Religion, droit et laïcité

8

Click here to load reader

Transcript of Religion, droit et laïcité

Page 1: Religion, droit et laïcité

Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 147–154

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Dossier : « La laïcité à l’hôpital public »

Religion, droit et laïcité

Charihane Benhida ∗, Claire Gaudillère , Anne-Laure Pourquier ,Yaminah Abadou , Élodie Coutarel

Faculté de droit, université Jean-Moulin Lyon 3, 18, rue Chevreul, 69362 Lyon cedex 07, France

Disponible sur Internet le 16 juillet 2011

Résumé

Est rappelé ici le régime général de la liberté religieuse en France avec les principes de laïcité de l’Étatet de libre exercice de la religion. Mais si le mouvement de sécularisation est général, il ne se traduit pas dela même facon dans les régimes internes, et cette diversité internationale relativise le concept de laïcité à lafrancaise.© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Écoutons le philosophe : « La laïcité est une valeur essentielle, avec ce souci de la liberté deconscience et de l’égalité de tous les hommes, qu’ils soient croyants, athées ou agnostiques. L’idéallaïc n’est pas un idéal négatif de ressentiment contre la religion. C’est le plus grand contresens quel’on puisse faire sur la laïcité que d’y voir une sorte d’hostilité de principe à la religion. Mais c’estun idéal positif d’affirmation de la liberté de conscience, de l’égalité des croyants et des athées etde l’idée que la loi républicaine doit viser le bien commun et non pas l’intérêt particulier. C’estce qu’on appelle le principe de neutralité de la sphère publique »1. La laïcité ne se comprend passans une réflexion préalable sur la religion.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (C. Benhida).

1 Henri Pena-Ruiz, Agrégé de philosophie, essayiste, professeur en Khâgne au lycée Fénelon, maître de conférences àl’Institut d’Études Politiques de Paris, et membre de la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcitédans la République, Septembre 2003.

1629-6583/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.ddes.2011.06.001

Page 2: Religion, droit et laïcité

148 C. Benhida et al. / Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 147–154

Introduction au dossier : la laïcité à l’hôpital public

La liberté de religion est au cœur des débats sociaux, et ces débats intéressentla vie hospitalière. Longtemps aussi minoritaire qu’effacé, l’islam est devenula deuxième religion de France, ce qui a été une double cause d’interrogation :parce que l’islam était peu connu, et parce que cette présence d’un islam sereins’inscrit dans un retour du religieux qui surprend la société francaise2.La laïcité est la manière dont la France se saisit de la liberté de religion. Cerégime est marqué par une forte spécificité, mais il n’est finalement qu’unmodèle parmi les autres pratiqués dans le monde. L’exemple de l’Europe estexplicite : les 47 États qui composent le Conseil de l’Europe connaissent la plusgrande diversité religieuse, mais tous respectent le socle fondamental, posépar l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.Fondé sur ces références fondamentales, ce dossier dédié au rapport de lareligion avec l’hôpital public propose une sorte d’initiation pratique dont l’objetest d’aider à l’approfondissement et à la décision. Nous donnons également(Pour en savoir plus) une sélection bibliographique sur le thème.Le dossier comporte six chapitres :

1. Religion, droit et laïcité2. Laïcité et hôpital, deux histoires3. Les soignants et l’exigence de neutralité4. L’aumônerie comme fonction d’utilité collective et sociale5. Liberté de religion et droit des patients6. La circoncision et le mineur, un acte confessionnel

Enfin, il nous a semblé utile de reproduire, en fin de dossier, la synthèse desgrandes décisions de la Cour européenne des droits de l’homme sur la libertéde religion.

