méprisant.

Un silence pesant s’installa dans lasalle, comme si tout le monde retenaitson souffle en attendant sa réponse.

Maggie lui toucha le bras.— Quittons cet endroit, Brady, dit-elle

doucement.— Mais oui, Maggie, ironisa Josh.

Protège l’homme qui t’a fait du tort.Il recula et écarta les bras, comme

pour l’inviter à le frapper.

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Contrairement à Luke, Brady avaittoujours préféré éviter la bagarre ennégociant. Mais, dans le cas présent, ilméritait chaque coup que Joshs’apprêtait à lui porter.

— S’il te plaît, Brady, allons-y,insista Maggie en tirant sur son bras. Jesuis désolée pour le tumulte, Rachel.

— Bon sang, répondit celle-ci,visiblement sous le choc.

Il laissa Maggie l’entraîner dehors,sous les regards à la fois déçus etdésapprobateurs des gens qui l’avaientautrefois porté aux nues. Il ne méritaitpas une once de leur admiration. Il avaitpassé une nuit avec Maggie et ne s’étaitpas un seul instant préoccupé desconséquences. D’ailleurs, c’est à peine

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s’il avait eu une pensée pour elle aucours de toutes ces années.

— Je suis désolé, Maggie, dit-il unefois qu’ils furent dans la voiture.

Si rien de ce qu’il pourrait faire àprésent ne permettait de réparer le tortqu’il avait causé, il devait cependants’efforcer de faire amende honorable.

— Ce n’est pas ta faute, objectaMaggie en regardant devant elle.

— Je ne t’ai pas même appelée poursavoir si tu allais bien. Tu aurais aussibien pu te tuer sur la route en rentrant dela fête.

— Je ne vaux pas mieux. Je n’ai faitaucun effort pour entrer en contact avectoi, dit Maggie en se tournant vers lafenêtre.

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Elle aurait pu épouser Josh. Amberaurait eu un père, peut-être aussi desfrères et sœurs. A la place, elle avaitchoisi l’indépendance.

— Je t’admire beaucoup, Maggie,déclara-t-il.

Elle finit par le regarder, souritpensivement, puis lui prit la main.

— Allons chercher Amber, d’accord ?Finalement, il se moquait de ce que les

habitants de cette ville pensaient de lui.Maggie était là, avec lui. C’était la seulechose qui comptait.

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- 20 -

Brady sentait la rage bouillonner dansses veines. Le trajet jusqu’à la ferme neparvint pas à dissiper les sombrespensées qui l’habitaient. La fauterevenait à Sam. Sans ses mensonges, ilaurait su que Maggie était enceinte dèsle début. Alors peut-être serait-ilrevenu, peut-être non. Au moins aurait-ileu le choix. Quoi qu’il en soit, personnen’avait le droit de le juger.

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Le temps qu’ils arrivent à la ferme, lacolère qu’il refoulait depuis des annéesavait atteint son paroxysme. Maggie,quant à elle, n’avait pas dit un mot detout le trajet.

— Tu veux bien aller chercher Amberdans la maison ? demanda-t-il devant lavoiture. J’ai deux mots à dire à Sam.

De la musique s’échappait de lagrange. Il s’y dirigea d’un pas vif,étonné de trouver Amber à l’intérieur, entrain de peindre une chaise de boispendant que Sam bricolait son tracteur.

— Bonjour, papa, dit-elle en souriant.— Bonjour, ma chérie. Ta mère

t’attend dans la maison. Va te nettoyeravant qu’on s’en aille.

Sam se releva et s’essuya les mains

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avec son chiffon sale.— Cette gamine est un sacré numéro,

commenta-t-il en la regardant s’éloigner.Elle mange comme un ogre.

Le monde marchait sur la têteaujourd’hui. D’abord, cette scèneridicule avec Josh et maintenant Sam quise comportait comme s’il connaissaitAmber depuis toujours.

— Ce n’est pas la peine de fairesemblant d’aimer ma fille.

— Mais je l’aime. Elle est adorable,cette petite.

— Si tu l’aimais tant, tu n’aurais pasattendu huit ans pour m’en parler. Lukeaurait pu me passer le message à taplace, puisque tu avais si peur de perdrela face.

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— Et tu crois que les choses se sontpassées ainsi ?

Son calme commençait à l’énerver.— La vérité, c’est que tu t’es toujours

cru obligé de tout contrôler. Tu t’es mêlénon seulement de ma vie, mais aussi decelles de Maggie et d’Amber. Pourquoias-tu agi ainsi ?

— Pour te protéger.— Me protéger ? En me cachant

l’existence de ma fille ? C’est ridicule,dit-il d’un ton rageur.

— Serais-tu revenu si tu l’avais su ?— Je n’en sais rien, mais j’aurais fait

quelque chose.— Quoi, Brady ? L’épouser, comme

notre mère te l’aurait conseillé ?— Où veux-tu en venir, Sam ?

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— Crois-tu que ma vie ait été facile ?Moi aussi, j’aurais aimé partir, quittercet endroit ne serait-ce que pour desvacances.

— Oui, j’imagine, répondit-il, bienque l’idée ne l’ait jamais effleuré.

— Je me suis battu pour que Luke et àtoi puissiez réaliser vos rêves. Alors,s’il m’est arrivé de prendre demauvaises décisions, excuse-moi.Rappelle-toi que je me suis retrouvé encharge d’une ferme et de mes deux frèresà l’âge de vingt ans.

