Rencontres de La Baule 2009

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Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009

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5èmes Rencontres de la Baule

11 et 12 septembre 2009

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SOMMAIRE

VENDREDI 11 SEPTEMBRE 2009

SOMMAIRE 3

Allocution d’ouverture 4

Atelier de réflexion Territorialité et besoins en santé : comment les définir ? 5

Accueil 31

Allocution d’ouverture 33

L’ouverture de l’établissement de santé sur le territoire et le médico-social : quels leviers

stratégiques ? 35

Questions de la salle 46

Le médecin généraliste : gestionnaire de son territoire ? 51

Capitaux extérieurs dans les établissements et les sociétés médicales : quel impact ? 68

Questions de la salle 83

Remerciements 88

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 4

VENDREDI 11 SEPTEMBRE 2009

ALLOCUTION D’OUVERTURE

DR. PATRICK GASSER

PRESIDENT DE L’URML DES PAYS DE LA LOIRE

Je vous souhaite la bienvenue à cette cinquième édition des Rencontres de La Baule, désormais un

peu modifiées puisque nous avons rajouté une demi-journée. Cette demi-journée m’a en effet paru

indispensable à l’heure où la région devient un niveau « pertinent ». Or l’évolution de la demande

des politiques, des représentants de l’Assurance Maladie et des mutuelles a sans doute quelque peu

bousculé le corps médical qui encore aujourd’hui, rencontre des difficultés pour s’adapter à la fois

aux désirs des plus jeunes et à ses propres aspirations. Il s’avère donc nécessaire, pour la profession,

de proposer un nouveau modèle de fonctionnement.

Dans ce contexte, une réflexion autour de la notion d’entreprise de santé constitue sans doute l’une

des réponses possibles. Ainsi, dans la région nous travaillons à la mise en place des médecins de

premier recours et des pôles de santé, dorénavant intégrés dans la loi HPST. Bien évidemment cette

entreprise de santé doit conserver sa spécificité médicale et son éthique, tout en donnant du soin à

tous et ce, dans les meilleures conditions. D’ailleurs, ce niveau deviendra peut-être pertinent en vue

d’une ouverture à la contractualisation régionale.

Mais comment répondre de façon adaptée sans connaître les besoins de soins, les expériences

menées sur le territoire, ou même les ressources disponibles ? J’espère que vous nous fournirez, en

la matière, quelques pistes de réflexion. La loi HPST s’impose désormais à tous et il me semble

important de se l’approprier en Région. Pour ce faire, nous devons approfondir notre connaissance

du territoire.

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ATELIER DE RÉFLEXION

TERRITORIALITE ET BESOINS EN SANTE : COMMENT LES DEFINIR ?

Participaient à cet atelier de réflexion :

• Yann BOURGUEIL, Directeur de recherche à l’IRDES ;

• Benoît DERVAUX, Enseignant-chercheur Lille 2, CHRU de Lille ;

• Xavier CONILL, Directeur de la Planification et de l’Innovation de la Corporation de Santé du

Maresme et la Selva, Catalogne ;

• Denis DURAND de BOUSINGEN, Journaliste ;

• Anne TALLEC, Directrice de l’ORS des Pays de la Loire.

Cet atelier de réflexion était animé par Jean-Pol DURAND, Journaliste.

Jean-Pol DURAND

Anne Tallec, vous êtes une observatrice avisée du secteur sanitaire et social. Au lendemain de la

publication de la loi HPST, quel est votre pronostic ? La régionalisation peut-elle aller jusqu’à une

réelle déconcentration des pouvoirs ?

Anne TALLEC

J’ai été particulièrement sensible à la pertinence des thèmes retenus pour ces 5èmes Rencontres de

La Baule : poser aujourd’hui, alors que se mettent en place les Agences régionales de santé (ARS),

les questions de coordination, de territoires et de besoins me semble vraiment particulièrement

intéressant. Je souhaite donc tout d’abord saluer ici l’initiative de l’URML.

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La création des ARS constitue une étape essentielle dans la régionalisation des politiques de santé.

Cette dynamique est engagée depuis plusieurs décennies, mais elle a concerné les différents

secteurs du système de santé de façon très différente.

En ce qui concerne les établissements de santé tout d’abord, la régionalisation est ancienne et très

engagée, aussi bien en matière de planification -la carte sanitaire date de 1970- que de tarification,

avec toutefois sur ce dernier point, une tendance inverse depuis 2004 avec la mise en place de la

tarification à l’activité (T2A). Les ordonnances de 1996 ont représenté un tournant essentiel, avec la

création des Agences régionales de l’hospitalisation (ARH) et l’élaboration des schémas régionaux

d’organisation sanitaire (SROS).

Dans le secteur ambulatoire, la dynamique régionale n’a rien de comparable, notamment parce que

la question de planification ne s’y est pas réellement posée jusqu’à une période récente, en raison

d’un contexte associant offre relativement abondante et liberté d’installation. En outre les tarifs se

négociaient, et se négocient toujours d’ailleurs, au niveau national. Au cours des dernières années,

ce secteur a été avant tout marqué par des dynamiques de regroupement, avec la création des URML

en 1994 et des URCAM en 1996.

Dans le champ de la prévention, la dynamique s’avère assez ancienne. En 1982, avaient en effet été

créés les Comités consultatifs de promotion de la santé et les Observatoires régionaux de la santé,

grâce à un ministre de la santé, Jack Ralite, dont la vision des enjeux de santé en France s’est

finalement avérée largement en avance sur son temps. La régionalisation dans ce secteur a trouvé

un nouveau souffle en 2006 avec la création des Groupements régionaux de santé publique (GRSP).

Mais malgré ces évolutions, ce domaine occupe toujours une place très marginale dans notre

système de santé.

Enfin, le secteur médico-social est traditionnellement organisé au niveau départemental, et fait

l’objet d’un double pilotage, Etat et Conseils généraux. Et en 2004, la 2ème vague de

décentralisation avait renforcé le rôle des Conseils généraux dans les politiques concernant les

personnes âgées et les personnes handicapées. La prise en compte par les ARS du secteur médico-

social signe donc une dynamique très différente.

Malgré ces évolutions, l’organisation du système de santé, reste à ce jour très cloisonnée entre les

différents secteurs (ville/hôpital, établissement public/établissement privé, soins/prévention,

médical/médico-social), surtout centrée sur le curatif et peu sur le préventif, sur « l’hôpital » et

peu sur l’ambulatoire.

Les Agences régionales de santé, dont l’ambition principale est de permettre le décloisonnement,

seront-elles en mesure de répondre à ces problématiques ?

La mise en place des ARS va tout d’abord instaurer une gouvernance régionale considérablement

simplifiée. Dans une région comme les Pays de la Loire, on va ainsi passer d’une dizaine de

structures en charge de piloter le système de santé à une seule. Les instances de concertation

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régionales vont également être moins nombreuses : la conférence régionale de la santé et de

l’autonomie va assurer les fonctions de la Commission Régionale de l’Organisation Sanitaire, de la

Commission Régionale de l’Organisation Sociale et Médico-sociale et de la Conférence Régionale de

Santé.

La loi apporte en outre de nombreux outils :

- pour favoriser l’approche globale de la santé (définition des soins et du médecin généraliste de

premier recours, introduction de la notion d’éducation thérapeutique,…)

- pour améliorer l’organisation des soins au niveau territorial (contrats locaux de santé, signalement

de leurs absences par les médecins, ...)

- pour favoriser les coopérations et les complémentarités entre institutions (communautés

hospitalières de territoire, groupements de coopération sanitaire, pôles) et entre professionnels

(centres et maisons de santé, délégation de tâches, …)

La globalité de l’approche de la santé qui préside à la mise en place des ARS apparaît mieux en

phase avec les réalités actuelles, et notamment :

- le vieillissement de la population, et, de façon liée, le poids des maladies chroniques (les

affections de longue durée représentent 60 % des dépenses de santé),

- le recul de la démographie médicale mais aussi et peut-être surtout les changements

sociologiques qui affectent les professionnels de santé comme toute la société (temps de

travail…).

Des questions demeurent cependant, et tout d’abord autour du décloisonnement. Si le

décloisonnement entre la prévention, les soins et le médico-social, que tout le monde appelle de ses

vœux, constitue le fil conducteur de la loi, il n’en demeure pas moins que le projet régional de

santé prévu par la loi comporte trois parties : le schéma régional de prévention, le schéma régional

des soins et le schéma régional médico-social. Cela peut apparaître comme le reflet d’une réelle

difficulté à donner corps à cette notion de transversalité. C’est sans doute au niveau des territoires,

avec les acteurs de proximité, qu’il sera le moins difficile de commencer à faire vivre ce

décloisonnement.

S’agissant des poids relatifs du curatif et du préventif, la déclinaison territoriale apparaît également

comme essentielle, tout comme l’analyse des besoins. Et à ce titre, il me semble regrettable que,

concernant le schéma régional de prévention, la loi n’évoque ni la question des besoins, ni la notion

de territoire.

Enfin, en ce qui concerne l’équilibre entre la médecine de ville et l’hôpital, la dénomination même

de la loi nous prouve qu’il reste encore beaucoup à faire !

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Certes le directeur de l’ARS concentrera dans ses mains un pouvoir considérable, mais de quelles

marges de manœuvre disposera-t-il vis-à-vis du niveau national, où la complexité reste de mise ?

Régionalement, sa marge sur le plan financier sera relativement réduite, eu égard en particulier au

fait que les tarifications, tant à l’hôpital via la T2A qu’en ambulatoire via les conventions

médicales, restent nationales.

Mais dans tous les cas, les relations que ce responsable pourra et saura établir avec les acteurs

locaux, professionnels de santé et collectivités locales notamment, me semblent déterminantes, au

même titre que l’évolution des représentations de ces acteurs.

S’il convient d’être optimiste, au regard des déséquilibres financiers et des questions de

démographie médicale actuels, le temps nous est compté.

Jean-Pol DURAND

Si cette loi s’inscrit dans la continuité des évolutions entamées il y a vingt ans, j’observe tout de

même que nous avançons fort lentement. Mais combien de temps faudra-t-il encore pour aboutir à

un Plan Régional de Santé qui fasse consensus minimal entre tous les acteurs ?

Anne TALLEC

D’importants changements de représentations collectives s’avèrent aujourd’hui nécessaires. Cela

nécessite toujours beaucoup de temps, mais la nature des débats désormais portés par l’Union

Régionale des Médecins Libéraux nous prouvent que les évolutions sont d’ores et déjà considérables.

Eu égard aux difficultés qui émergent actuellement, tant au niveau des professionnels qu’au niveau

financier, il est nécessaire de ne pas perdre de temps. Notre chance se trouve certainement dans

notre capacité à nous fédérer entre acteurs régionaux, même si les poids nationaux demeurent très

forts.

Benoît PERICARD, KPMG

Si vous aviez l’occasion de conseiller le futur Directeur de l’ARS des Pays de la Loire, sur quelles

priorités lui proposeriez-vous de mettre l’accent ? Evoqueriez-vous en premier lieu la résorption du

déficit hospitalier, la répartition des médecins libéraux ou encore l’ouverture du médico-social en

direction des hôpitaux ?

Anne TALLEC

Au lieu d’opter pour une porte d’entrée institutionnelle, je poserais la question dans les termes

suivants : quels sont les problèmes de santé prioritaires au niveau de la population, et sur ces sujets

comment les différents professionnels peuvent-ils agir ? A titre d’exemple, dans notre région, deux

déterminants pèsent de façon considérable sur la santé de la population, à savoir la nutrition et

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l’alcool. Je sélectionnerais donc de telles portes d’entrée et mobiliserais à ce sujet les moyens

disponibles, quitte à les ajuster si nécessaire. Tel est, me semble-t-il, l’esprit de la loi.

Jean HALLIGON

Vous avez parlé de complexité au niveau national, mais n’avez-vous pas également l’impression que

la loi crée, dans chaque région, un « machin » délicat à gérer, avec lequel il sera difficile de

répondre aux besoins de santé, même bien observés ?

Anne TALLEC

Certes, mais actuellement nous fonctionnons avec dix « machins » ! Nous pouvons donc encore

progresser : cette loi positionne sur une même ligne de départ le soin, la prévention et le médico-

social. Elle leur redonne leur chance. Pour les acteurs de santé publique, il s’agit d’un moment

historique, facilité par la présence d’un unique interlocuteur au lieu de dix. Mais cette simplification

peut aussi s’avérer plus risquée…

Benoît DERVAUX

Ne risque-t-on pas, avec les ARS, le même phénomène qu’avec les ARH ? Ainsi, après une première

génération d’ARH particulièrement autonomes, le pouvoir est revenu dans les mains de l’Etat. En ce

sens, c’est sans doute au cours de ce premier mandat des ARS que les changements doivent

absolument intervenir.

Anne TALLEC

J’aurais tendance à être d’accord avec vous.

Jean-Pol DURAND

Les Directeurs d’ARS travailleront en lien direct avec le Secrétariat général du Ministère, dont j’ai

l’impression qu’il sera naturellement tenté de leur tenir la main…

Anne TALLEC

Je ne maîtrise pas bien les enjeux politiques multiples de cette loi.

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Patrick GASSER

Cette régionalisation s’apparente-t-elle à une décentralisation ou à une déconcentration ? Quel sera

le contre-pouvoir régional ? S’agit-il de la Conférence Régionale de Santé dont nous connaissons déjà

le fonctionnement ?

Anne TALLEC

Beaucoup d’acteurs ont œuvré pour donner plus de pouvoirs et d’autonomie aux Conférences

régionales de la santé et de l’autonomie, mais leurs missions demeurent effectivement

extrêmement limitées. Elles ne forment pas du tout les lieux d’échanges et de démocratie

indispensables, selon moi, pour faire évoluer les représentations collectives. En effet, le système de

santé ne changera pas sans les usagers, ni les professionnels. Nous avons donc vraiment besoin

d’espaces de démocratie plus forts.

Gérard MAUZAIZE, FNATH, Association des accidentés de la vie

A ses débuts, l’URML ne participait pas à la Conférence Régionale de Santé. Tel n’est le cas que

depuis deux ans environ. Pour ma part, je me suis toujours battu pour que les médecins participent

à ces échanges.

Dominique BARRANGER ADAM - Union Nationale des Syndicats de Sages-femmes

Habituellement la régionalisation implique un transfert de compétences nationales vers une région.

Dans le cas présent, le pouvoir demeure aux mains de l’Etat en la personne d’un Préfet de santé

régional. Cette exception institutionnelle reflète bien, selon moi, les problèmes de cette

« régionalisation » : les besoins et les moyens de santé régionaux doivent pouvoir être évalués au

regard de la gestion globale d’un territoire.

Yann BOURGUEIL

Le scénario de la régionalisation tel qu’il se déploie aujourd’hui a été très bien décrit dans un

rapport du Commissariat Général au Plan daté de 1993, rapport rédigé par un groupe de travail

présidé par Monsieur Soubie, actuellement conseiller des Affaires sociales de Monsieur Sarkozy. Nous

avons donc mis entre quinze et seize ans pour réaliser ce scénario qui d’ailleurs, n’envisageait pas

de décentralisation ; ceci étant, le rapport prévoyait de confier une place plus importante aux

Conseils régionaux.

En 2003, ma collègue Marina Serré qui est politiste et moi-même avons mené une enquête auprès

des élus régionaux à l’initiative de l’URML Rhône-Alpes à l’époque où le Premier Ministre Raffarin

avait annoncé qu’il confierait peut-être la santé aux régions. Tous les élus de droite comme de

gauche étaient effrayés à l’idée de récupérer la gestion d’un budget de 215 milliards d’euros.

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Décentraliser signifie en effet donner des responsabilités en matière de collecte et de gestion des

budgets. Ainsi, une décentralisation poussée à son maximum entraînerait à l’évidence une remise en

cause des transferts et des équilibres de la redistribution des ressources qui actuellement, se fait à

l’échelle nationale. C’est pourquoi règne aujourd’hui en France, entre les élus régionaux, un relatif

consensus pour ne pas aller vers une décentralisation similaire à celle du modèle espagnol par

exemple. Ensuite, se pose la question de la place des élus régionaux dans le processus de définition

de la gestion régionale : en la matière, nous conservons plutôt un modèle assez technocratique.

Benoît DERVAUX

Dans ce processus, chaque région se positionne de manière différente. J’ai la chance de venir de la

région Nord Pas-de-Calais où le Conseil régional s’est pleinement investi dans la politique de santé

et fait même partie à ce jour de la Commission Exécutive (COMEX) de l’ARH. Bien sûr, en

contrepartie, il consacre d’importants budgets au financement des investissements hospitaliers et

autres. Néanmoins je pense que les régions peuvent aussi prendre leur part dans le dispositif actuel.

Certaines régions l’ont fait.

Jean-Pol DURAND

Le Nord-Pas-de-Calais est la seule région à avoir investi dans ce dispositif.

Benoît DERVAUX

Tout à fait. Le Conseil régional est rentré dans la Commission Exécutive (COMEX) de l’ARH et a

contribué au financement des différents projets.

Jean-Pol DURAND

Yann Bourgueil, comment détermine-t-on des territoires de santé ?

Yann BOURGUEIL

Je m’apprête à parler d’un sujet qui ne relève pas de ma spécialité. En l’occurrence, je m’intéresse

plutôt à l’organisation des soins de premier recours, dans une logique territoriale certes mais

surtout populationnelle. Ma présentation se fonde principalement sur les travaux des géographes de

l’IRDES ; je vous conseille d’ailleurs la lecture de leur document de travail1 qui correspond à une

1 http://www.irdes.fr/EspaceRecherche/DocumentsDeTravail/DT10TerritoireSanteApprRegion.pdf

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évaluation de la façon dont les SROS de troisième génération ont construit les territoires. Ce bilan

s’avère en effet fort intéressant.

La notion de territoire comporte une forte ambiguïté : un territoire peut être créé pour le bien de la

population qui y vit, mais l’on peut aussi chercher à travers la territorialisation à « marquer son

territoire » et chercher à établir des frontières. Ainsi, j’ai souvent constaté une multiplicité des

territoires en fonction des institutions, ou des acteurs politiques qui les construisent : chacun

dessine sa carte et s’assoit sur son territoire afin de le défendre, où plutôt de défendre les privilèges

auxquels il donne droit. Ce qui me paraît intéressant, dans la notion de territoire est avant tout la

notion de population.

Ceci dit, revenons à la question posée. Comment définir un territoire de santé ? Plutôt que de

proposer une méthode clé en main, je vais explorer plusieurs questions qui me paraissent se poser

autour des territoires de santé. Il me semble que lorsque l’on travaille à la constitution d’un

territoire en santé, l’un des enjeux majeurs consiste d’abord à déterminer pour quel service et pour

qui ? En matière de soins ambulatoires par exemple, la loi définit des soins de premier recours et des

missions assez larges pour ces soins de premier recours. L’opérationnalisation de la notion de

premier recours et de services de premier recours est transférée aux régions à qui il reviendra de

définir ce qu’est la gamme de services que l’on entend garantir à la population. Il s’agit d’un

important enjeu conceptuel et technique pour le futur Directeur d’ARS : définir de façon concrète

quels sont les objectifs en termes de soins de premier recours pour la population ?

On peut définir un territoire pour des fonctions différentes. Ainsi observer l’état de santé d’une

population, ne se fait pas nécessairement à la même échelle que pour l’action. Il me semble que

dans une logique d’action qui suppose également la mobilisation et la participation d’acteurs,

souvent professionnels implantés sur les territoires, il faut savoir adopter une approche pragmatique

du territoire. Ainsi, les dynamiques professionnelles ou de projets ne sont pas nécessairement les

mêmes que celles de cartes administratives ou parfois de l’action publique descendante. J’ai la

conviction que les changements souhaités en termes d’efficacité et d’efficience ne peuvent

s’opérer sans les professionnels au sens large.

Pour mettre en œuvre les réorganisations des soins souhaitées dans la réforme, le Directeur d’ARS

devra donc d’abord repérer où se trouvent les dynamiques. En général, elles se situent

généralement là où il y a crise, c'est-à-dire d’abord dans les soins de premier recours parce que les

élus locaux s’inquiètent, parce que les médecins ferment leurs cabinets, ne sont pas remplacés, etc.

Or c’est le plus souvent dans ces situations de crise que les acteurs sont prêts à changer.

Un autre aspect qui peut déterminer les territoires sont les modèles et leviers d’action disponibles.

Le Directeur d’ARS devra s’interroger sur sa capacité à contractualiser, à investir avec ou sans

partenaires avant de définir des territoires.

Enfin, qui est concerné par ces territoires ? Les acteurs sont en effet nombreux dans le système

(institutions, patients, professionnels) et il me semble que tous doivent être pris en compte dans la

construction du territoire.

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En ce sens, il me semble que définir une seule méthode de construction des territoires à l’échelon

national serait une grave erreur. Les caractéristiques locales sont déterminantes. Elles relèvent, de

la géographie, de l’histoire, de la façon dont s’est construite l’offre de soins. L’analyse des Schémas

Régionaux d’Organisation Sanitaire (SROS) de troisième génération réalisée par mes collègues de

l’IRDES le montre parfaitement bien : dans le SROS 3, cinq niveaux de territoire avaient été

introduits (proximité, intermédiaire, recours, régional et interrégional). Puis il était laissé à chaque

région la capacité de définir ses territoires, d’où de multiples façons de les construire, ce qui

s’avéra fort intéressant : certains optèrent pour des méthodes descendantes, plus ou moins

élaborées d’un point de vue statistique, d’autres pour des méthodes très participatives, ou encore

fondées sur du recours aux soins, ou des approches populationnelles plus larges avec les bassins

d’attraction de l’INSEE. Les méthodes sont donc nombreuses et chaque région a appliqué la sienne.

Il est en effet évident que les territoires d’Ile-de-France et d’Auvergne ne peuvent être abordés de

la même façon.

Faut-il s’appuyer sur l’existant ou tout recommencer ? L’évaluation réalisée par mes collègues

montre que certaines régions avaient posé quelques principes très en amont, comme par exemple

construire les territoires en fonction de l’offre et des flux existants, tandis que d’autres ont cherché

à s’appuyer sur de nouvelles logiques, à savoir les flux de population sur de multiples services (leur

raisonnement rejoignait donc celui de l’aménagement du territoire). Ainsi, certaines méthodes se

fondaient sur les services existants et d’autres visaient à identifier des zones à risque.

Finalement, la question qui me paraît principale à éclaircir porte sur le pourquoi du territoire. D’une

certaine façon, l’organisation territoriale des hôpitaux est désormais relativement stabilisée et l’on

annonce désormais des SROS ambulatoires. En effet, sous l’effet de la pression démographique et de

l’évolution sociologique, notre système de santé se confronte aujourd’hui à la question de

l’organisation des soins en ambulatoire. Se pose alors la question suivante : quels sont les services

que l’on veut garantir à la population ? Faut-il raisonner en termes de temps d’accès minimum, en

termes de nombre de médecins généralistes ? Ne vaut-il pas mieux raisonner en termes de services

en imaginant, plutôt qu’un médecin, une sorte de premier diagnostic ? On introduit là la délégation

de tâches. En effet, le troisième axe sur lequel l’ARS devra, selon moi, travailler est bien la question

de la ressource humaine à l’échelon d’une région.

Enfin, en termes de processus, la façon de faire le territoire constitue un enjeu important. Elle

préfigure en effet la façon de conduire l’action au sein de ce territoire. Si comme directeur d’ARS je

facilite les rencontres entre les acteurs à l’échelon local, je suis déjà dans un processus de

changement de type participatif. En faisant se rencontrer les acteurs autour de la question du

territoire dans le cadre d’une élaboration collective, j’induis un processus de rencontre et

d’élaboration collective qui est déjà un changement. Si je dessine des cartes et me fonde sur des

données, je ne suis pas dans le même processus de changement. Pour ma part, je préfère le

processus participatif, car même s’il ne débouche pas immédiatement sur des objets magiques

comme des cartes, il peut conduire à des changements de représentations et, à terme, de rôles.

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Dominique MOULIN - UFC Que Choisir ?

Ne sous-estimez-vous pas un peu le futur rôle des usagers ? En effet, comme ils l’ont fait vis-à-vis de

l’hospitalier depuis 2002, ils vont devoir s’organiser vis-à-vis de l’ambulatoire. Ils constituent en

effet la troisième composante entre l’Administration et les médecins. Or pour l’instant, il me

semble que les médecins échangent entre eux, tandis que le malade demeure un objet extérieur.

Yann BOURGUEIL

Cette problématique fait effectivement partie des enjeux de la définition d’un territoire : si je suis

directeur d’ARS, pour savoir ce que j’inclus dans mon territoire, j’ai peut-être intérêt à organiser un

débat au cours duquel je convierai des représentants d’usagers. Mais encore faut-il qu’ils aient su se

construire un point de vue. Peut-être devrais-je alors les aider préalablement à se construire un tel

point de vue, à maîtriser tous les enjeux techniques, les acronymes, etc. Cette question relève

vraiment du style de management de l’ARS, de l’approche choisie pour conduire le changement.

Jean-Pol DURAND

Ainsi si vous étiez demain conseiller d’un Directeur d’ARS, que lui diriez-vous?

Yann BOURGUEIL

J’essaierais de partir de ce qui pose problème (problèmes de santé mais aussi inquiétude des

populations et des professionnels) afin de pouvoir établir un diagnostic de manière collective. Je

pense que l’association des différents acteurs et notamment des représentants d’usagers

notamment dans le secteur de la santé qui est un véritable espace politique, renforce selon moi la

pertinence du diagnostic et donc la possibilité de transformations durables.

Anne TALLEC

L’existence des Conférences de territoire constitue, pour moi, l’un des éléments essentiels de la loi.

En effet, c’est bien au niveau du territoire que tout se joue. En ce sens, les Conférences de

territoire représentent des lieux majeurs de rencontre entre les acteurs, tant sur les questions de

premier recours que sur les problématiques de flux. Les usagers ont ainsi leurs propres questions,

très souvent sur le premier recours aux soins et l’accès à l’hôpital. Mais lorsqu’on leur présente les

indicateurs de santé, émergent alors d’autres préoccupations plus larges. Il s’avère donc

particulièrement efficace d’écouter la population, tout en entendant aussi les discours des

professionnels. Au final, toutes ces observations s’avèrent fort convergentes.

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Luc DUQUESNEL, Médecin généraliste

On ne peut que souhaiter qu’au travers de la loi HPST, les territoires de santé soient correctement

définis. En 2005, sur commande de l’Assurance Maladie, ont été définis les territoires déficitaires.