1. Les origines du mot religion

L’origine étymologique du mot religion est incertaine : elle viendrait du latin religere (« prendreavec scrupule », Cicéron) ou religare (« relier », Lactance3). Le dictionnaire Larousse la définitcomme « un ensemble déterminé de croyances et de dogmes définissant le rapport de l’hommeavec le sacré ». Mais aucune définition de la religion ne fait l’unanimité. Yves Lambert parle

2 M. Charfi, Islam et liberté. Le malentendu historique, Albin Michel, 1998 ; B. Basdevant-Gaudemet, Le statut juridiquede l’islam en France, RD publ. 1996 p. 355 ; D. Jazaerli, La situation des musulmans, dans Faut-il modifier la loi de 1905 ?Petites Affiches, 1996, no 53 p. 34 ; Y. Ben Achour, Politique, religion et droit dans le monde arabe, Eddif, Casablanca,1992 ; M. Ch. Ferjani, Islamisme, laïcité et droits de l’homme, L’Harmattan, 1991 ; F. Zakariya, Laïcité ou islamisme :les arabes à l’heure du choix, La Découverte, 1991 ; O. Carre, L’islam laïque ou le retour de la grande tradition, ArmandColin, 1992 ; C. Hafiz et G. Devers, Droit et religion musulmane en France, Dalloz, 2005.

3 Lactance, Lucius Caecilius Firmianus, professeur de rhétorique latine et écrivain du IVe siècle. J.-P. Willaime, Lareligion : un lien social articulé au don, Revue du MAUSS, La Découverte, 2003/2 (no 22), page 249.

Page 3: Religion, droit et laïcité

C. Benhida et al. / Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 147–154 149

même de « Tour de Babel des définitions de la religion »4. Effectivement, la religion est percuedifféremment selon le contexte géographique, temporel, et social. Ainsi, un culte assimilé à unereligion dans un lieu donné, ne le sera pas forcément dans un autre. Par exemple, la conceptionallemande de la notion de religion est fortement imprégnée de notions philosophiques, et laconception anglaise, d’anthropologie, du fait de l’histoire propre à chacun de ces deux pays5.

Cependant, certaines notions reviennent dans les différentes définitions de la religion. Commele précise Paul Valadier6 : « Comment ne pas enregistrer le fait que les religions, du moins cellesdu Livre, se définissent par référence à un Autre ? »7. La religion pourrait donc être assimiléeaux croyances de l’homme, en un « Autre ». La signification de cet « Autre » variant selon lesreligions : polythéistes (croyance en plusieurs Dieux, comme en Égypte, Grèce et Rome antiques,ou comme dans l’hindouisme) ou monothéistes (croyance en un Dieu unique, comme dans lechristianisme, l’islam et le judaïsme).

2. La liberté religieuse

L’approche juridique (2.1) recoupe l’approche philosophique (2.2).

2.1. Approche juridique

La liberté se définit comme la faculté d’agir selon sa volonté en fonction des moyens dont ondispose sans être entravé par le pouvoir d’autrui et comme la capacité de se déterminer soi-mêmeà des choix contingents. La pensée est insaisissable et inhérente à la personne humaine. La libertéde conscience s’inscrit dans le régime des libertés de pensée. C’est une croyance partagée, quiinclut une réflexion sur la transcendance. À l’inverse de l’opinion, qui repose sur un raisonnement,la croyance inclut l’indémontrable. C’est une pensée qui se forge dans l’intimité.

La liberté de religion, c’est le fait de croire ou de ne pas croire, de croire en ce que l’on veut, depouvoir changer de religion, et de pouvoir vivre sa foi par la pratique des rites. L’État qui respectecette liberté s’interdit d’interférer et doit assurer, par des actes publics, la possibilité effective pourles fidèles de pratiquer la religion de leur choix.

La laïcité de l’État est un principe constitutionnel parmi d’autres, de même valeur : la libertéde conscience, la liberté religieuse, la séparation des Églises et de l’État, les libertés d’expression,d’association et d’enseignement, l’interdiction de toute discrimination religieuse8. Aucun n’estabsolu. Ils doivent être conciliés entre eux, et dans le respect des exigences de l’ordre public. Aussi,la laïcité de l’État peut-elle se définir comme l’alliance de la neutralité des services publics, de laliberté de conscience et de la liberté religieuse. La liberté religieuse, entendue comme la possibilité