— Tu n’étais pas obligé.— Vers qui crois-tu que maman s’est

tournée à la mort de papa ? Quand ellem’a demandé de l’aider, je n’ai pas purefuser. Je ne regrette rien, mais il

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m’arrive de détester cette ferme et nosparents pour me l’avoir léguée.

— J’aurais voulu participer.— Tu étais ambitieux, Brady, et cet

endroit était trop petit pour toi. Je nevoulais pas que tu sois arrêté dans tonélan par un mariage que tu te serais cruobligé de proposer. J’ai voulu t’éviterde devenir amer et frustré.

— Tu aurais au moins pu me laisserprendre ma décision moi-même. Cecidit, pourquoi as-tu attendu tout ce tempsavant de me mettre au courant ?

Il se tourna vers le tracteur sansrépondre. Mais son silence étaitéloquent. Sam avait beau dire, ilpréférait le tenir éloigné de la ferme.

— Bon sang, Sam, pas cette fois.

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Arrête de prendre des airs de martyr etréponds à ma question. Pourquoi avoirattendu huit ans ? Tu aurais pu me le direau bout de quelques années, quandj’aurais été plus mûr et moins perturbé,mais tu as gardé le secret. Pourquoi ? Tume dois une explication.

Sam se tourna vers lui, mais évita sonregard.

— Il y a un mois, j’ai dû faire uneradio du thorax à cause de l’assurance,déclara-t-il. On a découvert que j’avaisune hypertrophie du cœur. J’ai rendez-vous chez un cardiologue dans un mois.En attendant, je dois contrôler matension régulièrement.

— Quoi, tu es malade ? Est-ce queLuke est au courant ? demanda-t-il en le

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fixant avec inquiétude.— Non, je ne veux pas qu’il me

regarde comme tu le fais, répondit Samen se réfugiant derrière le tracteur.D’ailleurs, ce n’est pas grave. Il fallaitjuste que tu le saches, au cas où ilm’arriverait quelque chose.

— Ecoute, Sam, je ne peux paschanger le passé, mais excuse-moi de nepas t’avoir aidé. Je suis désolé d’êtreparti en te laissant toutes lesresponsabilités. Et je suis désolé que tusois malade.

— Eh bien, arrête de te désoler. C’estinutile, grommela Sam.

— Je sais que tu ne t’excuseras pas,mais je te pardonne quand même, dit-il,sa colère à présent évanouie.

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* * *

— Maman, c’est moi qui ai peint lachaise du début à la fin, proclamafièrement Amber.

Brady les ramenait chez elles. Il étaittendu et taciturne depuis l’altercationavec Josh, et Maggie se demandaitcomment aborder le sujet de leurdéménagement à New York. Malgré lanuit merveilleuse qu’ils avaient partagéela veille, ils n’avaient pas d’avenirensemble.

— Sam n’a pas laissé les chiensdormir avec moi, poursuivit Amber. Pasmême quand j’ai dit que c’est moi quiirais dormir dehors avec eux.

— Des poils de chien dans ton lit,

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berk, c’est dégoûtant !— Quand je serai grande, j’aurai dix

chiens, affirma-t-elle au moment oùBrady de garait devant la maison.

Maggie tendit les clés de la maison àAmber.

— On va bientôt déjeuner. Va tepréparer.

— D’accord. Tu déjeunes avec nous,papa ? demanda-t-elle ensuite enenlaçant Brady.

— Ce n’est pas sûr, mais je te prometsde te réserver une journée cette semaine.

— Super !Elle sortit de la voiture et disparut

dans la maison.Brady était toujours aussi silencieux et

Maggie ne savait pas comment

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commencer.— Tu sais ce que je regrette le plus ?

demanda-t-il au bout d’un moment, leregard fixé sur le pare-brise.

— Non, mais je vais le savoir.— De ne pas vous avoir connues plus

tôt. Ma vie aurait été bien meilleure sivous aviez été avec moi, toi et Amber.

Ces mots gentils la désarçonnèrent,mais elle ne pouvait pas attendre pluslongtemps.

— Ecoute, Brady, je ne peux pas tesuivre à New York.

Il se tourna vers elle et la regarda d’unair désespéré qui lui fit regretter sesparoles.

— Je sais que ce n’est pas facile pourtoi de tout quitter, mais je suis sûr que tu

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t’habitueras.Elle rassembla son courage avant de

poursuivre :— Ta vie doit être très intéressante et

je suis touchée par ta proposition,mais…

La déception qui se peignit sur sestraits l’empêcha de continuer.

— Tu n’as pas besoin de te décidermaintenant, répondit-il en passant le dosde sa main sur sa joue. Contente-toi d’ypenser, d’accord ?

— Ce n’est pas la peine, Brady. Jen’ai pas envie de vivre à New York. Jesais que tu aimes beaucoup Amber etque tu crains de ne pas la voir assez,mais nous te rendrons visite et tu pourrasvenir chez nous quand tu voudras.

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— Epouse-moi.— Quoi ?— Nous avons une fille que nous

adorons et nous nous entendonsparfaitement au lit. Que demander deplus ? Ainsi, tu seras certaine que je nedisparaîtrais pas. Si c’est ce qu’il fautfaire pour que tu viennes, je suis prêt àt’épouser.