Mais les critères proposés ont posé de grandes difficultés aux régions. Il en a été de même l’an

dernier lorsqu’il a fallu, toujours à la demande de l’Assurance Maladie, décliner cinq types de

territoires (sur-dotés, dotés, sous dotés, largement sous dotés) : pour ce faire, a été utilisée la

notion de bassins de vie, selon la nouvelle définition de l’INSEE, avec en outre deux types de bassins

de vie, que l’on soit en zone rurale ou en zone urbaine. Nous nous sommes alors retrouvés avec des

territoires qui ne correspondaient en rien à l’organisation des soins telle qu’elle est dans les Pays de

la Loire.

En parallèle, il est normal, dans le cadre de discussions conventionnelles qui doivent s’appliquer à

toutes les régions de France, de chercher à s’entendre sur des critères à peu près identiques. Ainsi,

même si sur le plan local, nous parvenons à définir des territoires qui auront une certaine

cohérence, ils poseront problème au niveau des décideurs nationaux, par exemple en matière de

financement par l’Assurance Maladie. Il n’y aura plus de cohérence interrégionale.

Yann BOURGUEIL

A l’époque de la mise en place des majorations, l’administration avait essayé de trouver une

formule permettant de définir un minimum de territoires dans un souci d’économie. Aujourd’hui,

lorsqu’un médecin quitte le territoire, la première réaction des élus consiste à lui chercher un

remplaçant, ce qui, à mon avis, n’a pas de sens. Il s’avère indispensable de définir en préalable ce

que l’on veut offrir à la population en termes de soins.

Benoît PERICARD

En Pays de la Loire, dans le cadre du SROS de 1ère génération, nous avons construit des territoires à

géométrie variable. Nous avons également défini des territoires de projets. Alors que les sept

territoires de santé de cette région s’avèrent relativement évidents au regard de sa géographie

urbaine, nous avons également défini treize territoires de coopération parce que l’urgence portait

bien sur la coopération entre établissements. Ces territoires de coopération ont d’ailleurs porté

leurs fruits, avant de disparaître une fois le projet abouti. Ainsi, en complément des territoires

géographiques, il existe aussi des territoires presque historiques.

Je suis par ailleurs ravi que l’UFC réagisse, mais je rappelle que vous étiez quand même précédé par

quelques usagers présents, certes parfois de manière très sporadique. En parallèle, il faut toujours

se rappeler que l’une des vraies questions concerne en fait la relation entre les usagers et leurs élus.

En effet ces élus revendiquent clairement leur mission de représentation de la population. Je pense

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néanmoins que nous avons fait beaucoup de progrès : il y a dix ou quinze ans, l’intérêt des élus pour

la santé était quand même assez maigre.

Troisième idée, il faut absolument former, y compris les représentants des usagers. Le CHU de

Nantes avait ainsi formé, pour son deuxième projet d’établissement, pendant deux week-ends

entiers, des usagers volontaires aux enjeux du système de santé. Ceux-ci sont alors devenus

extrêmement actifs dans l’élaboration du projet d’établissement du CHU.

Jean-Pol DURAND

Benoît DERVAUX, quelle est la méthode optimale pour définir les besoins de soins et les besoins de

santé ?

Benoît DERVAUX

Qu’est-ce qu’un besoin de santé ? C’est un écart entre un état de santé constaté et un état de santé

désiré. A quelle fin veut-on définir les besoins de santé ? Il existe en fait deux fins possibles :

• en vue d’une planification et d’une allocation des ressources, soit une utilisation quelque peu

technocratique de la notion de besoin ;

• afin de résoudre la problématique de la réduction des inégalités de santé, d’où une réflexion

plus globale sur le bien-être de la collectivité.

Or je ne suis du tout certain que les granularités des territoires seront les mêmes que l’on raisonne

sur la planification ou sur la réduction des inégalités de santé. Pour moi, les échelons de

raisonnement seront bien plus fins si l’on se situe dans une perspective de réduction des inégalités

de santé.

En matière d’établissement des besoins, les difficultés s’avèrent bien connues : la première

concerne l’établissement de la norme. Qui définit l’état de santé souhaité ? S’agit-il des experts de

santé publique ? Les citoyens sont-ils bien positionnés pour définir leurs besoins ? Quelle est la place

de la prévention ? Par ailleurs, comment cette norme est-elle définie ? Est-elle définie de manière

absolue ? Peu d’entre nous réfléchisse ainsi désormais : globalement, il s’agirait donc plutôt d’une

réflexion en relatif, mais par rapport à quelle norme ? Le deuxième écueil concerne bien

évidemment la mesure de l’état de santé. En effet, nous sommes souvent contraints par les données

qui sont à notre disposition. Ainsi, si nous disposons d’un grand nombre de données sur la mortalité,

la morbidité n’est mesurée qu’au travers du recours au soin. Des indicateurs de qualité de vie

commencent certes à voir le jour ; or de tels éléments pourraient être intégrés dans l’établissement

des besoins. Hélas trop souvent, nous n’avons pas le matériel statistique à l’échelle souhaitée.

L’échelle géographique doit bien évidemment être définie en fonction des objectifs. Enfin, lorsque

l’on raisonne sur la morbidité au travers de l’offre de soins, surgit un filtre non aléatoire : les

17

situations varient aussi en fonction de la couverture assurantielle des patients. Nous devons donc

nous méfier de ce que nous observons qui peut-être ne mérite pas d’être reproduit.

Enfin, lorsque l’on parle de besoins de santé, on renvoie généralement à la problématique des

déterminants de santé, par définition multiples ce qui explique qu’assez souvent, on passe du besoin

de santé au besoin de soins. A l’occasion d’un travail en partenariat avec des homologues du Kent,

nous nous sommes aperçus qu’au sein du « National Health Service », les Anglais ne prennent aucune

décision de santé sans avoir, au préalable, étudié les cartes de ce qu’ils appellent l’indice de

«déprivation». Ainsi, avant toute définition d’une politique de santé, ils ont le réflexe de

s’intéresser à d’autres indicateurs comme par exemple le bien-être collectif, ce qui n’est pas le cas

en France.

Le cadre de référence le plus souvent cité dans la littérature correspond au cadre canadien : il

propose un certain nombre de positionnement de la notion de besoins de santé, entre d’un côté les

déterminants de la santé et les objectifs de santé publique, et de l’autre, le besoin de soins. Les

méthodologies de construction des besoins de soins sont fort nombreuses, le problème n’est donc

pas là. En fait il existe en littérature deux courants principaux : l’un concerne des pays qui

procèdent par une allocation institutionnelle des ressources (Royaume-Uni, Canada et pays

scandinaves), mais l’essentiel de la littérature se penche sur les systèmes de capitation, notamment

au sein de pays qui ont joué le jeu de la compétition entre les sociétés d’assurance mais souhaitent

tout de même maintenir un système de compensation. Enfin, la littérature réfléchit à la nécessité

de la standardisation, aux variables et techniques utilisées. Si nous voulons évaluer les besoins en

nous écartant des données de mortalité désormais fort usées, nous ne savons hélas pas utiliser à ce

jour les données d’enquête en population générale. La méthodologie a donc encore du chemin à

parcourir, surtout si nous voulons sortir un peu des indicateurs habituels.

Sur le territoire, il existe deux points d’ancrage importants : l’évaluation des besoins doit être

objectivée autant que possible, mais cette objectivation ne doit pas prendre le pas sur le construit

social. Le besoin est en effet ce que l’on veut qu’il soit. Il revient bien à la communauté de définir

son besoin par rapport à ce qu’elle ressent, ce qu’elle veut faire avec la politique de santé.

De nombreux travaux portent actuellement sur l’analyse des flux. Au sein de l’ARH du Nord-Pas-de-

Calais, la satisfaction des besoins de la population a ainsi été croisée avec la clientèle des

établissements : sur certains territoires, apparaissent des fuites très importantes avec un niveau de

dépendance extrêmement fort, ce qui probablement traduit une offre insuffisante. A l’inverse, dans

d’autres situations, la dépendance des populations demeure faible tout comme celle des

établissements : ceux-ci sont donc installés sur des territoires où ils ne satisfont absolument pas la

demande. Je suis pour ma part convaincu qu’un territoire se définit par des flux. Mais si le territoire

est mal défini, ce type d’analyse s’avère complètement caduque, les fuites ne traduisant finalement

que la mauvaise définition du territoire.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 18

Le passage des ARH aux ARS modifiera-t-il d’une quelconque manière l’analyse des besoins de

santé ? Je n’en suis pas persuadé. En tant qu’économiste, j’estime qu’une analyse des besoins doit

avoir un objectif : cet objectif me semble clair dans les secteurs hospitaliers et médico-sociaux,

notamment en matière de régulations, d’autorisations d’activités, de contractualisation, etc.

D’ailleurs la planification par schéma existe déjà dans ces secteurs. Mais pour le secteur

ambulatoire, nous en sommes encore loin : alors, derrière la définition des besoins, quelles règles de

régulation mettre en place ? Je ne suis pas tout à fait convaincu que la nécessité soit exactement la

même. De plus, de quelles données dispose-t-on ? L’ARS a pour vocation de décloisonner le système,

mais pour ce faire, il lui faut des données en termes d’adressages, de filières de soins, de flux

ambulatoires, etc. Enfin, l’analyse des besoins doit reposer sur des besoins médicalement typés : le

PMSI a ainsi permis, dans la régulation hospitalière, de médicaliser le message. Mais dans

l’ambulatoire, où en est-on du codage des diagnostics ?

Jean-Pol DURAND

A ce stade de vos exposés, je crains que nous nous retrouvions confrontés, dans quelques années, à

d’énormes disparités entre régions.

Benoît DERVAUX

La disparité entre les régions existe déjà de longue date, ne serait-ce qu’en termes de densité

médicale ou d’état de santé. Mais quel est l’objectif ? La régionalisation repose sur l’idée que les

acteurs locaux sont les plus à même de construire les solutions adaptées à leurs propres problèmes.

Les différences sont donc acceptées. Pour répondre à un objectif d’équité ou d’égalité nationale, il

faut se donner les moyens d’observer et de mesurer ces solutions. Se pose alors la question du

pilotage à travers la mesure de l’état de santé. Mais si l’on veut vraiment jouer le jeu de la

déconcentration, il faut donner de la marge de manœuvre aux acteurs locaux, tout en mettant en

place un outil d’observation.

David CAUSSE, Fédération des Etablissements Hospitaliers et d'Aide à la Personne (FEHAP)

Je suis très sensible à vos propos : si les données sont utiles, tout fétichisme de la statistique

s’avère nuisible. Par ailleurs, je voulais vous signaler que selon une confidence d’un responsable de

la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA), la question des taux d’équipement et de

l’appréciation différentielle par territoire a été menée avec beaucoup de talent au niveau national,

ce qui a fait progresser la connaissance de la dispersion entre les territoires. Cependant, depuis la

création de la CNSA, les inégalités entre les territoires se sont de fait accrues, du fait d’autres

modes décisionnels venus se superposer à la couche statistique. En outre, pour que l’analyse des

données puisse permettre de bonnes discussions, des investissements semblent indispensables. Ainsi,

dans le cadre de l’enquête Handicap Incapacité Dépendance, les moyens n’ont pas été donnés aux

équipes pour pouvoir déployer leurs travaux qui tout de même portaient sur 20 000 situations. Sans

tomber dans le fétichisme, nous avons donc tout de même besoin d’investir dans la construction

d’objets de pensée qui soient un peu mieux structurés qu’actuellement.

19

Benoît DERVAUX

Je suis complètement d’accord avec vous. Je signalais simplement que des techniques, certes

complexes, existent pour renseigner de la donnée à des niveaux plus fins, à partir d’une enquête

plus générale.

Jean-Pol DURAND

En région Nord-Pas-de-Calais, le Conseil régional est en train de mener une enquête prospective

intitulée Santé 2020. Comment se rattache cette enquête au calendrier de mise en œuvre des ARS ?

Benoît DERVAUX

Nous avons la chance d’avoir, au niveau du Conseil régional, un vice-président en charge de la Santé

fortement impliqué. Il est donc à l’origine de cette étude et de bien d’autres. Par ailleurs, cette

région, fortement marquée en termes de santé, a fait l’objet de décisions politiques

d’investissements massifs. Ainsi il existe des marges de manœuvre que les élus peuvent décider

d’utiliser.

Anne TALLEC

Tout dépend en fait de l’intérêt qui est porté à cet enjeu de connaissance, et au réel désir,

collectif, de partage de l’information. Les données disponibles ou aisément mobilisables sont

aujourd’hui bien plus nombreuses qu’à une époque, et en outre, elles s’avèrent souvent fort

cohérentes entre elles. Des progrès importants ont été faits, mais eu égard à l’ampleur des enjeux

dans le champ de la santé, les systèmes d’information restent assez peu développés et surtout assez

peu exploités. Je crois que ce n’est sans doute pas totalement par hasard, et que la véritable

question est la suivante : voulons-nous vraiment, les uns et les autres, disposer de données chiffrées

pour contribuer à l’élaboration des politiques ?

Dominique MOULIN - UFC Que Choisir ?

Dans le domaine de la prévention, souvent la santé et l’environnement sont associés. Or dans le

domaine de l’analyse des besoins, cette association n’apparaît pas. Pourtant, dans un milieu

particulièrement pollué, les besoins en santé ne sauraient être les mêmes qu’ailleurs. Je m’étonne

donc que la notion d’environnement (environnement au travail, environnement intérieur,

environnement extérieur) ne soit pas mieux associée à l’analyse des besoins en santé.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 20

Benoît DERVAUX

Certains ORS ont déjà beaucoup travaillé sur ce champ de la santé et de l’environnement. Dans le

Nord-Pas-de-Calais, d’importants travaux ont été réalisés pour des communautés de communes

telles que Dunkerque par exemple. Les chercheurs qui travaillent sur ce sujet sont cependant

quelque peu ennuyés : parfois la corrélation est relativement facile à établir entre l’environnement

et les marqueurs de santé, mais peut-on pour autant parler de causalité ? Des difficultés

méthodologiques apparaissent. D’un point de vue scientifique, tant qu’un impact n’est pas

démontré, il n’existe pas.

Dominique MOULIN - UFC Que Choisir ?

Lorsque dans un secteur surgissent nombre de maladies liées à l’amiante par exemple, faut-il

développer les pneumologues ou faire de la prévention ? Je trouve pour ma part quelque peu

dommage de ne pas introduire plus fortement la notion de prévention.

Docteur ADJAL HENAFF, Médecin en médecine physique et réadaptation, La Croix Rouge

Il me semble très satisfaisant que la filière médico-sociale s’articule avec la filière sanitaire parce

que dans les établissements SSR (Soins de Suite et de Réadaptation), nombre de patients ont besoin

de soins médicaux assez lourds. En outre, nous aurons dans les années à venir besoin de toujours

plus de places en médico-social pour les suites de traumatismes crâniens, mais aussi les affections

neurologiques dégénératives.

Pour ma part, je n’ai pas l’impression que tout soit simple dans le système hospitalier. Ainsi, en

matière d’adressage, se mettent en route les cellules d’orientation qui risquent de largement

changer la donne. Par ailleurs, je me demande si les représentants des usagers sont vraiment au

courant des mécanismes de la T2A et de ses impacts, notamment dans les établissements de soins

de suite.

Gérard MAUZAIZE- FNATH

En 1978, c’est encore pour des raisons financières que l’amiante n’a pas été interdite ! La France a

ainsi laissé de nombreux ouvriers continuer à s’intoxiquer.

William JOUBERT, Médecin généraliste, Le Mans

Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par manque d’accès à l’information ? Dans le secteur

ambulatoire en effet, nous nourrissons un système national d’information et nous avons mis en place

le parcours de soins. Nous disposons donc désormais d’un chaînage performant.

21

Benoît DERVAUX

Les données disponibles auprès de l’Assurance Maladie permettent de réaliser des analyses en

termes de flux de patients entre médecins. Pourtant je n’ai jamais eu connaissance d’une analyse

permettant d’objectiver ces flux de patients. Je ne dis pas que les données n’existent pas, mais

qu’à ma connaissance, elles n’ont pas été traitées de cette manière.

Par ailleurs, si nous souhaitons effectuer, en ambulatoire, une analyse de ce type sur le modèle de

celle réalisée en hospitalier grâce au PMSI, nous ne disposons pas à ce jour des informations

nécessaires. Or je pense que ce serait souhaitable.

Un intervenant

J’évoquais pour ma part la fongibilité vue de l’hôpital, c'est-à-dire les transferts de données d’un

poste à un autre.

Yann BOURGUEIL

L’objet du Dossier Médical Personnel et Partagé consiste justement à rendre la trajectoire du

patient visible et accessible. A l’IRDES, nous avons pour habitude d’utiliser les données de

l’Assurance Maladie, rassemblées dans le Système National Inter-régime d’Information des Régimes

de l’Assurance Maladie. La Caisse Nationale d’Assurance Maladie utilise d’ailleurs également cet

outil pour fabriquer le Contrat d’Amélioration des Pratiques (CAPI).

Nous venons par ailleurs d’engager, avec la société Française de Médecine Générale et l’équipe du

Centre de recherche médecine, sciences, santé et société (CERMES) de l’INSERM, un programme de

recherche autour d’une équipe émergente intitulé PROSPERE « Partenariat de Recherche sur

l’Organisation des Soins de Premier Recours ». L’un des axes du projet porte sur l’appariement des

données cliniques de codage des médecins de l’Observatoire de la Médecine Générale (OMG) avec

l’ensemble de la consommation de soins des patients de l’OMG figurant dans les données de

l’Assurance Maladie. Ce projet participe à la montée en charge de la capacité, du monde médical, à

produire de l’information médicale dans une perspective de connaissance sur les trajectoires de

soins de patients et plus généralement l’organisation des soins.

Jean-Gérald BERTET, Médecin généraliste, ex-Président de l’URML Pays de la Loire

En Pays de la Loire, l’Union Régionale des Médecins Libéraux a développé, pour les maisons

médicales de garde, un logiciel spécifique d’analyse de tous les flux de patients. Je rappelle par

ailleurs que nous sortons de cinquante ans de consumérisme et que les patients ne me semblent pas

près du tout aux réformes annoncées. Ainsi, lorsque le nombre de visites à domicile a été très

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 22

fortement diminué, tout comme le nombre de gardes, ce sont les médecins généralistes eux-mêmes

qui ont décidé de s’organiser, d’où la création des maisons médicales de garde en Pays de la Loire.

Une des premières réflexions du futur Directeur de l’ARS devra donc, selon moi, porter sur sa

position à l’égard des professionnels libéraux : dois-je les considérer comme des partenaires ou

entrer dans un rapport de force avec eux ? En parallèle, le dialogue avec les usagers permet toujours

de trouver une solution acceptable pour tous.

Jean-Pol DURAND

Le système de santé allemand date de 1881 et fonctionne toujours sur une base régionalisée, au

niveau des Länder. Pouvez-vous nous en expliquer les mécanismes et les problèmes qui font

aujourd’hui débat ?

Denis DURAND de BOUSINGEN

En Allemagne, la santé est effectivement l’affaire des régions. Ce pays compte seize Länder dont les

pouvoirs s’avèrent, pour des raisons historiques, bien plus larges que ceux des régions françaises.

Les seize gouvernements régionaux comptent seize Ministres régionaux de la santé. Le concept de

santé en Allemagne est en outre quelque peu différent du nôtre : les Allemands font en effet une

différence entre le fait d’être en bonne santé et de promouvoir cela, et la politique de santé au sens

des soins. La santé est gérée régionalement dans un certain nombre de domaines : actuellement par

exemple, il est interdit de fumer dans les restaurants de certaines régions mais pas dans toutes. De

la même façon, les urgences ne sont pas organisées de la même manière dans toutes les régions. Les

syndicats et les organisations médicales sont très régionalisés avec surtout les Unions de Médecins :

il s’agit de structures élues par les médecins, chargées de gérer les politiques et les honoraires avec

les Caisses d’Assurance Maladie. Globalement, pour les patients, les prestations sont partout

identiques, mais du côté des professionnels, les prises en charges et certaines formes de

rémunération en actes ou forfaits varient en fonction des conventions signées avec les Caisses.

Jusqu’en 2009, les médecins étaient rémunérés par des points, la somme des points formant l’acte.

Depuis le 1er janvier 2009, ces points ont été remplacés par des montants fixes en euros, désormais

identiques dans tout le pays alors qu’il subsistait des différences entre l’ouest et l’est, auparavant.

Il semble qu’en France, la politique de santé se dirige timidement vers la régionalisation, alors

qu’en Allemagne, pour des raisons de coût, si la santé reste prise en charge au niveau régional, la

gestion de cette santé se nationalise de plus en plus. Le poids du Ministère fédéral de la santé

augmente progressivement. Pour autant, les médecins allemands ne sont pas forcément plus

heureux que les médecins français sous prétexte que leur système est régionalisé : ils souffrent du

poids de l’administration toujours plus lourd et pour ma part, je les sens un peu plus déprimés que

les médecins français. La Loi HPST a eu besoin d’une année pour se mettre en place ; en Allemagne,

chaque réforme dure trois ans ! Enfin, il est également important de savoir que tandis que le déficit

de la Sécurité Sociale se creuse tous les jours, le système allemand se présente à l’équilibre ou en

léger excédent.

23

Un intervenant

Qu’en est-il du secteur médico-social ?

Denis DURAND de BOUSINGEN

Il est également régionalisé mais les passerelles entre les secteurs ne sont pas semblables au nôtre.

Pour tous les secteurs, le système repose sur la subsidiarité : les régions font ce que ne font pas les

communes et l’Etat prend en charge ce que ne prennent pas en charge les régions.

Le système allemand n’est pas le seul à être fortement régionalisé : ainsi, le système suisse compte

23 systèmes de santé, soit un par canton. En Autriche, le pouvoir des régions reste fort, mais moins

qu’en Allemagne.

Un intervenant

Quel est le rôle de l’Europe sur ces systèmes de santé ?

Denis DURAND de BOUSINGEN

L’Europe favorise les comparaisons, mais aussi la coopération régionale, y compris dans le domaine

de la santé. Cette coopération doit permettre des économies d’échelle au travers de la mise en

commun d’équipements, par exemple entre l’Autriche et ses voisins immédiats. Face à la pénurie de

médecins, l’Europe favorise également les échanges : ainsi les Polonais et les Tchèques vont

chercher leurs médecins en Bulgarie et en Roumanie, tandis que ces pays-là vont chercher leurs

médecins en Ukraine ou en Russie. Or cet effet domino s’avère dramatique pour les pays qui se

situent en bout de chaîne… En revanche, nul n’envisage encore que l’Europe s’intéresse

véritablement à la politique sociale et aux prises en charge.

Paul GARASSUS

Depuis quelques années, se développent en Allemagne des structures privées : ainsi la privatisation

d’hôpitaux, encore faible jusqu’à présent, croît de façon très significative au point qu’environ 30 %

du parc hospitalier relève désormais d’une gestion privée. Tout n’est cependant pas privatisé

puisqu’il s’agit d’entités dites publiques qui lancent un appel d’offres auprès de gestionnaires

privés, ces derniers ayant pour but d’équilibrer les comptes au mieux, sachant qu’ils pratiquent

également la tarification à l’activité. Il a en effet été démontré que cette gestion dite privée

améliore, dès les deux premières années, la performance de 10 % par rapport à celle de nos

structures hospitalières. Je rappelle néanmoins qu’il y a deux ans, tous les médecins allemands

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 24

étaient dans la rue pour protester contre leur Ministre de la Santé, traduisant ainsi leur

mécontentement à l’égard des conditions tarifaires et de liberté d’exercice.

En santé, la frontière s’arrête au payeur : du fait de la forte régionalisation actuelle de l’Allemagne,

avec des Caisses autonomes de dimension régionale, il n’existe pas, dans ce pays, de schéma

régional fort, contrairement à la France dont l’histoire s’avère bien plus centralisatrice. Nos

schémas s’avèrent donc difficilement comparables.

Jean-Pol DURAND

L’Espagne est sans doute de tous les pays européens celui qui est allé le plus loin en matière de

décentralisation authentique des pouvoirs. Un exemple avec le système de santé mis en œuvre dans

la province autonome de Catalogne.

Xavier CONILL

Je vous remercie de m’avoir permis de participer à vos échanges. L’Espagne s’organise, en santé

notamment, presque comme un Etat fédéral : les 19 communautés et villes autonomes sont

responsables de toutes les politiques de gestion. Dans le domaine de la santé, elles bénéficient de

toutes les compétences. Au niveau national, le gouvernement assure simplement la coordination de

ces politiques de santé afin de garantir l’homogénéité des droits à la santé de toutes les personnes

résidant en Espagne (dont les immigrés).

Deux systèmes de planification des soins coexistent, et tout d’abord la planification structurelle :

sur chaque « aire basique de santé » est installée une maison médicale de proximité, rassemblant

des médecins, des infirmiers, des aides-soignantes, des sages-femmes, des gynécologues et autres,

pour 10 000 à 30 000 habitants. Puis, un hôpital de proximité dessert plusieurs « aires basiques de

santé ». En parallèle, ces « aires basiques de santé » sont regroupées au sein de « délimitations

territoriales administratives ». Mais ces régions ne s’intéressent pas exclusivement au domaine de la

santé. Elles sont construites en fonction de traditions en matière d’éducation, de justice, etc.

Le deuxième système de planification utilisé repose sur les objectifs de santé : le gouvernement de

Catalogne par exemple élabore tous les trois à cinq ans un Plan Santé lui permettant de prioriser

certaines pathologies ou modes de vie (tabac, sport, etc.). Certains objectifs de santé sont à

l’initiative du territoire, tandis que d’autres sont fixés par le gouvernement.

Le Ministère catalan de la Santé fixe les budgets de santé, accrédite les services, procède aux

évaluations, détermine les objectifs de santé et la planification structurelle. Le Service catalan de la

Santé est quant à lui constitué d’une agence en charge de la contractualisation des services avec les

différentes entreprises de santé. Il leur fixe des objectifs et les paie. Il garantit la qualité des

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services fournis aux usagers. Le Service catalan de la Santé s’organise en régions et secteurs. Il

s’agit donc d’un système déconcentré offrant aux gérants de région une certaine autonomie. Nos

huit régions ne sont toutefois pas de même taille.

Chaque « aire basique de santé » dispose d’équipes de soins, d’hôpitaux généralistes et spécialisés,

répartis entre hôpitaux de référence et hôpitaux universitaires, le tout complété de services de

soins de suite. Chaque territoire est desservi par des équipes de soins et hôpitaux, mais nos

entreprises de service fournissent également des équipes de soins de proximité, des hôpitaux de

référence ou encore des hôpitaux universitaires. Le Service catalan de la Santé contractualise en

effet directement avec ces entreprises de santé et non avec les équipes de soins.