4 Y. Lambert, La Tour de Babel des définitions de la religion, Social Compass, volume 38 no 1, mars 1991.5 J.-P. Willaime, La religion : un lien social articulé au don, Op.cit., page 250.6 P. Valadier, né en 1933, jésuite et philosophe francais, docteur en philosophie et en théologie.7 J. Dewitte, Croire ce que l’on croit, Réflexion sur la religion et les sciences sociales, Revue du MAUSS, La Découverte,

2003/2, no 22, page 62.8 J. Rivero, La notion juridique de laïcité, D. 1949, chron. p. 138; F. Messner (dir), Traité de droit francais des religions,

Cerf-Dalloz, 1997, dont l’article de J.-B. Henry, Le droit francais et l’islam ; J. Robert, La Liberté religieuse et le régimedes cultes, PUF, 1977 ; R. Metz, Églises et État en France, Situation juridique actuelle, Paris, Le Cerf, 1977, p. 146;M. Bernard, La paix religieuse, Rev. Adm., 1998, no 23, p. 48.

Page 4: Religion, droit et laïcité

150 C. Benhida et al. / Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 147–154

de croire ou de ne pas croire, est garantie par le bloc de constitutionnalité constitué des normessupérieures et fondamentales de l’ordre juridique établi9.

La laïcité n’est ni l’indifférence, ni la simple tolérance. Selon l’article 1er de la loi de 1905,la République garantit le libre exercice des cultes. La tolérance serait une sorte d’indifférence,très éloignée de ce que requiert la protection d’une liberté. La puissance publique doit à la foiss’organiser pour que les croyants puissent vivre leur foi et pratiquer leurs rites, et dans le mêmetemps, s’interdire toute immixtion dans ce qui est l’essentiel de la liberté de religion, la foi et lescroyances.

La Constitution du 4 octobre 1958 prévoit dans son article premier que « La France est uneRépublique indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tousles citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

Le droit international, désormais applicable en droit interne, conforte cet acquis. La libertéde pratiquer ou de ne pas pratiquer une religion découle directement de la liberté de pensée,de conscience et de culte prévue par la Constitution francaise et par le droit européen, plusprécisément par l’article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertésfondamentales de 1950.

« Ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté demanifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé,par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

« La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictionsque celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocra-tique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ouà la protection des droits et libertés d’autrui10 ».

L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose également que « Nulne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne troublepas l’ordre public établi par la loi ».

Le libre exercice de la religion désigne le droit subjectif fondamental des personnes de choisiret de pratiquer une religion donnée et l’évaluation du respect de ce droit. La République doitassurer la liberté de conscience et garantir le libre exercice des cultes.

9 La hiérarchie des normes selon Hans Kelsen implique que toute norme inférieure respecte les normes supérieures.Les traités internationaux sont infra-constitutionnels et supra-législatifs.10 H. Surrel, La liberté religieuse devant la Cour européenne des droits de l’homme, RFD adm. 1995 no 573; G. Gonzales

La Convention européenne des droits de l’homme et la liberté des religions, Economica 1997, p. 42 ; S. Karagiannis, Lesminorités religieuses et la Convention européenne des droits de l’homme, L’Observateur des Nations-Unies 1997, no 3,p. 83; I. Rouviere-Perrier, Les Témoins de Jéhovah devant la CEDH, Petites Affiches, 27 nov. 1993, no 138, p. 24s. ;J. Morange, Liberté religieuse et garde d’enfants, Rev. Trim. Dr. Homme, 1994, p. 414s. ; CEDH 26 sept. 1996, Manous-sakis et autres c/ Grèce, Ann. Fr. Dr. Int. 1996 p. 749, obs. E. Decaux et P. Tavernier, Rev. Sc. Crim. 1997, p. 466, obs.R. Koering-Joulin, JCP 1997-I-4000, no 6-7, obs. F. Sudre ; Adde G. Gonzales, Les entraves à l’ouverture de « maisonsde prière » en Grèce, RTDH 1997, p. 536 ; P. Wachsmann, la religion contre la liberté d’expression, RTDH, 1995, p. 401 ;N. Chauvin, Le port du foulard islamique par une enseignante, RFDA, mai 2003, p. 536. Jurisprudence : CEDH, 25 mai1993, Kokkinakis c/ Grèce, série A. no 260-A ; Grands arrêts CEDH, no 47 ; H. Surrel, La liberté religieuse devant la Coureuropéenne des droits de l’homme, RFDA 1995, p. 573s. ; G. Junosza-Zdrojewski, La Cour européenne des droits del’homme et les activités des sectes, Gaz. Pal. 15–19 juil. 1994, p. 41s ; F. Rigaux, L’incrimination de prosélytisme face àla liberté d’expression, obs. sous CEDH, 25 mai 1993, Kokkinakis c/ Grèce, RTDH 1994, p. 144–150.