Elle n’en revenait pas. Etait-ce unedemande en mariage qu’il venait deformuler ? Malheureusement, il était troptard. S’il lui avait proposé de l’épouserquand elle s’était retrouvée enceinte,elle aurait accepté sans hésiter. Al’époque, elle aurait rêvé d’être prise encharge pour toujours. Mais elle avait dûapprendre à se débrouiller seule et ne

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supporterait plus de dépendre dequelqu’un.

— Si tu avais su que j’étais enceintede toi, tu m’aurais certainement proposéde m’épouser. Tu aurais agi par devoir,parce que tu ne m’aimais pas plus àl’époque que maintenant. Et j’aurais ditoui car j’étais terrorisée par ce quim’attendait.

— Il n’est pas question d’amour. Pourle bien d’Amber, c’est mieux qu’on viveensemble.

— Tu ne comprends pas, Brady. J’aiélevé Amber seule et je n’ai plus peurde rien, dit-elle en ouvrant la portière.Et j’attends autre chose de la vie que desdemi-mesures.

Il ouvrit la bouche, mais aucun son

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n’en sortit.Elle sourit, même si ses yeux étaient

remplis de larmes.— Je t’aime, Brady, mais je ne crois

pas que tu sois capable de me donnerl’amour que je mérite en retour, conclut-elle en se glissant dehors avant de luilaisser le temps d’argumenter.

* * *

— Peterson a organisé une réunionavec Kyle mercredi. Il est décidé àcouler le projet.

Brady leva les yeux vers le ciel, sedemandant pourquoi tout allait si mal. Lerapport affiché sur l’écran de sonordinateur révélait que le budget de

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Detrex serait dépassé d’ici trente jours.Ce n’était pas possible. Il avait pris soind’établir un prévisionnel équilibré.

— As-tu parlé avec Kyle ? demanda-t-il en reportant les yeux sur la ferme encontrebas.

— Pas encore. Je le vois demainmatin. Tes fichiers ont disparu duserveur, raconta-t-elle d’une voixaltérée. Ce projet risque d’être enterréavant d’avoir vu le jour.

Ce qui serait une catastrophe pour l’unet l’autre car une grosse somme d’argentavait déjà été investie. Il avait déjàperdu son frère, peut-être aussi Maggieet Amber, et ne pouvait pas en plusperdre son emploi. Que pouvait-il fairede plus ici ? S’il rentrait à New York,

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au moins aurait-il une chance de sauverson projet. En fin de compte, travaillerétait la seule chose qu’il sache faire àpeu près correctement.

— Informe Kyle que je le verraidemain matin. Je vais dire à monassistante de réserver une place sur leprochain avion.

— Ce n’est pas la peine, Brady.Envoie-moi les fichiers par e-mail, jeme débrouillerai avec. Occupe-toi de tafamille.

Du haut de la colline, il vit Sam sortirde la maison et se diriger vers la grange.Vu de cette hauteur, il semblait tout petit.Sam avait presque sacrifié la ferme pourpouvoir donner à Maggie une partie del’argent qu’il lui avait envoyé. Il avait

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renoncé à ses rêves afin que ses frèrespuissent réaliser les leurs. D’accord, ilne s’y était pas toujours bien pris, maislui aussi était jeune et impulsif àl’époque.

S’il voulait rendre hommage ausacrifice de son frère, il fallait qu’il soitfier de lui. Ses compétencesprofessionnelles étaient sa meilleurearme.

— A demain, Julie, dit-il en coupantla communication.

Il vérifia que les fichiers étaient bienabsents du serveur de l’entreprise, puisse déconnecta. Après un rapide coup defil, il avait une place réservée sur leprochain vol pour New York. Ilsauverait son projet et continuerait à

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vivre comme il l’avait toujours fait.Quant à Maggie, peut-être finirait-ellepar revenir à la raison.

Mais d’abord, il devait faire sesadieux.

Il trouva Sam dans le garage àl’arrière. Une version simplifiée de lacélèbre Pontiac GTO était installée surla rampe de levage.

— Est-ce la voiture que tu avais aulycée ? demanda-t-il en s’approchantpour caresser le capot argenté. Je mesouviens de l’été pendant lequel papa ettoi l’avez bricolée.

— Ouais, tu voulais nous aider et moi,je priais pour que tu t’en ailles, réponditSam de sous la voiture.

— Moi aussi, je priais pour que tu t’en

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ailles.Il sourit à ce souvenir. Ils avaient

rivalisé pour obtenir l’attention de leurpère, mais c’était toujours Sam quil’avait gagnée.

— J’ai essayé.Brady s’appuya contre l’établi,

choisissant un endroit qui paraissaitmoins sale que les autres.

— J’avais presque oublié que tu étaisallé à l’université. Papa et mamanétaient si fiers de toi. A peine unesemaine après ton départ, papa a eu sacrise cardiaque.

Sam sortit de sous la voiture et s’assitsur le chariot.

— Je suis arrivé à la maison juste àtemps pour lui dire au revoir. Il m’a

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demandé de me charger de vous.— Tu ne me l’avais jamais dit.Il prit le marteau qu’il avait toujours

vu à la ferme.— Tu n’avais pas besoin de le savoir.Brady parcourut des yeux la vieille

voiture qu’il avait tant enviée à sonfrère. Il l’avait supplié de l’emmenerfaire un tour et Sam avait fini paraccepter. Il avait eu l’impression devoler.