Les soins primaires de santé sont délivrés par des équipes de soins composées de médecins

généralistes et pédiatres, infirmiers, aides-soignants, travailleurs sociaux et personnels

administratifs. Chaque équipe est responsable de la santé de sa population et des services minimums

planifiés par le Ministère et le Service catalan de la Santé. Les responsabilités varient toutefois en

fonction de la composition des équipes, de la présence ou non d’un hôpital de proximité, etc. Ces

équipes sont responsables de la transmission des patients à d’autres niveaux de soins, mais pas d’un

point de vue économique. Elles organisent les soins des citoyens en centres de santé ou à domicile,

la formation continue et la coordination avec les autres niveaux de soins.

Pour ce faire, une maison leur est fournie soit par l’administration de santé, soit par l’entreprise de

santé, ainsi qu’un dossier médical unique par patient sur la base duquel travaillent tous les

professionnels. L’entreprise de santé fournit en outre un support pour tous les actes non médicaux

(achats, communication, etc.)

Le citoyen se voit attribuer un médecin et un infirmier de référence, en l’absence desquels il peut

être pris en charge par un autre membre de l’équipe grâce au dossier médical unique. Nous sommes

par ailleurs en train de mettre en place un système permettant à chaque professionnel d’avoir

accès, depuis son domicile, à toutes les informations utiles sur les patients traités en Catalogne.

Tous les professionnels sont salariés des entreprises de santé. Leur rémunération comporte un

salaire de base et une partie variable pouvant aller jusqu’à 30 % de la rémunération totale, adossée

à des objectifs de santé fixés par l’Administration ou par l’entreprise.

Selon moi, du fait de ce système, nous nous sommes quelque peu éloignés de la notion de vocation

médicale. La relation entre les médecins et les patients s’est affaiblie, au profit d’une relation entre

l’entreprise et les patients. Le professionnel perd en autonomie : les protocoles et guides en tout

genre prennent de plus en plus d’importance. La coordination en matière de qualité s’avère plus

exigeante. L’entreprise contrôle le coût des pratiques quotidiennes, des prescriptions

thérapeutiques et des transmissions vers les autres niveaux de soins.

Ce système offre néanmoins quelques avantages : le travail en équipe permis par l’entreprise de

santé donne des garanties aux citoyens en termes de qualité, de partage des informations et de

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 26

savoir-faire. L’entreprise de santé facilite la formation des professionnels et la coordination avec les

spécialistes. De plus les professionnels médicaux ne sont pas dérangés par les problèmes

administratifs et logistiques qui ne les concernent pas. Enfin, ils bénéficient d’une sécurité en

matière de rémunération et de retraite.

Au final, l’entreprise de santé fait le lien entre l’Administration et les professionnels. Elle

contractualise avec l’Administration la population et le territoire sur lesquels interviennent ses

professionnels, les standards minimum de qualité, les objectifs de santé à atteindre, les droits des

citoyens, les devoirs de l’équipe et le budget minimum fourni aux équipes (pour les hôpitaux

toutefois, les entreprises sont payées à l’acte). Une fois ses objectifs fixés, l’entreprise de santé

bénéficie d’une forte autonomie en matière de gestion, de recrutement des professionnels et de

logistique générale.

Jean-Pol DURAND

Pouvez-vous nous décrire plus précisément la nature de votre « entreprise » ?

Xavier CONILL

Je travaille pour la Corporation de Santé du Maresme et la Selva. Il s’agit d’un consortium entre des

municipalités et le Service catalan de la Santé. Cette entreprise gère trois « aires basiques de

santé », deux hôpitaux de proximité, trois centres de soins de suite et deux maisons de retraite,

ainsi que des programmes de santé publique comme la rééducation des travailleurs sexuels de la

zone ou diverses addictions. Les hôpitaux sont la propriété des municipalités. Notre Conseil

d’administration se compose de représentants de trois mairies et d’une partie du Service catalan de

la Santé.

Jean-Pol DURAND

Existe-t-il des entreprises de santé entièrement privées ?

Xavier CONILL

La principale entreprise de santé est entièrement publique : propriété du Département de Santé, cet

Institut Catalan de la Santé gère la plupart des « aires basiques de santé » ainsi que quelques

hôpitaux. D’autres entreprises de santé appartiennent à des ordres religieux ou à des fondations à

but non lucratif. A ce jour, il ne demeure, me semble-t-il, qu’une Société Anonyme, d’ailleurs en

train de se transformer en fondation privée à but non lucratif.

27

Un intervenant

Quel est l’impact de ce système pour les soins de proximité ? Ainsi, certains Catalans paient-ils eux-

mêmes leurs consultations auprès d’opérateurs privés ? Par ailleurs, qu’en est-il de l’organisation

des soins en psychiatrie ?

Xavier CONILL

En Espagne, le système national de santé est entièrement financé par les impôts des citoyens. Tous

sont donc couverts. Pour des raisons historiques, demeurent cependant plusieurs assurances

maladies privées auxquelles s’adressent 10 % à 12 % de la population catalane, notamment autour de

Barcelone. Ces assurances privées travaillent avec des professionnels et hôpitaux spécifiques.

En matière de santé mentale, nous avons commis l’erreur de mettre en place tout un réseau

parallèle à celui des hôpitaux généralistes, ce qui stigmatise les malades par leur pathologie. Nous

cherchons donc désormais à ouvrir des lits de psychiatrie au sein des hôpitaux de proximité.

Un intervenant

10 à 12 % des patients ont contracté une assurance privée, mais quelle proportion représentent les

médecins privés ? Par ailleurs, un médecin privé peut-il également travailler au sein d’une entreprise

de santé ?

Xavier CONILL

Je ne peux répondre à votre première question. Je sais simplement qu’ils ne sont pas nombreux. Les

professionnels peuvent travailler à la fois dans une entreprise de santé et dans le domaine privé, à

condition que leurs horaires soient compatibles. Il est cependant interdit de travailler en même

temps pour deux entreprises publiques de santé.

Denis DURAND de BOUSINGEN

Les critiques des médecins espagnols à l’égard de leur entreprise de santé sont exactement les

mêmes que celles des médecins allemands vis-à-vis de leur Caisse d’Assurance Maladie. En fait, les

critiques s’adressent toujours à la structure de tutelle. A l’inverse, en Allemagne, les médecins ont

conservé une large partie du travail administratif, contrairement aux médecins espagnols.

Dans votre système qu’en est-il de la liberté du patient ? Doit-il absolument demeurer au sein son

« aire basique de santé » ?

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 28

Xavier CONILL

Dès sa naissance, le bébé se voit assigner un médecin et une infirmière de référence. Si le patient

ne s’entend pas avec ce médecin, il peut demander à en rencontrer un autre au sein de l’équipe. S’il

ne s’entend avec aucun médecin de l’équipe, il peut s’adresser à une autre équipe, ce qui à

Barcelone ne pose pas de problème. Mais dans certaines zones, il faut faire 15 kilomètres pour

trouver une nouvelle équipe.

Un intervenant

Vous avez évoqué le contrat signé entre l’entreprise et les professionnels. Or en France, est

actuellement en cours une expérimentation de contractualisation entre les praticiens et les

établissements de santé. De son côté, le « National Health Service » anglais précise, dans ses

contrats, l’emploi du temps par quart de journée ou presque. Vos contrats décrivent-ils de manière

aussi précise l’emploi du temps quotidien du praticien ?

Xavier CONILL

Certains contrats de travail portent sur une journée, d’autres sur une demi-journée. Il existe

également des contrats de travail qui citent le nombre exact de visites par pathologies. Nos

organisations de soins sont très hiérarchisées : le Directeur qui peut être un avocat ou un

économiste gère l’entreprise de santé ; il est aidé d’un adjoint, parfois médecin ou infirmier,

responsable de la production (médecins, infirmières, pharmaciens). Ensuite un directeur économique

s’occupe des achats et investissements et enfin, le directeur de la Planification prend en charge

toutes les autres activités.

Un intervenant

L’Espagne consacre environ 8,9 % de son PIB à sa politique de santé, contre 11,3 % en France.

Comment expliquez-vous cette différence ?

Xavier CONILL

Les indicateurs de santé espagnols sont effectivement très satisfaisants. Pour autant, nous sommes

tout à fait conscients du fait que l’état de santé de la population n’est pas exclusivement lié au

montant des dépenses en soins. En matière de santé, nous insistons beaucoup sur les délais de

réponse, ce qui sans doute nous permet de dépenser moins.

29

Un intervenant

L’Europe compte 27 pays et 268 régions qui toutes, présentent des expériences passionnantes mais

difficiles à reproduire. Ainsi, en Italie, en raison de la liberté de circulation des biens et des

personnes, se posent des problèmes de compensation financière entre les régions. Rencontrez-vous

de tels problèmes en matière de flux de patients ? Existe-t-il des compensations en inter-régions ?

Xavier CONILL

La Catalogne n’est pas la région la plus riche en matière de santé. Les impôts sont collectés au

niveau national et c’est bien à Madrid que les budgets de santé sont répartis entre les différentes

communautés autonomes. Tous les deux ou trois ans, cette répartition fait l’objet de discussions. La

Catalogne est l’une des régions qui reçoit le moins d’argent. D’autres communautés bénéficient à

l’évidence de réseaux de proximité plus performants. Néanmoins notre niveau technique demeure

très satisfaisant grâce à des services d’excellence qui nous permettent de bénéficier de migrations

de patients en notre faveur. Des compensations sont mises en place pour chaque transfert de

patients, un peu comme entre la France et l’Allemagne.

Rachel BOCHER

La loi HPST prévoit la mise en place d’une communauté hospitalière de territoire. Or votre

organisation s’en approche. Comment y êtes-vous parvenus ? Quelles modalités d’intéressement ou

de participation ont été mises en place ? Par ailleurs, des rencontres entre les communautés

autonomes sont-elles organisées afin de favoriser les échanges de bonnes pratiques ?

Xavier CONILL

Comme en Allemagne, s’applique en Espagne une loi nationale de santé qui fixe des bases identiques

pour tous. Les différences entre communautés ne sont pas nombreuses. Certes en Catalogne, il

existe diverses formules de gestion privée pour les équipes de soins, alors qu’en général, la plupart

des équipes de soins sont directement gérées par les Services de santé du territoire. De la même

façon, la Catalogne applique depuis 1985 un programme relatif aux soins de suite et aux maisons de

retraite qui lui a permis de développer un modèle quelque peu différent de celui des autres régions.

En Catalogne par exemple, ne sont financés par l’Administration que les changements de sexe des

hermaphrodites pathologiques alors que tous le sont en Andalousie.

Comment en sommes-nous arrivés à cette hiérarchisation de l’organisation ? C’est avant tout pour

des raisons historiques. Lorsque l’Etat a transféré ses compétences en matière de santé, nous avons

mis en place un système d’accréditation pour tous les dispositifs en place. Les établissements les

plus petits sont restés, en tant qu’hôpitaux de proximité, en mesure de soigner 90 % des

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 30

pathologies. Au sein des grandes cités, nous avons installé des hôpitaux de référence et à Barcelone

se sont également implantés des hôpitaux régionaux et universitaires.

Karelle LE GLEUT, Cabinet ICONES

La notion de territoire de santé est-elle antérieure à la création des « aires basiques de santé » ?

Xavier CONILL

La taille des territoires de santé varie de 10 000 à 30 000 habitants. En Catalogne, une « aire

basique de santé » correspond à un village, à une communauté de villages, etc. A Barcelone qui

compte 2 millions d’habitants, « l’aire basique de santé » correspond à un district, à un

regroupement de quartiers. Pour nous il s’agit avant tout de répondre à une réalité culturelle et

historique. Un territoire ne correspond à aucune définition précise : il existe tout simplement.

Jean-Pol DURAND

Merci à tous pour votre participation.

31

SAMEDI 12 SEPTEMBRE 2009

ACCUEIL

DOCTEUR PATRICK GASSER

PRESIDENT DE L’URML DES PAYS DE LA LOIRE

Avant d’ouvrir cette nouvelle session Bauloise, j’aimerai remercier Thomas Hérault et Isabelle Riou

pour l’ensemble du travail qu’ils ont réalisés depuis près de 6 mois et cela, chaque année.

Merci à notre ancien président d’URML, le Dr Bertet qui m’a fait confiance depuis 2004 pour réaliser

ces rencontres. Ces journées ont chaque année plus de succès. Et j’en veux pour preuve les

demandes de plus en plus fréquentes d’interventions qui jusqu'à présent on toujours été acceptées

mais, on le voit aujourd’hui, pas toujours honorées. Et ceci est vexant pour la profession et pour les

régions. C’est peut être parce que nous n’avons pas l’âge de raison !

Aujourd’hui le staff d’organisation s’est ouvert avec la participation d’autres Unions (Alsace, Midi-

Pyrénées, Languedoc, Poitou-Charentes, Nord Pas de Calais…), de Benoit Péricard qui, à la fois par

un regard extérieur et sa connaissance profonde du système, nous a permis d’élaborer, d’isoler des

thèmes importants auquel la profession se doit de répondre. Jean-Paul Durand, le complice de

plusieurs années, que beaucoup de participants connaissent, a répondu encore une fois présent pour

animer les débats, pour parfois mettre « sur le grill » nos intervenants et éviter la langue de bois,

qui n’est pas de mise ici.

Merci à nos partenaires financiers pour leur soutien.

En 2004, il nous a paru indispensable de mettre en place une journée de réflexion centrée sur le

financement du soin, ce d’autant que l’Etat mettait en place de nouveaux modes de rémunération

et de codification : la CCAM technique et la T2A. Il nous a fallu au moins deux ans pour y voir plus

clair ; il s’agissait, pour nous médecins, d’une première révolution. Nous ne connaissions que très

peu les médecins DIM (Département d’Information Médicale). Nous avons appris depuis à les

connaître. Les gestionnaires et les investisseurs eux avaient compris et vu les mutations arriver, leur

présence dans notre bulle a été plus prégnante et c’est tout naturellement que nous avons abordé :

• Le problème de la gouvernance dans nos établissements,

• L’impact des capitaux extérieurs avec l’avènement des fonds dans le soin.

Nous avons dû nous familiariser avec l’Europe à travers la Loi sur les Services et l’impact potentiel

sur nos propres sociétés de médecins.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 32

Certains ont pris conscience de la situation, des changements nécessaires pour répondre à ces

mutations et il est aujourd’hui possible de parler d’entreprise médicale même si dans ce terme la

notion commerciale entraine encore une image péjorative en santé.

Enfin nous pouvons parler d’entreprise. A travers ce concept nouveau pour nous, nous allons débuter

une réflexion qui va bien au delà de la réflexion financière individuelle et patrimoniale. Nous allons

réfléchir en termes de part de marché, de développement d’entreprise, de pérennité d’entreprise,

ce qui nous conduit à réfléchir sur la démographie médicale. Je vous rappelle que seulement 30%

des diplômés s’installent en libéral aujourd’hui ; les jeunes veulent une lisibilité, une organisation :

l’entreprise leur permettra probablement plus facilement de répondre à leurs priorités.

L’entreprise médicale n’est-elle pas un modèle pour répondre aux besoins de soins, contractualiser,

et donner une réponse territoriale, et peut être à terme une offre globale de services grâce à la

mutualisation des moyens à travers l’entreprise. On nous parlera d’éthique médicale : je pense que

la réponse pour plus d’éthique peut passer par l’entreprise médicale à travers sa structuration et la

mise en place de ces processus, qualités indispensables à son fonctionnement. Mais ceci est un autre

débat.

La loi HPST est votée, elle s’impose, nous attendons les décrets d’applications, nous devons

maintenant nous l’approprier et les modifications qu’elle entraine risquent de bouleverser notre

façon d’exercer, modifiant la place du soignant dans la prise en charge de la santé de la population

sur un territoire. L’entreprise médicale n’est elle pas une réponse, le médecin généraliste sera-t-il

le garant de la santé de son territoire ? Pour répondre à la demande, il est impératif de connaître le

besoin de santé ressenti ou réel de la population. C’est pourquoi nous avons débuté ces journées par

un atelier de réflexion sur ce sujet et appréhender la vision d’autres pays européens. Aujourd’hui

nous aurons l’exemple de Laval au Québec. Laval en Mayenne ne donnera surement pas la même

réponse.

Aujourd’hui il nous a paru important d’étudier l’ensemble de la chaine de soins en portant notre

réflexion du territoire de premier recours et des réponses que certains proposent aux établissements

de soins qui demain bien entendu garderont leur rôle principal qu’est le soin, mais qui devront

s’intégrer dans l’ensemble de la prise en charge de la population qui vieillit et devient de plus en

plus dépendante. Mais quelle gouvernance pour éviter les débordements ?

Très gentiment Mr PAILLE, directeur de l’ARH des Pays de la Loire, a bien voulu être présent et

ouvrir cette 5ème édition des Rencontres de la Baule. Je lui donne avec grand plaisir la parole et vous

souhaite la bienvenue et une agréable journée.

33

ALLOCUTION D’OUVERTURE

JEAN-CHRISTOPHE PAILLE

DIRECTEUR DE L’ARH DES PAYS DE LA LOIRE

Vous me voyez très honoré d’avoir été invité à formuler, devant vous, quelques propositions de

réflexions pour vos travaux d’aujourd’hui. Au sein du thème de ces Rencontres, je m’intéresserai

surtout à la question des nouveaux périmètres.

La loi Hôpital Patients Santé Territoires nous propose une approche décloisonnée de la politique de

santé. Le projet de santé établi par l’Agence Régionale de Santé est en effet constitué d’un plan

unique, un plan stratégique régional de santé qui fixe les orientations et les objectifs pour la région

dans le domaine de la prévention, de l’organisation des soins et de l’organisation médico-sociale. Il

établit également des articulations avec la santé au travail, la médecine scolaire et la santé des

personnes en situation de précarité et d’exclusion. La loi approfondit la territorialisation de la

politique de santé de deux manières : d’une part le projet de santé qui définit les objectifs

pluriannuels d’action menés par l’ARS est un projet régional, qui certes doit cependant être

cohérent avec la politique nationale de santé ; d’autre part, l’ARS définit des territoires de santé

pertinents pour les activités de santé publique, de soins et d’équipement des établissements de

santé, de prise en charge et d’accompagnement médico-social, et d’accès aux soins médicaux de

premier recours.

La loi distingue un territoire de santé particulier, à savoir le territoire de santé de la Conférence de

Santé. Ce territoire est d’ailleurs rattaché au Schéma Régional d’Organisation des Soins qui

demeurera dans le dispositif, et plus précisément à l’Annexe Objectifs Quantifiés. Mais la loi

distingue également un deuxième niveau de territoire : il s’agit des collectivités territoriales et de

leurs groupements qui pourront conclure avec l’ARS des contrats locaux de santé portant sur la

promotion de la santé, la prévention, les politiques de soins et l’accompagnement médico-social.

A partir de là, quelle conception peut-on avoir des territoires de santé ? Il me semble que deux

enjeux ressortent de la loi. Nous avons aujourd’hui un millefeuille de territoires. J’en ai dénombré

trois dans le domaine médico-social, quatre dans le domaine du soin et sept dans le domaine de la

prévention. Jusqu’à la loi HPST, l’accumulation de ces territoires était sans inconvénient majeur

puisqu’il n’existait pas de véritable ambition de transversalité. Désormais, cette cohabitation

devient contradictoire avec l’objectif de décloisonnement entre secteurs du champ de la santé, d’où

un premier enjeu : il s’agira, en appliquant la loi, de constituer des niveaux de territoires au sein

desquels les questions de santé seront traitées de façon transversale. Je pense qu’il existe aussi un

deuxième enjeu : les territoires de santé doivent correspondre à un niveau de concertation ou de

décision de politique générale qui permette que les questions de santé ne soient pas traitées

isolément, loin des questions de transport, de logement, de cohésion sociale. Cette recherche de

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 34

cohérence avec les autres politiques publiques, elles-mêmes territorialisées, me semble une

dimension sinon nouvelle, en tout cas très intéressante, en particulier pour les élus de notre pays.

Partant de ces deux enjeux, je souhaite vous proposer des pistes pour la gradation des niveaux de

territoires de santé. Un premier niveau, particulièrement bien identifié dans cette région, est celui

des territoires de premier recours : territoire d’organisation des soins ambulatoires de proximité et

territoires de la permanence des soins, ils devront dans la mesure du possible être cohérents avec

les Comités de Liaisons sur l’Information et la Coordination (CLIC) mais aussi avec les

circonscriptions d’action sociale à l’échelle desquelles sont organisées les centres de Protection

Maternelle et Infantile (PMI) ainsi que des sujets tels que la maltraitance. Le territoire de la

Conférence de Santé est quant à lui expressément prévu par la loi : il paraîtra cohérent que ses

limites soient raisonnées en fonction des communautés hospitalières de territoires que prévoit la loi.

Il serait également souhaitable que ces limites soient adaptées aux réalités médico-sociales, ce qui

amène la question suivante : ces territoires de la Conférence de Santé ne devraient-ils pas être les

départements ? Puis, entre les territoires de la Conférence de Santé et les territoires de premier

recours, n’y a-t-il pas place pour des territoires où seraient reliées la santé et les politiques

générales ? Ces territoires de projet de santé territorial permettraient d’établir un lien avec les

autres politiques locales dont je parlais plus haut. Les communautés d’agglomérations ou les pays ne

pourraient-ils pas être l’échelle de cette transversalité ? Enfin, viendraient la région, niveau de

pilotage mais aussi de traitement de certaines problématiques, et l’inter-régions : ce que nous avons

fait pour le Schéma interrégional d’organisation des soins demeurera utile demain avec l’ARS.

Voilà donc une esquisse qui comporte peut-être plus de questions que de réponses définitives,

sachant que la réflexion menée par les ARS ne partira pas de rien, mais d’un historique et

d’habitudes de travail acquises dans chaque région. Même si quelque part, quelqu’un est susceptible

de dessiner un schéma théorique idéal, celui-ci devra être adapté à chaque région afin que les

acteurs s’y retrouvent. La réussite de la réflexion et de la concertation sur les nouveaux territoires

de santé sera, selon moi, une des conditions nécessaires pour atteindre l’objectif de

décloisonnement et de territorialisation de la loi HPST.

Enfin, je considère pour ma part que votre thème « Entreprise médicale et nouveaux périmètres de

la santé » pourrait également s’appliquer directement à l’Agence Régionale de Santé, qui selon moi

comporte une dimension que je qualifierais d’entrepreneuriale : voici en effet une organisation qui

définira ses objectifs, bien sûr en cohérence avec la politique nationale, ses plans d’actions pour les

mettre en œuvre et sera responsable devant son actionnaire, l’Etat, de la réalisation de ces

objectifs. Je pense pour ma part que cette dimension entrepreneuriale de l’ARS constitue l’un des

aspects les plus enthousiasmants de sa création.

35

L’OUVERTURE DE L’ETABLISSEMENT DE SANTE SUR LE TERRITOIRE ET LE MEDICO-SOCIAL : QUELS

LEVIERS STRATEGIQUES ?

Participaient à cette table ronde :

• Jean ARTHUIS, Président du Conseil général de la Mayenne ;

• Jean HALLIGON, Président de la Conférence Nationale des Présidents de CME de

l’Hospitalisation Privée ;

• Jérôme NOUZAREDE, Président du groupe VEDICI ;

• Paul GARASSUS, Président du Bureau de l’Assurance Qualité et de l’Information Médico-

Economique de l’Hospitalisation Privée (BAQIMEHP) ;

• David CAUSSE, Directeur du secteur sanitaire et Coordonnateur du pôle santé-social à la

Fédération des Etablissements Hospitaliers et d'Aide à la Personne (FEHAP) ;

• Martine AOUSTIN, Directrice de la Mission Interministérielle T2A ;

• Benoît PERICARD, Directeur des activités santé du Cabinet d’audit KPMG France.

Cette table ronde était animée par Jean-Pol DURAND, journaliste.

Jean-Pol DURAND

Jean Arthuis, nous sommes heureux de vous accueillir dans cette enceinte. Pouvez-vous nous décrire

votre expérience en Mayenne et son état d’avancement ?

Jean ARTHUIS

Je vous remercie de m’avoir convié à ces 5èmes Rencontres de La Baule. Je viens devant vous pour

témoigner de ce que nous tentons de mettre en place sur le territoire de la Mayenne en matière de

santé. J’ai en effet pris conscience au fil des années qu’il nous manquait, au niveau du

département, un échelon de réflexion : tout était piloté depuis la région, la Caisse Régionale

d’Assurance Maladie prenant en charge la dimension libérale alors que la Direction Régionale des

Affaires Sanitaires et Sociales était chargée de l’hôpital public. Il a fallu attendre les textes de 1996

pour que se mettent en place les Agences Régionales d’Hospitalisation. En tant qu’élu du Conseil

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 36

général de la Mayenne, je suis donc allé à la rencontre des médecins au début des années 2000,

rencontres qui furent très stimulantes tant l’incompréhension me paraissait totale entre le monde

médical et les élus. Puis nous avons appris à nous connaître et je suis frappé par les progrès que

nous avons pu accomplir ensemble pour tenter de nous projeter dans l’avenir et mesurer à quel

point nous avons besoin de nous organiser sans doute autrement.

J’ai été très impressionné, Monsieur le Président, lorsque vous avez employé le concept d’entreprise

médicale. Il me semble en effet important de sortir d’une vision de l’exercice libéral quelque peu

individuelle. L’attente des jeunes médecins est autre. Pour préserver une offre de soins sur

l’ensemble des territoires, il faut nous préparer à mettre en œuvre de vrais changements dans

l’organisation de cette offre de soins. La Mayenne est un département assez rural de

300 000 habitants. La ville de Laval rassemble environ 90 000 habitants. Deux pôles sont dotés d’un

Centre hospitalier, à savoir Mayenne et Château-Gontier. En nombre de médecins, nous nous situons

30 % en dessous de la moyenne nationale. En outre 40 % de nos médecins sont âgés de plus de

55 ans, ce qui pose le problème du renouvellement du tissu médical de la Mayenne.

Des progrès ont cependant été accomplis, notamment sous l’impulsion décisive de l’actuel Président

du Conseil de l’Ordre. En outre les médecins ont eux-mêmes organisé la permanence de soins,

conscients de la fragilité de l’offre en Mayenne. L’espérance de vie en Mayenne est par ailleurs la

plus élevée de France : nos médecins sont donc parfaitement efficaces. De la même façon, malgré

un déficit de pédiatres et de gynécologues, notre taux de fécondité est sans doute le plus élevé de

France.