Page 5: Religion, droit et laïcité

C. Benhida et al. / Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 147–154 151

2.2. Approche philosophique

Voltaire, dans un traité philosophique relatif à la liberté de pensée, exprimait que la religion estcréée par le biais de la liberté de pensée et que l’interdire conduirait à la disparition de celle-ci.« Si donc le christianisme ne s’est formé que par la liberté de penser, par quelle contradiction, parquelle injustice voudrait-il anéantir aujourd’hui cette liberté sur laquelle seule il est fondé ? ». Laliberté de pensée permet l’évolution des mœurs et la diversité culturelle et cultuelle. Par ailleurs, ladélimitation de la notion de religion ne peut être abordée sans traiter de manière prompte des sectes.La notion de « secte » est définie par le dictionnaire Larousse comme un « groupement religieux,clos sur lui même et créé en opposition à des idées et des pratiques religieuses dominantes »11.

La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes)précise qu’aucune définition légale des sectes n’existe encore à ce jour, mais un rapport du22 décembre 1995 de la Commission d’enquête sur les sectes de l’Assemblée Nationale12 dresseune liste d’associations pouvant être qualifiées de sectaires13. Cette liste des sectes présentes enFrance n’est pas exhaustive, mais permet de distinguer a contrario ce qui peut être qualifié dereligion.

Dans l’esprit de la législation de 1905, Aristide Briand ne disait pas autre chose : « Non seule-ment la République ne saurait opprimer les consciences ou gêner, dans ses formes multiples,l’expression extérieure du sentiment religieux, mais encore [. . .] elle entend respecter et fairerespecter la liberté de conscience et la liberté des cultes14. » Comme le précise le site Internet dela Miviludes, l’absence de définition légale « résulte, pour partie, de ce que la France, en vertudu principe de laïcité, s’interdit de définir, de limiter le fait religieux et spirituel, évitant ainsi lerisque de se heurter au principe de la liberté de conscience »15.

3. Une problématique internationale

Le mouvement de sécularisation est général (3.1) mais se traduit, sur le plan de l’organisationinterne des États, dans une grande diversité (3.2).

3.1. Un mouvement général de sécularisation

Les problématiques liées au principe de laïcité plus globalement, et à la sécularisation16 del’État se posent dans de nombreux pays à travers le monde. La sécularisation de l’État peut atteindredifférent degrés d’après José Casanova17 : il s’agirait de l’ « émancipation des affaires temporellesvis-à-vis des institutions et normes religieuses », puis du « déclin des convictions religieuses »,

11 Secte, Dictionnaire Larousse, http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/secte ; consulté le 11 décembre 2010.12 Rapport no 2468, enregistré à la présidence de l’Assemblée Nationale le 22 décembre 1995.13 Liste dans laquelle se trouve le mouvement des Témoins de Jehova, cité ultérieurement dans ce dossier.14 Aristide Briand, Chambre des députés, 4 mars 1905.15 http://www.miviludes.gouv.fr/-Le-dispositif-juridique-francais-?iddiv=3 ; site de la Miviludes, consulté le 11

décembre 2010.16 Sécularisation définie par le Dictionnaire Larousse comme le « transfert à l’État des biens ecclésiastiques ou exercice

par l’État de fonctions précédemment réservées au clergé (état civil, assistance publique, enseignement). » ou le « passagede certaines valeurs du domaine du sacré dans le domaine du profane. »17 J. Casanova, Chancen und Gefahren öffentlicher Religion. Ost und Westeuropa im Vergleich, in O.Kallscheuer (dir.),

Das Europa der Religionen. Ein Kontinent zwischen Säkularisierung und Fundamentalismus, Francfort-sur-le-Main,Fischer, 1996, p. 181–210.