— Je dois rentrer d’urgence à NewYork. Des problèmes sont survenus aubureau.

— Ne te crois pas obligé de medonner des explications, répondit Samd’un ton bourru.

— En fait, je te dois des excuses. Je

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vous ai laissés tomber, toi et Luke,comme tu n’as pas essayé de me joindre,j’en ai déduit que tu ne désirais plus mevoir. J’aurais dû rester. Je regrette queles choses se soient terminées ainsi.

— Dommage qu’on ne puisse paséchanger nos places. Tu serais celui quireste bloqué dans cette ferme et moi,celui qui a la belle vie loin d’ici. Cen’est pas la peine de t’excuser, Brady.J’aurais bien aimé que tu restes, mais jevoulais surtout que tu t’en sortes afin quenos parents, où qu’ils soient, puissentêtre fiers de ta réussite.

— Ils peuvent l’être tout autant de toi,Sam, dit-il, respirant l’odeur de graisseet de gasoil qui lui rappelait toujoursson père et son frère. Pourquoi ne m’as-

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tu rien dit ?— Parce que tu étais blessé et en

colère quand tu es parti. Parce que jel’étais aussi à cause de ton départ. Je nesavais pas comment m’y prendre pourme réconcilier avec toi après notredispute. Alors, je me suis dit que tuvivrais mieux sans moi.

— Non, Sam, ce n’est pas vrai.J’aurais au moins pu te le faire savoir. Ilfaut que cela change. Je désirereconstruire notre famille. C’est ce quepapa et maman auraient voulu. Noustrois réunis. Crois-tu que ce soitpossible ? demanda-t-il en lui tendant lamain.

Sam la prit, puis l’enlaça rapidementavec un bras.

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— Je l’espère.— J’essayerai de revenir bientôt,

promit-il.Cette fois, il était décidé à tenir

parole, quitte à planifier ses visites desmois l’avance.

Il lui restait une dernière visite à faireavant de quitter cet endroit. C’était sadernière chance de convaincre Maggiede partir avec lui.

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- 21 -

Brady appuya sur la sonnette avecl’espoir de trouver Maggie seule. Ilavait besoin de lui parler en tête à tête.

La porte s’ouvrit et elle apparut. Soncœur se gonfla de joie en la voyant.

— Amber est chez Penny. Elle rentredans une demi-heure. Si c’est maconnexion internet qui t’intéresse, tu…

Il lui coupa la parole avec un baiser.Elle plaqua les mains sur ses épaules. Il

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crut qu’elle s’apprêtait à le repousser,mais ses doigts s’agrippèrent à sachemise. Il aurait pu passer sa journée àl’embrasser. Hélas, il n’avait que detrente petites minutes à sa disposition.

Il la poussa dans la maison sans cesserde l’embrasser, puis referma la porte dupied. L’occasion ne se représenteraitpas de si tôt et il voulait en profiter.Cette femme le rendait fou. Tel unhomme affamé devant une assiette denourriture, il était incapable de luirésister.

Dès que sa langue toucha la sienne, ledésir monta en lui. Leurs souffles semêlaient dans l’étroite entrée. Aucunefemme n’avait eu sur lui un tel effet. Il nepouvait pas partir sans elle.

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Il lâcha sa bouche, posa le front sur lesien et la serra dans ses bras, envahi parle désespoir.

— Reviens sur ta décision, Maggie.Il était prêt à se jeter à ses pieds pour

la convaincre.Elle le scruta un instant. De la tristesse

teintait ses yeux noisette. Puis ellesourit, lui redonnant un peu d’espoir.

— Tu n’abandonnes jamais, constata-t-elle.

— Non.Il la garda étroitement enlacée,

espérant secrètement que l’alchimie deleurs corps viendrait à bout de sarésistance. Il savait qu’elle l’aimait,mais préférait éviter de s’en servir pourl’influencer.

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— J’ai besoin de te parler. Asseyonspour discuter. Je suis sûr qu’on trouveraune solution.

— Tu crois ?Elle se libéra de son étreinte, le

précéda jusqu’à la table de la salle àmanger et prit une chaise. Il s’installa àcôté d’elle.

Le temps jouait contre lui. Peut-êtredevrait-il annoncer la couleur sansattendre. Mais elle le devança.

— Ecoute, nous avons toujours vécuici. New York n’est pas un endroit pournous. C’est une autre planète.

— N’exagérons rien.— Je l’ai vu de mes propres yeux. Les

gens vous bousculent si vous êtes surleur chemin. Chacun dans son monde. Tu

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aimes peut-être ce genre de vie, Brady,pas moi. Je ne veux pas que ma filledevienne comme eux.

— Tu t’y habituerais, j’en suis sûr. Etpuis, je serai là pour t’épauler. C’est àcela que sert la famille, argua-t-il,conscient de s’engager sur un terrainglissant.

— Dans une famille, tout le mondedoit être content, fit-elle remarquerd’une voix douce.

— J’ai un travail, c’est important,non ? Malheureusement, mon entrepriseest basée à New York et je suis obligéd’y rester. Si tu n’as pas envie de vivreà Manhattan, on trouvera une maison enbanlieue.