Au début de l’année 2007, nous avons constitué un groupe de travail impliquant le Préfet, le Conseil

général, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, la Mutualité Sociale Agricole, le Conseil de l’Ordre

des Médecins, la Mission Régionale de Santé et naturellement le Syndicat des médecins libéraux. Ce

groupe est parvenu à formuler trois propositions :

• satisfaire les besoins à partir de pôles de santé (entreprises médicales) : notre département

compte 17 structures intercommunales et une coordination est à prévoir entre l’organisation des

soins et la réforme des collectivités territoriales, les communes étant appelées à très largement

mutualiser leurs moyens et à donner plus de consistance aux établissements publics de

coopération intercommunale ;

• développer une politique active d’accueil des internes qui pour la plupart viennent du CHU

d’Angers : l’organisation de cet accueil par les médecins s’avère désormais particulièrement

impressionnante, mais précédemment certains de vos confrères avaient tendance à décrire leur

profession auprès des futurs médecins comme un exercice particulièrement accablant, ce qui

n’était pas de nature à fortifier les vocations médicales ; enfin, comme gage de soutien, nous

avons décidé de verser à chacun d’entre eux 300 euros par mois pour indemniser leurs

déplacements ;

• développer la communication en direction des facultés de médecine.

37

Nous organisons également des rencontres entre les élus et les médecins. Il s’avère en effet

important de faire comprendre aux maires qu’il est désormais loin le temps où l’on pouvait

prétendre avoir un médecin dans chaque commune. L’opportunité de se mettre d’accord sur un pôle

médical est en voie de progrès. Nous développons trois types de projets d’entreprises médicales :

certains sont construits au niveau des communautés de communes, celles-ci devenant en général

maîtres d’ouvrage de la construction immobilière ; autre solution, nous prenons appui sur des

hôpitaux locaux, structures finalement assez adaptées à l’accueil probable d’entreprises de santé ;

enfin, nous nous appuyons sur un centre hospitalier : l’hôpital de Segré a ainsi été fusionné avec

celui de Château-Gontier et sur le pôle de Segré, il est question d’accueillir l’ensemble des

médecins Segréens au sein d’une entreprise de santé.

Il faut toutefois être attentif à ne pas construire des pôles de santé trop petits. Il est en outre

important que le monde médical assume complètement le projet et que les élus les accompagnent,

en dépassant leurs éventuelles considérations strictement communales. Nous devons évoluer sur le

plan conceptuel pour imaginer que l’on puisse être actionnaire d’une sociétaire médicale, que cette

société soit propriétaire du patrimoine et qu’un retraité vende ses actions à son successeur. Au plan

patrimonial, être salarié d’une telle structure peut en effet revêtir quelque intérêt.

En conclusion, j’emprunterai à Jean de La Fontaine la phrase suivante : « Apprendre à se connaître

est le premier des soins. »

Jean-Pol DURAND

Lorsque vous rencontrerez sous peu le futur Directeur de l’ARS, l’inviterez-vous à ménager ce qui a

déjà été fait en Mayenne ?

Jean ARTHUIS

Nous devons élaborer collectivement les projets, dans le cadre d’une sorte de tuilage entre les CHU,

les centres hospitaliers et les établissements privés. Les sources de financement sont telles que nous

avons pour obligation de faire bon usage des fonds publics dont nous disposons. Je fais le vœu que

l’on rapproche les cliniques et les hôpitaux au sein de départements comme le mien. A l’inverse, à

ce petit jeu qui consiste à opposer les uns aux autres, nous risquons de ne jamais atteindre les seuils

de crédibilité. J’appelle donc à une mise en synergie du public et du privé. Nous avons pour

obligation de maintenir une offre de soins de qualité, ce qui ne signifie pas que nous pourrons tout

faire sur place. Il faudra savoir passer à l’échelon supérieur lorsque les compétences peuvent y être

offertes dans les meilleures conditions possibles.

Jean-Pol DURAND

Les médecins sont-ils prêts, avec l’aide des collectivités locales, à assumer cette responsabilité ?

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 38

Jean HALLIGON

Non, ils n’y sont pas préparés. Ils ne sont pas préparés à faire autre chose que du soin. Il sera donc

de notre responsabilité de mobiliser nos collègues et de faire un peu de pédagogie. Nous devons tout

d’abord insister sur l’importance des entreprises collectives. Nous devons travailler ensemble, à la

fois entre praticiens de la même spécialité, mais aussi entre praticiens de spécialités différentes,

comme entre praticiens et personnels soignants, et ce dans un cadre des établissements. Les

médecins n’ont pas spontanément le sens du collectif.

De plus, les médecins ne sont pas du tout préparés à la notion de projet stratégique, pour leur

propre devenir, mais aussi pour le devenir de l’établissement dans lequel ils travaillent. De même, il

faut les aider à concevoir qu’il existe des activités en dehors du soin : certaines activités de

coordination ne sont pas en lien avec les patients, mais doivent pourtant être valorisées et

reconnues. Enfin, au-delà de l’établissement, nos collègues doivent être persuadés qu’ils travaillent

sur un territoire, au sein d’un réseau.

L’un des outils à utiliser est tout d’abord la contractualisation à différentes échelles. Déjà les

praticiens d’établissements contractualisent à titre individuel avec les établissements. Nous devrons

donc inventer des contrats collectifs à l’intérieur des établissements, mais aussi des contrats entre

le collectif médical (la CME ou un groupement de praticiens d’une spécialité) et le territoire, ou

même l’ARS. Nos collègues des établissements devront passer de la production de soins à une prise

en charge de la santé, ce qui nécessitera une grande évolution conceptuelle et aura un impact sur

l’organisation des établissements qui devront alors comporter beaucoup plus d’activités de type

médical. L’activité chirurgicale se déplacera alors vers l’ambulatoire. Des filières à la fois médicale,

de soins de suite et médico-sociale devront en outre être intégrées à cette prise en charge globale.

Jérôme NOUZAREDE

L’établissement privé de santé s’inscrit finalement dans trois types de territoires : le territoire de

son bassin d’attraction, le territoire régional et dans une certaine mesure, le territoire national. En

ce sens, un groupe peut permettre de mieux articuler les dimensions régionale et nationale. Mais

pour ma part, je considère que la réalité est avant tout locale pour la plupart des établissements.

Pour réfléchir aux leviers stratégiques d’un territoire, il faut prendre en compte toutes les

populations, c'est-à-dire toutes les catégories socioprofessionnelles et toutes les pathologies. Nous

considérons en effet que le modèle de l’établissement hyperspécialisé ne répond pas à la réalité du

territoire départemental. Néanmoins il existe, au sein des départements, des territoires de santé,

des territoires de recours et sous l’angle des plateaux techniques, des chirurgies de spécialité. Cette

réalité doit être appréhendée car à partir du moment où il existe des établissements en mesure

d’offrir une réponse à la population, ils captent une partie de la patientèle. Face à cette réalité, les

stratégies sont multiples. L’une consiste à articuler les établissements privés entre eux, mais le

combat cessera forcément faute de combattants en l’état de la tarification actuelle, sans même

parler de la démographie médicale. Alors, quelle articulation avec les hôpitaux de proximité, étant

entendu que la plupart des établissements privés participe à l’offre de recours ?

39

Les hôpitaux peuvent évidemment avoir des réflexes culturels… Néanmoins, tant les personnels que

les politiques et les populations sont animés par la recherche de leur intérêt dans le maintien d’une

offre sur ce territoire. Pour ma part, je suis moins pessimiste que d’autres sur l’idée que les

communautés hospitalières de territoire sont en mesure, une fois pour toutes, de mailler l’hôpital

général aux hôpitaux dits périphériques. Les hôpitaux des territoires de santé ont cependant leurs

réalités propres et ne vont pas tout naturellement s’inféoder l’hôpital général du département.

Par ailleurs, ce maillage ne peut se mettre en place qu’avec les médecins. Or nous sommes encore

loin aujourd’hui de disposer d’un modèle abouti. Il s’avère extrêmement difficile pour un

établissement privé d’inciter ses professionnels à consulter ou à opérer dans tel ou tel autre hôpital

au prétexte de fidéliser la patientèle. Mais certains confrères savent d’eux-mêmes que leur intérêt

consiste à aller exercer dans ces territoires de proximité. Ces rapprochements doivent donc reposer

sur une volonté bien comprise, mais aussi sur une vision de long terme. En outre, ils doivent

s’inscrire dans une démarche équilibrée : un nouvel équilibre doit à l’évidence être trouvé,

dépassant largement l’actuel contrat d’exercice, entre un praticien d’établissement, un groupe de

praticiens d’établissement et pourquoi pas, un groupe de praticiens au sein de différents

établissements.

Différents modes d’organisation s’expérimentent ici ou là ; il est bien évident que dans cette

thématique, la démographie médicale et la culture d’exercice seront déterminantes.

Jean-Pol DURAND

Paul Garassus, comment votre Fédération aborde-t-elle le sujet de l’entreprise et de la

territorialité ?

Paul GARASSUS

Rappelons tout d’abord les spécificités du secteur privé, avant de réfléchir à son adaptabilité à un

secteur territorial. Les établissements privés de soins ont engagé, au cours des quinze dernières

années, un grand nombre de restructurations, avec deux contraintes connexes à savoir les évolutions

techniques et la contrainte économique.

S’adapter au territoire consiste tout d’abord à définir ses objectifs et savoir-faire, à réfléchir au

partenariat entre les équipes médicales, puis à mettre en place un partage effectif entre une

habileté de gestionnaire et une pertinence stratégique, tout en incluant le corps médical dans ses

orientations et ses compétences. Les difficultés que nous rencontrons actuellement en France

s’avèrent tout à fait semblables à celles de nos voisins européens : où s’arrête le privé et où

commence le public ? Il nous faut lever quelques verrous conceptuels et donner du contenu à notre

exercice, en dissociant bien le statut juridique et le mode organisationnel : en Allemagne, beaucoup

d’hôpitaux dits publics ont confié leurs mandats de gestion à des organismes privés. Ils n’ont pas

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 40

vendu leur âme, mais espèrent ainsi des gains de productivité grâce à un meilleur mode de gestion.

Ainsi s’il faut évidemment réfléchir d’un côté à l’adéquation entre les besoins et l’offre sur un

territoire de santé, de l’autre, il faut nous émanciper de notre système de pensée historique pour

parvenir à l’efficience attendue.

L’esprit d’entreprise constitue à l’évidence une source essentielle de notre exercice, mais cela doit

s’adapter aux besoins locaux. Les ARS auront, selon moi, pour mission de définir clairement les

besoins puis de donner les moyens effectifs pour que l’opérateur soit en capacité d’assurer une prise

en charge de qualité, mais également d’investir à long terme. Autour de la professionnalisation des

établissements de santé, il faut en effet arriver à dégager des marges nous permettant

d’accompagner l’innovation tout en maintenant le niveau de qualité.

Les médecins sont très fiers de leur métier mais doivent pour autant lui donner du contenu, et

réfléchir, en tant que partenaires, à l’adéquation de cette offre de soins avec les besoins du

territoire. L’Union européenne des hôpitaux privés organisera d’ailleurs en mai prochain à Paris une

conférence sur cette thématique : pourquoi l’Europe a-t-elle besoin des hôpitaux privés ? Dans un

contexte de crise économique, nos confrères des pays de l’Est souffrent d’importants manques de

liquidité et même si nous n’en sommes pas là en France, je ne crains pas pour autant les

investisseurs privés : ils apportent en effet un financement qui nous fait défaut. Certes leurs

techniques de gestionnaires s’accompagnent de contraintes pour les médecins. Néanmoins nous

devons accompagner le développement de ces réflexions, au service du territoire.

Enfin, les réformes du Président Obama me paraissent également fort intéressantes : il nous faut

comprendre les résistances américaines aux changements car notre corps médical n’est pas non plus

tout à fait prêt à se remettre en cause.

Jean-Pol DURAND

David Causse, comment votre Fédération aborde-t-elle le même sujet ?

David CAUSSE

Il s’agit de la Fédération des Etablissements Hospitaliers et d’Aide à la Personne. En fait cette

nouvelle appellation entend marquer une évolution très importante, à savoir le déplacement du soin

et de l’accompagnement vers le domicile des assurés sociaux.

Qu’est-ce que le privé non lucratif en France aujourd’hui ? Il s’agit d’un ensemble fort composite

rassemblant des associations mais également des fondations, des congrégations, des institutions de

retraite complémentaire et de prévoyance ainsi que des mutuelles. Sur le plan hospitalier, le privé

non lucratif est avant tout présent dans le secteur des soins de suite et de réadaptation. Il existe en

outre quelques établissements aux spécialités fort pointues, largement au niveau de leurs voisins

hospitalo-universitaires.

41

La FEHAP a un centre de gravité médico-social avec une composante gérontologie (maisons de

retraite), mais aussi une composante addictologie et une composante handicap. Au passage, la loi

HPST me paraît d’ailleurs utiliser de manière un peu trop générale le terme de « médico-social ».

Nous entretenons avec la médecine de ville une relation à plusieurs facettes : quelques

établissements adhérents de la FEHAP fonctionnent avec l’échelle privée des tarifs et avec des

médecins libéraux. Enfin les établissements privés non lucratifs sont avant tout majoritaires en

matière de dialyse et d’hospitalisation à domicile.

Quels sont les leviers de changement et pourquoi la FEHAP a-t-elle constamment soutenu les travaux

parlementaires de la loi HPST ? Le privé non lucratif est d’ores et déjà multi-sectoriel, ce qui

d’ailleurs n’est pas toujours facile. Cette évolution vers un pilotage régional décloisonné, vers une

vision territoriale transversale nous convient donc bien. En effet, au regard du poids toujours plus

important de la prise en charge des affections de longue durée, les alliances avec le secteur public,

la médecine de ville et le secteur privé de statut commercial, autour de parcours de soins et

d’accompagnement aussi fluides et gradués que nécessaire, nous semblent constituer l’un des points

les plus stimulants du projet de loi.

La FEHAP a par ailleurs porté les contributions suivantes : nous avons tout d’abord beaucoup insisté

sur la possibilité pour les établissements de construire des équipes mixtes, associant des

professionnels salariés et des professionnels de santé libéraux. Nous sommes ravis que le législateur

ait validé cette disposition dans l’un des amendements de la loi. Dans le même esprit, nous avons

soutenu une initiative de la Fédération Hospitalière Privée faisant valoir le fait que des

établissements privés dotés d’une communauté médicale libérale fonctionnant à l’échelle privée des

tarifs, puissent recruter des médecins salariés et facturer leurs actes à l’Assurance Maladie. Nous

sommes donc dans un schéma très stimulant qui offre de nouvelles possibilités de management.

Les pouvoirs de pilotage des Directeurs d’Agence ont en outre été dotés de nouvelles marges

d’innovation et de souplesse : lorsqu’une mission de service public ne sera pas assumée, le Directeur

d’Agence pourra, par contrat, faire affaire avec celui qui se présentera. Or certains de nos

établissements y pensent déjà, dont des établissements médico-sociaux implantés dans des zones

géographiques fortement dépeuplées sur le plan médical. En outre, la loi permet un autre

décloisonnement entre le curatif et le préventif, secteur au sein duquel, me semble-t-il, les

professionnels de santé auront un effort d’appropriation et de connaissance à mener.

Je souhaite par ailleurs évoquer devant vous les attentes de nos établissements : nous sommes très

désireux d’un accord sur le secteur optionnel entre l’Assurance Maladie, les assureurs

complémentaires et les professions médicales libérales. En effet, nos établissements privés non

lucratifs développent naturellement des valeurs humanistes et sociales, mais pour garantir la qualité

requise dans certaines spécialités, le secteur optionnel devient indispensable en tant que compromis

entre le niveau de performance des équipes et un principe d’accessibilité financière.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 42

Par ailleurs nous constatons que beaucoup d’omnipraticiens ont pu, au cours de leur carrière et dans

le cadre d’un projet professionnel original, acquérir de nouvelles compétences dans le cadre d’un

diplôme universitaire ou d’une capacité (psychiatrie, médecine physique et de réadaptation,

gériatrie), ce qui est précieux au regard des signaux collectifs délivrés par le vieillissement de la

population ou l’augmentation des maladies chroniques. Mais aujourd’hui, ils ne peuvent faire

reconnaître ces spécialités par le Conseil de l’Ordre sans abandonner leur exercice d’omnipraticien

en ville. Cette rigidité me semble complètement dater par rapport à la réalité du terrain, qui

gagnerait beaucoup au déploiement de possibilités d’exercice variées, à temps partagé.

Dans le même esprit, les conventions signées entre l’Assurance Maladie et les professionnels ne

doivent pas instaurer des clivages qui bloquent la réponse pragmatique aux besoins de la population.

Ainsi par exemple a été signée une convention pour les personnels infirmiers selon laquelle, lorsque

des infirmiers libéraux interviennent en coopération avec un service d’hospitalisation à domicile, la

prise en charge de leurs cotisations par l’Assurance Maladie s’avère abrasée. Cette disposition risque

d’ailleurs de faire contagion dans le domaine des services de soins infirmiers à domicile. En réalité,

elle renvoie la « patate chaude » aux protagonistes sur le terrain : les libéraux demandent

naturellement des compensations aux gestionnaires qui ne disposent pas des moyens de leur donner

satisfaction. A cause de cette casuistique sur la forme plus ou moins classique de l’exercice libéral,

si les gestionnaires d’HAD ont une alternative en milieu urbain et recrutent alors plutôt des

infirmiers salariés, en zone rurale par contre, aucune solution n’est parfois possible et c’est l’assuré

social qui en pâtit. C’est totalement contraire à « l’esprit HPST » : pourrions-nous imaginer qu’un

médecin qui travaille en coopération avec un Groupement de Coopération Sanitaire hospitalier voit

aussi la prise en charge de ses cotisations supprimées par l’assurance-maladie ? Ainsi certains

obstacles doivent être levés pour préserver ou permettre les transversalités entre professionnels de

santé libéraux et établissements sanitaires et médico-sociaux dont les personnes âgées et

handicapées notamment ont besoin.

En conclusion, j’ai envie de vous livrer ce qui est selon moi Une sinon LA véritable « erreur » de la

loi HPST : elle dispose en son article 23 que lorsqu’un Groupement de Coopération Sanitaire (GCS) se

trouve être détenteur d’une autorisation d’activité de soins, il constituera une personne morale

nouvelle qualifiée d’établissement de santé qui sera qualifié, de manière tranchée voire binaire, de

public ou de privé. S’il est de droit privé, le partenaire public peut être toutefois représenté et

présent dans le « tour de table » à la mesure de ses apports. Par contre et s’il est de droit public,

indique le texte, le GCS détenteur d’autorisation sera nécessairement établissement public de santé

du point de vue de son fonctionnement et de sa gouvernance. Conseil de surveillance public,

désignation ministérielle du directeur, statut du patrimoine et du personnel découlent de cette

écriture. De ce fait, des établissements privés qui seraient minoritaires au sein d’un groupement de

coopération de ce type, ou encore des professionnels libéraux qui participeraient à un tel

groupement disparaissent complètement de sa gouvernance, voire se diluent dans le statut public :

or certaines agences régionales entendent d’ores et déjà imposer cette formule pour certains

plateaux techniques, ou encore pour des autorisations de cancérologie ou l’accueil des urgences et

les services de médecine associés. Cette « nationalisation juridique » des partenaires privés

minoritaires va les amener logiquement à s’enfuir à toutes jambes devant cette perspective de

fusion-absorption publique. Cette erreur s’avère totalement contre-productive en termes de

développement des coopérations et de la transversalité des modalités de réponse aux besoins de

soins et d’accompagnement des assurés sociaux. La FEHAP comme la FHP et certaines URML

œuvrent d’ores et déjà ensemble pour faire évoluer cet état de fait.

43

Jean-Pol DURAND

Dr Aoustin, après le chantier de la T2A, le temps n’est-il pas venu de repenser toute la coopération

des acteurs au sein des territoires ?

Martine AOUSTIN

Vous posez la question de l’ouverture de l’établissement sur le territoire ; au-delà de tout ce qui

vient d’être dit à propos de l’organisation territoriale, je voudrais rappeler qu’en 2003, lorsque nous

avons démarré la réforme de la T2A, le terme d’entreprise n’était pas utilisé de manière positive.

Mais nous avions pourtant l’impression d’emporter nos établissements dans la direction de

l’efficience et de la performance, au service des patients.

En termes de leviers d’organisation territoriale, cette loi s’avère incroyablement managériale dans

sa manière de décliner et d’articuler les sujets. Il faut savoir que l’un des objectifs absolument

fondamental du système de financement en T2A se situait dans notre volonté de restructuration

territoriale de l’offre de soins. Mais en quoi ce financement est-il un levier en matière de

recomposition de l’offre de soins ? Nous l’avons conçu ainsi avec tout d’abord une prise en compte

des grands fondamentaux de l’organisation statutaire des établissements et de la médecine : il

fallait soutenir les éléments de planification et parvenir à faire en sorte que la tarification permette

à la fois la recomposition, la dynamisation et l’orientation volontariste vers un certain type de prise

en charge jusqu’à présent insuffisamment réalisé (maladies chroniques, gériatrie, transferts vers le

médico-social, etc.). Or vous savez à quel point un financement est structurant et à quel point les

acteurs sont sensibles aux composantes économiques.

Nous avons donc favorisé la dynamique hospitalière : aujourd’hui, l’activité hospitalière a

globalement évolué, tout comme les besoins d’ailleurs. Nous avons en outre orienté la

recomposition de l’offre de soins : la dotation globale ne le permettait pas alors qu’à l’inverse, le

ciblage des financements vers telle ou telle activité permet incontestablement d’orienter l’activité

et donc, de donner d’importants leviers aux responsables locaux et territoriaux. Au-delà, le système

absorbe cette évolution : nous avons conçu un modèle composé de tarifs nationaux et d’une

régulation nationale parce que nous avions pour objectif que les besoins de soins territoriaux soient

assumés par une régulation nationale, c'est-à-dire par l’ensemble de la collectivité nationale. Ce

système permet ainsi de dynamiser les zones de sous-offres.

Lorsque nous avons traité de ce sujet, nous nous sommes assurés d’établir un lien économique et

financier d’équité entre l’amont et l’aval de l’hospitalisation, l’équité s’avérant indispensable à la

gestion d’une organisation humaine. Ainsi, avec la médecine de ville et l’hôpital, nous avons mis en

place des systèmes de financement insistant sur le principe « à prestation identique, financement

identique ». Nous avons eu la même attitude à l’égard des urgences : à partir du moment où l’Etat

ouvre un système d’urgence, il estime pouvoir lui faire confiance qu’il appartienne au secteur public

ou privé. Il est donc normal que le patient débourse une somme identique dans l’un ou l’autre

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 44

secteur. Pour les malades strictement ambulants, nous avons financé les soins au travers des

systèmes d’utilisation de salles blanches. Enfin, en aval, nous avons développé avec volontarisme

l’HAD au sein des établissements pour personnes âgées. Au final, nous disposions donc d’un levier

économique structurant permettant de remplir un certain nombre de conditions en matière

d’organisation territoriale.

Désormais l’articulation entre la planification et le champ économique ne fait plus débat : l’un doit

servir l’autre, sachant que nous subissons des contraintes économiques fortes. La planification est à

la fois la meilleure et la pire des choses. Si elle sclérose trop la mécanique, elle empêche la

souplesse ; et si elle empêche la souplesse, elle raréfie les flux et empêche la performance globale

du système. Voilà un élément sur lequel nous devons travailler ensemble.

Jean-Pol DURAND

Je passe maintenant la parole à Benoît Péricard, ancien acteur majeur dans cette région, et qui

intervient aujourd'hui en tant que consultant. De manière abrupte, je lui poserai une question

concernant le rôle des futurs directeurs d’ARS : quelle sera leur marge de manœuvre ? S’agit-il de

l’épaisseur du trait ou y aura-t-il « du grain à moudre » ?

Benoît PERICARD

Sur ce sujet, tout ou presque a été dit ce matin : c’est à la fois l’avantage et l’inconvénient de

s’exprimer le dernier. Réjouissons-nous car c’est précisément le but de ces Rencontres : poser les

bonnes questions et y apporter, sinon des réponses, du moins des pistes intéressantes. Sous un titre

assez compliqué, la thématique de la table ronde soulève en réalité la question de la

« transversalité », terme quelque peu technocratique et néanmoins au cœur de notre réflexion. Je

n’apporterai pas d’éléments nouveaux mais tenterai plutôt de résumer ce qui a été exprimé ce

matin.

La transversalité met en œuvre trois familles de leviers stratégiques, à savoir la vision, la

géographie et enfin les méthodes et les moyens.

Tout d’abord, il convient d’avoir une vision, une conviction. La création des ARS répond uniquement

à la volonté de mettre en œuvre cette transversalité. Pour gérer les hôpitaux et les ramener à

l’équilibre, nous disposons déjà des ARH. Pour gérer l’aspect médico-social, nous disposons des

Conseils généraux, des DDASS et de la Sécurité sociale. Nous devons tous – acteurs, régulateurs,

conseillers – partager la conviction profonde que cette loi n’a d’autre objectif que la gestion de la

transversalité. Et c’est sur cet objectif que nous serons collectivement jugés.

Malheureusement, quand j’entends certaines personnes penser à la place de ceux qui ne sont pas

encore nommés sur la manière dont les Agences vont travailler, je crains que le système actuel ne se

poursuive, système que l’on pourrait comparer à un orgue magnifique sur lequel on colle quelques

rustines (des réseaux, de la coordination etc.). Or il nous faut véritablement transversaliser. Pour ce

45

faire, il convient d’agir local et de penser global, selon une formule aujourd'hui célèbre.

Martine Aoustin l’a rappelé à juste titre : la vision globale et technocratique ne suffit pas ; elle doit

être irriguée par une vision et des projets concrets.

Je tiens ici à rendre hommage à Emmanuel Vigneron avec lequel j’ai le plaisir de travailler autour

des questions de géographie sanitaire. Nous avons dû lutter pour que la loi inscrive le concept de

« territoire de santé », puis celui de « conférence de santé ». Jean-Christophe Paille a rappelé que

les cinq territoires répertoriés sont désormais identifiés et a mis en garde contre la sottise absolue

que constituerait une vision centralisée depuis Paris. Effectivement, les différents niveaux

géographiques doivent être pris en compte : le niveau interrégional, le niveau régional, le niveau dit

de proximité immédiate, sans oublier les niveaux intermédiaires, plus difficiles à définir, que

représentent l’hôpital général, le niveau sectoriel et la future Communauté hospitalière du

territoire. De surcroît, la géographie ne désigne pas seulement des périmètres mais des hommes,

des femmes et des dynamiques. Or certains territoires manquent cruellement de dynamiques et de

projets. Aussi faut-il parfois admettre que ces territoires – qui ne sont pas nécessairement les plus

emblématiques, loin s’en faut – développeront ces dispositifs moins rapidement que d’autres, voire

pas du tout.