Page 6: Religion, droit et laïcité

152 C. Benhida et al. / Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 147–154

allant jusqu’au « refoulement de la religion dans la sphère privée ». D’après Catherine Audard :« confrontées à des phénomènes culturels inconnus, partagées entre le souci de préserver l’identiténationale et celui de respecter l’égalité des citoyens malgré leurs appartenances différentes, lesdémocraties contemporaines, en particulier en Europe continentale, semblent incapables de sortirde cadres intellectuels universalistes et des schémas historiques qui tous prédisaient les progrèsde la sécularisation. Elles apparaissent désarmées face à ce retour du religieux »18.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la tendance générale est une forme de sécularisationdes sociétés occidentales. Sécularisation considérée par Max Weber comme une composanteessentielle de modernisation de la société.

Les États se sont accoutumés à ce mouvement, ainsi que le précise Catherine Audard, etaujourd’hui avec un retour des questions religieuses, ils se trouvent en quelque sorte pris à revers.Le rapport du temporel et de l’intemporel sont abordés de manière très différente selon les États19.

Les textes internationaux, l’article 18 de la Déclaration universelle des Droits de l’hommedu 10 décembre 1948, ou l’article 9 de la Convention européenne des Droits de l’homme du4 novembre 1950, sont rédigés dans des termes proches et protègent la liberté de croire ou de nepas croire, de pouvoir pratiquer, dans le respect des rites, et de pouvoir changer de religion. Laliberté religieuse, fondamentale, est respectée dans des régimes internes éloignés du concept delaïcité à la francaise.

3.2. La diversité des régimes nationaux

En Europe, deux États peuvent incontestablement être reconnus laïcs : la France et le Portugal.Ce sont les seuls États à avoir inscrit ce principe au sein de leur Constitution. Par l’introductionde la laïcité au sein du bloc constitutionnel, ils entendent assurer à chacun la garantie du respecteffectif de sa pratique religieuse, mais aussi l’égalité des religions entre elles.

Certains États ont une vision toute autre de la laïcité, ce qui conduit à prendre un certainrecul par rapport à la position francaise. En Allemagne par exemple, un système conventionnel aété mis en place : des impôts cultuels sont reversés aux associations religieuses reconnues par lesLänder, pour assurer leur fonctionnement. Aux Pays-Bas, les communautés religieuses font partieintégrante de la société et disposent d’institutions formalisées, de partis politiques, d’associations,de médias. . . Concernant le Royaume-Uni, l’Église anglicane est représentée par la Reine, lesévêques sont nommés par cette dernière et le Premier Ministre et siègent à la Chambre des Lords.

Les États-Unis se revendiquent eux aussi comme un État laïc, bien que subsistent de nombreuxdomaines publics inspirés par la religion chrétienne20, comme le précise Denis Lacorne21.

18 C. Audard, John Rawls et les alternatives libérales à la laïcité, in Raisons politiques, 2009/2 no 34, p. 101–25.doi:10.3917/rai.034.0101.19 M. Gauchet, La religion dans la démocratie, Gallimard, 1998 ; E. Poulat, La solution laïque et ses problèmes, Berg

international, 1997 ; R. Rémond, Religion et société en Europe, Le Seuil, 1990 ; J.-P. Willaime, Sociologie de la religion,PUF, 1995 ; H. Pena-Ruiz, Dieu et Marianne, PUF, 1999 ; P. Pierrard, Anthologie de l’humanisme laïque, Albin Michel,2000 ; M. Despland, La religion en Occident, Le Cerf, 1979 ; O. Vallet, Petit lexique des guerres de religion d’hier etd’aujourd’hui.20 Ce qui peut être affirmé notamment par les devises religieuses suivantes « In God We Trust » « God Bless America »

figurant sur des pièces de monnaie par exemple.21 D. Lacorne, Une laïcité à l’américaine, in Études, 2008/10 Tome 409, p. 297–305.