— Ce n’est pas le seul problème. Tu

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me demandes de tout abandonner pour tesuivre, mais moi aussi j’ai un travail,qui plus est avec des horaires flexiblesqui me permettent de m’occuperd’Amber. J’ai des amis qui mesoutiennent et des voisins prêts àm’aider en cas de besoin. Je neretrouverais jamais ce genre de chosesdans une grande ville.

Il fallait à tout prix qu’il réussisse à laconvaincre. Impossible de partir sanselle. Il décida de jouer sa dernière carte.

— Bien sûr que si. C’est dans tafamille que tu le trouveras. N’est-ce pasà cela que sert l’amour ?

— Ce n’est pas à toi de me parlerd’amour, rétorqua-t-elle sèchement en selevant. Tu n’y connais rien.

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— Alors, éclaire-moi, Maggie.Elle secoua la tête et se réfugia au

fond de la pièce.— Ce n’est pas possible.— Pourquoi pas ?— L’amour ne s’apprend pas, il se

sent. Désolée, mais je ne peux past’aider.

Il la rejoignit et lui caressa la joue.— Ecoute, Maggie, je suis obligé de

rentrer à New York aujourd’hui. Mais jene partirais pas avant que tu mepromettes de réfléchir à ma proposition.

Ses yeux se remplirent de larmes.— Tu veux des promesses alors que tu

ne tiens pas les tiennes ?— Il s’agit d’un cas de force majeure.

Ma carrière dépend de la réussite de ce

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projet.— Oui, je sais, ta carrière…— Que veux-tu dire ?Elle secoua la tête. Il détesta la

déception qu’il devina dans ses yeux.— Quand tu auras compris, préviens-

moi.Au même instant, la porte d’entrée

claqua et Amber fit irruption dans lapièce, les obligeant à s’écarter.

— Papa ! Je suis si contente de tevoir, s’écria-t-elle en l’enlaçant avantde se mettre à fouiller dans son sac àdos.

— Comment s’est passée ta journée ?demanda-t-il.

Maggie en avait profité pourdisparaître, peut-être pour le laisser seul

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avec Amber avant son départ ou bienpour sécher ses larmes. Il finirait bienpar la convaincre. Il fallait juste lui enlaisser le temps.

— Très bien, répondit Amber en luitendant une invitation. Nous avonsorganisé uns exposition d’art à l’écolejeudi prochain. Tu viendras avec moi,n’est-ce pas ? Tu m’as promis de meréserver une journée.

Il y avait de l’espoir dans son regard.Et aussi de l’amour. Son cœur se serra.Il allait la décevoir et la seule idée luiétait insupportable. Il pria pour que cesoit la dernière fois.

— Ce n’est pas possible, ma chérie.Excuse-moi. Je dois rentrer à New Yorkaujourd’hui.

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Son sourire se transforma en unfroncement de sourcils.

— Mais tu reviendras bientôt, n’est-cepas ?

Il s’agenouilla devant elle pour semettre à sa hauteur.

— Ecoute, Amber, tu sais que je suistrès occupé. Mais je te promets derevenir dès que possible.

Elle renifla et sa lèvre inférieure semit à trembler. Il baissa la tête, honteuxde son attitude.

— Ce n’est pas grave, papa, assura-t-elle en nouant ses petits bras autour desa nuque. Tu vas me manquer.

Se sentant encore plus mal, il luirendit son étreinte.

— Toi aussi, ma chérie.

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Elle se dégagea, prit son visage entreses mains et posa un baiser sur son front.

— Pourquoi m’embrasses-tu à cetendroit ?

— Ma Mamie disait que quandquelqu’un que tu aimes te quitte, il fautlui donner un baiser sur le front afin derester gravé dans sa mémoire. Mamiem’embrassait toujours là pour me direbonne nuit.

— Ta grand-mère était pleine desagesse. Je suis sûr qu’elle te manquebeaucoup.

— Oui, mais elle n’est pas loin. Jel’appelle quand j’ai besoin d’elle.

— Est-ce que je peux aussi te faire unbisou sur le front ? Comme ça, tun’oublieras pas ton papa.

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— Bien sûr, papa.Le cœur gros, il posa un baiser sur son

front et lui promit de revenir la voirbientôt.

— Je t’attendrai, répondit-elle avantde saisir son sac à dos et de s’élancervers la cuisine.

Un instant plus tard, Maggie apparutsur le seuil de la cuisine, un souriretriste sur les lèvres.

Il traversa la pièce et la prit dans sesbras. Leurs chemins se séparaient, maisce n’était que momentané. Il n’avait pasrenoncé à la convaincre. Il posa unbaiser sur sa bouche et un autre sur sonfront.

— Ne m’oublie pas, Maggie, dit-ilavant de s’en aller.

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* * *

Ce soir-là, en rentrant chez lui, Bradyse retrouva seul dans son appartement. Iln’y avait pas encore de fleurs dans lesvases, mais la rénovation de la chambred’amis avait commencé. Les mursavaient été peints en bleu lavande et leparquet était recouvert de bâches.

Tout lui paraissait pourtant vide etdénué de vie. Il soupira et se rendit danssa chambre pour défaire sa valise.L’écharpe de soie rouge de Maggieattira son regard. Il la prit dans sesmains et se laissa tomber sur le lit, lafaisant glisser entre ses doigts. C’était leseul objet de la maison qui semblaitvivant.