C’est à ce seul niveau que la loi intervient. J’ai entendu quelqu’un exprimer l’idée que cette loi

était managériale, que l’ARS s’apparentait peut-être à une entreprise. Je m’en félicite. La loi a pour

fonction de constater l’aboutissement d’une réflexion et d’une avancée culturelle, non de prévoir

l’avenir. Je me méfie toujours des déclarations telles que : « Avec cette loi, on va pouvoir faire

ceci ». Pourquoi s’interdire de le faire avant la loi ? Certes, la loi reste un élément important dans la

mesure où elle crée les structures et permet un élan. Désormais, le cadre existe et il nous

appartient de mettre en œuvre des méthodes et des moyens pour faire émerger cette transversalité.

Tout d’abord, apprendre à transversaliser consiste à identifier les projets existants, lesquels sont

d’une étonnante richesse. Une HAD, une maison médicale, une association pour handicapés qui fait

le lien entre le handicap et l’école, un réseau de soins palliatifs, une étude pour identifier la carte

d’identité sanitaire d’une population donnée : toutes ces structures constituent des projets

nouveaux. Il faut donc fournir cet effort d’identification. Si l’ARS garde une attitude technocratique,

elle n’aura pas connaissance de ces projets. Or elle doit les mettre en synergie. Autrement dit, il

s’agit d’une démarche de la base vers le haut. Au demeurant, il est essentiel de savoir identifier les

mauvais projets, ceux qui ne répondent pas à l’objectif de transversalité, et prendre la décision qui

s’impose.

Dans un deuxième temps, il faut choisir, prioriser et soutenir les projets. A cette fin, il convient de

mobiliser un maximum de personnes autour du projet. Un projet ne tient pas seulement dans un plan

de financement ni dans un cadre juridique : c’est aussi et surtout un porteur de projet. C’est

pourquoi il faut avoir le courage de personnaliser les projets en encourageant voire en formant les

personnes capables de porter ces projets.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 46

J’ai entendu certains intervenants déplorer l’absence de moyens, affirmer que les projets ne

seraient jamais soutenus, arguant que la T2A anéantit toute marge de manœuvre. Les marges de

manœuvre sont pourtant bien réelles : ainsi, ceux qui ont géré des budgets en contractualisation

régionale savent que 1 % du budget constitue déjà une somme importante. Du reste, l’ARS offre des

marges de manœuvres transversales dans les domaines du médico-social, du préventif et du

sanitaire ; et la transversalité sera peut-être au cœur du projet Hôpital 2018. En définitive, les bons

projets disposeront toujours de moyens financiers.

Jean-Pol DURAND

Je vous remercie. Nous avons quelques minutes pour … quelques questions de la salle, mais quelques

unes seulement étant donné notre contrainte horaire.

QUESTIONS DE LA SALLE

Christian ESPAGNO

Médecin dans la Région Midi-Pyrénées, une région vaste et hétérogène autour de la « pompe

aspirante » que constitue Toulouse, j’ai eu l’occasion de participer à l’élaboration des SROS de 1re,

2e et 3e générations. En collaboration avec l’ARH, nous avons essayé de construire le plus

objectivement possible un certain nombre d’arguments pour établir une offre de soins

correspondant aux besoins de la population. Malheureusement, la population s’en est moquée

éperdument et a continué de se rendre à Toulouse, indistinctement en établissement privé ou

public, où elle pense bénéficier de soins de meilleure qualité. Face à cette situation, il m’a semblé

que l’ARH ne disposait pas des leviers suffisants, ni sur le plan financier ni sur le plan contractuel,

malgré sa réelle volonté de faire évoluer cet état de fait. Et je passerai sous silence les pressions

politiques fortes contre la fermeture de telle unité de soins dont l’inefficacité était pourtant

largement démontrée. Pensez-vous vraiment que nous disposerons de leviers plus importants avec

l’arrivée des ARS ? Pour ma part, je ne suis pas parvenu à discerner dans la loi HPST une extension

de ces marges de manœuvre. Certes, les décrets d’application infléchiront peut-être la situation.

Les préfigurateurs qui seront nommés très prochainement joueront-ils un rôle prépondérant dans la

rédaction de ces décrets ?

Dominique MOULIN

Je représente l’UFC-Que Choisir de Saint-Nazaire. Monsieur Péricard a soulevé la question des freins

qu’il était nécessaire d’identifier et de lever pour accéder à la transversalité. En ce qui concerne les

usagers, quid du vecteur de transversalité par excellence que constitue le dossier médical personnel

partagé ? Selon moi, il s’agit d’une question culturelle. Or je constate que chacun défend son pré

carré en se demandant comment prendre la plus grosse part du gâteau de la santé. Si les élus ne se

rapprochent pas des conférences et continuent de croire qu’ils ont la science infuse – sur la santé

comme sur le reste – et de considérer les usagers comme ils considèrent le cor au pied de leur belle-

mère, il sera impossible d’évoluer. Il faut pourtant avancer tous ensemble.

47

Jean-Pol DURAND

Je vous remercie. Je propose que nous en restions là : les interventions d’un médecin et d’un

représentant des usagers donnent suffisamment de grain à moudre à nos orateurs. Quelqu’un

souhaite-t-il répondre à la question sur la marge de manœuvre effective des ARS et à celle sur les

freins culturels ?

Un intervenant

Cette question rejoint celle du lien entre le financement et la planification. Selon moi, la

tarification à l’activité constitue un formidable accélérateur pour les phénomènes de concentration.

S’il n’existait que la T2A, le phénomène décrit par Christian Espagno dans la région de Toulouse

s’observerait également en Pays de la Loire. Or il existe des cordes de rappel telles que les

autorisations – il faut faire preuve de courage pour résister aux pressions –, l’aide à l’investissement,

les flux des internes etc. En bref, la tarification à l’activité crée un courant extrêmement fort.

Jean-Pol DURAND

On aimerait parfois que la tarification favorise un peu plus les coopérations.

Benoît PERICARD

En ce qui concerne l’exemple de la région Midi-Pyrénées, il faut réaffirmer le primat de la

géographie et rappeler un état de fait : la prise en charge est meilleure en province qu’à Paris.

Pourquoi ? La démarche des patients des grandes agglomérations comme Toulouse s’apparente à de

la consommation de soins. Si c’est ce modèle que nous voulons pour notre société, il faut le dire :

c’est le modèle américain. Et dans dix ou vingt ans, nous nous poserons la question que

Barack Obama se pose aujourd'hui : Faut-il revenir au modèle français ? Il est vrai que la région Midi-

Pyrénées présente des caractéristiques très particulières, avec l’ « aspirateur » que constitue

Toulouse : cette région ne compte pas d’établissements intermédiaires tels que ceux d’Angers, de

Laval ou de Saint-Nazaire. C’est là précisément qu’interviennent l’histoire et la culture : si au

niveau local, la clinique, l’hôpital et les médecins libéraux se chamaillent, la situation de Toulouse

persistera. La seule réponse propre à rééquilibrer le système de soins consiste à donner à l’échelon

local toute la réponse que Toulouse est incapable d’apporter, en lui laissant des spécialités comme

la chirurgie cardiaque par exemple.

David CAUSSE

Je suis sensible aux propos de Monsieur Paille sur la métropolisation. Issu d’un groupe sanitaire et

médico-social privé non lucratif important, j’ai pris la mesure de cette question sur l’ensemble des

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 48

professions de soin socio-éducatives : comment faire venir et garder des professionnels de qualité ?

La question persiste. Au-delà de la dimension professionnelle, il convient de prendre en compte

l’environnement familial. Par ailleurs, la loi HPST prévoit d’établir un état financier régional pour

consolider l’ensemble des ressources du sanitaire, du médico-social et du préventif. Je suis très

curieux des conclusions de cette étude concernant la péréquation économique nationale évoquée

par Martine Aoustin. En effet, je me suis toujours intéressé au dilemme de la régulation prix-

volume : si le nombre de praticiens et d’actes est largement inférieur en Mayenne et dans le Nord-

Pas-de-Calais que dans les départements du littoral méditerranéen, les sur-actes ne viennent-ils pas

absorber une ressource dont la Mayenne ne disposera jamais ? J’ignore quelles en seront les

conclusions, mais cet état des lieux régional devrait se poser en « juge de paix » en indiquant le

volume des ressources issu de la péréquation économique nationale et de tous nos efforts de

cotisations ou d’impôts tels qu’ils apparaissent dans chaque territoire.

Martine AOUSTIN

Le sujet de la concentration peut être analysé à deux niveaux. La régulation prix-volume permet

effectivement ces flux. Pour autant, le maintien des offres de soins au travers d’un regard portant

sur telle ou telle région pose problème : dans les régions les moins dotées, la situation reste

identique. Il convient donc de trouver un juste équilibre entre cette régulation nationale, qui doit

faire en sorte qu’une offre arrivant dans une région justement sous-dotée soit absorbée par

l’ensemble du niveau national, et la péréquation entre régions. Or en matière de points ISA, cette

péréquation a cessé après seulement trois ou quatre ans, à l’image de nombreux pays. En effet, le

temps de l’évolution culturelle et organisationnelle des régions sur-dotées ne permet pas à cette

péréquation d’évoluer aussi rapidement que nous le souhaitons. Autrement dit, dans certaines

régions, l’offre ne suit pas suffisamment vite l’ambition de péréquation. C’est pourquoi il faut

examiner ce sujet sous deux angles : un angle régional, avec le souci de ne pas scléroser le

territoire et, parallèlement, un angle national.

Jean ARTHUIS

Je répondrai à la question de la prise en compte des usagers. Il me semble que les élus ont la

légitimité nécessaire pour représenter les usagers, puisqu’ils sont désignés par un processus

démocratique. Les usagers sont-ils toujours représentatifs ? Là encore, il est question de légitimité.

Par conséquent, le système doit être attentif aux préoccupations exprimées par tous les usagers. La

loi HPST est certainement très prometteuse. Néanmoins, je regrette qu’elle soit émaillée de tant de

précisions, et ce à la demande d’un certain nombre d’entre vous. Je souhaiterais que les lois soient

beaucoup plus sobres dans leur expression afin de laisser plus de marges de manœuvre aux acteurs,

lesquels ne devraient pas attendre qu’un décret ministériel leur dicte la conduite à tenir. Pourrons-

nous enfin guérir de ce mal français ? La loi doit s’en tenir aux principes et laisser les acteurs

prendre leurs responsabilités. La loi HPST est une bonne loi en ce qu’elle institue une nécessité de

pilotage. A l’instar des casernes, l’hôpital crée de l’emploi sur un territoire. A ce titre, la

problématique ressort d’une logique d’aménagement du territoire.

49

La médecine a pour objet de répondre aux besoins de la population en matière de santé : sur ce

point, la dimension territoriale s’avère fondamentale. Le pilotage implique une vision. C’est

pourquoi les systèmes d’information doivent permettre aux acteurs de santé de mieux appréhender

leurs actions. L’un des intervenants a évoqué le dossier médical personnalisé : ce dossier constitue

la cerise sur le gâteau, sa mise en œuvre étant suspendue à l’élaboration d’un système

d’information complet. En ce sens, l’amélioration de ces systèmes d’information requiert un

investissement conséquent.

En tant que Président d’un Conseil d’administration d’hôpital, je peux témoigner du manque de

lisibilité des comptes financiers. Nous devons tourner le dos à cette culture et nous donner des

instruments de lucidité pour décider ensemble. Au-delà de la question du statut – public ou privé –,

c’est la question de la performance qui doit être au centre de nos préoccupations. Aujourd'hui, les

établissements publics et les établissements privés relèvent de deux compétences juridictionnelles

différentes : le tribunal d’instance et le tribunal administratif. Il faut surmonter ces clivages, étant

entendu que le seul combat qui vaille est celui de la santé. En ce domaine, nous devons faire preuve

d’innovation. Pourquoi certaines régions affichent-elles un effectif médical deux fois supérieur à

d’autres ? Ceci constitue un vrai sujet de débats.

Jean-Pol DURAND

Merci, Monsieur le Ministre. Je laisse à Monsieur Helie, actuel directeur de la MRS – une structure

vouée à disparaître prochainement – le soin de nous expliquer quel héritage il laissera au futur

directeur de l’ARS des Pays de la Loire en termes de travaux liminaires sur la territorialisation de la

région.

Jean-Paul HELIE

La MRS des Pays de la Loire a identifié les territoires de premier recours, document dont

héritera l’ARS. Par ailleurs, elle conduit des expérimentations visant à responsabiliser les

professionnels sur la gestion du système.

En conclusion, s’il peut sembler séduisant de passer des contrats d’objectifs (accès aux soins,

continuité et qualité de soins) ou de moyens avec les tutelles, l’Assurance-maladie et les

professionnels de santé, il est néanmoins nécessaire de tirer d’abord les enseignements de ce que

nous avons mis en place aujourd'hui. C’est précisément l’objet de notre réflexion, qui consiste à

préparer le travail du futur directeur de l’ARS à travers plusieurs questions. Le développement des

maisons médicales pluridisciplinaires peut-il régler les problèmes de démographie médicale ? Je ne

suis pas convaincu qu’elles constituent la seule solution. Les mesures incitatives suffiront-elles ? Ces

mesures ont déjà montré leurs limites. Des mesures coercitives seront-elles nécessaires ? J’en

doute.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 50

Quant à la question de la permanence des soins, les médecins se trouvent désormais responsables de

l’enveloppe qui sera mise à leur disposition pour organiser à la fois la régulation et les soins. Seront-

ils capables de relever le défi, en garantissant la sécurité et la continuité des soins avec un coût

raisonnable pour la collectivité ? Nous l’espérons. Pour ce faire, la MRS est prête à collaborer avec le

futur directeur de l’ARS et à prolonger les expérimentations mises en œuvre et que nous souhaitons

voir se développer.

51

LE MEDECIN GENERALISTE : GESTIONNAIRE DE SON TERRITOIRE ?

Intervenants :

Jean-Paul HELIE, directeur de la MRS des Pays de la Loire

Yann BOURGUEIL, directeur de recherche à l’IRDES

Raynald GUAY, vice-président du syndicat des médecins omnipraticiens de Laval (Canada)

Luc DUQUESNEL, URML, responsable du groupe de travail sur les Pôles de Santé Libéraux

Christian LE DORZE, président du groupe VITALIA

Loïc BEDOUET, Conseiller Régional – Commission solidarités humaines et territoriales

Jean-Paul HELIE

Tout d’abord, j’avoue avoir été quelque peu surpris par le titre de cette table ronde : « le médecin

généraliste, gestionnaire de son territoire ? » Qu’attend-on d’une bonne ou d’une mauvaise gestion,

notamment par les professionnels de santé libéraux ? Qu’attend-on d’une plus grande

responsabilisation du médecin sur le champ de la gestion des territoires ? A quels défis veut-on

répondre ? Ce matin, les thèmes de la territorialisation et de l’organisation ont largement été

abordés, à la différence de la question du financement. En tant que directeur de l’Assurance-

maladie, il me semble utile de rappeler un certain nombre de défis pour repositionner le débat.

D’abord, les médecins libéraux font face à un défi économique. En quatre ans, l’ONDAM (Objectif

national des dépenses d’assurances maladie) a augmenté de 16 % et continue de croître. En 2009,

l’Assurance-maladie accuse un déficit prévisionnel d’environ 10 milliards d’euros : ce chiffre est

probablement supérieur en ce qui concerne le régime général. Considérant l’impact du

vieillissement de la population et du progrès technique sur le coût des soins, il convient de

rééquilibrer les recettes et les dépenses. Nous avons donc l’impérieuse nécessité d’améliorer

l’efficience des dépenses. La gestion des territoires doit intégrer ce défi économique.

Ensuite, les médecins libéraux se trouvent confrontés à un défi d’organisation. La médecine libérale

se caractérise actuellement par un enchevêtrement des compétences, par un cloisonnement entre

prévention, soin et médico-social, par un cloisonnement du financement, par une tarification (T2A)

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 52

à parfaire et enfin par une mauvaise articulation entre professionnels, hôpital, spécialistes et

généralistes.

Le troisième défi qui se pose au professionnel de santé gestionnaire de son territoire concerne la

santé publique. A titre d’exemples, on peut mentionner : le vieillissement de la population, le poids

grandissant des pathologies chroniques (7 millions de personnes en ALD (15 %) consomment 60 % des

dépenses de l’Assurance Maladie), l’augmentation du coût de certaines pathologies tels que le

diabète (+9 % par an depuis 2005), ou encore la croissance du régime général (+3,7 % par an, la part

des maladies chroniques y contribuant pour 84 %).

Enfin, le médecin libéral est confronté à la question de l’accès aux soins sur l’ensemble du

territoire, qui se traduit par la répartition inégale des médecins, le risque des déserts médicaux (qui

devient parfois une réalité), la diminution attendue du nombre de médecins à partir de 2025, la

discrimination financière (refus de soins, dépassements d’honoraires), la réduction de la prise en

charge des dépenses par l’Assurance-maladie obligatoire avec éventuellement, malgré une stabilité

du taux de remboursement depuis trente ans, une réflexion à mener sur le transfert de prises en

charge sur les régimes complémentaires.

Que recouvre le concept de « médecin gestionnaire » ? Comment définir son niveau de

responsabilisation ? A priori, j’ai associé ce concept à celui du modèle anglais de médecin

généraliste, qui présente les caractéristiques suivantes : la responsabilité d’une patientèle sur un

territoire donné ; un point d’entrée unique dans le système de santé ; une rémunération globale

avec des parts variables, selon les caractéristiques de la patientèle ; l’atteinte des objectifs de

santé publique, ainsi qu’un intérêt à réaliser de la prévention.

Ensuite, selon une deuxième hypothèse, le médecin gestionnaire serait un médecin ou un

groupement de médecins responsable du maintien de l’accès aux soins, de la permanence et de la

coordination des soins sur un territoire. Cette définition correspond à ce que nous essayons de

mettre en place aujourd'hui.

Enfin, selon une troisième hypothèse, le médecin gestionnaire désignerait un médecin responsabilisé

sur des objectifs (de qualité, de santé publique) ainsi que sur des objectifs économiques concernant

la patientèle de son territoire.

Comment l’Assurance-maladie se positionne-t-elle sur ce sujet ? La MRS propose des dispositifs et

des expérimentations permettant aux médecins généralistes d’être acteurs du système de santé et

responsabilisés en tant que gestionnaires, au travers notamment du parcours de soins coordonné.

Aujourd'hui, 85 % des patients ont choisi un médecin traitant : celui-ci gère le parcours de soins,

coordonne les soins, oriente le patient et gère le dossier médical. C’est pourquoi il constitue le pivot

du système de santé. En ce sens, le médecin généraliste se positionne déjà comme gestionnaire de

son territoire, autour de plusieurs objectifs de santé publique : la couverture vaccinale, le taux de

dépistage des cancers, le suivi régulier des consultations inutiles etc.

53

Au niveau national, le CAPI (Contrat d’amélioration des pratiques individuelles des médecins) se

définit comme un dispositif de rémunération aux résultats. Le médecin, gestionnaire d’indicateurs

de santé publique sur sa patientèle, est intéressé à la prévention, la prise en charge des pathologies

chroniques et l’optimisation de ses prescriptions. Cette dynamique s’inspire du modèle adopté dans

d’autres pays. Le CAPI a suscité si ce n’est un engouement du moins un intérêt : ce nouveau mode

de rémunération des professionnels de santé libéraux s’inscrit parfaitement dans le concept de

« médecin gestionnaire de son territoire ».

Au niveau régional, la responsabilisation du médecin est sensible dans les trois domaines suivants :

• l’expérimentation sur la permanence des soins

Luc Duquesnel et moi-même pouvons témoigner de cette expérimentation au niveau des Pays de

la Loire. Cette expérimentation responsabilise les professionnels de santé en leur confiant la

gestion de l’enveloppe financière.

• Le développement et le financement des Maisons médicales pluridisciplinaires

Le Conseil régional, les élus locaux, les services de l’Etat et les professionnels de santé

s’inscrivent dans une dynamique de prise en charge et de financement de ces Maisons

médicales, lesquelles ont vocation à améliorer les conditions de travail des professionnels et à

favoriser le maintien et l’installation des professionnels de santé de toutes natures.

• Les groupes qualité

Mis en place dans plusieurs régions, parmi lesquelles les Pays de la Loire et la Bretagne, les

groupes qualité permettent à des médecins généralistes d’une même zone géographique de se

rencontrer régulièrement pour échanger sur leur pratique, rompre leur isolement et réfléchir à

leur positionnement par rapport aux objectifs pris dans le cadre des conventions médicales. La

région Pays de la Loire compte, à ce jour, quinze groupes qualité, soit 156 médecins et 13

animateurs.

Yann BOURGUEIL

Le titre de cette table ronde me semble quelque peu provocateur. Je dirais plutôt « Le médecin co-

gestionnaire d’un territoire où vit une population à laquelle il doit rendre service ». Pour la

médecine de ville, et en particulier la médecine générale, la question est celle d’une transition

entre l’exercice individuel, au cas par cas, et l’approche préventive en équipe ou de façon

coordonnée en direction d’une population, laquelle implique une organisation. En ce sens, le

système de soins français commence à rentrer, par étapes, dans la thématique de l’organisation des

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 54

soins ambulatoires et dans la définition des rôles des différents acteurs, notamment des médecins

généralistes.

L’option « référent » a préfiguré la réforme du médecin traitant, qui constitue une version plus

modeste mais qui en étant instituée à l’ensemble du système s’apparente à la tactique du « pied

dans la porte ». En effet, l’inscription généralisée des patients auprès des médecins traitants qui

sont majoritairement des médecins spécialistes en médecine générale constitue une évolution

extrêmement importante dans la mesure où elle permet d’introduire une dimension de population

dans la pratique du médecin, ce que l’on appelle les listes de patients dans les systèmes plus

organisés que le nôtre. Ces listes permettent de rentrer dans d’autres logiques contractuelles que le

paiement à l’acte comme par exemple la logique du contrat, de la performance. La logique

individuelle du CAPI en est l’illustration. A ce titre, mon collègue a évoqué le système anglais. Il faut

préciser qu’en Angleterre, le contrat n’est pas seulement individuel et il intègre également la

practice, c'est-à-dire l’entité collective ou l’entreprise médicale : celle-ci peut prendre en France la

forme de la Maison pluridisciplinaire, du Centre de santé – certains Centres de santé étant depuis

très longtemps des entreprises médicales – ou encore du Pôle de santé.

En France, le système de soins ambulatoires n’a pas été organisé de façon rationnelle ; il a été laissé

à la libre initiative des professionnels, sur le principe de l’exercice libéral défini en 1927 par la

Charte de la médecine libérale, laquelle structure encore aujourd'hui largement notre système de

soins. Depuis 1945, l’Assurance-maladie basée sur les salaires assure le financement des soins des

travailleurs et des ayants droits. Dans une période de croissance économique le système de soins

croît, les besoins en termes de santé sont satisfaits. Aujourd'hui, le véritable changement tient à la

réduction de la ressource humaine, qui met le système en crise, certains parlent de choc. Pour ma

part, j’estime que cette crise, au demeurant parfaitement planifiée avec la baisse du numerus

clausus avec l’accord de tous les acteurs, constitue une formidable opportunité pour réorganiser le

système de soins, puisqu’elle diminue a priori, la concurrence entre acteurs. Néanmoins, pour ce

faire, il convient d’avoir une vision du système de soins et de santé que nous voulons. La loi fournit

un cadre général mais l’opérationnalisation des soins de premier recours reste à faire.

Certains pays ont d’emblée défini les rôles et les missions dans le champ des soins primaires en les

confiant à des Centres de santé (Finlande, Espagne) ou à des cabinets de groupe (Angleterre). Dans

ces pays, les rôles étaient historiquement structurés. Ainsi, en termes de logique de territoire, la

gestion incombait aux communes ou à des territoires définis administrativement. En France, il a été

décidé de confier aux Agences Régionales de Santé la responsabilité de définir les services de soins

primaires rendus à la population.

Etant donné le contexte de la diminution de la ressource médicale disponible, il me paraît plus

pertinent de raisonner en termes « pluri professionnels » plutôt qu’en médecins seulement. Pour

avoir travaillé sur le sujet avec Jean-Bernard Rottier ici présent, dans le domaine de l’ophtalmologie

et dans le cadre des expérimentations de coopération des professions de santé, la redistribution des

tâches entre professionnels constitue, à mon sens, un enjeu et un levier d’action très important. En

la matière, nous disposons de réelles marges de manœuvre. Il convient de garantir les services à la

population, lesquels sont définis à l’échelon régional, plutôt que de se soucier uniquement de

55

maintenir l’effectif médical. Aussi pouvons-nous imaginer des combinaisons d’acteurs différents sur

les territoires afin de garantir ces services, à travers une Maison de santé ou un Pôle de santé par

exemple. En résumé, nous ne modifierons pas l’organisation des soins ambulatoires sans s’appuyer

sur les dynamiques professionnelles. Professionnels qui me paraissent devoir également relever les

défis qui se posent à eux et sortir d’une simple logique de revendication.

Par ailleurs, la connaissance du système de soins ambulatoires mériterait d’être approfondie en

devenant un réel objet de recherche. Les cabinets de groupe existent en nombre ; certains sont

performants. Malheureusement, nous connaissons mal leur activité, notamment dans son aspect

comptable. A titre d’exemple, certains médecins exerçant dans ces cabinets sont depuis longtemps

rémunérés à l’acte.

Enfin, il faut mettre l’accent sur la nécessité d’une information médicale sur ce système de soins et

sur l’enjeu de formation qu’il représente. Construire des organisations de soins, devenir

gestionnaire, recruter et gérer des équipes : ces démarches n’ont rien de spontané. Un peu partout

en France, j’ai été amené à rencontrer de nombreux professionnels et pas uniquement des médecins

qui sont de réels entrepreneurs. Par exemple, en Poitou-Charentes où l’URML a soutenu l’initiative

de travail en équipe portée par des médecins généralistes : cette organisation qui est le type même

d’une entreprise de soins innovante définissant de nouveaux périmètres de santé. Elle est fondée sur

un partenariat entre médecins et infirmières dans le but d’améliorer le suivi des patients, et a pris

le nom d’ASALE (Actions de santé libérale en équipes). L’évaluation que nous avons menée à l’IRDES

(Institut de Recherche et Documentation en Economie de la Santé) a montré que cette organisation

ne coûtait pas plus cher à l’Assurance-maladie et améliorait le résultat en termes de soins. Ce genre

d’initiatives existe sur un mode plus ou moins formalisé et mérite d’être plus largement connu. Du

reste d’autres expériences d’entreprises ont été définies par le passé. L’enjeu de ce genre de

projets est de sortir de la phase d’expérimentation – qui dure parfois vingt-cinq ans – pour entrer

dans une phase consolidée, avec la signature d’un contrat, la définition de critères et de

mécanismes de financement. Il s’agit alors de changer les règles des contrats, en résumé, élargir la

convention à d’autres modes contractuels ou permettre des contractualisations régionales. En

conclusion, les marges de manœuvre aujourd’hui sont réelles. Il convient de s’appuyer sur l’existant

et savoir envisager l’inscription des innovations dans les cadres institutionnels.