Page 7: Religion, droit et laïcité

C. Benhida et al. / Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 147–154 153

La Turquie connait un régime laïc, très marqué par son histoire22. Comme le précise CemalKarakas : « La propagation d’une religion d’État, c’est-à-dire d’un islam républicain, laïc etethno-national, avait pour but de séculariser la population, d’homogénéiser les différents groupesconfessionnels et de garantir l’unité territoriale du pays. ». Ainsi en Turquie, la laïcité de l’Étatn’est pas née de l’évolution « naturelle » de la société, mais résulte d’un choix politique à laquellela société a adhéré23.

Cette grande diversité se retrouve pour la question particulière des établissements de santé.En Grande-Bretagne, des « burkas chirurgicales » sont prévues pour les femmes musulmanes quile souhaitent24, alors qu’en Turquie, le port du voile est interdit dans les lieux publics, doncsoignants comme patients d’établissements sanitaires publics ne peuvent le porter dans l’enceintede la structure.

4. Perspectives

Actuellement, les atteintes au principe de laïcité sont résolues au cas par cas dans les établis-sements sanitaires publics. Comme le précise le professeur André Grimaldi25 : « Il y a deux anss’est posé le problème dans mon service d’un interne qui décidait de partir le vendredi soir etn’était jamais là le samedi, pour faire shabbat. Les malades sont là le samedi : cette exigence n’estpas acceptable dans le service public. Au nom de la République, j’aurais dû refuser, d’autant queles autres internes le prenaient très mal. Mais plutôt que le conflit, j’ai préféré lui imposer la règlesuivante : je lui ai demandé de venir tous les dimanches. Il a accepté. »26. Cet exemple expose trèsclairement les enjeux liés au principe de laïcité dans les établissements sanitaires : il faut respecterles croyances de chacun, tout en ne gênant pas le fonctionnement du service. Mettre un internedans une situation différente des autres, du fait de sa religion, contrevient au principe de laïcité.Mais dans la mesure où un arrangement pratique a été trouvé, le fonctionnement du service nes’en trouve pas affecté.

Ce type d’arrangement au cas par cas ne fait pas exception. Une loi générale ne peut viserl’ensemble des situations pouvant porter atteinte au principe de laïcité. Quelles solutions seraientdonc acceptables, pour éviter ces atteintes à la laïcité ?

En pratique, des groupes de paroles, des formations et des conférences sont organisées pourles professionnels des établissements sanitaires, afin de sensibiliser les soignants à certainesnouvelles pratiques, ou normes entrées en vigueur. Au vu des atteintes au principe de laïcité, siminimes soient-elles dans certains établissements, dans les établissements sanitaires, pourquoine pas rendre ces formations obligatoires à l’ensemble des acteurs du système sanitaire publicfrancais ? Une formation serait une alternative à un texte législatif contraignant, et serait beaucoupplus pédagogique. Elle permettrait une réelle explication du principe de laïcité, de son application,et des atteintes quotidiennes lui étant faites. Cela permettrait une remise en cause personnelle dechaque professionnel, et permettrait un changement des pratiques, non pas imposé, mais réfléchiet choisi par tous. Par ailleurs, certains établissements ont mis en œuvre des groupes de réflexion

22 Notamment avec la révolution culturelle kémaliste qui dans un mouvement d’occidentalisation de l’État tenta d’effacertoute connotation religieuse au sein de la société turque. À ce sujet voir l’article de Cemal Karakas « La laïcité turquepeut-elle être un modèle ? », op.cit.23 J. Bauberot, Les laïcités dans le monde, Paris, PUF, Que-sais-je ?, 2007.24 M. Frat, La laïcité est-elle en danger ?, Le Figaro, 9 décembre 2008.25 Chef du service de diabétologie de la Pitié-Salpêtrière, Paris.26 D. Chardon, La circulaire sur la laïcité à l’hôpital, Le Quotidien du Médecin, 4 mars 2005.