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La sonnerie de son portable résonnadans le silence.

— Bonsoir, dit Julie.— J’allais récupérer les fichiers pour

la réunion.— Tu n’avais pas besoin de rentrer.

J’aurais pu m’en sortir sans toi.— Sans doute. A quelle heure a-t-on

rendez-vous ?— 9 heures. Ça va, Brady ? demanda-

t-elle comme il gardait le silence.— Oui, ça va aller. Bonne nuit, Julie.Il téléchargea les fichiers, puis relut

ses notes et les comptes rendus que Julielui avait envoyés par e-mail. Tout étaitprêt pour la réunion et il n’avait plusrien à faire.

Sa vie lui sembla aussi vide que son

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appartement. Jusqu’à la perspective dedéfendre son projet qui ne l’excitaitplus. Rien n’avait de sens loin deMaggie et d’Amber, pas même sacarrière. En l’espace d’une petitesemaine, elles lui étaient devenues aussiindispensables que l’air qu’il respirait.

Il se mit au lit, mais ne parvint pas às’endormir, se remémorant encore etencore le moment où Maggie lui avaitdit qu’elle l’aimait. Il n’avait pas encorepris le temps d’analyser ses paroles.Maggie Brown l’aimait malgré tout.Cette constatation lui ouvrit les yeux.C’était par amour qu’elle s’étaitsacrifiée pour sa mère, de la mêmefaçon que Sam s’était sacrifié pour eux.Quel sacrifice lui-même avait-il fait ?

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Aucun. Comment dans ce cas pouvait-ildemander à Maggie de renoncer à sa viepour le suivre ?

Ne s’était-on pas déjà assez sacrifiépour lui ?

* * *

Il n’avait presque pas dormi quand lasonnerie du réveil retentit. Malgré sonépuisement, il aurait préféré s’atteleraux corvées de la ferme. Les travauxagricoles lui avaient toujours remis lesidées en place.

Il se rendit au bureau en métro ets’arrêta dans le hall pour boire un café àla cafétéria. Dans quelques jours, il seserait habitué et sa vie retrouverait son

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cours normal.Les papiers s’étaient empilés sur son

bureau depuis son départ. Il s’y plongeapour ne pas penser. Quand vint l’heurede la réunion, il avait presque retrouvéses esprits.

Il rencontra Julie dans le couloir et luiemboîta le pas. Elle était superbe dansson tailleur vert de femme d’affaires.Mais elle ne lui faisait aucun effet.Maggie dans son vieux T-shirt étaitmille fois plus séduisante.

— Contente de te voir, dit-elle.— J’ai étudié le dossier. On devrait

réussir à convaincre Kyle de la viabilitéde notre projet.

Il avait du mal à suivre son allure. Ilfaut croire qu’il s’était habitué aux

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promenades tranquilles avec Maggie etAmber.

— J’ai lu tes notes sur lesperspectives à Tawnee Valley. Trèsintéressant. Avec quelquesperfectionnements, on pourraitfacilement obtenir le soutien de Kylepour ce projet.

— Tant mieux, répondit-ildistraitement. Crois-tu qu’il soitpossible d’aimer quelqu’un sans lesavoir ?

Elle fronça ses sourcils parfaitementépilés.

— Pardon ?— Non, rien.Elle le précéda dans le bureau de Kyle

qui leur indiqua des sièges.

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En s’asseyant, Brady se rendit comptequ’il n’avait jamais remarqué les photosde Kyle, sa femme et leurs deux enfantssur le mur derrière lui. L’éclairage étaitparfait et les poses soigneusementétudiées. Rien à voir avec les photos quiornaient l’intérieur de Maggie. Aucuned’entre elles n’avait été prise en studio.

— J’espère que la visite à votrefamille s’est bien passée, dit Kyle enl’étudiant.

— Très bien.— Vous m’en voyez ravi. Je vous

écoute, Julie. Vous aviez des problèmesà me soumettre, il me semble.

— Concernant le projet Detrex, nousavons récupéré les fichiers du budget etpouvons à présent vous garantir que nos

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calculs sont justes et l’entreprise viable.De la coiffure aux chaussures en

passant par sa façon de se comporter,Julie était le professionnalisme incarné.Peu de tant auparavant, elle avaitreprésenté son idéal féminin.

— Peterson m’a appelé tôt ce matin. Ildésirait que j’avance son rendez-vous.Savez-vous pourquoi ? demanda Kyle enregardant Brady.

Ce fut Julie qui lui fournitl’explication.

— M. Peterson a eu des gestesdéplacés hier soir. En plus, il m’a laisséentendre que Detrex se porterait mieuxsi je répondais à ses avances. Alorsj’imagine qu’il désirait s’accuser deharcèlement sexuel envers sa

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collaboratrice.— Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

demanda Brady.Elle tourna son regard froid vers lui.— Je sais me défendre. Je n’ai pas

besoin d’un protecteur.— Il s’agit d’accusations graves, dit

Kyle. Le harcèlement sexuel n’est pastraité à la légère dans l’entreprise.Seriez-vous prête à établir un rapportd’incident ?