Jean-Pol DURAND

Je vous remercie. Je vous propose maintenant de traverser l’Atlantique pour rejoindre le

Docteur Guay, qui exerce à Laval, deuxième ville du Québec en importance. J’ai rencontré le

Docteur Guay en 1981, lorsque la gauche arrivée au pouvoir en France souhaitait mettre en place

des Centres de santé intégrés sur le modèle québécois des CLSC (Centres Locaux de Santé

Communautaires). Pour la bonne compréhension de son exposé, il me semble utile de préciser qu’au

Québec, les termes de clinique et de polyclinique désignent les cabinets de groupe composés de

médecins libéraux.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 56

Raynald GUAY

Je souhaite d’abord remercier les organisateurs de ces Rencontres pour leur invitation. En

préambule, je tiens à préciser que je ne suis pas un expert, contrairement à mon collègue, mais un

médecin généraliste de la base. J’ai occupé quelques postes de responsable administratif et je suis

actuellement vice-président du syndicat de ma Région.

Au sommet de la pyramide de notre système administratif de santé se trouve le M3S (Ministère de la

Santé et des Services sociaux), dirigé par le ministre de la Santé. Le ministère de la Santé chapeaute

seize AR3S (Agences régionales de la Santé et des Services sociaux) : il s’agit de « mini-ministères »,

représentés par un Conseil d’administration composé de treize membres issus de la société civile. A

l’origine, le Directeur du DRMG (Département régional de médecine générale) – l’équivalent de

l’Agence régionale en termes d’organisation médicale – ne devait pas siéger au Conseil

d’administration, mais nous avons fait pression et obtenu qu’il le fasse.

En 1997, la Fédération des médecins et omnipraticiens du Québec – une fédération syndicale qui

constitue la seule association de médecins généralistes sur le territoire – a formé un Comité sur la

réorganisation des soins médicaux de première ligne. A cette époque, nous suggérions déjà la

formation d’un département administratif, sous la forme du DRMG. Ce Département poursuivait

deux objectifs :

• doter les omnipraticiens d’une voix régionale à l’intérieur du réseau public de santé ;

• donner aux omnipraticiens le contrôle de l’organisation et de la planification des services rendus

à la population.

Le DRMG se compose d’un Comité de direction où siègent trois médecins élus par les médecins de la

région ainsi que de deux à neuf médecins nommés, selon le nombre d’omnipraticiens pratiquant

dans la région. Le Directeur général de l’AR3S est nommé d’office au Comité de direction. Le DRMG

est en charge de plusieurs dossiers, dont deux présentant des enjeux singulièrement importants pour

les médecins généralistes : le PREM (Programme régional des effectifs médicaux) et les AMP

(Activités médicales particulières).

LE PREM (PROGRAMME REGIONAL DES EFFECTIFS MEDICAUX)

Le PREM désigne un ensemble de mesures visant à répartir les effectifs médicaux dans toutes les

régions de la Province, en particulier dans les régions éloignées. La répartition des médecins par

région est établie par le ministère. Le DRMG applique le PREM en répartissant dans la région le faible

nombre de nouveaux médecins. A titre d’exemple, la région de Laval dispose d’un seul hôpital, soit

une capacité de 500 lits. Le ministère accorde à la région deux nouveaux médecins par année, un

57

faible nombre sachant que la région compte actuellement 280 médecins. Pour reprendre une

formule employée par les hommes politiques, « il faut se partager la pauvreté ».

Un bref rappel historique vous permettra de mieux appréhender cette situation. Entre 1982 et 2002,

le ministère a imposé un décret punitif limitant la tarification des omnipraticiens exerçant depuis

moins de trois ans à 70 % en région universitaire et périphérie. Les praticiens qui décidaient

d’exercer dans des régions plus pauvres en effectifs médicaux voyaient leur rémunération bonifiée

de 115 %. Autrement dit, le décret consistait à sous-valoriser ou survaloriser l’acte tarifé en fonction

des régions. Ces mesures ont affiché des résultats mitigés, générant surtout un grand

mécontentement chez les nouveaux médecins.

En 2002, la loi 142 est venue bouleverser cette situation. Cette loi demandait aux omnipraticiens,

par l’entremise du DRMG, de respecter les plans d’effectifs médicaux imposés par le gouvernement

et d’assurer des activités médicales particulières. En 2003, le décret punitif a été aboli et les

mesures incitatives ont été bonifiées. Ainsi, la tarification des actes pratiqués en région

universitaire et périphérique a été fixée à 100 % tandis que la rémunération des actes des médecins

installés dans les zones éloignées a été valorisée à hauteur de 130 % et accompagnée de mesures

incitatives et compensatoires. Cependant, dès 2004, alors que ces mesures n’avaient pas encore fait

leurs preuves, une entente a été conclue avec le ministère pour mettre en place le Programme

régional des effectifs médicaux.

Concrètement, un Comité du DRMG rencontre les médecins pour leur exposer les besoins de la région

en termes d’effectifs médicaux : il s’agit de « l’avis de conformité ». Durant la première année, les

médecins choisis dans le cadre du PREM n’ont pas la possibilité de changer de région. En région

éloignée, seuls 5 % des médecins quittent la région après un an d’exercice. Les médecins attestant

d’une à trois années de pratique ont la possibilité de changer de région si des postes sont

disponibles. Par ailleurs, un médecin disposant d’un avis de conformité dans une région doit fournir

au moins 55 % de la valeur de sa pratique à la région, sous peine de voir sa tarification amputée de

30 %.

Depuis sa mise en place, les résultats du PREM se sont avérés probants. En effet, au cours des cinq

dernières années (2004-2008), le pourcentage de praticiens exerçant en région éloignée est passé de

37 à 96 %. A l’occasion du XVIe Congrès syndical de la Fédération des médecins et omnipraticiens,

qui s’est tenu à Montréal en mai 2009, les médecins présents ont dressé un bilan, en déclinant les

points négatifs et les points positifs du dispositif. Au vu de ce bilan, les médecins établis de longue

date en région éloignée considèrent le PREM comme un « mal nécessaire » : la venue quasi

obligatoire de jeunes médecins apporte un peu d’oxygène à ceux qui ont si longtemps dû soutenir à

bout de bras le système de santé. De surcroît, la mise en place de ces programmes a permis d’éviter

la fermeture de nombreux établissements, comme ce fut le cas en 2002 où la pénurie de médecins

avait contraint certaines salles d’urgence à fermer leurs portes : cette crise avait alors coûté son

poste au ministre de la Santé. Enfin, le PREM a atteint les objectifs médicaux et politiques qui lui

avaient été assignés.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 58

En revanche, le PREM demeure impopulaire chez les jeunes médecins, qui soulignent la rigidité du

plan et la frustration qu’il engendre. En outre, les médecins le jugent contraire à l’esprit

d’autonomie professionnelle qui les anime et à la liberté de se déplacer qu’ils revendiquent. Par

ailleurs, la question de l’éloignement géographique reste épineuse pour les nombreuses femmes

médecins dont le mari occupe un poste important à Montréal : ainsi, les exigences du PREM

s’avèrent parfois incompatibles avec la vie de famille de certains médecins.

LES AMP (ACTIVITES MEDICALES PARTICULIERES)

J’ai travaillé autrefois dans un hôpital d’une capacité de 500 lits. Au sein de l’établissement, les

omnipraticiens gèrent les hospitalisations et sont également en charge des urgences et des soins

intensifs. Les spécialistes ne sont appelés qu’en consultation.

Mesures imposées par le gouvernement, les AMP obligent un médecin exerçant depuis moins de

quinze ans à exercer 12 heures par semaine en établissement. Pour le médecin attestant de quinze à

vingt ans de pratique, la durée de l’exercice tombe à 6 heures. Seuls les praticiens exerçant depuis

plus de vingt ans en sont dispensés, sauf en cas de force majeure (situation de guerre, par exemple).

Le médecin ne respectant pas cette obligation voit sa rémunération amputée de 30 %.

Les obligations en termes d’AMP sont déterminées par le législateur sur proposition du Département

régional, selon la liste prioritaire décroissante suivante :

• le service d’urgence en centre hospitalier ;

• les soins aux patients hospitalisés en courte durée ;

• les soins aux patients hospitalisés en centre d’hébergement ou en longue durée ;

• la clientèle vulnérable ;

• le programme de soutien à domicile ;

• les services médicaux en obstétrique ;

• les gardes.

LE GMF (GROUPE DE MEDECINE FAMILIALE)

Depuis quatre ans, un nouveau modèle de pratique a été mis en avant : le GMF. Ce dispositif

consiste à obtenir une aide technique et financière de la part du gouvernement sur la base d’un

contrat signé avec l’Agence. Cette aide est déterminée en fonction du volume et de la lourdeur des

patients inscrits sur la liste du Groupe. Le Groupe auquel notre bureau adhère depuis quinze mois

compte actuellement 25 médecins généralistes et devrait représenter 20 à 25 000 patients d’ici

deux ans. L’aide technique et financière apportée au GMF se décline comme suit :

59

• une bonification de l’ordre de 10 dollars canadiens par année et par patient inscrit pour les

médecins adhérents au GMF ;

• la mise à la disposition du GMF de trois infirmières, rémunérées par le ministère et par l’Agence

régionale, et de deux assistants administratifs, soit une aide estimée à 277 733 dollars

canadiens ;

• une subvention correspondant au montant du loyer d’un espace de 100 m2 dédié aux infirmières

cliniciennes ;

• une subvention d’investissement non renouvelable au titre des frais d’équipement et

d’ameublement, pour un montant de 2 500 dollars canadiens ;

• une subvention d’investissement non renouvelable d’un montant de 33 000 dollars ;

• la prise en charge des frais de déplacement, de télécommunication, de formation du personnel

remplaçant, d’équipement et de maintenance informatique.

En contrepartie, les médecins adhérents au GMF s’engagent à assurer :

• une accessibilité et une continuité du service diagnostic et du traitement ;

• une prise en charge dans un délai raisonnable ;

• une coordination avec les établissements et les services sociaux ;

• la prévention, la promotion de la santé, l’éducation du patient, ce volet étant pris en charge par

le personnel infirmier du Groupe ;

• l’accessibilité au service GMF : le GMF de Laval est ouvert 7 jours sur 7 à raison de 10 heures par

jour en semaine et de 8 heures par jour en week-end. Entre 200 et 225 patients s’inscrivent à la

salle d’urgence du Groupe.

• la participation aux AMP en établissement.

Enfin, le GMF mène actuellement des négociations avec le ministère afin que celui-ci prenne en

charge le coût du personnel paramédical.

Jean-Pol DURAND

Je vous remercie pour cette riche intervention. Malheureusement, le temps nous manque pour une

séance de questions de la salle. J’invite Luc Duquesnel à prendre la parole.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 60

Luc DUQUESNEL

Depuis trois ou quatre ans, le concept des Pôles de Santé Libéraux s’est développé au-delà de

l’URML des Pays de la Loire, dans des régions comme la Bretagne, la Basse-Normandie, le Centre, le

Nord-Pas-de-Calais ou encore la Haute-Normandie. Il nous appartient de faire vivre ce concept, que

nous avons réussi à inscrire dans la loi HPST après avoir rencontré les parlementaires. Je souhaite

apporter une réponse non polémique aux propos de Jean-Paul Hélie sur les modes de financement et

sur le CAPI.

Nous avons établi trois constats :

• la qualité de vie des professionnels de santé est une question prépondérante ;

• l’exercice professionnel isolé n’attire plus les jeunes ;

• les perspectives démographiques s’avèrent défavorables.

Il en découle une situation inacceptable pour les patients et leur famille, pour les élus, mais aussi

pour les professionnels du terrain, dont les conditions d’exercice risquent de se dégrader. C’est

pourquoi il convient d’anticiper l’augmentation des besoins de santé et la diminution de l’effectif

médical dans le double objectif d’améliorer le service rendu à la population et de rendre les

territoires et l’exercice libéral attractif. Pour ce faire, il est impératif :

• de repenser l’organisation, notamment l’accueil des jeunes ;

• d’intégrer l’idée d’un projet professionnel collectif ;

• d’adapter ces organisations et coopérations professionnelles selon les besoins locaux ;

• de gagner la confiance des pouvoirs publics et des jeunes médecins.

Certes, il faut se garder d’imposer un modèle unique en rappelant que d’autres modèles sont

possibles. Quel que soit leur nom ou leur forme, ces dispositifs devront répondre aux enjeux

suivants :

• garantir à la population l’accès aux soins de proximité ;

• développer un mode d’exercice novateur et attractif ;

• pérenniser l’offre de soins locale en créant les conditions d’une organisation structurée ;

• favoriser l’installation de nouveaux professionnels dans les territoires en difficulté ;

• répondre aux besoins de santé publique dans ses priorités nationales, régionales et locales ;

61

• contribuer à la politique d’aménagement du territoire en cohérence avec l’organisation des

établissements de santé ;

• valoriser l’action régionale et ses effets sur l’offre de soins de proximité.

Le Pôle de santé libéral repose sur une pierre fondatrice : le projet de santé territorial, lequel

décline plusieurs objectifs de santé publique :

• il s’appuie sur la population des patients inscrits auprès des médecins traitants ;

• il assure pour chaque patient un parcours de santé coordonné, global et continu ;

• il s’appuie sur le développement des coopérations entre professions (infirmières,

kinésithérapeutes, pharmaciens…), définissant une véritable coordination des soins ;

• il inclut les missions de santé publique des médecins traitants (recueils épidémiologiques, veilles

sanitaires, gestion des crises sanitaires) ;

• il est articulé avec l’offre de soins spécialisés et les autres acteurs de la santé ;

• il intègre les processus de formation initiale et de formation continue.

Quelles sont les conditions préalables pour ce projet de santé territorial ? Tout d’abord, les

professionnels de santé libéraux doivent porter ce projet de santé, comme l’a rappelé

précédemment Jean Arthuis et comme en témoigne l’exemple de la Mayenne. Pour mener à

maturité un tel projet, cinq années sont parfois nécessaires. Par ailleurs, celui-ci doit faire l’objet

d’un consensus entre les professionnels et veiller à ne pas déstabiliser l’offre de soins existante. En

outre, le projet de santé territorial doit se laisser la possibilité d’intégrer d’autres professionnels de

santé libéraux afin de s’adapter aux nouvelles formes d’exercice. Enfin, il convient d’intégrer dès le

départ la problématique de la transmission de l’outil de travail. En effet, on sait aujourd'hui que la

cession d’une patientèle n’intéresse guère les jeunes médecins. Or il faut retrouver cette dimension

entrepreneuriale qui a déjà été évoquée ce matin.

Quelles sont les caractéristiques du projet de santé territorial ? Celui-ci se présente avant tout

comme un regroupement fonctionnel offrant, au niveau du territoire, la possibilité de mutualiser les

moyens techniques et humains, de faciliter les concertations entre les professionnels, d’organiser la

continuité des soins, d’offrir des lieux de stage pour les étudiants, de proposer de nouveaux services

aux patients (l’éducation thérapeutique, les consultations de spécialistes et de paramédicaux), de

produire des statistiques en matière de besoins de la population et de qualité des soins, et enfin de

permettre la transmission de son outil de travail. Ce projet peut se doter d’une structure

immobilière, comme le Pôle de santé libéral des Pays de la Loire, ou non, comme celui de Bretagne.

Dans ce cas, le projet vit grâce à l’outil d’information.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 62

Concrètement, le Pôle de santé libéral se compose d’une ou plusieurs Maisons médicales

pluridisciplinaires, avec des cabinets médicaux ou paramédicaux satellites, ce qui assure un maillage

satisfaisant du territoire. Le Pôle peut également s’adosser à un établissement de soin de type

hôpital local ou EHPAD. Ainsi, le Pôle de santé libéral devient un élément majeur de la politique

d’aménagement du territoire.

Ce concept novateur s’est accompagné de nouveaux modes de fonctionnement, à savoir un mode de

fonctionnement ouvert – au travers du maillage multi-sites – qui s’articule avec le médico-social et

les établissements locaux. Enfin, le Pôle de santé libéral permet d’envisager de nouveaux modes

d’exercice (collaborateur-libéral, assistant-libéral, exercice à temps partiel) et d’autres modes de

rémunération. En la matière, le système d’information demeure essentiel.

Pour faire vivre le projet de santé territorial, il est nécessaire de disposer d’une fonction d’assistant

gestion et management permettant de gérer les systèmes d’information. En effet, ce ne sont pas les

professionnels de santé libéraux eux-mêmes qui ont vocation à assurer cette fonction, à savoir les

tâches administratives, les relations avec les partenaires (l’Assurance-maladie, l’Hospitalisation A

Domicile, l’Agence Régionale de Santé), la politique des achats et des investissements, la

préparation des concertations locales et la coordination de certains programmes du projet de santé

territoriale.

En termes de financement d’investissement, les possibilités sont multiples : le financement par les

professionnels de santé libéraux eux-mêmes, par les collectivités territoriales, par les Mutuelles, par

les établissements privés, par les groupes d’établissements – ce qui peut poser certains problèmes,

notamment avec le Groupement de Coopération Sanitaire –, mais aussi par les investisseurs

indépendants et par la Caisse des dépôts et consignations.

En termes de financement de fonctionnement, plusieurs Pôles de santé libéraux sont en cours de

financement dans la région des Pays de la Loire. Ce financement doit permettre aux professionnels

de santé ayant intégré le Pôle de santé libéral de faire face aux frais de fonctionnement qu’il

implique. Il doit également prendre en charge le coût de l’assistant gestion et management, les

actions de prévention, les missions de santé publique, les actions de coordination entre

professionnels de santé et la répartition des tâches. Depuis quelque temps, nous sensibilisons les

politiques à la question du financement. Au travers de la DSS (Direction de la Sécurité sociale), le

ministère a décidé, début 2009, de mettre en place le CAPEG (Contrat d’amélioration des

performances du groupe), soit un financement décliné en quatre volets :

• le forfait pour la structure modulé à la performance ;

• le forfait orienté vers la santé publique : éducation thérapeutique, coordination avec l’hôpital ;

• une coopération entre professionnels avec transfert de tâches ;

• le forfait à la pathologie, notamment les pathologies chroniques.

63

Sur la centaine d’items que comprend le CAPEG, j’ai choisi six items pour illustrer le modèle de

financement proposé par le ministère aux professionnels de santé libéraux. Ainsi, aux médecins qui

veulent obtenir ces financements, il sera demandé :

• que « plus de 50 % des diabétiques de type 2 aient une hémoglobine inférieure à 7 % » ;

• que « plus de 50 % des hypertendus traités aient une tension artérielle inférieure à 140/90 » ;

• « une baisse d’au moins 5 % de la cholestérolémie dans la population de 18 à 74 ans » ;

• « une prévalence du tabagisme d’au maximum 25 % chez les hommes et 20 % chez les

femmes » ;

• « une prévalence de surpoids chez les adultes et les enfants inférieure à 10 % par rapport à la

moyenne nationale » ;

• « une augmentation de la fréquence de l’auto-surveillance glycémique chez les diabétiques de

type 2 ». Cet élément devrait d’ailleurs alerter les associations de patients, étant donné qu’il

s’agit d’encourager les médecins à prescrire prioritairement le traitement aux diabétiques de

type 1.

J’ai abordé ce sujet hier lors du Congrès régional de la Fédération Hospitalière de France dont le

thème portait sur « HPST, service public et éthique ». Ce dispositif pose aux professionnels de santé

libéraux un réel défi en termes d’éthique. La mission première du médecin généraliste est-elle

d’informer ou de persuader, de convaincre ou de contraindre ? Ne risque-t-on pas de dériver vers un

discours hygiéniste totalitaire ? Le droit des patients à la santé devient-il un devoir de santé, selon

lequel les patients en sont réduits à des statistiques censées éclairer les tutelles sur les

performances du médecin ? Que devient le colloque singulier entre le médecin et son patient ? Une

rémunération à la performance n’est-elle pas de nature à inciter à la non-prise en charge de groupes

défavorisés, dont les facteurs de morbidité et de mortalité sont toujours défavorables ? Toutes ces

questions se posent.

Ainsi, face à cet enjeu éthique, il est à craindre que les professionnels de santé libéraux ne soient

pas en mesure de poursuivre les efforts déjà consentis en termes de responsabilisation.

Jean-Pol DURAND

Je vous remercie. Docteur Guay, le contrat de GMF (Groupement de Médecine Familiale) fixe-t-il

également des objectifs sanitaires aux médecins québécois ?

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 64

Raynald GUAY

Non, le contrat ne fixe pas d’objectifs sanitaires. Mais si l’on en croit les discussions « derrière des

portes closes » qui ont lieu dans les ministères, je crains que la situation évolue en ce sens.

Jean-Pol DURAND

Luc Duquesnel a déclaré ne pas être opposé sur le principe d’un financement de ces projets par les

investisseurs et opérateurs de santé. Monsieur Le Dorze, Président de VITALIA, souhaitez-vous

réagir ?

Christian LE DORZE

Vous me permettrez tout d’abord d’insister sur un point de sémantique qui me semble important :

je suis Président d’un groupe d’entreprises de santé, et non de soin. Ceci étant dit, je voudrais

exprimer aux médecins généralistes, qui composent un des maillons essentiels de notre système de

santé, notre volonté de travailler avec eux. J’ai 58 ans et, en 1978 et 1979, j’ai participé à une

douzaine de réunions sur la place du médecin généraliste : les aînés de Luc Duquesnel tenaient

exactement le même discours il y a trente ans. Pourquoi la situation a-t-elle si peu changé ? Tous les

ministres et les politiques de la santé s’accordent à dire que le rôle du médecin généraliste est

extrêmement important. Pourtant, le rôle que lui assignent les textes législatifs ou réglementaires

ou le mode de rémunération qui lui est accordé – le médecin généraliste est sous-payé – témoignent

du contraire. La loi HPST changera-t-elle cet état de fait ? Je suis dubitatif, dans la mesure où la loi

fait peu de place à la médecine libérale, en particulier aux médecins généralistes. A titre

d’exemple, l’attention des politiques s’est focalisée sur le dépassement d’honoraires et sur le

testing. Or d’autres sujets me semblent autrement plus importants.

Néanmoins, il faut rappeler que les médecins spécialistes n’ont pas toujours donné à leurs confrères

généralistes la place qui leur revenait dans le concert de la prise en charge des patients, à savoir le

rôle de coordinateur de proximité et d’accompagnement du patient. Inversement, il me semble que

les médecins généralistes n’ont pas toujours su assumer le rôle et les missions qu’ils revendiquaient,

telles que la permanence des soins, la prise en charge des urgences, la coordination des soins.

Ainsi, nous sommes tous collectivement responsables de cette situation. Les établissements – privés

et publics – ont également démontré qu’ils n’avaient pas toujours accordé aux généralistes la place

qu’ils méritaient, par exemple en les informant de l’hospitalisation du patient trois semaines après.

Cette volonté d’accorder une place centrale au médecin généraliste est-elle réellement

partagée par tous les acteurs ? La question mérite d’être posée. Sur ce point, je reste optimiste.

Depuis trente ans, l’environnement sociologique des patients, des médecins et des établissements a

changé, et j’espère qu’il en va de même pour celui des politiques et de l’administration. Il est

évident que les lignes bougent.

65

Concrètement, qu’est-ce qui a changé ? Aujourd'hui, les usagers demandent à être pris en charge par

une équipe, et non par un seul médecin. La demande de prise en charge globale ne peut

qu’encourager la transversalité. Les usagers manifestent également une volonté de proximité. Or le

généraliste apparaît comme l’acteur le mieux placé en ce domaine. Enfin, les usagers veulent

aujourd'hui être informés, être acteurs de leur parcours de soins. Là encore, le généraliste peut

jouer un rôle majeur.

C’est pourquoi j’invite les médecins généralistes à saisir la perche de cette évolution du besoin

exprimé par l’usager mais aussi la perche de l’évolution réglementaire. Ceux-ci ont un vrai rôle à

jouer. En tant que Président d’un groupe d’établissements, je suis favorable à une meilleure

articulation entre la médecine de ville et les établissements de soins. Deux éléments peuvent

favoriser ce lien : la permanence des soins et le dossier médical. La permanence des soins,

notamment la prise en charge de l’urgence, constitue un enjeu majeur propre à générer plus de

coopération, y compris géographique, autour de la création des Pôles de santé et des maisons

médicales. Ainsi, le Groupe VITALIA travaille sur plusieurs projets consistant à adosser un

établissement privé à une maison médicale.

Du reste, il convient d’inventer des outils nouveaux. Selon la technique du benchmarking, les

médecins devraient s’inspirer des expériences formidables qui se déroulent en France, et qui

demeurent malheureusement trop peu connues, et se les approprier.

Notre groupe doit également réfléchir à de nouveaux types de partenariats, notamment

capitalistiques, afin de promouvoir la co-gestion de l’enveloppe globale qui nous sera allouée. Au

passage, je regrette le fossé constaté entre le syndicalisme des établissements de soins et celui des

professions médicales : étant donné qu’ils partagent les mêmes contraintes, ceux-ci devraient plutôt

travailler ensemble. En la matière, je prône là encore la co-gestion, d’où ma prise de position sur la

place du médecin dans les établissements de soins au travers de la CME.

Depuis les années 70, je répète : « rien ne se fera contre la profession ; rien de bon ne se fera sans

elle ». Nous devons tous en être conscients, y compris l’administration et les politiques. L’efficience

médico-économique en dépend.

Jean-Pol DURAND

Je vous remercie. Malheureusement, le temps nous manque pour un échange avec la salle. J’invite

Monsieur Bedouet à conclure ce débat en tant que représentant du Conseil Régional.

Loïc BEDOUET

Depuis ce matin, le mot « région » a été prononcé à de multiples reprises. Pourtant, et

étonnamment, la santé ne fait pas partie des compétences du Conseil régional. En outre, la loi HPST

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 66

accorde de moins en moins de place aux Régions. Comme Monsieur Helie, le titre de cette table

ronde me semble quelque peu provocateur. Le médecin est-il gestionnaire de son territoire ? De

manière provocatrice, je répondrais : non, je ne le souhaite pas.