Page 8: Religion, droit et laïcité

154 C. Benhida et al. / Droit Déontologie & Soin 11 (2011) 147–154

éthique, dans lesquels les questions relatives à la laïcité peuvent être abordées27. Ce type deréflexion est à encourager puisqu’il permet à tout le personnel de faire part de ses questionnementset des problèmes qu’il rencontre, et ainsi trouver des réponses adaptées aux situations. Néanmoins,prétendre à une formation globale de l’ensemble des soignants semble difficile en pratique et nesera mis en œuvre que par un dirigeant intéressé aux questions de laïcité.

Bien que cela soit contestable, René Descartes n’affirme-t-il pas que ce qui distingue l’Hommede l’animal est le fait que le premier est justement doté de la pensée ?

Pour en savoir plus

Articles• C. Audard, John Rawls et les alternatives libérales à la laïcité, in Raisons politiques, 2009/2 no 34, p. 101–125.• C. Karakas, La laïcité turque peut-elle être un modèle ?, in Politique étrangère, 2007/3 Automne, p. 561–573.• D. Chardon, La circulaire sur la laïcité à l’hôpital, Le Quotidien du Médecin, 4 mars 2005.• D. Lacorne, Une laïcité à l’américaine, in Études, 2008/10 Tome 409, p. 297–305.• J. Dewitte, Croire ce que l’on croit, Réflexion sur la religion et les sciences sociales, Revue du MAUSS, La

Découverte, 2003/2 (no 22).• J.-P. Willaime, La religion : un lien social articulé au don, Revue du MAUSS, La Découverte, 2003/2 (no 22).• M. Frat, La laïcité est-elle en danger, Le Figaro, 9 décembre 2008.• M. Ottan, La liberté confessionnelle dans les établissements de santé, Revue Droit et Santé, numéro 24, Juillet 2008,

Chroniques, page 441.• T. Queguiner, Les aumôniers hospitaliers attachés au salariat, http://abonnes.hospimedia.fr/articles/

les aumoniers hospitaliers attaches au salariat.• Y. Lambert, La Tour de Babel des définitions de la religion, Social Compass, volume 38 no 1, mars 1991.

Ouvrages• A. Dansette, Histoire religieuse de la France contemporaine. L’Église catholique dans la mêlée politique et sociale,

Paris, Flammarion, 1965.• G. Delfau, Du principe de laïcité, un combat pour la République, Paris, Les Éditions de Paris, 2005.• J. Bauberot, Les laïcités dans le monde, Paris, PUF, Que-sais-je ?, 2007.• J. Lalouette, La séparation des Églises et de l’État. Genèse et développement d’une idée, 1789–1905, Paris, Albin

Michel, 2001.• J.-M. Auby, Droit de la fonction publique, Dalloz.• J.-M. Clément, Mémento de droit hospitalier, 11e édition, Berger-Levrault, Paris, 2006.• J.-M. Mayeur, La Séparation des Églises et de l’État, Paris, Les Éditions Ouvrières, 1991.• J.-P. Gutton, Enfermement et charité dans la France d’Ancien Régime, in Histoire Economie et Société, 1991, 10e

année, no 3. pp. 353–8.• M. Kuengienda, République, Religion et Laïcité : De l’humanisme aux droits de l’Homme, Points de vue,

L’Harmattan, 2010.• R. Errera, Liberté religieuse et laïcité, pour une politique de paix civile, in Études 11/2005 (Tome 403), p. 475–486.• J. Casanova, Chancen und Gefahren öffentlicher Religion. Ost- und Westeuropa im Vergleich, in O.Kallscheuer

(dir.), Das Europa der Religionen. Ein Kontinent zwischen Säkularisierung und Fundamentalismus, Francfort-sur-le-Main,Fischer, 1996, p. 181–210.

27 L’aumônier catholique de l’hôpital privé Saint-Joseph-Saint-Luc, rencontré, participe de manière effective à un telgroupe, avec le personnel de l’établissement et un psychologue.