— Oui, approuva Julie.— Vous importeriez-vous que je fasse

venir M. Peterson ?— Non, monsieur. Au contraire.Quelques minutes plus tard, Peterson

se tenait debout devant le bureau deKyle, aussi loin possible de Julie. Brady

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retint un sourire en voyant l’ecchymosesur sa pommette.

— Vous êtes en congé sans solde enattendant l’issue des poursuites engagéescontre vous, annonça Kyle.

Kyle ne reprit la parole que lorsquePeterson fut sorti de la pièce, escortépar un gardien.

— Vous auriez dû nous alerter avant,Julie. Nous serions intervenus.

Elle hocha la tête. Pendant tout cetemps, Brady avait cru qu’elle avaitbesoin de lui, alors qu’elle savait trèsbien se débrouiller seule. Tout commeMaggie, d’ailleurs.

Il prit une grande décision. S’il voulaitréunir sa famille, peut-être était-il tempspour lui de se sacrifier un peu pour les

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autres.— Je me retire du projet Detrex,

annonça-t-il.Visiblement aussi surpris l’un que

l’autre, Kyle et Julie se tournèrent enmême temps vers lui.

— Julie n’a pas besoin de mon aide.Elle est parfaitement capable de le gérertoute seule. En revanche, Kyle,j’aimerais vous parler d’un autre projetintéressant, si vous avez le temps.

— Bien sûr. Il se trouve que monrendez-vous de 10 heures vient de sortirde l’immeuble escorté par un gardien. Aquoi pensiez-vous ?

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- 22 -

Amber marchait devant Maggie tandisqu’elles revenaient de la réunionorganisée par la troupe de scoutsd’Amber.

— Maman, Jessica prétend que lesananas poussent sur des arbres, dit-elleen se mettant à avancer à reculons.

— Je suis presque sûre qu’elle setrompe. Regarde devant toi, s’il te plaît.

— Papa a appelé hier, annonça-t-elle

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ensuite.Maggie manqua de trébucher, mais se

rattrapa à temps.— Ah bon ?— Oui.Il y avait presque une semaine qu’il

était parti. Il avait déjà appelé une fois,mais elle était sortie et Amber avaitraccroché au moment où elle arrivait. Sielle avait été déçue, elle s’était consoléeen se disant que c’était mieux ainsi.Autant rompre le contact définitivement.

Amber tourna sur elle-même avant dese remettre dans le bon sens.

— Il dit qu’on lui manque.Elle avait du mal à le croire. Son

esprit était probablement déjà accaparépar ses occupations professionnelles.

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— Et il espère aussi venir nous voirbientôt, conclut-elle en s’élançant encourant vers la maison.

Pourvu que sa fille ne soit pas déçue.C’était un sentiment qu’elle connaissaitbien. Après son départ, son père l’avaitappelée deux fois, lui promettant unevisite lors de son passage en ville. Elleavait guetté son arrivée sous le porche,mais il n’était jamais venu. L’idéequ’Amber puisse être confrontée à cegenre d’épreuve la révoltait.

Penny avait demandé à Sam de garderAmber vendredi soir. Elle voulaitl’emmener boire un verre et luiprésenter quelqu’un qui pourrait« éteindre le feu », comme elle disait.Maggie avait accepté sans enthousiasme.

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Elle nourrissait le vague espoir que leschoses s’arrangent avec Brady, même sielle n’était pas sûre de pouvoir lui faireconfiance. Il était visiblement prêt à toutpour obtenir ce qu’il voulait. Il avaitmême été jusqu’à la demander enmariage.

— Maman, dépêche-toi !Elle la chercha des yeux, mais ne la

vit pas. Elle avait déjà dû entrer dans lamaison.

En arrivant devant chez elle, elle futsaisie de stupeur en voyant Brady Wardassis sur les marches de la véranda.Vêtu d’un jean et un T-shirt gris, beaucomme un dieu, il tenait un bouquet dansles mains. Elle se figea, le cœur battantla chamade.

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Elle le regarda se diriger lentementvers elle, incapable de formuler lamoindre pensée logique. Du coin del’œil, elle aperçut un mouvementderrière la porte moustiquaire, puisentendit les rires d’Amber et de Penny.

Il s’arrêta devant elle et lui tendit unegerbe de fleurs des champs, un mélangedésordonné de marguerites, de vergesd’or et de bleuets.

— Tiens, je les ai cueillies pour toi.Ce bouquet était sans aucun doute le

plus beau qu’elle ait jamais reçu, maiselle l’accepta avec circonspection. S’ilétait venu pour la convaincre des’installer à New York, il perdait sontemps.

— J’ai compris des choses pendant

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mon absence, dit-il.N’osant pas le regarder de crainte de

se laisser attendrir, elle respira pour sedonner du courage. Le parfum des fleurssauvages lui monta à la tête.

— Quoi donc ? demanda-t-elle.— Toute ma vie, j’ai cherché ce qui

me manquait. Au lycée, j’ai cru que jem’intégrerais ici en étant le meilleurdans tous les domaines. En Angleterre,j’ai cru qu’en gravissant les échelons dela hiérarchie je ferais partie del’entreprise. Puis, à New York, j’ai cruavoir trouvé ce que je cherchais.

Comme il ne poursuivait pas, elle finitpar lever les yeux vers lui. Son cœurbattait follement dans sa poitrine. Elleavait cet homme dans la peau et le

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repousser était chaque fois plus difficile.— Lorsque tu m’as dit que j’avais une

fille, j’ai cru que le simple fait d’être unbon père remplirait ce manque.