Tout d’abord, il convient de nous entendre sur le concept. Qu’est-ce qu’un gestionnaire ? Si ce

terme désigne celui qui décide, oriente et met en œuvre la politique, il ne saurait qualifier le

médecin généraliste, dont le rôle consiste à soigner. Je rejoins sur ce point l’opinion de Jean

Arthuis, avec lequel je suis généralement en désaccord, pour affirmer que l’aménagement du

territoire incombe aux élus, non parce qu’ils en ont la compétence mais parce qu’ils en ont la

légitimité. En effet, en qualité d’élu de la République, il m’appartient de mettre en place des

politiques de santé. La politique que je mets en œuvre sera approuvée ou sanctionnée le 21 mars

prochain, date des prochaines élections : à ce sujet, je suis serein. Le médecin généraliste n’en est

pas moins un acteur incontournable.

En ce qui concerne les Maisons de santé pluridisciplinaires, il faut en premier lieu s’accorder sur le

terme exact : Monsieur Hélie a parlé de « Maisons médicales pluridisciplinaires »,

Monsieur Duquesnel de « Pôles de santé libéraux », je les appelle « Maisons de santé

pluridisciplinaires ». Or la sémantique n’est pas élément négligeable. La création des Maisons de

santé pluridisciplinaires en 2004 résulte d’une politique volontariste. En moyenne, ces structures

demeurent en gestation, à l’état de projet, durant trois à cinq ans avant de voir le jour. Ainsi, la

Mayenne s’apprête à inaugurer ses premières maisons de santé, en gestation depuis trois ou quatre

ans. Ces projets ont réuni autour d’une table les trois composantes majeures que constituent les

professionnels de santé, les élus locaux et les citoyens, chacun apportant ses propres compétences.

En effet, une Maison de santé sans un projet de santé est une coquille vide : seuls les professionnels

peuvent construire ce projet, eux seuls disposant des compétences nécessaires, contrairement aux

élus. En revanche, il est de la compétence des élus de décider de l’installation d’une Maison de

santé à tel ou tel endroit, à proximité de tel ou tel établissement, dans une logique d’aménagement

du territoire. C’est précisément la rencontre entre les compétences des professionnels de santé, qui

définissent un projet de santé, et les compétences des élus, qui définissent un projet de territoire,

qui est à l’origine d’un projet valable de Maison de santé. De surcroît, ce projet doit s’accompagner

d’un va-et-vient constant avec les citoyens, notamment par le biais des Conseils de développement

des Pays « Voynet ». Les citoyens ont en effet un rôle à jouer. De cette manière, nous pourrons

construire ensemble un projet cohérent, lisible et durable.

L’Ordre des médecins a annoncé une baisse de 2 % du nombre de médecins généralistes en 2009 par

rapport aux années précédentes : cette décroissance s’annonce durable. Par conséquent il convient

de favoriser d’emblée la délégation de certaines tâches au personnel paramédical ou infirmier. En

ce sens, la Maison de santé pluridisciplinaire offre une réponse, même s’il est permis d’envisager

d’autres réponses. La Région a fait le pari que la Maison de santé constituait une réponse adaptée,

au même titre que la télémédecine. Une chose est sûre : rien ne se fera sans les professionnels de

santé, mais les professionnels de santé ne pourront pas faire seuls. Dans les Pays de la Loire, le

dispositif affiche des résultats satisfaisants.

67

En conclusion, la Région a besoin d’une politique volontariste pour faire face à la baisse de la

démographie médicale et lutter contre les inégalités territoriales au sein même de son territoire.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 68

CAPITAUX EXTERIEURS DANS LES ETABLISSEMENTS

ET LES SOCIETES MEDICALES : QUEL IMPACT ?

Intervenants :

Florian DURAND et Thibault DEPARDON, consultants

Christian ESPAGNO, neurochirurgien, ancien Président de la Clinique des Cèdres à Toulouse

Robert LAVAYSSIERE, vice-président de la Fédération nationale des médecins radiologues

Monsieur MAHE, Corporate finance – responsable secteur Santé - BNP Paribas

Philip COHEN, avocat

Patrick HOURY, Directeur général adjoint de la Mutualité française

Florian DURAND

Bonjour à tous. Merci pour votre invitation. Je travaille pour Mensia, un petit cabinet parisien de

stratégie qui intervient dans les domaines public et parapublic, notamment dans le transport et

auprès des collectivités locales, sur des problèmes de stratégies territoriales. J’interviens à titre

personnel.

Thibault DEPARDON

Je travaille pour un cabinet de stratégie qui intervient auprès des grandes entreprises en matière de

stratégie, d’organisation et d’amélioration opérationnelle ainsi qu’auprès d’organisations et de

gouvernements. J’interviens à titre personnel.

Florian DURAND

Nous avons reformulé, avec votre permission, la question initiale qui nous était posée : « jusqu’où

les groupes financiers veulent-ils investir la santé ? » pour nous demander : jusqu’où les fonds

d’investissement, en particulier les fonds de private equity (les investisseurs en capital) veulent-ils

investir l’hospitalisation privée ?

Tout d’abord, nous remettrons en perspective l’entrée des fonds d’investissement dans le domaine

de l’hospitalisation privée : jusqu’où se sont-ils investis jusqu’à présent ? Ensuite, nous tenterons de

69

répondre à la question : souhaitent-ils ou sont-ils contraints aujourd'hui de se désengager ? Enfin,

jusqu’à quand resteront-ils engagés dans l’hospitalisation privée ?

Entre 2005 et 2008, le secteur de l’hospitalisation privée s’est consolidé de manière accélérée sous

l’impulsion d’un certain nombre de fonds d’investissement de private equity – tels que Blackstone et

Apax Partners – grâce aux leviers de création de valeur qu’offre ce secteur. Parmi ces leviers, on

peut distinguer : les leviers strictement financiers, apportés à l’hospitalisation privée par les fonds,

et les leviers opérationnels, qui rélèvent davantage du management par les professionnels de santé.

Il convient en effet de distinguer ce qui relève de la compétence des fonds d’investissement et ce

qui relève de l’exploitation de cliniques.

Deux principaux leviers financiers ont motivé l’arrivée des fonds d’investissement :

• le montage financier de rachat (LBO)

Le secteur de l’hospitalisation privée, peu sensible aux cycles économiques, génère des cash

flow réguliers : de fait, ce secteur apparaît comme un bon candidat pour la mise en place d’un

montage financier de rachat tel que le LBO.

• le build-up

Il s’agit d’une stratégie d’investissement qui consiste, sur un marché atomisé, à acheter

certaines entités éparses pour les regrouper dans une structure, l’entité ainsi créée générant un

facteur de risque moindre que les composantes isolées du groupe. La revente du groupe ainsi

valorisé génère une plus-value non négligeable.

Par ailleurs, d’autres leviers, de nature opérationnelle, ont joué un rôle certain, quoique moindre,

dans le secteur de l’hospitalisation privée. Ce sont, par exemple, les leviers destinés à accroître le

chiffre d’affaires tel que le rachat par un groupe de plusieurs cliniques sur un même territoire : leur

spécialisation site par site permet d’accroître l’activité de chacune et de réduire la concurrence

entre elles, contribuant ainsi à la croissance de leur chiffre d’affaires. Ce rachat peut prendre la

forme d’un regroupement de plusieurs cliniques sur un seul site (sur le modèle de ce qu’a construit

le groupe Vedici au Mans), permettant de réaliser des économies d’échelles (mutualisation de la

fonction achat, saturation optimale des installations, etc.).

Thibault DEPARDON

Depuis notre dernière intervention, nous avons constaté que les consolidations s’étaient

interrompues. Tout d’abord, il n’existe plus de dette disponible sur le marché pour réaliser des LBO.

Par conséquent, depuis l’année dernière, les groupements de santé ont acheté peu de cliniques

voire pas du tout. A titre d’exemple, Vitalia a renoncé à acheter Keraudren. Par ailleurs, les fonds

d’investissement doivent faire face à leurs échéances : Duke Street Capital vient ainsi de faire

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 70

rentrer Predica au capital du groupement Proclif par le biais d’une augmentation de capital de

35 millions d’euros et de la cession d’une partie des parts de Proclif pour rémunérer les

investisseurs.

Thibault DEPARDON

Nous envisageons une reprise prochaine des consolidations pour trois raisons. En premier lieu, le

secteur de l’hospitalisation reste intéressant pour les fonds d’investissement du fait de la stabilité

de ses revenus. Ensuite, 40 % du marché est détenu par des groupements. Enfin, 25 % du marché

environ – si l’on exclut la Générale de santé – est détenu par des groupes comme Vedici, Vitalia,

Médi-Partenaires, Capio, chacun représentant individuellement moins de 10 % : des fusions sont donc

envisageables.

L’actionnariat ne devrait pas rester stable pour trois raisons. Premièrement, les fonds

d’investissement qui investissent dans un groupe de santé investissent sous un horizon de trois à cinq

ans dans le but de réaliser une plus-value : il est donc normal qu’ils en sortent à un moment donné.

Deuxièmement, leurs investissements se réalisent souvent au moyen de LBO : or ce montage

financier s’essouffle avec le temps, ce qui conduit les fonds à se transmettre leurs participations

entre eux. Enfin, certains actionnaires ont vocation à rester plus longtemps dans ces fonds : il s’agit

par exemple d’industriels cherchant des synergies métiers. Ainsi, Eiffage s’est montré intéressé par

Vitalia et Predica (l’assureur du Crédit Agricole) est entré au capital de Proclif. Cette transition vers

d’autres acteurs peut donc être envisagée.

Jean-Pol DURAND

Je vous remercie pour cette intervention qui a le double mérite de la franchise et de la clarté. Pour

résumer, peut-on inférer de votre propos que la diversification des cliniques sur les autres activités

de santé, si elle a lieu, sera le fait des successeurs plutôt que des actuels gestionnaires des fonds

d’investissement actuels ?

Thibault DEPARDON

Non. Les groupements de santé détenus par les fonds peuvent continuer à acheter des cliniques et à

se racheter entre eux dès que la dette sera disponible. Mais la possession de ces groupements est

susceptible de changer ensuite de propriétaires.

Jean-Pol DURAND

Restons un instant encore sur le terrain du « Meccano industriel ». Y a-t-il des réactions dans la

salle ?

71

De la salle

Des groupes financiers s’intéressent également à d’autres secteurs tels que la biologie, la radiologie

et les maisons de retraite. Comment envisagez-vous l’évolution de la situation ?

Florian DURAND

En effet, notre exposé s’est volontairement limité au secteur de l’hospitalisation privée, le secteur

que nous connaissons le mieux. Il est vrai que Duke Street a racheté le laboratoire Mérieux, que je

connais bien pour y avoir travaillé. En ce qui concerne les maisons de retraite, Predica, déjà

actionnaire du groupe Proclif, s’est porté acquéreur du groupe Korian. Les logiques sont tout à fait

comparables.

Christian LE DORZE

Pourquoi les investisseurs français ne sont-ils pas venus sur ce marché, comme l’ont fait les

investisseurs américains ? C’est la question récurrente que je me pose. Lorsque j’ai créé Vitalia en

2006, je n’ai pas trouvé un seul investisseur français qui s’intéresse au secteur de la santé. Pour

résumer, les fonds sont motivés par plusieurs éléments structurels, parmi lesquels une dette peu

chère et des fonds propres importants. Ainsi, Vitalia fonctionne à 35 % sur fonds propres, ce qui

constitue un LBO très sage. La suspension du rythme de rachats n’est pas liée aux difficultés des

actionnaires mais à l’absence de dette, comme cela a été clairement expliqué. Il faut savoir que ces

fonds impliquent souvent des investisseurs différents sur chaque projet : les investisseurs du fonds

Blackstone qui m’a aidé à construire Vitalia ne sont pas les mêmes que les investisseurs du fonds

Hilton. Le fonds Blackstone est ainsi subdivisé en plusieurs fonds, chacun étant impliqué dans des

projets industriels différents. Ce cloisonnement limite l’impact des difficultés rencontrées par un

investisseur sur un autre secteur. Enfin, il faut insister sur l’importance de l’« effet groupe » :

l’effet réseau géographique, au niveau du produit d’activité médicale, des synergies ; l’effet achat ;

l’effet mutualisation des ressources humaines ; l’effet expertise.

En ce qui concerne les perspectives, il est clair que les consolidations entre les groupes existants

sont possibles : dans ce cas, le problème de dette se pose. Cependant, un élément me

préoccupe aujourd'hui : en France, 100 cliniques sont à vendre. Je dis toujours aux politiques et aux

ARH : on fait beaucoup de reproches aux investisseurs et aux groupes, mais il faut s’inquiéter des

cliniques qui ne trouveront aucun repreneur. Que deviendront ces cliniques, sachant que les groupes

n’auront pas la capacité de racheter toutes les cliniques à vendre ?

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 72

Vincent MAHE

Un mot de présentation : je travaille dans le département de la banque conseil chargé des secteurs

santé et immobilier à BNP Paribas. Nous intervenons fréquemment pour accompagner les

investisseurs qui souhaitent entrer sur ce marché : pour ne parler que des transactions qui ont été

évoquées ce matin, nous étions le Conseil de Predica pour son entrée dans le groupe Proclif et celui

de Korian pour son augmentation de capital.

Je souscris entièrement à la présentation très complète de Messieurs Depardon et Durand.

J’ajouterai que le facteur immobilier constitue également un levier de valeur qui a pu intéresser les

fonds d’investissement comme Blackstone.

Je pense qu’il faut placer notre discussion dans le cadre plus général des besoins du secteur

hospitalier et se demander : pourquoi la santé a-t-elle besoin de nouveaux capitaux ? et qu’est-ce

que ces capitaux lui apportent ? J’aimerais apporter un début de réponse à ces questions à partir de

quatre remarques.

1) Premièrement, le secteur de la santé a des besoins croissants en capitaux : c’est en fait la vraie

raison de la présence des fonds aujourd’hui et d’autres investisseurs demain.

J’insiste sur le fait que ce besoin d’investissement n’est pas propre aux cliniques. Il concerne

l’ensemble du secteur de la santé :

- on le voit d’abord dans la recherche : à la fin des années 60 et au début des années 70, les budgets

de recherche de la santé, c’est-à-dire à la fois des programmes biomédicaux et pharmaceutiques,

ont dépassé les budgets de recherche de physique et ils continuent à croître ;

- on le voit aussi dans les établissements de santé, avec des plateaux techniques de plus en plus

lourds ;

- on le voit même de plus en plus dans les cabinets médicaux, et pas seulement dans des spécialités

comme la radiologie.

Ce mouvement n’est pas prêt de s’arrêter. Dans tous les pays industrialisés, le secteur de la santé

croît plus vite que le PIB. L’accélération du progrès médical se traduit par une accélération des

investissements et donc par un besoin de capitaux.

2) Deuxième remarque : cette arrivée de capitaux extérieurs dans un secteur d’activité jusqu’ici

principalement libéral et artisanal, a forcément un impact :

- on peut évidemment citer l’exigence de rendement – dans un établissement de soins, cette

question se règle entre le collège des praticiens et les investisseurs ;

73

- on peut aussi évoquer le taux de remboursement par la Sécurité sociale, qui est fonction du statut

de l’établissement et donc de la nature des investisseurs extérieurs.

- il y aussi la relation avec le « patient », ou avec le « client », qui évolue.

3) Ce qu’apportent les capitaux extérieurs – et ce sera ma troisième remarque, c’est aussi

davantage de souplesse. Il me semble que le titre de cette table ronde connote un peu trop

négativement cet apport en parlant uniquement d’ « impact », comme si deux logiques étrangères

entraient en collision. Or, les capitaux nouveaux qui s’investissent dans la santé sont avant tout une

réponse aux besoins de croissance et de mutation du secteur.

Si des groupes se forment aujourd’hui dans le domaine de l’hospitalisation privée, c’est parce qu’ils

apportent plus de souplesse pour absorber les mutations prodigieuses auxquelles le secteur est

confronté :

- innovations techniques, qui demandent des investissements permanents ;

- réorganisations territoriales ;

- mais aussi démographie complexe et évolutive des professions médicales : par exemple, le rachat

de la patientèle d’un cabinet d’anesthésistes coûtait il y vingt-cinq ans environ un an de chiffre

d’affaires ; aujourd'hui, on doit au contraire souvent consentir des avantages pour embaucher dans

cette spécialité ! De plus en plus, il faut être capable d’offrir aux praticiens des solutions sur

mesure, différentes selon les spécialités.

Toutes ces évolutions requièrent une souplesse que les établissements publics ou associatifs ne sont

pas toujours en mesure d’offrir. En revanche, les groupes privés ont davantage de moyens pour

financer le regroupement d’établissements et gérer les ressources humaines avec la souplesse

nécessaire.

4) Dernière remarque, les capitaux « extérieurs » ne forment pas un bloc homogène. Bien sûr,

l’argent n’a pas d’odeur, mais les projets d’actionnaires peuvent être très différents. Selon leur

nature, les actionnaires n’ont pas le même horizon d’investissement, les mêmes contraintes de

liquidité et les mêmes objectifs. Au cours des trois dernières années, les fonds d’investissement ont

été très présents : c’était normal dans un secteur en pleine restructuration, les fonds étant un peu

les « enzymes » du mouvement économique. Mais on peut imaginer qu’avec l’évolution du secteur,

d’autres actionnaires vont se manifester. Je pense même que c’est inévitable, car les mouvements

financiers sont là pour accompagner ceux de la société.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 74

Ce matin, les intervenants ont souligné à plusieurs reprises la nécessité de dépasser les clivages,

dans une optique de transversalité :

- En ce qui concerne les autres acteurs de la santé, il est probable que les mutuelles souhaiteront

s’investir dans ce secteur. C’est probablement nécessaire pour faire vivre leur idéal mutualiste de

solidarité et de proximité - et je suis sûr que Patrick Oury pourrait développer le sujet bien mieux

que moi.

- Autre acteur, autre projet actionnarial : les assurances. Par exemple, Predica investit après avoir

vérifié l’équation financière, selon le même procédé qu’un fonds d’investissement ; en revanche,

cet acteur sait aussi qu’il investit à plus long terme, dans la mesure où il recherche un certain

nombre de synergies : mieux comprendre ce métier, fournir des services qu’il ne pouvait pas fournir

à ses assurés, offrir éventuellement des services sans reste à charge pour l’assuré, etc. Il s’agit donc

d’une manière très concrète de construire à la fois la transversalité et une prise en charge globale

du patient.

- Ce secteur est également susceptible d’attirer les acteurs de l’immobilier ;

- Enfin, on peut aussi penser aux institutionnels, dans une logique d’aménagement du territoire et

de service aux collectivités, logique qui était d’ailleurs celle de la Générale de santé, créée dans les

années 80 sur le modèle de la Générale des eaux. Ces acteurs institutionnels s’investissent afin de

rendre des services aux collectivités, parmi lesquels la santé, secteur d’avenir en cours

d’industrialisation.

En résumé, je crois que le financement du secteur de la santé aura de plus en plus recours aux

capitaux extérieurs. Il est probable que les fonds déjà investis y demeurent, dans la mesure où le

travail de concentration qui reste à faire s’avère considérable. Parallèlement, assureurs,

mutualistes, institutionnels et acteurs de l’immobilier viendront accompagner le secteur de la santé

dans la mutation dont il a besoin, avec les problématiques d’actionnaires qui leur sont propres.

Jean-Pol DURAND

Je vous remercie. J’ai beaucoup apprécié l’expression que vous avez employée : « les fonds sont les

enzymes de l’accélération de la mécanique en cours ». A ce sujet, je vous propose d’aborder la

question des fonds avec les interventions de Christian Espagno, de Robert Lavayssière et de Philip

Cohen : les médecins accompagnent-ils le mouvement, appuient-ils sur l’accélérateur ou sont-ils

plutôt tentés par la pédale du milieu qui actionne le frein ? Pour répondre à cette question, j’en

appelle Christian Espagno, vice-Président de la CSMF.

75

Christian ESPAGNO

Au préalable, je dois avouer que je ne partage pas le point de vue euphorique des précédents

orateurs sur la question des fonds d’investissement. Pour y répondre, il faut d’abord lister un certain

nombre de paradoxes dont sont friands les Français et que comprennent difficilement nos amis

étrangers.

Le premier paradoxe concerne le rôle de l’hospitalisation privée en France. Ce secteur de

l’hospitalisation privée représente une part de marché importante dans l’activité de soins (60 % des

soins en chirurgie, par exemple). Une étude de l’Agence Technique de l’Information sur

l’Hospitalisation (ATIH) datée d’avril 2009, dont les résultats ont été peu diffusés, montre que sur

des activités lourdes de type CHU, bon nombre de cliniques privées présentent dans leur casemix un

nombre de cas comparables voire supérieur à certains CHU. Pourtant, nous savons qu’en France, les

soins restent extrêmement socialisés, pris en charge par la solidarité nationale à 75,5 %, selon les

derniers chiffres disponibles, malgré un léger fléchissement au cours de ces dernières années.

Le deuxième paradoxe tient dans le fait que les cliniques privées sont des entreprises commerciales

dont la production est réalisée en premier lieu par des acteurs (les médecins) libéraux donc non

salariés, ce qui constitue une véritable spécificité.

Autre paradoxe : ces cliniques constituent des entreprises commerciales de droit privé dont la

production reste très verrouillée, tant sur le plan des tarifs que des volumes. Aussi les régulateurs

commerciaux de type concurrentiel s’appliquent-ils difficilement, d’autant que l’offre s’avère plutôt

insuffisante par rapport aux besoins ressentis en termes de soins par la population.

Enfin, les fonds d’investissement actuels fonctionnent selon des cycles très différents de ceux d’un

établissement de soins, lequel établit son projet médical sur un horizon de dix, quinze voire vingt

ans, étant donné que la rentabilité ne peut être évaluée qu’avec des lissages sur dix ou quinze ans.

Les intervenants précédents nous expliquent que ces fonds revendront dans trois ou cinq ans en

ayant réalisé la plus-value nécessaire pour finaliser leur LBO et nous assurent qu’ils trouveront

acquéreur. Je l’admets, mais il faut aussi considérer que la capacité de production de valeur de ces

établissements montrera ses limites à un moment donné : la situation s’annonce difficile. C’est

pourquoi je reformulerai la question que m’a posée Jean-Pol Durand en ces termes : s’agit-il d’un

mouvement inéluctable ou d’un équilibre instable qui peut à tout moment basculer ?

Pour appréhender ce phénomène, il faut rappeler l’évolution de l’hospitalisation privée au cours des

cinquante dernières années.

J’ai donné pour titre à la première diapositive : « du temps des artisans à celui des raiders ».

Comme chacun le sait, les cliniques privées sont nées de la volonté d’un certain nombre de

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 76

praticiens qui ne trouvaient pas dans l’hôpital public le plateau qui leur convenait. Autrement dit,

ces praticiens ont fait œuvre de bâtisseurs, d’entrepreneurs. Dans les années 70, avec l’apparition

du régime des autorisations et d’une certaine contrainte dans la dépense de soins résultant du

premier choc pétrolier, est apparu le besoin de se regrouper pour créer des établissements de taille

plus conséquente, avec une offre de soins polyvalente : cette période marque le début des groupes

de cliniques, lesquels commencent à instaurer une logique industrielle de production de soins. Le

mouvement s’est poursuivi à un rythme faible au cours des décennies suivantes puis s’est accéléré

dans les années 90, sous l’impulsion de mécanismes de croissance internes et externes. Durant cette

période, l’hospitalisation privée a connu une forte augmentation de son activité en volume, souvent

au détriment de l’hôpital public – notamment dans le domaine de la chirurgie. A cette époque, de

multiples tentatives de développement de l’industrialisation ont vu le jour, avec des résultats

mitigés ; et pour cause : il me paraît difficile d’appliquer des protocoles industriels à la production

de soins. Enfin, plus récemment, les fonds d’investissement sont apparus pour prendre le contrôle

de ces groupes : ces fonds, nous l’avons vu, vivent sur une logique financière de valeur ajoutée.

En dépit de tous ces éléments, le médecin reste un acteur incontournable dans le domaine de

l’hospitalisation privée. Tout d’abord, tout rachat d’établissement suppose un médecin vendeur.

Pourquoi vend-il ? Les raisons sont multiples : le médecin vend son établissement pour améliorer sa

retraite, solutionner une gestion devenue de plus en plus complexe en termes réglementaires,

échapper à des investissements trop lourds. A cela s’ajoute l’effet générationnel : en effet, j’ai

constaté que nombre de jeunes médecins installés en cliniques ne souhaitaient pas mener une

réflexion de gestion ; par conséquent, ces médecins encouragent la vente des établissements.

Le médecin demeure pourtant un acteur principal du secteur. De lui dépend en premier lieu le

volume et l’importance des produits, donc la qualité du compte de résultats annuel. En outre, le

médecin apparaît comme un élément essentiel de la valorisation de ces entreprises. Avec la

disparition de la carte sanitaire décidée par Jean-François Mattei en 2003, qui a bouleversé le

régime des autorisations, l’unité de valeur sur laquelle reposaient les transactions de cliniques – le

lit – a progressivement disparu, remplacée par un régime d’autorisations limitées dans le temps.

Cette nouvelle disposition a rendu difficile l’évaluation de la valeur intrinsèque d’un établissement.

Or ces autorisations dépendent de l’activité des médecins, de leurs compétences, de leur volume

d’activité et de leur recrutement, en association avec les éléments techniques du plateau. C’est

pourquoi la valeur d’une clinique se mesure aujourd'hui plus que jamais à l’aune de la valeur des

médecins qui y travaillent. De plus, le médecin est un professionnel libéral dont la collaboration

avec la clinique dépend d’un contrat d’exercice et non pas d’une subordination.

Les médecins et les propriétaires des cliniques ont tout intérêt à surmonter cette situation

complexe, à laquelle la loi HPST apporte un certain nombre de réponses. A ce titre, il faut saluer les

travaux de la commission Larcher, même si certaines mesures comme l’inclusion des honoraires dans

les GHS pour les médecins salariés ne nous satisfont pas. Trois points me paraissent importants :

• l’accès des cliniques privées aux missions de service public

Les médecins et gestionnaires d’établissements doivent s’approprier cette possibilité ; leur

réussite dans les années à venir en dépend partiellement. Cet accès implique plusieurs

77

contreparties telles que : le respect des obligations de missions de service public, avec le

problème de l’opposabilité des honoraires ; la signature d’un contrat entre l’ARS et

l’établissement de soins ; la renégociation des contrats d’exercice entre partenaires. Celle-ci

peut constituer l’occasion de revoir l’ensemble de la philosophie de ce contrat pour y inclure,

par exemple, une relation contractuelle non plus individuelle mais collective impliquant un

groupe de médecins.