Il s’interrompit pour écarter unemèche de cheveux de son visage.

— Et ?Elle avait peur de sa réponse. Mais, si

elle voulait un jour se libérer de cetamour pour en trouver un autre, ilfaudrait bien qu’elle l’entende.

— Je n’avais pas besoin de quittercette ville pour trouver ce que jecherchais. Je me suis égaré en chemin.Quand tu es réapparue dans ma vie, tum’as ouvert les yeux. Tu m’as donné unefille et tu m’as offert ton amour, sansjamais rien me demander en retour.

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Elle retint son souffle en attendant lasuite. Il se trompait. Ce qu’elle voulaiten retour, c’était son amour. Elle enavait besoin pour ne pas mourir à petitfeu.

Il sourit et s’avança vers elle.— Je ne peux pas m’installer à New

York, dit-elle, ravalant ses larmes. Si jepensais que c’était le meilleur pourAmber, je n’hésiterais pas, mais je necrois pas. Quant à moi, je ne supporteraipas de vivre avec toi si tu ne m’aimespas.

Il lui caressa la joue.— Bon sang, je suis vraiment nul. Tu

sais, quand j’ai appelé Amber l’autrejour, elle était ravie d’avoir passél’après-midi à cueillir des fleurs

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sauvages avec ses amis. Jamais je ne lapriverais de ce plaisir.

Elle aspira une bouffée d’air.— Alors, pourquoi es-tu là ?Il prit ses mains dans les siennes.— Parce que c’est ici que je veux être.

Avec toi. Pendant toutes ces années, j’aicherché ce qui me manquait. Jusqu’à ceque je découvre que c’était toi, MaggieBrown.

— Tu dis n’importe quoi, dit-elle, leslarmes coulant à flot sur ses joues.

Mais son cœur débordait de joie.— J’ai cru que je serais comblé si tu

venais t’installer à New York avec moi.Mais je serais retombé dans les mêmestravers. J’aurais continué à travaillercomme un forcené et je vous aurais

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négligées, toi et Amber. Toute monénergie était consacrée à ma carrière.

— Où veux-tu en venir ?— Tu as renoncé à ton avenir pour

prendre soin de ta mère et de ta fille.Sam s’est occupé de Luke et t’a donnépresque tout l’argent que je lui envoyais,manquant de peu de perdre la ferme. Jesuis le seul qui ne se soit jamaissacrifié. Je n’ai rien fait pour te prouvermon amour, Maggie.

Il lui prit la main. Le cœur battant, elleposa sa dernière question :

— Comment peux-tu être sûr que c’estmoi que tu aimes et non l’idée d’avoirune famille ?

Il sourit et plaqua un baiser sur seslèvres.

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— J’étais aveugle, terrorisé parl’amour, par l’idée d’avoir une famille.Tu es celle qui m’a montré le cheminquand j’étais déboussolé, qui m’asdonné du courage quand j’étaisdécouragé. Tu as toujours été celle qu’ilme fallait, avant même l’arrivéed’Amber, avant qu’on se retrouve et queje découvre qui tu étais vraiment. Vivreà New York n’a pas de sens sans toi. Jet’aime de tout mon cœur, Maggie. Jeveux vivre avec toi, ici, à TawneeValley. J’ai posé ma candidature pourêtre responsable du projet que nousallons lancer dans la région. Si tu ledésires, je m’installerai chez Sam, maisil ne se passera pas un jour sans que jevienne frapper chez toi pour te demander

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en mariage.L’émotion lui nouait la gorge. Jamais

elle n’aurait imaginé entendre ces motsde la bouche de Brady Ward.

— J’ose espérer que ce sont deslarmes de bonheur. Je t’aime, Maggie. Jeveux t’épouser et je suis prêt à me jeterà tes pieds pour te convaincred’accepter.

Elle chassa ses larmes d’un battementde paupière.

— Je n’ai jamais rien voulu d’autreque ton amour, Brady. Si j’avais su quetu m’aimais, je t’aurais suivi à NewYork sans hésiter.

— Maintenant, tu n’as plus besoin departir. Dis-moi oui, Maggie.

Elle plongea les yeux dans son intense

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regard bleu.— Oui, j’accepte de t’épouser.Il la prit dans ses bras.Elle se perdit dans leur long baiser

passionné.

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TITRE ORIGINAL : FATHER BY CHOICETraduction française : DOMINIQUE DUBOUX© 2013, Amanda Berry. © 2014, Harlequin S.A.

Tous droits réservés, y compris le droit dereproduction de tout ou partie de l’ouvrage, sousquelque forme que ce soit. Ce livre est publié avecl’autorisation de HARLEQUIN BOOKS S.A. Cetteœuvre est une œuvre de fiction. Les noms propres,les personnages, les lieux, les intrigues, sont soit lefruit de l’imagination de l’auteur, soit utilisés dans lecadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblanceavec des personnes réelles, vivantes ou décédées, desentreprises, des événements ou des lieux, serait unepure coïncidence. HARLEQUIN, ainsi que H et lelogo en forme de losange, appartiennent à HarlequinEnterprises Limited ou à ses filiales, et sont utiliséspar d’autres sous licence.

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