• le rôle des CME

Je saisis l’occasion pour remercier Philip Cohen, qui nous a apporté un support juridique

indispensable pour réaliser des avancées importantes, bien qu’encore insuffisantes, sur le rôle

des CME dans les établissements privés. Les CME participent à la qualité et à sécurité des soins

et doivent être consultés pour tout projet médical de l’entreprise. Par ailleurs, il est stipulé que

tout contrat entre l’établissement et l’ARS comporte la traçabilité de l’avis de la commission

médicale.

• le problème des dépassements d’honoraires

Nous préconisons la mise en place d’un secteur optionnel qui proposerait une offre alternative,

mieux adaptée à la problématique actuelle, notamment la capacité à solvabiliser les honoraires

des médecins.

En conclusion, j’estime que le corps médical ne doit être ni le frein ni l’accélérateur d’un

mouvement qui, au demeurant, ne me semble pas inéluctable. En revanche, il est évident que le

corps médical doit se positionner comme un partenaire à part égale dans le pilotage d’un

établissement. Aucune décision concernant le projet médical ne doit être prise sans son accord

formalisé. C’est pourquoi je me félicite d’apprendre par Christian Le Dorze que les signatures de

contrat chez Vitalia comporteront désormais la signature du Président de la CME. Si chacun des

acteurs échoue à mettre en place cette gestion commune, le mouvement amorcé de perte

d’influence du secteur privé aux dépens du secteur public – depuis deux ans, les parts de marché du

secteur privé au profit du secteur public accusent une baisse de 3 à 5 % en chirurgie, ce qui est

considérable – me paraît inéluctable.

Jean-Pol DURAND

Je vous remercie. Je vous propose de poursuivre les interventions médicales avant d’aborder la

séance de questions. Nous accueillons d’abord Robert Lavayssière, qui représente la Fédération

nationale des médecins radiologues.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 78

Robert LAVAYSSIERE

Je suis en effet vice-président de la Fédération nationale des médecins radiologues et j’exerce à

Sarcelles, sur un des plus importants plateaux techniques de France, dans le cadre d’un cabinet qui

a dû modifier son fonctionnement financier pour tenir compte de la lourdeur de l’ensemble. Depuis

plusieurs années, la structure est cofinancée très partiellement par un actionnaire extérieur,

résultat de la construction historique du centre et du départ à la retraite de certains associés

historiques (radiothérapie).

Les problématiques qui se posent au secteur de la radiologie ressemblent à celles énoncées par

Christian Espagno concernant l’hospitalisation privée. Sur ce point, la Fédération des médecins

radiologues affiche une position relativement claire. Au préalable, il faut rappeler que ce secteur

présente un caractère hétérogène : les cabinets de proximité côtoient des plateaux techniques

lourds disposant de scanners et d’IRM. Alors que le scanner clinique existe en France depuis 1974 et

l’IRM clinique depuis 1986, ces équipements sont encore considérés comme des équipements lourds,

soumis à ce titre à une réglementation. Selon la carte sanitaire, 60 % des équipements se trouvent

dans le secteur public contre 40 % dans le secteur privé : un certain nombre d’autorisations ont été

données à des structures non radiologiques, en particulier à des cliniques privées.

La Fédération se montre attachée à la propriété et à la gestion de l’outil de travail par les

radiologues, seul moyen d’éviter la gestion de rente de situation voire les conflits d’intérêt qui ont

parfois été observés. L’investissement radiologique apparaît comme une nécessité constante quand

on sait que le cycle de renouvellement du matériel se raccourcit. La Fédération souligne également

l’importance de l’avis médical et rappelle qu’il convient de privilégier l’investissement dans les

techniques nouvelles à la rentabilité.

Par ailleurs, la profession connaît une forte restructuration. En l’espace de deux ans, les radiologues

ont subi deux baisses de tarifs et une troisième est annoncée, entraînant la fermeture effective ou

prochaine d’un certain nombre de cabinets de proximité. A titre d’exemple, la ville de

Monsieur Fillon ne disposera probablement plus de cabinets de radiologie. C’est pourquoi depuis

plusieurs années, les radiologues se regroupent sur des plateaux techniques. Certaines villes de

province sont ainsi dotées de groupes de 20 ou 25 radiologues, ce qui modifie les modes de gestion,

tant sur le plan financier que juridique.

Enfin, nous observons un effet générationnel, lié notamment à la féminisation du métier et à

l’évolution des mentalités, qui risque de compliquer la gestion de ces plateaux. Dans ce secteur, la

transmission de l’outil de travail et la pérennité de ces structures constituent des questions

prégnantes.

Au regard de ces éléments, la profession envisage de modifier les structures de gestion afin de

constituer les moyens de transmission patrimoniaux propres à assurer la continuité du service. Ces

éléments font l’objet de réflexions, notamment lors du congrès de la Fédération qui s’est tenu à

Lorient en 2008. La Fédération s’est ainsi donnée pour mission de sensibiliser les futures générations

de radiologues à ces évolutions.

79

Jean-Pol DURAND

Je vous remercie. Existe-t-il un socio-type particulier du radiologue qui ferait que le jeune a

tendance à investir davantage par rapport à d’autres spécialités ?

Robert LAVAYSSIERE

Actuellement, non. L’exercice solitaire est devenu l’exception et concerne seulement 15 % des

radiologues, d’après les chiffres de 2006-2007. Même une structure active et attractive comme la

nôtre connaît des difficultés à recruter des radiologues, principalement pour des raisons

d’environnement et d’investissement. De nombreux radiologues sont tentés par le salariat et

retardent l’âge d’installation. En effet, l’âge moyen d’installation d’un radiologue (37 ans) est en

recul, et la situation économique actuelle tend à aggraver cet état de fait.

Jean-Pol DURAND

Philip Cohen, l’arsenal juridique qui régit les relations entre les médecins spécialisés et les

établissements doit-il être revu à la lumière de ce constat ?

Philip COHEN

Tout d’abord, je vous remercie d’avoir annoncé mon intervention dans la lignée des interventions

médicales : ceci prouve qu’un avocat qui fait vraiment corps avec les professionnels qu’il défend, en

l’occurrence les médecins, finit par y être identifié !

A la question qui m’est posée, je réponds sans hésiter par l’affirmative. Considérant les propos qui

ont été tenus, je suis tenté de paraphraser la parole de Jean-Paul II : « n’ayez pas peur ! ». En effet,

les capitaux extérieurs existent dans les établissements de santé privés ; ils peuvent exister dans les

sociétés d’exercice libéral des médecins, à hauteur d’un quart, dans l’attente d’un recours probable

auprès de la juridiction européenne, à l’encontre de la réglementation actuelle plafonnant la part

des capitaux extérieurs et qui plane comme l’épée de Damoclès.

En tant qu’avocat et accompagnateur des évolutions du corps médical, je précise que la profession

médicale connaît également des cycles. Dans une période plus faste et moins réglementée, les

médecins entrepreneurs montaient des projets en créant les cliniques, comme l’a rappelé

Christian Le Dorze, offrant ainsi une réponse aux demandes de santé et à leur qualité d’exercice.

Ensuite, les médecins se sont désinvestis progressivement de la gestion. Actuellement, chacun se

demande s’il est possible d’arrêter ces mouvements extrêmes de balancier en essayant de ne pas

opposer ce qui relève de la gestion et ce qui relève éventuellement du projet médical. A titre

d’exemple, l’amendement sur la CME, amorcé l’an dernier lors de l’Université d’été de la CSMF,

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 80

avait été clairement rejeté par Monsieur Attia représentant, à l’époque, le groupe CAPIO. Je suis

heureux d’entendre aujourd’hui le représentant du groupe VITALIA adopter une posture contraire.

Il est clair que les établissements de santé ne peuvent fonctionner selon une logique purement

financière ni selon une logique purement médicale. Tous se doivent de repenser le mode d’exercice

à partir de vrais projets, sachant que l’arsenal juridique permet de monter tous les projets

médicaux possibles, à l’exception actuellement, faute de décret pour les médecins, des sociétés de

participation financière de type holding. Ces projets dynamiques qui permettent de conjuguer les

deux objectifs des médecins (dégager des marges financières en termes de coûts et de charges et

satisfaire une exigence de qualité) ont tout intérêt à mobiliser un investisseur et/ou un partenaire

financier. Jusqu’à présent, le corps médical a subi l’entrée de capitaux extérieurs : désormais, soit

les médecins subissent cette réorganisation par des financeurs dont le profil et l’identité risquent de

changer, soit ils reprennent l’initiative du projet.

De mon point de vue, il appartient aux médecins libéraux de s’inscrire comme porteurs de projets et

solliciteurs de soutiens, et non seulement comme quémandeurs. L’arsenal juridique se révèle

aujourd'hui protecteur des médecins, à une seule condition : que les médecins veuillent bien

l’utiliser et sachent aussi dire non quand il le faut.

Jean-Pol DURAND

Merci, Monsieur Cohen. Vous êtes bien placé pour observer les évolutions respectives de la

corporation médicale et de la corporation des avocats. J’ai le sentiment que les avocats ont un train

d’avance.

Philip COHEN

Oui, d’une manière générale. Les cabinets d’avocats sont parfois constitués en holdings. Nous

avançons en effet beaucoup plus vite et nous continuerons d’avancer. Pourtant, nous sommes

confrontés à la même problématique : les professions libérales, tous secteurs confondus, sont toutes

confrontées au problème de l’adéquation entre l’attente, les besoins et les structures pour y

satisfaire: c’est pourquoi il convient de construire une offre, un projet ou des projets qui répondent

à la diversité des demandes.

Jean-Pol DURAND

La Mutualité française peut-elle être un investisseur pérenne, susceptible de prendre le relais des

fonds actuels propriétaires de chaines ? Telle est la question posée à Monsieur HOURY, qui

représente la Mutualité française en tant qu’investisseur.

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Patrick HOURY

Bonjour, merci pour votre invitation. J’ai dirigé pendant treize ans un groupe mutualiste régional

important, situé à Nantes. C’est pourquoi je connais un grand nombre d’entre vous. Depuis fin juin,

j’ai quitté mes fonctions pour prendre une responsabilité auprès du Président de la Mutualité

française, avec l’ambition de structurer un groupe hospitalier mutualiste. J’ai répondu

favorablement à l’invitation de Patrick Gasser : ces Journées sont pour moi l’occasion de revoir

certains amis mais elles m’offrent aussi l’occasion de faire un premier niveau de communication sur

les initiatives que nous avons prises en ce domaine.

Si tout le monde connaît la Mutualité, rares sont ceux qui connaissent la complexité de son

organisation. On a souvent le sentiment que la Mutualité s’exprime d’une voix, au travers de celle

de son Président, Jean-Pierre Davant. C’est le cas en effet, puisqu’il s’agit d’un mouvement social

et que tous les adhérents se reconnaissent dans cette parole. Mais par ailleurs, la Mutualité se

révèle très atomisée, et pour cause : sa structure de base est constituée de mutuelles

indépendantes, qui sont des acteurs économiques et politiques autonomes.

Comme vous le savez, la Mutualité intervient dans le domaine de l’assurance complémentaire, mais

également dans des domaines tels que l’assurance, la prévoyance et la retraite. De surcroît, elle

s’inscrit comme un acteur de santé majeur avec des activités implantées historiquement tout au

long de la chaîne de prise en charge des individus et des personnes : la prévention, les interventions

dans les établissements de santé (MCO, SSR et HAD), les Centres de santé, le médico-social

(notamment les volets personnes âgées et handicap). En résumé, la Mutualité française se présente

comme un interlocuteur et un acteur connu et légitime dans le domaine de la santé.

En ce qui concerne la partie MCO, la Mutualité française dispose actuellement de 32 établissements,

soit une capacité d’environ 4 200 lits MCO sur toute la France, répartis avec un taux de

concentration variable dans une dizaine de régions. En ce qui concerne la partie SSR, la Mutualité

française dispose d’une capacité de 3 000 lits. Après cumul, nous occupons la deuxième place après

Vitalia (5 600 lits) en matière de capacité MCO et SSR, ce qui nous inscrit comme acteur significatif.

Pourtant, la structure de la Mutualité française ne lui permet pas de se revendiquer comme tel.

C’est pourquoi le projet que je porte a l’ambition de constituer un pôle national capable de

structurer une entité économique, laquelle sera en capacité de mobiliser des soins importants, de

rendre cohérentes les pratiques dans nos établissements et de devenir un acteur national par le biais

d’un maillage territorial pertinent.

Pour ce faire, en premier lieu, il convient de mobiliser les mutuelles : il s’agit de les convaincre de

la relation directe existant entre leur activité d’assureur et la prise en charge. Au passage, si le

secteur optionnel voyait le jour, les mutuelles et les assureurs complémentaires seraient

directement impactés. En tant que financeurs des prestations qui entourent les soins (chambre

particulière, prestations annexes), les mutuelles sont intéressées au financement des établissements

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 82

de santé. En outre, elles demeurent attachées au principe non lucratif. En ce sens, le fait que nos

adhérents puissent accéder aux soins de qualité sans restriction constitue notre première

récompense.

Par ailleurs, si les mutuelles sont riches, elles ne le sont pourtant pas suffisamment pour agir seules.

Il faut donc trouver des partenaires et organiser un tour de table, ce à quoi je m’emploie

actuellement. A ce titre, le réseau actuel doit être associé à la démarche. Aujourd'hui, les

gestionnaires d’établissements gèrent leur clinique de manière indépendante et ne reçoivent pas

d’instruction de la Mutualité française. En définitive, il nous faut bâtir un contexte qui permettra à

cet ensemble de travailler de manière cohérente.

Enfin, il convient de favoriser la relation entre les actionnaires d’une telle structure et les

établissements pour permettre aux adhérents des mutuelles de recevoir une prestation de service de

qualité et adaptée. En ce domaine, la Mutualité affiche deux ambitions : structurer son offre

actuelle et développer une offre sur toute la France. A Monsieur Le Dorze qui déplorait tout à

l’heure la difficulté de mobiliser les fonds d’investissement français, je réponds que la prise de

conscience requiert du temps. Tous les mécanismes décrits précédemment par les intervenants

visent une approche financière avec dégagement de profits au bénéfice de certains investisseurs. La

Mutualité française considère que les investissements dans les établissements médicaux doivent

rester acquis à des valeurs de proximité et de solidarité. C’est pourquoi elle se sent pleinement

légitime à agir en ce domaine. Au cours du second semestre, Jean-Pierre Davant et moi-même nous

emploierons à finaliser un certain nombre d’engagements, impliquant des financeurs et des

opérateurs locaux. Globalement, je me déclare optimiste sur ce projet.

Néanmoins, les investisseurs susceptibles d’accompagner la Mutualité ou la Mutualité elle-même ne

sont pas naïfs : chacun veillera au retour sur investissement. En effet, l’investissement n’a pas pour

but de combler des déficits, mais d’appuyer des investissements et du développement, et

éventuellement d’acquérir de nouveaux établissements. Ainsi, nous veillerons à ce que la

performance économique, la bonne organisation, les effets de groupe et les effets de taille puissent

émerger, tout en gardant à l’esprit qu’un établissement de santé se compose avant tout d’une offre

médicale portée par les professionnels.

Je citerais l’exemple de la clinique Jules-Verne en Loire Atlantique, qui résulte du regroupement de

deux cliniques et présente une capacité d’environ 300 lits. Cette clinique est fondée sur un double

statut : un secteur PSPH et un secteur libéral. Contrairement à des pratiques antérieures, la

Mutualité a décidé de faire cohabiter ces deux statuts de manière totalement fluide, au travers d’un

accueil unique et d’une répartition entre les secteurs par spécialités. La cohabitation entre

médecins salariés et médecins libéraux fonctionne parfaitement. En ce qui concerne le dépassement

d’honoraires, la Mutualité tient à maîtriser sinon limiter ce dépassement au niveau du secteur

libéral : nous avons négocié des accords avec les praticiens en ce sens. Cet exemple illustre la

volonté de la Mutualité française de tenir compte du poids essentiel des professionnels de santé.

Pour conclure, la Mutualité française inscrit son action dans la durée. Pour cette raison, sa logique

est différente de celle des fonds, laquelle obéit à l’exigence de rentabilité : ce constat n’implique

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aucun jugement de valeur de ma part. La Mutualité française œuvre depuis le début du siècle et

œuvrera encore, selon moi, dans vingt, trente ou quarante ans. Cet élément s’avère important pour

les professionnels de santé qui, d’après les interventions que j’ai entendues, ne veulent pas être

soumis à des changements de stratégie d’actionnaires et souhaitent s’impliquer dans la durée. En

outre, la Mutualité française a démontré qu’elle pouvait intervenir dans le secteur privé,

notamment au travers du rachat et de la gestion d’ex- OQN (Objectifs Quantifiés Nationaux), tout en

agissant dans le secteur public. Elle est sans doute le seul opérateur à pouvoir ainsi articuler une

intervention publique et une intervention privée. En définitive, il s’agit d’une mission difficile en ce

qu’elle suppose de rassembler différents acteurs, avec des logiques parfois très individuelles, et de

faire émerger un projet de grande ampleur.

QUESTIONS DE LA SALLE

Christian LE DORZE

Ma première remarque s’adresse à Christian Espagno. Au niveau des sociétés d’exercice, le mieux se

révèle parfois l’ennemi du bien. Je ne suis pas favorable à la Directive européenne et je comprends

les mouvements de résistance concernant l’ouverture totale du capital des sociétés de biologie

médicale aux investisseurs extérieurs. Au vu de la sociologie des jeunes générations, les spécialités

qui veulent se protéger par le biais de l’impossibilité pour les investisseurs de détenir plus de 25 %

du capital doivent veiller à ce que leur position dogmatique ne gâche pas la possibilité pour elles de

transmettre leur entreprise. En outre, d’autres mécanismes protecteurs sont envisageables, telle

qu’une renégociation du rapport médecin-établissement.

Monsieur HOURY, je vous souhaite bonne réussite dans votre mission, car je sais que ce n’est pas

tâche aisée. En tant que groupe, nous sommes favorables à cette structuration publique ou privée.

Pour ma part, je n’aurais jamais pu acheter 46 cliniques en 18 mois sans un fonds d’investissement

de la technostructure de Blackstone. Il n’est pas interdit d’imaginer différents profils

d’investisseurs, certains participant à la création, d’autres à la croissance rapide, pour transmettre

ensuite l’investissement à des actionnaires qui s’engageraient sur la durée.

Patrick GASSER

Mes deux questions s’adressent à Patrick HOURY. Le fait de mettre en place un pôle national ne vous

paraît-il pas quelque peu obsolète alors qu’il est question aujourd'hui de régionalisation ? Une

Mutuelle peut-elle se positionner comme acheteur et producteur de soins ?

Autre question

Ma question s’adresse à Robert Lavayssière. Au cours des dix prochaines années, l’effectif médical

(spécialistes et généralistes) chutera probablement de 25 % sur le territoire français. Dans le cadre

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 84

des plateaux techniques tels que ceux de la radiologie, comment envisagez-vous la transmission de

ces outils, d’autant plus que des capitaux extérieurs entrent en jeu ?

Robert LAVAYSSIERE

Des moyens de pallier la baisse de l’effectif médical à plus ou moins court terme existent. Pour

l’heure, l’augmentation du temps de travail apporte une réponse, bien qu’il s’agisse d’une réponse à

court terme. La réorganisation de la profession, notamment par le biais de la télémédecine – et

peut-être de la téléradiologie, avec les garde-fous indispensables que cela suppose – offre d’autres

réponses possibles, au même titre que la constitution de groupes de plus grande taille,

éventuellement adossés à des sociétés de capitaux, ce modèle étant encore loin d’être entré dans

les mentalités.

Patrick HOURY

L’organisation que nous envisageons repose sur une structure de niveau national (niveau holding)

rassemblant les fonds capables de porter un tel développement. Cependant, l’ancrage local apparaît

fondamental pour la Mutualité française. C’est la raison pour laquelle cette organisation reposera

sur des sociétés régionales, en charge des développements régionaux, la définition du territoire

régional restant à définir (territoire de l’ARS, espace interrégional etc.). Il convient de trouver un

juste équilibre, sachant que le champ d’intervention couvert par les ARS (médico-social, sanitaire,

prévention) se superpose au champ couvert par la Mutualité française.

Quant à la question de savoir si la Mutualité française peut produire ou acheter des soins, je crois

qu’il faut voir les choses en face : si les mutuelles se montrent intéressées par ce domaine, c’est

bien parce qu’elles veulent bâtir une relation entre l’achat et la production de soins. Toutefois, les

mutuelles ne seront pas capables de produire des soins pour 38 millions de Français et ne pourront

pas imposer à leurs adhérents d’être pris en charge dans leurs établissements. Le fait de disposer de

manière directe ou indirecte d’un réseau de soins ne me semble absolument pas incompatible avec

une politique conventionnelle des relations directes entre mutuelles et avec d’autres

établissements. Au contraire, cela facilitera sa mise en œuvre.

Jean-Pol DURAND

L’intervention du directeur-préfigurateur de l’ARS figurait au programme de cette Journée. En son

absence, j’invite Benoît Péricard – qui, par son talent, aurait pu devenir un parfait directeur de

l’ARS – à conclure notre journée.

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Benoît PERICARD

Je ne serai pas le DARS préfigurateur de la région des Pays de la Loire, et pour cause : on ne revient

jamais sur les lieux de son crime (rires) et là n’est pas mon intention ni celle du gouvernement, j’en

suis convaincu.

Je ne m’aventurerai pas à résumer les interventions qui ont ponctué ces Rencontres ni à dresser des

perspectives d’avenir. En guise de conclusion, je vous propose plutôt une promenade sémantique

autour de sept mots. En reliant le titre du séminaire et le signe de l’organisateur de cette journée,

on obtient en effet les sept mots suivants : Union, Régionale, Médecins, Libéraux, Entreprises,

Périmètres et Santé.

1. UNION

Ces échanges organisés à La Baule deviennent de plus en plus riches. D’abord, convenons que ces

Rencontres sont de mieux en mieux préparées ; ensuite, les sujets deviennent de plus en plus

prégnants ; enfin, l’élargissement aux autres Unions y contribue. Je plaide toutefois pour que ces

Rencontres se tiennent toujours à La Baule !

2. REGIONAL

Le périmètre de la région a été définitivement consacré. En France et à l’étranger, la spécificité de

chaque région demande à être prise en compte : en effet, il est impossible de monter les mêmes

projets à Toulouse et dans les Pays de la Loire. Du reste, la question du régional pose

immédiatement la question du national, notamment en termes de régulation, d’arbitrage voire de

répartition. Pour ma part, j’estime que la région doit être de plus en plus forte, non pour imposer

ses vues au national mais pour se constituer en interlocuteur suffisamment puissant pour se faire

respecter.

3. MEDECINS

Nous assistons à une inflexion de la démographie médicale. En effet, le Conseil de l’ordre des

médecins a constaté pour la première fois cette année les prévisions catastrophiques annoncées

depuis quinze ans. Pour reprendre une formule employée ce matin, cette inflexion doit être « un

instrument de lucidité ». Je suis convaincu que la démographie médicale déclinante constitue un

facteur d’imagination et de renouveau pour le système de santé. Par ailleurs, la formation se révèle

inadaptée. A titre d’exemple, j’ai dû attendre cinq ans après ma nomination à l’ARH des Pays de la

Loire pour obtenir de l’un des deux doyens de la Faculté de médecine la possibilité d’exposer aux

étudiants le rôle d’une Agence régionale de santé, lesquels lui ont réservé un accueil mitigé. En

définitive, les médecins construiront cette nouvelle organisation de la santé avec ceux qui les

entourent.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 86

4. LIBERAUX

Ce concept est éminemment polémique, nous l’avons vu. Pour ma part, je considère qu’il faut

retirer ce voile pudique qui recouvre l’argent, et notamment les relations entre l’argent et la

médecine, en France. Pour faire évoluer les mentalités, il convient d’aborder le sujet ouvertement.

Ensuite, le terme « libéral » sous-entend la notion de responsabilité : ceux qui se sont exprimés

aujourd'hui n’en manquent pas. Enfin, il faut dire un mot des efforts de Barack Obama pour

améliorer le système de santé américain : il faut être libéral au sens américain du terme, c'est-à-

dire être imaginatif sans être conventionnel ni conservateur.

5. ENTREPRISES

Au travers de ces Rencontres, nous participons à cette réconciliation indispensable entre la

médecine et l’entreprise : je m’en félicite. De plus, la question de la gouvernance a été peu

abordée, ce qui est plutôt bon signe, la gouvernance n’étant après tout qu’un moyen d’atteindre

l’efficacité. Comme tout organisme, l’entreprise constitue une structure vivante, donc mortelle.

C’est pourquoi il faut admettre que certaines entreprises doivent mourir : tel est le sort qui leur est

promis.

6. PERIMETRES

Nous avons largement exploré les périmètres et les moyens de les explorer en identifiant les projets,

en procédant au benchmarking, que les Québécois nomment parangonnage. En revanche, je regrette

que les périmètres du médico-social n’aient pas été davantage abordés, peut-être en raison du

cloisonnement de notre système actuel : par exemple, le champ du handicap et de la gériatrie ne se

limite pas aux maisons de retraite mais s’inscrit dans le continuum de la santé ; c’est pourquoi il

convient de s’en préoccuper davantage. Ces Rencontres ont également été l’occasion de franchir

d’autres périmètres, puisque nous avons évoqué les exemples de l’Allemagne, de la Catalogne et du

Québec, où la santé constitue l’apanage des gouvernements régionaux.

7. SANTE

Nous avons franchi, me semble-t-il, cette barrière que constitue le strict soin à la santé, autrement

dit nous sommes passés du traitement d’épisodes au traitement d’une personne. Quant aux besoins

de santé, ils ont été abondamment explorés hier après-midi. Ceux qui n’ont pu y participer pourront

y participer l’an prochain, puisqu’il est prévu d’organiser cet atelier suivant la même formule.

Je conclurai mon intervention sur une note d’humour suisse : au bord du lac, on lève son verre en

disant : « intelligence ! » Parce que la santé, nous l’avons.

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Jean-Pol DURAND

Nous remercions tous les intervenants ainsi que Thomas Hérault et Isabelle Riou, qui sont les artisans

de cette réunion.

Patrick GASSER

Merci à tous. Nous essaierons que les résultats des élections nous permettent d’être présents

l’année prochaine pour vous proposer une nouvelle édition de ces Rencontres, dont nous espérons

qu’elles atteignent l’âge de raison, c'est-à-dire sept ans.

Les rencontres de La Baule – vendredi 11 et samedi 12 septembre 2009 88

REMERCIEMENTS

L'Union Régionale des Médecins Libéraux des Pays de la Loire remercie l'ensemble des intervenants

qui leur ont fait l'amitié de participer à ce séminaire.

Ainsi que ses partenaires :

� SANOFI AVENTIS

� BNP PARIBAS

� LA MEDICALE

� PFIZER

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